Programme ALEXEÏ VOLODIN Domenico Scarlatti (1685 – 1757) 3 sonates pour piano Serge Prokofiev (1891 – 1953) Dix pièces opus 12 1°) Marche (allegro) – 2°) Gavotte (allegretto) – 3°) Rigaudon (vivace) – 4°) Mazurka (capriccioso) – 5°) Caprice (allegretto capricciosamente) – 6°) Légende (andantino) – 7°) Prélude (vivo e delicato) – 8°) Allemande (allegro risoluto) – 9°) Scherzo humoristique (allegro) – 10°) Scherzo (vivacissimo). Troisième sonate en la mineur Opus 28 « d’après de vieux cahiers » Allegro tempestoso – Moderato - Allegro tempestoso. Nikolaï Medtner (1879 – 1951) Sonate « Réminiscence » Op. 38 n°1 - Allegretto tranquillo - - - - - - ENTRACTE - - - - - - Frédéric Chopin (1810 – 1849) Troisième Ballade en la bémol majeur opus 47 Robert Schumann (1810 – 1856) Carnaval Opus 9 (Scènes mignonnes sur quatre notes) Préambule – Pierrot – Arlequin – Valse Noble – Eusebius – Florestan – Coquette – Réplique (sphinxes) – Papillons – A.S.C.H. / S.C.H.A. (lettres dansantes) – Chiarina – Chopin – Estrella – Reconnaissance – Pantalon et Colombine – Valse allemande – Paganini – Aveu – Promenade – Pause – Marche des Davidsbündler contre les Philistins. L’année 1685 fut une année particulièrement faste puisqu’elle a vu la naissance de Jean-Sébastien Bach, Geörg Frieidrich Händel et de Domenico Scarlatti. Ces trois compositeurs vont illuminer l’Europe musicale baroque de leur génie ; Bach en restant en Allemagne, Händel en Allemagne, puis en Italie et en Angleterre et Scarlatti en Italie, puis au Portugal et en Espagne. Domenico Scarlatti naît à Naples le 26 octobre 1685. Il est le sixième enfant d’Alessandro Scarlatti, lui-même un célébrissime compositeur de musique religieuse (cantates et madrigaux) et d’opéras. Baigné dès son plus jeune âge dans la musique, c’est tout naturellement que le jeune Domenico deviendra musicien. Il se formera dans les plus grands centres culturels d’Italie que sont Naples, Rome, Venise et Florence. Prodigieusement doué Domenico Scarlatti deviendra à seulement quinze ans l’organiste et le compositeur attitré de la Chapelle Royale. Au cours de sa jeunesse Scarlatti compose surtout de la musique d’orgue et des œuvres religieuses dont il ne reste malheureusement que peu de traces aujourd’hui. A Rome, il assistera Tommaso Bai alors Maître de Chapelle de Saint Pierre et rencontrera Händel. Ils se prêteront à une joute musicale mémorable où Scarlatti sortira vainqueur au clavecin, mais sera vaincu à l’orgue par le saxon. Alors qu’il a une vingtaine d’années, Scarlatti est engagé par la Maison de Bragance étroitement liée à la famille Royale du Portugal. C’est par cette entremise que Scarlatti sera nommé par Jean V le Magnifique professeur de musique du frère cadet du Roi et surtout de sa fille l’Infante Maria Barbara. Scarlatti se rend à Lisbonne vers 1720 et s’acquitte parfaitement de son rôle auprès de la famille royale. Scarlatti donnera aussi des cours à l’un des plus importants compositeurs portugais du 18ème siècle Carlos Seixas. Des liens d’amitié indéfectibles se tissent entre Scarlatti et la jeune Princesse qui s’avère être une élève prodigieusement douée. Cet attachement fidèle durera jusqu’à la mort de Scarlatti en 1757. Mais entretemps ce dernier restera près de vingthuit ans au service de Maria Barbara. Lorsque celle-ci épouse en 1729 le futur roi d’Espagne Ferdinand VI. Scarlatti la suivra à Madrid où elle se retrouve seule et éloignée des siens, à cette cour d’Espagne triste et sévère. Autant pour divertir qu’instruire la Reine, Scarlatti lui composera de très nombreuses sonates pour clavecin. Celles-ci perdront au fil du temps leur but purement didactique, et de ces simples exercices techniques naîtront des sonates très élaborées et hautement inspirées. Celles-ci sont à la fois d’une grande technicité mais aussi poétiques, elles véhiculent parfois cette si vivifiante et bouillonnante musique populaire espagnole dont la couleur fait cruellement défaut à l’austère Cour d’Espagne. Scarlatti composera la majorité de ses 555 sonates entre 1742 et 1757. Ces courtes pièces de structure binaire qui traversent toutes les tonalités et utilisent