Les étapes du développement du pancréas : des - iPubli

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MEDECINE/SCIENCES 2002 ; 18 : 467-73
REVUES
Anne Grapin-Botton
L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) dénombre
actuellement 130 millions de diabétiques dans le monde et
estime que leur nombre sera de 300 millions dans 25 ans. Il
s’agit d’un véritable problème de santé publique, la durée
de vie des patients diabétiques étant en moyenne inférieure de 15 ans à la normale, notamment du fait des complications fréquemment associées au diabète, dysfonctionnement rénal, cécité, neuropathies, cardiopathies. Le
diabète de type I est dû à la destruction des cellules du
pancréas produisant l’insuline (cellules β) tandis que le
diabète de type II résulte de l’inefficacité de la voie de
signalisation de l’insuline. Bien que l’injection d’insuline
permette de contrôler plus ou moins efficacement le taux
de glucose des diabétiques de type I, il ne s’agit pas d’un
traitement curatif. Idéalement, le remplacement des cellules β du pancréas associé au contrôle de l’attaque autoimmune constituerait une solution plus durable.
Actuellement, la greffe d’îlots de Langerhans est pratiquée
avec succès mais le nombre de greffons disponibles est largement insuffisant pour couvrir la demande [1]. Au cours
des années 2000 et 2001, le renouveau du concept de cellule souche a éveillé l’espoir de disposer à moyen terme de
nouvelles sources de cellules β [2]. Des cellules souches,
capables de proliférer et de se différencier pour régénérer
les organes chez l’adulte avaient jusqu’alors été bien
MINI-SYNTHÈSE
> Le développement du pancréas à partir de l’endoderme de l’embryon est un processus complexe incluant la formation des bourgeons pancréatiques puis leur fusion, la différenciation
des cellules exocrines et endocrines du pancréas, et la migration de ces dernières pour former les îlots de Langerhans. Ces étapes commencent maintenant à être connues : elles sont sous
la dépendance de signaux émis par les tissus
adjacents, en particulier par le mésoderme, de
l’expression, coordonnée dans le temps et dans
des territoires précis, de nombreux facteurs de
transcription. Cette dissection de l’ontogenèse
du pancréas représente une étape incontournable pour les recherches visant à développer
une thérapie cellulaire du diabète. <
Les étapes
du développement
du pancréas :
des pistes pour
le traitement
du diabète
Institut Suisse de Recherche
Expérimentale sur le Cancer,
Chemin des Boveresses 155,
Case Postale, CH-1066
Epalinges s/Lausanne, Suisse.
[email protected]
caractérisées dans une
minorité de tissus tels
que la moelle osseuse,
l’épithélium intestinal
ou l’épiderme. Leur présence a récemment été mise en évidence dans d’autres organes, notamment dans les muscles
et le système nerveux, et il est possible que des cellules de
ce type soient représentées dans tous les organes [2]. Des
expériences de régénération expérimentale suggèrent qu’il
existe des cellules souches dans le pancréas [3] mais on
connaît peu leurs caractéristiques et ces cellules n’ont
jamais été isolées. Cependant, on sait maintenant que les
potentialités de différenciation des cellules souches
s’étendent non seulement à l’organe dans lequel elles
nichent mais aussi à d’autres organes. Des lignées de cellules souches embryonnaires humaines, qui peuvent être
propagées in vitro et qui sont capables de former de nombreux types cellulaires, sinon tous comme leurs homologues murins, ont été développées. Lumelski et al. [4] ont
montré que certaines conditions de culture permettaient la
différenciation de cellules souches embryonnaires murines
en cellules dans lesquelles de l’insuline est
présente (➜). Il s’agit d’une avancée spectaculaire (➜) m/s
mais ces cellules n’ont pas des taux biologiques 2001, n°10,
p. 1088
d’insuline. La dissection des étapes de l’ontogenèse
du pancréas chez l’homme et les animaux modèles
ainsi que l’identification des gènes impliqués
M/S n° 4, vol. 18, avril 2002
Article disponible sur le site http://www.medecinesciences.org ou http://dx.doi.org/10.1051/medsci/2002184467
467
devraient permettre de développer des stratégies pour
reproduire de plus en plus fidèlement la différenciation des
cellules souches, in vitro ou in vivo. La Figure 1 dresse un
parallèle entre l’origine embryologique du pancréas et les
étapes à récapituler.
