La bande dessinée au siècle de Rodolphe Töpffer (12)

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La bande dessinée au siècle de
Rodolphe Töpffer (12)
. (Suite de la publication de la thèse de Camille Filliot. > Présentation et table des
matières ici.)
B. Théâtre, littérature, poésie
Avec le récit de voyage ou d’aventures comme point d’appui, la bande dessinée ne
s’écarte pas trop du registre comique puisqu’elle continue de côtoyer des genres
parallèles également humoristiques. Elle n’hésite pourtant pas non plus à
s’emparer de domaines plus éloignés et à tirer les flèches de la satire en direction
d’un texte singulier, voire d’un trait d’écriture.
1. Actualité théâtrale
À côté de la formidable expansion des usages de l’image, de la littérature à bon
marché et de l’accès à la lecture du journal, le XIX e siècle connaît un
accroissement sans précédent de l’activité théâtrale. De l’affranchissement du
drame romantique des règles de la dramaturgie classique à l’imposante
propagation des salles de Boulevard, le spectacle théâtral s’ouvre au public et
devient un divertissement à la fois mondain et populaire, prisé dans tout Paris.
Comme le voyage touristique ou la partie de campagne, il est un élément de la vie
sociale, qui prend une intensité particulière dans les années 1870-1880, sous
l’effet du décret du 6 janvier 1864 supprimant l’autorisation préalable à
l’ouverture d’un théâtre. Principale distraction culturelle des Français à partir du
Second Empire, le théâtre croise l’histoire en images par son objectif essentiel,
celui du divertissement et du comblement de ce nouveau temps de loisir et de
sociabilité, en fonction duquel l’aménagement urbain et le marché de l’industrie
sont spécifiquement pensés. Le faste de la modernité parisienne s’illustre par
cette activité où le regard domine : en allant au spectacle ((Aller au spectacle, en
respectant les règles d’un calendrier hebdomadaire (lundi et vendredi à l’Opéra,
mardi au Français, samedi au Nouveau Cirque) fait partie de cet emploi du temps
de la vie parisienne, dont nous avons parlé au sujet des planches chronologiques ;
J. Csergo, « Extension et mutation du loisir citadin, Paris XIXe – début XXe siècle »,
L’avènement des loisirs : 1850-1960, 2001, p. 133.)), l’on va voir la scène comme
l’on se donne à voir, à l’instar de l’album d’images ostensiblement posé sur la
table du salon. Le Théâtre de Divertissement ou le Théâtre de Boulevard
(vaudeville, mélodrame, comédie d’intrigue, drame bourgeois, opéra comique)
rejoint la bande dessinée par la place faite au comique et à la satire ainsi que par
l’importance accordée au visuel, en convoquant tous les arts du spectacle
(pantomime, acrobatie, danse, musique, costumes, décors impressionnants, etc.).
L’interdépendance des arts graphiques et des arts du spectacle se manifeste, plus
encore, par le biais de nombreux transferts de la page à la scène et vice-versa. En
sont les parfaits témoins Joseph Prudhomme, cette caricature du bourgeois
français imaginée par Henry Monnier vers 1830 (et dont on retrouve le caractère
fat et les raisonnements absurdes chez nombre de nos anti-héros graphiques),
d’abord en lithographie puis comme personnage de pièces qu’il écrit et joue, et
Robert Macaire, figure récurrente du criminel incarnée pour la première fois au
théâtre par Frédéric Lemaître (1800-1876) en 1823 et qui devient, sous le crayon
de Daumier, l’objet de caricatures parues dans Le Charivari de 1836 à 1838
((Évoquant à ce sujet une « forme de mutation transmédiale », Marie-Ève
Thérenty précise que le personnage est également chanté dans Le Robert
Macaire, chansonnier grivois (1835) et mis en texte, entre autres, dans une série
de physologies de James Rousseau, voir « Un comique “trans” : Robert Macaire.
Transmédialité et transgénéricité d’une figure nationale », Insignis, n° 1, mai
2010,
[en
ligne],
http://s2.e-monsite.com/2010/05/15/1047939un-comique-trans-marie-eve-therenty
-pdf.pdf (consulté le 15.05.2016).)).
Le théâtre, également, dans la variété des formes qu’il prend alors, rencontre
directement la séquence graphique par le biais du discours critique. Dans le
cadre d’une autonomie générique acquise par la critique au sens large, s’établit
effectivement une tradition littéraire et graphique de critique théâtrale diffusée
essentiellement par les journaux, lesquels contiennent généralement une rubrique
« théâtre » réservée à l’annonce et aux commentaires des spectacles. La
séquence dessinée n’est que l’une des formes prises par ce discours graphique
sur le théâtre, elle reste d’ailleurs minoritaire. Prenant l’exemple du journal La
Vie parisienne, Jean-Claude Yon ((J.-C. Yon, « La critique au crayon : l’exemple de
La Vie parisienne (1865-1867) », Le Miel et le fiel. La critique théâtrale en France
au XIXe siècle, M. Bury et H. Laplace-Claverie, Paris : Presse de l’Université ParisSorbonne, 2008, pp. 69-87.)) donne les différents types d’utilisation de l’image : il
cite les « images anecdotiques » qui consistent en l’évocation des costumes de
scène, les « comptes rendus en image » et les « tableaux synoptiques », c’est-àdire des constructions graphiques présentant en une page un jugement
synthétique sur une pièce. Le récit graphique entre dans la seconde catégorie,
bien que Jean-Claude Yon (qui n’en fait pas mention) précise que « le compte
rendu en image présente une très grande variété de cas », où « rares sont les
articles où les images et le texte se partagent à égalité le discours critique ».
Encore faut-il se méfier de « l’imbrication typographique du texte et des images
[qui] est parfois un faux-semblant car elle n’implique pas nécessairement une
synergie entre eux, les deux discours étant alors plutôt parallèles que concertés »
((Ibidem, p. 79 et p. 76.)). Dans ces sortes de parodies graphiques que nous avons
relevées dans Le Journal amusant, certaines portent effectivement à confusion
mais, parfois, ces « chroniques théâtrales » – l’une d’elles porte ce sous-titre au
singulier – répondent aux critères d’une histoire en images où des liens
sémantiques unissent étroitement les dessins légendés. À propos des planches
liées au théâtre qu’Albert Robida donne dans la presse (La Vie parisienne, La
Caricature), Sandrine Doré ((S. Doré, « Albert Robida, critique en image de
l’actualité théâtrale des années 1870-1880 », Albert Robida, du passé au futur. Un
auteur-illustrateur sous la IIIe République, Amiens : Encrage ; Paris : Les Belles
Lettres, 2006, pp. 37-56.)) étudie également cette forme répandue de critique en
images, qu’elle divise en quatre catégories : la simple juxtaposition d’images
(forme récapitulative, la plus courante), le récit linéaire (forme narrative héritée
de la formule du Journal amusant) ((Un exemple est constitué par une planche de
Stop qui parodie la pièce de Victorien Sardou, Thermidor (Le Journal amusant,
14.02.1891). À première vue, le dispositif s’apparente à celui d’une bande
dessinée : une succession d’images accompagnées d’une à cinq lignes de texte. À
la lecture, le texte aussi court puisse-t-il être n’est cependant pas scindé, il ne se
réfère pas clairement à une image spécifique. Les figures semblent effectivement
fonctionner en parallèle au texte, comme l’illustration de la scène qu’il décrit. Il
ne s’agit pas à proprement parler de cases, non seulement parce que les images
ne dialoguent pas mais parce que le texte ne se plie pas à la segmentation que la
bande dessinée suppose généralement. La lecture de haut en bas, et non de
gauche à droite, est un indice supplémentaire de la nature de cette page qui
relève, malgré les apparences, du texte (très abondamment) illustré.)),
l’amalgame de deux pièces (procédé de condensation induisant une mise en page
ramassée) et la forme dialoguée qui se présente comme une parodie du genre
dramatique. Si elles ne sont pas uniquement dialoguées (un narrateur peut
introduire les répliques et raconter l’histoire), les séquences dessinées se
présentent en effet comme des parodies, obligées de simplifier et condenser
l’intrigue pour tenir dans le format d’une ou deux pages. Ce sont des parodies à
l’ironie mesurée toutefois, car l’exercice vise plus le commentaire ludique,
l’adaptation comique en vue d’attirer le lecteur ayant assisté à la représentation
ou en ayant entendu parler, que la critique acerbe. Il s’agit le plus souvent non
pas de railler mais de prolonger (ou préparer) le plaisir de la sortie théâtrale,
même si le terme « compte rendu » utilisé pour ce genre d’écriture au second
degré signale une distance critique.
