AVANT PROPOS Audit social, valeur(s)

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Avant Propos – Audit Social & Culture (s)
Jean-Marie Peretti – Aline Scouarnec
AVANT PROPOS
Audit social, valeur(s) & meilleures pratiques RH
Pour la 13ème Université de printemps de l’Audit Social, l’IAS retrouve le Maroc pour
la 4 fois (2000, 2005 et 2008) après le Liban (2002 et 2010), l’Algérie (2001 et 2009), le
Sénégal (2007), la Russie (2006) et la Tunisie (1999 et 2004).
L’IAS, créé en 1982, a organisé depuis cette date 40 universités de l’Audit social avec
les 28 universités d’été qui se sont déroulées à Aix en Provence, Paris, Toulouse, Bordeaux,
Lille, Luxembourg, Marseille, Poitiers, Saint Étienne, Pau et les 12 universités de printemps.
Plus de 1200 communications ont été présentées et publiées. Plus de 1500 interventions ont
enrichi les débats qui ont réuni plus de 5 000 auditeurs dans 8 pays et 18 villes. Cette
université printanière est donc la 41ème université consacrée à l’Audit Social.
Après les Universités de Printemps de Beyrouth (2010), Alger (2009), Tanger (2008),
Moscou (2007), Dakar (2006), Marrakech (2005), Tunis (2004), Corte (2003), Beyrouth
(2002), Alger (2001), Marrakech (2000) et Hammamet (1999), l’université de printemps de
l'audit social se déroule, pour la quatrième fois, au Maroc. Cette édition 2010 est organisée
par l’IMAS (Institut Marocain d’Audit Social) avec le concours des Associations
Européennes, africaines et du Moyen Orient en RH, de l’AGRH (Association Francophone de
Gestion des Ressources Humaines), des Instituts Nationaux d’Audit Social (Russie, France,
Algérie, Tunisie, Luxembourg, Sénégal, Belgique, Québec, Portugal) du CLERH (IAS Liban)
et conjointement cette année avec l’AGEF Maroc et bénéficie d’un partenariat fort avec
l’ESSEC Business School, Paris Singapour, le CEA (Cercle d’Ethique des affaires) et la revue
Management&Avenir ainsi que la fondation Hanns Seidel.
La création de valeur de l’organisation ne peut être obtenue sans la prise en compte
des valeurs du corps social. Le thème retenu pour 2011 est particulièrement actuel dans un
contexte post crise où les entreprises (re) découvrent l’importance des valeurs pour qu’il y ait
création de valeur dans la durée.
Dans un contexte de prise en compte croissante de la Responsabilité sociétale de
l’entreprise et des engagements de développement durable, les apports de l’audit social et de
responsabilité sociale apparaissent essentiels pour développer les synergies entre « valeurs »
et « valeur ».
Toutes les communications traitant du développement d’approches et d’outils d’audit
social et de responsabilité sociale et mettant en valeur l’apport de l’audit social et de RSE à la
création de valeur en cohérence avec les valeurs sont les bienvenus.
ème
Pourquoi le Maroc et Agadir ?
Le Royaume du Maroc dans le nord-ouest de l'Afrique, bordé au nord de la
Méditerranée, et au sud de la Mauritanie, l'Algérie et à l'est et l'ouest de l'Atlantique. Maroc
couvre une superficie de 710,850 kilomètres carrés, et la longueur de la côte marocaine 3500
miles.
Le Maroc est caractérisé par une économie en développement qui s'appuie
essentiellement sur l'agriculture, l'exploitation minière et les investissements étrangers, et le
gouvernement contrôle l'industrie minière et la plupart des services de transport et certaines
industries jusqu'en 1993, quand l'économie marocaine est entrée dans une nouvelle phase du
programme de privatisation.
L'économie du Maroc évolue sur un rythme de croissance rapide. Elle a enregistré
durant les cinq dernières années un taux de croissance moyen de 6,5 %. En effet, en 2001 et
dans un contexte de contre performance du secteur agricole, de morosité de la conjoncture
internationale, l'économie marocaine a enregistré un taux de croissance estimé à 6,5 % contre
1 % en 2000, 5,2 % en 2002, 6,5 % en 2003 plus de 8 % en 2006 et quasiment 5 % en 2010.
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Le Maroc est le premier producteur et exportateur au monde de phosphates, ce dernier
constitue une entrée importante en devises pour le pays, concentrées dans le nord, 60 % des
terres agricoles dans cette région sont vouées à cette activité hautement lucrative. Il exporte
chaque année près de deux millions de mètres carrés de tapis aux couleurs et aux motifs
variés.
Les céréales (blé et orge) occupent 50 % des terres arables. Importantes pour
l'économie, ces cultures sont exploitées sur la base de deux systèmes, un qui très moderne et
l'autre encore archaïque.
Dès l'indépendance, les dirigeants ont décidé d'exploiter les possibilités immédiates
qu'offrait le pays. Les objectifs gouvernementaux, avaient plusieurs buts :
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Dont la valorisation de l'aspect rural et agricole du pays afin de bâtir une agriculture
moderne et performante, malgré les conditions climatiques dont souffre le pays. Ceci
dans l'objectif d'alimenter l'exportation, les marchés intérieurs du pays, et l'industrie
agro-alimentaire. Il faut aussi noter que le secteur de la pêche contribue fortement aux
exportations.
Les autorités ont opté pour l'exploitation à grande échelle des gisements de phosphates
dont le pays possède environ un tiers des réserves mondiales connues à ce jour,
entraînant ainsi la mise en place d'un important pôle chimique pour la transformation
et la mise en valeur des phosphates.
Le secteur de l'industrie de transformation n'est pas demeuré en reste, puisque le pays
cherche toujours à attirer de plus en plus d'investisseurs étrangers. Le gouvernement
vise le renforcement de plusieurs secteurs comme le textile, les industries de
transformation légère, l'industrie mécanique, automobile, pharmaceutique,
électronique, les nouvelles technologies et dernièrement le secteur de l'aéronautique
grâce aux entreprises nationales et surtout aussi aux nombreuses délocalisations
européenne dans ce domaine vers le Maroc.
Au Maroc le développement du tourisme a retenu une grande attention de la part du
gouvernement d'ailleurs ce dernier a depuis toujours fortement incité les investisseurs
privés marocains et les grands groupes internationaux à investir massivement dans ce
secteur.
Le développement du domaine tertiaire s'est fortement accéléré depuis plus d'une
dizaine d'années, avec notamment, les secteurs de la banque, de la finance, de la
grande distribution, de la téléphonie mobile et de l'offshoring (délocalisation des
centres d'appels, et de services, ainsi que des SSII européennes…)
Aujourd'hui les grandes réformes et les grands chantiers entamés par le pays ont
commencé à donner de bons résultats, notamment avec la hausse continue du PNB, et ceci
même durant les mauvaises saisons agricoles dues à des périodes de sécheresse très aigues.
Une réussite fruit de l’implication de partenaires privilégiés
Cette 13ème université de Printemps de l’IAS nous promet des débats riches et
constructifs, articulant concepts, théories et pratiques de l’audit social prenant en compte la
diversité culturelle.
Les communications rassemblées dans ces actes sont nombreuses, diverses et de
qualité. Elles reflètent la diversité des travaux actuels sur l’approche culturelle dans divers
contextes et sur l’apport de l’audit social.
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Ces actes n’auraient pu être réalisés sans l’appui des associations académiques
partenaires et en particulier de l’AGRH et de son président, le professeur Jean-Michel
PLANE, du Cercle Ethique des Affaires, de l’ADERSE, du RIODD, de l’ISEOR et à la forte
implication des membres du comité scientifique qui ont accepté de lire et évaluer les
communications reçues et permis de sélectionner et, après corrections éventuelles, de publier
ces 35 textes.
Merci à tous les membres du comité scientifique, à :
Houssine ABOUDAR, Boualem ALIOUAT, Alain AKANNI, David AUTISSIER, Nehme AZOURY,
Olivier BACHELARD, Serge BAILE, Nicole BARTHE, Elie BASBOUS, Mohamed
BAYADEmmanuel BECK Leila BENRAISS, Chafik BENTALEB, Adnane BELOUT, Luis BENTO,
Charles-Henri BESSEYRE DES HORTS, Marc BONNET,André BOYER, Luc BOYER, Xavier
BOUZIAT, Martine BRASSEUR, Françoise De BRY, Frank BOURNOIS, Alain BRIOLE, Stéphanie
CARPENTIER, Didier CAZAL, Jean-Luc CERDIN, Julie CHRISTIN-MOULINS, Annie CORNET,
Fernando CUEVAS, Eric DAVOINE, Richard DELAYE, Simon DOLAN, Jean-Yves DUYCK,
Françoise DUPUICH RABASSE, François ECOTO, Christophe ESTAY, Yacine FOUDAD, Corinne
FORASACCO, Louis FORGETAnne-Marie FRAY, Soufyane FRIMOUSSE Bernard FUSTIER, RogerPierre HERMONT, Jacques IGALENS, Abdel-ilah JENNANE, Michel JORAS, Emmanuel
KANDEM, Alain KLARSFEL, Hervé LAINE, Erick LEROUX, Pierre LOUART, Henri MAHE de
BOISLANDELLE, Zeineb MAMLOUK, Mohamed MATMATI, Réal Romuald MBIDA, Malik
MEBARKI, Ramdane MOSTEFAOUI, Alain MEIGNANT, Youssef MENSOUM, Samuel
MERCIER, Patrick MICHELETTI, Virginie MOISSON, Joan MUNDET HIERN, Evalde
MUTABAZI, Hadj NEKKA, Jean Pierre NEVEU, Agnès PARADAS, Michel PARLIER, Youri
POPOV, Jean-Marie PERETTI, Jean Michel PLANE, Ahmed RHELLOU,Philippe ROBERT
DEMONTROND, Alain ROGER, Josse ROUSSEL, Henri SAVALL, Aline SCOUARNEC, François
SILVA, Khaled TAHARI, Jean-Paul TCHANKAM, Jamal Eddine TEBAA, Maurice THEVENET, Marc
VALAX, Eric VATTEVILLE, Marc André VILETTE, Delphine VAN HOOREBECK, Catherine
VOYNET-FOURBOUL, Zahir YANAT, Véronique ZARDET, Hichem ZOUANAT,
L’invitation et la mobilisation de nos partenaires marocains. Que l’IMAS soit ici
remercié pour son implication dans la réussite de cette manifestation.
Le bureau de l’IAS, s’est également impliqué dans la préparation de cette
manifestation. Que tous ses membres soient ici remerciés et tout particulièrement Louis
FORGET, son secrétaire Général, Chafik BENTALEB, Président Maroc du comité
d’organisation, et Roger Pierre HERMONT, son trésorier. Merci aussi à Catherine TARDIF,
trésorier adjoint et Geneviève BURKE (ESSEC Executive Education) pour leur participation
active.
L’appui de l’ESSEC Business School et l’efficacité souriante de Christiane DESHAIS
ont eu un rôle déterminant dans la publication de ces actes et nous lui exprimons ici toute
notre gratitude.
Jean Marie PERETTI
Professeur à l’ESSEC Business School et à l’Université de Corse
Président d’honneur de l’AGRH, Président de l’IAS
Aline SCOUARNEC
Professeur à l’Université de Caen et à l’ESSEC Executive Education
Vice-présidente de l’IAS
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Sommaire
SOMMAIRE
AVANT PROPOS..........................................................................................................................................................................................1 SOMMAIRE.....................................................................................................................................................................................................5 CONFLITS DE ROLE ET IMPLICATION AFFECTIVE – QUELLE INFLUENCE SUR L’INTENTION DE
DEPART DES CADRES DU SECTEUR FINANCIER MAROCAIN ? ..........................................................................13 Serge BAILE ............................................................................................................................ Jamal DIWANY ....................................................................................................................... 1. Introduction ...................................................................................................................... 13 2. Contexte et cadre théorique de la recherche ..................................................................... 15 3. Modèle conceptuel et hypothèses de recherche ................................................................ 19 4. Méthodologie de la recherche........................................................................................... 26 5. Résultats de la recherche .................................................................................................. 29 6. Discussion ......................................................................................................................... 35 7. Conclusion ........................................................................................................................ 38 Annexes ................................................................................................................................ 45 L’IMPACT DE LA GESTION DES RESSOURCES HUMAINES SUR LE SUCCES DES PROJETS DANS
LES PAYS EN VOIE DE DEVELOPPEMENT...........................................................................................................................47 Adnane BELOUT ..................................................................................................................... Mohamend ZIMRI .................................................................................................................... 1. L’importance des projets dans les PVD ........................................................................... 47 2. La GRH dans les PVD ...................................................................................................... 48 3. La GRH et le succès de projet dans les PVD ................................................................... 49 4. Modèle conceptuel ............................................................................................................ 50 5. Méthodologie .................................................................................................................... 51 6. Résultats............................................................................................................................ 51 7. Discussion ......................................................................................................................... 55 8. Conclusion ........................................................................................................................ 57 Bibliographie ........................................................................................................................ 58 LA RESPONSABILITE SOCIALE DE L’ENTREPRISE (RSE) FACE AU DEFI DE L’INTERCULTUREL :
DE LA STANDARDISATION A L’ADAPTATION ................................................................................................................61 Ahlem BEN AMEUR ............................................................................................................... 1. Introduction : .................................................................................................................... 61 2. Méthodologie de recherche : ............................................................................................ 63 3. Présentation et discussion des résultats : .......................................................................... 64 4. Conclusion : ...................................................................................................................... 68 Bibliographie ........................................................................................................................ 69 CONFRONTATION ENTRE DISCOURS ET PRATIQUES DE L’ENTREPRISE : CONGRUENCE
ENTRE LES VALEURS AFFICHEES ET CELLES PRESSENTIES DANS LES PRATIQUES AU
QUOTIDIEN ? CAS DE LA COOPERATIVE AGRICOLE (COPAG)...........................................................................71 Chafik BENTALEB ................................................................................................................. Salah Baba ARWATA.............................................................................................................. 1. Le cadre théorique de la recherche : ................................................................................. 72 2. Aperçu de la RSE au Maroc ............................................................................................. 75 3. Méthodologie de l’étude ................................................................................................... 77 13ème Université de Printemps IAS Agadir
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4. Analyse du cas COPAG ................................................................................................... 79 5. Discussion ......................................................................................................................... 87 6. Limites et perspectives ..................................................................................................... 90 Bibliographie ........................................................................................................................ 91 CERTIFICATION ISO ET CRÉATION DE VALEUR : RETOUR D’EXPÉRIENCE ET IMPLICATIONS
MANAGÉRIALES.....................................................................................................................................................................................93 Olivier BOIRAL ....................................................................................................................... 1. Introduction ...................................................................................................................... 93 2. Des passeports pour les échanges internationaux ............................................................. 95 3. Promouvoir les meilleures pratiques?............................................................................... 96 4. Éviter les effets pervers de la certification ISO ................................................................ 99 5. Améliorer les pratiques et créer de la valeur .................................................................. 102 6. Conclusion ...................................................................................................................... 105 Bibliographie ...................................................................................................................... 107 L’IMAGE METIER : UNE NOTION POLYMORPHE AU SERVICE DE LA GESTION DES
RESSOURCES HUMAINES ..............................................................................................................................................................109 Franck BRILLET ...................................................................................................................... Patricia COUTELLE ................................................................................................................ Franck GAVOILLE .................................................................................................................. Annabelle HULIN .................................................................................................................... 1. Introduction .................................................................................................................... 109 2. Le concept de métier....................................................................................................... 110 3. Le concept d’image ........................................................................................................ 115 4. Les principaux enjeux de la notion d’image métier ....................................................... 117 5. Conclusion ...................................................................................................................... 120 Bibliographie ...................................................................................................................... 120 AUDIT ET VALEUR(S) DES PRATIQUES DE RESPONSABILITE SOCIALE DANS LA GRANDE
DISTRIBUTION ........................................................................................................................................................................................123 Stéphanie CARPENTIER ......................................................................................................... 1. Introduction .................................................................................................................... 123 2. Quelques précisions méthodologiques ........................................................................... 124 3. Audit des pratiques responsables des organisations ....................................................... 125 4. Audit des pratiques responsables de la grande distribution ............................................ 128 5. Conclusion ...................................................................................................................... 132 Bibliographie : .................................................................................................................... 133 LE COMPORTEMENT ETHIQUE EST-IL MESURABLE DANS LE CADRE D’UN AUDIT SOCIAL ?
REFLEXION SUR LES DILEMMES .............................................................................................................................................137 Benoit CHERRE ....................................................................................................................... Loubna TAHSSAIN ................................................................................................................. 1. Introduction .................................................................................................................... 137 2. Place de dilemme dans l’éthique des affaires ................................................................. 138 3. Ethique des affaires et audit social ................................................................................. 144 4. Conclusion ...................................................................................................................... 145 Bibliographie ...................................................................................................................... 146 13ème Université de Printemps IAS Agadir
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LE TRAVAIL DÉCENT AU PÉRIL DE LA CRISE ................................................................................................................149 Caroline CINTAS ..................................................................................................................... Eric VATTEVILLE .................................................................................................................. 1. L’aggravation de l’insécurité économique. .................................................................... 151 2. La dislocation de la relation d’emploi. ........................................................................... 151 3. L’accroissement des inégalités. ...................................................................................... 154 4. La détérioration des conditions de travail....................................................................... 156 5. Le renforcement du déséquilibre contrôle/demande. ..................................................... 156 6. Le développement de la violence au travail. .................................................................. 158 7. Conclusion : Pour un audit social civilisateur. ............................................................... 160 Bibliographie. ..................................................................................................................... 160 LE PROCESSUS DE PROFESSIONNALISATION DES ACTIVITES HUMAINES............................................163 Fernando CUEVAS .................................................................................................................. Dominique BALLOT ............................................................................................................... 1. Professionnel et amateur : où commence l'un où finit l'autre ? ...................................... 163 Les institutions autour d’un professionnel.......................................................................... 173 2. Applications à trois métiers ............................................................................................ 176 3. Conclusion ...................................................................................................................... 178 Bibliographie ...................................................................................................................... 178 RSE ET ACTIVITE MANAGERIALE : CONTRIBUTION DES PHENOMENES FURTIFS...........................179 Jean-Pierre DUMAZERT ......................................................................................................... Dominique DRILLON .............................................................................................................. 1. Furtivité et responsabilité sociale ................................................................................... 179 2. Présence et contribution de la furtivité ........................................................................... 181 3. Conclusion ...................................................................................................................... 186 Bibliographie ...................................................................................................................... 187 EXISTE-T-IL DES COMPETENCES COLLECTIVES ? ......................................................................................................189 Françoise DUPUICH ................................................................................................................ 1. Eléments de définition des Compétences Collectives .................................................... 190 2. Les conditions d’émergence des Compétences Collectives ........................................... 191 3. Le cadre organisationnel des Compétences collectives .................................................. 197 4. Conclusion ...................................................................................................................... 199 Bibliographie ...................................................................................................................... 199 CONSTRUIRE UN MANAGEMENT DES RESSOURCES HUMAINES PERFORMANT AU MAROC..201 Driss FERAR ............................................................................................................................ Aline SCOUARNEC ................................................................................................................ 1. Introduction .................................................................................................................... 201 2. Le cadre de la recherche ................................................................................................. 202 3. La problématique et la question de recherche ................................................................ 204 4. La méthodologie de recherche et les resultats ................................................................ 204 5. Conclusion ...................................................................................................................... 208 Bibliographie ...................................................................................................................... 209 13ème Université de Printemps IAS Agadir
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LA REORGANISATION DES SERVICES PUBLICS : DESORGANISATION OU RECONSTRUCTION
DES ACTEURS..........................................................................................................................................................................................211 Anne Marie FRAY ................................................................................................................... 1. Les réorganisations du service public ............................................................................. 211 2. Un risque de désorganisation des acteurs… ................................................................... 214 3. Désorganisation des acteurs ou possibilité d’une reconstruction ................................... 217 4. Conclusion ...................................................................................................................... 220 Bibliographie ...................................................................................................................... 220 MEDITERRANEE : RUPTURE OU UNITE ?............................................................................................................................221 Soufyane FRIMOUSSE ............................................................................................................ 1. Introduction : .................................................................................................................. 221 2. Les cultures entre les rives de la Méditerranée : entre hérodianisme et zélotisme. ........ 222 3. Une altérité désespérante et une Méditerranée bleue hématome. ................................... 225 4. Malgré ces failles…. Un fonds culturel. ......................................................................... 228 5. L’hypermodernité : une demande de Méditerranée ? ..................................................... 231 6. Conclusion : .................................................................................................................... 235 Bibliographie : .................................................................................................................... 235 PRESENTATION DE LA DEMARCHE DE VERIFICATION DES INFORMATIONS SOCIETALES.....237 Claire GILLET ......................................................................................................................... 1. Introduction .................................................................................................................... 237 2. Les origines et approches de la vérification sociétale .................................................... 237 3. L’état actuel de la vérification sociétale ......................................................................... 241 4. Conclusion ...................................................................................................................... 247 Bibliographie ...................................................................................................................... 247 AUDIT SOCIAL ET EGALITE PROFESSIONNELLE.........................................................................................................249 Sana GUERFEL-HENDA ........................................................................................................ George-Axelle BROUSSILLON .............................................................................................. 1. Diversité et égalité professionnelle dans l’entreprise ..................................................... 250 2. Promouvoir et garantir l’égalité professionnelle sur le terrain ....................................... 254 Bibliographie ...................................................................................................................... 258 LA SOCIALISATION ORGANISATIONNELLE DES NOUVELLES RECRUES : ENTRE VALEURS
HUMAINES ET VALEURS ECONOMIQUES ........................................................................................................................261 Sana GUERFEL-HENDA ........................................................................................................ Manal EL ABBOUBI ............................................................................................................... 1. Introduction .................................................................................................................... 261 2. La gestion de la socialisation organisationnelle dans les organisations ......................... 263 3. La socialisation organisationnelle comme cadre théorique de référence ....................... 264 4. Définition de la socialisation organisationnelle.............................................................. 264 5. La dimension temporelle de la socialisation organisationnelle ...................................... 264 6. Les étapes de la socialisation organisationnelle ............................................................. 265 7. Le rôle de l’organisation et de l’individu ....................................................................... 266 8. Les pratiques de socialisation dans les organisations ..................................................... 266 9. Les procédures individualisées et institutionnalisées ..................................................... 266 10. Méthodologie ................................................................................................................ 268 11. Résultats........................................................................................................................ 268 12. Discussion ..................................................................................................................... 273 13ème Université de Printemps IAS Agadir
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13. Conclusion .................................................................................................................... 274 DE LA THEORIE A LA PRATIQUE : ANALYSE DE LA RESPONSABILITE SOCIALE DES
ENTREPRISES A TRAVERS TROIS OUTILS D’AUDIT SOCIAL...............................................................................277 Romina GIULIANO ................................................................................................................. Claire DUPONT ....................................................................................................................... 1. Approche littéraire : la responsabilité sociale des entreprises ........................................ 277 2. Cadre d’analyse de la responsabilité sociale des entreprises .......................................... 280 3. Analyse de trois instruments d’audit social .................................................................... 281 4. Conclusion ...................................................................................................................... 289 Bibliographie ...................................................................................................................... 290 LA MESURE DU CLIMAT ETHIQUE .........................................................................................................................................292 Jacques IGALENS .................................................................................................................... 1. Culture et climat ............................................................................................................. 292 2. Audit, culture et climat ................................................................................................... 293 3. Climat éthique, culture éthique ? .................................................................................... 293 4. Comment tenir compte du point de vue des salariés ...................................................... 296 L’ENTREPRISE PEUT-ELLE FIDELISER CES PARTIES PRENANTES RESSOURCES A L’AIDE DE
SES POLITIQUES RSE ET ISR ?.......................................................................................................................................................297 Abderrahman JAHMANE ........................................................................................................ Delphine VAN HOOREBEKE ................................................................................................. 1. Introduction : .................................................................................................................. 297 2. Les parties prenantes et leurs diverses classifications : .................................................. 298 3. Conclusion ...................................................................................................................... 305 Bibliographie ...................................................................................................................... 306 DU HARCELEMENT EN MILIEU ORGANISATIONNEL A LA PROPOSITION D’UN MODELE
D’AUDIT SOCIAL FONDE SUR DES VALEURS ETHIQUES ET DEONTOLOGIQUES..............................309 Christine JEOFFRION ............................................................................................................. Rim ZID .................................................................................................................................... Hamid HACHELAFI .......................................................................................................... 309 1. Introduction .................................................................................................................... 309 2. Des pratiques professionnelles « délinquantes » ............................................................ 310 3. Les valeurs éthiques et déontologiques comme garantes d’un audit de qualité ............. 311 4. Présentation d’un modèle d’audit social fondé sur des valeurs éthiques et déontologiques
............................................................................................................................................ 312 5. L’apport du modèle à l’audit social ................................................................................ 314 Bibliographie ...................................................................................................................... 315 L’AUDIT SOCIAL EST-IL UN GISEMENT INEPUISABLE DE CREATION DE VALEUR ? APPROCHE
METHODOLOGIQUE DES RISQUES LIES A L’AUDIT SOCIAL ..............................................................................317 Michel JONQUIERES .............................................................................................................. 1. Introduction .................................................................................................................... 317 2. Les risques ...................................................................................................................... 317 3. Identification des risques liés à l’audit social ................................................................. 320 3. Conclusion ...................................................................................................................... 323 13ème Université de Printemps IAS Agadir
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UNE ENQUETE QUEBECOISE SUR LA PERCEPTION DE RACISME PAR LES TRAVAILLEURS DE
LA SANTE ET SON IMPACT SUR LA RELATION DE SOINS AVEC L'AINE ....................................................325 Martine LAGACÉ .................................................................................................................... Mustapha BETTACHE............................................................................................................. 1. Travailleurs de la santé : identifier les risques d’exclusion ............................................ 325 2. Méthode .......................................................................................................................... 327 3. Résultats.......................................................................................................................... 329 4. Discussion ....................................................................................................................... 330 5. Le racisme en milieu de travail : des leçons pour l’avenir ............................................. 333 6. Conclusion ...................................................................................................................... 333 Bibliographie ...................................................................................................................... 334 Annexes .............................................................................................................................. 336 AUDIT SOCIAL ET CREATION DE VALEUR : L’APPORT DU SUSTAINABLE BALANCED
SCORECARD.............................................................................................................................................................................................339 Erick LEROUX ........................................................................................................................ Introduction ........................................................................................................................ 339 1 Travail et valeur ............................................................................................................... 339 2. Les valeurs au travail ...................................................................................................... 340 3. Le choix du système de pilotage et l’audit social ........................................................... 343 Discussion ........................................................................................................................... 346 Conclusion .......................................................................................................................... 346 Bibliographie ...................................................................................................................... 347 DEVELOPPER DES SYNERGIES ENTRE LES VALEURS CULTURELLES ET ECONOMIQUES :......348 LE PARI D’UNE CO-ENTREPRISE FRANCO-TUNISIENNE ........................................................................................348 Henri MAHE DE BOISLANDELLE ....................................................................................... Jean-Marie ESTEVE ................................................................................................................ Le projet de co-entreprise franco-tunisienne et les étapes de son montage........................ 349 2. Les audits comparatifs de culture et de dirigeance ......................................................... 351 3. Partant de ces audits des mesures ont été prises ............................................................. 352 4. La mise à l’épreuve des principes autour d’une analyse critique de la démarche (débat :
TQM / culture musulmane / efficacité managériale) .......................................................... 354 5. Conclusion ...................................................................................................................... 357 Bibliographie ...................................................................................................................... 357 POUR UNE APPROCHE CONFIGURATIONNELLE DU CHANGEMENT : FONDEMENTS ET
ENJEUX D’UNE MODELISATION DES SITUATIONS DE CHANGEMENT ORGANISATIONNEL
POUR LE DRH...........................................................................................................................................................................................359 Denis MALHERBE .................................................................................................................. Jean-Yves SAULQUIN ............................................................................................................ 1. Les questionnements fondateurs ..................................................................................... 360 2. Le DRH et la modélisation des situations de changement ............................................. 365 3. Conclusion ...................................................................................................................... 368 Bibliographie ...................................................................................................................... 369 13ème Université de Printemps IAS Agadir
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Sommaire
VALORISATION DE L’ENTREPRISE DANS UN CONTEXTE POST-CRISE PAR
L’INSTITUTIONNALISATION DES ACTIONS DE RSE ET DE DD ..........................................................................371 Sélim MEKDESSI .................................................................................................................... 1. Une tendance significative.............................................................................................. 371 2. Conditions d’émergence des organisations informelles ................................................. 373 3. Institutionnaliser avec efficacité et efficience une fonction Responsabilité Sociale au sein d’une organisation 376 Bibliographie : .................................................................................................................... 379 AUDIT SOCIAL, POLITIQUE DE GRH ET PERFORMANCE DE L’ENTREPRISE...........................................381 Jean-François NGOK EVINA .................................................................................................. 1. Introduction .................................................................................................................... 381 2 Contribution de l’audit social à la politique de GRH ...................................................... 382 3. La politique de GRH comme déterminant de la performance de l’entreprise ................ 383 QUELS SONT LES DÉTERMINANTS DE LA PRÉSENCE D’UN PROGRAMME D’AIDE AUX
EMPLOYÉS (PAE) DANS LES ENTREPRISES PRIVÉES CANADIENNES ? .....................................................390 Stéphane RENAUD .................................................................................................................. Josie-Anne CLOUTIER-LABELLE ........................................................................................ 1. Introduction .................................................................................................................... 390 2. Revue de la littérature et cadre théorique ....................................................................... 391 3. Méthodologie de recherche ............................................................................................ 396 4. Résultats et la discussion ................................................................................................ 397 5. Conclusion ...................................................................................................................... 403 Bibliographie ...................................................................................................................... 405 UNE COMPREHENSION DES RISQUES PSYCHOSOCIAUX CHEZ LES INFIRMIERES A TRAVERS
UNE APPROCHE DUALE : LE STRESS ET LA PSYCHOPATHOLOGIE AU TRAVAIL. « CAS DU CHU
DE CAEN »...................................................................................................................................................................................................407 Aline SCOUARNEC ................................................................................................................ Brigitte HOULLIER ................................................................................................................. Mohamed TISSIOUI ................................................................................................................ Sami OUADRANI .............................................................................................................. 407 1. Introduction .................................................................................................................... 407 2. Cadre conceptuel d’analyse ............................................................................................ 408 Les facteurs ......................................................................................................................... 412 Descriptions ........................................................................................................................ 412 Le déni du travail réel ......................................................................................................... 412 Les stratégies de défense .................................................................................................... 412 Le déni ................................................................................................................................ 412 3. Contexte et méthodologie de recherche.......................................................................... 414 4. Les résultats de l’étude ................................................................................................... 416 5. Discussion ....................................................................................................................... 423 6. Conclusion ...................................................................................................................... 425 Bibliographie ...................................................................................................................... 426 SPECIFICITES DES COOPERATIVES BASQUES ET MONDIALISATION - DIFFUSION JURIDIQUE
ET ADAPTATION DES VALEURS A L’INTERNATIONAL..........................................................................................427 Marc VALAX ........................................................................................................................... Ana María PUYO ARLUCIAGA............................................................................................. 1. Introduction : .................................................................................................................. 427 13ème Université de Printemps IAS Agadir
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2. Revue de littérature : les enjeux juridiques et les valeurs fondatrices des coopératives du
Pays Basque ........................................................................................................................ 428 3. 2ème partie : Protocole de recherche et résultats : l’adaptation des valeurs des coopératives
basques dans un contexte mondialisé ................................................................................. 435 4. Conclusion ...................................................................................................................... 440 Bibliographie ...................................................................................................................... 442 LES JEUNES DIPLOMES MAROCAINS FORMES A L’ETRANGER ONT-ILS PLUS DE VALEUR
POUR LES ENTREPRISES QUI RECRUTENT ?....................................................................................................................443 Abdelkarim YAOU................................................................................................................... Jean-Marie PERETTI ............................................................................................................... 1. Introduction .................................................................................................................... 443 2. la mobilité internationale : éléments de repère ............................................................... 443 3. Le succès des jeunes diplômés formés à l’étranger : de l’adaptation à l’acquisitions des
connaissances...................................................................................................................... 445 4. Méthodologie et colecte des données ............................................................................. 448 5. Analyse et interprétation des résultats ............................................................................ 449 6. Conclusion ...................................................................................................................... 457 Bibliographie ...................................................................................................................... 458 LES VALEURS AU CŒURDU DÉBAT SUR LE HARCÈLEMENT MORAL ......................................................461 Rim ZID .................................................................................................................................... 1. Définitions des concepts ................................................................................................. 462 2. Le harcèlement moral comme problème organisationnel............................................... 463 3. Le harcèlement moral comme un problème d’ordre éthique .......................................... 464 4. Intégration des valeurs dans un audit social du harcèlement moral au travail ............... 467 5. Conclusion ...................................................................................................................... 467 COMITE SCIENTIFIQUE.....................................................................................................................................................................469 13ème Université de Printemps IAS Agadir
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‫‪Conflits de Rôle et Implication Affective – Quelle influence sur l’intention de départ des cadres du secteur financier‬‬
‫? ‪marocain‬‬
‫‪Serge Baile & Jamal Diwany‬‬
‫‪CONFLITS DE ROLE ET IMPLICATION AFFECTIVE – QUELLE‬‬
‫‪INFLUENCE SUR L’INTENTION DE DEPART DES CADRES DU‬‬
‫? ‪SECTEUR FINANCIER MAROCAIN‬‬
‫دور اﻟﺼﺮاع واﻟﻤﺸﺎرآﺔ اﻟﻌﺎﻃﻔﻴﺔ‬
‫ﻣﺎ ﺗﺄﺛﻴﺮ ﻋﻠﻰ اﻟﻘﺼﺪ اﻷﺻﻠﻲ ﻣﻦ اﻟﻤﺪﻳﺮﻳﻦ اﻟﺘﻨﻔﻴﺬﻳﻴﻦ ﻓﻲ اﻟﻘﻄﺎع اﻟﻤﺎﻟﻲ اﻟﻤﻐﺮﺑﻲ؟‬
‫‪Serge BAILE‬‬
‫‪Agrégé de l’Université,‬‬
‫‪Groupe ESC Toulouse - CERGAM IAE Aix en Provence - CRM IAE Toulouse‬‬
‫‪Directeur du Centre de Recherche et d’Intervention en Management de Marrakech‬‬
‫‪Conseiller Scientifique – Université Privée de Marrakech‬‬
‫‪[email protected]‬‬
‫‪Jamal DIWANY‬‬
‫‪Agent Général‬‬
‫‪Zurich-Assurances, Maroc‬‬
‫)‪Centre de Recherche et d’Intervention en Management de Marrakech (CRI2M-UPM‬‬
‫‪[email protected]‬‬
‫ﺗﻌﺘﺒﺮ اﻟﺮﻏﺒﺔ ﻓﻲ اﻟﻤﻐﺎدرة اﻟﻄﻮﻋﻴﺔ ﻟﺪى اﻷﻃﺮ إﺷﻜﺎﻟﻴﺔ ﻗﺪﻳﻤﺔ وﻣﻠﺤﺔ ﺑﺎﻟﻨﺴﺒﺔ ﻟﻤﺴﻴﺮي وﻣﺪﺑﺮي اﻟﻤﻘﺎوﻻت‪ ،‬وﺧﺎﺻﺔ اﻷﺑﻨﺎك وﺷﺮآﺎت اﻟﺘﺄﻣﻴﻦ‬
‫واﻟﻤﻘﺎوﻻت اﻟﺘﻲ ﺗﻌﺮف ارﺗﻔﺎﻋﺎ ﻓﻲ ﻣﺆﺷﺮات ﺣﺮآﻴﺔ ﻓﻲ اﻟﻴﺪ اﻟﻌﺎﻣﻠﺔ‪.‬‬
‫واﻟﺘﻮﻗﻌﺎت وﺗﺪﺑﻴﺮ اﻟﻤﻐﺎدرات اﻟﻄﻮﻋﻴﺔ اﻟﻤﺴﺠﻠﺔ‪ ،‬ﺗﻄﺮح ﺗﺤﺪﻳﺎت ﻟﻤﺴﻴﺮي اﻟﻤﻮارد اﻟﺒﺸﺮﻳﺔ ﻓﻲ ﺗﺪﺑﻴﺮ اﻟﻤﻮارد اﻟﺒﺸﺮﻳﺔ‪ .‬وهﺬا راﺟﻊ‬
‫ﻟﻐﻴﺎب ﻣﻨﻬﺠﻴﺔ اﻟﺘﺨﻄﻴﻂ وأدوات اﻟﺘﻮﻗﻊ اﻟﻤﻼﺋﻤﺔ ﻟﻜﻞ ﻣﻨﻈﻮﻣﺔ‪.‬‬
‫ﺗﺤﺘﻞ اﻟﻤﻐﺎدرة اﻟﻄﻮﻋﻴﺔ ﻣﻜﺎﻧﺔ اﺳﺎﺳﻴﺔ ﺑﺎﻟﻨﺴﺒﺔ ﻟﻤﺴﻴﺮي اﻟﻤﻮارد اﻟﺒﺸﺮﻳﺔ ﻋﻠﻰ ﻣﺴﺘﻮى اﻟﺘﺨﻄﻴﻂ اﻻﺳﺘﺮﺗﻴﺠﻲ‪ .‬ﻟﻜﻮﻧﻬﺎ ﺗﻔﺮض ﻋﻠﻰ هﺆﻻء‬
‫ﺗﺤﺪﻳﺪ اﻷﺳﺒﺎب واﻹﻧﻌﻜﺎﺳﺎت ﻋﻠﻰ ﺳﻠﻮك اﻷﻃﺮ اﻟﻌﺎﻣﻠﺔ‪.‬‬
‫هﺬا اﻟﺒﺤﺚ اﻟﻌﻠﻤﻲ ﻳﺸﻜﻞ أﻓﻖ ﻣﻨﻬﺠﻲ ﻟﺪراﺳﺔ ﺁﺛﺎر ﺻﺮاع اﻷدوار‪ ،‬واﻹﻟﺘﺰام اﻟﻤﺆﺳﺴﺎﺗﻲ اﻟﻌﺎﻃﻔﻲ ﻋﻠﻰ دﻋﻢ اﻟﺮﻏﺒﺔ ﻓﻲ اﻟﻤﻐﺎدرة‬
‫اﻟﻄﻮﻋﻴﺔ ﺑﺎﻟﻨﺴﺒﺔ ﻷﻃﺮ اﻟﻌﺎﻣﻠﺔ ﺑﺎﻟﻘﻄﺎع اﻟﻤﺎﻟﻲ ﺑﺎﻟﻤﻐﺮب‪.‬‬
‫ﺗﺨﻀﻊ ﻣﻘﺎرﺑﺘﻨﺎ اﻟﻨﻈﺮﻳﺔ ﻟﻤﺠﻤﻮﻋﺔ ﻣﻦ اﻟﻔﺮﺿﻴﺎت اﻟﻮﺻﻔﻴﺔ ﻣﻦ أﺟﻞ ﺗﺠﺮﻳﺐ ﺻﺤﺔ ﺑﻨﻴﻮﻳﺔ اﻟﻤﺘﻐﻴﺮات‪ .‬وﺗﻬﺪف هﺬﻩ اﻟﻤﻘﺎرﺑﺔ إﻟﻰ إﻟﺰاﻣﻴﺔ‬
‫ﺗﺠﺮﻳﺐ اﻟﺼﺤﺔ اﻟﺒﻨﻴﻮﻳﺔ ﻟﻠﻨﻤﻮدج اﻟﺘﺼﻮري وﻣﺠﻤﻮﻋﺔ اﻟﻌﻼﻗﺎت ذات اﻹرﺗﺒﺎط اﻟﻤﺒﺎﺷﺮ وﻏﻴﺮ اﻟﻤﺒﺎﺷﺮ ﺑﻴﻦ اﻟﻤﺘﻐﻴﺮات‪.‬‬
‫إن اﻟﺘﺄآﺪ ﻣﻦ اﻟﻨﺘﺎﺋﺞ واﻟﻤﻌﻄﻴﺎت اﻟﺘﻲ اﺳﺘﻘﻴﻨﺎهﺎ ﻣﻦ ﻋﻴﻨﺔ ﺗﻤﺜﻞ ‪ 210‬إﻃﺎرا ﻳﺸﺘﻐﻠﻮن ﺑﺎﻟﻤﺆﺳﺴﺎت اﻟﺒﻨﻜﻴﺔ وﺷﺮآﺎت اﻟﺘﺄﻣﻴﻦ اﻟﺘﻲ ﺗﻌﺮف‬
‫ﺣﺮآﻴﺔ ﻣﺘﺴﺎرﻋﺔ‪ ،‬واﻟﺘﻲ ﺗﻤﺖ دراﺳﺘﻬﺎ ﺑﻤﻨﻬﺠﻴﺔ اﻟﻤﻌﺎدﻻت اﻟﺒﻨﻴﻮﻳﺔ ﺑﻮاﺳﻄﺔ اﻟﺒﺮﻧﺎم ‪ ،AMOS7.0‬إذ أآﺪت ﻧﺘﺎﺋﺠﻪ ﺻﺤﺔ ﺟﺪوى‬
‫ﻣﺘﻐﻴﺮات اﻟﺒﺤﺚ‪ .‬هﺬا إﺿﺎﻓﺔ إﻟﻰ اﻟﺒﻨﻴﺔ اﻟﻤﺜﻠﻰ ﻟﻬﺬا اﻟﻨﻤﻮذج‪ ،‬وﻟﻠﻌﻼﻗﺎت اﻟﻤﺮﺗﺒﻄﺔ اﻟﺘﻲ ﺗﻤﻜﻨﻨﺎ ﻣﻦ ﺗﻮﻗﻎ اﻟﺮﻏﺒﺎت ﻓﻲ اﻟﻤﻐﺎدرة اﻟﻄﻮﻋﻴﺔ‪.‬‬
‫وﺧﻠﺼﻨﺎ إﻟﻰ ﻧﺘﺎﺋﺞ ﻧﻘﺘﺮﺣﻬﺎ ﻋﺒﺮ ﺗﻮﺟﻬﺎت ﺟﺪﻳﺪة ﻓﻲ اﻟﺒﺤﺚ ﻋﻦ اﻟﻌﻼﻗﺎت اﻟﻤﺘﺸﺎﺑﻜﺔ ﻓﻲ اﻟﻤﻔﺎهﻴﻢ اﻟﺘﻲ ﺗﻄﺮﻗﻨﺎ ﻟﻬﺎ ﻓﻲ ﻧﻤﻮذج اﻟﺪراﺳﺔ‪.‬‬
‫وﻧﻮﺻﻲ ﺑﺎﻻﺷﺘﻐﺎل ﻋﻠﻰ ﺗﻄﻮﻳﺮ اﻟﻌﻨﺎﺻﺮ اﻟﺴﻴﻜﻮﻟﻮﺟﻴﺔ ﻣﻦ أﺟﻞ ﺧﻠﻖ ﺛﻘﺎﻓﺔ ﺟﺪﻳﺪة ﻋﻨﺪ اﻷﻃﺮ اﻟﻄﺎﻣﺤﻴﻦ إﻟﻰ ﺗﺤﺴﻴﻦ وﺗﺠﻮﻳﺪ ﺣﻴﺎﺗﻬﻢ‬
‫اﻟﻤﻬﻨﻴﺔ واﻟﺸﺨﺼﻴﺔ‪.‬‬
‫اﻟﻤﻔﺎﺗﻴﺢ‪:‬‬
‫اﻟﺮﻏﺒﺔ ﻓﻲ اﻟﻤﻐﺎدرة اﻟﻄﻮﻋﻴﺔ‪ -‬ﺻﺮاع اﻷدوار‪ -‬اﻹﻧﺨﺮاط ‪ /‬اﻹﻟﺘﺰام اﻟﻌﺎﻃﻔﻲ‪ -‬اﻟﻤﻌﺎدﻻت اﻟﺒﻨﻴﻮﻳﺔ‪ -‬ﺗﺤﻠﻴﻞ اﻟﻌﻨﺎﺻﺮ اﻟﻤﺆآﺪة‪ -‬ﺗﺤﻠﻴﻞ‬
‫اﻟﻤﺴﺎرات‬
‫‪1. Introduction‬‬
‫‪Un des sujets, en matière de roulement de carrières, ou « turnover », qui interpelle de longue‬‬
‫‪date, autant les directions générales que celles des ressources humaines, est celui du départ‬‬
‫‪des salariés, et des conditions d’apaisement ou d’incitation dans lesquelles l’intention d’un‬‬
‫‪départ se manifeste. Cette problématique de l’intention de départ, qui se résume simplement‬‬
‫‪par une question - quitter ou rester au sein d’une entreprise ? – n’est pas simple à traiter,‬‬
‫‪surtout quand on la rapporte, pas seulement à des considérations économiques, mais encore, et‬‬
‫‪comme cela est le plus souvent le cas, à des considérations plus organisationnelles inhérentes‬‬
‫‪au mal-être vs bien-être des salariés, et à leurs conditions de travail. Une plus forte intention‬‬
‫‪de départ est en effet apparue, cette dernière décennie, chez des cadres en « mal être », dans‬‬
‫‪13‬‬
‫‪http://www.auditsocial.org/‬‬
‫‪13ème Université de Printemps IAS Agadir‬‬
Conflits de Rôle et Implication Affective – Quelle influence sur l’intention de départ des cadres du secteur financier
marocain ?
Serge Baile & Jamal Diwany
des secteurs bousculés par la globalisation économique et la crise financière, qui ont changé
les rapports des salariés à l’entreprise. Ainsi, après de fortes hausses de salaires de jeunes
recrutés et de cadres confirmés spécialisés, les entreprises de certains secteurs (Nouvelles
Technologies, Finance, Services,…) connaissent, ces cinq dernières années, des difficultés de
recrutement, mais aussi de turnover. Elles cherchent, désormais, à s'appuyer sur d'autres
leviers que la rémunération pour être attractives pour attirer à elles les meilleurs éléments, et
éviter le départ de leurs meilleurs cadres à la concurrence. Elles ont certainement compris que
les attentes des individus ne se focalisaient plus essentiellement sur l'aspect financier de leur
rapport à leur emploi, mais que leur fidélité à l'entreprise passait par une appréciation globale
de la qualité de l’échange avec l’employeur. Désormais, « ils sont plus sensibles aux autres
dimensions, notamment au respect de leurs aspirations (autres que la rémunération), tant
dans l'entreprise (accomplissement professionnel, intérêt du travail, dimension relationnelle),
que vis-à-vis de la sphère extérieur (famille, vie pratique, insertion sociale) », comme le
souligne Grosjean (2005). C’est dans ce contexte que les entreprises doivent être plus
sensibles aux attentes de rôle de leurs cadres, et de ce fait s’impliquer dans des actions et de la
R&D visant à mieux contrôler leur « turnover », afin de fidéliser leurs cadres et donner une
meilleure image de leur politique sociale aux futurs recrutés.
L’objectif de ce travail s’inscrit dans cette stratégie de recherche sur le « bien être » destinée à
évaluer les effets de facteurs psychologiques sur le départ des cadres. Repérer ces facteurs et
mieux les connaître, afin de pouvoir agir dessus, constitue une réponse à la stratégie de
fidélisation des cadres et au contrôle de l’intention de leur départ. Cette stratégie est, dans le
domaine de l’audit social, à l’origine d’une démarche de prévention du départ, basée sur le
bien être physique et psychologique au travail, intégrant davantage les facteurs
organisationnels et humains pour expliquer le désir de changer volontairement d’employeur.
Cette communication répond aux nécessités de recherche sur la mise en œuvre de cette
stratégie. Elle contribue et se limite à l’étude d’une part, de l’influence des rôles
professionnels perçus sur l’intention de départ des cadres, et à l’intérêt de développer chez
eux un besoin d’engagement ou d’implication organisationnelle destiné à modérer cette
intention. Elle pose, plus précisément, la problématique d’une modification des rôles, à
l’origine de tensions ou de conflits de rôles (Katz et al, 1964) qui déclenchent l’intention, et
qu’il convient de réguler en renforçant l’attachement psychologique de l’individu à
l’organisation (Allen & Meyer, 1991). Cette problématique fait l’objet d’une question de
recherche qui supporte l’influence simultanée des conflits de rôle, sur l’engagement
organisationnel et l’intention de départ : quels sont les conflits de rôle qui expliquent
l’intention de départ des cadres, et dont l’influence peut être modérée par leur engagement
organisationnel ? Les réponses qui seront données à cette question contribueront d’un point
de vue scientifique à appréhender l’importance de certaines dissonances sociocognitives,
caractérisant les conflits de rôle et de leurs conséquences ; et, d’un point de vue pratique, à
fournir des pistes de réflexion sur la manière d’alléger une certaine souffrance morale à
l’origine d’un mal-être, et d’une intention de démission ou pire !
Du point de vue méthodologique, cette recherche supporte la modélisation d’un schème de
recherche systémique formalisé pour étudier, en premier lieu, la structure des relations de
causalités entre les conflits de rôle étudiés ; en second lieu, celle de leurs dépendances
directes avec l’intention de départ, et indirectes via le processus de modération relatif à
l’engagement. Ce schème est ainsi finalisé par deux prémisses de recherche, l’une à visée
prescriptive, jamais vérifiée, supportant l’existence d’une structure de causalités entre les
conflits de rôle établis par Perrot (2000) ; et l’autre, à visée explicative destinée à valider
l’ajustement des relations causales de ces rôles avec l’intention de départ, qui ont fait l’objet
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Conflits de Rôle et Implication Affective – Quelle influence sur l’intention de départ des cadres du secteur financier
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de nombreux travaux (Baile et Diwany, 2010). Ces deux approches de recherche sont
confrontées à des modélisations statistiques utilisant les Méthodes d’Equations Structurelles
(MES). Ces méthodes sont destinées à établir un « fit » des données, recueillies auprès d’un
échantillon de 210 cadres marocains des banques et assurances, aux relations postulées par les
deux modèles faisant l’objet d’hypothèses de recherche.
Le premier titre de cette communication délimite le contexte théorique des influences
étudiées, des facteurs de rôle et de l’implication organisationnelle, sur l’intention de départ.
Le second est consacré à la présentation du modèle conceptuel de recherche, à la justification
du choix et à la définition de ses variables, ainsi qu’à la formulation des hypothèses relatives
aux deux interrogations émises par les contributions théoriques attendues de ce travail. Le
troisième présente succinctement la méthodologie, le terrain de recherche, la construction des
variables, ainsi que les méthodes d’analyse de données avec les équations structurelles
(MES). Les résultats sont enfin présentés et discutés.
2. Contexte et cadre théorique de la recherche
L’explication du « turnover », et celle préalable de l’intention de départ des salariés, dans le
contexte du respect de leurs aspirations professionnelles, se limite dans cette étude aux deux
facteurs exogènes, que sont leurs rôles et leur engagement ou implication organisationnelle
dans l’entreprise. Ces deux facteurs trouvent, pour le premier, sa justification dans la théorie
des rôles et, pour le second, dans la théorie de l’identité sociale.
La théorie des rôles (TR ; § 3.1) fut introduite avec succès par les sociologues industriels, puis
valorisée en sciences des organisations par les tous premiers travaux de Gross et al. (1958),
Kahn et al. (1964), Van Sell et al. (1981) et Fisher et Gitelson (1983), Elle interpelle cette
recherche, car elle met l'accent sur le rôle des systèmes sociaux ayant des interactions
planifiées, centrées sur le travail à accomplir, et structurées hiérarchiquement (Biddle, 1986,
p.73). Les rôles seront ainsi perçus comme des attentes dans un référentiel professionnel
normatif, comme celui dans lequel les cadres de banques et assurances évoluent. Dès lors que
ces normes changent, évoluent ou font place à des attentes non normatives, naissent des
conflits de rôle, c'est-à-dire des difficultés, pour eux, à décoder les rôles qu’ils croyaient
devoir assumer, à jouer un ensemble de rôles ou à privilégier un rôle au détriment d’un autre.
La théorie de l’identité sociale (TIS ; § 3.2) est, en psychologie sociale, comparable à celle de
l’identité (Stets et Burke, 2000) : la première se réfère à des catégories ou groupes sociaux
(Turner et al. 1987), alors que la seconde se réfèrent à des rôles sociaux ou identification
(McCall et Simmons, 1978). Les deux approches se réfèrent donc à l’appartenance d’un
individu à un groupe (Turner, 1985), qui est un état psychologique distinct de celui d’un
individu isolé. Celle-ci lui confère une identité sociale, une représentation collective de « qui
je suis » et de la manière dont ce « je » doit se comporter. Ces processus cognitifs de
catégorisation sociale, associés à l’identité sociale, sont à l’origine des comportements de
coopération, de conformité aux normes ou de discrimination. Ils s’exercent à différents
niveaux, tels que celui du « soi », du groupe et de l’organisation. La TIS interpelle cette
recherche, car elle met l’accent sur le besoin d’implication organisationnelle, d’engagement
des cadres dans un processus de consolidation des liens du salarié avec son groupe
d’appartenance et l’organisation (Dewany, 2008). Ce groupe social lui fournit une
identification sociale, appelée encore « identité sociale ». Celle-ci est définie comme la partie
du concept de soi de l’individu qui résulte de la conscience qu’il a d’appartenir à ce groupe
social, ainsi que la valeur et la signification émotionnelle qu’il attache à cette appartenance.
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Ces deux perspectives théoriques de l’explication de l’intention de départ supportent, pour
résumer, deux prémisses de causalités de sens différent. La première (§. 2.1), tirée de la TR,
irait dans le sens d’une causalité positive - un accroissement des conflits de rôle serait
associée à une Intention de Départ plus importante ; alors que la seconde (§.2.2), tirée de la
TIS, irait dans le sens d’une causalité négative – les effets bénéfiques d’une catégorisation
sociale seraient associée à une baisse de cette même intention. Elles contribuent chacune à
donner un sens psychologique et social au « bien être », et justifie l’intérêt qu’il convient de
leur apporter pour expliquer l’intention de départ des cadres, et d’une façon générale,
diagnostiquer les problèmes de « turnover ». Enfin, la convergence de ces deux cadres
théoriques est postulée (§ 2.3), afin de délimiter le cadre théorique de ce travail, établi selon
les préceptes de l’analyse systémique des réseaux sociaux.
2.1. Place de la théorie des rôles dans l’explication de l’intention de départ
La théorie des rôles s’applique aux problématiques d’analyse et d’évaluation des
comportements organisationnels, dès lors qu’un individu salarié, en tant qu’acteur social, est
amené à jouer des rôles prescrits par son appartenance à un ou des groupes, ou à une
organisation. Sa position hiérarchique implique de fait un rôle, c'est-à-dire un ensemble de
tâches et de fonctions exécutées dans ce contexte. Son comportement est donc guidé par des
attentes correspondant aux différents rôles qu’il joue dans l’entreprise, à titre individuels ou
collectif. Les rôles sont dès lors associés à des règles et des normes qui guident son
comportement dans des situations spécifiques, de résolution de problèmes ou de prise de
décision. Les rôles attribués à un cadre ou manager préciseront, en ce sens, quels objectifs
sont suivis, quelles tâches doivent être accomplies, et quelle performance est attendue dans
une situation de management. In fine, les salariés s’en tiendront à jouer leur(s) rôle(s), et les
DRH à vérifier dans quelle mesure, chacun joue son rôle, se conforme aux règles en vigueur
et respecte les normes et les règles.
Cette théorie est souvent associée aux problématiques de socialisation permettant, selon
Feldman (1976) de maîtriser un rôle organisationnel, et de comprendre la culture de
l’entreprise ou de devenir membre de l’organisation (Van Maanen et Schein, 1979; Louis,
1980). Elle fait l’objet, pour Diwany (2008), d’un foisonnement conceptuel, mais s’impose
dans les travaux en GRH par l’importance qu’en donne Connell (1979) dans les sciences du
comportement, en tant « qu’approche de la structure sociale qui trouve sa base dans les
relations interpersonnelles et des attentes stéréotypées "(page 9). Il est un fait comme le note
Fein (1990) : « qu’une grande partie du mal être et des malaises des salariés est fomentée par
le problématique du rôle social, et que des rôles « douloureux » sont créés dans le processus
de socialisation (…) Pour les surmonter, ils doivent être abandonnés et de nouveaux rôles
doivent être construits à leur place. » (page 14). Les rôles mesurent ainsi des comportements
et des réactions affectives attendues de la part d’un individu occupant une place donnée dans
un système social (Fogarty, 1992). Ils se réfèrent donc à un comportement qu’impose des
prises de positions individuelles (nécessités par l’exercice d’un métier, d’une
responsabilité,…), ou encore des situations extra-professionnelles (telles les relations à
d’autres personnes, à un groupe, à une organisation…). Ils sont donc multiples dans le sens où
ils combinent des facteurs internes et externes, à la fois inter et intra personnel et spécifient les
modes d'action pour développer des relations interpersonnelles. Ils sont encore façonnés par
une personne sur le plan de la pensée, des sentiments, et par les demandes formulées par les
autres », et seraient, en ce sens, probablement hiérarchisé, bien que cette prémisse n’ait jamais
été vérifiée par des études empiriques.
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Cette approche théorique interpelle en conséquence le problème du
« bien être
psychologique »des cadres, et celui de leur intention de départ volontaire. Il peut se trouver,
en effet, des situations où le salarié ne sait plus exactement ce qui est attendu de lui
(ambiguïté de rôle), et celles où il est soumis à des pressions, à des tensions qui le poussent à
jouer un rôle au détriment d’un autre (conflits de rôle). L’imprécision des tâches, d’un
mandat, des responsabilités affectées à une mission et, plus généralement, l’absence ou
l’insuffisance d’informations pour faire son travail sont sources d’ambiguïté des rôles. Les
conséquences sont un « mal-être », avec une forte diminution de la performance du salarié
liée à des facteurs de risque d’épuisement, de stress, d’anxiété, de tension, et, en toute logique,
de baisse de satisfaction au travail. Lorsque les normes et les règles évoluent, changent ou
sont érigées par des sources multiples, et obligent le salarié à jouer des rôles incompatibles
(par exemple lors d’un changement organisationnel, de direction,…), alors les conflits de rôle
surviennent (Bellini, 2007). Les conséquences de ces conflits sont une source très importante
de tension chez le salarié pouvant conduire à un épuisement émotionnel, à l’origine d’une
baisse de satisfaction au travail, d’un désengagement organisationnel progressif, d’une perte
de perception du soutien organisationnel et, in fine, d’un accroissement de son intention de
quitter son entreprise. Cette théorie ne fait que peu de place aux rôles qui évoluent du fait
d’un changement brutal, ou se développent par le biais d’attentes non normatives dans des
contextes d’entreprises en mutation soumis à une forte concurrence, comme cela est le cas
pour le secteur des banques et assurances marocaines. Plusieurs tentatives de modélisation des
relations des conflits de rôle avec les autres variables du comportement des salariés concluent
à ses effets prédictifs sur l’intention de quitter l’entreprise et confirment sa nature
d’antécédent à l’implication organisationnelle, même si comme le soulignent Fisher et
Gitelson (1983) « la recherche passée a produit des résultats peu clairs et contradictoires au
regard de la nature et de la force des relations entre les conflits de rôles et l’ambiguïté de
rôle, et leurs antécédents et conséquences supposées. » (p. 330) ; et, comme le mentionne
Perrot (2004 ; § 112), reprenant les résultats de deux méta-analyses de Fisher et Gitelson
(1983) et Jackson et Schuler (1985) : « concernant les intentions de départ, des corrélations
assez fortes et significatives (avec l’intention de départ des salariés) ont été observées avec
les tensions de rôles ».
2.2. Place de la théorie de l’identité sociale dans l’explication de l’intention de départ
La théorie de l’identité sociale trouve son application dans les fondements conceptuels de
l’implication et de l’identification organisationnelle, deux approches indépendantes, mais très
souvent interchangeables dans les travaux, comme le mentionnent Herrback et al. (2006). Ces
deux approches s’inscrivent dans la perspective d’un processus dynamique de consolidation
des liens du salarié, avec son groupe d’appartenance et l’organisation (Baile et Diwany,
2010). Le groupe social d’appartenance fournit au salarié une identification sociale, appelée
encore « identité sociale ». Celle-ci est définie comme la partie du concept de soi de l’individu
qui résulte de la conscience qu’il a d’appartenir à ce groupe social, ainsi que la valeur et la
signification émotionnelle qu’il attache à cette appartenance.
L'implication organisationnelle est l’école qui, en raison de ses conséquences positives qui lui
sont associées, tant pour l’individu que pour l’organisation, a suscité un intérêt soutenu,
comme le notent Herrbach et al. 2006), dans les travaux. Elle est définie comme l'attachement
psychologique d'un individu à l'organisation (Allen & Meyer, 1990). Mowday et al. (1982)
définissent l’implication organisationnelle comme « l’importance relative de l’identification
et de l’engagement d’un individu dans une organisation particulière ». Selon O’Reilly et
Chatman (1986), « c’est l’attachement psychologique ressenti par un individu pour une
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Conflits de Rôle et Implication Affective – Quelle influence sur l’intention de départ des cadres du secteur financier
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organisation ». Cet attachement est la résultante d’un ensemble de motivations personnelles et
(ou) de pressions organisationnelles.
Deux formes principales d'implications
organisationnelles ont été étudiées : calculée ou de continuité (mettant l'accent sur les pertes
perçues associées au départ de l'organisation) et affective ou attitudinale (qui reflète
l'identification et l'implication d'une personne dans une organisation particulière). Chacune de
ces deux formes a été étudiée en relation avec des antécédents propres ou partagés (PeyratGuillard, 2002). Les outils de mesure de l'implication sont nombreux et affectés par une
certaine redondance conceptuelle maintes fois soulignée (Morrow, 1983). Les expériences au
travail des salariés peuvent être plus ou moins positives en fonction de la perception qu’ils ont
des pratiques de l’entreprise, qui serait liée à leur implication affective (Gaertner et Nollen,
1989). Certaines de ces caractéristiques sont trouvées dans le soutien organisationnel perçu
(SOP) (Baile et Diwany, 2011). Ces résultats sont conformes à ceux de Meyer et al. (2002)
qui montrent que la perception du soutien organisationnel médiatise la relation entre les
pratiques de GRH et l’implication affective. Le SOP renforcerait l’implication affective
(Armeli et al. 1998 ; Eisenberger et al. 1986), et pourrait être liée à l’identification sociale du
fait de sa contribution à renforcer le sentiment d’appartenance à une organisation (Rhoades et
Eisenberger, 2002) et à limiter l’engagement de continuité Par ailleurs, et à notre
connaissance, la majorité des travaux ont délaissé les liens pouvant exister entre les conflits de
rôle et l’implication organisationnelle affective, dans le sens où les états de rôles, décrits par
Mathieu et Zajac (1990), semblent être, comme cela vient d’être souligné, un antécédent
important de l’implication affective (Allen et Meyer, 1991 ; 1996).
Cette approche théorique interpelle en conséquence le problème du « bien-être
psychologique » des cadres, et celui de leur intention de départ volontaire. L’implication
organisationnelle est en effet un état d’esprit, une relation du cadre par rapport à son
entreprise qui traduit une orientation, un engagement, à la fois proactif et positif (Meyer et al.
2002 ; Rebecca ; 2002). Elle est caractérisée, selon Mowday et al. (1979), par une forte
croyance et acceptation des buts et des valeurs de l’organisation, par la volonté de réaliser des
efforts considérables en sa faveur ; et, par un fort désir d’en rester membre. L’acception du
concept dominant, dans les travaux de ces deux dernières décennies qui est retenue par ce
travail, est celle développée par Allen et Meyer (1991). Celle-ci stipule que l’implication
organisationnelle est tridimensionnelle : avec une composante « calculée » qui mesure les
conséquences perçues par le salarié d’un départ volontaire ; une composante « affective » qui
s’intéresse à l’attachement émotionnel du salarié à son entreprise ; et, une composante
« normative » qui s’intéresse au devoir moral du salarié vis-à-vis de son entreprise.
L’implication organisationnelle affective est un phénomène spécifique, exprimant un « bien
être psychologique » des salariés, qui se produit lorsque cette « force », en tant que
dynamique sociale de consolidation des liens avec l’organisation, se construit par rapport à
une cible organisationnelle, un objectif professionnel, et qu’elle est marquée par un « état
d’esprit de désir » (mind-set of desire) – de rester dans l’entreprise et résister à une intention
de départ.
2.3. Convergence des théories et modèle de recherche
Le recouvrement de ces deux théories, et leur convergence conceptuelle, trouve sa place dans
la modélisation du réseau social de l’organisation développée, de longue date, en théorie des
organisations (Weick, 1960 ; Katz et Kahn, 1966 ; Thompson, 1967 ; Child, 1972 ; Baile,
1979). Tichy et al. (1979) suggèrent que c’est grâce à la vision systémique, que les théoriciens
ont pu focaliser leurs apports conceptuels sur les comportements humains résultant
d’interactions entre des conditions organisationnelles particulières et des processus
organisationnels ad-hoc. Ce cadre de travail systémique, dont les origines sont fondées par la
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sociologie, l’anthropologie, mais aussi la théorie des rôles, est « une des méthodes de
conceptualisation de modèles organisationnels qui permettent de capturer l’intersection entre
des aspects statiques et dynamiques, en se focalisant sur les liens entre les objets sociaux » (p.
508). Dès lors, une interdépendance des deux concepts, de conflits de rôle (catégorisant les
cadres dans des rôles statiques décrivant une structure sociale) et d’implication
organisationnelle (traduisant un processus dynamique d’interaction sociale), serait
conceptuellement envisageable, et transcrite par un schéma liant les objets conceptuels des
deux domaines. Ce schéma fait ainsi l’objet de la troisième prémisse de recherche qui formule
une causalité négative d’influence de la structure des conflits de rôle sur l’implication
organisationnelle affective – en ce sens, l’apparition de conflits de rôle développeraient un
sentiment négatif d’attachement émotionnel des cadres à leur entreprise.
Cette convergence théorique est résumée par la Figure 1. La perspective « d’analyse d’un
réseau social », destinée à évaluer et expliquer l’intention de départ des cadres, est formulée
selon un méta-modèle théorique qui justifiera, dans le titre 3, la conceptualisation systémique
de la prédiction de l’intention de départ (c'est-à-dire une structure de processus
organisationnels organisée en niveaux d’analyse) ; et; dans le titre 4, l’emploi de méthodes
adéquates pour traiter et analyser les données recueillies (c'est-à-dire de méthodes d’équations
structurelles et d’analyse de chemins). Cette perspective ici, in fine, à la nécessité d’établir
des liens entre une approche micro et une approche macro du comportement organisationnel
des cadres, selon Crozier (1972).
Figure 1 : Cadre systémique du modèle d’évaluation de l’intention de départ
THEORIE DES ROLES
Conflits de Rôles
Structure sociale
RESEAU SOCIAL
Modèle systémique
Dynamique sociale
THEORIE DE L’IDENTITE
SOCIALE
Implication Organisationnelle
Affective
T
U
R
N
O
V
E
R
D I
E N
T
D E
E N
P T
A I
R O
T N
3. Modèle conceptuel et hypothèses de recherche
Le cadre conceptuel de cette recherche est fondé sur l’analyse de la relation organisationsalariés. Dans ce contexte de recherche, les tentatives de prédiction de l’intention de départ,
procédant d’une analyse du comportement perçu, sont rares et éparses même si les
fondements théoriques sont opportuns et nombreux. Il s’agit donc de définir, d’une part, les
concepts et variables de recherche (§ 3.1) et de justifier, d’autre part, la structure systémique
du modèle conceptuel à trois niveaux d’analyse (§ 3.2) – conformément au cadre théorique (§
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2.3), ainsi que les relations de dépendance qui lient ces variables, et conduisent à formuler les
hypothèses de travail.
3.1. Les concepts et variables de la recherche
Les conflits de rôle (CR) – niveau 1 :
L’usage qui est fait, dans cette recherche, de la théorie des rôles, via l’appréhension de
tensions ou conflit de rôles, se réfère à l’existence de plusieurs typologies, dont la plus célèbre
est celle de Kahn et al. (1964). De nombreuses fois mentionnées (Bouchard et Foucher,
1995), les conséquences des conflits de rôle (souvent associés au concept d’ambiguïté de rôle)
s’exercent sur les variables d’ordre attitudinal (implication, engagement, identification,
satisfaction au travail…) (Baile et Diwany, 2011), mais s’étendent également aux aspects
comportementaux (absentéisme, performance, intention de départ), et peuvent encore source
de troubles du comportement (stress, anxiété manifeste, intolérances diverses,…). Les conflits
de rôle occupent de la sorte une place essentielle pour appréhender les situations de détresse
morale qui conduisent à l’intention de départ des cadres.
Le modèle de transmission de rôle de Katz et al. (1964) est à l’origine des définitions des
conflits de rôles. Celui-ci distingue les attentes de rôles, le rôle transmis, le rôle perçu, et le
rôle joué. La transmission de rôle est alors un processus continu et permanent d’ajustement
d’un individu à son rôle organisationnel. Les auteurs suggèrent que les interrelations entre les
attentes de rôles, le rôle transmis, le rôle reçu, et le rôle joué sont susceptibles de créer des
transmissions de rôles incohérentes appelées conflits de rôles. Katz et Kahn (1978) suggèrent
une vision multidimensionnelle de ce concept qu’ils définissent comme étant le résultat de
« l’occurrence simultanée de deux (ou plus) transmissions de rôle, tels que la prise de l'un
...rend difficile ... (voire totalement impossible)...la prise de l'autre » (p. 185).
Cette vision multidimensionnelle de ce facteur déclencheur de l’ID est reprise par de
nombreux travaux qui, selon Diwany (2008), considèrent que, pour rendre compte de la
diversité des formes de conflits de rôle, il est nécessaire de reconsidérer l’ensemble
interactionnel dans lequel s’exerce un rôle, à savoir l’ensemble de rôles. En effet, un conflit
de rôles dépasse largement l’aspect incompatible des attentes et des comportements
constitutifs du rôle. Le contenu du travail est souvent perçu de différentes manières en
fonction du contexte dans lequel il s’exerce, des relations tissées entre l’acteur et son
environnement, et enfin des caractéristiques individuelles de la personne focale. Le modèle
conceptuel prend de la sorte en compte le fait que les rôles sont façonnés (cf. § 2.1) « par une
personne sur le plan de la pensée, des sentiments, et par les demandes formulées par les
autres ». Une prémisse a été en ce sens formulée sur leur possible hiérarchisation, ainsi que
celle conséquente, des conflits de rôle sous-jacents.
Parmi les travaux, proposant un cadre d’évaluation des conflits de rôle (Kahn et al. 1964 ;
Rizzo, House et Lirtzman , 1970) ; Ford et al. 1975 ; Jackson et Schuler, 1985 ; Chonko et
al.1986 ; Ilgen et Holenbeck, 1991 ; Foucher et Bouchard, 1995 ; Loubes, 1997), seuls les
travaux de Perrot (2000, 2005) apporte une contribution sur un contenu conceptuel (les
exemples de conflits de rôles donnés par ces auteurs ne sont pas toujours cohérents avec le
cadre sous-jacent qu’est la théorie des attentes des conflits de rôle), et une validation
méthodologique des construits qui puisse être implémentée, conceptuellement et
empiriquement (la validation empirique des résultats proposés par ces auteurs reste
insuffisante), dans le contexte de cette recherche.
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Perrot (2000) propose, dans une double démarche méthodologique à la fois exploratoire et
confirmatoire, une approche multi dimensionnelle pour la définition et la mesure des conflits
de rôles. Cinq dimensions clés des conflits de rôles sont ainsi identifiées empiriquement : le
conflit « individu / rôle », le conflit « individu / climat », le conflit « individu / ensemble de
rôles », le conflit « d’accès à l’information », et la « surcharge de rôle ». Les qualités
psychométriques du construit sont bonnes, à la fois globalement et pour chaque dimension, et
sa structure factorielle stable (Perrot, 2005). Il conclue que ce sont principalement les trois
premières formes de conflits de rôles qui ont un impact fort sur les variables prises en
considération : l’engagement au travail, l’implication organisationnelle, la satisfaction au
travail, le sentiment de performance, et les intentions de départ. Les relations mises en
évidences entre les conflits de rôles et ces variables semblent robustes, et peu sensibles aux
effets modérateurs potentiels. Les corrélations observées dans les méta-analyses de Fisher et
Gitelson (1983) et Jackson et Schuler (1985) suggèrent que les conflits de rôles, ainsi que
l’ambiguïté de rôle, sont des variables explicatives potentielles des intentions de départ.
Certes, comme le souligne Perrot (2004) «l’existence de corrélations n’implique aucunement
une relation causale, mais ces résultats corroborent néanmoins la proposition générale visant
à établir une relation entre tensions de rôles et les intentions de départ ».
Ces trois variables ont été reprises par le modèle conceptuel de cette recherche. Elle mesure
chacune des conflits de rôles relatifs à l’(in)adéquation (« fit ») entre l’individu et son rôle
organisationnel et satisfont la double exigence, relevée dans la littérature par Perrot (2005,
d’une part, de se situer à l’interface entre l’individu et l’organisation et relier ainsi ces deux
niveaux d’analyse (Katz et Kahn, 1966/1978) - comme cela est postulé par le cadre théorique
(Figure 1) ; et, d’autre part, de refléter les composantes clés du concept de rôle
organisationnel, c’est à dire la notion d’activités et de comportements relationnels, dans un
contexte organisationnel (Biddle, 1979). La prémisse de recherche concerne, pour ce premier
niveau du modèle conceptuel: l’existence d’une causalité, d’une part, directe du conflit
individu/rôle sur le conflit individu/climat, et, d’autre part, indirecte via le conflit
individu/ensemble de rôles. Il existerait en ce sens une structure causale des trois conflits de
rôles. Les trois variables de recherche sont définies, ci-après :