Spécification du domaine endodermique
du pancréas
Premiers signes moléculaires
Bien avant que n’apparaissent les premiers signes morphologiques, alors que l’embryon a une dizaine de somites,
certains gènes à homéoboîte s’expriment dans l’endoderme
présomptif du pancréas. Un des premiers est le gène Pdx1
dont l’expression marque initialement les territoires endodermiques qui formeront le pancréas et s’étend progressivement à l’ensemble du duodénum et à l’estomac postérieur [5, 6] (Figure 2). Les protéines sécrétées Sonic
Hedgehog (Shh) et Indian hedgehog (Ihh) sont exprimées
précocement dans la plupart des épithéliums digestifs à
l’exception du pancréas (Figure 2). Leur exclusion du
domaine pancréatique est importante puisque, lorsqu’on y
force l’expression de Shh, le développement de cet organe
est anormal [7]. Enfin, des signaux envoyés par les tissus
adjacents, en particulier par le mésoderme, sont nécessaires à l’induction des gènes caractéristiques de l’ébauche
pancréatique (Figure 3).
Signaux permissifs
La notochorde, qui est en contact transitoire avec l’endoderme dorsal aux stades précoces de la somitogenèse
(Figure 3), envoie des signaux indispensables à l’induc-
Œuf/cellule souche embryonnaire
Endoderme
Mésoderme
Ectoderme
Pancréas
Exocrine
α
Glucagon
468
Endocrine
β
Insuline
M/S n° 4, vol. 18, avril 2002
Canal
δ
Somatostatine
γ
Peptide
pancréatique
tion de nombreux gènes du pancréas endocrine et exocrine, dont Pdx1, et à la répression de l’expression de Shh
[8]. L’activine β et le FGF2 (fibroblast growth factor),
qui miment l’action de la notochorde, pourraient être les
intermédiaires biologiques de cet effet [8]. La notochorde s’éloigne ensuite de l’endoderme, poussée dorsalement par l’aorte. L’aorte, mais aussi d’autres vaisseaux
sanguins, ont la capacité de stimuler la différenciation
des cellules endocrines dans l’endoderme pancréatique
[9]. L’association entre glande et vaisseaux sanguins est
fonctionnellement importante et cette dépendance précoce est remarquable. Ces signaux sont qualifiés de permissifs car ils sont nécessaires pour le développement du
pancréas mais non suffisants pour l’induire dans des
domaines antérieurs ou postérieurs au duodénum.
Signaux instructifs
Des signaux instructifs, capables d’induire les gènes
pancréatiques dans d’autres domaines endodermiques,
n’ont pas encore été décrits mais des expériences en
cours suggèrent que le mésoderme de la splanchnopleure, situé au niveau du futur duodénum, envoie des
signaux induisant Pdx1 dans l’endoderme (Figure 3). Par
ailleurs, des signaux qui répriment l’identité pancréatique ont été identifiés. L’endoderme présomptif du foie
jouxte celui du pancréas. En présence de signaux du
mésoderme cardiaque, nommément des membres de la
famille du FGF, l’endoderme de cette région exprime des
marqueurs hépatiques alors qu’en son absence, des
marqueurs pancréatiques sont induits (Figure 3) [10].
Le mésoderme cardiaque limite donc l’expansion antérieure et ventrale du champ pancréatique.
Figure 1. Récapituler in vitro les étapes de formation du pancréas
pour produire en masse des cellules endocrines. Le pancréas est
constitué de deux tissus glandulaires étroitement associés, l’un
fait de cellules exocrines qui sécrètent des enzymes dans l’intestin et l’autre de cellules endocrines qui sécrètent des hormones
dans le sang. Le pancréas exocrine est une glande acineuse alors
que le pancréas endocrine est constitué de 4 types cellulaires différents (α, β, δ, PP) regroupés dans les îlots de Langerhans, qui
sont répartis dans le mésenchyme entre les branches du pancréas
exocrine. Les cellules endocrines et exocrines dérivent toutes de
l’endoderme et sont enveloppées de tissu conjonctif et de vaisseaux sanguins, tous deux d’origine mésodermique, et de cellules
nerveuses et gliales provenant de la crête neurale. Une cellule
souche embryonnaire a la capacité de former des dérivés des trois
feuillets embryonnaires. Une approche in vitro de transformation
des cellules souches en cellules β consisterait à reproduire
séquentiellement chaque étape : choix endodermique, activation
des facteurs de transcription pancréatiques, différenciation des
cellules endocrines.