Dans les années 1880 dans Le Journal amusant, Louis Morel-Retz (sous le
pseudonyme Stop) est le principal signataire des parodies théâtrales. Il est en
territoire connu puisqu’il réalise à côté de son œuvre de caricaturiste les textes
de plusieurs opérettes et saynètes (comme Le Sicilien et l’Amour peintre, écrite
en 1877) et qu’en tant que costumier, il collabore à la réalisation de pièces
musicales. D’une manière concise et simultanée, la séquence parodique lui
permet de commenter la façon dont est menée l’intrigue, le jeu des acteurs, les
qualités de la mise en scène (scénographie caricaturée par l’image) tout en
détournant la pratique même de la critique dramaturgique : l’adaptation de la
pièce d’Albert Delpit, Le Fils de Coralie ((Représentée le 16 janvier 1880 au
Théâtre du Gymnase et parodiée dans Le Journal amusant du 7 février 1880.)), est
un « compte rendu fantaisiste » (Le Journal amusant, 07.02.1880). Dans cette
séquence théâtrale, comme dans d’autres, Stop use en effet du procédé typique
de la bande dessinée comme de la caricature, la syllepse de sens. Dans le cadre
d’une parodie dramaturgique, le pied de la lettre dédouble le rire qui n’a plus
seulement la pièce pour objet mais la tournure prise par la nouvelle histoire
présentée. L’image sort soudain de son rôle d’imitation, d’artefact de la scène
pour servir l’esprit de facétie de la reprise. Lorsqu’il évoque le destin de Coralie,
« belle petite retirée du service après avoir considérablement rôti un balai dont
Montjoie a quelque peu tenu le manche » (l’expression « rôtir un balai »
signifiant « mener une vie de débauche »), Stop représente les deux personnages
autour d’un feu, occupés à brûler un balai. L’image suivante appuie l’effet
aberrant par son abstraction, elle symbolise la supplication de Coralie – ancien
viveur, Montjoie a reconnu Coralie qui s’est réfugiée en province sous un faux
nom – par une montre sombrant dans une eau encadrée de montagnes tandis que
le texte pastiche la réplique, « Reconnaissance : Ne me perdez pas, dit-elle ;
toutes les eaux d’un fleuve ne laveraient pas une heure de ma vie passée ! – Cette
image hardie le décide à se taire » ((La critique rejoint ici celle de Zola écrivant à
propos des deux premiers actes de cette pièce, qu’il trouve bien menée mais à la
moralité obscure : « Je ne fais des réserves que pour la langue ; c’est trop écrit,
avec des enflures de phrases, tout un dialogue qui n’est point vécu », Le
Naturalisme au théâtre : les théories et les exemples, Paris : G. Charpentier,
1881, p. 321.)). Oubliant sa qualité de double de la scène, le dessin se fait aussi
artificiel, aussi abstrait et inapproprié que le style ampoulé. Focalisant sur la
forme de la chronique, la syllepse en image permet alors de rendre visibles les
invraisemblances et les excès dramaturgiques. Ainsi de Michel Strogoff jonglant
au sens propre, sur la simili scène graphique, avec des obus – Michel Strogoff,
mélodrame en cent soixante tableaux et quatre clous, mais sans la plus petite
pointe d’amour, par MM. Dennery et Jules Verne (fig. 88). L’effet comique
associant texte et image perd toutefois de sa fonction critique, au bénéfice d’un
comique gratuit, lorsque la concrétisation repose sur un calembour, tel le « ratd’eau » qu’empruntent les personnages du roman mis en scène par Jules Verne et
Adolphe Dennery. En tant que pièce à grand spectacle, louée pour la richesse des
décors et les effets de mise en scène, Michel Strogoff, qui est d’abord un roman
d’aventures, est la cible idéale de la parodie graphique. Les images s’enchaînent à
vive allure, selon une logique parataxique, marquée à l’aide d’une abondance de
tirets (« Ils arrivent à Kolyvan », « Il rencontre sa mère », « Elle lui joue
admirablement sa scène du Prophète »), ou à l’inverse hypotaxique (« Mais l’émir
Ali-Baba », « Cependant Strogoff », « Par un de ces hasards comme on n’en voit
qu’au Châtelet », « Pendant ce temps ») ; et à la fin : « On croit la pièce finie ; pas
du tout, il y en a encore », « Les Tartars reçoivent une véritable pile de Volga. –
Strogoff est fait caporal, le succès est général ». Parmi cette succession d’actions,
les changements de décors à vue, dont la qualité visuelle est soulignée par
l’encadrement des images, font rupture : « Là est planté le premier clou », la
réception impériale à Moscou n’est plus qu’un alignement de chevaux de bois et
de balais. Le panorama mouvant des rives de l’Angara se signale également par le
rendu graphique du mouvement où les conifères et une maison sont dotés de
jambes, à la manière de la case évoquée plus haut de Mr Boniface. Si Stop
souligne en guise de conclusion le plébiscite remporté par cette représentation,
comme une autre pointe ironique, c’est que l’imitation par le biais de la bande
dessinée n’est possible, dans le cadre d’un journal, que lorsque la pièce est
suffisamment connue par le public pour être ainsi résumée sans grande perte
pour la compréhension et donc aussi pour la critique. Le dessinateur Pescheux,
dans Le Bouffon, donne l’exemple d’une parodie en images de la pièce Hernani
(07.07.1867), dont la grande popularité lui permet d’en caricaturer seulement
quelques passages précis d’actes cités, cas d’extrême réduction qui n’appartient
plus au domaine du récit graphique.
Fig. 88 – Stop, Michel Strogoff, Le Journal amusant, n° 1267, 11.12.1880. Source : Coll. J.-M. Bertin.
Davantage satirique à l’égard des succès dramaturgiques ((Des allusions sont
placées dans les albums, comme dans l’Histoire de Mr Jobard, lorsque le
personnage reçoit un billet de faveur pour se rendre au Théâtre Français, mais se
trouve obligé de payer douze francs cinquante et s’endort devant la scène (pl.
32-34). )), Cham s’investit dans la parodie et donne une véritable lecture
d’œuvres comme l’opéra écrit par Eugène Scribe et Jules-Henri Saint-Georges,
sur le thème du Juif Errant, avec une musique de Fromental Halévy. Le spectacle
est représenté pour la première fois au théâtre de l’Opéra le 23 avril 1852, la
parodie graphique paraît la même année dans Le Charivari (09.05.1852), reprise
dans l’Album comique intitulé Salmigondis (1852). La posture critique du
dessinateur se dit dès le titre : Le Juif-Errant, cauchemar biblique, mêlé de
musique et de longueur. La séquence le permettant, Cham pose, comme Stop, la
question de la succession des scènes en même temps que celle de leur
vraisemblance, idée transmise par le terme cauchemar qui ne suggère pas que le
caractère pénible du spectacle. Pour souligner la discontinuité ou les
enchaînements hasardeux dignes de la logique du rêve, il appuie fortement les
liens qui unissent les images, ou justifie leur raison d’être par des explications
quasi techniques. Dans un mélange temps narratif / temps vécu, l’ellipse
temporelle du deuxième acte appelle une béquille narrative (« Des années se sont
écoulées, ce qui nous explique pourquoi l’entracte nous a semblé si long »), car
jugée non crédible à la scène (« Nous voyons reparaître les escarpes du 1er acte ;
en dix ans ils n’ont pas vieilli, ce qui n’est pas consolant pour les honnêtes gens
qui souvent ont des cheveux gris avec l’âge »). La rencontre au troisième acte de
Léon et de la comtesse est le fruit du hasard : « Tout en venant faire une
promenade de digestion sous l’arc-du-triomphe de l’Étoile, il se retrouve nez à nez
avec sa comtesse qu’il avait perdue. Il y a des gens qui ont de la chance ! ».
L’intermède du ballet Le Berger Aristée et les abeilles (acte III, scène III) survient
« tout à coup », et le changement de tableau de l’acte IV, qui occasionne deux
images sans aucun lien sémantique, est préparé par cette précision : « Comme le
Juif-Errant, sous prétexte de fatigue, se fait beaucoup prier pour rentrer en scène,
M. Roger, dans le but de faire prendre patience au public, à l’obligeance de nous
chanter très longuement ses malheurs ». L’ennui éprouvé par le dessinateur se lit,
dans la même case, par l’accentuation de la logique de l’enchaînement (« Le 3e
acte étant fini le 4e commence ») ; un ennui qui contamine les personnages eux-
mêmes, leur degré d’agacement conditionnant le déroulé des événements
(« Trouvant cette scène un peu longue, le Juif-Errant s’empresse de confier la
jeune comtesse à la première personne qu’il rencontre et regagne vivement la
coulisse », « impatienté par cet interminable duo, l’empereur Nicéphore ordonne
à un garde, non moins dévoué qu’indélicat, de se charger d’assassiner ces deux
chanteurs »). Le manque de crédibilité de ce « cauchemar » est signifié par la
convocation du réel qui annule l’illusion et l’identification théâtrales. Ainsi,
l’acteur jouant le rôle de Léon, toujours nommé par son véritable nom, ne rentre
jamais dans son rôle (« Voici M. Roger avec qui nous avons fait connaissance il y a
dix ans à l’Opéra-Comique. – Il est toujours le même, quoi que fort engraissé
[…] »), le trône de l’Impératrice est une « estrade élevée » et le miracle de
l’extinction du bûcher par Ahasvérus est cause de l’emploi de « bûches
économiques » qui « refusent de s’allumer ». Ce mauvais rêve ne conserve donc
rien de « biblique », tout élément ayant trait à la mystique divine étant rendu
prosaïque : le Juif-Errant n’est pas reconnu par le signe sanglant qu’il porte sur le
front mais par sa carte de visite, son passage par la mort et le jugement dernier
relèvent du songe, la vision de l’Enfer se résume à des diables qui « témoignent
par des sauts de carpe toute l’allégresse qu’ils éprouvent à exercer leurs
fonctions ». Cette dernière dégradation rappelle un avis critique auquel le
directeur du théâtre de l’Opéra, M. Nestor Roqueplan, répond dans une lettre
publiée par Le Constitutionnel. Devançant les commentateurs de la pièce, il
mentionne l’objection faite selon laquelle les « diables étaient trop gais » mais ne
voit pas « d’inconvénient à ce que les diables exprimassent par des cabrioles la
joie qu’ils éprouvent en voyant venir la riche proie qui leur est promise depuis la
chute du premier homme » ((N. Roqueplan, Critique du Juif-Errant : Roqueplan
embêté par Jules Janin, Paris, [s.n.], 1852, p. 13.)). Aussi Cham fait-il écho à ces
propos, de même quand il représente les « énormes trompettes » du troisième
acte par des boas géants (« ce nouveau procédé est de l’invention de M. Adolphe
Sax, rue Saint-Georges, à Paris »), M. Roqueplan évoquant la « forme antique »
donnée par l’inventeur aux instruments en termes de « boas enroulés » et de
« gueules de requin ». La démystification est donc totale, qui passe par le texte, le
dessin (personnages grotesques dans des poses outrées) et leur mise bout-à-bout,
l’ironie visant à la fois la mise en scène, la mise en musique (une « musette »
appréciée des Auvergnats présents dans le public), les chants (M. Roger « déclare
sa flamme en mi bémol ; sans le moindre bécarre à la clef ») et le sujet rebattu (la
première case montre M. Roqueplan hissant un Juif-Errant bien faible et vieilli sur
ses jambes). Précisons, après ces quelques exemples de Stop et de Cham, que si
l’association texte / image est fréquente dans la critique théâtrale, elle se fait
rarement en faveur de la séquence, pour les raisons évoquées d’économie de
place imposée par le journal : dessiner une longue pièce, en une ou deux pages,
nécessite soit de larges ellipses entre les images, soit le recours à plus de texte.