Le conflit « individu/rôle » (variable exogène de niveau 1 : CR_IND) : s’entend
comme un conflit entre les attentes de l’individu concernant ses capacités et ses compétences
pour gérer ses activités, et son rôle professionnel (indépendamment des attentes de son «
ensemble de rôle). Le construit de cette variable fait l’objet d’échelles d’intervalles égaux à 5
points pour les items suivants :
CR1 - Globalement, mon travail est plutôt sous qualifié par rapport à ma formation
CR2 - J’aimerais bien pouvoir utiliser plus mes compétences dans mon travail :
CR3 - J’aurai malheureusement assez vite fait le tour de mon poste actuel
Réponses : pas du tout d’accord, pas vraiment d’accord, ni d’accord, ni en désaccord,
assez d’accord, tout à fait d’accord.

Le conflit « individu/ensemble de rôles» (variable exogène de niveau 1 :
CR_COL) : s’entend comme un conflit entre les attentes de l’individu concernant ses
relations interpersonnelles et son rôle au sein de son groupe social et de l’organisation
(indépendamment de attentes contextuelles). Le construit de cette variable fait l’objet
d’échelles d’intervalles égaux à 5 points pour les items suivants :
CR4 - Certaines personnes me font parfois des remarques désagréables au travail
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CR5 - Parfois je suis frustré(e) de ne pas pouvoir répondre aux « attaques » des autres
CR6 - J’ai quelques fois l’impression de me faire bousculer pour rien
CR7 - Je trouve qu’il y a trop souvent de conflits entre les gens au travail
Réponses : pas du tout d’accord, pas vraiment d’accord, ni d’accord, ni en désaccord,
assez d’accord, tout à fait d’accord.

le conflit « individu/climat (variable exogène de niveau 1 : notée CR_CLI) :
s’entend comme un conflit entre les attentes de l’individu concernant le contexte et le climat
organisationnel et son rôle d’encadrement et de management. Le construit de cette variable
fait l’objet d’échelles d’intervalles égaux à 5 points pour les items suivants :
CR8 - Je n’accroche pas complètement avec la culture de cette entreprise :
CR9 - Cette entreprise a parfois un mode de fonctionnement qui m’énerve
CR10 - Dans cette entreprise, il faut parfois se comporter d’une façon qui ne me convient pas
CR11 - L’entreprise n’est pas très attentive aux préoccupations de ses salariés
Réponses : pas du tout d’accord, pas vraiment d’accord, ni d’accord, ni en désaccord,
assez d’accord, tout à fait d’accord.
L’implicaion affective (IA) – niveau 2 :
Le concept d’implication ou d’engagement est ancien, mais présente un intérêt constamment
« renouvelé », par ses multiples développements conceptuels et empiriques. L’implication est
à la base indissociable de l’engagement (involvement dans la littérature anglo-saxonne ou
commitment chez Kiesler, 1971). Les définitions de l’implication cherchent toutes à
caractériser les liens entre un individu et l’organisation dans laquelle il travaille. Selon Kielser
(1971), l’engagement, c’est le lien qui existe entre l’individu et ses actes.
Il convient de rappeler que l'implication organisationnelle renvoie à l'attachement
psychologique d'un individu à l'organisation toute entière. Trois formes d'implication
organisationnelle sont identifiées : (1) calculée ou de continuité (mettant l'accent sur les pertes
perçues associées au départ de l'organisation) ; (2) affective ou attitudinale (qui reflète
l'identification et l'implication d'une personne dans une organisation particulière) ; et (3)
normative (qui correspond à un sentiment d'obligation morale de demeurer au sein d'une
organisation). Ces trois composantes de l'implication indiquent dans quelle mesure les salariés
ont besoin, doivent et souhaitent rester dans l'organisation (Allen & Meyer, 1991). Cette
recherche se limite au seul concept d’implication ou d’engagement affectif, qui traduit une
relation d’attachement source de fidélité « choisie », et se rapporte aux perceptions des
salariés quant à leur attachement émotionnel avec leur entreprise. Cette implication, comme
d’ailleurs l’implication normative, est associée au départ potentiel des salariés – comme le
soulignent Mobley et al. (1979), lorsqu’une personne est engagée affectivement ou considère
comme coûteux de quitter son entreprise, son intention de départ sera faible ; à l’opposé, en
l’absence de liens affectifs ou calculés forts, son intention de départ sera élevée. L’implication
organisationnelle affective ou psychologique consiste, pour résumer, en une orientation
positive envers l’organisation. Elle correspond à l’état d’esprit du désir.
Le modèle conceptuel mobilise ce concept qui trouve son intérêt, d’une part, dans
l’identification de déterminants (en tant que facteur exogène) liés aux conflits de rôles (CR),
au support organisationnel perçu (SOP), et à l’identification organisationnelle (IE) pour
justifier des antécédents de l’IA (Diwany, 2008) ; et, d’autre part, dans ses conséquences
directes pour déterminer l’intention de départ (en tant que facteur endogène). Les antécédents
de l’implication affective, d’après Meyer et Herscovitch (2001, p.316), c’est-à-dire les
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variables qui contribueront à son développement, sont toutes les variables qui contribuent à la
possibilité qu’un individu s’implique dans une action, qu’il soit intrinsèquement motivé par
une action, qu’il reconnaisse la valeur d’une entité ou d’une action, ou encore qu’il voit son
identité dériver de l’association vers une entité, ou du travail vers un objectif. Allen et Mayer
soulèvent le manque de cohérence dans les divers travaux de recherche sur les antécédents de
l’implication organisationnelle, qui rassemblent, selon l’expression de Reichers (1987, p.467),
une longue "liste interminable". Une synthèse générale de ces antécédents se référent, selon
Mowday et al (1982, p 32) aux (1) caractéristiques personnelles ; (2) caractéristiques du
travail ou du rôle ; (3) expériences de travail ; et (4) caractéristiques structurelles. Ainsi, les
caractéristiques personnelles et du travail, les relations avec le groupe et le supérieur
hiérarchique sont autant de caractéristiques organisationnelles, prises en compte par les
conflits de rôle, le soutien organisationnel perçu et l’implication affective, qui sont
généralement considérés comme des antécédents de l'implication. Les conséquences de
l’implication affective concernent globalement quatre facteurs : l’absentéisme, la performance
au travail, le retard et le roulement du personnel. Mowday et al. (1982) et Marsh et Mannari
(1977) avaient prédit que la conséquence la plus forte de l’implication des salariés devait être
un faible taux de turn-over. Ce que confirme Steers (1977), pour qui l'un des résultats les plus
significatifs de l'accroissement de l'implication est la fidélité des salariés.
L’opérationnalisation du concept, dans le modèle de recherche, s’effectue à l’aide d’une
variable (nommée IA), dont le construit, comportant 6 items, a été adapté en français de
l’échelle de Meyer et Allen (1987), revue par Meyer et al, (1993). Le construit de la variable
IA (exogène versus endogène dans le modèle) fait l’objet d’échelles d’intervalles égaux à 5
points pour les items suivants :
IA1 - J’éprouve du plaisir à parler de mon entreprise à des gens de l’extérieur
IA2 - Je ressens vraiment les problèmes de mon entreprise comme s’ils étaient les miens
IA3 - Je ne me sens pas comme un « membre de la famille » dans cette entreprise®
IA4 - Je ne me sens pas lié à cette entreprise de façon émotionnelle ®
IA5 - Cette entreprise signifie énormément pour moi sur le plan affectif :
IA6 - Je ne ressens pas de sentiment puissant d’attache envers mon entreprise®
® item avec échelle inversée
Réponses : pas du tout d’accord, pas vraiment d’accord, ni d’accord, ni en désaccord,
assez d’accord, tout à fait d’accord.
L’intention de départ (ID) – niveau 3 :
L’intention de départ est souvent abordée selon plusieurs termes qui expriment la même
notion : l’intention de démission volontaire ou l’intention de quitter (Neveu, 1996). Cette
intention désigne le désir du salarié de rompre la relation avec l’entreprise qui l’emploie ; il
s’agit donc d’une volonté de rupture du contrat d’emploi de la part de l’individu (Neveu,
1996 ; Diwani, 2008). L’intention se distingue dans cette recherche de l’action, dont le débat,
vieux de quelques décennies, n’est toujours pas clos.
L’opérationnalisation du concept, dans le modèle de recherche, s’effectue à l’aide d’une
variable (nommée ID), dont le construit, comportant 4 items (inspirés et adaptés en français et
au contexte de l’étude empirique du « Michigan Organizational Assessment Questionnaire »
développé par Camman et al. (1979 ; 1983)), est depuis longtemps implémenté dans les
travaux sur l’ID (Cook et al. 1981 ; Mc Farlane-Shore et Martin, 1990 ; Neveu, 1996 ;
Wayne et al, 1997 ; Perrot, 2004). Les attributs, tirés du travail de Wayne et al. (1997), ont
ainsi été rédigés en français afin d'obtenir une réponse exempte d'éléments contextuels
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externes, comme par exemple la situation du marché de l'emploi dans le secteur de l’étude,
des banques et assurances marocaines. On y mesure, au contraire, une intention personnelle,
une attitude, qui vise à traduire en comportement, dans la mesure où le départ de l'entreprise
serait possible.
Le construit de la variable ID (endogène dans le modèle) fait l’objet d’échelles d’intervalles
égaux à 5 points pour les items suivants :
ID1 - Je travaillerai encore pour mon entreprise l’année prochaine
ID2 - Je vais rechercher activement un travail dans une autre entreprise dans l’année qui vient
ID3 - Je serai encore dans la même entreprise dans cinq ans
ID4 - Il se pourrait que je recherche un autre travail ailleurs dans l’année qui vient
Réponses : pas du tout d’accord, pas vraiment d’accord, ni d’accord, ni en désaccord,
assez d’accord, tout à fait d’accord.
3.1. Le modèle conceptuel et les hypothèses de recherche
Le modèle conceptuel répond à la problématique d’analyse systémique de l’évaluation du
roulement (turnover), prenant en compte les effets directs des trois conflits de rôle et de leur
interdépendance (niveau 1 du modèle), et leurs effets indirects modérateurs, via l’engagement
organisationnel affectif (niveau 2 du modèle), sur l’intention de départ (ID) des cadres (niveau
3). Ce modèle fait état d’une structure (§ 3.2.1) justifiée par des relations de causalité
multiples, entre les variables exogènes et endogènes, et d’hypothèses de recherche (§ 3.2.2)
destinées à valider, en premier lieu, la conformité des variables de recherche utilisées pour
décrire les trois niveaux du modèle et, en second lieu, à tester un « fit optimal » des données
empiriques aux relations de causalité postulées.
Le modèle conceptuel et la structure des relations :
Le design du modèle fait état de trois niveaux d’analyse (Figure 2) :
Le premier (niveau 1) concerne les antécédents les plus puissants (déclencheurs) de
l’intention de départ, identifiés à l’aide de la théorie des rôles (§ 311). Ce niveau est décrit
par une chaîne de causalités directes internes entre les 3 variables exogènes (CR) du modèle.
Chacune d’elles a une relation causale directe avec les variables endogènes du niveau 2 (IA :
implication affective) et du niveau 3 (ID : intention de départ)
Le second (niveau 2) concerne le processus médiateur des effets des CR sur l’ID,
mesuré par l’implication affective des cadres avec leur entreprise; et,
Le troisième (niveau 3) concerne la « variable dépendante » unique, intention de
départ, qui fait l’objet de la recherche.
Les trois niveaux de ce modèle font l’objet de relations postulant (1) aux dépendances directes
[DD] des conflits de rôle sur l’intention de départ et (2) à leurs dépendances indirectes (DI),
via l’implication affective. L’étude de ces relations fait l’objet des hypothèses de recherche.
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Figure 2 : Design du modèle conceptuel
CONFLITS
DE ROLES
[DD]
INTENTION
DE
DEPART
CR_COL
(DI)
CR_IND
IMPLICATION
AFFECTIVE
[IA]
CR_CLI
Niveau 1 : Structure Sociale
des rôles organisationnels
Niveau 2 – Dynamique sociale
de transformation des rôles
(DI)
[ID]
Niveau 3 :
Résultats des
influences
directes (ID)
et indirectes
(II)
Les hypothèses de recherche :
Le modèle est assujetti à deux types d’hypothèses, à visée descriptive puis déterministe.
Celles à visée descriptive sont destinées à valider les métriques utilisées pour chacun des
construits des variables exogènes et endogènes, et à les confirmer, dans la mesure où les
échelles ont été empruntées à des travaux antérieurs. Celles à visée déterministe sont destinées
à vérifier le « fit » du modèle et des relations entre les variables de recherche aux données
empiriques.
Hypothèses de validation (HV) des propriétés psychométriques des construits
Elles sont établies pour chacune des variables des trois niveaux du modèle :
- Niveau 1 : deux hypothèses sont destinées au test, en premier lieu, de la validité
convergente et, en second lieu, de la validité discriminante, des variables mesurant les
trois conflits de rôle (CRIND, CRCOL et CRCLI)
- Niveau 2 : une hypothèse est destinée au test de la validité convergente (HVC_IA) de
l’implication affective.
- Niveau 3 : Une hypothèse est destinée au test de la validité convergente (HVC_ID) de
la variable ID.

L’hypothèse générique (HV) est la suivante : « le structure des construits des
variables du modèle est unidimensionnelle et respecte les propriétés de validité convergente
ou « fit » des données aux modèles sous-jacents, et de qualité, en termes de fiabilité et de
reproductibilité »
Hypothèse générale de « fit » du modèle et des dépendances
Le test du « fit » formule, sur la base du modèle « témoin » mis à l’épreuve des données, en
premier lieu, une hypothèse partielle (HP_CR) de « fit » du sous-modèle étudiant les
interdépendances des 3 conflits de rôle ; et, en second lieu, l’hypothèse générale de recherche
(HG), d’adéquation d’une structure optimale de causalités directes et indirectes significatives
entre les conflits de rôle et l’intention de départ et, en second lieu, des hypothèses adjacentes
de relations de dépendance directes et indirectes significatives entre l’intention de départ (ID)
et l’ensemble des variables antécédents des niveaux 1 et 2.
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
L’hypothèse partielle (HP_CR) est la suivante : « Le conflit individu/rôle a une
influence directe positive sur le conflit individu/ensemble de rôle, qui influence à son tour
directement et positivement le conflit individu/climat ».
Cette hypothèse est destinée à mettre à l’épreuve des données les suggestions et interrogations
concernant le caractère multidimensionnel et la hiérarchie des conflits de rôle en prenant en
considération, comme le souligne Biddle (1979) puis plus récemment Perrot (2005), que la
notion de rôle organisationnel s’articule autour de deux éléments clés, qui sont les attentes
réciproques relatives aux activités et comportements relationnels, exercés par un individu
dans un contexte organisationnel donné. De facto, cette mise à l’épreuve jamais faite dans les
travaux antérieurs, devrait confirmer le postulat formulé par Katz et Kahn (1966), pour qui
l’intérêt du concept de rôle est de permettre de relier les attentes des salariés à deux niveaux,
individuel et organisationnel - l’organisation étant alors conçue comme un système de rôles,
où chaque individu peut être localisé dans un système de rôles interdépendants. Ce postulat
supporte l’existence d’une structure sociale bâtie autour des rôles individuels de chaque cadre
au sein de l’organisation.

