La Polyvalence…

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Association
ABREASS
/www.abreass.fr
Revue
Contrepoint
n°4
:
Les
dimensions
de
la
pratique
1er
novembre
2014
La
Polyvalence…
Entre
Tumultes
et
Perspectives
Annie
Baqué
–
Letemplier
Assistante
sociale
Conseillère
technique
La
Polyvalence
est
une
notion
centrale
de
l’action
sociale
et
du
travail
social
dans
les
départements.
Qu’en
est‐il
aujourd’hui
?
Est‐elle
encore
d’actualité
?
Des
questions
certes
utiles
pour
progresser
dans
la
compréhension
d’une
pratique
singulière
mais
qu’on
doit
appréhender
dans
sa
complexité
pour
tenter
de
la
définir.
Depuis
son
émergence,
la
polyvalence
est
un
lieu
d’exercice
du
métier
d’assistant
social
en
France,
puisqu’il
concerne
plus
de
40
%
de
la
profession.
Pratique
intégrante
d’une
culture
professionnelle
(éthique,
déontologie,
méthodologie)
et
d’un
corpus
référé
aux
sciences
humaines,
elle
a
structuré
des
années
durant
la
pratique
des
professionnels
dans
la
pluri
dimensionnalité
de
son
exercice.
Longtemps
envisagée
à
l’aune
d’une
«
approche
globale
»
des
personnes
et
des
situations,
elle
a
pu
également
se
réduire
à
une
forme
organisationnelle
susceptible
d’évolutions
au
gré
des
contextes.
Pour
autant,
ces
formes
successives
qu’elle
a
connues,
et
connait
encore
aujourd’hui,
n’ont
jamais
tout
à
fait
rendu
compte
de
ce
qui
en
constituait
le
principe.
Par
ses
fondements
et
par
les
dimensions
sociales
auxquelles
la
polyvalence
est
confrontée,
elle
est,
en
effet,
amenée
à
«
déborder
»
le
cadre
initial
de
sa
définition,
pour
se
situer
sur
un
terrain
dont
le
caractère
généraliste
impose
une
prise
en
compte
particulière
de
l’Humain.
La
rédaction
de
cet
article
s’inscrit
dans
une
évolution
de
l’exercice
de
la
polyvalence
qui
s’est
profondément
modifié
au
plan
notamment
des
postures
professionnelles.
Le
contexte
social
est‐il
le
seul
facteur
explicatif
de
cette
reconfiguration
?
Pour
partie
sans
doute.
Mais
il
me
semble
que
«
la
mutation
»
dont
on
parle
n’est
pas
la
seule
raison
du
malaise
que
rencontrent
aujourd’hui
les
professionnels
de
la
polyvalence.
Après
celui
de
la
santé,
de
la
justice,
de
l’éducation
le
paradigme
néolibéral
a,
petit
à
petit,
sans
qu’on
n’y
prenne
garde,
envahi
notre
champ
professionnel
;
nous
en
mesurons
aujourd’hui
les
conséquences
sur
les
pratiques,
le
rapport
à
la
personne
et
la
formation.
Plus
de
trente
ans
d’expérience
dans
ce
métier,
m’ont
mise
au
contact
quotidien
des
ressentis
et
des
désarrois
des
professionnels.
Ceux‐ci
me
semblent
participer
d’un
questionnement
et
d’un
sentiment
général
d’une
perte
de
la
raison
du
métier,
d’une
1
déshumanisation
possible
de
la
pratique,
d’être
de
plus
en
plus
positionnés
comme
des
agents
d’application
des
politiques
publiques.
Il
ne
s’agit
pas
bien
sûr
s’en
remettre
à
une
vision
idéalisée
du
travail
social
où
tout
ne
serait
que
bons
sentiments,
ni
de
se
vouer
à
un
modèle
«
expert
»,
mais
de
tenter
de
dégager
les
éléments
structurants
du
métier
d’assistant
social
dans
cet
exercice
particulier
de
la
polyvalence.
Je
tenterai
ainsi
d’en
référer
sommairement
à
l’histoire
pour
réappréhender
les
conditions
d’une
émergence
en
essayant
ensuite
de
mettre
en
perspective
les
écueils
d’une
polyvalence
soumise
aux
cadres
d’une
rationalisation.
Il
m’a
enfin
semblé
utile
de
poursuivre
la
réflexion
en
la
resituant
dans
la
pluralité
de
ses
dimensions.
Emergence
et
déclin
d’une
notion.
La
polyvalence
a
fait
l’objet
de
nombreuses
recherches
et
publications.
Mon
objet
n’est
pas
ici
l’exhaustivité
d’une
histoire
marquée
par
de
multiples
influences
(politiques,
philosophiques,)
mais
de
rappeler
quelques
jalons
de
cette
histoire
pour
essayer
d’en
dégager
une
problématique
générale1.
Dans
un
début
du
20e
siècle
marqué
par
les
révolutions
sociales,
les
guerres,
l’industrialisation
et
son
lot
de
misères
et
de
pauvreté
sanitaires
et
sociales,
la
polyvalence
nait
dans
le
giron
d’une
volonté
politique
et
d’une
nécessité
sociale.
La
double
vision
du
travail
social
avec
deux
modes
d’interventions
est
alors
très
présente
:
celui
de
la
restauration
et
du
suivi
des
personnes
(début
du
Social
Case
Work
de
Mary
Richmond)
et
celle
de
l’intervention
sur
le
milieu
de
vie,
avec
en
France
l’existence
des
«
maisons
sociales
».
Il
s’agit
de
coordonner
les
diverses
composantes
d’un
travail
social
«
éclaté
».
La
polyvalence
est
très
marquée
dès
ses
origines
par
une
empreinte
médico‐
sociale
et
une
ambition
éducative
pour
lutter
contre
les
«
fléaux
sociaux
»
de
l’époque.
On
attribue
à
Henry
Sellier2
la
paternité
du
terme
et
d’une
politique
sociale
familiale
ancrée
dans
un
territoire
:
«
Il
initie
ainsi,
dès
1919,
d’abord
au
niveau
de
Surennes,
puis
au
niveau
national,
la
mise
en
place
d’un
service
social
familial
polyvalent
et
territorialisé.
