Utilisation du système CRISPR-dCas9 dans la reprogrammation cardiaque Adélie Belin – Gabrielle Capin – Antoine Farnham Master 2 EGPR Université Paul Sabatier Toulouse REMERCIEMENTS Nous souhaitons dans un premier temps remercier particulièrement Mme Laurence Nieto pour le temps qu’elle a su consacrer à notre projet ainsi que pour tous ses conseils avisés fournis tout le long de ce semestre. Nous remercions également M Rémy Poupot pour ses remarques et ses conseils apportés lors des différentes présentations, ainsi que M Laurent Paquereau et M Vincent Ecochard pour leur aide concernant la compréhension des vecteurs et du système CRISPR-Cas9. Nous tenons à remercier tout particulièrement Mme Celine Galès de l’institut I2MC de Toulouse pour le temps qu’elle nous a consacré et pour nous avoir apporté toutes les informations nécessaires à la compréhension de la reprogrammation cardiaque. Un grand merci à Mme Bettina Couderc pour nous avoir reçu et nous avoir éclairés sur l’utilisation et la conception des vecteurs viraux. Nous remercions également M Aurélien Olichon du centre CRCT de Toulouse pour nous avoir aidé à mieux comprendre le système dCas9 couplé aux ARN guides. Enfin, un grand merci au reste de l’équipe pédagogique du master EGPR pour leur aide et leur soutien au cours de ce semestre particulièrement intense. Mais également à tous les étudiants de la promotions 2016 / 2017 pour leur patience et leur bonne humeur au quotidien ! RESUME Les maladies cardiovasculaires sont la première cause de mortalité dans le monde. Elles résultent le plus souvent d’une perte de cardiomyocytes, cellules contractiles indispensables à la fonction cardiaque. Des études en cours ont pour but de palier à ce problème, cependant elles souffrent d’un manque d’efficacité. Certaines de ces études ont pour principe d’exprimer les facteurs de transcription (MGT) exogènes, impliqués dans le développement cardiaque, permettant la reprogrammation des fibroblastes cardiaques en cardiomyocytes induits (iCM). Cependant, des barrières épigénétiques bloquent la reprogrammation cardiaque en empêchant l’expression des gènes cardiogéniques endogènes. C’est pourquoi, notre projet de recherche consiste à reprogrammer directement des fibroblastes cardiaques en cardiomyocytes induits par activation de l’expression des facteurs de transcription MGT endogènes. Le fait d’activer les gènes endogènes permettra de pallier la barrière épigénétique et donc d’augmenter l’efficacité de reprogrammation. Pour cela, le système CRISPR-dCas9-activateur sera utilisé. Le principe étant de fabriquer des ARN guides (ARNg), capables de cibler spécifiquement les promoteurs proximaux des facteurs MGT. Ces ARNg vont recruter une Cas9 délétée de sa fonction endonucléase (dCas9), qui sera couplée à un activateur transcriptionnel. Ce système a fait ses preuves lors de la reprogrammation directe sur des fibroblastes embryonnaires de souris en neurones induits. Afin d’optimiser le système de reprogrammation, une dCas9 et des activateurs spécifiques vont être choisis : Sa-dCas9 et l’activateur VPR. Les ARNg vont être fabriqués de manière à activer spécifiquement les gènes cibles en évitant les effets non spécifiques. La reprogrammation sera suivie grâce à des marqueurs spécifiques des cardiomyocytes (αMHC, cTnT, α-actinine sarcomérique…), des analyses de l’expression des gènes MGT mais également d’autres gènes cardiogéniques impliqués dans la reprogrammation et différents gènes cardiaques. Des études transcriptomiques et des analyses épigénétiques seront réalisées en parallèle. Listes des abréviations -MHC : -myosin heavy chain KRAB : kruppel associated box ADN : acide désoxyribonucléique MACS : magnetic-activated cell sorting ARN : acide ribonucléique MEF : mouse embryonic fibroblast ARNg : Acide ribonucléique guide Mef2c : myocyte enhancer factor 2c ARNt : ARN de transfert MGT : Mef2c, Gata4, Tbx5 BAM : Brn2, Ascl1 et Myt1l NC : negative control Cas9 : CRISPR-associated protéin 9 ODNds : oligodéoxynucléotides double brin CD31+ : cellules endothéliales 31+ OMS : organisme mondial de la santé CF : fibroblaste cardiaque P16 / p19 : protéin16 / protéine 19 ChIP : chromatin immunoprecipitation P65 : NF-kappa-B p65 CM : cardiomyocyte PA cardiaque : Potentiel d’action cardiaque CRISPR : clustered regularly interspaced palindromic repeats PAM : protospacer adjacent motif cTnT : troponine T cardiaque dCas9 : Cas9 déficiente ELISA : enzyme-linked immunosorbent assay FACS : fluorescence-activated cell sorting Gata4 : gata binding protein 4 GFP : green fluorescence protein H2AK119ub : histone 2 A ubiquitinée sur la lysine 119 H3K27me3 : histone 3 triméthylée sur la lysine 27 H3K4me3 : histone 3 triméthylée sur la lysine 4 PRC1,2 : polycomb repressive complex 1, 2 qPCR : quantitative polymerase chain reaction RT : transcription inverse Rta : replication and transcription activator Sa : Staphylococcus aureus Seq : DNA sequencing ShARN : short hairpin ARN SP : Streptococcus pyogenes TALE : transcriptional activator-like effectors Tbx5 : T-box 5 TTF : tail-tip fibroblast Tubules T : Tubules transverses iCM : cardiomyocytes induits VP 16 : protéines virales 16 iNC : neurones induits VP64 : protéines virales 64 iPS : induced pluripotent stem cell VPR : VP64-p65-Rta ZFP : zinc-finger protein Table des matières A- Introduction ______________________________1 B- Projet de recherche ________________________17 I- CHOIX DE L’ORGANISME ET DU TYPE CELLULAIRE ________________________________________ 17 1- Choix du modèle d’étude pour la reprogrammation cardiaque _____________________ 17 2- Isolation des CF et des CM de souris transgéniques α-MHC-GFP ____________________ 19 II- CONSTRUCTION DU SYSTEME « CRISPR-DCAS9 » _______________________________________ Construction du lentivecteur Sa-dCas9-NLS-VPR _________________________________ Conception des ARN guides _________________________________________________ Transduction des fibroblastes cardiaques ______________________________________ Analyse de la spécificité du système utilisé _____________________________________ Optimisation du système en parallèle _________________________________________ 19 19 23 25 25 27 III- ANALYSE DE LA REPROGRAMMATION DES FIBROBLASTES CARDIAQUES EN ICM ____________________ 1- Suivi des marqueurs de reprogrammation cardiaque _____________________________ 2- Etudes transcriptomiques __________________________________________________ 3- Etudes épigénétiques______________________________________________________ 29 29 31 31 12345- C- Discussion et perspectives __________________35 A- Introduction Selon l’organisation mondiale de la santé (OMS), les maladies cardiovasculaires (cardiomyopathies, infarctus du myocarde, artériopathies, thromboses…) sont actuellement la première cause de mortalité dans le monde. Les principaux facteurs de risque associés aux maladies cardiovasculaires sont le tabac, l’alcool, l’obésité, l’âge et le sexe (OMS, 2015). En 2015 le nombre de décès imputables aux maladies cardiovasculaires dans le monde est estimé à 17,5 millions, dont 7,4 millions sont dus à une cardiopathie coronarienne. Malheureusement, ces chiffres ne cessent d’augmenter chaque année (http://who.int/fr). Le problème majeur des maladies cardiovasculaires est conséquent à la perte de cardiomyocytes (CM). Les CM sont les cellules contractiles composant le muscle cardiaque. Ils mesurent environ 100 µm de long sur 50 µm de large chez l’homme et possèdent un noyau central unique et allongé. Ils ont une forme cylindrique dont les extrémités présentent des bifurcations et des systèmes de jonction cellule-cellule (traits scalariformes, disques et stries intercalaires…), grâce auxquelles ils entrent en connexion pour former un réseau tridimensionnel complexe. Les mitochondries y sont plus abondantes que dans d’autres cellules musculaires afin de fournir l’énergie nécessaire à la contraction et à l’excitation du myocarde. Les CM sont spécialisés dans l’initiation de l’excitation et dans sa conduction. Ils sont spontanément excitables et leur dépolarisation et repolarisation est indépendante du système nerveux. (http://www.chups.jussieu.fr). La perte de cardiomyocytes, à la suite d’un infarctus du myocarde par exemple, peut conduire à une insuffisance cardiaque : cela correspond à l’incapacité du cœur à pomper suffisamment de sang pour répondre aux besoins de l’organisme, qui va être associée à de nouveaux risques d’infarctus du myocarde, et dans les cas les plus dramatiques à la mort du patient. De plus, le cœur souffre d’une très faible capacité de régénération (autour de 1% par an selon Bergmann et al., 2009), ainsi l’ischémie causée par un infarctus ne pourra pas être réparée naturellement. Selon l’OMS en 2015, environ 500 000 personnes souffrent d’insuffisance cardiaque et environ 18 000 décès dus à un infarctus du myocarde ont été recensés en France. 1 2 C’est pourquoi, il est primordial de trouver une solution pour régénérer les cardiomyocytes afin de pallier les problèmes d’insuffisance cardiaque et baisser le taux de mortalité associé aux maladies cardiovasculaires. La transplantation cardiaque est à ce jour la seule méthode efficace mise en place pour résoudre les problèmes liés à l’insuffisance cardiaque. Cependant, le manque de donneur et la faible performance à long terme de la transplantation cardiaque due au rejet de la greffe, implique la recherche de nouvelles alternatives de régénération du cœur (Chen J et al.; 2014). Des essais cliniques se sont portés sur la transplantation de cellules souches dans le cœur (Doppler S.A et al.; 2013), la stimulation de la prolifération des cellules cardiaques in situ (Doppler S.A et al.; 2013) ou encore la reprogrammation de fibroblastes cardiaques en cardiomyocytes à partir des « induced pluripotent stem cell (iPS) » (Takahashi K et al.; 2006). Cependant, les résultats associés à ces différentes stratégies souffrent d’un manque d’efficacité quant à la régénération des cardiomyocytes (Ieda et al.; 2010). En 2010, une équipe de l’Université de Californie s’est intéressée à la reprogrammation directe de fibroblastes cardiaques en cardiomyocytes induits (iCM) (Ieda et al.; 2010). Contrairement aux cardiomyocytes, les fibroblastes cardiaques possèdent une meilleure capacité de régénération et de prolifération. Ainsi, leur conversion en iCM permettrait de combler le manque de cardiomyocytes dans le cœur. Sur le plan structural, les CF ont un corps cellulaire fusiforme avec de longs prolongements cytoplasmiques, possèdent un noyau ovoïde et allongé, un cytoplasme peu visible, un réticulum endoplasmique rugueux et un appareil de golgi étendu (Thèse Najat Benamer 2009). Le principe de la stratégie de reprogrammation cardiaque directe consiste à récupérer des CF d’un cœur de souris, qui représentent 50% des cellules cardiaques, et d’induire leur reprogrammation directe en cardiomyocytes à l’aide de facteurs de transcription cardiogéniques. Ces facteurs ont été mis en évidence en 2010, par l’équipe de Ieda et al., qui ont recherché, parmi des facteurs de transcription impliqués dans le développement cardiaque, ceux qui pourraient induire la reprogrammation des CF en iCM. Ainsi, le criblage de 14 facteurs de transcription impliqués dans le développement cardiaque a mis en évidence les trois principaux facteurs de transcription à l’origine du lignage cardiaque : Myocyte enhancer factor 2c (Mef2c), Gata binding protein 4 (Gata4) et T-box 5 (Tbx5) (Ieda et al., 2010). Ces facteurs de transcription sont exprimés de manière exogène dans les fibroblastes cardiaques à l’aide d’un vecteur polycistronique lentiviral, afin d’induire la reprogrammation de ces CF en iCM. 3 Figure 1 : Stratégie de reprogrammation des fibroblastes cardiaques (CF) en cardiomyocytes induits (iCM). Les CF sont extraits de cœurs de souris transgéniques dont le gène codant la GFP est mis sous le contrôle du promoteur de l’-myosin heavy chain (-MHC). Les CF sont transduits par deux types vecteurs : les retrovirus codant des facteurs de transcription MGT et des lentivecteurs codant les shARN dirigés contre les 35 facteurs épigénétiques ou codant des shNT (contrôle). La reprogrammation est suivie par la présence des marqueurs Troponine T cardiaque et myosin heavy chain (GFP) en cytométrie de flux. MGT : gène Mef2c, Gata4, Tbx5 ; shNT : short hairpin ARN non targetting : ne possèdent pas de cible spécifique. Figure 2 : L’inhibition de Bmi1 augmente l’efficacité de reprogrammation cardiaque. Des marqueurs de différenciation spécifiques des cardiomyocytes (cTnT et -MHC) sont analysés par cytométrie de flux 10 jour après l’induction de la reprogrammation dans les fibroblastes cardiaques. Mock : CF non transduits ; MGT : facteurs de transcription induisant la reprogrammation ; shBmi1 : shARN permettant l’inhibition de Bmi1. 4 Les facteurs de transcription Mef2c, Gata4 et Tbx5 (MGT) vont activer des gènes cardiogéniques et cardiaques permettant la reprogrammation en cardiomyocytes induits. La reprogrammation cardiaque est suivie par l’apparition des marqueurs spécifiques des cardiomyocytes. Les cellules exprimant la troponine T cardiaque (cTnT) et les chaines lourdes alpha de la myosine (α-MHC) sont analysées par cytométrie en flux. Cette étude a permis d’observer une meilleure efficacité de reprogrammation en cardiomyocytes que les stratégies de reprogrammation précédentes. Cependant, les résultats obtenus pour la reprogrammation cardiaque directe sont peu convaincants quant à son efficacité. Zhou et al. ont récemment proposé l’hypothèse selon laquelle une barrière épigénétique pourrait bloquer la reprogrammation des cellules cardiaques. Afin de tester cette hypothèse, un criblage de 35 facteurs impliqués dans le remodelage de la chromatine a été réalisé, ce qui permettra d’évaluer leur influence sur l’efficacité de reprogrammation des fibroblastes cardiaques en cardiomyocyte (Zhou et al., 2016) (Figure 1). Le contrôle épigénétique de l’expression génique consiste au remodelage de la chromatine, au niveau de gènes ou de promoteurs de gènes, par le biais de modifications post-traductionnelles des histones (méthylations, acétylations ou ubiquitinylations), ou de méthylation de l’ADN. La chromatine dans un état ouvert (euchromatine) ou fermé (hétérochromatine) régule l’activation ou la répression des gènes, respectivement (Brookes et al. ; 2014). Il existe différents complexes protéiques de remodelage de la chromatine tels que le complexe « trithorax » qui a la capacité de triméthyler la lysine 4 de l’histone 3 (H3K4me3) ou les complexes polycombes 1 et 2 (PRC1 et PRC2). Le complexe PRC1 a la capacité d’ubiquitinyler la lysine 119 de l’histone 2A (H2AK119ub) et le complexe PRC2 triméthyle la lysine 29 de l’histone 3 (H3K29me3). Les modifications d’histones H2AK119ub et H3K27me3 sont majoritairement associées à un état répressif de la chromatine, contrairement à H3K4me3 qui est associée à un état actif de la chromatine (Vierbuchen T et al.; 2012 ; Zhou Y et al.; 2016). Le criblage de ces 35 facteurs épigénétiques a mis en évidence l’influence de diverses protéines sur la reprogrammation cardiaque. L’utilisation d’un short hairpin ARN (shARN) dirigé contre l’ARN messager codant la protéine Bmi1 (en supplément des facteurs de transcription MGT) a notamment permis d’augmenter de manière considérable l’efficacité de reprogrammation en iCM : environ 45% des cellules sont reprogrammées contre 15% de cellules reprogrammées à l’aide des facteurs MGT seuls (Figure 2). Ces résultats mettent en évidence l’influence 5 Figure 3 : Les cellules reprogrammées en absence de Bmi1 présentent une architecture structurale proche des cardiomyocytes. Des immunocytochimies sont réalisées sur les fibroblastes cardiaques 10 jours après induction de la reprogrammation. La présence des marqueurs de différenciation troponine T cardiaque (cTnT), -actinine et -myosin heavy chain (-MHC) est révélée par immunofluorescence en magenta, rouge et vert respectivement. Les noyaux sont marqués au DAPI (bleu). MGT : vecteur codant les facteurs de transcription induisant la reprogrammation (Mef2c, Gata4, Tbx5) ; shBmi1 : shARN permettant l’inhibition de Bmi1 ; shNT (non targetting) : shARN ne possédant pas de cible spécifique. Figure 4 : La stratégie de reprogrammation en cardiomycytes induits est valide sur différents types cellulaires. Les marqueurs de différenciation spécifiques des cardiomyocytes (cTnT et -MHC) sont analysés par cytométrie de flux 10 jour après l’induction de la reprogrammation dans les fibroblastes embryonnaires de souris (MEF ; gauche), les fibroblastes de queue de souris (TTF ; milieu) et dans des cellules endothéliales (CD31+ ; droite). Mock : MEF, TTF ou CD31+ non transduites ; MGT : vecteur codant les facteurs de transcription induisant la reprogrammation (Mef2c, Gata4, Tbx5) ; shBmi1 : shARN permettant l’inhibition de Bmi1 ; shNT (non targetting) : shARN ne possèdant pas de cible spécifique. 6 primordiale de la régulation épigénétique sur l’efficacité de reprogrammation des fibroblastes cardiaques en cardiomyocytes induits. Le facteur épigénétique Bmi1 est une protéine du complexe polycomb PRC1. Elle permet son assemblage et ainsi l’ubiquitinylation de l’histone H2A sur la lysine 119 (H2AK119ub). Cette modification d’histone associée à un état fermé de la chromatine entraîne la répression du gène cible, et dans le cas des fibroblastes cardiaques, la répression des gènes cardiogéniques. Ainsi l’inhibition de Bmi1 et de la formation du complexe PRC1 permettrait de contrer ce phénomène et de favoriser l’activation des gènes clés de la reprogrammation cardiaque (Zhou et al.; 2016). Par la suite, une étude d’immunocytochimie est réalisée pour mettre en évidence les caractéristiques structurales des cellules reprogrammées (Figure 3). Les cellules reprogrammées en absence du shARN dirigé contre bmi1 (shBmi1) expriment un taux basal de marqueurs de différenciation α-MHC et Troponine T, et l’-actinine, protéine structurale des myocytes composant la ligne Z des sarcomères, ne présente pas un assemblage en fibrilles ordonnées comme c’est le cas dans les cardiomyocytes. En comparaison, les cellules reprogrammées en présence du shBmi1 expriment 5 fois plus les marqueurs de différenciation α-MHC, Troponine T, et -actinine. On observe également la formation de fibrilles ordonnées d’-actinine et de sarcomères qui sont des unités de base des myofibrilles permettant la contractilité des myocytes. De plus, une analyse des flux calciques présents dans les cardiomyocytes induits ainsi que leur capacité contractile ont mis en évidence le caractère fonctionnel des cellules reprogrammées lorsque Bmi1 est inhibé (shBmi1). Ainsi la reprogrammation avec shBmi1 permet l’obtention de cardiomyocytes structuralement et fonctionnellement matures. Par la suite, la reprogrammation en iCM à partir de types cellulaires d’origine non cardiaque a permis d’étudier la reproductibilité de cette stratégie. Des fibroblastes embryonnaires de souris (MEF), des fibroblastes de queue de souris (TTF) et des cellules endothéliales (CD31+) sont reprogrammées à l’aide des facteurs MGT exogènes. En présence de Bmi1, un taux basal d’expression des marqueurs de différenciation cardiaque est observé, tandis qu’en absence de Bmi1 ce taux d’expression augmente jusqu’à 22% (Figure 4). Ainsi cette stratégie de reprogrammation en absence de Bmi1 est valide sur différents types cellulaires, cependant la réponse à l’induction est variable. 7 Figure 5 : Bmi1 et H3K4me3 sont présents au niveau des régions régulatrices des gènes cardiogéniques (ici Gata4). Les séquences cibles des protéines Bmi1 (bleu), H3K4me3 (vert), et H3K27me3 (rouge) sont obtenues par immunoprécipitation de chromatine puis séquençage (ChIP-seq). G1-G5 : régions régulatrices du gène Gata4 ; La localisation et le sens de transcription du gène Gata4 sont représentés par le trait bleu et la flèche. Figure 6 : Les protéines du complexe PRC1, Bmi1 et Ring1B, ainsi que l’histone H2AK119ub sont présentes au niveau des régions régulatrices des gènes cardiogéniques (ici Gata4) dans les fibroblastes cardiaques. Les séquences cibles des protéines Bmi1 (bleu foncé), Ring 1B (vert), et H2AK119ub (bleu clair) sont obtenues par immunoprécipitation de chromatine puis amplifiées par PCR quantitative (ChIP-qPCR) G1-G5 : régions régulatrices du gène Gata4 ; NC (negative control) : Locus non ciblé par Bmi, Ring1B et H2AK119ub. 8 La protéine Bmi1 et le complexe PRC1 dont elle fait partie sont impliqués dans la régulation épigénétique. En effet, le complexe PRC1 est composé des facteurs CBX, PHC, Ring1A, Ring1B et Bmi1 et va permettre l’ubiquitinylation de l’histone H2A (H2AK119ub) et la répression des gènes cibles. D’autre part, la triméthylation de H3 sur la lysine 27 (H3K27me3) par le complexe PRC2 et sur la lysine 4 (H3K4me3) par le complexe trithorax sont associés respectivement à la répression ou à l’activation des gènes cibles. Afin d’identifier le rôle de Bmi1 dans la répression épigénétique des gènes cardiogéniques, différentes études d’immunoprécipitation de chromatine (ChIP) sont réalisées. Dans un premier temps, dans les CF murins, des ChIP sur Bmi1 et sur les histones H3K27me3 et H3K4me3, suivies de séquençages de l’ADN cible (ChIP-seq) sont réalisées. Ces résultats montrent que Bmi1 et H3K4me3 sont présents au niveau des régions régulatrices de gènes clés du développement cardiaque (Gata4, Nkx2-5, Isl1, Pitx2, Tbx20) (Figure 5). Dans un deuxième temps, dans les CF en reprogrammation, des ChIP suivies de PCR quantitatives (ChIP-qPCR) mettent en évidence au niveau des loci cardiogéniques, d’une part, la présence des partenaires du complexe PRC1 et des histones H2AK119ub en présence de Bmi1 (Figure 6), et d’autre part, la présence de la modification d’histone H3K4me3 par le complexe trithorax en absence de Bmi1. Ces résultats montrent la corrélation entre la répression épigénétique et la présence de Bmi1 sur les régions régulatrices des gènes cardiogéniques. En complément, des études d’expression des gènes cardiogéniques par RT-qPCR mettent en évidence la répression de la transcription médiée par Bmi1, et à l’inverse l’activation des gènes cardiogéniques en son absence. A l’issue de ces expériences, le rôle de Bmi1 est caractérisé comme facteur épigénétique de répression de la transcription des gènes cardiogéniques, au cours de la reprogrammation. Ainsi l’abolition de cette barrière épigénétique permettrait d’augmenter l’efficacité de la reprogrammation des fibroblastes cardiaques en cardiomyocytes induits. L’inhibition de la protéine Bmi1, telle qu’elle est présentée dans cette publication (Zhou et al.; 2016), semble apporter une solution à la faible efficacité de la reprogrammation cardiaque. Cependant, cette inhibition pourrait poser problème concernant son application in vivo dans les cœurs malades. En effet, Bmi1 est une protéine impliquée dans le maintien de la 9 10 balance senescence / prolifération et régule ainsi les gènes codant les protéines p16 et p19arf, qui sont des inhibiteurs du cycle cellulaire (Alkema et al. ; 1994). Une étude a mis en évidence en 2015 que Bmi1 serait sous-exprimée dans les cardiomyopathies dilatées et dans les cœurs ischémiés après infarctus (Gonzales-Valdes et al.; 2015). L’inhibition de l’expression de Bmi1 aurait pour conséquence d’augmenter la sénescence des cellules cardiaques in vivo, ce qui aurait l’effet inverse à celui recherché. C’est pourquoi l’inhibition de Bmi1 n’apparaît pas comme une stratégie de choix pour la suite du projet. Comme présenté précédemment, la reprogrammation cardiaque directe induite à partir des facteurs de transcription exogènes MGT souffre d’une faible efficacité, et l’implication d’une barrière épigénétique au niveau des gènes cardiogéniques a été mise en évidence. C’est pourquoi il est crucial de trouver des solutions alternatives, notamment à l’aide d’outils biotechnologiques qui permettraient une reprogrammation directe efficace, via l’activation de gènes endogènes, afin de s’affranchir de la barrière épigénétique présente au niveau des gènes cardiogéniques. Différents outils de ciblage permettent de réguler spécifiquement la transcription des gènes. Ces stratégies sont basées sur l’utilisation de «zinc-finger protein», de «transcriptional activatorlike effectors» ou encore du système de «clustered regularly interspaced palindromic repeats (CRISPR)» couplé aux «CRISPR-associated protéin 9 (Cas9)», plus communément appelé système CRISPR-Cas9 (Thakore et al.; 2016). Ces trois outils permettent de cibler une séquence spécifique d’ADN, et ont été principalement conçus dans un but d’édition du génome. Cependant, d’autres applications sont possibles. Ces outils peuvent notamment être couplés à un ou plusieurs régulateurs transcriptionnels, permettant à la fois le ciblage précis et la régulation de gènes cibles. Ces effecteurs peuvent être des répresseurs ou des activateurs transcriptionnels tels que KRAB ou VP64 respectivement (Thakore et al.; 2016 ; Polstein et al.; 2015). Le système « CRISPR-Cas9 » comporte plusieurs avantages : une facilité de construction, une grande efficacité et spécificité, ainsi qu’un faible coût (Perez-pinera et al.; 2013). Ce système a été initialement mis en évidence chez les bactéries, où il participe à l’immunité adaptative. En particulier chez Streptococcus pyogenes, il a pour fonction la détection et l’élimination d’un ADN étranger inséré dans son génome (Barrangou et al. ; 2007). Par la suite la présence de ce système a été mise en évidence chez d’autres souches bactériennes, telles que Staphylococcus aureus, Neisseria meningitidis et Treponema denticola 11 Figure 7 : Activation (gauche) ou répression (droite) d’un gène par la méthode CRISPRdCas9-effecteur. dCas9 (orange), ARN guides (violet), gène cible (bleu) ; VP64 = activateur de transcription ; KRAB = répresseur de transcription Tableau 1 : Différents effecteurs couplés à dCas9, ZFP et TALE permettent l’activation ou la répression des gènes cibles par recrutement de facteurs spécifiques et/ou remodelage épigénétique. 12 (Ran et al. ;2015). En 2012, Jennifer Doudna et Emmanuelle Charpentier ont adapté ce système pour développer l’outil biotechnologique CRISPR-Cas9, permettant l’édition précise du génome. Le principe de cet outil est basé, d’une part, sur l’utilisation d’ARN guides qui permettent de reconnaitre et hybrider spécifiquement des séquences génomiques de 20 nucléotides, et d’autre part le recrutement de l’endonucléase Cas9 par les ARN guides à proximité d’une séquence « protospacer adjacent motif » (PAM). Le recrutement de Cas9 va engendrer une coupure double-brin de l’ADN ciblé par les guides, entraînant l’édition du génome (Jinek et al.; 2012). Une variante de cet outil repose sur un système « CRISPR-defficient Cas9 » communément appelé CRISPR-dCas9. Le site catalytique de Cas9 est muté sur 2 résidus spécifiques, ce qui entraîne l’abolition de l’activité endonucléase de l’enzyme. La dCas9 couplée à un ou plusieurs effecteurs sera recrutée par les ARN guides (ARNg) au niveau d’un locus spécifique, ce qui fait de ce système un outil de ciblage génomique puissant (Gilbert et al. ; 2013) (Figure 7). Dans l’objectif d’activer les gènes cardiogéniques en levant les barrières épigénétiques qui empêchent leur expression, l’outil de ciblage CRISPR-dCas9 est un candidat de choix. En effet, la reprogrammation cardiaque directe est dirigée par l’expression des facteurs de transcription Mef2c, Gata4 et Tbx5 à l’origine du lignage cardiaque. Afin de s’affranchir des barrières épigénétiques réprimant l’expression de ces gènes et par conséquent la reprogrammation cardiaque, l’activation des facteurs MGT endogènes à l’aide de l’outil CRISPR-dCas serait une solution de choix. En ciblant les promoteurs de ces gènes cardiogéniques à l’aide d’ARNg spécifiques, le recrutement de dCas9 couplée à un activateur transcriptionnel permettrait leur expression, induisant ainsi la reprogrammation cardiaque. Comme présenté précédemment, différents activateurs sont disponibles (Tableau 1). Par exemple, l’activateur VP64, composé de 4 copies des protéines virales 16 (VP16) provenant de l’herpès simplex virus, et le facteur nucléaire NF-kappa-B p65 (p65), permettent le recrutement de facteurs de transcription et induisent l’expression des gènes cibles. De plus, l’activation des gènes par VP64 est associée à des modifications de l’état de la chromatine, telles que la (tri)methylation de H3 sur la lysine 4 (H3K4me, H3K4me3), qui correspondent à un état actif de la chromatine, ainsi que la déméthylation de l’ADN (Thakore et al., 2016). 13 Figure 8 : Les gènes endogènes neuronaux Brn2, Ascl1 et Myt1l (BAM) sont fortement exprimés à l’aide du système CRISPRdCas9-VP64 Mesure de l’expression par RT-qPCR des gènes endogènes BAM après transfection des fibroblastes embryonnaires de souris par pBAM (bleu), pLuc (gris) ou CR-BAM (rouge). pLuc : plasmide contrôle négatif d’expression et de transfection normalisation. pBAM : plasmide codant les gènes BAM exogènes ; CR-BAM : plasmide codant les ARN guides ciblant les promoteurs de BAM. Figure 9 : Les iNC (neurones induits) possèdent un phénotype de neurone mature. Une Immunohistochimie des iNC est réalisée 10 jours après induction de la reprogrammation par CRISPR-dCas9-VP64. Les marqueurs de différenciation neuronale Tuj1 (rouge ou vert) et Map2(vert) sont observés par immunofluorescence. Figure 10 : La transcription des gènes neuronaux (ici Ascl1) est associée à un état actif de la chromatine Des expériences de ChIP-qPCR sur l’histone H3K4me3 sont réalisées dans des fibroblastes embryonnaires de souris transfectés avec pLuc (gris), pBAM (bleu), ou CR-BAM (rouge). pLuc : plasmide contrôle négatif d’expression et de transfection normalisation ; pBAM : plasmide codant les gènes BAM exogènes ; CR-BAM : plasmide codant les ARN guides ciblant les promoteurs de BAM. Chiffres en abscisse : position par rapport au site d’initiation de la transcription du gène Ascl1, ces chiffres correspondent aux régions promotrices de ce gène. 14 Récemment, le système « CRISPR-dCas9 » a été utilisé pour la reprogrammation directe de fibroblastes embryonnaires en cellules neuronales induites (iNC) sur modèle murin (Black et al.; 2016). Cette reprogrammation nécessitant l’expression des facteurs de transcription neuronaux Brn2, Ascl1, Myt1l (BAM) endogènes a été induite par l’utilisation d’ARNg ciblant leurs promoteurs respectifs. Le recrutement de CRISPR-dCas9-VP64 en découlant a permis de multiplier par 1000 l’expression des gènes neuronaux, par rapport à des expériences d’expression exogènes de ces gènes, via la transfection de plasmides ou la transduction de lentivecteurs (Figure 8). De plus, cette stratégie permet aux facteurs BAM endogènes d’être exprimés non seulement plus fortement mais aussi plus durablement qu’à partir des gènes exogènes. Les auteurs ont par la suite vérifié que les fibroblastes reprogrammés en iNC possédaient un phénotype neuronal mature (Figure 9) et étaient fonctionnellement comparables aux neurones in vivo. Enfin, les modifications épigénétiques induites lors de l’activation des gènes BAM endogènes ont été étudiées par ChIP-qPCR (Figure 10). Les résultats obtenus mettent en évidence la présence d’un état actif de la chromatine (H3K4me3 notamment) au niveau des promoteurs des gènes neuronaux dans les iNC. Ainsi, la stratégie d’activation des gènes endogènes, par le biais de CRISPR-dCas couplé à un activateur, permet de lever les barrières épigénétiques bloquant la reprogrammation. Cette méthode de reprogrammation directe via l’activation des gènes cibles endogènes semble très prometteuse. Notre projet de thèse aura pour but principal de l’adapter afin de reprogrammer des fibroblastes cardiaques en cardiomyocytes induits. Pour cela, nous devrons activer l’expression des gènes cardiogéniques endogènes. Les tests seront réalisés in vitro sur modèle murin, à l’aide de l’outil CRISPR-dCas9 couplé à un activateur. Les ARNg que nous concevrons permettront le ciblage spécifique des régions promotrices des facteurs de transcription endogènes Mef2c, Gata4 et Tbx5. L’activation de ces facteurs de transcription clés du remodelage cardiaque permettra de reprogrammer les fibroblastes cardiaques en cardiomyocytes induits, de phénotype fonctionnel et mature (Figure 11). 15 Figure 11 : Stratégie de reprogrammation des fibroblastes cardiaques en cardiomyocytes à l’aide de l’outil CRISPR-dCas9 couplé à un l’activateur VPR. Les ARNg ciblent spécifiquement les régions promotrices des facteurs de transcription endogènes Mef2c, Gata4 et Tbx5. Sa-dCas9 : defficient Cas9 de Staphylococcus aureus ; VPR (VP64-p65-Rta) : Activateur transcriptionnel. 16 B- Projet de recherche I- Choix de l’organisme et du type cellulaire 1- Choix du modèle d’étude pour la reprogrammation cardiaque Afin d’étudier la reprogrammation cardiaque, nous devons définir l’organisme modèle que nous allons utiliser. Le modèle murin semble le plus adapté à nos recherches car il possède de nombreux avantages : peu couteux, temps de gestation court, petite taille et facile à manipuler. De plus, de nombreuses souris génétiquement modifiées sont disponibles. Les fibroblastes cardiaques serviront de modèle cellulaire pour effectuer la reprogrammation cardiaque. En effet, les CF sont présents en grande quantité dans le cœur (50% des cellules cardiaques totales) (Xin et al. ; 2013) et possèdent des caractéristiques particulières du fait de leur localisation. De plus, ils sont intriqués au sein d’un réseau compact de CM et participent aux interactions cellule-cellule avec ces derniers. Les CF ont un temps de génération de 22h, ainsi leur prolifération permettra d’augmenter le rendement des cellules obtenues initialement à partir d’un cœur de souris. Des modèles murins ont été élaborés précédemment afin de suivre la reprogrammation cardiaque (Ieda et al.; 2010). Ces souris transgéniques α-MHC-GFP possèdent le gène codant la GFP sous le contrôle du promoteur α–MHC. Ainsi le promoteur est activé spécifiquement chez les CM, ce qui permet de suivre la reprogrammation par cytométrie de flux ou immunohistochimie grâce à l’émission de fluorescence de la GFP (Ieda et al.; 2010). Afin d’avoir une quantité de matériel suffisante durant l’étude, nous ferons l’acquisition de 3 couples de souris transgéniques α-MHC-GFP. 17 Figure 12 : Culture d’explants cardiaques et isolation des fibroblastes cardiaques. L’isolation des fibroblastes cardiaques sera effectuée selon le protocole utilisé dans l’étude Ieda et al. (2010). Les cœurs de souris trasngéniques α-MHC-GFP possédant le gène codant la GFP sous le contrôle du promoteur α–MHC et âgées de quatre semaines (D28) sont isolés et des explants sont mis en culture. Les cellules présentant une propriété migratoire (CF exclusivement) seront récupérées. Les fibroblastes cardiaques seront purifiés par magneticactivated cell sorting (MACS) grâce à des anticorps couplés à la biotine et dirigés contre la protéine Thy (spécifique des fibroblastes). 18 2- Isolation des CF et des CM de souris transgéniques α-MHC-GFP L’isolation des fibroblastes cardiaques se fera selon le protocole utilisé dans l’étude Ieda et al. (2010). Les cœurs de souris α-MHC-GFP âgées de quatre semaines sont isolés et des explants sont mis en culture. Les cellules présentant une propriété migratoire (CF exclusivement) seront récupérées. Afin d’améliorer la pureté de nos préparations, des anticorps anti-Thy, protéines spécifiques des CF, seront couplés à des billes magnétiques. Les FC seront ainsi isolés par magnetic-activated cell sorting (MACS) (Figure 12). D’autre part, la GPF sous le contrôle du promoteur de α-MHC sera exprimée exclusivement dans les cardiomyocytes. Ainsi, les cardiomyocytes des souris âgées de 4 semaines (D28) seront isolés par FACS. II- Construction du système « CRISPR-dCas9 » Dans une étude récente, le système CRISPR-dCas9 a été utilisé pour reprogrammer des fibroblastes en neurones induits (Black et al.,2016). Un lentivecteur codant la Streptococcus pyogenes deleted Cas9 (Sp-dCas9-VP64) ainsi qu’un autre lentivecteur codant les ARNg ciblant les régions régulatrices BAM sont transduits dans fibroblastes embryonnaires de souris. Les ARNg vont s’hybrider spécifiquement sur les promoteurs proximaux des gènes cibles, permettant ensuite le recrutement de la Sp-dCas9-VP64 et l’activation des gènes cibles endogènes par le biais de l’activateur VP64. 