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ARTICLE ORIGINAL
HISTOIRE DE LA CHIRURGIE
DU RACHIS
JEAN-MARC FUENTES
L’héritage gréco-égyptien nous
donne, grâce à Hérophile (325 ou
340-255 av J-C) et Erasistrate
(310 ou 330-250 av J-C), le siège
de la pensée dans le cerveau et la
notion que les nerfs (dissociés des
tendons) sont conducteurs de l’influx moteur et de la sensibilité.
Les dissections reprendront de
manière ponctuelle (Montpellier :
1342), puis surtout avec Vésale,
1800 ans plus tard.
C’est la deuxième grande amnésie.
Dans la Bible, dans la lutte de Job
contre l’Ange, il est clair que le
rôle moteur du nerf sciatique est
connu (Genèse 32 :25-32).
En résumé le rôle du cerveau,
de la moelle épinière contenue
dans le rachis et des nerfs est
bien identifié dés le 2ème siècle
avant J-C.
i l’histoire moderne de la chirurgie du rachis ne démarre
réellement qu’avec l’invention de la radiologie par Konrad
Röntgen (1895) et les travaux de
Semmelweis (1847) et Lister avec
l’emploi des antiseptiques (1867),
on trouve dans les siècles précédant
le 20ème siècle une série d’observations pertinentes sur la pathologie
rachidienne.
La première allusion à une fracture
du rachis cervical avec troubles neurologiques se trouve dans le papyrus
Smith.
S
LE PAPYRUS SMITH
Le papyrus Smith (du nom de son
acquéreur) est une copie de documents plus anciens effectuée vers
1650 avant Jésus Christ sous le
règne du pharaon Hyksos Auserré
au milieu du XVIII ème siècle av. JC. Il est constitué de 22 colonnes.
Les 17 colonnes du verso sont un
traité de chirurgie traumatologique
et les observations 31, 32 et 33
traitent des fractures du rachis cervical. La tétraplégie y est décrite
avec son pronostic sombre :
“Instructions concernant une
luxation dans une vertèbre du cou.
Si tu examines un homme ayant
une luxation dans une vertèbre de
son cou, et si tu trouves qu’il n’a
plus le contrôle de ses deux bras et
de ses deux jambes à cause de
cela, alors que sa verge est en
érection à cause de cela, et que
l’urine tombe de son membre sans
qu’il en ait conscience ; sa chair
par ailleurs a reçu de l’air et ses
yeux sont remplis de sang ; c’est
une luxation d’une vertèbre de son
cou, s’étendant jusqu’à sa colonne
vertébrale, qui est cause qu’il n’a
plus le contrôle de ses deux bras et
de ses deux jambes. Et si c’est la
vertèbre du milieu de son cou qui
est luxée, c’est une émission de
sperme qui survient à son membre.
Tu diras à son sujet : un homme qui
Jean-Marc Fuentes - Montpellier
Le Rachis - Tome 3 - N° 5 Novembre 2007
a une luxation dans une vertèbre
de son cou, tandis qu’il n’a plus le
contrôle de ses deux jambes et de
ses deux bras et que son urine
s’échappe goutte à goutte, c’est
une maladie pour laquelle on ne
peut rien faire”.
Dans les autres cas le repos
allongé est conseillé ainsi que le
traitement des plaies par bandages
enduits de gomme ou de résine.
Les vertus hémostatiques de la
viande fraîche sont maintes fois
signalées en application locale sur
les plaies récentes. Rappelons que
Harvey Cushing emploiera des
muscles de pigeons dans ses interventions crâniennes et que cette
pratique se maintiendra jusqu’en
1960.
Les soins étaient pratiqués par des
médecins spécialistes issus d’une
formation familiale et de la fréquentation de Maisons de Vie (regroupant différents intervenants réputés), et parfois des prêtres (comme
les prêtres de Sekhmet) s’il faut en
croire Strabon.
A noter que nombre de momies de
nos musées et du British Museum
sont porteuses d’une atteinte par
tuberculose vertébrale (qui sera
décrit par Percival Pott, 1714-1788)
et rénale avec lithiases calicielles.
