FORUM INTERNATIONAL SUR LES INTERFACES ENTRE POLITIQUES ET SCIENCES SOCIALES UNE PLATE-FORME INNOVANTE POUR RESSERER LES LIENS ENTRE RECHERCHE ET POLITIQUES Argentine et Uruguay, 20-24 février 2006 SYMPOSIUM DE HAUT NIVEAU SUR LES DIMENSIONS SOCIALES DES PROCESSUS D’INTEGRATION REGIONALE Organisé par l’UNESCO, le MERCOSUR, le GASPP et l’UNU-CRIS Montevideo (Uruguay), 21-23 février 2006 TABLE RONDE DE REFLEXION Les dimensions sociales des processus d’intégration régionale : problématiques émergentes et multilatéralisme régional Quel rôle peuvent jouer les organisations d'intégration régionale dans une nouvelle architecture internationale ? par Philippe HUGON Multilatéralisme régional N°3 Les idées et opinions exprimées dans cette publication sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement les vues de l’UNESCO et n’engagent pas l’Organisation. Les appellations employées dans cette publication et la présentation des données qui y figurent n’impliquent de la part de l’UNESCO aucune prise de position quant au statut juridique des pays, territoires, villes ou zones, ou de leurs autorités, ni quant à leurs frontières ou limites. Publié en 2006 par l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture 7, place de Fontenoy, 75352 Paris 07 SP © UNESCO 2006 Printed in France (SHS-2006/WS/MR/3) 3 Présentation Dr Ninou Garabaghi Spécialiste principal du programme Secteur des Sciences sociales et humaines La présente série de publications a été lancée à la faveur de la table ronde « Les dimensions sociales des processus d’intégration régionale : problématiques émergentes et multilatéralisme régional » du Forum international sur les interfaces entre politiques et sciences sociales organisé en Argentine et en Uruguay par l’UNESCO en partenariat avec les gouvernements d’Argentine et d’Uruguay, les Universités et les villes de Buenos Aires et de Montevideo et plus particulièrement dans le cadre de la plate-forme de Montevideo dédiée aux intégrations régionales. La plate-forme consacrée à la thématique « intégrations régionales » a été constituée d’une constellation d’ateliers traitant de questions spécifiques et d’un symposium de haut niveau dévolu aux dimensions sociales des processus d’intégration régionale. Dans le cadre de ce symposium de haut niveau, une table ronde a été prévue qui ambitionne de mettre en débat des visions prospectives sur les processus et les politiques d’intégration régionale. Cette table ronde intitulée « Les dimensions sociales des processus d’intégration régionale : problématiques émergentes et multilatéralisme régional » qui réunit des chercheurs, experts et décideurs de différents horizons est organisée sous forme d’une session de réflexion (brainstorming) sur les défis et opportunités d’un multilatéralisme régional au regard de la gouvernance mondiale en général et de la gouvernance sociale en particulier. Mettant à profit la présence de hauts responsables des Organisations d’intégration régionale, de décideurs politiques et de chercheurs, la table ronde tout comme la présente série de publications sur le « Multilatéralisme régional » vise à faire émerger de nouvelles idées et projets porteurs permettant aux communautés humaines d’assurer une meilleure maîtrise de leur destinée. Multilatéralisme régional N°3 4 Quel rôle peuvent jouer les organisations d'intégration régionale dans une nouvelle architecture internationale ? par Philippe Hugon1 Introduction Le système international n'est ni anarchique ni ordonné. Les Etats nations souverains mettent en place des règles, exercent des hégémonies ou expriment des rapports de force conduisant à une structuration. Les organisations internationales sont des lieux de concertation, de négociation et de mise en place de règles. Inversement, il n'y a pas d'ordonnancement par emboîtement permettant de passer du niveau local au niveau international par le biais d'Etats nations et impliquant un gouvernement mondial supérieur aux gouvernements nationaux (Ninou Garabaghi 2005). Il n'existe que des processus d'équilibrations instables résultant à la fois du respect de règles et d'expression de rapports de force. D'un côté, les puissances politiques imposent des règles et des ordres dans des territoires nationaux, régionaux voire mondiaux. De l'autre, des acteurs privés transnationaux ont des stratégies régionales ou mondiales. L'absence d'anarchie résulte à la fois de règles, de régimes et de conventions acceptées par les acteurs internationaux et de pouvoirs structurels exercés par les puissances hégémoniques sous forme de hard power (puissance matérielle et militaire) et de soft power (persuasion, attractivité des valeurs, des idées, de la culture et des institutions) (Hugon, Michalet 2005). Le niveau régional est stratégique dans cette architecture en voie de restructuration et dans cette régulation internationale. Les espaces régionaux se constituent à la fois par un régionalisme de jure multinational qui dépasse le cadre des Etats nations et se construit à partir d'organisations régionales et par une régionalisation de facto transnationale, liée à des interdépendances dans le domaine social, culturel, politique et économiques, se réalisant autour d'objectifs communs et conduisant à la constitution de clubs ad hoc. Le multilatéralisme régional, défini comme "le système de gouvernance mondiale fondé sur les organisations d'intégration régionale" (Ninou Garabaghi 2005) apparaît ainsi comme une des formes que prend la régulation mondiale et comme une utopie créatrice pour progresser dans la gouvernementalité du monde. L'espace régional est une des échelles adéquates de la régulation de l'économie mondiale. Ce multilatéralisme régional prend la forme d'accords et de négociations internationales où interviennent des organisations régionales. Ainsi l'UE parle d'une seule voix à l'OMC ou met en place un processus spécifique de protection du climat et de lutte contre les effets de serre. Elle signe des accords commerciaux et de partenariat avec des 1 Professeur émérite, Université Paris X – Nanterre. Multilatéralisme régional N°3 5 Etats et des organisations régionales (ex Mercorsur, CEDEAO, CEMAC, CARICOM, SADC dans le cadre des APE). Ce multilatéralisme régional concerne également la constitution de clubs plus ou moins informels à l’exemple du G8, du G20 ou du G90 au sein de l'OMC, ou des groupes de pays inclus et exclus du protocole de Kyoto. La question se pose de voir quel rôle jouent et peuvent jouer le régionalisme et la régionalisation dans la nouvelle architecture internationale. La première partie de cette contribution analyse la pluridimensionnalité de la régionalisation et ses enjeux dans la mondialisation en relation avec les biens publics régionaux. La seconde partie analyse du point de vue commercial et économique la compatibilité du régionalisme et du multilatéralisme ; des argumentaires théoriques en faveur du régionalisme et du multilatéralisme. La contribution présente en conclusion les régulations régionales et le débat entre multilatéralisme universaliste et multilatéralisme coopératif. I Les enjeux de la régionalisation dans la mondialisation et les biens publics régionaux 1.1 L'architecture internationale L'architecture internationale actuelle a été mise en place au lendemain de la seconde guerre mondiale par la création des organisations onusiennes. Les institutions économiques et financières internationales de Bretton Woods ont été alors crées en séparant le politique de l’économique, en reposant sur le principe d’égale souveraineté et sur une réalité d’un monde bipolaire dominé par la puissance hégémonique des Etats Unis. La population mondiale était, à cette époque, de 2,5 milliards. 