1- Construction du lentivecteur Sa-dCas9-NLS-VPR La dCas9 provenant de Streptococcus pyogenes (Sp-dCas9), couramment utilisée, possède une faible spécificité de liaison à l’ADN. En effet, la Sp-dCas9 se fixera sur une séquence cible à proximité d’une séquence PAM courte -NGG-, qui n’est pas suffisamment stringente et favorise les effets non-spécifiques de liaison de l’enzyme. Dans le but d’optimiser ce système de ciblage génomique, nous avons choisi d’utiliser la dCas9 provenant de Staphylococcus aureus (SadCas9)dont le site catalytique est muté au niveau de 2 résidus (D10A et N580A). En effet, la Sa-dCas9 reconnait des séquences PAM plus complexes -NNGRRT- (où N 19 20 représente une base azotée quelconque et R représente A ou G), ce qui diminuera les effets non spécifiques quant à la reconnaissance et à l’activation de cibles non spécifiques. Concernant, les activateurs de transcription couplés à l’enzyme, VP64 qui est composé de 4 copies des protéines virales 16 (VP16) provenant de l’herpès simplex virus, et le facteur nucléaire NF-kappa-B p65 (p65) sont couramment utilisés (Tableau 1). VP64 et p65 permettent le recrutement de facteurs de transcription et induisent l’expression des gènes cibles. De plus, l’activation des gènes par VP64 est associée à des modifications de l’état de la chromatine, telles que la (tri)methylation de H3 sur la lysine 4 (H3K4me, H3K4me3), qui correspondent à un état actif de la chromatine, ainsi que la déméthylation de l’ADN. Cependant, plusieurs études ont mis en évidence une efficacité variable de ces activateurs, et la nécessité d’utiliser plusieurs ARN guides par gène cible afin de recruter plusieurs complexes dCas9-effecteurs et obtenir un effet synergique sur l’activation des gènes (Maeder et al., 2013 ; Perez-pinera et al., 2013). L’effecteur VPR consiste en un assemblage de trois activateurs de transcription : VP64, p65 et Rta (replication and transcription activator) qui provient du -herpes virus. Cet effecteur est répertorié comme un activateur puissant et ainsi l’utilisation d’un seul ARN guide hybridé à la région régulatrice est nécessaire pour induire l’expression du gène cible (Thakore et al., 2016 ; Chavez et al., 2015). Par conséquent, nous utiliserons lors de la reprogrammation une Sa-dCas9 couplée à l’activateur VPR (Sa-dCas9-VPR), afin d’augmenter d’une part la spécificité du système et d’autre part son efficacité. Cette construction sera exprimée sous le contrôle du promoteur cytomégalovirus (CMV) dans les fibroblastes cardiaques par le biais de vecteurs lentiviraux. 21 Figure 13 : Conception d’un vecteur polycistronique codant 3 ARNg séparés par des séquences d’ARN de transfert selon Xie et al., 2015 Ce système est mis sous le contrôle d’un seul promoteur U6 (promoteur de l’ARN polymérase III). L’ARN polycistronique transcrit est pris en charge par les ribonucléases P et Z qui clivent les ARNt et libérent les 3 ARNg. 22 2- Conception des ARN guides Un ARN guide est classiquement constitué de deux parties : une séquence de 20 nucléotides est complémentaire à la région du gène cible et permet l’hybridation spécifique sur le génome, et une seconde séquence appelée « scaffold ARN » de 80 nucléotides permet le recrutement de la Cas9 (ici Sa-dCas9). Le logiciel CRISPR/Cas9 Target online predictor (http://crispr.cos.uni-heidelberg.de/) développé par Stemmer et al. (2015) a été élaboré de manière à concevoir des séquences d’ARNg s’hybridant spécifiquement sur une séquence d’ADN donnée. Ce logiciel prédit la localisation des cibles d’ARNg en fonction du type de Cas9 utilisée (ici par rapport à la séquence PAM correspondant à la Sa-Cas9) ainsi que le score des potentielles cibles non spécifiques. Notre stratégie est basée sur le ciblage de régions promotrices par l’intermédiaire d’un ARNg par gène. Chaque ARNg sera spécifique d’une région du promoteur proximal pour chacun des gènes Mef2c, Gata4 et Tbx5. A partir du logiciel CRISPR/Cas9 Target online predictor, quatre ARNg pour chaque gène ont été sélectionnés et seront testés indépendamment. Les fibroblastes cardiaques seront transduits d’une part avec le lentivecteur codant la Sa-dCas9-VPR et d’autre part avec un lentivecteur codant un de ces ARNg. Cette expérience sera réalisée pour les 12 ARNg (4 ARNg testés pour chaque gène) et l’expression des gènes cibles MGT sera mesurée par RT-qPCR. La transduction des CF en parallèle avec un lentivecteur « vide » servira de contrôle. A l’issue de ces tests, l’ARNg permettant la meilleure transcription sera déterminé pour chaque gène. Les 3 ARNg identifiés (1 pour chaque gène) seront utilisés par la suite dans les études de reprogrammation. Afin de réduire la taille de l’insert et de contrôler la stœchiométrie des transcrits, nous utiliserons un système polycistronique codant les 3 ARNg, sous le contrôle d’un seul promoteur U6. Les ADNc (codant chaque ARNg) seront séparés par une séquence codant un ARN de transfert (ARNt). Une fois transcrit, l’ARN polycistronique sera pris en charge par le système endogène de traitement des ARNt de la cellule. Les RNAses P et Z pourront cliver les ARNt et ainsi libérer les 3 ARNg (Xie et al., 2015) (Figure 13). 23 Figure 14 : La méthode du « GUIDE-seq » permet d’évaluer la spécificité du système Cas9/ARN guide utilisé (Shengdar et al., 2014). L’incorporation d’oligonucléotides de 34 paires de base (ODNds) au niveau des coupures double-brin puis la ligation d’adaptateur seront suivis d’une amplification par le biais d’une amorce se liant spécifiquement aux ODNds et d’une autre amorce se liant spécifiquement aux adaptateurs. Les fragments amplifiés seront ensuite séquencés et analysés par bio-informatique. 24 3- Transduction des fibroblastes cardiaques Pour les études de reprogrammation, différents lentivecteurs destinés à la transduction des fibroblastes cardiaques seront conçus puis produits dans des cellules embryonnaires humaines de rein (HEK 293T). En premier lieu, le lentivecteur codant la Sa-dCas9-VPR ainsi que les lentivecteurs codant chacun des 12 ARN guides à tester seront produits. En parallèle un lentivecteur sera produit à partir d’un plasmide « vide » et servira de contrôle de transduction lors des essais de reprogrammation. Avant la transduction des CF, il est nécessaire de déterminer le titre viral de chaque vecteur lentiviral. Le lentivecteur n’étant pas lytique, nous devrons effectuer des tests d’ELISA contre la protéine de capside p24 ou encore analyser l’expression des ARN codant les protéines du lentivecteur par RT-qPCR. La détermination du titre viral de chaque lentivecteur nous indiquera la quantité adéquate à mettre en présence des CF pour la transduction. A la suite des tests d’efficacité des ARN guides, le vecteur lentiviral polycistronique portant les 3 ARNg d’intérêt sera également produit puis transduit dans les fibroblastes cardiaques. La conception d’un lentivecteur supplémentaire codant la Sa-Cas9 active servira à l’étude de la spécificité du système. 4- Analyse de la spécificité du système utilisé Avant de déterminer l’efficacité de la reprogrammation à partir du système Sa-dCas9-VPR et des ARN guides, il est primordial d’analyser les effets non-spécifiques potentiels qui lui sont associés. Pour cela, des études de « GUIDE-seq » seront effectuées (Figure 14). Des expériences de ChIP de dCas9 suivis de séquençage, de RNA-seq ou la recherche de similarités dans les séquences hybridant les ARN guides peuvent prédire les effets non spécifiques. Cependant ces approches manquent de précision. Le GUIDE-seq est une méthode qui permet l’identification des coupures double brins sur l’intégralité du génome (Shengdar et al., 2014). L’incorporation d’oligonucléotides de 34 paires de base (ODNds) au niveau des 25 26 coupures double-brin va permettre l’identification par séquençage des fragments ciblés. Cette méthode nécessite l’utilisation d’une Cas9 non mutée (lentivecteur Sa-Cas9) qui va générer des coupures double brin, ainsi que du vecteur polycistronique codant les ARN guides d’intérêt. Les fibroblastes cardiaques seront transduits par ces deux vecteurs et en parallèle avec les vecteurs vides contrôles, puis les séquences d’ODNds seront transfectées. Dans la première étape les coupures double brins seront marquées par l’incorporation des ODNds. Dans la seconde étape les sites d’intégration seront analysés grâce à une amplification et un séquençage. Les ODNds sont optimisés pour s’intégrer : en effet ils portent deux groupements phosphothiorates sur leurs extrémités 5’ et 3’ qui va stabiliser les ODNds dans la cellule et favoriser leur intégration. Une fois l’ADN fragmenté par sonication, les fragments ayant intégré les ODNds sont amplifiés sélectivement et séquencés. Pour cela des adaptateurs sont liés aux fragments d’ADN, puis ces fragments sont amplifiés à l’aide d’une amorce se liant spécifiquement aux ODNds et d’une autre amorce se liant spécifiquement aux adaptateurs. Les adaptateurs ne sont couplés qu’à une seule extrémité de chaque brin, ce qui permet l’amplification sélective des fragments comportant un ODNds. Ces fragments amplifiés seront ensuite séquencés et l’analyse bio-informatique permettra d’identifier les sites de coupures spécifiques et non spécifiques du système Cas9/ ARN guide. 5- Optimisation du système en parallèle Après avoir identifié la combinaison d’ARNg donnant la meilleure efficacité de reprogrammation, l’optimisation du système « Sa-dCas9-VPR – ARNg » sera effectuée en parallèle des essais de reprogrammation. Ainsi, les modifications suivantes seront testées pour leur efficacité : - De nouvelles combinaisons d’ARNg (1 ARNg / gène) - Des combinaisons de plusieurs ARNg par gènes (2 à 3 ARNg / gène) afin d’obtenir un potentiel effet synergique (Maeder et al.;2013) - Différents activateurs (VP64 ou P65 couplés en N-ter et en C-ter de l’enzyme ou en plusieurs exemplaires…) (Thakore et al. ; 2016) 27 Figure 15 : Chronologie de l’étude de reprogrammation des fibroblastes cardiaques en iCM. Sa-dCas9 : defficient Cas9 de Staphylococcus aureus ; NLS : signal de localisation nucléaire ; VPR (VP64-p65-Rta) : Activateur transcriptionnel 28 III- Analyse de la reprogrammation des fibroblastes cardiaques en iCM 1- Suivi des marqueurs de reprogrammation cardiaque Après transduction des fibroblastes cardiaques, l’efficacité de la reprogrammation sera suivie au cours du temps par l’étude des marqueurs structuraux et fonctionnels spécifiques des cardiomyocytes (Tableau 2). Des résultats antérieurs ont montré que la meilleure efficacité de reprogrammation était observée au bout de 10 jours (Zhou et al., 2016 ; Black et al., 2016) mais ces résultats dépendent du type cellulaire et du système de reprogrammation utilisé. Par conséquent, l’efficacité de reprogrammation sera évaluée aux jours 1,3,5,7,10 et 14 après transduction des CF, à l’aide des marqueurs de reprogrammation structuraux α-MHC, et troponine T cardiaque, ainsi que par l’expression des gènes cibles MGT par RT-qPCR (Figure 15). Cette étude nous permettra également d’évaluer l’efficacité du système de reprogrammation quant à la stabilité des cellules reprogrammées au cours du temps. La meilleure efficacité de reprogrammation sera observée pour un jour donné, et les cellules reprogrammées seront caractérisées par la présence d’autres marqueurs structuraux tels que l’αactinine sarcomérique et les sarcomères, ainsi que les tubules T. Une analyse complémentaire des potentiels d’action membranaires permettra d’évaluer l’excitabilité des membranes plasmiques nécessaire à la propagation de l’influx électrique, et entraînant le battement des cardiomyocytes. Dans la même optique, la proportion de cellules battantes sera évaluée. La morphologie cellulaire et la prolifération sont également des caractéristiques déterminantes pour valider la maturité du phénotype obtenu. En effet les cardiomyocytes possèdent une morphologie cylindrique en « brique » très caractéristique, et ces cellules différenciées prolifèrent très peu. Les résultats des essais de reprogrammation seront normalisés par rapport au contrôle de transduction (lentivecteur vide) et comparés aux profils des fibroblastes cardiaques et des cardiomyocytes matures. 29 Marqueur Chaine lourde alpha de la myosine Troponine T cardiaque α -actinine sarcomérique Sarcomères Potentiel d’action cardiaque Abréviation α-MHC cTnT Fonction Méthode d’analyse Rôle fondamental dans la Cytométrie de flux contraction musculaire Immunohistochimie Responsable de la liaison Cytométrie de flux avec la tropomyosine Immunohistochimie Permet l’intéraction actine- myosine ; composant de la ligne Z du sarcomère - PA cardiaque Unité de base des myofibrilles Tubules T Système d’électrodes : myocarde différences de potentiel plasmalemme, permet de conduire le potentiel d’action Morphologie cellulaire Prolifération - - Immunohistochimie Activité électrique du Invagination du Tubules transverses Immunohistochimie Forme cylindrique caractéristique Faible chez les cellules différenciées Immunohistochimie Microscopie électronique Microscopie électronique Cytométrie de flux (iodure de propidium cellules en phase S) Tableau 2 : Les marqueurs structuraux et fonctionnels spécifiques de cardiomyocytes sont étudiés chez les cellules reprogrammées (iCM) à l’aide de différentes méthodes d’analyse. 30 2- Etudes transcriptomiques Dans le but d’étudier l’efficacité de la reprogrammation en iCM, l’expression des gènes cibles MGT sera analysée tout au long des essais de reprogrammation par RT-qPCR. A la suite de cette étude, les profils transcriptomiques des iCM présentant la meilleure efficacité de reprogrammation seront étudiés. Ainsi, l’expression des gènes totaux des iCM obtenus par RNA-seq seront comparés aux profils transcriptomiques des fibroblastes cardiaques et des cardiomyocytes matures de souris (D28). Le rapprochement de ces profils transcriptomiques nous permettra d’estimer la proximité de notre modèle iCM en terme d’expression génique par rapport au modèle de cardiomyocytes matures (D28). En parallèle, afin d’approfondir l’analyse de l’activation des gènes cardiogéniques par la méthode CRISPR-dCas9-VPR, l’expression des gènes sous-effecteurs de MGT (Nkx2-5, Tbx20, Isl1 et Pitx2) sera également étudiée par RT-qPCR. 3- Etudes épigénétiques L’influence de facteurs épigénétiques sur la reprogrammation cardiaque a été caractérisée dans diverses études (Zhou et al.,2016 ; Wang et al. ; 2015). En effet dans les fibroblastes cardiaques en reprogrammation, comme démontré précédemment, l’état compacté et répressif de la chromatine au niveau des loci cardiogéniques serait une barrière majeure à la reprogrammation des CF en iCM. La présence de l’histone H2AK119 ubiquitinylée par le complexe polycomb PRC1 est associée à un état chromatinien fermé et à la répression des gènes cardiogéniques, alors que la présence de l’histone H3K4 triméthylée par le complexe thritorax est associée à un état chromatinien ouvert et à l’activation des gènes cardiogéniques (Zhou et al., 2016 ; Liu et al., 2016 ;Vierbuchen T et al.; 2012). D’autre part, la triméthylation de l’histone H3K27 par le complexe polycomb PRC2 est impliquée de manière courante dans la répression des gènes mais son rôle n’a pas été déterminé dans la régulation des gènes cardiogéniques. 31 32 Ainsi des études épigénétique seront réalisées afin d’étudier l’état de la chromatine dans les différents modèles étudiés (CF, iCM, et cardiomyocytes matures à D28). Cela nous permettra de comparer le profil épigénétique des iCM avec ceux des CM matures (D28), dans la même démarche que l’étude transcriptomique, afin de s’assurer de la proximité épigénétique de notre modèle iCM avec celui des CM matures. D’autre part, il est essentiel de valider la stratégie CRISPR-dCas9-VPR quant aux modifications épigénétiques liées à l’activation des gènes cardiogéniques cibles MGT, mais également d’étudier l’état chromatinien au niveau des gènes sous-effecteurs Nkx2-5, Tbx20, Isl1 et Pitx2. Cette étude est capitale dans la détermination de l’influence épigénétique de la méthode de reprogrammation basée sur l’utilisation de CRISPR-dCas9-VPR. Plus précisément, ce système doit permettre l’abolition de la barrière épigénétique au niveau de ses cibles directes MGT et des gènes cardiogéniques qui doivent être activés en aval. Par conséquent, ces résultats nous permettront de déterminer si l’activation de gènes endogènes entraîne l’apparition de modifications épigénétiques sur les gènes en aval et l’induction de la cascade de facteurs de transcription cardiogéniques aboutissant à l’obtention d’un phénotype de cardiomyocytes matures. Dans le cadre de cette étude, des expériences de ChIP sur les histones H2AK119ub, H3K27me3 et H3K4me3 seront effectuées dans les iCM, dans les CF, ainsi que dans les CM matures (D28). Des PCR quantitatives multiplex seront réalisées sur plaques 96 puits commandées au préalable avec les amorces destinées à l’amplification des gènes à analyser. Les gènes d’intérêt sont Mef2c, Gata4 et Tbx5 mais également les gènes Nkx2-5, Tbx20, Isl1 et Pitx2 ainsi que d’autres gènes cardiogéniques et cardiaques (au total une centaine de gènes), impliqués directement ou indirectement dans le développement, les fonctions et dans la structure des cardiomyocytes. Par ailleurs, l’étape de fragmentation du ChIP étant aléatoire, 3 couples d’amorces par gène étudié seront utilisés. Les résultats des ChIP-qPCR multiplex serviront à comparer les profils épigénétiques des différents modèles cellulaires étudiés, le but étant de se rapprocher au maximum du profil épigénétique des CM. 33 34 Ainsi, les études transcriptomiques et épigénétiques vont permettre d’évaluer plus précisément l’efficacité de la reprogrammation et de valider le modèle iCM obtenu. A l’issue de ces résultats, des étapes d’optimisation seront effectuées afin de pallier aux potentielles barrières de la reprogrammation, et cela dans le but d’augmenter son efficacité, sa fiabilité et sa stabilité. C- Discussion et perspectives Selon l’OMS, les maladies cardiovasculaires sont actuellement la première cause de mortalité dans le monde. Un des problèmes majeurs associé aux maladies cardiovasculaires est la perte de cardiomyocytes. Ce sont des cellules contractiles, essentielles au fonctionnement du cœur, mais souffrant d’une faible capacité de régénération. Il est donc primordial de trouver des solutions pour pallier ce problème. De nombreuses stratégies sont en cours de développement mais les résultats restent encore insuffisants. La reprogrammation directe des fibroblastes cardiaques en cardiomyocytes est une approche récente et très prometteuse. Cette approche est basée sur l’expression de trois facteurs de transcription cardiogéniques : Mef2c, Gata4 et Tbx5, qui permettent la reprogrammation cardiaque (Ieda et al.; 2010). L’expression de ces facteurs, apportés de manière exogène, ne permet pas une reprogrammation efficace. Les expériences menées par l’équipe Zhou en 2016 montrent que cette faible efficacité de reprogrammation est due à une barrière épigénétique. L’inhibition de Bmi1, protéine du polycomb PRC1, impliqué dans le remodelage de la chromatine, entraine une hausse de l’efficacité de reprogrammation cardiaque. Cette inhibition, associée à l’expression des facteurs MGT exogènes, permettent une décondensation de la chromatine au niveau des gènes cardiogéniques, qui entraine la reprogrammation cardiaque. Cette étude a donc montré qu’il existait des barrières épigénétiques à la reprogrammation des fibroblastes cardiaques en iCM. Afin de pallier la barrière épigénétique et permettre une reprogrammation cardiaque efficace, il serait donc préférable d’activer directement les facteurs MGT endogènes. Pour cela l’utilisation de CRISPR-dCas9 se révèle être un outil de choix. En effet, l’équipe de Black en 2016 a permis 35 36 la reprogrammation de fibroblastes en neurones induits grâce à l’outil CRISPR-dCas9 et des ARNg (Black J et al. ; 2016). Dans ce projet, le système Sa-dCas9 couplée à l’activateur VPR sera utilisé. Ce système est très spécifique et efficace (Thakore et al. ;2016). Les ARNg correspondant au promoteur proximal de chaque facteur MGT seront conçus de manière à hybrider ses cibles spécifiquement. Une fois les ARNg les plus efficaces choisis, ils seront insérés dans un système polycistronique. Ces ARNg seront ensuite transduits dans les fibroblastes cardiaques avec la Sa-dCas9-VPR et vont hybrider la séquence complémentaire afin de permettre le recrutement de la Sa-dCas9-VPR. Le complexe promoteur-ARNg-dCas9VPR ainsi formé, va induire l’expression des gènes cardiogéniques endogènes en recrutant des facteurs de transcription et de remodelage de la chromatine et ainsi permettre la reprogrammation cardiaque. La reprogrammation sera suivie grâce à différents marqueurs cardiaques (α-MHC, cTnT, morphologie…). les iCM les mieux reprogrammés (à environ 10 jours (Zhou Y et al.; 2016) ) seront étudiés : des études transcriptomiques (RNA-seq, RT-qPCR) et épigénétiques (ChIPqPCR multiplex) seront faites sur les iCM et sur des CM (jour 28) afin de s’assurer de la proximité transcriptionnelle et épigénétique des deux modèles. En parallèle, des optimisations de la méthode seront réalisées. Notamment le criblage de nouveaux ARNg proposés par le logiciel ccTop seront testés. De plus, des tests seront effectués avec plusieurs ARNg par gènes sachant que des effets synergiques des ARNg ont été montrés précédemment (Maeder et al. ; 2013). L’effet d’autres activateurs seront également évalué, tels que VP64 ou p65 seuls, mais également le couplage de plusieurs activateurs tels que VPR-SadCas9-VPR ou encore VP64-Sa-dCas9-VP64. Par ailleurs, les résultats des études transcriptomiques et des études épigénétiques pourront nous amènerons à identifier de nouveaux gènes cibles à activer. Grâce aux ARNg correspondants et au système CRISPR-dCas9, ces gènes pourront facilement être activés. Ces optimisations auront pour but d’obtenir un modèle iCM mature, fonctionnel et stable. Ce projet ayant pour but de pallier la perte de cardiomyocytes dans le cœur, de nombreuses perspectives in vivo passant par la thérapie génique pourront être abordées dans un premier 37 38 temps sur modèle murin, qui est peu coûteux et facile à utiliser mais également sur modèle porcin car la morphologie et le fonctionnement cardiaque se rapprochent fortement du modèle humain. De plus, sachant que l’isolation des fibroblastes cardiaques des coeurs humains s’avère être compliquée d’un point de vue médical et législatif, la possibilité d’une thérapie cellulaire devra se baser sur la reprogrammation de cellules d’origine non cardiaque. La méthode CRISPR-dCas9-VPR semble être une méthode adaptée à la reprogrammation directe cardiaque. Nous attendons des résultats satisfaisants et prometteurs. La stratégie de pallier la barrière épigénétique en activant les gènes cardiogéniques endogènes semble être la solution la plus adéquate au manque d’efficacité de reprogrammation cardiaque. 39 40 REFERENCES Alkema MJ, van der Lugt NM, Bobeldijk RC, Berns A, van Lohuizen M. Transformation of axial skeleton due to overexpression of bmi-1 in transgenic mice. Nature. 1995 April 20;374(6524):724– 727. Barrangou R, Fremaux C, Deveau H, Richards M, Boyaval P, Moineau S, Romero DA, Horvath P. CRISPR provides acquired resistance against viruses in prokaryotes. 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