De même on constate chez elles des
fractures rachidiennes par chute de
char ou de cheval ou d’accidents de
chantiers, et des déformations scoliotiques.
Du fait que ces manuscrits ont
été copiés sur plusieurs siècles,
on va observer comme pour
notre Moyen-âge, une sclérose
lente de la pensée médicale en
Egypte car il était hors de question pour les médecins de l’époque de s’écarter de ces recommandations. La renaissance
Hérophile
viendra
avec
d’Alexandrie 1300 ans plus
tard.
Première grande amnésie, au fil
du temps nous en verrons d’autres cas.
HIPPOCRATE
460-377(ou 356) av. J-C
Il fit un long séjour en Egypte
(Memphis). Ses connaissances anatomiques et son expérience thérapeutique proviennent de l’observation de cadavres de guerriers tués au
combat dans les nombreux conflits
de l’époque (fin des guerres médiques, conflits entre cités : guerre du
Péloponnèse), et probablement de
dissections animales.
Il s’intéressa aux fractures sans
troubles neurologiques mais avec
cyphose évolutive. Le patient était
étendu sur le ventre et placé en
traction par le jeu de deux rouleaux
crantés. Le praticien s’asseyait sur
le dos du patient ou lui transmettait
la force de son propre poids par
l’intermédiaire d’une planche. En
décubitus dorsal il était conseillé
de placer une outre pleine d’eau
sous le sommet de la cyphose.
Cette même idée sera reprise par
Rauchfuss (1835-1915) et Bohler
(1885-1973) en utilisant un cadre
pour réduction posturale.
Cette technique connue sous le
nom de la planche d’Hippocrate est
relayée par celle dite de l’échelle
dans laquelle le sujet attaché sur
une échelle est suspendu par les
pieds.
Outre la description des cyphoses
post-traumatiques le traité des articulations du Corpus Hippocraticum
(72 livres dont 6 consacrés à la chirurgie) fait état des scolioses, des
fractures d’épineuses, des sidérations médullaires (concussion) et
des dislocations vertébrales, de la
douleur sciatique.
ALEXANDRIE
Par la pratique des autopsies de
criminels, autorisées par Ptolémée
I Soter (dit le sauveur, 323-283 av
J-C), cette ville fut durant 40 ans
le berceau des pères de l’anatomie
(Hérophile) et de la physiologie
(Erasistrate).
Ptolémée II Philadelphe groupa
tout le savoir d’alors dans une
bibliothèque de 500 000 volumes.
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L’HÉRITAGE GRECO-ROMAIN
Les compilations de Celse (De re
medica) écrites pendant le règne
de Tibère (14-37 ap.J-C) n’amènent rien de plus sur le rachis
GALIEN
(129 ? [130 ou 138]-200 [ou 201]
après J-C)
Né à Pergame, il décrivit correctement la colonne vertébrale avec 24
vertèbres. Mais son décompte de 58
nerfs rachidiens est faux (29 paires,
alors qu’il y en a 31). Sa connaissance de la pathologie traumatique
lui viendrait de ses fonctions de
médecin des gladiateurs et surtout
de ses vivisections animales. En
effectuant des sections étagées de la
moelle chez le singe et le cochon il
évalua le type de déficit d’autant
plus sévère que la lésion est plus
haut située. Il isole les cyphoses, les
lordoses, les scolioses et comme
Hippocrate rattache certaines
cyphoses à la présence de “tubercules” dans les poumons. Le pronostic
étant meilleur dans les localisations
sous-diaphragmatiques en raison de
la possibilité d’évacuation spontanée d’abcès ossifluents dans le pli
de l’aine. Il fit un voyage d’étude à
Alexandrie qui lui permit de
connaître les travaux d’Hérophile.
Mais comme les dissections de
corps humains étaient interdites,
beaucoup de ses extrapolations de
l’animal à l’humain sont entachées
d’erreur. Ainsi, concernant le
sacrum, il décrit 3 ou 4 pièces
sacrées et 3 vertèbres coccygiennes.