45 Etats sur 50 étaient membres de la Banque mondiale. Un demi-siècle plus tard, le monde s’est profondément transformé du fait de la croissance démographique, de la décolonisation, de la prolifération du nombre des Etats (plus de 200 membres des Nations unies), d’une transnationalisation des flux commerciaux et financiers, d’une montée en puissance de pays émergents (notamment du Brésil, de la Chine et de l’Inde) et d’un processus de régionalisme multiforme. Les organisations internationales ont pour principaux interlocuteurs les Etats. Cette structure qui correspondait au « mercantilisme éclairé » d’après guerre n’est plus en phase avec un monde multipolaire autour des grandes régions. L’architecture internationale peut difficilement affronter les problèmes liés au poids des firmes transnationales, et des opérateurs financiers privés à la globalisation financière, à la montée d’une société civile internationale et des blocs régionaux monétaires ou commerciaux. Les institutions internationales n’ont pas ou peu de pouvoir supranational. Elles sont le reflet d'une" incongruité spatiale" (Palan) entre une économie en voie de mondialisation et un système politique international reposant sur la souveraineté nationale. Le système international reste fondé sur le principe de hiérarchie avec un rôle de leadership des Etats-Unis (ayant le droit de veto au sein des organisations Multilatéralisme régional N°3 6 internationales) alors que de nouveaux acteurs apparaissent telle la société civile internationale et que des puissances émergentes veulent faire entendre leur voix. Trois nouveaux enjeux apparaissent sur la scène internationale. D’un côté, on observe un déclin relatif de l’espace public et des pouvoirs publics face à la montée du marché et des pouvoirs privés. De l’autre, on note un « débordement » des États-nations et une défaillance de l’architecture internationale face à une à une transnationalisation de nombreuses questions. Enfin, des biens environnementaux ou des patrimoines communs planétaires font l’objet de rivalité croissante et posent la question de la durabilité et de la gestion patrimoniale à l’échelle mondiale. Les relations inter gouvernementales sont ainsi débordées par l’importance du global que ce soit la stabilisation financière, la pollution atmosphérique, la gestion de l’eau, les risques épidémiologiques ou encore la sécurité et la lutte contre le terrorisme. Les biens environnementaux tels que le changement climatique ou la couche d’ozone, les ressources naturelles dont l’eau, ou bien la recherche scientifique fondamentale sont devenus des problèmes d’envergure régionale et mondiale. Il n’existe pas d’autorité supranationale ayant la légitimité pour produire et financer ces biens d’où une production sous optimale de « biens publics mondiaux ». La gouvernance implique participation, négociation, coordination à partir de projets, partenariat et consensus. 1. 2 La pluridimensionnalité de la régionalisation Le processus de régionalisation est multidimensionnel, économique, juridique, culturel, social et politique. La région se caractérise par des interdépendances, des référents communs (linguistiques, culturels, religieux), identités communes, des objectifs partagés (solidarité, sécurité). Le croisement des dimensions permet de différencier le régionalisme et la régionalisation. Les dimensions culturelles politiques, sociales renvoient davantage à la gouvernance ou gouvernementalité régionale, à la coopération régionale, à l'intégration en profondeur. La régionalisation a une dimension culturelle. Elle regroupe des pays ou des peuples ayant la même langue, les mêmes valeurs, les mêmes identités, les mêmes référents culturels. Cette dimension culturelle fonde des aires culturelles et des ensembles géographiques reposant sur des mêmes cultures au niveau Nord/Nord, et Sud/Sud mais également Nord/Sud. Les liens linguistiques se font, ainsi, par le biais de d'organisations Nord/Sud que ce soit l'Organisation internationale de la francophonie(OIF) qui regroupe 25 Etats d'Afrique subsaharienne, le Commonwealth ou la Communauté des pays de langue portugaise (CPLP). La régionalisation a une dimension sociale. Il existe des règles sociales qui sont mises en oeuvre dans des cadres régionaux ou des mécanismes redistributifs à l'instar des fonds structurels de l'Union européenne. Dès lors qu'une union douanière ou un accord de libre échange crée des gagnants et des perdants, des mécanismes de compensation et de redistribution sont nécessaires vis à vis des groupes sociaux perdants. Il existe en revanche peu de régions ayant le même modèle social. La régionalisation a une dimension politique. Selon une conception politique ou diplomatique, l'intégration régionale se traduit par des objectifs de prévention des conflits. Multilatéralisme régional N°3 7 Réaliser une construction régionale conduit toujours à inclure et parfois à réconcilier des pays mais également à exclure voire à se positionner contre d'autres puissances ou d'autres ensembles régionaux. La lutte contre le communisme a été un élément fondateur de l'ASEAN. La construction du Mercosur est liée à la réconciliation entre le Brésil et l'Argentine comme l'est pour l'Union européenne la réconciliation entre la France et l'Allemagne. Les objectifs de paix et de sécurité ont pris aujourd'hui au sein des organisations régionales une importance souvent prépondérante par rapport aux échanges et au développement économique. Les accords commerciaux régionaux Nord/Sud (ex de l'ALENA, du processus de Barcelone ou des APE) sont généralement une manière indirecte de traiter des sujets politiques délicats comme la migration, le pétrole ou la lutte contre le terrorisme. Les convergences d'intérêts