Fondements physiologiques de la douleur et de la

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FONDEMENTS PHYSIOLOGIQUES DE LA DOULEUR ET DE LA NOCICEPTION
BERNARD CALVINO
Professeur de Neurophysiologie - CNRS UMR 7637 / ESPCI
Dans une analyse de textes de médecins et de chirurgiens datant du 18 ème siècle parlant du
corps et de la douleur, R. REY, historienne des sciences, caractérisait un aspect fondamental mis en
avant par les auteurs de cette époque qu’elle a dénommé «laïcisation de la douleur», dans la mesure
où se dessinait l’idée que collectivement, une société, une culture, un certain contexte politique
contribuent à la définition de la douleur. Ce tournant était à ses yeux la condition nécessaire pour que la
douleur devienne aux yeux des médecins « non seulement le cortège fatal de la maladie que le serment
hippocratique obligeait à soulager, mais un objet à connaître et peut-être même un moyen de mieux
connaître le fonctionnement de l’organisme dans l’état de santé ». La douleur perdait ainsi son statut de
valeur rédemptrice, héritée de la tradition religieuse chrétienne, pour accéder à celui non seulement de
valeur thérapeutique mais aussi de valeur cognitive. Et comme concluait R. REY, « il faudra attendre
longtemps avant que cette approche s’impose définitivement au point de déboucher de manière durable
et institutionnelle sur des recherches portant spécifiquement sur la douleur ».
Et y a-t-il affirmation plus importante aujourd’hui dans ce domaine que celle de la laïcisation de la
douleur, qui permette enfin de la libérer du poids de son empreinte religieuse et de proclamer avec
force comme le font aujourd’hui les spécialistes de la douleur que celle-ci est inutile et que le premier
devoir du médecin est de soulager le patient ? Cette affirmation est particulièrement justifiée dans le
domaine de la douleur chronique : c’est en effet cette douleur qui se prolonge dans le temps parfois
sans cause organique, qui laisse le plus souvent le thérapeute désarmé et pour laquelle l’apport de la
recherche n’en est encore qu’à ses balbutiements.
Dans l’introduction de son « Histoire de la douleur » (Editions La Découverte, 1993), R. REY nous livre
le pourquoi de son intérêt pour la douleur; une phrase, nous dit-elle, hante son esprit, qui souligne
l’urgence « pour l’historien de chercher à comprendre et à reconstruire le long combat des hommes
contre la douleur : tout être vivant, dès sa naissance, recherche le plaisir et s’en réjouit comme
du souverain bien, il déteste la douleur comme le souverain mal et, dans la mesure du possible,
il s’en écarte ». S’attachant à distinguer souffrance et douleur, elle précise que son étude historique
concerne bien la douleur et non la souffrance et met en valeur le caractère particulier de la douleur qui,
dit-elle, « repose sur un socle de données anatomiques et physiologiques et s’il est une expérience où
l’universalité de la condition humaine et l’unité biologique de l’espèce s’affirment, c’est bien dans la
douleur ». Car, poursuit-elle, « la douleur n’a pas un statut clairement défini: entre émotion et sensation,
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la douleur a été constamment ballottée entre deux approches également insuffisantes : l’analyse de la
douleur comme émotion, à l’opposé du plaisir, tend à l’exclure du champ d’investigation de la
physiologie pour l’inscrire dans celui de la psychologie ou de la philosophie. A l’inverse, en voulant en
faire un sens particulier aux côtés des cinq sens traditionnels, la physiologie n’a-t-elle pas ramené le
problème de la douleur à un ensemble de recherches sur la spécificité, spécificité des récepteurs, des
voies de conduction, et des centres ? ».
Dans cet exposé je ne parlerai que de la douleur, laissant l’opposition douleur/souffrance à
d’autres aspects plus cliniques et psychologiques qui sortent de mon domaine de compétence.
Douleur : entre émotion et sensation nous dit Roseline REY, ce que l’on peut ramener à la distinction
entre la dimension affective et émotive de la douleur et sa dimension sensorielle, c’est à dire la
nociception.
Le stimulus nociceptif à l’origine d’une douleur déclenche une cascade d’évènements physiologiques
conduisant à l’intégration des informations codant pour les différents aspects de la douleur. Cette
cascade d’évènements conduisant à l’intégration des informations nociceptives met en jeu des
récepteurs, des voies et des systèmes de contrôle générant, véhiculant et intégrant ces informations :
- à la périphérie, les stimulus nociceptifs sont traduits en messages nerveux par des nocicepteurs
constitués par des terminaisons nerveuses libres des fibres nerveuses périphériques disséminées
dans la peau, les muscles, les articulations ou les parois des viscères. Leur activation résulte soit
d’une stimulation directe exercée à leur niveau, soit d’une stimulation indirecte par l’intermédiaire de
molécules libérées par l’inflammation au site de lésion (bradykinine, prostaglandines, histamine,
sérotonine, …). Certaines d’entre elles peuvent intervenir dans la sensibilisation des nocicepteurs,
c’est à dire un abaissement de leur seuil de réponse : c’est en particulier le cas des
prostaglandines.