Il
préconise
également
la
création
des
comités
départementaux
de
coordination
des
services
sociaux3
.»
On
assiste
dès
lors,
jusqu’aux
années
cinquante,
à
une
lente
formalisation
d’une
aide
sociale
et
médico‐sociale
qui
va
contribuer
à
«
re
professionnaliser
»
le
métier
d’assistant
social
dans
une
dénomination
de
polyvalence.
Il
fusionnera,
en
1938,
la
formation
d’infirmières
visiteuses
et
celle
d’assistantes
sociales
en
un
diplôme
d’Etat
d’assistant
social
avec
des
formations
communes
avec
les
infirmières
les
deux
premières
années,
jusqu’en
1968.
1
Les
lecteurs
intéressés
par
cette
histoire
s’en
retourneront
avec
profit
aux
ouvrages
de
:
‐
Perrot
G.,
Fournier
O.,
Salomon
G.M,
L’intervention
clinique
en
service
social.
Les
savoirs
fondateurs
(1920
1965),
éd.
ENSP,
coll.
Politiques
et
interventions
sociales,
2006.
‐
Guerrand
R.H,
Moissinac
C.,
Henri
Sellier,
urbaniste
et
réformateur
social,
Paris,
La
Découverte,
2005.
2
Henri
Sellier,
maire
socialiste
de
Suresnes
(département
1914
à
1941,
puis
ministre
de
la
Santé
du
Front
Populaire
qui
est
le
concepteur
de
la
polyvalence
de
secteur.
3
Anne
Catal,
Quel
avenir
pour
la
polyvalence
de
secteur
?
Revue
Lien
social,
n°
708,
2004,
p.4.
2
On
peut
pointer
le
caractère
novateur
de
l’émergence
d’un
travail
social
généraliste
dans
son
approche
de
la
personne,
de
la
famille
et
des
situations.
La
circulaire
du
22
octobre
1959
va
approfondir
la
notion
de
polyvalence
en
élargissant
son
spectre
d’intervention.
Par
voie
de
conséquence,
les
savoirs
dont
elle
doit
se
doter
sont
plus
larges
et
vont
concerner
les
champs
sociologiques,
sanitaires
et
sociaux
et
psychologiques.
Dès
lors,
il
est
inscrit
que
le
service
public
«
met
à
la
disposition
des
usagers,
des
sanitaires,
sociaux,
économiques,
psychologiques
et
de
les
aider
à
mettre
en
œuvre
les
moyens
d’y
porter
remède
avec
le
concours
éventuel
des
services
spécialisés4.»
En
parallèle,
la
même
année,
le
décret
du
7
janvier1959,
viendra
préciser
la
nécessité
d’une
coordination
départementale
des
services
sociaux,
la
polyvalence
ayant
également
un
rôle
à
jouer
ici
dans
la
répartition
des
réponses
spécialisées.
Cette
double
mission
:
celle
d’une
intervention
sociale
généraliste,
centrée
sur
la
personne
et
la
famille
d’une
part,
celle
d’autre
part
d’une
mission
de
liaison
ou
de
coordination
avec
les
services
spécialisés
autour
d’une
problématique
donnée
(handicap,
maladie,
etc.),
va
présider
à
une
ambigüité
qui
constituera,
comme
on
le
verra
plus
loin,
le
terrain
d’un
déclin
possible
de
la
notion
de
polyvalence.
Non
pas
que
la
notion
de
coordination
soit
inappropriée,
il
convient,
en
ce
sens,
d’harmoniser
les
champs
d’intervention.
Pour
autant,
on
voit
le
risque
d’une
polyvalence
pouvant
dériver
vers
une
lecture
fonctionnelle
de
sa
pratique.
Dans
les
décennies
suivantes,
la
polyvalence
s’inscrira
dans
la
déconcentration
administrative
des
services
de
l’état
dans
les
départements,
puis
par
les
lois
de
décentralisation,
elle
viendra
organiser
l’intervention
sociale
des
départements5.
Autrement
dit,
dans
tous
les
départements
de
France,
un
modèle
de
polyvalence
va
s’installer
dans
la
coexistence
d’un
souci
de
la
personne
et
de
la
famille,
avec
le
souci
d’une
administration
efficace.
C’est
ainsi
que
la
polyvalence
me
semble
faire
partie
d’un
processus
de
légitimation
ambigüe
où
une
des
composantes
(approche
globale
de
la
personne)
peut
possiblement
être
inféodée
à
l’autre
(prégnance
de
la
coordination,
du
référent
principal,
etc.).
Ce
hiatus
en
recouvre
d’ailleurs
un
autre
qui
est
celui
d’une
confusion
continue
entre
la
fonction
et
le
rôle.
Ajoutons
à
cela
la
fameuse
critique
de
l’inefficacité
du
travail
social.
La
ré
interrogation
permanente
des
pratiques
professionnelles
vient
en
effet
contester
la
définition
du
métier
énoncé
dans
son
principe
en
1959.
En
relisant
des
articles
parus
depuis
vingt
ans
sur
le
sujet,
j’ai
trouvé
une
certaine
récurrence
dans
la
critique
de
«
l’inefficacité
»
de
la
polyvalence,
parlant
de
«
crises
»,
d’une
«
nécessaire
réorganisation
»
et
réinterrogeant
à
chaque
fois
les
pratiques
des
professionnelles.
Si
l’on
se
réfère
à
certains
de
ces
écrits,
la
polyvalence
devrait
être
morte
depuis
longtemps
!
En
1995,
Patrick
Simon
ne
considérait‐il
pas,
dans
une
charge
sévère,
que
la
crise
de
la
polyvalence
était
à
juger
en
considération
d’une
société
en
mouvement6.
Un
autre
article
de
D.
Lallemand
paru
dans
les
ASH
en
2000,
témoignait
ainsi
des
nouvelles
réorganisations:
«
face
aux
mutations
de
l’action
sociale,
les
départements
réorganisent
4
Anne
Catal,
op.
cit.
p.4.
5
Pour
une
présentation
plus
exhaustive
de
cette
période
voir
l’article
de
Brigitte
Gabout,
Etat
des
lieux
de
la
Polyvalence,
au
service
de
qui
travaillons
nous?