Au 4ème siècle, Aurelianus Caelius
décrit la douleur sciatique et ses
traitements empiriques.
APRÈS LA CHUTE DE L’EMPIRE
ROMAIN D’OCCIDENT,
En 476, (invasions des 3ème, 4ème,
5ème et 6ème siècles dénommées à
présent Grandes Migrations), le
refuge de la pensée médicale fut
pour un temps l’empire d’Orient
(395-1453) et le médecin byzantin
Paul d’Egine (VII ème siècle) dans
son sixième livre consacré à la chirurgie guidera les opérateurs
médiévaux. La connaissance médicale va donc se trouver concentrée
jusqu’à la Renaissance dans les travaux d’Hippocrate et de Galien
diffusés par Celse (25 av-JC-50 apJC) et Paul d’Egine. Ces compilations gréco-latines seront traduites
en arabe quand les partisans de
Mahomet (Hégire, 622) déferleront
sur le bassin méditerranéen.
Dès
830
les
Aphorismes
d’Hippocrate et les œuvres de
Galien font l’objet de traductions et
d’apports personnels par Rhazès,
Avicenne, Ali Abbas, Abulcasis,
Avenzoar, Averroès. L’ouvrage de
techniques chirurgicales le plus
complet est le Kitab al-Tasrif
d’Abulcasis (Abu’l Qasim Khalaf
ibn Abbas Az-Zahrawi, né à
Cordoue en 926) avec le traitement
des fractures et luxations vertébrales ainsi que celui des caries rachidiennes. Les médecins arabes vont
sauvegarder les enseignements
grecs et latins, qui parviendront en
Europe par les traductions des arabisants.
LE MOYEN-ÂGE
(987-1460 pour Georges Duby)
En 1150 Gérard de Crémone donne
une version latine de la Chirurgie
d’Abulcasis.
Vers 1235, le catalan Arnold de
Villeneuve traduit les textes
d’Avicenne et d’Avenzoar. La chirurgie en générale était faite par
des barbiers chirurgiens dont l’enseignement était assuré par compagnonnage. L’enseignement de
l’Anatomie était mené par de rares
dissections (Montpellier, Padoue,
Salerne, Paris, Bologne : 4 à 5 par
an, en hiver, sur des criminels suppliciés) commentée du haut d’une
chaire par un enseignant qui lisait
des passages de Galien en donnant
quelques indications à un démonstrateur d’anatomie qui effectuait la
dissection.
Les auteurs d’ouvrage consacré à la
chirurgie de l’époque : Henri de
Mondeville (1260-1320 : Cyrurgia)
et Guy de Chauliac (1300-1368 :
La Grande Chirurgie ou Guidon
(1363) ne traitent pas de la pathologie vertébrale de manière originale.
XVI ÈME SIÈCLE ET RENAISSANCE
VESALE André (1514-1564)
Dans sa description de la colonne
(De Humani Corpori Fabrica,
1543) et les illustrations de Van
Calcar, on retient l’identification
du couple atlas-axis dans la rotation
de la tête sur le cou ; par contre il
retient 34 vertèbres puisque, pour
lui, le sacrum est formé de 6 pièces
(5 pièces pour Léonard de Vinci) et
le coccyx par 4 osselets cartilagineux. La colonne vertébrale (dorsum) est représentée sans courbures. Les trous de conjugaison sont
dénommés foramina nervi emittendis parata.
La moelle épinière est décrite
jusqu’au canal sacré (elle s’arrête
en L1-L2), les paires de racines
rachidiennes sont au nombre de 30
et dessinées horizontales (elles sont
obliques), le canal épendymaire est
omis (redécouvert par J-B Sénac en
1724), les sillons antérieur et postérieur et surtout les renflements cervicaux et lombaires sont négligés.
La même année, Copernic (1543)
sort la compréhension du monde
céleste de l’interprétation d’Aristote
avec son ouvrage De Revolutionibus
Orbium Celestium.
PARÉ AMBROISE
(1517 ou 1510 -1590)
Pourfour du Petit, chirurgien de
l’armée des Flandres, décrit en
1727, soit 125 ans avant Claude
Bernard et 142 ans avant Horner, les
conséquences oculaires de la section du nerf sympathique cervical.
