Totalité de la Thèse de M. Kizilian - CMGE

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UNIVERSITE PIERRE ET MARIE CURIE
(PARIS 6)
FACULTE DE MEDECINE PIERRE ET MARIE CURIE
ANNEE 2010
THESE
N° 2010PA06G038
DOCTORAT EN MEDECINE
SPECIALITE : MEDECINE GENERALE
PAR
Mélinée KIZILIAN
NEE LE 29 SEPTEMBRE 1979 à CHARENTON-LE-PONT
______________
PRESENTEE ET SOUTENUE PUBLIQUEMENT LE 14 SEPTEMBRE 2010
ILLUSTRATION DES VALEURS DU SERMENT D’HIPPOCRATE
DANS LES PERSONNAGES DE MEDECINS
DE LA LITTERATURE FRANCAISE
DES XXème ET XXIème SIECLES
DIRECTEUR DE THESE : Professeur CORNET Philippe
PRESIDENT DE THESE : Professeur DUGUET Alexandre
1
« Pour atteindre le singulier, l’apprentissage de la médecine doit
s’appuyer aussi sur la culture, telle qu’y contribuent par exemple les
grands écrivains et que l’on retrouve dans les textes de portée
universelle, car ces auteurs explorent et décrivent des expériences
individuelles telles que les rencontrera le médecin et qu’assurément il
manquera si, limité à la raison brute, il reste un instruit inculte. »
Michel SERRES
2
A ma Mère et mon Père,
Pour votre amour et votre soutien inconditionnels,
Merci de m’avoir transmis tant de richesses
A Gayaneh et Raffi, mes perles fraternelles,
A Mathieu, mon très cher compagnon de route,
Et à Sévan, mon soleil quotidien,
A Jacqueline et Ardachès,
Merci pour toutes les corrections, les encouragements et l’aide « logistique »,
Mais aussi, et surtout, pour votre présence à nos côtés,
A mon oncle, ma tante, mes cousins,
A mes belles-sœurs et beaux-frères,
A ma nièce et à mon neveu,
A Delphine, pour notre incorrigible sentimentalisme,
A Anne et Elsa, pour votre incorrigible détachement,
Puissions-nous longtemps cultiver les fruits de notre amitié ;-)
A mes amies et amis de Kitasart,
Pour toutes les scènes passées et à venir !
A LA MEMOIRE DE MES GRANDS-PARENTS
3
Je remercie
Monsieur le Professeur Alexandre DUGUET pour avoir accepté de
présider ma thèse,
Monsieur le Professeur Philippe CORNET pour m’avoir offert
l’opportunité de rédiger la thèse qui me tenait à cœur, mais aussi
pour son aide et ses conseils tout au long de mon cheminement,
Messieurs les Professeurs Emmanuel FOURNIER et Jean-Marie
JOUANNIC pour la bienveillante attention qu’ils ont portée à mon
travail.
4
Année Universitaire 2009/2010
PROFESSEURS DES UNIVERSITES-PRATICIENS HOSPITALIERS
UFR Médicale Pierre et Marie CURIE ‐ Site SAINT-ANTOINE
AMARENCO Gérard Rééducation fonctionnelle et neurologique Hôpital ROTHSCHILD
AMSELEM Serge Génétique Hôpital TROUSSEAU
ANDRE Thierry Cancérologie Hôpital La Salpêtrière
ANTOINE Jean Marie Gynécologie Obstétrique / Médecine de la Reproduction Hôpital
TENON
ARACTINGI Sélim Unité de Dermatologie Hôpital TENON
ARLET Guillaume Bactériologie Hôpital TENON
ARRIVE Lionel Radiologie Hôpital SAINT-ANTOINE
AUCOUTURIER Pierre INSERM U 712 Hôpital SAINT-ANTOINE
AUDRY Georges Chirurgie viscérale infantile Hôpital TROUSSEAU
BALLADUR Pierre Chirurgie générale et digestive Hôpital SAINT-ANTOINE
BARDET Jean (surnombre) Cardiologie Hôpital SAINT-ANTOINE
BAUD Laurent Explorations fonctionnelles multidisciplinaires Hôpital TENON
BAUDON Jean Jacques (surnombre) Néonatologie Hôpital TROUSSEAU
BEAUGERIE Laurent Gastro-entérologie et Nutrition Hôpital SAINT-ANTOINE
BEAUSSIER Marc Anesthésie-Réanimation Hôpital SAINT-ANTOINE
BENIFLA Jean Louis Gynécologie Obstétrique Hôpital ROTHSCHILD
BENSMAN Albert Néphrologie, Dialyses et transplantations pédiatriques Hôpital
TROUSSEAU
BERENBAUM Francis Rhumatologie Hôpital SAINT-ANTOINE
BEREZIAT Gilbert (surnombre) UMR 7079 Physiologie et physiopathologie Campus
Jussieu
BERNAUDIN Jean François Histologie biologie tumorale Hôpital TENON
BILLETTE DE VILLEMEUR Thierry Neuropédiatrie Hôpital TROUSSEAU
BOCCON GIBOD Liliane (surnombre) Anatomie pathologique Hôpital TROUSSEAU
BONNET Francis Anesthésie réanimation Hôpital TENON
BORDERIE Vincent Ophtalmologie CNHO des 15/20
BOUCHARD Philippe Endocrinologie Hôpital SAINT-ANTOINE
BOUDGHENE STAMBOULI Franck Radiologie Hôpital TENON
BREART Gérard Gynécologie obstétrique Hôpital TENON
CABANE Jean Médecine interne Hôpital SAINT-ANTOINE
CADRANEL Jacques Pneumologie Hôpital TENON
CALLARD Patrice Anatomie pathologique Hôpital TENON
CAPEAU Jacqueline Inserm U.680 Faculté de Médecine P. & M. Curie
CARBAJAL SANCHEZ Ricardo Urgences pédiatriques Hôpital TROUSSEAU
CARBONNE Bruno Gynécologie obstétrique Hôpital SAINT-ANTOINE
CARETTE Marie France Radiologie Hôpital TENON
CASADEVALL Nicole Hématologie biologique Hôpital SAINT-ANTOINE
CAYRE Yvon Hématologie immunologie Hôpital DEBRE
CHAZOUILLERES Olivier Hépatologie gastro-entérologie Hôpital SAINT-ANTOINE
CHOSIDOW Olivier Dermatologie – Allergologie Hôpital TENON
CHOUAID Christos Pneumologie Hôpital SAINT-ANTOINE
CHRISTIN‐MAITRE Sophie Endocrinologie Hôpital SAINT-ANTOINE
CLEMENT Annick Pneumologie Hôpital TROUSSEAU
CLERGUE François Détaché au Ministère des Affaires Etrangères : Hôpital Cantonal /
Anesthésiologie 24, rue Micheli-du-Crest Genève 14 ‐Suisse
5
COHEN Aron Cardiologie Hôpital SAINT-ANTOINE
CONSTANT Isabelle Anesthésiologie réanimation Hôpital TROUSSEAU
COSNES Jacques Gastro-entérologie et nutrition Hôpital SAINT-ANTOINE
COULOMB Aurore Anatomie et cytologie pathologiques Hôpital TROUSSEAU
DAMSIN Jean Paul Orthopédie Hôpital TROUSSEAU
DARAI Emile Gynécologie obstétrique Hôpital TENON
DE GRAMONT Aimery Oncologie médicale Hôpital SAINT-ANTOINE
DENOYELLE Françoise ORL et chirurgie cervico-faciale Hôpital TROUSSEAU
DEVAUX Jean Yves Biophysique et médecine nucléaire Hôpital SAINT-ANTOINE
DOUAY Luc Hématologie biologique Hôpital TROUSSEAU
DOURSOUNIAN Levon Chirurgie orthopédique Hôpital SAINT-ANTOINE
DUCOU LE POINTE Hubert Radiologie Hôpital TROUSSEAU
DURON Françoise Endocrinologie Hôpital SAINT-ANTOINE
DUSSAULE Jean Claude Physiologie Hôpital SAINT-ANTOINE
FAUROUX Brigitte Gastro-entérologie et nutrition pédiatriques Hôpital TROUSSEAU
FERON Jean Marc Chirurgie orthopédique et traumatologique Hôpital SAINT-ANTOINE
FLEJOU Jean François Anatomie pathologique Hôpital SAINT-ANTOINE
FLORENT Christian Hépato gastro-entérologie Hôpital SAINT-ANTOINE
FRANCES Camille Dermatologie – Allergologie Hôpital TENON
FUNCK BRENTANO Christian Pharmacologie clinique Hôpital SAINT-ANTOINE
GARABEDIAN Eréa Noël ORL et chirurgie cervico-faciale Hôpital TROUSSEAU
GARBARG CHENON Antoine Bactériologie virologie Hôpital TROUSSEAU
GATTEGNO Bernard (surnombre) Urologie Hôpital SAINT-ANTOINE
GENDRE Jean Pierre (surnombre) Gastro-entérologie et nutrition Hôpital SAINTANTOINE
GIRARD Pierre Marie Maladies infectieuses et tropicales Hôpital SAINT-ANTOINE
GIRARDET Jean Philippe Gastro-entérologie et nutrition pédiatriques Hôpital
TROUSSEAU
GIROT Robert Hématologie biologique Hôpital TENON
GOLD Francis Néonatologie Hôpital TROUSSEAU
GORIN Norbert Hématologie clinique Hôpital SAINT-ANTOINE
GRATEAU Gilles Médecine interne Hôpital TENON
GRIMFELD Alain (surnombre) Pédiatrie orientation pneumologie et allergologie Hôpital
TROUSSEAU
GRIMPREL Emmanuel Pédiatrie générale Hôpital TROUSSEAU
GRUNENWALD Dominique Chirurgie thoracique Hôpital TENON
GUIDET Bertrand Réanimation médicale Hôpital SAINT-ANTOINE
HAAB François Urologie Hôpital TENON
HELARDOT Pierre Georges Chirurgie viscérale infantile Hôpital TROUSSEAU
HOURY Sidney Chirurgie digestive et viscérale Hôpital TENON
HOUSSET Chantal Biologie cellulaire – Inserm U. 680 Faculté de Médecine P. & M. Curie
JAILLON Patrice Pharmacologie clinique Faculté de Médecine P. & M. Curie
JOUANNIC Jean-Marie Gynécologie obstétrique Hôpital TROUSSEAU
JUST Jocelyne Pneumologie et allergologie pédiatriques Hôpital TROUSSEAU
LACAINE François Chirurgie digestive et viscérale Hôpital TENON
LACAU SAINT GUILY Jean ORL Hôpital TENON
LACAVE Roger Histologie biologie tumorale Hôpital TENON
LANDMAN PARKER Judith Hématologie et oncologie pédiatriques Hôpital
TROUSSEAU
LAROCHE Laurent Ophtalmologie CHNO des Quinze-Vingts
6
LE BOUC Yves Explorations fonctionnelles Hôpital TROUSSEAU
LEBEAU Bernard Pneumologie Hôpital SAINT-ANTOINE
LEGRAND Ollivier Hématologie oncologie médicale Hôpital HOTEL DIEU
LEVERGER Guy Hématologie et oncologie pédiatriques Hôpital TROUSSEAU
LEVY Richard Neurologie Hôpital SAINT-ANTOINE
LIENHART André Anesthésie – Réanimation Hôpital SAINT-ANTOINE
LOTZ Jean Pierre Cancérologie Hôpital TENON
LOUVET Christophe Oncologie médicale Hôpital SAINT-ANTOINE
MARIE Jean Pierre Hématologie Hôpital HOTEL-DIEU
MARSAULT Claude Radiologie Hôpital TENON
MASLIAH Joëlle Inserm U.538 Faculté de Médecine P. & M. Curie
MAURY Eric Réanimation médicale Hôpital SAINT-ANTOINE
MAYAUD Marie Yves Pneumologie Hôpital TENON
MENU Yves Radiologie Hôpital SAINT-ANTOINE
MEYER Bernard ORL et chirurgie cervico-faciale Hôpital TENON
MEYOHAS Marie Caroline Maladies infectieuses et tropicales Hôpital SAINT-ANTOINE
MICHEL Pierre Louis Cardiologie Hôpital TENON
MILLIEZ Jacques Gynécologie obstétrique Hôpital SAINT-ANTOINE
MIMOUN Maurice Chirurgie plastique Hôpital ROTHSCHILD
MITANCHEZ Delphine Néonatologie Hôpital TROUSSEAU
MONTRAVERS Françoise Biophysique et médecine nucléaire Hôpital TENON
MURAT Isabelle Anesthésie réanimation Hôpital TROUSSEAU
NICOLAS Jean Claude Virologie Hôpital TENON
OFFENSTADT Georges Réanimation médicale Hôpital SAINT-ANTOINE
PAQUES Michel Ophtalmologie CHNO des 15/20
PARC Yann Chirurgie générale et digestive Hôpital SAINT-ANTOINE
PATERON Dominique Service dʹAccueil des Urgences Hôpital SAINT-ANTOINE
PAYE François Chirurgie générale et digestive Hôpital SAINT-ANTOINE
PERETTI Charles-Siegfried Psychiatrie d’adultes Hôpital SAINT-ANTOINE
PERIE Sophie ORL Hôpital TENON
PETIT Jean Claude Bactériologie virologie Hôpital SAINT-ANTOINE
PIALOUX Gilles Maladies infectieuses et tropicales Hôpital TENON
POUPON Raoul Hépatologie et gastro-entérologie Hôpital SAINT-ANTOINE
RENOLLEAU Sylvain Réanimation néonatale Hôpital TROUSSEAU
RODRIGUEZ Diana Neuro-pédiatrie Hôpital TROUSSEAU
RONCO Pierre Marie Néphrologie et dialyses Hôpital TENON
RONDEAU Eric Urgences néphrologiques – Transplantation rénale Hôpital TENON
ROSMORDUC Olivier Hépato gastro-entérologie Hôpital SAINT-ANTOINE
ROUGER Philippe I.N.T.S. 6, rue Alexandre Cabanel 75739 Paris cedex 15
ROUZIER Roman Gynécologie obstétrique Hôpital TENON
ROZENBAUM Willy Maladies infectieuses et tropicales Hôpital SAINT-LOUIS
SAHEL José Alain Ophtalmologie CHNO des 15/20
SAUTET Alain Chirurgie orthopédique Hôpital SAINT-ANTOINE
SEZEUR Alain Chirurgie générale Hôpital des DIACONESSES
SIFFROI Jean Pierre Génétique et embryologie médicales Hôpital TROUSSEAU
SOUBRIER Florent Département de génétique Groupe Hospitalier PITIE SALPETRIERE
TALBOT Jean Noël Biophysique médecine nucléaire Hôpital TENON
THIBAULT Philippe (surnombre) Urologie Hôpital TENON
THOMAS Guy Psychiatrie d’adultes Hôpital SAINT-ANTOINE
THOUMIE Philippe Rééducation neuro-orthopédique Hôpital ROTHSCHILD
7
TIRET Emmanuel Chirurgie générale et digestive Hôpital SAINT-ANTOINE
TOUBOUL Emmanuel Radiothérapie Hôpital TENON
TOUNIAN Patrick Gastro-entérologie et nutrition pédiatriques Hôpital TROUSSEAU
TRAXER Olivier Urologie Hôpital TENON
TRUGNAN Germain Inserm U538 Faculté de Médecine P. & M. Curie
TUBIANA Jean Michel (surnombre) Radiologie Hôpital SAINT-ANTOINE
UZAN Serge Gynécologie obstétrique et médecine de la reproduction Hôpital TENON
VALLERON Alain Jacques Unité de santé publique Hôpital SAINT-ANTOINE
VAYSSAIRAT Michel Cardiologie Hôpital TENON
VAZQUEZ Marie Paule Chirurgie maxillo-faciale et stomatologie Hôpital TROUSSEAU
WENDUM Dominique Anatomie pathologique Hôpital SAINT-ANTOINE
WISLEZ Marie Pneumologie Hôpital TENON
8
Année Universitaire 2009/2010
PROFESSEURS DES UNIVERSITES-PRATICIENS HOSPITALIERS
UFR Médicale Pierre et Marie CURIE ‐ Site PITIE
ACAR Christophe CHIRURGIE THORACIQUE ET CARDIO-VASCULAIRE
AGID Yves FEDERATION DE NEUROLOGIE (surnombre)
AGUT Henri BACTERIOLOGIE-VIROLOGIE-HYGIENE
ALLILAIRE Jean-François PSYCHIATRIE D’ADULTES
AMOURA Zahir MEDECINE INTERNE
ASTAGNEAU Pascal EPIDEMIOLOGIE/SANTE PUBLIQUE
AURENGO André BIOPHYSIQUE et MEDECINE NUCLEAIRE
AUTRAN Brigitte IMMUNOLOGIE
BARROU Benoît UROLOGIE
BASDEVANT Arnaud NUTRITION
BAULAC Michel ANATOMIE / NEUROLOGIE
BAUMELOU Alain NEPHROLOGIE
BELMIN Joël MEDECINE INTERNE Ivry
BENHAMOU Albert CHIRURGIE VASCULAIRE
BENVENISTE Olivier MEDECINE INTERNE
BERTRAND Jacques-Charles STOMATOLOGIE ET CHIRURGIE MAXILLO-FACIALE
BITKER Marc Olivier UROLOGIE
BODAGHI Bahram OPHTALMOLOGIE
BOISVIEUX Jean-François BIOSTATISTIQUES et INFORMATIQUE MEDICALE
(surnombre)
BOURGEOIS Pierre RHUMATOLOGIE
BRICAIRE François MALADIES INFECTIEUSES - MALADIES TROPICALES
BRICE Alexis GENETIQUE
BRUCKERT Eric ENDOCRINOLOGIE ET MALADIES METABOLIQUES
CABANIS Emmanuel RADIOLOGIE et IMAGERIE MEDICALE - (surnombre)
CACOUB Patrice MEDECINE INTERNE (Chef de service par intérim)
CALVEZ Vincent VIROLOGIE ET BACTERIOLOGIE
CAPRON Frédérique ANATOMIE ET CYTOLOGIE PATHOLOGIQUE
CARPENTIER Alexandre NEUROCHIRURGIE
CATALA Martin CYTOLOGIE ET HISTOLOGIE (département de génétique)
CATONNE Yves CHIRURGIE ORTHOPEDIQUE ET TRAUMATOLOGIQUE
CAUMES Eric MALADIES INFECTIEUSES - MALADIES TROPICALES
CHAMBAZ Jean BIOLOGIE CELLULAIRE
CHARTIER-KASTLER Emmanuel UROLOGIE
CHASTRE Jean REANIMATION MEDICALE
CHERIN Patrick MEDECINE INTERNE
CHIGOT Jean-Paul CHIRURGIE GENERALE (surnombre)
CHIRAS Jacques RADIOLOGIE et IMAGERIE MEDICALE III
CLEMENT-LAUSCH Karine NUTRITION
CLUZEL Philippe RADIOLOGIE ET IMAGERIE MEDICALE II
COHEN David PEDO-PSYCHIATRIE
COHEN Laurent NEUROLOGIE
COMBES Alain REANIMATION MEDICALE
CORIAT Pierre ANESTHESIOLOGIE et REANIMATION CHIRURGICALE
CORNU Philippe NEURO-CHIRURGIE
COURAUD François BIOCHIMIE et BIOLOGIE MOLECULAIRE
DANIS Martin PARASITOLOGIE (surnombre)
9
DAUTZENBERG Bertrand PNEUMOLOGIE
DAVI Frédéric HEMATOLOGIE BIOLOGIQUE
DEBRE Patrice IMMUNOLOGIE
DELATTRE Jean-Yves NEUROLOGIE (Fédération Mazarin)
DERAY Gilbert NEPHROLOGIE
DERENNE Jean-Philippe PNEUMOLOGIE (surnombre)
DOMMERGUES Marc GYNECOLOGIE - OBSTETRIQUE
DORMONT Didier RADIOLOGIE ET IMAGERIE MEDICALE
DUBOIS Bruno NEUROLOGIE
DURON Jean-Jacques CHIRURGIE DIGESTIVE (surnombre)
DUGUET Alexandre PNEUMOLOGIE
DUYCKAERTS Charles ANATOMIE et CYTOLOGIE PATHOLOGIQUES
EYMARD Bruno NEUROLOGIE
FAUTREL Bruno RHUMATOLOGIE
FERRE Pascal BIOCHIMIE et BIOLOGIE MOLECULAIRE
FONTAINE Bertrand FEDERATION DE NEUROLOGIE
FOSSATI Philippe PSYCHIATRIE D’ADULTES
FOURET Pierre ANATOMIE et CYTOLOGIE PATHOLOGIQUES
GANDJBAKHCH Iradj CHIRURGIE THORACIQUE et CARDIO-VASCULAIRE
(surnombre)
GIRERD Xavier THERAPEUTIQUE / ENDOCRINOLOGIE
GOROCHOV Guy IMMUNOLOGIE
GRENIER Philippe RADIOLOGIE et IMAGERIE MEDICALE II
GRIMALDI André ENDOCRINOLOGIE ET MALADIES METABOLIQUES
HAERTIG Alain MEDECINE LEGALE / UROLOGIE
HANNOUN Laurent CHIRURGIE GENERALE
HAUW Jean-Jacques ANATOMIE et CYTOLOGIE PATHOLOGIQUES (surnombre)
HELFT Gérard DEPARTEMENT DE CARDIOLOGIE
HERSON Serge THERAPEUTIQUE /MEDECINE INTERNE
HEURTIER Agnès ENDOCRINOLOGIE ET MALADIES METABOLIQUES
HOANG XUAN Khê NEUROLOGIE
ISNARD Richard CARDIOLOGIE et MALADIES VASCULAIRES
ISNARD-BAGNIS Corinne NEPHROLOGIE
JARLIER Vincent BACTERIOLOGIE-HYGIENE
JOUVENT Roland PSYCHIATRIE D'ADULTES
KATLAMA née WATY Christine MALADIES INFECTIEUSES ET TROPICALES
KHAYAT David ONCOLOGIE MEDICALE
KIEFFER Edouard CHIRURGIE VASCULAIRE
KLATZMANN David IMMUNOLOGIE
KOMAJDA Michel CARDIOLOGIE et MALADIES VASCULAIRES
KOSKAS Fabien CHIRURGIE VASCULAIRE
LAMAS Georges OTO-RHINO-LARYNGOLOGIE
LANGERON Olivier ANESTHESIOLOGIE
LAZENNEC Jean-Yves ANATOMIE / CHIRURGIE ORTHOPEDIQUE
LE FEUVRE Claude DEPARTEMENT DE CARDIOLOGIE
LEBLOND née MISSENARD Véronique HEMATOLOGIE CLINIQUE
LEENHARDT Laurence ENDOCRINOLOGIE / MEDECINE NUCLEAIRE
LEFRANC Jean-Pierre CHIRURGIE GENERALE
LEHERICY Stéphane RADIOLOGIE et IMAGERIE MEDICALE III
LEHOANG Phuc OPHTALMOLOGIE
10
LEMOINE François IMMUNOLOGIE
LEPRINCE Pascal CHIRURGIE THORACIQUE
LUBETZKI ép. ZALC Catherine FEDERATION DE NEUROLOGIE
LYON-CAEN Olivier FEDERATION DE NEUROLOGIE
MALLET Alain BIOSTATISTIQUES ET INFORMATIQUE MEDICALE
MARIANI Jean BIOLOGIE CELLULAIRE/MEDECINE INTERNE
MAZERON Jean-Jacques RADIOTHERAPIE
MAZIER Dominique PARASITOLOGIE
MEININGER Vincent NEUROLOGIE (Fédération Mazarin)
MENEGAUX Fabrice CHIRURGIE GENERALE
MERLE-BERAL Hélène HEMATOLOGIE BIOLOGIQUE
METZGER Jean-Philippe CARDIOLOGIE et MALADIES VASCULAIRES
MONTALESCOT Gilles CARDIOLOGIE ET MALADIES VASCULAIRES
OPPERT Jean-Michel NUTRITION
PASCAL-MOUSSELLARD Hugues CHIRURGIE ORTHOPEDIQUE ET
TRAUMATOLOGIQUE
PAVIE Alain CHIR. THORACIQUE et CARDIO-VASCULAIRE.
PERRIGOT Michel REEDUCATION FONCTIONNELLE
PETITCLERC Thierry BIOPHYSIQUE / NEPHROLOGIE
PIERROT-DESEILLIGNY Charles NEUROLOGIE
PIETTE François MEDECINE INTERNE - Ivry
PIETTE Jean-Charles MEDECINE INTERNE
POIROT Catherine CYTOLOGIE ET HISTOLOGIE
POYNARD Thierry HEPATO-GASTRO-ENTEROLOGIE
PUYBASSET Louis ANESTHESIOLOGIE REANIMATION CHIRURGICALE
RATIU Vlad HEPATO - GASTRO - ENTEROLOGIE
RICHARD François UROLOGIE
RIOU Bruno ANESTHESIOLOGIE/URGENCES MEDICO-CHIRURGICALE
ROBAIN Gilberte REEDUCATION FONCTIONNELLE -- Ivry
ROUBY Jean-Jacques ANESTHESIOLOGIE ET REANIMATION CHIRURGICALE
SAMSON Yves NEUROLOGIE/URGENCES CEREBRO-VASCULAIRES
SIMILOWSKI Thomas PNEUMOLOGIE
SPANO Jean-Philippe ONCOLOGIE MEDICALE
THOMAS Daniel CARDIOLOGIE ET MALADIES VASCULAIRES
TOUITOU Yvan NUTRITION / BIOCHIMIE (surnombre)
TOURAINE Philippe ENDOCRINOLOGIE ET MALADIES METABOLIQUES
VAILLANT Jean-Christophe CHIRURGIE GENERALE
VAN EFFENTERRE Rémy NEURO-CHIRURGIE
VERNANT Jean-Paul HEMATOLOGIE CLINIQUE
VERNY Marc MEDECINE INTERNE (Marguerite Bottard)
VIDAILHET Marie-José NEUROLOGIE
VOIT Thomas PEDIATRIE NEUROLOGIQUE
WILLER Jean-Vincent PHYSIOLOGIE
ZELTER Marc PHYSIOLOGIE / EXPLORATIONS FONCTIONNELLES
En gras : chefs de service
11
Année Universitaire 2009/2010
MAITRES DE CONFERENCES DES UNIVERSITES-PRATICIENS HOSPITALIERS
UFR Médicale Pierre et Marie CURIE ‐ Site SAINT-ANTOINE
ABUAF Nisen Hématologie Hôpital TENON
AMIEL Corinne Virologie Hôpital TENON
ANCEL Pierre Yves Département de Santé Publique Hôpital TENON
APARTIS Emmanuelle Physiologie Hôpital SAINT-ANTOINE
BARBU Véronique Biologie cellulaire Faculté de Médecine P. & M. Curie
BELLOCQ Agnès Explorations fonctionnelles Hôpital TENON
BENLIAN Pascale Biochimie B Hôpital SAINT-ANTOINE
BERTHOLON Jean François Explorations fonctionnelles respiratoires Hôpital SAINTANTOINE
BIOUR Michel Pharmacologie Faculté de Médecine P. & M. Curie
BOELLE Pierre Yves Inserm U707 Faculté de Médecine P. & M. Curie
BOFFA Jean Jacques Néphrologie et dialyses Hôpital TENON
BOULE Michèle Physiologie Hôpital TROUSSEAU
CARRAT Fabrice Inserm U707 Faculté de Médecine P. & M. Curie
CERVERA Pascale Anatomie pathologique Hôpital SAINT-ANTOINE
CHABBERT BUFFET Nathalie Gynécologie Obstétrique Hôpital TENON
COLOMBAT Magali Anatomo-pathologie Hôpital TENON
DECRE Dominique Bactériologie virologie Hôpital SAINT-ANTOINE
DELHOMMEAU François Hématologie Hôpital SAINT-ANTOINE
DELISLE Françoise Bactériologie virologie Hôpital TENON
DEVAUX Aviva Biologie de la Reproduction GH Pitié-Salpêtrière
DEVELOUX Michel Parasitologie Hôpital SAINT-ANTOINE
EL ALAMY Ismaïl Hématologie biologique Hôpital TENON
ESCUDIER Estelle Département de Génétique Hôpital TROUSSEAU
FAJAC-CALVET Anne Histologie embryologie Hôpital TENON
FERRERI Florian Psychiatrie d'Adultes Hôpital SAINT-ANTOINE
FLEURY Jocelyne Histologie embryologie Hôpital TENON
FRANCOIS Thierry Pneumologie et réanimation Hôpital TENON
GARÇON Loïc Hématologie biologique Hôpital SAINT-ANTOINE
GARDERET Laurent Hématologie clinique Hôpital SAINT-ANTOINE
GEROTZIAFAS Grigoris Hématologie Hôpital TENON
GONZALES Marie Génétique et embryologie médicales Hôpital TROUSSEAU
GOZLAN Joël Bactériologie virologie Hôpital SAINT-ANTOINE
HAYMANN Jean Philippe Explorations fonctionnelles Hôpital TENON
HENNEQUIN Christophe Parasitologie Hôpital SAINT-ANTOINE
JOHANET Catherine Immunologie et hématologie biologiques Hôpital SAINT-ANTOINE
JOSSET Patrice Anatomie pathologique Hôpital TROUSSEAU
JOYE Nicole Département de Génétique Hôpital TROUSSEAU
KIFFEL Thierry Biophysique et médecine nucléaire Hôpital SAINT-ANTOINE
LACOMBE Karine Maladies infectieuses Hôpital SAINT-ANTOINE
LAGRANGE Monique Immunologie et hématologie biologiques Hôpital SAINTANTOINE
LAPILLONNE Hélène Hématologie biologique Hôpital TROUSSEAU
LASCOLS Olivier Inserm U.680 Faculté de Médecine P. & M. Curie
LEWIN ZEITOUN Maïté Radiologie Hôpital SAINT-ANTOINE
12
MANDELBAUM Jacqueline Histologie embryologie cytogénétique orientation biologie de
la reproduction Hôpital TENON
MAUREL Gérard Biophysique et médecine nucléaire Faculté de Médecine P. & M. Curie
MAURIN Nicole Histologie Hôpital TENON
MOHAND-SAID Saddek Ophtalmologie CHNO des 15/20
MORAND Laurence Bactériologie virologie Hôpital SAINT-ANTOINE
NETCHINE Irène Explorations fonctionnelles Hôpital TROUSSEAU
PARISET Claude Explorations fonctionnelles et endocriniennes Hôpital TROUSSEAU
PICARD Arnaud Chirurgie Maxillo-faciale Hôpital TROUSSEAU
PLAISIER Emmanuel Néphrologie Hôpital TENON
POIRIER Jean Marie Pharmacologie clinique Faculté de Médecine P. & M. Curie
POIROT Jean Louis Parasitologie Faculté de Médecine P. & M. Curie
PORTNOI Marie France Département de Génétique Hôpital TROUSSEAU
RAINTEAU Dominique Inserm U.538 Faculté de Médecine P. & M. Curie
RAVEL DARRAGI Nadège Histologie biologie reproduction Hôpital TENON
ROBERT Annie Hématologie biologique Hôpital SAINT-ANTOINE
ROSSIGNOL Sylvie Explorations fonctionnelles Hôpital TROUSSEAU
ROUX Patricia Parasitologie Faculté de Médecine P. & M. Curie
SEBE Philippe Urologie Hôpital TENON
SEBILLE Alain Physiologie Faculté de Médecine P. & M. Curie
SELLAM Jérémie Rhumatologie Hôpital SAINT-ANTOINE
SEROUSSI FREDEAU Brigitte Département de Santé Publique Hôpital TENON
SIBONY Mathilde Anatomie pathologique Hôpital TENON
SIMON Tabassome Pharmacologie clinique Faculté de Médecine P. & M. Curie
SOUSSAN Patrick Virologie Hôpital TENON
STANKOFF Bruno Neurologie Hôpital TENON
SVRCEK Magali Anatomie et cytologie pathologiques Hôpital SAINT-ANTOINE
TANKOVIC Jacques Bactériologie virologie Hôpital SAINT-ANTOINE
THOMAS Ginette Biochimie Faculté de Médecine P. & M. Curie
VAN DEN AKKER Jacqueline Embryologie pathologique et cytogénétique Hôpital
TROUSSEAU
VAYLET Claire Médecine nucléaire Hôpital TROUSSEAU
VIBERT Jean François Inserm U 444 Faculté de Médecine P. & M. Curie
VIGOUROUX Corinne Inserm U680 Faculté de Médecine P. & M. Curie
WEISSENBURGER Jacques Pharmacologie clinique Faculté de Médecine P. & M. Curie
WOLF Claude Laboratoire de spectrométrie de masse Faculté de Médecine P. & M. Curie
ASSISTANT ENSEIGNEMENT SUPERIEUR
CHENAIS Joël Biophysique Faculté de Médecine P. & M. Curie
MCU-PH EN DISPONIBILITE
DEHEE Axelle Bactériologie virologie Hôpital TROUSSEAU
FOUQUERAY Bruno Explorations fonctionnelles Hôpital TENON
KHOSROTEHRANI Kiarash Dermatologie Hôpital TENON
13
Année Universitaire 2009/2010
MAITRES DE CONFERENCES DES UNIVERSITES-PRATICIENS HOSPITALIERS
UFR Médicale Pierre et Marie CURIE ‐ Site PITIE
ANKRI Annick HEMATOLOGIE BIOLOGIQUE
AUBRY Alexandra BACTERIOLOGIE
AXELRAD Herbert PHYSIOLOGIE
BACHELOT Anne ENDOCRINOLOGIE (Stagiaire)
BELLANNE-CHANTELOT Christine GENETIQUE
BENOLIEL Jean-Jacques BIOCHIMIE et BIOLOGIE MOLECULAIRE
BENSIMON Gilbert PHARMACOLOGIE
BORSOS Anne-Marie BIOCHIMIE et BIOLOGIE MOLECULAIRE
BOUTOLLEAU David VIROLOGIE
BROUSSE Geneviève PARASITOLOGIE
BUFFET Pierre PARASITOLOGIE
CARCELAIN-BEBIN Guislaine IMMUNOLOGIE
CARRIE Alain BIOCHIMIE et BIOLOGIE MOLECULAIRE
CHARLOTTE Frédéric ANATOMIE et CYTOLOGIE PATHOLOGIQUES
CHARRON Philippe GENETIQUE/CARDIOLOGIE
COLLET Jean-Philippe DEPARTEMENT DE CARDIOLOGIE
COMPERAT Eva ANATOMIE PATHOLOGIQUE
CORVOL Jean-Christophe PHARMACOLOGIE
COULET Florence GENETIQUE
COUSSIEU Christiane BIOCHIMIE et BIOLOGIE MOLECULAIRE
DALOZ Madeleine ANESTHESIOLOGIE ET REANIMATION
DANZIGER Nicolas PHYSIOLOGIE
DATRY Annick PARASITOLOGIE
DELERS Francisco BIOCHIMIE et BIOLOGIE MOLECULAIRE
DEPIENNE Christel GENETIQUE (Stagiaire)
DUPONT-DUFRESNE Sophie ANATOMIE/NEUROLOGIE
FOLLEZOU Jean-Yves RADIOTHERAPIE
FOURNIER Emmanuel PHYSIOLOGIE
FRIJA Elisabeth PHYSIOLOGIE
GALANAUD Damien RADIOLOGIE
GAYMARD Bertrand PHYSIOLOGIE
GIRAL Philippe NUTRITION/ENDOCRINOLOGIE
GOLMARD Jean-Louis BIOSTATISTIQUES ET INFORMATIQUE MEDICALE
HABERT Marie-Odile BIOPHYSIQUE/MEDECINE NUCLEAIRE
HALLEY DES FONTAINES Virginie EPIDEMIOLOGIE/SANTE PUBLIQUE
HOANG VAN Catherine ANATOMIE et CYTOLOGIE PATHOLOGIQUES
KAHN Jean-François PHYSIOLOGIE
LACOMBE Catherine BIOPHYSIQUE/MEDECINE NUCLEAIRE
LACOMBLEZ Lucette PHARMACOLOGIE
LACORTE Jean-Marc BIOCHIMIE et BIOLOGIE MOLECULAIRE
LAURENT Claudine PEDOPSYCHIATRIE (Stagiaire)
LE BIHAN Johanne BIOCHIMIE et BIOLOGIE MOLECULAIRE
LE GUERN Eric GENETIQUE
LESOURD Sylvie GENETIQUE
MAKSUD Philippe BIOPHYSIQUE/MEDECINE NUCLEAIRE
MARCELIN-HELIOT Anne Geneviève VIROLOGIE
14
MAZIERES Léonore PHYSIOLOGIE
MORICE Vincent BIOSTATISTIQUES ET INFORMATIQUE MEDICALE
NACCACHE Lionel PHYSIOLOGIE
N’GUYEN-KHAC Florence HEMATOLOGIE BIOLOGIQUE
PERNES Jean-François BIOPHYSIQUE/MEDECINE NUCLEAIRE
PIDOUX Bernard PHYSIOLOGIE
ROBERT Jérôme BACTERIOLOGIE-VIROLOGIE
ROSENHEIM Michel EPIDEMIOLOGIE/SANTE PUBLIQUE
ROSENZWAJG Michelle IMMUNOLOGIE
ROUSSEAU Géraldine CHIRURGIE GENERALE
SANSON Marc ANATOMIE/NEUROLOGIE
SEBBAN Claude MEDECINE INTERNE / GERIATRIE
SEILHEAN Danielle NEURO-ANATOMIE PATHOLOGIQUE
SIMON Dominique SANTE PUBLIQUE / EPIDEMIOLOGIE
SOUGAKOFF Wladimir BACTERIOLOGIE-VIROLOGIE
STRAUS Christian PHYSIOLOGIE/EXPLORATION FONCTIONNELLE
TANKERE Frederic O.R.L.
TEZENAS DU MONTCEL Sophie BIOSTATISTIQUES et INFORMATIQUE MEDICALE
THELLIER Marc PARASITOLOGIE
TRESCA Jean-Pierre BIOCHIMIE et BIOLOGIE MOLECULAIRE
URIOS Paul BIOCHIMIE et BIOLOGIE MOLECULAIRE
VEZIRIS Nicolas BACTERIOLOGIE-HYGIENE (stagiaire)
VITTE Elisabeth ANATOMIE/O.R.L.
WAROT Dominique PHARMACOLOGIE
BERLIN Ivan PHARMACOLOGIE détaché 01.09.2008 au 31.08.2009
CARAYON Alain BIOCHIMIE détaché 01.11.2007 au 31.10.2009
FILLET Anne-Marie BACTERIOLOGIE détachée EDF 01.09.2007 au 31.08.2011
GAY Frédérick PARASITOLOGIE détaché 01.05.2008 au 30.04.2010
HULOT Jean-Sébastien PHARMACOLOGIE détaché 15.08.2008 au01.07.2009
15
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION ..........................................................20
MATERIEL ET METHODE ...........................................22
I. METHODES DE SELECTION ET D’INTERVENTION POUR LE
SERMENT D’HIPPOCRATE ET LE SERMENT MEDICAL .................. 23
II. METHODE DE SELECTION ET D’INTERVENTION POUR LES
OUVRAGES LITTERAIRES ....................................................................... 27
III. METHODES D’EVALUATION ............................................................ 29
LE SERMENT D’HIPPOCRATE ..................................30
I. HISTORIQUE ............................................................................................ 31
A. HIPPOCRATE DE COS : DU PERSONNAGE AU CORPUS HIPPOCRATIQUE ...... 31
B. LE CORPUS HIPPOCRATIQUE ....................................................................................... 32
C. LA POSTERITE DU CORPUS HIPPOCRATIQUE ......................................................... 35
D. LE SERMENT D’HIPPOCRATE ET LE SERMENT MEDICAL ............................... 36
1. Le serment d’Hippocrate ........................................................................................... 36
2. Le serment médical ................................................................................................... 37
II. LES TEXTES ............................................................................................ 38
A. TRADUCTION DU SERMENT D’HIPPOCRATE PAR EMILE LITTRE.................. 38
1. Valeurs contenues dans la première partie du serment d’Hippocrate .......................... 38
2. Valeurs contenues dans la deuxième partie du serment d’Hippocrate ........................ 39
3. Discussion autour de ce texte............................................................................................ 40
B. LE SERMENT MEDICAL .......................................................................................... 41
1. Valeurs contenues dans la première partie du serment médical .................................. 41
2. Valeurs contenues dans la deuxième partie du serment médical................................. 42
3. Discussion autour de ce texte .................................................................................... 43
C. ANALYSE COMPARATIVE DES DEUX TEXTES................................................... 44
1. Analogies ............................................................................................................................. 44
2. Divergences .......................................................................................................................... 45
III. APPROCHE SPECIFIQUE DES SERMENTS POUR LE MEDECIN
GENERALISTE ............................................................................................. 48
16
ANALYSE BIBLIOGRAPHIQUE ..................................50
I. RELATIONS DU MEDECIN AVEC SES PAIRS.................................... 51
A. LA TRANSMISSION DES SAVOIRS ........................................................................ 51
1. La place du maître..................................................................................................... 51
a. Relation inégalitaire maître à élève ........................................................................ 51
b. Considération et reconnaissance éternelles du maître............................................. 53
c. Humilité partagée vis-à-vis de la vie : l’apprentissage permanent du maître ........... 54
2. La transmission des savoirs au fil des siècles............................................................. 56
B. LES RAPPORTS DE CONFRATERNITE................................................................... 58
1. Fraternité et solidarité ............................................................................................... 58
2. Les aspects négatifs................................................................................................... 59
II. RELATIONS MEDECINS/MALADES................................................... 61
A. LA QUALITE DE LA RELATION MEDECIN/MALADE ......................................... 61
1. L’importance de l’approche ...................................................................................... 61
a. La compassion/ l’indifférence................................................................................ 61
b. L’empathie ............................................................................................................ 63
3. L’écoute ................................................................................................................ 64
2. L’information du malade........................................................................................... 66
a. Le corps objet ........................................................................................................ 66
b. De la communication verbale et non verbale au consentement libre éclairé ........... 68
B. PRIMUM NON NOCERE ........................................................................................... 71
1. Primum non nocere et acharnement thérapeutique ..................................................... 71
2. L’euthanasie ............................................................................................................. 73
3. Le cas particulier de l’interruption volontaire de grossesse ........................................ 75
C. LES RAPPORTS A L’ARGENT : GRATUITE DES SOINS ET CUPIDITE............... 76
D. L’ABUS D’AUTORITE .............................................................................................. 78
1. La corruption ............................................................................................................ 78
2. Le principe de non discrimination ............................................................................. 79
3. La séduction.............................................................................................................. 80
E. LE SECRET MEDICAL .............................................................................................. 81
F. LE RESPECT DU SERMENT ..................................................................................... 82
III. LES SPECIFICITES DU MEDECIN GENERALISTE ........................ 84
A. LE PREMIER RECOURS AUX SOINS ...................................................................... 84
B. LA COORDINATION ET LA PRISE EN CHARGE GLOBALE DE LA PERSONNE
......................................................................................................................................... 86
C. LA VISITE A DOMICILE ........................................................................................... 87
D. LA CONTINUITE DES SOINS................................................................................... 89
CONCLUSION .............................................................90
BIBLIOGRAPHIE .........................................................93
17
ANNEXES ....................................................................97
ANNEXE 1 .................................................................................................................................. 98
ANNEXE 1 BIS ........................................................................................................................... 99
ANNEXE 1 TER ........................................................................................................................ 100
ANNEXE 2 ................................................................................................................................ 101
ANNEXE 3 ................................................................................................................................ 102
ANNEXE 4 ................................................................................................................................ 102
ANNEXE 4 BIS ......................................................................................................................... 103
ANNEXE 5 ................................................................................................................................ 103
ANNEXE 6 ................................................................................................................................ 104
ANNEXE 7 ................................................................................................................................ 105
ANNEXE 8 ................................................................................................................................ 106
ANNEXE 9 ................................................................................................................................ 106
ANNEXE 9 BIS ......................................................................................................................... 107
ANNEXE 10 .............................................................................................................................. 108
ANNEXE 11 .............................................................................................................................. 109
ANNEXE 12 .............................................................................................................................. 109
ANNEXE 12 BIS ....................................................................................................................... 110
ANNEXE 13 .............................................................................................................................. 110
ANNEXE 14 .............................................................................................................................. 111
ANNEXE 15 .............................................................................................................................. 112
ANNEXE 16 .............................................................................................................................. 113
ANNEXE 17 .............................................................................................................................. 113
ANNEXE 18 .............................................................................................................................. 114
ANNEXE 19 .............................................................................................................................. 115
ANNEXE 20 .............................................................................................................................. 116
ANNEXE 21 .............................................................................................................................. 116
ANNEXE 22 .............................................................................................................................. 117
ANNEXE 23 .............................................................................................................................. 118
ANNEXE 24 .............................................................................................................................. 118
ANNEXE 25 .............................................................................................................................. 119
ANNEXE 26 .............................................................................................................................. 119
ANNEXE 27 .............................................................................................................................. 120
ANNEXE 28 .............................................................................................................................. 121
ANNEXE 29 .............................................................................................................................. 122
ANNEXE 30 .............................................................................................................................. 122
ANNEXE 31 .............................................................................................................................. 123
ANNEXE 32 .............................................................................................................................. 124
ANNEXE 32 BIS ....................................................................................................................... 124
ANNEXE 33 .............................................................................................................................. 124
ANNEXE 34 .............................................................................................................................. 125
ANNEXE 35 .............................................................................................................................. 125
ANNEXE 36 .............................................................................................................................. 126
ANNEXE 37 .............................................................................................................................. 127
ANNEXE 37 BIS ....................................................................................................................... 128
ANNEXE 38 .............................................................................................................................. 129
ANNEXE 39 .................................................................................................................. 130
ANNEXE 40 .................................................................................................................. 130
ANNEXE 41 .................................................................................................................. 131
ANNEXE 42 .................................................................................................................. 131
ANNEXE 43 .................................................................................................................. 132
ANNEXE 44 .................................................................................................................. 133
18
ANNEXE 44 BIS ........................................................................................................... 133
ANNEXE 45 .................................................................................................................. 134
ANNEXE 46 .................................................................................................................. 134
ANNEXE 47 .................................................................................................................. 135
ANNEXE 48 .................................................................................................................. 136
ANNEXE 49 .................................................................................................................. 136
ANNEXE 50 .................................................................................................................. 137
ANNEXE 51 .................................................................................................................. 137
ANNEXE 52 .................................................................................................................. 138
ANNEXE 53 .................................................................................................................. 139
ANNEXE 54 .................................................................................................................. 140
ANNEXE 55 .................................................................................................................. 140
ANNEXE 56 .................................................................................................................. 141
ANNEXE 57 .................................................................................................................. 141
ANNEXE 58 .................................................................................................................. 142
ANNEXE 59 .................................................................................................................. 142
ANNEXE 60 .................................................................................................................. 144
ANNEXE 61 .................................................................................................................. 145
ANNEXE 62 .................................................................................................................. 145
ANNEXE 63 .................................................................................................................. 146
ANNEXE 64 .................................................................................................................. 147
ANNEXE 65 .................................................................................................................. 147
ANNEXE 66 .................................................................................................................. 148
ANNEXE 67 .................................................................................................................. 149
ANNEXE 68 .................................................................................................................. 149
ANNEXE 69 .................................................................................................................. 150
ANNEXE 70 .................................................................................................................. 152
ANNEXE 71 .................................................................................................................. 153
ANNEXE 72 .................................................................................................................. 154
ANNEXE 73 .................................................................................................................. 155
19
INTRODUCTION
L’émergence de la médecine occidentale est traditionnellement liée à Hippocrate de Cos,
initiateur d’une pratique médicale compétente, fondée sur l’observation et la connaissance, et
respectueuse de celui qui justifie l’existence même du médecin : le malade. Si l’enseignement
médical d’Hippocrate est aujourd’hui dépassé, la dimension et la profondeur humaines issues
de son expérience sont plus que jamais d’actualité1. Ses préceptes ont instauré l’éthique et la
déontologie de la profession médicale : l’obligation morale de la connaissance et de la
transmission du savoir, la primauté de l’individu et le respect de ses droits, l’égalité de la prise
en charge des patients, le respect de la vie2… Cet héritage s’est transmis de générations en
générations de médecins depuis des siècles, notamment grâce au texte le plus connu de tous :
le serment d’Hippocrate. Prononcé par chaque étudiant, devant ses pairs, à l’obtention de son
diplôme, il récapitule toutes les valeurs indispensables à l’exercice de la médecine.