- les messages nerveux codant pour la stimulation nociceptive sont véhiculés par les fibres
afférentes primaires des nerfs sensitifs, fibres de petit diamètre qui peuvent être myélinisées (fibres
Aδ) ou non myélinisées (fibres C). Ils rejoignent ensuite la moelle épinière par l’intermédiaire des
racines dorsales des nerfs rachidiens ; les terminaisons axonales des fibres se situent dans la
substance grise, au niveau de la corne dorsale de la moelle épinière, où elles vont établir des
relations synaptiques avec des neurones de relais de la nociception.
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- on distingue trois classes de neurones à ce niveau :
(a) les neurones nociceptifs spécifiques, principalement situés dans les couches périphériques
de la corne dorsale, qui ne répondent qu’à des stimulations périphériques de haute intensité ;
(b) les neurones nociceptifs non spécifiques qui répondent à des stimulations périphériques
aussi bien de haute que de faible intensité ; ils sont principalement localisés dans les
couches profondes de la corne dorsales ; ils reçoivent des afférences de territoires aussi bien
cutanés que viscéraux, musculaires ou articulaires, ce qui permet par l’intermédiaire de cette
convergence d’expliquer le phénomène de douleur rapportée ;
(c) les neurones non nociceptifs spécifiques qui ne répondent à des stimulations périphériques
que de faible intensité et n’interviennent pas dans l’intégration de l’information nociceptive.
- les axones des neurones nociceptifs de la corne dorsale constituent les faisceaux médullaires
ascendants qui projettent leur information aux niveaux supra spinaux ; dans la mesure où ces
axones décussent au niveau du segment médullaire, le trajet et le site de projection de ces
faisceaux est controlatéral. Très schématiquement, on peut distinguer quatre sites supra spinaux de
projection :
(a) le principal est constitué par les noyaux du thalamus ventro-postéro-latéral, noyaux
spécifiques de la sensibilité tactile et de la nociception, qui reçoivent rapidement les
informations véhiculées par le faisceau spino-thalamique, et ce de manière parfaitement
structurée du fait de l’organisation somatotopique de ces neurones ;
(b) les sites bulbaires de projection constituent des structures relais pour l’information
nociceptive, véhiculée par le faisceau spino-réticulo-thalamique ; ces sites relais font
intervenir la formation réticulée activatrice dans la mise en jeu d’une réaction d’éveil,
d’alerte et des centres cardio-respiratoires ; ce faisceau spino-réticulo-thalamique se
termine dans le thalamus médian non spécifique ;
(c) l’hypothalamus reçoit des terminaisons axonales du faisceau spino-hypothalamique ainsi
que des collatérales des faisceaux spino-thalamiques ; il intervient dans le contrôle des
réactions végétatives de la douleur, mais aussi dans la libération d’hormones intervenant
dans le contrôle du stress ;
(d) enfin le complexe amygdalien, structure limbique qui reçoit les informations douloureuses
véhiculées par le faisceau spino-ponto-amygdalien, intervient dans le contrôle des
réactions affectives et émotionnelles de la douleur.
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- les neurones du thalamus ventro-postéro-latéral projettent leurs axones vers les aires
somesthésiques du cortex pariétal : les caractéristiques du message nociceptif y sont décodées
permettant la genèse de la perception de la sensation douloureuse (qualité, localisation, intensité,
durée) ; les neurones du thalamus médian projettent leurs axones vers les aires corticales frontales,
le cortex insulaire et le cortex cingulaire antérieur, impliqués dans les réactions émotionnelles à la
douleur plus élaborées.