économiques sont une manière de dépasser les rivalités et antagonismes politiques. L'intégration régionale est une manière de faciliter le dialogue et de contourner les antagonismes politiques (Palachek, 1992) à la condition que jouent des mécanismes compensateurs entre les gagnants et les perdants de l'intégration régionale. L'intégration régionale se traduit par une volonté commune de paix et de sécurité et par un abandon partiel de la souveraineté dans un espace élargi ou comme un "pool de souveraineté". Elle apparaît toutefois davantage comme un dépassement du territoire national que comme un substitut à l'État-nation. L'expérience montre que les États-nations en voie de désintégration connaissent également un processus de désintégration régionale. La régionalisation a, enfin, une dimension économique. Les Accords bilatéraux ou régionaux s'insèrent dans une pluralité d'accords commerciaux internationaux d'où la nécessité d'articuler les échelles territoriales (multilatéralisme et pluripartenariat mondial, régionalisme Nord/Sud, régionalisme Sud/Sud) et de voir comment il en résulte des processus hybrides. On peut élaborer des typologies et triangles d'incompatibilité (Deblock, Dorval, Rioux, 2003) et Kebabdjian, 2004), selon les critères d'autonomie des marchés (1), de coopération institutionnalisée (2) et de souveraineté des États (3) conduisant à un régionalisme de "régulation et sanction" (1+2), de "gestion des risques" (1+3) et de "marchés régulés et échanges organisés" (2+3). Les processus de régionalisation et de régionalisme ont plusieurs dimensions : de marché (des biens et des facteurs), d'institutions (règles de droits, codes de conduite, juridiction, transferts de crédibilité..) et de politiques (transferts souveraineté, conditionnalités, production et financement des biens publics mondiaux ou régionaux…). Le tableau n° 1 combine quatre dimensions (marché, institutions, politiques, interdépendances de facto sur le plan économique, social et culturel) et quatre échelles territoriales. Multilatéralisme régional N°3 8 Tableau n° 1 : Pluridimensionnalité de la régionalisation Mercosur 1. Marché (produits, facteurs) Multilatéralisme (OMC) ++ Pluripartenariat + Régionalisme Nord/Sud ++ Régionalisme Sud/Sud UE/Sud ALENA ASEAN (10+3) ++ + ++ ++ + +++ ++ + +++ commerce commerce (+) ++ - - + + + (+) (+) 2.Institutions (formelles et informelles, régimes) Multilatéralisme (OMC, différends) + Pluripartenariat Régionalisme Nord/Sud + (différends) Régionalisme Sud/Sud - 3. Politiques (transferts de souveraineté, biens publics, conditionnalités) Multilatéralisme (OMC) Pluripartenariat Régionalisme Nord/Sud (asymétrie, conditionnalités, aide) + + Régionalisme Sud/Sud 4. Régionalisation de facto (intensité des flux, convergences des idées, des valeurs, polarisation) Mondialisation ++ Régionalisme Nord/Sud +++ Régionalisme Sud/Sud + ++ - - - - - + ++ - - - - ++ +++ + ++ +++ (+) ++ ++ (+) Légendes : - (nul) ; + faible ; ++ moyen ; +++ fort. Sigles : Mercosur ; UE : Union européenne ; PSEM : Pays du Sud et de l'Est de la Méditerranée ; ACP : Afrique Caraïbes Pacifique ; ALENA : Accord de Libre Echange NordAméricain ; UEMOA : Union Economique et Monétaire Ouest Africaine. TEC : tarif extérieur commun. Multilatéralisme régional N°3 9 Le curseur des processus d’intégration régionale va du plus institutionnalisé avec transfert de souveraineté de l’UE jusqu’au régionalisme peu institutionnalisé est asiatique. Il existe des types hybrides et évolutifs d'intégration régionale, fort éloignés des typologies évolutionnistes de type B. Balassa (zone de libre échange, union douanière, marché commun, union économique et intégration), résultant de l'interdépendance entre ces différents niveaux et de processus plus ou moins réversibles. 1.3 Les biens publics régionaux et mondiaux. La disjonction entre les souverainetés nationales des Etats et les interdépendances transnationales au niveau économique, social et culturel pose la question des régimes et des biens publics régionaux, internationaux et mondiaux. Un régime international est une construction institutionnelle par des Etats. On peut le définir avec Krasner « comme un ensemble de principes, de normes, de règles et de procédures de prise de décision autour desquelles les anticipations des acteurs convergent dans un domaine donné des relations internationales ». Un régime peut résulter d’un hegemon de puissances exerçant leur leadership structurel et ayant la capacité d’imposer des règles notamment grâce au hard power. Il peut résulter d’un leadership directionnel de pays donnant l’exemple ou de leadership instrumental lié à la capacité technique et organisationnel à jouer sur les négociations s'appuyant davantage sur le soft power. Un régime peut être mis en place au niveau international ou régional. Les biens publics régionaux ou mondiaux font l’objet de définitions plurielles. Plusieurs argumentaires théoriques peuvent être mobilisés, qui spécifient des biens « collectifs », « communs », « premiers » ou « publics », mondiaux ou internationaux. L’économiste privilégiera les biens collectifs non marchands, le politiste les biens publics liés aux insuffisances de relations intergouvernementales, l’écologiste les biens ou patrimoines communs, le philosophe les biens premiers. Ces référents théoriques peuvent servir d’argumentaire tactique dans des négociations internationales où les acteurs ont des pouvoirs asymétriques. Ainsi le langage utilitariste en terme de défaillances des marchés sera entendu par les libéraux anglo-saxons alors que les termes de bien public ou d’impôt mondial entraîneront un rejet d’une vision supposée étatique ou collectiviste. On peut différencier les argumentaires du champ du jeu des intérêts et des puissances dans des relations internationales (EPI) et ceux du domaine des conflits des valeurs dans le champ transnational (Economie politique transnationale ou EPT) (Hugon 2004). La question est de savoir à quel échelon ces biens publics doivent être efficacement et équitablement fournis en fonction de leurs coûts de production et de leurs coûts d'usage : - Des groupes ou clubs hégémoniques peuvent être constitués pour produire des BPM. La sous-région transnationale est également un fournisseur de biens publics internationaux (Cooke, Sachs, 2001 ; Hugon, 2003). On peut calculer les effets de création et de détournement des biens publics régionaux dans le cas d’intégration régionale (Siroën, 2000). Il faut différencier les biens publics à portée régionale et les biens globaux pour lesquels des clubs régionaux peuvent être créés (Benaroya, 2001). - Les régimes commerciaux, telles que les unions douanières, les accords de libre-échange qui introduisent des règles du jeu de nature coopérative peuvent être considérés comme Multilatéralisme régional N°3 10 une forme de biens publics internationaux. Ils se heurtent aux risques de free rider : externalités tarifaires pour l'union douanière, effets de la clause de la nation la plus favorisée sur l'efficacité du multilatéralisme (Siroën 2000). -Comparée au niveau national, la fourniture des biens publics au niveau régional permet un accès à un marché plus vaste, une plus grande cohérence dans les infrastructures, des jeux d'économie d'échelle, une meilleure harmonisation et standardisation entre systèmes juridiques, financiers et monétaires, un plus grand pouvoir de négociation vis-à-vis du reste du monde. En revanche, elle se heurte aux différences de préférences des Etats, aux délais de fourniture des biens publics (allongement du processus de décision, aux répartitions inégales des bienfaits attendus entre les Etats, aux conflits concernant la répartition des financements). -Comparée au niveau mondial, la fourniture des biens publics au niveau régional dépend des effets de création et de détournement des biens publics. En principe, le multilatéralisme crée des biens publics plus efficients. En pratique, les effets de resquille y sont plus élevés. Les efficiences des normes mondiales peuvent traduire des hégémonies de certains Etats ou firmes. La fourniture de biens publics régionaux est ainsi le plus souvent complémentaire de celle des biens publics mondiaux. Dans certains cas, il peut y avoir pour des pays fortement ouverts au multilatéralisme détournement de biens publics et affectation des pays tiers. La production des biens publics régionaux se heurte aux pratiques de resquille ou au "dilemme du prisonnier" conduisant à des solutions non-coopératives sous-optimales et à des comportements moutonniers. Une des manières de régler cette question est d'accepter le leadership du pays hégémonique. Celui-ci est en position asymétrique vis-àvis des autres pays. Son statut de leader lui permet de préconiser des accords régionaux et de les faire respecter. Tel est le cas de l'Afrique du Sud au sein de la SACU ou de la SADC, de la France vis-à-vis des unions monétaires et douanières au sein de la Zone franc (UEMOA et CEMAC), du Brésil au sein du Mercosur, des Etats Unis au sein de l'ALENA. A l'inverse, le Japon leader naturel de l'Asie de l'Est ne joue pas ce rôle, tout comme le Nigeria au sein de la CEDEAO. Le cas des actions collectives régionales et internationales dans le domaine du climat On note dans le domaine des conventions climatiques un débat entre les régimes régionaux tels celui mis en place par l’UE et les régimes internationaux tels la convention, cadre des Nations Unies contre le changement climatique (CNNUCC de Rio 1992) et le Protocole de Kyoto de 1997 qui sont des cadres d’action collective visant à éviter l’anarchie du système international lié à un système décentralisé d’Etats nations aux pouvoirs asymétriques. Plusieurs perspectives sont envisageables : un leadership directionnel de l’Europe, la mise en place d’un nouveau régime hégémonique sous le contrôle américain, une anarchie (Berthaud et al 2004). Une des solutions serait la mise en place d'un multilatéralisme régional fondé sur une identité des objectifs mais une diversité des moyens au niveau de grands ensembles régionaux. Comment rendre conciliables les intérêts divergents des principales régions internationales ? Multilatéralisme régional N°3 11 On peut avec Radanne (2004) différencier : -Les pays et les régions à forte densité démographique, stagnation démographique ayant épuisé leurs ressources de combustibles fossiles ( Europe sans la Russie, Japon, Nouvelle Zélande) -Les pays et les régions fortement industrialisés mais à faible densité démographique caractérisés par de grandes distances et des climats à forte variation et ayant des modes de consommation et d’urbanisation « gaspilleurs » d’énergie : Etats-Unis, Canada, Australie. -L’Europe de l’Est en transition en situation de désindustrialisation pendant les années 90 -L’OPEP et les pays producteurs de combustibles fossiles -Les pays de l’AOSIS, premières victimes –antarctique, Iles de l’Océan indien et du pacifique, Bangladesh) -Les pays les moins avancés subissant les conséquences néfastes des aléas climatiques et peu consommateurs d’énergie. -Les pays émergents forts consommateurs potentiels d’énergie et s’opposant à des mesures limitant leur industrialisation.. Les questions climatiques et énergétiques supposent des actions collectives au niveau local. Le rôle des collectivités territoriales et notamment des grandes mégapoles est central. Des actions régionales sont nécessaires et il importe de différencier les biens collectifs d’envergure régionale (ex un nuage de pollution touchant plusieurs pays) et les biens globaux gérés par des clubs (ex d’une gestion par l’Union européenne ou les signataires du Protocole de Kyoto). Les biens publics additif s comme le climat ou l’énergie sont les plus difficiles à produire, car les trois comportements négatifs classiques de la gestion des biens publics s’y manifestent : la « resquille » (« free riding ») : Pourquoi faire des efforts pour mieux gérer un bien public s’il n’y a pas de sanction de ces efforts ? ; le « dilemme du prisonnier », lorsque les partenaires d’un jeu ne se font pas confiance (ou n’ont pas assez d’information sur la stratégie des autres joueurs), il y a un grand risque que les décisions qu’ils prennent individuellement soient globalement sousoptimales (c’est-à-dire n’atteignent pas l’objectif de production du bien public) ; le comportement « moutonnier », face à un problème important aucun acteur ne prend l’initiative pour le résoudre, chacun « contournant » les difficultés. Les conventions et les traités internationaux (ex des Accords de Kyoto), la mise en place de nouvelles organisations (ex de l’organisation mondiale de l’environnement) ou de fiscalités mondiales (ex du rapport Landau) sont ou peuvent être des moyens émergents de régulation et de gestion des biens communs inter ou transnationaux. La convention de lutte contre le changement climatique peut conduire à des financements spéciaux : Global environment Facility, Fonds français pour l’environnement mondial. II/ Les enjeux du régionalisme dans le multilatéralisme commercial et économique Le débat entre régionalisme et multilatéralisme concerne également le champ de l'économie. On observe au sein de l’Union européenne, mais également du régionalisme Multilatéralisme régional N°3 12 silencieux est asiatique, de l’ALENA, du Mercosur, de l’Union africaine des transferts de pouvoir vers des organisations régionales. On peut différencier une intégration faible ("shallow integration") des accords de libre-échange Nord/Sud, et en profondeur ("deep integration") de l'Europe. 2.1 Compatibilité du régionalisme et du multilatéralisme sur le plan économique Les accords régionaux doivent être notifiés à l’OMC et ils le sont de manière croissante sous forme d’accords de libre échange ou d’union douanière qui sont des exceptions au principe de la clause de la nation la plus favorisée et de la réciprocité. L’OMC adopte pour principe les accords de réciprocité peu compatible avec les anciens accords régionaux de type Lomé entre l’UE et les ACP (article XXIV). Les traitements spécifiques et différenciés (TSD) et la non réciprocité ont toutefois été admis au sein de l’OMC pour les pays en développement. Les négociations et accords commerciaux au sein de l’OMC concernent dans le cadre du cycle de Doha et de la prochaine réunion de Hong-Kong en décembre 2005 : -les produits agricoles (amélioration d’accès aux marchés, réduction des soutiens internes (boîte orange) ayant des effets de distorsion et réduction des subventions aux exportations, réduction des tarifs consolidés, absence de droits sur les produits exportés par les PMA -les produits non agricoles : réduction et élimination des droits de douane et des crêtes tarifaires, traitement spécial et différencié pour les PED : - les services : libéralisation dans le cadre de AGCS. Le Sénégal a fait des offres d’engagements dans les secteurs de services suivants : professionnels (services d’architecture, services médicaux et dentaires); de communications (services postaux et de courriers) de télécommunications ; de distribution (commerce de gros et de détail); relatifs au tourisme et aux voyages; annexes de transports maritimes et financiers. - les sujets de Singapour (Investissements, concurrence, marchés publics, suppression des obstacles aux échanges). 2.2 Le régionalisme et le multilatéralisme commercial au regard des argumentaires analytiques Le régionalisme et la régionalisation ne sont pas réductibles aux effets de création ou de transfert du commerce ou aux gains en termes de bien être. Plusieurs dimensions apparaissent : En termes de marché Un des critères classiques (1) est celui des avantages statiques en termes de bien être concernant les créations ou les détournements respectifs de flux d'échanges (cf. les modèles des unions douanières en équilibre partiel ou les modèles d'équilibre général calculable). L'impact général en terme de bien-être sera d'autant plus positif que : 1) avant la formation d'une Zone de libre-échange (ZLE), les pays partenaires commerçaient beaucoup entre eux ; 2) une fois la ZLE en place, les tarifs extérieurs dans les pays Multilatéralisme régional N°3 13 partenaires sont faibles comparé à la situation antérieure ; 3) les élasticités d'offre et de demande dans les pays partenaires sont élevées. On peut ajouter : les effets de concurrence, les économies d'échelle et l'intégration approfondie, actions explicites menées par les gouvernements pour réduire, à travers la coordination et la coopération, l'effet de segmentation des marchés dû aux politiques nationales de régulation. En termes d'institutions Un autre critère (2) d'ordre institutionnel est devenu celui de la crédibilité et de l'ancrage ou du verrouillage des politiques. Les accords commerciaux permettent la prévisibilité des opérateurs ; ils réduisent les risques de réversibilité des politiques commerciales et favorisent ainsi l'attractivité des capitaux nationaux et étrangers. Les nouvelles théories institutionnelles du régionalisme mettent l'accent sur les transferts de souveraineté traduisant une asymétrie des préférences, la crédibilité liée à la dilution des préférences (en isolant les instances de contrôle et de pouvoir judiciaire des lobbies nationaux) et à la création institutionnelle (de Melo, 1993). La coopération verticale ou les accords de libre-échange Nord/Sud avec le rôle de tiers garant de l'Europe permettent une crédibilité des politiques, elles réduisent les conflits d'intérêt nationaux et les stratégies de passager clandestin. Les institutions régionales réduisent les incertitudes en étant stabilisatrices et en permettant des anticipations des agents (Hugon, 2003). Les intégrations régionales peuvent jouer le rôle de signal et conduire à un transfert de crédibilité favorable à l'attractivité des capitaux. Ils sont un moyen d'allonger l'horizon temporel des décideurs. Il faut toutefois prendre en compte la concurrence entre transferts de crédibilité entre les principales régions du Sud ayant signé des accords avec le Nord. En termes de construction des avantages compétitifs Un troisième critère (3) est celui dynamique des rythmes adéquats des réformes, de la changement des avantages comparatifs et de la protection d'activités vulnérables et donc de la diversification des systèmes productifs et de la montée en gamme des produits dans la division du travail. L'expérience historique montre que les pays industrialisés, y compris ceux d'Asie de l'Est, ont mis en place durant leur première phase d'industrialisation une protection sélective permettant la formation d'un système industriel en combinant substitution d'importation et promotion d'exportation. Ce processus est-il encore valable dans un contexte de globalisation et de stratégies d'ouverture orientée vers les exportations ? Certains des effets dynamiques les plus importants de la libéralisation commerciale et de l'intégration économique concernent l'accroissement des transferts de capitaux étrangers, de technologies et de connaissances. Dans l'ensemble, les pays les moins avancés sont peu attracteurs d'investissements directs étrangers (IDE) (faiblesse des infrastructures et des institutions, instabilités, coûts élevés de transaction, faible taille et croissance des marchés…). L'expérience montre que les effets de zone de libre-échange sont inférieurs à ceux de l'intégration régionale, que les facteurs déterminants d'attractivité sont structurels et institutionnels et que du fait des barrières entre pays du Sud les investisseurs européens ont intérêt à rester en France plutôt qu'à s'installer dans un de ces pays (effet Hub and spoke). Multilatéralisme régional N°3 14 En termes réticulaire de la régionalisation Un quatrième critère (4) (dimension réticulaire de la régionalisation)) est celui des coûts de transaction, de négociation, de contrôle et d'accès à l'information et des relations de confiance et de proximité se nouant dans les relations extérieures. De nombreuses relations commerciales, financières et technologiques Nord/Sud et intra est asiatique passent par les firmes multinationales et sont internalisées par rapport au marché. Les relations