tous les rythmes, des plus lents (adagio, largo) aux plus rapides (allegrissimos, prestos) feront à elles seules la grande popularité de Scarlatti. Ce soir Alexeï Volodin a choisi de nous en interpréter trois parmi les plus belles. Les dix pièces pour piano de Prokofiev ont été composées entre 1906 et 1913 et jouissent depuis leur édition d’un succès jamais démenti. Fort prisées par leur auteur, certaines d’entre elles figureront parmi les premiers enregistrements effectués vers 1920 par Prokofiev. Ici on retrouve le Prokofiev brillant, percussif et volontairement iconoclaste qui impose son propre style et qui tourne le dos à tout romantisme. Prokofiev opte ici pour un style essentiellement néoclassique baignant dans une bonne humeur non dissimilée. Bien qu’il insère dans sa suite des musiques dont le cadre a été défini au début du 19ème siècle comme les deux scherzos, il conçoit plutôt son cycle à la manière d’une suite baroque en reprenant des danses anciennes comme la Gavotte ou le Rigaudon. La comparaison s’arrête là tant l’expression et les buts sont différents. La Marche initiale donne le ton en recelant des harmonies plutôt aigres alors que les trois pièces suivantes (Gavotte – Rigaudon et Mazurka) ne sont que des hommages parodiques et ironiques aux danses du passé. Pour les pièces suivantes Prokofiev adopte un style plus moderniste en faisant preuve d’une grande recherche harmonique (Caprice) et créant des atmosphères très variées : morose pour la Légende, raffinée et badine pour le Scherzo et enfin remplie de fantaisie pour les trois derniers mouvements (Allemande, Scherzo humoristique et Scherzo) dont leur rigueur rythmique et leur ingénieuse écriture terminent brillamment cette suite pour piano. Prokofiev fera souvent référence dans ses œuvres aux danses anciennes, qu’il adaptera à son propre style. C’est le cas par exemple dans son ballet de Cendrillon (Pavane – Gavotte) ou dans sa Symphonie Classique qu’il composera dix ans après les dix pièces opus 12. Si la troisième sonate pour piano n’a été éditée qu’en 1917 dans sa version définitive, elle reprend une sonate de jeunesse largement remaniée contemporaine des dix pièces opus 12. Ce remaniement d’une œuvre antérieure explique le titre « d’après des vieux cahiers », titre que porte aussi la quatrième sonate écrite dans les mêmes conditions. La troisième sonate évolue dans un climat dramatique beaucoup plus marqué que les pièces opus 12, prouvant ainsi l’évolution stylistique de Prokofiev en l’espace d’une décennie. Cette sonate est dense et repliée sur un unique mouvement divisé en trois parties. Les indications données par Prokofiev dénotent le caractère extrêmement agité et sombre de l’œuvre : Allegro tempestoso – Moderato – Allegro tempestoso. La sonate joue aussi dans son ambiguïté rythmique oscillant entre binaire et ternaire. Bien que la musique de Nikolaï Medtner soit plus fréquemment jouée que par le passé, ce compositeur russe de grand talent est certainement moins connu que ses grands contemporains que furent Rachmaninov et Prokofiev. Né le 24 décembre 1879 à Moscou, Medtner effectue de brillantes études musicales au conservatoire de Moscou où il est l’un des élèves les plus doués du grand pédagogue Vasili Safonov à l’instar d’Alexandre Scriabine et de Josef Lhévine. Il sort du conservatoire en 1900 après avoir remporté la médaille d’or. Sur les conseils de son mentor Taneïev il renonce à une carrière de concertiste qui s’avérait pourtant très prometteuse, pour se consacrer à la composition. Il n’abandonnera cependant pas tout à fait la scène et donnera des récitals pour promouvoir sa musique. Ses premières compositions sont très appréciées et il reçoit deux fois le Prix Glinka : en 1909 pour une série de lieder sur des textes de Goethe et en 1916 pour deux sonates pour piano (opus 25 n°2 et opus 27). Malgré son grand talent Medtner est rapidement éclipsé par deux autres compositeurs russes plus charismatiques Scriabine et Rachmaninov, ainsi sa musique ne sera pas reconnue au-delà des frontières de la Russie. Lorsque la guerre et la révolution bolchévique interviennent, Medtner qui ne supporte