Après le début de l’expression des premiers facteurs de
transcription caractéristiques du pancréas, trois bourgeons se forment dans le duodénum, l’un dorsal et les
deux autres ventro-latéraux (Figure 2). Ces bourgeons
fusionneront par la suite pour former un organe unique.
Dans certaines espèces, dont la souris et l’homme, l’un
des bourgeons ventraux arrête son développement très
précocement [9]. Les bourgeons se forment en plusieurs
étapes. L’induction est vraisemblablement due à des
divisions radiales des cellules de l’épithélium intestinal.
Il en résulte un épaississement local qui n’est pas présent en l’absence du gène à homéoboîte Hlxb-9 [11,
REVUES
Formation des bourgeons pancréatiques
12]. Ce gène est exprimé à la fois dans l’ébauche pancréatique et dans la notochorde. La notochorde étant
indispensable à l’expression de nombreux marqueurs
pancréatiques (Figure 2), il est difficile de savoir si l’expression de ce gène est requise dans le pancréas ou la
notochorde pour le bourgeonnement. Lorsque le gène
Pdx1 est inactivé, les bourgeons pancréatiques se forment mais restent petits et peu ramifiés [5, 6].
L’expression ectopique de ce gène dans d’autres zones
de l’épithélium digestif induit, en revanche, la formation de bourgeons [13]. Ce gène n’est donc pas indispensable à l’induction du bourgeonnement mais semble
conférer aux bourgeons la capacité d’envahir le mésenchyme, une activité qui dépend des métalloprotéases et
des molécules d’adhérence. Cette capacité s’accompagne d’un renforcement des jonctions entre cellules
épithéliales, relayé notamment par une augmentation
de l’expression de la E-cadhérine et sa redistribution vers les surfaces
latérales des cellules [14]. Le facteur de transcription à homéoboîte
Prox1 pourrait aussi jouer un rôle important : ce gène est exprimé transitoirement dans les bourgeons du foie et du pancréas. Il a été montré
que, dans le cas du foie, Prox1 est nécessaire au bourgeonnement [15].
MINI-SYNTHÈSE
De nombreuses malformations congénitales du pancréas
- pancréas annulaire, pancreas divisum et hétérotopies
pancréatiques - sont déclenchées à ce stade de développement [8]. L’inactivation de Shh et de Ihh (Indian
Hedgehog) chez la souris reproduit les trois types de
malformations [8] et des mutations du gène Pdx1 causent des agénésies et des hypoplasies pancréatiques.
Différenciation
des cellules exocrines
et endocrines
du pancréas
Figure 2. Des signaux des tissus adjacents induisent le développement du pancréas. Les territoires présomptifs
des bourgeons du pancréas (grains noirs) sont représentés chez un embryon de souris à E8,5 (A) et chez un
embryon de poulet de 12 somites (B). L’endoderme, le mésoderme et l’ectoderme sont respectivement représentés en jaune, rouge et bleu. C. Une section transversale au niveau de la double flèche montre l’influence des tissus mésodermiques adjacents. La notochorde (1) envoie des signaux permissifs à l’endoderme du futur bourgeon
dorsal. Les aortes, latérales à la notochorde à ce stade, fusionneront de façon médiane et prendront le relais.
Les bourgeons ventraux reçoivent l’influence instructive du mésoderme splanchnopleural (2) tandis que le mésoderme cardiaque induit le développement hépatique au détriment de celui du pancréas (3).
M/S n° 4, vol. 18, avril 2002
Relations de lignage
entre cellules endocrines
et exocrines
La différenciation des différents types de cellules
commence avant même la
formation des bourgeons.
Le glucagon, première hormone à être exprimée, est
présent dès 9 jours embryonnaires (E9) chez la
souris (Figure 4). L’insuline
apparaît quelques heures
après, suivie de la somatostatine et du peptide pancréatique à E15. Les premiers signes de différenciation exocrine, l’expression du facteur de transcription p48-PTF-1, apparaissent à E10 [16]. La
proportion entre cellules
endocrines et exocrines est
réglée par des protéines
469
sécrétées. La follistatine, un inhibiteur des membres de la
famille du TGFβ sécrété par le mésenchyme pancréatique,
augmente le nombre de cellules exocrines aux dépens des
cellules endocrines [17]. Comme dans d’autres organes,
le système Notch/Delta est un effecteur membranaire de
ce choix dichotomique des cellules de l’endoderme du
pancréas. L’inactivation de cette voie de signalisation au
niveau du ligand (Delta), du récepteur Notch ou des relais
intracellulaires induit la différenciation précoce de cellules endocrines [18, 19]. Les facteurs de transcription à
domaine basique hélice-boucle-hélice (bHLH), HES-1,
neurogénine 3 (Ngn3) et NeuroD sont des relais intracellulaires séquentiels de ce signal. Ngn3 et NeuroD promeuvent la différenciation des cellules endocrines aux dépens
de celle des cellules exocrines lorsque leur expression est
forcée dans l’ensemble du champ [18-20]. Par ailleurs,
Ngn3 active la sortie du cycle de prolifération.