entre l'Europe et le monde méditerranéen ou les ACP sont caractérisés par l'appartenance à des réseaux de commerce et de financement qui ont été structurés dans la longue durée et renvoient à des relations de proximité. Les modèles de gravité posent en principe que le volume d'échange entre deux pays est fonction de leur potentiel commercial (PIB, dotation de facteurs, caractéristiques géographiques) et de leur attraction commerciale. Celle-ci dépend positivement de la proximité géographique, sociale et culturelle et des arrangements commerciaux préférentiels et négativement des mesures de protection. Les facteurs de proximité sociale, culturelle, commerciale jouent un rôle déterminant. Comme le montrent les modèles gravitationnel, le niveau des échanges intra régionaux ayant mis en place une union douanière et monétaire est supérieur à ce qu'indiquait le modèle sur la base des forces économiques "naturelles" et de la seule proximité géographique. Le régionalisme de jure renforce la régionalisation de facto.( cf. pour le Mercosur Madariaga 2003). En termes de territorialité Un cinquième critère (5) (dimension territoriale de la régionalisation Nord/Sud) est celui de la nouvelle économie géographique de Krugman (1997) ou Venables (2000) justifiant des Accords Nord/Sud (Catin, 2000). Selon une conception d'économie géographique, la régionalisation se caractérise par des effets d'agglomération et de polarisation. D'un côté, il y a réduction des distances et, a priori, réduction du rôle de la proximité géographique en liaison avec les révolutions technologiques et le poids des échanges immatériels. Mais, de l'autre, les territoires créent des effets d'agglomération. Il y a d'autant plus de chance d'observer une polarisation que les coûts de distance sont faibles et que les économies d'échelle sont fortes. On observe alors une concentration de la production industrielle là où les marchés sont importants. Il peut en résulter des processus cumulatifs renforçant les différenciations entre les centres et les périphéries. Ces effets centripètes peuvent être contrecarrés par des différences de coûts de production et par des rendements décroissants liés à des encombrements des centres. Les forces centripètes sont les externalités technologiques et pécuniaires, l'existence d'un marché du travail et les effets de liaison entre acheteurs et vendeurs. Ils conduisent à des processus cumulatifs vertueux au centre. Les agglomérations d'activités dépendent principalement de l'interaction de deux forces découlant : 1. des rendements d'échelle internes à la firme ; 2. des coûts de transactions. Les forces centrifuges qui encouragent la dispersion des activités incluent la congestion, la pollution, les autres externalités négatives. Elles résultent d'une mobilité des facteurs et des coûts élevés de transport et de transaction. Multilatéralisme régional N°3 15 Malgré des modèles stylisés, il y a peu de preuves indiquant que les forces d'agglomération augmentent la divergence de revenus entre pays en voie d'intégration (Shiff et Winters, 2003). Il parait probable que, suite à l'ouverture du marché, on observe une polarisation des gains d'efficacité, avec pour conséquence que les pays les plus faibles et les moins "efficients" perdront certaines de leurs facilités de production et de revenus au profit d'emplacements plus profitables (plus compétitifs) dans les pays partenaires et régions avoisinants. On peut considérer, a priori, qu'en réduisant les barrières commerciales et en favorisant la mobilité des facteurs, les intégrations régionales favorisent plutôt le jeu des forces centripètes et les divergences entre les centres et les périphéries. Pour que des territoires aient entre eux des échanges, il faut des systèmes productifs permettant une taille de marché et des produits diversifiés (et donc une complémentarité entre des effets d'agglomération). Mais il faut qu'existent des infrastructures interconnectantes physiques ou transactionnelles (réseaux) et donc un capital spatial. Les infrastructures conduisent généralement plutôt à des effets de diffusion ou de contagion de la croissance en réduisant les coûts de transport, en favorisant les transferts de technologies ou en baissant les coûts de transaction. Cette diffusion peut se faire par le commerce extérieur (transfert international de droits de propriété des marchandises), par les investissements directs (transfert de droits de propriété des entreprises), par les coordinations non marchandes (internalisation au sein des firmes ou des réseaux "ethniques") ; les dynamiques de spécialisation territoriale l'emportent alors sur les effets d'agglomération. En termes d'économie politique Des argumentaires d'économie politique (6), peuvent être avancés en faveur des accords Nord/Sud qui visent à gérer les interdépendances et à produire des biens publics régionaux dans de nombreux domaines: prévention des conflits, coalition pour modifier les rapports de force internationaux, accroissement du pouvoir de négociation internationale, crédibilité des politiques économiques. Ces biens publics régionaux sont à la fois des biens collectifs d'envergure régionale et des biens de clubs régionaux pour lesquels une action collective régionale est efficiente. Dès lors que l'intégration économique régionale favorise la sécurité, bien public, un accord régional peut constituer un optimum de premier rang. Les Accords Nord/Sud se font entre partenaires inégaux et conduisent à des avantages inégaux. Les enjeux sont géonomiques, en termes de flux économiques et sociaux et d'interactions entre des acteurs insérés dans des relations de puissance et de pouvoir c’est-à-dire ayant des capacités d'influence nette sous forme d'incitation, de contrainte ou d'hégémonie. On peut mettre à l'épreuve les Accords Nord/Sud au regard de l'Economie politique internationale et notamment de la théorie des régimes régionaux : ensemble de principes, de normes, de règles et de processus de décision conduisant à une convergence des anticipations des acteurs dans un espace régional. Ces régimes façonnent les relations internationales à partir d'accords institutionnels entre pays disposant de pouvoirs asymétriques. Ils résolvent le dilemme de l'action collective. On peut parler de régionalisation périphérique (Kebabdjian, 2004) pour caractériser les liens entre le centre Multilatéralisme régional N°3 16 européen et les périphéries méditerranéennes. A défaut de régime monétaire, domine un régime commercial, mode de résolution par des moyens commerciaux de conflits commerciaux. L'Europe constitue un hegemon exerçant un leadership structurel voire directionnel par son exemplarité. 