ABREASS,
Contrepoint
N°1,
p.39.
6
Patrick
Simon,
Le
travailsocial,
1995.
3
leurs
services La
polyvalence
n’est
pas
morte
et
reste
un
des
pivots
de
l’accueil
et
de
l’accompagnement
des
personnes
mais
c’est
au
prix
d’un
véritable
«
lifting7
».
En
2004,
Anne
Catal
interrogeait:
«
Le
concept
de
polyvalence
subit
un
déficit
d’image
et
pourrait
même,
pourquoi
pas,
être
abandonné
à
l’avenir8
»
L’argument
«
d’un
monde
qui
change
»
est
donc
toujours
l’objection
des
contempteurs
de
la
polyvalence.
Ils
en
appellent
à
se
ranger
derrière
le
drapeau
de
la
«
mutation
»
avec
des
remises
en
cause
des
pratiques
professionnelles
qu’ils
ont
eux
mêmes
contribuées
à
soumettre
aux
politiques
publiques.
Ils
proposent,
comme
à
chaque
fois,
une
refondation
des
métiers
sociaux.
Mais
la
position
est
difficile
à
tenir
car
on
ne
peut
être
dans
le
reniement
des
valeurs
qu’on
énonce
pourtant,
à
titre
de
justifications.
Nous
pouvons
tous
admettre
que
les
enjeux
sociaux
se
soient
modifiés
et
aggravés.
Reste
que
les
problèmes
humains
et
sociaux,
même
si
les
modalités
de
leurs
expression
sont
différentes,
ne
peuvent,
ni
se
comparer
ni
se
réduire
à
une
technologie
sociale
en
mouvement
(communication,
management,
etc.).
A
l’épreuve
d’une
rationalisation
Arrivant
à
leurs
termes,
les
critiques
de
la
polyvalence
se
sont
traduites
dans
nombres
de
départements
par
des
réorganisations
diverses
et
perpétuellement
interrogées,
mettant
l’accent
sur
la
recherche
d’une
forme
adéquate
aux
attendus
administratifs.
Si
les
principes
de
la
polyvalence
continuent
à
être
énoncés,
si
elle
constitue
encore
un
terrain
d’investigation,
elle
est
l’endroit
même
du
paradoxe.
Son
énoncé
coexiste
avec
des
obligations
et
des
organisations
qui
viennent
la
contredire
et
reconduire
le
brouillage
des
repères
professionnels.
Cette
situation
a
abouti
au
déploiement
d’une
multitude
de
«
formes
»
de
polyvalences
;
pour
faire
court
:
polyvalence
de
secteur
/
polyvalence
en
îlots
/
ou
polyvalence
en
pôle
accueil
couplée
au
pôle
accompagnement
(voire
accompagnement
scindé
en
pôle
enfance
et
pôle
insertion).
Il
me
semble
important
d’insister
qu’en
perdant
de
son
unité
(historiquement
la
polyvalence
était
exclusivement
rattachée
au
métier
d’assistante
sociale),
elle
a
potentiellement
perdu
sa
consistance
pour
se
fondre
dans
des
approches
par
missions,
fonctions,
et
par
la
création
de
nouveaux
métiers.
Dans
cette
logique
instrumentale,
l’accueil
et
l’accompagnement
sont
de
plus
en
plus
conçus
et
«
traités
»
dans
une
optique
formelle
:
de
tâches,
de
temps
compté
et
de
lieux
spécialisés,
alors
que
la
polyvalence
a
toujours
privilégié
une
dimension
éducative
avec
une
temporalité
adaptée,
permettant
de
créer
les
conditions
d’une
écoute
compréhensive
de
la
personne.
Cette
situation
est
illustrée
par
l’inflation
des
«
fiches
de
liaisons
».
Elles
sont
bien
entendu
les
bienvenues
dès
lors
qu’elles
améliorent
la
prise
en
compte
d’une
demande.
Pour
autant,
leur
multiplication
comme
mode
privilégié
de
traitement,
a
non
seulement
pour
effet
de
dé
singulariser
une
demande
mais
il
peut
aussi
produire,
par
son
caractère
d’automaticité,
un
effet
de
dépossession
des
capacités
des
personnes
à
faire
valoir
leurs
7
Dominique
Lallemand,
Les
nouveaux
visages
de
la
polyvalence,
Revue
Actualités
Sociales
Hebdomadaires
n°2179,
2000.
8
Anne
Catal,
op.
cit.
p.9.
4
particularités.
Cette
pratique
s’est
petit
à
petit
généralisée
et
n’est
plus
guère
interrogeable.
Cette
logique
est
également
très
signifiante
quand
elle
ne
se
pense
qu’au
regard
d’une
catégorie
de
personnes
ou
d’une
problématique
:
logement,
insertion,
etc.
Les
professionnels
de
la
polyvalence
ont
vu
arriver
les
contrats
«
contraints
»,
autrement
prédictifs.
En
effet,
il
ne
fait
pas
bon
être
«
pauvre
»
!
Du
contrat
d’insertion
pour
le
RSA,
au
contrat
logement
du
FSL
pour
entrer
dans
un
premier
logement,
en
passant
par
le
contrat
éducatif
en
Aide
Educative
à
Domicile
(A.E.D),
on
a
là
tous
les
socles
de
cette
révolution
de
sens.
Sans
compter
sur
le
caractère
aberrant
du
nombre
de
travailleurs
sociaux
mobilisés
autour
d’une
même
famille
qui
n’échappe
à
personne
mais
a
pourtant
fabriqué
la
nécessité
d’un
«
référent
principal
».
Mais
jamais
n’est
interrogé
le
bien
fondé
de
ces
contrats
dans
la
vie
d’une
personne
ou
d’une
famille
:
on
pense
l’action
en
termes
d’interventions,
de
prescriptions,
de
parcours,
d’étapes
successives
pour
aboutir
à
l’objectif
fixé,
comme
si
la
vie
se
pensait
rationnellement
!
Enfin,
dans
le
champ
des
expressions
représentatives
de
la
prégnance
du
technique
sur
le
pédagogique,
«
la
régulation
»
est,
par
exemple,
devenue
un
de
ces
maîtres
mots
dont
le
champ
social
abonde.