En 1728, Pierre Chirac crée le
diplôme de Médecin-Chirurgien
scellant la scission complète entre
barbier-chirurgien et chirurgien.
Le collège Royal de Chirurgie fut
fondé en 1741.
En 1745, William Cheselden obtien-
dra le même résultat en Angleterre.
Dans son travail consacré à l‘ostéologie (Osteologia) il décrivit les
courbures normales de la colonne
vertébrale et les cypho-scolioses.
En 1747, Lapeyronie légua au
Collège, l’hôtel Saint Côme avec
un amphithéâtre d’anatomie à
Montpellier.
Cotugno [Domenico Felice Antonio
(1736-1822)] en 1764 décrit la
névralgie sciatique et la cruralgie (De
Ischialde Nervosa Commentarus),
Suivant les armées des guerres
d’Italie, il eut à traiter des lésions
traumatiques rachidiennes et décrivit une méthode de réduction en
suspendant le patient par la partie
supérieure de son corps, les membres inférieurs pendants dans le
vide. On lui devrait le terme de trou
de conjugaison (les nerfs sortent de
la colonne par paires qui se conjuguent de chaque côté).
Relevons encore une fois la
conjonction fertile de la guerre
et de la chirurgie
Cela se vérifiera dans le dernier
conflit européen de 1939-1945
avec Seddon et Gutman.
Relevons aussi la probité de
Maître Amboise Paré de Laval
qui répondit à Henri II, qui
l’exhortait à s’occuper de lui
mieux que de ses autres
patients, que c’était impossible
car il les soignait tous comme
des rois.
XVII ÈME SIÈCLE
Borelli Giovanni Alfonso (16081679)
Dans De Motu Animalium étudie
les articulations du rachis et
reconnaît le rôle essentiel des disques. Il montre que le centre de
gravité est situé en avant de la première vertèbre sacrée (en 1990,
White et Panjabi le placeront 4
centimètres en avant de S1).
En 1695, A.M. Vasalva, décrit le
liquide céphalo-rachidien.
Dans ce siècle William Harvey
(1578-1657) découvre la circulation
sanguine, Marcello Malpighi (16281694) la circulation capillaire,
Antonie van Leeuwenhoek (16321723) le microscope, Thomas Willis
(1621-1675) la vascularisation cérébrale.
XVIII ÈME SIÈCLE
Le siècle des Lumières
Dionis dans sa Cinquième démonstration au jardin royal (cours “à
portes ouvertes et gratuits” donnés
entre 1673 et 1706) (Cours d’opérations de chirurgie démontrées au
Jardin Royal) évoque le traitement
des gibbosités par des corsets ingénieux. Il compte 30 vertèbres et
sépare les déformations rachidiennes de causes externes (traumatismes, activités pénibles) des causes
internes (relâchements des ligaments).
Le Rachis - Tome 3 - N° 5 Novembre 2007
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avec une interprétation erronée sur
leurs origines (irritation des gaines
par des agents nocifs).
En 1779, Pott fait la description
restée classique, des paralysies
consécutives à la tuberculose rachidienne.
Herbineaux en 1782 reconnaît le
spondylolisthésis comme facteur
d’obstacle aux accouchements.
Sir Percival Pott (1713-1788) et
Clyne préconisent le drainage des
abcès tuberculeux para-vertébraux,
mais les infections post-opératoires
constituent un obstacle considérable au début de la chirurgie rachidienne puisque le malade de Clyne,
qui effectua la première laminectomie en 1814, décéda d’infection.
Ne quittons pas le 18ème siècle sans
rappeler que Nicholas André, en
1741, forge le terme orthopédie
(orthos : droit et paideiaterme provenant du mot pais, enfant) qui va désigner cette partie de l’art médical
dédié à la correction des déforma-
ARTICLE ORIGINAL
tions du corps. Le frontispice de son
traité L’orthopédie (1741, Paris) qui
représentait un échalas redressant un
jeune plant tordu, deviendra le logo
de nombreuses sociétés d’orthopédie
et de groupe d’étude de la scoliose.
