Télécharger la revue Gazette n°28 – Octobre

Octobre - Novembre 2009 - Commission paritaire en cours - N° ISSN en cours
Bureau de la SOFOP
Président : J.M. Cl a v e r t
1er Vice-Président : C.Mo r i n - 2e Vice Président : C. Bo n n a r d - Fu t u r 2e Vice Président : C. ro M a n a
Ancien Président : J.F. Ma l l e t
Secrétaire Général : J.l. Jo u v e
Trésorier : P. la s C o M B e s
Membres du Bureau : B. de Bi l l y , s. Bo u r e l l e , a. Ka e l i n , P. Ma r y , P. Wi C a r t
Editorial SO.F.O.P.
« Tout ce que vous vouliez savoir sur la maladie de
Marfan et sur son pédiatre éponyme »(1) , cest ainsi
que je titrerais ce numéro de la Gazette. Il n’y a pro-
bablement rien à ajouter à ces textes, tous intéres-
sants et instructifs.
Pour tenir mon rôle d’éditorialiste, il me faut trouver
ailleurs que dans la critique ou la dérision.
J’ai donc cherché des personnages illustres touchés
par l’arachnodactylie. JC Léonard et C Morin l’avaient
fait avant moi et donnent Lincoln, Paganini et Rach-
maninov. Je ne puis ajouter quAmenophis 4.
Laspect du pharaon monothéiste nous est connu
par les sculptures et les bas-reliefs du musée du
Caire.
Niccolo Paganini est mort en 1840 ; nous n’en avons
donc pas de photographies. Heureusement, Ingres
a fait de lui un magnique portrait au crayon.
Abraham Lincoln a été statué assis et il trône ainsi,
magnique, à Washington au Lincoln Memorial. Je
n’ai pas trouvé de photographie de lui mais les ta-
bleaux le représentant, seul ou dans le cadre de ses
activités politiques, sont nombreux.
Rachmanninov a été photographié en mille occa-
sions puisqu’il a vécu jusquen 1943.
Ces représentations de nos quatre «Marfan» célè-
bres ne permettent aucune certitude diagnostique.
Il faut s’appuyer sur certaines particularités physi-
ques connues chez chacun d’eux pour oser parler
de syndrome de Marfan.
Le doute est maximal pour Amenophis, bien r. Au
point que l’on a parlé pour lui, autant de Marfan que
de syndromes de Frölich ou de Barraquer Simons.
Lincoln était très grand, 1m93, longiligne avec un
visage allongé et de grandes oreilles. Cela ne fait
pas un diagnostic.
Paganini avait une hyperlaxité importante des
doigts, lui permettant une extraordinaire virtuosité.
« Il imprimait à ses premières phalanges des doigts de
la main gauche qui touchait les cordes un mouvement
de exion(2) extraordinaire qui le portait, sans que sa
main ne se dérange, dans le sens latéral à leur exion
naturelle et cela avec facilité, précision et vitesse ».
Rachmanninov avait lame taille que Lincoln.
Surtout, il avait un écartement des doigts consi-
dérable ; sa main gauche pouvait couvrir plus de
treize notes, presque deux octaves. D.A.B Young a
publié sur «Rachmaninov and Marfan’s syndrom»(3)
un article sans conclusion. Il donne cependant à
l’appui du diagnostic la grande taille du musicien,
1m93 comme Lincoln, son nez long et mince dans
un long visage, ses oreilles proéminentes et le peu
de graisse sous-cutanée ! La myopie et les douleurs
dorsales intenses ne peuvent pas être des preuves
des complications ophtalmologiques et rachidien-
nes de la maladie.
Il n’y a donc que des suspicions rétrospectives de
syndrome de Marfan pour nos quatre célèbres pa-
tients.
Pour nous amuser, essayons d’en tirer un peu plus.