pas le nouveau régime décide d’émigrer en 1921 pour mener une vie de pianiste compositeur errant, comme le feront aussi avec plus de succès Sergei Rachmaninov et Serge Prokofiev à la même époque. Medtner sillonnera alors l’Europe (Berlin, Paris, Londres) et effectuera deux tournées aux Etats Unis en 1924/25 et 1929/30 sans obtenir de succès retentissants. C’est en Angleterre qu’il se fixera définitivement en 1935. Malgré cette vie difficile il ne cessera jamais de composer. La seconde guerre mondiale éclatant quelques mois après son installation à Londres le prive de toute ressource (son éditeur était à Berlin, ses concerts sont déserts et les leçons de piano qu’il donne se raréfient). Les bombardements de Londres l’incitent à trouver refuge dans le Warwickshire. Deux ans plus tard sa santé se dégrade irrémédiablement suite à une première crise cardiaque lui laissant d’importantes séquelles lui interdisant quasiment de donner des concerts. Fort heureusement, le Maharadjah de Mysore devient son mécène et lui permet de réaliser une série d’enregistrements en studio pour la firme His Master Voice (EMI) de la majorité de ses œuvres. Ces enregistrements, malheureusement réalisés à la fin de l’ère du 78 tours furent vite obsolètes et indisponibles à la vente. Il mourra à Londres le 13 novembre 1951 victime d’une nouvelle attaque cardiaque. La musique de Medtner qui commence seulement à être reconnue et jouée, principalement en Russie, en Angleterre, en Allemagne et aux USA, mais très peu en France, a été victime de son époque et de l’attitude même de Medtner. Il avait la réputation d’être en musique un réactionnaire raide et archaïque ne supportant pas la musique des compositeurs « modernes », pourtant ses contemporains tels que Stravinsky ou Schöenberg (qu’ils qualifiaient d’hérétiques) et de puiser ses références musicales dans les compositeurs des 18ème et 19ème siècles. Cette conception rigide de la musique a certainement contribué à faire condamner ses propres compositions, jugées d’emblée comme passéistes et sans originalité alors que bien entendu il n’en est rien. N’oublions pas que le grand pianiste russe Emile Gilels a tout au long de sa carrière joué et défendu la musique de Medtner. En 1921 Rachmaninov écrivait à Medtner « Je répète ce que je vous ai déjà dit en Russie : Vous êtes, à mon sens le plus grand compositeur de notre temps ». Par ses ascendances Medtner avait une double culture à la fois russe, mais aussi allemande. Aussi, il n’est pas surprenant que sa musique ait des parentés avec Schumann et Brahms autant qu’avec Tchaïkovski ou Rachmaninov, voire même avec les premières œuvres de Scriabine. Tout comme la troisième sonate de Prokofiev, la Sonate-Reminiscenza est en un seul mouvement. C’est la première pièce d’un recueil de huit, intitulé « Les Mélodies Oubliées ». Le cycle a été composé entre juin 1919 et octobre 1920 à une époque où Medtner fuyait les tumultes de la guerre et de la révolution dans la datcha d’un ami à Bugry dans une campagne reculée à plus de cent kilomètres de Moscou. Si l’on ignore ce qui a inspiré à Medtner cette œuvre mélancolique on peut imaginer que son titre « Réminiscence » lui vient de sa propre réflexion portée sur les innombrables difficultés déjà rencontrées au cours de son existence, ainsi que sur l’angoisse de quitter très prochainement sa patrie. C’est l’évocation intime d’un monde qui n’existe déjà plus. Après l’exposition des deux thèmes principaux de la sonate, le développement renforce le climat angoissé et halluciné qui trouve son apogée dans deux arpèges semblables à des cris. Pendant un bref passage un nouveau motif plus brillant permet à l’œuvre de trouver un peu d’apaisement et de lumière avant que le thème initial (la réminiscence) ne vienne clore la sonate dans une atmosphère sombre et méditative. Chopin a composé ses quatre Ballades en une dizaine d’années, de 1831 à 1842. Il est d’ailleurs délicat de déterminer avec précision la période de pure composition, entre le temps des premières ébauches de la Première Ballade en 1831 de la publication de la Quatrième en 1843. Pendant cette décade, Chopin est alors