XIX ÈME SIÈCLE
En 1804, Rousset cité par Dubarry
note les troubles sensitifs apparaissant lors des douleurs sciatiques.
Charles Bell (1774-1842) distingue
la paraplégie flasque de la paraplégie spastique, la phase du choc spinal est identifiée avec ses conséquences urinaires et rectales. En
1816, il dénoncera et condamnera
la laminectomie en raison de ses
mauvais résultats.
En 1829, Alban Gilpin Smith
(1788-1869) réalise, avec succès,
la première laminectomie lombaire
en Amérique du Nord pour fracture
avec aggravation secondaire.
En 1841, Valleix note que la douleur sciatique peut-être réveillée
par pression sur le trajet du nerf.
Entre 1846 et 1848, BrownSéquard (1817-1894), décrit le
tableau clinique de l’hémi-section
de la moelle cervicale qui porte
son nom.
En 1864, Lasègue précise une
manœuvre permettant de diagnostiquer la souffrance du nerf sciatique.
Malgaigne (1806-1865) préconise
la trépanation du canal rachidien
pour enlever les séquestres osseux
compressifs ouvrant la voie à
William Mac Ewen (1848-1924)
qui guérit son malade porteur d’une
compression médullaire (probablement une épidurite tuberculeuse)
par laminectomie en 1883.
En 1853, Desormenaux considéré
comme le père de l’endoscopie,
perfectionne le matériel de l’époque en utilisant des lentilles et un
liquide alcoolique pour améliorer
la luminosité.
En 1856 Chassaignac recommande
le drainage des voies d’abord.
Les travaux de Semmelweis (18181865) et de Pasteur (1822-1895)
sur l’asepsie, de Lister (18821912) sur l’antisepsie (1867) vont
permettre le développement de la
chirurgie. En 1882, Robert Koch
isole le bacille tuberculeux mais
l’antibiothérapie ne sera disponible que 60 ans plus tard.
En 1891, Hadra (1842-1903), réalise probablement la première
ostéosynthèse du rachis cervical
en effectuant un laçage au fil d’argent entre C6 et C7.
Victor Horsley (1857-1916) en
1887 réussit l’ablation d’une lésion
d’origine méningée sur les indications de sa localisation proposées
par William Gowers, chez un
patient de 42 ans. Entre 1893 et
1895 il opèrera 3 patients pour des
pachyméningites tuberculeuses et
4 autres patients pour traumatismes cervicaux par laminectomies.
En 1891, Abbe ponctionne un
kyste médullaire syringomyélique.
En 1893, Chipault précise la topographie vertébro-médullaire à partir des processus épineux comme
repères. Il décrira une voie d’abord
trans-orale qui ne sera utilisée
Le Rachis - Tome 3 - N° 5 Novembre 2007
qu’en 1918 par Lefort puis par
Fang et Ong en 1962.
En 1895, Wilhelm Konrad Röentgen,
décrit les rayons X.
En juin de la même année Harvey
William Cushing (1869-1939), le fondateur de la neurochirurgie moderne,
décroche son diplôme de médecin.
Ménard V., toujours en 1895, réalise les premières costo-transversectomies dans les paraplégies
pottiques avec drainage latéral. En
1897, il indique qu’une aréflexie
achilléenne peut accompagner certaines douleurs sciatiques.
XX ÈME SIÈCLE
Bohler (1885-1973) précise les
règles de la réduction orthopédique
des fractures et planifie un programme de rééducation en lordose.
L’invention des Rayons X par
Röntgen en 1895 sera pleinement
exploité par Sudeck,un élève de
Bohler, (1866-1945) et surtout par
Davis qui demandera systématiquement un cliché de face et de
profil dans l’inventaire des fractures rachidiennes (premier cliché
de profil de la colonne en 1925 !
Auparavant, les radiographies
étaient prises de face uniquement).
En 1904, Déjerine, Lortat-Jacob
décrivent la “sciatique radiculaire”.
En 1911, Albee, réalise des fusions
postérieures inter-épineuses avec
des greffons autologues tibiaux. La
même année Hibbs Russel met au
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point sa technique de greffe postero-latérale avec décortication,
pour le traitement de la scoliose et
du mal de Pott.
Elsberg en 1916 codifie la laminectomie bilatérale et insiste sur la
fermeture étanche de la dure-mère
en cas d’exploration intra-thécale.
Toujours en 1916 QueckenstedtStookey décrivent une méthode
manométrique permettant de mesurer la pression du liquide céphalorachidien et de déceler un blocage
des espaces sous-arachnoïdiens.
En 1921 Sicard et Forestier utilisent la bascule d’une bille de lipiodol pour localiser les compressions médullaires. Cette technique
sera utilisée jusqu’en 1965 pour
être supplantée par la myélogra-
phie gazeuse et les hydrosolubles
iodés en 1970 (Pantopaque, Dimer
X). Ces deux techniques co-habiteront jusqu’en 1975.
C’est à partir de la 3ème décade du
XXème siècle que l’histoire moderne
de la chirurgie du rachis va démarrer et imploser dans des directions
couvrant toute la pathologie de la
colonne vertébrale.
HISTOIRES DES DYNASTIES
(1932 à nos jours)
La Dynastie du Disque
Intervertébral
1932 : Le disque lombaire
Mixter (William Jason Mixter,
1880-1958) opère un malade de 27
ans porteur d’une hernie discale
L5-S1 gauche en 1932 et “référé”
par Joseph S. Barr.
En 1934, Mixter et Barr présentent
une série d’observations similaires
et reconnaissent l’origine discale
des enchondromes, nodules de
Schmorl et autres dénominations
de l’époque, dans un papier resté
célèbre de la New England Surgical
Society.
Ralph B. Cloward (1908-2000),
présent lors de l’attaque de Pearl
Harbour le 7 décembre 1941, eut à
traiter les “low-back pain” des
reconstructeurs de la base ; dès
1943 il développa les PLIF (arthrodèse intersomatique par voie postérieure), publiées en 1953 dans le
Journal of Neurosurgery.
Son intérêt pour le rachis cervical
lui fit développer une instrumentation originale pour les arthrodèses
par voie antérieure (1958). Sans
modestie il se surnommait luimême “le Michel-Ange” de la neurochirurgie.
En 1975 Shealy, puis Mac Culloch
(1980) et Bogduk (1987) popularisent la thermocoagulation facettaire par radio-fréquence.
Les prothèses discales lombaires
apparaissent en 1980, imaginées
par Schellnac et Buttner (ex-RDA)
et implantées pour la première fois
par Zippel en 1984.
Le disque cervical
La chirurgie par voie antérieure du
disque cervical débute aux USA
en 1955 avec Robinson et Smith
et en Europe avec Dereymaker et
Munier en 1956.
En 1957, Cauchoix, Binet et
Evrard proposent l’abord antérieur
de la jonction cervico-dorsale par
cervico-sternotomie.
En 1970, Orosco et Lovet imaginent l’ostéosynthèse par plaque
antérieure vissée des lésions traumatiques du rachis cervical. Jacques
Sénégas en 1972, P. Galibert et P.
Grunewald et W. Caspar perfectionnent la technique.
Les cages de fusion apparaissent
en 1993 (G. Robert, P. Kehr,
Weidner), rapidement déclinées en
titane (Bagby et Kuslich, Harms, J.
Benézech, 1997) ou en carbone
(Ray) puis en peek avec des masselottes de substituts osseux.
La recherche sur les protéines
ostéo-inductrices (BMP) et leurs
applications cliniques permettent
de diminuer les risques de pseudarthroses.
Après les années arthrodèses, en
1989, Brian Cummings imagine
une prothèse métal-métal (Bristol
disk), idée reprise en 1990 par
Vincent Bryan.
Les sténoses rachidiennes
1949. Henk Verbiest dans son
Hommage à Clovis Vincent précise
le rôle du canal lombaire étroit
dans la claudication neurologique
intermittente et José Aboulker en
1965 fait une revue des causes des
myélopathies cervicales d’origine
rachidienne.