Cette vision extrêmement schématique des relations entre les structures impliquées dans la
physiopathologie de la douleur ne rend compte que très partiellement des relations complexes entre
nociception et douleur, c’est à dire entre physiologie et psychologie. La douleur est une sensation dont
la perception peut être modulée en fonction de l’environnement au sens le plus large du terme (affectif,
socio-culturel, géographique…), mais aussi en fonction de la situation psychologique de l’individu. Cette
modulation résulte de la mise en jeu de contrôles inhibiteurs exercés par des structures aussi bien
spinales que supra-spinales, et l’on distingue schématiquement trois catégories de tels systèmes de
contrôle :
- les contrôles segmentaires spinaux, dont la mise en jeu a été modélisée par MELZACK et WALL
dans leur « théorie du portillon » : ce modèle repose sur une balance entre les deux types
d’activités afférentes (nociceptives et non nociceptives) sur les neurones nociceptifs non
spécifiques médullaires ; ces neurones sont susceptibles d’être inhibés par la mise en jeu
d’interneurones inhibiteurs segmentaires qui sont activés par les informations non nociceptives et
inhibés par les informations nociceptives ;
- les contrôles issus du tronc cérébral (substance grise périaqueducale, SGPA, et noyau du raphé
magnus) : l’activation des neurones de ces structures est à l’origine de la mise en jeu des contrôles
inhibiteurs descendants exercés sur les contrôles nociceptifs médullaires ;
- les contrôles issus des structures corticales ou sous-corticales : ils interviennent par exemple dans
le contrôle inhibiteur de la perception de la douleur par une modification des processus d’attention
(calcul mental, modification de la fréquence respiratoire…).
La douleur ne peut pas être considérée comme résultant de la seule mise en jeu d’un système
câblé de neurones, de la périphérie nociceptrice vers les centres nerveux supérieurs du cortex. La
douleur résulte de l’expérience subjective d’une sensation émotive déplaisante, considérée comme
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résultant de processus adaptatifs tant nerveux que chimiques au sein de réseaux de neurones situés à
différents niveaux du système nerveux central, dont les composantes peuvent augmenter ou diminuer
en fonction des caractéristiques du stimulus, de l’état du sujet et du contexte dans lequel ce stimulus est
appliqué. Par ailleurs, il est maintenant bien démontré que les stimulations nociceptives génèrent des
réponses du système nerveux central sur d’autres systèmes physiologiques, tels que les systèmes
endocrinien ou immunitaire, mais d’une variabilité beaucoup plus grande, qui sont sans rapport direct
avec des changements d’activité du système nerveux mais dépendant de lui. Des variations d’activité
de ces systèmes peuvent avoir en retour un impact à différents niveaux d’intégration sur l’activité du
système nerveux et à ce titre sur les processus associés à la douleur.
Aussi, me paraît-il important de souligner la difficulté à laquelle on est confronté lorsque l’on tente de
donner une définition précise de la douleur. L’IASP (International Association for the Study of Pain)
propose de définir la douleur comme « une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable
associée à un dommage tissulaire réel ou potentiel, ou décrite en termes d’un tel dommage ».
Cette définition très large a pour principal intérêt de légitimer les douleurs sans lésions et de prendre en
compte la dimension sensorielle autant qu’affective de la douleur. En effet la genèse de l’information
nociceptive, par les capteurs sensoriels que sont les nocicepteurs périphériques et son décodage par
les structures du système nerveux central impliquées (schématiquement thalamus pour la composante
sensori-discriminative et système limbique pour la composante affective), confère à la douleur une
place tout à fait particulière au sein de la physiologie sensorielle du fait qu’elle ne se limite pas au seul
aspect sensoriel mais prend en compte également une dimension affective (et donc subjective) très
importante. C’est pourquoi l’on distingue maintenant classiquement quatre composantes de la douleur,
qui sont hiérarchisées et interactives et que l’on ne peut considérer séparément tant elles se modulent
réciproquement :
- la composante sensori-discriminative : elle correspond aux mécanismes neurophysiologiques qui,
schématiquement, sous-tendent les douleurs par excès de nociception; il s’agit du décodage des
messages nociceptifs (intensité, durée, localisation et qualité du stimulus nociceptif);
- la composante affective et émotionnelle :elle confère à la sensation douloureuse sa tonalité
désagréable, pénible et insupportable et peut se prolonger vers des états émotionnels plus
différenciés comme l’anxiété ou la dépression, en particulier dans le cas des douleurs chroniques.
Cette composante est mise en jeu par le stimulus nociceptif lui-même du fait de l’activation du
système limbique, mais aussi par les conditions environnementales dans lesquelles survient le
stimulus; par exemple la nature de la maladie à l’origine de la douleur, l’incertitude sur son
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évolution, l’environnement social ou familial du malade sont autant de facteurs qui modulent la
composante affective de la douleur en clinique. Sur ce point il convient de souligner que les
conditions particulières dans lesquelles sont réalisées les expérimentations chez l’homme en
laboratoire (pour des raisons éthiques évidentes) limitent l’impact affectif des stimulations
nociceptives utilisées, ce qui rend difficile les extrapolations que l’on peut faire des résultats
obtenus dans ces situations à la clinique.