L’activation précoce forcée de ce gène dans l’ensemble de
l’organe entraîne une déplétion en progéniteurs exocrines
et endocrines qui se manifeste par une hypoplasie pancréatique. Le syndrome d’Alagille, qui est causé par des
mutations dans le gène Jagged, qui code pour un ligand
activant Notch, comprend également des anomalies pancréatiques [21].
A
Hlxb-9
MNR 2
Pdx1
Shh
Estomac
Duodénum
Bourgeon
dorsal
Bourgeons
ventraux
Pancréas
B
p48
Hes-1
Ngn3
NeuroD
IsI1
Pax6
Cellules
exocrines
Hlxb-9
Cellules
endocrines
Pax4
Nkx2.2
Nkx2.2
Nkx6.1
Brn4
Nkx2.2
Cellules β
(insuline)
470
Cellules δ
(somatostatine)
M/S n° 4, vol. 18, avril 2002
Cellules α
(glucagon)
Cellules PP
(peptide
pancréatique)
Après ce premier choix dichotomique, on ne sait pas bien
comment les sous-types de cellules endocrines se spécialisent. Chez l’homme et la souris, les cellules qui produisent l’insuline, le glucagon, la somatostatine et le peptide pancréatique représentent respectivement 75-80,
10-20, 5 et 1 % des cellules endocrines du pancréas.
L’observation de cellules co-exprimant plusieurs hormones suggérait un choix tardif des cellules endocrines
[22]. Une des rares études de lignage a pourtant révélé
récemment que les cellules α et β adultes n’ont jamais
co-exprimé l’insuline et le glucagon au cours de leur vie,
ce qui suggère que les cellules double positives vues chez
l’embryon ne contribuent pas à l’organe mûr [23]. Les
cellules β dérivent de progéniteurs ayant exprimé le peptide pancréatique alors que ce n’est pas le cas pour les
cellules α. On pense que, comme dans la crête neurale,
les progéniteurs restreignent progressivement leurs
potentialités. Le lignage α se sépare précocement, un
Figure 3. Différenciation des cellules endocrines et exocrines. A.
Les bourgeons du pancréas, dorsaux et ventraux, se développent
à la charnière entre estomac et duodénum, dans le domaine qui
exprime Pdx1. La protéine Shh est exprimée dans la quasi-totalité
de l’épithélium digestif à l’exception du pancréas. Cette exclusion
semble jouer un rôle important dans le développement du pancréas. Hlxb9 serait impliqué dans la formation des bourgeons
pancréatiques. Chez le poulet, le gène MNR2, très similaire à
Hlxb9, est exprimé dans la totalité des bourgeons pancréatiques.
B. Facteurs de transcription impliqués dans les différentes étapes
de différenciation en cellules exocrines et endocrines. L’expression du facteur de transcription p48 est le premier signe de différenciation des cellules exocrines [16]. Certains gènes sont nécessaires à la différenciation de l’ensemble des cellules endocrines.
Ainsi, le gène proneural ngn3, dont l’activation dépend de la voie
de signalisation Notch/Delta, induit successivement un autre
gène proneural Neuro D, puis les gènes paired homeodomain Pax6
et isl1 [13, 20, 24]. Tous ces gènes sont induits par ngn3 et
absents du pancréas lorsque ngn3 est inactivé [25]. D’autres
gènes sont spécifiques de certains lignages. Ainsi, l’inactivation
de Pax4 entraîne une augmentation du nombre de cellules α aux
dépens des cellules β et δ [24]. L’inactivation de Nkx2.2 empêche
la différenciation des cellules β, réduit le nombre de cellules α
et PP mais n’affecte pas le nombre de cellules δ [24]. En l’absence de ce gène, de nombreux précurseurs partiellement différenciés mais n’exprimant pas les hormones s’accumulent.