Quand Gustave Doré propose dans Le Journal pour rire sa version de la pièce
d’Eugène Sue, il préfère ainsi la parodie illustrée : Le Juif-Errant, complainte en
huit tableaux, avec jugement dernier, résurrection des morts, ciel, enfer et tous
les diables (22.05.1852).
2. Roman populaire et Victor Hugo
Le mythe du Juif-Errant connaît une extraordinaire diffusion, il est adapté de
multiples fois sur des supports divers et selon des optiques différentes, comme en
témoigne la bibliographie raisonnée en trois parties (1600-1844,
1844-1861, 1862-1960) réalisée par Edgar Knecht. Pour le XIXe siècle, le romanfeuilleton d’Eugène Sue est la version qui suscite sans doute le plus de parodies,
celle réalisée par Charles Philipon et Louis Huart, avec les illustrations de Cham,
étant « la plus réussie et la plus populaire » ((E. Knecht, « Le Mythe du Juif
Errant », Romantisme, n° 12, 1976, p. 96.)). Le roman-feuilleton et la littérature
populaire, très appréciés du public, sont les cibles de nombreuses réécritures
ayant recours à l’image. Comme le compte rendu théâtral, la séquence graphique
est utilisée pour la confection de résumés ou de commentaires parodiques. Dans
La Caricature, on peut parcourir Le Roman de M. Jules Mary, l’Ami du Mari
(24.04.1886) par Albert Robida – il brocarde cette « œuvre à sensation », selon les
mots du journal L’Impartial (16.03.1886) qui en publie les épisodes peu avant, par
la rengaine interjective « Méfiance ! Méfiance ! » – ou le roman de Louis Morin,
Le Cabaret du Puits-sans-vin, raconté par Trock (23.01.1886). Dans Le Rire,
Raymond Radiguet se moque franchement du genre par un Roman-feuilleton
express, Sans queue ni tête (29.05.1897), où les vives émotions du protagoniste
sont transcrites par des images prises au pied de la lettre – « il laissa tomber sa
tête dans ses mains », « ses bras tombent d’étonnement », « ses jambes se
dérobent sous lui » – au point qu’un raccommodage, ou plutôt un arrangement
avec la fiction, devient nécessaire : « Fort heureusement, huit jours après, le
comte, habilement recollé, se remettait de cette sinistre aventure ».
Là encore, toutes ces interprétations ne sont pas des bandes dessinées puisqu’on
trouve nombre de textes ponctués de vignettes illustratives, comme ceux publiés
par le Musée ou magasin comique de Philipon, périodique qui se veut le miroir
déformant des classiques et des nouveautés littéraires, des pièces de théâtre et
des romans populaires parodiés en des récits à suivre, dont Cham se fait parfois
l’auteur, souvent l’illustrateur. On y retrouve Eugène Sue et Les Mystères de
Paris, sous le titre Paris dévoilé ou les Mystères sus, et l’auteur le plus caricaturé
de la période, Victor Hugo, avec Les Burgs infiniment trop graves, réécriture
dégradante du drame historique hugolien (Les Burgraves, 1843), issue de la
collaboration de Louis Huart et de Cham. C’est seul en revanche, et en bande
dessinée, que le caricaturiste se livre à la parodie des Misérables, découpée en
dix parties publiées dans Le Journal amusant de septembre à avril 1862 sous le
titre Les Misérables de Victor Hugo, lus, médités, commentés et illustrés par
CHAM. David Kunzle et Jacques Dürrenmatt ont fourni l’analyse de cette
adaptation comique et ont souligné combien le dessinateur moque la présence
démiurgique de celui qui est présenté comme un « fabricateur ». La mise en
scène, tant sublime que grotesque, de Victor Hugo constitue pourtant « moins
une mise en cause d’un écrivain que Cham admire qu’une interrogation tacite sur
les libertés du romancier avec la vraisemblance » ((J. Dürrenmatt, « Les
Misérables sont-ils solubles dans la bande dessinée ? ou le défi de Cham »,
Choses vues à travers Hugo. Hommage à Guy Rosa, études réunies par C. Millet,
F. Naugrette et A. Spiquel, Valenciennes : Presses Universitaires de Valenciennes,
2008, p. 427. Voir aussi D. Kunzle, « Les Misérables de Victor Hugo, lus, médités,
commentés et illustrés par Cham (1862-1863) », Gazette des Beaux-Arts, n°
1398-1399, juillet-août 1985, pp. 22-34.)). Aussi, si le caricaturiste ne manque pas
de renvoyer à la matérialité de l’œuvre et aux contraintes éditoriales, l’écriture
feuilletonesque de Victor Hugo est épargnée des accusations auxquelles Cham
n’hésite pas, en revanche, à se livrer dans la parodie des Mystères de Paris, dans
le Musée Philipon. Il s’y pose effectivement en critique, réalisant un compte rendu
où sont épinglés les principes d’écriture du romancier. Par le pastiche – qui
souligne l’excès de digressions, le lexique argotique, les interminables
descriptions, les images frustes, le style larmoyant, les incohérences de la
narration, etc. – il met l’accent sur le côté mécanique d’un style enfermé dans une
rhétorique artificielle et systématique. Il y a, sous-jacente au plaisir du jeu
imitatif, une « idéologie de la charge » ((Selon l’expression que Gérard Genette
emploie dans Palimpsestes, Paris : Seuil, 1982, p. 103.)) qui dénonce le
maniérisme et la rigidité d’une écriture fabriquée. Le roman-feuilleton y apparaît
comme une supercherie littéraire ou « le lieu d’une fausse littérature destinée à
perdre le lecteur pour mieux le retenir. Il dénonce ainsi toutes les astuces par
lesquelles Eugène Sue accomplit son projet » ((B. Tillier, « Cham, le polypier
d’images », Parodies littéraires [réédition de feuilletons de Cham parus dans le
Musée Philipon], Paris : Phileas Fogg ; Jaignes : La Chasse au Snark, 2003, p.
84.)). Bertrand Tillier voit dans ce rejet de la littérature populaire une prise de
position réactionnaire :
Alors que la majorité des caricaturistes du XIXe siècle sont d’extraction sociale
modeste et acquis à la République, voire au socialisme, Cham a comme Bertall –
vicomte Charles-Albert d’Arnoux (1820-1882) – des origines aristocratiques qui
en font un dessinateur conservateur, adepte d’une forme de réaction qui
transparaît jusque dans ses parodies. Il rejette la noirceur du romantisme de
George Sand et de Victor Hugo qu’il assimile à la révolution ; il pourfend aussi
le roman-feuilleton à la manière d’Eugène Sue ou d’Alexandre Dumas comme
littérature de masse… ((Ibidem, p. 13. En cela, Cham se rapproche de Töpffer
qui condamne, notamment dans les Réflexions à propos d’un programme,
l’immoralité des romans de George Sand, de Paul de Kock, de Balzac.))
Mais le préfacier de rappeler aussitôt le paradoxe de celui qui va collaborer
pendant plus de trente ans au républicain Charivari, « tout en conservant son
indépendance absolue et sa liberté d’allures… », comme le souligne Gérome en
1883 dans l’introduction aux Folies parisiennes (compilation de caricatures de
Cham, publiée par Calmann Lévy). Le dévoilement des « ficelles » (le mot est
employé dans Les Mystères sus), la mise à nu des procédés de composition dictés
par le souci de la rentabilité et de l’accroche du lecteur semblent, en tous les cas,
les principaux objectifs de ces parodies qui tiennent de l’analyse littéraire sans en
avoir l’air. L’étiquette de pur divertissement attachée à la forme mi-écrite, midessinée (séquentielle ou non) devient un atout dans cette démarche de réelle
désacralisation où il convient d’ouvrir les yeux des lecteurs abusés. S’il y a bien
une forme de rejet d’une littérature jugée facile, il n’en demeure pas moins que
son succès même conditionne la réalisation de ces charges, leur donne une
visibilité, et justifie plus largement l’existence du Musée qui se fait « mise en
scène graphique des drames, des comédies du monde et des théâtres », comme
indiqué dans l’avis au public. Le poids et l’effet de ces caricatures sont également
à nuancer du fait même de la parodie envisagée comme un élément de
consécration, valorisant peut-être plus l’œuvre qu’elle ne la dégrade.
La vulgarisation des œuvres est effectivement une motivation à leur réécriture
comique. Les albums de Jules Baric, publiés par Arnauld de Vresse et
l’Association des Lettres et des Arts, sont rendus accessibles par leur prix (un
franc) et par l’image de divertissement qui est attachée au fascicule broché. En
deux volumes chacun ((Pour deux francs, l’acheteur obtient donc deux livrets
brochés tandis que le feuilleton de Cham, à relier par ses soins, lui coûte trois
francs cinquante.)), ils proposent la Parodie des Misérables (1862, cat. n° 60) puis
la Parodie de 93 (1874, cat. n° 67), dernier roman de Victor Hugo. La simplicité
des titres indique déjà une certaine neutralité, ils fonctionnent comme une
indication générique qui donne le contenu non comme une charge mais comme un
double comique tendant à l’illusion du même. La première intention semble donc
de faire rire à partir d’œuvres qui font l’actualité littéraire. Assez lourdement,
Baric se livre à l’adaptation graphique des Misérables en s’appuyant sur des jeux
de mots faciles (« Ces couverts découverts », « Bientôt nommé père et maire »),
sur des oppositions entre les textes et les images (« Il reconnaît dans Cosette la
fille de Fantine que les Thénardiers, deux dignes époux, ont élevée avec soin et
douceur », alors que l’on voit la fillette recevoir des coups de martinet) et sur des
paradoxes inconséquents (« Celui-ci lui témoigne sa reconnaissance en lui chipant
ses six couverts »). Jacques Dürrenmatt évoque une « insignifiante succession de
vignettes au graphisme maladroit et aux textes indigents » ((J. Dürrenmatt, « Les
Misérables sont-ils solubles dans la bande dessinée ? ou le défi de Cham »,
Choses vues à travers Victor Hugo, 2008, p. 416.)). Aucune distance critique ne
transparaît effectivement dans cette parodie qui épouse le déroulement du texte
source. Si Baric semble ainsi réaliser une lecture immédiate du texte de Victor
Hugo, il ne nous paraît pas en revanche, comme l’écrit Jérémy Benoît ((J. Benoît,
« La bande dessinée et Victor Hugo », Revue de la Bibliothèque Nationale, n° 27,
1988, p. 29.)), donner sa propre perception du roman ni procéder à une véritable
déstructuration du texte. Ni métadiscours, ni implicite suffisamment fort derrière
les jeux de la narration ne viennent révéler un quelconque positionnement du
dessinateur.
Ce désengagement est flagrant à comparer cette parodie d’une autre publiée
dans le journal La Lune, de mars-avril 1866 (« 8e lune »). Il s’agit des Travailleurs
de la mer, travaillés par Gill, fondateur de l’éphémère journal La Parodie ((Publié
de juin 1869 à janvier 1870, ce journal ne contient que deux bandes dessinées,
non parodiques.)). Soumis à des opérations qui relèvent de la critique en action,
le roman de Victor Hugo est bien ici « travaillé » par le biais d’une parodie non
plus attachée à la seule adaptation de l’histoire mais à son interprétation par le
biais d’un discours intercalé. Commencée à la une du journal, la parodie des
Travailleurs de la mer réduit les trois volumes publiés par les éditeurs A. Lacroix
et Verboeckhoven à un enchaînement de seulement dix-huit images. Il est donc
d’emblée impossible d’y voir André Gill suivre de près l’histoire de Victor Hugo
comme le fait Baric. Dès les premières lignes qui reprennent la préface écrite à
Hauteville-House en mars 1866, apparaît l’intention du caricaturiste qui est de
pointer les manies stylistiques du romancier et leur aspect grandiloquent. Il le fait
par des citations, signalées par des italiques et des parenthèses, où les
expressions du romancier, ainsi tirées de leur contexte, sont rendues
parfaitement ridicules. Les premiers mots s’attaquent donc à l’« anakè » de la
préface, cette personnification de la Nécessité, Gill ajoutant à l’« anakè des
dogmes, l’anakè des lois, l’anakè des choses » du texte source, « l’anakè de NotreDame, l’anakè des Misérables, l’anakè ceci, l’anakè par là » ainsi que « l’anakè
des dames, qui est la maternité, et les accoucheurs et les sages-femmes, qui sont
les Travailleurs de la mère ». Il présente ensuite les principaux personnages, dont
« la jeune Perruchette qui est “une exsudation de lumière” » (p. 93 de l’édition
citée) et « le petit papa de Perruchette “presque un monsieur”». Ici, le lecteur
doit faire preuve d’une solide connaissance de l’œuvre pour saisir pleinement le
jeu de la transposition : si Déruchette devient Perruchette c’est à la faveur de
l’analogie effectuée par Hugo dans la description de la jeune femme comparée à
un oiseau, et si Lethierry est « presque un monsieur » c’est parce que l’écrivain
s’applique à décrire les différentes appellations qui dressent une hiérarchie dans
la considération des personnes en Angleterre (« Mess Lethierry voyait
s’approcher le moment où il deviendrait monsieur. À Guernesey on n’est pas de
plain-pied monsieur. Entre l’homme et le monsieur il y a toute une échelle à
gravir », p. 125). Ce sont des passages extrêmement précis que cible Gill. À côté
de la mise en scène de Victor Hugo en démiurge – déjà réalisée par Cham dans la
parodie des Misérables –, du niveau de langue familier et des situations devenues
triviales, le procédé de parodie utilisé par Gill est celui qui consiste à placer des
images symboles en accompagnement d’un discours sur l’œuvre. Le dessinateur
sort du fil de l’histoire dès qu’il se consacre à la critique du roman, les images
illustrent alors le propos et ne sont plus ni narratives comme dans la parodie de
Baric, ni irréalistes comme dans le pied de la lettre employé par Stop, mais
fonctionnent comme des allégories. Le dessinateur distribue à trois reprises des
couronnes de lauriers – en référence, peut-être, au buste de Victor Hugo
couronné de lauriers, réalisé par David en 1842 – que le texte désigne comme des
récompenses :
Le dessin ci-dessus que nous intitulerons : 1er grand prix de bateau à vapeur, est
le faible hommage d’un cœur reconnaissant à l’immortel poëte, qui n’a pas
consacré plus de quarante petites pages à la construction des paquebots en
général et de la Durande en particulier.
Comme on le voit, l’intérêt va croissant : l’auteur le porte à son comble en
quittant tout à coup la langue française pour continuer son récit en patois
espagnol.
Ci : premier grand prix d’argot contrebandier.
Upa, mignouns, alerte.
Ceci fait, l’auteur passe à d’autres exercices et, pendant toute la fin du
deuxième et la bonne moitié du troisième volume, s’applique à prouver qu’il est
matelot fini, menuisier, forgeron, Mathieu Laensberg, mécanicien, Robinson
Crusoé et toute sorte de choses (sic), comme pas un.
Nous n’aurons jamais assez de couronnes !
L’image réaliste d’un revolver puis celle totalement régressive d’une pieuvre à
visage souriant (le mot « pieuvre » est introduit dans la langue française à partir
de cet emploi par Victor Hugo), signalent encore le métadiscours :
Utile dulci. Après l’agréable, l’utile. Le poëte ressaisit la langue française et
nous enseigne l’art d’acheter un revolver trois louis et de s’en faire 75 000
francs. Pour plus amples renseignements, s’adresser à Clubin.
Oh ! ce poulpe ! mes enfants, ce céphalopode, ça n’a l’air de rien ; mais comme
c’est trouvé, cette pieuvre ! comme elle est caduque à côté de ça, la croix de ma
mère ! Et comme il en joue, le poëte ! Il la connaît ! il l’a tâtée, il l’a auscultée,
il lui a fait tirer la langue, il lui a tâté le poulpe, à cette pieuvre, et il lui a dit :
« Tu es une bête à succès ! ».
La richesse lexicale, les morceaux de bravoure et autres pauses dans le tissu
narratif auxquels se livre le romancier sont ainsi ironiquement commentés,
stigmatisés et singés par les interruptions dans la narration graphique. Parce qu’il
s’agit d’un commentaire sur l’œuvre, qui pointe des effets d’écriture très localisés
et joue sur l’implicite, cette parodie fait appel aux facultés interprétatives du
lecteur et à sa capacité de se remémorer le texte original. Contrairement aux
parodies de Baric, qui sont des doubles où la connaissance du texte cible ne
conditionne pas réellement leur compréhension, cette parodie d’André Gill « ne
possède d’existence qu’en fonction de son modèle », comme le note à tort selon
nous Jérémy Benoît à propos des Misérables de Baric ((J. Benoît, « La bande
dessinée et Victor Hugo », Revue de la Bibliothèque Nationale, 1988, p. 29.)).
Entre les histoires de ce dernier et celle d’André Gill se dessine la distinction faite
notamment par Daniel Sangsue entre la parodie avec intention de simplement rire
et faire rire (encore faut-il y parvenir) et la parodie réalisée dans un but satirique,
avec l’intention de se moquer des procédés du texte et de l’auteur. Il s’agit dans
le second cas d’une « satire parodique, qui correspond à la transformation
parodique d’un texte dans le but de railler ce texte (la cible de cette parodie est
alors textuelle) » ((D. Sangsue, La relation parodique, 2007, p. 245.)). La
narration s’y interrompt souvent pour laisser place au discours critique tandis que
l’histoire est déroulée continûment, sans intervention de la voix auctoriale, dans
le premier cas illustré par les Misérables de Baric. Nous ne comprenons pas
pourquoi Jérémy Benoît écrit à propos de cet album que « chaque vignette se
suffit à elle-même, et ne s’explique pas nécessairement par ses relations avec la
précédente ou la suivante », et encore moins ce qu’il entend par « ni le texte ni le
dessin ne transcrivent de scènes particulières qui permettraient de faire
progresser l’histoire » ((J. Benoît, « La bande dessinée et Victor Hugo », Revue
de la Bibliothèque Nationale, 1988, p. 29.)). Il y a bien à la fois cohésion et
progression narratives dans cette parodie comme dans d’autres histoires en
images de la période et aucune vignette ne s’autonomise au point de se suffire à
elle-même, comme ce peut être le cas dans les séquences hybrides. Les légendes
nous paraissent au contraire tisser les images entre elles par le biais d’anaphores
(« celui-ci », « les deux [soupe et abri] lui sont offerts ») et de connecteurs
(« mais », « et », « alors », « puis », « aussi »).
3. Poésie romantique et littérature pastorale
Parodier un classique de la littérature, par le biais d’une forme neuve et
marginale, est un acte de désinvolture en même temps qu’il se fait hommage et
moyen de se placer aux côtés d’une œuvre reconnue, d’en tirer une partie de la
gloire. Dans l’écriture de leur légende, certains dessinateurs convoquent ainsi des
auteurs et des genres étrangers au registre comique auquel est vouée l’histoire
en images au XIXe siècle. Timoléon Lobrichon, pour sa part, semble se livrer, dans
les premières planches de l’Histoire de Mr Grenouillet (1856), à une parodie
d’incipit où les légendes font preuve d’une sensibilité littéraire en contraste avec
le prosaïsme des images. Il remplit d’abord la fonction d’information de la case
inaugurale en présentant le protagoniste de l’histoire, « le vertueux Mr
Grenouillet » (amateur de pêche parfaitement niais), dont on apprend qu’il est
« né sur les bords de la Seine » (telle une grenouille), qu’il « se plaît à voir lever
l’aurore » et « à remplir son existence des plaisirs les plus purs » : l’image le
montre sur une chaise à fabriquer des cocottes en papier qui s’alignent par ordre
de taille sur une table. Face à la vacuité inavouée de l’existence du héros, le
narrateur s’ingénie dans les deux planches suivantes à remplir le contrat de
l’introduction, capter le lecteur, en présentant les faits sous un angle autrement
plus imaginatif. La famille de cocottes en papier étant complète (deux grandes et
deux plus petites), Grenouillet reste assis bêtement sur sa chaise, les mains et les
jambes croisées, quand le texte nous apprend qu’il « jette sur l’avenir un coup
d’œil plein d’espérance » ; promesse de moult aventures à venir. Cependant,
Grenouillet s’endort et commence à basculer sur les pieds arrière de la chaise, le
narrateur poursuit avec une métaphore à la fois poétique et biblique : « Trouve
que le torrent de la vie est un fleuve de miel ». L’élision du sujet rattache
directement cette phrase à la précédente qui pourtant se termine par un point,
elle donne le sentiment que le narrateur est poussé par le sommeil du personnage
à enchérir, pour le faire oublier, par une réflexion métaphysique. Troisième
planche (fig. 89), Grenouillet s’est complètement endormi, bouche ouverte vers le
ciel, « Et abandonne à son paisible cours, la nacelle de son innocence ». La
« nacelle de son innocence » est une expression que nous avons trouvé employée
dans un livre spirituel rapportant les écrits de Saint Jean Climaque, auteur d’une
« Échelle de perfection » – Eschelle de Saint Jean Climacus enrichie des plus
belles fleurs du Pré spirituel (1622) ((« Le cœur droit se développe de la variété
des choses, & vogue sûrement dans la nacelle de son innocence », édition Adrian
Taupinart, 1622, p. 205.)). Là, dessin et texte ne savent comment remplir la case
qui présente en son centre une courbe, un point et un tiret large, en gras, comme
pour reproduire la figure stylisée d’une montgolfière, tandis que l’espace de la
légende est comblé d’une ligne de points. L’envol dans le pays des songes, via la
« nacelle », est de la sorte signifié par un dessin qui rompt l’unité de la séquence,
laisse le lecteur en déroute et la narration en suspens. Le narrateur reprend la
main case suivante où l’emprunt d’une métaphore, cliché du style classique que
l’on retrouve presque littéralement dans les Aventures de Télémaque de Fénelon,
relance l’histoire : « Par une belle matinée d’été ; l’aurore de ses doigts de rose
ouvrait à peine les portes de l’Orient ». Enfin, il peut relâcher le niveau de langue
et les péripéties sont en mesure de s’enchaîner à partir du moment où « Mr
Grenouillet prend son parapluie, sa ligne, son sac, ses asticos et le chemin de la
Seine ». Par cet étrange commencement, Lobrichon interroge ironiquement les
raisons d’être de la fiction (par l’inconsistance de son sujet) et la mise en fiction
elle-même (par l’enrobage littéraire et le jeu avec les images) : comme dans les
récits excentriques ou qui cultivent l’autodérision, l’incipit se fait bien ici « le lieu
par excellence de la rupture puisqu’il s’agit d’y inscrire la trahison de l’écriture.
On ne peut y affirmer que le refus de commencer, le refus de se donner les
moyens de continuer à dire » ((J. Dürrenmatt, « “Comment l’ouvrir ?” ou Nodier
et l’infaisable chapitre », L’Incipit, textes réunis et présentés par Liliane Louvel,
Poitiers : La Licorne, UFR de Langues et Littératures, 1997, p. 220.)).
Fig. 89 – T. Lobrichon, Histoire de Mr Grenouillet, Arnauld de Vresse, 1856, pl. 3. Source : Coll. Indiana State University Library.
Tout au long de l’album, le peintre joue ainsi avec les conventions de la
représentation : en plus des amorces et des paralipses (évoquées précédemment),
le lecteur est confronté à des images qui se constituent en preuve, en document
authentique. Jouant de l’oscillation des points de vue, il propose à plusieurs
reprises des cases où sont dessinés en gros plan des éléments de l’histoire
détachés de l’ensemble : le pantalon déchiré de Mr Grenouillet (illustrant la
morsure d’un chien, pl. 8), le costume complet du pays qu’il adopte sur les îles
Kakaïkakouka (des boucles d’oreille et un collier placés dans la case de manière
suggestive, fig. 90) et les éléments qui prouvent son « amour national » (la moitié
de son pantalon et un parapluie, pl. 37). Le temps de ces images en trompe-l’œil,
la figuration narrative est comme interrompue, comme effacée au profit de
l’image « indicielle » et mimétique, qui tend à l’effet de présence des objets
représentés. Au lecteur de renouer avec les images narratives (comme lorsque les
dessins sont tronqués et posent le problème de l’articulation du détail à
l’ensemble de la séquence) et de retrouver, au-delà de cette disjonction dans le
cours du récit, l’unité de l’œuvre. L’effet est le même, semble-t-il, que celui étudié
par Daniel Arasse en peinture, au sujet du détail sur lequel le spectateur
s’attarde, le faisant « sortir » de la scène figurée et se rapprocher de la toile, en
dépit de l’idée selon laquelle le tableau classique est peint pour être regardé à
distance. La peinture de paysage joue constamment sur le va-et-vient du détail à
l’ensemble, l’effet de plaisir du tableau tenant à cette promenade du regard, entre
rapprochement et mise à distance ((D. Arasse, Le Détail, pour une histoire
rapprochée de la peinture, Paris : Flammarion, 1996, pp. 248-249.)). Les images
citées de Mr Grenouillet paraissent correspondre au détail « iconique » qui fait
signe dans le tableau en imitant un objet ou une partie d’objet, donné à voir dans
sa ressemblance, et qui se retourne parfois en attirant le regard sur la matière
picturale :
L’iconique fait donc surgir la « peinture pure ». Il en est même le domaine
d’élection dans la mesure où il détourne l’imitation de sa fin mimétique. Car la
fascination du détail iconique tient à ce que l’imitation à son comble fait
souhaiter voir la présence de la peinture en acte dans le tableau, alors même
que cet acte de la peinture s’est savamment effacé au profit de l’image, aboli au
profit de l’effet de présence de l’objet qu’il a représenté. Fascination car ceci,
que je vois, n’est pas l’objet même que je vois – que ce soit un ongle, une fleur,
une fourrure ou une pipe. Mais ce qui fait que je vois, la peinture, se cache dans
sa présence même, devenue, par mimétisme, l’apparence de son double
(absent). ((Ibidem, p. 272.))
C’est bien sur la manière dont il conduit le récit par le biais d’images de
différentes natures (figuratives, démonstratives, symboliques) que le peintre et
dessinateur Lobrichon met l’accent par ces différents cadrages et points de vue
((À noter que ces détails graphiques se retrouvent dans d’autres albums,
notamment dans Deux vieilles filles vaccinées à marier (1840) où Cham joue
constamment, lui aussi, sur les changements de point de vue.)).
Fig. 90 – T. Lobrichon, Histoire de Mr Grenouillet, Arnauld de Vresse, 1856, pl. 36. Source : coll. Indiana State University Library.
Interrogeant également l’acte de création, Gustave Doré profite de la parodie du
récit de voyage pour réaliser celle d’un poème célèbre, dans Des-agréments d’un
voyage d’agrément. À la planche 14 de l’album, César Plumet gravit le
Montenvert sur le flanc duquel se trouve « une foule d’amateurs qui y écrivent
leur pensée en vers ». Et le touriste de « se sentir d’humeur poétique » et de jeter
« sur le granit ces quelques rimes pleines d’une verve sauvage et incorrecte ».
Suivent quatre strophes de vers rimés : la première chante les prétentions
artistiques de Plumet (« Idées de Passementerie / Fuyez de ces saints lieux / Mon
cœur s’ouvre et sourit / À des astres plus radieux »), la seconde convoque le
cliché de la mélancolie romantique (« Je souhaiterais qu’un mal rongeur / Vint me
trouver sous ces cieux / Me faire mourir de langueur / Comme les poêtes mes
aïeux / Avec un de ces fronts soucieux !… »), la troisième évoque l’amour
désabusé (« N’ai-je pas une femme / D’un cœur étroit / Comme un détroit ») et la
quatrième révèle la parodie pour qui reconnaît le poème d’Alphonse de Lamartine
(« Que le vent qui gémit / Le roseau qui soupire / Que le parfum léger / De ton air
embaumé / Que tout ce que l’on voit / L’on sent et l’on respire / Tout dise : j’y
étais »). Le lecteur n’ayant pas identifié Le Lac, le plus célèbre poème des
Méditations poétiques (1820) ((Dixième poème du recueil, il porte dans la
première édition le titre Ode au lac de B… qui se trouve être le lac du Bourget, en
Savoie.)), est informé par une note de l’éditeur : « Entraîné par la verve sauvage
et incorrecte, Mr Plumet n’a pas songé qu’il écrivait là du Lamartine avec
variations ». Par ce parostiche (parodie du poème identifié et pastiche de la
poésie romantique) ((Face à la difficulté de distinguer entre parodie et pastiche,
Paul Aron et Jacques Espagnon ont choisi de recourir au mot-valise
« parostiche », qui désigne « toute transformation du style associé à un nom
d’écrivain ou de mouvement littéraire reconnu », P. Aron, « Formes et fonctions
du parostiche dans la presse française au XIXe siècle », Poétiques de la parodie et
du pastiche de 1850 à nos jours, Oxford, Bern, Berlin : P. Lang, 2006, p. 255. )),
Gustave Doré fait triple coup puisqu’il se moque des poncifs romantiques
((Inspiré, comme M. Plumet, par l’opéra de Guillaume Tell, M. Denis, homme de
lettres, écrit lui aussi ses impressions de voyage, dans le feuilleton La Suisse en
1840 (Jean DuBois et Charles DuBois-Melly, Le Papillon, 1889). Tandis qu’il
attend, comme cent-qarante-cinq autres touristes, de « voir lever l’aurore le plus
tôt possible », il décrit « le phénomène » à l’avance : « La nuit est étoilée, le ciel
est pur, l’atmosphère d’une grande clarté. On dirait que la Nature alpestre,
silencieuse…. ». À la déception des touristes le soleil n’est finalement pas visible
en raison d’un épais brouillard, mais M. Denis « n’en poursuit pas moins
heureusement sa description du phénomène : “…..On dirait que la Nature
alpestre, silencieuse, tressaille et se recueille dans l’attente des splendeurs
inénarrables et des paradisiaques voluptés, rayonnement de la beauté
immortelle….” etc. etc. » (22.01.1890).)), continue de priver César Plumet de tout
talent créatif et assimile le poème de Lamartine à quelques vers « sauvagement »
– et le mot « sauvage », associé à celui d’« incorrect », ne convoque pas l’image
d’une nature refuge louée par Rousseau – gravés sur une pierre de montagne, par
imitation d’autres touristes, afin de pouvoir dire « j’y étais ». Images américaines
et concrétisations graphiques de métaphores usées sont l’arsenal de la satire, et
Philippe Hamon cite également ces procédés rhétoriques comme le moyen pour
les écrivains de rendre la « platitude », le nivellement du voyage à l’ère moderne
((P. Hamon, Imageries, 2007, p. 383.)). Nous avons déjà évoqué ces procédés, à
propos notamment de Rodolphe Töpffer qui fait de l’état amoureux l’une des
cibles favorites de la caricature.
Un épisode des Amours de Mr Vieux Bois situe ainsi le protagoniste et l’« Objet
aimé » au plein cœur d’une montagne, où « Mr Vieux Bois embrasse la vie
pastorale » (pl. 64). Depuis les poèmes bucoliques de l’Antiquité, la littérature
pastorale prend pour sujet la célébration de la vie à la campagne et les amours
pudiques de ses habitants, des bergers et bergères traditionnellement. Tous les
clichés du genre sont alors déclinés dans ces cases où la parodie se signale par la
récurrence des adjectifs jouant sur leur sens générique – « vie pastorale » (à
nouveau pl. 68), « danses bucoliques » (pl. 66), « palanquin bucolique » (pl. 69).
Sous « le nom provisoire de Tircis » (pl. 64), clin d’œil au berger de la fable Tircis
et Amarante de La Fontaine, Mr Vieux Bois mène sa bien-aimée boire du lait en
montagne, lui joue un air de flûte, s’adonne à traire une vache, exécute de
gracieux pas de danse, « déniche » (il lui fait voir un nid rempli d’oisillons) et
accompagne la transhumance. Thierry Smolderen note que Töpffer s’amuse ainsi
« à confronter graphiquement deux mondes idéologiques diamétralement
opposés : le monde artificiel de l’industrie – mécanique, répétitif et comique ; et
celui du roman pastoral – naturel, varié, charmant et archaïsant » ((Il s’interroge
également, constatant l’emploi de l’anaphore, sur la reprise par auto-parodie de
la structure en alternance d’un pamphlet de Töpffer, Du progrès dans ses
rapports avec le petit bourgeois (1836), Naissances de la bande dessinée, 2009, p.
48.)). Jean-Jacques Rousseau, dont la lecture a eu une grande influence sur
Töpffer, ne fait pas autre chose dans le célèbre passage des Rêveries d’un
promeneur solitaire lorsqu’il découvre, alors qu’il s’ébahit de la beauté du
paysage, une manufacture de bas au cœur d’une forêt des Alpes. Dans cette
« septième promenade », l’activité humaine, symbolisée par « des carrières, des
gouffres, des fourneaux, un appareil d’enclumes, de marteaux, de fumée et de
feux », oppose un vif contraste aux « douces images des travaux champêtres » et
à celles de « bergers amoureux » ((« Je ne saurois exprimer l’agitation confuse et
contradictoire que je sentis dans mon cœur à cette découverte. Mon premier
mouvement fut un sentiment de joie de me retrouver parmi les humains où je
m’étois cru totalement seul ; mais ce mouvement, plus rapide que l’éclair, fit
bientôt place à un sentiment douloureux plus durable, comme ne pouvant dans les
antres même des Alpes échapper aux cruelles mains des hommes acharnés à me
tourmenter. […] Mais, en effet, qui jamais eût dû s’attendre à trouver une
manufacture dans un précipice ! Il n’y a que la Suisse au monde qui présente ce
mélange de la nature sauvage et de l’industrie humaine », J.-J. Rousseau, Œuvres
complètes, tome XXXIII, Bruxelles : Th. Lejeune, 1828, p. 121 et p. 128.)). Dans
Les Amours de Mr Vieux Bois, la parodie concerne également l’esthétique
pastorale, Rodolphe Töpffer prenant soin de situer le duo assorti au contexte
(chapeau de paille, gilet et bâton de berger) à gauche dans deux larges vignettes
(pl. 64 et 65), laissant voir le paysage de montagne, pâturages où se plaisent
chèvres et vaches.
C’est dans l’objectif de trouver l’inspiration à des tableaux idylliques que Patric et
Patrac sont envoyés par Henri Hébert en expédition à la campagne. Sous le long
titre Patric et Patrac partant en tournée d’études artistiques emportent un livre
qu’ils méditent en chemin et voient comme quoi le texte concorde
merveilleusement avec toutes leurs aventures (1883, cat. n° 15), l’album genevois
donne une parodie d’un recueil de poésies d’Alphonse de Lamartine ((Engagé
dans les Gardes du corps de Louis XVIII, le poète trouve refuge en Suisse lors des
Cents-Jours, en 1815. Ressouvenir du Lac Léman introduit le recueil des
Méditations poétiques (1820).)) – comme une réminiscence des odes envoyées à
M. La Bartine et du recueil intitulé « Harmonies orageuses » (pl. 13) dans
l’Histoire d’Albert de Töpffer. Il s’agit de « parodie minimale », telle que
l’envisagent les rhétoriciens classiques, qui consiste en une technique de citation,
de reprise littérale d’un texte connu et son application à un contexte nouveau
((D. Sangsue, La relation parodique, 2007, chap. « La parodie à l’âge classique »,
pp. 32-36.)). Chaque vignette relatant le voyage des deux artistes est ainsi dotée
d’un texte narratif en prose et, en dessous, de quelques vers de poésie. Leur
provenance est indiquée sur le dessin de la couverture, où l’on voit les
protagonistes pointer du doigt un chevalet sur lequel repose un livre ouvert sur
les mots « Harmonies Poëtiques. Par M. de Lamartine ». Dans la partie inférieure
du premier plat est également indiqué « Dessins par Henri Hébert », « Paroles de
M. de Lamartine ». Le dessinateur extrait du recueil Harmonies poétiques et
religieuses (1831) des vers de différents poèmes qu’il fait dialoguer avec la scène
figurée. La recontextualisation a lieu à la faveur de correspondances entre l’idée
développée par les vers et le thème de l’image ou, plus drôlement, entre un mot
ou deux et le sujet du dessin. Première planche, chute de l’un des personnages
sur le chemin du départ :
Nous marchons dans un siècle où tout tombe à grand bruit.
Vingt siècles écroulés y mêlent leur poussière.
Fables et vérités, ténèbres et lumière
Flottent confusément devant notre paupière,
Et l’un dit : C’est le jour ! et l’autre : C’est la nuit ! ((Harmonie V, Hymne au
Christ.))
Deuxième planche, Patric et Patrac font une halte le temps d’allumer une pipe :
La nue enflammée
Où ton front se perd
Vomit la fumée
Comme un chaume vert. ((Harmonie VIII, Jéhovah ou l’idée de Dieu.))
La parodie consiste évidemment au détournement du sens initial des vers
romantiques de Lamartine. Gravité mélancolique et invocations spirituelles se
trouvent ainsi aplaties, dévoyées, comme lorsque Patrac joue à maintenir en
équilibre son chapeau sur le nez et son parasol sur le doigt tandis que son ami rit
à en pleurer (pl. 4) – « Pour moi je ne sais pas à quoi tu me prépares, / Mais tes
mains de leçons ne me sont point avares ; / Tu me traites, sans doute, en favori
des cieux / Car tu n’épargnes pas les larmes à mes yeux ! » ((Harmonie VII,
Hymne à la douleur.)) –, avant qu’ils ne soient empoignés par un gendarme (pl. 5)
– « Et que sa volonté, trop haute pour nos yeux, / Soit faite sur la terre comme
dans les cieux ! » ((Harmonie IV, L’infini dans les cieux.)). Les citations poétiques
peuvent aussi apporter un complément de sens, les légendes en prose étant
laconiques. Le texte d’Henri Hébert est en effet des plus étranges, il se distingue
par un usage particulier des points de suspension qui lui permet de proposer une
phrase élastique ((J. Dürrenmatt, Bien coupé mal cousu, 1998, p. 46.)), qui
commence planche 1 et prend fin planche 16, avant la dernière page de moralité.
Chaque portion de cette unique légende est encadrée de points multiples, qui
marquent la continuité et autorisent la liberté prise avec la norme syntaxique :
« Patric et Patrac partent…. / …et cherchent avec une foi aveugle…. / ……et
patratra !……. / ……puis Eureka !…….. » (pl. 1-2). Le recueil d’Alphonse de
Lamartine fait alors office de guide de voyage, pour le lecteur comme pour les
deux artistes. L’auteur dessine l’ouvrage dans les images et y réfère
régulièrement dans l’histoire, que Patric et Patrac « commentent le texte et voient
comme quoi il concorde merveilleusement avec leurs aventures » (pl. 2), qu’ils
« cherchent des consolations hors des textes » (pl. 12), qu’ils entament une
« rentrée poëtique… » avec « moult emberlificotages dans les textes » (pl. 15), ou
qu’ils finissent la journée par « une halte fritzlandoltifiante » en entamant un
chant – le néologisme renvoie à Franz Liszt (1811-1886), compositeur inspiré de
Lamartine qu’il rencontre à Paris dans les années 1830 ((Le départ des artistes,
première case, est également représenté par Patric et Patrac empruntant le
chemin indiqué par Saint Luc (saint patron des artistes peintres et sculpteurs),
qui repose sur une nuée de flammes. À droite de la route figure le recueil où se lit
le titre Harmonies, posé lui aussi sur un tapis de flammes : « L’espace étincelle /
La flamme ruisselle / Sous ses pieds sacrés ; », Harmonie III, Hymne au matin.)).
Les Méditations poétiques et religieuses sont comme le pendant positif au
« guidebook » tenu par « un alpinstick », touriste que l’art des deux peintres ne
touche pas – « Mes trésors sont cachés, ma joie est un mystère, / Le vulgaire
l’admire et ne la comprend pas ! » ((Harmonie XI, L’Abbaye de Vallombreuse.
Dans les Apennin.)) (pl. 11). Patric et Patrac sortent parfois de l’itinéraire
poétique et les citations s’en trouvent suspendues. Il y a lacune de vers, dans
certaines cases en effet, que le dessinateur signifie de diverses façons.
L’apparition de protagonistes sur la route de l’expédition artistique occasionne
des cases placées en fin de planche, elles introduisent le ou les nouveaux
personnages et marquent l’attente du sens, une forme de suspens, par un
pictogramme représentant le livre poétique surmonté d’un point d’interrogation.
Ainsi le gendarme (qui apparaît planche 3 mais intervient dans l’histoire planche
5), le touriste anglais (fig. 91) et le groupe de promeneurs (enfants et maître qui
font penser aux Voyages en zigzag de Töpffer, pl. 11) sont-ils présentés par une
case étroite où le signe graphique interroge leur rôle à venir. L’autre option pour
signifier l’interruption des citations est une ligne (ou deux) de points terminée par
un point d’exclamation. Par cette représentation visuelle de la poésie absente, le
dessinateur signifie son incapacité à trouver une correspondance, le point
d’exclamation laissant entendre sa déconvenue, sa stupéfaction. Elle survient
lorsque les artistes se laissent aller au plaisir de la boisson (pl. 10) ou qu’ils
délaissent momentanément la lecture (pl. 12) – elle convoque également l’idée de
l’usage fait par les auteurs romantiques, dont Lamartine, des points dupliqués
comme moyen d’inscription de l’inexprimable émotion ((J. Dürrenmatt, Bien
coupé mal cousu, 1998, p. 45.)). Henri Hébert conclut sur une moralité – « Ici
prend fin l’histoire véridique de deux tableaux célèbres, médaillés, et achetés par
le gouvernement pour la collection Biolet » – et les images des deux toiles
chacune intitulée « Idylle » et couronnées d’un « Grand prix d’honneur
(partagé) ».
Fig. 91 – H. Hébert, Patric et Patrac, H. Maire, 1883, pl. 10. Source : Coll. Bibliothèque de Genève (Ia855).
Idylle est le sous-titre donné à une séquence de presse publiée en France et
inscrite, nous l’avons dit ((Chap. II.B.1. Concentration narrative et cas limites.)),
dans le sillage des œuvres de Rodolphe Töpffer. Elle est réalisée par Stop et
paraît sur trois pages du Journal amusant sous le titre Les Aventures de la belle
Aurore et du chevalier de Pincebourde (21.06.1862). Après les comptes rendus
parodiques de l’actualité théâtrale, Stop se livre ici au pastiche du style propre à
l’idylle, à l’origine un poème court à sujet bucolique. Il commence par reprendre
la thématique de la rencontre amoureuse dans un cadre naturel. Aurore, femme
mûre n’ayant pas encore trouvé mari, croise le chevalier de Pincebourde,
« homme de mœurs pures », sur les bords d’un cours d’eau où il pêche ; un
incident, provoqué par une vache, lève l’embarras de la timidité et aboutit à un
mariage célébré « avec une grande pompe ». Scène typique de l’idylle : la belle
Aurore, âme en peine, se voit « rêveuse et mélancolique, errer dans la verte
campagne » et « écouter, à l’ombre d’un ormeau, les tendres roucoulements des
tourterelles ». Refrain töpfferien, l’errance dans « la verte campagne » est
réitérée. Au plan stylistique, Stop imite la simplicité langagière par des
syntagmes canoniques où l’épithète se fait ornementale et naïve – Aurore se
promène « au bord d’un clair ruisseau » et dans « l’onde pure » aperçoit une
ligne. Il place des références mythologiques – « tel que dût être Narcisse »,
« comme Vénus » – et contourne les choses concrètes par une langue imagée
qu’accompagnent des images allégoriques – « elle n’avait point encore trouvé
l’occasion d’enchaîner sa foi », l’image montre Aurore qui coiffe Sainte Catherine.
Le comique réside, là encore, dans les rapports entre la préciosité du texte et des
personnages – le regard de Pincebourde émeut Aurore qui « sent son front
s’embellir des roses de la pudeur » – et la réalité des images. La campagne
ingénument décrite l’est tout autant dessinée, l’alignement d’arbres rappelant le
paysage monotone de Mr Boniface, tandis que la délicatesse énoncée d’Aurore se
perd dans l’image : « son soupir », en réponse au « plus tendre des aveux », est
signe de malaise et sa sortie « comme Vénus, du sein de l’onde » nécessite le
renfort du chevalier. Cette histoire naît de l’imaginaire et du jeu, ce qui est
signifié dans la première case par un décor de maquette symbolisant l’ « honnête
petite ville de province » (fig. 24). Elle est assimilée à un conte : « Il y avait une
fois », « Ils vécurent longtemps heureux, et eurent beaucoup d’enfants ». D’autres
bandes dessinées, nous l’avons souligné, empruntent ainsi les formules du conte
de fées ((Chap. I.B.2. Images données de l’œuvre et de l’auteur : « seuils » et
« postures ».)), notamment celles de Cham qui convoque souvent le modèle
populaire et le parodie.
4. Contes de fées
Entré dans le monde lettré à la faveur de Charles Perrault et du recueil qu’il
publie en 1697, Histoires et contes du temps passé, avec des moralités, le conte
profite au XIX e siècle d’un regain d’intérêt. Il est notamment ramené en son
domaine natif, celui de la culture populaire, par le biais de la feuille volante qui
en propose de multiples interprétations. Attachée à conquérir le marché naissant
de l’imprimé pour l’enfance, l’image populaire s’empare du conte et en fait un
véritable filon :
Les contes de Perrault inspirent en effet la plupart des grands centres imagiers
français tout au long du XIXe siècle, constituant tout à la fois un classique de
leur répertoire, un atout de leur production en temps de crise économique, un
thème-refuge sous les régimes de forte censure et, comme il apparaîtra dans
cet article, une importante source de profits. ((A. Renonciat, « Et l’image, en
fin de conte ? Suites, fantaisies et variations sur les contes de Perrault dans
l’imagerie », Romantisme, n° 78, 1992, p. 103.))
Annie Renonciat divise ainsi la pléthore de contes en images produite par
l’imagerie en deux grandes familles de représentations : celle qui transcrit les
textes de l’académicien dans le système qui leur est propre et celle qui intervient
sur les textes de référence par le biais de différentes procédures aussi créatives
que fantaisistes. Adaptations théâtrales et musicales, variations sur les thèmes,
créations de suite, déplacements dans le domaine iconographique, autant de
libertés prises avec le texte source qui donnent lieu à de plus ou moins heureuses
interprétations. Le réemploi se fait également en fonction d’une lecture et d’un
usage modernisés des contes, attachés à renforcer leurs vertus pédagogiques déjà
soulignées au temps de Charles Perrault. Le renouvellement passe par l’emploi
des images, mises au service du message éducatif. La puissance et la violence des
dessins servent les fonctions d’avertissement et de dissuasion des contes :
La presque totalité des feuilles se termine donc sur l’effrayante vision de la
dévoration du Petit Chaperon rouge par le loup, prétexte à de multiples
variations de l’image et du texte qui toutes renchérissent sur le drame final […].
Certaines vignettes, particulièrement effrayantes, présentent l’enfant (ou l’un
des membres de l’enfant) dans la gueule du loup dont les dents font saillie […].
((Ibidem, p. 107.))
Eu égard au dessein d’instruction donné à l’Imagerie artistique par Albert
Quantin, un tel usage de l’image serait attendu dans la série n° 16 consacrée aux
contes de fées. À l’inverse, les entorses à la morale que s’autorisent certains
dessinateurs issus de la presse satirique laissent imaginer des pratiques
d’appropriation marquées par la désinvolture propre à l’expression séquentielle.
Pourtant, il n’en est rien. La série de vingt feuilles qui adaptent les contes de
Perrault, de Marie-Catherine d’Aulnoy et d’Hans Christian Andersen, manifeste
une parfaite sobriété, dans les textes comme dans les images. Les premières et
dernières cases reprennent littéralement le texte de référence tandis que les
dessins sont réalisés dans un style académique, il n’y a de surenchère ni dans la
morale ni dans la violence – les moralités qui concluent les textes de Perrault sont
d’ailleurs absentes de ces feuilles. L’attaque du loup (E. Chaperon, Le Petit
Chaperon rouge, n° 2) ou la découverte des femmes égorgées (Edyck, Barbebleue, n° 7) ne sont que suggérées, l’image se limitant à montrer l’élan de
l’animal sur la fillette et la stupeur de la femme de Barbe-bleue. Ces images, par
ailleurs, tiennent plus souvent du récit illustré que de la séquence – par exemple,
les deux épisodes du Petit Poucet (P. Steck, n° 1) où les parents tentent de perdre
leurs enfants dans la forêt sont résumés en une seule image. La verve et
l’imagination de dessinateurs comme Benjamin Rabier, O’Galop ou Jean d’Aurian
sont ainsi contenues par un désir de conformité à l’hypotexte émanant
probablement de l’éditeur parisien et ces feuilles entrent donc dans la première
catégorie de représentations définie par Annie Renonciat.
Il s’agit dans l’Imagerie Quantin d’une transposition dans le domaine graphique
des contes de fées. Sans qu’ils appartiennent là encore au domaine strictement
séquentiel, les textes donnés par Cham au Musée ou magasin comique de Philipon
sont, en revanche, de réelles parodies des contes de Perrault. Le caricaturiste
s’empare en effet des contes les plus connus, Barbe-bleue (en collaboration avec
Eugène Forest, 1ère livraison), Le Petit Chaperon rouge (dessins de Forest, 4ème
livraison), La Belle au bois dormant (7ème livraison), Cendrillon (29ème livraison), Le
Petit Poucet (40-42-44èmes livraisons) et Le Chat botté (44ème livraison). À noter qu’il
n’est pas absolument certain que l’ensemble des textes soit de la main de Cham,
les dessins seuls étant parfois attribués au caricaturiste. Ces parodies ponctuées
d’images ne cherchent pas à modifier la structure des contes mais s’attachent
précisément à en dénoncer l’immoralité ou l’absurdité. La critique se lit
notamment dans les antiphrases qui introduisent ou concluent les parodies :
Les contes de fées sont destinés à former l’esprit et le cœur de la jeunesse ; ils
sont surtout merveilleux pour développer le bon sens des jeunes lecteurs
(Barbe-bleue).
MORALITÉ. Ce conte doit inspirer aux enfants le respect et l’amour pour les
auteurs de leurs jours, – la reconnaissance pour les bienfaits qu’on a reçus, –
l’honneur du mensonge et de l’improbité, enfin l’amour du travail, qui seul peut
honorablement enrichir l’artisan (Le Petit Poucet).
À la même période, en 1842, Cham donne cette fois une parodie en bande
dessinée, publiée par Aubert dans la Collection des Jabots dont elle est le dixième
titre. L’Histoire du prince Colibri et de la fée Caperdulaboula ne réfère à aucun
hypotexte déterminé mais se présente comme la parodie du genre du conte de
fées. Mis en vente la même année que les Aventures de Télémaque, l’album
affiche un premier plat similaire où dans un texte de présentation se mêlent
réalité et fiction (cat. n° 30). Cham met alors en œuvre ses procédés favoris de
parodisation – anachronisme, illogisme, burlesque, jeu de mots, contrepoint texte
/ image, euphémisme – dans une histoire qui respecte le schéma narratif du conte
e
e
traditionnel ((En un temps indéterminé, que les costumes situent au XVI ou XVII
siècle, un Roi demande à la fée Caperdulaboula de lui donner une épouse, ce
qu’elle fait en un « moulinet » de baguette. La Reine attend un enfant et formule
un vœu en voyant passer dans le ciel un magnifique oiseau ; elle est entendue par
la fée qui l’exauce. Elle accouche instantanément d’un enfant couvert de plumes,
le prince Colibri. Le Capitaine des Gardes trouve ensuite la baguette que la fée
perd lors d’un combat avec le Roi mécontent. Il s’empare du pouvoir et chasse
Roi, Reine et Prince. Errant désemparés sur la route, ces derniers croisent le
chemin d’un saltimbanque qui achète Colibri et l’expose comme curiosité à
Catchouka, capitale des Iles Racatoutchi. Pendant ce temps, le Capitaine des
Gardes, un soir où il avait trop bu, allume sa pipe avec la fameuse baguette, ce
qui a pour effet de « déplumer » le prince. Le Capitaine est destitué et empalé sur
la baguette. Le prince et ses parents peuvent remonter sur le trône.)). Elle se
présente comme la parodie du conte initiatique où la famille royale passe par une
série d’humiliations avant de recouvrir son autorité sans qu’aucune évolution,
évidemment, ne se manifeste dans la gestion du pouvoir : « Il monta sur le trône
avec ses augustes père et mère et continua le gouvernement du Capitaine des
Gardes en faisant empaler le 6e 1/2 de la population » (pl. 30). Cham retourne
également l’épilogue traditionnel :
Le Prince Colibri continua d’être heureux, perdit de bonne heure ses parents,
régna tout seul et épousa la sœur d’un professeur de cornet à piston attaché à la
Cour du Roi de Lahore ; il eut beaucoup d’enfants et mourut dans un âge peu
avancé.
Fort des parodies données au Musée Philipon, le caricaturiste manifeste une
bonne connaissance des principes du genre. Il reprend l’idée de la métamorphose
animale comme celle du souhait absurde et inconsidéré ((« Nombreux sont les
contes de fées qui racontent la suite tragique de ces souhaits irréfléchis que l’on
formule parce qu’on désire excessivement certaines choses ou parce qu’on est
incapable d’attendre qu’elles viennent à leur heure : deux états d’esprit qui sont
typiques de l’enfant. […] Je crois qu’il y a quelque chose d’encore plus important :
je ne parviens pas à me rappeler un seul conte de fées où un souhait négatif
d’enfant aurait une conséquence quelconque. Seuls ceux des adultes en ont. Le
conte sous-entend que les adultes sont responsables de ce qu’ils font par colère
ou par sottise, alors que les enfants ne le sont pas », B. Bettelheim, Psychanalyse
des contes de fées, Paris : Pocket, 2002, pp. 110 et 113.)). Le schéma actantiel se
trouve lui aussi parodié puisque les rôles traditionnellement distribués sont ici
interchangeables. La fée est tantôt un adjuvant (elle donne une épouse), tantôt un
opposant (elle exauce le vœu, « sans savoir lequel », pl. 11) ; le Capitaine des
Gardes est également un opposant (il chasse le Roi) puis un adjuvant (son ivresse
permet d’annuler le vœu). À l’inverse du conte d’initiation, les personnages ne
sont pas maîtres de leurs actes, ils ne font preuve d’aucun courage, les faits se
déroulent selon un concours de circonstance qui est l’œuvre de l’imagination du
caricaturiste (la fée entend le vœu de la Reine parce qu’elle « se trouvait dans un
buisson voisin à cueillir des fraises » pl. 11). Dans cette parodie, Cham laisse
courir sa fantaisie qui prend appui sur les caractéristiques génériques, les codes
du récit mais ne fait pas entendre, comme dans le Musée Philipon, une critique du
bien-fondé moral des contes. C’est dans le périodique uniquement qu’il se situe
du côté des éducateurs du XVIIIe siècle, réprouvant les contes comme une lecture
néfaste pour l’enfant, et donc à rebours de son siècle où en a lieu une relecture
positive.
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voyage en images
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