en pleine possession de ses moyens techniques, il maîtrise totalement son propre langage et son inspiration est à son zénith. Ces quatre pièces tiendront une place importante dans sa production pianistique, compte tenu de leur ampleur mais aussi de leur densité. Elles évoluent dans un langage très lyrique, souvent dramatique, tout en conservant une grande liberté formelle. Ces Ballades combinent subtilement des formes utilisées précédemment par Chopin comme la variation, le Lied ou encore le Rondo. La Troisième Ballade en la bémol majeur a été composée très rapidement comparativement aux deux premières. Datant de 1841, elle est dédiée à Pauline de Noailles. Si elle reste dans le même univers aquatique que la deuxième Ballade, son expression et sa forme sont totalement différentes. Sans se référer à un texte particulier, Chopin s’inspire du personnage de l’Ondine au caractère amoureux à la fois tendre et exalté, qui tente de punir son infidèle (et mortel) amant, en l’entraînant à sa poursuite dans une quête amoureuse aussi désespérée qu’éternelle. On retrouve dans cette Ballade deux groupes thématiques assez proches qui, par leur poésie et leur douceur, évoluent de façon presque improvisée dans un langage d’une très grande expressivité. Cette troisième Ballade est certainement la plus poétique et intime du groupe. Elle a été créée par Chopin lors de ce fameux concert du 21 février 1842 dans les Salons de la Maison Pleyel. Pour composer son Carnaval opus 9 Robert Schumann s’inspire des œuvres littéraires de ses écrivains favoris : Jean-Paul Richter et d’ETA Hoffmann. Il crée ainsi son propre univers régi par ses propres règles en mélangeant personnages réels et personnages de fiction. Il aura fallu près de trois ans à Schumann pour composer cette œuvre exemplaire en bien des points, qui est une mosaïque de vingt et une courtes pièces enchaînées très rapidement, basée sur le Carnaval. Intitulé à l’origine « Carnaval : Facéties sur quatre notes pour pianoforte, de Florestan ». L’œuvre est largement autobiographique et écrite dans un style très personnel. Partout on rencontre des couples dont les caractères opposés attirent Schumann: Eusebius et Florestan – Pierrot et Arlequin – Pantalon et Colombine et même Chiarina et Estrella représentant Ernestine et Clara les deux femmes dont il est alors épris. Schumann conçoit une fête où personnages fictifs et réels se côtoient. Certains se présentent masqués en jouant des rôles et en endossant diverses personnalités. Au-delà de ce cadre formel Schumann s’interroge sur le travestissement et la dualité du caractère, dont il se sent plus ou moins consciemment atteint. Il s’inclut dans le Carnaval par l’intermédiaire des deux personnages récurrents dans son œuvre que sont Eusebius et Florestan, dont les tempéraments sont diamétralement opposés. Schumann composera trois œuvres sur le thème du Carnaval : tout d’abord les Papillons opus 2, le Papillon n’étant pas ici l’insecte, mais le masque du bal (1829 à 1831), puis le Carnaval opus 9 (1833 – 1835) que nous entendrons ce soir, et enfin le Carnaval de Vienne opus 26 (1839). Au moment où Schumann compose le Carnaval opus 9, il est fiancé à Ernestine von Fricken. Clara Wieck qui deviendra sa femme six ans plus tard n’a alors que quinze ans mais les sentiments amoureux commencent à naître entre eux. Schumann la rencontre pour la première fois alors qu’elle est âgée de huit ans. Elle est la fille de son professeur de piano Frieidrich Wieck. Au moment de la composition du Carnaval Clara est déjà une musicienne extrêmement douée jouant de façon éblouissante les premières œuvres de son futur mari. Cela explique pourquoi figurent dans la même œuvre de Schumann Ernestine (le passé) et Clara (l’avenir). Le prétexte du Carnaval est simple : Plusieurs personnages réels dont Schumann, Ernestine von Fricken, Clara Wieck, Chopin et Paganini assistent à un carnaval avec les personnages de la Commedia dell’arte. Chacun apparaît soit sous sa propre apparence soit déguisé. Ainsi Schumann prend l’apparence de ses doubles Eusebius et Florestan, Ernestine devient Estrella, Clara devient Chiarina. Paganini