Depuis quelques années, le texte n’est cependant plus déclamé dans sa forme originelle : les
grands bouleversements survenus dans l’histoire récente de la médecine ont incité les
médecins à réfléchir sur leurs pratiques et leur rôle au sein de la société. Depuis longtemps,
les médecins possèdent le pouvoir de soigner, mais l’essor, au cours du XXème siècle, des
innovations médicamenteuses, techniques, et technologiques, leur ont donné un pouvoir
encore plus important : celui de guérir. Cette révolution, formidable à bien des égards, ne
modifie pas seulement les rapports des médecins à leur profession et aux malades: les
répercussions se ressentent à l’échelle de la société entière3. La santé est devenue un acquis
pour tous, un état naturel ; le contrôle des naissances influe sur l’avenir des populations ;
l’allongement de la durée de vie intervient sur les réponses individuelles et collectives aux
questions existentielles ….
20
L’art, reflet de chaque époque et en même temps de la permanence des questions humaines,
peut nous aider à comprendre l’impact majeur des XXème et XXIème siècles sur la médecine
et la société. La littérature, notamment, permet à l’écrivain de traduire les aspirations de ses
contemporains, et, au lecteur, de se forger une image de celles-ci, telles qu’elles sont
incarnées dans le roman. Dans ce travail, nous avons choisi de nous intéresser au regard de la
littérature sur la profession médicale, ses valeurs et son évolution au cours des XXème et
XXIème siècles. Par la reproduction distordue, partielle, et parfois amplifiée de la réalité, la
littérature appréhende les valeurs du serment d’Hippocrate et confronte les personnages de
médecins au respect, ou non, de celles-ci. Quelles représentations de ces valeurs la littérature
des XXème et XXIème siècles propose-t-elle au lecteur ? Et à travers elles, quelle image du
médecin, notamment du médecin généraliste, véhicule-t-elle ?
21
MATERIEL
ET METHODE
22
I. METHODES DE SELECTION ET D’INTERVENTION
POUR LE SERMENT D’HIPPOCRATE ET LE
SERMENT MEDICAL
La singularité, la pérennité et l’influence du serment d’Hippocrate sur les vingt-cinq siècles
suivants ont imposé, avant toute analyse, une recherche historique et contemporaine pour une
lecture éclairée et une mise en perspective de ce texte fondateur.
A cet effet, nous avons tout d’abord sélectionné des ouvrages de référence portant sur
Hippocrate et son œuvre :
- d’une part sur le portail internet de la bibliothèque interuniversitaire de médecine et
d’odontologie (BIUM, www.bium.univ-paris5.fr), dans le volet « Histoire de la médecine et
de l’art dentaire », à l’aide de la bibliothèque numérique « Médic@ ». L’emploi des mots clés
« serment », « Hippocrate » et « Littré » a permis la consultation en ligne des documents
pertinents.
- d’autre part, en nous rendant en librairie spécialisée, dans le secteur « histoire de la
médecine ».
Parallèlement, en utilisant les « Ressources en ligne » du site de la BIUM dans son volet
« Médecine moderne », avec les mots clés « serment » et « Hippocrate », nous nous sommes
intéressés à la version « actualisée » du texte, le serment médical, consultable sur le site du
Conseil National de l’Ordre des Médecins (www.conseil-national.medecin.fr), dans la
rubrique « code de déontologie ». Pour étayer nos réflexions sur l’éthique actuelle de la
profession et ses pratiques, nous avons également lu un certain nombre d’essais et consulté les
articles et les lois de référence sur les sites de la Haute Autorité de Santé (www.has-sante.fr),
de l’Inserm (www.ethique.inserm.fr/inserm/ethique.nsf/PageByName/Accueil) et de l’Espace
éthique de l’APHP (www.espace-ethique.org).
23
Dans un second temps, nous avons réalisé une analyse exhaustive du serment d’Hippocrate et
du serment médical pour en extraire les valeurs fondamentales.
Concernant le serment d’Hippocrate, nous avons choisi arbitrairement la traduction d’Emile
Littré : ayant consacré une large partie de sa vie à l’étude et à la traduction du Corpus
Hippocratique, il reste l’auteur de référence sur ce sujet.
Le serment médical, est, quant à lui, adapté par chaque faculté à l’heure actuelle. Nous avons
privilégié la version originale du Pr Hoerni, telle qu’elle est proposée dans le code de
déontologie.
Pour cette seconde étape, nous nous sommes donc appliqués à effectuer une étude des valeurs
texte par texte, pour ensuite les comparer et inventorier les ressemblances et différences.
24
SERMENT D’HIPPOCRATE
Traduction d’Emile Littré
« Je jure par Apollon médecin, par Esculape, Hygie et Panacée, par tous les dieux
et toutes les déesses, et je les prends à témoin que, dans la mesure de mes forces et
de mes connaissances, je respecterai le serment et l'engagement écrit suivant :
Mon Maître en médecine, je le mettrai au même rang que mes parents. Je
partagerai mon avoir avec lui, et s'il le faut je pourvoirai à ses besoins. Je
considérerai ses enfants comme mes frères et s'ils veulent étudier la médecine, je la
leur enseignerai sans salaire ni engagement. Je transmettrai les préceptes, les
explications et les autre parties de l'enseignement à mes enfants, à ceux de mon
Maître, aux élèves inscrits et ayant prêté serment suivant la loi médicale, mais à
nul autre.
Dans toute la mesure de mes forces et de mes connaissances, je conseillerai aux
malades le régime de vie capable de les soulager et j'écarterai d'eux tout ce qui peut
leur être contraire ou nuisible. Jamais je ne remettrai du poison, même si on me le
demande, et je ne conseillerai pas d'y recourir. Je ne remettrai pas d'ovules abortifs
aux femmes.
Je passerai ma vie et j'exercerai mon art dans la pureté et le respect des lois. Je ne
taillerai pas les calculeux, mais laisserai cette opération aux praticiens qui s'en
occupent. Dans toute maison où je serai appelé, je n'entrerai que pour le bien des
malades. Je m'interdirai d'être volontairement une cause de tort ou de corruption,
ainsi que toute entreprise voluptueuse à l'égard des femmes ou des hommes, libres
ou esclaves. Tout ce que je verrai ou entendrai autour de moi, dans l'exercice de
mon art ou hors de mon ministère, et qui ne devra pas être divulgué, je le tairai et le
considérerai comme un secret.
Si je respecte mon serment sans jamais l'enfreindre, puissè-je jouir de la vie et de
ma profession, et être honoré à jamais parmi les hommes. Mais si je le viole et
deviens parjure, qu'un sort contraire m'arrive! »
25
SERMENT MEDICAL
« Au moment d'être admis(e) à exercer la médecine, je promets et je jure d'être
fidèle aux lois de l'honneur et de la probité.
Mon premier souci sera de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé dans
tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux.
Je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans aucune
discrimination selon leur état ou leurs convictions. J'interviendrai pour les protéger
si elles sont affaiblies, vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou leur dignité.
Même sous la contrainte, je ne ferai pas usage de mes connaissances contre les lois
de l'humanité.
J'informerai les patients des décisions envisagées, de leurs raisons et de leurs
conséquences. Je ne tromperai jamais leur confiance et n'exploiterai pas le pouvoir
hérité des circonstances pour forcer les consciences.
Je donnerai mes soins à l'indigent et à quiconque me les demandera. Je ne me
laisserai pas influencer par la soif du gain ou la recherche de la gloire.
Admis(e) dans l'intimité des personnes, je tairai les secrets qui me seront confiés.
Reçu(e) à l'intérieur des maisons, je respecterai les secrets des foyers et ma
conduite ne servira pas à corrompre les mœurs.
Je ferai tout pour soulager les souffrances. Je ne prolongerai pas abusivement les
agonies. Je ne provoquerai jamais la mort délibérément.
Je préserverai l'indépendance nécessaire à l'accomplissement de ma mission. Je
n'entreprendrai rien qui dépasse mes compétences. Je les entretiendrai et les
perfectionnerai pour assurer au mieux les services qui me seront demandés.
J'apporterai mon aide à mes confrères ainsi qu'à leurs familles dans l'adversité.
Que les hommes et mes confrères m'accordent leur estime si je suis fidèle à mes
promesses ; que je sois déshonoré(e) et méprisé(e) si j'y manque ».
26
II. METHODE DE SELECTION ET D’INTERVENTION
POUR LES OUVRAGES LITTERAIRES
La médecine et les médecins occupent depuis longtemps une place importante dans la
littérature française : des fabliaux du Moyen-âge aux satires de Molière, de Zola à Balzac
jusqu’aux écrivains contemporains, le sujet a toujours été plébiscité par les écrivains. Nous
avons décidé de nous limiter aux œuvres françaises dont l’action se déroule pendant les
XXème et XXIème siècles, période riche en découvertes médicales : des théories hygiénistes
de Pasteur à la vaccination de masse, des rayons X de Pierre et Marie Curie aux technologies
exploratrices de pointe, de l’établissement du caryotype humain aux techniques de
reproduction actuelles etc., ces multiples innovations ont peu à peu modifié la relation
médecin-malade.
Nous avons donc élaboré la liste des ouvrages concernés en tenant compte de cette double
contrainte de l’époque et de la culture choisies. La recherche s’est effectuée à partir de notre
expérience personnelle enrichie de celle de notre entourage, mais aussi à l’aide de sites
Internet littéraires (gallica.bnf.fr; www.fabula.org; www.weblettres.net) : les mots clés utilisés
ont été « littérature et médecine », « personnages de médecin et littérature ». Nous avons
également consulté la bibliographie de la thèse de doctorat d’état du Docteur Marie-Laure
LEROY- BEDIER intitulée Les Docteurs A. Thibault, L. Pasquier et B. Rieux : trois moments
romanesques d'une foi humaniste.- [s.l.] : [s. n.], 1991.- 2 vol., 837 f.
Une fois les ouvrages sélectionnés sur ces critères, nous avons recensé les différents
personnages de médecins, en particulier les médecins de famille, ou les situations médicales
nous intéressant, en procédant à une lecture à double entrée des romans littéraires. Nous avons
défini les « situations médicales » par des séquences ou paragraphes portant un regard direct
27
ou indirect sur un médecin ou la médecine par le biais d’un malade, de son entourage familial,
d’une personne externe, ou même d’un médecin.
Notre lecture à double entrée s’est effectuée, d’une part en partant des valeurs des serments et
en les illustrant par des exemples et contre-exemples, et d’autre part en lisant des ouvrages
pour y trouver des représentations de ces valeurs.
28
III. METHODES D’EVALUATION
Les deux opérations initiales portant sur l’analyse des valeurs des serments et sur le
recensement des personnages de médecins ou des situations médicales, ont été menées
conjointement. Elles ont été primordiales pour la dernière étape de notre travail : la
confrontation des personnages de médecins ou des situations médicales aux différentes
valeurs des serments.
Pour en réaliser la synthèse, nous nous sommes basés sur les valeurs et en avons étudié les
illustrations que constituent les exemples et contre-exemples issus des résultats de nos
lectures.
29
LE SERMENT
D’HIPPOCRATE
30
I. HISTORIQUE
A. HIPPOCRATE DE COS : DU PERSONNAGE AU CORPUS
HIPPOCRATIQUE
Personnage semi-légendaire, souvent considéré comme le « père de la médecine », Hippocrate
serait né en 460 avant Jésus-Christ dans l’île de Cos. Selon la tradition, il exerce initialement
son art sur l’île de Cos puis devient médecin itinérant en Grèce du Nord et en Thessalie. Sa
renommée se répand jusqu’à Athènes et atteint même les peuples non grecs. Il meurt à Larissa
en Thessalie à plus de 85-90 ans4.
Hippocrate appartient à la famille des Asclépiades qui se consacre à la médecine de père en
fils depuis Asclépios (nom grec d’Esculape, dieu de la médecine). Les deux grandes lignées
issues de cette famille se situent l’une à Cos en Asie Mineure et l’autre à Cnide, sur le
continent asiatique, en face de l’île de Cos. Concernant la médecine, elles suivent un
développement séparé et concurrentiel, avec des différences nosologiques et thérapeutiques5.
L’état pathologique se conçoit à Cos par une approche globale du malade, tandis qu’à Cnide,
on s’intéresse plutôt aux phénomènes locaux et aux entités nosologiques.
Pour promouvoir leur « art » et se détacher de la médecine religieuse et magique, les deux
écoles utilisent cependant les mêmes armes. En effet, dans la Grèce du Vème siècle avant JC,
le médecin est un médecin public, payé par la cité pour soigner les citoyens. Sa nomination
dépend de l’assemblée du peuple après un entretien au cours duquel chaque candidat doit
présenter ses références et sa conception de la médecine. Son habileté oratoire est donc
indispensable pour convaincre ses auditeurs. Dans le Gorgias, dialogue consacré à la
rhétorique, Platon présente le travail du médecin comme essentiellement de persuasion. D’où
le nombre important de cours, discours et traités : les médecins mettent la technique de la
31
parole au service de leur art, et constituent une littérature médicale basée sur leurs activités et
leurs méthodes. Le Corpus Hippocratique en est le plus bel exemple.
HIPPOCRATE
32
B. LE CORPUS HIPPOCRATIQUE
Le Corpus Hippocratique regroupe une soixantaine d’ouvrages rédigés en ionien, portant sur
la déontologie, la sémiologie, l’étiologie, la diététique4….
Les différences de doctrines, de théories, de vocabulaires mais également la chronologie et la
datation des textes portent à croire que le Corpus n’est pas l’œuvre d’un seul homme. De
même, certaines œuvres authentiquement hippocratiques se sont probablement perdues.
Cependant, malgré la diversité d’origine des traités, une unité de pensée demeure, basée sur
trois piliers fondamentaux : la laïcité et la rationalité de la médecine, une approche
particulière de la maladie reposant sur une observation rigoureuse des signes, et une réflexion
philosophique sur l’art médical amenant à la déontologie de la profession5.
La médecine hippocratique s’impose pour la première fois en Grèce en tant que science,
stigmatisant ainsi ses concurrentes directes, la médecine religieuse des temples et la médecine
magique des devins et guérisseurs. Elle propose une vision laïque et rationnelle de la maladie
en interprétant les manifestations cliniques et les processus pathologiques de manière
fonctionnelle et dynamique. La religion et la magie ne sont ni la cause ni la solution à la
maladie.
Pour les médecins hippocratiques, la santé s’explique par l’équilibre interne du corps mais
aussi par les relations que celui-ci entretient avec son environnement. La maladie se présente
alors comme un évènement naturel résultant de la perturbation des rapports entre l’homme et
son milieu, et d’une instabilité des composants du corps (théorie des humeurs que sont le
sang, le phlegme, la bile et l’eau ou la bile noire et la bile jaune). Les symptômes sont
l’expression de la lutte du corps humain pour le rétablissement de la santé. C’est la
33
connaissance de nombreux cas concrets qui permet aux médecins hippocratiques de formuler
un pronostic et de mettre en œuvre une thérapeutique pour restaurer l’équilibre perdu.
Ce concept de maladie implique une observation sévère et minutieuse des signes. Les
médecins hippocratiques étudient et traitent des malades et non des maladies. Hippocrate
envisage l’homme (et donc le malade) comme une entité globale : on ne peut juger de ce qui
concerne le corps sans s’intéresser à l’esprit, au comportement, à l’environnement. Il
recommande de débuter l’examen du patient par l’analyse de son milieu physique et social, de
noter ensuite son comportement, son attitude dans le lit, son état d’esprit, de réaliser une
anamnèse rigoureuse basée sur les dires du malade et de son entourage, pour, enfin, examiner
le corps affecté. Cette expérience directe et minutieuse acquise au lit des malades permet aux
médecins hippocratiques d’identifier certains syndromes comme, à titre d’exemple, le « faciès
hippocratique » qui prédit l’approche de la mort, ou « l’hippocratisme digital » reflétant une
atteinte pulmonaire sévère. Les définitions des maladies sont essentiellement cliniques : la
méconnaissance de l’anatomo-pathologie et de la physiologie tend à rapprocher la notion
hippocratique de maladie à la notion moderne de syndrome, voire de symptôme. Le médecin
apprend progressivement à reconnaître les différentes maladies et leur pronostic afin d’adapter
sa thérapeutique. Sa connaissance des malades, des maladies et des remèdes doit cependant
être enrichie d’une méditation sur sa profession.
Hippocrate et ses disciples développent ainsi une réflexion philosophique sur l’art médical et
mettent en place les règles déontologiques de la profession.
Le médecin doit tout d’abord veiller à l’intérêt du malade. La médecine est l’art de
l’abnégation et du dévouement : le praticien doit s’effacer devant l’intérêt supérieur du
malade et refuser de se mettre en avant pour sa seule gloire personnelle. De même, le statut
34
social ou financier du patient ne peut entrer en ligne de compte : la modulation des tarifs
permet à chacun de recevoir les soins appropriés.
Les devoirs du médecin envers le malade sont multiples, des notions fondamentales aux
détails futiles. Le respect du but premier de l’art médical, c'est-à-dire l’utilité pour le patient,
et le respect de la vie sous toutes ses formes sont des valeurs indispensables. Le médecin ne
peut et ne doit abuser de sa situation quels qu’en soient ses bénéfices. Il a un devoir de
discrétion qui préfigure le secret médical. Enfin, son apparence est essentielle : le soin et la
propreté apportés à sa tenue favorisent l’installation d’une bonne relation avec le patient.
Concernant le traitement, le praticien doit se préoccuper du confort et du bien-être du patient
et limiter ses souffrances en agissant au moment opportun avec le minimum de violence. La
relation médecin/ malade est primordiale dans la triade hippocratique (maladie/ malade/
médecin) : la dimension humaine de la médecine est mise en valeur pour favoriser la
guérison.
C. LA POSTERITE DU CORPUS HIPPOCRATIQUE
Les témoignages de Platon et Aristote révèlent le renom d’Hippocrate de son vivant. Dès le
IIIème siècle avant JC, ses écrits appartiennent au patrimoine culturel et influencent aussi bien
les diverses écoles médicales (dogmatique, empirique, méthodique) que Cicéron ou Sénèque4.
L’apogée et l’aboutissement du savoir antique se cristallisent au IIème siècle avant JC avec
Galien. Celui-ci contribue à la diffusion de l’héritage hippocratique mais il en modifie
également sa lecture. Les œuvres suivantes ne sont plus des créations mais des compilations
des connaissances accumulées auparavant : Galien y prend plus de place qu’Hippocrate.
35
Diverses traductions latines ou arabes du Corpus Hippocratique sont réalisées dès les Vème
et VIème siècles, généralement d’après les commentaires de Galien. Ce n’est qu’en 1525 que
Calvus publie la première traduction latine de l’ensemble du Corpus, basée sur un modèle
grec hippocratique et non plus galénique.
Au XIXème siècle, les progrès de la médecine rendent l’œuvre d’Hippocrate caduque : son
enseignement médical est périmé mais sa profondeur humaine est toujours d’actualité. Le
serment, traité déontologique le plus célèbre du Corpus, en est l’exemple le plus marquant.
D. LE SERMENT D’HIPPOCRATE ET LE SERMENT MEDICAL
1. Le serment d’Hippocrate
Depuis l’Antiquité, le Serment d’Hippocrate est généralement attribué à Hippocrate luimême. Il figure dans la liste d’Erotien, et Galien en a écrit un commentaire. La date reste
cependant discutée par les spécialistes : Vème ou IVème siècle avant JC6.
La traduction la plus connue est celle d’Emile Littré, lexicographe et philosophe français du
XIXème siècle (1819-1861), auteur par ailleurs du Dictionnaire de la langue française,
communément appelé le Littré (Cf. p.24).
Dépourvu de toute valeur légale, ce texte fixe un cadre éthique à l’exercice de la médecine
depuis des siècles. Il a été repris par de multiples cultures pour leur propre compte, tant les
valeurs qu’il défend sont universelles.
36
2. Le serment médical
En France, tout nouveau médecin prête serment lors de la soutenance de sa thèse de doctorat
devant son jury de thèse, ses pairs et ses proches, ou au cours d’une cérémonie collective
organisée par l’Ordre des Médecins. La prestation orale se double d'un engagement écrit lors
de son inscription au tableau de l'Ordre7. L’énonciation du serment médical, largement inspiré
du serment d’Hippocrate, constitue un « rite de passage » pour acquérir le statut de docteur
mais également un engagement moral du médecin à défendre les valeurs éthiques de la
profession. Les progrès techniques et l’évolution de la société ont incité le corps médical à
réfléchir sur ses nouvelles pratiques : l’actualisation du code de déontologie et les lois de
bioéthique en sont l’aboutissement. De même, réactualisé à plusieurs reprises, le serment
médical actuel date de 1996. Rédigé par le Professeur Bernard Hoerni, il constitue l’article
109 du code de déontologie médicale intitulé Engagement du médecin de respecter le code de
déontologie7 (Cf. p.25)
37
II. LES TEXTES
A. TRADUCTION DU SERMENT D’HIPPOCRATE PAR EMILE LITTRE
1. Valeurs contenues dans la première partie du serment d’Hippocrate
La transmission du savoir médical est le thème principal de la première partie du serment
d’Hippocrate :
« Je jure par Apollon médecin, par Esculape, Hygie et Panacée, par tous les dieux et
toutes les déesses, et je les prends à témoin que, dans la mesure de mes forces et
de mes connaissances, je respecterai le serment et l'engagement écrit suivant :
Mon Maître en médecine, je le mettrai au même rang que mes parents. Je partagerai
mon avoir avec lui, et s'il le faut je pourvoirai à ses besoins. Je considérerai ses
enfants comme mes frères et s'ils veulent étudier la médecine, je la leur enseignerai
sans salaire ni engagement. Je transmettrai les préceptes, les explications et les
autre parties de l'enseignement à mes enfants, à ceux de mon Maître, aux élèves
inscrits et ayant prêtés serment suivant la loi médicale, mais à nul autre.»
Nous retrouvons ici les valeurs concernant la relation du médecin avec ses pairs et notamment
avec son initiateur. Une filiation s’établit entre le maître et son élève : le respect, la
reconnaissance et la loyauté sont des notions fondamentales. Les concepts de confraternité et
de solidarité se dessinent plus généralement dans ce premier paragraphe : il appartient à
chaque médecin de suivre et de protéger l’enseignement du maître mais il doit également
transmettre son savoir aux plus jeunes et se préoccuper de ses pairs. L’engagement envers son
maître, les enfants et élèves de celui-ci, et plus généralement ses confrères, est primordial.
38
2. Valeurs contenues dans la deuxième partie du serment d’Hippocrate
La deuxième partie du serment est quant à elle centrée sur la relation médecin/malade :
« Dans toute la mesure de mes forces et de mes connaissances, je conseillerai aux
malades le régime de vie capable de les soulager et j'écarterai d'eux tout ce qui peut
leur être contraire ou nuisible. Jamais je ne remettrai du poison, même si on me le
demande, et je ne conseillerai pas d'y recourir. Je ne remettrai pas d'ovules abortifs
aux femmes.
Je passerai ma vie et j'exercerai mon art dans la pureté et le respect des lois. Je ne
taillerai pas les calculeux, mais laisserai cette opération aux praticiens qui s'en
occupent. Dans toute maison où je serai appelé, je n'entrerai que pour le bien des
malades. Je m'interdirai d'être volontairement une cause de tort ou de corruption,
ainsi que toute entreprise voluptueuse à l'égard des femmes ou des hommes, libres
ou esclaves. Tout ce que je verrai ou entendrai autour de moi, dans l'exercice de
mon art ou hors de mon ministère, et qui ne devra pas être divulgué, je le tairai et le
considérerai comme un secret.
Si je respecte mon serment sans jamais l'enfreindre, puissè-je jouir de la vie et de
ma profession, et être honoré à jamais parmi les hommes. Mais si je viole et deviens
parjure, qu'un sort contraire m'arrive! »
Le patient est la principale préoccupation de cette deuxième partie. Le médecin doit veiller à
la primauté de la personne malade avec pour principe général le « primum non nocere ». Il
doit préserver la vie et n’agir que pour améliorer la santé de ceux qui le consultent.
L’euthanasie et le suicide sont réprouvés, de même que l’avortement.
Des qualités intrinsèques lui sont donc nécessaires pour mener à bien sa mission. Il doit être
honnête et intègre : la corruption, la manipulation, l’abus d’autorité et la séduction lui sont
interdits. Il a également un devoir de discrétion vis-à-vis de ses malades : la notion de secret
médical apparait comme un élément fondamental de la relation médecin/malade. Enfin, il doit
39
connaître ses limites : l’humilité est probablement la qualité la plus importante du médecin
pour soigner correctement ses patients et ne pas mettre leur vie en danger.
3. Discussion autour de ce texte
Le serment d’Hippocrate traduit par Emile Littré se présente initialement comme un serment
religieux : la référence à tous les dieux et déesses de la médecine en introduction du texte le
démontre bien. Cependant, Hippocrate remet son sort et celui de ses confrères entre les mains
de la justice des hommes : il s’inscrit dans le présent et la réalité de son temps.
Ainsi, le cadre familial de la transmission du savoir éclate : il n’est plus indispensable
d’appartenir à la famille des Asclépiades pour pouvoir bénéficier de l’enseignement médical.
Le partage des connaissances peut s’effectuer contre de l’argent mais nécessite cependant un
engagement total du disciple envers son initiateur. Le Serment, en offrant des garanties
morales et financières, permet donc à la famille des Asclépiades de préserver ses intérêts et
ses privilèges7.
De même, le disciple doit respecter les valeurs hippocratiques fondamentales et notamment la
primauté de l’individu. Son but premier est l’intérêt du malade : il s’engage à sauvegarder la
vie actuelle et à venir, à respecter les patients sans abuser de son autorité, à protéger l’intimité
de chacun.
40
B. LE SERMENT MEDICAL
1. Valeurs contenues dans la première partie du serment médical
La première partie du serment médical est centrée sur les devoirs du médecin envers les
malades :
« Au moment d'être admis(e) à exercer la médecine, je promets et je jure d'être
fidèle aux lois de l'honneur et de la probité.
Mon premier souci sera de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé dans
tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux.
Je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans aucune
discrimination selon leur état ou leurs convictions. J'interviendrai pour les protéger si
elles sont affaiblies, vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou leur dignité.
Même sous la contrainte, je ne ferai pas usage de mes connaissances contre les lois
de l'humanité.
J'informerai les patients des décisions envisagées, de leurs raisons et de leurs
conséquences. Je ne tromperai jamais leur confiance et n'exploiterai pas le pouvoir
hérité des circonstances pour forcer les consciences.
Je donnerai mes soins à l'indigent et à quiconque me les demandera. Je ne me
laisserai pas influencer par la soif du gain ou la recherche de la gloire.
Admis(e) dans l'intimité des personnes, je tairai les secrets qui me seront confiés.
Reçu(e) à l'intérieur des maisons, je respecterai les secrets des foyers et ma
conduite ne servira pas à corrompre les mœurs.
Je ferai tout pour soulager les souffrances. Je ne prolongerai pas abusivement les
agonies. Je ne provoquerai jamais la mort délibérément.»
La principale préoccupation du médecin est la santé au sens large du terme, incluant la prise
en charge globale de la personne malade (physique, psychique et sociale) mais aussi la notion
de prévention et de santé publique.
41
L’intérêt du patient est la priorité absolue : le médecin se doit de soigner ses malades sans
discrimination, de les protéger et surtout de les informer. Expliquer les pathologies, leurs
complications, leurs évolutions, les traitements et leurs conséquences est maintenant un devoir
pour le médecin afin de recueillir le consentement libre et éclairé du patient. La prise en
charge de la douleur est également importante : les soins palliatifs sont encouragés ;
l’acharnement thérapeutique, prohibé ; et l’euthanasie est toujours proscrite, en France du
moins. La manipulation, l’abus d’autorité, et le profit sont condamnés.
Enfin, le secret est un élément essentiel de l’éthique médicale : il détermine la qualité de la
relation médecin/malade et son avenir.
2. Valeurs contenues dans la deuxième partie du serment médical
« Je préserverai l'indépendance nécessaire à l'accomplissement de ma mission. Je
n'entreprendrai rien qui dépasse mes compétences. Je les entretiendrai et les
perfectionnerai pour assurer au mieux les services qui me seront demandés.
J'apporterai mon aide à mes confrères ainsi qu'à leurs familles dans l'adversité.
Que les hommes et mes confrères m'accordent leur estime si je suis fidèle à mes
promesses ; que je sois déshonoré(e) et méprisé(e) si j'y manque ».
La formation du médecin est le thème principal de cette deuxième partie : tout praticien se
doit de préserver et d’enrichir l’état de ses connaissances tout en respectant les limites de son
savoir. La notion de compétence est introduite : le médecin doit être apte à prodiguer les
meilleurs soins nécessaires en fonction des avancées scientifiques et techniques, pour l’intérêt
du malade.
La liberté d’action et de pensée du médecin est également mise en avant. Puisqu’il est
personnellement responsable de ses actes, son indépendance professionnelle garantit aux
42
malades des soins appropriés, basés sur des références scientifiques et affranchis de toute
influence.
Enfin, la solidarité entre médecins est rappelée : la confraternité reste le ciment de la
profession.
3. Discussion autour de ce texte
Le serment médical s’articule en deux parties : la première se focalise sur les obligations
morales du médecin, tandis que la deuxième concerne ses conditions d’exercice et ses pairs.
Dans sa forme et son contenu, il met en exergue la relation médecin/malade. La primauté de
l’individu est rappelée et sous-tend les devoirs du praticien vis-à-vis du patient (mais aussi
dans ses rapports avec les autres professionnels de santé et pour sa formation). Le secret
médical, l’information du patient, le recueil de son consentement, réalisés dans un climat de
confiance, sont indispensables pour un soin efficace.
Le principe de liberté est également souligné et fonde le contrat de soins actuel8:
-
liberté du patient dans le choix de son médecin mais aussi pour les décisions le
concernant, après avoir bénéficié d’une information « loyale, claire et appropriée »9
-
liberté et indépendance du médecin : liberté d’installation, de conditions d’exercice, de
prescriptions, de soins.
Enfin la notion de « corporation » est toujours présente : la solidarité entre pairs est naturelle.
De même, en cas d’erreur, chaque médecin sait qu’il sera jugé deux fois : par la justice,
comme tout citoyen, et par ses confrères.
43
C. ANALYSE COMPARATIVE DES DEUX TEXTES
Vingt-cinq siècles séparent le Serment d’Hippocrate et le serment médical : si certaines
réflexions d’Hippocrate et de ses disciples sur les pratiques professionnelles sont encore
d’actualité aujourd’hui, les modifications de la société ainsi que les progrès techniques et
scientifiques renouvellent sans cesse les questionnements sur l’éthique médicale. Les deux
textes présentent donc naturellement des points communs et des différences que nous allons
étudier maintenant.
1. Analogies
La forme
Les deux textes se présentent comme un discours dont le but est d’être déclamé devant une
assistance. L’utilisation systématique du pronom personnel « je » en début de phrase met en
valeur l’engagement du futur médecin à respecter les promesses qu’il énonce.
La primauté de la personne
Le principe majeur proposé par Hippocrate et ses disciples a traversé les siècles et les
cultures : l’intérêt du malade est le but ultime de celui qui le soigne. L’action du médecin doit
aller dans le sens du bien-être de son patient et ne doit pas lui nuire (« primum non nocere »),
par son acharnement ou son inaction. Le respect de la vie et de la personne, sans aucune
discrimination, est primordial. Ainsi, le secret médical, la protection et le bien du malade, et la
condamnation de l’euthanasie sont toujours présents dans l’éthique médicale.
44
Les qualités intrinsèques du médecin
Pour mener à bien sa mission, le médecin doit être honnête, intègre, humble et juste afin
d’établir une relation de confiance avec le malade. Son indépendance est essentielle : la
corruption est fermement condamnée tout comme la manipulation, l’abus d’autorité et l’appât
du gain.
La solidarité médicale
La confraternité reste une valeur importante dans le monde médical. Le respect entre pairs est
fondamental même s’il comporte parfois des aspects négatifs : il paraît difficile, encore
aujourd’hui, d’aller à l’encontre et encore moins de dénoncer les pratiques peu scrupuleuses
d’un confrère.
2. Divergences
L’organisation des idées
Les deux textes diffèrent par la hiérarchisation de leur contenu :
-
dans le Serment d’Hippocrate, l’accent est tout d’abord mis sur la transmission du
savoir, puis l’auteur s’étend sur la relation médecin/ malade
-
dans le serment médical, la plupart des paragraphes traitent des devoirs du médecin
envers son patient ; viennent ensuite un paragraphe sur l’indépendance et la formation
du praticien, et un sur le rapport avec ses pairs.
45
La prise en charge médicale du patient
Si les principes hippocratiques fondamentaux sont toujours présents dans l’éthique médicale
française, des évolutions ont cependant été apportées du fait des progrès techniques et
scientifiques, des changements de la législation, des nouvelles pratiques professionnelles ….
La société civile a pris position sur des thèmes particuliers par l’intermédiaire du législateur :
l’avortement a été dépénalisé ; les soins palliatifs, les transplantations d’organe, les
manipulations génétiques, encadrés…. Le serment médical, de même que le code de
déontologie, a donc été modifié pour intégrer ces nouvelles notions (et en retirer d’autres,
comme l’interdiction d’aider une femme à interrompre sa grossesse) :
-
l’information du patient est primordiale. Elle est définie dans le Code de la Santé
Publique10 et dans plusieurs articles du Code de Déontologie Médicale11. Elle doit être
« loyale, claire et appropriée » et porter sur l’«état [du patient], les investigations et les
soins »
-
indissociable de l’information, la notion de consentement « libre et éclairé »12
concerne tous les patients et tous les soins et traitements proposés
-
la prise en charge de la douleur et les soins de fin de vie se sont « démocratisés »
Ainsi le médecin n’est plus seul juge de ce qui est bon ou non pour le malade : le patient
intervient dans la prise de décision individuelle, et le législateur, dans celle, globale, de santé
publique.
Les connaissances
Dans le Serment d’Hippocrate, un des points importants est la transmission des savoirs. Cette
notion a totalement disparu du serment médical qui se focalise essentiellement sur les notions
de formation continue et de compétence du médecin.
46
Inversement, dans le serment médical, le partage des connaissances avec le grand public est
primordial dans une optique d’information et de prévention. Cette notion était inconcevable
pour Hippocrate et ses disciples qui n’échangeaient leur savoir qu’au sein de la « famille ».
47
III. APPROCHE SPECIFIQUE DES SERMENTS
POUR LE MEDECIN GENERALISTE
Au fil des siècles, la profession de médecin a connu diverses modifications dans sa
conceptualisation. En France, jusqu’à la période révolutionnaire, les médecins s’opposaient
aux chirurgiens, méprisant ouvertement ces derniers, issus de la corporation des barbiers. Peu
à peu, et notamment avec l’émergence de quelques spécialités médicales au XIXème siècle, la
notion de médecin de famille s’est imposée, dans une dimension d’omnipraticien. Après la
seconde guerre mondiale, la mise en place des CHU par la loi Debré de 1958 et
l’accroissement du nombre de spécialités médicales ont progressivement permis de dégager
les fonctions spécifiques qui caractérisent le contenu professionnel de la médecine générale.
A l’heure actuelle, la médecine générale se définit comme « une spécialité clinique orientée
vers les soins primaires»13. Cette notion de soins primaires a été précisée en 1996 par
l’American Institute of Medecine comme étant « des prestations de santé accessibles et
intégrées, assurées par des médecins qui ont la responsabilité de satisfaire une grande majorité
des besoins individuels de santé, d’entretenir une relation prolongée avec leurs patients et
d’exercer dans le cadre de la famille et de la communauté »14. En France, le médecin
généraliste est le premier recours aux soins : il reçoit tous les patients sans distinction d’âge,
de sexe, ou de pathologie. Il assure une prise en charge globale de la personne malade, la
continuité et la coordination des soins. Enfin il joue également un rôle fondamental dans la
prévention et la santé publique. La reconnaissance universitaire récente en tant que spécialité
ne vient que conforter cette évolution.
Ces rôles et fonctions du médecin généraliste semblent trouver un écho particulier dans la
confrontation aux valeurs des serments, notamment dans les spécificités de la médecine
générale : la visite à domicile et l’approche globale de l’individu. L’analyse des personnages
48
de médecins généralistes dans la littérature française, notamment chez les auteurs modernes,
nous apportera peut-être une réponse plus précise.
49
ANALYSE
BIBLIOGRAPHIQUE
50
I. RELATIONS DU MEDECIN AVEC SES PAIRS
Depuis des siècles, l’exercice de la médecine engage la responsabilité d’un homme, le
médecin, envers un autre, le patient. Le praticien, dans cette démarche individuelle, ne peut
cependant s’affranchir des enseignements issus du savoir et de l’expérience de ses
prédécesseurs ou de ses pairs.
A. LA TRANSMISSION DES SAVOIRS
1. La place du maître
a. Relation inégalitaire maître à élève
Le serment d’Hippocrate énonce très clairement la nécessité d’une transmission des savoirs,
dans un cadre réglementé qui n’est plus celui de la famille à proprement dit, mais qui met en
place de réelles relations de filiation entre le maître et son élève. Le respect, l’obéissance, la
loyauté et la reconnaissance du disciple envers son initiateur sont les fondements de leurs
rapports inégalitaires, initialement du moins.
Laurent Pasquier15, narrateur de la chronique familiale du même nom, étudie simultanément
la biologie et la médecine. Il désire plus que tout travailler aux côtés des savants de son
époque, « dans le rayonnement des grands », pour y « respirer le souffle des héros ». Dans le
tome « Les Maîtres », il prépare son doctorat ès sciences avec le professeur Chalgrin au
Collège de France et son doctorat de médecine avec le professeur Rohner à l’institut Pasteur.
Son choix est mûrement réfléchi et non le fruit d’un simple hasard : Laurent veut apprendre
et recherche un enseignement de qualité auprès de ces deux érudits qu’il admire
51
considérablement. Pour lui, « le mot patron veut (…) dire modèle et surtout père, c’est-à-dire
celui qui protège et même celui qui engendre » (Annexe 1). Après avoir été déçu de
nombreuses fois par son véritable géniteur, il est prêt à obéir, à travailler sans relâche, à se
donner corps et âme à ces hommes qu’il considère comme ses nouveaux guides, ses initiateurs
à la vie qu’il s’est choisie.
Au risque même de se désavouer : quand Catherine, l’assistante du laboratoire de Rohner,
meurt d’une endocardite après contact avec les cobayes sur lesquels le scientifique étudie une
nouvelle maladie, Laurent, proche de cette femme, tente pendant un court instant de s’opposer
à la décision d’autopsie. Mais le ton sarcastique de Rohner et sa force de persuasion laissent
Laurent sans voix, dans les abîmes profonds de la lâcheté. Au nom de la science, l’autopsie de
Catherine est réalisée, avec la participation active de Laurent qui en garde longtemps un
souvenir amer. L’autorité du maître a été la plus forte ; Laurent n’a pu que s’y soumettre :
« Tu ne sais pas ce que représente pour nous, jeunes hommes, apprentis de la médecine ou des
sciences, notre patron, notre maître. Tu ne peux comprendre que pour nous, les mots de
respect et d’obéissance ont encore un sens très fort, que ces gens peuvent nous faire, d’un
mot, d’un regard, parfois rougir, parfois trembler et parfois même pleurer. » (Annexe 1 bis).
A l’opposé du dégoût que lui inspire peu à peu Rohner, Laurent trouve un écho plus favorable
dans sa relation avec Chalgrin. Il découvre en lui la quintessence du maître. Leur
rapprochement progressif permet même à Chalgrin de se livrer à des confidences intimes,
comme il le ferait avec son propre fils (Annexe 1 ter). Il ne s’agit pas encore de rapports
égalitaires, mais ces épanchements démontrent que Chalgrin considère Laurent comme son
successeur spirituel et scientifique.
De même, Antoine Thibault16 a trouvé son maître en la personne du docteur Philip, au cours
de l’un de ses stages d’interne. L’attachement est réciproque : le patron reconnaît en lui le
disciple avec lequel il peut parler en toute confiance et liberté. Installé, Antoine exerce la
52
médecine libérale dans son cabinet mais retrouve parfois son initiateur pour des urgences à
domicile. A ses côtés, il retombe sous tutelle : l’autorité du « Patron » est immédiatement
restaurée malgré l’indépendance et l’expérience propre d’Antoine. Leurs rapports sont
devenus amicaux, professionnellement quasi-égalitaires voire concurrentiels parfois, mais le
respect et la considération du maître persistent malgré les années (Annexe 2).
b. Considération et reconnaissance éternelles du maître
Le maître représente, aux yeux de ses disciples, « l’idéal » et la perfection à atteindre, sur le
plan médical et parfois aussi sur le plan personnel. Son dévouement et sa passion suscitent
l’engouement et le respect des jeunes étudiants : chacun désire apprendre et se surpasser en
travaillant aux côtés de celui qui semble posséder Le Savoir.
Laurent Pasquier15 éprouve une réelle admiration pour ses deux mentors, teintée de sentiments
opposés.
A l’égard de Rohner, Laurent se sent progressivement partagé entre l’exaltation que lui
procurent les idées et travaux du chercheur, et l’aversion que lui inspirent le personnage et ses
méthodes.
En revanche, Chalgrin est son maître absolu, « celui qu’ [il] aime et dont [il sent] qu’ [il l’]
aura vraiment formé »17 : sa considération et son amour perdurent quand un accident
vasculaire cérébral rend son initiateur hémiplégique et aphasique. La décrépitude
intellectuelle définitive de celui qu’il vénère profondément, notamment pour sa vivacité
d’esprit, l’attriste mais il continue à lui rendre régulièrement visite. Les entrevues s’espacent
cependant progressivement au fil du temps : l’homme qu’il va voir n’est qu’un pâle reflet du
maître qu’il a perdu. Sa culpabilité s’exacerbe à la pensée de son désintérêt pour la réalité
53
physique de son guide. Mais, malgré la maladie de son cher patron, il reste à jamais marqué
par ses brillantes facultés passées (Annexe 3).
L’aura du maître est ainsi inaltérable, souvent même au-delà de la mort. Jean Reverzy, dans
son roman Place des angoisses18, met en scène le Professeur Joberton de Belleville. Issu
d’une prestigieuse lignée de médecins, il est lui-même chef de service reconnu et respecté
dans toute la ville. Chaque matin, après avoir bu sa tasse de café, il démarre sa visite suivi du
long cortège de ses disciples. Au pas de course, il parcourt tout l’hôpital pour examiner les
patients et délivrer, d’un lit à l’autre, son enseignement à la cinquantaine de personnes
pendues à ses lèvres. Après la visite, le maître se retire et abandonne ses élèves esseulés,
désemparés. Sa mort, quelques années plus tard est l’objet du même rituel : l’enterrement
regroupe la plus longue colonne de disciples que le professeur ait jamais eue (Annexe 4) et
son départ laisse un grand vide que rien ni personne ne vient combler : l’intelligence et
l’esprit du patron sont irremplaçables dans le cœur de ses initiés (Annexe 4 bis).
c. Humilité partagée vis-à-vis de la vie : l’apprentissage permanent du maître
L’étudiant en médecine est, à ses débuts, dépendant de l’enseignement que lui délivrent ses
aînés. Au fil du temps, il enrichit son savoir et son expérience personnelle : l’inégalité maîtredisciple s’atténue alors progressivement. Et comme le souligne le serment d’Hippocrate,
l’initié devient finalement lui-même initiateur.
Antoine Thibault19 découvre ainsi fortuitement qu’il peut lui aussi inspirer le respect à
d’autres médecins et acquérir le statut de maître. Lorsqu’une petite fille que connait M.
Chasle, le secrétaire de son père, se fait écraser par un triporteur, Antoine accompagne
l’homme anéanti à son domicile. Un jeune médecin est au chevet de l’enfant et tente de lui
54
donner les premiers soins. Lors de son examen, Antoine décèle une plaie de l’artère fémorale
et décide d’en réaliser la ligature sur-le-champ, sur la table de la cuisine. Après de longs
moments d’incertitude, l’enfant est finalement sauvée : le jeune médecin ne peut alors
contenir son admiration et son respect pour Antoine et le lui signifie en l’appelant « Maître ».
L’enivrement et la fierté passés, Antoine répond : « Je ne suis pas un maître […] Un élève,
mon cher, un apprenti : un simple apprenti. Comme vous. Comme les autres. Comme tout le
monde. On essaie, on tâtonne… On fait ce qu’on peut ; et c’est déjà bien. » (Annexe 5).
Antoine comprend alors que tout médecin, maître ou élève, est en perpétuelle formation et
que l’humilité et le surpassement de soi sont indispensables pour soigner correctement ses
semblables.
Jacques Chauviré exprime encore plus explicitement la nécessité d’un apprentissage continu
du praticien qui s’effectue, selon lui, dans la réciprocité du lien maître à élève. Dans son
roman Passages des émigrants20, le docteur Desportes travaille dans une résidence pour
personnes âgées accolée à un hospice. Pour l’aider dans sa lourde tâche et soigner au mieux
tous les pensionnaires, notamment les grabataires localisés dans les infirmeries de l’hospice,
deux internes, Masson et Fangio, l’assistent. Malgré quelques divergences sur les décisions
prises et les méthodes de travail, l’entente et la confiance règnent entre les trois hommes. Le
docteur Desportes n’hésite d’ailleurs pas à remercier ses jeunes confrères pour leur appui et
leurs compétences tout en soulignant la réciprocité de leur relation : « vous m’avez beaucoup
aidé […]. Il faut me seconder encore. Votre présence ici a transformé ma vie. Vous m’avez
non seulement apporté votre jeunesse mais aussi des connaissances nouvelles et un savoir plus
frais. Quant à moi, je vous ai donné ce que j’ai pu de mon expérience. Je crains de vous avoir
parfois appris le doute. Ne faites pas attention à mon scepticisme ». La transmission du savoir
s’effectue dans les deux sens : l’initiateur est conscient de l’apport de ses disciples pour sa
propre formation et pour la remise en question de ses convictions.
55
2. La transmission des savoirs au fil des siècles
La transmission de l’art médical et des savoirs est une question soulevée depuis de nombreux
siècles. Comme le préconisait Hippocrate, l’apprentissage de la médecine s’est longtemps fait
au lit du malade. Nous l’avons vu précédemment, la place des maîtres était alors
prépondérante : à leurs côtés, les étudiants apprenaient non seulement à diriger un
interrogatoire, à reconnaître et rechercher des signes cliniques, à soigner des pathologies mais
ils accédaient également à une forme de pensée, à une réflexion sur la manière d’appréhender
leurs semblables, la vie et la mort.
Peu à peu, ce mode de transmission a été modifié, notamment au XXème siècle avec les
découvertes scientifiques et médicales majeures, et la transformation des « hôpitauxhospices » en « hôpitaux-pôles d’excellence ». La loi Debré de 1958 crée en effet les Centres
Hospitalo-Universitaires
(CHU)
qui
deviennent
l’unique
et
incontournable
lieu
d’apprentissage de la médecine. La même année, le concours de l’externat, qui permet
d’accéder au concours de l’internat (les deux ayant été instaurés par Napoléon en 1802), est
supprimé pour que chaque étudiant puisse bénéficier de la formation pratique universitaire.
Les grands patrons existent toujours mais la masse des responsabilités administratives et
budgétaires auxquelles ils doivent faire face leur font reléguer l’enseignement au second plan.
Ces modifications entrainent un changement de perspective pour les étudiants : l’objectif
principal n’est plus de devenir médecin, mais de réussir le concours de l’internat pour accéder
à une carrière hospitalo-universitaire ou, au minimum, à une spécialité.