Nkx6.1 et Hlxb9 affectent uniquement les cellules β [10, 24].
Lorsque Nkx6.1 est inactivé, les quelques cellules β qui apparaissent précocement se forment mais la majorité, qui se différencient vers E13 n’apparaissent pas. En l’absence de Hlxb9, il
apparaît trois fois moins de cellules exprimant l’insuline que
dans les embryons normaux [10]. En l’absence de Pdx1, aucune
cellule à insuline n’est observée alors que des cellules à glucagon se différencient [6].
E8,5
E9,5
Bourgeonnement
REVUES
Une cascade de facteurs de transcription
Un rapide examen des facteurs de transcription exprimés
dans le pancréas révèle d’étonnantes similitudes avec le
tube neural. On a d’ailleurs cru pendant longtemps que les
cellules endocrines du pancréas dérivaient de la crête neurale et non de l’endoderme. Les facteurs de transcription à
homéodomaine Pax6, Nkx2.2, Nkx6.1, Isl1, Hlxb9 et MNR2,
et de type basique hélice-tour-hélice Ngn3 et NeuroD, sont
exprimés dans les deux organes. Leur expression dans le
tube neural, leur fonction dans la différenciation des soustypes de neurones et, dans une certaine mesure, leurs relations épistatiques ont été bien caractérisées. Dans le pancréas, les cellules d’un type particulier ne se différencient
pas toutes en même temps. Le pancréas est donc composé
pendant longtemps d’un mélange de cellules à des stades
de développement très hétérogènes. Il est par conséquent
difficile de savoir quel gène est caractéristique d’une étape
ou d’une voie de différenciation par la simple étude de son
expression. Une première étape a été de déterminer si ces
gènes sont exprimés dans des progéniteurs capables de
proliférer. Leur inactivation et leur expression ectopique
nous renseignent sur ce pour quoi ils sont respectivement
indispensables et suffisants et permettent de déterminer
leurs relations épistatiques. La Figure 3 montre que certains facteurs de transcription sont nécessaires à la différenciation de l’ensemble des cellules endocrines alors que
d’autres sont spécifiques de certains lignages, et résume
ce qui est connu de leur fonction.
De nombreux facteurs de transcription nécessaires à l’organogenèse du pancréas, tels que Pdx1, p48, isl1, Pax6,
persistent chez l’adulte et activent la transcription des
hormones et des enzymes [24]. Des mutations hétérozygotes dans certains de ces gènes ont été identifiées dans
certains types de diabète de type II dans lesquels la sécrétion d’insuline est réduite (Pdx1: MODY4, NeuroD) [24].
Formation des îlots de Langerhans
Les cellules endocrines se forment dans la partie distale
des bourgeons épithéliaux ramifiés du pancréas et quittent l’épithélium à E16,5 (Figure 4). Elles migrent dans le
mésenchyme et s’agrègent pour former les îlots de
Langerhans. Des expériences de chimères d’agrégation
chez la souris ont montré que les îlots sont d’origine
polyclonale [27]. Leur architecture, conservée, semble
être importante pour l’homéostasie du glucose [8]. Les
cellules à insuline sont au centre des îlots alors que les
cellules à glucagon, somatostatine et PP, sont à la périphérie (Figure 4).
La formation des îlots est dépendante des molécules
d’adhérence et de la capacité des cellules à digérer la
matrice extracellulaire. Cette dernière propriété est
conférée par les métalloprotéases dont au moins deux
sont exprimées dans le pancréas, MMP-2 et 9 [8]. Leur
inhibition perturbe la formation des îlots [8]. Les MMP
sont induites par l’EGF et peut-être par des membres de
la famille de TGFβ [8]. Les îlots des souris dont la voie
de signalisation de l’EGF est invalidée restent à proximité des canaux. Les intégrines αvβ3 et αvβ5, deux
protéines transmembranaires qui permettent l’adhérence des cellules à la matrice extracellulaire, permettent la migration des cellules endocrines [28]. Les interactions entre cellules endocrines jouent aussi un rôle
dans l’organisation des îlots. Ces interactions sont
contrôlées par deux grandes familles de protéines : celle
E10,5
E12,5
Ramification
MINI-SYNTHÈSE
phénomène qui semble faire intervenir le gène Pax4 [24].
Un inventaire des différents types de progéniteurs et de
leurs capacités de prolifération fait actuellement défaut.