et Chopin en qualité d’invités d’honneur du bal apparaissent non déguisés. Chaque pièce dépeint musicalement le caractère de chaque personnage tout en suivant une chronologie précise de la soirée s’achevant brillamment par la Marche des Davidsbündler (les compagnons de David) contre les Philistins. Les Davidsbündler font référence à une confrérie musicale imaginaire dont les aventures paraissent dans son journal musical le « Neue Zeitschrift für Musik » qu’il a créé en avril 1834. Schumann, en sa qualité de leader de cette confrérie livre un combat épique aux « Philistins ». Pour être plus clair, il illustre musicalement le combat que la jeune génération de compositeurs dont il fait partie, livre aux traditionnalistes. Il nomme ces derniers « les Philistins » et vise directement la bourgeoisie allemande qu’il juge bornée, sclérosée et empêtrée dans ses traditions. Schumann avait composé auparavant Les Davidsbündlertänze où là encore il dépeignait des personnages réels sous les traits des Compagnons de David (Mozart, Schubert, Mendelssohn, Berlioz …) ou des Philistins (Czerny, Thalberg et surtout Friedrich Wieck l’intransigeant et acariâtre père de Clara). Voici la trame du Carnaval : - - - - - - Préambule (quasi maestoso Puù moto – Animato – Vivo – Presto) : Une introduction solennelle et tonitruante annonçant le début des festivités. Les oreilles exercées reconnaîtront une brève citation d’une des Sehnsuchtswalzer opus 9 de Schubert. Pierrot (Moderato) : Ce personnage de la Commedia dell’arte est toujours habillé de blanc et ne porte pas de masque. Dans la Commedia dell’arte il joue le rôle du valet ingénu et rêveur. Arlequin (Vivo) : Cet autre personnage de la Commedia dell’arte est l’opposé de Pierrot. D’origine pauvre il se présente avec un costume très coloré en forme de losanges. Son caractère est celui du bouffon paresseux, crédule et manquant singulièrement d’intelligence. Lui aussi est amoureux de Colombine et est donc le rival de Pierrot. Valse Noble (un poco maestoso) : Pouvant passer pour un simple intermède musical au cours du bal, Schumann donne à cette pièce une dimension sentimentale en signalant : « En écrivant la Valse noble, j’ai parlé d’amour sans en avoir l’air ». Eusebius (adagio) : Il ne s’agit pas d’un personnage de la Commedia dell’arte mais d’un être imaginaire créé de toutes pièces par Schumann et qui correspond à l’une des facettes de sa personnalité dont le caractère est rêveur tendre et timide. Florestan (passionato) : Lui aussi créé par Schumann Florestan campe un personnage opposé à Eusebius à la fois bruyant, fougueux et bagarreur. Florestan incarne l’autre personnalité de Schumann qui précisait : « Florestan et Eusebius sont ma double nature qui fusionnent en un homme ». Coquette (vivo) : Au cours d’une danse, Coquette, la cavalière de Florestan tente de le séduire. Comme celui-ci reste indécis face à ses avances, Coquette n’y tenant plus, frappe violemment le sol du pied. - - - - - - - - - Réplique (L’istesso tempo) / Sphynxes : Il s’agit de la réponse à l’attitude de Coquette dont le court motif va en sens contraire de la pièce précédente comme pour en symboliser le refus. Dans le prolongement de la « réplique », figurent les trois « sphynxes » écrits en grosses notes rectangulaires dont Schumann précise « qu’ils doivent être lus et pas joués » ce qui rend la fin de la pièce encore plus énigmatique. Papillons (prestissimo) : Cette pièce volubile et bouillonnante est écrite dans un pur style schumanien non seulement sur le plan musical mais aussi dans l’esprit. Schumann s’inspire avec une virtuosité étourdissante d’un roman de Jean-Paul Richter intitulé « l’âge ingrat » mettant en scène deux frères jumeaux (Walt et Vult Harnisch) qui ne sont que les déguisements d’Eusebius et de Florestan qui eux même représentent Schumann. A.S.C.H. – S.C.H.A. lettres dansantes (presto) : On entre ici dans l’un des jeux favoris de Robert Schumann qui consiste à parsemer ses œuvres de messages musicaux codés, et de dédicaces dissimulées seulement compréhensibles par les intéressés eux-mêmes. Ici la personne à laquelle Schumann met en scène est sa fiancée Ernestine, la fille du Baron von Fricken. Celle-ci est née en Bohême à Asch. Dans la notation musicale allemande on obtient pour ASCH les notes : A (la) – Es (mi bémol) – C (do) – H (si). Ici Schumann combine les lettres incluses dans son propre nom et le nom de la ville de naissance de sa bien-aimée. Chiarina (passionato) : Ici Schumann dresse le portrait de Clara Wieck à la sortie de l’adolescence et l’indication « passionato » trahit la passion croissante entre Robert et Clara qui semble déjà supplanter Ernestine qui elle n’a droit dans son portrait musical qu’à un « con affecto ». Les trois pièces du Carnaval notées « passionato » sont Florestan (Schumann), Chiarina (Clara) et Aveu …. La conclusion paraît évidente ! Chopin (agitato) : Dans le Carnaval Chopin est un peu la « Guest star » qui apparaît sous sa propre apparence et non déguisé. Ici Schumann crée une œuvre de Chopin plus vraie que nature en cherchant plus à s’identifier à lui qu’à l’imiter. Allant parfois à l’encontre de l’opinion de ses confrères, Schumann a fréquemment encensé dans ses critiques son confrère qu’il admirait particulièrement. Dans cette pièce écrite à la façon d’un nocturne l’art mimétique de Schumann est particulièrement bluffant. Estrella (con affetto) : Schumann fait ici le portrait de sa fiancée Ernestine. Les sentiments qu’il lui porte sont réels et sincères, mais ils semblent s’émousser peu à peu face à la jeune passion qu’il éprouve désormais pour Clara, même si celle-ci lui est encore interdite. Reconnaissance (animato) : Pour Schumann, il s’agit d’une « rencontre d’amoureux » où vraisemblablement chacun des deux partenaires tombent le masque. Pantalon et Colombine (presto) : Nous voici à nouveau replongés dans la Commedia dell’arte avec deux nouveaux personnages d’un côté Pantalon, un notable vénitien qui s’avère être un vieillard libertin, grippe-sou et méfiant malgré une certaine dose de crédulité. Il est représenté par un pantalon rouge et enfin Colombine, soubrette rouée au caractère bien trempé, manipulatrice et parfois cynique utilisant avec subtilité les multiples facettes de sa personnalité (à la fois fille, femme et maîtresse). Elle utilise ses charmes pour séduire Pierrot, Arlequin et Pantalon. Valse allemande (molto vivace) : Après la Valse noble il s’agit de la seconde valse mise au programme de ce bal faisant figure d’intermède purement musical. Cependant Schumann reprend un thème d’une Valse romantique opus 4 de Clara Wieck. Paganini (Intermezzo – presto) : Tout comme Chopin, Paganini apparaît ici sous sa véritable identité et sans être travesti. Grand admirateur du sulfureux Maestro qui sera à l’origine de - - - sa vocation, Schumann adapte le jeu du piano pour mettre en valeur la virtuosité violonistique de Paganini et notamment les effets de sautillés effectués par ce dernier avec le bout de son archet. Aveu (passionato) : Ici Schumann écrit une de ses pièces les plus inspirées compte tenu de sa concision (seulement douze mesures). Il s’agit certainement de l’aveu de leur amour donnant à la pièce toute sa délicatesse et sa poésie éthérée. Promenade (comodo) : Ici Schumann tente de dépeindre sur un rythme de valse la salle de bal entre deux danses avec la dame de ses pensées à son bras (lettre de Schumann à Moschelès). Pause (vivo) : Il s’agit d’un bref intermède musical particulièrement tumultueux préparant l’émergence de la dernière pièce, la plus longue et développée du Carnaval. Marche des Davidsbündler contre les Philistins (non allegro – molto più vivo – animato – vivo – animato molto – vivo – più stretto) : Dans cette dernière pièce Schumann allie magistralement de très brèves citations qui symbolisant tour à tour les Compagnons de David et les Philistins. Au nombre des Compagnons de David notons une allusion au Concerto n°5 de Beethoven, Schumann fait aussi des citations grotesques pour les Philistins comme la Grossvatertanz (pièce traditionnelle du 17ème siècle qui traditionnellement clôturait les bals en Allemagne. Cette « danse du grand-père symbolisait pour Schumann l’esprit archaïque conventionnel et figé des Philistins). Jean-Noël REGNIER