2.3 Le cas des accords commerciaux régionaux entre l'UE et les ACP Nous prendrons le cas des accords de libre échange Nord/Sud et notamment des APE régionaux entre l’UE et les ACP. Au sein de l’OMC, l’Union européenne parle d’une seule voix. Elle met en place des accords de libre échange soit avec des pays (ex Afrique du Sud, pays du sud et l’est de la méditerranée) soit avec des groupements régionaux (ex avec le Mercosur ou les ACP). Il y a ainsi insertion du régionalisme et de régimes commerciaux régionaux avec le multilatéralisme. Principes fondamentaux de la Coopération UE/SUDS La Coopération UE-Suds repose sur quelques principes fondamentaux : Égalité des partenaires et l'appropriation des stratégies de développement : il appartient aux États ACP de déterminer, en toute souveraineté, les stratégies de développement de leurs sociétés et de leurs économies ; Participation : outre l'État en tant que partenaire principal, le partenariat est ouvert à d'autres acteurs (par exemple la société civile, le secteur privé et les autorités locales) ; Dialogue et engagements mutuels : les deux parties ont pris des engagements mutuels (par exemple le respect des droits de l'homme) qui sont contrôlés de manière régulière dans le cadre d’un dialogue politique global, équilibré et approfondi ; Différenciation et régionalisation : les relations de coopération varient selon le niveau de développement du partenaire, de ses besoins, de ses performances et de sa stratégie de développement à long terme. Un traitement particulier est accordé aux pays les moins avancés ou vulnérables (États enclavés ou insulaires, petites économies, etc.). Dans ce contexte, les Accords de partenariat économique APE avec les ACP ou le partenariat Euro-Med ne sont pas de simples accords de libre échange ayant des effets sur le commerce et les recettes fiscales. Ils sont des accords de partenariat qui concernent notamment les flux d’investissement et l’accès aux concours financiers extérieurs. Ils répondent aux règles de l’OMC mais ils intègrent des degrés d’asymétrie et une période de transition d’une durée de 12 ans maximum. Ils conduisent à un calendrier de démantèlement tarifaire qui doit porter, pour respecter la règle de 90% de libéralisation des échanges, sur 80 % des importations venant de l’Union européenne. Les APE ou le partenariat Euro-Med constituent des espaces de négociation mettant en jeu des accès à des financements, des compromis sur les produits sensibles, les secteurs à hiérarchiser et à libéraliser, sur les échéances à respecter et les processus longs à mettre en œuvre pour les mises à niveau. Leurs effets dépendront évidemment des arbitrages dont on ne peut préfigurer la nature. Il existe de très nombreuses incertitudes quant à l’acceptation au sein de l’OMC de la non réciprocité et du traitement spécial et différencié et de l’interprétation de la définition de 90% de « l’essentiel des échanges Multilatéralisme régional N°3 17 commerciaux ». Les effets comparés des APE avec les autres systèmes préférentiels européens Pour des PMA, l’alternative à l’APE est l’initiative européenne « Tout sauf les armes » (TSA) qui n’implique pas la réciprocité, qui n’a pas de limite dans le temps mais qui peut être dénoncé unilatéralement par l’UE, qui pose le problème de la compatibilité avec la clause d’habilitation de l’article 24 du GATT et qui n’a pas le statut de Traité négocié entre plusieurs parties. L’’initiative TSA accorde l’accès en franchise de douane et sans contingentement aux importations de tous les produits (à l’exception des armes et des munitions) provenant des PMA. Seuls trois produits n’ont pas été au départ libéralisés (la banane, le riz et le sucre). Pour un non PMA, l’absence d’APE signifie, en revanche, le remplacement des préférences de Lomé par un SPG amélioré. Les SPG sont des systèmes préférentiels dont les réductions et les exemptions tarifaires et non tarifaires sont moins généreuses que les règles de Lomé et les règles d’origine plus strictes. En conclusion, quel rôle peuvent jouer le régionalisme et la régionalisation dans la régulation mondiale ? La notion de biens publics régionaux et mondiaux est différemment mobilisée par les autorités gouvernementales (ex de la France ou de la Suède), les organisations de solidarité internationale et les organisations internationales. Il existe actuellement une spécialisation des organisations internationales et régionales dans la prise en charge des biens publics internationaux (paix : ONU ; santé : OMS ; préservation du patrimoine culturel : UNESCO ; environnement durable : AME et OME ?), cadre juridique ouvert pour les échanges commerciaux (OMC) et liberté monétaire et financière (FMI) ; développement (Banque mondiale) ; respect des droits sociaux (OIT). En revanche, les liens entre ces organisations sont limités et les rapports de pouvoir sont asymétriques ce qui conduit à une primauté de fait de la Banque mondiale, du FMI et de l’OMC sur les autres organisations. Les modèles de régulation ou de gouvernance mondiale sont multiples à défaut d’un gouvernement mondial reposant sur un principe démocratique (1 citoyen une voix). On peut différencier : a) les décisions prises dans des domaines spécialisés par les organisations internationales (FMI, Banque mondiale, FAO, BIT, ONUDI...), b) les négociations et les coopérations entre gouvernements, c) les réseaux d’autorités indépendantes émettant des normes à partir de la légitimité de l’expertise, les droits et les jurisprudences transnationales (ex. de l’office de règlement des différends au sein de l’OMC), d) l’autorégulation privée par des arrangements contractuels, des codes et des normes mis en place par les firmes privées multinationales (Jacquet, Pisani-Ferry, Tubiana, 2002). A défaut de gouvernement mondial capable d’imposer des disciplines et des sanctions, il y a mise en place de différents modèles de gouvernance mondiale, à travers les négociations des règles internationales, l’élaboration de normes et de valeurs et un Multilatéralisme régional N°3 18 ensemble de régulations assurées par les acteurs pluriels. Ces modèles expriment plus ou moins le poids des puissances hégémoniques et des oligopoles privés imposant leurs normes et leurs valeurs. Dans un monde interdépendant et inégalitaire, il importe de remettre en question l’architecture de la gouvernance mondiale ; mettre l’accent sur les processus de décision politique et sur les procédures permettant de définir et de hiérarchiser les biens qui constituent un patrimoine commun et sont du domaine du collectif inter ou transnational trouve une légitimité particulière au niveau régional. Plutôt que de démanteler les institutions de Bretton Woods, il faut les renforcer et les démocratiser. Au sein des Nations