Deux d’entre eux furent de grands hommes d’état,
Aménophis 4 et Abraham Lincoln. Aménophis,
contemporain de Moïse et confondu avec lui par
des historiens sérieux, a été, comme lui, un mono-
théiste militant. Lincoln a saul’unité des USA au
terme de la sanglante guerre de sécession. Est-ce
de la dolichosténomélie qu’ils tiennent leur «enver-
gurde chefs d’états ? En jouant avec les mots, oui,
bien sûr !
Les deux autres ont été des compositeurs de génie.
Mais ils furent aussi, Paganini comme violoniste,
Rachmaninov comme pianiste, des interprètes de
virtuosité inouïe. La longueur et la laxité de leurs
doigts y était-elle pour beaucoup ? Sans doute, mais
« it was artistic genius, not long hands, that made his
performance so memorable ». (cf. D.A.B. Young)
Rêvons encore aux eets de ces particularités mor-
phologiques. Je me rappelle cet ami chirurgien
ambidextre, qui dessinait au pavillon d’anatomie,
simultanément des deux mains, les os symétriques
comme le sphénoïde ; je ne métonnais pas de le voir
le lendemain, en salle d’opération, réussir si bien la
réparation d’une fente labiale bilatérale.
En revanche, cet autre orthopédiste pédiatre, seu-
lement droitier, nobtenait jamais une perfection
symétrique dans ses ostéotomies pelviennes bila-
térales.
Alors, un myope est-il prédestià devenir un très
bon micro-chirurgien ?
Et la cyphose d’un autre l’a-t-elle aidé à se pencher
mieux que beaucoup d’entre nous sur les doulou-
reux problèmes de ses petits malades ?
Qui me donnera des réponses ?
Henri Carlioz
(1) Voir le N°24 de la Gazette !
(2) La suite de la phrase prouve qu’il s’agit d’inexion latérale.
(3) British Med Journal. 293, 26-27, déc. 1986
Edito ........................................................................1
par Henri Carlioz
Qui était-il ? Bernard Jean Antonin
Marfan(1858-1942) ............................................2
par Jean-Claude Léonard
et Christian Morin
Le syndrome de Marfan
de l’enfant et de l’adolescent
signes cliniques, suivi et traitement ............6
par Bertrand Chevallier et al.
Le syndrome de Marfan
physiopathologie et apport
de la biologie moléculaire ............................12
par Chantal Stheneur et al.
Les déviations rachidiennes
dans le syndrome de Marfan....................... 14
par Christian Morin et al.
Les «charnières»
dans le syndrome de Marfan....................... 16
par Vicken Topouchian
Déformations du thorax
dans le syndrome de Marfan....................... 19
par Zagorka Pejin et al.
La hanche et le pied
dans le syndrome de Marfan....................... 23
par Zagorka Pejin et al.
International Society for the Study
of the Lumbar Spine (ISSLS) ........................ 25
par Raphaël Vialle
Note complémentaire à l’article
«Qu’auriez-vous fait
dans cette maladie de Blount ?»
par Dimitri Popkov ........................................ 27
la Gazette est dorénavant publié en format A4, an d’être directement imprimée
à partir de votre ordinateur via notre adresse : www.livres-medicaux.com
Fondateur
J.C. POULIQUEN † (Paris)
Editorialiste
H. CARLIOZ Paris)
Rédacteur en chef
C. MORIN (Berck)
Membres :
J. CATON (Lyon)
P. CHRESTIAN (Marseille)
G. FINIDORI (Paris)
J. L. JOUVE (Marseille)
R. KOHLER (Lyon)
P. LASCOMBES (Nancy)
G. F. PENNEÇOT (Paris)
M. RONGIERES (Toulouse)
J. SALES DE GAUZY (Toulouse)
R. VIALLE (Paris)
et le “ GROUPE OMBREDANNE”
Correspondants étrangers
M. BEN GHACHEM (Tunis)
R. JAWISH (Beyrouth)
I. GHANEM (Beyrouth)
Editeur
SAURAMPS MEDICAL
S.a.r.l. D. TORREILLES
11, bd Henri IV
CS 79525
34960 MONTPELLIER
Cedex 2
Tél. : 04 67 63 68 80
Fax : 04 67 52 59 05
La Gazette
de la SOciété Française d’Orthopédie Pédiatrique
N°28
2
Qui était-il ? Bernard Jean Antonin Marfan
(1858-1942)
par Jean-Claude Léonard et Christian Morin
Sa vie
«Je considère ma carrière médicale comme «normale»,
largement favorisée par la chance, en tous cas mille fois moins
importante et intéressante que celle de A.Marfan (son père),
qui tant par son rôle à Paris que par ses œuvres sur l’histoire de
Castelnaudary, constitue une gloire pour notre cité
La trame est tissée : la modestie est la marque de notre
brillant confrère, et l’admiration pour son père, médecin,
politicien, et sa région est exprimée avec force.