L’hypothèse générale (HG) est la suivante : « Les conflits de rôle ont une influence
directe et positive sur l’intention de départ [ID], et une influence indirecte et négative via les
effets de la médiation de l’implication affective [IA] »

Les hypothèses adjacentes (HA), se référant aux influences directes et indirectes de
chacun des conflits de rôle sur l’intention de départ, via l’implication affective, sont les
suivantes :
HA1 : « Le conflit individu/rôle a une influence directe positive sur l’intention de
départ, et indirecte négative via l’implication affective »
HA2 : « Le conflit individu/ensemble de rôle a une influence directe positive sur
l’intention de départ, et indirecte négative via l’implication affective »
HA3 : « Le conflit individu/climat a une influence directe positive sur l’intention de
départ, et indirecte négative via l’implication affective »
HA4 : « L’implication affective, en tant que variable « pivot » du processus de
transformation a une influence négative sur l’intention de départ »
Ces hypothèses sont destinées à mettre à l’épreuve des données les nombreuses interrogations
émises, de longue date, par les travaux touchant au « bien-être » des salariés, qui ont dans une
large mesure confirmé que les conséquences des conflits de rôles ont (1) sur des attitudes
(telles que la satisfaction, l’implication organisationnelle, l’engagement au travail, la
motivation, les intentions de départ...) ; (2) des comportements (performance...) ; ou (3) du
stress (Fisher et Gitelson, 1983 ; Jackson et Schuler, 1985, et plus récemment Perrot, 2005 ;
Diwany, 2008). Dans une large mesure, ces conséquences ont été qualifiées de « négatives »,
car ces conflits diminuent la satisfaction, l’implication, l’engagement, la motivation, la
performance, et accroissent les intentions de départ et le stress.
4. Méthodologie de la recherche
4.1. Terrain et méthode de conduite du projet de recherche
Cette recherche fut conduite, début 2008, auprès d’institutions financières marocaines qui
présentaient, d’une façon flagrante, un problème de roulement de leurs salariés cadres. Sept
établissements bancaires banques et six compagnies d’assurances ont été préalablement
sondés pour les faire adhérer à ce projet d’évaluation de l’intention de départ de leurs salariés,
et les impliquer activement dans les objectifs de cette recherche. Les entretiens préliminaires
conduits en un lieu « neutre », le centre de formation interbancaire, auprès des responsables
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des ressources humaines et de quelques cadres, ont permis la présélection des établissements
(13 sites) et la détermination d’un échantillon cible de répondants (380 cadres).
La diffusion du questionnaire de recherche, pourtant avalisé par les responsables des sites,
ayant été rendue impossible dans un contexte normal d’enquête de support électronique
(messagerie et intranet) mais aussi de support classique papier, c’est donc un recueil de
données en « face à face » qui fut décidé. Celui-ci s’est effectué au sein de chaque
établissement, ainsi qu’à l’occasion de formations professionnelles. In fine, 289 enquêtes ont
été enregistrées (soit un taux de participation de 82 %), et 210 ont été sélectionnés pour
l’étude (soit un taux de représentation de 73 %). Ce premier résultat, qu’il convient de juger
« d’excellent », dans une recherche qui de toute évidence est politiquement difficile,
témoigne, d’une part, de très fort intérêt apporté à la problématique de cette recherche par les
cadres marocains, mais aussi, d’autre part, de la réalité des problèmes de « turnover » perçue
autant du côté des responsables rencontrés que des salariés soucieux de voir leur carrière
évoluer.
Des variables de segmentation, permettant à l’occasion d’étudier l’influence de certaines
contingences professionnelles dans de futurs travaux, permettent ici de qualifier notre
échantillon et de vérifier qu’il n’existe certains biais statistiques. La répartition des AGES
montrent que l’âge médian (50 % des répondants) se situe entre 26-35 ans – un âge qui
interpelle les cadres dans leur projet de carrière ! La répartition des sexes montre la dominante
masculine (avec 75 % des répondants) – une domination, probablement évidente, du sexe fort
dans l’encadrement de ces établissements ! La fonction de cadre (à 62 %) en bon équilibre
avec celle de responsable et de directeurs (à 38 %) – les enjeux du « turnover » sont une
préoccupation pour tout l’encadrement ! L’ancienneté dans la fonction au sein de
l’établissement (avec un seuil de 7 années, pour 75 %) – un seuil où il est encore possible
d’espérer une évolution de carrière, à l’intérieur ou ailleurs ! Le nombre d’années
d’expérience (avec un seuil à 13 ans, pour 70 % des répondants) – un espoir d’évolution à un
tiers de son parcours professionnel ! La taille des établissements ciblés, en terme d’effectifs
(avec un seuil de 1000 salariés et plus, pour 60 % des répondants) – une façon de penser que
la progression de carrière, dans ces établissements, laisse à désirer ! Toutes ces informations,
et les interprétations subjectives et ponctuelles qui en sont faites, témoignent de la
représentativité, autre que statistique, de cet échantillon sur l’intérêt qu’ont eu les salariés à
répondre, en face à face, à cette « enquête », et de leur « objectivité » dans leurs réponses qui
sera mise à l’épreuve des analyses de données à venir.
4.2. Les méthodes de recherche
Démarche de collecte de données
La démarche de collecte des données s’est inscrite dans une approche positiviste avec la
construction d’un questionnaire comme mode de collecte des données assorti d’un protocole
de saisie des données en « face à face » comme mentionné dans le §. 4.1. La mise en œuvre de
l’enquête a été précédée par plusieurs étapes d’élaboration et de pré-test du questionnaire,
auprès des représentants des institutions partenaires. Dans un premier temps, il fut établi une
validité de contenu des différents construits des variables de mesure, dont les énoncés sont
mentionnés dans le § 3.1, et repris en Annexe 1 pour les analyses de validité convergente des
variables de recherche.
Méthodologie d’analyse de données
Deux approches méthodologiques successives sont retenues pour mettre à l’épreuve le test des
hypothèses. Ces approches combinent des méthodes de 1ère et 2ème génération et sont mise en
œuvre à des fins autant descriptive qu’explicative.
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La méthodologie d’analyse descriptive est destinée, dans une phase préalable, à valider les
construits des variables du modèle de recherche, et à tester les propriétés psychométriques des
variables du modèle, qui font l’objet d’hypothèses de validation (HV) implicites (§. 3221) –
elle combine dans une phase exploratoire, selon les préconisations de Gerbing et hamilton
(1996) les méthodes usuelles d’analyse de données de 1ère et 2ème génération.
- Celles de 1ère génération supportent les 3 tests statistiques de validité convergente, de
validité discriminante et de fiabilité des construits. Les deux premiers tests sont réalisés par
une AFCP avec rotation Varimax. Ce mode de rotation est préféré aux rotations orthogonales,
car rien ne permet, dans cette analyse exploratoire préliminaire d’arguer en une structure
simple : « certains facteurs extraits, bien que distincts, pourraient être reliés à un même
concept » (Evrard et al. 1993, p. 374). Ces études de validité conduisent à ne retenir, pour
l’examen des facteurs extraits, que les attributs ou items de chacun des 7 construits, dont les
«facteurs loading » sont supérieur à 0,50 (Evrard et al. 1993). Cette méthode, appliquée à
chacun des construits des 7 variables du modèle, permet ainsi le calcul et la sauvegarde de
nouvelles données standardisées (ou « facteurs score »), distribués selon une loi normale N
[0,1], exploitables dans la phase de modélisation suivante. Le troisième test est effectué à
l’aide du « alpha de Cronbach » - devant respecter la norme la norme
 selon (Nunnally,
1978). Ces tests ont été réalisés sous SPSS 18.0.
- Celles, dite de 2ème génération complètent et confirment l’existence des structures
supposées des variables. Elles sont aussi appliquées à chacun des 7 construits des variables,
avec une analyse factorielle confirmatoire (AFC) sous AMOS 7.0, complétée par un test de
validité convergente. L’AFC doit, en ce sens, confirmer les normes d’identification des
modèles structurels et d’interprétation des indices de « fit » des modèles structurels qui sont
classés en trois catégories, à savoir les indices (1) «parcimonieux (χ², p[χ²]>5%, RMSEA<10
%) » ; (2) « incrémentaux (NFI<.90, NNFI<.90, TLI et CFI<.90) » ; et (3) « absolus (χ²
normé<3, PNFI +, PGFI +) » (Pedhazur et Pedhazur-Schmelkin, 1991 ; Roussel et al. 2002).
Hu et Bentler (1999) conseille utilement l’usage, pour les résultats d’une AFC, d’utiliser les
indices suivants: χ² normé, RMSEA, TLI, CFI et le RMR. William et al. (2002) conseillent,
encore, de confronter cette première étude à visée « confirmatoire », à celle de la validité
convergente de chaque construit, en utilisant deux mesures complémentaires ; d’une part,
celle de la consistance interne (ou reliability/fiabilité) à l’aide du coefficient Rho (r) de
Jöreskog, et, d’autre part, avec la variance moyenne extraite (AVE), mesurée par le
coefficient de Rhovc (rvc) de Fornell et Larcker (1981). Chandon (2006) note la règle
suivante, retenue ici, relative à l’usage de ces deux indices : « La validité convergente d’un
concept latent est établie lorsque la consistance interne du concept est supérieure à 0.7 et
lorsque ce concept extrait en moyenne au moins 50% de la variance de ses indicateurs. Cela
signifie que le concept est estimé de manière consistante (ou encore convergente) par ses
indicateurs et que la part de variance attribuable aux erreurs de mesure est inférieure à la
part de variance capturée par le concept latent. On ajoute fréquemment la contrainte que
chaque indicateur ait une corrélation significative différente de zéro (CR sous AMOS 18, ou
T de Student >1.96 ; soit p<5%) et supérieure à 0.50 avec la variable latente ».
La méthodologie d’analyse explicative est destinée, dans cette phase de validation du modèle,
au test, dans un premier temps, de l’hypothèse générale (HG) de « fit » du modèle conceptuel
« témoin » (Cf. Figure 2), et dans un second temps, des hypothèses adjacentes (HA) relatives
aux relations de dépendance entre les variables du modèle. Le test de HG (et des HA)
s’effectue par la méthode des équations structurelles (MES), utilisant le critère du « maximum
de vraisemblance » (HG) et l’analyse des cheminements entre les variables du modèle (à
l’aide d’un « path-analysis/analyse des dépendances »). Les indices estimés par la MES sous
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AMOS 7.0, doivent confirmer les normes d’identification des modèles structurels et celles de
l’interprétation des indices de « fit » des modèles structurels, classés en trois catégories (1)
«parcimonieux (χ², p[χ²]>5% - moins le test est significatif meilleure est l’adéquation des
données au modèle spécifié ; RMR<10% ; et GFI>.90, AGFI>.90, RMSEA<5%) » ; (2)
« incrémentaux (NFI>.90, NNFI>.90, CFI et RNI>.90)» ; et (3) « absolus (χ² normé<3
PNFI+, PGFI+) », (Pedhazur et Pedhazur-Schmelkin, 1991 ; Roussel et al. 2002). La méthode
d’analyse des cheminements est conséquente à celle de la MES, dès lors que le modèle a été
identifié. Elle fait l’objet, dans cette recherche, de simulations successives sur les chemins
conceptuels possibles afin d’identifier la structure d’un modèle optimal (saturant les trois
types d’indices), en ne retenant comme poids ou dépendances entre variables que ceux
significatifs au risque de 1ère espèce (< à 5%). L’efficacité du modèle optimal des
dépendances est donnée par les coefficients de détermination (R²) extrait pour chacune des
variables endogènes du modèle (ID, IA, CR_CLI et CR_COLL), dont le seuil de signification
est établi au risque de 1ère espèce (< à 1%).
5. Résultats de la recherche
5.1. Les résultats de tests de validité psychométriques des construits
La synthèse des différents tests est donnée par la Tableau 1. Elle établit, en premier lieu,
l’unidimensionnalité de chaque variable du modèle, avec une variance expliquée élevée
VE>50%) pour chaque facteur extrait des AFCP et des solutions factorielles qui restituent
pour chacune des 5 variables des coefficients de saturation élevés (colonne loadings), tous
supérieurs à la valeur 0.50 admise comme limite. La fiabilité de ces 5 construits, et leur
possibilité de se reproduire, est établie pour 4 des 5 variables (avec un indice
 à
l’exception de [CR_IND] pour laquelle cette garantie n’est pas formellement établie. Elle
établit, en second lieu, une validité convergente satisfaisante pour 4 variables de recherche, à
l’exception de [CR_IND]. Celle est prononcée à partir de l’examen des coefficients de « fit »
des modèles, avec en premier lieu, le respect ou la proximité des valeurs limites admises pour
les normes d’identification des modèles, en ce qui concerne les valeurs obtenues des AFC
correspondantes pour les indices suivants : χ²normé, RMSEA, TLI et CFI ; et, en second lieu,
le respect des contraintes de corrélation factorielle des attributs désignés par les AFCP, toutes
supérieures à la valeur limite de 0,50 (
colonne [corrélations AFC/AMOS 18]. Cette
validité convergente est confirmée par les valeurs du Rho   de Jöreskog, toutes supérieures à
la limite de 0,70, ainsi que par celles des AVE supérieures à 40 %.
Tableau 1 : Synthèse des tests de validité psychométriques des variables de recherche
INDICES
VARIABL
ES
CR_IND
CR_COL
CR_CLI
IA
ID
FIT DES MODELES de STRUCTURATION DES
VARIABLES AVEC L’AFC
χ²
ddl p
χ²nor RMSEA
TLI
CFI
FIABILITE DES MODELES
74
9.2
2.8
7.7
28
0.601
0.743
0.727
0.820
0.740
6
2
2
5
2
.0
.0
.25
.20
.0
12.3
4.5
1.42
1.55
14.3
0.23
0.12
0.045
0.051
0.252
1
0.859
0.974
0.984
0.922
1
0.96
0.995
0.995
0.924
0.707
0.746
0.736
0.871
0.844
AVE
VE
47%
44%
42%
53.6%
44.0%
58%
57%
55%
67%
66%
Cette analyse permet de confirmer les hypothèses (HV) préalables de structure des variables.
Les décisions et conclusions prononcées sont formulées, pour chacune des variables des trois
niveaux du modèle. Elles prennent en compte, à postériori, l’unidimensionnalité des
construits (AFCP) et leur qualité de reproduction ( de Cronbach), et la capacité de
convergence, à priori, des modèles sous-jacents de mesure (AFC,   de Jöreskog et AVE).
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-
Pour le niveau 1 : l’hypothèse de structure et de validité convergente est confirmée
pour les deux variables exogènes [CR_COL] et [CR_CLI] ; elle est infirmée pour la
variable exogène [CR_IND], même si les valeurs du  sont justes satisfaisantes (ces
calculs étant moins sensibles au nombre d’items de construits (3), que celui du
coefficient ( Roussel, 2002). Les résultats du test de validité discriminante de
l’échelle générale des conflits de rôle (adaptée de Perrot, 2000) confirment la structure
« tri-factorielle » (Baile et Diwani, 2011) de ces 3 variables. Cette AFC est complétée,
pour le test de l’hypothèse partielle (HP_CR), par une « analyse alternative de la
covariance de Sörbom (1978) », dont les résultats sont résumés dans le Tableau 2.
Cette analyse restituent, en premier lieu, les quatre indices de « fit » de l’AFC
(χ²normé, RMSEA, TLI, CFI), postulés par Hu et Bentler (1999), conformes aux
valeurs préconisées ; et, en second lieu, les deux coefficients de détermination pour
chacune des deux variables latentes CR_COL (15,1%) et CR_CLI (36,2%).
L’hypothèse partielle formulant l’existence d’une structure de causalités des conflits de rôle
est vérifiée. L’hypothèse de validité discriminante des 3 construits des conflits de rôle est,
dans un premier temps, vérifiée. L’ajustement aux données est en ce sens acceptable avec des
estimations de poids ( i) supérieures à la norme (>.0.50) pour 9 des items (Annexe 2 ;
tableau des chemins) – les contributions des items CRL 2 (CR_IND) et CRL11 (CR_CLIM)
nt des contributions significatives, légèrement inférieures au poids toléré (>.50). Ils sont
conservés dans leur métrique respective pour le test de HG. L’analyse des chemins entre ces
trois variables (Annexe 2 : diagramme) montre l’existence d’une dépendance directe positive
et significative (1) du conflit individu/rôle sur le conflit individu/ensemble de rôle (0.388), et
(2) du conflit individu/ensemble de rôles sur le conflit individu/climat (0.585). La dépendance
conflit Rôle/Individu et conflit Rôle/Climat est inexistante (.04).
Tableau 2 : Résultats de l’AFC/Analyse Covariance des CR (Annexe2)
indices
RMSEA
²
Prob ( ²)
²ddl (normé)
NFI
IFI
CFI
TLI
R²
CR_CLI
CR_COL
(***)  
HP_CR
6.5 %
77,62
0.000
1.893
0.863
0,930
0.927
0.882
(%)
36,2 ***
15,1***
-
Pour le niveau 2 : l’hypothèse de structure et de validité convergente est confirmée
pour l’implication affective (IA). La décision d’accepter l’hypothèse se fait dans le
sens de la qualité des indices de fiabilité (

 et de reproductibilité (

et de
l’importance de l’AVE (54%) et de la VE (67%).
-
Pour le niveau 3 : L’hypothèse de validité convergente de la variable endogène [ID]
est acceptée sur la base d’indices satisfaisants pour la reproductibilité du construit
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(

et sa fiabilité (

 après que deux items aient été recodés. Les valeurs
élevées des deux indices de fit, relatif au RMSEA (.252) et au χ² normé (14,3) ne
permettent pas de conclure au bon alignement de ce construit aux données, même si
ceux relatifs au fit « incrémental » sont bons (TLI=.922 et CFI=.924). L’alignement de
la structure du construit aux données est en ce sens rejetée, mais l’hypothèse de
convergence de la structure du construit est acceptée.
En résumé, seule la variable exogène [CR_IND] pose le double problème d’une absence de
cohérence conceptuelle dans son construit qui se vérifie de façon ex-post et ex-ante dans cette
étude. Elle sera néanmoins conservée dans la mise à l’épreuve du modèle de prédiction de
l’ID par le fait, d’une part, de son « identification » par le test de validité discriminante et,
d’autre part, par le fait qu’elle recouvre, probablement, une part du contenu conceptuel des
autres types de conflits de rôle (Baile et Diwany, 2011). La structure des causalités montre
cependant son influence significative cumulée sur les deux autres conflits de rôle - par le fait
même des variations de leur variance expliquée (R²), très significative. Ainsi, la validation de
l’hypothèse partielle valide une prémisse importante, jamais établie ni d’ailleurs confirmée
empiriquement, d’une hiérarchie des conflits de rôle définie par Perrot (2000). Elle confirme
donc que ces trois conflits sont répercutés par des modifications de rôles qui s’établissent,
comme le postulait Biddle (1979) « autour de deux éléments clés, qui sont les attentes
réciproques relatives aux activités et comportements relationnels, exercés par un individu
dans un contexte organisationnel donné ». Ce résultat donne ainsi un sens, à l’analyse causale
des conflits de rôle, qui se résume simplement par un déterminisme structurel des rôles, allant
de l’individu et de ses attentes de rôle, vers l’organisation, en passant par le/les groupes
d’appartenance.
Pour conclure, ces cinq variables seront pondérées, pour effectuer le test de l’hypothèse
générale, par leurs « scores factoriels » (calculées par les AFCP correspondantes). Il convient
d’analyser préliminairement la structure de leurs corrélations bivariées, et leur signification
(Cf. Annexe 3). Ces corrélations vérifient, en premier lieu, que les 5 variables sont bien
normalisées (N [m=0 ; ²=1]) – le fit du modèle, destiné au test de l’hypothèse générale (HG)
se fera, en conséquence, sur des variables validées et « purifiées », à partir d’un échantillon de
n=210 observations. En second lieu, leur analyse montre l’existence de liens significatifs
(
 de 3 variables exogènes avec l’intention de départ (ID), à l’exception de la variable
CR_IND (1er niveau). Seule, par ailleurs, la variable CR_CLI de ce 1er niveau est
significativement et négativement corrélée (
 à l’implication affective. Cette brève analyse
vérifie l’existence d’une structure de corrélations (de covariances) positives et significatives
des 3 conflits de rôle sur laquelle peut être mis à l’épreuve une MES, ainsi qu’une analyse de
dépendance entre ces 3 conflits.
5.2. Les résultats de l’analyse explicative
Cette analyse fait l’objet de deux étapes successives : la première est destinée à valider
l’hypothèse générale (HG) du « fit » supposé entre le modèle conceptuel et les données, et la
seconde, à celui des hypothèses adjacentes (HAi) de causalités directes et indirectes entre les
variables. Elles visent à mettre à l’épreuve des données, d’une part, les relations linéaires
directes entre chacune des trois variables exogènes du 1er niveau (CR_IND, CR_COL et
CR_CLI) et la variable endogène du 3ème niveau (mesurant l’intention de départ [ID]) ; et,
d’autre part, les relations indirectes qui font état de chemins passant par la variables du niveau
2 [IA], considérée comme endogène vis-à-vis des conflits de rôle (niveau 1), et exogène vis-àvis de l’intention de départ (niveau 3). Le modèle conceptuel (Figure 2 : §. 321), suggère que
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les interdépendances entre ces variables sont formalisées par une structure systémique de
causalités, et par des relations hiérarchiques intermédiaires non récursives. D’un point de vue
méthodologique, c’est à ce double objectif, d’abord, d’identification et de validation d’une
structure optimale du modèle et, en second lieu, des interdépendances significatives entre
variables, que les résultats de l’utilisation de la MES, avec la modélisation de l’analyse des
chemins (path analysis), contribuent.
Identification et validation de la structure du modèle de recherche (test d’HG)
Le processus d’identification puis de validation d’une structure optimale (celle qui offre le
meilleur pouvoir explicatif pour la variable endogène (Intention de Départ) est une démarche
préalable de la MES pour estimer la meilleure adéquation aux données des relations de
dépendance supposées entre les variables exogènes et la variables endogène du modèle.
L’objectif est de valider une structure de chemins significatifs, dans le respect des règles de la
meilleure adéquation du modèle aux indices (cf. § 4222). Ce processus doit valider
successivement: (1) l’identification du meilleur modèle causal (le test de ce modèle n’a de
sens qu’en situation de sur-identification); (2) l’estimation des paramètres (utilisant ici la
méthode du maximum de vraisemblance, et l’utilisation d’un test du ² permettant de valider
l’hypothèse nulle que les données observées sont reliées par les relations spécifiées par le
modèle) ; et (3) la vérification de l’adéquation du modèle optimal aux données empiriques
(qui utilise les indices statistiques calculés avec AMOS 18 (Arbuckle et Wothke, 2000). Ce
processus a permis la simulation d’alternatives conceptuelles cohérentes avec l’hypothèse
générale, afin (1) d’identifier, puis (2) estimer les paramètres et (3) vérifier l’adéquation d’une
structure optimale efficiente (du point de vue respect des indices). Les résultats nécessaires au
test de HG sont résumés par le Tableau 3 ; avec, pour la partie supérieure les principaux
indices de « fit » et, pour la partie inférieure, les coefficients de détermination (R²) pour
chacune des quatre variables endogène du circuit des chemins traités pour valider les
hypothèses adjacentes (HA). Ce tableau est complété, en ce sens, par le diagramme de ces
relations.
Tableau 3 : Résultats des analyses d’alignement (fit)
indices MES HG
²
2,079
Prob ( ²)
0,721
ddl
4
²ddl (normé) 0,520
RMR
0,020
GFI
0,996
AGFI
0,985
RMSEA
0,000
%
R²
CR_COL
9.0**
CR_CLI
22.7***
IA
4.7**
ID
26.1***
(***)  
L’analyse des indices pour ce modèle optimal montre que :
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
Qu’il est sur-identifié avec un « ddl » égal à 4 (nombre de moment=15 et de
paramètres estimés=11). Ses conditions d’ajustement aux données (avec la méthode du
« maximum de vraisemblance ») sont globalement respectées : le risque affectant le ²
(2.079) est très supérieur à 5% (72,1%), et la valeur du ²/dll (0.520) est aussi très inférieure
à 3. L’hypothèse HG, d’une structure de relations de causalité linéaire peut de ce fait
être globalement acceptée pour l’ensemble des interdépendances entre variables du modèle
pour les chemins spécifiés par le diagramme des causalités (Figure 3).

Les valeurs des indices de précision de ce modèle, telles que celles des coefficients
GFI (.996), AGFI (0.985), et accessoirement NFI (0.986), sont très supérieures à celles des
normes (.90). Ces valeurs traduisent un très bon « fit » et confortent l’hypothèse de l’existence
d’une structure systémique de relations causales. Les coefficients RMR (0,2 %) et RMSA (0
%) sont très inférieurs au maximum de 5 et 10 % habituellement toléré, et confirment
l’excellente capacité explicative du modèle (étant donnée la faible incidence des résidus).
Figure 3 : Diagramme des relations causales du modèle optimal (adapté d’AMOS 7.0)

L’analyse des coefficients de détermination des variables endogènes montrent que les
variances expliquées (R²), de chaque variable endogène (ID, puis successivement IA, CR_CLI
et CR_COL) sont significatives (à des seuils <.01) des effets directs de l’ensemble des
variables exogènes du modèle. L’adéquation du modèle théorique général est ainsi
vérifiée, et les hypothèses adjacentes de relations linéaires de causalités directes et indirectes
sont dans leur généricité confirmées, pour les seules relations (chemins) significatives
identifiés (Tableau 4).
Tableau 4 : Test des chemins du modèle optimal de recherche (adapté d’AMOS 7.0)
Chemins
CR_COL <--- CR_IND
CR_CLI <--- CR_COL
IA
<--- CRCLI
ID
<--- CRCLI
ID
<--- IA
13ème Université de Printemps IAS Agadir
Est. ( i)
.300
.477
-.277
.192
-,359
P
.000
.000
.001
.005
.000
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Conflits de Rôle et Implication Affective – Quelle influence sur l’intention de départ des cadres du secteur financier
marocain ?
Serge Baile & Jamal Diwany
ID
<--- CRCOL
,156
,021
Test des dépendances directes et indirectes (hypothèses adjacentes HAi)
Ce test d’hypothèses conduit à analyser successivement les dépendances ou effets directs
(DD), indirects (DI) et totaux (DT) de chaque variable exogène sur la variable endogène
(Tableau 5). Cette étude se limite aux seuls chemins significatifs identifiés par le modèle
optimal pondérés par les coefficients standardisés de régression ( i). Elle se limite à
déterminer les chemins les plus efficients de l’explication de l’intention de départ (dont le
ratio [DT/R]>50%) c'est-à-dire ceux dont la dépendance totale recouvre plus de 50% du
coefficient de corrélation, indépendamment de la non-causalité ([R-DT]).
Tableau 5 : Efficience des chemins conduisant à l’explication de [ID]
Variables Exogènes Variable Endogène [ID]
Du modèle
DD
DI
DT
R
0.107*
0.085 0.085
CRIND
0,156 0,129 0.285 0.285**
CRCOL
0,192 0.078 0.270 0.344**
CRCLI
-0.359
-0.359 -0.417**
IA
[NC] ; [DT/R]
0.022 ; 79.5%
0.000 ; 100%
0.074 ; 78.5%
-0.057; 86%
Test de l’hypothèse HA1 relative aux effets de CRIND :
L’hypothèse d’un effet direct positif du conflit individu/rôle est rejetée. Celle de son effet
indirect, via les conflits individu/ensemble de rôles et individu/climat, est acceptée (avec un
indice d’efficience de 79.5 %).
Ce conflit renforce simultanément les deux autres conflits dans l’explication de l’intention de
départ. Son effet n’est pas direct, mais cumulatif : un conflit concernant les attentes
personnelles professionnelles/d’emploi – (en termes de sous-qualification du travail) accroît
les conflits/ensemble des rôles (relations aux autres/interpersonnels), et climat (relation à
l’encadrement et à l’organisation).
Test de l’hypothèse HA2 relative aux effets de CRCOL :
L’hypothèse d’un effet direct positif (.156) de cette variable est acceptée, et celle de son effet
indirect, via le conflit individu/climat et simultanément l’implication affective, l’est aussi avec
un poids cumulé important des effets indirects (.129). HA2 est acceptée à la fois pour les
influences directe et indirectes positive, avec un recouvrement de 100 % de la corrélation
(0.285), c’est à dire une parfaite efficience des chemins.
En conséquence, ce conflit agit directement sur l’intention de départ – plus il est important,
plus l’intention se développe. Mais il agit aussi par le renforcement (positif) du conflit
individu/climat, d’une part directement et positivement (.192), d’autre part indirectement avec une baisse de l’implication (-.277), sur l’intention. Celle-ci se trouve donc renforcée par
des effets cumulés.
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Conflits de Rôle et Implication Affective – Quelle influence sur l’intention de départ des cadres du secteur financier
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Test de l’hypothèse HA3 relative aux effets de CRCLI :
L’hypothèse d’un effet direct positif de ce conflit (.115) est acceptée et celle de son effet
indirect (.078) aussi, via son influence sur l’implication affective. HA2 est acceptée à la fois
pour cette double influence, qui permet de recouvrir à 76 % sa forte corrélation (.344) avec
l’intention de départ, traduisant une forte efficience des chemins.
En conséquence, ce conflit agit autant directement et positivement sur l’intention – plus
important il est, plus grande est l’intention. Son influence négative sur l’implication affective
(-.277) renforce, ici aussi, cette intention.
Test de l’hypothèse HA4 relative à l’ effet de IA :
L’hypothèse du seul effet direct négatif de IA est acceptée, avec le poids le plus élevée (-.359)
et une efficience très élevée de ce seul chemin (78%). Avec à peine 4.7 % de variance
expliquée, ce facteur de « dynamique du réseau social » n’est que très peu représentatif des
influences simultanées des conflits de rôle.
Pour conclure, les trois conflits de rôle apparaissent comme des antécédents importants de
l’intention de départ. Les résultats de leur impact positif direct est conforme aux prémisses de
cette recherche, établis à partir des investigations antérieures. Les résultats concernant leur
impact indirect, en tant qu’antécédents structurels d’un réseau social, montrent l’importance,
d’une part, du conflit individu/climat, et d’autre part, celle de son effet sur la perception de la
dynamique de ce réseau perçue par l’implication affective qu’il suscite. Les deux facteurs,
mesurant en définitive les conflits de rôles « sociaux (interpersonnels et managérial»
contribuent à expliquer 26 % de l’intention de départ, et peuvent en être considérés comme
des antécédents significatifs.
6. Discussion
L’objectif de ce travail était de formuler un cadre d’analyse systémique à la problématique
d’une modification des rôles des cadres, au sein de leur organisation, à l’origine de tensions
ou de conflits de rôles, qui sont très souvent la cause de leur départ volontaire, de leur
démission, et donc d’un « mal-être » certain. A l’origine, les travaux de Katz et al, (1964)
portent leur attention sur les dangers de tels conflits. Leur modèle sera une référence à de
nombreuses contributions conceptuelles qui postuleront une évidence : les conflits de rôle
sont sources de dissonances, et presque toujours à l’origine de mauvaises intentions des
personnes. Dissonances, qu’il convient de juguler, pour Allen et Meyer, (1991) en renforçant
l’attachement psychologique des salariés à l’organisation. Le contexte de recherche dont
relève cette problématique est certes ancien, mais toujours d’actualité. Il est très riche en
contributions diverses, dans les domaines de la sociologie, de la psychologie-sociale, de la
théorie des organisations, et plus globalement des sciences du comportement. Il est tout aussi
important et opportun pour y développer des études empiriques, dans les Sociétés qui
capitalisent sur l’emploi de leurs cadres, et d’une façon générales dans les organisations
confrontées aux changements et à la crise de l’emploi. Pour ces entreprises, les résultats de ce
travail devraient interpeller les DRH, car ils témoignent d’une réalité simple et bien connue
des situations « de mal-être psychologique » auxquelles se trouvent confronté les cadres en
rupture de rôle. Des situations auxquelles, cette communication offre un cadre de réflexion
systémique et des résultats pouvant être exploités pour mieux appréhender des comportements
organisationnels dissonants, des conflits organisationnels et relationnels, des départs anticipés,
des démissions qui coûtent cher.
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Bien que ce « sujet » soit reconnu depuis longtemps comme crucial, et que son importance en
Management ne soit plus à démontrer, il est un fait indéniable – la R&D, dans ce domaine
souffre d’une absence d’intégration des concepts, de modèles généralisables et surtout de
champs d’application empirique. Bien sûr, il existe quelques états de l’art de ces travaux (pour
exemple, les taxonomies de Fisher et Gitelson, 1983 et Jackson et Schuler, 1985), mais ces
efforts sont souvent anciens, sans référentiel théorique intégrateur et contextualisé, hors du
domaine des travaux en management, et donc difficiles à exploiter dans les travaux en GRH
ou en Audit Social pour traiter des questions cruciales de développement organisationnel ou
comportemental. Le constat, auquel les résultats de ce travail répondent, est donc celui de ces
insuffisances théoriques et empiriques. D’un point de vue théorique, les résultats confirment
l’existence d’un cadre théorique intégrateur, comme le préconisaient dans les années 70 les
théoriciens de l’organisation. Ce cadre, bien que délimité, confirme le bien fondé de la
réflexion construite autour des effets des dissonances sociocognitives, liés aux conflits de
rôle. Il fait état de résultats significatifs qui répondent à la question de recherche posée : quels
sont les conflits de rôle qui expliquent l’intention de départ des cadres, et dont l’influence
peut être modérée par leur engagement organisationnel ? Cette discussion porte de la sorte
sur les résultats les plus probants.
En ce qui concerne la cadre intégrateur, les résultats de cette recherche se positionnent, du
point de vue des contributions théoriques, à l’interface de deux grandes écoles, celle des rôles
et celle de l’identité sociale. La démarche de recherche s’appuis sur le contexte d’analyse « du
réseau social » de l’organisation (cf. § 2.3 ; Figure 1) pour proposer un modèle original de
recherche qui capture l’intersection entre des aspects statiques (les rôles) et dynamiques
(l’engagement organisationnel) en se focalisant sur les liens entre les objets sociaux, (c'est-àdire une représentation systémique formulant les relations de causalité postulées par le
modèle) (cf. § 3.2.1 ; Figure 2). Cette démarche, qui emprunte et se limite aux concepts de
conflits de rôle et d’engagement affectif organisationnel pour traiter l’intention de départ,
avec un déterminisme sociocognitif, n’avait jamais été formulée dans les travaux en
management. Elle apparaît, à l’issue de ce travail, offrir des alternatives de recherche qui
seront commentées en conclusion. Le déterminisme qu’elle offre conforte aussi l’approche
positiviste et systémique - les relations postulées, non récursives, de cause à effet entre les
variables des trois niveaux d’un système ont été globalement vérifiées. Il existe bien une
représentation, un schème conceptuel qui traduit séquentiellement les effets et interactions (1)
DE l’apparition ou l’existence de conflits de rôle ; ET/OU (2) du processus d’engagement
affectif ; SUR (3) l’intention de départ. Ce schème serait opposable à toute autre forme de
recherche en management sur ce sujet, tant à visée positiviste (recherches quasiexpérimentale) que non positiviste (recherche qualitative). Enfin, et pour l’essentiel, les
résultats témoignent de l’efficacité de l’utilisation des méthodes d’équations structurelles pour
simuler des systèmes complexes, régis par la non-récursivité et la temporalité des variables
mesurant des concepts indépendants. Le test des hypothèses de recherche, combinant les
Méthodes d’Equations Structurelles et d’Analyse de Dépendance, restitue à cet égard des
résultats qui confirment la structure systémique du modèle de recherche, en validant
l’hypothèse générale et en confirmant des relations de dépendance, avec les hypothèses
adjacentes, entre des variables essentielles à l’appréhension de l’intention de départ. Cette
validation conduit aux conclusions suivantes :

Les effets des conflits de rôle sociaux (individu/ensembles de rôles et individu/climat)
sont bien deux antécédents qui déclenchent directement l’intention de départ – leurs effets
positifs sont confirmés comme l’a envisagé Perrot (2004), sans pouvoir le vérifier
empiriquement.
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
L’effet de l’engagement affectif sur l’intention de départ est bien négatif et puissant –
en fait, cet engagement régule/modère essentiellement l’effet du conflit social individu/climat
– ce qu’avait aussi présagé Perrot (2004), sur la base des résultats travaux antérieurs sur les
conflits de rôle, sans pouvoir les discriminer.

Les conflits de rôle sociaux (individu/ensembles de rôles et individu/climat) sont bien
aussi des déclencheurs du processus d’identification sociale. L’effet important est celui du
conflit social individu/climat sur l’engagement affectif – ce conflit va à l’encontre d’une
orientation positive envers l’organisation, et son interaction avec l’effet direct négatif de
l’engagement affectif sur l’intention de départ, ne fait qu’accentuer le désir de départ.
En ce qui concerne, plus spécifiquement, l’importance des conflits de rôle et leur influence
sur l’intention de départ, le diagnostic des résultats obtenus justifie l’intérêt d’avoir suivi une
démarche exploratoire, conceptuelle et méthodologique, destinée à justifier du choix du
concept et de sa nature multidimensionnelle. Les résultats de l’analyse descriptive des conflits
de rôle confirment ainsi le bien fondé théorique de leur approche multidimensionnelle, et plus
spécifiquement la segmentation empirique établie par Perrot (2000), jusqu’alors non validée
dans un cadre professionnel. Les résultats confirment l’existence de conflits indépendants qui
mesure un système global de croyances différentes (Baile et Diwani, 2011). L’extension du
modèle de structuration de ces conflits, dont les co-variations sont fortes, à un modèle de
causalité, confirme la hiérarchie de ces trois rôles avec une cumulation des effets des conflits
individu/rôle, individu/ensemble de rôles et individu/climat sont totalement « nouveaux ». Ce
résultat confirme l’influence d’un conflit qualifié de personnel (rôle/individu) sur deux
conflits qualifiés d’interpersonnels ou de sociaux (individu/ensemble de rôles versus climat).
Aucune recherche empirique antérieure, en relation avec les écoles de mesure, n’a montré
jusqu’alors une existence d’effets cumulés, même si celle-ci semble s’imposer
conceptuellement.
Postulée par Katz et Kahn (1964), « pour répondre à la nécessité d’étudier les conflits à
l’interface individu/organisation, en reliant ces deux niveaux d’analyse », l’utilisation de cette
segmentation en trois conflits de rôle dominants (CR_CLIM, CR_IND et CR_IN) trouve sa
justification dans un contexte bien particulier, celui des banques et assurances en tant que
terrain bien à propos de recherche. On peut penser, ici, que les rôles individuels prennent en
compte des croyances personnelles (individu) spécifiques à l’emploi ; que les rôles collectifs,
développés par une appartenance à des groupes sociaux bien particuliers (ensemble de rôles
joués) prennent en compte des croyances interpersonnelles à l’origine d’interactions sociales
facilitant ou non l’intégration et la cohésion des groupes de tâche ; et, que les rôles
organisationnel sont fixés ou préétablis par une culture (climat) bien spécifique à toute
entreprise, impulsée par les Directions Générales pour ancrer des croyances fortes chez les
cadres et les faire adhérer à la culture. Cette segmentation est séduisante, car elle conforte
l’existence d’un système de croyances générateur d’attentes distinctes, sur ces trois domaines
connexes d’analyse des tensions et des conflits internes, connexes.
Les analyses de données confirment ces trois conflits de rôle, mais concluent à une certaine
faiblesse de consistance interne et de cohérence du construit du « individu/rôle » qui très
certainement aurait mérité une adaptation au contexte des emplois de cadre de cette recherche,
dans le domaine d’institutions financières. Les résultats de la segmentation théorique
supposée sont confirmés par une analyse factorielle confirmatoire qui établit le recouvrement
conceptuel des variables mesurant les trois conflits, établi par des covariations significatives
des conflits « individu/climat » vs «individu/ensemble de rôles » (R=0,48 ; p<.001) ; des
conflits «individu/ensemble de rôles » vs « individu/rôle » (R=0,30 ; p<.01 ; et, des conflits
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Conflits de Rôle et Implication Affective – Quelle influence sur l’intention de départ des cadres du secteur financier
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« individu/climat » vs « individu/rôle » (p=0, 168 ; p<.05). Ces covariations, traitées par une
analyse de dépendances entre variables latentes, ont permis d’identifier le modèle de leurs
causalités respective. Ce résultat très probant ouvre la voie à des travaux sur le modèle de
Perrot (2000 ; 2004). Les faits constatés dans ce travail (1) d’une insuffisance conceptuelle sur
la hiérarchie des conflits de rôle ; (2) de l’imprécision et ambiguïté des métriques eu égard les
conflits de rôle mesurés ; (3) des retours peu importants d’expérience (étant donnée, en
particulier la « jeunesse » de l’approche de Perrot) ; et, (5) la spécificité du terrain très proche
des réalités des banques et assurances marocaines (vue l’absence d’études empiriques dans
ces contextes organisationnel),… obligent à prendre avec prudence ce résultat dans ses
implications théoriques et pratiques.
Seul, pour résumer, le conflit « rôle/climat » serait qualifié de « robuste ». Ce « conflit » est
« pivot » dans le modèle, et dans ce contexte organisationnel d’institutions financières. Il offre
une très bonne capacité prédictive, du fait de son explication par les deux autres conflits
(R²=22.7 %) pour évaluer l’intention de départ volontaire, et cela, par ses effets significatifs,
directs et cumulés, via l’engagement affectif, sur l’intention de départ.
7. Conclusion
Cette recherche pose une interrogation cruciale, dans une dynamique de marché de l’emploi
des banques et assurances marocaines, celle du « bien-être psychologique » de leur cadres et
par vie de conséquence de leur intention de départ. Pourquoi démissionner, partir d’une
entreprise ? – les réponses à cette question sont nombreuses et complexes. Comme le suggère
Cossette et Gosselin (2009), il convient de les aborder en termes d’intentions de cheminement
professionnel c'est-à-dire, du désir de changement et de progression au sein de la même
institution, de partir à la concurrence, ou tout simplement de rester dans son emploi pour de
longues années, à condition de bien s’y sentir. De nombreux auteurs et chercheurs en sciences
sociales et humaines travaillent, de longue date, à donner du sens à cette interrogation dont la
réponse est, de toute évidence, une décision qui résulte d’un état dissonant (Festinger, 1957).
Un état, qui se retrouve dans les situations de conflits de rôle d’un individu dans
l’organisation, lorsqu’une incompatibilité apparaît entre son rôle, reçu ou perçu, et ses
attentes, ses demandes ou ses besoins, et qui fait naître une pression, une motivation pour
réduire la dissonance et rétablir la consonance. La dissonance produit alors une tension qui
incite au changement, au départ volontaire, afin de sortir d’un état inconfortable.
- Ce travail a fait le choix de traiter la problématique du roulement de personnel sous cet
angle conceptuel, en accordant de l’importance aux cognitions et à aux dimensions
cognitives et affectives pour traiter l’explication de l’intention de départ. Ce choix de
positionnement théorique se justifie par le fait que les conflits de rôle s’apparentent à
un état de dissonance cognitive. Un état qui est générateur d’attitudes, caractérisant
des dispositions psychologiques positives ou négatives, qui peut expliquer les
comportements de retrait. De sorte, qu’une meilleure connaissance des conflits de rôle
et de leurs influences sur les dimensions affectives et cognitives du comportement de
retrait, s’impose du fait des conséquences sur l’organisation et les salariés. Le modèle
de recherche contribue, dans la lignée des études taxonomiques, comme celle de
Jackson et Schuler (1985), à l’objectif principal de ce travail qui est de chercher à
comprendre « Quelles sont les caractéristiques attitudinales des cadres qui manifestent
un comportement de retrait, et comment ces caractéristiques s’organisent ? », et de
façon conséquente, pourquoi ils développent cette attitude ? , Quelle est l’intensité de
cet état d’esprit ? , et si ils sont sensibles aux valeurs de l’entreprise, à sa culture, au
climat de travail, aux relations interpersonnelles, ...? (Diwany, 2008)
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Les résultats de ce travail confortent globalement les prémisses émises en
introduction, et contribuent à valider l’approche systémique d’un modèle de recherche
original, confrontant deux approches théoriques (celle des rôles et celle de l’identité
sociale) pour mettre à l’épreuve d’une étude empirique un modèle systémique prenant
appui sur le cadre d’analyse des réseaux sociaux dans l’organisation. Les résultats de
cette recherche, concernant la validation de l’hypothèse générale (une méta-hypothèse
de fit du schème systémique formulé aux données du terrain) sont globalement
conformes aux « suppositions » établies par les taxonomies de Fisher et Gitelson
(1983) et Jackson et Schuler (1985), et par les travaux francophones plus récents de
Loubès (1997) de Perrot (2000), Royal (2007) et Diwany (2008). Les résultats
concernant les interdépendances, directes et indirectes, faisant l’objet d’hypothèses
partielles, entre les conflits de rôle, l’implication affective des cadres et leur intention
de départ soulignent l’importance de la prise en compte des effets directs des conflits
interpersonnels (à caractère sociaux) dans l’explication de l’intention de départ, et plus
précisément, l’importance du conflit individu/climat, facteur essentiel très bien
expliqué par les deux conflits individu/rôle vs ensembles de rôle, qui influence
négativement l’implication affective. Ce résultat contribue à améliorer la connaissance
du processus d’implication organisationnelle, et celle de la dynamique sociale qui en
résulte.
Les contributions de ce travail concernent, pour l’essentiel, les apports théoriques,
méthodologiques, et pratiques et managériaux. Du point de vue des apports théoriques,
c’est en priorité le choix d’un cadre systémique, utilisé pour étudier dans sa généricité
le modèle structurel d’impact des antécédents comportementaux de l’intention de
départ, qui a facilité la conception et la construction d’un méta-modèle théorique. Ce
choix a permis de structurer les apports des théories impliquées dans les trois niveaux
du système, et faciliter la justification des concepts devant être mobilisés par le
modèle conceptuel. Le choix des concepts mobilisés est une des contributions
majeures de ce travail – les concepts de conflits de rôle et d’implication affective n’ont
que très rarement fait l’objet de travaux sur la prédiction de l’intention de départ, alors
qu’ils l’ont souvent été dans les travaux sur la satisfaction au travail et la performance
individuelle. L’effort de conceptualisation de leurs relations, en termes de
recouvrement et d’interdépendance, a non seulement contribué à confirmer des
prémisses fortes d’influences directes et indirectes, jusqu’ici non confirmées
empiriquement, mais aussi à confirmer une structure cohérente avec un modèle
optimal de prédiction de l’intention de départ qui s’aligne (fit) parfaitement au
données. La validité empirique d’un tel modèle n’ayant jamais été vérifiée dans des
travaux antérieurs, les résultats obtenus contribuent donc à une avancée, semble-t-il
très significative, dans un contexte de recherche en GRH, où les travaux sur ce sujet,
outre le fait qu’ils soient très insuffisants, compte tenu de l’intérêt du sujet pour les
entreprises, sont très parcellaires, peu ambitieux, et conduisent à des résultats assez
divergents. Enfin, cette recherche a contribué, par le choix de ses variables,
sélectionnées dans des travaux assez marquants, à la nécessité d’élaborer des
segmentations conceptuelles, en particulier pour les trois variables de conflit de rôle ,
et pour la variable « d’identité sociale » dont les contours conceptuels sont encore
assez « flous ».
Du point de vue des apports méthodologiques, il est bien sûr à retenir la combinaison
de méthodes d’analyse de données de 1ère te 2ème génération pour « fiabiliser » le
modèle, du double point de vue, descriptif et explicatif. Le recours aux méthodes
d’équations structurelles, en tant que puissant outil de simulation d’alternatives, s’est
avéré être une contribution majeure pour identifier le modèle optimal et procéder à la
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recherche de chemins alternatifs avec la méthode d’analyse des dépendances (pathanalysis), trop rarement utiliser dans les travaux de GRH à visée explicative.
Du point de vue des apports pratiques et managériaux, un retour au terrain d’une
synthèse de ces résultats pour établir, en collaboration avec les DRH partenaires une
liste de recommandations, semble s’imposer. Mais, d’ores et déjà, il est possible de
donner quelques éléments de réflexion concernant l’implication des résultats dans leur
ensemble, sans entrer dans des détails. Les changements organisationnels profonds,
dans les banques et assurances, ont été notés, en introduction, comme est un facteur
qui crée et amplifie les conflits de rôle chez les cadres. Cette donnée est devenue
structurelle en admettant qu’une bonne dose de conflits de rôle est à la rigueur
nécessaire pour le bon fonctionnement des structures et des relations de travail. Dans
ces conditions, le management devra s’attacher à anticiper, détecter, et gérer les
conflits de rôles vécus de façon à les diminuer, principalement en actionnant les
leviers de création de rôles nouveaux, à la fois organisationnels et interpersonnels.
Cependant, pour réduire les intentions de départ de cadres, il serait beaucoup plus
judicieux d’agir sur leur attachement à l’entreprise qui nécessite moins
d’investissement que celui fourni pour combattre les origines des conflits de rôle
auxquels ils sont confrontés. Les directions devront en ce sens développer des
politiques, d’une part, de développement organisationnel (Organizational
Development) accompagnant les changements et valorisant le « support des activités
des cadres », et, d’autre part, de comportement organisationnel (Organizational
Behavior), favorisant les activités et comportement de groupes de tâche, ainsi que les
interactions sociales. Ces stratégies de développement s’imposent pour valoriser des
bonnes pratiques de valorisation du « bien-être psychologique ».
Les recommandations concernant les actions des DRH à engager sont prioritairement
(1) de consacrer plus de temps et d’énergie aux nouveaux recrutés qui ont besoin
d’une période de « désillusion » - cette période est nécessaire pour intérioriser les
valeurs et croyances de l’entreprise à laquelle ils devront être fiers d’appartenir ; (2) de
faire partager l’histoire de l’entreprise, ses exploits et ses périodes de crise, ses
performances et ces contre performances – ce qui est le meilleur moyen de s’assurer
du développement d’un sentiment important d’appartenance ; (3) d’informer les cadres
des éléments relatifs à l’environnement culturel et relationnel du poste.
De la sorte, pour résumer, au-delà d’une gestion de carrière toute bien faite, au niveau central,
il est plus efficace d’impliquer les cadres dans leur devenir, en fonction de leurs aspirations,
de leurs projets, et de leurs ambitions. Une forte implication des cadres passe obligatoirement
par des projets valorisants les côtés «humains » et « organisationnels » du travail, qui
enrichissent, jour après jour, les compétences des cadres, et développent leur autonomie, leur
donnent aussi le sens des responsabilités avec des rôles de plus en plus forts, et cela, sans
omettre les marques de reconnaissances auxquelles les salariés sont généralement
extrêmement sensibles, c'est-à-dire, les promotions et divers avantages qui donnent du sens à
leur mission et les encouragent dans leur engagement.
Au-delà des nombreuses limites de recherche, relatives au choix théoriques et conceptuels,
méthodologiques et de terrain d’appui à ce travail empirique, des possibilités de recherche
scientifique dans le champ du management s’ouvrent aux travaux s’intéressant,
fondamentalement, aux améliorations de connaissances sur la nature systémique des
processus conduisant (1) à évaluer le « turnover » ; (2) à réduire les « dissonances »
sociocognitives ; (3) à conceptualiser « le bien-être psychologique » ; (4) à concevoir des
processus de dynamique sociale Des processus qui intègrent des possibilités de transformation
et de médiation des influences négatives des conflits de rôle, avec des approches
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conceptuelles bien connues intégrant le support organisationnel, la motivation et la
satisfaction des cadres. La mise en œuvre de ces travaux pourrait s’effectuer, autant, dans un
contexte d’approches positivistes, à visée déterministe comme celle de ce travail, mobilisant
des méthodes d’équations structurelles, que dans celui de méthodes non-positivistes,
facilitant des analyses qualitatives et des démarches plus abductives ety inductives, que
déductives. In fine, la confrontation de ces travaux à de vraies problématiques
organisationnelles, professionnelles et de terrain est capitale pour leur succès. De nouveaux
champs de recherche s’imposent donc dans tous les environnements métiers et professionnels
impactés par la transformation des processus d’affaires ; dans toutes les activités d’entreprises
touchées par des projets à fort enjeu ; enfin, dans toutes les pratiques professionnelles liés à
influencées par une nouvelle intelligence et analyse d’affaires.
Bibliographie
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Vol. 49, p.252-276
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Conflits de Rôle et Implication Affective – Quelle influence sur l’intention de départ des cadres du secteur financier
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Annexes
Annexe 1 : Validation des variables du modèle de recherche
Libellés
Des
variables
Loading AFCP
[Corrélations
AFC-Amos 7)
Libellé des items des construits
coefficient (α) de Cronbach/Variance expliquée par le facteur
[Rho (r) de Jöreskog/Rhovc (rvc)AVE]
VARIABLES EXOGENES – NIVEAU CONCEPTUEL DES CONFLITS DE ROLE (niveau 1)
CR_IND: LE CONFLIT INDIVIDU/ROLE (α=0,60/VE=57,8 %) [ =0,707/ AVE=47 %]
CR1
.846 [0,835]
- Globalement, mon travail est plutôt sous qualifié par rapport à ma formation.
CR2
.806 [0,315]
- J’aimerais bien pouvoir utiliser plus mes compétences dans mon travail.
553 [0,598]
- J’aurai malheureusement assez vite fait le tour de mon poste actuel.
CR3
CR_COL : LE CONFLIT IND/ENSEMBLE ROLES (α=0,743/VE=56,6 %) [ =0,746/ AVE=44
%]
CR4
.763 [0,631]
- Certaines personnes me font parfois des remarques désagréables au travail.
CR5
.726 [0,634]
- Parfois je suis frustré(e) de ne pas pouvoir répondre aux « attaques » des autres.
CR6
.833 [0,768]
- J’ai quelques fois l’impression de me faire bousculer pour rien.
CR7
.678 [0,564]
- Je trouve que c’est trop souvent les conflits entre les gens au travail.
CR_CLI : LE CONFLIT INDIVIDU/CLIMAT (α=0,727/VE=55,3 %) [ =0,736/ AVE=42 ]
CR8
CR9
CR10
CR11
.768
.805
.788
.592
[0,671]
[0,745]
[0,681]
[0,451]
- Je n’accroche pas complètement avec la culture de cette entreprise.
- Cette entreprise a parfois un mode de fonctionnement qui - m’énerve.
- Dans cette entreprise, il faut parfois se comporter d’une façon qui ne me convient pas.
- L’entreprise n’est pas très attentive aux préoccupations de ses salariés.
VARIABLE EXOGENE vs ENDOGENE - NIVEAU PROCESSUS … (niveau 2)
IA : L’IMPLICATION AFFECTIVE (α=0,82/VE=67. [ =0,871/ AVE=53,6 %] %)
® item avec échelle inversée
IA1
IA2
IA3
IA4
IA5
.769
.780
.854
.883
.801
[0,878]
[0,697]
[0,823]
[0,878]
[0,739]
VARIABLE ENDOGENE INTENTION DE DEPART (niveau 3)
(α=0,74/VE=66,5 %) [ =0,844/ AVE=44 %] ® item avec échelle inversée
[ID]
ID1
ID2
ID3
ID4
- Quand quelqu’un critique mon entreprise, je me sens personnellement attaqué(e).
- Je m’intéresse beaucoup à ce que les autres pensent de mon entreprise.
- Il m’arrive souvent de dire « nous » à la place de « je » lorsque je parle de mon entreprise
- Je considère les succès de mon entreprise comme étant aussi les miens
- Quand quelqu’un dit du bien de mon entreprise, je le prends comme un compliment personnel.
.747 [0,587]
.867 [0,880]
.813 [0,667]
.829 [0,816]
- Je travaillerai encore pour mon entreprise l’année prochaine.
- Je vais rechercher activement un travail dans une autre entreprise dans l’année qui vient®.
- Je serai encore dans la même entreprise dans cinq ans.
- Il se pourrait que je recherche un autre travail ailleurs dans l’année qui vient®.
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Conflits de Rôle et Implication Affective – Quelle influence sur l’intention de départ des cadres du secteur financier
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Annexe 2 : Résultats du test de validité discriminante des conflits de rôle (HP_CR)
chemins
CRL4
<--CRL5
<--CRL6
<--CRL7
<--CRL8
<--CRL9
<--CRL10
<--CRL11
<--CRL1
<--CRL2
<--CRL3
<--CF_COL <--CF_CLI <--CF_CLI <---
Estimations (i)
CR_COL
CR_COL
CR_COL
CR_COL
CR_CLI
CR_CLI
CR_CLI
CR_CLI
CR_IND
CR_IND
CR_IND
CF_IND
CF_COL
CF_IND
,631 ***
.634***
,768***
,564***
,671***
,745***
,681***
,451***
,835***
,315***
,598***
,388***
,585***
,040 (ns)
Annexe 3 : Matrice des corrélations
Statistiques descriptives
Variables du modèle
CR_IND
CR_COL
CR_CLI
IA
ID
moyenne
,0000000
,0000000
,0000000
,0000000
,0000000
²
N
1,00000000
1,00000000
1,00000000
1,00000000
1,00000000
210
210
210
210
210
Matrice des Corrélations
Corrélations
CR_IND
CR_COL
CR_CLI
IA
ID
CR_IND
1
,300(**)
,168(*)
,038
,107
** Corrélations significatives au risque
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CR_COL
CR_CLI
IA
ID
1
,477(**)
-,104
,285(**)
1
-,217(**)
,344(**)
1
-,417(**)
1
<0.01 * Corrélations significatives au risque
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<0.05
46
L’impact de la gestion des ressources humaines sur le succès des projets dans les pays en voie de développement
Adnane Belout & Mohamed Zimri
L’IMPACT DE LA GESTION DES RESSOURCES HUMAINES SUR LE
SUCCES DES PROJETS DANS LES PAYS EN VOIE DE
DEVELOPPEMENT
Adnane BELOUT
Professeur Agrégé
Université de Montréal, Canada
[email protected]
Mohamend ZIMRI
Université de Montréal, Canada.
L’identification des facteurs de succès des projets a fait l’objet de plusieurs recherches depuis
les années 2000. Récemment, l’étude de l’impact de la gestion des ressources humaines
(GRH) en contexte de projets est devenue un sujet crucial dont la mesure est nécessaire pour
assurer une pérennité aux projets. Bien que ce domaine d’étude reste encore peu étudié de
façon empirique, des recherches exploratoires notables ont été effectuées par plusieurs
chercheurs aux USA et au Canada. Les résultats controversés sur l’existence de relations
significatives entre la gestion des ressources humaines et le succès des projets invitent
aujourd’hui à la réalisation de nouvelles recherches sur le sujet. Dans les pays en voie de
développement, les projets et programmes nationaux sont indéniablement le vecteur de la
croissance économique. Pour ces pays encore fragiles économiquement et instables
politiquement, la maitrise des facteurs ayant un impact sur le succès organisationnel et la
bonne gouvernance s’impose aux gouvernements en place. Dans cette optique, notre étude
impliquant des pays arabes et africains a tenté de répondre à la question suivante: Quels sont
les facteurs qui influent le plus sur le succès des projets dans les PVD ? La GRH a-elle un
impact ou une relation significative avec le succès de ces projets ?
Dans les entreprises, la gestion des ressources humaines (GRH) a des missions et des
contraintes différentes selon les contextes organisationnels. La particularité de la GRH dans
des contextes précis tels que le milieu des professionnels, la GRH dans le contexte public
(Van der Zwaa et al. 2002, la GRH au niveau international et dans les pays émergents ou en
voix de développement (Saba et Doucet, 2002), la GRH en contexte de projets (Huemann et
al. 2004) est aujourd’hui une évidence. Parmi ces contextes, l’émergence de la gestion de
projet suscite un intérêt particulier en GRH tant de la part des chercheurs que de celle des
gestionnaires.
Dans les PVD, la réalisation des grands projets constitue indéniablement un vecteur essentiel
de leur croissance économique. Plusieurs experts de la gestion des organisations soulignent
qu’une gestion efficace des ressources humaines constitue un des facteurs clés de la
performance organisationnelle. Pourtant, certaines études relatives à la gestion de projets,
notamment celles de Pinto et Prescott (1988) ont conclu que la GRH n’avait pas d’impact
significatif sur le résultat des projets, créant ainsi une controverse sur la relation en la GRH et
la performance organisationnelle. L’objectif premier de cet article est de vérifier l’existence
d’une relation entre la GRH et le succès des projets dans les PVD.
1. L’importance des projets dans les PVD
L’implantation de projets dans les PVD revêt une importance vitale pour leur développement.
La réalisation de projets, notamment ceux financés par des organismes bilatéraux ou
multilatéraux, est indispensable pour la mise en place d’infrastructures économiques et
sociales nécessaires au développement des PVD, telles que des routes, des centrales
électriques, des barrages, des logements, des écoles, des hôpitaux, etc. (Charnoz et Severino,
2007; Abbasi et Al-Mharmah; 2000).
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L’impact de la gestion des ressources humaines sur le succès des projets dans les pays en voie de développement
Adnane Belout & Mohamed Zimri
Mikhaïlof (2006) souligne que la réalisation de projets dans les PVD constitue la forme la
plus adéquate de l’aide internationale au développement lorsqu’il s’agit de financer des
réalisations «ponctuelles» (telles que des ports, centrales électriques, routes, etc.) mais aussi
des réalisations de développement agricole ou sanitaire à l’échelle locale ou régionale. Dans
ce sens, Charnoz et Severino (2007) nous rappellent que dans les PVD ces projets peuvent
renforcer certains services publics en l’absence de véritables politiques sectorielles. Ils
soulèvent également l’avantage important de ces projets relatif au transfert de technologie et
de savoir-faire. Dès lors, une gestion efficace de ces projets s’impose afin d’assurer leur
succès et atteindre leurs objectifs. La GRH présente des caractéristiques spécifiques aux PVD
qui se heurtent à plusieurs obstacles.
2. La GRH dans les PVD
Les lacunes de la GRH dans les PDV sont nombreuses et variées dépendamment des cultures
organisationnelles, des valeurs des classes dirigeantes, des moyens financiers et du niveau de
développement. L’un des grands problèmes de la GRH dans les PVD est le manque
d’articulation entre le système éducatif et le système productif. Ce manque de cohérence entre
les deux systèmes constitue un handicap majeur pour les entreprises qui ne peuvent disposer
de ressources humaines ayant les compétences et les qualifications nécessaires pour leur
développement (Tebbaa, 1994; Djeflat, 1994). Au niveau organisationnel, Akesbi et al.
(1994) ont rapporté que les ressources humaines dans les entreprises marocaines (qui sont
généralement similaires aux entreprises dans plusieurs autres PVD) sont caractérisées par un
manque dans le personnel d’encadrement et une prédominance du personnel non ou peu
qualifié. Ces auteurs expliquent cette situation par le profil des entreprises qui est peu
favorable au développement des ressources humaines (prédominance du secteur informel dans
les entreprises privées, prédominance des entreprises de petite taille ayant une structure
organisationnelle de type informel ne permettant de disposer que d’un niveau faible
d’encadrement, prédominance du caractère personnel ou familial au niveau de l’organisation
et de la gestion de l’entreprise, pénurie du personnel qualifié, recours à la main-d'œuvre
temporaire; non-déclaration de travailleurs; etc.).
Une étude réalisée par Ndedouma (2008) au sein des administrations publiques en République
centrafricaine a rapporté que la GRH souffre d’un ensemble de difficultés aussi bien d’ordre
matériel (manque d’outils informatiques, manque de fourniture), d’ordre financier
(insuffisance des budgets, mauvaise gestion financière, médiocrité des salaires, retards dans le
paiement des salaires) que d’ordre juridique (non application des lois et règlements,
inadéquation du cadre juridique). En ce qui concerne la fonction RH dans les PVD, l’étude de
Bellal (1994) a rapporté que cette fonction demeure dénuée de tout pouvoir décisionnel au
sein des organisations. En effet, la fonction RH dans ces pays s'accroît avec la taille de
l'entreprise et le nombre de son personnel. Ainsi, cette fonction est absente dans les PME qui
constituent plus de 80% des entreprises (Bellal, 1994; Gannouni, 2001; Frimousse et Peretti,
2005). Par ailleurs, dans les entreprises structurées (à l’exception des grandes entreprises où la
fonction RH est plus élaborée), bien qu’une fonction RH existe, elle est souvent gérée par une
seule personne n'ayant aucune formation spécialisée dans le domaine et ayant pour seul rôle
l’application des directives et le respect des règlements sans participer au processus
décisionnel (Gannouni, 2001).
D’autre part, dans les entreprises des PVD, la formation demeure quasi inexistante. Et même
dans les entreprises où la formation existe, celle-ci se fait sur le tas, sans perspective, et
souvent au moindre coût (Bellal, 1994). L’étude de Gannouni (2001) a rapporté que la
formation prend plus d'importance dans le contexte actuel d'ouverture des marchés locaux
(dans les pays étudiés, à savoir le Maroc et la Tunisie) et que les entreprises étudiées ont mis
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48
L’impact de la gestion des ressources humaines sur le succès des projets dans les pays en voie de développement
Adnane Belout & Mohamed Zimri
en place divers programmes de formation. Cependant, ces programmes n'ont pas d'objectifs
clairs, et ne répondent qu’aux besoins occasionnels du travail.
En ce qui concerne les pratiques de recrutement, la gestion prévisionnelle des emplois et des
compétences demeure encore faiblement pratiquée (Frimousse et Peretti, 2005). Le
recrutement se fait dans la majorité des cas, sans considération des besoins réels de
l’entreprise et du poste de travail. Par ailleurs, le recrutement dans ces entreprises est marqué
par le recours à la main-d’œuvre temporaire ou occasionnelle. Ainsi, en cas de baisse du
volume de la production engendrant un sureffectif, les dirigeants se tournent
systématiquement vers la réduction de la charge salariale en licenciant l'effectif occasionnel.
Ces pratiques constituent un facteur important expliquant l’existence d’un climat démotivant
au sein de l'entreprise (Gannouni, 2001). Quant aux pratiques d’évaluation, Gannouni (2001)
explique qu’elles restent touchées par la centralisation dans la mesure où les dirigeants
préfèrent procéder eux-mêmes à l'appréciation du personnel afin de préserver cette relation de
pouvoir et de contrôle direct sur leurs employés. Il ajoute que l’évaluation dans ces pays est
souvent basée sur des critères subjectifs et non précis.
Dans les entreprises de grande taille par contre, la fonction RH est plus développée et mieux
structurée. En effet, dans cette catégorie d’entreprises, les études empiriques ont constaté
l'importance des objectifs et du budget assignés au service de ressources humaines et surtout
l'utilisation de nouvelles techniques de gestion en la matière. Cependant, la prédominance de
structures fortement hiérarchisées et bureaucratiques limite les initiatives de changement
(Gannouni, 2001; Frimousse et Peretti, 2005). Les objectifs de la fonction RH sont fixés par la
haute direction dans le cadre de la stratégie générale, sans tenir compte de ses besoins réels.
Bellal (1994) ajoute, dans le même sens, que même dans les grands groupes industriels et les
multinationales, qui constituent moins de 10 % du tissu productif et où la fonction RH a
accédé au rang de direction avec des structures étoffées, les conceptions et théories
développées en matière de gestion des ressources humaines sont loin d’être toujours mises en
œuvre et ne sont que très rarement intégrées aux stratégies de ces entreprises. De plus, les
méthodes et les outils utilisés par les responsables de la fonction RH proviennent
d’expériences étrangères et demeurent donc inadaptés à l’environnement et à la réalité de ces
entreprises (Bellal, 1994). Dans des PVD, où la fonction RH demeure absente ou réduite à
une simple fonction administrative dénuée de vision stratégique, la GRH aurait-elle un rôle à
jouer dans le succès des projets ?
3. La GRH et le succès de projet dans les PVD
L’étude Tabassi et Abu Bakar (2009) sur la performance des projets de construction à
Mashhad en Iran a conclu que ces projets sont caractérisés par un dépassement des délais de
livraison, un dépassement des budgets planifiés et une faible qualité de construction, qui sont
d’ailleurs les trois critères traditionnels d’évaluation du succès des projets. Ils expliquent cet
échec de projets essentiellement par l’utilisation de personnel non qualifié. En effet, les
résultats de leur étude démontrent que 20% seulement des praticiens dans les projets de
construction à la ville de Mashhad sont considérés qualifiés, 50% sont non qualifiés et 20%
semi-qualifiés (p.5). Ce manque de qualification est dû à un manque de programmes de
formation dans ces projets (73,5% des compagnies interrogées n’avaient aucun programme
spécifique de formation de leur personnel). Ce manque de formation intégrée s’explique par
trois catégories de barrières, à savoir des barrières organisationnelles (coûts élevés des
programmes de formation, problèmes financiers, contrats de travail à court terme, faible
niveau de scolarité des travailleurs, etc.); des barrières personnelles (faible niveau de scolarité,
faible niveau de revenu, manque de motivation, contraintes familiales, etc.); et des barrières
gouvernementales (faible niveau culturel, faible implication du gouvernement dans la
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L’impact de la gestion des ressources humaines sur le succès des projets dans les pays en voie de développement
Adnane Belout & Mohamed Zimri
formation de la main-d’œuvre, et faible contrôle de la part du gouvernement sur l’utilisation
d’une main-d’œuvre qualifiée dans les projets).
Cette explication de l’échec de projet a été donnée également par d’autres auteurs tels que
Sprague et Greenwell (1992) qui soutiennent que les ressources humaines des projets,
notamment le personnel technique, ne sont pas généralement préparées pour travailler dans un
environnement de projet et qu’elles sont souvent caractérisées par un manque dans les
connaissances de base de la gestion de projet. De plus, même dans les cas où le personnel
avait déjà reçu les formations nécessaires, ils ont noté un manque de mise à jour de ces
formations et une absence de la formation continue. De leur côté, Diallo et Thuillier (2005)
suggèrent également l’importance de la GRH pour le succès de projets dans les pays en
développement, en créant, renforçant et maintenant une bonne cohésion dans l’équipe de
projet. Frimpong et al. (2003) soutiennent ce point de vue en expliquant que la plupart des
problèmes rencontrés par les projets de construction de barrages dans les PVD sont dus à une
gestion inefficace des ressources, notamment des ressources humaines. Dans le même sens,
Harnois et Fabi (1994), dans leur étude sur les attentes des professionnels de gestion de projet
à l’égard de la GRH, ont conclu que l’implantation de pratiques de GRH appropriées (pour
assurer la motivation, les qualifications, les disponibilités ou les comportements requis)
constitue «un facteur critique dans la réalisation des objectifs organisationnels» (p.23). Il
s’avère ainsi, du moins du point de vue de ces auteurs, que l’échec de projet dans les pays en
voie de développement s’expliquerait partiellement, si ce n’est en grande partie, par une
gestion inadéquate des ressources humaines. L’objectif de cet article sera de confirmer ou
infirmer ce point de vue, en étudiant la relation entre la gestion des ressources humaines et le
succès des projets dans les PVD.
4. Modèle conceptuel
Notre sujet de recherche porte sur les relations entre les facteurs de succès des projets
(proposés dans l’étude de Belout et Gauvreau, 2004) et le succès des projets réalisés dans les
PVD. Dans cette optique, nos deux questions de recherche sont : Quelles sont les relations
entre les principaux facteurs de succès des projets et le succès effectif des projets dans les
PVD ? Particulièrement, y a-t-il des relations entre le facteur GRH et le succès des projets
dans les PVD ?
Afin de répondre à cette question, nous avons adopté un modèle conceptuel basé sur les
études de Belout A. (1998-2005). Notre modèle constitue une adaptation de celui de Belout et
Gauvreau (2004) au contexte des PVD. Nous proposons ainsi neuf facteurs de succès des
projets dans les PVD. De plus, le modèle tient compte de trois variables modératrices qui
interviennent dans la relation entre ces neuf facteurs et le succès des projets (Figure 1).
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L’impact de la gestion des ressources humaines sur le succès des projets dans les pays en voie de développement
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Figure 1 : le modèle conceptuel
Notre hypothèse principale (H1)
suggère que les neuf facteurs du
modèle, et particulièrement le facteur
«GRH», présenteront une relation
significative avec le succès des projets
dans les PVD. La littérature sur la
gestion de projet nous enseigne que
certaines variables dites modératrices
interviennent dans les relations entre
les facteurs clés et le succès des
projets en affectant la force de ces
relations (Belout, 1998; Belout et
Gauvreau, 2004; Pinto et Prescott,
1988; Pinto et Covin, 1989). Partant
de cette littérature, nous proposons
trois autres hypothèses supposant que la relation entre les neufs facteurs, en particulier la
GRH, avec le succès des projets dans les PVD variera selon la phase du cycle de vie de projet
(H2), selon la structure organisationnelle (H3), et selon le secteur d’activité (H4).
5. Méthodologie
Les données de cette étude ont été collectées, à l’aide d’un questionnaire auto-administré,
dans le cadre des études en gestion de projet réalisées par Belout et Gauvreau entre 2000 et
2005 à l’Université de Montréal, École des relations industrielles. Ce questionnaire constitue
une adaptation du P.I.P. proposé dans l’étude de Slevin et Pinto (1986). Au total, 236
questionnaires ont été recueillis dont 51 remplis par des gestionnaires de projets réalisés dans
des pays en voie de développement (Bénin; Burkina-Faso; Côte d’Ivoire; Cameroun; Maroc;
Tunisie, Mauritanie et Sénégal).
L’échantillon de cette étude a été constitué par le moyen d’un échantillonnage stratifié non
proportionnel. La première stratification a été effectuée par secteur d’activité. Six secteurs ont
été retenus, à savoir l’informatique, la construction, l’ingénierie, le développement
technologique, le domaine à caractère organisationnel et le domaine à caractère social ou
humanitaire. La deuxième stratification a été effectuée par phase du cycle de vie du projet.
Ainsi, un nombre équivalent de répondants a été fixé pour chacune des quatre phases des
projets. Le nombre total de projets compris dans l’échantillon de l’étude est de 51 projets
(n=51).
Pour la vérification de la première hypothèse H1 supposant l’existence d’une association entre
les variables indépendantes et la variable dépendante, nous avons recouru à la corrélation de
Pearson. Tandis que pour les hypothèses H2, H3 et H4, des analyses de corrélation Spearman
ont été réalisées dans le but de vérifier si la relation entre la GRH et le succès de projet varie
selon le «cycle de vie de projet», la «structure organisationnelle» et le «domaine d’affaires».
Ces analyses de corrélation ont été effectuées en contrôlant une par une les catégories de
chacune des variables modératrices. Les analyses statistiques ont été exécutées à l’aide du
logiciel SPSS.
6. Résultats
En ce qui concerne le cycle de vie de projet, la majorité des projets, soit 79,17%, étaient en
phase d’Exécution au moment de la collecte des données de cette étude. Notre échantillon
contient par ailleurs un nombre très faible de projets se trouvant dans les autres phases de
Conception (4 projets), de Planification (5 projets) et de Clôture (1 projet seulement). Pour
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les structures organisationnelles, 38,78% des projets de l’échantillon fonctionnaient avec une
structure organisationnelle fonctionnelle, tandis que la structure par projet et la structure
matricielle ont été adoptées chacune par 30,61% des projets. Quant aux secteurs d’activité,
32% des projets opéraient dans le domaine de l’informatique, 34% était dans le secteur de la
construction et 34% dans les autres secteurs d’activité (ingénierie, développement
technologique, projets à caractère organisationnel et autres domaines).
Afin de vérifier la consistance interne pour chacune des variables incluses dans notre modèle,
nous avons procédé à l’analyse des coefficients Alpha de Cronbach. Cette mesure est
recommandée dans le cas des analyses qui portent sur des échelles de Likert (Kaplan et
Saccuzzo, 1993, p.115). Il est reconnu dans le domaine de la recherche sociale que les
variables peuvent être considérées comme étant homogènes lorsque le coefficient Alpha de
Cronbach est supérieur à 0,70 (Gauthier, 2003). Les mesures du coefficient Alpha de
Cronbach pour chacun des construits de notre modèle se sont avérées satisfaisantes
puisqu’elles se situent entre 0,75 et 0,93.
6.1. Vérification de la première hypothèse
Afin de vérifier la première hypothèse, nous avons procédé à une analyse des corrélations
bivariées à l’aide du coefficient de corrélation de Pearson. Les résultats de ces analyses
(Tableau 2) nous montrent que toutes les variables indépendantes sont corrélées positivement
et significativement avec le succès des projets dans les PVD. La GRH semble être la variable
qui présente la corrélation la plus faible avec le succès des projets dans les PVD (r=0,373;
p=0,039). Les facteurs qui présentent les corrélations les plus fortes avec le succès des projets
sont la «Mission de projet» (r=0,603; p<0,001), le «Contrôle et rétroaction» et la «Résolution
de problèmes» (r=0,628; p<0,001).
Tableau 2 : Matrice des corrélations bivariées (Pearson)
Succès
Mission
Appui
Planif.
Satisf.
GRH
Tech.
Comm.
Contrôle
Problèm
Succès
1
33
,603(**)
,000
32
,551(**)
,001
33
,486(**)
,005
32
,528(**)
,002
32
,373(*)
,039
31
Mission
Appui
Planif.
Satisf.
GRH
1
50
,771(**)
,000
47
,313(*)
,027
50
,494(**)
,000
47
,390(*)
,019
36
1
48
,351(*)
,015
47
,424(**)
,004
45
,470(**)
,004
35
1
50
,426(**)
,003
47
,580(**)
,000
36
1
47
,684(**)
,000
35
1
37
,589(**)
,000
32
,455(*)
,012
30
,628(**)
,000
33
,628(**)
,000
33
,580(**)
,000
48
,659(**)
,000
46
,688(**)
,000
50
,465(**)
,001
49
,662(**)
,000
47
,429(**)
,004
44
,748(**)
,000
48
,589(**)
,000
47
,688(**)
,000
48
,441(**)
,002
46
,577(**)
,000
50
,515(**)
,000
49
,565(**)
,000
45
,727(**)
,000
44
,514(**)
,000
47
,437(**)
,002
47
,681(**)
,000
36
,522(**)
,002
34
,528(**)
,001
37
,451(**)
,005
37
Tech.
Comm.
Contrôle
Problèm.
1
49
,571(**)
,000
44
,773(**)
,000
49
,650(**)
,000
48
1
46
,591(**)
,000
46
,478(**)
,001
45
1
51
,714(**)
,000
50
1
50
** La corrélation est significative au niveau 0.01 (bilatéral).
* La corrélation est significative au niveau 0.05 (bilatéral).
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6.2. Vérification de la deuxième hypothèse
Dans le but de vérifier notre deuxième hypothèse, nous avons procédé à des analyses de
corrélation entre les neuf variables indépendantes et la variable dépendante sous contrôle de
chacune des phases de projet. Nous avons utilisé la corrélation de Spearman étant donné que
cette méthode est la plus appropriée pour des échantillons de petite taille (n<35). Il importe de
noter à ce stade de l’étude que les trois phases «Conception», «Planification» et «Clôture»
sont marquées par un nombre de cas très faible (respectivement 4, 5 et 1 cas). Ceci nous
empêche de prendre en considération les résultats des analyses de corrélation relatives à ces
trois phases. Seule la phase d’exécution dispose d’un nombre de cas raisonnable (n=38)
permettant de procéder à l’analyse et d’accepter ses résultats.
Le tableau de corrélation Spearman (Tableau 3) nous indique que dans la phase d’exécution
toutes les variables sont corrélées positivement et significativement avec le succès des projets
dans les PVD. La variable GRH est celle qui présente la corrélation la moins forte avec le
succès de projet dans cette phase (r=0,415; p=0,049). Les variables qui présentent les
corrélations les plus fortes avec le succès sont la «Résolution de problèmes» (r=0,706;
p<0,001), la «Satisfaction du client» (r=0,703; p<0,001) et la «Performance technique»
(r=0,691; p<0,001).
Tableau 3 : Corrélations bivariées (Spearman) sous contrôle de la phase d’exécution
Mission
Appui
Planif.
Satisf.
GRH
Tech.
Comm.
Contrôle
Problème
,653(**)
,001
23
,660(**)
,000
24
,623(**)
,001
23
,703(**)
,000
23
,415(*)
,049
23
,691(**)
,000
23
,567(**)
,006
22
,656(**)
,001
24
,706(**)
,000
24
Exécution
Succès
** La corrélation est significative au niveau 0.01 (bilatéral).
* La corrélation est significative au niveau 0.05 (bilatéral).
6.3. Vérification de la troisième hypothèse
Dans le but de vérifier si la relation entre la GRH et le succès des projets dans les PVD varie
en fonction du type de structure organisationnelle, nous avons procédé à des analyses de
corrélation entre les neuf facteurs clés et le succès des projets dans les PVD pour chacun des
types de structure. Nous avons réalisé des analyses de corrélation de Spearman en contrôlant à
tour de rôle chacune des structures organisationnelles.
Tableau 4 : Corrélations bivariées (Spearman) sous contrôle de la structure
organisationnelle
Mission
Appui
Planif.
Satisf.
GRH
Tech.
Comm.
Contrôle
Problème
-,023
,939
13
,214
,483
13
,372
,211
13
,481
,096
13
,163
,595
13
,273
,390
12
,175
,586
12
,410
,164
13
,490
,089
13
,857(*)
,014
7
,786(*)
,036
7
,286
,535
7
,786(*)
,036
7
,771
,072
6
,929(**)
,003
7
,657
,156
6
,901(**)
,006
7
,857(*)
,014
7
,668(*)
,025
11
,654(*)
,021
12
,856(**)
,001
11
,674(*)
,023
11
,247
,464
11
,661(*)
,019
12
,633(*)
,037
11
,656(*)
,020
12
,694(*)
,012
12
Fonctionnelle
Succès
Par projet
Succès
Matricielle
Succès
** La corrélation est significative au niveau 0.01 (bilatéral).
* La corrélation est significative au niveau 0.05 (bilatéral).
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Comme nous pouvons le constater d’après le tableau 4, les corrélations entre les variables
indépendantes et la variable dépendante varient d’un type de structure à l’autre. Ainsi, pour la
structure fonctionnelle aucun facteur ne semble avoir une corrélation significative avec le
succès de projet. En ce qui concerne la structure par projet, toutes les variables sont corrélées
significativement avec le succès de projet à un seuil de p<0,05 à l’exception des variables
«Planification», «GRH» et «Communication». Les variables qui ont les corrélations les plus
fortes avec le succès sont la «Performance technique», le «Contrôle et rétroaction», la
«Mission de projet» et la «résolution de problèmes». Finalement, lorsqu’il s’agit de la
structure matricielle, la seule variable qui ne présente pas une corrélation significative avec le
succès de projet est la «GRH». Les autres facteurs ont tous une corrélation significative avec
le succès à un seuil de p<0,05. Les corrélations les plus fortes au niveau de cette structure ont
été notées entre le succès de projet et les variables «Planification», «Résolution de
problèmes», «Satisfaction du client» et «Mission du projet».
6.4. Vérification de la quatrième hypothèse
La vérification de cette hypothèse H4 a été effectuée en utilisant la même méthode utilisée
pour vérifier les hypothèses H2 et H3. Ainsi, nous avons réalisé des analyses de corrélation
entre la variable succès et chacune des variables indépendantes en contrôlant à chaque fois un
des domaines d’affaires étudiés (informatique, construction et autres domaines). Le tableau 5
ci-dessous synthétise les résultats de ces analyses.
Tableau 5 : Corrélations (Spearman) sous contrôle du secteur d’activité
Mission
Appui
Planif.
Satisf.
GRH
Tech.
Comm.
Contrôle
Problème
,544(*)
,036
15
,643(**)
,010
15
,906(**)
,000
15
,596(*)
,019
15
,415
,140
14
,675(**)
,006
15
,586(*)
,022
15
,702(**)
,004
15
,809(**)
,000
15
,570
,109
9
,385
,306
9
-,159
,683
9
,553
,122
9
-,143
,736
8
,151
,698
9
,731(*)
,040
8
,414
,269
9
,603
,086
9
,717(*)
,045
8
,611
,081
9
,635
,091
8
,825(*)
,012
8
,500
,170
9
,356
,387
8
,918(**)
,004
7
,870(**)
,002
9
,661
,053
9
Informatique
Succès
Construction
Succès
Autres
Succès
** La corrélation est significative au niveau 0.01 (bilatéral).
* La corrélation est significative au niveau 0.05 (bilatéral).
Les résultats des analyses de corrélation sous contrôle des domaines d’affaires ont montré que
la GRH n’émerge pas comme variable ayant une corrélation significative avec le succès de
projets dans les PVD et ce peu importe le domaine d’affaires étudié. En effet, dans le
domaine de l’informatique, la GRH est le seul facteur qui n’a pas de corrélation significative
avec le succès de projet. Les autres facteurs ont tous une corrélation modérée à forte avec le
succès de projet. Les plus fortes corrélations au niveau de ce domaine d’affaires sont
notamment la «Planification du projet» (r=0,906; p<0,001), la «Résolution de problème»
(r=0,809; p<0,001) et le «Contrôle-rétroaction» (r=0,906; p=0,004). En ce qui concerne le
domaine de construction, seul le facteur «Communication» présente une corrélation
significative avec le succès de projet dans les PVD (r=0,731; p=0,04). Pour les autres
domaines d’affaires, quatre facteurs seulement sont corrélés d’une manière significative avec
le succès de projet dans les PVD : la «Communication» (r=0,918; p=0,004), le «Contrôlerétroaction» (r=0,870; p=0,002), la «Satisfaction du client» (r=0,825; p=0,012) et la «Mission
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du projet» (r=0,717; p=0,045). Le facteur GRH figure quant à lui parmi ceux qui ont les
corrélations les plus faibles avec le succès de projet (r=0,500; p=0,17). Le facteur
«Communication» semble ainsi être le seul facteur significativement corrélé avec le succès de
projet dans les PVD peu importe le domaine d’affaire du projet.
7. Discussion
7.1. GRH et succès de projet dans les PVD
Les résultats de notre étude ont montré que la GRH présente une relation significative avec le
succès des projets dans les PVD. Ces résultats rejoignent globalement ceux trouvés dans le
cadre de l’étude de Belout et Gauvreau (2004) et de Pinto et Prescott (1988) au niveau des
analyses préliminaires de corrélation. Ces études avaient révélé que tous les facteurs clés de
leurs modèles, y compris le facteur «Personnel», sont corrélés d’une manière positive et
significative avec le succès de projet. De même, nos résultats viennent appuyer les études
réalisées dans les PVD qui affirment l’existence d’un effet positif de la GRH sur le succès des
projets (Tabassi et Abu Bakar, 2009; Long et al., 2004; Khang et Moe, 2008; Diallo et
Thuillier, 2005). Nous pouvons aussi conclure que, dans un contexte aussi spécifique que
celui des PVD, la relation entre la GRH et le succès des projets ne diffère pas de celle
observée dans le contexte plus global des pays développés menées dans les études de Belout
et Gauvreau (2004) ainsi que de Pinto et Prescott (1988).
Cependant, bien qu’elle présente une relation significative avec le succès de projet dans les
PVD, la GRH constitue le facteur ayant la corrélation la moins forte avec ce succès. Ce
résultat peut avoir différentes explications. La première explication possible est relative au
caractère indirect de l’effet de la GRH sur le succès de projet. En effet, plusieurs auteurs
confirment l’existence d’une relation indirecte entre la dimension humaine de la gestion de
projet et le succès global des projets en expliquant que l’aspect ressources humaines est tissé
dans tous les autres facteurs de succès des projets (Geoghegan et Dulewicz, 2008; CookeDavies, 2002). Ainsi, le fait que la majorité des répondants au questionnaire de notre
recherche ne reconnaissent pas le rôle de la GRH peut être expliqué par leur méconnaissance
de l’effet indirect de la GRH. La deuxième explication possible est relative à la difficulté de
percevoir le rôle de la fonction ressources humaines dans le contexte des projets. L’évolution
organisationnelle des entreprises, notamment dans le cadre de la gestion par projet, conduit à
une décentralisation des pratiques de GRH au niveau des responsables opérationnels ce qui
implique leur responsabilisation de plus en plus importante dans le quotidien de la GRH
(Huault, 1999; Welch et al. 2008).
Cette décentralisation conduirait le personnel du projet à assimiler l’absence physique d’une
fonction RH (un service ou une direction RH) à une absence totale de la GRH. Finalement, la
faiblesse de l’association entre la GRH et le succès de projet dans les PVD (par rapport aux
autres facteurs) peut trouver son explication dans les caractéristiques de la gestion de projet et
de la GRH dans le contexte spécifique des PVD. En effet, la littérature nous a appris que dans
les PVD caractérisés par la prédominance du secteur informel, la législation du travail et les
normes conventionnels de GRH sont complètement marginalisées (Bailly, 2004; Akesbi et al.,
1994). Par ailleurs, le facteur culturel dans les PVD rend inadéquat les méthodes et les
pratiques conventionnelles de gestion (reconnues dans les autres pays occidentaux) puisque
les RH dans ces pays sont différentes quant à ce qui les motive et ce qui favorise leur
engagement au travail (Muriithi et Crawford, 2003). De plus, la fonction RH est absente dans
presque 80% des entreprises de ces pays (qui correspondent aux PME), et même quand une
fonction RH est mise en place, celle-ci est privée de tout pouvoir décisionnel et n’atteint pas
le rang stratégique préconisé pour pouvoir participer efficacement à la performance de
l’organisation (Ndedouma, 2008; Frimousse et Peretti, 2005; Gannouni, 2001; Bellal, 1994).
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Cet état des faits pourrait expliquer le jugement des gestionnaires de projets dans ces pays par
rapport au rôle de la GRH et sa relation avec le succès de leurs projets.
7.2. Cycle de vie du projet
Nous n’étions pas en mesure de vérifier cette hypothèse puisque la taille de notre échantillon
ne permet pas d'exécuter des analyses de corrélation sous contrôle de chacune des phases de
projet. Ceci dit, nos résultats ont montré que durant la phase d’Exécution, toutes les variables
sont corrélées significativement avec le succès des projets dans les PVD. Les variables qui
présentent les corrélations les plus fortes avec le succès de projet durant cette phase sont la
«Résolution de problèmes», la «Satisfaction du client» et la «Performance technique». Bien
qu’elle présente la corrélation la moins forte, la variable GRH a également une relation
significative avec le succès de projet. Ces résultats concordent avec ceux de l’étude de Belout
et Gauvreau (2004) et de Pinto et Prescott (1988) qui avaient conclu que les neuf facteurs, y
compris la GRH, sont corrélés significativement avec le succès de projet durant la phase
d’Exécution. Mais dans ces études (Belout et Gauvreau, 2004; Pinto et Prescott, 1988) leurs
analyses de régression montrent que le facteur «GRH» n’a pas d’impact significatif sur le
succès des projets. A ce propos les auteurs mentionnent :
‘‘Does HRM in the context of project management have specific characteristics that
make its role, social responsibility and operation different from so-called traditional
HRM? Does the difficulty in measuring the impacts of HRM on organisational success
(widely described in the HRM literature) explain this finding?’’.
Ces régressions ont montré aussi que les facteurs clés du succès de projet varient d’une phase
à l’autre, ce qui confirme leur hypothèse relative à l’effet modérateur du cycle de vie du
projet. En s’appuyant sur ces constats (Belout et Gauvreau, 2004; Pinto et Prescott, 1988,
Kang et Moe, 2008), il s’avère que le cycle de vie de projets exerce un effet modérateur sur la
relation entre la GRH et le succès des projets. Il n’était pas possible dans le cadre de notre
étude de vérifier notre hypothèse relative à cet effet modérateur à cause de la taille de
l’échantillon.
7.3. Structure organisationnelle
Les résultats des analyses de corrélation ont confirmé cette hypothèse, en démontrant que la
force des corrélations entre les variables indépendantes (facteurs de succès) et la variable
dépendante (succès des projets dans les PVD) diffère d’un type de structure à l’autre. Ainsi,
dans une structure fonctionnelle, aucun facteur n’a montré une corrélation significative avec
le succès de projet. Dans une structure par projet, tous les facteurs ont eu une corrélation
significative avec le succès des projets à l’exception des facteurs «Panification», «GRH» et
«Communication». Finalement dans une structure matricielle, le seul facteur n’ayant pas une
corrélation significative avec le succès est la «GRH».
Il nous semble surprenant que la GRH ne soit pas associée significativement au succès, et ce,
dans aucun type de structures organisationnelles. En effet, la littérature nous enseigne que la
GRH constitue l’un des facteurs clés du succès de projet, et ce au moins dans une structure de
type fonctionnel. Cette thèse relative à l’importance de la GRH dans une structure
fonctionnelle a été rapportée par les résultats de l’étude de Belout et Gauvreau (2004). Nous
sommes d’avis que la GRH devrait figurer parmi les facteurs associés au succès de projet dans
une structure fonctionnelle d’autant que dans ce type de structure, la fonction RH est
omniprésente et qu’il est facile d’identifier son rôle et ses activités. Nos résultats semblent
incohérents avec la littérature et les études empiriques existantes. Nous questionnons dès lors
la validité de ces résultats eu égard à la petite taille de notre échantillon.
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7.4. Secteur d’activités
Les résultats de notre étude confirment cette hypothèse dans la mesure où les facteurs qui
montrent une association significative avec le succès des projets varient d’un secteur
d’activité à l’autre. Nos résultats appuient ceux de Pinto et Covin (1989) qui avaient suggéré
l’importance de tenir compte de l’effet modérateur du secteur d’activité dans l’étude des
facteurs de succès des projets. Ainsi, nos résultats suggèrent que dans le domaine
informatique, tous les facteurs présentent une corrélation significative avec le succès de projet
à l’exception de la GRH. Par contre, dans le domaine de construction, le facteur
«Communication» est le seul qui montre une association significative avec le succès.
Finalement, dans les autres domaines d’activité, les facteurs qui sont corrélés
significativement avec le succès des projets sont la «Communication», le «Contrôlerétroaction», la «Satisfaction du client» et la «Mission du projet».
Dans ces différents secteurs d’activité, la GRH ne figure pas parmi les facteurs qui ont des
relations significatives avec le succès de projet dans les PVD. Ce résultat, différent de celui de
l’étude de Belout et Gauvreau (2004) qui avait conclu que la GRH fait partie des facteurs qui
affichent une corrélation significative avec le succès de projet dans le domaine de
l’informatique, pourrait trouver son explication dans le nombre insuffisant de projets compris
dans les sous-échantillons relatifs à chacun des secteurs étudiés qui aurait biaiser les résultats
de notre analyse.
8. Conclusion
La majorité des théoriciens et praticiens dans le domaine de la gestion des organisations
s’accordent sur le fait qu’une gestion efficace des ressources humaines constitue un des
facteurs clés de la performance organisationnelle. Or, certaines études en gestion de projets,
notamment celles de Pinto et Prescott (1988) et de Belout et al. (1998-2004), ont conclu que
la GRH n’avait pas d’impact significatif sur le succès des projets, nourrissant des
interrogations sur l’importance de la GRH dans certains contextes. L’objectif de cette étude
exploratoire était de vérifier l’existence effective d’une relation entre la GRH et le succès des
projets dans les PVD. Nous n’avons pas été en mesure de tester les impacts de la GRH sur le
succès des projets puisque l’échantillon n’ pas permis de réaliser des analyses de régression.
Nos conclusions doivent en l’occurrence être prudentes car les analyses statistiques réalisées
ont été limitées à des analyses de corrélations bivariées sous contrôle (étude de relations entre
variables et non pas d’impact).
Dans le but de répondre à nos questions de recherche, nous avons émis l’hypothèse selon
laquelle il existerait des relations significatives entre les différents facteurs de notre modèle, la
GRH en particulier, et le succès des projets dans les PVD. Les analyses bivariées ont permis
de confirmer cette hypothèse en montrant que tous les facteurs y compris la GRH présentent
une corrélation positive et significative avec le succès de projet dans les PVD. Étonnamment,
ces analyses ont révélé que la GRH présente la corrélation la moins forte avec le succès des
projets dans les PVD. Ce résultat peut trouver son explication dans le caractère indirect de
l’effet de la GRH sur la performance des organisations (Geoghegan et Dulewicz, 2008;
Cooke-Davies, 2002) de même que dans la non-visibilité de la fonction RH dans le contexte
des projets, puisque la fonction RH dans ce contexte connait une décentralisation et une
fragmentation de ses responsabilités ne permettant pas de percevoir facilement sa place dans
l’organisation (Huault, 1999; Welch et al., 2008). Ce résultat peut s’expliquer également par
un ensemble de caractéristiques culturelles et structurelles propres aux PVD.
Nos trois autres hypothèses supposaient que les relations entre les facteurs de notre modèle et
le succès de projet varieraient en fonction des phases du cycle de vie du projet, du type de
structure organisationnelle et du secteur d’activité du projet. Les résultats des analyses de
corrélation sous contrôle de chacune de ses variables confirment globalement ces hypothèses
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dans la mesure où les facteurs qui montrent des associations significatives avec le succès des
projets varient d’un secteur d’activité à l’autre et d’une structure organisationnelle à l’autre.
L’intervention du cycle de vie dans la relation entre les facteurs du modèle et le succès de
projet dans les PVD n’a pu être vérifiée à cause du nombre insuffisant de projets compris dans
les phases de conception, de planification et de clôture. Durant la phase d’exécution, nos
résultats ont révélé que la GRH, ainsi que tous les autres facteurs, présente une relation
significative avec le succès des projets. Cependant, la GRH n’a montré de relation
significative avec le succès de projet dans aucun type de structure et dans aucun des secteurs
d’activité étudiés. Ces résultats devraient être interprétés avec précaution puisqu’ils sont basés
sur des analyses de corrélations et sur une taille insuffisante des sous-échantillons (relatifs à
chacun des secteurs d’activité et à chacune des structures organisationnelles).
En définitive, notre étude vient renforcer le postulat avancé par la grande majorité des
théoriciens et praticiens, selon lequel la GRH aurait une relation positive et significative avec
la performance des organisations et le succès des projets en particulier. Des études futures
devront préciser la qualité et l’intensité de cette relation en développant davantage le construit
qui servirait à mesurer le facteur GRH. Pour ce faire, une prise en considération des
spécificités de chacune des pratiques de la GRH dans le contexte des projets s’avère
indispensable. De même, le caractère indirect et invisible du rôle de la GRH doit être pris en
considération dans les recherches futures afin de mieux mesurer l’impact de la GRH sur le
succès des projets et sur la performance organisationnelle en général. De plus, les
caractéristiques des PVD ne doivent pas être négligées lors de l’élaboration des instruments
de mesure de la GRH et du succès des projets dans cette catégorie de pays.
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La responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) face au défi de l’interculturel : de la standardisation à l’adaptation
Ahlem Ben Ameur
LA RESPONSABILITE SOCIALE DE L’ENTREPRISE (RSE) FACE AU
DEFI DE L’INTERCULTUREL : DE LA STANDARDISATION A
L’ADAPTATION
Ahlem BEN AMEUR
Doctorante
Faculté des Sciences Economiques et de Gestion de Tunis- Tunisie
[email protected]
1. Introduction :
Dans le contexte de mondialisation, l’expatriation se présente comme un enjeu stratégique
crucial pour les entreprises internationales. Néanmoins, le recours aux politiques de gestion
internationale des ressources humaines est confronté à divers freins du fait de l’augmentation
du taux d’échec relatif à l’expatriation qui peut aller de 20% en moyenne jusqu’à atteindre
50% (Mérignac et Roger, 2005). Les expatriés coûtent chers à leurs entreprises, en moyenne,
deux à trois fois plus que ce qu’ils coûteraient s’ils accomplissaient la même tâche dans leurs
pays d’origine (Waxin et Chandon, 2003). Leur coût sera encore amplifié en cas d’échec dans
leur affectation (Cerdin et Peretti, 2000). Dans cette perspective, Crétien (2003) souligne que
cet échec peut être à l’origine de la stagnation des activités à l’étranger, de la perte de parts de
marchés et de la mauvaise réputation de l’entreprise auprès des clients.
Etant donné que le succès des opérations internationales se base en grande partie sur la
réussite des cadres expatriés dans leur mission (Varner et Palmer, 2005), plusieurs auteurs
(Black et al. 1991 ; Cerdin et Peretti, 2000 ; Varner et Palmer, 2005) aboutissent au fait que
les difficultés d’adaptation à une nouvelle culture constituent la plus grande cause de l’échec à
l’étranger. Depuis les années 1950, l’étude des problèmes interculturels rencontrés dans le
pays d’accueil fait l’objet d’une préoccupation croissante de la part de plusieurs chercheurs et
praticiens (Grange, 1997). La littérature évoque le plus souvent les problèmes liés aux
différences culturelles (Brasseur, 2008 ; Crétien, 2003), aux difficultés linguistiques (Crétien,
2003), à l’inadaptation de la famille (Mérignac et Roger, 2005) et aux conditions générales de
vie dans le pays hôte (Crétien, 2003).
Des chercheurs tels que Barel (2006) et Brasseur (2008) signalent que le problème
interculturel n’a pas pour origine la nature des différences culturelles en elles-mêmes. Il
dépend plutôt de la manière dont les cadres internationaux les appréhendent. L’intérêt porté à
l’étude de l’adaptation interculturelle réside alors dans sa capacité à favoriser la réussite des
cadres expatriés dans leur mission internationale. Ce concept a été largement documenté dans
la littérature du fait qu’il représente un antécédent de performance et d’accomplissement du
contrat dans sa totalité (Cerdin et Peretti, 2000 ; Waxin et Chandon, 2003). Il est devenu un
cadre théorique assez prégnant autour de la responsabilité sociale de l’entreprise
internationale (Cerdin et Dubouloy, 2005).
Dès lors, la création de valeur économique se fonde en grande partie sur la prise en compte
des valeurs des différentes parties prenantes et plus particulièrement, de celles des cadres
expatriés et ce, en favorisant leur adaptation interculturelle. C’est en s’inscrivant dans le cadre
de la remise en cause de l’approche universaliste au profit de la prise en considération des
spécificités culturelles et sociétales locales que la RSE pourrait certainement relever le défi de
l’interculturel. Dans cette optique, 61’objectif du présent papier est de fournir un panorama
des principaux débats relatifs au cadre général dans lequel ce concept se situe. Notre étude
empirique a également pour ambition l’analyse des pratiques de RSE mises en œuvre par les
organisations d’origine en faveur des cadres expatriés en Tunisie et ce, à travers l’examen de
l’impact des déterminants organisationnels sur leur adaptation interculturelle.
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61
La responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) face au défi de l’interculturel : de la standardisation à l’adaptation
Ahlem Ben Ameur
Grâce aux résultats d’une enquête menée auprès de deux cent deux cadres expatriés en
Tunisie, nous tenterons de répondre à notre problématique de recherche qui relève de
l’engagement éthique des organisations d’origine vis-à-vis de l’expatriation et des pratiques
de RSE mises en place pour favoriser l’adaptation interculturelle. D’abord, nous débuterons
par analyser les différentes perspectives théoriques existant à ce niveau et ce, sans prétention
d’exhaustivité. Par la suite, nous exposerons la méthodologie de recherche. Enfin, nous
présenterons et discuterons les résultats obtenus de l’étude de l’impact des déterminants
organisationnels sur l’adaptation interculturelle. Les implications managériales de ces
résultats en matière de RSE et d’audit social seront mises en exergue.
2. Les fondements de la RSE à l’international : de la standardisation à l’adaptation :
Plusieurs chercheurs tels que Bollinger et Hofstede (1987), D’Iribarne et al. (1998) et Dupriez
et Simons (2002) soulignent que le recours à une théorie managériale de portée universelle et
standard a mal tourné dans la plupart des cas. Ces auteurs considèrent alors qu’il existe
aujourd’hui, un fort désaccord avec l’idée que la globalisation se traduit par l’émergence de
principes universels applicables à toutes les entreprises quels que soient les contextes dans
lesquels elles s’inscrivent.
La sélection des cadres expatriés était généralement fondée sur un seul critère qui est « les
compétences techniques » (Black et al. 1991). Dans cette visée, plusieurs DRH à
l’international appréhendent l’expatriation selon une vision limitée essentiellement à l’atteinte
des objectifs fixés par le siège ainsi qu’à la maîtrise des coûts sans prendre effectivement en
considération la RSE. Dès lors, l’expatriation est considérée comme une source de mal-être et
de stress pour les expatriés contribuant à l’arrachement, à l’angoisse et à la perte de repères
(Dhadwal et Brasseur, 2004). En effet, les différences culturelles rencontrées dans le pays
d’accueil telles que celles relatives à la langue, au temps, aux systèmes de communication non
verbale, aux règles et aux relations sociales, aux coutumes, aux valeurs et aux normes
constituent autant de sources de stress pour l’expatrié qui souffre d’une incommodité
psychologique (Black, 1990). Pour Crétien (2003) et Grange (1997), ces différences posent de
réels problèmes conduisant à l’échec des cadres expatriés dans leur mission internationale.
Selon Mendenhall et Oddou (1985) et Waxin et Chandon (2003), ces échecs affectent
négativement la création de valeur et engendrent des coûts visibles pour l’entreprise et des
coûts invisibles supportés par ces expatriés (perte d’estime et de confiance en soi, stress,
problèmes familiaux,…). Ils se traduisent également soit par leur retour prématuré, soit encore
par un niveau bas de performance (Cerdin et Peretti, 2000 ; Waxin et Chandon, 2003).
L’entreprise se trouve alors dans l’obligation d’assumer ses responsabilités quand de tels
problèmes et bouleversements sont engagés (Cerdin et Dubouloy, 2005). Sachant que le
contexte économique actuel conduit les cadres à travailler dans des environnements culturels
et nationaux différents, la littérature sur l’expatriation souligne l’importance de mettre en
place une gestion internationale des ressources humaines basée sur un management
interculturel ainsi que sur la prise en compte de l’effet sociétal local (Bollinger et Hofstede,
1987 ; Dupriez et Simons, 2002 ; Frimousse, 2007). Dans un contexte de diversité culturelle,
il convient de mettre en évidence la nécessité pour les entreprises qui communiquent à propos
de leur comportement social de tenir compte des dimensions culturelles et contextuelles
locales dans la mise en œuvre des pratiques de RSE.
En effet, l’audit social est généralement défini comme une démarche spécifique d’analyse,
d’évaluation des activités d’une organisation et de proposition de recommandations se
rapportant à la régularité et ou à la performance (Igalens, 2003). Cependant, l’un des
principaux défis qu’il importe pour l’entreprise internationale de relever est de savoir
comment concevoir un audit social qui s’étend au-delà de la définition standard du concept.
Dans cette perspective, la littérature souligne l’importance de mettre en place de nouvelles
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pratiques de RSE en cohérence avec les particularités culturelles et sociétales locales. En
d’autres termes, chaque société possède des traits culturels hérités. Des traditions nationales
émanant des fondements politiques et religieux qui les inspirent (D’Iribarne, 1989 ;
Frimousse, 2007) sont actives et peuvent venir à l’encontre des principes universels. Plusieurs
chercheurs tels que Bollinger et Hofstede (1987) et D’Iribarne (1989) insistent sur la
reconnaissance des cultures nationales du fait qu’elles agissent considérablement sur les
perceptions des personnes, sur ce qui les choque et sur ce qui les motive. Les différences
nationales sont inhérentes à une histoire, à un mode d’organisation sociale ainsi qu’à un
contexte politique et juridique propre à chaque société (D’Iribarne et al. 1998). Chaque
contexte sociétal se distingue également par des lois, des règles, des structures culturelles
cognitives et des normes sociales (Frimousse, 2007).
La conception de nouvelles pratiques de RSE se base essentiellement sur l’appréhension des
différences culturelles et sociétales comme des sources d’enrichissement, de complémentarité
et d’ouverture d’esprit, ce qui aide à dégager de la nouvelle culture un effet de levier (Barel,
2006 ; Brasseur, 2008). Dès lors, la création de valeur économique et le développement à
l’international impliquent pour l’entreprise socialement responsable la prise en considération
des valeurs et du bien-être de ses cadres expatriés à l’étranger et ce, en favorisant leur
adaptation interculturelle. Cette dernière est définie comme « le degré de confort
psychologique et de familiarité d’une personne avec plusieurs aspects d’un nouvel
environnement » (Black, 1990, p 122) et constitue un état interne et émotionnel ne pouvant
être ressenti que par la personne affectée à l’étranger. Elle implique le processus par lequel
l’expatrié modifie son état d’esprit et son comportement pour être et agir en harmonie avec le
milieu de travail et le nouveau contexte culturel, politique et économique, tout en intégrant les
locaux avec lesquels il interagit (Crétien, 2003). L’adaptation interculturelle se présente alors
comme un construit multidimensionnel comportant les trois facettes suivantes : l’adaptation
au travail (encadrement, responsabilités, performances), l’adaptation à l’interaction (aux
contacts avec les membres de la communauté d’accueil) et l’adaptation générale (aux
conditions de vie comme le logement, la nourriture, les soins) (Black et al. 1991). Dans les
lignes qui suivent, nous allons nous intéresser à la présentation de la méthodologie de
recherche et des résultats.
3. Méthodologie de recherche :
Dans cette partie consacrée à la présentation de la méthodologie, nous donnerons une idée sur
l’échantillon et la collecte des données, la mesure des variables et les outils d’analyse utilisés.
2.1. L’échantillon et la collecte des données :
Après avoir rédigé le questionnaire, nous avons considéré qu’il est important de le soumettre à
un pré-test. La diffusion de la version finale du questionnaire ne peut alors avoir lieu qu’après
avoir s’assurer de l’amélioration de sa qualité ainsi que de la validité faciale de son contenu
(Igalens et Roussel, 1998). Sur la base des recommandations données par des collègues
enseignants et chercheurs ainsi que par une population de quinze expatriés, nous avons
rectifié certains problèmes liés à la forme et à la formulation des questions et leurs relations
avec les variables à mesurer. La version finale du questionnaire est traduite en français,
anglais et italien. Elle est adressée à 600 cadres expatriés dont 200 ont été contactés
personnellement et surtout grâce à des intermédiations et le reste par voie électronique. Les
entreprises participantes appartiennent à différentes nationalités ainsi qu’à trois grands
secteurs d’activités : industrie (74,75%), services et technologies (20,30%) et communication
(4,95%) et dont la localisation géographique se situe dans différentes régions de la Tunisie.
Pour favoriser le taux de réponse, nous avons insisté sur la confidentialité des réponses et
proposé aux cadres expatriés intéressés par notre recherche de recevoir une synthèse des
résultats de notre travail. Après avoir vérifié le temps passé par les répondants en Tunisie (au
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moins 6 mois), 202 questionnaires exploitables ont été récupérés (dont 70 % obtenus en face à
face et 30 % par voie électronique), le taux de retour est, en effet, de 33,67 %. L’échantillon
comporte 202 cadres expatriés dont 90 français, 58 italiens, 18 belges, 11 allemands, 10
espagnols, 3 turcs, 3 algériens, 2 anglais, 2 marocains, 2 albanais, 2 du Pays Bas et 1 roumain.
Les cadres qui ont répondu sont principalement des hommes (89,11 %). Les femmes, comme
dans la plupart des enquêtes sur l’expatriation, constituent un pourcentage très minoritaire des
répondants (10,89 %). L’âge moyen des répondants est de 40,7 ans. Les expatriés interrogés
occupent des postes de dirigeant (4,90 %), cadre supérieur (81,2 %), cadre intermédiaire (11,9
%) et cadre moyen (2 %).
2.2. La mesure des variables :
- L’adaptation interculturelle : Nous reprenons l’échelle créée par Black et Stephens (1989)
mesurant le degré d’adaptation au travail (3 énoncés), à l’interaction avec les locaux (4
énoncés) et aux conditions générales de vie (7 énoncés). L’échelle va de (1) pas du tout adapté
à (7) tout à fait adapté.
- Les variables organisationnelles :
* La clarté dans le rôle : Cette variable est mesurée par l’échelle de Black et Gregersen (1991)
composée de neuf items. L’échelle va de (1) pas du tout d’accord à (7) tout à fait d’accord.
* L’autonomie dans le rôle : Nous reprenons l’outil de mesure de Breaught et Colihan
(1994) que nous avons adapté à notre recherche. Il comporte cinq items. L’échelle va de (1)
pas du tout d’accord à (7) tout à fait d’accord.
* Le soutien social organisationnel : Nous adaptons l’échelle de House et Wells (1978)
et de Cerdin (1996) qui se décompose en soutien logistique et soutien social apporté par le
supérieur (8 items), par les collègues (8 items) ainsi que par l'organisation d'origine (11
items). Les échelles vont de (1) pas du tout d’accord à (7) tout à fait d’accord.
* La formation interculturelle : Une question nous permet de déterminer si l’expatrié a
bénéficié d’une formation interculturelle avant son arrivée en Tunisie.
* La nouveauté organisationnelle : Pour mesurer le degré de différence entre la culture de
l’organisation d’accueil et celle d’origine, nous nous basons sur l’échelle créée par Cerdin
(1996) en six énoncés. L’échelle va de (1) tout à fait similaire à (7) tout à fait différent.
2.3. Les outils d’analyse des données :
L’analyse des données se base sur les techniques suivantes:
Des analyses factorielles en composantes principales sont utilisées pour tester
l’unidimensionnalité de chaque construit et vérifier l’homogénéité des échelles employées
(Igalens et Roussel, 1998). Dans le cadre de notre recherche, nous avons retenu la rotation de
type varimax qui a donné des meilleurs résultats.
- Pour étudier les relations entre les variables de recherche, nous nous baserons sur l’analyse
de variance ainsi que sur des régressions descendantes pas à pas. Cette méthode dite aussi
« backward » vise à réduire la multicollinéarité entre les variables explicatives et consiste à
partir du modèle intégrant toutes les variables indépendantes pour éliminer à chaque fois la
variable qui a la plus faible contribution jusqu’à ce que le modèle soit totalement significatif
(Tufféry, 2007 ; Waxin et Chandon, 2003). La version SPSS 17 (version française) nous
permettra d’effectuer l’ensemble de nos analyses.
3. Présentation et discussion des résultats :
Dans un premier temps, nous allons tester la fiabilité des échelles et exposer les résultats
obtenus des analyses factorielles en composantes principales, des régressions descendantes et
d’analyse de variance. Dans un second temps, nous étudierons la nature des relations entre les
variables de notre recherche.
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3.1. Les résultats de l’analyse factorielle :

L’adaptation interculturelle : Le débat sur la manière de mesure de l’adaptation nous
a conduit à se baser sur le constat de Waxin et Chandon (2003) selon lequel, les trois facettes
de l’adaptation identifiées par Black et Stephens (1989) sont très corrélées les unes aux autres.
Une première ACP permet d’extraire trois facteurs qui expliquent 68,176 % de la variance
totale. L’item 1.5 « Coût de la vie » a été éliminé pour faible communalité (0,375) et double
contribution factorielle sur le deuxième et le troisième axe (0,315 et 0,473). La deuxième
ACP réalisée sur les treize items restants permet l’amélioration de la valeur du pourcentage de
la variance expliquée (71,379 %). Conformément à la théorie, l’analyse factorielle permet
d’extraire trois facteurs liés respectivement à l’adaptation à l’interaction, à l’adaptation
générale ainsi qu’à l’adaptation au travail. L’échelle de mesure de l’adaptation interculturelle
présente une très bonne cohérence interne (α = 0,895).
- Les déterminants organisationnels :
- La clarté dans le rôle (CR): L’alpha de Cronbach calculé (α = 0,922) prouve une
excellente cohérence interne. L’ACP effectuée sur les 9 items de la clarté dans le rôle
confirme l’unidimensionnalité attendue. L’information restituée est importante puisque ce
facteur a une valeur propre supérieure à 1 (5,728) et explique 63,640 % de la variance
totale.
- L’autonomie dans le rôle (AR): L’échelle de mesure de l’autonomie dans le rôle
présente une très bonne cohérence interne (α = 0,869). L’ACP confirme
l’unidimensionnalité attendue en ne restituant qu’une seule composante qui explique
70,470 % de la variance totale.
- La nouveauté organisationnelle (NO): L’échelle de mesure de la nouveauté
organisationnelle présente une très bonne cohérence interne (α = 0,860). Une première
ACP permet d’extraire deux composantes. L’élimination des items 3.1 « Orientation de
l'organisation (buts ou moyens) » et 3.6 « Orientation envers la clientèle » engendre
l’accroissement de l’indice de fiabilité qui devient égal à 0,909. L’échelle de mesure de la
nouveauté organisationnelle présente alors une excellente cohérence interne. La deuxième
ACP réalisée sur les quatre items restants confirme l’unidimensionnalité probable en
n’identifiant qu’une seule composante qui restitue 78,712 % de la variance totale.
- Le soutien social organisationnel :
* Le soutien de supérieur (SS): L’alpha de Cronbach calculé (α = 0,917) montre une
excellente cohérence interne. L’analyse factorielle réalisée sur les huit items de soutien de
supérieur a permis d’extraire un seul facteur expliquant 66,520 % de la variance totale.
* Le soutien des collègues (SC): Une première analyse permet d’extraire deux composantes
qui expliquent 71,572% de la variance totale. Cependant, l’élimination des items 4.14 «Je
passe trop de temps à régler les problèmes de mes collègues», 4.15 «Mes collègues sont à
l'origine de difficultés qui limitent ma propre adaptation» et 4.16 «J'ai des rapports tendus
avec mes collègues » contribue à l’accroissement de l’indice de fiabilité (α = 0,921).
L’analyse factorielle effectuée sur les cinq items restants a permis d’extraire un seul facteur
expliquant 76,510 % de la variance totale. L’échelle de mesure de la variable « soutien
des collègues » présente une excellente cohérence interne.
* Le soutien de l’organisation d’origine (SO): Une première analyse aboutit à deux
composantes qui expliquent 65,378% de la variance totale. Les items 4.19 «Une personne de
mon organisation d'origine s'occupe de mon retour », 4.21 « L’organisation reconnaît ma
contribution à sa réussite » et 4.24 « Si je me plaignais, l'organisation n'y attacherait pas
d'importance » ont été éliminés pour faible et double contribution factorielle. L’échelle de
mesure de soutien organisationnel présente une très bonne cohérence interne (α = 0,881).
L’analyse retenue permet d’extraire deux composantes qui restituent 70,555% de la variance
totale. Le premier facteur (SEI) reflète le soutien émotionnel (compréhension, affection) et
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instrumental (aide matérielle, provision d’un service, etc.) apporté par l’organisation d’origine
à ses expatriés pour améliorer leur bien-être psychologique et leurs conditions de vie dans le
pays d’accueil. Quant au deuxième facteur, il porte sur le soutien informationnel (SI)
(informations, conseils, directives, etc.).
3.2. Impact des variables organisationnelles sur les trois facettes de l’adaptation :
Le tableau ci-dessous montre que pour chacune des trois facettes de l’adaptation, les variables
organisationnelles ne présentent pas le risque d’une forte multi colinéarité (VIF<3). Pour
l’adaptation au travail, le modèle retenu (Modèle 6) ne contient que les variables explicatives
les plus significatives qui expliquent 30,8% de la variance de l’adaptation au travail des
cadres expatriés. En effet, la clarté dans le rôle est la variable explicative la plus fortement
reliée à l’adaptation au travail (r = 0,468, p < 0,01). En d’autres termes, plus l’expatrié connait
de manière rapide et certaine les exigences de son nouveau poste, plus il sera adapté au travail
dans le pays d’accueil. En second lieu, le soutien de supérieur a un effet positif et significatif
sur l’adaptation au travail (r = 0,146, p < 0,05). Autrement dit, plus le cadre expatrié bénéficie
de soutien de supérieur qui l’aide à accomplir convenablement sa mission internationale, plus
son adaptation au travail est favorisée.
Après cinq tris successifs, seulement deux variables significatives ont été mises en exergue. Il
y a alors une relation de dépendance entre l’adaptation à l’interaction et les variables relatives
à la clarté dans le rôle ainsi qu’à la nouveauté organisationnelle. Comme l’illustre le tableau1,
la clarté dans le rôle est la variable explicative la plus fortement associée à l’adaptation à
l’interaction (r = 0,172, p < 0,05). En d’autres termes, la certitude et la clarté liées aux
exigences du nouveau poste favorisent l’interaction du cadre expatrié avec les locaux du fait
qu’elles minimisent les conflits et les situations génératrices de stress et d’ambigüité.
Néanmoins, la relation entre la nouveauté organisationnelle et l’adaptation à l’interaction est
significative mais négative (r = -0,144, p < 0,05). Plus la différence culturelle entre
l’organisation d’origine et celle d’accueil est importante, plus l’adaptation à l’interaction avec
les locaux est défavorisée à cause de l’incertitude liée au changement de l’environnement de
travail et des valeurs, des croyances et des normes qui distinguent une culture
organisationnelle d’une autre et qui peuvent générer des incompréhensions et des conflits. À
ce niveau, nous pouvons conclure qu’une connaissance rapide et certaine des exigences du
nouveau poste agit d’une manière significative et positive sur l’adaptation au travail et à
l’interaction.
Après quatre tris successifs, l’analyse de la régression descendante pas à pas met en évidence
l’influence de trois facteurs subsistants sur l’adaptation générale. En effet, les résultats
obtenus montrent que le soutien émotionnel et instrumental apporté par l’organisation
d’origine est la variable explicative la plus fortement reliée à l’adaptation générale (r = 0,211,
p < 0,01). En d’autres termes, plus le cadre expatrié bénéficie d’un soutien émotionnel sous
forme d’écoute et d’encouragement et d’un soutien instrumental sous forme d’aide matérielle
(exemple : prise en charge des frais de logement et de soins), plus son adaptation aux
conditions générales de vie est favorisée. Le soutien des collègues se situe en deuxième
position (r = 0,196, p < 0,01). Plus les collègues apportent différentes formes de soutien
(psychologique, instrumental et informationnel) aux cadres expatriés à l’intérieur et en dehors
du travail et s’intéressent à la résolution de leurs problèmes personnels, professionnels et
surtout ceux liés à leurs conditions de vie dans le pays d’accueil, plus leur adaptation générale
est favorisée.
Cependant, la nouveauté organisationnelle est associée d’une manière significative et négative
à l’adaptation générale (r = -0,243, p < 0,01). Plus la distance culturelle entre l’organisation
d’origine et celle d’accueil est importante, plus l’adaptation générale est défavorisée à cause
de l’ambigüité liée au changement de l’environnement de travail qui peut augmenter les
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situations génératrices de stress et de conflits et entraver l’adaptation aux conditions générales
de vie à l’étranger. Contrairement aux résultats des études antérieures (Waxin et Chandon,
2003), l’effet de la nouveauté organisationnelle n’est significatif et négatif que sur
l’adaptation à l’interaction et aux conditions générales de vie. Ce résultat peut être expliqué
par le fait que la différence entre les cultures de l’organisation d’origine et celle de la Tunisie
n’est pas assez importante pour qu’elle puisse agir de manière significative sur l’adaptation au
travail des cadres expatriés. En effet, la principale différence entre les deux cultures est
essentiellement perçue au niveau de l’implication du personnel local ainsi qu’au niveau de la
manière de communiquer.
Tableau 1 : Impact des variables organisationnelles sur l’adaptation interculturelle
Facteurs
(CR)
(AR)
(NO)
(SS)
(SC)
(SEI)
(SI)
R2
2
R ajusté
F
*
L’adaptation au travail
Modèle 6
Beta
Test t
Sig
0,468
6,701**
0,000
L’adaptation à l’interaction L’adaptation générale
Modèle 6
Modèle 5
Beta
Test t
Sig
Beta
Test t
Sig
0,172
2,471*
0,014
-2,070*
-0,144
0,146
2,084
*
0,040
-0,243
-3,717**
0,000
3,007**
3,221**
0,003
0,001
0,038
0,196
0,211
0,315
0,308
45,720**
0,057
0,048
6,013**
0,166
0,153
13,118**
**
p < 0,05 ; p < 0,01
Pour ce qui est de l’impact de la formation interculturelle sur l’adaptation, les résultats de
l’analyse de variance ne vont pas dans le même sens que ceux obtenus par Black et al. (1991)
et Waxin et Chandon (2003). En effet, il n’existe aucune différence entre les moyennes
d’adaptation au travail (F = 1,191, p = 0,276 > 0,05), à l’interaction (F = 0,234, p = 0,629 >
0,05) ainsi qu’aux conditions générales de vie (F = 2,498, p = 0,116 > 0,05) pour les
expatriés qu’ils aient ou non suivi de formation interculturelle. Nos résultats confirment alors
l’idée proposée par Cerdin et Peretti (2000) stipulant que les trois facettes de l’adaptation ne
dépendent pas de la formation interculturelle.
Dans le contexte tunisien, les résultats montrent que 86,63% des expatriés interrogés déclarent
ne pas avoir suivi de formation interculturelle. Bien qu’ils aient une idée générale voire même
banale sur les spécificités de la Tunisie (géographie, économie, religion, culture, etc.), la
majorité de ces expatriés considèrent qu’ils manquent d’une vision réaliste de leur affectation
dans toutes ses dimensions. Cependant, d’autres répondants s’accordent à considérer que la
réussite à l’international ne peut pas dépendre automatiquement de la formation
interculturelle. Comme le précisent ces expatriés, si elle ne comporte pas de programmes
variés et pertinents, il n’est pas alors utile de la prendre en considération du fait qu’elle ne
renforce pas la capacité à contourner les effets néfastes du choc culturel.
Pour le reste, soit 13,37% des expatriés interviewés, les programmes de formation offerts par
leurs organisations d’origine ne sont pas diversifiés et manquent d’objectivité. Ils se traduisent
essentiellement par des programmes documentaires ou d’assimilation orientés vers la
compréhension de la culture tunisienne. Les expatriés qui ont suivi une formation
interculturelle indiquent qu’ils sont insatisfaits du contenu et de la durée des programmes de
formation offerts. En plus de leur effort personnel fourni pour mieux comprendre les
particularités de la Tunisie, ces expatriés s’accordent à dire qu’avant leur départ et même au
cours de leur mission internationale, il était souhaitable pour eux de suivre des programmes
documentaires, d’assimilation, de sensibilisation, linguistiques et des expériences de terrain
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pour que leur compréhension de la culture en général et de la culture tunisienne en particulier
soit améliorée.
Dans le contexte tunisien, il s’est avéré que l’autonomie dans le rôle et la formation
interculturelle ne seraient pas des déterminants de l’adaptation des cadres expatriés interrogés.
Dès lors, l’analyse de l’effet des déterminants organisationnels sur l’adaptation révèle le fait
que la mise en œuvre de pratiques de RSE en cohérence avec les spécificités culturelles et
contextuelles locales et susceptibles de favoriser l’adaptation interculturelle des cadres
expatriés semble être limitée et confrontée à diverses contraintes. En effet, cet impact n’est
relativement considérable que sur l’adaptation au travail (30,8%). Les résultats obtenus
apportent alors des enseignements pour toute organisation d’origine soucieuse d’étendre les
pratiques de RSE au-delà de ses frontières nationales et de les adapter aux particularités
culturelles et sociétales locales.
4. Conclusion :
L’objectif de cette communication était de mettre en avant le cadre général dans lequel la
responsabilité sociale de l’entreprise internationale se situe pour qu’elle puisse relever le défi
de l’interculturel. Dans cette visée, nous avons montré que l’adaptation interculturelle
contribue à la création de valeur et ne peut être favorisée qu’à travers la mise en œuvre de
pratiques de RSE prenant en considération les dimensions culturelles et contextuelles locales.
L’universalité théorique des concepts d’audit social et de RSE n’empêche de mettre en
exergue le fait qu’ils doivent être adaptés aux spécificités de chaque contexte. Bien que cette
tâche soit difficile et compliquée (Crétien, 2003 ; Dupriez et Simons, 2002), il convient de
souligner que la négligence de la diversité culturelle compromettrait l’adaptation
interculturelle des cadres expatriés et l’accomplissement performant et total de leur mission et
nuirait à long terme aux objectifs de l’entreprise ainsi qu’à la création de valeur.
L’étude empirique menée auprès d’un échantillon de deux cent deux cadres expatriés a permis
d’étudier l’effet des déterminants organisationnels sur les trois facettes de l’adaptation. Les
résultats tirés de cette recherche témoignent de pratiques de gestion internationale des
ressources humaines qui ne sont pas toujours en adéquation avec une démarche de RSE ni
dans sa conception, ni dans sa mise en place en Tunisie. Pour pallier ces limites, les
organisations d’origine doivent désormais opter pour des pratiques novatrices. A ce niveau, le
recours à l’audit social peut favoriser l’émergence de politiques prometteuses d’aides, de
soutien et de formations et améliorer la coordination entre différents intervenants (expatriés,
organisations d’origine, locaux, pays d’accueil). La conception et la mise en œuvre effective
de telles pratiques constitueraient certainement un levier de création de valeurs.
Dans cette perspective, nous suggérons aux organisations d’origine d’accompagner les cadres
au cours de leur mission internationale tout en leur donnant plus de liberté d’action, d’autorité
et de décision dans l’accomplissement de leur travail. En effet, une plus grande autonomie
dans le rôle contribue à réduire le stress résultant des pressions du siège et favorise les
sentiments d’aisance et de bien-être psychologique exprimés lors de la confrontation au
nouvel environnement. Le support apporté par l’organisation ne se base plus seulement sur un
soutien émotionnel et matériel. Il se traduit également par l’instauration de programmes
formels de mentorat ainsi que par la création de réseaux communicationnels et
informationnels susceptibles d’aider les cadres expatriés à résoudre leurs problèmes, à mieux
interagir avec les locaux ainsi qu’à s’intégrer dans la nouvelle société. L’aspect relationnel et
informationnel du soutien organisationnel joue un rôle crucial dans la réduction des
sentiments d’enfermement, d’anxiété et de stress ressentis à l’étranger.
La deuxième implication fait écho à la première. En effet, l’importance de l’adaptation
anticipée pour chacune des dimensions de l’adaptation a été largement confirmée par la
littérature sur l’expatriation et souligne la nécessité pour les organisations d’origine de donner
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aux futurs expatriés une idée réaliste et claire de l’affectation dans tous ses aspects. Dans cette
visée, nous proposons que les programmes de formation interculturelle soient suffisamment
complets, réels et largement diffusés. Nous mettons alors en évidence la nécessité pour les
professionnels en gestion internationale des ressources humaines de réfléchir à proposer des
programmes de formation diversifiés, rigoureux et pertinents. Ces derniers doivent être
adéquats et adaptés aux spécificités de chaque pays d’origine ainsi qu’à la nature de la
mission au quelle les cadres expatriés sont assignés.
Il convient également de mettre l’accent sur le fait que le choix des programmes de formation
dépend en grande partie du degré de différence entre la culture d’origine et celle d’accueil
ainsi que du degré d’interaction interpersonnelle entre les cadres expatriés et les locaux
(Waxin et Panaccio, 2005). Au sein des multinationales, la mise en place d’une culture
organisationnelle novatrice en matière de formation interculturelle est d’autant plus
importante qu’elle aide les cadres expatriés à dépasser les effets négatifs du choc culturel et
les initie à une adaptation plus facile au travail, à l’interaction avec les locaux et aux
conditions générales de vie.
Les organisations peuvent aller au-delà des compétences professionnelles et se baser de plus
en plus sur le critère de l’adaptabilité dans la sélection des futurs cadres expatriés. La RSE
s’étend également à la famille en général et ce, par la prise compte de la situation du conjoint
et des enfants au cours du processus de sélection des expatriés (Cerdin et Dubouloy, 2005). Il
importe de les intégrer dans les programmes de formation interculturelle (cours de langue,
exercices d’assimilation, programmes documentaires, formation à l’interaction avec les
locaux, formation didactique portant sur le mode et les conditions de vie dans le pays
d’accueil). Nous mettons l’accent sur l’importance pour les professionnels en gestion
internationale des ressources humaines de réfléchir à concevoir des mesures en faveur de
l’articulation famille-travail à l’étranger. L’assistance de psychologues professionnels,
l’intégration des conjoints dans des associations ou des organismes sociaux et le soutien
apporté par l’organisation d’origine en termes de recherche d’emploi ou de réduction des
problèmes rencontrés dans le pays d’accueil peuvent aider le conjoint et la famille dans leur
adaptation interculturelle.
Si ce présent travail a contribué à étudier et à comprendre l’impact de certains déterminants
organisationnels sur les trois facettes de l’adaptation, il est loin d’être achevé. Cette étude, aux
ambitions réduites par les diverses contraintes inhérentes à tout travail de recherche, reste
toujours une contribution significative mais partielle n’ayant pour aspiration qu’à ouvrir un
champ d’investigation plus large et enrichi. Plusieurs voies de recherches ultérieures peuvent
alors être accessibles et offrir un terreau que nous souhaitons être fertile pour des travaux
futurs. Si la création de valeur se base essentiellement sur la prise en compte des valeurs du
corps social, l’audit social et la responsabilité sociale à l’international semblent être
primordiaux pour satisfaire les attentes des différentes parties prenantes. Ils doivent s’étendre
non seulement aux cadres expatriés (adaptation interculturelle), mais également aux employés
locaux (conditions de travail, rémunération, formation, etc.) ainsi qu’à la société d’accueil
(protection de l’environnement, amélioration de la qualité de vie, participation à des activités
sociales, etc.).
Bibliographie
Barel, Y. (2006). «Fusions-acquisitions internationales: le choc des cultures», La revue des
sciences de gestion : Direction et Gestion, vol 41, n° 218, 53-59.
Black, J. S. (1990). «The relationship of personal characteristics with the adjustment of
Japanese expatriate managers», Management International Review, vol 30, n° 2, 119-133.
Black, J. S. et Gregersen, H B. (1991). «The other half of the picture: Antecedents of spouse
cross-cultural adjustment», Journal of International Business Studies, vol 22, n° 3, 461-467.
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La responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) face au défi de l’interculturel : de la standardisation à l’adaptation
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Confrontation entre discours et pratiques de l’entreprise : Congruence entre les valeurs affichées et celles pressenties dans les
pratiques au quotidien ? Cas de la Coopérative Agricole (COPAG).
Chafik Bentaleb & Salah-Baba Arwata
CONFRONTATION ENTRE DISCOURS ET PRATIQUES DE
L’ENTREPRISE : CONGRUENCE ENTRE LES VALEURS AFFICHEES
ET CELLES PRESSENTIES DANS LES PRATIQUES AU QUOTIDIEN ?
CAS DE LA COOPERATIVE AGRICOLE (COPAG).
Chafik BENTALEB
Directeur du LAREGO
[email protected]
Salah Baba ARWATA
Doctorant
Laboratoire de Recherche sur la Gestion des Organisations (LAREGO), l’ENCG,
Université Cadi Ayyad, Marrakech, Maroc.
[email protected]
Le thème de la responsabilité sociale de l’entreprise vient poser le problème de l’intégration
de la politique de responsabilité sociale de l’entreprise au management sur le plan stratégique
et sur le plan opérationnel.
L’entreprise doit expliciter les éléments de son engagement stratégique (au niveau
économique, social et environnemental) par des valeurs qu’elle doit intégrer dans les
différentes activités pour recueillir l’adhésion des parties prenantes.
Chaque entreprise, au regard de sa direction stratégique spécifique, possède un ensemble
unique de parties prenantes. La théorie des parties prenantes permet de décrire et parfois
même d’expliquer les comportements ou les décisions spécifiques d’une entreprise vis-à-vis
de cet ensemble unique.
Depuis le début des années 90, la théorie des Stakeholders connait des développements
importants qui coïncident avec l’importation croissante des concepts issus de cette théorie
dans le discours et les pratiques des entreprises (Aggeri, F., Acquier, A. ,2005).
Le terme stakeholder apparait pour la première fois dans la littérature du management dans
une note du Stamford Research Institute(SRI) en 1963 (Gond, J- P., Mullenbach, A.,
Servayre. 2003,).
La liste d’origine regroupait les actionnaires, les salariés, les consommateurs, les fournisseurs,
les prêteurs et la société dans son ensemble (Baret, P. ,2007).
Cette notion a été approfondie par Freeman (1984) qui définit le stakeholder comme tout
individu ou tout groupe pouvant influencer ou être influencé lui même par l’activité
organisationnelle, il faut comprendre l’ensemble des partenaires, collaborateurs, fournisseurs,
consommateurs, actionnaires de l’entreprise ; et plus globalement, la communauté au sein de
laquelle elle vit, c'est-à-dire les stakeholders.
Donaldson, T. & Preston, L. (1995). séparent la théorie en trois parties :
-L’optique descriptive/ empirique, la théorie des parties prenantes est utilisée pour décrire,
voire expliquer, les caractéristiques ainsi que les comportements de l’entreprise conçue
comme une constellation d’intérêts communs et divergents.
Les stakeholders, leurs valeurs, leur influence sur les décisions sont autant d’informations qui
permettent d’anticiper et de prédire le comportement organisationnel
-L’optique instrumentale, la Stakeholder Theory permet d’identifier le(s) lien(s) éventuel(s)
entre un management fondé sur la prise en compte des parties prenantes (‘Stakeholder
Management’) et la réalisation des buts de l’entreprise .Autrement dit, selon les entreprises
qui tiennent compte de leurs stakeholders dans leurs pratiques de gestion verraient autre chose
que le profit, la croissance…
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Confrontation entre discours et pratiques de l’entreprise : Congruence entre les valeurs affichées et celles pressenties dans les
pratiques au quotidien ? Cas de la Coopérative Agricole (COPAG).
Chafik Bentaleb & Salah-Baba Arwata
-L’optique normative, Cette branche, la moins développée, emploie le stakeholder model pour
identifier les fonctions de l’organisation et prescrire, en conséquence des attitudes, des
structures et des pratiques à adopter.
La multiplication des chartes éthiques, des codes de bonne conduite et autres codes de valeurs
qui sont adoptées par l’entreprise et l’appropriation par les dirigeants et les managers du
vocabulaire issu de la RSE semblent indiquer une certaine adhésion aux valeurs de
responsabilités sociales par les entreprises. La construction de la RSE se fait donc par le
tandem discours-actions qui traduit la volonté des entreprises de mieux maitriser les
contraintes sociétales et de favoriser un développement commercial et une performance
économique durable.
Pour Eleni Bakopanos du ministre du développement social, particulièrement chargée de
l'économie sociale au Canada, de 2004 à 2006, cette notion : Repose sur les valeurs que sont
le développement durable, l’égalité des chances, l’inclusion des personnes défavorisées et de
la société civile. L’économie sociale repose sur l’entreprenariat et l’action communautaire
indépendante.
Les coopératives agricoles, donc par leurs spécificités et leur fondement sont déjà porteuses
des valeurs de la responsabilité sociétale compte tenu de la spécificité du secteur de
l’économie sociale. La responsabilité sociétale devient une opportunité pour les coopératives
agricoles.
L'objectif de cette recherche est de valoriser l’originalité des coopératives dans leurs valeurs
et leur fonctionnement par une comparaison des valeurs institutionnelles de la coopérative
agricole dans sa Communication globale à celles réellement vécues au quotidien.
Au delà de la confrontation entre discours –actions et valeurs affichées versus valeurs dans
les pratiques, les préoccupations et les valeurs vécues des coopératives agricoles
correspondent t -elles aux valeurs véhiculées par le concept de la RSE ?
1. Le cadre théorique de la recherche :
1.1.Émergence du concept
L’influence de la religion protestante est cruciale dans l’origine de la responsabilité sociale
des entreprises (RSE). Au départ, cette influence portait directement sur l’homme riche dans
la mesure où il mettait en pratique ses valeurs religieuses.
L’église catholique condamne également l’exploitation de l’homme et plus récemment celle
de l’environnement. La doctrine de l’Eglise a aussi inspiré de nombreuses pratiques façonnant
un modèle de gestion paternaliste, que l’on peut considérer rétrospectivement comme
socialement responsable (Acquier et Alii,).
Les valeurs religieuses ont donc une influence forte sur la RSE.
Mais d’autres valeurs, non religieuses, peuvent aussi expliquer les comportements
socialement responsables. Lorsque Jonas (1979) pose l’obligation d’un « agir éthique », il
s’appuie sur des valeurs de respect.
La corporate social responsability (CSR) est admis comme étant l’origine de la traduction du
concept de responsabilité sociale de l’entreprise, très souvent associé au terme éthique. Jonas,
plus tard après Weber distingue deux grands courants : d’une part l’éthique de conviction plus
personnelle et d’autre part celle qui permet de prendre en compte les conséquences de ses
actes qui correspond à la démarche qu’entreprennent les entreprises.
Le capitalisme est habité d’un « nouvel esprit » (Boltanski, L., Chiapello, E. 1999) Censé
supplanter ce qui est apparu comme un capitalisme débridé. L'éthique des affaires met l'accent
sur la perte de sens de l'action collective et sur le déficit de valeurs dans la société.
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Confrontation entre discours et pratiques de l’entreprise : Congruence entre les valeurs affichées et celles pressenties dans les
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Elle inspire et réclame les valeurs éthiques de solidarité, de justice, loyauté et transparence .Il
en résulte que l’éthique de la responsabilité dévient le paradigme éthique le plus rationnel, le
plus praticable et le plus profitable (P. Dorthe J, et Pinto de Oliveira ,1994).
La notion de la RSE a progressivement émergé dans les années 1970 comme problématique
managériale. Cette évolution a été encouragée par les réflexions sur les externalités des
activités techniques et économiques des firmes (Carroll ,1979). Plusieurs phénomènes
expliquent l’intérêt grandissant des managers mais aussi des responsables publiques et des
responsables de la société civile pour la notion de RSE.
Le thème de la reforme de l’entreprise durant les années 1960 et 1970 en France qui a
conduit à la mise en place du bilan social en juillet 1977 et au développement de travaux sur
la comptabilité environnementale et sociale (Lepineux , F, 2003), et le « ré-enchantement »
d’une entreprise citoyenne dans les années 1980 (Gond ,2002) , ont permis une résurgence de
l’éthique dans le monde de l’entreprise qui s’est traduite par une réflexion sur la place de
l’entreprise au sein de la société et sur ses finalités durant les années 1990. Celle ci en tant
qu’acteur sociétal, ne peut se préoccuper de son seul bien être, elle doit s’intéresser au bien
être de la société dans son ensemble.
Pour d’autres auteurs, la naissance de la RSE est une « importation » ou, tout du moins, une
conséquence directe de l’influence américaine sur les pratiques de gestion.
Dans le domaine de la pensée, plusieurs facteurs ont contribué à alimenter une réflexion et un
débat autour de la responsabilité sociale des entreprises dans des milieux très divers.
Le respect et la sauvegarde des droits humains et de la personne ont connu une importante
progression ces dernières années dans les consciences individuelles, dans les opinions
publiques, au travers des législations des États et dans les prises de position de la communauté
internationale ;
La question sociale dans le commerce international vise à diffuser des pratiques de gestion
responsable en interne, auprès des fournisseurs et des sous-traitants (codes de conduite ...) ;
La notion de développement durable mise en valeur par le rapport Brundtland remis à
l'Organisation des Nations Unies en 1987, a reçu une consécration officielle au sommet de la
Terre à Rio en 1992. Définie comme un développement « qui répond aux besoins du présent
sans compromettre les capacités des générations futures à répondre aux leurs », le terme a fait
l'objet d'une récupération par le discours managérial ;
Un équilibre des valeurs en mutation, la perte des repères da la société qui prend conscience
de la montée de périls majeurs, qui s'inquiète pour la sauvegarde des biens publics globaux,
perd confiance et recherche des assurances.
Cette préoccupation apparaît croissante aussi dans les organismes supranationaux et dans les
états et parmi les milieux d’affaires et dans les organisations non-gouvernementales.
Les Nations Unies qui ont lancé, en juillet 2000 un programme dénommé « Global Compact »
dont l'objectif est de promouvoir dans les entreprises des pratiques respectueuses des droits de
l'homme, des travailleurs et de l'environnement, grâce à une coopération entre l'ONU, les
multinationales, les syndicats et les ONG. La Commission de l'Union européenne qui a publié
un Livre vert en juillet 2001 destiné à « promouvoir un cadre européen pour la responsabilité
sociale des entreprises » ;
Au Royaume-Uni, un ministre de la responsabilité sociale des entreprises a été nommé en
mars 2000 et en France, la loi relative aux nouvelles régulations économiques prévoit une
obligation, pour les sociétés cotées, de rendre compte de leurs activités dans le domaine social
et environnemental ;
Parmi les milieux d’affaires des firmes se regroupent pour constituer des cercles de réflexion
et de diffusion de leurs pratiques : c'est notamment le cas aux États-Unis avec Business Social
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Responsibility, en Europe occidentale avec Corporate Social Responsibility Europe, Triple
Bottom Line Investing, en France l'Observatoire de la Responsabilité Sociale des Entreprises
(ORSE) , la Global Alliance dans les secteurs du textile-habillement et du commerce ;
certaines entreprises (Nike, GAP) se regroupent avec la Banque mondiale dans un programme
qu'elles ont elles-mêmes créé dont le but est de faire évaluer l'application de leurs codes de
conduite par des ONG et des universitaires locaux.
Les ONG qui s'intéressent à travers le monde aux comportements des entreprises sont
extrêmement nombreuses et le font en général en fonction de leurs spécificités. Parmi les plus
connus, on peut citer Greenpeace, les Amis de la Terre, WWF (en ce qui concerne la
protection de l'environnement), Amnesty International, la Fédération Internationale des Droits
de l'Homme (en ce qui concerne le respect des droits humains), Transparency International,
Global Trade Watch…
Partant des faits marquants, on peut retenir l'émergence de nouveaux acteurs collectifs :
l'évolution de la société civile, les nouvelles formes d'actionnariat et le rôle spécifique de
l'économie sociale (Capron, M., Quairel, F. 2004).
1.2. Définition de la RSE
La plupart des définitions de la responsabilité sociale des entreprises décrivent ce concept
comme l’intégration volontaire des préoccupations sociales et écologiques des entreprises à
leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes. Être socialement
responsable signifie non seulement satisfaire pleinement aux obligations juridiques
applicables, mais aussi aller au-delà et investir «davantage» dans le capital humain,
l’environnement et les relations avec les parties prenantes (Commission Européenne, 2001).
Bowen, 1953, reconnu dans la littérature comme étant le père de la RSE, nous dit qu’elle
renvoie à l’obligation, pour les hommes d’affaires, de mettre entre œuvre les politiques, de
prendre les décisions et de suivre les lignes de conduite qui répondent aux objectifs et aux
valeurs considérées comme désirables pour notre société.
Depuis les travaux de Bowen à partir du milieu des années cinquante, la réflexion sur la
responsabilité de l’entreprise semble se développer rapidement .Ce pendant cette période est
marquée par une absence de consensus sur la signification du concept (Ballet J., De Bry F.
,1998), En dépit des importantes contributions des dernières décennies, il n’existe toujours pas
de définition stricte de la RSE.
La responsabilité sociale de l’entreprise est un concept aux contours flous il appelle, en effet,
à s’interroger, d’une part, sur la terminologie du mot « responsabilité », et du mot « sociétal »
ou « social » et d’autre part à réfléchir aux frontières qui le lient –ou au contraire
l’éloignement des concepts d’éthique, de morale ,de déontologie (J-Gond, J- P., Mullenbach,
A., Servayre.2003).
On assiste de plus en plus au passage d’une conception restreinte -la définition et la
délimitation des domaines d’application de la RSE- à l’émergence de conceptions élargies
renvoyant à la recherche de la rectitude dans les actions menées pour les uns, l’intégration de
l’ensemble des conceptualisations antérieures au sein de la notion de performance sociétale de
l’entreprise pour les autres.
Le concept s’est construit progressivement, passant par une catégorisation des responsabilités.
Pour un bon nombre d’auteurs il s’agit de savoir à quelles obligations est soumise l’entreprise:
pour les uns, la responsabilité n’est qu’économique Friedman (1962) Friedman (1970) pour
les autres, elle va au-delàs de la loi Bowen (1953), Mc Guire (1963)…
Pour Carroll (1979) l’interrogation ne se porte plus sur les domaines d’application du
concept, mais sur les réponses que les entreprises sont capables d’apporter aux pressions
sociales donc les « stratégies de réponse ».
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Les responsabilités sont centrées davantage sur la « responsiviness » que l’on peut traduire
par la « sensibilité sociale » que sur la Responbility : On passe de la responsabilité à la
sensibilité.
C’est à ce stade de développement théorique que va émerger la notion de « performance
sociétale de l’entreprise » Corporate social Performance(CSP) .Cette notion se présentera
comme une synthèse « consolidée » de deux premiers courants (Carroll, 1979 ; Warwick et
Cochran ,1985) et les résultats et conséquences de ces politiques (Wood ,1991).
Selon Wood(1991), le concept de CSP est constitué de trois éléments :
Les principes ou motivations de la responsabilité sociale de l’entreprise qui correspond au
modèle CSR1 ; le processus de management de la réponse à donner à l’environnement
développé dans CSR2 ; les résultats de l’action managériale de l’entreprise, ce qui implique
une évaluation des résultats.
Le concept s’est construit, passant d’une phase à une autre, ce que Frederick (1987) appelle
le passage d’une corporate social responsability CSR1 à une CSR2 : c'est-à-dire une réflexion
sur ce qu’il est important de faire à une réflexion sur la manière d’agir.
Les modèles CSR1 et CSR2 ne s’opposent plus, ils constituent deux étapes d’un même
problème et sont donc complémentaires (J. Ballet et F. De Bry ,1998).
Une autre voie de réflexion va se développer au moment de l’émergence de la notion de
CSP, elle va se focaliser sur le concept de « rectitude ».
Frederick (1987) parle alors de « CSR3 » : Corporte Social Rectitude .Cette troisième
dimension ou cette troisième « phase » de l’évolution du concept, recouvre la notion de
justesse ,de droiture des actions menées et des décisions prises .Il est ,en effet, question pour
l’entreprise de se référer à la culture éthique en reconnaissant ,d’une part ,sa place –centrale –
au sein du management et en essayant constamment ,d’aligner ses actions en cours et à venir
sur les valeurs fondatrices de celle-ci .
Le concept passe ainsi d’une réflexion sur les moyens d’action à une réflexion sur la nécessité
de se référer à l’éthique .La CSR 1 pose les obligations de l’entreprise, la CSR 2 s’interroge
sur les moyens d’y faire face et la CSR3 montre la voie : celle de l’éthique.
2. Aperçu de la RSE au Maroc
2.1. Le Comportement des entreprises marocaines
Si la notion de la RSE semble être un acquis pour les pays hautement développés, ce n’est pas
encore le cas pour les pays en développement car l’intégration des facteurs environnementaux
dans les calculs économiques, comptables, et financiers se fait de façon lente (Benalli, D.
2003)).
Au Maroc, par exemple, l’entreprise est très largement vécue comme une réalité exogène à la
Société, et la notion de la RSE n’est pas encore un sujet largement débattu au sein des
entreprises.
Beaucoup de dirigeants considèrent encore que l’entreprise a pour vocation essentielle de
faire des profits, lesquels permettent de créer de l’emploi et de dynamiser l’activité
économique (Hamouchi, K., Bellouch, H. 2005).
La grande majorité des entreprises marocaines définissent leur légitimité sur la seule base de
critères économiques sans tenir compte de leur impact sur leurs parties prenantes ni de leur
responsabilité sociale. Les quelques entreprises qui émergent du lot sont encore très peu
nombreuses, ce qui limite le terrain de recherche dans ce domaine.
Dans le contexte marocain, le premier étage de la responsabilité sociale est d’être en phase
avec les lois sociales, fiscales et environnementales.
Ainsi, dans certains cas, par anticipation de la situation actuelle, un nombre d’organismes du
secteur privé a adopté une attitude responsable sur les trois piliers du développement durable.
Mais globalement, la RSE ne suscite pas encore une réaction uniforme dans le secteur privé
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du fait que la perception qu’a l’entreprise marocaine de son rôle social et sociétal demeure
floue.
Benali. D (2003) dresse quatre types de comportements au Maroc des entreprises :
- Un comportement traditionnel : il caractérise une portion importante d’entreprises. Pour
celles-ci, la responsabilité sociale constitue une contrainte arbitraire qu’on se refuse à intégrer.
En plus d’être répréhensibles, ces entreprises sont bien souvent l’illustration d’inefficacité, de
non-productivité et d’absence totale de vision stratégique de la part des dirigeants.
- Un comportement de type prescriptif minimaliste : un grand nombre d’entreprises respectent
la réglementation et remplissent les obligations que leur impose la société. Il s’agit d’un
comportement prescriptif qui revêt un caractère minimaliste, car il ne suffit pas pour assurer la
légitimité sociale. En effet, une stricte conformité aux règles a souvent pour effet de réduire le
niveau assumé de responsabilité au plus petit dénominateur commun : la légalité.
- Un comportement socialement responsable : Ce comportement caractérise les entreprises qui
se démarquent par leur volonté de faire des affaires autrement, en mettant en place une action
sociétale suffisamment articulée pour associer les processus de la gestion et les impératifs du
développement durable.
- Un comportement marginal : Il caractérise une minorité d’entreprises (multinationales)
perçues comme marginales du fait de leur fort engagement dans le développement durable
visant à atteindre un degré de légitimité supérieur et, à dépasser les inadéquations ou les
insuffisances du système économique et juridique en place.
Ceci dit, de manière générale, les entreprises engagées dans la responsabilité sociale au Maroc
comptent majoritairement parmi les grandes entreprises compétitives et stables, capables de
baser leurs « bonnes pratiques » sur une vraie stratégie de développement durable.
Selon une recherche menée par Hamouchi, K., Bellouch, H. (2005) trois principaux domaines
d’action dans les pratiques de la RSE au Maroc peuvent être relevés :
· Les politiques sociales des entreprises : étroitement liées à la GRH ;
· L’engagement de l’entreprise sur les conditions de travail et la restructuration ;
· L’engagement financier des entreprises dans les activités sociales, culturelles,
environnementales ou autres activités de développement local.
L’entreprise se comporte par rapport à son environnement en fonction de sa sensibilité.
La sensibilité sociétale nous dit Carroll(1979) est mesurée en fonction de quatre postures
possibles résumées par l'échelle R.C.A.P (le Refus, la Contestation, l’Adaptation, et la Proaction ou l’anticipation). En position de refus, l'entreprise s'oppose à toute modification.
Lorsqu'elle opte pour la contestation, elle s'en tient généralement uniquement au minimum
légal. L'adaptation représente une posture plus progressiste. Enfin, l'anticipation permet à
l'entreprise d'obtenir un positionnement original, en tant que leader et avant-gardiste.
Les dirigeants apprennent à vivre avec une nouvelle réalité et à élaborer une nouvelle stratégie
de gestion des relations « entreprise-partie prenantes ».
Une question nous interpelle à ce niveau la prise ou non en compte de la RSE est elle liée à un
facteur culturel importé et/ ou simplement à la situation économique et sociale d’un groupe,
d’une communauté ou d’un pays ?
2.2. Les leviers de la RSE au Maroc
Depuis la Conférence de Rio en 1993, le Maroc a renforcé son engagement en faveur du
développement durable.
Le projet Développement durable grâce au Pacte mondial vient renforcer l’engagement du
royaume. Mis en œuvre par l’Organisation internationale du travail, encourage la
responsabilité sociale des entreprises sur la base de trois instruments internationaux : le Pacte
mondial des Nations unies, la Déclaration de principes tripartite sur les entreprises
multinationales et la politique sociale de l’OIT et les Principes directeurs de l’OCDE à
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Confrontation entre discours et pratiques de l’entreprise : Congruence entre les valeurs affichées et celles pressenties dans les
pratiques au quotidien ? Cas de la Coopérative Agricole (COPAG).
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l’intention des entreprises multinationales. L’objectif est d’encourager la contribution des
entreprises marocaines au renforcement du développement durable.
Le projet s’adresse particulièrement aux petites et moyennes entreprises (PME) et opère en
Italie, en Tunisie, au Maroc et en Albanie. Ces entreprises désirent appliquer et promouvoir
les principes universels de la responsabilité sociale des entreprises énoncés dans les trois
instruments. Le projet fonctionne comme une plateforme d’échange d’information et de
partage des meilleures pratiques entre tous les participants au Maroc et dans les autres pays où
il opère.
Les conventions internationales que le Maroc a ratifiées l’ont engagé à analyser ses
investissements selon leur impact sur le milieu naturel ; les ressources humaines et de droits
de l’homme comme l’égalité hommes-femmes, la négociation collective, le respect de l’âge
minimal d’accès à l’emploi, l’interdiction du travail forcé.
Le Maroc est signataire des conventions des Nations unies relatives aux droits de l’homme : la
Convention contre la torture et les traitements cruels (juin 1993) ; le Pacte international relatif
aux droits civils et politiques (mai 1979) ; la Convention sur l’élimination de toutes les formes
de discrimination contre les femmes (juin 1993) ; Le pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels (mai 1979) ; la Convention sur les droits de l’enfant
(janvier 1993).
L’Initiative nationale pour le développement humain (INDH) initiée par le Roi Mohammed
VI en mai 2005 a pour objectif de lutter contre la pauvreté dans le cadre d’un programme
pluriannuel associant l’ensemble des parties prenantes sociétales.
Le Label CGEM pour la Responsabilité Sociale de l’Entreprise (RSE) est une reconnaissance
solennelle du respect par les entreprises du Maroc de leur engagement à observer, défendre et
promouvoir les principes universels de responsabilité sociale et de développement durable
dans leurs activités économiques, leurs relations sociales et plus généralement, dans leur
contribution à la création de valeur. Le référentiel du Label CGEM est la charte de
responsabilité sociale de la CGEM, adoptée le 14 décembre 2006 par le Conseil National de
l’Entreprise.
La signature de divers accords de libre échange, l’entrée au Maroc d’un certain nombre de
grandes multinationales (Suez, Lafarge,…), ainsi que la mise en place d’un nouveau code de
travail (Janvier 2004),… sont autant d’éléments qui attirent l’attention sur l’éthique et la
responsabilité sociale.
3. Méthodologie de l’étude
3.1- Choix du terrain de la recherche et méthodologique
Une des contrainte de notre étude est le thème lui-même, dans un contexte ou sont rares les
entreprises nationales qui ont cette politique volontariste en matière de responsabilité sociale.
Notre choix d’étude de terrain porte sur le secteur de l’économie sociale spécialement la
coopérative agricole.
Les valeurs que véhicule l'économie font partie de celles qui sont généralement avancées
lorsqu'on évoque la responsabilité sociale des entreprises.
L’approche francophone de l’économie sociale et solidaire recouvre l’alliance des trois
familles institutionnelles : les coopératives, les associations et les mutuelles ; elle inclut,
également les initiatives d’économie solidaire visant le développement ou l’adaptation de
nouveaux services de proximité selon des principes d’amélioration de la vie quotidienne et du
cadre environnemental.
Elle diffère de l’approche anglo-saxonne tournée vers le « non profit » qui exclut les
coopératives et les mutuelles.
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Confrontation entre discours et pratiques de l’entreprise : Congruence entre les valeurs affichées et celles pressenties dans les
pratiques au quotidien ? Cas de la Coopérative Agricole (COPAG).
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Élargi aujourd'hui à l'économie solidaire, le secteur peut se prévaloir de contribuer à réduire la
fracture sociale, d'œuvrer à l'insertion de personnes en difficultés et de favoriser la cohésion
sociale.
Le secteur de l'économie sociale estime même aujourd'hui qu'il affirmera sa spécificité en
montrant que son caractère fondamental est d'être socialement responsable (Capron, M.,
Quairel, F. 2004).La coopération agricole dispose d’atouts majeurs pour garantir aux
générations actuelles et futures la transmission et la valorisation d’un patrimoine économique,
environnemental et social.
En effet, la coopérative semble être le lieu par excellence ou les valeurs humaines et
sociétales s’épanouissent ou l’appartenance sociale est forte et où les questions sociétales sont
au centre des intérêts.
Parce que les coopératives sont fondées sur des valeurs : la démocratie, la promotion des
hommes, le mutualisme, l’équité ; parce qu’elles sont insérées dans les territoires, les
coopératives ont un lien fort avec leur environnement géographique et social.
Notre recherche empirique reposera sur une étude exploratoire de type étude de cas, fondée
sur des méthodes de recueil d’information qualitatives.
Nous avons élaboré tout au début un questionnaire, mais vu la complexité du thème et comme
on l’a dit la RSE n’est pas encore un sujet largement débattu au sein des entreprises, nous
avons opté pour un guide d’entretien pour un cas d’entreprise ou l’étude de cas. Notre choix
pour l’étude de cas s’explique par le contexte et l’objet de recherche :
- -Une étude de cas est une enquête empirique qui analyse un phénomène contemporain
dans son contexte réel, quand les limites entre le phénomène et le contexte ne sont pas
claires et où plusieurs sources d’information sont utilisées (Yin, 1989).
-
-
-L’étude de cas constitue une des méthodologies qui permettent, lorsqu’elle est bien
réalisée, de comprendre des interactions complexes, des processus diffus, ainsi que des
croyances et des valeurs souvent tacites. Une des particularités des études de cas est
de combiner plusieurs méthodes de collecte de données comme les archives, les
interviews, les entretiens en groupe, les questionnaires et les observations. Les
données peuvent être qualitatives (mots) et/ou quantitatives (nombres) (Cultiaux, J.,
Swaen, V. ,2001).
les études de ce genre permettent une analyse plus approfondie du phénomène et des
différents niveaux d’interprétation qui lui sont attachés ; elles aboutissent à une
compréhension fine, difficilement accessible par l’intermédiaire de méthodes
quantitatives comme le questionnaire par exemple (Lépineux. F, 2003).
Cherchant à connaitre, à travers notre problématique de départ les valeurs affichées et celles
pratiquées et leur rapprochement avec la responsabilité sociale, le choix d’une étude de cas
s’avère bien justifié.
Nous procéderons à présent à la détermination des méthodes d’enquête.
3.2- La détermination des méthodes d’enquête
Nous avons utilisé deux types de guides d’entretiens, l’un concerne les cadres « artisans de la
stratégie » de l’entreprise et l’autre concerne les cadres dirigeants :
- le premier est structuré autour de trois thèmes majeurs : « culture et identité », «mission
visions et stratégie » et « communication de l’entreprise » pour connaitre les valeurs
professées, sous forme de questions ouvertes.
L’objectif des entretiens semi-directifs est de donner aux différents acteurs la possibilité de
développer un discours approfondi sur leur organisation, leurs modes d’action et les effets de
ces actions sur l’environnement.
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pratiques au quotidien ? Cas de la Coopérative Agricole (COPAG).
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Au niveau de la direction, nous avons conduit un entretien semi-directif individuel car
l’entretien laisse le répondant structurer lui- même sa réponse. Grâce à cette technique, il est
donc possible d’appréhender la logique du répondant, tout en limitant les biais de
rationalisation a posteriori.
-Le second est structuré aussi en trois thèmes Il était en effet important de cadrer le plus
finement possible la discussion avec cette catégorie d’interlocuteurs de manière à recueillir les
informations précises que nous recherchions. Les trois thèmes portent sur ce « que je sais », «
ce que je fais » et « ce que je pense des pratiques de l’entreprise», se succèdent de façon
progressive et respectent un enchaînement logique afin de faciliter le déroulement de
l’entretien. A ce niveau, une discussion de groupe a été privilégiée.
Afin d’interroger des cadres de différents niveaux sur la question de la RSE bien qu’en moyen
ils disent être parfaitement informés, nous avons opté pour « cette méthode conviviale moins
angoissante que l’interview individuelle. L’entretien de groupe conserve, en outre, les
avantages de l’interview en matière d’absence de formalisme. Il permet de saisir des
perceptions spontanées avant toute rationalisation, inhérente à une réflexion plus longue
(Gauthier, C., Reynaud, E. 2004)
Au niveau de notre enquête faut il le préciser, nous avons ciblé les cadres pour tenir compte
du niveau d’étude, vu la complexité du thème.
Partant de ces deux entretiens on peut extraire les valeurs affichées et les valeurs dans les
pratiques en se penchant sur les techniques suivantes :
Comment extraire les valeurs institutionnelles, c’est-à-dire celle qui sont primordiales, à
l’échelle de l’entreprise dans sa globalité, pour son devenir ?
Plusieurs modalités d’extraction de ces valeurs institutionnelles sont possibles, on peut ce
pendant distinguer deux grandes modalités d’extraction .L’une appelée « l’approche
stratégique » qui consiste à ce que cette extraction parte des enjeux stratégiques de
l’entreprise. L’équipe de direction, l’état major, sont en première ligne.
L’autre modalité, nommée l’approche par les « pratiques » consiste à partir du corps social de
l’entreprise, de ce que l’ensemble du personnel, dans sa diversité d’activités et de statuts, mais
aussi dans son homogénéité présumé de culture, exprime comme points de repère communs.
Ces deux méthodes ne sont pas exclusives l’une de l’autre, et ce pourquoi il est souhaitable
qu’elles puissent être combinées (Claude, J.F. 2001),
Enfin concernant l’entretien de groupe on a opté pour l’initiation d’une journée de travail,
Cette méthode consiste, pour le groupe constitué à la veille d’une réunion à Marrakech des
responsables, à ce que chaque participant décrive les valeurs de ces pratiques professionnelles
qui pour lui, incarnent d’une manière significative des finalités auxquelles il tient.
La méthodologie de notre étude de cas ayant été explicitée nous passons aux résultats obtenus.
4. Analyse du cas COPAG
En 1987, profitant de la politique de libéralisation des exportations amorcée par l’État
marocain, 39 agriculteurs de la région de Taroudant ont senti le besoin et la nécessité de se
grouper en coopérative pour être maîtres de leurs produits agricoles depuis la production
jusqu'à un stade plus avancé de la distribution.
La COPAG, cette « success story de Taroudant » comme l’a qualifiée la presse, est connue le
plus par sa marque des produits laitiers « JAOUDA ». Elle s’est fait connaître, en l’espace
d’un laps de temps, par la qualité qu’offre ses produits et par son statut et son ‘‘mode de
gestion’’ coopératif. Raison pour laquelle on investigue « sa boite noire » et sa « cuisine
interne des valeurs ».
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4.1 Les valeurs affichées : Approche stratégique
L’extraction des valeurs dans le cadre de travaux de communication externe. La majorité des
discours analysés semble intégrer les préoccupations RSE dans la réflexion stratégique de
l’entreprise (activités, positionnement, mode de développement …).
La RSE est abordée comme une problématique vécue et déjà intégrée aux autres
problématiques managériales : financières, commerciales, organisationnelles …
L’extraction a ce niveau porte sur le logo et la marque COPAG
Le consommateur marocain, habitué à un mode d’approvisionnement traditionnel caractérisé
par des relations personnelles avec le vendeur précisément dans le cas du colportage, se
trouve depuis quelques années face à un nouveau type de commerce « impersonnel », mais
qui fournit plus de garanties quant à la qualité des produits. Il est donc intéressant d’étudier
les places et rôles respectifs de la confiance-garantie dans l’enseigne et de la confiance-lien
dans le vendeur.
La marque COPAG semble portée à l’attention des consommateurs des valeurs dont la
principale semble être la qualité: « la qualité est notre cheval de batail » martèle M.
Achahaboune, cela n’est pas sans conséquence sur sa réputation qui a un effet de « halo »
, la réputation agit comme un signal de la qualité intrinsèque des produits et services d’une
entreprise, pour laquelle les consommateurs sont prêts à payer un prémium -notamment dans
les marchés caractérisés par une incertitude forte sur la qualité (Shapiro, 1983).
Sans vouloir rentrer dans un débat sur le consumérisme (qui est encore embryonnaire malgré
l’existence d’association de protection des consommateurs dans les pays en développement)
on se limitera aux valeurs véhiculées par la marque en s’appuyant sur l’étude des indicateurs
et des attributs de qualité pour mieux les cerner.
Il s’agit aussi pour la COPAG au niveau de sa stratégie de réputation de mettre l’identité au
cœur de sa stratégie de marque, pas seulement pour qu’on « achète nos produits parce que
nous sommes qui nous sommes » mais pour renforcer son image « d’entreprise citoyenne »,
donc «pour nous il s’agit d’un produit reflétant une qualité en interne de fabrication et
respectant toutes les conditions sociales responsables de production y compris le respect de
l’environnement , grâce à une identité qui prône des valeurs sociales ,tout en restant
transparent pour développer la confiance par une communication crédible basée sur
l’honnêteté qui fait référence au respect des engagements et la bienveillance qui est la
manière dont notamment la marque, se sent concerné par le bien-être du consommateur ».
Nous pouvions à travers cette affirmation résumer en disant que les valeurs sont reparties en
deux groupes d’attributs au sens de Sirieix (1999) sur le tableau suivant, qui distingue les
attributs d’expérience et les attributs de croyance :
Source : Sirieix, L. (1999).
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La COPAG table sur les indicateurs objectifs/ intrinsèques qui sont souvent déterminés par le
procédé de production qu’elle juge responsable, et les indicateurs subjectifs/extrinsèques car
en l’absence d’éléments objectifs, le consommateur recourt à des indicateurs extrinsèques au
produit tels le prix, l’image du fabricant, l’image du vendeur, etc.
Il s’agit ici de la réputation corporate qui est un attribut organisationnel global .C’est en
quelque sorte la somme des représentations de l’entreprise dans ses différents univers de
référence explicités par sa stratégie, tels que le marché des produits laitiers, le marché de
l’emploi, et de plus en plus l’espace public.
Extraction des valeurs dans le cadre de l’élaboration de la « politique et de la stratégie »
L’extraction des valeurs peut s’intégrer dans l’exercice qui consiste à définir le cadre général
de l’organisation, ce que l’on appelle sa « politique et sa stratégie », et qui comprend plus
particulièrement la définition de la mission, de la vision, des valeurs, des objectifs et de la
stratégie de l’entreprise.
Helfer J.-P., Kalika M., Orsoni J. (2004), insistent sur les objectifs de l’entreprise à travers
leurs fonctions pratiques, leur fixation, le processus de leur formulation et leurs finalités.
Les acteurs de ces finalités ont une diversité des facettes car les objectifs poursuivis
s’inscrivent dans une hiérarchie au sein de laquelle les volets sont multiples (valeurs, emploi,
développement durable sont autant de thermes qui, tour à tour, tiennent le devant de la scène
dans le discours des chefs d’entreprise) et la responsabilité sociale peut être considérée
comme acteur des ces finalités .
La question qui nous intéresse ici est de savoir : si la spécificité de la COPAG en tant
qu’entreprise de l’économie sociale, influence-telle en tant que facteur de contingence sur
l’hiérarchisation de ses objectifs ?en d’autres termes les valeurs de l’entreprise sont elles les
causes d’une hiérarchisation donnée des objectifs même implicitement ?
La finalité de la COPAG est –telle de garder l’entreprise à un degré d’atteinte des objectifs
sociaux toujours supérieur ou égal au degré des réalisations des objectifs économiques ?
La mission et les objectifs tels qu’ils sont définis par les dirigeants de la COPAG
« La mission que nous assignons à la COPAG est d’ : Assurer elle-même ou par
l’intermédiaire de ses adhérents le développement socioéconomique du milieu rural de la
région du Souss. Offrir des produits agricoles d’origines animale et végétale de plus en plus
élaborés, qui peuvent satisfaire les attentes actuelles et futures des consommateurs.
Améliorer le revenu de la COPAG et de ses adhérents à travers des actions conjuguées à tous
les stades de la production, de la transformation, et de la commercialisation des produits
agricoles (et de leurs dérivés) à forte valeur ajoutée et nos objectifs se définissent à travers les
actions d’approvisionnement, d’encadrement et de formation en collaboration étroite avec ses
partenaires nationaux et internationaux, la COPAG cherche à améliorer la productivité, la
rentabilité de ses activités, et par voie de conséquence à garantir la croissance économique des
secteurs d’activités où elle opère. » Moulay M’Hammed El-Oultiti, Président de la COPAG
L’extraction des valeurs s’effectue alors dans une recherche de cohérence et d’itération entre
ces différents angles du projet d’entreprise.
L’enrichissement mutuel de la mission, de la vision et des valeurs : De l’entrepreneuriat social
à la responsabilité sociale des entreprises
« Les valeurs et les principes qui fondent le modèle de l’économie sociale, en réaction à celui
du capitalisme industriel “triomphant “, et le système de règles qui en détermine le mode de
fonctionnement spécifique, sont inextricablement liés aux dimensions économiques et
sociales dans le « projet coopératif » (Desroche, 1996) ».
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Partant de là on peut scinder la mission principale en deux sous-missions qui sont fortement
imbriquées et qui appellent aux dimensions économiques et sociales :
i) La sous-mission « Offrir des produits agricoles d’origines animale et végétale de plus en
plus élaborés, qui peuvent satisfaire les attentes actuelles et futures des consommateurs. »
montre d’une part que la COPAG est une coopérative économique qui se concentre sur sa
vocation qui est le rôle que les dirigeants entendent faire jouer à l’entreprise pour répondre
aux besoins de l’environnement et à ses inspirations, ce qui explique en grande partie
l’insistance sur les valeurs transmises par le produit à travers sa marque en terme de qualité
dans un contexte connu et de respect de l’environnement, et d’autre part elle prône un
développement économique local explicitement.
2i) Les deux autres sous missions «Assurer elle-même ou par l’intermédiaire de ses adhérents
le développement socio-économique du milieu rural de la région du Souss » et
« Améliorer le revenu de la COPAG et de ses adhérents à travers des actions conjuguées à
tous les stades de la production, de la transformation, et de la commercialisation des produits
agricoles (et de leurs dérivés) à forte valeur ajoutée » rejoignent la conception de la mission
d’une entreprise de l’économie sociale et donc une sorte d’entrepreneuriat social s’en associe.
Si l’entrepreneur social est bien de même nature que l’entreprise de l’économie sociale, son
profil ou référentiel de compétences ne peut se réduire ou s’assimiler à celui d’un
entrepreneur classique. Il n’est pas un entrepreneur « comme les autres ».
L’entrepreneur social à l’image du président Moulay M’Hammed El-Oultiti, exerce une
fonction de direction dans une entreprise dont la finalité économique est conjointe ou
subordonnée à une finalité répondant à des valeurs de solidarité entre personnes, groupes
sociaux et territoires.
Dans une entreprise de l’économie sociale, l’écartèlement de l’entrepreneur (dirigeant) entre
les exigences des shareholders et les attentes des salariés et plus largement des diverses
parties prenantes de l’entreprise n’a pas lieu d’être puisque le dirigeant est par nature le
mandataire de l’ensemble des parties.
On voit que les finalités des entrepreneurs sociaux se confondent avec la finalité de leur
entreprise, témoignant ainsi d’un engagement personnel fort en lien avec leur projet de vie.
Ainsi, le principe de gestion démocratique et la règle « un homme, une voix » qui en découle
fait intrinsèquement du dirigeant, la personne missionnée pour le compte du groupe dans son
ensemble que constitue la coopérative (Marie FLORES & Maurice PARODI ,2005).
Le principe de la double qualité selon laquelle tout adhérent (d’une coopérative, d’une
mutuelle, d’une association) est à la fois sociétaire et usager ou participant à l’activité, vient
renforcer le caractère de l’entrepreneuriat collectif qu’on peut associer à une responsabilité
collective grâce à l’appartenance sociale et à une culture d’entreprise qui permet le dialogue :
« Il n’y a pas de sujets qu’il n’est pas de bon ton à aborder dans notre entreprise ! » martèle
M. Achahaboune.
Les systèmes de valeurs : solidarité, développement durable, justice sociale, lutte contres les
exclusions et autonomie des personnes et démocratie participative sont connus de tous ! Ces
valeurs se concrétisent dans la marque COPAG du point de vue des adhérents, les quatorze
milles, pour qui la “COPAG“ est plus qu’une marque qui milite dans la recherche d’utilité
sociale ou d’intérêt général de toutes les parties y compris les salariés.
Inventaire des valeurs affichées
Une multitude de valeurs peuvent être « élues » soit à l’échelle individuelle soit à celle d’une
collectivité .C’est souvent ce qui gène les personnes en charge de définir les valeurs de leur
entreprise, de même que ses managers.
Les valeurs institutionnelles concernent à la fois ce qui est porté par une fraction influente du
corps social, mais aussi ce qui est le plus propice à faire gagner l’entreprise en fonction du
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contexte dans lequel elle évolue .Elles sont le choix tendus vers le progrès et la survie de la
collectivité que constitue l’entreprise .Par ces valeurs institutionnelles, l’entreprise fait le
choix de quelques repères structurants pour tous les collaborateurs.
L’entreprise invite ainsi ses collaborateurs à subordonner leurs propres valeurs individuelles
aux valeurs institutionnelles, et à orienter leurs actions et leurs conduites en conséquence.
L’expression des valeurs varient en fonction de leur nature.
Elles expriment des préférences partagées par une fraction influente de la collectivité (la
profitabilité) et caractérisent une volonté collective (l’enthousiasme) ,sont un élément clé de
l’identité du groupement humain (la solidarité),orientent l’action en termes d’exigence et de
devoir (la transparence et l’honnêteté),soutiennent et orientent l’engagement collectif
(Satisfaire les clients),orientent l’action vers un idéal fondé socialement et auquel on peut
croire (le développement durable)…
Les valeurs entrepreneuriales caractérisent ce que la société entend par une activité
professionnelle exercée d’une « bonne manière » .Au tour de l’entrepreneur rayonnent les
valeurs d’initiative, de responsabilité, d’adaptation, de sens des affaires et de compromis.
Sur quelles bases trier les valeurs qui sont importantes pour la vie de l’entreprise ?
Nous pouvons nous limitez à la typologie des valeurs de Jean-François Claude (2003), dans
le contexte de l’entreprise : les valeurs sociétales, les valeurs entrepreneuriales, les valeurs
institutionnelles, les valeurs de métier et les valeurs individuelles. Ces valeurs donnent de
l’importance en fonction de leur nature au développement personnel de chacun, au métier, à
l’appartenance à l’entreprise.
Le tri des valeurs
Le tri des valeurs est la phase qui est la plus grande partie du travail, qui doit être rigoureux
par ces critères pour échapper à l’arbitraire du chercheur. Le tri est réalisé en principe en
procédant par « mot –clé » Chaque mot-clé permet de repérer des « occurrences ».
Les occurrences permettent le repérage des « verbatims », chaque verbatim fait l’objet d’un
découpage lié à la ponctuation (phrase entière) et au sens (Christian Bourion, 2005).
Partant de cela nous classerons ces valeurs en quatre rubriques de façon succincte : Les
valeurs de tradition, de bienveillance, de l’universalisme et de sécurité.
i) Les valeurs de tradition : les expressions « chez nous » et « pour nous » dénombrés
plusieurs fois, il s’agit du respect des « coutumes » et des idées soutenues par la culture de
l’entreprise .Ces coutumes et traditions deviennent l’expression de la solidarité du groupe,
expriment sa valeur singulière et contribue à sa survie.
ii) Les valeurs de bienveillance : le souci de la COPAG est la préservation et l’amélioration
du bien être des personnes avec lesquelles on construit un avenir commun que ca soit
« L’endo-groupe » des adhérents qui ont un sentiment d’appartenance ou les consommateurs
envers qui il faut être honnête et crédible.
iii) L’universalisme : compréhension, estime et protection du bien être de tous et de
l’environnement
iv) La sécurité : stabilité et sureté des relations entre groupe et individu.
Il y’a deux sortes de valeurs de sécurité, certaines concernent avant tout les intérêts
individuels (c’est l’intérêt de l’adhérent d’être dans cette coopérative) et d’autres concernent
plus des intérêts collectifs (l’union fait la force !).
Ces valeurs traitent des intérêts des autres mais les objectifs qu’elles permettent d’atteindre
concernent également les intérêts personnels.
Nous souhaitons à présent faire l’analyse des pratiques au quotidien de l’entreprise dans
l’optique d’aboutir à une congruence « objective » des valeurs affichées avec celles
pressenties dans les pratiques .
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4. 2 .Les valeurs dans la pratique au quotidien
Les périmètres de la responsabilité sociale interne et externe de l’entreprise d’une part et du
dirigeant d’autre part doivent logiquement se recouvrir, si les pratiques managériales du
dirigeant sont bien en adéquation avec le système de valeurs règles de l’entreprise.
Les valeurs sont incarnées dans les pratiques professionnelles donc l’extraction des valeurs
peut s’effectuer à partir des pratiques professionnelles des collaborateurs. Il est donc pertinent
de partir de ces pratiques pour en extraire les valeurs qu’elles véhiculent, ce sont les pratiques
professionnelles qui véhiculent les valeurs vivantes de l’entreprise, en tant que composantes
de la culture d’entreprise :
La réponse donnée à la question « qu’est qu’on entend par responsabilité sociale Chez
COPAG ? » fut par Abdsamad Akhay, directeur commercial : «Nous ne posons pas la
question en ces termes ! Nous avons d’abord un projet, une vision d’entreprise, puis des
hommes et des femmes qui travaillent ensemble pour le faire avancer, qui lui-même, guide
nos décisions au quotidien .La responsabilité sociale se situe dans notre projet d’entreprise y
trouve son origine et se décline en faisant en sorte que les hommes et les femmes
s’épanouissent tout en faisant avancer ce projet » et il continue en disant « nous vivons la
responsabilité sociale sans qu’elle ne fasse l’objet d’une quelconque charte. Cela ne peut pas
se formaliser .Les règles morales, oui, mais une démarche éthique, elle est vécue de
l’intérieur. Elle suppose une réflexion, un questionnement, un échange, un dialogue pour faire
émerger la moins mauvaise solution, la RSE suppose une prise de conscience de cet espace de
liberté dont nous disposons pour prendre la décision la moins mauvaise lorsqu’il s’agit de
trancher entre l’économique et le social ou l’environnemental car nous ne pouvons ignorer les
valeurs économiques .Le profit est important et la performance économique assure la
crédibilité même du projet .Mais ce n’est pas l’objectif en soi. »
Cette affirmation nous laisse dire que les pratiques de la COPAG sont“ teintées d’éthiques“.
Il est possible de demander à plusieurs collaborateurs de décrire la façon dont ils mènent leurs
activités professionnelles en fonction de finalités aux quelles ils tiennent particulièrement et
d’en dégager les valeurs communes.
Ce qui à fait l’objet de notre entretien de groupe avec les responsables des agences régionales
Avant d’arriver à un inventaire des valeurs claustrées dans les pratiques de la COPAG, on
fera un aperçu sur
La communication interne en matière de responsabilité sociale
Partant des entretiens de groupe et individuels avec les directeurs financier et commercial.
Lors de l’entretien avec les directeurs, ceux-ci n’ont pas abordé spontanément la
communication environnementale en direction des salariés suite à une question leur
demandant explicitement les outils développés pour le personnel.
En théorie la communication environnementale décrétée par le sommet est posée de façon
descendante via des groupes plus restreints généralement ceux qui sont en contacte avec
l’activité de rejet de liquide.
On peut penser que les informations diffusées aux près des responsables chargés de la gestion
de l’opération d’épuration peuvent leur attribuer « une impression de connaissance » sur le
thème de la responsabilité sociétale.
Ce sentiment est plus développé chez les responsables dans la mesure où ils sont plus
fréquemment exposés sans surcoût à l’information.
Ainsi à l’égard des chefs d’agence la communication sur la RSE est limitée aux aspects des
pratiques sociales responsables “internes“, « Cela se passe à un niveau élevé, la direction, les
responsables, nous allons être le dernier chaînon qui allons nous en occuper !
Personnellement, ça m’embêterait de travailler dans une entreprise non responsable de
l’environnement. »
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Ce qui peut s’expliquer par leur absence d’exposition à l’activité directement liée à
l’environnement comme celle liée au rejet de liquide « épuration » on peut supposer que cela
les rend que partiellement sensible au message environnemental.
La culture de l’entreprise et son identité
« Cette culture qu’on a nous permet de créer un espace de discussion qui à une vertu, il
produit un effet sur notre identité car on constate à la fin qu’il y’a un embranchement entre les
objectifs de la RSE et ceux de la coopérative » tambourinent presque tous les cadres d’une
seule voie.
Par leur souscription aux valeurs citoyennes auxquelles semble adhérer l’entreprise, les
individus trouvent un sens à leur engagement et à leur performance au sein de leur
organisation . Ces médiations permettent à l’individu de trouver un appui concret qui puisse
justifier leur lien à l’organisation et, dans un certain sens, leur soumission à ses exigences.
D’ailleurs la réussite de la transformation identitaire ou du sentiment de possession est totale
pour beaucoup de cadres : en posant la question de la raison qui attire les cadres dans la
société et ce qui pourrait aller à l’encontre de cela, les réponses tournaient plus vers la
réputation de l’entreprise et le développement de carrière.
Pour la réputation les éléments qui reviennent sont le sérieux, le respect des engagements cela
se confirme par une autre affirmation à la question de l’image de l’entreprise à l’externe « la
société COPAG est une société citoyenne » dit Abdelmalik.
Le développement de carrière, le turnover semble être maitrisé grâce à un développement de
l’appartenance.
Ce qu’essaye de faire toutes les entreprises aujourd’hui c’est d’avoir « une réputation qui
conduit les individus à valoriser les transactions : acheter une marque connue renvoie au
consommateur une image positive de lui-même .Ce même penchant conduit les employés à
accepter plus facilement les demandes d’une entreprise ayant une bonne réputation, par
exemple travailler plus ou travailler pour un salaire moindre (Strategor ,2005).
L’identité semble donner une place importante dans le choix de l’entreprise car elle encourage
un management participatif (le management participatif est parfois considéré comme le
moyen de rendre compatibles objectifs économiques et sociaux) d’abord parce que
« Dans notre société on peut négocier avec nos responsables mais il faut dire d’une façon
adéquate … des dogmes je ne pense pas »abdalaadi Kmay « on peut discuter de n’importe
quel sujet mais dans la limite du travail » poursuit il répondant à la question des
interprétations, des dogmes, des points de vue qui paraissent plus relever du sentiment et de la
tradition que de l’analyse objective dans l’entreprise.
Pourquoi cet intérêt grandissant des salariés et comment se traduit il ?
Le souci de vie interne de l’entreprise et les considérations humanistes de l’entreprise
Les considérations humanistes se résument par les quatre éléments donnés :
i-La considération : « je pense que ceux qui agissent à chaque niveau ont quelque chose à
apporter et qu’ils méritent d’être valorisés et pris en considération »
2i-L’épanouissement : « l’épanouissement au travail étant reconnu comme nécessaire et
important,à l’interne comme à l’externe pour concilier vie privé et travail et dans ce cadre
nous organisons des excursions et des sorties organisées pour l’ensemble du personnel »
3i-Implication : « il faut impliquer le personnel dans les décisions pour qu’il soit un
entrepreneur et non pas un exécutant »,
4i-Ambiance et bien être : « parce qu’il est plus agréable de travailler dans une ambiance
détendue en sachant ou l’on va »
Et le souci d’une vie interne de l’entreprise caractérisé par un management participatif :
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pratiques au quotidien ? Cas de la Coopérative Agricole (COPAG).
Chafik Bentaleb & Salah-Baba Arwata
i-Mobilisation et motivation : « Les gens seront plus mieux maitres de leur destin, donc mieux
concernés et par là mieux motivés »
2i-Dynamique et dynamisation : « Nous adoptons un management participatif qui crée une
dynamique associant l’ensemble de l’encadrement à la démarche de l’entreprise notamment
aux décisions stratégiques »
3i-Cohésion et esprit d’entreprise : « Notre but est d’obtenir une cohésion du personnel et son
implication dans l’avenir de l’entreprise », « Cela renforce la cohésion des groupes de travail
et développe l’esprit d’entreprise »
4i-Créativité : « Le management participatif permet au personnel d’être soi même et par la,
plus créatif et plus productif »
Enfin la communication : « Il est normal que les salariés s’expriment participer à la vie de
l’entreprise ».
Les premières valeurs ici nous disent que le bien être social est la base de toute performance
de l’entreprise.
Inventaire des valeurs en pratiques
La question essentielle est de savoir si l’entreprise développe ou non un management social
responsable ?
Si Pfeffer avait retenu seize pratiques performantes dans sa synthèse la plus complète de
1994 ; d’autres auteurs, comme Deley et Doty, dans leurs travaux sur ce thème en 1996, ont
isolé sept pratiques sociales performantes : l’existence de plans de carrière, la politique de
formation, la prise en compte des performances individuelles, la garantie de l’emploi, la
participation aux décisions, la gestion des emplois et la participation aux résultats.
Ces thèmes sont classés par Saulquin Jean-Yves (2005), en quatre rubriques « emploi »,
« développement individuel et contexte de travail », « Rémunération et périphériques » et la
rubrique « valeurs et vision RH » dont on a déjà parlée.
Partant de ces rubriques nous procédons à la recherche des valeurs de la responsabilité
sociale.
Partant des quatre rubriques nous procédons à l’extraction des valeurs pressenties dans les
pratiques en essayant de façon aussi succincte de les catégoriser dans les trois rubriques :
bienveillance, l’universalisme et la sécurité.
i) Les valeurs de bienveillance : l’amélioration du bien être des personnes avec lesquelles elle
construit un avenir commun que ca soit avec les employés ou les adhérents.
* Rubrique « emploi » :
Etre responsable : « La COPAG est responsable dans la sélection des employés à tout les
niveaux, moi je suis responsable commercial et je me charge du recrutement, je me garantie
d’avoir choisi la bonne personne pour une tache donnée, ma responsabilité sociale est de ne
pas engagée par exemple une personne qui ne peut supporter une tache rude comme le
déchargement de nos camions pour la femme par exemple mais chez nous la parité
professionnelle est bien respectée » Abdsamad Akhay.
« Même si cela reste peu développé, nous assurons la formation et l’encadrement de nos
collaborateurs » ;
* Rubrique « développement individuel et contexte de travail » :
Avoir un sens de la vie : on retrouve les considérations humanistes qui ont un rôle essentiel
dans la vie en communauté et le souci d’une vie interne de l’entreprise
* Rubrique « Rémunération et périphériques » :
Honnête : « la paye au mérite en nous tenant compte de la contribution/rétribution » ;
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Loyal : « au plan de l’information les adhérents vivent une transparence totale sur la gestion
de leur compte » ;
Les valeurs de bienveillance montre que le souci de la COPAG est la préservation et
l’amélioration du bien être des personnes avec lesquelles elle construit un avenir commun que
ca soit avec les employés ou les adhérents.
2i .L’universalisme : compréhension, estime et protection du bien être de tous et de
l’environnement
* Rubrique « emploi » :
L’harmonie intérieure : « mon entreprise me donne les moyens d’exercer dans des bonnes
conditions mes responsabilités professionnelles »,
* Rubrique « développement individuel et contexte de travail » :
La justice sociale : « mon entreprise n’externalise pas les risques chez les fournisseurs de lait»
* Rubrique « Rémunération et périphériques »
L’égalité des chances : « la sélection à l’embauche est meilleure par rapport à la concurrence
ainsi que la compression des salaires même si ils restent souvent inférieurs à ceux des
concurrents », « utilisation en commun du matériel agricole entre coopérateurs ».
L’universalisme et la bienveillance accordent tous deux la priorité aux autres et relèvent tous
deux la priorité aux autres et révèlent tous deux du dépassement des intérêts égoïstes dans la
pratique
3i) La sécurité : stabilité et sureté des relations entre groupe et individu.
* Rubrique « emploi » : Sécurité à l’emploi « Pour faire face aux contraintes je ne demande
pas aux personnes sous ma responsabilité de travailler dans des conditions de sécurité que je
considère comme limites»
* Rubrique « développement individuel et contexte de travail » :
Sentiment d’appartenance « il m’arrive pas de prendre de décisions qui sont contraires à nos
valeurs », « La Formation est en tète de nos pratiques responsables, elle développe un
sentiment d’appartenance et une culture de maison »
* Rubrique « Rémunération et périphériques » :
Réciprocité des faveurs : « tous nos adhérents possèdent des comptes et ont droit à une
information complète »….
5. Discussion
La présente étude avait notamment pour objectif d’étudier la convergence entre les valeurs
incluses dans les pratiques de la coopérative agricole et celles de la RSE.
Nous avons dans un premier temps fait le rapprochement entre les valeurs affichées et celles
pressenties dans les pratiques au quotidien à travers la représentation des cadres supérieurs
« faiseurs de stratégie » qui définissent la vision, la mission et les finalités de l’organisation et
les cadres moyens qui servent de courroie de transmission et « alimentent » les pratiques de
l’entreprise en valeurs.
Nous formulions l’hypothèse qu’il y’a une adéquation parfaite entre les valeurs professées et
celles pressenties dans les pratiques de la coopérative H1 (en supposant la congruence entre
la réalité et sa description).
Relativement à cette
hypothèse, les deux
inventaires de valeurs (bienveillance,
l’universalisme et la sécurité) comme résultats confrontés nous apprennent qu’elle est
globalement confirmée.
H2 convergence des valeurs pratiquées avec celles de la RSE
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La coopérative agricole vie les valeurs de la RSE dans les pratiques sans forcement avoir
besoins d’une charte même si elle est nécessaire, grâce à ses valeurs institutionnelles ce qui
s’explique par la convergence entre les valeurs de la RSE et celles affichées par la
coopérative : Fonctionnement démocratique, participation des sociétaires, solidarité,
valorisation des ressources internes, utilité sociale des activités, mise en valeur de
l'environnement de proximité…
La Copage ne dispose pas de charte .Les valeurs sociétales d’une entreprise sont incluses
souvent dans une charte dans laquelle on trouve la conduite théorique de l’organisation
référence au « management théorique » qui est souvent différent du « management réel »,
mais Pierre Morin et d’Eric Delavallé (2003), affirment que les valeurs figurant dans un projet
ou dans une charte d’entreprise relèvent souvent plus d’une idéologie proclamée que de la
culture proprement dite .Elles témoignent de ce que les salariés devraient croire pour que
l’entreprise soit performante plutôt que ce qu’ils croient réellement.
Les valeurs sociétales dominantes communes citées dans deux études- la première étude a
été portée sur l’analyse comparative des Chartes des entreprises Suez Lyonnaise des eaux,
Publicis, Schlumberger, Accor, Groupe Société nationale Immobilière, Elf Aquitaine. La
deuxième étude a porté sur l’analyse comparative de Chartes de Procter et Gamble, d’Accor et
de BSB, entreprises respectivement américaines, française tunisienne -menées sur le contenu
de Chartes de valeurs de grandes entreprises sont largement vécues dans la coopérative :
- La tolérance (Respect)
-le sens des responsabilités : Loyauté, confiance et devoir
Confiance : volonté d’assurer un rôle social et non seulement économique au sein de la
société
-La réalisation de soi :
Attention particulière au facteur humain ; valeur et importance du personnel ; épanouissement
et satisfaction de ses besoins.
La sélection des valeurs prend le pas sur la définition des codes de conduites impliquant des
règles prédéfinies de comportement. Les vertus sociales souvent ne se codifient pas, elles
s’internalisent et se manifestent par la responsabilité individuelle dans les attitudes des
membres de l’entreprise.
De H1 et H2 on déduit H3 : la convergence des valeurs institutionnelles et celles de la RSE
Cette hypothèse est confirmée par la convergence des valeurs de l’entrepreneuriat social avec
et celles de la RSE.
Du stakeholder model à la théorie de l’action collective : La coopérative comme champ
d’analyse propice pour comprendre l'appropriation de la RSE
Le cadre d’analyse pertinent pour appréhender les mécanismes d’appropriation des enjeux de
la RSE par les organisations et leurs acteurs induit a une double exigence auprès des théories
qui traitent de la firme : en premier lieu inscrire l’entreprise dans une logique de
développement durable et de prise en compte des différentes parties prenantes et dans un
second temps l’ aptitude de ces corpus à appréhender les dynamiques d’appropriation des
enjeux sociétaux, tant au niveau individuel que collectif (Baret Pierre, 2004).
La théorie des parties prenantes semble s’imposer progressivement comme un modèle central
pour appréhender la RSE.
A l’instar de l’ensemble des approches contractualistes, il demeure insuffisamment explicatif
des facteurs qui permettent de comprendre comment l’ensemble des acteurs constitutifs d’une
organisation sont susceptibles de s’approprier les enjeux de la RSE.
Ce modèle tend à négliger les interactions constantes entre les différentes parties prenantes.
Or ces dernières font ‘système’ avec l’entreprise, via d’incessants feed-back qui interfèrent
entre eux dans le cas de la coopérative.
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Le stakeholder model, grâce à la coopérative permet de comprendre donc comment une
entreprise s’approprie les objectifs sociétaux par une volonté commune de coopération et de
partage de valeurs.
L’examen des pratiques de la coopérative montre, en effet, que l’action de l’entreprise n’est
pas réductible à une stratégie adaptative consistant à répondre aux attentes des stkeholders, il
permet de dépasser une analyse en termes de jeux d’influence et de rapports de force pour
adopter une approche plus dynamique de l’action collective.
La théorie de l’action collective proposée par Hatchuel (2000) considère, à un niveau général,
que toute action collective résulte d’une interaction dynamique entre deux dimensions
inséparables : un système de relations (figure d’acteurs, relations entre acteurs : hiérarchie,
coopération, rapports marchands, etc..) et un ensemble de savoirs (discours, règles, expertises)
le cas de la coopérative en est un exemple canonique.
Lorsque des individus ou des groupes sont impactés de façon volontaire par l’activité de
l’entreprise (Améliorer le revenu de ses adhérents à travers des actions à tous les stades,
construction de logements ; satisfaire les attentes des consommateurs …) l’objectif principal
pour le management doit être la création de bénéfices pour tout le monde et une amélioration
continue grâce à un apprentissage collectif.
Les valeurs sociales et entrepreneuriales renforcent les valeurs institutionnelles, qui agissent
comme pivot, de la coopérative agricole et permettent de donner plus de légitimité externe
auprès des parties prenantes.
La prise en compte des attentes des parties prenantes de la coopérative passent par le respect
des valeurs qu’elles portent souvent et exigent dans le comportement de l’entreprise qui doit
être responsable.
L’entreprise cherche toujours à maintenir un équilibre de valeurs qui a un effet dans son
environnement interne et externe :
-Effets de la congruence entre les valeurs des salariés et celles de l’organisation
Dans une étude menée dans le secteur public, Boxx, Odom, et Dunn (1991) rapportèrent que
la perception de valeurs organisationnelles d’excellence était positivement liée à des attitudes
individuelles telles que la satisfaction au travail et l’engagement affectif envers l’organisation.
Cela aussi se confirme dans notre étude la quasi-totalité des interviewés qui perçoivent bien le
comportement organisationnel de l’entreprise sont satisfaits de leur travail privilégie
l’implication affective à l’engagement normatif.
Rousseau (1990) a établi que des normes culturelles privilégiant la satisfaction personnelle au
travail étaient positivement associées à la clarté de rôle et à la satisfaction des salariés par
rapport à l’entreprise alors qu’elles étaient négativement liées à l’intention de départ. Cela a
été confirmé dans notre étude comme souligné plus haut la coopérative agricole a des salaires
bas par rapport à ces concurrents par contre ses salariés préfèrent ce manque à gagner par une
satisfaction de travailler dans une entreprise socialement responsable.
- Effets de l’imbrication entre les valeurs des salariés et celles de l’organisation :
La culture de “la communauté “ englobe son identité, elle constitue le cadre symbolique dans
lequel, l’identité est interprétée. Dans la plus part des cas nous avons constaté que plus le
salarié est proche de son entreprise en s’identifiant à elle par ses valeurs, plus les valeurs
professées seront proches dans sa représentation de celles ressenties dans les pratiques : Donc
l’identité professée sera proche de l’identité ressentie par le salarié.
Les valeurs de l’entreprise poussent ses membres vers un idéal socialisé (les valeurs partagées
développent l’appartenance sociale, renforcement du contrat psychologique).
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- Les effets de l’interaction entre les valeurs de la communauté et celles de l’organisation : le
renforcement de l’identité
Les valeurs institutionnelles renforcent l’appartenance entre l’entreprise et son milieu. Les
valeurs servent à donner une identité aux multiples regroupements communautaires qui
caractérisent la coopérative , d’une manière générale autour de tout élément qui sert
socialement de catalyseur .Ils rassemblent des personnes qui collaborent et s’organisent sur la
durée autour d’un centre d’intérêt ,d’une mission ou d’un projet .
L’entreprise est dans une phase de cohérence avec son environnement interne, en privilégiant
une RSE interne, concrétisée par de bons rapports avec les principales parties prenantes (les
salariés, les adhérents et l’état) grâce à une culture favorable ou « baignent » les valeurs de la
RSE. L’environnement (Mise en place d’une station de traitement des rejets liquides par voie
physico-chimique suivie d’un traitement biologique par boues activées avec aération
prolongée pour résoudre le problème de rejet liquide –débit estimé à 1000m /j pour la laiterie
et 500 m/j pour les eaux de lavage des agrumes ) et la collectivité locale se trouvent en
deuxième lieu. On ne peut pas acquérir la légitimité externe sans pouvoir l’acquérir sur le plan
interne et elle se renforce par l’imbrication forte des valeurs de l’entreprise et celles de son
milieu comme les auteurs de l’approche institutionnelle le soulignent qu’une firme, pour
s’ancrer dans un environnement socio politique, doit démontrer son appartenance et son
respect des valeurs et des pratiques en usage dans son milieu.
6. Limites et perspectives
Cette étude présente des limites. Tout d’abord, il apparaît que nos résultats doivent être
interprétés avec précaution vu la nature des données recueillies. En effet, nous avons
investigué la culture de l’organisation par le biais des perceptions des cadres. Ainsi, nous
nous sommes intéressés aux valeurs perçues plutôt qu’aux valeurs réellement en vigueur. Un
tel choix se justifie aisément par le fait que les perceptions relatives à une réalité
organisationnelle constituent des déterminants plus proximaux des attitudes et comportements
du personnel que cette réalité en tant que telle (Meyer et Allen, 1997).
Les données devront faire l’objet d’une codification et d’une classification pour faire
émerger les classes des verbatims par la démarche ancrée ou la théorie enracinée (Christian
Bourion, 2005).Cette démarche n’a pas été largement respectée.
L’affectation des valeurs par rubrique n’a pas été un exercice facile et tintée parfois de
subjectivité.
Nous n’avons pas sélectionné le cas sur base de raisons théoriques, comme le fait que
l’entreprise ait mis en place une publicité institutionnelle mettant en avant des arguments de
citoyenneté d'entreprise, soit reconnue par des associations non gouvernementales même si
elle reste un exemple à suivre dans son secteur d’activité.
Une autre limite de notre travail était de ne pas mener des discussions avec différents
membres du personnel de différents niveaux hiérarchiques (top managers, marketing
managers, directeurs des relations publiques, responsables de la communication
institutionnelle, employés, ouvriers, syndicats) et de différents niveaux d’ancienneté. Nous
pourrons nous appuyer sur l’expérience des travailleurs plus anciens pour aborder avec eux
divers aspects du changement organisationnel observé. Leur perception « vécue de l’intérieur
» de ce qui a changé ou qui change, éclairera de données inédites ce qui n’apparaîtrait pas à
travers une analyse du discours officiel.
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Certification ISO et création de valeurs : retour d’expérience et implications managériales.
Olivier Boiral
CERTIFICATION ISO ET CRÉATION DE VALEUR : RETOUR
D’EXPÉRIENCE ET IMPLICATIONS MANAGÉRIALES
Olivier BOIRAL
Professeur titulaire
Titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les normes de gestion du développement
durable
Faculté des sciences de l'administration - Département de management - Québec Canada
[email protected]
1. Introduction
Comment utiliser les systèmes de gestion ISO pour améliorer les pratiques des organisations,
créer de la valeur et éviter les effets pervers souvent associés à ces systèmes?
Plus de vingt ans après le lancement des premiers systèmes de gestion ISO, cette question
préoccupe un nombre croissant de dirigeants. Contrairement à une opinion répandue dans
certains pays riches, le nombre d’organisations certifiées dans le monde augmente
rapidement. En 2008, plus d’un million d’organisations étaient certifiées aux ISO 9001 ou
ISO 14001, qui reposent sur des principes de gestion similaires. Et la majorité des nouvelles
certifications provient maintenant des pays en développement. Peu de secteurs d’activités
échappent aujourd’hui à l’emprise des normes de gestion ISO, qui touchent des organisations
de toutes tailles, du secteur privé comme du secteur public. Pourtant, malgré leur succès
apparent, les systèmes ISO n’ont jamais été autant critiqués, en particulier dans les pays
riches.
Ces controverses concernent en particulier leur raison d’être et leurs impacts réels pour les
organisations (Walgenbach, 2001; Jiang and Bansal, 2003 ; Christmann and Taylor, 2006).
Selon certains, l’adoption des systèmes ISO apporte l’assurance de la mise en place de
pratiques éprouvées et efficaces. Pour d’autres, ces normes de gestion ont une finalité surtout
marketing et peuvent même se traduire par des effets pervers dans les organisations. De façon
paradoxale, ces deux positions apparemment opposées ne sont pas mutuellement exclusives.
En effet, les systèmes de gestion ISO représentent à la fois des pratiques internes reposant sur
des principes de gestion reconnus et des moyens de promouvoir la légitimité sociale ou de
répondre à des pressions externes spécifiques. Ces aspects internes et externes répondent à
des logiques assez différentes. Ainsi, les améliorations managériales qui sont supposées
résulter de la certification ne sont pas toujours liées aux améliorations au niveau marketing, et
vice-versa. Le processus de certification par des auditeurs externes permet en théorie de
concilier ces deux facettes des systèmes de gestion ISO. Il s’agit en effet d’assurer les parties
prenantes externes, en particulier les clients, que les systèmes ISO ont été adoptés de façon
adéquate à l’intérieur des organisations certifiées et ont été vérifiées par des auditeurs
supposés indépendants. Cependant, la certification soulève, en réalité, plus de questions
qu’elle n’apporte de réponses sur la façon dont les systèmes ISO sont réellement internalisés
dans la gestion quotidienne.
En premier lieu, le processus de certification ne dure en pratique que quelques jours et repose
en grande partie sur des vérifications de nature documentaire réalisées par des firmes d’audits
choisies et rémunérées par les entreprises. Quel que soit le sérieux du processus de
certification, la conformité des organisations peut donc être assez superficielle et demeure
incertaine en dehors de la courte période des audits. Dans ce contexte, les systèmes ISO ne
sont pas nécessairement bien intégrés dans les pratiques des organisations dites certifiées.
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Certification ISO et création de valeurs : retour d’expérience et implications managériales.
Olivier Boiral
En deuxième lieu, le processus de certification est souvent beaucoup moins volontaire qu’il y
parait ou que les dirigeants veulent bien l’admettre. En effet, lorsque des clients importants ou
d’autres parties prenantes exigent la certification ISO, les dirigeants n’ont généralement pas
d’autre choix que de les adopter, qu’ils soient au départ favorables ou non à ces systèmes.
Dans ce contexte, les dirigeants peuvent adopter les systèmes ISO sans réelle conviction ou
sans mettre en place les moyens nécessaires à leur utilisation efficace comme outils de gestion
à l’intérieur des organisations.
En troisième lieu, les impacts internes des systèmes ISO sont souvent complexes et
paradoxaux. Trop souvent, ces impacts sont analysés à partir de quelques critères de
performance restrictifs qui peuvent être des causes tout autant que des conséquences du
processus de certification : augmentation des ventes, internationalisation des entreprises, mise
en place de politiques de qualité et d’environnement, etc. Ces critères de performance
prennent rarement en compte des critères d’inefficience et des effets pervers plus difficiles à
mesurer, comme par exemple l’augmentation de la paperasse interne.
En dernier lieu, la façon de mettre en œuvre les systèmes ISO peut être très différente d’une
organisation à l’autre. En effet, si ces systèmes proposent des recommandations assez
spécifiques, elles sont peu explicites sur la façon de les appliquer, laissant aux dirigeants une
large marge de manœuvre. Cette marge de manœuvre contribue à la souplesse et à
l’adaptabilité des systèmes ISO. Cependant, les dirigeants sont souvent perplexes sur la façon
de gérer ces systèmes et d’éviter certains effets pervers liés à leur utilisation.
De façon paradoxale, malgré la multiplication des normes ISO, il existe très peu d’études
mettant en lumière, à partir de l’expérience concrète d’individus travaillant dans des
organisations certifiées, les pièges et les facteurs clés de succès de ces systèmes. L’objectif de
cet article est de montrer comment utiliser les systèmes de gestion ISO pour améliorer les
pratiques internes et éviter les effets pervers les plus fréquemment observés. Les entretiens
que nous avons réalisés auprès de plusieurs centaines de répondants travaillant dans des
organisations certifiées montrent en effet la récurrence d’enjeux clés pour utiliser de façon
efficace les normes de gestion ISO.
Pour les dirigeants, la connaissance de ces enjeux clés peut s’avérer essentielle. En effet,
quelle que soit leur taille ou leur secteur d’activité, la plupart des organisations peuvent un
jour être concernées par l’adoption des systèmes ISO. Que ces systèmes soient demandés par
des clients chinois, par un siège social européen, ou par un appel d’offre du gouvernement, les
dirigeants peuvent donc être amenés à s’interroger sur la meilleure façon d’implanter une
norme de gestion ISO. Dans ce contexte, l’expérience d’organisations déjà certifiées peut
s’avérer très précieuse, et apporter une sorte de mode d’emploi sur la façon la plus appropriée
de gérer ces normes internationales.
Dans un premier temps, l’article explique pourquoi les systèmes de gestion ISO sont devenus
aussi importants, et concernent désormais la plupart des secteurs d’activités et des régions du
monde.
Dans un deuxième temps, l’article explique ce que sont ces systèmes et pourquoi de
nombreux dirigeants demeurent réticents face à des normes qui sont pourtant
internationalement reconnues et qui prétendent reposer sur les meilleures pratiques.
Les deux dernières parties résument les principales recommandations qui résultent de 270
entretiens individuels réalisés auprès de dirigeants et d’employés travaillant dans des
organisations certifiées ISO 9001 et ISO 14001. Ces recommandations s’articulent autour
d’une dizaine d’écueils à éviter et de moyens pour améliorer les pratiques internes à travers
les systèmes de gestion ISO.
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Certification ISO et création de valeurs : retour d’expérience et implications managériales.
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2. Des passeports pour les échanges internationaux
Depuis le lancement de la première série de normes ISO 9000, en 1987, les systèmes de
gestion ISO ont connu un succès dont l’ampleur était au départ difficile à prévoir. À l’origine,
le référentiel ISO 9000 avait surtout pour objectif de rationnaliser des principes de base
concernant la gestion de la qualité et son développement se limitait essentiellement aux
entreprises industrielles des pays riches, en particulier en Europe. Aujourd’hui, les systèmes
de gestion ISO ont envahi la plupart des régions du monde et sont utilisés dans la plupart des
secteurs d’activités. Ce succès spectaculaire se manifeste par l’augmentation rapide du
nombre de certifications, par la diversité croissante des applications des systèmes ISO et par
l’engouement récent des pays en développement.
Le nombre de certifications aux normes de gestion ISO est l’objet d’enquêtes régulières qui
démontrent la croissance et l’internationalisation continue de ces normes (International
Organization for Standardization, 2007)
Avec environ 1 million organisations certifiées dans le monde en 2007, la norme ISO 9001
sur l’assurance qualité est, de loin, le système de gestion ISO le plus répandu et le plus connu.
Le système de gestion environnementale ISO 14001, qui a été lancé en 1996, est également
considéré comme un standard de référence et a connu une croissance très rapide. Ainsi, une
dizaine d’années à peine après le lancement de cette norme, plus de 130 000 organisations
dans le monde étaient certifiées ISO 14001. Au total, ce sont donc plus de 1,1 millions
d’organisations qui étaient certifiées aux deux principaux systèmes de gestion ISO en 2007
dans le monde. Et ce nombre continue de croître à un rythme de près de 15% par an (voir
figure 1).
Figure 1 : nombre total de certifications ISO 9001 et ISO 14001 dans le monde (International
Organization for Standardization, 2007)
1 200 000
1 000 000
800 000
600 000
400 000
200 000
0
2002
2003
2004
2005
2006
2007
Cette croissance s’explique par la reconnaissance internationale et par le caractère générique
des systèmes de gestion ISO, qui entendent s’appliquer à une grande variété d’organisations.
Ainsi, la norme ISO 9001 est aujourd’hui largement utilisée dans des secteurs industriels aussi
divers que l’aérospatiale, les pâtes et papiers, l’aéronautique, ou encore la construction.
Cependant, c’est aujourd’hui dans les services et dans le secteur public que la croissance du
nombre de certifications est la plus forte. La même tendance peut être observée au niveau de
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Certification ISO et création de valeurs : retour d’expérience et implications managériales.
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la certification ISO 14001. Bien que cette norme ait été au départ surtout appliquée dans le
secteur manufacturier, de plus en plus de municipalités, d’entreprises publiques, d’hôpitaux,
ou encore d’entreprises de transport sont certifiés ISO 14001. C’est le cas par exemple du port
de Huston qui a été, en 2002, le premier port Américain à obtenir la certification ISO
14001(Hinds, 2007).
Pour répondre aux exigences spécifiques de certains secteurs ou s’adapter à des
problématiques émergentes, l’International Organization for Standardization a développé,
depuis le début des années 2000, une dizaine de nouvelles normes de gestion ISO. C’est le cas
par exemple de la norme ISO/TS 16949, lancée en 2002, et qui propose des exigences
spécifiques pour l’application de la norme ISO 9001 dans le secteur automobile. Aujourd’hui,
cette norme est utilisée par les principaux constructeurs automobiles. Ainsi, plus de 80% des
automobiles et des camions produits dans le monde contiennent des composants qui fabriqués
dans des organisations utilisant le système ISO/TS 16949 (Gryn, 2003). D’autres normes ISO,
reposant sur un système de gestion similaire à ISO 9001 et ISO 14001 ont été développées
dans le domaine de la sécurité alimentaire, de la sécurité de la chaine d’approvisionnement,
du gaz et du pétrole, des appareils médicaux etc. Une des normes les plus attendues est le
système ISO 26000 sur la responsabilité sociale des organisations, qui est sortie en 2010.
Ainsi, qu’il s’agisse d’améliorer la satisfaction de la clientèle d’une banque, de mesurer et
réduire les émissions de gaz-à-effet de serre d’une usine chimique, d’accroître la productivité
d’une entreprise de sécurité, ou encore de mettre en place une politique environnementale
dans une municipalité, les normes ISO proposent des guidelines qui semblent pouvoir
s’adapter aux situations les plus variées. Et contrairement à une opinion répandue, ce ne sont
plus les pays Européens et les nations riches qui expliquent l’augmentation continue du
nombre de certifications ISO. L’essentiel de cette augmentation provient aujourd’hui des pays
en développement, en particulier la Chine et l’Inde. Ainsi, la Chine était en 2006 le premier
pays en terme de certification ISO 9001 avec plus de 160000 organisations certifiées, et le
second en ce qui concerne ISO 14001, avec près de 19000 certifications (International
Organization for Standardization, 2007). Les normes de gestion ISO sont aujourd’hui utilisées
dans la plupart des secteurs d’activités chinois, y compris pour l’organisation d’évènements
internationaux. Par exemple, le comité organisateur des jeux Olympiques de Beijing a décidé
d’adopter la norme ISO 14001 pour promouvoir des jeux verts en 2008 (Fan, 2006).
Il est clair que l’objectif visé par le comité organisateur des jeux Olympiques de Beijing n’est
pas seulement environnemental. Il s’agit également de promouvoir l’image verte d’un
évènement international largement médiatisé et se déroulant dans une ville aux prises avec des
problèmes environnementaux sérieux. De façon générale, la mise en place des systèmes de
gestion ISO répond souvent à des objectifs marketings et peut avoir des impacts commerciaux
directs, en particulier pour les entreprises qui exportent sur les marchés internationaux. C’est
le cas en particulier de la certification ISO 9001, souvent exigée dans les appels d’offres
internationaux. Avec la croissance du nombre de concurrents chinois et européens certifiés,
les systèmes de gestion ISO ne représentent plus nécessairement un avantage compétitif. Ils
sont souvent une condition de survie pour les entreprises et représentent une sorte de
passeport pour accéder aux marchés internationaux.
3. Promouvoir les meilleures pratiques?
Si les dirigeants adoptent souvent les normes ISO pour répondre à des pressions externes, ces
normes constituent d’abord et avant tout des systèmes de gestion supposés améliorer les
pratiques internes. L’adaptabilité et la pertinence de ces systèmes vient de leur simplicité et de
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Certification ISO et création de valeurs : retour d’expérience et implications managériales.
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la prise en compte de pratiques reconnues. Ainsi, à la base, la structure de tous les systèmes
de gestion ISO est similaire et repose sur des principes assez simples pouvant s’adapter à
divers types d’organisation: plan, do, check, act. Les systèmes de gestion ISO intègrent
également des recommandations plus techniques qui ont été considérées comme des best
practices par les groupes d’experts internationaux à l’origine de la création de ces normes. Le
processus de certification par des auditeurs externes tend à renforcer la reconnaissance
internationale et la crédibilité de ces systèmes de gestion.
Cependant, malgré les discours souvent élogieux véhiculés par des consultants et des
entreprises certifiées, le processus de certification et les soit disant meilleures pratiques
proposées par les normes ISO sont loin de faire l’unanimité. Le CEO d’une grande entreprise
produisant des produits de salle de bains et des spas nous déclarait ainsi récemment qu’une
des décisions dont il se félicitait le plus était d’avoir abandonné la certification ISO 9001 et
ISO 14001 en raison des lourdeurs administratives engendrées par ces systèmes. Ce type
d’attitude n’est pas exceptionnel. En fait, si globalement le nombre de certifications aux
systèmes de gestion ISO augmente rapidement dans le monde, il tend à stagner voire à
diminuer dans certains pays. C’est le cas par exemple en Angleterre et en France
(International Organization for Standardization, 2007). Dans d’autres pays riches, comme les
USA, le nombre de certifications ISO demeure relativement faible par rapport à la taille de
l’économie. Plusieurs raisons structurelles liées au niveau d’ouverture des économies, aux
délocalisations dans des pays comme la Chine, à la croissance des certifications multi-sites,
ou encore à des aspects culturels peuvent expliquer cette relative stagnation. Cependant, la
réticence des dirigeants à adopter ou à renouveler la certification ISO s’explique le plus
souvent par ses impacts incertains et les résistances internes que peut soulever une telle
démarche.
En premier lieu, si la certification permet souvent de répondre aux demandes des clients et
d’améliorer l’image de l’entreprise, ces avantages tendent à s’émousser avec la croissance du
nombre d’organisations certifiées et la banalisation des normes ISO. Pour de nombreux
dirigeants, ces avantages sont d’autant plus discutables que les impacts réels de la certification
ISO 9001 ou ISO 14001 sur l’amélioration des performances et des pratiques internes sont
loin d’être clairement établis. Ainsi, si de nombreuses études ont souligné les bénéfices de la
certification ISO 9001 sur l’amélioration de la qualité des produits, des relations avec les
clients, de la motivation des employés, ou encore de la rigueur des pratiques de gestion
(Standards Council of Canada, 2000; Naveh and Marcus 2005; Bhuiyan and Alam, 2005),
d’autres travaux ont remis en cause ces bénéfices (Walgenbach, 2001; Boiral, 2003; Quazi,
Hong and Meng, 2002). Le même type de remarque s’applique au sujet de la certification ISO
14001. Ainsi, si certaines recherches ont montré que les organisations certifiées ISO 14001
tendaient à avoir de meilleures performances environnementales et économiques (Potoski and
Prakash, 2005; Standards Council of Canada, 2000; Goh, Suhaiza and Nabsiah, 2006),
d’autres ont remis en cause cette relation positive (Rana and Mori, 2003; Jiang and Bansal,
2003; Boiral, 2007). De façon générale, plus de 20 ans après l’apparition des premières
normes de gestion ISO et malgré leur croissance exponentielle l’efficacité de l’adoption de
tels systèmes demeure toujours controversée. C’est le cas par exemple dans l’industrie du
jouet, qui est aujourd’hui très largement délocalisée en Chine. La certification ISO 9001 de
nombreux sous-traitants chinois n’a manifestement pas empêchée la crise de 2007, liée au
retour de millions de jouets en raison de non conformités par rapport aux normes de sécurité
sur les produits destinés aux enfants.
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Certification ISO et création de valeurs : retour d’expérience et implications managériales.
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En deuxième lieu, de nombreux dirigeants craignent que la mise en place des normes ISO
entraîne certains effets pervers à l’intérieur des organisations. La paperasse et la lourdeur
bureaucratique associées à ces normes sont souvent dénoncées (Seddon, 1997; Jiang and
Bansal, 2003; Boiral, 2003). La certification exige en effet une documentation détaillée des
pratiques de gestion prescrites par la norme. Le principe « écrire ce qu’on fait, faire ce qu’on
écrit » qui est à la base de cette documentation n’a pas que des inconvénients. Il permet en
effet souvent d’apporter plus de rigueur et de continuité aux pratiques internes. Il favorise
également l’apprentissage organisationnel et la formation de nouveaux employés peu
familiarisés avec les pratiques de l’organisation. Cependant, la création et la mise à jour de
cette documentation représente un défi pour de nombreux managers, en particulier dans les
PME. Le style de direction des dirigeants et la culture de l’entreprise peuvent également être
peu en phase avec le formalisme et la logique « top-down » des normes ISO. Contrairement à
une opinion répandue, ces normes reposent en définitive sur des principes de gestion
traditionnels qui peuvent aller à l’encontre du style de gestion informel et participatif de
certaines organisations. Enfin, les coûts découlant de l’adoption des normes ISO peuvent
dissuader les dirigeants. Ces coûts ne sont pas seulement liés à l’intervention de consultants et
d’auditeurs externes. Ils découlent surtout du temps nécessaire à la mise en place et au suivi
des systèmes de gestion ISO.
Dans ce contexte, les dirigeants sont souvent réticents à adopter ces systèmes, à moins qu’ils y
soient réellement contraints par des clients ou que cela représente un avantage clairement
démontrable. De plus, les changements organisationnels résultant de l’adoption des normes
ISO peuvent susciter des résistances voire des oppositions internes. La plupart du temps, ces
résistances internes sont sous-estimées voire ignorées dans les études sur la certification ISO.
En effet, ces études sont généralement effectuées auprès des dirigeants et des responsables
ISO qui sont portés à défendre les bénéfices du système qu’ils ont mis en place.
Les centaines d’entretiens que nous avons menés à l’intérieur et à l’extérieur des organisations
auprès de dirigeants et d’employés travaillant quotidiennement avec ces normes montrent que
l’optimisme des discours officiel est souvent peu représentatif de la réalité vécue à l’intérieur
des organisations. Ainsi, si la majorité des responsables ISO des organisations étaient
enthousiastes par rapport à ces normes et à leurs bénéfices internes, environ 40% des
personnes interviewées étaient plutôt des intégrateurs rituels de ces normes. Pour ces
intégrateurs rituels, la prise en compte des systèmes ISO dans les activités quotidiennes était
assez superficielle et visait surtout à répondre, en surface, aux exigences du processus de
certification. Enfin, 20% des répondants, en particulier des employés, étaient plus ou moins
ouvertement opposés au processus de certification qui semblait en définitive apporter plus
d’inconvénients que d’avantages.
De façon paradoxale, ces résistances internes par rapport à la certification ne remettent pas
directement en cause la pertinence de ces normes. En effet, la plupart du temps, les bénéfices
et les problèmes internes rencontrés découlent moins des normes ISO elles-mêmes que de la
façon dont elles sont perçues, mises en œuvre, et gérées dans les organisations. Malgré leur
apparence très technique et uniforme, les normes de gestion ISO ne constituent pas des
systèmes monolithiques, prévisibles, et qui signifient la même chose d’une entreprise à une
autre. Elles représentent plutôt des guidelines assez souples dont l’utilisation et l’efficacité
sont très variables d’une organisation certifiée à une autre. Dans ce contexte, ce n’est pas le
fait d’être ou non certifié qui importe, mais plutôt la façon dont les dirigeants peuvent réussir
la mise en œuvre de ces systèmes tout en évitant certains effets pervers.
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L’observation de nombreux cas d’entreprises certifiées montre que les raisons qui expliquent
les difficultés ou les réussites de la mise en œuvre des normes ISO sont souvent les mêmes.
La mise en lumière de ces raisons à partir du discours et de l’expérience des dirigeants
d’organisations certifiées permet de mieux comprendre les pièges à éviter et les facteurs de
réussite des systèmes de gestion ISO.
4. Éviter les effets pervers de la certification ISO
Quelles que soient les
Méthode de recherche
raisons à l’origine de la
Le principal défi pour analyser les implications internes des
mise en place des systèmes
systèmes de gestion ISO est d’aller au-delà des discours
de
gestion
ISO,
les
officiels optimistes sur ces normes et de permettre
conséquences du processus
l’expression de différents points de vue sur la question.
de certification sont souvent
Plusieurs approches peuvent permettre de dépasser les
inattendues et peuvent se
discours politiquement corrects (Detert and Edmonson,
traduire par des effets
2007; Zracki, 1998; Morrisson and Miliken, 2000) sur
pervers qui sont trop
l’expérience interne de la certification ISO : ne pas limiter
souvent occultés par la
l’étude aux responsables des normes ISO, privilégier des
rhétorique optimiste sur ces
entretiens individuels approfondis, réaliser ces entretiens
normes. Ces effets pervers
non seulement à l’intérieur mais aussi à l’extérieur du
sont interdépendants et
milieu de travail, diversifier les méthodes d’investigation.
peuvent donc se renforcer
Nous avons adopté ces différentes approches depuis une
mutuellement. Ils reflètent
dizaine d’années dans le cadre de plusieurs études
le plus souvent une
qualitatives visant à comprendre les implications et les
mauvaise préparation de
perceptions internes des systèmes de gestion ISO 9001 et
l’organisation
ou
une
ISO 14001. Ainsi, une étude de cas, menée en 1996 auprès
méconnaissance
des
de 80 employés et dirigeants du groupe Alcan, fut la
implications concrètes de
première du genre à analyser les perceptions internes de la
l’adoption des systèmes
certification ISO 14001. Une autre étude de cas, menée au
ISO.
L’observation
de
milieu des années 2000 auprès de 82 individus travaillant
nombreux cas d’entreprises
dans 9 usines certifiées ISO 14001 a permis de mieux
certifiées montre que les
comprendre les implications internes de cette norme.
écueils des systèmes de
Concernant la certification ISO 9001, les études ont
gestion ISO peuvent le plus
principalement porté sur 47 entretiens réalisés à l’extérieur
souvent être évités et ont
du milieu de travail et sur 60 entretiens réalisés à l’intérieur
cinq principales causes :
du milieu de travail.
- la recherche d’une
Au total, environ 270 entretiens sur les systèmes de gestion
certification
ISO ont donc été réalisés. Lors de ces entretiens, les écueils
commerciale;
à éviter et les conseils pour la réussite de la certification ont
- l’externalisation du
systématiquement été abordés. Tous les entretiens ont été
processus de mise
enregistrés et transcrits mots à mots sur traitement de texte.
en œuvre;
Le traitement de ces transcriptions à partir d’un logiciel
- l’inadaptation et les
d’analyse qualitative a permis de catégoriser les données
excès
de
la
recueillies et de mettre en lumière des problèmes récurrents
documentation;
associés aux systèmes de gestion ISO. Ce processus de
- l’insuffisance
des
catégorisation a également permis d’extraire des citations
moyens mis en
représentatives des écueils et des facteurs de réussites qui
place;
É
- le manque de suivi et de continuité du système.
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La recherche d’une certification à des fins surtouts commerciales est un des écueils les plus
évidents. Ainsi, de trop nombreuses organisations considèrent la certification comme une fin
en soi et comme une sorte de certificat commercial beaucoup plus que comme un moyen
d’améliorer les pratiques internes. Cette attitude découle souvent des pressions externes pour
la certification et du manque de motivations internes par rapport à la pertinence intrinsèque
des normes ISO. Dans ce contexte, certaines organisations répondent à ce type de pression de
façon superficielle, sans véritablement chercher à améliorer ou à remettre en cause leurs
pratiques à travers le processus de certification. Cette attitude se traduit par une intégration
assez rituelle de la norme et par une dissociation entre les discours externes sur la certification
ISO et ce qu’elle représente réellement à l’intérieur des organisations. Cette dissociation se
reflète en particulier lors de la préparation des audits de certification. La conformité de
l’organisation étant très incertaine, la préparation à ces audits tend à reposer surtout sur une
approche procédurière qui vise à mettre à jour, souvent à la dernière minute, la documentation
ISO. Ce type d’attitude semble plus fréquent dans le cas de la certification ISO 9001, qui est
souvent exigée par les clients sans que les dirigeants perçoivent nécessairement la pertinence
opérationnelle de ce système. Cependant, certaines entreprises adoptent également ISO 14001
pour des raisons d’image plus que de gestion interne. C’est le cas par exemple d’une
entreprise minière qui avait adopté ISO 14001 principalement pour répondre à une crise
environnementale très médiatisée. Comme l’explique un employé de cette entreprise « ISO,
c’est un moyen de sauver la face, c’est une couverture ». L’intégration de la norme et la
préparation du processus de certification ont donc été faits de façon assez superficielle et
rituelle : « ISO 14001, c’est un genre de grand ménage de printemps. Pas longtemps avant
d’avoir notre audit de certification, nous entendons parler d’environnement partout dans
l’usine. C’est un genre de sujet du jour, jusqu’à ce que les auditeurs soient partis ».
Malgré ses aspects parfois rituels, la réponse aux pressions externes est généralement
essentielle et peut contribuer à renforcer les motivations pour la réussite de l’implantation des
systèmes de gestion ISO. Cependant, pour que ces pressions externes contribuent à de réelles
améliorations internes, il est essentiel que la mise en œuvre des normes ISO soit autant que
possible prise en charge par l’organisation elle-même. Trop souvent, les organisations tendent
à sous-traiter une grande partie du processus de mise en œuvre d’ISO à des consultants
externes ou encore à des cadres qui ont peu d’expérience dans l’organisation. Cette démarche
d’externalisation tend à créer un système de gestion qui, sur le papier, semble conforme aux
exigences d’ISO mais qui, en pratique, est peu adapté aux besoins de l’organisation. De façon
générale, une trop grande externalisation du processus d’implantation rend l’organisation
dépendante d’intervenants externes, tend à réduire l’appropriation du système ISO par les
employés, et à rendre sa mise à jour plus difficile. Ces écueils ne remettent pas en cause la
pertinence de recourir à des consultants externes pour accompagner l’organisation.
Cependant, pour mettre en place un système de gestion répondant aux besoins internes, les
consultants doivent avoir une bonne connaissance des activités de l’organisation et travailler
en étroite collaboration avec les employés. Cette collaboration est particulièrement importante
dans la rédaction de la documentation ISO, qui ne doit pas être déléguée mais être faite autant
que possible par ceux qui vont utiliser ces documents. Comme l’indique le responsable qualité
d’une entreprise industrielle certifiée ISO 9001 :
« La pire chose est d’avoir affaire avec un consultant qui vous dit laissez-moi faire, je
sais ce qu’il faut faire, je vais vous écrire les procédures, vous allez être ISO 9000, etc.
En faisant cela, vous serez peut-être certifié, mais vous risquez de vous mettre
beaucoup de monde à dos dans l’entreprise. Parce que si les personnes qui travaillent
avec ISO ne sont pas impliqués, ils vont dire que les procédures ne correspondent
simplement pas à ce qu’ils font. »
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Certification ISO et création de valeurs : retour d’expérience et implications managériales.
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La tendance à sous-traiter la mise en œuvre de la norme est souvent motivée par la volonté
des dirigeants de limiter et d’externaliser la paperasse de la certification ISO. Cette paperasse
et les lourdeurs bureaucratiques qu’elle entraîne sont probablement la critique la plus
fréquemment adressée aux systèmes de gestion ISO. D’une part, de nombreux répondants ont
souligné la lourdeur de la création de la documentation ISO, qui mobilise souvent beaucoup
de temps et de ressources. Pour plusieurs répondants, en particulier dans les PME, le temps
passé à rédiger la documentation plutôt qu’aux activités habituelles de production a même eu
un impact négatif sur la productivité. D’autre part, le suivi et la mise à jour de cette
documentation sont souvent perçus comme lourds et complexes, en particulier dans les
milieux de travail où le taux d’analphabétisme est élevé. Enfin, la documentation ISO est
considérée par certains comme peu utile et surtout destinée à favoriser le processus d’audit et
de certification. Ces critiques, évoquées par près de la moitié des répondants, découlent le
plus souvent d’une perception erronée du rôle de la documentation et d’un mauvais usage de
cette dernière. Ainsi, trop d’organisations considèrent au départ la documentation ISO comme
un mal nécessaire plutôt que comme un moyen de clarifier et de pérenniser les bonnes
pratiques. La raison d’être de la documentation étant au départ mal comprise, sa mise en place
tend à apparaître comme un fardeau. De plus, beaucoup de dirigeants ont des difficultés à
doser le niveau de détail, l’étendue, le contenu, et la forme de la documentation. Ainsi, la
documentation est souvent trop complexe et inadaptée aux besoins de l’organisation.
L’utilisation de photos, de dessins, et de logiciels pour gérer les systèmes ISO peut contribuer
à rendre la documentation plus conviviale. Cependant, c’est surtout la forme de la
documentation, souvent trop technique ou, au contraire, trop floue et peu opérationnelle, qui
représente le principal écueil. Ces propos d’un gestionnaire d’une grande entreprise de service
certifiée ISO 9001 sont assez représentatifs des problèmes découlant d’une documentation
inadaptée :
« On s’est retrouvé avec beaucoup de classeurs et de fiches techniques. Le problème
majeur de tout cela, c’est au niveau de la forme. La plupart des documents pour la
certification ISO contiennent des choses illisibles, imbuvables, et des mots derrière
lesquels personne ne met le même sens. C’est une question de langage. Pour ma part,
je préfèrerai avoir une documentation plus simple et plus imagée ».
Si la documentation excessive et les lourdeurs qui en découlent représentent des écueils
majeurs, cela ne signifie pas pour autant qu’il soit souhaitable de privilégier une mise en
œuvre allégée et rapide des systèmes ISO. Au contraire, de nombreuses organisations sousestiment le temps, les efforts, et les moyens nécessaires pour réussir le processus de
certification. C’est souvent le cas lorsque l’entreprise cherche à adopter rapidement un
système de gestion ISO en réponse à la demande pressante d’un client ou d’une autre partieprenante. Quelles que soient ses raisons, le manque de temps et de ressources humaines et
financières pour l’adoption d’ISO risquent fort de déboucher sur une mise en œuvre
superficielle, voire de soulever des résistances une fois le système en place. Ainsi, de façon
paradoxale, aucun des dirigeants rencontrés ne s’est vanté d’avoir mis en œuvre la norme
adoptée avec peu de ressources et dans des délais record. Au contraire, la patience,
l’implication de nombreuses personnes, et l’absence de précipitation dans la mise en œuvre
apparaissent comme essentielles à l’intégration d’un système de gestion ISO, qui exige
souvent 1,5 à 3 ans. De tels délais sont généralement nécessaires pour bien identifier les
besoins de l’organisation, expliquer l’importance de la certification, mobiliser les employés,
mettre en place une équipe efficace pour l’implantation du système, choisir les bons
consultants, rédiger la documentation, changer certains comportements, préparer les audits,
etc. De façon générale, l’adoption de la norme devrait être appréhendée moins comme un
objectif en soi que comme un processus d’apprentissage collectif exigeant la création et le
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Certification ISO et création de valeurs : retour d’expérience et implications managériales.
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partage de nombreuses connaissances. Comme l’explique un cadre intermédiaire d’une usine
certifiée ISO 14001 produisant des autobus:
« Il ne faut pas y aller trop rapidement, mais plutôt par étapes. Si on implante ISO trop
d’un coup, cela occasionne des irritants et des réticences de la part des employés. Les
gens se demandent quoi faire avec tout cela et, finalement, ils ne font rien du tout. Il
vaut mieux prendre le temps d’assimiler les nouveaux concepts, les nouvelles
habitudes à avoir, et vérifier que tout est correct. »
L’apprentissage organisationnel qui accompagne la mise en œuvre de la norme ISO ne doit
pas s’arrêter une fois la certification obtenue, mais doit se poursuivre ensuite. En effet, de
nombreuses organisations ont de la difficulté à maintenir actifs le système ISO et son
utilisation quotidienne après l’audit de certification. Dans ce contexte, même si l’organisation
est conforme aux prescriptions du système ISO au moment de l’audit de certification, ce n’est
plus nécessairement le cas ensuite. Cette difficulté n’est pas seulement liée à une mise en
œuvre superficielle de la norme, à la dépendance par rapport aux consultants, ou encore à une
documentation inadaptée. Elle découle également souvent d’une vision trop mécaniste du
système ISO, de la perte du momentum qui accompagne sa mise en œuvre initiale, et du
relâchement souvent constaté entre deux audits. En effet, certains dirigeants et certains
consultants considèrent implicitement les systèmes ISO comme une sorte de technologie
organisationnelle qui, une fois mise en place, est supposée fonctionner de façon relativement
autonome. Plusieurs recommandations de ces systèmes, en particulier en ce qui concerne la
réalisation régulière d’audits, la revue de direction, et le principe d’amélioration continue
visent pourtant à maintenir, à mettre à jour, et à améliorer le système en place. Cependant, de
façon paradoxale, ces principes peuvent renforcer l’illusion que les normes ISO fonctionnent
de façon quasi automatique, à la manière d’une mécanique bien huilée ne nécessitant que
quelques réglages ponctuels de précision. Un des principaux défis de la plupart des
responsables ISO est de maintenir le système en vie de façon continue et non de façon
ponctuelle au moment des audits et des revues de direction. Ces propos d’un responsable ISO
9001 d’une grande entreprise industrielle sont assez représentatifs de l’opinion de la majorité
des dirigeants interviewés :
« Il faut avant tout que le système ISO 9000 soit vivant, et, pour cela, il faut
constamment rappeler de l’utiliser. Moins le système est utilisé, plus les gens en ont
peur et pensent que c’est une grosse affaire. Alors, ils laissent cela dans un tiroir et ils
n’y touchent pas. Si on y touche seulement une fois par année pour les audits, ce n’est
pas cela qui va rendre le système vivant ».
5. Améliorer les pratiques et créer de la valeur
Les écueils et les remises en causes concernant la mise en œuvre des systèmes de gestion ISO
concernent clairement moins les normes elles-mêmes que la façon dont elles sont perçues,
utilisées, et gérées dans les organisations. La même remarque s’applique dans une large
mesure pour les bénéfices internes découlant de l’adoption de ces systèmes. Ainsi,
contrairement à ce que laissent entendre la plupart des études sur les bénéfices internes des
systèmes ISO, ce n’est pas le fait d’être certifié ou non qui importe, mais plutôt la façon dont
la norme est internalisée dans l’organisation. Les améliorations au niveau de la qualité, de la
réduction des rebuts et des déchets, du meilleur contrôle des pratiques, ou encore de la
formation des employés sont donc loin d’être automatiques. Elles découlent du respect d’un
certain nombre de principes et de conditions qui permettent ou non d’utiliser les normes ISO
comme des moyens efficaces d’améliorer les pratiques internes et les performances. Au cours
des nombreux entretiens réalisés, plusieurs facteurs de succès interdépendants sont apparus
particulièrement importants:
- intégrer la raison d’être et les objectifs fondamentaux de l’organisation;
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-
expliquer clairement le pourquoi de la certification;
démontrer la conviction et le support des dirigeants;
utiliser les systèmes ISO comme des leviers pour mobiliser les employés;
adapter la norme à l’organisation et non l’inverse.
La première condition pour bénéficier pleinement des avantages potentiels des systèmes de
gestion ISO est de définir au départ clairement les objectifs de ces systèmes et leurs liens avec
la mission de l’organisation. Pourquoi au juste déciderait-on d’adopter la norme? Quels sont
les avantages internes que l’on peut et que l’on souhaite en tirer? En quoi ces avantages sont
réellement en phase avec la mission et les objectifs stratégiques de l’organisation? Soulever
ces questions et pouvoir y répondre clairement est nécessaire pour mettre en place un système
apportant une réelle valeur ajoutée à l’organisation. Centrer les systèmes ISO sur les activités
essentielles permet également de limiter la paperasse liée à des procédures à faible valeur
ajoutée et de renforcer les motivations internes pour réussir l’adoption de ces normes. Trop
souvent, les avantages intrinsèques de cette mise en œuvre sont peu clairs et les dirigeants
semblent surtout répondre à un effet de mode, d’imitation des concurrents, ou de réaction à
des pressions externes. Dans ce contexte, les normes ISO tendent à être considérées comme
des outils techniques et les organisations profitent rarement pleinement de leur potentiel pour
accroître leurs performances. Ce potentiel est lié en particulier à la souplesse et à
l’architecture ouverte de ces normes, qui peuvent facilement intégrer les objectifs et les
pratiques essentielles à la compétitivité et à la survie des organisations. Cela s’applique
clairement à la norme ISO 9001, qui est centrée sur la satisfaction des clients. C’est aussi le
cas, dans une certaine mesure, pour la norme ISO 14001, qui peut permettre de mettre en
place une politique de développement durable contribuant à la légitimité sociale voire à la
pérennité de l’organisation. Quels que soient les objectifs visés par les dirigeants, les normes
ISO ne devraient être adoptées que si leur raison d’être, leur valeur ajoutée, et leurs liens avec
la mission de l’organisation ont été au départ clairement établies. Comme l’explique le
dirigeant d’une PME de service certifiée ISO 9001 :
« On veut d’abord que la norme nous rapporte quelque chose ici. On a eu de longues
discussions avec les auditeurs pour éviter l’ajout de nouveaux enregistrements qui
n’apportaient pas de valeur ajoutée. Ici, on a implanté la norme parce qu’on savait que
cela apporterait une plus-value. Il faut éviter tout ce qui n’apporte pas de plus-value,
parce que c’est des coûts et que cela ne donne rien du tout. »
La raison d’être des normes ISO et leurs liens avec les objectifs fondamentaux de
l’organisation ne doivent pas seulement être clairs pour les dirigeants. Ils doivent l’être
également auprès des cadres intermédiaires et des employés qui auront à travailler au
quotidien avec ces systèmes et à en supporter éventuellement certaines lourdeurs. Pourtant, au
cours des nombreux entretiens réalisés, nous avons été surpris par la méconnaissance des
normes et de leur utilité par un grand nombre d’employés travaillant dans des organisations
certifiées. Ainsi, il n’était pas rare que des répondants ignorent à peu près tout des systèmes
de gestion ISO implantés dans leur propre milieu de travail, y compris, dans certains cas, leur
existence même. Ce manque de connaissance passe la plupart du temps inaperçu dans les
études sur ces systèmes qui tendent à associer le point de vue du responsable ISO à celui de
l’organisation dans son ensemble. De façon générale, les actions d’information et de
formation sont indispensables pour éviter que l’adoption de la norme ISO soit uniquement
l’affaire de quelques spécialistes de qualité ou d’environnement. Ainsi, l’intégration des
systèmes de gestion ISO suppose que les employés ne soient pas surpris par l’adoption de ce
type de norme, soient placés devant le fait accompli, s’interrogent sur l’utilité du système, ou
encore sur leur rôle par rapport à ce dernier. Les efforts de communication seront d’autant
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plus efficaces que les dirigeants parviendront à démontrer les avantages de la certification non
seulement pour l’organisation en général, mais surtout pour les utilisateurs du système:
développement de programmes de formation, maintien des emplois liés à des contrats
exigeant la certification, clarification de certaines procédures, etc. Un opérateur de procédé
d’une grande entreprise industrielle certifiée ISO 14001 explique :
« Pour moi, la première condition, c’est qu’il faut bien informer les gens. Il faut
vendre l’idée qu’ISO va améliorer leur travail et, donc, qu’ils vont en retirer un
bénéfice. C’est important pour que les gens soient ouverts à faire des changements. Il
faut présenter cela comme un processus d’amélioration et non pas comme un
processus de punition. »
Pour être efficace, la promotion des systèmes ISO auprès des employés suppose que les
dirigeants soient eux-mêmes convaincus par ce type de norme et participent activement à leur
mise en œuvre. La certification garantie, en théorie, ce type d’engagement. En effet, les
systèmes ISO reposent sur une logique top down et exigent la participation des dirigeants à la
mise en place de politiques, de programmes, et de mécanismes de suivis de la norme.
Cependant, cette participation manque souvent de conviction et se limite à un engagement de
type administratif plus qu’à un véritable leadership en la matière. Ce manque de leadership est
généralement la principale raison de l’existence d’un grand nombre d’intégrateurs rituels et de
dissidents par rapport à la norme. Ainsi, plusieurs responsables ISO nous ont indiqué que la
principale difficulté n’était pas de convaincre les employés mais plutôt les dirigeants euxmêmes! La conviction personnelle des dirigeants et leur capacité à démontrer leur
enthousiasme par rapport aux normes ISO sont beaucoup plus importantes que la signature
d’une politique ou la participation à des comités. C’est en effet cette conviction et cet
enthousiasme qui permettent de mobiliser les employés, de mettre en place les ressources
nécessaires, de convaincre des cadres intermédiaires réticents, ou encore de maintenir le
système en place malgré les difficultés et les autres priorités de l’organisation. L’observation
de nombreux cas d’organisations certifiées montre que cet engagement ne dépend pas
seulement d’objectifs rationnels, mais aussi d’aspects émotionnels et d’une sorte d’acte de foi
par rapport aux normes ISO. Comme l’indique un cadre intermédiaire d’une PME
industrielle certifiée ISO 9001:
« La direction doit être réellement convaincue. Sinon, il y aura toujours une autre
priorité. Il faut qu’elle soit convaincue au départ par la philosophie de la norme,
convaincue que cela vaut la peine d’investir du temps et de l’argent. Il faut vraiment y
croire, pour moi c’est ce qu’il y a de plus important ».
La mobilisation des dirigeants et des employés ne doit pas concerner seulement les systèmes
ISO mais surtout les préoccupations qu’ils sont censés véhiculer. Trop souvent, la
certification ISO est envisagée comme une sorte de diplôme organisationnel venant de
l’extérieur que les dirigeants cherchent à acquérir à moindre coûts en suivant une logique top
down. Dans ce contexte, la mobilisation des employés est surtout sollicitée pour réussir l’audit
de certification. Ces audits apparaissent comme une sorte d’examen de passage plutôt que
comme une opportunité d’améliorations et de remises en cause. Les organisations qui ont
retiré le plus de bénéfices des systèmes ISO sont parvenues à utiliser le processus de
certification comme un réel tremplin pour mobiliser les employés autour des questions de
qualité ou d’environnement. D’une part, ce processus peut servir à mettre en place de
nouvelles pratiques à travers une démarche de collaboration entre les employés, les dirigeants,
et éventuellement les consultants externes. C’est souvent le cas dans les PME, qui peuvent
utiliser les systèmes de gestion ISO pour initier des politiques de qualité et d’environnement
qui n’existaient pas auparavant. D’autre part, l’obtention de la certification ISO peut être un
levier pour renforcer la fierté des employés et leur sensibilisation à des enjeux qui ne sont pas
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Certification ISO et création de valeurs : retour d’expérience et implications managériales.
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toujours perçus comme prioritaires. Enfin, le processus de certification peut permettre de
formaliser certains savoirs tacites et de consulter les employés sur la façon d’améliorer les
pratiques en place. Cette démarche bottom-up d’écoute et de prise en compte des savoirs
tacites favorise l’appropriation des systèmes ISO par les employés et contribue à remettre en
cause leur image souvent abstraite, bureaucratique, et imposée de l’extérieur. Ces propos d’un
opérateur de procédé d’une grande entreprise industrielle certifiée ISO 14001 sont assez
représentatifs du discours des répondants :
« Il faut que les employés soient motivés et, pour ce faire, ils doivent être consultés. Il
ne faut pas seulement qu’ils soient informés, il faut aussi qu’ils soient d’accord. Si la
direction veut imposer ISO mais que les employés ne sont pas d’accord, cela n’ira pas
bien loin; ça va être comme un système de papier. Mais si les employés se sentent
consultés et impliqués, c’est certain que ça va marcher. »
La mobilisation et la consultation des employés ne sont pas seulement essentielles pour
internaliser les préoccupations de qualité ou d’environnement véhiculés par les systèmes ISO.
De façon plus importante encore, ils permettent de mettre en place des systèmes mieux
adaptés aux pratiques de travail existantes. En effet, les systèmes de gestion ISO n’ont pas
pour principal objectif de révolutionner les pratiques en place, mais plutôt de structurer et de
pérenniser les meilleures pratiques. Dans ce contexte, il ne s’agit pas d’adapter l’organisation
aux systèmes ISO mais plutôt les systèmes ISO à l’organisation. Pour y parvenir, il est
essentiel, lorsque c’est possible et pertinent, d’intégrer les politiques, les procédures, et la
documentation déjà en places. Une telle démarche contribue à éviter la création d’un système
de gestion trop éloigné des réalités du terrain ou perçu comme trop complexe. Cela permet
également de cibler les nouvelles procédures et les changements apportés par les normes ISO
sur des améliorations jugées réellement nécessaires. Plutôt que de partir de zéro, les
organisations devraient donc, dans un premier temps, analyser les écarts entre les
prescriptions des systèmes de gestion ISO et les pratiques de l’organisation. Dans un
deuxième temps, elles devraient s’attacher à réduire ces écarts de façon aussi simple et
efficace que possible. De façon générale, l’adaptation du système ISO aux réalités de
l’organisation sera d’autant plus aisée qu’il sera possible de capitaliser sur des procédures déjà
en place, bien documentées et répondant aux besoins internes. Comme l’explique un
technicien environnement d’une grande entreprise industrielle certifiée ISO 14001 :
« D’après moi, il faut avoir un système de management déjà en place et non pas
prendre ISO et essayer de bâtir un tout nouveau système à partir de la norme. Nous, on
avait un système déjà en place, même si on n’utilisait pas le même vocabulaire
qu’ISO. C’est pourquoi la mise en œuvre de la norme s’est très bien passée. ISO
14001 nous a surtout permis d’encadrer nos façons de faire et de corriger quelques
points. »
6. Conclusion
Au cours des nombreux entretiens réalisés à l’intérieur et à l’extérieur du milieu de travail,
nous avons été frappés par la très grande diversité des expériences sur les systèmes ISO. Cette
diversité remet en cause les perceptions qui circulent sur ces normes, qui sont trop souvent
appréhendées comme une réalité homogène, partagée par toutes les organisations certifiées, et
dont les impacts sont assez prévisibles. Il apparaît au contraire que les systèmes ISO peuvent
représenter des réalités très différentes suivant les organisations et les individus qui travaillent
avec ces systèmes. Ainsi, contrairement à ce que laissent entendre les banderoles et les
publicités sur la question, l’appellation certifié ISO 9001 ou ISO 14001 ne veut, en soi, pas
dire grand-chose. En effet, l’obtention de la certification ne renseigne pas sur la façon dont les
systèmes de gestion ISO ont été adoptés, ni sur leurs impacts réels qui peuvent être très
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Certification ISO et création de valeurs : retour d’expérience et implications managériales.
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différents d’une organisation à l’autre. La certification ne garantit pas non plus que les
systèmes ISO soient réellement appliqués entre deux audits.
Un tel constat ne remet pas pour autant en cause la pertinence des systèmes ISO et du
processus de certification. En effet, dans un grand nombre de cas, nous avons pu observer les
bénéfices bien réels sur la gestion de la qualité et de l’environnement qui ont accompagné
l’adoption des normes ISO 9001 et ISO 14001. Cependant, de tels bénéfices sont loin d’être
automatiques et découlent moins des normes elles-mêmes que des attitudes à leur sujet et de
la façon dont elles sont mises en œuvre. Comme ces normes sont souvent adoptées en raison
de pressions externes, la question la plus essentielle n’est donc pas de savoir s’il faut ou non
se certifier, mais plutôt de savoir comment utiliser les systèmes ISO de façon aussi efficiente
que possible.
Cet article apporte sur cette question essentielle trois importantes contributions.
En premier lieu, il apporte un éclairage nouveau sur les réalités de la mise en œuvre des
systèmes de gestion ISO à partir de l’expérience et du discours d’un grand nombre de
répondants occupant différentes fonctions. Cet éclairage montre que la certification ISO ne
doit pas être considérée comme un objectif en soi mais plutôt comme un cheminement qui
comporte ses pièges, ses bénéfices, et ses surprises, bonnes ou mauvaises. Les impacts de ce
cheminement sont très variables et dépendent surtout de comportements de nature qualitative,
qui sont donc difficiles à mesurer, à quantifier, ou à normaliser.
En deuxième lieu, l’article analyse les principaux écueils à éviter dans la mise en œuvre de
ces normes. La recherche d’une certification commerciale, l’externalisation du processus de
mise en œuvre, l’inadaptation et les excès de la documentation, l’insuffisance des moyens mis
en place, le manque de suivi et de continuité du système sont clairement responsables de la
majorité des difficultés observées. Si ces difficultés peuvent être évitées, elles remettent en
cause certains mythes sur les vertus intrinsèques des systèmes ISO et sur les avantages
découlant de leur mise en œuvre.
En dernier lieu, l’article montre comment améliorer les pratiques et les performances à travers
les systèmes ISO. Intégrer la raison d’être et les objectifs fondamentaux de l’organisation,
expliquer clairement le pourquoi de la certification, démontrer la conviction et le support des
dirigeants, utiliser les systèmes ISO comme des leviers pour mobiliser les employés, adapter
la norme à l’organisation et non l’inverse sont clairement des facteurs clés de succès. Tenir
compte de ces facteurs favorise grandement l’adhésion des employés à ces systèmes, la
réduction des résistances internes, et l’obtention des bénéfices promis par les normes de
gestion ISO.
De façon plus générale, l’article apporte donc une sorte de mode d’emploi de ces normes pour
en améliorer l’efficacité et réduire les risques d’une mauvaise utilisation. Ce mode d’emploi
ne repose pas sur des recettes de gestion mais plutôt sur des principes et des conditions
générales d’utilisations qui reflètent l’expérience de la grande majorité des organisations
étudiées. Les résultats de l’étude ne s’appliquent pas seulement aux organisations certifiées ou
qui envisagent de l’être. En effet, si les systèmes ISO peuvent être certifiés, une telle
démarche n’est pas obligatoire et peut même comporter certains inconvénients, notamment en
termes de coûts. À partir du moment où le modus operendi de ces normes et la façon d’en tirer
des bénéfices sont clairs, pourquoi ne pas prendre en considération leurs propositions
concrètes indépendamment des pressions externes? Sans chercher nécessairement la
certification ou des avantages en termes d’image, les dirigeants devraient être plus attentifs
aux propositions des systèmes ISO 9001 et ISO 14001. Ces normes proposent en effet, en
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Certification ISO et création de valeurs : retour d’expérience et implications managériales.
Olivier Boiral
définitive, un tour d’horizon très concis des pratiques de base pour mieux gérer la qualité et
les enjeux environnementaux. La prise en compte de tout ou partie de ces recommandations
peut donc apporter des idées pertinentes et contribuer à corriger certaines lacunes.
Ces bénéfices, de même que les recommandations du présent article, s’appliquent cependant
aux organisations qui souhaitent réellement utiliser ces systèmes comme des outils
d’améliorations internes. Les dirigeants qui sont principalement intéressés aux aspects
marketing de la certification seront probablement moins concernés par des recommandations
de nature managériale et risquent de se limiter à une intégration superficielle des systèmes
ISO.
En définitive, ces systèmes sont ce que les dirigeants veulent en faire. Comme l’a très bien
résumé un gestionnaire d’une PME industrielle certifiée ISO 9001 : « On y croit ou on y croit
pas, c’est tout. ISO, en soi, ce n’est rien. Le système ISO, c’est seulement ce que toi tu en
fais. »
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L’image métier : une notion polymorphe au service de la gestion des ressources humaines
Franck Brillet, Patricia Coutelle, Franck Gavoille et Annabelle Hulin
L’IMAGE METIER : UNE NOTION POLYMORPHE AU SERVICE DE
LA GESTION DES RESSOURCES HUMAINES
Franck BRILLET
Maître de conférences HDR en sciences de gestion
Directeur adjoint du CERMAT (EA 2109)
Institut d’Administration des Entreprises – CERMAT (EA 2109)
[email protected]
Patricia COUTELLE
Maître de conférences en sciences de gestion
Institut d’Administration des Entreprises – CERMAT (EA 2109)
[email protected]
Franck GAVOILLE
Doctorant en sciences de gestion
Assistant de recherche (Centre de recherche de l’ESCEM, CRESCEM)
Institut d’Administration des Entreprises – CERMAT (EA 2109)
[email protected]
Annabelle HULIN
Docteur en sciences de gestion
Institut d’Administration des Entreprises – CERMAT (EA 2109)
[email protected]
1. Introduction
Le concept d’image se trouve à la rencontre de nombreuses disciplines telles que l’art, les
mathématiques, la physique, les lettres, la psychologie, la sociologie, la philosophie, la
gestion, etc. L’image peut donc avoir de multiples formes. Elle peut être graphique (dessins,
photographies), optique (miroirs, projections à travers un dioptre), perceptuelle (apparences,
sensations), verbale (métaphores et descriptions) ou encore mentale (idées, mémoire,
fantasmes) (Mitchell, 1984).
Ce concept d’image a peu à peu été repris en sciences de gestion et principalement dans deux
champs disciplinaires que sont le marketing et la comptabilité.
D’une part, en marketing la transposition de ce concept est plurielle et touche principalement
les questions liées aux enjeux de l’image d’un point de vente (Sherman et Smith, 1987 ;
Pontier, 1988 ; Keaveney et Hunt, 1992) et l’image prix (Coutelle, 2000).
D’autre part, en comptabilité, il suffit de se référer à la quatrième directive européenne qui
impose aux comptes annuels de « donner une image fidèle du patrimoine, de la situation
financière et du résultat de l’entreprise », faisant de ceux-ci l’instrument de validation de
l’entreprise. Le terme d’image est donc présent et important représentant la traduction
officielle de l’expression anglaise true and fair view. Il convient toutefois de préciser que
cette image se traduit par l’obligation pour l’entreprise de fournir des informations
complémentaires en cas d’insuffisance des dispositions de la directive et même de déroger
exceptionnellement à celle-ci si une de ces dispositions se révèle contraire à la finalité des
comptes annuels. Les travaux qui s’intéressent à cette question ne sont pas sans soulever les
difficultés d’application et d’intégration de cette notion selon les pays en raison du fait que les
éléments qui la déterminent varient d’un pays à l’autre. La question de la définition de
l’image et en l’occurrence ici l’image fidèle est un enjeu important. Cette notion est d’autant
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L’image métier : une notion polymorphe au service de la gestion des ressources humaines
Franck Brillet, Patricia Coutelle, Franck Gavoille et Annabelle Hulin
plus fragilisée qu’elle est incomplète, manipulée et affaiblie par l’internationalisation du
financement des grandes entreprises. De plus, la gestion optimale des fonds et la comptabilité
créative ne sont pas étrangères à la difficulté d’appréhension de la notion surtout lorsque les
transactions sont initiées uniquement en fonction d’une image souhaitée (Hoarau, 1995). A
cause de ces dissonances, la notion d’image fidèle est peut-être considérée comme floue,
« inutile ». C’est pourquoi, l’emploi du terme d’image non trompeuse ou non infidèle semble
plus approprié. Sans aller plus loin dans le débat, il est possible de se demander s’il serait
pertinent de tendre vers un référentiel commun de l’image fidèle, ce qui remet en perspective
l’enjeu de sa définition.
L’ensemble de ces discussions attestent de l’importance du concept et il nous a semblé que ce
dernier pourrait également être utile dans la compréhension de certaines problématiques
rencontrées en gestion des ressources humaines (GRH) et plus particulièrement sur les
questions relatives au métier. La réflexion sur l’image métier découle de problématiques
rencontrées par les parties prenantes du marché de l’emploi. En effet, on ne peut ignorer que
certains métiers ont des difficultés aujourd’hui à attirer ; tant en matière de recrutement que de
mobilité. Face à cela, les organisations se retrouvent face à des problématiques difficilement
solutionnables.
L’originalité de cet article est de rechercher d’autres axes de résolution de problèmes afin
d’une part, de comprendre les raisons de la non « attractivité » de certains métiers et, d’autre
part, de proposer des leviers d’actions nouveaux pour résoudre ces problématiques. La
mobilisation du concept d’image apparaît ainsi intéressante dans la mesure où elle traite à la
fois des antécédents de l’image, de la mesure de l’image et des dimensions de l’image.
L’enjeu théorique de cet article et la portée managériale de cette réflexion révèle plusieurs
intérêts, outre celui d’appliquer et de transposer un concept nouveau au sein d’une discipline :
- le premier, est de comprendre comment les individus en formation, en recherche
d’emploi ou en situation d’emploi se forment une image sur certains métiers. La
question de la mesure pose la question d’une échelle d’image d’une part, mais
également de la comparaison entre la réalité d’un métier et l’image que l’on s’en
fait, d’autre part ;
- le deuxième est d’identifier tous les antécédents de la formation d’une image
métier, ce qui permettra ensuite de cibler quelques actions sur certains de ces
antécédents afin de modifier cette image ;
- le troisième, sera de mettre en relation les notions d’image voulue, d’image perçue
et de la réalité d’un métier afin d’observer à quels niveaux d’analyse (individu,
organisation, syndicats professionnel, branche professionnelle, Etat) il conviendra
d’agir afin de résoudre les problématiques observées.
Ainsi la problématique centrale de cet article est de savoir ce que l’on entend par image
métier et quels en sont les enjeux pour l’ensemble des parties prenantes du marché de
l’emploi ?
Afin d’y répondre, il est essentiel de bien définir les deux concepts que nous rapprochons : le
métier (1.), l’image (2.), pour ensuite révéler dans une dernière partie, au travers d’exemples
concrets sur certains métiers, les différents enjeux que révèlent l’image métier (3.).
2. Le concept de métier
La finalité de ce premier point est de définir les contours du concept de métier. « Avoir du
métier », « être du métier », « arriver dans le métier », autant d’expressions usitées
quotidiennement et chargées de sens pour les individus (Hulin, 2010).
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L’image métier : une notion polymorphe au service de la gestion des ressources humaines
Franck Brillet, Patricia Coutelle, Franck Gavoille et Annabelle Hulin
Même si pour certains c’est dans le caractère flou du métier que réside son principal intérêt
(Sire, 1999), pour construire le cadre de réflexion autour du concept d’image métier, un
travail de définition des différentes acceptions possibles s’avère indispensable.
Le dictionnaire Le Robert propose une définition relativement ouverte du métier : « Genre
d’occupation manuelle ou mécanique qui exige un apprentissage et qui est utile à la société
économique […] genre de travail déterminé, reconnu ou toléré par la société et dont on peut
tirer ses moyens d’existence ». Si cette définition a le mérite de poser un premier cadre, elle
s’avère néanmoins inopérante pour rendre compte de la totalité des enjeux socio-économiques
actuels (Monti, 2002).
2.1.. La résurgence actuelle du concept de métier
La littérature récente en sciences sociales marque un regain d’intérêt pour le concept de
métier (Descolonges, 1996 ; Boyer, 2002a ; Piotet, 2002 ; Osty, 2003 ; Dietrich, 2009). Les
dynamiques liées au métier sont redécouvertes (Abraham, 1998 ; Osty, 2003 ; Hulin, 2010).
Comme le souligne Prot (2007 : 17) : « l’usage du mot « métier » fait aujourd’hui l’objet
d’une remarquable effervescence qui en trouble les contours ».
Dans la préface de l’ouvrage d’Osty (2003 :13), Sainsaulieu invite à un retour vers le métier.
En effet, il souligne que « c’est précisément dans cette période d’économie dominante sur la
société, où les anciens repères sociaux liés aux activités productives paraissent ébranlés,
qu’il s’agit de retrouver les voies fortes d’une possible construction de soi par un travail,
source de compréhension mutuelle et de légitimité collective ». Ainsi, la résurgence du
concept de métier reflète « une quête de réalisation de soi » (Osty, Dahan-Sletzer, 2006 : 95).
Osty (2003) synthétise les principales raisons de cette résurgence du concept de métier :
- La possession d’un métier, et donc d’un niveau de compétences adéquat, participe à la
constitution d’un certain niveau d’employabilité, de reconnaissance sociale et
d’identité au travail (Castel, 1995). Le fait d’avoir un métier permet de développer « le
sentiment d’une sorte d’assurance minimale en matière d’emploi » (Piotet, 2002 :
347) ;
- La détention d’un métier peut être considérée comme source de sécurité pour les
individus face à l’influence des organisations (Sewell, 1983) ;
- Le concept de métier est à relier au développement du modèle de la compétence
(Zarifian, 2004) et donc « aux mécanismes susceptibles de la constituer et de
l’actualiser » (Osty, 2003 : 19).
Malgré cet intérêt croissant pour le métier dans le discours des praticiens et des chercheurs, il
règne un flou autour de ce concept. En effet, comme le remarquent Boyer et Scouarnec
(2009 : 31), « le métier est souvent considéré, particulièrement dans notre pays, comme un
mot « éponge » dont les acceptions sont nombreuses ».
2.2. Délimitation générale du concept de métier
Si la référence corporative est souvent utilisée pour définir le concept de métier, il n’a plus
rien à voir avec ces différentes conceptions originelles (Piotet, 2002) et cela pour un ensemble
de raisons dont la première étant que les métiers d’aujourd’hui s’inscrivent essentiellement
dans le cadre du salariat (Descolonges, 1996).
Le terme de métier est intégré au vocabulaire courant des individus mais également des
entreprises (Hulin, 2010). Le fait d’avoir un métier renvoie à la détention d’un savoir
professionnel. Pour les entreprises, le métier est un facteur de positionnement stratégique.
Le tableau 1 propose quelques définitions du concept de métier.
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Auteurs
Définitions
Acquier, Eyherabide Le métier est défini comme un attribut de l’individu autour de la
possession d’un savoir utile et dont la base est partagée au sein
(2005, p. 192)
d’une communauté de métier.
Boyer (2002, p. 152) Au sens large, le métier est constitué par un ensemble d’acquis, de
connaissances et d’habiletés appliqués à la transformation d’un
produit ou à la fourniture d’une prestation, et utilisés dans le cadre
d’une technique dominante susceptible d’évoluer.
Le métier échappe à toute forme de codification établie et n’est saisi
Osty (2003, p. 17)
qu’au travers de ses attributs (savoir spécialisé, forme d’organisation
sociale, place dans la division sociale du travail, type de sociabilité,
code de déontologie) ou de ses fonctions (fermeture du marché du
travail par l’obtention d’un monopole d’exercice d’une activité
donnée, transmission des règles de l’art et normes de comportement,
défense des intérêts collectifs et contrôle de la qualité du travail
effectué).
L’ensemble des emplois qui, dans l’organisation, sont caractérisés
Sire (1999, p. 815)
par une même finalité et une même technicité.
Tableau 1 : Quelques définitions du concept de métier.
2.2.1. Les trois niveaux du concept de métier
La délimitation du concept de métier permet de mettre en évidence trois approches
complémentaires et indispensables à la compréhension de la notion d’image métier : le métier
individuel, le(s) métier(s) de l’entreprise et le métier sectoriel.
2.2.2.. Le métier individuel
Selon Tourmen (2007, p. 18), le métier se crée « quand des gens d’un même domaine se
regroupent pour négocier la définition des rôles, des tâches, des savoir-faire et connaissances
que les candidats au métier doivent développer et ce pour sortir de la polyvalence
indifférenciée, indistincte (opposition entre polyvalence et métier) ».
Il existe deux types de métiers individuels (Boyer, 2002b) :
- Les métiers individuels que l’on va retrouver dans divers organisations : ils peuvent
être qualifiés de métiers universels, c’est-à-dire que les connaissances nécessaires sont
les mêmes quel que soit le contexte d’exercice du métier (Lefèvre et al., 2005) ;
- Les métiers individuels qui sont étroitement liés à l’organisation elle-même : il peut
s’agir de métiers particuliers, c’est-à-dire qu’ils ont une base commune de
connaissances et des éléments complémentaires propres à l’organisation concernée, ou
de métiers singuliers qui ont été développés directement dans une organisation sans
lien avec des métiers déjà existants (Lefèvre et al., 2005).
2.2.2. Le(s) métier(s) de l’entreprise
Concernant l’entreprise, il existe beaucoup de définitions du métier et notamment les
compétences distinctives ou le savoir-faire (Thévenet, 1999). De manière générale, le métier
de l’entreprise peut se définir comme « l’ensemble des compétences mises en œuvre et dont la
coordination permet d’opérer sur un ou plusieurs segments stratégiques » (Boyer, 2002a, p.
155). A la différence du métier individuel, le niveau « entreprise » de ce concept ne contient
pas de référence historique (Dietrich, 2009). Toutes les compétences de l’entreprise doivent
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être prises en compte : individuelles, relationnelles, techniques, financières, etc. Le métier de
l’entreprise n’est pas réductible à la somme des métiers maîtrisés par les salariés qui la
composent (Bouayad, 2000). Ce concept participe à la construction de l’identité de
l’entreprise et se trouve également au cœur de la culture des organisations. Dans ce contexte,
le métier de l’entreprise peut être rapproché de la notion de compétence collective (Boyer,
Scouarnec, 1999, 2005, 2009).
2.2.3. Le métier sectoriel
Boyer et Scouarnec (2009, p. 37) définissent le métier sectoriel comme « un vaste ensemble
de tâches et de fonctions contenues dans un secteur tel que la santé, la sidérurgie, les
télécommunications, l’industrie automobile, le tourisme… ».
Le métier sectoriel fait référence aux branches et syndicats professionnels. Les activités des
secteurs professionnels sont de plus en plus hétérogènes (Boyer, 2002a). Il est d’ailleurs
parfois difficile d’identifier le secteur de rattachement de certaines entreprises. L’application
du concept de secteur en termes de métier devient alors difficilement opérationnelle.
Dans le cadre de cet article, il semble qu’un niveau d’analyse nous concerne plus
directement : celui du métier individuel qui par nature permet d’effectuer des liens très étroits
avec l’individu, ses représentations et ses caractéristiques personnelles.
Métier individuel, reconnaissance, transmission et professionnalisation
Le métier individuel est à l’intersection de trois dimensions : sa reconnaissance par les
individus eux-mêmes, par les pairs et également par l’externe, sa transmission et sa
professionnalisation (Hulin, 2010).
La possession d’un métier est intrinsèquement liée à sa reconnaissance par autrui
(Capdevielle, 2001) et plus précisément par un collectif de pairs plus ou moins formalisé
(Clot, 2008). L’appellation du métier permet sa reconnaissance entre le détenteur et autrui
(Lefèvre et al., 2005). Se reconnaître dans son métier, c’est également pour les individus
concernés s’assurer de l’utilité de l’objet ou du service produit (Clot, 2008).
Par ailleurs, pour Descolonges (1996), le métier ne peut exister sans transmission. Il ne peut
être considéré en dépit des individus concernés. L’apprentissage d’un métier suppose des
modes de transmission en situation concrète de travail, avec l’observation des plus
expérimentés et des plus anciens. La transmission du métier ne peut se suffire de dispositifs
de formation technique (Osty, 2003). Elle correspond à un processus d’apprentissage long en
raison des composantes du métier qui sont généralement fortement tacites (Scouarnec, 2002 ;
Acquier, Eyherabide, 2005). En effet, le niveau d’expérience le plus développé est
certainement le moins explicite. Il s’agit notamment de pouvoir réagir aux aléas des situations
de travail quotidiennes (Osty, 2003). Prot (2007) ajoute que les activités liées à la
transmission peuvent être le moyen de redécouvrir cette expérience à dominante
essentiellement tacite. Ainsi, elle permet, sous certaines conditions, le renouvellement du
métier
Parler des métiers, cela suppose que l’on se rapporte au temps. Introduisant une dimension
temporelle, nous nous inscrivons dans une démarche prospective (Scouarnec, Yanat, 2003)
destinée à appréhender et à accompagner les devenirs possibles des métiers.
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2.3. La prise en compte de la dimension temporelle
Afin de comprendre et d’accompagner les tendances présentes ou à venir des métiers, les
dispositifs liés à la prospective semblent plus adaptés à la philosophie gestionnaire des métiers
(Hatchuel, Weil, 1992).
La prospective des métiers représente la « capacité précoce de détection de signaux – même et
surtout faibles – des changements à venir » (Boyer, Wickham, 2002 : 147). Elle prend en
compte les évolutions internes et externes des organisations (Boyer, 2002a ; Scouarnec,
Yanat, 2003) et permet de repérer les tendances d’évolution des métiers individuels (Boyer,
Scouarnec, 2005). Dans le cas de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences,
l’avenir semble s’imposer aux acteurs concernés alors que dans le cas de la prospective des
métiers, ils participent à la construction des devenirs possibles des métiers.
Le groupe Prométhée du Commissariat général du Plan (2004) définit les finalités de la
prospective appliquée aux métiers :
- Mieux appréhender les évolutions des métiers dans le contexte des mutations du
marché du travail et de l’environnement (économique, démographique, réglementaire,
culturel, social, technologique et organisationnel) ;
- Identifier les marges de manœuvre qu’ont les entreprises au regard des mutations à
l’œuvre ;
- Eclairer les parcours professionnels possibles des individus ;
- Anticiper les besoins de renouvellement de la main d’œuvre comme les besoins
formatifs.
La démarche de prospective des métiers permet notamment de distinguer (Boyer, Scouarnec,
2005, 2009) :
- Les métiers perdus ou en obsolescence : les activités de ces métiers sont en cours de
disparition. Les compétences sont banalisées et interchangeables. La fonction
ressources humaines doit permettre de les suivre de près, de les faire évoluer, voire de
les reconvertir (Dietrich, