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10-1856)
Robert Schumann (18
Papillons op.19
Carnaval op.2
aus Wien op.26
Faschingsschwank
Derrière le masque…
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Trois carnavals et puis s’en vont…
Papillons, Carnaval, Carnaval de Vienne, les trois bals masqués dissimulent sous les masques
multiples de la fête bigarrée une Weltanschauung, une vision du monde imaginative en diable
mais fermement maintenue dans les trois cercles successifs de Ré majeur, La bémol majeur et
Si bémol majeur. S’enivrer au rythme ternaire des valses et polonaises de l’Opus 2 de Robert
Schumann jusqu’à son Opus 26, c’est comme traverser en trois amples tournoiements la
salle de bal de sa première décennie créatrice, celle qu’il consacra au piano, son instrument
consubstantiel. C’est aussi cheminer de Zwickau à Leipzig, en Saxe, sa terre natale, avant de
bifurquer à Vienne, d’où il revint meurtri. C’est pénétrer, enfin, sous les loups des carnavals
jean-pauliens et hoffmannesques, dans l’imaginaire excentrique et vulnérable du plus lettré
des romantiques. Car Schumann est à la fois le plus spontané et le plus réfléchi, le plus
autodidacte et le plus tenace, le plus tendre (zart) et le plus sauvage (wild). Doué d’une
plume à la Hoffmann, il est de surcroît un brillant critique, fondateur à vingt-trois ans de la
Neue Zeitschrift für Musik, ambitieuse revue musicale lue dans l’Europe entière.
Idéaliste et ludique, Robert adore un “enfant-ange” au prénom de lumière, une petite Clara,
de neuf ans sa cadette, pianiste et compositrice prodige, fille de Friedrich Wieck son sévère
professeur. Ils se parlent et se comprennent en musique. Sortilège ? Ces Doppelgänger
pressentent que, double et moitié l’un de l’autre, ils ne sauraient exister séparément.
Lorsque Robert publie les Papillons, la petite Clara a déjà envahi son Journal intime. Au
temps du Carnaval, poussé par son entourage, il se fiance avec Ernestine von Fricken, une
jeune fille d’un âge plus approprié au sien, qu’il devra abandonner lorsqu’il s’apercevra de
sa désolante “confusion des sentiments”. “Tu es mon premier amour”, écrit-il alors à Clara
: il dit la vérité. À Vienne, c’est encore l’image de Clärchen, devenue sa secrète fiancée, qui
le hante. L’année précédente, elle a obtenu des triomphes dans la capitale impériale ; en
février 1839, lui n’essuie que des déconvenues. Complice de toujours, échappatoire de rêve,
un nouveau carnaval tombe à propos pour masquer – en partie seulement – sa profonde
mélancolie. Quinze ans plus tard, le 27 février 1854, le créateur visionnaire de quarantequatre ans, au seuil de la démence syphilitique, se coulera un jour de carnaval dans le Rhin
noir glacial. La maladie n’achèvera son œuvre fatale qu’en juillet 1856, après vingt-neuf mois
d’agonie dans l’asile d’Endenich (Bonn) devant lequel s’écoule, majestueux et imperturbable,
le perfide Vater Rhein.
“Je voudrais avoir ici, pour la Saint-Michel, mon cher vieux piano tant aimé. Il me rappelle mes
plus beaux souvenirs de jeunesse. Il a partagé toutes mes sensations, toutes mes larmes et
tous mes soupirs, comme aussi toutes mes joies”, écrit, le 13 juin 1828, le jeune Robert à sa
mère. A peine établi à Leipzig, le garçon ne supporte déjà plus de toucher un piano étranger.
Tel un violoniste, il fait corps avec son instrument. Il ressent l’impérieux besoin de retrouver
son alter ego en noir et blanc, de le caresser, le pétrir pour en faire jaillir des combinaisons
sonores encore inouïes : jeux de résonances par retrait des doigts, jeux de trompe l’oreille
avec la complicité des étouffoirs, improbables effets aux confins du virtuel. Comme son
“unique Jean Paul”, l’écrivain Jean Paul Richter – qui entendait dans “la musique le pays des
âmes au même titre que les masques sont le pays des corps”, Robert pense, sent, existe à
travers l’entendement. C’est cette ouïe faite créateur qui déclarera en 1839, de retour de
Vienne, à sa compositrice aimée : “À l’écoute de ta Romance, j’ai entendu [gehören] une
nouvelle fois que nous devions devenir mari et femme.”
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En avril 1832, surexcité, Schumann mande à sa famille : “Priez-les tous de lire au plus vite
la scène finale des Flegeljahre [L’Âge ingrat] de Jean Paul ; et alors les papillons éclos de ce
Larventanz [bal masqué] se transformeront rapidement en sons. Et demandez-leur si dans ces
Papillons ne se reflètent pas l’amour angélique de Wina, le sentiment poétique de Walt et l’âme
droite et clairvoyante de Vult ?” Premier carnaval, dédié à Thérèse, Rosalie et Emilie Schumann,
ses belles-sœurs, les Papillons op.2 viennent de sortir. Très fier, le jeune compositeur ajoute
que Wieck les apprécie beaucoup et que la jeune Clara les joue à ravir. Précédées d’une
minuscule Introduction, les douze saynètes, sans titres, font trois petits tours et puis s’en
vont : à l’auditeur de s’en saisir au vol. Evoquant une fois encore le “fantastique bal masqué
de la scène finale des Flegeljahre”, notre imaginatif précise : “Le fil qui entoure mes Papillons
est difficile à saisir si l’interprète ne sait pas qu’ils sont nés de cette lecture.” Deux ans plus
tard, il dira pourtant avoir “adapté le texte à la musique et non l’inverse”...
Kaléidoscope de vingt pièces, toutes titrées, le Carnaval op.9 de 1834 se présente en Scènes
mignonnes composées pour le Pianoforte sur quatre notes. Autobiographique comme aucun
autre, le nouveau carnaval de Robert-David, entouré de ses compagnons, les Davidsbündler,
pour combattre les Philistins, alias les bourgeois réactionnaires, continue de filer la métaphore
littéraire des bals masqués dans une atmosphère générale de commedia dell’arte. Cela
sans jamais sacrifier l’unité musicale diffractée par trois Sphinxes énigmatiques. L’ancien bal
masqué jean-paulien dégage de nouveaux effluves hoffmannesques. Pour la première fois,
Robert incarne ses doubles en musique, Eusebius et Florestan (alias Pierrot et Arlequin),
lesquels aiment… allez savoir ! La notation “Passionato” réunit Florestan-Robert et ChiarinaClara au travers d’Aveu. Mais Estrella-Ernestine a droit à “Con affetto”. Quant aux “Lettres
dansantes” (a/la s/mib c/do h/si) de cette fantasmagorie sonore elles évoquent, certes,
Asch, le village natal d’Ernestine, mais aussi le nom de SCHumAnn lui-même, et encore le
patronyme de Vult et Walt HArniSCH, les jumeaux des Flegeljahre/Papillons. Et volette dans
le Carnaval une pièce-Papillons tandis que des tournures mélodiques de Vult résonnent d’un
bal à l’autre.
En 1839, Robert a souffert et mûri. Il a dû affronter la perte d’êtres chers : sa belle-sœur
Rosalie, sa mère, et même sa bien-aimée Clara qu’il a crue perdue à jamais pour lui.
Maintenant encore il ne peut correspondre avec elle qu’en cachette de Wieck et n’entrevoit
aucun avenir possible pour eux. Sa “douleur” est devenue une présence indélogeable.
Il compose avec elle, conjuguant le présent au futur antérieur. Au cours de sa genèse, le
Carnaval op.9 s’était intitulé Fasching: Schwänke auf vier Noten für Pianoforte von Florestan. Le
titre abandonné féconde maintenant le Faschingsschwank aus Wien, Fantasiebilder (Facéties
du Carnaval de Vienne, tableaux de fantaisie) op.26. La musique aussi a mûri. Aux folles
girations des carnavals de jeunesse répond ce que le compositeur considère, musicalement
parlant, comme sa “Sonate en Si bémol majeur, la grande”, au moment où il découvre avec
vénération la Symphonie en Ut majeur de Schubert, “la grande”. C’est dire l’évolution. La
forme en quatre mouvements de sonate est bientôt étirée à cinq par ajout d’un Intermezzo en
provenance des Nachtstücke (morceaux nocturnes), dans le ton de mi bémol mineur, le plus
tragique de l’univers schumannien. Dans cette sonate-fantaisie de carnaval, tout s’inverse.
C’est le finale qui accueillera une forme sonate tandis que le mouvement liminaire déploie
un grand rondo versicolore, seul “romantisches Schaustück”, romantique morceau théâtral,
encore en rythme ternaire de bal. Saturée d’intentions, la fragile Romanze en sol mineur
pleure Clara absente. Le spirituel Scherzino s’empare du costume en Si bémol d’Arlequin
dans le Carnaval op.9. Avant le brillant Finale s’insère donc l’Intermezzo, cri existentiel
d’amour et de mort, sans exclure, peut-être, en période de carnaval, un zeste de Witz, le trait
d’humour transcendantal des romantiques.
BRIGITTE FRANÇOIS-SAPPEY
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