- la composante cognitive : elle correspond à l’ensemble des processus modulant la perception de la
douleur. Il s’agit par exemple de l’attention (on peut moduler la perception de la douleur en
détournant l’attention du sujet par l’exercice d’une tâche neutre, principe de l’accouchement dit
« sans douleur » où l’on apprend à la femme qui accouche à maîtriser son rythme respiratoire); de
l’anticipation qui permet par apprentissage d’élaborer une stratégie comportementale qui autorisera
une atténuation voire un évitement de la douleur; de l’interprétation et de la valeur attribuées à la
douleur en référence à une culture, une religion, un milieu social; de la référence à une expérience
douloureuse antérieure; etc...
- la composante comportementale : elle correspond à l’ensemble des manifestations verbales et non
verbales du patient douloureux, comme la plainte, le gémissement, la posture, les mimiques, qui
constituent pour une large part une fonction de communication avec l’entourage et un élément du
diagnostic en clinique.
Il est également important de rappeler que, parmi les mécanismes générateurs de la douleur, on
distingue maintenant en clinique trois grandes catégories de douleurs :
- les douleurs par excès de nociception qui correspondent au mécanisme le plus usuel, c’est à dire
lorsqu’un processus pathologique active au niveau périphérique le système physiologique de
transmission des messages nociceptifs : l’information est générée au niveau des récepteurs
périphériques (les nocicepteurs) à la suite d’une lésion, d’un traumatisme, d’une inflammation,
d’une infection, etc..., des tissus concernés; elle est ensuite transmise vers la moelle épinière, puis
vers les structures du système nerveux central. Au niveau thérapeutique, l’action sera ciblée sur le
processus périphérique lui-même en traitant la cause de la genèse de cette information nociceptive
ou en cherchant à en limiter les effets excitateurs par l’utilisation d’antalgiques périphériques ou
encore en cherchant à interrompre la transmission des messages de la périphérie vers les centres,
ou enfin en cherchant à renforcer les systèmes de contrôle inhibiteur des circuits impliqués dans la
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transmission de l’information nociceptive par l’utilisation d’antalgiques centraux comme les
morphiniques.
- les douleurs d’origine neurologique qui résultent d’une lésion soit du système nerveux périphérique
(section d’un nerf, amputation, zona...) générant des douleurs rapportées aux territoires amputés
ou hypoesthésiques; soit du système nerveux central après lésion ischémique de zones très
spécifiques de l’encéphale, sites de projection ou de relais des voies de la nociception, comme par
exemple le territoire ventro-postéro-latéral du thalamus : ces lésions génèrent des douleurs
spontanées continues de l’hémi-corps opposé à la lésion centrale, associées à une hypoesthésie
globale mais surtout profonde et enfin une hyperpathie exacerbée lors des situations émotives ou
de stimulations sensorielles diverses; dans ce type de douleurs, les traitements médicaux seront
basés sur l’utilisation de molécules à action centrale (antidépresseurs ou antiépileptiques).
- les douleurs d’origine psychologique, douleurs sine materia ayant une symptomatologie
périphérique qui les rendent difficilement discernables des douleurs d’autres étiologies et dont le
diagnostic n’est fondé que sur l’absence de résultats du bilan clinique et paraclinique; cependant
l’origine psychologique de ces douleurs repose sur une psychopathologie effective comme la
somatisation d’états anxieux ou une dépression masquée.
Enfin il faut aussi souligner l’importance du facteur temps dans l’appréhension que l’on peut avoir de la
douleur : une douleur qui persiste modifie considérablement les mécanismes de la douleur. Une douleur
devenue chronique, qui s’est prolongée dans le temps, ne peut être traitée comme une douleur aiguë
qui persiste, car une douleur due à un traumatisme physique initial peut être prolongée et amplifiée par
des facteurs secondaires indépendants de ce traumatisme. C’est ce qu’a voulu signifier R. LERICHE en
distinguant la douleur aiguë, « douleur symptôme, signal d’alarme » et la douleur chronique, « douleur
syndrome, douleur maladie ». Dans sa conception actuelle, la douleur apparaît donc comme un
processus multifactoriel, conception qui aide à mieux comprendre les différences entre les divers types
de douleurs et qui favorise une approche globale du traitement de la douleur rendant plus efficace
l’association des divers moyens thérapeutiques, pharmacologiques et psychologiques par exemple.