Il
faudrait
sans
doute
s’y
arrêter
plus
longuement.
Disons
que
dans
cet
arsenal
de
dispositifs
régulateurs,
prescripteurs
(nous
ne
jurons
plus
que
par
le
contrat),
organisateurs,
la
polyvalence
a
perdu
sa
spécificité
au
profit
d’une
visée
fonctionnaliste
qui
«
aboutit
à
l’atomisation
des
missions,
à
la
réification
de
la
personne
humaine
comme
à
celle
des
professionnels,
sous
l’angle
d’un
«
étant
»
ou
d’un
«
devoir
être
»9.
Il
y
aurait
tellement
à
dire
sur
cette
question
du
brouillage
des
repères
que
les
exemples
donnés
ici
n’y
suffisent
probablement
pas.
Je
ne
doute
pas
que
les
professionnels
poursuivront
la
tâche
et
l’analyse.
J’ai,
pour
ma
part,
retenu
une
double
problématisation
qui
sert
à
me
situer
professionnellement
:
Suis‐je
donc
inscrite
dans
une
visée
fonctionnaliste
ou
dans
une
visée
éducative
?
Ils
trouveront
peut
être,
dans
la
question,
le
ciment
d’une
résistance
qui
les
aidera
dans
les
débats
institutionnels
actuels.
Dans
ce
contexte,
qu’il
faut
pour
le
moins
comprendre
et
appréhender
pour
tenter
d’en
réduire
les
effets
pour
les
personnes,
il
convient
aussi
de
regarder
au
delà
et/ou
en
deçà.
Tout
ne
marche
pas
si
bien
dans
ce
monde
que
l’on
veut
huilé
et
efficient.
Çà
résiste
car
de
toute
façon
l’humain
obéit
à
tout
autre
chose
qu’à
cette
mise
en
adéquation
des
attendus
et
des
résultats.
Une
pratique
incarnée
Dans
les
années
1990,
le
terme
d’intervention
sociale
est
venu
se
substituer
au
terme
générique
de
travail
social.
L’intervention
sociale
contient
l’idée
d’action,
elle
est
volontariste,
elle
renvoie
à
une
exécution,
elle
est
possiblement
imposée
à
une
personne
ou
à
une
catégorie.
La
spécialisation,
l’émergence
de
nouveaux
métiers
missionnés
pour
des
publics
dits
«
spécifiques
»,
donnent
consistance
à
cette
approche
par
mission
et
intervention.
Cet
engouement
pour
«
le
spécialisé
»
a
conduit
à
privilégier
le
prescrit
au
9
Charte
d’ABREASS
sur
:
http://www.abreass.fr
5
détriment
d’un
processus
de
compréhension
et
d’orientation.
Il
est
venu
percuter
la
notion
de
polyvalence
en
déconsidérant
le
terrain
dans
lequel
elle
trouve
sa
réalité.
Cette
notion
de
polyvalence
s’entend
communément,
dans
le
champ
professionnel
notamment,
comme
une
capacité
et
une
compétence
à
effectuer
des
tâches
de
différentes
natures,
à
définir
et
prendre
en
charge
leurs
«
process
».
En
cela,
la
polyvalence
renvoie
à
une
effectivité
(ce
qui
se
fait,
ce
qui
se
voit)
et
à
une
efficience
(ce
qui
se
mesure,
ce
qui
est
utile).
Je
me
suis
rendue
compte
que
c’est
probablement
cette
optique
que
les
initiateurs
avaient
à
l’esprit,
dans
le
social,
quand
la
notion
fut
développée.
Sans
doute
cette
approche
est‐elle
encore
manifeste
aujourd’hui.
Mais
il
me
semble
que
c’est
là
une
conception
tout
à
fait
restrictive
de
la
notion.
Je
crois
en
effet
que
la
polyvalence
recèle
un
implicite
dont
le
spectre
va
bien
au
delà
de
l’énoncé.
Comme
souvent,
le
choix
d’un
mot
dépasse
son
intention
initiale.
Dans
le
registre
scientifique,
la
valence
se
définit
comme
«
la
capacité
de
combinaison
(d’un
élément
chimique)
».
A
cette
Valence
a
été
associé
le
préfixe
grec
Poly
qui
signifie
nombreux
au
sens
de
la
multiplicité.
Appliquée
au
travail
social,
la
polyvalence
s’inscrit
d’emblée
dans
la
multiplicité
des
tensions
et
des
expressions
sociales.
Elle
est
certes
concernée
par
les
principes
directeurs
de
l’action
sociale
(cohésion
sociale,
lien
social,
lutte
contre
les
exclusions)
mais
elle
va
au
delà
de
l’énoncé
général
pour
tenter
de
relier
ce
qui
se
délie,
pour
appréhender
une
complexité
et
promouvoir
des
réinscriptions
sociales.
Ainsi,
la
notion
de
polyvalence
concerne
également
le
registre
de
la
valeur.
On
sait
en
effet
que
l’étymologie
de
la
valence
vient
du
latin
Valere
qui
signifie
valoir,
autrement
dit
d’accorder
une
légitimité
à
ce
qui
vaut,
et
dans
une
optique
large
:
ce
qui
vaut
pour
«
le
social
»,
ce
qui
vaut
pour
l’Homme,
ce
qui
vaut
pour
le
métier
;
de
là
trois
perspectives
qu’il
me
semble
nécessaire
d’envisager
pour
définir
la
polyvalence
aujourd’hui.
Du
registre
social
La
polyvalence
est
là
où
les
questions
sociales
et
politiques
se
conjuguent
dans
la
prise
en
compte
de
la
misère
et
de
la
pauvreté.
Elle
est
au
carrefour
de
rapports
sociaux
qui
posent
la
question
du
vivre
ensemble,
de
la
protection
sociale
et
de
ce
que
nous
dénommons
communément
la
cohésion
sociale.
Elle
est
en
cela
au
cœur
de
ce
qui
fait
lien.
Ainsi,
on
dira
que
ce
qui
vaut
pour
le
«
social
»
c’est
la
prise
en
compte
du
lien
social
comme
élément
générateur
de
protections
pour
l’individu
(«
la
société
de
semblables
»
chez
R.
