sauvons l’histoire ! par Véronique Dumas Clovis, Jeanne d’Arc et Louis XIV à la trappe ! Ces trois figures de l’histoire de France vont, en 5e, faire les frais d’un survol express des grandes civilisations de l’Afrique médiévale ou de l’Islam des Abbassides… 10 historia août 2010 764_006_019_retour_histoire.indd 10 2/07/10 11:17:13 Suite log ique du nouveau programme d’histoire de 6 e, celui de la classe de 5 e, essentiellement orienté vers l’étude des grandes civi­ lisations entre le VIIe siècle et la fin du XVIIe siècle – oui, mais lesquelles ? – entre vigueur en septembre. Le chan­ gement de cap et de contenu est radical par rapport à l’ancien programme qui couvrait l’histoire de l’Europe occidentale (du IX e au XVI e siècle), avec des sujets centrés sur les IX e , XIIIe et XVIe siècles. Il contenait trois grandes parties et de nombreuses sous-sections : de l’Empire romain au Moyen Âge (l’Empire byzantin, le monde musulman, l’Empire caro­ lingien), la chrétienté occidentale (l’Église, les cadres politiques et la société, le royaume de France entre le X e et le XVe siècle et l’affirmation de l’État), la naissance des temps mo­ dernes (Humanisme, Renaissance, Réfor­ mes ; l’Europe à la dé­ couverte du monde ; le royaume de France au X V I e siècle et la difficile affirmation de l’autorité royale). La présentation du monde musulman devait présenter Mahomet, le Coran, la diffusion de l’Islam et de sa civilisation. Les nouveaux prog rammes s’ouvrent sur la naissance de l’islam, en tant que religion, et se poursuivent avec la civilisation de l’Islam médié­ val. « Les musulmans, précise le Bulle­ tin officiel (BO) spécial n° 6 du 28 août 2008 de l’Éducation nationale, sont abordés dans le contexte de la conquê­ te et des premiers empires arabes, dans lequel la tradition islamique est écrite (VIIe-IXe siècle). » Quelques-uns des récits de la tradition musulmane, tirés du Coran, sont étudiés comme fondement de l’islam. « L’extension et la diversité religieuse et culturelle de l’Islam médiéval sont présentées au temps des Omeyyades, ou des Abbas­ sides », précise le texte officiel. Une thématique qui vient donc compléter l’étude des débuts du judaïsme et du christianisme de l’année précédente. Si l’on comprend la volonté de faire découvrir aux élèves les fondements des trois religions monothéistes dans une volonté de tolérance mutuelle, les enseigner dans des établissements laïques et dans le cadre de cours d’his­ toire, supposé ouvert à la réflexion et à la critique, n’est pas une tâche facile pour les enseignants. Puis les élèves abordent un mo­ dule consacré à l’Occident féodal, du XIe au XVe siècle, traité en deux par­ ties : « Paysans et seigneurs », d’une part ; « Féodaux, souverains, pre­ miers États », d’autre part. La France est le cadre privilégié de l’étude ainsi que le note le BO. Cela signifie que, si les empires byzantin et carolin­ gien sont brièvement évoqués en 6 e, le ­baptême de Clovis (496), acte fonda­ teur du royaume de France, est passé à la trappe. Si l’on considère la den­ sité du programme d’histoire de 6 e , ternes à l’Afrique, est étudiée à partir de l’exemple, au choix, d’une route ou d’un trafic des esclaves vers l’Afrique du Nord ou l’Orient. Elle doit s’ap­ puyer sur une carte des courants de la traite avant le XVIe siècle. La conquê­ te et l’expansion arabo-musulmane figurent aussi parmi les repères à connaître. Cette évocation de l’Afri­ que précoloniale a le mérite d’ouvrir des horizons et de valoriser les élèves venus des ancien­nes colonies. Mais il est à craindre que l’évocation de l’his­ toire africaine ne soit qu’un modeste survol. Au détriment de grands faits de l’histoire de France. Le dernier chapitre (40 % du temps), le plus important du program­ me en volume, couvre une période allant de la fin du XVe au XVIIe siècle. Et le siècle de Louis XIV dans tout cela ? Il est relégué à l’extrême fin de la dernière partie, fai­ sant de la Renaissan­ ce et du XVIIe siècle un seul module. Et encore, le Roi-Soleil est-il inclus dans une thématique intitulée « L’émergencedu“roi absolu” ». Comme le préconise le BO, « le château de Ver­ sailles et la cour sous Louis XIV, ainsi qu’une œuvre littéraire ou artistique de son règne, au choix, sont étudiés pour donner quelques images (sic) du “roi absolu” et de son rôle dans l’État. » Il est conseillé aux professeurs de « raconter une journée de Louis XIV à Versailles révélatrice du pouvoir du roi ». En auront-ils le temps en fin d’année ? Bien sûr que non. Autant dire que ­Louis XIV est, comme Clovis, condamné à l’oubli. La France tourne­ rait-elle le dos à son passé ? On peut s’interroger sur la co­ hérence de ces nouveaux programmes qui font l’impasse sur la civilisation du Nil en 6 e et glissent ces « regards sur l’Afrique » entre l’Occident féodal et l’évolution vers la modernité en Eu­ rope. Il est difficile de lutter en même temps contre l’ethnocentrisme fran­ çais et européen et donner à l’histoire de France la place qu’elle mérite. Un véritable casse-tête. L Glisser un peu de Zimbabwe entre l’Occident féodal et la modernité en Europe va relever du casse-tête ! il semble peu probable que les pro­ fesseurs aient le temps d’en parler. Il n’est d’ailleurs pas même mentionné dans les recommandations du BO. Quant à la guerre de Cent Ans (13371453) et la chevauchée de Jeanne d’Arc (1429-1431), ­elles disparaissent corps et biens de la classe de 5e. Ce thème de l’Occident féodal est suivi par une nouvelle approche in­ titulée « Regards sur l’Afrique » – l’in­ novation essentielle du programme. Il s’agit de l’étude des civilisations afri­ caines médiévales entre le VIIIe et le XVIe siècle. Cette histoire est mécon­ nue sinon ignorée des Occidentaux et il est intéressant de montrer que des royaumes se sont développés sur ce continent comme en Occident. L’en­ seignant doit choisir parmi les quatre d’Afrique subsaharienne : le Ghana ; le Mali ; le Songhaï ; le Monomotapa (Grand Zimbabwe). La naissance et le développement des traites négrières orientales, transsaha­r iennes et in­ août 2010 historia 11 764_006_019_retour_histoire.indd 11 2/07/10 11:17:13