Un certain nombre d’auteurs pointent du doigt ce mode d’apprentissage qui délaisse la
pratique et se concentre sur l’acquisition de mécanismes et d’automatismes pour répondre
correctement aux questions posées le jour fatidique du concours. Antoine Sénanque21, JeanChristophe Ruffin22, Martin Winckler23, tous dénoncent le mode d’enseignement auquel ils
56
ont été confrontés. Qu’ils aient ou non suivi les règles énoncées et accédé au statut
d’ « interne des hôpitaux », ils se sont rapidement aperçu que le savoir qu’ils avaient acquis
ne leur permettait pas forcément de soigner les malades. Antoine Sénanque évoque ainsi sa
première garde, où, seul aux urgences, il doit se débattre entre le flot interminable des patients
et son incompétence (Annexe 6).
En 2004, le concours de l’internat a été remplacé, en fin de 2ème cycle des études médicales,
par l’examen national classant. Il permet, en intégrant la médecine générale au rang des
spécialités, d’offrir à chaque étudiant un poste hospitalier pour l’internat. Certains étudiants
préfèrent cependant redoubler plutôt que d’accéder à une spécialité qui ne leur convient pas.
A l’heure actuelle, la problématique de la formation du médecin est double : il s’agit d’une
part, d’enseigner aux médecins de demain les bases de la médecine et, d’autre part,
d’entretenir les connaissances et les compétences des praticiens d’aujourd’hui. L’avènement
d’Internet et la mise à disposition de toutes les données nécessaires permettent à chacun
d’obtenir rapidement les informations qu’il souhaite, mais poussent à délaisser l’apprentissage
par le « compagnonnage ». Cette réalité de terrain se retrouve également dans les documents
officiels : le serment médical n’inscrit plus la transmission des savoirs d’un maître à son
disciple comme valeur fondamentale, et relègue la formation individuelle du médecin dans les
derniers paragraphes de son texte.
57
B. LES RAPPORTS DE CONFRATERNITE
1. Fraternité et solidarité
Le serment d’Hippocrate ne limite pas les liens entre maître et disciple à une simple relation
d’enseignement. Tout comme le serment médical, il rappelle l’entraide indispensable qui doit
exister entre les membres de la même corporation.
Le sentiment d’appartenance à un groupe particulier s’inscrit très tôt dans l’esprit de l’étudiant
en médecine, d’une part par le principe de sélection appliqué dès les premières années
d’étude, et d’autre part, par les situations difficiles auxquelles chacun doit faire face
quotidiennement. Le soutien entre pairs est primordial pour supporter, physiquement, la
lourde charge de travail mais aussi, psychiquement, la confrontation régulière à la maladie et
la mort. L’épanchement larmoyant dans les bras des uns et des autres leur paraissant indigne
de leur condition et donc inenvisageable, les médecins, dans leur virilité primitive, préfèrent
chercher du réconfort dans la légèreté, le jeu, l’obscénité, le sexe, et libérer ainsi leurs
frustrations. Les repas en salle de garde en sont la plus belle représentation. Dans Un Léopard
sur le garrot22, Jean-Christophe Ruffin se souvient de ces moments de repos, pendant son
internat, où chacun se plaisait à jouer un nouveau rôle et acceptait de se plier à des règles
issues d’un autre temps. Personnage actif de la « cérémonie » du déjeuner (il avait, pendant un
de ses semestres d’interne, occupé la fonction d’« économe », c’est-à-dire de régisseur et de
chef de la salle de garde), il évoque avec nostalgie l’esprit de communion qui régnait et ce
sentiment intense de fraternité qu’il ressentait alors (Annexe 7).
Cette solidarité initiale, décrite ici sous son aspect le plus grossier, se poursuit également plus
tard sous d’autres formes. Martin Winckler, dans La Maladie de Sachs24, mentionne l’entraide
entre deux médecins généralistes de campagne pour assurer la continuité des soins en
58
l’absence de l’un ou l’autre (Annexe 8). Des situations plus dramatiques encore mettent en
exergue cette fraternité : René Allendy, médecin et psychanalyste de la première moitié du
XXème siècle, est atteint d’une insuffisance rénale chronique terminale. Pendant ses derniers
mois de vie, il écrit Journal d’un médecin malade25, dans lequel il relate sa vie quotidienne de
malade, ses pensées, ses impressions sur son entourage et sa maladie. Ses anciens confrères
viennent lui rendre visite dès qu’ils le peuvent : pour donner un avis médical, pour discuter
des évènements récents qui agitent le pays (nous sommes en 1942), ou pour évoquer leurs
problèmes personnels. Avec plus ou moins de courage, tous sont présents pour accompagner
l’un des leurs sur la longue route de la maladie, vers la mort. Conscients de leur impuissance
professionnelle, ils n’ont plus que le soutien moral et l’amitié à lui offrir.
2. Les aspects négatifs
L’entraide, la solidarité, la fraternité ne sont cependant pas toujours de mise entre médecins.
Dans ce métier où l’individualité prime, il est facile de jalouser et haïr ses confrères, de juger
leurs pratiques et leurs actes, voire de leur porter préjudice.
Sous prétexte de divergences d’opinion, la lutte entre deux hommes est fréquente dans la
communauté médicale. Laurent Pasquier15 l’expérimente auprès de ses deux maîtres qu’il
s’est choisis : il découvre en effet que les deux savants qu’il admire plus que tout, s’opposent
sur leur terrain de jeu commun, la science. En apparence, il s’agit d’un simple conflit d’idées
par articles interposés, mais Laurent réalise bientôt avec affliction que ses deux idoles se
vouent une haine implacable et féroce, les empêchant chacun d’apprécier à juste titre la valeur
des travaux de l’autre. Quitte à se déprécier et à se ridiculiser aux yeux de leurs disciples et de
la communauté scientifique, les professeurs Chalgrin et Rohner sont prêts à toutes les
bassesses (Annexe 9 et 9 bis). Rohner commet la pire des offenses en refusant de tendre la
59
main et de répondre au pardon que Chalgrin lui offre humblement pour clôturer leur querelle.
Le lendemain, Chalgrin est victime d’un accident vasculaire cérébral et prive Rohner de son
adversaire ultime, et d’une certaine manière du « sens même de [sa] vie ».
Dans Les Trois médecins26, Martin Winckler évoque lui aussi la rivalité entre deux hommes,
LeRiche et Vargas, coordinateurs respectivement des premier et deuxième cycle des études de
médecine à la faculté de Tourmens. LeRiche est gynécologue-obstétricien et porte aux nues la
chirurgie, tandis que Vargas est microbiologiste et vénère la clinique plus que tout.
L’affrontement n’est jamais direct entre les deux médecins : leur joute idéologique se
concrétise par l’intermédiaire des étudiants (Annexe 10). Le serment d’Hippocrate semble
bien loin pour ces personnages qui manipulent leurs disciples et ridiculisent le principe de
confraternité sous leurs yeux.
Parfois les faits semblent moins graves mais le sont tout autant en réalité. Prononcer certaines
petites phrases telles que « Ce n’est pas très sérieux »27 portant un jugement sur les actes d’un
confrère devant un(e) patient(e), revient à dénigrer et désavouer le confrère. De même, des
sentiments négatifs tels que la colère éprouvée envers l’un de ses collègues peuvent
transparaitre dans l’attitude, le regard ou l’expression du médecin et condamner la relation
instaurée entre le collègue et le (la) malade.
Antoine Sénanque donne un contre-exemple extrême de confraternité dans Blouse21 : Vadas,
chirurgien orthopédique hors pair, accepte d’opérer les cas les plus désespérés ce qui entraine
peu à peu une dégradation de ses rapports avec toutes les équipes (infirmières, anesthésistes,
radiologues). Un jour de garde, il opère en urgence une compression traumatique de la
moelle : le patient se retrouve paraplégique et la famille porte plainte contre le chirurgien. La
responsabilité de Vadas n’est pas établie, mais ses collègues et confrères, au lieu de le
soutenir, le délaissent voire l’accablent (Annexe 11). Le lien fraternel est rompu ; le serment,
bafoué.
60
II. RELATIONS MEDECINS/MALADES
A. LA QUALITE DE LA RELATION MEDECIN/MALADE
1. L’importance de l’approche
a. La compassion/ l’indifférence
Selon les principes ancestraux d’Hippocrate, l’objectif ultime du médecin est le bien du
malade. Pour ce faire, le médecin doit mettre en œuvre toutes ses ressources, ses
connaissances médicales mais aussi ses qualités humaines, afin d’assurer au mieux son rôle de
soignant.
Dans La Vie devant soi28, le docteur Katz est l’exemple même du médecin dévoué à ses
patients, compatissant et attentif, apportant du réconfort par sa seule présence. Apprécié par
tous les habitants du quartier, il est un modèle pour Momo, petit garçon arabe confié depuis le
meurtre de sa mère aux bons soins de Madame Rosa. Momo trouve souvent refuge dans la
salle d’attente du médecin, guettant l’apparition brève mais bienfaisante du docteur entre deux
patients. Sans pouvoir l’expliquer, il se sent mieux au simple contact de l’homme qui
correspond à sa représentation idéale du père qu’il n’a pas (Annexe 12 et 12 bis). Outre cette
image paternaliste et protectrice du médecin, Romain Gary attribue au docteur Katz une bonté
et un dévouement sans limites : quand les problèmes cardiaques de Madame Rosa s’aggravent
et qu’elle ne peut plus se rendre chez lui, le brave docteur, lui-même très fatigué, gravit les six
étages qui les séparent à dos d’homme, pour tenter de la soulager et apporter son aide à
Momo. L’autorité du docteur Katz sur ses ouailles est naturelle, liée au respect que les uns et
les autres portent au médecin.
61
Le personnage de Ferdinand Bardamu29 est à l’opposé de cette illustration du médecin
exemplaire. De retour de d’Amérique et après de multiples égarements, Bardamu s’installe
comme médecin à La Garenne-Rancy où il soigne des petites gens, encore plus pauvres que
lui, dans la tristesse de la banlieue et de la maladie. Un jour, appelé au chevet d’une jeune fille
victime d’une hémorragie cataclysmique dans les suites d’un avortement clandestin, il tente
vaguement de l’examiner mais cède rapidement devant l’importance des saignements. Il émet
alors l’idée de la transporter à l’hôpital mais recule précipitamment face aux protestations de
la mère qui préfère regarder sa fille mourir plutôt que de reconnaître devant tous l’erreur de
son enfant. Lâche, résigné, indifférent à la souffrance de la jeune fille qui se vide, Bardamu
s’assoit et attend passivement la fin. Au moment de partir, il réclame tranquillement son dû :
la mère lui octroie vingt francs pour son silence (Annexe 13). L’apathie et l’insensibilité de
Bardamu dans ces circonstances dramatiques sont incompréhensibles et répugnantes mais
reflètent l’accoutumance des médecins aux plaintes et aux souffrances des patients.
Les exemples d’indifférence à l’horreur sont en effet nombreux : le choix de la profession de
médecin l’expose quotidiennement à des situations effroyables et intolérables. L’insensibilité
trouve fréquemment sa source dans la répétition des faits : le docteur Rieux30, dans le contexte
particulier de l’épidémie de peste qui sévit dans sa ville, voit s’opérer en lui le changement
progressif qui l’amène à l’indifférence. Jour après jour, heure après heure, il délivre son
funeste message aux mères, aux familles qui voient leurs enfants, leurs parents, leurs frères et
sœurs, succomber progressivement à la maladie. Il comprend peu à peu que l’insensibilité
apparente et même l’endurcissement sont les seuls moyens qu’il possède pour poursuivre son
travail sans fléchir (Annexe 14).
62
b. L’empathie
Il existe une palette complète de sentiments négatifs éprouvés par les médecins face à leurs
patients. Le mépris des malades et de leurs symptômes est fréquent : comment montrer en
permanence de l’intérêt pour les histoires, les inquiétudes, les peurs de chacun ? Martin
Winckler, dans La Vacation31, n’hésite pas à exprimer ses sentiments de médecin, les « bons »
mais aussi les « mauvais » : ceux qu’il ne peut affirmer devant les patients mais que l’écriture
lui permet d’extérioriser. Il formule sa lassitude « [des] mères abruties d’angoisse au moindre
rhume de leur enfant, [des] sportifs en chambre assez cons pour aller se fouler la cheville le
samedi après-midi sur un terrain de foot, [des] vieux terrorisés par la dernière émission
médicale, [des] hommes déprimés par leurs conditions de travail »… Il manifeste aussi sa
colère contre l’irresponsabilité des parents qui viennent le voir pour l’interruption d’une
grossesse qui a largement dépassé le terme légal, et qui font semblant de ne pas comprendre
les enjeux (Annexe 15). Jean Reverzy32, de son côté, exprime le dégoût que ressent son
narrateur, médecin, lors de l’examen d’une femme (Annexe 16). Il connait les conditions de
vie difficiles de sa patiente qui occupe avec sa mère une pièce unique sans eau, mais ne peut
s’empêcher de focaliser sur sa malpropreté. Le médecin est déconcentré ; la consultation,
expédiée : la relation médecin/malade est mise à mal par les sentiments négatifs du soignant.
Le plus souvent, l’expression des « mauvais » sentiments est réalisée par les médecins les plus
sensibles, ceux qui se culpabilisent de les éprouver. Si le docteur Rieux30 trouve dans
l’indifférence la possibilité de se soustraire un temps aux souffrances de ses semblables, sa
compassion naturelle ne peut se laisser murer indéfiniment. Six mois après le début de
l’épidémie, il met tous ses espoirs dans un nouveau sérum pour tenter de stopper la maladie. Il
décide de tester le traitement sur le fils du juge Othon, déjà fortement atteint par l’infection. Il
regarde le petit corps se démener contre la fièvre et la douleur, et s’approche parfois pour lui
63
prendre le pouls et lutter avec lui. L’empathie qu’il éprouve pour ce petit être innocent
déchaine en lui un sentiment de révolte contre les souffrances qui lui sont imposées. Malgré le
sérum, l’enfant décède et le docteur Rieux, anéanti par son impuissance, sort de la pièce pour
laisser exploser sa colère (Annexe 17).
L’empathie, cette capacité de ressentir les émotions d’une autre personne, ne se retrouve pas
seulement dans les conditions extrêmes de la mort. Aimé33, ancien professeur atteint d’une
obésité importante, la ressent dans le regard que son médecin porte sur lui. Suivi depuis une
quinzaine d’années par le Professeur Baillancourt, il n’éprouve aucune sensation de jugement
dans le comportement du spécialiste. Celui-ci l’accueille simplement, avec compréhension,
sans chercher à imposer son avis et ses recommandations (Annexe 18). Son but est d’amener
Aimé à prendre conscience qu’il est acteur et non spectateur de sa pathologie et qu’il a en lui
les ressources pour modifier son comportement. L’empathie rend ici la relation
médecin/malade égalitaire : le patient partage les pouvoirs et les responsabilités dans son
traitement et ses résultats.
c. L’écoute
L’approche centrée sur le patient, telle que la propose le Professeur Baillancourt33, est une
conception récente de la relation médecin/malade, liée à l’évolution de la société et de la
médecine. En effet, l’avènement de la médecine scientifique dès la deuxième moitié du
XVIIIème siècle avait déjà modifié la relation médecin/malade. Du statut de simple serviteur,
le médecin, dans l’imaginaire collectif, était devenu le détenteur d’un savoir fabuleux : il était
non seulement capable d’observer et de reconnaître les maladies mais il avait aussi acquis,
progressivement, le pouvoir de guérir et, parfois, celui de sauver des vies. Au début du
XXème siècle, l’essor des découvertes médicales accentue le respect du public envers les
64
médecins. Ceux-ci en profitent pour asseoir leur position de notable au sein de la société et
leur autorité dans la relation médecin/malade. Le modèle du médecin paternaliste est donc le
seul envisageable : le médecin, donneur de soins, se place comme expert en matière de
diagnostic et de traitement et impose au patient sa stratégie thérapeutique. L’autorité du
médecin est naturelle et le malade, dépourvu de tout pouvoir, ne peut que s’y soumettre et se
taire. L’absence d’écoute du médecin peut cependant parfois lui porter préjudice. JeanChristophe Ruffin22 rapporte ainsi l’anecdote dans laquelle un de ses anciens patrons tient le
rôle principal : entrant dans la chambre d’un patient et pressé d’en finir, le médecin tient un
petit discours, à débit continu pour que le malade ne puisse l’interrompre, lui assurant que sa
tumeur est opérable. Quand enfin, il pense pouvoir sortir de la chambre et se libérer, le patient
prend la parole et lui indique que l’opération a déjà eu lieu la semaine passée (Annexe 19).
L’exemple est extrême mais montre la nécessaire prise de conscience des médecins de la
dualité de la relation médecin/malade. Le modèle traditionnel du médecin paternaliste existe
toujours mais l’éducation et l’accès à l’information par les patients ainsi que la modification
des pathologies (les maladies chroniques sont de plus en plus fréquentes), tendent à rendre la
relation médecin/malade de plus en plus égalitaire, mettant le patient au centre de sa prise en
charge.
L’écoute attentive du patient est alors primordiale, même si elle est parfois utilisée par le
médecin pour imposer son point de vue. Antoine Thibault34, atteint par les gaz lors de la
guerre de 1914-1918, en fait lui-même l’expérience auprès de son confrère qui le soigne. Le
docteur Bardot, collaborateur à la clinique du Mousquier, s’occupe des soldats et officiers
gazés au front. Il est passionné de médecine et se veut à l’écoute et au service de ses patients.
Persuadé de l’efficacité de ses traitements, il tente de convaincre tous ses malades, Antoine
compris, en les écoutant consciencieusement puis en multipliant les recommandations
(Annexe 20). Selon lui, passer du temps auprès des patients en prêtant une oreille attentive à
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leurs plaintes et en leur expliquant les différents traitements, augmente la compliance. Le
docteur Bardot est conscient de l’importance de l’écoute dans la relation médecin/malade
mais l’utilise à ses propres fins.
L’écoute permet de recueillir les confidences : la dimension thérapeutique du médecin s’en
trouve alors élargie. Il ne sert pas qu’à traiter les maladies du corps mais devient un
confesseur, un soignant de l’âme. C’est ainsi que le docteur Rieux30, en pleine épidémie de
peste, devient le dépositaire des secrets personnels de tous les autres personnages : Tarrou lui
raconte les secrets de son enfance ; le journaliste Rambert, son désir de rejoindre la femme
qu’il aime ; le vieux médecin Cottard, son rêve de réaliser le vaccin qui sauvera la ville. De
même, Joseph Grand, employé de mairie au service d’état civil, responsable des statistiques
(notamment du nombre de décès), vient lui livrer l’histoire de sa vie, l’échec de son mariage,
ses regrets. Il le fait simplement, n’hésitant pas à dévoiler ses sentiments à un autre homme :
la confiance qu’il porte au docteur Rieux lui permet de se délivrer enfin de son lourd fardeau
(Annexe 21).
2. L’information du malade
a. Le corps objet
Nous l’avons vu précédemment, l’autorité du médecin fait loi dans la médecine du XXème
siècle. Une des dérives majeures de ce principe établi est l’assujettissement total des malades
aux médecins, qui n’hésitent pas à utiliser leurs patients comme outils d’enseignement ou de
découvertes. Dans cette optique, il est bien évident que l’information du malade n’est pas la
priorité.
Plusieurs auteurs décrivent ainsi « la grande visite » du patron. La scène est toujours la même,
plus ou moins semblable à celle que rapporte Georges Simenon dans Les Anneaux de
66
Bicêtre35 : le professeur, personnage central de la procession, se déplace de lit en lit dans le
service et donne son avis sur la prise en charge des patients. L’objectif premier, le traitement
et la santé des patients, est souvent détourné au profit de l’instruction des jeunes étudiants,
qui, généralement, arrivent à peine à entrer dans la chambre, à entendre deux ou trois mots et
à entre-apercevoir le malade. L’humiliation des patients, mis à nus devant une dizaine,
vingtaine ou trentaine de personnes, est réelle mais anodine au regard de la science et de la
formation des futurs médecins (Annexe 22).
L’utilisation du corps des malades comme source d’enseignement a longtemps persisté en
France : Martin Winckler26 reprend un article du journal Le Monde du 10 mars 1978 dans
lequel Claire Brisset relate les Journées Dermatologiques de Paris qui rassemblaient plusieurs
centaines de congressistes à l’hôpital Saint Louis. Les malades étaient pourvus de numéros et
exhibés comme des animaux devant des médecins qui n’hésitaient pas à faire des
commentaires déplacés voire des attouchements. Les progrès de l’audiovisuel et la
contestation de ce genre de pratique par certains professeurs ont permis l’abandon de ces
« expositions » (Annexe 23).
Le corps malade est parfois aussi utilisé comme objet d’expérience. Le Professeur Rohner15
est très satisfait que son assistante Catherine ait attrapé, par contact avec ses cobayes, la
bactérie sur laquelle il travaille depuis tant d’années. Les expérimentations sur l’homme étant
interdites, Catherine lui offre un terrain d’étude très appréciable. Plutôt que de se préoccuper
de sa santé, il est déçu de ne pas voir apparaître suffisamment rapidement les signes de
défaillance cardiaque et rénale, et s’emporte quand la pauvre malade présente une pleurésie
qui ne cadre pas avec son « tableau ». Au décès de la fille, il réalise une autopsie pour prouver
que ses intuitions étaient les bonnes et publie ensuite « un mémoire sur le Stroptoccocus
Robneri et sur la maladie nouvelle dite maladie de Rohner »36. L’orgueil du savant doit
assouvir sa soif de renommée et importe plus que la vie de la pauvre assistante.
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La mort en effet, ne délivre pas les patients de l’emprise des médecins sur eux : l’intérêt
scientifique prime. Dans Le passage 32, Jean Reverzy décrit la vie de Palabaud à Tahiti puis
son retour en France pour des raisons médicales. Atteint d’une cirrhose avancée, Palabaud
passe entre les mains de plusieurs médecins pour finalement mourir dans le service du
professeur Joberton de Belleville, le plus réputé de la ville. L’éminent professeur, malgré la
certitude de l’origine du décès, réalise une autopsie pour contenter sa curiosité (Annexe 24).
b. De la communication verbale et non verbale au consentement libre éclairé
Tous les médecins n’utilisent bien évidemment pas leurs patients pour contenter leur vanité ou
leur curiosité. D’autant plus qu’au cours du XXème siècle, le malade prend progressivement
sa place dans la relation médecin/malade : l’accès à l’éducation facilite ce changement et
modifie peu à peu les relations de pouvoir au sein du couple. Le langage et la communication
prennent alors toute leur dimension.
Comme tout langage technique, le langage médical est indispensable pour une expression
précise mais peut devenir un jargon qui dresse une barrière entre ceux qui savent et les
profanes. Pendant longtemps, les médecins s’en sont servis pour manipuler les malades, mais
aussi pour les ménager ou cacher leur ignorance.
Le vocabulaire médical est particulier : il n’est pas accessible d’emblée à tout un chacun et
son acquisition contribue à la longueur des études. Antoine Sénanque explique bien dans
Blouse21 comment le médecin peut très facilement se camoufler derrière les mots
hyperspécialisés pour satisfaire la demande du patient et/ou dissimuler son ignorance (Annexe
25). Le chirurgien Lartois37, lui, utilise les termes savants non « pour se hausser devant
l’ignorant mortel, mais bien plus souvent pour mettre un écran entre le malade et son mal ».
Pour ménager son patient et éviter de lui expliquer que toutes ses artères, des pieds à la tête,
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sont « bouchées », il emploie des mots que le vieil homme ne comprend pas et n’hésite pas à
minimiser les conséquences en employant des métaphores : « il faudra peut-être faire des
sacrifices » signifie, dans l’esprit du chirurgien, « amputation ». Le malade, en revanche, n’a
probablement pas perçu les choses de la sorte.
Knock38, de son côté, a très tôt compris le bénéfice qu’il pouvait tirer du maniement du
langage de manière générale, et du langage scientifique en particulier : la manipulation des
personnes. A une patiente qui vient consulter pour une insomnie, il lui explique, en
agrémentant sa démonstration de termes plus ou moins médicaux, que son cas est d’une
extrême gravité. Puis il utilise les représentations et les peurs de la femme pour la convaincre
de la nécessité d’un traitement qui sera bien évidemment long et coûteux (Annexe 26).
D’autres modes de communication sont utilisés par les médecins pour transmettre des
informations à leurs patients. A une époque où les antibiotiques n’existent pas, le professeur
Philip16 vient donner son avis au chevet d’une petite fille atteinte d’une otite compliquée. Il
l’examine consciencieusement en silence, puis, relevant la tête, croise le regard du père qui a
déjà compris que la mort est certaine. Toujours sans prononcer un mot, il sort de la pièce et
s’apprête à partir mais revient finalement sur ses pas et transmet toute son empathie et ses
regrets au père en lui mettant simplement une main sur son bras. Puis il quitte l’appartement
(Annexe 27). Le professeur n’a pas eu besoin de mettre des mots sur l’issue fatale de la
maladie ou sur ses sentiments : la communication par le silence et le toucher a suffi.
A la fin du XXème siècle, la communication sert à l’information du malade. Celle-ci prend de
plus en plus d’importance dans la relation médecin/malade et devient même un point crucial
du serment médical. Les médecins ont maintenant le devoir d’expliquer à leurs patients leurs
pathologies, les traitements prescrits, les tenants et les aboutissants de leur prise en charge.
En effet, la non-information des malades peut avoir des conséquences dramatiques. Martin
Winckler26 relate l’histoire de cette jeune femme de vingt-huit ans, mère d’un enfant, atteinte
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d’une tuberculose génitale. Le gynécologue, au vu des résultats, lui annonce qu’elle est
stérile : la jeune femme suit son traitement antituberculeux et se passe de contraception.
Quelques mois plus tard, elle tombe enceinte et se réjouit à l’idée de pouvoir, finalement,
avoir un autre enfant. Mais les médecins l’informent alors que l’un des traitements qu’elle
prend est tératogène, et préconisent une interruption médicale de grossesse. La jeune femme,
suite à l’avortement, fait une dépression et tente de se suicider (Annexe 28). Les médecins,
par négligence ou manque de temps, n’ont pas pris le temps d’informer correctement la jeune
femme et ont mis sa vie en danger.
L’information des malades a son importance tout au long de la consultation, et
particulièrement au cours de l’examen clinique, pour éviter de blesser ou d’humilier les
patients. Notamment quand l’examen touche les zones intimes des personnes : dans La
Vacation39, le narrateur expose son point de vue médical de l’examen gynécologique d’une
femme, et ponctue son récit de phrases destinées à la patiente, pour l’informer des gestes et
des actes qu’il réalise (Annexe 29).
Mais le but ultime de l’information des malades est de leur permettre de réaliser un choix
éclairé en ce qui concerne leur prise en charge. Pour chaque circonstance, le médecin doit
pouvoir fournir les différentes alternatives possibles au malade, en lui précisant les bénéfices
et les inconvénients de chacune. Le patient peut alors choisir l’option qui convient le mieux à
sa situation personnelle. Le professeur Zimmermann26 nous offre un exemple éloquent de
consentement libre éclairé : lors d’un staff multidisciplinaire, différents médecins se disputent
au sujet de la prise en charge d’un vieux monsieur atteint de métastases bloquant ses deux
reins. Une des options est de le mettre en dialyse, ce qui lui donnerait trois à six mois de
sursis ; l’autre option étant de le laisser tranquille et de le regarder mourir en quinze jours. Les
médecins, n’arrivant pas à se départager, demandent l’avis du professeur Zimmerman. Celuici, au lieu de leur donner son point de vue personnel, propose d’aller voir ce qu’en pense le
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malade. Et le patient leur fournit la réponse : il préfère se faire dialyser pour avoir le temps de
terminer d’écrire son livre (Annexe 30).
L’autorité du médecin, imposée au malade pendant de nombreux siècles, a donc vu son
importance diminuer progressivement au cours du XXème siècle pour aboutir à une relation
plus égalitaire dans laquelle le choix libre éclairé est primordial, au bénéfice du patient le plus
souvent.
B. PRIMUM NON NOCERE
1. Primum non nocere et acharnement thérapeutique
Le plus connu des préceptes d’Hippocrate est le « primun non nocere ». Pendant longtemps,
les médecins ont eu peu d’armes thérapeutiques pour lutter contre les maladies : conscients de
leurs limites, ils pouvaient rapidement choisir, face à un malade, de le soigner ou de laisser
entre les mains du destin. Comme le rappelle Jean-Christophe Ruffin22, la sagesse ancestrale
des médecins leur apprenait le respect de la maladie et de la mort : ils pouvaient s’incliner
devant leurs ennemis invisibles quand ils reconnaissaient les signes de leur toute-puissance
(Annexe 31).
Mais le XXème siècle a rendu les médecins plus orgueilleux : en leur offrant un arsenal
thérapeutique inépuisable, des techniques de détection de plus en plus élaborées, des
méthodes chirurgicales de plus en plus poussées, la science a donné l’illusion aux médecins
de pouvoir combattre à armes égales avec la maladie et la mort, en oubliant, au passage, la
primauté de l’individu malade. Madame Rosa28 explique ainsi à Momo qu’elle ne veut pas se
faire hospitaliser car « les médecins vont [la] faire vivre de force ». Elle lui inculque que « la
médecine doit avoir le dernier mot et lutter jusqu’au bout pour empêcher que la volonté de
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Dieu soit faite. » Après les épreuves qu’elle a traversées dans sa vie, elle ne désire pas se
livrer aux soins des hôpitaux et subir un éventuel acharnement thérapeutique des médecins
(Annexe 32 et 32 bis).
Si les peurs de Madame Rosa peuvent paraître naïves dans leur expression, la notion
d’acharnement thérapeutique qui correspond à la poursuite d’un traitement lourd,
disproportionné par rapport au bien qu’en retire le patient, est bien réelle, comme le relatent
certains médecins. Jean-Christophe Ruffin22 regrette, aujourd’hui encore, de ne pas avoir
écouté, trente ans auparavant, une patiente qui lui demandait de la laisser tranquille et de ne
pas lui voler sa mort (Annexe 33). Antoine Sénanque21, de son côté, est conscient de tous les
actes nuisibles qu’il a effectués, destinés initialement à améliorer la prise en charge de ses
patients (Annexe 34).
Car la limite entre traitement utile et acharnement thérapeutique est parfois mince. Il est
difficile pour le médecin de se déclarer vaincu par la maladie et d’accepter de n’être plus
qu’un accompagnant qui soulage les souffrances d’autrui. Le docteur Desportes40, responsable
de l’hospice dans lequel est hospitalisé Montagnard, s’entête à vouloir « gagner du temps »
devant le déclin rapide de son patient. Montagnard souffre atrocement d’une escarre
talonnière mais Desportes ne peut se résoudre à lui administrer de la morphine qui le
plongerait dans l’inconscience (Annexe 35). Jacques Chauviré aborde ainsi la notion de soins
palliatifs qui en sont à leurs balbutiements en France lorsqu’il rédige son roman. Soins actifs
dans une approche globale de la personne atteinte d'une maladie grave évolutive ou terminale,
l’objectif des soins palliatifs est de soulager les douleurs physiques mais aussi la souffrance
psychologique, sociale et spirituelle. Les traitements et investigations déraisonnables sont
évités et la mort est considérée comme un processus naturel. Les lois de bioéthique encadrent
leur exécution pour éviter les dérives possibles telles que l’euthanasie, et sont régulièrement
actualisées depuis 1999 pour s’adapter à l’évolution des techniques et des thérapeutiques mais
72
aussi à celle de la société civile. Les Etats Généraux de la bioéthique, qui ont eu lieu en 2009,
vont ainsi permettre d’alimenter les réflexions sur différents sujets, dont l’accompagnement
en fin de vie et les soins palliatifs, pour la révision des lois prévue au cours de l’année 2010.
2. L’euthanasie
Le serment d’Hippocrate prône la primauté de l’individu et le respect de la vie à tout prix :
depuis l’Antiquité, la possibilité de donner ou de conseiller la mort à autrui est considérée
comme un interdit majeur et un manquement au « code d’honneur » du médecin.
Le problème ne se pose bien évidemment pas en termes de meurtre délibéré, où le médecin
serait une arme au même titre qu’un poignard ou qu’un pistolet. Il survient quand le médecin
atteint les limites de son savoir et de ses connaissances et qu’il se retrouve, impuissant,
confronté à la souffrance et à l’agonie de l’un de ses semblables. Le docteur Thibault16,
praticien rationnel, convaincu des bienfaits de la science et de la médecine, en fait lui-même
l’expérience à deux reprises : une première fois lorsque l’enfant de son collègue dépérit
progressivement des complications de son otite, et une deuxième fois, au chevet de son père
moribond. Son quotidien le met pourtant régulièrement face à la douleur et la mort, mais ces
deux situations le touchent particulièrement et remettent en question son pragmatisme serein
et ses convictions profondes. Quand son confrère Héquet regarde sa petite fille de deux ans
succomber lentement à l’infection dans d’atroces douleurs et lui demande de « faire quelque
chose », Thibault trouve tout d’abord refuge dans le principe majeur de la profession : le
respect de la vie (Annexe 36). Mais les pensées se bousculent dans son esprit : que sont les
notions de morale, de devoir, de bien et de mal face à la souffrance d’une petite fille atteinte
d’un mal incurable, d’un père et d’une mère, spectateurs impuissants de l’agonie de leur
enfant ? Ces considérations le ramènent à ses choix et ses responsabilités d’être social
73
pensant : comment, dans la même journée a-t-il pu ordonner de noyer les rejetons bien
portants de sa chatte et se justifier de ne pas abréger les tourments d’une enfant condamnée
par respect de la vie ?
Sans qu’il en fasse lui-même aussitôt le rapprochement, Antoine se retrouve quelque temps
plus tard dans une situation quasi-similaire à celle d’Héquet : son père, atteint d’une
insuffisance rénale terminale, présente des épisodes convulsifs de plus en plus rapprochés.
Les reins défaillants n’éliminant plus les médicaments, les médecins s’abstiennent de tout
traitement, notamment antalgique, qui pourrait, par son accumulation dans le sang, accélérer
le décès du vieil homme. Antoine lutte auprès de son père malade : il s’agite et cherche des
solutions alternatives pour le soulager. Mais rien n’y fait : le corps et le visage paternels
portent les stigmates croissants de la douleur. Antoine et son frère Jacques regardent,
impuissants, la déchéance de cet être proche. Las, désespérés, ils conviennent ensemble de
mettre fin à ce calvaire, mais c’est la main d’Antoine, celle du médecin, qui les libère du
spectacle de cette agonie. Le soulagement est immédiat : Antoine, malgré sa peine, ne peut
qu’approuver son comportement et ne se rend compte que le lendemain, après avoir reçu les
condoléances d’Héquet, de la gravité de son acte et de ses conséquences profondes (Annexe
37).
Plus récemment, Antoine Sénanque raconte, dans Blouse21, son expérience d’interne amené à
« aider à mourir » certaines personnes qui mettent trop de temps à partir. Il dénonce les
pratiques de l’institution et de ses représentants qui n’hésitent pas à faire porter la
responsabilité de la mort d’un être vivant à un jeune médecin qui injecte, seul, le cocktail
lytique et dont la conscience doit, toute sa vie durant, supporter ce poids (Annexe 38).
L’euthanasie est toujours interdite en France à l’heure actuelle, mais la médiatisation de plus
en plus fréquente des cas isolés porte le débat sur le devant de la scène politique et impose
74
une réflexion citoyenne sur le sujet, tout comme l’interruption de grossesse l’avait fait à la fin
du XXème siècle.
3. Le cas particulier de l’interruption volontaire de grossesse
Le serment d’Hippocrate proscrit l’interruption volontaire de grossesse. Longtemps en France
(et aujourd’hui encore dans de nombreux pays), les femmes ont dû se débrouiller seules ou
avec l’aide de soignants qui risquaient leur carrière, pour empêcher les grossesses non
désirées d’aboutir, bien souvent au péril de leur vie.
A l’image du chirurgien Lartois41, les médecins se sont longtemps dégagés de leurs
responsabilités sur ce sujet. Une jeune femme, Isabelle, vient le consulter pour un retard de
règles de cinq semaines suite à une relation qu’elle entretient avec un homme marié. Elle
s’effondre à l’annonce du verdict positif de grossesse et envisage tout simplement de se
suicider. Le discours du chirurgien est autre : il lui explique que l’interruption de grossesse est
possible et qu’il peut la diriger vers des mains expertes. En revanche, il ne veut en aucun cas
être associé à cette intervention qui lui fermerait les portes de l’Académie de médecine
(Annexe 39).
Les avortements clandestins étaient donc de mise en France avant leur légalisation par la loi
« Veil », adoptée le 17 janvier 1975 par l’Assemblée Nationale, et parue le 18 janvier 1975 au
journal officiel. Comme le rappelle Olivier Kourilsky dans son roman policier Meurtre avec
prémédication42, les répercussions de ces actes couramment pratiqués dans des conditions
plus que déplorables, étaient souvent fâcheuses. Son protagoniste, Joël, est médecin et sort
d’une nuit de garde pendant laquelle une femme a failli mourir des suites d’un avortement
clandestin. Les équipes médicales ont pu la sauver en lui retirant l’utérus : elle ne peut donc
plus avoir d’enfants mais ne laisse pas son mari veuf, et son fils, orphelin (Annexe 40).
75
Certains médecins pratiquaient malgré tout les avortements dans leur clinique ou cabinet pour
éviter ces tristes conséquences. Dans Les Trois médecins26, Martin Winckler relate comment
son père, gynécologue, avait, dès le début des années cinquante, commencé à faire des
interruptions volontaires de grossesse (Annexe 41). Puis dans La Vacation39, il raconte sa
propre expérience de médecin « avorteur ». La loi a, entre temps, légalisé l’interruption de
grossesse, mais le recrutement des soignants est toujours réalisé sur la base du volontariat.
Malgré sa volonté profonde d’aider ces femmes en détresse, et empreint le plus souvent d’une
réelle empathie à leur égard, il ne peut cependant s’empêcher parfois d’éprouver de la colère
ou de l’incompréhension à leur encontre. L’interruption volontaire de grossesse utilisée
comme moyen contraceptif lui est difficilement acceptable. Les situations qu’il décrit
montrent que les autorités publiques, les médecins et les patients ont, aujourd’hui encore, de
nombreux efforts à fournir en matière d’éducation et de prévention dans le domaine de la
contraception.
C. LES RAPPORTS A L’ARGENT : GRATUITE DES SOINS ET
CUPIDITE
La question de la rémunération des médecins n’est pas soulevée dans le serment
d’Hippocrate, et à peine évoquée dans le serment médical, sous forme d’un devoir de soins
envers les plus pauvres. C’est dire combien le sujet est délicat.
Comme le précise Jean Reverzy dans son texte Le Médecin et l’Argent43, le médecin a
souvent du mal à passer du statut de soignant à celui de commerçant. Sa pudeur naturelle
l’empêche de monnayer son empathie et ses conseils (Annexe 42). Cette réticence à se faire
payer se manifeste d’autant plus quand les malades sont pauvres. Bardamu29 évoque la
difficulté à demander les honoraires dont il a besoin pour vivre à des personnes encore plus
76
démunies que lui, et la honte qu’il ressent lorsqu’il perçoit cet argent (Annexe 43). L’accès
aux soins pour les plus défavorisés s’est heureusement amélioré après la seconde guerre
mondiale avec la création de la sécurité sociale, même s’il persiste aujourd’hui encore de
fortes inégalités. La gratuité des soins pour les plus désargentés est actuellement prise en
charge par le système de solidarité nationale et non plus par un seul homme à l’image du
docteur Desportes44, dont tout le village sait qu’il a veillé la mère Pouvrault nuit et jour
jusqu’à son décès, sans être rémunéré.
Les médecins ne sont pas toujours aussi exemplaires que les docteurs Desportes44 ou Rieux30
qui offrent gratuitement leurs soins aux indigents. Longtemps la médecine a effectivement été
un bon moyen de gagner beaucoup d’argent. Pour assouvir leur cupidité, certains médecins
n’hésitent pas à manipuler leurs patients : Knock38 en est l’exemple le plus éloquent. Après
avoir écrit une prétendue thèse « Sur les prétendus états de santé, avec cette épigraphe [...] :
« Les gens bien portants sont des malades qui s’ignorent » », il compte mettre en application
ses principes en reprenant le cabinet peu rentable du docteur Parpalaid dans le village de
Saint-Maurice. Il expose son point de vue au pharmacien Mousquet et lui explique « que tous
les habitants du canton sont ipso facto [leurs] clients désignés » : chaque personne, évaluée
comme une source de revenus et non comme un patient, porte en elle une maladie. Il suffit
juste de la lui révéler puis de lui proposer un traitement long et coûteux : le prix et la qualité
de la prise en charge varient même en fonction des moyens financiers de la famille (Annexe
44 et 44 bis). Knock arrive ainsi à hospitaliser la quasi-totalité du canton, en ménageant
cependant les personnes qui lui sont utiles, et s’enrichit très rapidement. La cupidité du
personnage est bien évidemment poussée à son paroxysme pour les besoins comiques de la
pièce, mais la réalité est souvent peu éloignée du tableau dressé par Jules Romains. Antoine
Sénanque21 dénonce ainsi les pratiques de certains médecins qui se désignent eux-mêmes
comme les meilleurs de leur spécialité et qui s’installent dans des quartiers adaptés pour faire
77
payer plus cher un service moins bon (Annexe 45). Ils profitent de la crédulité et de la bêtise
des gens pour s’enrichir. Le docteur Parpalaid38 résume ainsi le mode de fonctionnement de
ces patients et de ces médecins : « si les gens en ont assez d’être bien portants, et s’ils veulent
s’offrir le luxe d’être malades, ils auraient tort de se gêner. C’est d’ailleurs tout bénéfice pour
le médecin. »
D. L’ABUS D’AUTORITE
1. La corruption
La corruption par l’argent et le sexe est utilisée depuis des siècles pour influencer les
décisions des hommes de pouvoir, et donc des médecins. La société essaye régulièrement de
soudoyer ces hommes qui tiennent entre leurs mains le sort de leurs semblables, au risque,
pour le médecin, de bafouer le principe fondamental de la primauté de l’individu malade.
Martin Winckler26 rapporte l’anecdote survenue à son père gynécologue, à une époque où
l’interruption volontaire de grossesse n’était pas légalisée. Un catholique pratiquant, issu de la
haute bourgeoisie, lui propose une forte somme d’argent pour faire avorter sa fille (Annexe
41), pensant ne pas être dénoncé par un médecin juif. Bardamu29, lui, est contacté par un
couple qui désire placer sa grand-mère dans un asile, contre son gré. Il imagine l’argent qu’il
pourrait soutirer en établissant le certificat d’internement. Mais la grand-mère, encore alerte et
consciente du complot qui se fomente dans son dos, le chasse de la maison (Annexe 46).
Dans un autre genre, Antoine Thibault16 est lui aussi l’objet d’une tentative de corruption :
Mme de Battaincourt n’hésite pas à lui proposer les services de sa dame de compagnie, Miss
Mary. Elle espère ainsi obtenir, en retour, une prescription d’antalgiques disponibles
uniquement sur ordonnance (Annexe 47).
78
2. Le principe de non discrimination
Formulé peu clairement dans le serment d’Hippocrate, le principe de non discrimination dans
la relation médecin/malade est fortement mis en avant dans le serment médical.
La discrimination peut en effet rapidement faire surface dans la prise en charge des patients.
Les causes avancées sont multiples. La religion en est une : face à un patient chrétien qui suit
correctement les préceptes, le professeur Joberton de Belleville32 s’adoucit et devient plus
charitable (Annexe 48). Le sexe en est une autre : un professeur de neurologie fait examiner
une femme par chacun des quatre externes qui l’accompagnent, alors qu’il va, le lendemain
même, soustraire un homme à cette humiliation. Pour justifier cette différence de traitement, il
avance que « les femmes sont […] plus difficiles à appréhender » (Annexe 49). L’âge ou
l’état général d’un malade peuvent aussi lui porter préjudice : Antoine Sénanque21 rappelle le
combat que livrent chaque jour les médecins des urgences pour trouver un lit à ces patients
trop âgés ou trop grabataires pour être acceptés dans des services où ils empêcheraient un
rendement maximal (Annexe 50). Les privilèges existent également : les patients « privés »
des patrons sont souvent mieux traités ou exemptés des contraintes humiliantes de l’hôpital.
Maugras35, par exemple, a droit à une infirmière particulière qui s’occupe de lui seul toute la
journée. Il est par ailleurs dispensé de la grande visite trihebdomadaire du patron.
Même les meilleurs ne peuvent parfois résister à la tentation : le docteur Rieux30 tente de ne
pas commettre de discrimination au cours de l’épidémie de peste. Ainsi, la famille du juge
Othon est séparée, mise en quarantaine dans des lieux différents, lorsque le fils présente les
symptômes de la maladie. Mais lorsque son ami Tarrou commence à tomber malade, il
préfère le garder chez lui et veiller avec sa mère sur ses derniers instants (Annexe 51).
79
3. La séduction
Les rapports médecins/malades peuvent parfois dépasser le cadre strictement médical de la
consultation. Le serment d’Hippocrate énonce pourtant clairement l’interdiction volontaire de
toute entreprise de séduction de la part du médecin envers ses malades.
Martin Winckler39 rappelle le principe élémentaire de la consultation et du rôle du médecin :
« Bonhomme blouse blanche = médecin. Médecin = praticien neutre et bienveillant. Formé
pour écouter et soulager la souffrance. D’autrui. Pas pour poser ses sales pattes sur les corps
tendres et innocents, encore moins pour suggérer proposer préparer des rencontres. »
L’ambiguïté, pourtant, peut facilement s’installer : l’écoute d’un homme est rare et précieuse,
le corps d’un(e) malade peut être plaisant à regarder, les gestes destinés à l’examen médical
peuvent parfois prêter à confusion, et pour peu que les physiques s’accordent (Annexe 52)…
La séduction partagée aboutit alors parfois à une relation plus intime telle que la décrit Jean
Reverzy dans Le Passage32. Le médecin rompt le serment et, tel un châtiment, se trouve
contraint d’exposer à son tour son corps (Annexe 53).
Si ces jeux de séductions sont répréhensibles, l’abus d’autorité d’un médecin sur le corps de
ses malades l’est d’autant plus. Laurent Pasquier15 relate comment son maître, pour tester une
nouvelle thérapeutique par des bains lumineux, fait venir non un homme mais une jolie jeune
femme, et n’hésite pas à ponctuer ses remarques scientifiques de propos grivois (Annexe 54).
Le chirurgien Lartois41 profite lui aussi de son autorité pour abuser de ses malades. Isabelle,
venue le consulter pour un retard de règles, trouve tout d’abord un réconfort dans ses gestes
paternels. Mais elle s’aperçoit bien vite des réelles intentions du médecin et arrive à se
dégager à temps de son étreinte. Quand elle lui demande s’il agit de même avec ses autres
patientes, Lartois ne se cache pas d’entreprendre de telles choses avec certaines femmes,
moins farouches qu’elle (Annexe 55).
80
E. LE SECRET MEDICAL
Le secret médical est l’un des fondements de la relation médecin/malade. Inscrit dans le
serment d’Hippocrate, il a traversé les siècles et se retrouve aujourd’hui dans le serment
médical et le code de déontologie. Le médecin ne peut être délié du secret médical en dehors
de certaines dérogations précises, et est passible de sanctions pénales, administratives et
ordinales en cas de non respect de ce précepte.
La mort, par exemple, ne délie pas le médecin du secret médical. Le chirurgien Lartois41 est
conscient de l’importance du respect de ce principe aux yeux de tous. Lorsque l’un de ses
célèbres malades, le poète Jean de La Monnerie, décède, un des amis du chirurgien, le baron
Noël Schoudler, désire obtenir un article sur la fin du grand homme pour le journal dont il est
propriétaire. Lartois considère qu’il lui est impossible, de par sa profession, d’accéder à la
demande du baron et contourne le serment en proposant à un disciple du poète, présent lors de
sa mort, de rédiger le papier (Annexe 56).
Certains médecins sont toujours à la limite de la divulgation du secret. A la Résidence des
Cèdres40, les retraités s’observent et nouent progressivement des liens d’amitié. Quand l’un
d’eux est hospitalisé ou quitte la maison de retraite, tous sont perturbés. Un jour, une des
pensionnaires tombe et se fracture le col du fémur. Quelque temps plus tard, le couple
Montagnard s’enquiert de la santé de la pauvre femme auprès du docteur Desportes. Les
questions l’importunent mais il répond tout de même, plus ou moins évasivement (Annexe
57).
Le secret médical peut parfois être mis à mal de manière plus flagrante encore. Dans Les Trois
Médecins26, la femme du docteur Sachs s’inquiète pour l’état de santé de son mari et consulte
un neurologue. A partir des simples observations qu’elle a reportées sur un carnet, le médecin
lui donne un diagnostic, en l’occurrence fatal : son mari est atteint d’une sclérose latérale
amyotrophique et risque de mourir dans les six mois (Annexe 58). Le médecin aurait pu
81
opposer le secret médical à Mme Sachs, conformément à la loi. Mais il a décidé de lui délivrer
une information ne concernant pas son propre état de santé, au risque de s’opposer aux
souhaits de son mari, qui aurait peut-être préféré la savoir ignorante de son avenir sombre.
F. LE RESPECT DU SERMENT
La dernière phrase du serment d’Hippocrate porte sur le respect de son contenu, et les
conséquences qui en découlent en cas d’observance ou non de ses préceptes. Nous l’avons vu
précédemment, l’appropriation et la mise en œuvre des principes énoncés dans les serments
ne sont pas toujours aussi simples qu’il y paraît. L’exercice de la médecine demande à chaque
praticien, au cours de chaque consultation, une réflexion sur la conduite à tenir, non seulement
en termes de prise en charge thérapeutique, mais également dans sa relation avec le patient. Si
les exemples de manquement au serment d’Hippocrate sont nombreux, les conséquences pour
les médecins sont rarement décrites.
A la fin de son roman, Antoine Sénanque21 décrit l’erreur médicale qui l’a amené à noircir son
regard sur la médecine et sur lui-même. Une jeune femme vient un jour le consulter à la PitiéSalpêtrière où il travaille comme chef de clinique, pour céphalées évoluant par crises sur un
terrain anxio-dépressif. Il la revoit à plusieurs reprises et l’hospitalise même pour effectuer un
bilan approfondi, qu’il interprète comme normal. Trois mois plus tard, la jeune femme arrive
aux urgences dans le coma et décède rapidement. Il n’avait pas vu, trois mois auparavant, le
signe qui aurait peut-être pu sauver sa patiente. Cette erreur n’a pas fait l’objet d’un procès et
n’a pas menacé directement sa carrière. Il a affronté en temps voulu le jugement de ses pairs
et la désapprobation de son chef de service. Mais son témoignage révèle qu’il ne s’est
toujours pas pardonné cette faute. La responsabilité est un fardeau lourd à porter : elle peut
vous empêcher de vivre pleinement votre vie (Annexe 59).
82
De même, dans La Confession d’hiver45, Jacques Chauviré relate l’histoire d’un médecin
traduit devant la justice pour non-assistance à personne en danger. La famille de Mme Jolibois
estime en effet qu’il a commis une faute professionnelle grave en ne se rendant pas à son
chevet la nuit de son décès : le gendre avait pourtant confirmé au docteur Sicard que la vieille
dame avait été soulagée de sa nouvelle crise d’essoufflement par les soins donnés par
l’infirmière, et le médecin avait demandé à être tenu au courant de l’évolution de son état au
cours de la nuit. L’affaire, à première vue, ne semble pas mettre en cause le praticien mais la
rumeur de sa culpabilité, reprise par le journal local, s’amplifie peu à peu dans la petite ville.
Ses patients semblent le craindre, désertent progressivement son cabinet et viennent même
témoigner contre lui le jour du procès (Annexe 60). Condamné à verser une indemnité à la
famille de Mme Jolibois, il s’éloigne de la ville et des médisants pendant un ou deux mois
puis reprend progressivement son activité habituelle. S’il traverse cette épreuve dans une
quasi-indifférence, il est en revanche préoccupé par une faute bien plus grande à ses yeux,
commise envers le marinier Thierberghen : au cours de l’agonie de la femme de celui-ci, en
phase terminale d’un cancer, il lui ment et lui fait croire qu’elle va guérir, conformément au
souhait de la patiente qui souhaite épargner son mari. A sa mort, le marinier ne se remet pas
de sa disparition et sombre dans l’alcoolisme. Le docteur Sicard ne cesse de s’interroger sur
sa responsabilité, sur son rôle dans l’histoire de cet homme et dans celle de beaucoup d’autres
de ses patients : ses doutes et ses scrupules pèsent sur sa conscience. Le jugement du tribunal
lui paraît bien dérisoire comparé à toutes les interrogations et toute sa culpabilité cristallisées
dans son esprit (Annexe 61).
Comme l’énonce le serment d’Hippocrate, la justice des hommes influe sur la carrière ou la
réputation d’un médecin. Il semble pourtant que le plus difficile, pour le praticien, n’est pas
tant de faire face au mépris de ses semblables ou au déshonneur, mais de poursuivre sa vie en
portant, sur sa conscience, ces milliers de fautes inavouables et impardonnables à soi-même.
83
III. LES SPECIFICITES DU MEDECIN
GENERALISTE
La notion de « médecin généraliste » est récente et a succédé à celle d’ « omnipraticien »
utilisée auparavant. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, la multiplication du nombre
de spécialités et la création des Centres Hospitalo-Universitaires ont permis de définir
progressivement les rôles et fonctions du médecin généraliste, acteur majeur du système de
soins français actuel. Nous l’avons vu précédemment, tous les médecins sont concernés par le
respect des valeurs du serment d’Hippocrate : le médecin généraliste, par ses caractéristiques
propres, est lui aussi confronté quotidiennement à toutes les interrogations que soulèvent les
serments.
A. LE PREMIER RECOURS AUX SOINS
Le médecin généraliste est le premier recours aux soins : il reçoit tous les patients sans
distinction d’âge, de sexe ou de pathologie. Du nourrisson à la personne âgée, du patient
victime d’une urgence vitale à celui atteint d’une maladie chronique, de celui qui cherche une
écoute à celui qui désire uniquement une compétence technique, les malades sont multiples et
les motifs de consultation également. De fait, par la définition même de son exercice, le
médecin généraliste répond aux principes de non discrimination et de respect des patients
valorisés dans le serment médical. Martin Winckler consacre ainsi un chapitre entier, dans La
Maladie de Sachs24, aux différentes plaintes des patients qui se présentent à son cabinet. Les
questions du médecin sont peu nombreuses et toujours semblables : « que puis-je faire pour
vous ? », « qu’est-ce qui vous amène ? », « que vous arrive-t-il ? », « qu’est-ce qui ne va
pas ? »… Mais les réponses sont diverses, dans leurs formulations et leurs contenus : c’est une
84
longue litanie de ce qu’on pourrait appeler « pathologies », mais l’écriture propre au genre
littéraire lui donne à la fois un ton humoristique et tragique. Certains patients consultent le
médecin généraliste pour un problème purement physique ; d’autres parce qu’ils s’inquiètent
pour leur fille, mère, père, frère ; certains, pour recevoir une aide psychologique, ou pour
avoir un arrêt de travail, un renouvellement de traitement, la pilule, une lettre de
recommandation à un spécialiste (Annexe 62)… La multiplicité des demandes nécessite une
écoute et une approche particulière de chaque patient. Les qualités intrinsèques du médecin
mais aussi ses compétences médicales sont en permanence mises à contribution. Le médecin
généraliste ne peut cependant être performant dans tous les domaines et doit être conscient de
ses limites : deux possibilités s’offrent alors à lui, comme le rappelle le serment médical. La
première option consiste à se former sur un sujet qu’il ne maîtrise pas : à l’aide d’ouvrages
validés (ou de sites spécialisés sur Internet), tel que le fait le docteur Sachs pour apprendre à
réduire une luxation de la mandibule (Annexe 63); ou auprès de confrères spécialistes comme
Martin Winckler le relate dans La Vacation39 (Annexe 64). La deuxième alternative consiste à
adresser le patient à un confrère ou à un service adapté aux besoins du patient. Ainsi, lorsque
le docteur Sicard45 reçoit pour la première fois Maria Thieberghen, une de ses voisines, il
écoute tout d’abord attentivement sa plainte : Maria vient le consulter pour une asthénie
grandissante et une gêne dans le bas-ventre. La palpation de l’abdomen indique rapidement au
médecin que sa nouvelle patiente développe une tumeur : essayant tant bien que mal de cacher
son désarroi et son inquiétude, il la prévient de la nécessité d’une intervention chirurgicale. Il
contacte l’un de ses confrères chirurgien puis écrit une lettre à son intention, qu’il remet à
Maria (Annexe 65). Le médecin généraliste, en tant que premier recours aux soins, est ici
confronté à une pathologie lourde, nécessitant un avis et des soins spécialisés qu’il ne peut
assurer : la prise en charge optimale pour la patiente consiste à l’adresser à un confrère plus
compétent.
85
B. LA COORDINATION
ET LA PRISE EN CHARGE GLOBALE DE LA PERSONNE
A l’heure actuelle, la coordination des soins est l’une des fonctions primordiales du médecin
généraliste, dans l’optique d’une meilleure prise en charge de la personne malade. Possédant
tous les éléments du dossier médical de ses patients ainsi que les données professionnelles,
familiales et sociales, le médecin généraliste est probablement le mieux placé pour établir le
lien entre les éventuels spécialistes et pour évaluer l’intérêt ou non d’un examen
complémentaire ou d’un traitement pour un patient particulier, en tenant compte de l’avis de
chacun. Cette notion de « coordination des soins » est récente et son application n’est pas
évidente. Elle demande en effet, de la part des différents intervenants, d’oublier les vieilles
querelles et rancœurs qui les séparent depuis longtemps : Jacques Chauviré le rappelle dans
La Confession d’hiver45, les médecins ont tout d’abord été divisés entre les mandarins,
hautement titrés et pécuniairement à l’abri de tout problème, et les « petits » praticiens,
contraints de se surmener pour s’assurer des revenus convenables (Annexe 66). Ce clivage
financier et hiérarchique s’est progressivement modifié au cours du XXème siècle pour
devenir une lutte instituée dès les premières années d’étude, au sein de l’université, entre les
futurs spécialistes et les futurs généralistes. Dans Les Trois médecins26, Martin Winckler
rapporte ainsi les effets secondaires de la mise en place du concours de l’Internat : sur les
bancs de la faculté et au cours des différents stages, les étudiants en médecine sont fortement
encouragés, par leurs aînés et certains maîtres, à préparer le fameux concours, pour ne pas
devenir les médiocres praticiens que sont, selon eux, les généralistes (Annexe 67). La mise en
place de l’Examen National Classant en 2004 et la reconnaissance universitaire de la
médecine générale comme spécialité médicale vont probablement permettre une meilleure
compréhension entre les différents acteurs du système de santé, au bénéfice du patient.
86
En effet, le patient est maintenant placé au centre de sa prise en charge : les médecins qui
l’entourent contribuent à l’amélioration de son état de santé en tenant compte de tous les
éléments qui le caractérisent. Madame Deshoulières24 souffre depuis de nombreuses années
d’une maladie incurable : quand son médecin lui répond un jour qu’il ne peut plus rien faire
pour elle, elle décide d’en consulter un autre. Le docteur Sachs, dès les premiers moments, lui
indique qu’une action médicale est toujours possible : sans lui mentir- la guérison étant
inenvisageable- il tente à chaque visite de soulager ses douleurs en prescrivant des antalgiques
adaptés. La simple écoute attentive de ses symptômes permet à Madame Deshoulières de se
sentir mieux pendant quelque temps. Le médecin aide également son mari désarmé en
recueillant ses confidences et en lui assurant un soutien psychologique (Annexe 68). Dans ce
cas, le médecin traitant s’efforce d’améliorer au maximum le confort de vie de la patiente, par
sa présence et ses prescriptions : il accompagne le couple sur le long et dur chemin de la
maladie.
C. LA VISITE A DOMICILE
La médecine générale, en soignant les individus dans le contexte de leur famille et de leur
environnement (comme Hippocrate et ses disciples en leur temps), respecte au mieux le
premier devoir énoncé dans le serment médical, celui « de rétablir, de préserver ou de
promouvoir la santé dans tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux ».
La visite à domicile en est l’exemple le plus frappant. Le médecin généraliste est, à l’heure
actuelle, le seul praticien à se rendre chez le patient, à l’exception des unités d’urgence et des
rares spécialistes qui continuent à se déplacer. Il connaît les malades dans leur univers
quotidien. Il est « admis dans l’intimité des personnes », et « reçu à l’intérieur des maisons » :
il fait un peu partie de la « famille ». Son avis est primordial pour le malade qui a
87
généralement toute confiance en lui. Quand le docteur Sachs24 se rend chez Madame
Destouches, il réalise trois types d’actes : sur le plan médical, il soigne ses ulcères et surveille
sa tension ; sur le plan social, il rédige un certificat pour que Madame Destouches puisse
bénéficier d’une aide-ménagère ; et enfin, il écoute sa patiente lui raconter ses déboires
personnels. Son fils, Georges, handicapé, vit avec elle : il dépense sa pension en boissons et
devient de plus en plus violent. Sa fille veut que le docteur Sachs rédige un certificat
d’internement à l’encontre de Georges. Le médecin demande l’avis de sa patiente qui lui fait
promettre de ne jamais agir de la sorte : ainsi, lorsque la fille de Madame Destouches l’appelle
directement, il refuse catégoriquement d’accéder à sa demande, d’autant plus qu’elle semble
correspondre à des convenances personnelles et non à un réel intérêt pour le bien-être de sa
mère et de son frère. Quelque temps plus tard, il apprend que Georges a été placé par sa sœur ;
il vient visiter Madame Destouches dans son nouveau logement : elle supporte difficilement
la séparation et la solitude, et s’inquiète pour son fils. A juste titre : peu après, celui-ci met fin
à ses jours et Madame Destouches pense en faire de même. Le médecin généraliste avait
compris l’attachement viscéral de la mère et de son fils, chacun étant indispensable à
l’équilibre de l’autre malgré un quotidien difficile. La fille, en faisant appel à ses propres
connaissances et réseaux pour interner Georges, a rompu la cellule familiale et a mis en péril
deux vies (Annexe 69). Le médecin généraliste, par sa proximité spatio-temporelle et par les
liens qu’il crée avec ses patients, appréhende au mieux leur univers, leurs situations sociales,
familiales, financières ainsi que leurs pathologies, leurs addictions, leurs fonctionnements...
Dans sa fonction idéale de « médecin de famille », il acquiert au fil du temps des informations
qui lui permettent une lecture plus globale de l’individu et de sa maladie. Ce rôle est
cependant de plus en plus limité par le « nomadisme médical » des malades.
88
D. LA CONTINUITE DES SOINS
Le médecin généraliste contribue à la continuité des soins du système de santé français en
assurant des gardes de nuits ou de soirées et des gardes de dimanche. Les citoyens ont ainsi à
leur disposition un recours simple aux soins en cas d’urgence, en complément des services
spécialisés dans ce domaine. Généralement proposé par les mairies, le tour de garde est
organisé entre les médecins d’une même ville ou commune, et est régulé par le 15, ce qui
permet de limiter l’encombrement des services d’urgences hospitaliers. Ce type
d’organisation est primordial à la campagne où l’accès aux hôpitaux est souvent plus
compliqué pour les malades qu’en agglomération. Ainsi le docteur Sachs24, lorsqu’il est de
garde de nuit, parcourt des kilomètres pour soulager les familles de leurs angoisses, de leurs
peurs, mais aussi pour constater des drames et parfois aider réellement des malades (Annexe
70). Le dimanche, il alterne consultations au cabinet et visites à domicile selon les possibilités
de déplacement des malades qui viennent le voir : sa présence permet de traiter les
pathologies les plus courantes nécessitant un traitement immédiat, telles les crises d’asthmes
(Annexe 71), ou de proposer une écoute attentive à des personnes en souffrance morale
(Annexe 72). Au cours de sa garde, le docteur Sachs consigne, dans un petit carnet, les motifs
de consultations de chaque malade qu’il a vu, ainsi que le nom de leur médecin référent. Cette
habitude lui permet, dès le lendemain, de tenir informés ses confrères des évènements
survenus pendant le week-end pour leurs patients, afin d’assurer une meilleure continuité des
soins et une coordination des actes médicaux. La primauté de l’individu et de ses intérêts sont
ainsi respectés et valorisés (Annexe 73).
89
CONCLUSION
Vingt-cinq siècles séparent Hippocrate de Cos et ses disciples, des médecins d’aujourd’hui : si
les préceptes ancestraux exposés dans le Serment d’Hippocrate restent majoritairement
d’actualité, certaines valeurs ont cependant été modifiées au cours du temps, parallèlement à
l’évolution de la société et des pratiques médicales.
La première valeur importante du serment, la transmission des savoirs, a de ce fait subi des
changements majeurs dont témoigne la littérature. L’autorité du maître et le compagnonnage,
ainsi que nous l’avons vu, encore présents dans les œuvres du début du XXème siècle, ont peu
à peu laissé place à l’apprentissage individuel. La valorisation de l’autoformation, l’évaluation
formative et la docimologie constituent les bases de la pédagogie contemporaine. Le
paradigme d’apprentissage a glissé comme l’indique le serment médical : l’objectif premier
du médecin n’est plus l’acquisition de connaissances, mais celle de compétences à entretenir
tout au long de sa carrière.
En ce qui concerne le principe de confraternité, les exemples et contre-exemples relevés
montrent que les rapports entre médecins ont peu changé. Liés à la nature humaine, ils sont
parfois amicaux, voire affectueux ; et d’autres fois, plus rarement, haineux, malveillants.
Le tempérament et l’état d’esprit du médecin influent également dans sa relation avec le
malade. Si la qualité du lien établi varie depuis toujours selon les caractéristiques intrinsèques
de chaque médecin, l’apport du XXème siècle a été primordial dans la prise en compte de la
volonté du patient concernant sa pathologie et son devenir. L’information du malade et le
recueil de son consentement sont aujourd’hui indissociables du pacte de soins : le praticien ne
peut plus imposer ses décisions unilatéralement, mais doit considérer son patient comme un
partenaire et un acteur du soin. La difficulté s’accroit quand la médecine atteint ses limites ;
quand il n’est plus question de vie, mais de douleur et de mort. Avec l’amélioration des
90
techniques et des connaissances, le principe du « primum non nocere » est l’objet d’un débat
houleux : où débute et s’arrête l’acharnement thérapeutique ? Comment faire face au refus de
soins ou de vie ? Peut-on reconnaître un « droit à mourir » ? L’analyse bibliographique révèle
que, si la littérature est capable d’intégrer la notion d’interruption volontaire de grossesse ou
de dénoncer celle d’acharnement thérapeutique, les concepts de soins palliatifs voire
d’ « euthanasie d’exception » sont encore trop récents pour qu’elle les relate. Les seuls
exemples retrouvés sont issus d’actes isolés, de médecins face à leur décision et leur
conscience, et ne correspondent pas à l’aboutissement d’une réflexion citoyenne sur ces
sujets.
Les notions de secret médical et d’abus d’autorité sont, quant à elles, toujours représentées
dans la littérature des XXème et XXIème siècles, sans évolution majeure les concernant. En
revanche, la question de la rémunération du praticien, abordée dans le serment médical mais
non dans le Serment d’Hippocrate, est régulièrement évoquée par les auteurs. De la gratuité
des soins supportée par le médecin au début du XXème siècle, à la création de la Sécurité
Sociale au lendemain de la seconde guerre mondiale, l’accès aux soins s’est globalement
démocratisé en France. Mais la cupidité inhérente à la nature humaine et l’accroissement
régulier du déficit public peuvent mettre en péril cet équilibre fragile et accentuer les
inégalités. Ces dernières, perceptibles au niveau national, sont flagrantes au niveau mondial,
et poussent certains médecins à s’engager sur les voies de la médecine humanitaire ou de
l’action politique internationale.
De son côté, le médecin généraliste, au contact constant des populations, est souvent un
spectateur démuni face aux soubresauts économiques et politiques auxquels ses patients
doivent faire face. Il assure son rôle de premier recours aux soins et prend en charge ses
malades dans leur globalité. En maintenant les visites à domicile, il est parfois le seul lien
social de certaines personnes. Son action au sein du système de soins français a bénéficié
91
d’une reconnaissance récente, mais pas toujours effective. A noter que la littérature de ces
dernières années n’évoque pas les fonctions du médecin dans sa dimension de santé publique.
Les enseignements d’Hippocrate de Cos ont traversé les siècles pour parvenir jusqu’à nous
quasi-intacts. Les questionnements des médecins sur l’éthique de leur profession seront sans
cesse renouvelés au gré des découvertes technologiques, des innovations thérapeutiques et de
l’apparition de nouvelles pathologies : la littérature des XXIème et XXIIème siècles sera
probablement le miroir de ces problématiques du futur. Restera quoi qu’il advienne : le
malade, le médecin et la maladie.
92
BIBLIOGRAPHIE
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10. Article L 1111-2 du Code de la Santé Publique, (loi du 04 mars 2002)
11. Articles 35, 64, 102 et 107 du Code de Déontologie Médicale
12. Article 36 du Code de Déontologie Médicale
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19. ROGER MARTIN DU GARD. Les Thibault. Tome I. La belle saison. Paris : Editions
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20. JACQUES CHAUVIRE. Passages des émigrants. Paris : le dilettante, 2003, p. 295
21. ANTOINE SENANQUE. Blouse. Paris : Editions Grasset et Fasquelle, 2004
22. JEAN-CHRISTOPHE RUFFIN. Un Léopard sur le garrot. Paris : Editions Gallimard,
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23. MARTIN WINCKLER. En Soignant, en écrivant. Montpellier : Indigène éditions, 2000
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26. MARTIN WINCKLER .Les Trois médecins. Paris : P.O.L. éditeur, 2004
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29. LOUIS FERDINAND CELINE. Voyage au bout de la nuit. Paris: Editions Gallimard,
1952
94
30. ALBERT CAMUS. La Peste. Paris : Editions Gallimard, 1947
31. MARTIN WINCKLER. La Vacation. Paris : P.O.L. Editeur, 1989, p. 162
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33. PHILIPPE CORNET. Chair Tombale. Paris : le cherche midi, 2007
34. ROGER MARTIN DU GARD. Les Thibault. Tome V. Epilogue. Paris : Editions
Gallimard, 1940
35. GEORGES SIMENON. Les Anneaux de Bicêtre. Georges Simenon Limited, 1962
36. GEORGES DUHAMEL. Chronique des Pasquier. Les Maîtres. Paris : Omnibus, 1999, p.
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37. MAURICE DRUON. Les Grandes familles. Paris : Plon, 1993, p. 476-477
38. JULES ROMAINS. Knock. Paris : Editions Gallimard, 1924
39. MARTIN WINCKLER. La Vacation. Paris : P.O.L. éditeur, 1989
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41. MAURICE DRUON. Les Grandes familles. Le mariage d’Isabelle. Paris : Plon, 1993
42. OLIVIER KOURILSKY. Meurtre avec prémédication. Paris : Editions Glyphe, 2007
43. JEAN REVERZY. A La recherche d’un miroir. Le Médecin et l’Argent. Paris :
Flammarion, 1977
44. JACQUES CHAUVIRE. Passage des émigrants. Paris : le dilettante, 2003, p. 103
45. JACQUES CHAUVIRE. La Confession d’hiver. Cognac : Le temps qu’il fait, 2007
95
SOURCES ICONOGRAPHIQUES
L’iconographie de la page 32 a été réalisée à partir d’un document provenant de la collection
de l’Académie nationale de médecine.
Photographe : Petit, Pierre (1832-1909)
Photographie d’estampe/ Don de M. Hippolyte Larrey le 23 septembre 1879/ Collection du
Dr Barrate
96
ANNEXES
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ANNEXE 1
GEORGES DUHAMEL. Chronique des Pasquier. Les Maîtres. Paris : Omnibus, 1999, p. 646-648
« Cette idée de rechercher les agglutinines - cela ne te dit rien, mais fais comme si tu comprenais cette idée m’est personnelle. En ce moment, presque toutes les idées qui fermentent dans mon esprit
viennent du patron. Je l’avoue sans vergogne, je l’avoue même avec fierté. Nous avons, surtout au
Désert, où nous étions entre mauvaises têtes, entre anarchistes pour mieux dire, nous avons cultivé des
idées absurdes sur l’originalité. Nous avons aussi perdu le sentiment de l’obéissance et ce serait un
grand malheur si cette perte était irréparable et définitive. Sois rassuré quant à moi. Je fais des progrès
dans l’individualisme – je t’expliquerai comment et pourquoi ; je plaiderai ma cause à ton regard – je
fais donc des progrès dans l’individualisme sauveur ; mais, sur la première page de tous mes cahiers,
j’ai écrit, pour moi seul, et au moyen de signes secrets, cette maxime laconique : « Obéir d’abord. » Ne
t’imagine pas qu’en acceptant cette sentence j’abandonne provisoirement mon libre arbitre. Cela
signifie, dans mon esprit : « Choisir ses maîtres, après mûre réflexion, et leur obéir. » Tu voudras bien
noter que j’ai dit « ses maîtres » et non « ses chefs ». L’idée du chef ne m’est pas absolument
étrangère, pourtant elle m’est moins sensible que celle du maître. Je veux apprendre – c’est-à-dire
prendre, saisir – je veux m’accroître, peut-être parce que j’appartiens à une famille en pleine poussée
de sève, en pleine ascension, comme dit Joseph qui, lui, confond l’ascension et la richesse. Ce que je
demande, ce n’est pas de me délivrer de toute responsabilité, ce n’est pas de marcher les yeux clos, ce
que je demande, c’est de la nourriture, de la substance. Je veux un enseignement.
Je sais très bien qu’un vrai chef est aussi un maître, puisqu’il enseigne, par exemple, le courage,
l’esprit de décision. […].Mais que ferais-je d’un chef, moi qui ne suis pas homme d’action ? Non, non,
ce que je demande, ce sont des maîtres.
Tu vas sûrement penser : pourquoi « des » maîtres ? Un seul maître, si c’est un vrai maître, ne suffit-il
pas ? Sois bien sûr que j’ai délibéré sur ce point. On peut se tromper dans la recherche des maîtres.
[…]
Pour moi, le mot patron veut toujours dire modèle et surtout père, c’est-à-dire celui qui protège et
même celui qui engendre. Dans la société médicale, que j’aime vraiment de tout cœur, l’élève appelle
son maître « monsieur ». Tu ne peux imaginer comme ce simple mot est beau, comme il est noble et
respectueux quand il est adressé par un jeune homme à celui qui l’instruit et le guide. Si les rapports
deviennent plus cordiaux entre le maître et le disciple, celui-ci, dans les instants d’intimité, ne dit plus
« monsieur » et se permet de dire « patron ». C’est ainsi que je parle à M. Chalgrin et, bien que ce ne
soit pas l’habitude au Collège, il souffre cette appellation en souvenir de sa vie dans les hôpitaux. Je
crois même qu’elle le touche et qu’il y voit un signe de vénération filiale.
Je vais préparer ici ma thèse de doctorat ès sciences. Pour ma thèse de médecine, que je passerai en
même temps, je souhaite de travailler chez Nicolas Rohner, sans quitter d’ailleurs ma place au
Collège. Je t’ai parlé de deux maîtres, et tu vois où je te conduis.
J’ai sollicité la place de préparateur actuellement vacante dans le laboratoire du professeur Rohner.
J’attends la décision. C’est une fonction très mal payée, mais qui me permettra d’approcher un des
hommes les plus intelligents de ce temps et de travailler dans son atmosphère. »
98
ANNEXE 1 BIS
GEORGES DUHAMEL. Chronique des Pasquier. Les Maîtres. Paris : Omnibus, 1999, p. 730-733
« Catherine est morte. C’est fini. […]
La majesté de la mort est quand même quelque chose de fort, car le Vieux a tiré de son âme aride un
mot de miséricorde, un pauvre mot de confection. Il a dit : « C’est un malheur. » Puis, très vite, il est
retombé dans ses pensées de maniaque. Il a jeté sa cigarette et s’est frotté les mains- crois bien que je
n’exagère pas. – Il murmurait :
- Intéressante autopsie en perspective !
J’ai balbutié :
- Mais, Monsieur…
Il m’a regardé, pendant une grande minute, de cet œil bleu, de cet œil froid dont je ne peux supporter
la lueur. Puis, détachant toutes les syllabes :
- Nous ferons cette autopsie ensemble, vous m’entendez bien, Pasquier. On m’a dit que Mme
Houdoire n’avait aucune famille. Personne donc ne va réclamer le corps et nous ferons
l’autopsie, tous les deux dimanche matin. Je vais prévenir Lespinois.
J’ai dit encore, faiblement :
- Monsieur, je dois vous avouer…
Rohner a pris soudain ce ton sarcastique et revêche qui doit être une de ses réactions de défense –
quelque chose de comparable à l’attitude spectrale des insectes attaqués.
- Qu’est-ce que vous devez m’avouer ? Que vous avez couché, peut-être avec Mme Houdoire.
Quand bien même cela serait…
- Mais non, Monsieur, je vous assure.
- Ne vous défendez pas. Quand bien même ce serait, cela ne peut vous empêcher de remplir
votre fonction. Pas de sentimentalité, mon cher. Il s’agit de la vérité scientifique et tout le reste
ne pèse rien. Croyez-moi, laissez la romance et les attendrissements à des biologistes de
boudoir que je préfère ne pas nommer et qui feraient mieux d’abandonner la recherche et
d’apprendre la mandoline. Comment ! nous sommes depuis deux ou trois mois sur le point
d’isoler et de définir une maladie nouvelle, une véritable entité morbide ; nous avons une
occasion assurément regrettable, mais tout à fait exceptionnelle, peut-être même unique, de
mener à bien certaines observations, puisque des lois absurdes nous interdisent encore
l’expérimentation sur l’homme, la seule qui nous permettrait de marcher à coup sûr. Et voilà
M. Pasquier, mon préparateur, qui commence à battre des paupières et qui fait la fine bouche.
M. Pasquier veut-il me laisser croire qu’il s’est trompé de carrière ? Allons, mon cher, vous
serez là-bas dimanche, à dix heures du matin.
Il m’a tourné le dos. Toi, Justin, qui es un poète, un philosophe, un esprit libre et solitaire, tu te
demandes peut-être pourquoi je n’ai rien dit. Tu ne sais pas ce que représente pour nous, jeunes
hommes, apprentis de la médecine ou des sciences, notre patron, notre maître. Tu ne peux comprendre
que pour nous, les mots de respect et d’obéissance ont encore un sens très fort, que ces gens peuvent
nous faire, d’un mot, d’un regard, parfois rougir, parfois trembler et parfois même pleurer. Tu ne peux
pas comprendre que, malgré toute sa dureté, M. Rohner, qui n’a jamais trouvé le chemin de mon cœur,
trouve parfois le chemin de ma raison et que, si j’étais troublé, je ne savais que répondre. J’ai donc
baissé la tête et je n’ai rien répondu. […]
Que je te le dise tout de suite, nous avons fait, dimanche matin, ce que nous devions faire. »
99
ANNEXE 1 TER
GEORGES DUHAMEL. Chronique des Pasquier. Les Maîtres. Paris : Omnibus, 1999, p.759-760
« Il était sept heures du soir. Je venais de monter au Collège pour y surveiller mes animaux et pour y
prendre leur température, ce que je fais toujours moi-même, avec le plus grand soin. Le laboratoire
était silencieux et pauvrement éclairé par une lampe assez chétive. Je me demande encore aujourd’hui
si l’heure, l’ombre, le silence ont été pour quelque chose dans le besoin d’amitié que M. Chalgrin
semblait éprouver soudain. Ces hommes, que l’on voit très grands, entourés d’une foule d’amis et
d’admirateurs, ont parfois des minutes de solitude et de défaillance. Ils ont parfois besoin d’une oreille
vacante. Enfin, je cherche des raisons parce que je me sens très indigne et que la pensée d’avoir été,
pendant ces quelques minutes, le confident de mon maître me remplit de confusion. Il m’a mis la main
sur l’épaule. Il disait, d’une voix très basse :
-Vous savez que j’avais un fils. Il est mort à l’âge de quinze ans, d’une broncho-pneumonie. Il aurait
aujourd’hui votre âge, à peu de chose près. S’il était là, près de moi, ce soir, je crois que je lui parlerais
comme je vous parle en ce moment. Oh ! Certes pas dans le dessein de lui donner une leçon ou un
exemple. Je suis terriblement indécis, mon pauvre ami. Je crois pourtant que j’ai fini par trouver mon
chemin dans toutes ces absurdes misères. Vous savez qu’il s’agit de cette malheureuse querelle avec
M. Rohner. Je voudrais être bien sûr que, dans cette affaire, tous les torts sont de mon côté. Ce serait
beaucoup plus facile. Malheureusement, je ne le crois pas. Pour mieux dire, je n’en sais plus rien.
N’importe, je veux en finir. Vous savez que M. Rohner affecte de ne pas me saluer. La situation est
nette. Nous avons passé vingt fois l’un près de l’autre, et M. Rohner a fait comme s’il ne me voyait
pas. Je ne peux pas vous dire que j’ai trouvé une solution très admirable. Je cherche et je vais à
l’aveuglette. J’ai résolu de me rendre lundi prochain à l’Académie des Sciences. M. Rohner y viendra.
Je suis même à peu près sûr qu’il doit y faire une communication. Eh bien ! Je l’aborderai, je lui
tendrai la main, et même, s’il le faut, je lui adresserai la parole. Voilà, ce n’est pas grand-chose ; mais,
si je n’en faisais rien, j’aurais le sentiment d’être au-dessous de moi-même et j’en souffrirai beaucoup.
Et puis, il ne s’agit pas d’être au-dessous ou au-dessus de soi-même. Il faut prendre une décision et je
n’ai trouvé que celle-là. C’est que, voyez-vous Pasquier, on est très pauvre et dépourvu quand on veut
faire le bien. Ce n’est pas comme pour le mal, où tout est vraiment plus facile. Quoi qu’il arrive, c’est
fini, je peux vous l’affirmer, je ne sens plus d’animosité pour personne. Je refuse tout nouveau combat.
Je cède, vous comprenez, je renonce. Je fais la paix.
Il cherchait ses mots et les aventurait sans hâte, revenant sur chacun d’eux, non pas comme un infirme
qui trébuche au hasard, plutôt comme un inspiré qui découvre son chemin vers le jour, vers l’issue.
J’assistai à cet enfantement, moi, Laurent, dans le plus exact silence. Je commençais à comprendre que
les pensées les plus simples doivent être, par chacun de nous, repensées, à nouveau, pour retrouver en
chacun de nous leur force originelle. Je comprenais aussi que cet acte de recréation des vérités
élémentaires exige toujours un effort démesuré, pour mieux dire un effort de commencement du
monde.
M. Chalgrin répétait rêveusement : « Je fais la paix. Je la donne et je la demande… » […]
Je ne me suis pas permis de prononcer une parole. M. Chalgrin a dû comprendre quels étaient mes
sentiments, car il m’a pris par le col et il a posé légèrement sa joue contre ma joue comme si j’eusse
été ce fils qu’il venait d’évoquer et de prendre à témoin. »
100
ANNEXE 2
ROGER MARTIN DU GARD. Les Thibault. Tome II. La consultation. Paris : Editions Gallimard,
1928, p. 24-26
« « Moins vingt », remarqua Antoine, comme l’auto passait devant l’horloge de la Madeleine. « J’y
serai, mais juste… L’exactitude du Patron ! Je suis sûr qu’il s’apprête déjà. »
Le docteur Philip attendait, en effet, debout sur le seuil de son cabinet.
- « Bonjour, Thibault », grogna-t-il. Sa voix de polichinelle semblait toujours souligner une moquerie.
« Moins le quart tapant. En route… »
- « En route, Patron », fit Antoine gaiement.
Il avait toujours plaisir à se retrouver dans le sillage de Philip. Pendant deux années consécutives il
avait été son interne, il avait vécu dans l’intimité quotidienne de cet initiateur. Puis il avait dû changer
de service. Mais il n’avait pas cessé de rester en relation avec son maître, et aucun autre, par la suite,
n’avait jamais remplacé pour lui « le Patron ». On disait d’Antoine : « Thibault, l’élève de Philip. »
Son élève, en effet : son second, son fils spirituel. Mais souvent aussi son adversaire : la jeunesse en
face de la maturité, l’audace, le goût du risque, en face de la prudence. Les rapports ainsi créés entre
eux par sept années d’amitié et d’association professionnelle avaient pris un caractère indélébile. Dès
qu’Antoine se trouvait auprès de Philip, insensiblement, sa personnalité se modifiait, subissait comme
une diminution de volume : l’être indépendant et complet qu’il était l’instant d’avant retombait
automatiquement sous tutelle. Et cela, sans déplaisir. L’affection qu’il portait au Patron se trouvait
encore fortifiée par les satisfactions de son amour-propre : la valeur incontestée du professeur, la
réputation qu’il avait de se montrer difficile en hommes, donnaient du prix à son attachement pour
Antoine. Lorsque le maître et l’élève étaient ensemble, la bonne humeur régnait ; il leur paraissait
évident que la moyenne de l’humanité se composait d’inconscients et d’incapables, mais qu’ils avaient
par bonheur échappé l’un et l’autre à la commune loi. La façon dont le Patron, peu expansif,
s’adressait à Antoine, sa confiance, son naturel, les demi-sourires et clins d’œil dont il soulignait
certaines saillies, son vocabulaire même, auquel il fallait être initié, tout semblait attester qu’Antoine
était le seul avec qui Philip pût causer librement, le seul dont il fût sûr d’être exactement compris.
Leurs mésententes étaient rares et toujours provoquées par le même genre de causes. Il arrivait
qu’Antoine reprochât à Philip de se laisser piper par lui-même, et de tenir pour jugement fondamental
ce qui n’était qu’un trait improvisé de son scepticisme. Ou bien, après un échange d’idées sur
lesquelles ils étaient tombés d’accord, Philip, brusquement, faisait volte-face, tournait en dérision ce
qu’ils venaient de dire, déclarait : « Vu sous un autre angle, ce que nous pensions là est idiot. » Ce qui
aboutissait à : « Rien ne mérite qu’on s’y arrête, aucune affirmation ne vaut. » Alors Antoine se
cabrait. Une telle attitude lui était proprement intolérable ; il en souffrait comme d’une infirmité
physique. Ces jours-là, il faussait poliment compagnie au Patron et se hâtait de courir à ses affaires,
afin de retrouver l’équilibre dans le jeu bienfaisant de son activité. »
101
ANNEXE 3
GEORGES DUHAMEL. Chronique des Pasquier. Les Maîtres. Paris : Omnibus, 1999, p. 840-841
« - Avant de venir ici, je suis allé saluer M. Chalgrin. Tu sais ? Mon ancien patron.
Cécile, de la tête, fait un signe amical. Déjà Laurent repartait :
- Je vais lui rendre visite une fois par mois, à peu près. C’est terrible.
- Qu’est-ce qui est terrible ? L’état de M. Chalgrin ?
- Tout ! L’état de M. Chalgrin, d’abord, il va sans dire. C’était un homme des plus généreusement
doués. Et voilà qu’une petite artère s’est rompue, dans sa cervelle. Et c’est fini pour toujours. Il est
assis dans un fauteuil. Il regarde le visiteur d’un œil encore vivant où l’on croit voir passer comme un
reflet de son regard véritable. Il semble toujours sur le point de parler. On pourrait croire qu’il va
respirer profondément, ouvrir la bouche et nous expliquer le monde, comme autrefois. Mais il ne dit
plus qu’un seul mot, il ne sait plus dire que l’affreux petit mot « Non ! » en secouant la tête d’un air
irrité, découragé, dédaigneux. Assurément, c’est triste. Et il y a quelque chose de plus triste encore.
- Quoi donc, Laurent ?
- La première année, je lui rendais visite à peu près chaque jour. J’avais pris la résolution de n’y
manquer jamais. Jusqu’à la fin, jusqu’à la mort. M. Chalgrin n’est pas mort. Alors je me suis arrangé
pour y aller deux fois par semaine, puis, bientôt, une fois seulement, puis une fois tous les quinze jours
et, maintenant, je n’y vais plus qu’une fois par mois environ. Je pense que si M. Chalgrin ne meurt pas
tout de suite, je finirai par ne plus y aller du tout. Ce n’est pas ma faute, je t’assure. Et c’est
précisément ce que je trouve terrible. »
ANNEXE 4
JEAN REVERZY. Place des angoisses. Paris : Flammarion, 1977, p. 246
« Jamais le maître n’aura conduit pareille cohorte : ils sont deux mille à la suivre, sans compter ceux
qui, comme moi, marchent en esprit derrière son cercueil. […]
Près de la tombe, les orateurs parlent trop bas ; les disciples, serrés, piétinent de molles platesbandes en pensant aux leçons du Maître que seuls ceux du premier rang pouvaient entendre.
Et les mots volent et s’éparpillent par-dessus les têtes, proclamant d’épuisantes certitudes que
m’enseigna ce long drame du langage. Mon hôtesse certes ne m’avait pas menti, sachant que
la vérité n’apparaît qu’à l’heure où ceux qui nous l’enseignèrent ne sont plus. Et je continue
ma route, accompagné par ma fatigue, annonciatrice d’une mort si peu redoutable, malgré ses
rigueurs, qu’un jour, sans débat, je me confondrai avec elle. Je ne lui survivrai pas ; elle ne me
survivra pas. Je mourrai en même temps que ma mort, saluée comme le but de ma longue
étude, ce but qu’atteignit Joberton de Belleville. Et maintenant qu’ayant distancé son cortège,
il s’est éloigné pour toujours, je marche encore derrière lui, sans regret d’être fait d’une
substance moins durable que le temps. »
102
ANNEXE 4 BIS
JEAN REVERZY. Place des angoisses. Paris : Flammarion, 1977, p. 198
« J’ai du mal à faire le compte des années passées à suivre un cortège, et l’indécision de mon souvenir
s’étend sur les êtres près de qui j’ai marché. Je parle sans cesse du Professeur Joberton de Belleville,
alors que bien d’autres m’ont tiré derrière eux, des médecins, des chirurgiens, et même un accoucheur.
Mais lui seul importe. Dix ans après sa mort, il manque toujours à la ville où nul encore ne l’a
remplacé. Ville singulière où le destin n’est pas discuté : pensant et rêvant le moins possible, on agit
doucement et secrètement ; les têtes et les âmes s’inclinent devant les commandements supérieurs de
la Religion et de l’Argent, puissances que d’autres pourraient supplanter sans que rien ne changeât, car
elles ne sont qu’un prétexte de soumission, de réserve et de silence. Et le Professeur Joberton de
Belleville émanait de ce désert de l’émotion et de l’intelligence.
Il dominait la Place des angoisses et régnait en maître sur l’hôpital. La maladie affluait à lui ; malgré
sa lassitude, il courait à sa rencontre. Et nous le suivions. Quand il disparut, chacun découvrit sa
solitude. De son vivant, avions-nous jamais pensé qu’il nous préparait à son départ ? Cependant, après
la visite, je crois qu’il passait sur nous un secret désarroi : des cortèges hésitants se reformaient et
circulaient encore ; mais le Maître nous manquait, sans que nous pressentions qu’il viendrait un temps
où il nous quitterait pour toujours. »
ANNEXE 5
ROGER MARTIN DU GARD. Les Thibault. Tome I. La belle saison. Paris : Editions Gallimard,
1923, p. 346-347
« Le médecin ne répondit pas. Il regardait Antoine, fixement, comme Marthe dut regarder le Sauveur
lorsque Lazare se fut dressé hors du cercueil. Ses lèvres s’entrouvrirent. Il balbutia seulement :
- « Puis-je ranger votre trousse ? » Et dans cette voix timide, résonnait un tel besoin de servir, de se
dévouer, qu’Antoine en éprouva l’enivrement des chefs. Ils étaient seuls. Il alla vers le jeune homme et
plongea son regard dans le sien.
- « Vous êtes un chic type, mon petit. »
L’autre en perdit le souffle. Antoine, plus intimidé encore que son jeune confrère, ne lui laissa pas le
temps de répondre.
- « Maintenant, rentrez chez vous, mon cher. Il est tard. Nous n’avons pas besoin d’être deux ici. » Il
hésita : « Je crois pouvoir vous dire qu’elle est sauvée. Je crois. Cependant, à tout hasard, je passerai la
nuit là, si vous permettez », continua Antoine, « car je n’oublie pas que c’est votre malade.
Parfaitement. Je suis intervenu d’urgence parce que l’indication était formelle. N’est-ce pas ! Mais, dès
demain, je laisse la petite entre vos mains. Et sans inquiétude : ce sont de très bonnes mains. » Tout en
parlant, il avait reconduit le médecin jusqu’à la porte. « Voulez-vous repasser vers midi ? » ajouta-t-il.
« Je reviendrai après l’hôpital ; nous conviendrons ensemble du traitement. »
- « Maître, je… je suis trop heureux d’avoir pu… »
C’était la première fois qu’Antoine s’entendait saluer comme un « maître ». Il huma tout entière cette
bouffée d’encens, et, spontanément, il tendit au jeune homme ses deux mains. Il se ressaisit aussitôt :
- « Je ne suis pas un maître », dit-il d’une voix altérée. « Un élève, mon cher, un apprenti : un simple
apprenti. Comme vous. Comme les autres. Comme tout le monde. On essaie, on tâtonne… On fait ce
qu’on peut ; et c’est déjà bien. » »
103
ANNEXE 6
ANTOINE SENANQUE. Blouse. Paris : Editions Grasset et Fasquelle, 2004, p. 95-100
« La mauvaise garde commence toujours mal. Le premier patient fait office de baromètre. La gravité
de son cas annonce de manière très sûre la gravité du vôtre. La première patiente de ma première garde
avait décidé d’ouvrir ma nuit par un avis de tempête. Elle avait, bonne fille, attendu l’heure de ma
prise de fonction pour déclarer un état de mal asthmatique qui me mettait d’emblée dans une situation
désespérée. Je plongeais les mains dans les poches de ma blouse pour trouver les deux bouées de
l’interne dépassé, le petit mémento de l’urgence médicale qu’il est préférable de consulter à l’abri des
regards et une patte de lapin emportée par la superstition afin que l’invisible reste dans de bonnes
dispositions.
La patiente était bleue. On ne pouvait pas discuter ce point. […]
Elle était très jeune et très confiante. Je la regardais moi aussi, désarmé. Dans ce genre de situation,
votre réflexe est d’aller chercher quelqu’un d’autre. Les choses deviennent réellement effrayantes
quand ce quelqu’un d’autre se révèle être vous, sans alternative possible. Vous vous surprenez à
penser qu’il faudrait certainement appeler un médecin. Vous êtes comme tout le monde. Ce médecin
m’aurait d’ailleurs été utile personnellement, car à vrai dire, moi non plus, je ne me sentais pas très
bien.
L’externe, admiratif, prenant mon immobilité tétanisée devant la patiente pour une extraordinaire
preuve de sang-froid, risqua un « On lui met un peu d’oxygène ? ». Je m’entendis articuler un « Bien
sûr » reconnaissant.
Deux instruments vous font gagner du temps aux urgences, ce temps nécessaire pour rassembler votre
esprit vaporisé par la peur, le stéthoscope et le marteau réflexe. J’écoutais donc le cœur de mon
asthmatique qui n’avait rien à me dire et ses poumons dont on entendait les râles à trois mètres. Je
tapais ses réflexes, un à un, dans un silence interrogateur où la question « Mais que cherche-t-il ? »
brûlait toutes les lèvres. Mon air grave en imposait, mais n’aboutissait pas à la prescription que
l’infirmière attendait, cahier ouvert à mes côtés. Je jetais un ultime coup d’œil vers mon externe qui
n’avait plus rien à me suggérer. Le bleu de ma patiente restait azuréen, bien décidé à se maintenir et, à
l’évidence, plutôt confiant en son avenir.
Je prenais donc ma première décision de médecin responsable : demander l’avis du réanimateur. […]
Pendant ce temps, la salle d’attente des urgences se remplissait de patients les plus divers. Phlébite,
eczéma géant, douleur abdominale, arythmie, perte de connaissance. Un vrai manège tournoyant,
indifférent à la nausée qu’il faisait naître sous ma blouse maculée de sang artériel, armure dérisoire sur
ce champ de bataille où des malades sauvages se précipitaient sur moi.