C’est donc dans ce contexte multifactoriel complexe qu’il faut replacer le problème de l’étude de la
douleur chez l’animal. Les études expérimentales effectuées chez l’animal concernent principalement la
nociception aiguë dans la mesure où la plupart des modèles utilisés mettent en jeu des stimulations
nociceptives de courte durée. La douleur chronique intéresse plus le clinicien car c’est elle qui pose les
problèmes les plus difficiles tant du point de vue de l’étiologie et du traitement thérapeutique que de son
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interprétation : elle accompagne de nombreuses maladies et est associée à des perturbations
neuropsychologiques de longue durée qui diffèrent considérablement de celles observées dans des
situations aiguës.
On ne connaît encore que peu de choses concernant les processus à l’origine des douleurs chroniques.
C’est pourquoi le besoin en modèles expérimentaux de douleur chronique se fait de plus en plus
pressant et pour mieux appréhender les mécanismes sous-tendant la douleur chronique, de nouveaux
modèles se sont récemment développés à partir d’analogies avec ce qui est décrit en clinique chez
l’Homme : les études réalisées dans ce domaine sont limitées par des règles éthiques très bien définies
par des recommandations publiées par l’IASP, des directives de la Commision des Communautés
Européennes et de l’Institut National de la Santé des USA (Bethesda, Maryland). Dans la mesure où
ces règles sont respectées et où les expérimentations se plient à ce qui est admis par les comités
d’éthique contrôlant ces recherches, l’enjeu de ces travaux justifie ces tentatives.
Deux types de modèles sont principalement à l’étude actuellement chez le rat : l’un de type
inflammatoire par déclenchement d’arthrites chroniques focalisées ou disséminées selon la nature des
mécanismes utilisés qui constitue un type de modèles de douleur inflammatoire persistante; l’autre de
type lésionnel par ligature plus ou moins lâche ou par section de nerfs périphériques qui constitue un
type de modèles de douleur neuropathique périphérique. Les résultats importants obtenus avec ces
types de modèles ont permis, et permettront de mieux en mieux, de poser des questions plus précises
sur les modifications qui peuvent intervenir dans la mise en jeu de processus de régulation à long terme
engendrés par une pathologie chronique à l’origine de douleurs chroniques.
Pour conclure, je voudrai reprendre les propos formulés par R. REY dans sa conclusion de l’
« Histoire de la Douleur » dans laquelle elle restitue les analyses qui peuvent être proposées à l’aide de
son approche d’historienne. Les media grand public s’intéressent, en effet, de plus en plus au problème
de la douleur. Cette « pression » ainsi exercée n’est sans doute pas étrangère aux tentatives de
solution apportées par les pouvoirs publics et politiques à l’insuffisance de la prise en charge de la
douleur en France, compte tenu du retard important pris sur cette question par notre pays par rapport
aux nations économiquement développées. Il faut bien reconnaître que si les intentions sont réelles,
elles ne se traduisent pas encore assez en actes du fait des blocages budgétaires et de la période de
réduction des coûts de la santé dans laquelle nous sommes maintenant rentrés. Cette question était
déjà présente dans la conclusion de R. REY, et ce bien avant que ce problème ne se pose avec une
telle acuité : «des multiples textes analysés, des réactions et des combats des médecins pour soulager
la douleur, il se dégage un certain nombre de difficultés inhérentes à la pratique médicale qui peuvent
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parfois donner l’impression que la douleur n’est pas suffisamment prise en compte : plutôt que
d’incriminer un corps médical qui a fait serment de soulager la douleur et qui, somme toute, est traversé
par les mêmes courants politiques, religieux, idéologiques que les autres groupes de la société, il
faudrait s’interroger sur les conditions d’exercice de la médecine. Nous n’entendons pas par là
seulement la dilution des responsabilités à l’hôpital, le problème du statut et de la formation des
infirmières qui sont plus directement en contact avec les malades qui souffrent, les questions
d’organisation du travail, tous ces éléments d’une approche sociologique qui peuvent éclairer très
profondément la pratique de la médecine.»
Mais il faudrait aussi replacer le problème bien en amont et accepter de le situer dans une dimension
éthique, philosophique et épistémologique qui ne concerne pas que les chercheurs et les praticiens de
la douleur. Il n’en demeure pas moins que tout progrès dans la prise en charge et le soulagement de la
douleur chez l’Homme passe par le développement, en cours de réalisation (du moins peut-on
l’espérer !), des structures hospitalières en charge de l’Evaluation et du Traitement de la Douleur
(CETD), mais aussi du développement d’une démarche scientifique, par une recherche fondamentale
de qualité réalisée à partir de modèles animaux en relation avec des équipes de recherche médicale
pour en assurer la pertinence clinique.
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