Bernard Jean Antonin Marfan (Fig. 1), telle est la véritable
identité de cet homme selon lextrait de l’acte de naissance
fourni aimablement par la mairie de Castelnaudary, est né le
23 juin 1858 à 2 heures du matin à Castelnaudary (Aude), ls
d’Antoine Prosper Marfan docteur en médecine et d’Adelaïde
Thuries sans profession. (Acte de naissance N°142)
Parlons de suite de son père qu’il a admiré : le 24 Juin
1827 et décédé en 1898, Antoine Marfan était médecin et
également maire de Castelnaudary en 1888 puis député de
l’Aude de 1894 à 1898. Durant son mandat il déposa une
proposition de loi sur les calamités agricoles et les aides à
apporter. On voit déjà l’attrait du père-notable aux multiples
fonctions sur un ls certainement plus paisible et plus
discret. Le portrait du père est toujours présent dans une
des salles de la mairie.
Revenons à notre sujet : Bernard J-A Marfan fait ses études
secondaires dans sa ville natale, décroche le baccalauréat
série lettres et sciences la même année comme cela se faisait
couramment. Malgré les réticences de son père, il s’inscrit
en 1877 à l’Ecole de Médecine de Toulouse, et en 1879
présente le concours de l’externat à Paris dans le service
du Pr. Lasègue. Interne ensuite dans le service du Pr Auger
(1882), puis médecin en 1887 avec pour sujet de thèse :
« Troubles et lésions gastriques dans la phtisie pulmonaire. »
De cette thèse sera élaborée la loi de Marfan : tout enfant
qui a eu une atteinte tuberculeuse extra pulmonaire initiale,
ganglionnaire par exemple, sera protégé d’une tuberculose
pulmonaire ultérieure.
Les bases de l’immunité acquise sont avancées et serviront
de tremplin pour la vaccination par le BCG.
Il devient agrégé des hôpitaux en 1892, supplée J.J Grancher,
et en 1901 le pionnier de la pédiatrie moderne oriente
son activité vers les enfants et tout particulièrement ceux
atteints de diphtérie, en devenant aux Enfants Malades chef
de service de ce secteur. Il organise la première consultation
de nourrissons en prodiguant des conseils de nutrition et
d’hygiène chaque semaine.
En 1910 il occupe la chaire de thérapeutique ; en 1914 il est
élu à l’Académie de Médecine et la même année la nouvelle
chaire d’hygiène de la première enfance lui est attribuée :
il va lutter maintenant ociellement contre la mortalité
infantile eroyable de l’époque en enseignant sans répit par
la voix et les écrits des principes de diététique et d’hygiène.
En eet en 1880 les chires de mortalité infantile en France
étaient de 168 pour 1000 naissances. Il transfère sa chaire
à l’Hospice des Enfants Trouvés (ou des Enfants Assistés,
futur Hopital Saint Vincent de Paul) dés 1920, et fonde avec
Pinard l’Ecole de Puériculture. Durant la même période il
crée la revue Nourrisson et devient Président du Comité
national de l’Enfance, après Strauss. Puis il devient président
de l’Oeuvre Grancher fondée en 1903, initialement appelée
Association de Préservation de l’Enfance par son créateur
Jacques Joseph Grancher (1843-1907).