Unies, il faudrait mettre en place un conseil de sécurité économique et financière et élargir les membres du conseil de sécurité en donnant des voix à des représentants des grandes régions. On peut envisager que le FMI se rapproche d’une Banque centrale mondiale. Les autres organisations internationales auraient alors une vocation sectorielle. La montée du régionalisme doit conduire parallèlement à un renforcement des organisations régionales tant sur le plan monétaire que sur le plan financier, commercial ou environnemental. En revanche, il parait utopique de penser des systèmes de gouvernements mondiaux. La démocratie, faite de représentation est construite par des procédures, des délibérations, des expertises et des opinions qui ne peuvent s’exprimer que dans un cadre institutionnel supposant des inclus et des exclus. Elle ne peut être aujourd’hui pensée qu’au niveau national ou sous régional. La régulation au sens fort ne se réduit pas simplement à une réglementation et un encadrement normatif. Elle suppose la mise en place de compromis socio-politiques durables, avec des mécanismes de redistribution et de cohésion sociale. Une régulation mondiale implique une action publique transnationale. Comment trouver des processus de décision légitimes qui permettent de hiérarchiser ces biens et de prendre en compte l’hétérogénéité des systèmes de préférences et de valeurs ? Comment définir un espace public transnational de décision, structure qui engendre un cadre de définition, de représentation d’un bien ou d’un patrimoine commun et un mode de coordination des rapports entre les acteurs qui lui correspondent ? Comment faire converger les anticipations des décideurs sur les risques, les coûts et les bénéfices, malgré les incertitudes rendant difficile un consensus entre experts, politiques, citoyens et opérateurs privés ? Les critères d’évaluation et de décision sont multiples : efficience, équité, précaution, responsabilité… La démocratisation dépasse la légitimité électorale et met en œuvre des politiques délibératives et un espace public défini, au sens de Habermas, comme le lieu où les interprétations et les aspirations en question se manifestent et acquièrent consistance aux yeux de chacun, s’interpénètrent, entrent en synergie ou en conflit. La démocratie, faite de représentation et d’arbitrage entre des valeurs parfois conflictuelles, est construite par des procédures, des délibérations, des expertises et des opinions exprimées publiquement. Or, pour l’instant, seuls les cadres nationaux constituent de tels espaces institués de débat et de régulation, et la démocratie internationale ou mondiale n’a pas d’existence réelle qui s’exprimerait au niveau universel ou au sein d’organisations internationales : celles-ci fonctionnent selon les Multilatéralisme régional N°3 19 principes « un Etat = une voix » ou « un $ = une voix » ; et, de leur côté, les diverses formes d’actions démocratiques participatives (comme les Forums sociaux) et l’apparition d’une certaine conscience planétaire (certains parlent de « citoyenneté transnationale ») ont un pouvoir structurel trop limité pour faire mieux que maintenir la position « radicale » dans le domaine du pensable. Alors que la question de l’inclusion des citoyens de la planète se pose aujourd’hui avec acuité dans un contexte de mondialisation économique, les différentes organisations internationales spécialisées peuvent-elles néanmoins devenir de véritables instances de régulation transnationale ? Il est prioritaire pour la survie durable de la planète de progresser au-delà de la gouvernance actuelle vers une régulation transnationale, laquelle constituerait un bien public mondial par excellence. La politique de coopération au développement est à côté de la monnaie unique, un enjeu essentiel dans la construction de l'Union européenne. Le débat central se situe entre un multilatéralisme universel dans lequel se diluent les accords de libre échange Nord/Sud et un multilatéralisme coopératif entre grands ensembles régionaux (régionalisme fédérateur (Garabaghi, 2005) ou régionalisme coopératif assurant la compatibilité d'intérêts divergents entre États (Lafay, Siroën, 1994). Les relations Nord/ Sud sont alors un enjeu stratégique pour construire une Europe ayant une autonomie de sa politique diplomatique. Les relations avec les pays du Sud sont aussi une manière pour l’Europe de se construire comme entité ou de se diluer. Sources Aglietta M, Moatti S (2000), Le FMI De l’ordre monétaire aux désordres financiers, Economica. Anderson K. & R. Blackhurst (ed.) (1993), Regional Integration and the Global Trading System, New York, Harwester Wheatsheaf. Berthaud P et al « la théorie des régimes et le protocole de Kyoto » in Hugon Ph , Michalet Ch A (2004) Question à l’économie politique de la mondialisation, Paris , Karthala. Bilal S, Houée S, Szepesi S (2004), Renforcement de l’expertise francophone en négociation des accords commerciaux. La dimension commerciale du partenariat ACPUE. L’Accord de Cotonou et les ACP, Maastricht, ECPDM. Brunelle D, Deblock Ch (2004), L’Alena. Le libre échange en défaut, Points chauds, Fides. Collier P., S.W. 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Multilatéralisme régional N°3 22 Série « Multilatéralisme régional » * Sous la direction de Ninou Garabaghi - Processus et politiques d’intégration régionale à l’œuvre à l’ère de la mondialisation : multilatéralisme régional et gouvernance mondiale, par Ninou Garabaghi, UNESCO, 2005, (Multilatéralisme régional N°1, SHS-2005/WS/MR/1). - Construire les régions comme ensembles politiques et sociaux, par Jacques Ténier, UNESCO, 2006, (Multilatéralisme régional N°2, SHS-2006/WS/MR/2). - Quel rôle peuvent jouer les organisations d'intégration régionale dans une nouvelle architecture internationale, par Philippe Hugon, UNESCO, 2006, (Multilatéralisme régional N°3, SHS-2006/WS/MR/3). - Régionalisme, arrangements institutionnels hybrides et gouvernance à la carte, par Christian Deblock, UNESCO, 2006, (Multilatéralisme régional N°4, SHS2006/WS/MR/4). - L’intégration régionale multisectorielle et le multilateralisme, par Louis Sangaré, UNESCO, 2006, (Multilatéralisme régional N°5, SHS-2006/WS/MR/5). A paraître : - La dimension juridique du multilateralisme régional, par Mireille Delmas-Marty. - La dimension sociale de l’intégration en Amérique du Sud : politiques stratégiques et options sociales, par Paulo Roberto de Almeida. Contact : Dr Ninou Garabaghi, UNESCO Spécialiste principal du programme Secteur des Sciences sociales et humaines Tél. : +33 (0)1 45 68 45 14 / e-mail : [email protected] *Documents accessibles en ligne : http://unesdoc.unesco.org/ulis/index.html Multilatéralisme régional N°3