Castel),
dans
une
logique
de
reconnaissance
sociale
mais
aussi
dans
une
prise
en
compte
de
sa
singularité.
«
Le
propre
de
la
socialisation,
nous
dit
Serge
PAUGAM,
est
de
permettre
à
chaque
individu
de
tisser,
à
partir
de
la
trame
que
lui
offrent
les
institutions
sociales,
les
fils
de
ses
appartenances
multiples
qui
lui
garantissent
le
confort
de
la
protection
et
l’assurance
de
la
reconnaissance
sociale.
Mais
ce
tissage
n’est
pas
identique
d’un
individu
à
un
autre10
».
En
ce
sens,
la
polyvalence
incarne
en
pratique
une
volonté
politique
démocratique,
laïque
et
d’égalité.
Elle
s’est
fait
un
devoir,
dans
son
histoire,
d’accueillir
tout
public,
tout
individu,
quelque
soit
sa
nationalité,
sa
situation
sociale,
son
appartenance
culturelle
ou
10
Serge
Paugam,
les
différents
liens
sociaux
et
leurs
ruptures
www.cmh.ens.fr/
eris/pdf/liens
sociaux
et
ruptures.
6
religieuse,
quelque
soit
son
âge,
qu’il
soit
homme,
femme,
enfant,
de
la
naissance
à
la
mort.
On
voit
bien
comment
la
polyvalence,
par
sa
position
dans
ce
jeu
social,
est
impliquée
dans
une
nécessaire
démarche
d’ouverture
au
monde
social,
démarche
qui
implique
à
son
tour
l’analyse
d’une
situation
corrélée
au
mode
d’être
d’une
personne,
position
qui
contribuera
à
la
définition
de
ce
qui
est
un
métier.
Elle
intègre
la
dimension
de
l’humain
dans
le
social,
du
lieu
de
vie
(celle
d’un
secteur
par
exemple),
d’un
environnement
dans
les
modalités
d’existence.
Son
crédo
est
d’articuler
et
de
combiner
ces
éléments
pour
se
situer
dans
la
perspective
d’une
approche
par
:
«
recomposition
»,
«
re‐mobilisation
».
Elle
ne
se
situe
pas
uniquement
dans
un
traitement
des
situations,
aussi
difficiles
qu’elles
puissent
être.
Elle
est
toujours
et
d’emblée
dans
une
perspective
des
possibles.
Cette
vision
dynamique
d’un
travail
social
polyvalent
tournée
vers
une
dimension
éducative
au
sens
large
du
terme,
suppose
la
prise
en
compte
d’une
pluralité
de
significations
et
d’enjeux.
Il
s’agit
pour
la
polyvalence
de
prendre
précisément
en
compte
les
effets
de
lieux,
de
postures,
de
catégorisation
car
elle
doit
travailler
également
au
plan
des
représentations.
On
sait
trop,
en
effet,
combien,
par
l’approche
rationnelle
de
l’individu,
l’exclusion
et
la
pauvreté
sont
traitées
comme
des
phénomènes
naturels/individuels,
voire
des
handicaps,
et
qu’ils
sont
trop
souvent
«
désincarnés
de
leurs
conditions
de
production11.
»
Or,
il
est
important
de
ne
pas
oublier
qu’une
demande
d’aide
financière
quand
les
personnes
vivent
sous
le
seuil
de
pauvreté
est
d’abord
une
question
de
manque
de
ressources
avant
d’être
un
problème
de
gestion.
De
même,
la
souffrance
psychique,
qui
peut
conduire
à
un
basculement
dans
une
forme
de
pathologie
après
des
années
de
chômage,
de
sentiment
de
déclassement,
est
aussi
une
question
qui
renvoie
au
délitement
du
lien
social
pouvant
se
combiner
à
un
problème
individuel.
Du
registre
de
l’humain.
Une
autre
dimension
de
la
polyvalence
est
aussi
celle
qui
la
fait
être
d’emblée
du
côté
de
l’humain
et
de
la
protection
;
quand
bien
même
cette
protection
pourra
prendre
dans
certain
cas,
la
voie
de
l’arbitraire.
Je
pense
ici
à
ce
qui
découle
de
la
prise
en
charge
et
qui
conduit
à
gérer
les
situations
de
vulnérabilités
dans
le
champ
de
l’enfance
ou
des
adultes.
Autant
dire
que
le
souci
de
l’humain
doit
se
conjuguer
avec
l’impératif
du
métier.
Je
pointais
plus
haut
que
la
polyvalence
se
distinguait
par
sa
capacité
à
agir
sur
ce
qui
fait
lien
au
sens
global
du
terme.
Elle
se
distingue
également
par
la
nécessité
d’une
prise
en
compte
anthropologique
de
ce
qui
fait
lien.
L’humain
ne
peut
être
réduit
à
l’état
d’une
situation
ou
d’une
condition,
tel
que
le
chômage,
la
séparation,
les
violences
intra
familiales,
où
on
a
trop
tendance
à
constituer
«
le
problème
»
en
délaissant
son
arrière
plan.
C’est
typiquement
là
le
rôle
du
travail
social
que
de
considérer
les
difficultés
sous
jacentes
pour
tenter
d’amener
à
modifier
des
comportements.
Autrement
dit,
on
est
ici
dans
l’émergence
d’un
«
projet
»
qui
est
à
concevoir
dans
la
prise
en
compte
des
capacités
ou
des
facultés
de
la
personne
(j’y
reviendrai)
mais
aussi
dans
ce
qui
s’exprime
par
ses
«
empêchements
».
«
Rétablir
le
lien
social,
réaffilier
socialement
les
personnes,
11
Voir
à
ce
sujet
Joël
Letempler,
Travail
social
:
l’emprise
techniciste,
Ed.
ABREASS,
Contrepoint
n°1,
2010.
7
cela
renvoie
à
la
compréhension
des
incapacités
et
des
ruptures12
12
».
C’est
ce
par
quoi
on
peut
parler
d’une
«
dimension
clinique
»
de
la
polyvalence.
Vue
ainsi,
elle
doit
être
en
mesure
de
mener
des
observations
compréhensives
afin
de
déterminer
les
modalités
par
lesquelles
un
accompagnement
peut
être
proposé.
La
nécessité
des
lieux
institués
en
équipe
pluridisciplinaire
pour
mener
ces
analyses
est
ici
fondamentale.
Que
faut‐il
retenir
de
ce
qui
se
joue
au
plan
de
l’Humain
dans
le
travail
social
?
A
l’expérience
des
situations
rencontrées
depuis
des
années,
je
citerai
deux
ordres
de
problèmes
(il
en
est
d’autres
que
je
ne
peux
pas,
faute
de
place,
aborder
ici)
qui
me
semblent
être
récurrents
dans
le
travail
social.
Il
s’agit
en
premier
lieu
des
difficultés
pouvant
survenir
dans
le
rapport
qu’une
ou
des
personnes
entretiennent
avec
une
situation
sociale,
un
environnement.
On
parlera
d’un
rapport
à
la
parité
nécessaire
à
toute
vie
sociale
humaine.
Or,
nombres
de
situations
rencontrées
en
polyvalence
me
semble
effectivement
relever
de
cette
difficulté
à
se
situer
entre
«
pairs
»,
à
poser
l’autre
comme
élément
d’une
frontière
qui
le
définit
autant
qu’il
le
limite
et
réciproquement.
Je
pense
à
toutes
ces
situations
où
les
liens
sociaux
se
sont
distendus,
déliés,
coupés
et
qui
conduisent
les
personnes
à
une
relation
d’isolement
voire
de
rejet
de
l’autre.
L’écoute,
l’observation
de
ce
que
vit
la
personne
au
quotidien,
ce
qu’elle
ressent,
permet
de
comprendre
par
la
singularité
de
ses
modes
d’expressions
où
se
situe
ces
troubles
de
la
parité,
qui
conduisent
à
un
processus
de
désaffiliation
identitaire.
On
retrouve
là
toutes
les
questions
autour
de
l’estime
de
soi,
de
la
négociation
d’une
«
frontière
»
qui
peut
se
révéler
impossible
et
conduit
à
des
situations
de
coupures
sociales.
L’autre
ordre
de
difficultés
se
rencontre
assez
couramment
dans
le
champ
de
l’Aide
Sociale
à
l’Enfance
notamment.
Il
s’agit
souvent
de
situations
où
la
responsabilité
sociale
fait
problème
en
raison
d’une
difficulté
à
assumer
une
ou
plusieurs
obligations
qu’il
revient
pourtant
à
la
personne
d’exercer,
si
elle
veut
se
situer
dans
le
devoir
de
sa
charge.
Je
pense
à
ces
situations
où
les
travailleurs
sociaux
sont
confrontés
par
exemple
à
des
parents
qui
ont
du
mal
à
se
situer
dans
leur
rôle
quand
ils
ne
s’en
dédouanent
pas
totalement
(délaissement,
maltraitance,
unilatéralisme
des
relations
comme
fusion
/
rejet).
Il
ne
s’agit
pas
là
d’une
question
morale
qui
consisterait
à
bien
se
comporter,
mais
d’une
difficulté
à
se
positionner
dans
la
responsabilité
qui
incombe
à
chacun
quand
on
postule
à
l’éducation
d’un
enfant.
Rapidement
dit,
on
a,
dans
l’enjeu
de
la
responsabilité
sociale,
la
construction
d’un
échange
et
d’une
relation
entre
don
et
dette.
Certes,
le
travail
social
aime
à
énoncer
le
don
et
le
contre
don
comme
viatique
du
social
et
support
de
travail
avec
les
personnes.
Pour
autant,
l’énoncé
ne
suffit
pas
à
cerner
le
principe
qui
fonde
la
relation
d’utilité
sociale.
Il
ne
permet
pas
non
plus
de
dégager,
les
modes
d’analyses
susceptibles
d’être
bénéfiques
à
l’accompagnement.
J’ai
conscience
que
ces
questions
mériteraient
de
plus
amples
développements.
Pour
une
immersion
plus
profitable
dans
le
champ
de
l’anthropologie,
j’invite
les
professionnels
à
se
tourner
vers
les
travaux
menés
par
différents
auteurs13
qui
contribuent
à
changer
indéniablement
notre
façon
de
voir
et
de
faire,
dans
un
travail
social
de
polyvalence.
Ces
savoirs
12
J.F.
Garnier,
Assistante
sociale
pour
la
redéfinition
d’un
métier,
L’Harmattant,
1999,
p.166.
13
Voir
notamment
:
J.
Y.
Dartiguenave
/
J.
F.
Garnier,
Un
savoir
de
référence
pour
le
travail
social,
Erès,
2008.
J.
C.
Quentel,
Le
Parent.
Responsabilité
et
culpabilité
en
question,
Bruxelles,
DeBoeck
Université,
“Raisonnances”,
2001.
8
modifient
notre
façon
de
penser
le
Social
et
permettent,
en
pratique,
la
mise
en
oeuvre
d’une
analyse
et
d’un
accompagnement
tout
à
fait
renouvelés.
Du
registre
de
l’accompagnement
Si
le
travail
social
est
plutôt
confronté
par
«
nature
»
à
l’expression
des
«
mal
être
»
et
des
empêchements,
il
est
nécessairement
porté
à
considérer
aussi
les
capacités
humaines.
Il
s’agit
donc
d’accompagner
tout
autant
ce
qui
fait
difficulté
que
ce
qui
peut
se
potentialiser
en
changements.
C’est
une
autre
«
facette
»
de
la
polyvalence.
Il
n’est
donc
pas,
ici,
seulement
question
d’une
clinique
visant
à
situer
le
périmètre
et
le
spectre
de
difficultés,
mais
aussi
d’une
approche
par
ce
qu’on
sait
des
capacités
de
l’humain
à
évoluer,
à
se
déployer,
à
se
stabiliser,
en
tenant
compte
bien
entendu
des
empêchements
éventuels.
C’est
par
quoi
l’accompagnement
en
polyvalence
est
toujours
différencié
et
doit
permettre
de
situer
«
la
meilleure
place
»
à
tenir
dans
la
relation
à
la
personne.
C’est
un
exercice
que
j’ai
pratiqué
en
confiance
et
partage
d’expériences
avec
des
collègues
pendant
quelques
années,
dans
un
espace‐temps
dédié,
qui
aide
à
se
distancier
et
à
poser
un
regard
réflexif
sur
sa
pratique.
Caractériser
l’accompagnement
par
le
fait
«
d’être
avec
»
comme
on
l’entend
souvent
énoncer,
ne
suffit
pas
à
déterminer
la
place
que
le
travailleur
social
doit
occuper
dans
la
relation
à
la
personne.
Comme
je
l’évoquais
plus
haut,
c’est
souvent
à
partir
d’une
analyse
clinique
que
le
travailleur
social
doit
pouvoir
situer
sa
place
dans
un
processus
d’accompagnement
qui
ne
peut
faire
fi
des
empêchements
ni
des
capacités.
Il
s’agit
alors
de
considérer,
suite
à
l’analyse
d’une
situation,
s’il
doit
se
placer
derrière
en
qualité
d’une
guidance,
à
côté
dans
une
perspective
d’étayage,
ou
devant
quand
il
doit
délibérément
orienter
le
cours
de
l’accompagnement.
Quand
des
capacités
existent
et
sont
identifiées,
elles
se
révèlent
souvent
au
fur
et
à
mesure
du
temps
et
peuvent
constituer
des
potentiels
qui
contribueront
à
leur
tour
à
modifier
«
la
définition
de
la
situation
».
C’est
pourquoi,
la
perspective
d’un
accompagnement
doit
toujours
intégrer
les
évolutions
possibles,
évolutions
qui
peuvent
modifier
la
place
du
travailleur
social
et
le
faire
passer
de
«
devant
»
à
«
derrière
».
Elles
impliquent
évidemment
la
prise
en
compte
du
positionnement
de
la
personne
dans
le
processus.
En
évoquant
ici
cet
aspect
des
capacités
(en
tant
qu’elles
sont
tournées
vers
une
suite
à
donner
à
une
analyse
et
un
diagnostic,
tant
il
vrai
qu’on
ne
peut
jamais
en
rester
à
des
constats),
je
ne
peux
que
m’en
référer
à
P.
Ricoeur,
et
à
ce
qu’il
nomme
des
«
capacités
de
bases
»
:
un
«
pouvoir
dire
»
entendu
par
la
capacité
à
produire
un
discours
sensé,
un
«
pouvoir
agir
»
qui
ne
se
réduit
pas
à
la
capacité
de
faire
mais
s’inscrit
dans
une
capacité
et
une
optique
participative,
un
«
pouvoir
raconter
»
enfin,
où
la
narration
est
constitutive
d’une
identité.
J’ai
à
l’esprit
que
leurs
analyses
constituent
le
volet
complémentaire
d’une
clinique
et
font
partie
intégrante
d’une
polyvalence
susceptible
de
s’inscrire
dans
la
positivité
d’un
accompagnement.
Le
travail
d’analyse
des
capacités
de
bases,
le
travail
d’accompagnement
susceptible
de
les
mettre
ou
les
remettre
en
route,
viennent
configurer
le
terrain
d’une
pratique
généraliste
dans
le
travail
social.
Dit
autrement,
ce
travail
est
souvent
à
concevoir
comme
celui
d’une
re‐composition
ou
d’une
ré
affiliation
sociale
(identitaire
et/
ou
contributive).
Il
s’agit
dès
lors
de
relier
des
capacités
de
bases
de
l’être
humain
à
une
potentialité
en
situation.
9
Ceci
posé,
on
comprend
que
la
polyvalence
va
contribuer,
en
la
personne
d’un
professionnel
capable,
à
créer
une
relation
susceptible
d’opérer
une
dialectique
«
des
pouvoirs
».
Elle
suppose
évidemment
une
relation
de
confiance
entendue,
en
l’occurrence,
dans
une
réciprocité
de
«
l’échange
capable
».
Elle
requiert
un
positionnement,
une
éthique
qui
oblige
à
la
compréhension
et
au
respect
des
logiques
singulières
des
personnes.
«
À
première
vue,
nous
dit
P
Ricoeur,
ces
capacités
de
base
n’impliquent
pas
de
demande
de
reconnaissance
par
autrui,
la
certitude
de
pouvoir
faire
est
intime,
certes;
toutefois
chacune
appelle
un
vis‐à‐vis
:
le
discours
est
adressé
à
quelqu’un
capable
de
répondre,
de
questionner,
d’entrer
en
conversation
et
en
dialogue.
L’action
se
fait
avec
d’autres
agents,
qui
peuvent
aider
ou
empêcher;
le
récit
rassemble
de
multiples
protagonistes
dans
une
intrigue
unique14.
»
On
voit
combien
cette
conception
s’intègre
dans
l’approche
globale
où
l’homme
est
pris
en
compte
dans
ses
capacités
et
dans
son
environnement.
On
ne
pourrait
guère
d’ailleurs
parler
de
travail
social
et
d’accompagnement
sans
la
positivité
de
cette
perspective.
Cette
conception
s’adresse,
bien
évidemment,
au
travail
social
individuel
autant
qu’au
travail
collectif,
la
polyvalence
posant
d’emblée,
l’articulation
de
l’individuel
et
du
collectif.
Je
ne
peux
clore
ce
chapitre
sur
la
pratique
sans
aborder
une
des
spécificités
du
métier
d’assistant
social
en
polyvalence
:
le
mandat
de
protection
de
l’enfance,
pensé
en
lien
avec
la
notion
de
prévention.
Son
cadre
légal
pose
une
responsabilité
sociétale
envers
l’enfant,
être
par
nature
vulnérable,
et
une
responsabilité
Parentale.
J’ai
toujours
pensé
que
la
complexité
de
cette
délégation
(qui
donne
mandat
de)
nécessitait,
par
l’exigence
qui
la
définit
et
l’attention
particulière
qui
la
commande,
de
concilier
le
cadre
stricte
de
sa
définition
avec
l’aspect
généraliste
de
son
exercice
dans
un
service
unifié.
L’exercice
de
ce
mandat
ne
peut
en
effet
se
réduire
à
son
caractère
procédural,
(notamment
dans
le
traitement
des
informations
préoccupantes),
ni
à
une
organisation
par
découpages
de
missions.
Il
requiert
une
pratique
qui
doit,
me
semble
t‐il,
se
concevoir
dans
le
cadre
d’une
professionnalité
polyvalente
au
plan
des
compétences,
seule
capable
de
prendre
en
compte
la
pluri
dimensionnalité
de
ses
attendus
(juridiques,
sociaux,
médico‐sociaux,
psychologiques,
éthiques
et
déontologiques),
permettant
in
fine
une
prise
en
compte
dialectique
de
l’intérêt
de
l’enfant
et
des
parents15.
Conclusion
L’enfant
qui
nait,
est
jeté
dans
le
monde
social
dès
sa
naissance
;
un
monde
déjà
prêt
à
le
recevoir,
avec
ses
modalités
d’existences
et
ses
logiques
d’imprégnations.
Mais
il
reste
à
«
gérer
»
l’optique
d’un
devenir
dans
lequel
ce
qui
a
de
la
valeur
doit
se
comprendre
dans
ce
qui
vaut
pour
l’Homme.
Ramené
au
travail
social,
c’est
une
dimension
de
la
pratique
qui
«
ne
peut
pas
méconnaitre
les
milles
et
une
connexion
qui
s’opèrent
dans
une
situation
sociale
aussi
problématique
qu’elle
soit.
Elles
ne
renvoient
pas
banalement
à
une
actualisation
de
«
schèmes
intériorisés
».
Elles
se
reconfigurent
dans
des
médiations
en
situation,
dans
une
dimension
évènementielle
qui
oblige
à
se
déprendre
14
Paul
Ricoeur,
Devenir
capable,
être
reconnu
,
Texte
écrit
pour
la
réception
du
Kluge
Prize,
décerné
aux
États‐Unis
(Bibliothèque
du
Congrès)
à
Paul
Ricoeur
en
2005.
15
Annie
Baqué,
«
Les
informations
préoccupantes
et
la
polyvalence,
vieille
question
pour
de
nouveau
enjeux
»
Contrepoint
n°1,
2010,
p.
102.
10
comme
à
se
reprendre.
Ce
point
nous
semble
essentiel
pour
la
pratique
individuelle
et
collective
dans
le
travail
social16
.
»
C’est
probablement
ce
que
les
concepteurs
d’une
polyvalence
marquée
par
une
sorte
d’ingénierie
fonctionnelle
ne
voulaient
peut
être
pas
voir.
Alors
qu’ils
pressentaient
bien
la
multiplicité
de
l’expression
sociale
dans
la
cité
(avancée
des
droits
sociaux,
nécessité
de
la
protection
infantile,
loisirs,
etc.),
ils
n’en
mesuraient
pas,
pour
autant,
la
portée
au
plan
d’une
pratique
de
la
relation
humaine.
Ils
ne
pensaient
pas
que
le
travail
social
était
là
non
seulement
pour
lier
(cf.
la
cohésion)
mais
aussi
pour
relier
la
trame
des
existences
et
permettre
aux
vies
de
se
vivre,
dans
toute
la
subjectivité
propre
à
l’être
humain.
Ainsi,
la
polyvalence
dans
son
approche
globale,
dans
la
prise
en
compte
des
empêchements,
des
capacités
et
des
potentialités
des
personnes
dans
leur
environnement,
demeure
un
des
remparts
aux
logiques
de
missions,
de
tâches
et
de
procédures
telles
que
nous
les
voyons
prospérer
aujourd’hui.
Elle
ne
peut
se
concevoir
que
dans
cette
perspective
multi
dimensionnelle
de
l’humain.
Si
légitimement
l’action
sociale
donne
un
cadre
au
travail
social
en
le
missionnant,
ce
cadre
ne
recoupe
pas
ce
qui
se
passe
et
se
joue
au
niveau
d’une
pratique.
La
prise
en
compte
de
la
pluralité
de
ses
dimensions
ne
peut
se
concevoir
que
dans
une
combinaison
de
tous
les
éléments
qui
font
tenir
une
vie
d’Homme
et
font
socle
au
déploiement
d’une
spécificité.
Je
ne
prétends
pas
dans
cet
article
avoir
fait
le
tour
de
la
question.
J’ai
tenté
de
m’inscrire
dans
une
analyse
qui
me
semble
pouvoir
contribuer
à
la
définition
d’un
concept
de
polyvalence
pour
le
métier
d’assistant
de
service
social.
D’autres
écriront
la
suite…
J’invite
juste
mes
collègues
et
les
lecteurs
qui
auront
bien
voulu
me
suivre
jusqu’ici,
à
cheminer
avec
moi
dans
cette
réflexion
pour
qu’elle
soit
l’objet,
à
tout
le
moins,
de
la
perspective
d’un
travail
social
vivant,
riche
de
son
histoire,
lucide
sur
les
enjeux
du
moment
et
soucieux
d’enrichir
ses
cadres
de
références.
L’Humain
doit
revenir
au
centre
de
notre
métier
!
Et
dans
cette
perspective
d’une
réappropriation
des
possibles,
je
m’inscris
tout
à
fait,
pour
illustrer
la
pratique
du
travail
social
de
polyvalence,
dans
la
métaphore
de
la
Métis
que
nous
propose
M.
Autès
:
«
La
Métis
est
tout
ce
qui
s’oppose
au
Logos
;
celui­ci
construit
un
ordre
du
monde
à
partir
du
pouvoir
fondé
dans
la
science,
dans
la
vérité,
dans
la
capacité
de
décrire
un
monde
ordonné,
rationnel
et
gouvernable
depuis
cette
certitude
fondée
sur
des
énoncés
vrais
et
identifiés
dans
des
lieux
de
pouvoir.
La
Métis,
la
ruse,
l’intelligence
pratique
représente
tout
ce
qui
s’échappe
de
cet
ordre,
tout
ce
qui
se
passe
dans
les
interstices.
C’est
la
logique
des
chemins
de
traverses17
».
16
Joël
letemplier
/
Yann
malefant,
Devenirs
et
qualités
de
vies,
perspectives
pour
le
travail
social,
Ed.
ABREASS,
Contrepoint
n°3,
2013,
p.
160.
17
Michel
Autès,
Les
paradoxes
du
travail
social,
Dunod,
2e
édition,
p.252.
11

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