Comme tout médecin de l’époque chacun mettait au point
un procédé chirurgical ou un instrument médicochirurgical,
Marfan met par exemple au point la seringue stérilisable en
métal, à piston d’amiante pour huile mentholée (Fig. 2) et
la seringue tout en verre pour huile mentholée. Il préconise
en même temps la ponction péricardique par voie sous
xyphoïdienne et donnera son nom à une technique de
ponction lombaire (Fig. 3).
Nous citerons trois de ses plus illustres élèves : Robert Debré
qui fut son interne aux Enfants Malades en 1906, Eugène
Apert celui du syndrome d’Apert (acrocephalosyndactylie
décrite en 1923) et Benjamin Weill-Halle qui généralisera la
vaccination par le BCG avec Calmette dés 1921.
Marfan prend sa retraite en 1928 alternant les séjours entre
Paris et Castelnaudary.
Pour l’histoire nous rapporterons que le premier à évoquer
le «syndrome de Marfan» est un hollandais d’Utrecht,
H.Jacobus Marie Weve en 1931 car «nul n’est prophète en
son pays…». En 1934, Marfan est récompensé par la Société
Royale Anglaise de Médecine.
Marfan décède le 11 février 1942 à Paris, est inhumé à
Castelnaudary avec les membres de sa famille dont le frère
Louis-Albert décédé en 1952. Nous ne savons rien de sa
famille, épouse ? enfants ?
Fig. 1 : portrait du Pr Marfan par Henry Bataille en1892
(Coll. BIUM)
3
Qui était-il ? Bernard Jean Antonin Marfan
(1858-1942)
par Jean-Claude Léonard et Christian Morin
Son œuvre
Pour synthétiser ses écrits et ses actions nous les classerons
arbitrairement en trois pôles d’intérêt.
1) La pneumologie et principalement la tuberculose, qui
créait une hécatombe dans la population française, pauvre
surtout mais également riche (se rapporter à la création de
l’Hôpital Maritime de Berck par l’Impératrice Eugénie dont le
ls était atteint de tuberculose osseuse). Cette catastrophe
sanitaire avait tendance à endormir lesprit médical et
à considérer que l’on ne pouvait être que syphilitique,
tuberculeux ou rien. Cependant des esprits critiques et
curieux sont sortis de ce carcan de pensée unique tels Calvé
par exemple et Marfan dont nous conterons la description
du syndrome qui l’a rendu célèbre. Il écrira le chapitre
« Maladies des bronches, maladies chroniques du poumon,
phtisie pulmonaire et maladies du médiastin » dans le livre
collectif de Charcot, Bouchard et Brissaud en 1892. En page
798 il écrit et s’insurge : « la cure à l’air libre et au repos ne
peut être prescrite qu’aux phtisiques qui ont des loisirs et de
la fortune. Pour les phtisiques indigents, elle est impossible à
réaliser ; cela est vraiment lamentable et cruel. Ceux qui font
profession de s’occuper des besoins de la société devraient bien
voir qu’il y a une plaie vive. Il faut, de toute nécessité, créer des
hôpitaux spéciaux pour le traitement des phtisiques pauvres
mais jusqu’ici l’administration ne parait pas s’être émue de
l’état de choses actuel. On nous dit que l’objection principale
adressée à l’institution des sanatoria pour phtisiques indigents
est de l’ordre sentimental….on prétend qu’il serait inhumain
de faire entrer un malade (riche) dans un établissement sur la
porte duquel on lirait : Hôpital pour phtisiques. Rien noblige
d’abord à décorer un portique de cette inscription. » !!!