J’étais seul, abandonné de tous, lâché par mes livres, par mes maîtres, par la médecine. On ne savait
plus où caser tous ces gens. Ils n’arrivaient pas, ils déferlaient. Ils s’étaient passé le mot. Ils se
pressaient comme pour une fête, lamentables invités. J’errais de l’un à l’autre, les servant de
prescriptions hésitantes, de conversations incertaines, tapant les réflexes avec entêtement, cherchant
dans l’auscultation des cœurs la réponse à leurs angoisses et aux miennes, l’œil glissant vers ma
montre ou vers la fenêtre de la salle d’examen, guettant la lueur de l’aube. »
104
ANNEXE 7
JEAN-CHRISTOPHE RUFFIN. Un Léopard sur le garrot. Paris : Editions Gallimard, 2008, p. 77-79
« A ses heures libres – les repas – l’interne prolonge cette vie de monarque dans un lieu où il règne
aussi en maître : la salle de garde. Par prudence, cet espace de défoulement est en général situé un peu
à l’écart dans l’hôpital. Il regroupe un réfectoire, une cuisine et des chambres. Les murs y sont
couverts de fresques dans le goût obscène. Elles entremêlent avec souvent beaucoup d’imagination et
de vives couleurs toutes sortes de corps et de sexes. Elles figurent une liberté dans laquelle les internes
aiment se reconnaître, même si leur sexualité est bien loin de ces débauches. Les traditions s’imposent
à tout « collègue » (ainsi les internes se nomment-ils entre eux, par opposition aux médecins non
internes qui sont seulement des « confrères » et aux anciens internes plus âgés, qui sont désignés sous
le vocable flatteur de «fossiles »). Les rituels sont un mélange d’usages monastiques et de gaillardise
rigolarde. Le repas se passe tout entier sous l’autorité d’un supérieur élu (l’économe), un interne choisi
par les collègues. Il lui revient de commencer à manger le premier, de donner la parole à ceux qui la
demandent, d’infliger des châtiments quand il constate un manquement à la règle. C’est lui aussi qui
décide des « batteries » : chacun frappe avec les doigts sur le rebord de la nappe - un drap de
l’Assistance publique où se distinguent encore les taches indélébiles laissées par les patients… Chaque
batterie se distingue par son rythme et honore une circonstance particulière. Lorsqu’elle est de nature
égrillarde, l’économe peut recommander de battre une « vaginale ». Elle s’effectue avec deux doigts
mouillés frappés en rythme contre la paume de l’autre main… Comme on le voit, ces traditions
machistes ne sont pas encore très influencées par le politiquement correct…
J’ai eu le privilège d’être pendant un semestre l’économe de la Salpêtrière, c’est-à-dire un roi
d’opérette dans ce petit monde braillard. J’en conserve un excellent souvenir. Rien ne donne mieux le
sentiment d’appartenir à un ordre, d’être le combattant discipliné d’une cause ou d’une foi que ces
moments de communion bruyante. Ils sont à la médecine ce que le bivouac est aux armées en
campagne : le lieu d’une fraternité, un moment de bonheur arraché à la souffrance et à la mort.
Paradoxalement, ces rituels d’initiation, cette inclusion officielle et grand-guignolesque dans un corps,
peut-être parce que j’ai accepté de m’y soumettre totalement, m’ont aidé à m’en détacher. J’aimais ces
moments de communion, mais sans jamais cesser de les regarder en quelque sorte de l’extérieur. Il
m’aurait paru ridicule d’en être dupe. Il était bon de ressentir – de loin sans doute – ce qu’avaient pu
vivre les chevaliers de la Table ronde, les conspirateurs carbonari ou les congrégations religieuses aux
premiers âges des grands ordres monastiques. L’internat était pour moi l’expérience première de la
fraternité. Mais tout cela valait plus par le rêve que dans la réalité. J’ai toujours éprouvé le plus grand
mépris pour ceux qui, perdant tout recul, se sont vraiment sentis supérieurs à cause de cette onction et
se sont comportés leur vie durant comme une élite. J’aimais cette enfance de chef, mais je continuais
de détester l’état mandarinal, fût-il en gestation. Les collègues étaient mes frères, mais je perdais toute
affection pour eux dès lors que je voyais paraître sur leur visage les stigmates du futur patron qu’ils
étaient en train de devenir. »
105
ANNEXE 8
MARTIN WINCKLER. La Maladie de Sachs. Paris : P.O.L éditeur, 1998, p. 90-91
« Et puis, on se rend service. Tu sors rarement, alors le soir, je donne ton numéro au secrétariat
téléphonique et je m’éclipse, pour aller… aux réunions de formation et aux repas de labos, ou pour
emmener Dolorès au cinéma, ça m’évite de broyer du noir et de la voir me faire la gueule. En échange,
je prends tes appels le mardi midi quand tu vas à l’hôpital, et un soir par-ci par-là. Mais tu ne
t’absentes pas souvent. »
ANNEXE 9
GEORGES DUHAMEL. Chronique des Pasquier. Les Maîtres. Paris : Omnibus, 1999, p. 697- 698
« Le professeur parti, nous avons parlé, sans réserves, entre nous, les préparateurs. Mes deux collègues
sont assez curieux du tour pris depuis quelques jours par la querelle des deux « vieux », comme dit
volontiers Sauvignet. C’est peut-être qu’ils ne savent pas ce que j’ai le pénible avantage de savoir.
Autrement, la querelle est ancienne et semblait devoir rester décente, comme il arrive si souvent quand
deux hommes de même carrière finissent par se prendre en grippe. M. Rohner accuse Chalgrin de faire
du nationalisme à l’eau de rose, d’évoluer vers un thomisme d’amateur (sic), de pactiser, de mener la
Société des Etudes à la scission et au désordre. M. Chalgrin reproche à Rohner de faire du rationalisme
primaire, de la philosophie de pion et de ramener la doctrine dans les voies de l’intolérance et du
jacobinisme.
Tu me suis, cher Justin, et tu crois, d’un seul coup d’œil, découvrir la nature idéologique du différend.
Eh bien ! Ce n’est quand même pas cela le fond du fond. On ne découvre jamais le fond du fond. Il y a
toujours autre chose.
J’ai revu Schleiter, avant-hier, et tout à fait par hasard, en traversant le couloir transversal de la
Sorbonne. Je lui ai parlé, non sans prudence, de cette lutte d’idées entre Rohner et Chalgrin. Il s’est
mis à rire, de ce rire invisible qui semble se produire dans les profondeurs de la bête, et il m’a donné
son sentiment sur la haine que mes deux patrons nourrissent l’un pour l’autre. Car il paraît que c’est
une espèce de haine, rien de moins. M. Chalgrin est de l’Académie des sciences depuis 1906. Il y est
entré deux ans après M. Rohner et on dit que ce dernier a fait de sensibles efforts pour lui en barrer le
chemin. Ils y sont tous deux maintenant ; mais ils affectent, les trois quarts du temps, de ne pas se
reconnaître pendant les séances. En outre, le professeur Rohner ne cite M. Chalgrin qu’en estropiant
son nom. Il dit Chapegrin ou Chategrin. Je l’avais déjà remarqué sans très bien comprendre ce que cela
pouvait signifier. Hélas ! Hélas !
Schleiter a parlé longtemps. Je l’écoutais tête basse. Ainsi, donc, il n’y a pas de pures querelles
d’idées. Il n’y a que des querelles de sentiments et de passions. Quand deux amants, deux parents,
deux amis se fâchent, ils invoquent les idées, ils appellent à la rescousse les doctrines et les
philosophies ; mais le nœud du discord n’est pas souvent dans l’esprit : il est dans la chair et le sang.
Oh ! Je m’en doutais, parfois. J’ai reproché bien des choses à mon père, dans l’ordre philosophique,
par exemple de se faire de la science une représentation absolue et puérile, de confondre naïvement la
science et la sagesse, de ne pas d’intéresser à Schopenhauer ou à Nietzsche, de mépriser les valeurs
que je tiens pour essentielles. Bah ! Tout cela ne pèserait pas lourd si mon père avait fait en sorte que
je pusse l’aimer, simplement, de tout mon cœur. Les idées sont la parure de nos haines ou de nos
amitiés, mais l’affectivité toute pure nous détermine et nous gouverne, même quand nous avons
l’honneur d’être Rohner ou Chalgrin.
Cet entretien avec Schleiter m’a laissé mélancolique. Je peux t’affirmer, Justin, que ces découvertes
affligeantes ne modifient pas gravement la respectueuse admiration que je nourris pour des maîtres
choisis ; pourtant elles me retirent cette belle sérénité dont je te parlais naguère. »
106
ANNEXE 9 BIS
GEORGES DUHAMEL. Chronique des Pasquier. Les Maîtres. Paris : Omnibus, 1999, p. 718-719
« M. Chalgrin dit parfois : « Que M. Rohner serait heureux s’il trouvait quelque chose, s’il faisait
vraiment une petite découverte ! » De telles phrases me blessent. Rohner est brutal, il a mauvais
caractère ; mais il a fait des travaux qui le classent au premier rang. Tout le monde l’admet sauf M.
Chalgrin. Il y a trois ou quatre hommes qui peuvent comprendre aujourd’hui la valeur des travaux de
Rohner, et M. Chalgrin est un de ces trois ou quatre hommes !
S’il devine, s’il croit deviner que l’on hésite, si peu que ce soit, à l’encourager dans l’injustice, mon
cher patron devient nerveux. Lui qui est naturellement tendre, il se prend à parler sec. Je n’oserais pas
risquer le moindre reproche. Je me contente de le regarder avec douleur. Il l’a senti, l’autre jour, il a
fait un effort pour sourire et m’a dit cette phrase qu’il considérait peut-être comme une excuse :
- Pasteur, lui non plus, n’était pas toujours commode avec nous autres.
Il a compris ce que ce « lui non plus » supposait d’immodestie. Il a souri, d’un air gêné, puis il a, de la
main, ébauché un geste vague.
Il attendait les décisions du comité, pour le congrès, en répétant volontiers : « J’ai beaucoup trop de
travail. Je demande que l’on m’oublie. » Pourtant, il avait des battements de cœur et se renseignait
indirectement sur l’opinion des uns et des autres. Ce congrès, je te l’ai dit, groupe diverses sociétés
savantes et les délibérations du comité restaient assez obscures jusqu’à ces derniers jours.
Elles sont terminées et il faut que je t’en parle pour te rendre intelligible cette étrange comédie.
Nous étions réunis, hier, dans le laboratoire de M. Rohner, Vuillaume, Sauvignet et moi. Roch est
entré, son chapeau à la main, son paletot sur les épaules, les souliers fort boueux, comme un homme
qui vient de trotter dans le patouillat, à bonne allure. J’ai tout de suite compris que M. Rohner attendait
l’arrivée de Roch. Ses traits se sont crispés. Il a fait cette grimace qui lui tire les coins de la bouche et
qui le rend méconnaissable. Il n’a dit qu’un très petit mot :
- Alors ?
Roch a haussé les épaules et a répondu d’une voix qu’il voulait indifférente, peut-être pour atténuer le
coup :
- M. Chalgrin est nommé.
Je suis obligé d’avouer que le visage de M. Rohner est devenu soudain très laid. J’étais profondément
surpris de voir un homme d’un tel caractère abandonner ainsi toute maîtrise de soi. Avec son index
gauche, il remontait les poils de sa mouche entre ses dents et les mordait. Il a crié :
- C’est un intrigant ! Nous le savions ! Il n’est entré à l’Académie des Sciences que parce que je l’ai
bien voulu. Si je m’y étais opposé sérieusement, il serait encore à la porte. Mais puisqu’il veut la
guerre, eh bien ! Ce sera la guerre. Je le briserai, comme… comme…
M. Rohner cherchait, de l’œil, quelque objet fragile et il s’est emparé d’une petite bouteille vide qui se
trouvait sur la table. Il répétait :
- Je le briserai comme cette bouteille !
Il a jeté la bouteille par terre, d’un geste furieux. Et il s’est passé la chose la plus ridicule du monde : la
bouteille a rebondi deux ou trois fois et ne s’est point cassée. Finalement, elle a roulé comme une bille
jusqu’à l’angle de la pièce.
Nous avions tous envie de rire, et nous faisions de grands efforts pour n’en rien laisser paraître. »
107
ANNEXE 10
MARTIN WINCKLER .Les trois médecins. Paris : P.O.L. éditeur, 2004, p. 65-66
« Cette nomination – qui doit autant à la compétence reconnue de Vargas qu’à l’amitié que lui porte
Fisinger – n’a pas du tout été appréciée par le professeur Armand LeRiche, vice-doyen de la faculté.
Tout, en effet, sépare les deux hommes. Gynécologue-obstétricien de son état, LeRiche méprise le
microbiologiste, dont il tolère mal le caractère bohème, les méthodes pédagogiques brouillonnes et les
sarcasmes permanents. Formé à une époque où les médecins disposaient de peu de chose pour
soulager les souffrances et où un diagnostic précis permettait de sauver rapidement ceux qui pouvaient
l’être et, au moins, de consoler ceux qui allaient mourir, Vargas fait partie des hommes qui – malgré
leur spécialisation – chérissent la clinique envers et contre la technique. Il abhorre les chirurgiens –
qu’il qualifie volontiers, à de rares exceptions près, d’instrumentistes décérébrés – et ne ménage pas
ses attaques contre ceux qui, persifle-t-il, se vengent de leur manque d’intelligence et de sensibilité en
mutilant le corps des autres. Tout en restant parfaitement courtois pendant les réunions pédagogiques
et les manifestations officielles, il ne se prive jamais de rappeler aux étudiants qu’à l’époque où les
pharmacologues découvraient les neuroleptiques, qui allaient soulager des milliers de psychotiques,
les chirurgiens se vantaient encore de perfectionner des procédures de lobotomie ou d’hystérectomie
remontant à l’âge de pierre ; il ajoute avec un sourire dévastateur que seul un chirurgien peut rêver de
devenir doyen à la place du doyen. Comme LeRiche a été chargé, dès la création de la jeune faculté,
de la sélection des étudiants et du premier cycle de leur formation, Vargas le considère en quelque
sorte comme son ennemi naturel. Et LeRiche le lui rend bien. Vargas lui reproche, en outre, d’être
l’homonyme d’un des rares chirurgiens à qui il voue de l’admiration : le professeur René LeRiche, qui,
en 1937, dans Chirurgie de la douleur, s’opposa à toute la profession médicale en affirmant que la
douleur n’avait rien de rédempteur ou d’utile et introduisit l’anesthésie locale. Pour Vargas, le vicedoyen de la faculté de Tourmens n’est pas seulement un sale type, c’est aussi – par cette homonymie –
un escroc et un usurpateur.
Malgré cette antipathie profonde et réciproque, LeRiche – par calcul – et Vargas – par loyauté – ne
s’affrontent jamais ouvertement et en restent aux passes d’armes verbales et aux crocs-en jambe
pédagogiques.
La rivalité permanente des deux hommes, connue de tous – y compris du doyen -, a peu à peu teinté
toute la vie de la fac. Dès qu’ils ont franchi le barrage du concours de première année, les étudiants
sont sommés par leurs aînés de présenter le concours de l’internat, et de se rallier ainsi au groupe
« dominant » que constituent les Perses – futurs chirurgiens et spécialistes de haut niveau – face à la
plèbe des futurs généralistes de base. »
108
ANNEXE 11
ANTOINE SENANQUE. Blouse. Paris : Editions Grasset et Fasquelle, 2004, p.55-56
« Un jour, il y a eu cette affaire en garde, une paraplégie sur une compression traumatique de la moelle
qu’il opère en urgence. Vadas n’est pas responsable, mais la famille se retourne contre lui.
Les collègues radiologues et orthopédistes ne le soutiennent pas et l’expert neurologue noircit son
tableau dans un rapport à charge.
Dans ce genre d’affaire, les collègues ne vous aident pas. On croit à tort qu’il y a une cohésion entre
les médecins, rien n’est plus faux. L’expert mesure les erreurs médicales, à fort grossissement. On
rencontre essentiellement des vaniteux, flattés par les fautes de leurs confrères. Ils trouvent la
comparaison à leur avantage, ces spécialistes du problème résolu. Ils tirent une réelle satisfaction de
nos pataugeages, même si leur qualification essentielle qui les isole du reste de notre groupe est
d’avoir su trouver un appui assez influent pour être inscrit sur les listes. Ils s’érigent en représentants
de la médecine française, en hommes de devoir. Nous sommes donc contrôlés par un notable
assermenté, à relations avantageuses, qui endosse le rôle de l’inquisiteur. Il accuse mais ne condamne
pas, le cher confrère. Il remet le pauvre hérétique au bras séculier. Il donne un avis. Le reste ne lui
appartient pas. Il a la conscience légère et le détachement profond. La caution du juge transforme son
service en devoir civique. Il ne pense plus en médecin, mais en fonctionnaire. Les experts seraient
beaucoup plus justes s’ils étaient confraternels. »
ANNEXE 12
ROMAIN GARY (EMILE AJAR). La Vie devant soi. Paris : Mercure de France, 1975, p. 30
« Le docteur Katz était bien connu de tous les Juifs et Arabes autour de la rue Bisson pour sa charité
chrétienne et il soignait tout le monde du matin au soir et même plus tard. J’ai gardé de lui un très bon
souvenir, c’était le seul endroit où j’entendais parler de moi et où on m’examinait comme si c’était
quelque chose d’important. Je venais souvent tout seul, pas parce que j’étais malade, mais pour
m’asseoir dans sa salle d’attente. Je restais là un bon moment. Il voyait bien que j’étais là pour rien et
que j’occupais une chaise alors qu’il y avait tant de misère dans le monde, mais il me souriait toujours
très gentiment et n’était pas fâché. Je pensais souvent en le regardant que si j’avais un père, ce serait le
docteur Katz que j’aurais choisi. »
109
ANNEXE 12 BIS
ROMAIN GARY (EMILE AJAR). La Vie devant soi. Paris : Mercure de France, 1975, p.64-65
« J’allais souvent m’asseoir dans la salle d’attente du docteur Katz, puisque Madame Rosa répétait que
c’était un homme qui faisait du bien, mais j’ai rien senti. Peut-être que je ne restais pas assez
longtemps. Je sais qu’il y a beaucoup de gens qui font du bien dans le monde, mais ils font pas ça tout
le temps et il faut tomber au bon moment. Il y a pas de miracle. Au début le docteur Katz sortait et me
demandait si j’étais malade mais après il s’est habitué et me laissait tranquille. D’ailleurs, les dentistes
aussi ont des salles d’attente, mais ils soignent seulement les dents. Madame Rosa disait que le docteur
Katz était pour la médecine générale et c’est vrai qu’il y avait de tout chez lui, des Juifs, bien sûr,
comme partout, des Nord-Africains pour ne pas dire des Arabes, des Noirs et toutes sortes de
maladies. Il y avait sûrement beaucoup de maladies vénériennes chez lui, à cause des travailleurs
immigrés qui attrapent ça avant de venir en France pour bénéficier de la sécurité sociale. Les maladies
vénériennes ne sont pas contagieuses en public et le docteur Katz les acceptait mais on n’avait pas le
droit d’amener la diphtérie, la fièvre scarlatine, la rougeole et d’autres saloperies qu’il faut garder chez
soi. Seulement, les parents ne savaient pas toujours de quoi il se retournait et j’ai attrapé là une ou
deux fois des grippes et une coqueluche qui ne m’étaient pas destinées. Je revenais quand même.
J’aimais bien être assis dans une salle d’attente et attendre quelque chose, et quand la porte du cabinet
s’ouvrait et le docteur Katz entrait, tout de blanc vêtu, et venait me caresser les cheveux, je me sentais
mieux et c’est pour ça qu’il y a la médecine. »
ANNEXE 13
LOUIS FERDINAND CELINE. Voyage au bout de la nuit. Paris: Editions Gallimard, 1952, p. 330334
« Sa mère m’entrouvrit la porte du palier avec des précautions d’assassinat. Elle chuchotait la mère,
mais c’était si fortement, si intensément, que c’était pire que des imprécations.
- Qu’ai-je pu faire au ciel, Docteur, pour avoir une fille pareille ! Ah vous n’en direz du moins rien à
personne dans notre quartier, Docteur !... Je compte sur vous ! – Elle n’en finissait pas d’agiter ses
frayeurs et de se gargariser avec ce que pourraient en penser les voisins et les voisines. En transe de
bêtise inquiète qu’elle était. Ca dure longtemps ces états-là.
Elle me laissait m’habituer à la pénombre du couloir, à l’odeur des poireaux pour la soupe, aux papiers
des murs, à leurs ramages sots, à sa voix d’étranglée. Enfin de bafouillages en exclamations, nous
parvînmes auprès du lit de la fille, prostrée, la malade, à la dérive. Je voulus l’examiner, mais elle
perdait tellement de sang, c’était une telle bouillie qu’on ne pouvait rien voir de son vagin. Des
caillots. Ca faisait « glouglou » entre ses jambes comme dans le cou coupé du colonel à la guerre. Je
remis le gros coton et remontai sa couverture simplement.
La mère ne regardait rien, n’entendait qu’elle-même. « J’en mourrai, Docteur ! qu’elle clamait. J’en
mourrai de honte ! » Je n’essayai point de la dissuader. Je ne savais que faire. Dans la petite salle à
manger d’à côté, nous apercevions le père qui allait de long en large. Lui ne devait pas avoir son
attitude prête encore pour la circonstance.[…]
Mais la mère, elle, le tenait, le rôle capital, entre la fille et moi. Le théâtre pouvait crouler, elle s’en
foutait elle, s’y trouvait bien et bonne et belle.
Je ne pouvais compter que sur moi-même pour rompre ce merdeux charme.
Je hasardai un conseil de transport immédiat à l’hôpital pour qu’on l’opère en vitesse.
Ah ! malheur de moi ! Du coup, je lui ai fourni sa plus belle réplique, celle qu’elle attendait.
- Quelle honte ! L’hôpital ! Quelle honte, Docteur ! A nous ! Il ne manquait plus que cela ! C’est un
comble !
Je n’avais plus rien à dire. Je m’assis donc et l’écoutai la mère se débattre encore plus
tumultueusement, empêtrée dans les sornettes tragiques. Trop d’humiliation, trop de gêne portent à
l’inertie définitive. Le monde est trop lourd pour vous. Tant pis. Pendant qu’elle invoquait le Ciel et
110
l’Enfer, tonitruait de malheur, je baissais le nez et baissant déconfit je voyais se former sous le lit de la
fille une petite flaque de sang, une mince rigole en suintait lentement le long du mur vers la porte. Une
goutte, du sommier, chutait régulièrement. Tac ! tac ! Les serviettes entre ses jambes regorgeaient de
rouge. Je demandai tout de même à voix timide si le placenta était expulsé déjà tout entier. Les mains
de la fille, pâles et bleuâtres au bout pendaient de chaque côté du lit, rabattues. A ma question, c’est la
mère encore qui a répondu par un flot de jérémiades dégoûtantes. Mais réagir, c’était après tout
beaucoup trop pour moi. […]
Ahuri de fatigue mes regards erraient sur les choses de la chambre. […]. Je n’avertis point la mère à
propos de la mare de sang que je voyais se former sous le lit, ni des gouttes qui tombaient toujours
ponctuellement, la mère aurait crié encore plus fort et ne m’aurait pas écouté davantage. Elle finirait
jamais de se plaindre et de s’indigner. Elle était vouée. […]
Si cette mère avait pris un peu de temps pour souffler, et même un grand moment de silence, on aurait
pu au moins se laisser aller à renoncer à tout, à essayer d’oublier qu’il fallait vivre. Mais elle me
traquait.
- Si je lui donnais un lavement, Docteur ? Qu’en pensez-vous ? Je ne répondis ni par oui, ni par non,
mais je conseillai une fois de plus, puisque j’avais la parole, l’envoi immédiat à l’hôpital. D’autres
glapissements, encore plus aigus, plus déterminés, plus stridents en réponse. Rien à faire.
Je me dirigeai lentement vers la porte, en douceur.
L’ombre nous séparait à présent du lit.
Je ne discernais presque plus les mains de la fille posées sur les draps, à cause de leur pâleur
semblable.
Je revins pour sentir son pouls, plus menu, plus furtif que tout à l’heure. Elle ne respirait que par àcoups. J’entendais bien, moi, toujours, le sang tomber sur le parquet comme à petits coups d’une
montre de plus en plus lente, de plus en plus faible. Rien à faire. La mère me précédait vers la porte.
- Surtout me recommanda-t-elle, transie, Docteur, promettez-moi que vous ne direz rien à personne ? –
Elle me suppliait. – Vous me le jurez ?
Je promettais tout ce qu’on voulait. Je tendis la main. Ce fut vingt francs. Elle referma la porte derrière
moi, peu à peu. »
ANNEXE 14
ALBERT CAMUS. La Peste. Paris : Editions Gallimard, 1947, p.73-74
« Mais dans les commencements, tous les soirs furent comme ce soir où, entré chez Mme Loret, dans
un petit appartement décoré d’éventails et de fleurs artificielles, il fut reçu par la mère qui lui dit avec
un sourire mal dessiné :
« J’espère bien que ce n’est pas la fièvre dont tout le monde parle. »
Et lui, relevant drap et chemise, contemplait en silence les taches rouges sur le ventre et les cuisses,
l’enflure des ganglions. La mère regardait entre les jambes de sa fille et criait sans pouvoir se dominer.
Tous les soirs des mères hurlaient ainsi, avec un air abstrait, devant des ventres offerts avec tous leurs
signes mortels, tous les soirs des bras s’agrippaient à ceux de Rieux, des paroles inutiles, des
promesses et des pleurs se précipitaient, tous les soirs des timbres d’ambulance déclenchaient des
crises aussi vaines que toute douleur. Et au bout de cette longue suite de soirs toujours semblables,
Rieux ne pouvait espérer rien d’autre qu’une longue suite de scènes pareilles, indéfiniment
renouvelées. Oui, la peste, comme l’abstraction, était monotone. Une seule chose peut-être changeait
et c’était Rieux lui-même. Il le sentait ce soir-là, au pied du monument à la République, conscient
seulement de la difficile indifférence qui commençait à l’emplir, regardant toujours la porte d’hôtel où
Rambert avait disparu.
Au bout de ces semaines harassantes, après tous ces crépuscules où la ville se déversait dans les rues
pour y tourner en rond, Rieux comprenait qu’il n’avait plus à se défendre contre la pitié. On se fatigue
de la pitié quand la pitié est inutile. Et dans la sensation de ce cœur fermé lentement sur lui-même, le
docteur trouvait le seul soulagement de ces journées écrasantes. Il savait que sa tâche en serait
facilitée. C’est pourquoi il s’en réjouissait. »
111
ANNEXE 15
MARTIN WINCKLER. La Vacation. Paris : P.O.L. Editeur, 1989, p. 219-222
« Les dossiers sous le bras, tu entres (Bougez pas, non bougez pas, le Docteur ne fait que passer vous
êtes si occupées toutes deux tous quatre à discuter on ne va pas vous déranger) plus mal ?
Elles répondent non, ou hochent la tête, ou posent la main sur leur ventre.
- Un peu, mais ça va (Y a intérêt ! (la bouffée soudaine de haine et de rage) que ça aille, vu que le
brave con de Sachs vous a (et dire qu’elle fait semblant de ne pas comprendre, et que l’autre assis à
côté silencieux fait comme si de rien itou) tenu la sonde pendant près d’une demi-heure un siècle une
éternité (la nappe de sueur sèche qui colle encore à la chemise) fourraillé dans ce trou sans fond qu’on
[…] n’a pas bien mesuré évalué (ta faute aussi, mon bon ! T’avais qu’à te méfier de ce qui te courait le
long du dos quand tu n’as pas senti son pamplemousse On vous a déjà dit que votre utérus était
basculé en arrière ?
Visage étonné Euh, oui peut-être, de la dame. Ben voyons. Noie le poisson…
A l’aide !
- Je ne le sens pas très bien.
- Tu crois que ça fait plus que le terme ?
- Oui… Non !... Je sais pas…
- On demande une échographie ?
Le brave docteur Sachs soupire d’un air fatigué hausse les épaules se retourne vers la patiente-pauvrefemme.
- Oh, non. On va bien voir…
Et il voit. […]
D’abord la plus petite bougie qui file sans hésiter, glissouillant comme un rien dans les tréfonds
humides, le col benoît sans résistance, pépère. Voyons, monte-z-en une plus grosse, 18 : facile ; 22 :
oh-oh ! 24 : Ouh là là ! dans quelle galère ? et l’Agente timidement Vous voulez une vacurette neuf
tout de suite ?
Mais non. Le bon docteur refuse encore de traduire dans ses gestes ce qui tout dans les faits lui signifie
déjà. Mais non mais non, une simple Karman huit suffira…
Ben voyons.
Zsssloup ! fait la huit à travers le beignet ramolli.
Et s’emplit illico de liquide translucide.
Aïe ! S’il y en a tant c’est que ça fait un petit peu plus de douze) subodoré sur votre figure de dame
bien innocente, l’air absent de celle qui surtout ne veut rien savoir n’est pas là est ailleurs ne participe
en aucune manière.
Débrouillez-vous ! L’avorteur c’est vous, je ne suis que la victime innocente et désespérée, au boulot !
(grondement giclement le bocal s’emplit d’abord de jus clair la sonde ensuite se teinte mais pas
beaucoup, ça vient mal et puis ça ne vient plus, là-bas ça n’accroche pas, ça glisse comme dans un
conduit trop bien huilé les va-et-vient de la main, tire-pousse-tourne du poignet n’y font rien, la
machine gronde toujours au même rythme, mais plus rien dans le tuyau.
Bon, on se retire, on regarde un peu l’entrée. Rien. Donc c’est dedans que ça se passe. Le magma
blanc veut garder le lit. On remet ça) ne dit pas, mais le pense, la dame au regard vide, tandis que le
copain le coquin le mari, quand il est là, reste assis sur la chaise sans bouger sans regarder personne
sans voir ni savoir…
Plus tard, bien plus tard dans la chambre vos regards croisés de couple moyen, vos yeux éberlués Ah
bon, c’était si avancé que ça ? feront gronder l’envie très nette de vous étrangler proprement tous les
deux […]. »
112
ANNEXE 16
JEAN REVERZY. Le Passage. Paris : Flammarion, 1977, p. 22-23
« Je connaissais bien la nouvelle venue, fille de la concierge d’un immeuble voisin. Le jour, dans la
loge, elle suppléait sa mère « qui faisait des ménages » et, dès le soir tombé, errait sur les trottoirs. Elle
se déshabilla : la lingerie noire et fluide s’écoula et se répandit sur une chaise. La fille eut, pour quitter
son slip, un mouvement d’une aisance et d’une rapidité qui rappelait le geste merveilleusement bref du
joueur de tennis renvoyant la balle. Puis elle roula ses bas en bourrelets jusqu’aux chevilles et s’étendit
sur le divan. Maigre, flétrie, c’était un déchet de la carrière galante, vouée aux plus bas ouvrages.
« C’est encore le ventre », me dit-elle simplement, avec un soupir.
Près d’elle, une fois de plus, je souffris de la malpropreté de son corps. L’eau était rare dans la pièce
unique où elle vivait avec sa mère. Je me souvenais, après une visite, m’être lavé les mains dans un
étroit lavabo encombré de vaisselle ; je n’y avais vu comme objets de toilette qu’un linge visqueux
accroché au robinet et un morceau de savon poli comme un galet. Ma patiente ne connaissait pas
d’autres ablutions que le bain de siège des hôtels borgnes où elle gagnait sa vie. Peu remarquable au
premier regard, sa malpropreté se révélait à mesure que je l’observais davantage ; un point noir
marquait chaque pore ; l’ombilic était un puits obscur de saletés accumulées. Je retins mon souffle à
l’odeur de marécage de ce corps malade et malpropre. Nous parlions très sérieusement, avares l’un et
l’autre de nos mots. Elle m’expliquait ses troubles avec beaucoup de clarté. Aussi, notre dialogue fut
bref et l’examen plus bref encore. Elle se leva et remit ses vêtements ; puis elle s’approcha de la glace,
ouvrit son sac, se farda les lèvres, tandis que, penché sur mon bureau et retrouvant mon attitude
habituelle d’écolier appliqué à son devoir, je rédigeais une ordonnance. »
ANNEXE 17
ALBERT CAMUS. La Peste. Paris : Editions Gallimard, 1947, p. 168-174
« La veille même du jour où Castel vint visiter Rieux, le fils de M. Othon était tombé malade et toute
la famille avait dû gagner la quarantaine. […]
Quant à l’enfant, il fut transporté à l’hôpital auxiliaire, dans une ancienne salle de classe où dix lits
avaient été installés. Au bout d’une vingtaine d’heures, Rieux jugea son cas désespéré. Le petit corps
se laissait dévorer par l’infection, sans une réaction. De tous petits bubons, douloureux, mais à peine
formés, bloquaient les articulations de ses membres grêles. Il était vaincu d’avance. C’est pourquoi
Rieux eut l’idée d’essayer sur lui le sérum de Castel. Le soir même, après le dîner, ils pratiquèrent la
longue inoculation, sans obtenir une seule réaction de l’enfant. A l’aube, le lendemain, tous se
rendirent auprès du petit garçon pour juger de cette expérience décisive. […]
Ils avaient déjà vu mourir des enfants puisque la terreur, depuis des mois, ne choisissait pas, mais ils
n’avaient jamais encore suivis leurs souffrances minute après minute, comme ils le faisaient depuis le
matin. Et, bien entendu, la douleur infligée à ces innocents n’avait jamais cessé de leur paraître ce
qu’elle était en vérité, c’est-à-dire un scandale. Mais, jusque-là du moins, ils se scandalisaient
abstraitement, en quelque sorte, parce qu’ils n’avaient jamais regardé en face, si longuement, l’agonie
d’un innocent. […]
Depuis un moment, Castel avait fermé son livre et regardait le malade. Il commença une phrase, mais
fut obligé de tousser pour pouvoir la terminer, parce que sa voix détonnait brusquement :
« Il n’y a pas eu de rémission matinale, n’est-ce pas, Rieux ? »
Rieux dit que non, mais que l’enfant résistait depuis plus longtemps qu’il était normal. Paneloux, qui
semblait un peu affaissé contre le mur, dit alors sourdement :
« S’il doit mourir, il aura souffert plus longtemps. »
Rieux se retourna brusquement vers lui et ouvrit la bouche pour parler, mais il se tut, fit un effort
visible pour se dominer et ramena son regard sur l’enfant. […]
113
Seul, l’enfant se débattait de toutes se forces. Rieux, qui, de temps en temps, lui prenait le pouls, sans
nécessité d’ailleurs et plutôt pour sortir de l’immobilité impuissante où il était, sentait, en fermant les
yeux, cette agitation se mêler au tumulte de son propre sang. Il se confondait alors avec l’enfant
supplicié et tentait de la soutenir de toute sa force encore intacte. Mais une minute réunies, les
pulsations de leurs deux cœurs se désaccordaient, l’enfant lui échappait, et son effort sombrait dans le
vide. Il lâchait alors le mince poignet et retournait à sa place.
Le long des murs peints à la chaux, la lumière passait du rose au jaune. Derrière la vitre, une matinée
de chaleur commençait à crépiter. C’est à peine si on entendit Grand partir en disant qu’il reviendrait.
Tous attendaient. L’enfant, les yeux toujours fermés, semblait se calmer un peu. Les mains, devenues
comme des griffes, labouraient doucement les flancs du lit. Elles remontèrent, grattèrent la couverture
près des genoux, et, soudain, l’enfant plia ses jambes, ramena ses cuisses près du ventre et
s’immobilisa. Il ouvrit alors les yeux pour la première fois et regarda Rieux qui se trouvait devant lui.
Au creux de son visage maintenant figé dans une argile grise, la bouche s’ouvrit, et presque aussitôt, il
en sortit un seul cri continu, que la respiration nuançait à peine, et qui emplit soudain la salle d’une
protestation monotone, discorde, et si peu humaine qu’elle semblait venir de tous les hommes à la fois.
Rieux serrait les dents et Tarrou se détourna. Rambert s’approcha du lit près de Castel qui ferma le
livre, resté ouvert sur ses genoux. Paneloux regarda cette bouche enfantine, souillée par la maladie,
pleine de ce cri de tous les âges. Et il se laissa glisser à genoux, et tout le monde trouva naturel de
l’entendre dire d’une voix, un peu étouffée, mais distincte derrière la plainte anonyme qui n’arrêtait
pas : « Mon Dieu, sauvez cet enfant. »
Mais l’enfant continuait de crier et, tout autour de lui, les malades s’agitèrent. Celui dont les
exclamations n’avaient pas cessé, à l’autre bout de la pièce, précipita le rythme de sa plainte jusqu’à en
faire, lui aussi, un vrai cri, pendant que les autres gémissaient de plus en plus fort. Une marée de
sanglots déferla dans la salle, couvrant la prière de Paneloux, et Rieux, accroché à sa barre de lit,
ferma les yeux, ivre de fatigue et de dégoût.
Quand il les rouvrit, il trouva Tarrou près de lui.
« Il faut que je m’en aille, dit Rieux. Je ne peux plus les supporter. »
Mais brusquement, les autres malades se turent. Le docteur reconnut alors le cri que l’enfant avait
faibli, qu’il faiblissait encore et qu’il venait de s’arrêter. Autour de lui, les plaintes reprenaient, mais
sourdement, et comme un écho lointain de cette lutte qui venait de s’achever. Car elle s’était achevée.
Castel était passé de l’autre côté du lit et dit que c’était fini. La bouche ouverte, mais muette, l’enfant
reposait au creux des couvertures en désordre, rapetissé tout à coup, avec des restes de larmes sur son
visage. […]
Mais Rieux quittait déjà la salle, d’un pas si précipité, et avec un tel air, que lorsqu’il dépassa
Paneloux, celui-ci tendit un bras pour le retenir.
« Allons, docteur », lui dit-il.
Dans le même mouvement emporté, Rieux se retourna et lui jeta avec violence :
« Ah ! celui-là, au moins, était innocent, vous le savez bien ! » »
ANNEXE 18
PHILIPPE CORNET. Chair Tombale. Paris : le cherche midi, 2007, p. 30-33
« L’appel de mon nom me fit sortir de mes songeries et réaliser que je m’étais absenté de ma condition
de patient dans l’attente de sa consultation. Je n’avais pas eu le temps de préparer le début de mon
entretien avec le professeur. Je tenais chaque fois à me distinguer en prenant l’initiative du ton qui
devait présider notre échange. Je n’étais pas dupe du caractère puéril de mon attitude qui n’avait
d’autre but que de revendiquer une place à part dans la relation que ce médecin pouvait entretenir avec
ses malades. Je le fréquente depuis plus de quinze ans et la solidité de notre lien s’est affirmée au gré
des avatars de l’histoire de mon poids. Il est le garde-fou de mes intempérances et j’apprécie sa
compréhension pérenne dont témoigne l’absence de jugement sur mon affligeant renoncement à suivre
les conseils qu’il me réitère. Baillancourt est un homme mince, d’une distinction naturelle, ses yeux
clairs cerclés par ses lunettes à fines montures ne semblent jamais devoir prendre de repos tant son
114
attention est extrême. Une certaine indolence se détache de lui, ses gestes, empreints de lenteur mais
sans cérémonie, soulignent un discours toujours clair délivré d’une voix calme et posée. La
soixantaine approchant il a su garder néanmoins une allure presque juvénile. Il me fit entrer et me
salua.
- Installez-vous. Alors ? Comment allez-vous ? Quelles sont les nouvelles depuis les trois
derniers mois ?
- J’ai fait des efforts. J'ai maigri. Je crois. Enfin j’espère.
- Avez-vous acheté une balance ?
La pointe d’ironie qui perçait derrière la question ne m'avait pas échappé. Il connaissait mon
abjection pour l’exercice des poids et mesures et mon obstination à ne pas acquérir l’engin.
- Non, c’est une impression de ceinture. Un peu comme si ma ceinture me remerciait d’avoir
soulagé sa tension.
- Et vous croyez qu’elle vous en serait reconnaissante ?
- En quelque sorte oui. Vous n’imaginez pas à quel point les ceintures des gros sont
détournées de leur fonction initiale. Elles ne tiennent plus les pantalons, vous savez. Elles retiennent le
trop-plein des ventres.
Je voulais lui parler de l’affiche. Peut-il s’intéresser à mon illumination publicitaire insensée ?
Quel crédit donnerait-il à mon assertion de me sentir épié par une femme en papier, collée sur le
mur qui fait face à ma cuisine ? J’avais conscience de l’étrangeté de la situation mais sa fonction de
médecin se prêtait à pouvoir m’entendre, j’y étais décidé. Je repris avec hésitation :
- Aujourd’hui, avant de venir j’ai ...
Ma phrase resta une seconde en suspens.
- Je pensais que cela vous ferait plaisir si j’avais perdu quelques kilos.
A peine eus-je dit cela que je mesurais la puérilité de mon propos, en quoi cet amaigrissement
aurait-il le don de lui faire plaisir ? J’avais renoncé à l’entretenir de mon étrange rencontre.
- Je crois que le plaisir serait d’abord pour vous. Non ?
Il me proposa de me peser.
La balance affichait cent quatre-vingt-cinq kilos ! J’avais encore grossi. Quelle concorde
pouvais-je encore proposer à mon corps qu’il ne trahisse aussitôt ? »
ANNEXE 19
JEAN-CHRISTOPHE RUFFIN. Un Léopard sur le garrot. Paris: Editions Gallimard, 2008, p. 53-54
« Je me souviens par exemple de ce patient auquel le patron annonça doctement, mais à sa manière
enjouée et roborative, qu’il avait bien étudié son dossier. Voilà : il pouvait se réjouir car sa tumeur
était opérable et l’intervention aurait d’ailleurs lieu très bientôt. A cette annonce, le malade marqua des
signes d’agitation, mais il ne parvint pas à interrompre le flot de paroles du mandarin qui tenait à le
rassurer. A l’accélération de son débit, à ses gestes nerveux, on comprenait que le patron, de toute
manière, n’avait pas envie que s’engage une conversation. Les regards de noyé qu’il jetait vers la porte
montraient qu’il commençait à ressentir douloureusement le besoin d’une cigarette et d’un petit verre.
Après une dernière pirouette, affectant un air affairé et bourru, il tapota la main du patient et visa la
porte de sortie. C’est alors que le malade put aligner deux mots.
« Mais, Professeur, osa-t-il, j’ai déjà été opéré la semaine dernière. » »
115
ANNEXE 20
ROGER MARTIN DU GARD. Les Thibault. Tome V. Epilogue. Paris: Editions Gallimard, 1940, p.
111-113
« Dès qu'il eut terminé ses inhalations, Antoine noua un foulard autour de son cou pour se prémunir
contre un brusque changement de température, et partit retrouver le docteur, qui chaque matin, passait
une demi-heure à l’annexe, pour surveiller en personne les exercices de gymnastique respiratoire qu’il
ordonnait à certains gazés.
Bardot, debout au milieu de ses malades, présidait cette cacophonie essoufflée et rauque, avec une
attention souriante. […]
- « Je suis content », dit-il, entraînant aussitôt Antoine dans la petite pièce qui servait de vestiaire, et
où ils se trouvèrent seuls. « Je craignais… Mais non : albumino-réaction négative, c’est bon signe. »
Il avait tiré un papier du revers de sa manche. Antoine le prit et le parcourut des yeux :
- « Je te rendrai ça ce soir, après l’avoir copié. »
(Depuis le début de son intoxication, il tenait, dans un agenda spécial, un journal clinique très complet
de son cas.)
- « Tu restes bien longtemps à l’inhalation », gronda Bardot. « Ca ne te fatigue pas ? »
- « Non, non », fit Antoine. « Je tiens beaucoup à ces inhalations. » Sa voix était faible, courte de
souffle, mais distincte. « Au réveil, les sécrétions qui couvrent la glotte sont si épaisses que l’aphonie
est complète. Tu vois : elle s’atténue notablement, dès que le larynx est bien récuré par la vapeur. »
Bardot ne renonçait pas à son opinion :
- « Crois-moi, n’en abuse pas. L’aphonie, si agaçante qu’elle soit, ce n’est qu’un moindre mal. Les
inhalations prolongées risquent d’enrayer trop brusquement la toux. » Sa prononciation traînante
trahissait son origine bourguignonne ; elle accentuait encore l’expression de douceur, de sérieux, qui
émanait du regard.
Il était assis et avait fait asseoir Antoine. Il s’appliquait à donner aux malades l’impression qu’il n’était
pas pressé, qu’il avait tout le temps de les écouter, que rien ne l’intéressait plus que leurs doléances :
- « Je te conseille de reprendre, ces jours-ci, une de tes potions expectorantes », dit-il, après avoir
interrogé Antoine sur la journée de la veille et sur la nuit. « Terpine ou drosera, ce que tu voudras. Et
dans une infusion de bourrache… Oui, oui : remède de bonne femme… Une sueur abondante, avant de
s’endormir, à condition de ne pas prendre, - rien de meilleur ! » […]
Il prenait plaisir à multiplier les recommandations : il croyait religieusement à l’efficacité de ses
traitements, et ne se laissait décourager par aucun échec. Il n’aimait rien tant qu’à persuader autrui : et
spécialement Antoine, dont il sentait, sans mesquine jalousie, la supériorité.
- « Et puis », poursuivit-il, sans quitter son patient des yeux, « si tu veux modérer les sécrétions
nocturnes, pourquoi pas, pendant quelques jours, une cure de sulfoarsenicale ? […] » »
ANNEXE 21
ALBERT CAMUS. La Peste. Paris : Editions Gallimard, 1947, p.66-67
« De même, l’après-midi du même jour, Joseph Grand avait fini par faire des confidences personnelles
au docteur Rieux. Il avait aperçu la photographie de Mme Rieux sur le bureau et avait regardé le
docteur. Rieux répondit que sa femme se soignait hors de la ville. « Dans un sens, avait dit Grand,
c’est une chance. » Le docteur répondit que c’était une chance sans doute et qu’il fallait espérer
seulement que sa femme guérît.
« Ah ! fit Grand, je comprends. »
Et pour la première fois depuis que Rieux le connaissait, il se mit à parler d’abondance. Bien qu’il
cherchât encore ses mots, il réussissait presque toujours à les trouver comme si, depuis longtemps, il
avait pensé à ce qu’il était en train de dire.
116
Il s’était marié fort jeune avec une très jeune fille pauvre de son voisinage. C’était même pour se
marier qu’il avait interrompu ses études et pris un emploi. Ni Jeanne ni lui ne sortaient jamais de leur
quartier. Il allait la voir chez elle, et les parents de Jeanne riaient un peu de ce prétendant silencieux et
maladroit. Le père était cheminot. Quand il était de repos, on le voyait toujours assis dans un coin, près
de la fenêtre, pensif, regardant le mouvement de la rue, ses mains énormes à plat sur les cuisses. La
mère était toujours au ménage, Jeanne l’aidait. Elle était si menue que Grand ne pouvait la voir
traverser une rue sans être angoissé. Les véhicules lui paraissaient alors démesurés. Un jour, devant
une boutique de Noël, Jeanne, qui regardait la vitrine avec émerveillement, s’était renversée vers lui en
disant : « Que c’est beau ! » Il lui avait serré le poignet. C’est ainsi que le mariage avait été décidé.
Le reste de l’histoire, selon Grand, était très simple. Il en est ainsi pour tout le monde : on se marie, on
aime encore un peu, on travaille. On travaille tant qu’on en oublie d’aimer. Jeanne aussi travaillait,
puisque les promesses du chef de bureau n’avaient pas été tenues. Ici, il fallait un peu d’imagination
pour comprendre ce que voulait dire Grand. La fatigue aidant, il s’était laissé aller, il s’était tu de plus
en plus et il n’avait pas soutenu sa jeune femme dans l’idée qu’elle était aimée. Un homme qui
travaille, la pauvreté, l’avenir lentement fermé, le silence des soirs autour de la table, il n’y a pas de
place pour la passion dans un tel univers. Elle était restée cependant : il arrive qu’on souffre longtemps
sans le savoir. Les années avaient passé. Plus tard, elle était partie. Bien entendu, elle n’était pas partie
seule. « Je t’ai bien aimé, mais maintenant je suis fatiguée… Je ne suis pas heureuse de partir, mais on
n’a pas besoin d’être heureux pour recommencer. » C’est en gros, ce qu’elle lui avait écrit.