E16,5
Migration des cellules endocrines
Agrégation en îlots
Figure 4. Morphogenèse du pancréas. Une coupe longitudinale du tube digestif montre à E8,5 les cellules de l’épithélium dorsal et ventral, en vert,
et la lame basale en bleu. A E9,5 le bourgeon pancréatique dorsal est visible. Les cellules à glucagon, en rouge, ont commencé à se différencier.
Le pancréas continue à se ramifier et les cellules à insuline, en noir, se différencient. A E16,5, les cellules endocrines quittent l’épithélium, franchissent la lame basale et s’agrègent en îlots dans lesquels les cellules β sont au centre.
471
M/S n° 4, vol. 18, avril 2002
des cadhérines qui relaye les interactions dépendantes
du calcium et celle des CAM (cell adhesion molecules)
qui en est indépendante [29]. Les cadhérines E-, N- et
R- sont exprimées dans les îlots et une forme dominante
négative de la E-cadhérine empêche l’agrégation des
cellules endocrines [8]. En l’absence de N-CAM, les cellules α perdent leur localisation périphérique et se
mélangent aux cellules β [30, 8]. Les mécanismes intracellulaires qui coordonnent l’expression des molécules
d’adhérence et, par conséquent, la migration sont
méconnus. L’expression ectopique de la neurogénine 3
dans l’intestin grêle promeut le bourgeonnement dans le
mésoderme et l’agrégation en îlots de cellules endocrines et il est possible que la différenciation endocrine
et la formation des îlots soient coordonnées [13].
Conclusions
Que signifient ces données embryologiques, notamment
dans le cadre du diabète ? Elles ont pour l’instant
affecté le diagnostic du diabète en permettant d’identifier des gènes responsables de certains diabètes de type
II. En ce qui concerne le diabète de type I, une thérapie
envisagée pour le futur consisterait à remplacer les cellules β. Les découvertes embryologiques servent de base
au développement de trois stratégies de production en
masse des cellules β à partir de cellules souches : (1) la
première consiste à établir des protocoles de sélection
des cellules qui se différencient en cellules β ; (2) la
seconde à introduire les gènes requis pour le développement des cellules β ; (3) et la dernière à induire leur différenciation en présence de protéines sécrétées. Une
meilleure connaissance des étapes de différenciation et
de morphogenèse permettra de mieux contrôler la différenciation. Par exemple, lorsque Lumelski et al. [4]
appliquent un protocole empirique de différenciation in
vitro des cellules souches embryonnaires en cellules β, il
est remarquable de constater que le taux de facteur de
transcription Pdx1 est extrêmement bas, ce qui pourrait
expliquer pourquoi l’insuline est produite à un niveau 50
fois inférieur à la normale.
Le fonctionnement d’un organe repose sur la présence de
cellules différenciées mais aussi sur leur organisation,
ce qui, dans le cas du pancréas endocrine, correspond à
la formation des îlots endocrines et des connexions sanguines et nerveuses. Il est plus réaliste à l’heure actuelle
d’envisager d’injecter des cellules différenciées que de
greffer un organe neuf produit in vitro. La greffe d’îlots
de Langerhans semble d’ailleurs plus efficace que celle
de l’organe complet. Ces îlots, injectés dans la veine
porte, ne s’installent probablement pas dans le pancréas, mais coloniseraient plutôt le foie. Dans l’hypothèse de la production de cellules de remplacement in
vitro, il est possible qu’il faille produire des îlots plutôt
que des cellules β seules.
Les progrès à venir dépendront de l’accroissement de
nos connaissances sur les cellules souches, la culture
des cellules endocrines et le développement du pancréas. Dans ce dernier domaine, les approches systématiques d’identification des gènes devraient permettre
d’identifier les maillons manquants, et les approches
fonctionnelles de reconstituer les cascades moléculaires impliquées dans la différenciation et la morphogenèse du pancréas. ◊
SUMMARY
Different steps in pancreas development:
toward diabetic therapies ?
The formation of the pancreas from the endoderm layer
takes place in different steps including the specification
of the precursor territory, the outgrowth of pancreas
buds, the differentiation of exocrine and endocrine
cells, and the migration of endocrine cells which leads to
islet formation. These processes are controlled by mesoderm-endoderm interactions and specific induction of a
set of transcription factors. Deciphering the cascade of
genes involved in beta-cell induction will provide essential tools to engineer cells for diabetes therapy. ◊
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