2) Les maladies infectieuses, en particulier la diphtérie
(1905), Les aections des voies digestives dans la première
enfance (1923), Les aections des voies respiratoires et les états
de dénutrition de la première enfanceA côté il publie des
écrits sur le Rachitisme (1912, 1928) et les eets bénéques
des ultra violets, Les vomissements périodiques avec
acétonémie en 1921, appelé par la suite Maladie de Marfan.
Sans oublier le Traité des maladies de l’enfant en 5 volumes, en
coopération avec JJ Grancher et J Comby en 1897.
3) Lalimentation et particulièrement l’allaitement des petits
enfants : Marfan publie son premier Traité de l’allaitement et
de l’alimentation des enfants du premier âge en 1899, puis en
1938 un article Conseils aux mères pour allaiter, nourrir et élever
leurs enfants. En 1930 dans le Traité de l’allaitement maternel
il prône des évidences de nos jours mais qui, à l’époque,
modiaient les habitudes : « Lenfant pourra être mis au sein
12 heures après l’accouchement ». On retrouve d’autres
citations sur ce sujet : « la quantité de lait prise à chaque tétée
est variable », ceci étant toujours d’actualité pour ne pas
décourager les mamans. On retrouve également des diktats
utilisés encore dans les années 1970-80 : « Lorsqu’on a acquis
la certitude que le cri est dû aux caprices ou à la gourmandise,
il faut laisser l’enfant crier. », « toutes les émotions dépressives,
surtout lorsqu’elles sont brusques peuvent diminuer ou tarir
la sécrétion lactée, au moins de façon temporaire. La frayeur,
la colère, le chagrin peuvent supprimer la sécrétion lactée ou
même la modier ou la rendre délétère. »
Poursuivant son combat pour les apports lactés propres,
il conduit à Berlin la délégation française au congrès des
Gouttes de lait en 1911. Rappelons que le premier centre La
Goutte de Lait a été créé à Fécamp en Normandie en 1894
par le Dr Léon Dufour.
Même reportées dans le contexte de la n du 19ème siècle,
certaines armations font sourire : nous avons retrouvé dans
le mémoire d’Agnès Fine intitulé Le nourrisson à la croisée des
savoirs certaines directives ou vérités aujourd’hui désuètes.
Marfan a pris parfois des positions maximalistes : une mère
enceinte ne doit pas allaiter son nourrisson plus de 6 mois
Fig. 2 : instruments imaginés par le Dr Marfan : abaisse-langue pour
nourrissons (A), seringue tout en verre (B) et seringue stérilisable en mé-
tal, à piston d’amiante (C) pour huile mentholée (in Catalogue des ins-
truments de chirurgie Michel Bruneau 1913- Coll. BIUM)
Fig. 3 : technique de la ponction lombaire avec en B la méthode de Mar-
fan, en A celle de Quincke et en C celle de l’auteur du livre ( in Chirurgie
opératoire du système nerveux. Tome second : chirurgie de la moelle et
des nerfs d’ Antony Chipault- Coll. BIUM)
4
pour ne pas troubler la grossesse en cours, « la menstruation
diminue la sécrétion de lait ou en altère la composition »,
« le lait fourni par les bêtes en période de rut ou atteintes de
nymphomanie est toxique ». A cette époque certains avaient
émis l’idée que le sang des menstruations pouvait contaminer
le lait maternel par un eet rétroactif….Marfan n’a toutefois
pas pris cette direction étrange…mais il écrit toutefois à
propos des nourrices réglées : « Il est possible que le lait de
la période menstruelle renferme des substances de l’ordre des
toxines dont la chimie ne peut déceler la présence ».
Pour en nir avec cette lecture quelque peu sarcastique des
écrits de Marfan nous nous arrêterons avec force sur l’a priori
transmis depuis des siècles à propos des humains aux cheveux
roux. Les romains les tuaient à la naissance, et à l’époque de
Marfan les femmes rousses étaient encore assimilées à des
êtres de sang…et il écrit « les femmes rousses ne doivent être
acceptées (comme nourrices) que lorsqu’on a constaté que leur
transpiration nexhale pas une odeur forte. » !!!!
