M2.CHAPITRE 5.cours

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MODULE II – Thème 2 – CHAPITRE 4
1.2.3. Hard-power et soft-power
« Un ennemi que tu vainc reste ton ennemi. Un ennemi que tu convaincs
devient ton ami. »
Pensée attribuée à Morihei Ueshiba, fondateur de l’Aïkido
(probablement un ancien proverbe chinois)
La distinction entre hard et soft power a été clairement faite et formulée de
cette façon dans les années 1980-1990 par Susan Strange et Joseph Nye :
Susan Strange, States and Markets, 1988
Joseph Nye, Le leadership américain. Quand les règles du jeu changent, 1992
Joseph Nye, Soft Power : The Means to Success in World Politics, 2004
A leurs yeux, la puissance ne relève plus aussi étroitement de la force militaire
(coût de la guerre technologique) et les facteurs géographiques et
démographiques sont atténués par la maîtrise économique, technologique et
culturelle. Le pouvoir visible, évaluable et quantifiable (hard power), s’efface
donc au profit d’une capacité de persuasion qui n’utilise plus les mêmes
vecteurs. Joseph Nye oppose ainsi à la puissance coercitive exercée par les
puissances hégémoniques jusqu’ici, une nouvelle forme de puissance exercée
par les Etats-Unis fondée sur trois éléments :
• La capacité à peser sur l’agenda mondial : conférences, prises de
décisions, actions multilatérales
• La capacité d’obtenir des autres puissances un ralliement aux idées
défendues
• L’attractivité du modèle
Selon Nye, les deux se complètent et la puissance mondiale hégémonique est
celle qui est capable d’ajouter à l’exercice traditionnel de la puissance, l’adjuvant
nécessaire de soft power. A ses yeux, seuls les Etats-Unis sont capables
d’exercer cette double puissance dans les années 1990 et on peut considérer que
c’est toujours le cas même si les années 2000 ont fragilisé l’attractivité du modèle.
Aucun autre Etat n’est capable, encore aujourd’hui, de manier les deux faces de
la puissance. Par le passé, il relève que le Royaume-Uni au XIXe siècle et l’URSS
dans l’immédiat après-guerre y sont parvenus.
L’hégémonie américaine s’explique donc par cette double puissance et il est
plus aisé dans présenter les aspects en reprenant cet exemple.
Si les Etats-Unis constituent le centre d’impulsion du monde, c’est d’abord
parce qu’ils en sont le centre dominant : cette position dominante se vérifie
lorsque l’on passe en revue les critères classiques du hard power.
• La taille du territoire et la qualité de la population sont les deux premiers
critères d’évaluation de la puissance. Ces éléments ont été étudiés au lycée et
doivent être révisés : taille, ressources et maîtrise du territoire ; population en
croissance et apports migratoires.
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MODULE II – Thème 2 – CHAPITRE 4
• C’est la 1ere puissance économique mondiale : 1er PNB du monde (13 500
Milliards de $ en 2012, soit environ 25% de la richesse mondiale ; 133 FMN
parmi les 500 premières mondiales), une croissance économique forte pour
une économie leader (+ de 2% par an malgré la récession de 2008-2009), un
chômage structurel faible (4-5%) même si la crise l’a fait grimper à 9% en
2009), une économie tertiairisée mais tous les secteurs les placent dans
les premiers rangs mondiaux :
§ La première puissance agricole du monde : peu d’exploitants (2% des
actifs) mais une capacité de production considérable (10 % des
exportations mondiales de productions agricoles) car c’est une agriculture
ultra-moderne et de grandes exploitations (agro business, « agripower »).
§ La deuxième puissance industrielle du monde : la Chine à mis fin à un
siècle de domination américaine en 2011 mais la performance américaine
est réalisée dans un pays pourtant très tertiairisé, où l’industrie occupe
une place moins importante que dans les économies japonaises et
allemandes. L’industrie américaine occupe moins de 20% de la population
active. Cette puissance industrielle s’appuie sur une recherche très
performante (40% des laboratoires mondiaux, Brain Drain, Nobels,
Brevets, etc… 35% des dépenses mondiales en R&D sont américaines)
et des ressources nationales importantes (hydrocarbures, minerais,
métaux).
§ La deuxième puissance commerciale du monde, là aussi doublée en
2010 par la Chine. Les Etats-Unis totalisent plus de 10% du commerce
mondial et la structure de leur commerce est diversifiée : exportation de
produits de haute technologie (avions, ordinateurs, médicaments,
armement), mais aussi plus courants (appareils ménagers, voitures :
Ford, Whirlpool) ainsi que des produits énergétiques (charbon) et
agricoles (blé, maïs, soja). Les principales importations sont composées
de produits manufacturés, de biens d’équipement et de pétrole. Il faut
ajouter que le commerce mondial est entièrement régi par des principes
américains qui se sont imposés au lendemain de la guerre à travers le
GATT (aujourd’hui OMC). Cela témoigne de l’influence américaine dans
ce domaine.
§ La première puissance financière du monde. C’est un critère de
puissance fondamental car l’économie moderne a un besoin considérable
de capitaux : investissements, stratégies de développement… De plus,
les places financières américaines fixent, pour toute la planète, les cours
de très nombreux produits (énergie, matières premières, devises,
actions…). Cette puissance financière s’exprime aussi à travers
l’importance des IDE qui sortent du territoire américain. Dans ce domaine,
les Etats-Unis sont donc toujours loin devant leurs concurrents. Cette
puissance financière s’exprime notamment par deux manifestations qui
mélangent hard et soft power :
• Le dollar, seule vraie monnaie internationale : 90% des
transactions sont faites en dollar, 60% des réserves des banques
centrales dans le monde sont en dollar. Le dollar papier est aussi
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utilisé dans l’économie de la plupart des pays en développement, y
compris à Cuba pourtant hostile. Cela montre que, dans la vie
quotidienne, les populations de nombreux pays préfèrent utiliser le
dollar plutôt que leurs monnaies nationales dans lesquelles ils ont
peu confiance. Le dollar marque au quotidien une grande partie des
sociétés dans le monde.
• Les places financières les plus puissantes sont aux Etats-Unis :
elles drainent l’épargne mondiale vers les entreprises et fixent la
majorité des cours des matières premières du monde.
NYSE (New York Stock Exchange) qui a fusionné avec Euronext en
2007 représente près de 25% de la capitalisation boursière
mondiale et la place de New York est le lieu des indices de
référence pour toute la planète (“Dow Jones”, “Nasdaq”…).
Pour soutenir cette puissance économique et protéger ses intérêts, les
Etats-Unis disposent d’un arsenal et d’un réseau d’alliances qui en font la
1ere puissance militaire mondiale.
• Depuis 1991 et la disparition de l’URSS, les Etats-Unis sont une puissance
militaire sans équivalent. On mesure ce potentiel (puisqu’il n’a jamais été
utilisé à sa pleine capacité…) à :
§ Son budget, le plus important du monde : 4,5% du PNB (≅ au budget
total de la France !) mais 16 % pour le complexe militaro-industriel le plus
puissant au monde qui s’appuie sur l’industrie d’armement nationale
(Boeing-Mac Donnell par ex). Les Etats-Unis réalisent environ 40% des
dépenses militaires mondiales. Le tout permet d’entretenir une armée
d’environ 1,2 millions d’hommes dont les composantes navales et
aériennes sont primordiales.
§ Sa modernité : Les Etats-Unis sont les seuls à disposer de tous les types
d’armes, surtout les plus modernes : défense antimissile, détection
satellite, 1ere force nucléaire, 1ere force navale et aéronavale.
§ Son omniprésence mondiale. L’armée américaine est présente sur
toutes les mers et tous les continents : présence militaire dans 25 pays
soit plus de 200 000 hommes sur le terrain ; bases stratégiques sur tous
les continents ; flottes présentes simultanément sur toutes les mers du
globe. L’armée des Etats-Unis est la seule qui a la capacité de déployer
n’importe quel type de troupes n’importe où dans le monde. Enfin, cette
puissance stratégique s’appuie sur de nombreuses alliances : Pacte de
Rio (Amérique), Pacte de Bagdad (Moyen Orient), OTAN, et des accords
bilatéraux avec des états protégés (Japon, Taïwan, Israël…). A ces
alliances s’ajoutent des réseaux secrets (Système Echelon) voire
souterrains. S’ajoutent à ce réseau d’alliances stratégiques un rôle central
dans toutes les organisations internationales (ONU, FMI notamment) et
un grand nombre de fondations à capitaux américains qui participent
aussi de l’influence « douce » américaine : fondation Carnegie, Rockfeller,
Ford, Soros,…
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MODULE II – Thème 2 – CHAPITRE 4
Ö Document 21 – Carte : Les Etats-Unis, leader du commerce de l’armement
Ä Les Etats-Unis sont de loin le 1er fournisseur d’armes du monde ce qui leur
donne aussi une influence importante y compris auprès d’Etats considérés
comme « voyous » (Rogue States). La forte croissance des dépenses militaires
des pays émergents profite aux Etats-Unis en 2011 : les ¾ des commandes (66
sur 85 milliards de $) sont allées aux industries américaines devant la Russie et
la France.
Ce dernier élément montre que les éléments du hard power sont liés : les
commandes militaires s’expliquent par la qualité du matériel développé dans le
cadre du complexe militaro-industriel et profitent à la puissance économique
américaine. Mais la puissance des Etats-Unis est globale et dépasse les cadres
traditionnels (économique, politique, scientifique, militaire) jusqu’ici évoqués. On
parle d’hyperpuissance globale parce que la puissance américaine ne se
mesure pas seulement à son PIB ou à son nombre de porte-avions (hard power).
Pour mesurer la réalité de la puissance des Etats-Unis, il faut aussi prendre en
considération sa capacité d’influence : la notion de ‘’Soft power’’ est alors
mobilisée.
L’expression de cette influence, c’est la domination du mode de vie américain,
qui évolue mais reste une référence. La mondialisation se fait en effet à partir d’un
modèle culturel dominant construit après la Seconde guerre mondiale aux EtatsUnis. On parle alors de rayonnement culturel.
Document 22 – Les Etats-Unis, principaux exportateurs de culture
Celui-ci est assuré par une maîtrise des vecteurs de transmission :
• La langue (anglais), langue internationale, d‘Internet, du savoir, des
affaires,… Pour lancer une édition ‘’monde’’, Al Jazeera, pourtant souvent
présentée comme la chaîne alternative au modèle dominant dans le monde
arabe, choisit la diffusion en langue anglaise…
• La télévision : les plus grands réseaux sont américains (NBC, CBS,
CNN,…) et produisent assez de programmes pour inonder la planète (75 %
des images diffusées sur les télévisions du monde sont d’origine
américaine)
• Le cinéma (6% de la production, 50 % de la diffusion) perd du terrain face
aux productions cinématographiques émergentes mais les jeux vidéos, les
programmes courts sur Internet (Youtube par exemple), et de façon
générale les médias (musique, littérature) continuent à diffuser ce
modèle. L’entertainment, économie fondée sur le divertissement inventée
aux Etats-Unis, est un des fondements du modèle culturel qui s’impose au
monde.
• Les NTIC, sur lesquelles les Etats-Unis exercent leur leadership
technologique et économique, n’ont pas remis en cause cette
domination, au contraire.
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MODULE II – Thème 2 – CHAPITRE 4
• Les marques des grandes FMN incarnent ce modèle triomphant. Sur les
22 marques les plus connues dans le monde, 20 sont américaines. On parle
de notoriété, plus que de puissance économique, mais ces marques sont
les emblèmes de groupes puissants dans tous les domaines : Ford, Coca
Cola, Mc Do, Levi’s, HP, Intel, Microsoft, Marlboro, Disney, etc…
• Les modes sont américaines. Elles traduisent l’avance technologique
mais aussi capacité de prescription en raison de la maîtrise des vecteurs de
diffusion. Exemple de la mode du vintage relancée par les stars américaines
dans les années 2000. Presque tous les styles de ces 40 dernières années
sont venus des USA : rock, hippie, disco, grunge, rap, etc…
Cette domination doublée de fascination ouvre aux entreprises américaines le
marché mondial qui est déjà conquis avant même que les produits ne soient
diffusés. L’instauration de normes par l’intermédiaire des organisations de
régulation, dans le domaine économique notamment, facilite aussi cette conquête
de nouveaux marchés.
Le soft power ne recouvre pas seulement une dimension culturelle. La capacité
d’influence est aussi politique et s’exerce par les réseaux officiels (institutions
supranationales) et officieux (pratique de la fondation privée qui mène une
action d’apparence philanthropique mais qui participe de l’influence américaine.
Exemple de la fondation Bill-et-Melinda Gates). La poussée des Eglises
évangéliques, souvent d’origine américaine, s’inscrit aussi dans une démarche
d’influence, même si elles ne sont pas directement au service de l’Etat fédéral.
La domination américaine par le soft power, mise en danger par la montée en
puissance de la Chine qui la remet en cause sur certains critères du hard power,
est finalement l’expression de la déterritorialisation qui est à l’œuvre dans le
cadre du processus de mondialisation :
• Le territoire américain c’est le territoire mondial (métissage, influences
culturelles mondiales, attractivité)
• Le monde c’est le territoire américain (délocalisations, sous-traitance,
influence mondiale).
Il convient cependant de nuancer la présentation d’un monde dans lequel la
puissance, en absence de guerres, se fonderait uniquement sur le soft power.
Certaines tensions qui semblaient appartenir au passé ressurgissent à la
faveur de l‘émergence des géants du Sud et du changement climatique :
• Le rôle stratégique des matières premières est de nouveau envisagé
comme central ce qui renvoie au hard power.
• Les dépenses militaires (achat de matériel) ont fortement augmenté en
Chine (1er importateur de matériel militaire de 200 à 2010) et en Inde (1er
importateur en 2010 devant le Pakistan) ce qui montre que les critères
traditionnels de la puissance restent importants.
• La question des terres disponibles, dans l’optique d’un changement
climatique rapide, renforce le rôle du territoire dans l’expression de la
puissance (voir cours sur la Russie).
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MODULE II – Thème 2 – CHAPITRE 4
• Les questions des éventuels réfugiés climatiques, ou du poids du
vieillissement de la population chinoise font réapparaitre l’influence
démographique dans l’analyse géopolitique. La CIA continue de publier
des études sur la « menace démographique » chinoise ou indienne qui
témoignent de la prégnance du hard power.
La mondialisation est un processus qui s’exprime sur un espace mondial
rugueux : les frontières existent, et sont parfois renforcées, et les Etats en sont
des acteurs fondamentaux. Ce processus transforme aussi les territoires et
oblige les Etats à modifier leurs stratégies d’intégration.
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