La Dynastie du vissage pédiculaire
Raymond Roy-Camille (1927-1994)
En 1963 il introduisit le vissage
Le Rachis - Tome 3 - N° 5 Novembre 2007
pédiculaire “droit devant”, à un
moment où les plaques de Wilson
et de Meurig-Williams posées sur
les épineuses étaient plus qu’insuffisantes.
Le principe du droit devant fut peu à
peu modifié (René Louis, Argenson,
JM Fuentès, Magerl, Dick, Kluger,
Weinstein) pour être actuellement
plus oblique en dedans avec une
porte d’entrée plus haute et plus
externe.
Initialement les montages rigides
(toujours d’actualité dans le traitement des tumeurs et en traumatologie) se sont complétés par les
ostéosynthèses semi-rigides (B.
Lasalle, G. Perrin, R. Cavagna, Ch.
Mazel), puis dynamiques (Gilles
Dubois, 1994).
En même temps Jacques Sénégas
développe l’implant inter-épineux
flottant dans les sténoses lombaires (1986), idée qui verra une
seconde naissance avec le X-Stop
en 2004, 18 ans plus tard.
La dynastie des déformations
rachidiennes
En 1958, Harrington, développe
un matériel de réduction par voie
postérieure des scolioses.
Eduardo Luque (1982) propose des
laçages sous-lamaires pour réduire
de manière poly-segmentaires les
déformations rachidiennes. Un
développement avec le Hartshill
System sera abandonné en raison
d’une incidence élevée de troubles
neurologiques.
La même année, Cotrel et
Dubousset, généralisent la dérotation avec un matériel original qui
rendra également d’énormes services en traumatologie pour les réductions difficiles.
En 1964, Dwyer, propose la correction des scolioses par voie antérieure, suivi par Zielke en 1975 et
Kaneda en 1991 (dérotation ventrale). L’abord antérieur thoracolombaire avait été prôné dès 1955
par Hogdson.
Les travaux de Passuti, Chopin,
Stagnara, Guillaumat, Nachemson,
Weinstein, Kostuik, Lonstein ont
permis une meilleure compréhension des problèmes sans oublier la
contribution de Roussouly et
Duval-Beaupère sur les troubles
de l’équilibre sagittal.
La cimentoplastie voit le jour en
1984 avec Galibert et Deramond.
La kyphoplastie apparaîtra quelques 12 ans plus tard (1996).
Primitivement destinée au traitement des hémangiomes vertébraux, les indications de la vertébroplastie furent élargies au traitement percutané des métastases et
des tassements ostéoporotiques.
LA DERNIÈRE DÉCENNIE DU XXÈME
SIÈCLE
des lésions du rachis thoracique
(hernie discale dorsale, métastases) et lombaire par Regan (1994),
Rosenthal, Mario Brock, Zdeblik
(1995) et Le Huec (1996).
LE FUTUR
1970-1973 : Début de l’utilisation
du scanner (Godfrey N Hounsfield,
AM Cormack et Ambrose James)
en utilisant les travaux d’Oldendorf
(1961).
1980 : l’angiographie médullaire
(René Djindjian) et la phlébographie complètent l’approche diagnostique et thérapeutique (embolisation des tumeurs très vascularisées et des malformations vasculaires).
1983-1986: l’IRM rachis-médullaire. Le principe en est définit en
1946 par Bloch et Purcel, puis
développé par Damadian en 1971
et les premières images utilisables
en 1974 par Lauterbur. Outre les
services rendus en pathologie
tumorale, infectieuse, elle est devenue indispensable en pathologie
dégénérative (Modic M, 1991).
La neuronavigation rachidienne, la
radiothérapie guidée par ordinateur
sont les acquis les plus récents,
ainsi que la fluoro-navigation.
La chirurgie du rachis est en passe
de devenir une sur-spécialité.
Exercée par deux corporations
issues de la neurochirurgie et de
l’orthopédie, elle sera bientôt une
spécialité en soi. Les ateliers de formation générés par la Société
Francophone de Neurochirurgie du
Rachis et par la Société Française
de Chirurgie du Rachis, l’enseignement d’un DIU, sont autant de
garanties pour assurer l’avenir de
cette spécialité à hauts risques.
Il n’était pas inutile de rappeler ses
origines et les hommes-phares qui
ont été ses pères.
Les rapports de la médecine avec
l’argent, la gloire, les responsabilités civiles ou pénales, la formation
et les guerres ont toujours été
depuis le début des zones d’ombres.
L’argent était déjà un problème
pour Mondeville qui exigeait d’être
payé sitôt le soin prodigué.
Les implications entre l’industrie
des matériels et les concepteurs
laissent à penser qu’il n’y a rien de
nouveau sous le soleil.
La gloire de soigner les grands de
son temps (Vésale fut médecin de
Charles Quint, Guy de Chauliac
des Papes d’Avignon) une tentation forte mais dangereuse en cas
d’échec. Hippocrate refusa de soigner Xerxès car en cas de nonrésultat la mort du médecin pouvait
s’en suivre.
Pétrarque traita Guy de Chauliac de
“vieillard prétentieux et impuissant” quand sa divine Laure fut
emportée dans une épidémie de
peste alors qu’il avait trépané avec
succès le pape Clément VI pour des
céphalées.
On a vu des morts professionnelles dans certains procès récents.
Les progrès de la chirurgie suivent
les guerres, faut-il continuer les
conflits armés de par le monde
pour pouvoir sauver d’autres vies ?
Amboise Paré fut écarté de la
Faculté de Paris car il ne parlait pas
latin. Certaines carrières de notre
époque rappellent cet ostracisme
car il faut apprendre un nouveau
latin.
Combien d’idées fécondes ont été
redécouvertes plusieurs siècles
plus tard. Et si on faisait le compte
de celles qui ont été définitivement perdues dans l’incendie de la
Bibliothèque d’Alexandrie et les
grands holocaustes modernes ? ■
L’ANTIBIOTHÉRAPIE ET LA
RÉÉDUCATION
RÉFÉRENCES
Associée aux techniques et voies
d’abord mini-invasives avec Mayer
(1996) et Onimus (1996) elle a
donné un nouvel essor à la chirurgie
rachidienne de la dernière décade du
20ème siècle avec le développement
également de la chirurgie per-cutanée (ostéosynthèses et arthrodèses
intersomatiques percutanées).
HISTOIRES PARALLELLES
Il n’est guère possible de dissocier
l’histoire de la Chirurgie en général
et celle de la Chirurgie du Rachis
en particulier, sans y associer l’essor de l’anesthésie et de l’imagerie.
L’ANESTHÉSIE
Les progrès de l’anesthésie générale
d’abord par inhalation (éther, chloroforme), puis par voie veineuse, la
pratique de l’intubation endo-trachéale (1914-1918) finiront par
supplanter l’anesthésie locale qui
perdurera quelque temps en neurochirurgie crânienne (un assistant de
Bohler, Schneck, l’utilisait dans les
réductions de fractures rachidiennes). L’emploi des curares se généralisant permettra également un
plus grand confort opératoire.
L’IMAGERIE RACHIDIENNE
Elles complètent l’arsenal thérapeutique du chirurgien du rachis.
LA CHIRURGIE MÉDULLAIRE
La chirurgie endoscopique
rachidienne
Elle débute en 1983 (Forst et
Haussmann) par la nucléotomie
par voie postérieure interlamaire
(J. Destandau) ou par voie transforaminale (Mathews, 1996). Avec le
perfectionnement des endoscopes
elle sera élargie aux traitements
(1911), Eiselberg (1913), Horrax
(1939), Sloof (1964).
Elle va devenir une technique sûre
avec le microscope opératoire (vulgarisé par Yasargil), la coagulation
bipolaire (Greenwood 1940, Malis),
le laser (Hermann, 1988), le bistouri
ultra-sonique, l’échographie peropératoire. Les grands pionniers
furent Cushing (1905) Elsberg
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