Tout ceci peut prêter à sourire, mais rétrospectivement
n’avons-nous pas eu à transmettre auprès des mères et de nos
élèves des pseudo vérités qui se sont révélées obsolètes par
la suite !
Mais Bernard J-A Marfan est indissociable de la maladie qui
est toujours d’actualité et toujours qualiée d’orpheline,
même si quelques divergences dans la description princeps
apparaîtront.
L’Histoire de Gabrielle
Le 28 février 1896, le Pr. agrégé Marfan présente à la Société
Médicale des Hôpitaux de Paris le cas de « Gabrielle P(Fig. 4
et 5) âgée de cinq ans et demi. » [1]
La présentation sintitule : « Un cas de déformation congénitale
des quatre membres, plus prononcée aux extrémités,
caractérisée par l’allongement des os avec un certain degré
d’amincissement. » La description est purement clinique, mais
avec force détails et mensurations de chaque segment de
membre et de phalanges.
A la lecture de l’article on est un peu surpris de lire : « la
déformation des extrémités des membres a été remarquée à la
naissance par la sage femme » puis « par la mère dès les premiers
jours de la vie. » Ceci aura un intérêt par la suite.
Marfan conrme son impression clinique par les dessins des
membres (Fig. 6) en notant : « les déformations sont symétriques,
plus prononcées aux extrémités qu’à la racine des membres ».
Il complète : « l’aspect général (des mains) est celui de pattes
d’araignée. »
Qui était-il ? Bernard Jean Antonin Marfan
(1858-1942)
par Jean-Claude Léonard et Christian Morin
Fig. 4 : publication du cas de la petite Gabrielle dans la Semaine Médi-
cale des Hopitaux le28 février 1986 (Coll. BIUM)
Fig. 5 : Gabrielle P…(Coll. BIUM)
Fig. 6 : Dessin des mains et des pieds
de Gabrielle P…(Coll. BIUM)
5
Qui était-il ? Bernard Jean Antonin Marfan
(1858-1942)
par Jean-Claude Léonard et Christian Morin
Plus loin on lit qu’il existe une « rétraction breuse des tendons » en
particulier visible dans la région poplitée. Le rachis de Gabrielle
est rectiligne et le crâne est légèrement « dolichocéphale ».
Mais notre confrère est surpris par « l’état d’émaciation » de
l’enfant qu’il appelle « atrophie », par opposition aux séquelles
paralytiques : en eet elle n’a pas d’atteinte neurologique ou
viscérale.
Marfan conclue avec modestie : « En résumé cette llette est
atteinte d’une déformation congénitale des quatre membres, plus
prononcée aux extrémités, caractérisée surtout par l’allongement
des os, avec un certain degré d’amincissement. On pourrait peut-
être donner à cette malformation le nom de dolichosténomélie…
J’ai tenu surtout à vous présenter un cas qui ma semblé
exceptionnel. » Gabrielle dans un état pseudo grabataire est
présentée en photographie dans l’article (Fig. 5).
Marfan signiait par ce mot d’origine grecque que Gabrielle
avait des membres-longs-étroits.
L’histoire de Gabrielle ne s’arrête pas : en 1902 devant la
même Société Médicale, H.Mery et L.Babonneix [2] présentent
Gabrielle avec des signes cliniques évolutifs : existence d’une
« gouttière médiane et verticale » au niveau thoracique et
une « cyphoscoliose dorso-lombaire d’apparition récente ». En
reprenant les mesures précises de Marfan ils constatent « une
tuméfaction épiphysaire du cubitus et de l’humérus gauches
». L’utilisation récente de la radiographie leur fait croire à
une nouvelle forme d’atteinte osseuse qu’ils appellent «
hyperchondroplasie ». L’hérédosyphilis est pointée et l’enfant
reçoit « des frictions mercurielles et d’iodure de potassium… ».