Joseph Grand à son tour avait souffert. Il aurait pu recommencer, comme le lui fit remarquer Rieux.
Mais voilà, il n’avait pas la foi.
Simplement, il pensait toujours à elle. Ce qu’il aurait voulu, c’est lui écrire une lettre pour se justifier.
« Mais c’est difficile, disait-il. Il y a longtemps que j’y pense. Tant que nous nous sommes aimés, nous
nous sommes compris sans paroles. Mais on ne s’aime pas toujours. A un moment donné, j’aurais dû
trouver les mots qui l’auraient retenue, mais je n’ai pas pu. » Grand se mouchait dans une sorte de
serviette à carreaux. Puis il s’essuyait les moustaches. Rieux le regardait.
« Excusez-moi, docteur, dit le vieux, mais, comment dire ?... J’ai confiance en vous. Avec vous, je
peux parler. Alors, ça me donne de l’émotion. » »
ANNEXE 22
GEORGES SIMENON. Les Anneaux de Bicêtre. Georges Simenon Limited, 1962, p. 50-51
« Un cortège passe dans le couloir avec un grand bruit de pas et de voix.
- La visite du professeur à la salle… annonce Mlle Blanche.
Audoire marche en tête, deux ou trois mètres devant les autres, ses assistants et une trentaine d’élèves
parmi lesquels se trouvent trois ou quatre étudiantes. Cela fait penser, en moins hiératique, à une
cérémonie religieuse. Les malades doivent être assis sur leur lit et la petite troupe va de l’un à l’autre.
Besson a insisté, il y a quelques années, pour que Maugras assiste à la même cérémonie trihebdomadaire dans son service de Broussais. La plupart des patients étaient couchés, quelques-uns
mourants. Besson d’Argoulet était plus beau, plus impressionnant encore qu’à un dîner officiel, la
blouse immaculée, ses cheveux argentés mis en valeur par la blancheur du calot.
N’était-ce pas un jeu cruel ? Une main indifférente relevait le drap et découvrait un corps fiévreux, des
malformations, des escarres, tandis que le professeur, de la voix qu’il avait en chaire, énonçait ses
observations et que les élèves prenaient des notes.
Le groupe passait lentement d’un lit à l’autre et des regards le suivaient, certains, à peine
humains, qui n’exprimaient plus qu’une peur animale. Chacun attendait son tour, tendait
l’oreille, s’efforçait de comprendre les commentaires du médecin qui auraient aussi bien pu
être prononcés en latin »
117
ANNEXE 23
MARTIN WINCKLER. Les Trois médecins. Paris : P.O.L. Editeur, 2004, p.493-496
« Une exposition de malades à l’hôpital Saint-Louis
« J’ai l’impression d’être un bestiau »
Ce n’est pas une poupée ni une voiture ou un aspirateur, c’est une adolescente, Marie-Laure, quinze
ans, l’une des soixante malades qui ont été « exposées » le jeudi 8 mars à l’hôpital Saint-Louis. Sous
ses pieds posés sur une chaise, une pancarte : « Ne pas toucher. » Car, pour les autres, on touche, on
touche même beaucoup. On tâte, on inspecte, on dit : « Pouvez-vous vous tourner ? » Cette effarante
mise en scène a lieu chaque année en mars, pour inaugurer les Journées dermatologiques de Paris, qui
réunissent traditionnellement des centaines de congressistes à l’hôpital Saint-Louis.
Le premier jour est consacré à cette exhibition, les deux autres aux communications scientifiques. Les
malades sont placés dans les salles de consultation de trois pavillons de dermatologie où défilent en
rangs serrés les congressistes, qui commentent à voix forte les cas rares ainsi présentés. Chaque
congressiste est muni d’un volumineux catalogue où, suivant la formule des musées, chaque malade
porte un numéro. Les congressistes peuvent ainsi lire la description détaillée des cas et se reporter à
l’original, assis sur une chaise, dûment numéroté.
Le jeudi 8 mars, la palette des cas ainsi présentés a paru intéressante. En effet, au n° 20, une jeune fille
en soutien-gorge a pu se faire tâter abondamment puis interroger en ces termes : « Quel âge avez-vous,
ma petite chatte ? » Au n° 24, un enfant de quatre ans porte une lésion au pied. « Ça chatouille quand
on te touche ? Tu seras beaucoup chatouillé aujourd’hui. » Au n°30, on a ajouté un « bis » non prévu
au catalogue ; c’est un algérien qui porte, semble-t-il, une affection rare […].
Dans un autre pavillon est exposée une mongolienne, un peu plus loin un lépreux. Il est malien.
Derrière son dos une grande pancarte porte la mention « Hansen ». C’est devenu une rareté. Plus loin,
une dame d’une soixantaine d’années proteste à mi-voix : « c’est comme à la foire du Trône. J’ai
l’impression d’être un bestiau. On ne m’avait pas dit que cela se passerait comme ça, on m’avait juste
demandé si je voulais bien participer à une réunion. J’ai cinquante-huit ans et je suis très malade, j’ai
été opérée à cœur ouvert et je suis très fatiguée. » Mais cette dame présente, dit le catalogue – qui
donne tous les détails -, une affection du cuir chevelu. […]
Un autre malade dans une autre salle est nu, son pantalon sur ses chaussures : ses lésions
dermatologiques sont situées dans la zone génitale. Plus loin, une jeune femme ne lève même pas la
tête : les parties à exhiber sont son cou et sa nuque. »
ANNEXE 24
JEAN REVERZY. Le Passage. Paris : Flammarion, 1977, p. 161
« Palabaud mort n’en avait pas fini avec les médecins. Selon la formule des billets d’autopsie, il était
d’un intérêt scientifique grave que son éviscération fût pratiquée, car les cirrhoses pigmentaires sont
des maladies peu fréquentes. Intéressé par le cas, le professeur Joberton de Belleville tenait à vérifier
un diagnostic établi hâtivement. »
118
ANNEXE 25
ANTOINE SENANQUE. Blouse. Paris : Editions Grasset et Fasquelle, 2004, p. 14-15
« « Je ne sais pas »… Ma devise. […]
Les malades haïssent votre « Je ne sais pas ». […]
Mon « Je ne sais pas » ne pouvait pas être accepté. J’ai dû le garder en moi durant d’interminables
consultations qu’il aurait su abréger. J’ai dû faire croire que je connaissais les réponses à toutes les
questions. J’ai dû apprendre la langue qu’on utilise dans ces cas-là, le vocabulaire médical qui vous
sauve de tous les pièges.
C’est une langue difficile à maîtrises. Elle explique en partie la longueur des études et les voyages
imposés dans les différentes spécialités. On ne vous apprend pas à mieux comprendre les choses mais
à les nommer différemment.
Pour les troubles de l’équilibre chez la personne âgée, par exemple, une cause de consultation
pluriquotidienne en ville, vous savez bien que les chutes sont un peu dues à tout, au vieillissement des
centres de l’oreille interne, à la moins bonne perfusion des artères cérébrales, à l’arthrose cervicale,
lombaire, des genoux, des hanches, à la peur de tomber, à la dépression, aux médicaments… Vous ne
savez où piocher parmi ces causes, mais vous êtes seul, sans votre compagnon d’ignorance, interdit de
consultation. Vous demandez alors au vocabulaire médical de venir à votre secours. Il vous offre un
peu d’ischémie, un peu d’artériopathie, de trouble de la proprioception… Le tour est joué. Le patient
est satisfait, il a eu ce qu’il attendait, des mots. »
ANNEXE 26
JULES ROMAIN. Knock. Paris: Editions Gallimard, 1924, p. 97-99
«La dame - Vous savez que je suis réellement très, très tourmentée avec mes locataires et mes titres. Je
passe des nuits sans dormir. C’est horriblement fatigant. Vous ne connaîtriez pas, docteur, un secret
pour faire dormir ?
Knock – Il y a longtemps que vous souffrez d’insomnie ?
- Très, très longtemps.
- Vous en aviez parlé au docteur Parpalaid ?
- Oui, plusieurs fois.
- Que vous a-t-il dit ?
- De lire chaque soir trois pages du Code civil. C’était une plaisanterie. Le docteur n’a jamais
pris la chose au sérieux.
- Peut-être a-t-il eu tort. Car il y a des cas d’insomnie dont la signification est d’une
exceptionnelle gravité.
- Vraiment ?
- L’insomnie peut être due à un trouble essentiel de la circulation intracérébrale,
particulièrement à une altération des vaisseaux dite « en tuyau de pipe ». Vous avez peut-être,
madame, les artères du cerveau en tuyau de pipe.
- Ciel ! En tuyau de pipe ! L’usage du tabac, docteur, y serait pour quelque chose ? Je prise un
peu.
- C’est un point qu’il faudrait examiner. L’insomnie peut encore provenir d’une attaque
profonde et continue de la substance grise par la névroglie.
- Ce doit être affreux. Expliquez-moi cela, docteur.
- Représentez-vous un crabe, ou un poulpe, ou une gigantesque araignée en train de vous
grignoter, de vous suçoter et de vous déchiqueter doucement la cervelle.
- Oh ! (Elle s’effondre dans un fauteuil.) Il y a de quoi s’évanouir d’horreur. Voilà certainement
ce que je dois avoir. Je le sens bien. Je vous en prie, docteur, tuez-moi tout de suite. Une
119
-
-
piqûre, une piqûre ! Ou plutôt ne m’abandonnez pas. Je me sens glisser au dernier degré de
l’épouvante. (Un silence.) Ce doit être absolument incurable ? et mortel ?
Non.
Il y a un espoir de guérison ?
Oui, à la longue.
Ne me trompez pas, docteur. Je veux savoir la vérité.
Tout dépend de la régularité et de la durée du traitement. »
ANNEXE 27
ROGER MARTIN DU GARD. Les Thibault. Tome II. La consultation.Paris : Editions Gallimard,
1928, p. 32-34
« Quand ils retrouvèrent le Patron auprès du bébé, où l’avait conduit Studler, Philip avait déjà retiré sa
jaquette et mis un tablier blanc. Calme, le masque muré, comme s’il eût été seul au monde avec
l’enfant, il procédait à une investigation minutieuse, méthodique, bien que, dès le premier contact, il
eût mesuré l’inefficacité de tout traitement.
Héquet, silencieux, les mains fébriles, épiait le visage du praticien.
L’examen dura dix minutes.
Lorsque Philip eut terminé, il releva la tête et chercha Héquet des yeux. Celui-ci était devenu
méconnaissable : une face morne, un regard figé entre des paupières rouges, racornies, comme
desséchées par du vent et du sable. Son impassibilité était pathétique. Philip comprit, au rapide coup
d’œil dont il l’enveloppa, que toute feinte était superflue, et il renonça aussitôt aux soins nouveaux
qu’il s’apprêtait, par charité, à prescrire. Il dénoua son tablier, se lava rapidement les mains, remit la
jaquette que l’infirmière lui présentait, et sortit de la pièce, sans un regard vers le petit lit. Héquet le
suivit, puis Antoine.
Dans le vestibule, les trois hommes, debout, se dévisagèrent.
- « Je vous remercie d’être venu tout de même », articula Héquet.
Philip secoua évasivement les épaules, et ses lèvres claquèrent avec un bruit mouillé. Héquet le
considérait à travers son lorgnon. Progressivement, l’expression de ce regard devint sévère,
méprisante, presque haineuse ; puis cette lueur mauvaise s’éteignit. Il balbutia, sur un ton d’excuse :
- « On ne peut pas s’empêcher d’espérer l’impossible. »
Philip ébaucha un geste qu’il n’acheva pas, et, sans hâte, décrocha son chapeau. Mais, au lieu de sortir,
il revint vers Héquet, hésita, et gauchement, lui mit une main sur le bras. Il y eut un nouveau silence.
Puis, comme s’il se ressaisissait, Philip se recula, toussa légèrement et se décida enfin à partir. Antoine
s’approcha d’Héquet :
- « C’est ma consultation, aujourd’hui. Je reviendrai ce soir, vers neuf heures. »
Héquet, immobile, regardait stupidement la porte ouverte par où son dernier espoir venait de
disparaître, avec Philip ; il remua la tête pour montrer qu’il avait entendu. »
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ANNEXE 28
MARTIN WINCKLER. Les Trois médecins. Paris : P.O.L. Editeur, 2004, p. 385-387
« Et puis, c’est toujours la même chose, une catastrophe en attire une autre, je croyais que la
tuberculose était une maladie qui touchait seulement les poumons, mais ça donne aussi des infections
ailleurs. Je n’avais pas de règles depuis plusieurs semaines, alors mon médecin s’est inquiété, il m’a
fait faire des examens et il a découvert que j’avais une tuberculose des organes génitaux. Mes ovaires,
mes trompes, mon utérus, tout était touché… Le gynécologue qui a vu mes résultats d’examens, m’a
déclaré brutalement : « Vous n’aurez plus d’enfants, vous êtes stérile ! »
Tout le monde autour de moi m’a dit que c’était triste, mais pas grave, j’avais déjà un enfant, il y a tant
de femmes qui n’en ont pas, bref, rien que des choses qui veulent vous consoler mais qui ne consolent
pas du tout : je me fichais des autres, c’est de moi qu’il s’agissait… Et j’avais envie d’avoir d’autres
enfants. Pas tout de suite, mais quand même. Je n’ai que vingt-huit ans. Apprendre à vingt-huit ans
qu’on n’aura plus d’enfants, c’est dur… Mais personne n’avait l’air de trouver ça dur autour de moi.
[…]
J’ai commencé à aller très mal. Je déprimais. Je me sentais de plus en plus triste, j’avais de plus en
plus envie de tout laisser tomber, de plus en plus de mal à me lever, de plus en plus de mal à
m’occuper de mon petit garçon… Et puis, un jour, je me mets à avoir les seins qui gonflent et me font
mal. Je n’avais toujours pas vu revenir mes règles, mais je pensais qu’avec ma tuberculose, c’était
normal… et comme on m’avait dit que j’étais stérile, bien sûr, je ne prenais pas de précautions… En
plus, mon mari ne voulait pratiquement plus me toucher… Non, quand je dis qu’il ne voulait plus, ce
n’est pas tout à fait vrai. Il voulait, il en avait envie, et moi aussi, mais il avait peur que ça me fasse
mal, ou je ne sais quoi, et on le faisait quand je n’y tenais vraiment plus et que je le suppliais. Personne
ne nous avait dit que c’était dangereux ; le spécialiste, une fois son diagnostic posé, nous avait
carrément mis dehors, ça ne l’intéressait plus, et notre médecin, comme c’est aussi un ami, on avait du
mal à lui parler de notre vie intime, vous comprenez bien…
Bref, pour en avoir le cœur net – je n’avais eu mal aux seins qu’une seule fois : quand j’attendais mon
fils- j’ai fait un test de grossesse. Il était positif. J’étais aux anges, vous ne pouvez pas savoir, je me
disais : « Alors ils se sont trompés, je ne suis pas stérile, je peux encore avoir des enfants ! », et je suis
allée, tout heureuse, annoncer ça à mon mari et à notre ami médecin. Mon mari l’a mal pris. Notre ami
médecin l’a mal pris. Et quand je suis allée voir le spécialiste qui soignait ma tuberculose, il m’a dit
d’un ton très froid : « Ah, mais, madame, vous prenez du Rimifon, et ce médicament est tératogène. »
Je ne savais pas ce que ça voulait dire. Il m’a expliqué que le bébé que j’attendais risquait de naître
avec des malformations à cause du médicament. J’ai dit que j’allais arrêter le médicament, que ça
m’était égal, mais il m’a répondu que c’était trop tard, j’étais déjà enceinte de deux mois, les
dommages étaient faits, il fallait que je me fasse avorter…
Là, vous comprenez, c’en était trop. Après l’avortement, ma belle-famille ne m’a plus du tout adressé
la parole, comme si j’avais été responsable de ce qui m’arrivait. Mon mari ne me parlait plus […].
J’aurais dû prendre des comprimés. Je voulais le faire, mais je ne savais pas quoi prendre. J’étais allée
parler à notre ami médecin… je ne sais pas pourquoi je l’appelle encore comme ça… Je trouve qu’il
n’a pas été très amical avec moi… Un jour… avant de faire… ça… je suis allée le voir pour parler
avec lui, pour essayer de lui expliquer tout ce que j’avais sur le cœur, mais, au bout de cinq minutes,
c’est lui qui a commencé à me parler de sa femme, de ses enfants, de ses problèmes de remplaçant, de
je ne sais quoi… […] Un médecin, ça n’est pas là pour nous raconter ses problèmes à nous… […]
C’est pour ça que j’ai voulu en finir… Je m’étais mise dans la baignoire, comme on le voit faire dans
les films, j’avais fait couler un bain chaud… j’étais bien…avec des comprimés, ça aurait été bien…
Mais s’entailler les veines, je ne le referai jamais, ça fait trop mal… »
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ANNEXE 29
MARTIN WINCKLER. La Vacation. Paris : P.O.L. Editeur, 1989, p. 32
« Du bout du pied tu attires le tabouret juste devant la bassine métallique. Tu t’assois. Tu demandes
qu’on rapproche la table roulante. Tu saisis le spéculum posé sur le plateau, tu trempes son extrémité
dans le liquide translucide, tu te penches vers le sexe de la femme Je vous pose un spéculum tu écartes
les lèvres du bout des doigts, tu glisses les valves mécaniques C’est froid dans l’orifice, en tournant
lentement, en poussant doucement vers le bas mais c’est pas méchant. Une fois l’instrument en place,
tu écartes les valves : tu cherches, au fond du tunnel ainsi formé, quelque chose qui ressemble au col
utérin, une sorte de petit beignet rond, rose, centré d’un orifice parfois minuscule, parfois béant. Il
arrive que le col se dérobe ; tu laisses alors le spéculum se refermer, tu le retires un peu, tu le
repousses plus loin, plus bas, tu écartes à nouveau les valves, tu fouilles doucement la cavité élastique
pour découvrir enfin la masse rose, plus à droite ou plus en haut que prévu. Une fois trouvée la bonne
position, tu ajustes la crémaillère qui maintient les valves écartées. Derrière toi, l’Agente fait
descendre le scialytique, et l’oriente dans l’axe du tunnel que tu viens d’ouvrir, pour te donner toute la
lumière.
Tu examines le beignet rond, au fond du spéculum.
- Avez-vous déjà eu un frottis du col, Madame ?
De la main droite, tu prends sur le drap bleu la pince Longuette ; de la main gauche, tu plies une
compresse stérile Un frottis c’est un examen du col de l’utérus, jusqu’à en faire une petite boule ça
sert à dépister des anomalies bénignes, qui peuvent plus tard devenir cancéreuses si on ne les soigne
pas, tu l’insères entre les mors de la pince, tu la trempes dans le liquide translucide.
- Je vais maintenant désinfecter votre col avec du liquide antiseptique.
A. se penche vers la dame en souriant.
- C’est juste une petite toilette.
Tu sors la compresse de la cupule ; tu la fais passer au-dessus du vide entre la table roulante et le corps
de la femme en t’assurant qu’aucune goutte ne tombe avant qu’elle ne parvienne à l’entrée du tunnel.
- C’est mouillé. C’est désagréable, mais ça non plus ça n’est pas méchant. »
ANNEXE 30
MARTIN WINCKLER. Les Trois médecins. Paris : P.O.L. Editeur, 2004, p. 586
« Tiens, je m’en souviens d’une qui dit tout du bonhomme et surtout de ceux qui étaient autour : un
vieux monsieur de quatre-vingt-cinq ans est admis en chirurgie pour des métastases qui bloquent les
deux reins, et le problème est à la fois simple et compliqué comme une question d’examen (rayer la
mention inutile) : OU BIEN on le met en dialyse et avec ses métastases il en a pour trois à six mois
avec un peu de chance, OU BIEN on le laisse tranquillement mourir de son insuffisance rénale, et là il
en a pour quinze jours, qu’est-ce qu’on fait ? Top chrono. Et là, il y a les deux camps. Ceux de la
vieille école : On doit tout faire pour prolonger la vie à tout prix, on n’est pas là pour le laisser
mourir, et ceux de la nouvelle vague : La dialyse ça coûte cher c’est pénible ça prend du temps et de
la place déjà qu’on en a pas assez et puis à son âge on va pas le greffer alors est-ce que c’est vraiment
bien d’envisager ça, à son âge il a fait son temps on peut peut-être le laisser partir tranquillement.
Comme on est en direction collégiale, évidemment, personne n’emporte le morceau, pas même
l’agrégé, qui ne peut tout de même pas se comporter comme le calife alors qu’il n’y a même plus de
grand vizir pour briguer la place. Alors on se dit peut-être qu’on pourrait demander à Zimmermann, il
ne vient plus souvent parce qu’on l’a mis sur la touche, mais, officiellement, c’est encore lui le chef de
service, alors pourquoi on le laisse pas se débrouiller avec la patate chaude et trouver les mots qu’il
faut pour expliquer sa décision souveraine à la famille ?
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Et là, l’air de rien, le vieux Zim lève un sourcil, regarde ses interlocuteurs par-dessus ses lunettes, fait
un petit sourire et dit :
- Et le malade, il en dit quoi, lui ?
Les autres se regardent bouche ouverte : ils ne le lui ont pas demandé. D’ailleurs, ils ne lui ont même
pas dit…
- Bon, je vais lui parler.
Il entre dans la chambre, il dit bonjour monsieur, il se présente, lui serre la main, s’assied près du lit et
demande :
- Que savez-vous de votre état de santé ?
Et le vieux monsieur lui répond :
- Ben, comme je suis vieux mais pas sourd, j’ai entendu à travers la porte qu’avec dialyse et
métastases j’en ai pour trois à six mois et que sans, j’en ai pour quinze jours.
- Et vous en pensez quoi ?
- Ben, ce que j’en pense, c’est que je suis prêt à passer l’arme à gauche puisque mon heure est
venue, depuis le temps que j’ai mon âge j’ai eu le temps de m’habituer à cette idée, mais vous
voyez, je suis historien et j’aimerais bien finir mon bouquin, il me reste une dizaine de
chapitres à écrire, alors franchement, si ça vous dérange pas, je préfèrerais la dialyse, ça me
donnerait le temps de me retourner. Et puis, si je finis très vite, le jour venu on peut toujours
me débrancher pour que je m’en aille tranquillement à la dérive…»
ANNEXE 31
JEAN-CHRISTOPHE RUFFIN. Un Léopard sur le garrot. Paris : Editions Gallimard, 2008, p. 95-96
« Les relations ancestrales de la médecine et de la mort étaient empreintes de subtilité. En un temps
(jusqu’aux années cinquante du XXe siècle) où la thérapeutique n’existait pas, le médecin avait face à
la mort une attitude de bretteur gascon : fanfaron, le verbe haut, l’épée volontiers dégainée. Mais le but
était surtout de donner du courage au malade, de le faire combattre, car lui seul était en état de se
défendre. Quand il ne l’était plus, rien ne pouvait se substituer à ses forces défaillantes. Le médecin
connaissait les caprices de la maladie, ses feintes, ses hésitations, ses méthodes joueuses. Tout son art
consistait à s’attribuer bruyamment les reculades de la mort. Mais quand elle voulait vraiment
s’emparer de quelqu’un, le médecin s’inclinait et saluait respectueusement ce partenaire tout-puissant.
Ensuite sont venus les traitements et les victoires : les antituberculeux, les prouesses chirurgicales, les
anticoagulants, les diurétiques, les antimitotiques, etc. Chacun a apporté ses petites victoires sur la
maladie. Pourtant, le vrai médecin, au plus fort de ces conquêtes, n’a jamais préjugé de sa puissance. Il
savait qu’un certain nombre de patients étaient encore élus pour périr et qu’il était inutile de vouloir
priver la mort de ces otages. On peut traiter les embolies pulmonaires, les infarctus, les hémorragies
digestives. Reste qu’une certaine proportion de ces cas, par leur caractère massif, d’emblée gravissime,
est au-delà de toute thérapeutique. C’était eux que mon collègue me recommandait de laisser en paix.
« Ceux qui doivent mourir… »
Ce respect de la mort étendait aussi sa protection sur tous ceux qui, par leur grand âge, l’intensité de
leur souffrance ou la gravité de leur pathologie étaient condamnés. La sagesse médicale consistait à
savoir jusqu’où il était nécessaire de se battre. Au-delà d’un certain seuil il fallait respecter la paix du
patient et le laisser accueillir la mort avec sérénité. Je ne parle pas d’euthanasie. J’évoque seulement
des limites sur lesquelles la loi ne devrait pas avoir à statuer si les médecins d’aujourd’hui étaient
encore ceux d’hier, des limites d’humanité et de conscience. »
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ANNEXE 32
ROMAIN GARY (EMILE AJAR). La Vie devant soi. Paris : Mercure de France, 1975, p. 182
« - Ils vont me faire vivre de force, Momo. C’est ce qu’ils font toujours à l’hôpital, ils ont des lois pour
ça. Je ne veux pas vivre plus que c’est nécessaire et ce n’est plus nécessaire. Il y a une limite même
pour les Juifs. Ils vont me faire subir des sévices pour m’empêcher de mourir, ils ont un truc qui
s’appelle l’Ordre des médecins qui est exprès pour ça. Ils vous en font baver jusqu’au bout et ils ne
veulent pas vous donner le droit de mourir, parce que ça fait des privilégiés. J’avais un ami qui n’était
même pas juif mais qui n’avait ni bras ni jambes, à cause d’un accident, et qu’ils ont fait souffrir
encore dix ans à l’hôpital pour étudier sa circulation. Momo, je ne veux pas vivre uniquement parce
que c’est la médecine qui l’exige. Je sais que je perds la tête et je veux pas vivre des années dans le
coma pour faire honneur à la médecine. Alors si tu entends des rumeurs d’Orléans pour me mettre à
l’hôpital, tu demandes à tes copains de me faire la bonne piqûre et puis de jeter mes restes à la
campagne. Dans les buissons, pas n’importe où. J’ai été à la campagne après la guerre pendant dix
jours et j’ai jamais autant respiré. C’est meilleur pour mon asthme. J’ai donné mon cul aux clients
pendant trente-cinq ans, je vais pas maintenant le donner aux médecins.»
ANNEXE 32 BIS
ROMAIN GARY (EMILE AJAR). La Vie devant soi. Paris : Mercure de France, 1975, p. 206
« Le docteur Katz mentait comme un bon arracheur de dents pour faire régner la bonne humeur, car le
moral aussi, ça compte.
-
Ah, voilà notre petit Momo qui vient aux nouvelles ! Eh bien, les nouvelles sont bonnes, ce
n’est toujours pas le cancer, je peux vous rassurer tous, ha, ha ! […]
-
Mais comme nous avons des moments difficiles, parce que notre pauvre tête est parfois privée
de circulation, et comme nos reins et notre cœur ne sont pas ce qu’ils étaient autrefois, il vaut
mieux que nous allions passer quelque temps à l’hôpital, dans une grande et belle salle où tout
finira par s’arranger !
J’avais froid aux fesses en écoutant le docteur Katz. Tout le monde savait dans le quartier qu’il n’était
pas possible de se faire avorter à l’hôpital même quand on était à la torture et qu’ils étaient capables de
vous faire vivre de force, tant que vous étiez encore de la barbaque et qu’on pouvait vous planter une
aiguille dedans. La médecine doit avoir le dernier mot et lutter jusqu’au bout pour empêcher que la
volonté de Dieu soit faite. »
ANNEXE 33
JEAN-CHRISTOPHE RUFFIN. Un Léopard sur le garrot. Paris: Editions Gallimard, 2008, p. 96
« Malheureusement, nous avons goûté à la toute puissance et le respect de la mort est en train de faire place à la
vénération de la technique. J’ai moi-même commis quelques péchés d’orgueil de cette nature. Je vois encore
cette femme, dans la salle commune dont j’ai parlé, cancéreuse au stade ultime, qui me regardait préparer sur une
table roulante des cathéters et une sonde. Elle respirait difficilement. Ses bras maigres étaient étendus sur le drap.
Sa voix n’était qu’un souffle ; je me penchai pour distinguer ses paroles : « Laissez-moi tranquille, disait-elle. Ne
me volez pas ma mort. » Je n’ai pas tenu compte de ses protestations. Elle est morte pendant que je la charcutais.
Trente ans plus tard, je ne me le suis pas pardonné. »
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ANNEXE 34
ANTOINE SENANQUE. Blouse. Paris : Editions Grasset et Fasquelle, 2004, p. 178
« J’ai eu mon lot d’artères ratées, d’hématomes compressifs sur des jugulaires mal abordées, de
trachéotomies sanglantes. J’ai monté des sondes intracardiaques qu’il fallait guider sous scope, d’une
cavité à l’autre, en formant des boucles. J’ai entortillé les fils, fait des nœuds dans les oreillettes,
déclenché des troubles du rythme inappareillables. J’ai fait subir mille tortures à des malades qui ne
m’avaient rien fait. J’ai jonglé avec leur cœur, leurs reins, leurs poumons. J’ai connu d’effroyables
intubations à l’aveugle, dans les vomissements et les convulsions, la sonde ratant la trachée, oxygénant
l’œsophage. »
ANNEXE 35
JACQUES CHAUVIRE. Passage des émigrants. Paris : le dilettante, 2003, p. 315
« - Vous paraissez souffrir de plus en plus, demandait Desportes, soucieux.
Jamais, aux yeux de Desportes, qui avait vu pourtant beaucoup mourir, le personnage de Montagnard
n’avait acquis une telle profondeur. Montagnard n’était même pas un symbole. Il était tout simplement
l’homme souffrant, excorié.
- Ah, disait Montagnard, il me semble que si je cessais de vivre, ma douleur persisterait
encore, à ma place, dans ce lit, comme un souvenir
Desportes se rendait compte, une fois encore, qu’il était ignorant, démuni, et que rien, sinon les
drogues qui plongent dans l’inconscience, ne parviendrait à soulager Montagnard.
Avait-il le droit de les utiliser et à partir de quel seuil ? S’il les employait trop précocément, il
s’avouerait vaincu par la division qu’il apporterait à l’unité de l’être. Fallait-il à tout prix apaiser ou
laisser à chacun la conscience de sa propre existence ?
La réponse de Fangio était simple : il fallait utiliser ces drogues à partir du moment où le malade les
réclamait.
Mais Montagnard ne demandait rien.
- Vous étonnez, dit un jour Montagnard à Desportes. Vous paraissez encore convaincu de
l’utilité de ce que vous faites.
- Nous sommes ici pour gagner du temps, répliqua Desportes.
- Et si le temps ne comptait pas ?
- Mais le temps compte.
Et Desportes ajouta sur le ton de la plaisanterie :
- A moins que vous ne soyez convaincu de la vie éternelle ! Vous n’auriez pas cette faiblesse.
Un grand vol de mouettes dérivait au-dessus de l’estuaire. Desportes s’agita, releva un pan de sa
blouse. Des clés tintèrent dans sa poche. Il ajouta :
- On ne doit pas renoncer à soi-même.
- Nous finissons tous ainsi quand nous savons que la partie est perdue. C’est une expérience
qu’il faut vivre pour comprendre, murmura Montagnard.
- Votre corps vous a tellement déçu ?
- Nous nous entendions bien.
Les yeux de Montagnard chavirèrent :
- Maintenant, il me déçoit, ajouta Montagnard dans un souffle.
Masson baissa la tête. Jamais Desportes ne l’avait autant déçu. Son insistance enfreignait les règles de
la bienséance et de la pudeur. Sans doute Desportes essayait-il de se rassurer.
- Voyez-vous, murmura Montagnard gagné par une fatigue de plus en plus grande, je crois en
ma femme. J’ai foi en sa vie. Il n’est pas possible qu’elle ait disparu.
125
-
-
Accepteriez-vous, dit brusquement Desportes, d’être transféré à l’infirmerie B. J’ai longtemps
espéré en l’ouverture du pavillon D. Les travaux n’y sont pas encore achevés. Dès que nous
serons en mesure d’y accueillir des malades, vous serez le premier à y être admis.
Vous n’avez pas à me demandez mon avis, répliqua Montagnard d’une voix faible. C’est votre
affaire. Qu’est-ce que descendre d’un étage. Je consens volontiers.
J’attendais de vous plus qu’un consentement, dit Desportes.
Une absolution ? Vous l’avez. Mais je sais que vous ne serez jamais satisfait. »
ANNEXE 36
ROGER MARTIN DU GARD. Les Thibault. Tome II. La consultation. Paris: Editions Gallimard,
1928, p. 90- 92
« Héquet regardait Antoine. Ses lèvres remuèrent avant qu’il parlât :
- « Il faut… Il faut faire quelque chose », murmura-t-il. « Elle souffre, vous savez… A quoi bon la
laisser souffrir, n’est-ce pas ? Il faut avoir le courage de… de faire quelque chose… » Il se tut, parut
quêter l’appui de Studler ; puis, de nouveau, fixa lourdement son regard sur celui d’Antoine. « Vous,
Thibault, il faut que vous fassiez quelque chose… » Et, comme s’il voulait éviter la réponse, il baissa
la tête, traversa la chambre d’un pas flottant, et disparut.
Antoine demeura quelques secondes figé sur place. Puis il rougit brusquement. Des pensées confuses
se pressaient dans sa tête.
Studler lui toucha l’épaule :
- « Eh bien ? » fit-il à voix basse, en regardant Antoine. Les yeux de Studler faisaient penser à ceux de
certains chevaux, ces yeux allongés et trop vastes où, dans un blanc mouillé, nage à l’aise une prunelle
languide. En ce moment, son regard, comme celui d’Héquet, était fixe, exigeant.
- « Qu’est-ce que tu vas faire ? » souffla-t-il.
Il y eut un bref silence pendant lequel leurs pensées se croisèrent.
- « Moi ? » fit Antoine évasivement. Mais il comprit que Studler ne le tiendrait pas quitte d’une
explication. « Parbleu, je sais bien… », lança-t-il tout à coup. « Et cependant, quand il dit : Faire
quelque chose, on ne peut même pas avoir l’air de comprendre ! »
- « Chut… », fit Studler. Il jeta un coup d’œil du côté de l’infirmière, entraîna Antoine dans le couloir
et ferma la porte.
- « Tu es pourtant d’avis qu’il n’y a plus rien à tenter ? » demanda-t-il.
- « Rien. »
- « Et qu’il n’y a plus aucun, aucun espoir ? »
- « Pas le moindre. »
- « Alors ? »
Antoine, qui sentait une sourde agitation le gagner, s’embusqua dans un silence hostile.
- « Alors ? » déclara Studler. « Il n’y a pas d’hésitation : il faut que ça finisse au plus tôt ! »
- « Je le souhaite comme toi. »
- « Souhaiter ne suffit pas. »
Antoine releva la tête et dit fermement :
- « On ne peut pourtant rien de plus. »
- « Si ! »
- « Non ! »
Le dialogue avait pris un ton si tranchant que Studler se tut quelques secondes.
- « Ces piqûres… », reprit-il enfin, « … je ne sais pas, moi… peut-être qu’en forçant la dose… »
Antoine coupa net :
- « Tais-toi donc ! »
Il était en proie à une violente irritation. Studler l’observait en silence. Les sourcils d’Antoine
formaient un bourrelet presque rectiligne, les muscles de la face subissaient d’involontaires
126
contractions qui tiraillaient la bouche, et, sur son masque osseux, la peau semblait par instants onduler,
comme si les frémissements nerveux se fussent propagés entre cuir et chair.
Une minute passa.
- « Tais-toi », répéta Antoine, moins brutalement. « Je te comprends. Ce désir d’en finir, nous le
connaissons tous, mais ce n’est qu’une ten… tentation de débutant ! Avant tout, il y a une chose : le
respect de la vie ! Parfaitement ! Le respect de la vie… Si tu étais resté médecin, tu verrais les choses
exactement comme nous les voyons tous. La nécessité de certaines lois… Une limite à notre pouvoir !
Sans quoi… »
- « La seule limite, quand on se sent un homme, c’est la conscience ! »
- « Eh bien, justement, la conscience ! La conscience professionnelle… Mais réfléchis donc,
malheureux ! Le jour où les médecins s’attribueraient le droit… D’ailleurs aucun médecin, entends-tu,
Isaac, aucun… »
- « Eh bien… », s’écria Studler, d’une voix sifflante.
Mais Antoine l’interrompit :
- « Héquet s’est trouvé cent fois devant des cas aussi dou… douloureux, aussi dé… désespérés que
celui-ci ! Pas une fois, il n’a, lui-même, volontairement, mis un terme à… jamais ! Ni Philip ! Ni
Rigaud ! Ni Treuillard ! Ni aucun médecin digne de ce nom, tu m’entends ? Jamais ! »
- « Eh bien », jeta Studler, farouche, « vous êtes peut-être des grands pontifes, mais, pour moi, vous
n’êtes que des jean-foutre ! »
Il recula d’un pas, et la lumière du plafonnier éclaira soudain son visage. On y lisait beaucoup plus de
choses que dans ses paroles : non seulement un mépris révolté, mais une sorte de défi, presque une
menace, et comme une secrète détermination.
« Bon », pensa Antoine : « j’attendrai onze heures pour faire moi-même la piqûre. »
Il ne répondit rien, haussa les épaules, rentra dans la chambre et s’assit. »
ANNEXE 37
ROGER MARTIN DU GARD. Les Thibault. Tome II. La mort du père. Paris: Editions Gallimard,
1928, p. 314-317
« Dès avant minuit, la situation parut tout à fait critique. La lutte allait devenir impossible.
Trois crises, d’une extrême violence, venaient d’avoir eu lieu, coup sur coup, lorsqu’une quatrième se
déclara. […]
Quand cette fureur de dément se fut éteinte (elle cessait inopinément comme elle avait commencé),
quand enfin le malade fut recouché au milieu du lit, Antoine recula de quelques pas. Il était parvenu à
une telle tension nerveuse qu’il claquait des dents. Il s’approchait frileusement de la cheminée,
lorsque, levant les yeux, il aperçut dans la glace, éclairée par la flamme, son visage défait, ses cheveux
ébouriffés, son regard mauvais. Il pivota sur lui-même, s’écroula dans un fauteuil, et en pressant son
front entre ses mains, éclata en sanglots. Il en avait assez, assez… Le peu de force réagissante qui
survivait en lui se concentrait en un désir éperdu : « Que ça finisse ! » Tout, plutôt que d’assister,
impuissant, pendant une nuit encore, puis une nouvelle journée et peut-être une nouvelle nuit, à ce
spectacle de l’enfer.
Jacques s’était approché. A tout autre moment, il se serait jeté dans les bras de son frère ; mais sa
sensibilité était émoussée autant que son énergie, et le spectacle de cette détresse, au lieu d’exalter la
sienne, la paralysait. Figé sur place, il considérait avec étonnement ce visage battu, mouillé, grimaçant,
et il y découvrait un aspect du passé, la figure en larmes d’un gamin qu’il n’avait pas connu.
Puis une pensée lui vint, qui, plusieurs fois déjà, l’avait hanté :
- « Tout de même, Antoine… Si tu demandais quelqu’un en consultation ? »
Antoine haussa les épaules. N’aurait-il pas été le premier à convoquer tous ses confrères s’il y avait eu
la moindre difficulté à résoudre ? Il répondit quelques mots rudes que son frère ne put saisir : les cris
de douleur avaient recommencé- ce qui était l’indice d’un bref répit avant la prochaine crise.
Jacques s’irrita :
127
- « Mais enfin, Antoine, cherche ! » cria-t-il. « Il est impossible qu’il n’y ait pas quelque chose à
faire ! »
Antoine serrait les dents. Ses yeux étaient secs. Il releva le front, dévisagea brutalement son frère et
murmura :
- « Si. Il y a une chose qu’on peut toujours faire. »
Jacques comprit. Il ne baissa pas les yeux, ne fit aucun mouvement.
Antoine l’interrogeait du regard ; il balbutia :
- « Tu n’y as jamais pensé, toi ? »
Jacques fit un signe affirmatif, très bref. Il regardait son frère jusqu’au fond des prunelles, et il eut le
sentiment fugitif que, à cette minute-là, ils se ressemblaient : même pli entre les sourcils, même
expression de désespoir et d’audace, même masque « capable de tout ». […]
Après une pause, ce fut encore Antoine qui parla :
- « Tu le ferais, toi ? »
La question était rude, directe, mais il y avait, dans la voix, une imperceptible fêlure. Jacques, cette
fois, évita le regard de son frère. Il finit par répondre, entre ses dents :
- « Je ne sais plus… Peut-être que non. »
- « Eh bien, moi, si ! » fit Antoine aussitôt.
Il s’était levé avec brusquerie. Cependant il restait debout, immobile. Il eut vers Jacques un geste
hésitant de la main, et se pencha :
- « Tu me désapprouves ? »
Jacques, doucement, sans hésiter, répondit :
- « Non, Antoine. »
Ils se regardèrent de nouveau ; et, pour la première fois depuis leur retour, ils éprouvaient un sentiment
qui ressemblait à de la joie. […]
La décision était prise. Restait à réaliser. Quand ? Et comment ? Agir sans autre témoin que Jacques.
Bientôt minuit. A une heure, l’équipe de sœur Céline et de Léon allait revenir : avant une heure, il
fallait donc que ce fût fait. Rien de plus simple. D’abord une saignée, pour provoquer une faiblesse, un
assoupissement qui permît d’envoyer la vieille sœur et Adrienne se reposer bien avant la relève. Une
fois seul avec Jacques… Tâtant sa poitrine, il sentit sous ses doigts le petit flacon de morphine qu’il
avait dans sa poche depuis… Depuis quand ? Depuis le matin de son arrivée avec Thérivier pour
chercher le laudanum, il se souvenait, en effet, qu’il avait, à tout hasard, glissé dans sa blouse cette
solution concentrée… et cette seringue… A tout hasard ?… Pourquoi ?…On eût dit que tout était
arrêté dans sa tête et qu’il n’avait plus qu’à exécuter les détails d’un plan élaboré depuis longtemps. »
ANNEXE 37 BIS
ROGER MARTIN DU GARD. Les Thibault. Tome II. La mort du père. Paris: Editions Gallimard,
1928, p. 318-320
« Antoine et Jacques restent seuls. […]
Antoine évite le regard de son frère : il n’éprouve plus du tout, en ce moment, le besoin de sentir une
affection près de lui ; et il n’a que faire d’un complice.
Il tripote, au fond de sa poche, la petite boîte nickelée. Il s’octroie encore deux secondes. Non qu’il
veuille, une fois de plus, peser le pour et le contre : il s’est fait une règle de ne jamais reprendre, au
moment d’agir, le débat qui a décidé l’action. Mais, contemplant au loin, dans les blancheurs du lit, ce
visage que la maladie lui a rendu chaque jour plus familier, il s’abandonne un instant à la mélancolie
d’un suprême élan de pitié.
Les deux secondes sont écoulées.
« C’aurait été moins pénible au cours d’une crise », songe-t-il, en s’avançant à pas rapides.
Il tire le flacon de sa poche, l’agite, ajuste l’aiguille à la seringue et s’arrête, quêtant quelque chose des
yeux. Un bref haussement d’épaules : il cherchait machinalement la lampe à alcool pour flamber la
pointe de platine…
128
Jacques ne voit rien : le dos penché de son frère lui cache le lit. Tant mieux. Pourtant il se décide à
faire un pas de côté. Le père semble dormir. Antoine déboutonne la manche et la retrousse.
« J’ai saigné le bras gauche », se dit Antoine, « piquons le droit. »
Il pince un pli de chair et lève la seringue.
Jacques crispe sa main sur sa bouche.
L’aiguille s’enfonce d’un coup sec.
Une plainte échappe au dormeur ; l’épaule a frémi.
Dans le silence, la voix d’Antoine :
- « Bouge pas… C’est pour te soulager, Père… »
« La dernière fois qu’on lui parle », pense Jacques.
Le niveau du liquide ne baisse pas vite dans la seringue de verre… Si on entrait… Est-ce fini ? Non.
Antoine a laissé l’aiguille piquée dans la peau ; il détache délicatement la seringue et l’emplit une
seconde fois. Le liquide descend de moins en moins vite… Si on entrait… Encore un centimètre
cube… Que c’est lent !... Encore quelques gouttes…
Antoine retire l’aiguille d’un geste prompt, essuie la place gonflée où suinte une perle rose, puis il
reboutonne la chemise et relève la couverture. Sûrement, s’il était seul, il s’inclinerait vers ce front
blême : c’est la première fois, depuis vingt ans, qu’il a envie d’embrasser son père… Il se redresse,
recule d’un pas, glisse les ustensiles dans sa blouse, et regarde autour de lui si tout est en ordre. Enfin,
il tourne la tête vers son frère, et son regard, indifférent et sévère, semble dire simplement :
- « Voilà. » »
ANNEXE 38
ANTOINE SENANQUE. Blouse. Paris : Editions Grasset et Fasquelle, 2004, p. 28-30
« Après Evelyne, je me suis souvenu de mes premières années d’internat et des gens qu’il avait fallu
aider à mourir, comme on dit.
Les infirmières n’aimaient pas ça.
Il s’agissait de personnes très âgées, très malades, dans le coma et qui mettaient beaucoup de temps à
mourir. On faisait ce qu’il fallait, c'est-à-dire qu’on laissait l’interne s’occuper de la chose.
En pratique cela se passait soit par perfusion d’un « cocktail lytique » qui contenait de la morphine, du
Valium et des neuroleptiques, mais les infirmières rechignaient car elles devaient changer les flacons
et la mort par dépression respiratoire est longue et pénible à voir et vient toujours la nuit où ne sont pas
les médecins, soit, encore à cette époque, pour les comateux en phase pré-agonique, par injection
directe de potassium dans la tubulure.
L’injection était faite avec un certain recueillement, avec des pensées simples et justes et d’autres
parfois, celles qui assaillent les esprits pieux en prière, des inavouables que l’on ne reconnaît pas
comme siennes, des impressions de pouvoir et d’excitation, des tentations dont on accuse les mauvais
anges.
Les infirmières préparent la seringue de potassium avec dignité, pénétrées de la solennité du moment.
Elles la remettent au médecin volontaire avec un air douloureux, puis le quittent.
C’est très rapide.
Si le scope est branché, vous voyez l’arrêt cardiaque au bout du doigt. Vous établissez un lien direct
entre le geste et la mort du patient. Il n’y a aucun doute.
En première année d’internat. J’avais 24 ans.
A posteriori, je trouve que l’on devrait pousser la seringue à plusieurs mains, avec un chef, une
surveillante, un directeur d’hôpital, un représentant du ministère ou mettre plusieurs seringues dont
l’une ne serait pas chargée pour que chacun puisse se croire innocent dans le peloton.
L’injection de potassium restait dans les doigts de ceux qui l’avaient faite et de ceux qui l’avaient vu
faire. Je me suis dit plus tard que je n’avais pas mérité ça. Toutes ces choses qu’on m’obligeait à vivre.
C’était trop. Je jouais le jeu du détachement. Je ne me rendais pas compte que je faisais semblant
d’oublier et que j’aurais des rendez-vous avec tous ces malades et tous ces morts. »
129
ANNEXE 39
MAURICE DRUON. Les Grandes familles. Le mariage d’Isabelle. Paris : Plon, 1993, p. 79-80
« Le médecin se releva enfin, éteignit sa lampe, rejeta ses parures de robot, redevint le Lartois
habituel.
- Eh bien, ma chère petite… dit-il.
Une grande bouffée de soulagement enfla la poitrine d’Isabelle. Le professeur eût-il pu avoir cette
parole posée, ces gestes tranquilles, si ce qu’elle redoutait tant…
Et elle entendit :
- … je vous annonce que vous êtes enceinte. Vous vous en doutiez un peu, n’est-ce pas ?
Lartois ajouta encore quelque chose mais qui, pour Isabelle, sombra dans la tempête. Elle sentit à
peine ses cuisses revenir à la position horizontale.
- J’en étais sûre, murmurait-elle. C’est épouvantable… J’en étais sûre. C’est épouvantable.
- Oui, évidemment, évidemment… je comprends, c’est fort ennuyeux, dit Lartois. Mais vous n’êtes
pas la première à qui cela arrive, vous savez ; et à vous-même, cela arrivera sans doute encore… Dans
un sens, voyez- vous, j’en suis assez content. Je vous voyais ; je me disais : « Cette pauvre petite
Isabelle est en train de se dessécher ; elle tourne à la vieille fille. » Eh bien, vous avez commencé à
vivre. C’est très bien.
Elle ne répondait pas. Elle l’entendait mal. Elle était toujours étendue et sans force. Elle ne sentait pas
qu’il continuait à la palper, doucement. […]
- Mais qu’est-ce que je vais faire ? Qu’est-ce que je vais devenir ? gémit Isabelle.
- Ma chère petite, vous allez commencer par ne pas faire de bêtises !
Elle crut qu’il faisait allusion au suicide, car c’était la seule issue qu’elle entrevît dans le moment
présent.
- Si vous voulez agir, rien pendant la période qui va de un mois à six semaines, donc, pour vous,
période pratiquement passée, et rien au-delà de deux mois et demi ; je vous préviens, dit Lartois en
reprenant son ton incisif. Je vous déclare aussi que je n’aime guère, vous le pensez bien, me mêler à ce
genre de choses. Qu’une histoire de la sorte vienne à s’ébruiter, qu’on puisse seulement supposer
que… et je me fermerais l’Académie à jamais. Mais je voudrais vous éviter de tomber, par affolement,
dans n’importe quelles mains. N’entreprenez rien sans venir me revoir, hein !
Isabelle alors éclata en sanglots. »
ANNEXE 40
OLIVIER KOURILSKY. Meurtre avec prémédication. Paris : Editions Glyphe, 2007, p. 10-11
« Les vacances approchaient et il se sentait d’humeur légère. Surtout après la garde de réanimation
épouvantable qu’il venait de vivre. Encore une complication dramatique d’un avortement clandestin.
Infection gravissime avec troubles de la coagulation, hémorragie cataclysmique ; ablation de l’utérus
en extrême urgence au milieu de la nuit. Mais au moins, même si cette jeune femme de trente-quatre
ans ne pourrait plus jamais avoir d’enfants, elle aurait la vie sauve. Ce n’était malheureusement pas le
cas de toutes celles qui étaient admises pour ce genre de problème… […]
N’empêche, Joël avait passé pratiquement toute la nuit debout, accompagné la patiente au bloc
opératoire, et dû ensuite tenter de rassurer la famille. Et cette fois, il y avait non seulement le mari,
mais aussi un gamin de treize ans, à deux doigts de se retrouver orphelin ! »
130
ANNEXE 41
MARTIN WINCKLER. Les Trois médecins. Paris : P.O.L. Editeur, 2004, p. 187-188
« […] je me souvenais de l’époque où Bram Sachs m’avait appris à pratiquer un curetage, au début des
années cinquante, dans l’une des salles de son service. Je me souviens de nos conversations, une fois
la patiente miséricordieusement endormie par une potion à la morphine et installée dans un lit où sa
famille viendrait lui rendre visite en la consolant de sa fausse couche inopinée et en se félicitant des
bons soins qu’elle avait reçus dans le service. Un jour, je lui ai demandé pourquoi il s’était mis, lui, un
accoucheur, un donneur de vie, à faire des avortements. Il avait soupiré, calé ses reins contre la
paillasse, ôté son calot et son masque et répondu : « Ceux qui élèvent le plus la voix- et brandissent
leur veto- en public contre les avortements clandestins n’hésitent jamais à faire avorter leurs femmes
ou leurs maîtresses quand ça les arrange. Un jour, un très, très grand bourgeois, catholique pratiquant,
est venu me demander d’avorter… sa propre fille. Il m’offrait beaucoup, beaucoup d’argent. Je lui ai
demandé pourquoi il venait me demander ça à moi. Il m’a répondu avoir entendu dire que je le faisais
souvent, parce que j’étais juif et qu’un avortement, aux yeux d’un Juif, ça n’était pas un péché. Je lui
ai répondu avec un grand sourire qu’il avait manifestement une très haute opinion des Juifs mais que
je ne pratiquais jamais ce genre d’intervention sur commande. Surtout sur une femme qui ne m’avait
rien demandé. Et encore moins à la requête de son père, car cela me paraissait contraire à
l’enseignement des Evangiles. Evidemment, je ne l’ai jamais revu. Or, voyez-vous, je n’avais jamais
avorté une femme avant ce jour. Je me suis dit que si le bruit courait déjà que j’étais un avorteur,
autant qu’il coure pour de vrai. Et, à partir de ce moment-là, j’ai commencé à pratiquer des
avortements dans ma clinique - sans jamais demander un sou, bien entendu. Le plus drôle, c’est que,
dans les milieux les plus respectables, on s’est mis à voir en moi un farouche adversaire de
l’avortement… » »
ANNEXE 42
JEAN REVERZY. A La recherche d’un miroir. Le Médecin et l’Argent. Paris : Flammarion, 1977, p.
449-450
« La consultation, tête à tête du malade et du docteur, ressemble à une tragédie en quatre actes.
Premier acte : deux êtres se trouvent face à face et cherchent à se reconnaître. Deuxième acte : le
malade se dépouille de ses vêtements, exhibe son corps nu à celui qu’il connaît depuis dix minutes et
qui le palpe et l’ausculte. Troisième acte : le malade se rhabille. De part et d’autre la sympathie et la
confiance sont évidentes et sous-entendues. Le docteur explique, conseille, calme des inquiétudes ;
mais la pièce n’est pas finie : le quatrième acte, fort bref, va commencer ; il faut payer la consultation.
Moment redoutable. Et voilà que le dialogue se trouble ; le patient, si empressé soit-il de verser son
obole, tarde à tendre les billets ou met trop d’empressement à le faire. Et le médecin, plus encore que
l’autre, éprouve de l’embarras : le ton baisse ou s’élève, les mots partent mal. Cette gêne à demander
de l’argent honore le praticien : s’il se sent mal à l’aise, c’est qu’il a tout à coup changé de rôle ; et
celui de commerçant ne lui convient guère. Le négociant ignore ces pudeurs à réclamer son dû ; mais
le médecin en souffre. Avant de dire : « Vous me devez tant… » il connaît un secret débat et il lui est
douloureux de monnayer la sympathie, la confiance, le dévouement. »
131
ANNEXE 43
LOUIS FERDINAND CELINE. Voyage au bout de la nuit. Paris: Editions Gallimard, 1952, p. 335336
« Les malades ne manquaient pas, mais il n’y en avait pas beaucoup qui pouvaient ou voulaient payer.
La médecine, c’est ingrat. Quand on se fait honorer par les riches, on a l’air d’un larbin, par les
pauvres on a tout du voleur. Des « honoraires » ? En voilà un mot ! Ils n’en ont déjà pas assez pour
bouffer et aller au cinéma les malades, faut-il encore leur en prendre du pognon pour faire des
« honoraires » avec ? Surtout dans le moment juste où ils tournent de l’œil. C’est pas commode. On
laisse aller. On devient gentil. Et on coule.
Au terme de janvier j’ai vendu d’abord mon buffet, pour faire de la place, que j’ai expliqué dans le
quartier et transformer ma salle à manger en salle de culture physique. Qui m’a cru ? Au mois de
février pour liquider les contributions, j’ai bazardé encore ma bicyclette et le gramophone, que m’avait
donné Molly en partant. Il jouait « No More Worries! » J’ai même encore l’air dans la tête. C’est tout
ce qui me reste. Mes disques, Bézin les a eus longtemps dans sa boutique et puis tout de même il les a
vendus.
Pour faire encore plus riche j’ai raconté alors que j’allais m’acheter une auto aux premiers beaux jours,
et qu’à cause de ça je me faisais un peu de liquide d’avance. C’est le culot qui me manquait au fond
pour exercer la médecine sérieusement. Quand on me reconduisait à la porte, après que j’avais donné à
la famille les conseils et remis mon ordonnance, je me lançais dans des tas de commentaires rien que
pour éluder l’instant du paiement quelques minutes de plus. Je ne savais pas faire ma putain. Ils
avaient l’air si misérables, si puants, la plupart de mes clients, si torves aussi, que je me demandais
toujours où ils allaient les trouver les vingt francs qu’il fallait me donner, et s’ils allaient pas me tuer
en revanche. J’en avais tout de même bien besoin moi des vingt francs. Quelle honte ! J’aurais jamais
fini d’en rougir.
« Honoraires !... » Qu’ils continuaient à intituler ça les confrères. Pas dégoûtés ! Comme si le mot en faisait une
chose bien entendue et qu’on avait plus besoin d’expliquer… Honte ! moi que je pouvais pas m’empêcher de me
dire et y avait pas à en sortir. On explique tout, je le sais bien. Mais n’empêche que celui qui a reçu les cent sous
du pauvre et du méchant est pour toujours un beau dégueulasse ! C’est même depuis ce temps-là que je suis
certain d’être aussi dégueulasse que n’importe quel autre. C’est pas que j’aie fait des orgies et des folies avec
leurs cent sous et leurs dix francs. Non ! Puisque le propriétaire m’en prenait le plus grand morceau, mais tout de
même, ça non plus c’est pas une excuse. On voudrait bien que ça en soye une, mais c’en est pas une encore. Le
propriétaire c’est pire que de la merde. Voilà tout. »
132
ANNEXE 44
JULES ROMAINS. Knock. Paris: Editions Gallimard, 1924, p. 79-80
« Knock – Dans un canton comme celui-ci nous devrions, vous et moi, ne pas pouvoir suffire à la
besogne.
Mousquet – C’est juste.
- Je pose en principe que tous les habitants du canton sont ipso facto nos clients désignés.
- Tous, c’est beaucoup demander.
- Je dis tous.
- Il est vrai qu’à un moment ou l’autre de sa vie, chacun peut devenir notre client par occasion.
- Par occasion ? Point du tout. Client régulier, client fidèle.
- Encore faut-il qu’il tombe malade !
- « Tomber malade », vieille notion qui ne tient plus devant les données de la science actuelle.
La santé n’est qu’un mot, qu’il n’y aurait aucun inconvénient à rayer de notre vocabulaire.
Pour ma part, je ne connais que des gens plus ou moins atteints de maladies plus ou moins
nombreuses à évolution plus ou moins rapide. Naturellement, si vous allez leur dire qu’ils se
portent bien, ils ne demandent qu’à vous croire. Mais vous les trompez. Votre seule excuse,
c’est que vous ayez déjà trop de malades à soigner pour en prendre de nouveaux. »
ANNEXE 44 BIS
JULES ROMAINS. Knock. Paris: Editions Gallimard, 1924, p. 129-131
« Knock, fouillant dans son portefeuille. – A titre tout à fait confidentiel, je puis vous communiquer
quelques-uns de mes graphiques. Vous les rattacherez sans peine à notre conversation d’il y a trois
mois. Les consultations d’abord. Cette courbe exprime les chiffres hebdomadaires. Nous partons de
votre chiffre à vous, que j’ignorais, mais que j’ai fixé approximativement à 5.
Le Docteur – Cinq consultations par semaine ? Dites le double hardiment, mon cher confrère.
- Soit. Voici mes chiffres à moi. Bien entendu, je ne compte pas les consultations gratuites du
lundi. Mi-octobre, 37. Fin octobre : 90. Fin novembre : 128. Fin décembre : je n’ai pas encore
fait le relevé, mais nous dépassons 150. D’ailleurs, faute de temps, je dois désormais sacrifier
la courbe des consultations à celle des traitements. Par elle-même, la consultation ne
m’intéresse qu’à demi : c’est un art un peu rudimentaire, une sorte de pêche au filet. Mais le
traitement, c’est de la pisciculture.
- Pardonnez-moi, mon cher confrère : vos chiffres sont rigoureusement exacts ?
- Rigoureusement.
- En une semaine, il a pu se trouver, dans le canton de Saint-Maurice, cent cinquante personnes
qui se soient dérangées de chez elles pour venir faire queue, en payant, à la porte du médecin ?
On ne les y a pas amenées de force, ni par une contrainte quelconque ?
- Il n’y a fallu ni les gendarmes, ni la troupe.
- C’est inexplicable.
- Passons à la courbe des traitements. Début octobre, c’est la situation que vous me laissiez ;
malades en traitement régulier à domicile : 0, n’est-ce pas ? (Parpalaid esquisse une
protestation molle.) Fin octobre : 32. Fin novembre : 121. Fin décembre… notre chiffre se
tiendra entre 245 et 250.
- J’ai l’impression que vous abusez de ma crédulité.
133
-
-
Moi, je ne trouve pas cela énorme. N’oubliez pas que le canton comprend 2853 foyers, et làdessus 1502 revenus réels qui dépassent 12 000 francs.
Quelle est cette histoire de revenus ?
Vous ne pouvez tout de même pas imposer la charge d’un malade en permanence à une
famille dont le revenu n’atteint pas douze mille francs. Ce serait abusif. Et pour les autres non
plus, l’on ne saurait prévoir un régime uniforme. J’ai quatre échelons de traitements. Le plus
modeste, pour les revenus de douze à vingt mille, ne comporte qu’une visite par semaine, et
cinquante francs environ de frais pharmaceutiques par mois. Au sommet, le traitement de luxe,
pour revenus supérieurs à cinquante mille francs, entraîne un minimum de quatre visites par
semaine, et de trois cents francs par mois de frais divers : rayons X, radium, massages
électriques, analyses, médication courante, etc… »
ANNEXE 45
ANTOINE SENANQUE. Blouse. Paris : Editions Grasset et Fasquelle, 2004, p. 277-278
« Le pire de ceux que j’ai rencontrés était un nommé Cambillard, un concurrent. Son obsession dans la
vie n’était pas le malade, mais le client. Il avait résolu le problème métaphysique posé par la médecine
grâce à un diplôme de gestion financière, obtenu presque en même temps que son doctorat. Il était peu
compétent et franchement méprisé par la plupart de ses confrères. Il n’avait laissé aucun souvenir
particulier à l’hôpital où il était brièvement passé. On ne voyait jamais ses malades dans les grands
services parisiens. Il vivait en marge et très confortablement. De la clientèle, il en avait, beaucoup, des
gens qui payaient plus cher qu’ailleurs, étaient moins bien soignés, mais qui lui vouaient une forme
d’admiration confiante, inexplicable.
Ses patients étaient persuadés d’avoir affaire au meilleur neurologue élu, assez aimable d’accepter leur
humble participation à son train de vie princier. Il y avait beaucoup de médecins comme lui, installés
dans des quartiers adaptés, qui se sacraient eux-mêmes rois de leur spécialité, assez talentueux pour
convaincre les malades de leur onction divine. Ils créaient des sectes autour d’eux, solidarisés par
l’animosité qui les entourait. Leurs disciples étaient des fidèles actifs, prêts au prosélytisme le plus
performant.
C’est étrange, ces réputations, ces rumeurs qui courent autour de certains médecins, de certaines
cliniques où ne vont que certaines catégories de gens, toujours plus mal soignés qu’ailleurs mais
contents, rassurés par l’argent dépensé et le maintien dans leur groupe. »
ANNEXE 46
LOUIS FERDINAND CELINE. Voyage au bout de la nuit. Paris: Editions Gallimard, 1952, p. 323328
« Tout de même, ils voulaient à toute force me la montrer la vieille, j’étais venu pour ça, et pour
qu’elle nous reçoive, ça a été une fameuse manigance. Et puis, pour tout dire, je ne voyais pas très bien
ce qu’on me voulait. C’est la concierge, la tante à Bébert, qui leur avait répété que j’étais un médecin
doux, bien aimable, bien complaisant… Ils voulaient savoir si je pouvais pas la faire tenir tranquille
leur vieille rien qu’avec des médicaments… Mais ce qu’ils désiraient encore plus, au fond (elle
surtout, la bru), c’est que je la fasse interner la vieille une fois pour toutes. […]
Une petite tête bistre et futée, qu’elle avait, la belle-fille. Ses coudes ne se détachaient guère de son
corps quand elle parlait. Elle ne mimait rien. Elle tenait tout de même à ce que cette visite médicale ne
soit point vaine, qu’elle puisse servir à quelque chose… Le prix de la vie augmentait sans cesse… La
pension de la belle-mère ne suffisait plus… Eux aussi vieillissaient après tout… Ils ne pouvaient plus
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être comme autrefois à avoir peur toujours que la vieille meure sans soins… Qu’elle mette le feu par
exemple… Dans ses puces et ses saletés… Au lieu d’aller dans un asile bien convenable où on
s’occuperait bien d’elle…
Comme je prenais l’air d’être de leur avis, ils se firent encore plus aimables tous les deux… ils me
promirent de répandre beaucoup de paroles élogieuses sur mon compte dans le quartier. Si je voulais
les aider… Prendre pitié d’eux… Les débarrasser de la vieille… Si malheureuse elle aussi dans les
conditions où elle s’entêtait à demeurer…
- Et qu’on pourrait même louer son pavillon, suggéra le mari soudain réveillé… C’était la gaffe, qu’il
venait de commettre en parlant de ça devant moi. Sa femme lui écrasa le pied sous la table. Il ne
comprenait pas pourquoi.
Pendant qu’ils se chamaillaient je me représentais le billet de mille francs que je pourrais encaisser
rien qu’à leur établir le certificat d’internement. Ils avaient l’air d’y tenir énormément… La tante à
Bébert les avait sans doute mis en confiance à mon égard et leur avait raconté qu’il n’y avait pas dans
tout Rancy un médecin aussi miteux… Qu’on m’aurait comme on voudrait… C’est pas Frolichon à
qui on aurait offert un boulot semblable ! C’était un vertueux celui-là !
J’en étais tout pénétré de ces réflexions quand la vieille vint faire irruption dans la pièce où nous
complotions. On aurait dit qu’elle se doutait. Quelle surprise ! Elle avait ramassé ses chiffons de jupes
contre son ventre et la voilà qui nous engueulait d’emblée, retroussée, et moi en tout particulier. Elle
était venue rien que pour ça du fond de sa cour.
- Fripouille ! qu’elle m’insultait moi directement, tu peux t’en aller ! Fous ton camp, je te l’ai déjà dit !
C’est pas la peine de rester !... J’irai pas chez les fous !... Et chez les Sœurs non plus que je te dis !...
T’auras beau faire et beau mentir !... Tu m’auras pas, petit vendu !... C’est eux qui iront avant moi, les
salauds, les détrousseurs de vieille femme !... Et toi aussi canaille, t’iras en prison que je te dis moi et
dans pas longtemps encore !
Décidément, j’avais pas de veine. Pour une fois qu’on pouvait gagner mille francs d’un coup ! Je ne
demandai pas mon reste.
Dans la rue elle se penchait encore au-dessus du petit péristyle rien que pour m’engueuler de loin, en
plein dans le noir où j’étais réfugié : « Canaille !... Canaille ! » qu’elle hurlait. Ca résonnait. »
ANNEXE 47
ROGER MARTIN DU GARD. Les Thibault. Tome II. La consultation. Paris: Editions Gallimard,
1928 renouvelée en 1955, p. 65-68
« Il fut très surpris, en reconduisant le gamin, de trouver, assise sur la banquette du vestibule, Miss
Mary, l’Anglaise au teint de fleur.
Elle se leva lorsqu’il vint vers elle, et l’accueillit par un long, silencieux, adorable sourire ; puis, d’un
air résolu, elle lui tendit une enveloppe bleutée.
Cette attitude, si différente de la réserve qu’elle avait montrée deux heures plus tôt, ce regard
énigmatique et décidé, éveillèrent, chez Antoine, sans qu’il sût au juste pourquoi, l’idée d’une
situation insolite.
Intrigué, il restait debout dans le vestibule et décachetait déjà l’enveloppe armoriée, lorsqu’il vit que
l’Anglaise se dirigeait d’elle-même vers son cabinet, dont la porte était restée ouverte.
Il la suivit, tout en dépliant la lettre.
« Mon cher Docteur,
« J’ai deux petites requêtes à vous adresser, et pour qu’elles ne soient pas mal perçues, je les confie au
commissionnaire le moins rébarbatif que j’aie trouvé.
« Primo : Cette étourdie de Mary a sottement attendu d’être sortie de chez vous pour m’avouer qu’elle
se sentait patraque depuis quelques jours, et que la toux l’avait empêchée de dormir ces dernières
nuits. Auriez-vous l’amabilité de l’examiner en détail et de lui donner quelques conseils ?
« Secundo : Nous avons, à la campagne, un ancien garde-chasse qui souffre horriblement d’un
rhumatisme déformant. En cette saison, c’est une véritable torture. Simon a pris en pitié le pauvre
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vieux et lui fait des piqûres calmantes. Nous avons toujours de la morphine dans notre pharmacie,
mais les dernières crises ont complètement épuisé notre provision, et Simon m’a bien recommandé de
lui en rapporter, ce qui n’est pas possible sans une autorisation de médecin. J’ai totalement oublié de
vous parler de cela cet après-midi. Vous seriez gentil de remettre à ma séduisante commissionnaire
une ordonnance, si possible renouvelable, pour que je puisse me procurer immédiatement cinq ou six
douzaines d’ampoules d’un centimètre cube.
« Je vous remercie d’avance pour ce secundo. Quant au primo, mon cher Docteur, lequel de nous deux
devrait remercier l’autre ? Vous ne devez pas manquer de clientes moins agréables à ausculter…
« Mon sympathique souvenir,
« Anne-Marie S. DE BATTAINCOURT […] »
Antoine avait terminé sa lecture, mais il ne relevait pas encore la tête. Son premier mouvement avait
été de colère : pour qui le prenait-on ? Le second fut de trouver l’histoire piquante, et de s’en amuser.
Il connaissait, pour y avoir été pris lui-même, le jeu des deux glaces qui ornaient son cabinet. Tel qu’il
était placé, un coude sur la cheminée, il pouvait apercevoir l’Anglaise sans bouger, rien qu’en
déplaçant les pupilles sous ses paupières baissées. Ce qu’il fit. Miss Mary était assise un peu en arrière
de lui ; elle se dégantait ; elle avait dégrafé son manteau, dégagé le buste, et regardait, avec une feinte
distraction, le bout de son pied taquiner la frange d’un tapis. Elle semblait à la fois intimidée et
intrépide. S’imaginant qu’il ne pouvait pas la voir sans changer de place, elle souleva brusquement ses
longs cils, et lança vers lui un coup d’œil bleu et bref comme une étincelle.
Cette imprudence eut raison des derniers doutes d’Antoine, qui se retourna. »
ANNEXE 48
JEAN REVERZY. Le Passage. Paris : Flammarion, 1977, p. 138-139
« Je connaissais le maître depuis bien longtemps. Son souvenir datait du premier jour de mes études de
médecine. Ce matin-là, un interne à qui j’étais recommandé m’avait guidé, à travers une cohue
d’assistants et d’étudiants en blouse blanche, jusqu’au professeur qui venait d’arriver dans son service.
Je me trouvai face à face avec un homme jeune encore, à mine chétive et morose, vêtu d’un costume
élimé. Pendant qu’il endossait le sarrau que lui tendait une religieuse, il me regarda d’un œil triste et
défiant. L’interne le pria de m’accepter dans son service. […] J’étais vite devenu un familier de son
service. Eternellement fatigué et morose, il parcourait les salles et s’arrêtait de loin en loin devant un
lit ; un externe faisait la lecture de l’observation ; le patron l’écoutait à peine et scrutait le patient de
son regard noir où je retrouvais souvent l’expression inquiète de notre première rencontre. La lecture
achevée, il posait quelques questions d’une voix paresseuse. Une religieuse qui ne le quittait jamais et
dont l’importance dans le service était immense, savait très habilement glisser que tel malade était bon
chrétien et qu’un prêtre l’avait recommandé ; alors la voix monotone du maître se faisait douce ; dans
ses yeux brillait la belle lumière d’une charité infinie. »
ANNEXE 49
MARTIN WINCKLER. Les Trois médecins. Paris : P.O.L. Editeur, 2004, p. 601
« Quand j’étais externe en neurologie, le patron nous a emmenés, trois autres étudiants et moi, dans la
chambre d’une très jeune femme qui présentait des symptômes marqués de sclérose en plaques. Elle
pleurait en permanence. Nous y sommes entrés à 9 heures, nous en sommes sortis à midi et demi. Il
nous a imposé à tous les quatre de l’examiner parce que, disait-il, nous devions bien comprendre de
quoi il retournait. Le lendemain, il nous a emmenés voir un homme d’une quarantaine d’années qui
souffrait d’une maladie de Parkinson. Avant d’entrer il nous a dit qu’il n’était pas nécessaire
d’imposer à ce patient un examen clinique répété et qu’il l’examinerait seul. J’ai demandé pourquoi la
patiente de la veille n’avait pas eu droit à ce traitement de faveur. Il a répondu : Les hommes et les
femmes, c’est différent. Les femmes sont tellement plus difficiles à appréhender… »
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ANNEXE 50
ANTOINE SENANQUE. Blouse. Paris : Editions Grasset et Fasquelle, 2004, p. 89-90
« Le service Porte recueillait les dépouilles. Un hall de transit d’une dizaine de lits annexés aux
urgences, première étape dans l’itinéraire de délestage de nos remords. Ce service permettait à
l’interne, confronté à la saturation de tous les lits de son hôpital, d’économiser les heures passées au
téléphone pour diriger le patient dont personne ne voulait. La moitié de la durée des gardes
disparaissait dans la recherche du service où placer le malade à hospitaliser. La sectorisation des
urgences, à chaque quartier son hôpital, ne suffisait pas à éviter l’encombrement. Il fallait donc diriger.
Le pistage des lits pouvait tourner au marathon diplomatique.
J’en ai reçu des coups de fil des urgences, moi, du bon côté, écoutant, goguenard, mon collègue se
débattre pour me rendre désirable son hémiplégique de 89 ans, pas trop mal finalement, peut-être un
peu confus, pas tout à fait continent, avec un petit train fébrile et un léger encombrement respiratoire,
avec enfin une famille d’allure serviable prête à le reprendre au plus vite, après un passage éclair dans
mon service, j’avais sa parole…
Chacun avait son style pour vendre ce genre de malade, le style détaché, autoritaire, suppliant ou
résigné, celui que j’avais naturellement adopté. Ces malades qu’on appelle tendrement des « pannes »,
vos collègues vous les ont si souvent refusés que vous ne ressentez plus aucune culpabilité en
affirmant que votre salle est absolument pleine, fermée, en désinfection, en travaux. Votre frère des
urgences aura beau faire, la perspective de garder trois mois son vieil accident vasculaire remplira les
lits les plus vides, d’air s’il le faut.
Tout le monde vous pousse à résister à ces patients, chacun a ses raisons. La surveillante et ses
infirmières pour la charge des soins, les patrons qui veulent un service dynamique, l’interne qui veut
apprendre et faire tourner les lits, l’assistante sociale submergée par les demandes de placement en
attente.
On les traite mal ces malades, sans méchanceté. On joue avec eux, comme à la Bourse, chacun a sa
cote. C’est l’âge, le point essentiel et la durée prévisible d’hospitalisation, la recommandation aussi
qui brouille toutes les cartes. »
ANNEXE 51
ALBERT CAMUS. La Peste. Paris : Editions Gallimard, 1947, p. 225-226
« […] il ouvrait sa porte au même moment et sa mère vint à sa rencontre lui annoncer que M. Tarrou
n’allait pas bien. Il s’était levé le matin, mais n’avait pu sortir et venait de se recoucher. Mme Rieux
était inquiète.
« Ce n’est peut-être rien de grave », dit son fils.
Tarrou était étendu de tout son long, sa lourde tête creusait le traversin, la poitrine forte se dessinait
sous l’épaisseur des couvertures. Il avait de la fièvre, sa tête le faisait souffrir. Il dit à Rieux qu’il
s’agissait de symptômes vagues qui pouvaient être aussi bien ceux de la peste.
« Non, rien de précis encore », dit Rieux après l’avoir examiné.
Mais Tarrou était dévoré par la soif. Dans le couloir, le docteur dit à sa mère que ce pouvait être le
commencement de la peste.
« Oh ! dit-elle, ce n’est pas possible, pas maintenant ! »
Et tout de suite après :
« Gardons-le, Bernard. »
Rieux réfléchissait :
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« Je n’en ai pas le droit, dit-il. Mais les portes vont s’ouvrir. Je crois bien que c’est le premier droit que
je prendrais pour moi, si tu n’étais pas là.
- Bernard, dit-elle, garde-nous tous les deux. Tu sais bien que je viens d’être de nouveau vaccinée. »
Le docteur dit que Tarrou aussi l’était mais que, peut-être, par fatigue, il avait dû laisser passer la
dernière injection de sérum et oublier quelques précautions.
Rieux allait déjà dans son cabinet. Quand il revint dans la chambre, Tarrou vit qu’il tenait les énormes
ampoules de sérum.
« Ah ! c’est cela, dit-il.
- Non, mais c’est une précaution. »
Tarrou tendit son bras pour toute réponse et il subit l’interminable injection qu’il avait lui-même
pratiquée sur d’autres malades.
« Nous verrons ce soir », dit Rieux, et il regarda Tarrou en face.
« Et l’isolement, Rieux ?
- Il n’est pas du tout sûr que vous ayez la peste. »
Tarrou sourit avec effort.
« C’est la première fois que je vois injecter un sérum sans ordonner en même temps l’isolement. »
Rieux se détourna :
« Ma mère et moi, nous vous soignerons. Vous serez mieux ici. » »
ANNEXE 52
MARTIN WINCKLER. La Vacation. Paris : P.O.L. Editeur, 1989, p. 206-209
« Elle fait bouger le rideau en ôtant ses vêtements. Cette fois-ci, tu es seul avec elle dans la salle
d’examen. Le dos tourné à la cabine…
- Est-ce que j’enlève le haut ? (un peu ! Va pas nous gruger nous frustrer nous ôter les seins de la
vue ? Si la beauté est de ce monde comment ne pas la rechercher là où ça commence ? Toutes
pareilles ! Elles croient pas vraiment qu’elles ne vont nous montrer que la zone comprise entre le
nombril et les genoux ? Dans les magazines, ça bave devant la médecine globale, et ça veut pas qu’on
leur voie les globes… Ou alors c’est qu’on les a habituées à faire comme ça pour aller plus vite.
Encore un coup fourré des spécialistes du pubis !... Elles sont pas toutes comme ah ! mondieu mondieu
mondieu quand j’y pense… Elle n’avait rien demandé, rien de rien, et elle était sortie sans rien dire de
derrière le rideau, qu’elle était belle et brune, du haut en bas pas un carré blanc (c’était en contrôle. La
fois d’avant, avec la chemise de nuit, on ne voyait que le bas, forcément), et voilà Bruno (tout d’un
coup plus un poil de sec) qui la regarde escalader l’escabeau sans hésitation, et avec un charmant
sourire demander candide
- C’est bien ainsi qu’il faut que je m’installe ?
- Gargll…
- Je vous demande pardon ?
- Rrhheuu, pardon, je disais (voix éteinte) que c’était parfait… et le Bruno tremblant s’approche
d’elle allongée calmement sans bouger sur la table, s’emmêle les pinces dans les tuyaux du
stéthoscope et du tensiomètre. Encore heureux que c’est pas à lui qu’on la prenait, la tension. Pose à
peine le pavillon (Rrrhhhmmm… Respirez fort…) sur le sein rond parfait irréel inouï incroyable c’est
un rêve comment est-ce possible ? […]
Ce jour-là bien sûr toutes les questions (mal aux seins aux règles au sommeil au désir) étaient ineptes,
idiotes, inappropriées et inutiles. Tous les gestes, incongrus. Tout le bonhomme, incompétent)
… joint les mains sur son ventre ou les laisse le long du corps ou les pose pudiquement sur ses seins,
en évitant de te regarder.
Tu prends sa tension (sa main, son poignet, son bras, puis les seins, le cou, puis le ventre, les cuisses,
les jambes, les chevilles, tout ce qui est à prendre au moins une fois entre les mains, les mains partout
chaque recoin.
Prends donc, tu ne le feras plus de sitôt, plus jamais. […]
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Bonhomme blouse blanche = médecin.
Médecin = praticien neutre et bienveillant.
Formé pour écouter et soulager la souffrance. D’autrui. Pas pour poser ses sales pattes sur les corps
tendres et innocents, encore moins suggérer proposer préparer des rencontres. Même brèves. Pas
moral. Sais même pas s’il est moral de penser qu’on pourrait, le cas échéant, à l’occasion, la sympathie
mutuelle aidant… Si encore l’interdiction venait seulement de la Loi. Du nanan ! Faite pour être
violée, elle, la Loi. Pourrais de temps et temps… L’ennui c’est qu’elles ne veulent pas ! Elles sont
venues justement parce que le Docteur Sachs, praticien sérieux (elles ont payé pour le savoir), ne se
moquera pas d’elles ni de leurs inquiétudes, ne les brutalisera pas, leur laissera dire ce qu’elles auront
besoin, envie de dire. Les rassurera. Les soignera. Les paternera gentiment. Restera à distance. Qu’il
soit d’agréable figure ne gâche rien. Séduction gratuite. Sans danger. Tout bénéfice pour ces dames
qu’un homme bien fait de sa personne les écoute et les soigne) le pouls en écoutant son cœur battre.
- Respirez fort… Toussez…
Ensuite, tu examines ses seins, méthodiquement, l’un après l’autre. […]
Tu poses les mains sur son ventre (ça ressemble à des gestes d’amour, ça tient à si peu de choses : la
façon dont on le fait, trop douce ou trop appuyée, qu’est-ce que ça peut vouloir dire les mains d’un
étranger sur elles, même consentantes, corps de femme sous main d’homme, il se passe bien quelque
chose, non ? Toucher palper caresser. Toute la nuance est dans les mains. Et dans le temps qui
s’écoule, un petit trop long pour que ce ne soit pas agréable, un petit peu trop lent pour être
vraiment… clinique.
Attouchement équivoque. Dans les limites de l’admissible. Et on passe rapidement à autre chose) »
ANNEXE 53
JEAN REVERZY. Le Passage. Paris : Flammarion, 1977, p. 25-26
« Les lieux ne m’étaient pas inconnus ; je retrouvais une atmosphère familière. Je me souvins de les
avoir fréquentés, bien des années auparavant, en compagnie d’une maîtresse de passage : les hommes
de mon métier, tout comme les autres hommes, cherchent parfois à échapper à la monotonie de leur
vie par quelque courte aventure. Certes, le médecin est ridicule, voire grotesque devant l’amour.
Logiquement, il devrait s’en détourner, car l’amour est fait d’actes instinctifs et spontanés et toute
l’existence d’un docteur, dès le jour où il ouvre boutique, n’est plus qu’une suite de gestes, d’attitudes,
et de paroles empruntés. Chez lui, le personnage affecté devient le personnage réel : l’ancien, le vrai se
dissout et meurt. Tel qui fut don Juan de salle de garde, maintenant quadragénaire, bafouille devant la
belle patiente qui s’habille, la consultation terminée. Gauche, maladroit, il voudrait changer le ton du
dialogue ; mais ce ton, une fois fixé, est immuable. La femme paraît facile et encourage. Le médecin
ne peut vaincre en lui-même l’obstacle qui les sépare : « Restez encore, madame. – Mais, vous avez
des clients qui attendent… » Elle s’étale cependant en un fauteuil. Le praticien offre gauchement une
cigarette, voulant par ce geste inattendu créer tout à coup une atmosphère familière, déjà intime… Ces
comédies sont parfois le prélude à des rendez-vous tels que ceux dont je venais de retrouver un exact
souvenir. L’on s’y rend nerveux, à l’heure fixée, comme à une convocation de police. La porte une
fois close, il est un instant cruel et redouté : spectateur impassible de la nudité d’autrui, le médecin doit
se dévêtir à son tour et cet acte, plus encore que celui qui va suivre, l’épouvante et le rend maladroit ;
mais la honte est bue, les gestes sont accomplis ; et comme un vieux gymnaste aux jointures
ankylosées, s’essayant maladroitement aux exercices de barres et de trapèze de sa jeunesse, le médecin
se démène gauchement sur le divan d’un hôtel borgne. »
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ANNEXE 54
GEORGES DUHAMEL. Chronique des Pasquier. Paris : Omnibus, 1999, p. 739
« On commence à l’hôpital, des essais de bains lumineux. Le patient est plongé dans une baignoire
d’eau limpide qui présente, à l’une des extrémités, une fenêtre éclairée par une forte lampe électrique
devant laquelle on glisse des plaques de verre diversement colorées. M. Rohner assistait aux premiers
essais. Il avait fait venir, pour mettre dans le bain, non pas un malheureux podagre, mais une belle fille
potelée que l’on apercevait sous des flots de lumière tour à tour pourpre, dorée, azurée, verdoyante. M.
Rohner se penchait sur cette magie scientifique avec beaucoup d’intérêt et risquait des observations
ponctuées de remarques gauloises. »
ANNEXE 55
MAURICE DRUON. Les Grandes familles. Paris : Plon, 1993, p. 78-81
« - Vous savez que vous avez un corps très gentiment fait, ma petite amie, très gentiment, dit la voix
sifflante.
Sortant de dessous cette face de miroir et de lumière, les paroles n’avaient pas de sonorité réelle. L’œil
électrique frappa Isabelle droit dans les prunelles, tandis qu’un doigt de caoutchouc lui retroussait une
paupière, la forçant à soutenir l’éblouissement. Puis les deux mains se mirent à lui palper la poitrine,
soigneusement, longuement, un peu trop longuement au gré d’Isabelle. Son malaise augmentait et son
angoisse en même temps. Depuis le coup de phare, son œil gauche restait empli d’étoiles. Elle avait
hâte d’être fixée et se demandait si cette mise en scène et tous ces préliminaires étaient indispensables.
[…]
Il lui prit le visage dans les mains, lui posa sur le front un baiser paternel. […]
Elle pleurait toujours et trouvait consolant qu’il se fût assis de biais, sur la table d’examen, lui eût mis
le bras autour des épaules.
- Au moins, était-ce bon ? demanda-t-il confidentiellement. Est-ce que ça valait la peine ? Est-ce
que ça a été une belle nuit ?
Elle sentit les doigts de Lartois reprendre le chemin qu’ils avaient suivi, médicalement, quelques
minutes plus tôt, et un souffle chaud, précipité, lui caresser l’épaule.
- Mais voyons… qu’est-ce que… balbutia-t-elle.
- Vous ne voulez pas comparer ? dit-il à voix étouffée.
Elle voulut crier, mais déjà la bouche du médecin forçait sa bouche ; d’un coup de rein, il s’était hissé
sur la table d’examen.
- Professeur ! Qu’est-ce qui vous prend ? Vous êtes fou ? s’écria Isabelle en se débattant.
Elle parvint à se dégager et à sauter à terre. Il ne prolongea pas le ridicule de la voir debout, ses bas
tombés, devant lui à demi étendu. Il se remit sur pied, un peu essoufflé. […]
- C’est indigne d’un homme, ce que vous venez de faire, professeur ! dit Isabelle qui se
rhabillait vivement.
- Au contraire, ma chère petite, c’est tout à fait digne d’un homme. Et c’eût été la meilleure
manière de vous calmer les nerfs. En tout cas, vous êtes plus musclée que je ne pensais.
Il avait une attitude fort aisée, remettait en place, de sa main soignée, ses cheveux grisonnants.
- Je ne comprends pas ! continuait Isabelle. Je viens vous consulter… vous venez de
m’apprendre mon état… un médecin…
- Oh ! c’est si ennuyeux, la médecine, fit-il en accompagnant sa phrase d’un geste désabusé
Puis, se tournant vers elle :
- Vous me trouvez trop vieux, n’est-ce pas ? demanda-t-il sèchement.
- Mais non… mais enfin, je ne sais pas… vous ne vous rendez pas compte ?
140
-
Oui, je sais, je sais, dit-il de sa voix sifflante. Un médecin n’est pas un homme, c’est comme
un prêtre. Je connais l’histoire ! Et puis, un homme de mon âge non plus, pour vous, n’est pas
un homme. Vous verrez, vous verrez quand vous vieillirez !
Il semblait que ce fût lui l’offensé.
- Je pense que vous agissez de même avec toutes vos… patientes ? demanda Isabelle.
- Pas avec toutes, répondit-il avec une galanterie distante. Avec… certaines, et je dois dire,
qu’en général, elles accueillent plus aimablement les hommages. Enfin, n’en parlons plus. Le
médecin reste à votre disposition entière, ma chère petite amie, pour vous aider dans
l’embarras où vous vous trouvez. »
ANNEXE 56
MAURICE DRUON. Les Grandes familles. Paris : Plon, 1993, p. 44-45
« En rentrant chez lui, Simon Lachaume trouva deux pneumatiques.
Le premier était du rédacteur en chef de L’Echo du Matin et portait :
« Monsieur,
« Le professeur Lartois nous a signalé votre nom comme étant celui de la personne la plus qualifiée
pour faire, à l’intention de nos lecteurs, le récit des derniers instants de notre éminent collaborateur
M. Jean de La Monnerie. Je vous serais très reconnaissant si vous pouviez nous apporter un article de
150 lignes, à minuit au plus tard. J’espère que vous serez d’accord sur le prix de 200 francs. »
L’autre message était du professeur Lartois lui-même.
« Cher Monsieur, écrivait Lartois, L’Echo du Matin, dont le propriétaire, le baron Noël Schoudler, est
à la fois un de mes amis personnels et le beau-père, ainsi que vous le savez, de la fille de Jean de La
Monnerie, me demande un article urgent sur la fin de notre grand ami. La discrétion professionnelle
me fait empêchement d’écrire un tel article. Je pense que vous êtes, en tant qu’homme de lettres, et
homme de lettres de talent, infiniment plus désigné que moi : je suis sûr que votre jeune mémoire aura
enregistré avec plus de fidélité que la mienne, les dernières paroles que prononça le poète et qui nous
émurent tant. Je me suis donc permis de donner votre nom, et crois d’ailleurs qu’il ne peut que vous
être profitable de… etc. » »
ANNEXE 57
JACQUES CHAUVIRE. Passage des émigrants. Paris : le dilettante, 2003, p. 94
« Desportes ne paraissait pas déplorer le départ de Tavernier. Ce fait lui était, semblait-t-il, indifférent.
Refroidi, Montagnard se tut. Ce fut Maria qui, très à l’aise, osa s’enquérir du sort de Mme Terrier.
- Voici bientôt deux mois qu’elle se trouve à l’hôpital de Beaulieu, dit-elle.
Elle sentit aussitôt que cette question gênait le médecin qui se recroquevilla sur son siège.
- Son état de santé est satisfaisant, répondit-il sèchement. L’intervention chirurgicale a réussi. Il est
certain que, à son âge, les suites en sont plus ou moins difficiles. Pour l’instant, elle est incapable de
regagner la Résidence. Il est probable que d’ici quelques semaines, je serai dans l’obligation de la
recevoir dans l’une de nos infirmeries pour surveiller sa convalescence.
Il soupira :
- On ne peut pas trop demander aux hôpitaux dont les malades âgés encombrent les lits. »
141
ANNEXE 58
MARTIN WINCKLER. Les Trois médecins. Paris : P.O.L. Editeur, 2004, p. 197-198
« Je lui tends le petit carnet et je dis :
- Tout est marqué dedans. Pas depuis le début mais presque. Parce que, rétrospectivement, il
s’est sûrement passé des choses un peu bizarres, mais je n’y ai pas fait très attention. […] Je
connais Bram, je sais que c’est une tête de mule. Pas question qu’il aille consulter un médecin.
Alors, j’ai décidé d’aller en consulter un à sa place ; je suis femme de médecin, vous savez, je
connais un certain nombre de choses. Alors, j’ai bien observé tous ses symptômes, et voilà,
tout est marqué là.
Le neurologue me fait un sourire poli et feuillette le carnet, d’abord rapidement, puis plus lentement, et
je vois que, bientôt, il lit tout. Comme j’écris très lisiblement, il n’a aucun mal.
Finalement, il lève les yeux et hoche la tête.
- Eh bien, il n’est pas courant que l’on puisse poser un diagnostic à partir des observations de
l’entourage, mais en l’occurrence je suis forcé de reconnaître que vous avez fait là un travail
remarquable, Madame… Tout y est, effectivement. La fatigabilité, les fasciculations, la
diminution de la force motrice de l’extrémité à la racine des membres… Le diagnostic ne fait
aucun doute.
- Vous savez de quoi souffre mon mari ?
- Certainement. Si j’en crois vos… observations, il souffre d’une sclérose latérale
amyotrophique. Que l’on appelle également maladie de Charcot.
Je me sens soulagée, je souris.
- Ah, tant mieux. J’avais peur qu’il ait un cancer… ou une maladie inconnue. Mais puisque
vous savez ce qu’il a, on va pouvoir le soigner.
Il lève la main. Ses traits se durcissent.
- Pardon, je vous arrête. Il n’y a pas de traitement. Il sera mort dans six mois. »
ANNEXE 59
ANTOINE SENANQUE. Blouse. Paris : Editions Grasset et Fasquelle, 2004, p.329-337
« Je l’ai vécue de deux façons, ma grande affaire, officielle et officieuse.
La manière officielle, je m’en suis servi pour les comptes rendus et la présentation du dossier aux
staffs. Une femme, âgée de 32 ans, se plaint de céphalées évoluant par accès, dans un contexte anxiodépressif. Entre les accès, la patiente décrit un fond douloureux permanent. L’examen neurologique
est normal. On débute un traitement de fond antimigraineux, partiellement efficace. La persistance des
crises associée à une réaction dépressive conduit à la prescription d’un traitement tricyclique. Un
scanner cérébral avec injection est réalisé, interprété comme normal. Sous traitement, l’état de la
patiente s’améliore avec persistance d’un fond céphalique. Trois mois plus tard, elle est admise aux
urgences en coma dépassé. Le second scanner montre une dilatation triventriculaire majeure. La
patiente décède le soir. Une autopsie pratiquée retrouve une masse d’allure pseudo-tumorale enclavée
dans le troisième ventricule, à l’origine du blocage de l’écoulement du liquide céphalo-rachidien et de
l’hypertension intracrânienne létale. L’examen anatomo-pathologique reçu un mois plus tard conclut à
une cysticercose, parasitose intracérébrale, avec un kyste ventriculaire non calcifié. […]
Cette histoire, je me la raconte différemment. J’ai rencontré cette patiente lors de mon premier aprèsmidi de consultation, huit jours après ma prise de fonctions. Pour ces premières consultations
autonomes, dans ma grande blouse de chef, je n’avais que des doutes, maladivement, pour tous mes
142
patients. J’aurais doublé ma consultation avec celle du patron, pour chacun. […]. Les malades
défilaient. Les infirmières trouvaient que j’étais lent. Moi aussi. Ma lenteur me surprenait. Tout était
pâteux autour de moi. Je parlais, j’écrivais, je pensais lentement. Il a fallu trouver une solution. J’ai
pris celle de tout le monde dans ce milieu, j’ai fait semblant d’être sûr de moi. J’ai fait semblant d’aller
vite. Je ne posais jamais de questions au patron, à personne, d’ailleurs personne ne se questionnait en
consultation, par méfiance. Je me suis pourtant interrogé sur sa migraine. Elle n’était pas typique mais
noyée dans une tristesse, dans une lassitude qui recouvrait tout. Sa tristesse ne lui a pas servi. Elle a
même été une ennemie mortelle, comme moi. Je lui ai demandé de revenir souvent. Je l’ai trop revue.
Ses plaintes sont devenues banales, répétitives. Elle était fatiguée, elle avait du mal à dormir, elle ne
parlait presque plus de ses maux de tête, mais de son mauvais état général. Je l’ai fait hospitaliser pour
un bilan qui n’a rien montré et j’ai eu son scanner entre les mains. J’avais dû le faire réaliser en
externe, les délais à l’hôpital étant trop longs. Il aurait fallu aller plaider sa cause au téléphone,
demander. Ce scanner, je l’ai bien regardé, centimètre par centimètre, mais je ne savais pas ce qu’il
fallait voir. J’aurais pu l’analyser à la loupe, au microscope, cela n’aurait rien changé. Je n’avais pas
encore appris à saisir globalement une image, à la laisser venir, à ne pas la segmenter, à laisser les
évidences apparaître dans la vue d’ensemble, les évidences qu’on voit de loin et qui disparaissent
quand on s’approche, comme en peinture. Je n’avais pas reculé assez. J’avais regardé l’image, le nez
collé, comme un myope. […]
Le jour où l’on m’a annoncé que ma patiente était morte aux urgences, l’interne m’a d’abord dit qu’on
ignorait la cause de son décès. Je n’ai pas envisagé une cause neurologique. J’ai d’abord pensé à un
suicide, puis aux causes de mort subite : embolie pulmonaire, troubles du rythme cardiaque… Je me
suis surtout dit qu’elle avait dû faire une complication au traitement que je lui avais prescrit, une
torsade de pointe, une tachycardie ventriculaire… Je ne pensais qu’à ça. J’ai demandé qu’on me sorte
le dossier en urgence, pour vérifier qu’un électrocardiogramme avait bien été réalisé avant la mise en
route du traitement. Je me suis découvert dans cette angoisse, sueurs, mains fébriles, mal au ventre.
C’est un mauvais souvenir. Je ne pensais pas alors à ma patiente, je pensais à ma carrière, mon avenir,
mon renvoi du service, mon procès, ma radiation. Je me suis même dit que si je ne trouvais pas son
tracé, je le remplacerais par un autre. Je ne m’étais jamais vu lâche à ce point, je faisais ma
connaissance. J’ai trouvé son électrocardiogramme, qui ne montrait pas d’anomalie. J’étais rassuré,
mais j’avais perdu des illusions sur moi-même, ou gagné des vérités.
L’interne me rappela une heure après pour me dire qu’un scanner avait été fait, qui avait montré la
dilatation majeure des ventricules avec une masse d’allure tumorale. C’était donc bien de ma spécialité
qu’elle était morte.
Je suis allé voir Diset pour lui raconter toute l’histoire.
Il a été plutôt réconfortant, relisant le premier scanner sans s’appesantir. Il m’a dit qu’il devait s’agir
d’une tumeur maligne qui s’était décompensée brutalement et que le pronostic était, quelle que soit la
prise en charge, effroyable.
Je suis parti avec ce mot.
Le soir, son mari est venu me voir. Il m’a beaucoup servi, l’ « effroyable » de Diset. Je l’ai répété
autant de fois que j’ai pu. J’ai dit aussi « imprévisible », « exceptionnel ». J’ai dit qu’on ne pouvait
rien faire dans des cas pareils, que c’était peut-être une bonne chose pour elle, finalement, qu’elle avait
évité les rayons, la chimio, les souffrances. Je n’ai pas dit que j’étais désolé. J’ai dit que je restais à sa
disposition, que s’il avait besoin de quelque chose… J’ai parlé sans m’arrêter. Un déluge de mots. Le
mari était tellement secoué qu’il n’avait plus la force de répondre. Il hochait la tête, livide. Il voulait
parler, lui aussi, au début, mais je ne le laissais pas faire. Je l’interrompais toujours. A la fin, il m’a
demandé ce qu’il fallait dire aux enfants. Je lui ai répondu : « Je ne sais pas », la seule phrase vraie qui
me restait dans cette foule de mensonges, de clichés, de faux-semblants. Elle m’a fait taire, enfin.
J’ai vécu un mois paisiblement en m’habituant à cette tumeur maligne toujours mortelle, que je n’avais
pas diagnostiquée, mais à quoi bon… Jusqu’au résultat de l’anatomo-pathologie : cysticercose
cérébrale.
Donc, je l’avais tuée. »
143
ANNEXE 60
JACQUES CHAUVIRE. La Confession d’hiver. Cognac : Le temps qu’il fait, 2007, p.117-121
« Enfin, mon procès arriva par un après-midi de fin novembre. Vous savez que les tribunaux acquittent
souvent les guérisseurs et condamnent toujours les médecins. Noblesse oblige, dit-on. C’est vraiment,
pour une fois, nous faire beaucoup d’honneur.
Mon affaire vint, comme il se doit, entre deux autres : une inculpation pour vol et émission de chèques
sans provision, et une inculpation pour attentat à la pudeur. […]
Les débats de mon procès furent rondement menés par le président du tribunal et le raisonnement du
ministère public fut d’une simplicité extrême. « Si vous vous étiez dérangé, docteur Sicard, me dit-on,
vous auriez pu vous rendre compte que la crise dont souffrait Mme Jolibois de Préneuf n’était pas
semblable aux précédentes. »
En effet, la cour avait en apparence mille fois raison : cette crise n’avait pas dû être identique aux
autres puisqu’elle avait abouti, après quelques heures de répit trompeur, à la mort de la patiente.
En somme, pour le procureur, l’abstention fautive était évidente et une peine de prison découlait de
cette opinion. Je me vis quitter la salle menottes aux mains.
« Montrez au moins quelque regret ! » s’écria le procureur devant mon silence. Il est juste de dire que
j’avais très mal suivi l’audience. Je rêvais et je songeais à Jonathan Thieberghen.
« Monsieur le procureur, m’exclamai-je alors, vous êtes dans l’erreur. Ma culpabilité est peut-être
engagée mais elle ne concerne pas l’affaire que vous venez d’évoquer ici même. –Taisez-vous ! vous
tentez d’abuser la justice », cria-t-il. Mon avocat se tourna vers moi et me conjura de ne pas
poursuivre. « Je vous en prie, murmura-t-il en s’appuyant à mon bras, votre cause n’est déjà pas si
facile. » Et il se dressa devant l’auditoire.
Avec une émotion contenue, Maître Goetz fit une plaidoirie excellente. Il dit que j’étais un homme de
pensée, que ma culture était certaine, que mes idées étaient généreuses et que mon dévouement était
connu de tous. […]
On répondit simplement à mon avocat en paraphrasant une remarque célèbre que la société avait
besoin de médecins et non de moralistes. Des murmures approbateurs montèrent de la salle. Quelques
cris s’élevèrent : « Salaud, pourri ! » Je me crus perdu.
Il est inutile de vous dire que le registre ouvert par la religieuse infirmière pour y recueillir les
signatures de mes amis de Malaterre était demeuré vierge.
Dans une péroraison admirable qui égara complètement les juges et le public, Maître Goetz parvint à
m’arracher à la prison. Je ne me souviens que de cette phrase : « Enfin, messieurs, vous ne permettrez
pas qu’un père de famille, un homme vertueux, voie sa carrière brisée et soit soumis à la malédiction
de ses enfants qui porteront la flétrissure dont il n’est sans doute pas responsable. » On transigea. Je
fus condamné à verser plus de quatre mille –nouveaux-francs à la famille Jolibois-Aubry. L’audience
avait été attristante. Il pleuvait sur Magistrène. Les imperméables de tous les auditeurs étaient trempés.
Parmi les témoins à charge, j’avais eu la peine de reconnaître quelques anciens clients qui
m’accablèrent. Les témoins à décharge avaient déposé avec des voix enrouées par les rhumes. Ce fut,
du moins, mon impression. Ils m’apportèrent cependant la satisfaction de leur bonne volonté. Pourquoi
citerais-je leurs noms ? Je ne l’oublie pas. Ils le savent. […]
A la sortie de l’audience, tandis que je me frayais un passage à travers la foule pour rejoindre ma
femme, je crus entendre quelques cris hostiles. Une femme inconnue tendit vers moi un poing
menaçant. […]
Dès le lendemain, je commençai à recevoir un volumineux courrier. Par contre, plus un appel
téléphonique, plus une demande de rendez-vous. J’ouvris, chaque matin, une quinzaine d’enveloppes.
Les unes contenaient des lettres anonymes dont les auteurs se félicitaient du verdict, les autres des
coupures de journaux où mon procès se trouvait relaté par le menu. D’une façon générale la presse ne
m’épargna pas et L’Univers, grand redresseur de torts, emboucha sa trompette de Jugement dernier. »
144
ANNEXE 61
JACQUES CHAUVIRE. La Confession d’hiver. Cognac : Le temps qu’il fait, 2007, p.150
« Un bouton de votre manteau vient de tomber. Je vous le signale, car votre femme ne manquera pas
de vous le réclamer. Je vous en prie. Emmitouflez-vous dans votre cache-col avant de sortir. Cette fois
la brume a envahi le quai. Quelle discrétion dans ce paysage ! Lorsque je pense que vous cherchiez à
me rencontrer pour savoir quel pouvait être un homme condamné par la justice de ses semblables ! Ce
jugement n’a pas pesé lourd dans mon existence. Par contre, tous ces hommes que j’ai laissés sur leur
soif, insatisfaits, tous ces visages à l’affût qui hantent mon esprit et me crient mon insuffisance ! La
Rédemption est là. Acceptons-la donc, puisqu’elle nous est offerte. « C’est impossible », dites-vous.
Et vous ajoutez que vous n’aimez pas les subterfuges. Ah ! mon ami, je vous assure que pour moi la
tentation est grande. »
ANNEXE 62
MARTIN WINCLER. La Maladie de Sachs. Paris : P.O.L éditeur, 1998, p. 65-70
« Que puis-je faire pour vous ?
C’est pour ma fille. Elle voulait pas venir mais je l’ai obligée.
C’est pour mon petit garçon. Il ne mange rien. Il fait encore pipi au lit. Il veut pas dormir. Il me fait
des colères. Il hurle dès que j’éteins la télé. Il se réveille la nuit et il vient dans notre lit, je suis obligée
de la prendre avec moi pour qu’il dorme, et comme mon mari embauche à cinq heures, il va dormir
dans le lit du petit. (Ou bien) Il est pas propre. Il parle mal. Y a pas moyen de lui faire manger de la
viande. Il est infernal à l’école, les maîtresses s’en plaignent. (Ou bien) Il a été enrhumé pendant trois
semaines et il a eu des antibiotiques deux fois et il arrive pas à s’en remettre, faut m’arranger ça. (Ou
bien) Il n’aime que les yaourts et le pain beurré, le goûter c’est son meilleur repas. Je le trouve pas
gros, il faudrait lui donner des fortifiants.
C’est pour ma visite du deuxième mois, je sais que c’est pas obligatoire et je suis pas malade mais
puisqu’on est remboursés…
C’est seulement pour lui faire enlever ses points de suture, mais il a peur.
C’est pour renouveler ma pilule, mon traitement pour les veines, mon calmant, mon médicament pour
le cœur, ma pommade pour les hémorroïdes.
C’est pour renouveler ma prise en charge à cent pour cent, mon ordonnance d’insuline, mes
pansements d’ulcères de jambe par l’infirmière tous les jours matin et soir y compris les dimanches et
fériés pendant un mois.
C’est pour ma prise de sang qu’on fait tous les mois rapport au taux de prothrombine ce mois-ci y
avait trente-cinq au lieu de vingt-cinq le mois dernier mais j’ai mangé des poireaux et surtout
n’oubliez pas de me marquer à domicile sur l’ordonnance, l’autre fois j’ai pas pu me faire rembourser,
merci.
C’est pour un papier que j’ai reçu de la sécurité sociale de l’hôpital de l’assurance de la mairie et j’y
comprends rien on m’a dit qu’il fallait que je vous le fasse remplir.[…]
Pourquoi venez-vous me voir ce soir ?
Parce que je ne sais plus quoi faire.
Parce que ça fait trop longtemps que ça dure.
Parce que ça ne peut plus durer.
Parce que je n’ai pas trop le choix, si ça dépendait que de moi, vous savez les médecins, moins j’en
vois, mieux je me porte.
Parce que ma mère/ mon père/ mon patron/ ma patronne/ mon mari/ ma femme/ mon fils/ ma fille/
mes petits-enfants/ mes voisins/ tout le monde m’a dit de venir, mais franchement, moi je sais que je
n’ai pas besoin de médecin, c’est pas parce que je suis fatiguée que je vais mal et puis, il faut bien
mourir de quelque chose.
145
Parce que j’ai un rappel de vaccin à faire. Ca va faire mal ?
Parce que j’ai encore besoin de quelques séances de massage, ça m’a fait du bien et le kiné m’a dit que
je pouvais vous en redemander, c’est vrai que j’ai moins mal, même mon mari me trouve plus
détendue.
Parce que je suis pas retourné à la caserne hier, j’ai appelé pour dire que j’étais malade mais en fait je
vais bien et j’ai besoin d’un papier.
Parce que j’ai peur que mon mari ait quelque chose de grave et qu’il n’ait pas voulu me le dire, alors
j’ai décidé de vous le demander à vous mais bien sûr je lui dirai pas que je suis venue vous voir, vous
pouvez me faire confiance !
Parce que j’ai grossi.
Parce que j’ai maigri.
Parce que je ne dors plus.
Parce que je dors sans arrêt.
Parce que je supporte plus mes gosses.
Parce que mon père m’a frappée.
Parce que je pleure tout le temps.
Parce que j’ai de mauvaises idées.
Parce que je n’ai plus d’éther à la maison.
Parce qu’avec ma femme/ mon mari/ ma fille/ mon fils/ ma mère/ mon père/ mes frères et mes
sœurs ça ne va plus du tout, surtout depuis la succession de ma grand-mère.
Parce que j’en ai marre de me crever le cul pour rien ;
Parce que je n’ai que trente ans mais j’ai déjà mal partout.
Parce que j’ai déjà quarante ans et je commence à m’inquiéter.
Parce que j’ai passé la cinquantaine et il serait temps.
Parce que j’ai presque soixante ans et je voudrais que ça continue.
Parce que j’ai soixante dix ans passés et mon fils se fait du souci.
Parce que j’ai bientôt quatre-vingts ans et je veux mourir chez moi.
Parce que j’ai quatre-vingt-dix ans et vous savez, j’en ai marre de vivre.
Qu’avez-vous ?
Eh bien, je ne sais pas, c’est à vous de me le dire ! Moi, je ne suis pas médecin. »
ANNEXE 63
MARTIN WINCLER. La Maladie de Sachs. Paris : P.O.L éditeur, 1998, p. 145-146
« Je t’ai pas raconté que je m’étais décroché la mâchoire ? Ca m’a foutu une trouille bleue, quand c’est
arrivé ! J’avais déjà entendu parler de ça, ça m’avait fait rigoler mais pardon, ça n’a rien de drôle. On a
l’air con : on ne peut plus parler, on ne peut plus fermer la bouche, et si on insiste ça fait un mal de
chien. Je suis allé le voir. Il a eu l’air vachement embêté. Il ne savait pas ce qu’il fallait faire. Il a
essayé de me fermer la bouche doucement, mais j’avais déjà essayé, ça ne marchait pas. Il a essayé de
tirer en avant, de pousser en arrière, rien à faire, et moi je commençais à m’impatienter, je me voyais
déjà à la clinique, anesthésie générale et tout le tintouin, la gueule enrobée de fils métalliques au
réveil, obligé de bouffer avec une paille, j’avais envie de pleurer. Et en plus, j’avais encore envie de
bâiller. Il était assis là, près de moi, j’étais allongé comme un con sur son lit bas en me demandant
combien de temps on allait rester comme ça avant qu’il ne se décide à m’envoyer à un spécialiste et
brusquement il s’est levé sans rien dire, il a sorti des étagères un petit bouquin et je l’ai entendu parler
tout seul, il disait un truc du genre : La mandibule s’insère comme ça donc, logiquement…
Il a posé son petit bouquin, il m’a fait lever du lit bas, asseoir dans un des fauteuils recouverts de toile
noire, et il a enfilé des gants. J’étais pas fier, mais il a dit : N’ayez pas peur, il a posé ses pouces sur
mes molaires du fond, il a appuyé doucement vers le bas et clac j’ai senti que ça se remettait. Sans
douleur ni soupir. Il avait l’air tout étonné. Moi, j’étais plutôt soulagé. Et content. »
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ANNEXE 64
MARTIN WINCLER. La Vacation. Paris : P.O.L. éditeur, 1989, p. 87
« A dire vrai, tu n’as jamais résolu de transcrire la vacation, de la poser sur des lignes. Mais tu l’as
toujours fait. Depuis le début.
Depuis les premières séances d’apprentissage, debout derrière D. qui officiait de ses doigts courts (et
tu revois très précisément la façon dont il plie une compresse avant de refermer sur elle les mors de la
Longuette) ; depuis le jour qui t’a vu sortir de la salle d’examen le ventre serré et douloureux (et ce
jour-là pourtant tu ne tenais pas le tuyau) ; depuis la première fois que tu es intervenu seul.
De cette première fois, étrangement, tu n’as pas de souvenir précis. Tu te souviens très bien, en
revanche, du jour où on t’a proposé la vacation. Tu revois, tu peux presque reproduire ton mouvement
de recul. Ne me demandez pas ça. Pourtant, et bien que ta mémoire se refuse à en restituer les
circonstances ou tes motifs, tu es venu un jour voir, tu as accepté d’apprendre. Et tu te souviens très
bien, même après que ta capacité à travailler seul eut été reconnue par tous, avoir longtemps exigé que
D. restât présent dans la salle de soins pendant tes interventions. »
ANNEXE 65
JACQUES CHAUVIRE. La Confession d’hiver. Le temps qu’il fait, 2007, p. 27-30
« Par un après-midi de mai, Jonathan et Maria Thieberghen se présentèrent à mon cabinet. […].
« Puis-je vous demander ce qui vous amène ? » Ils se regardèrent. « Eh bien, parle ! » dit Jonathan à sa
femme. Alors Maria Thieberghen me tint des propos que j’avais cent fois entendus. Elle se plaignit
d’une fatigue croissante depuis quelques semaines. Elle souffrait d’une gêne dans le bas-ventre. […].
J’invitai Maria Thieberghen à passer dans le cabinet voisin, à s’y dévêtir et à s’étendre sur le lit
d’examen. […]
Maria s’étendit sur le lit d’examen. Pour ne pas offenser sa pudeur, je glissai ma main sous la chemise
et je palpai le ventre. C’est alors que, cher monsieur, sous mes doigts se précisa le malheur. J’insistai,
je voulais être sûr. Il n’y avait pas de doute : sous mes pulpes se dessinait le contour irrégulier d’une
tumeur qui, après avoir frôlé les os du bassin, plongeait dans les profondeurs du ventre. Une bouffée
de chaleur m’envahit le visage. Ma main se mit à trembler : « Oui, c’est là, c’est bien là », répétait
Maria Thieberghen. Je poursuivis et achevai mon examen, les jambes molles. Je devais à tout prix ne
rien laisser paraître de mon émotion. Mettez-vous un instant à ma place dans une telle circonstance !
« Ce n’est rien, ce n’est rien, bredouillai-je, vous pouvez passer vos vêtements, chère madame ». Je
compris dès ce moment que Maria Thieberghen jetait sur moi un regard désespéré : une certaine pâleur
du teint, un éclat plus vif de ses yeux trahissaient l’inquiétude. « Allons, me dis-je, ressaisis-toi ! » Je
vins m’asseoir devant Jonathan Thieberghen, j’attirai à moi un bloc d’ordonnances et je commençai à
écrire. Le fait d’écrire soulage, vous ne l’ignorez pas. Il répond souvent à une attitude de fuite.
D’ailleurs, je n’écrivis rien ou presque. Je froissai la feuille et je levai les yeux vers Jonathan
Thieberghen. J’entrevis que, pour la première fois, il me considérait comme un juge.
« Alors ? », me dit-il simplement. […]
« Alors, repris-je, alors… monsieur Thieberghen, je pense qu’une opération est nécessaire. »
Maria avait regagné sa place. Mon ton était grave. Ma voix aurait voulu ne pas être alarmante. Mais
dans l’instant même je fus sûr qu’elle le fut. J’avais peur. Jamais je n’avais été mis à une telle épreuve.
Je ne vous dirai pas que, jusqu’ici, j’étais demeuré insensible lorsque je devais annoncer à un malade
ou à sa famille une nouvelle ennuyeuse ! Mais à ce point, jamais ! […]
Jonathan, dans un geste lent, saisit la main de sa femme. « Est-ce sérieux ? », murmura-t-il. Je ne pus
me contenir : « Je pense que non, je vous assure que non. – Nous avons confiance en vous », dit
Jonathan. Ce mot me transperça. Sa femme soupira. « Une opération… ! –Je crois que la prudence
l’exige. »
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Je commençai à écrire une lettre au chirurgien auquel je destinais Maria. Celle-ci avait abandonné sa
main à celle de son mari. Le soleil jouait entre les feuilles des platanes du quai. Je fus étonné par le
silence. Maria ne chercha pas à me questionner. Elle m’apparut courageuse et résignée.
Je levai la tête pour demander à Jonathan s’il désirait que sa femme entrât à l’hôpital ou dans une
clinique. « Dans une clinique, dit Maria. Comme ça tu ne me quitteras pas, Jonathan, et tu pourras
venir me voir tous les jours et même rester auprès de moi, la nuit. »
Je téléphonai au chirurgien. Je leur remis l’enveloppe et ma lettre. Ce fut tout. »
ANNEXE 66
JACQUES CHAUVIRE. La Confession d’hiver. Le temps qu’il fait, 2007, p. 33-35
« Vous n’ignorez pas, cher monsieur, que du point de vue de leur situation sociale les médecins
peuvent être répartis en deux grandes catégories. Il existe tout d’abord un corps de médecins
hautement titrés, possesseurs de clinique, professeurs agrégés, spécialistes, qui est en quelque sorte la
fleur mais aussi la clé de voûte de notre corporation. Ils perçoivent des traitements et des honoraires
souvent fastueux, accomplissent des voyages d’études qui les conduisent dans les cinq parties du
monde. En somme, ils sont souvent absents. Ils savent néanmoins maintenir l’ordre et la hiérarchie. Il
paraît que la mode actuelle manque à leur égard d’un respect élémentaire : elle les nomme nos
mandarins. Je me dois d’ajouter, pour être équitable, que quelques-uns d’entre eux sont non seulement
des hommes fort compétents, peu soucieux d’argent et de réussite, mais encore d’une simplicité
extrême, et que si la notoriété a couronné leur carrière, ils se refusent cependant à se conduire comme
des notables. Dès lors, leur indépendance fait qu’ils ne sont pas toujours bien considérés par leurs
pairs.
A l’opposé de cette haute société médicale, dans l’atmosphère humide des culs-de-basse-fosse ou, si
vous préférez, dans les quartiers populeux de nos banlieues, végète un prolétariat de médecins qui
ahane aux montées d’étages, gèle en hiver et transpire en été pour gagner sa chienne de vie. Certains
d’entre eux qui ne se résignent pas à la médiocrité pécuniaire s’efforcent de compenser l’insuffisance
de leurs honoraires par une activité redoublée. Ils travaillent quatorze heures par jour et je pense que
ce surmenage ne leur permet pas de prodiguer des soins convenables. Que voulez-vous ! Ils ne
supporteraient pas de circuler dans une voiture modeste ! Leur disponibilité m’étonne. Ils parviennent
pourtant grâce à leur soumission et à leur diligence à s’assurer des revenus confortables sur quoi s’abat
la voracité fiscale. Les innocents !
Quant aux autres, ceux qui ne consentent pas à tout sacrifier de leur indépendance et de leur honneur,
leur niveau de vie n’atteint qu’à grand-peine celui d’un agent de maîtrise et d’un cadre subalterne.
Situation inconfortable pour tout homme qui se respecte. Interrogez les ingénieurs, ils ne peuvent se
résoudre à cette condition. Comme le disait avec pertinence Aubry, comment peut-on être en même
temps « cadre » et subalterne ! »
148
ANNEXE 67
MARTIN WINCKLER .Les Trois médecins. Paris : P.O.L. éditeur, 2004, p. 66-67
« Malgré cette antipathie profonde et réciproque, LeRiche – par calcul – et Vargas – par loyauté – ne
s’affrontent jamais ouvertement et en restent aux passes d’armes verbales et aux crocs-en jambe
pédagogiques.
La rivalité permanente des deux hommes, connue de tous – y compris du doyen –, a peu à peu teinté
toute la vie de la fac. Dès qu’ils ont franchi le barrage du concours de première année, les étudiants
sont sommés par leurs aînés de présenter le concours de l’internat, et de se rallier ainsi au groupe
« dominant » que constituent les Perses – futurs chirurgiens et spécialistes de haut niveau – face à la
plèbe des futurs généralistes de base. Pour les premiers, l’internat est la voie royale, seule digne d’être
empruntée par qui veut briller dans la carrière médicale. Vouée à la carrière hospitalière ou à des
spécialités lucratives, cette élite des élites sauvera les membres, les organes, les vies ; elle fera
progresser la recherche médicale en incisant, en disséquant, en réparant, en amputant, en remplaçant
les organes malades par des prothèses expérimentales et en explorant les viscères les plus complexes
au moyen d’appareillages de plus en plus sophistiqués. Comme le célèbre alors un gros homme en
blouse blanche sur les affiches d’une association à but non lucratif, si la victoire contre le cancer est à
portée de main, c’est bien grâce à cette élite ! Si les patients meurent, eh bien ! c’est pour la bonne
cause, et c’est la faute à pas de chance. Ou au diagnostic erroné d’un de ces praticiens formés au rabais
parce que trop paresseux pour préparer l’internat… ou trop médiocres pour le décrocher. »
ANNEXE 68
MARTIN WINCLER. La Maladie de Sachs. Paris : P.O.L éditeur, 1998, p. 163-164
« - … Et puis, quand vous êtes sorti de votre cabinet, à la façon dont vous avez dit au revoir à la
personne qui partait, et puis bonjour à celle qui s’est levée, et puis la façon que vous avez eue de nous
saluer, alors que nous n’étions jamais venus…
Tu hausses les épaules, comme si c’était peu de chose.
- C’est peu de chose, Docteur, mais c’est beaucoup, parce que tous les docteurs ne sont pas comme
vous. L’autre jour dans la grand-rue quand vous êtes passé en voiture, vous m’avez fait signe. C’était
la première fois de ma vie qu’un docteur me faisait signe. C’est peu de chose, mais ça dit tout… Mais
surtout, je voulais vous dire… Je ne sais pas ce que ça va devenir, je vois bien que ma femme va plus
mal, qu’elle souffre de plus en plus. C’est triste, parce qu’il y a des gens qui aimeraient venir la voir et
lui faire la conversation mais maintenant ce n’est plus possible, je la bourre de calmants et elle dort
sans arrêt, alors je leur offre un café, ils me font la conversation à moi, mais ce n’est pas pareil… Je ne
suis pas stupide, j’en ai vu mourir, des gens, je me doute bien qu’il n’y en a plus pour longtemps, mais
je voulais vous dire… Le jour où on est allés vous voir pour la première fois, quand on est entrés et
que vous l’avez aidée à s’asseoir, vous vous souvenez ? Ma femme a dit : « Je viens vous voir parce
que le Docteur Jardin a dit qu’il ne pouvait plus rien faire pour moi. » Et moi comme elle, on a bien vu
que vous étiez choqué. Vous avez répondu, je m’en souviendrai toute ma vie, Quelle que soit la
maladie, on peut toujours faire quelque chose et, quand on est partis, vous nous aviez gardés
longtemps et pourtant elle allait mieux. Elle a marché jusqu’à la voiture sans que je la soutienne, et
pendant quinze jours, je ne l’avais jamais vue comme ça depuis le début de sa maladie, elle a repris
courage. Elle se levait le matin, elle souffrait moins, elle a même cuisiné plusieurs fois et j’y ai cru,
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vous savez, et elle aussi. Maintenant, je sais que c’était surtout parce que vous nous aviez remonté le
moral, sans nous raconter d’histoire, sans nous promettre qu’elle allait guérir…
Je sais qu’elle va mourir, elle aussi elle me le dit et elle n’est même pas en colère, c’est elle qui me
console, elle dit que c’est la faute à pas de chance, elle dit que je suis encore solide et que je pourrai
me remettre en ménage. Moi, bien sûr, je ne pourrais pas. Pas après avoir vécu tout ça avec elle. Mais
même si je sais qu’elle va s’en aller… c’est pas que je le veuille, mais c’est plus une vie de la voir tant
souffrir… je voulais vous dire que ces quinze jours-là… ça n’est pas grand-chose, quinze jours, quand
on a souffert sans arrêt pendant trois ans, mais ces quinze jours-là, elle vous en a toujours été
reconnaissante… et moi aussi. »
ANNEXE 69
MARTIN WINCLER. La Maladie de Sachs. Paris : P.O.L éditeur, 1998, p. 347-350
« J’entends une voiture s’arrêter devant la porte. Une portière s’ouvre, puis claque. On frappe.
- Entrez !
La porte s’ouvre puis se referme.
- Entrez, Docteur, je suis dans la cuisine.
Je prends mon déambulateur, je m’appuie à la table pour me mettre debout. Tu entres dans la cuisine,
tu poses ta sacoche sur la table, tu me tends la main.
- Restez assise, Madame Destouches.
- Bonjour, Docteur.
- Excusez-moi, je passe un peu tard, mais j’ai eu beaucoup de consultations.
- Je vous en prie, Docteur, je comprends. De toute manière, j’ai tout mon temps, vous savez
bien. Mais le samedi après-midi, la pharmacie est fermée…
- Aujourd’hui, Madame Grivel est de garde.
- Ah ! Tant mieux. Elle est bien gentille. Elle me dépanne toujours, quand j’en ai besoin. Elle
me dit qu’elle s’arrange avec vous…
- Mmmhh. Alors, quoi de neuf ?
- Oh, pas grand-chose, Docteur. L’infirmière est passée ce matin faire mes pansements, les
ulcères ne bougent pas, ça n’est ni mieux ni pire. Au moins, ils ne me font plus mal, comme
avant. Mais je vais manquer de compresses et de sérum. Tenez, dis-je en te tendant ma petite
liste, j’ai tout écrit là-dessus.
Tu tires le tabouret de sous la table, tu t’assieds près de moi.
- Bon, je vais vous prendre la tension, quand même.
- Elle ne doit pas être bien haute…
Tu sors ton appareil à tension et ton stéthoscope. Je te tends le bras droit, tu me passes le brassard, tu
visses la molette et tu te mets à gonfler. Ca serre. Du bout des doigts, tu dévisses doucement la
molette. Ca siffle.
- Treize-huit, c’est bien.
- Ah ? La dernière fois, j’avais douze, comme d’habitude… Pourquoi est-ce que ça monte ? Estce qu’il faut que je change le traitement ?
- Non, non, surtout pas, ce n’est pas dramatique, vous savez, à votre âge, d’avoir treize. C’est
même plutôt bien…
- Ah bon ? Comment ça ?
- Eh bien, voyez-vous, chez les gens… un peu âgés…
- Je vous en prie, Docteur, j’ai quatre-vingt-trois-ans, ne me ménagez pas !
- Eh bien, à votre âge, les artères du cerveau sont un peu plus rigides, elles ont perdu leur
souplesse, alors quand la tension baisse trop à cause des médicaments, le sang circule moins
bien, le cerveau reçoit moins d’oxygène…
- Ah, je vois. Il risque de se ramollir, et on devient une plante en pot.
150
Je te regarde. Tu ne souris pas.
- A ce propos, Docteur, je voulais vous demander…
- Oui ?
Je regarde autour de moi, la cuisine aux murs blancs, les placards en formica, le rideau à la fenêtre,
l’évier parfaitement propre.
- Ca me fait toujours drôle de vivre ici. Depuis que nous avons déménagé de notre petite
maison, je suis un peu perdue.
- C’est plus confortable, j’imagine…
- Oui ! Oui ! Ca, y a rien à dire. Là-bas je n’avais que trois pièces, et puis la chaudière à
charbon, ça n’était pas toujours très sain, et l’été il faisait très chaud. Mais enfin, c’était chez
moi, j’y ai vécu avec mon mari, tous mes enfants y sont nés, sauf l’aîné, puisque j’ai
accouché dans la charrette de mon mari… […]
- Mais on vous a relogée ici…
- Oui, pour ça, le maire a été gentil. […] Mais…
- Mais ?
Je soupire. Je te regarde, puis je regarde l’évier, le cendrier propre sur l’étagère. Je lève la tête mais je
n’entends rien dans la grande pièce.
- Je ne sais pas… ce n’est pas vraiment chez moi… Et puis, maintenant, je me sens seule.
Tu te penches vers moi, tu poses la main sur ma main.
- Georges vous manque.
Je sors un mouchoir, je m’essuie les yeux.
- Oui… Je ne devrais pas vous le dire, je sais que vous n’étiez pas d’accord… Mais qu’est-ce
que vous voulez, il faut me comprendre… Il buvait tellement les derniers temps, il était
toujours ivre, il ronflait toute la journée, c’était impossible de le bouger quand il était sur le lit,
des fois il glissait par terre, et forcément, avec un seul bras, il ne pouvait plus se relever, et
moi pas question que je l’aide… Alors, c’est vrai que quand ma fille a proposé ça, j’étais
scandalisée, et à la vérité, ça m’a fait plaisir que vous preniez la défense de Georges, et que
vous lui disiez que vous ne signeriez pas de papier… […] Vous m’aviez dit aussi que c’était
compliqué , maintenant, de faire enfermer quelqu’un… Mais ma fille s’est débrouillée, elle
connaissait quelqu’un qui travaillait dans un centre, à trente kilomètres de l’autre côté de
Tourmens… […] Il paraît qu’ils ont un très beau parc, ils peuvent se promener… Mais il
répète tout le temps qu’il veut revenir ici… Ma fille m’a dit qu’ils ont déjà dû aller le
rechercher deux fois dans les bois. Forcément, il essaie de sortir, mais il y a un mur…
- Voulez-vous qu’il revienne ?
- Oh, mon Dieu, non ! Il m’en a trop fait voir ! Et puis… ma fille ne serait pas d’accord… Et…
son mari a menacé de ne plus m’amener mes petits-enfants si Georges continuait à vivre ici…
Mais… vous comprenez, c’est mon fils… Il me manque… C’était une compagnie, malgré
tout. Pendant des années, avant qu’il se mette à boire autant, il m’aidait beaucoup, malgré son
handicap, il faisait les courses, il repeignait les volets, il coupait du bois… Et puis quand son
moignon s’est mis à le faire souffrir, ça n’a plus été…
- Avez-vous de ses nouvelles ?
- Pas souvent… C’est compliqué de l’appeler au téléphone, et puis il ne dit pas grand-chose …
Je me mets à sangloter.
- En fait, il ne me dit rien. Il ne veut pas me parler. Il m’en veut, j’en suis sûre… J’ai laissé
enfermer mon propre fils… Vous savez, Docteur, s’il n’avait pas été là, je ne serais pas
vivante, aujourd’hui… […]
Je n’arrive plus à parler, je sanglote. Tu te lèves, tu fouilles tes poches et tu en sors un paquet de
mouchoirs en papier, mais j’ai ressorti mon mouchoir trempé dans la poche de ma blouse.
- J’ignorais ça, Madame Destouches…
- Bien sûr, je ne vous l’ai pas dit, parce que c’est grâce à vous et au Docteur Lance que je suis
encore là. Mais c’est à cause de Georges que je ne suis pas morte…
Et nous restons là, un long moment, sans rien dire, toi à me tenir la main, et moi à pleurer sur ces
années que mon fils m’a données et dont je ne voulais pas. »
151
ANNEXE 70
MARTIN WINCLER. La Maladie de Sachs. Paris : P.O.L éditeur, 1998, p. 157
« Tu m’as souvent dit que la nuit, c’est presque toujours la même chose, les mêmes angoisses, les
mêmes rengaines, les femmes inquiètes parce qu’un enfant a de la fièvre ou la diarrhée ou vomit ou
pleure, les hommes qui ont du mal à respirer comme ça brusquement sans raison apparente, et je sens
que tu es en pétard quand je t’annonce un truc comme ça, que tu te retiens, parce que ta voix pâteuse
crache du vitriol : Vous lui avez dit que le temps que j’arrive, elle sera déjà morte ? ou : Bon, son mari
pleure. Et alors ? Elle veut que je lui colle une fessée avant de le remettre au lit ?
Le plus étrange, c’est qu’au retour (tu m’appelles souvent au retour, pour vérifier qu’il n’y a pas eu
d’autre appel entre-temps) tu es tout chose, comme si ta colère était tombée le temps du trajet, le temps
de découvrir que le môme qui tousse qui chie ou qui grelotte va beaucoup mieux, mais que la mère,
elle, en a des tonnes à raconter et qu’elle fait payer à son mari la java qu’il s’est offerte avec les
copains la nuit précédente en la plantant là avec le môme (Tu vas voir mon salaud, tu vas nous le
payer, je t’en foutrai des nuits de cuite, parce que si tu crois que dimanche soir tu pourras me passer à
la casserole, tu te fourres le doigt dans l’œil et quand je dis le doigt), ou que le type qui n’arrive plus à
respirer n’est pas un asthmatique ou un emphysémateux (ceux-là, ils savent qu’ils le sont, ils
connaissent leur mal comme leur poche ils annoncent tout de suite la couleur), mais un petit mec un
peu minable, affublé d’une bouffeuse de roustons qui lui a fait le souk toute la soirée pour je ne sais
quel geste déplacé sur la personne d’une quelconque belle-sœur de cousine par alliance, au banquet de
mariage dont ils sont rentrés tard le matin précédent (Tu vas voir, salope, tu me sabotes le film du
dimanche soir avec tes engueulades à la con, eh bien tu vas me le payer. Tu sais, mes palpitations,
celles que j’avais sans arrêt quand je fumais deux paquets par jour, mon cœur jouait de la batterie et
t’avais la trouille que je meure pendant la nuit, tu te souviens ? Eh bien c’est reparti !) enfin, bref, la
nuit, c’est souvent des règlements de compte.
Toi, quand je te réveille, tu dis qu’ils vont te la payer, tu vas leur compter trente balles de plus pour
déplacement abusif exigence personnelle, et quand tu reviens tu es désolé presque abattu, malheureux
d’avoir été témoin de tant de misère affective, de tant de haines rentrées, de tant de malentendus
empilés.
Parfois, trop souvent à mon goût – et au tien, j’imagine –, c’est pour de vrai, c’est du saignant, du
drame et de l’horreur,
l’accident de la route à cinq dans la petite GT rouge (on dit souvent qu’avec une fille à droite du
conducteur, les jeunes mecs au permis tout frais lèvent moins le coude et un peu plus le pied, mais
c’est pas toujours vrai) et sur les cinq tu en trouves quatre très amochés et une morte, la petite amie du
conducteur a pris le pylône quand ils ont raté le virage,
l’hémorragie de l’utérus sur un cancer inopérable et elle pensait qu’elle pourrait mourir chez elle
tranquillement, mais voilà qu’il faut repartir,
la mort subite du nourrisson.
Et puis il y a les toqués les jetés les pas nets,
les folles constipées chroniques qui appellent à minuit pour qu’on vienne leur faire une ordonnance de
laxatif à domicile si possible en passant par derrière pour ne pas réveiller leur mari,
les violents de la « caserne » […].
Et puis il y a les angoissés terrifiés de passer encore une nuit seuls avec eux-mêmes j’ai plus de
parents j’ai plus d’amis mes enfants sont partis mes voisins sont en vacances il faut que je parle à
quelqu’un parce que sinon je vais tourner dingue
les hystériques qui font leur crise hebdomadaire
les adolescents qui pètent les plombs
les sans-gêne qui appellent calmement pour une prolongation d’arrêt de travail, Oui je sais qu’il est
onze heures du soir, mais le lundi matin impossible de voir un médecin, ils sont trop occupés.
152
Et de temps en temps, il y ceux à qui tu as le sentiment (tu me le dis alors, quand tu me rappelles , tu
es fatigué mais un peu excité, presque joyeux : Je ne regrette pas d’y être allé, voilà quelqu’un à qui
j’ai vraiment le sentiment) d’avoir rendu service, un petit vieux qui est tombé de son lit et tu as réussi
à rassurer tout le monde pour qu’on ne l’expédie pas à l’hôpital, un jeune qui s’est cassé la gueule en
vélo en pleine nuit et que tu as recousu, une femme enceinte qui avait une bronchite et peur de perdre
sa grossesse à force de tousser, un représentant qui devait partir à cinq heures et qui se tapait une rage
de dents, un fils prodigue qui se remet à faire des crises d’asthme dès qu’il vient rendre visite à ses
parents – il fait très humide dans le coin – et qui a étourdiment oublié son pulvérisateur chez lui où il
fait chaud et sec et où ça ne lui arrive jamais, une dame qui ne voulait pas qu’on te dérange mais sa
voisine a insisté parce qu’elle trouvait qu’elle n’allait vraiment pas bien, que tu as trouvée assise dans
son lit, une tasse de tisane à la main, et qui t’a dit d’un air navré « Je suis désolée de vous avoir
dérangé », auprès de qui tu t’es assis pour parler un peu et, quand tu es parti, tu t’es contenté de lui
prendre la tension mais là, au bout du fil, quand tu m’en parles sans me dire ce qu’elle t’a confié, je te
sens prêt à chialer.
Et puis il y a les autres, ceux pour qui on ne peut plus rien, les décédés de fraîche date, subitement ou
après une longue maladie, dans leur cou ou sur leur lit, les vieux, les jeunes, les moyennement âgés,
les veufs, les entourés, les miséreux, les suicidés… »
ANNEXE 71
MARTIN WINCLER. La Maladie de Sachs. Paris : P.O.L éditeur, 1998, p. 237-240
« - Vous êtes gêné depuis longtemps ?
- Depuis… hier. Enfin, ça fait quinze jours… que ça n’allait pas …et… rien ne me fait plus grandchose quand… j’ai une bronchite en plus…
A ce moment-là, je me mets à tousser violemment, à transpirer, à étouffer encore plus. Il pose la main
sur mon bras et me fait asseoir sur un siège recouvert de drap noir. J’avais peur qu’il me demande de
m’allonger, la plupart des médecins ne savent pas que c’est pire.
Il me regarde et hoche la tête. Je crois qu’il va parler, mais non, il ouvre le petit meuble à la tête du lit
bas. Il en sort un pulvérisateur, une chambre d’inhalation en plastique. Il me la montre.
- Vous savez ce que c’est ?
Je fais oui de la tête, j’en ai une à la maison mais je ne m’en sers jamais.
Il me tend le pulvérisateur, ça n’est pas un produit que je connais. Il insiste pour que j’utilise la
chambre d’inhalation et que j’en prenne plusieurs bouffées. Je m’exécute.
Ensuite, il me demande d’ôter ma chemise, s’assoit près de moi, me prend ma tension et m’ausculte,
une main posée sur mon épaule nue.
- Ca siffle moins, on dirait ?
- C’est… pas encore ça…
Je me remets à tousser, je sue à grosses gouttes.
Il fouille à nouveau dans le tiroir, en sort deux ampoules de verre, se lève pour préparer une injection.
Il me pique sans me faire mal, trouve la veine tout de suite, me fait l’injection très lentement, et nous
restons assis là, face à face, longtemps, dix minutes, un quart d’heure. Il se tait, il m’ausculte, il me
regarde.
- Ca doit faire un moment que vous dérouillez…
Je ne dis rien.
Petit à petit, mon souffle se délie, ça siffle de moins en moins, je ne transpire plus, mon cœur se
ralentit un peu.
Il retire son stéthoscope de ses oreilles et pose la main sur mon bras.
- Vous avez la peau très sèche… Et de l’eczéma. Depuis l’enfance, sans doute…
- Oui. Mais à côté de l’asthme, c’est plutôt secondaire… […]
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Lorsqu’il ouvre la porte de communication, il me tend la main. Je la prends, je la garde et je dis :
- Merci… Merci beaucoup.
- De quoi ? De vous avoir soulagé ? C’est mon boulot…
- Merci de ne pas m’avoir engueulé. J’attends toujours le dernier moment. Je me dis que ça va
passer. Je vide mes pulvérisateurs mais, passé un certain point, je sais que ça va empirer.
Quand je vais voir un médecin, c’est que je n’en peux plus. Et chaque fois, on m’engueule en
me disant que je suis fou à lier, que je risque de crever, que je suis un salaud de faire ça à mes
filles… Je sais que c’est vrai, mais ça ne m’aide pas. Et ça ne me donne pas envie de
consulter. Mais vous… vous ne m’avez pas fait la morale.
Il rit doucement.
- La morale, c’est encore plus étouffant que l’asthme… »
ANNEXE 72
MARTIN WINCLER. La Maladie de Sachs. Paris : P.O.L éditeur, 1998, p. 242-243
« Je me rends compte que je regardais ses mains, encore posées à plat sur le bureau. Je lève les yeux et
je le vois sourire, attentif et perplexe.
Je prends ma respiration et je dis :
- Je suis venue parce que j’avais besoin de parler. Je ne suis pas malade… Enfin, pas malade
comme les malades que vous voyez, j’ai un peu honte, je me dis que je vous prends du
temps… Vous n’avez pas de visite à faire ?
- Pas que je sache. J’en aurai plus tard, sûrement.
Je respire difficilement, ma gorge se serre. Les larmes montent aux yeux, j’ouvre la bouche mais rien
n’en sort.
- Excusez-moi…
Il attend patiemment, et puis, voyant que je ne parviens pas à émettre un son, il murmure :
- Ca l’air d’être très difficile.
- Oui… Et en même temps… c’est à la fois tellement invraisemblable et tellement… banal !
- Mmmhh.
- Je… je suis célibataire, mais c’est comme si j’étais mariée… et j’ai un amant… Enfin, il n’y a
que lui… je veux dire… je n’ai qu’un homme dans ma vie… si on peut appeler ça une vie… et
parfois je le vois tous les jours, et parfois je ne le vois presque plus pendant des semaines… Il
est très présent… et très absent à la fois… Et… je n’en peux plus…
- Parce que c’est dimanche, vous ne l’avez pas vu, aujourd’hui ?
- Non, non ce n’est pas ça. Je le vois le dimanche, je le vois même assez souvent. Il… il
s’arrange. Sa femme… s’absente souvent. Elle ne travaille pas, elle joue au bridge. Elle fait
des tournois. Elle profite de l’argent qu’il gagne, elle aurait tort de s’en priver… Aujourd’hui,
je ne vais pas le voir, il est… ils sont allés dans la belle-famille, préserver les apparences. Un
repas d’anniversaire, je ne sais pas, je ne veux pas le savoir. Quand il fait ça, je le déteste, je
voudrais le tuer, je voudrais les tuer tous les deux, et qu’on en finisse !... Je la croise parfois,
en ville, je la vois dans des boutiques hors de prix, elle claque un fric fou… J’ai beaucoup de
mal à ne pas l’insulter…
Je le regarde. Il ne dit rien. Il hoche la tête comme s’il comprenait.
Oui, je crois que tu comprends. »
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ANNEXE 73
MARTIN WINCLER. La Maladie de Sachs. Paris : P.O.L éditeur, 1998, p. 278-279
« Visites dimanche :
Jules Gavarry, Deuxmonts (Dr Boulle), sciatique – dans la nuit de samedi à dimanche, je lui ai fait des
anti-inflammatoires IM, mais il tenait absolument à partir le matin très tôt pour je ne sais quelle foire
exposition, alors tu ne vas sans doute pas le revoir cette semaine, j’espère qu’il ne dérouillera pas
trop, il avait six cents kilomètres à faire quand même
Armand Duras, Sainte-Sophie (Dr Jardin), poussée insuff. cardiaque – j’ai demandé à sa fille de vous
rappeler mardi s’il n’allait pas mieux
Arnaud Belleto, Marquay (Dr Boulle), grippe
Janine Daudet, Saint-Jacques (Dr Jardin), certificat de décès
Lucienne Darrieussecq, Langes (Dr Carrazé), douleurs abdominales – je ne sais pas ce qu’il faut en
penser, ce malaise qu’elle a fait dans les toilettes, je n’ai pas d’explication, mais quand j’ai examiné
son ventre je l’ai trouvé dur, je me demande si son côlon ne mériterait pas une exploration.
Consultations dimanche :
Norbert Ferry, « La Robertine » (Deuxmonts), crise d’asthme
Madame ??? (Saint-Jacques)
Mathieu Valabrègue (Play), suture
André Alferi (Play), ablation d’un hameçon
Roselyne Mémoire, Marquay (Dr Boulle) – tu vois qui c’est ? Ah, tu connais la famille ? Cette enfant
est dans une panade pas possible. Je suis très, très emmerdé parce qu’il faudrait que quelqu’un la
prenne en charge. Elle avait l’air d’avoir envie que je garde ça pour moi, mais ça m’a tellement
ébranlé que je me suis dit Il faut que j’en parle à… »
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