En fait Gabrielle présente un abcès froid du bras gauche et elle
se retrouve à Berck-sur-Mer. Ces deux médecins ne resteront
pas dans la mémoire médicale.
Gabrielle est décédée de la tuberculose, Marfan le signale
en 1938. Il n’est pas évoqué de troubles cardiovasculaires ou
oculaires.
Nous avons relevé quelques détails à la lumière des
connaissances actuelles concernant la maladie de Marfan et la
description princeps : le caractère congénital des rétractions
en particulier. Beals en 1971 [3] et Hecht en 1972 ont d’ailleurs
imaginé avec 76 ans de recul que Gabrielle présentait
les signes du syndrome Arachnodactylie et Contracture
Congénitale connu maintenant comme syndrome de Beals
ou CCA syndrom (Congenital Contractural Arachnodactyly)
secondaire à des mutations du gène pour la brilline 2 sur le
chromosome 5.
Marfan pouvait dormir en paix, seule la biologie avait dissocié
les diérentes brillines et diérencié les deux types d’anomalie
clinique ouvrant le chapitre des maladies du collagène et du
tissu élastique.
La retraite
Amoureux de sa région natale et de ses habitants, il écrit en
1933 Figures Lauragaises paru chez Librairie Académique
Perrin avec des biographies détaillées de Saint Pierre Nolasque,
de Martin Dauch, Sophie de Soubiran, du Général Laperrine.
Il cultive son jardin et aime Venise…
Conclusion
Bernard Jean Antonin Marfan a eu une vie complète marquée
par une ascension professionnelle méritée, fruit d’un combat
permanent contre les maladies de l’enfant, souvent aggravées
par la malnutrition. Il peut sans contestations être reconnu
comme le premier grand pédiatre de notre pays, le père de la
puériculture, ambeau que son élève Robert Debré portera au
plus haut degré.
Régulièrement se tient à Castelnaudary le rendez vous annuel
de l’association des malades atteints de la maladie hétérogène
de Marfan, où interviennent les meilleurs spécialistes.
L’hommage au maître y est régulier, en attendant une
thérapeutique spécique et pas seulement symptomatique.
Maladie classée orpheline, elle touche toutes les classes
sociales, même si dans la littérature médicale on ne parle que
d’Abraham Lincoln, et des musiciens aux longs doigts comme
Nicolo Paganini ou Sergei Rachmaninov.
Pour rendre hommage à notre maître es pédiatrie, modeste et
humaniste, nous lui dédierons ces quelques mots de Michel de
Montaigne: « C’est une absolue perfection, et comme divine, de
sçavoyr jouyr loiallement de son estre. Nous cherchons d’autres
conditions, pour nentendre l’usage des nostres, et sortons hors de
nous, pour ne savoir quel y est fait. Si, avons-nous beau monter
sur des eschasses, car sur des eschasses encores faut-il marcher
de nos jambes. Et au plus eslevé throne du monde, si ne sommes
assis que sus nostre cul. Les plus belles vies sont, à mon gré, celles
qui se rangent au modèle commun et humain, avec ordre, mais
sans miracle et sans extravagance. »
Les Essais, III-8
Références
1. MARFAN AB. Un cas de déformation congénitale des quatre membres. Bull
Mem Soc Med Hop Paris 1896 ; 13 : 220-7
2. MERY H, BABONNEIX L. Un cas de déformation congénitale des quatre
membres. Hyperchondroplasie. Bull Mem Soc Med Hop Paris 1902 ; 19 :
671-6
3. BEALS RK, HECHT F. Congenital contractural arachnodactyly. J Bone Joint
Surg 1971 ; 53A : 987-93
1 / 28 100%

Télécharger la revue Gazette n°28 – Octobre

La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !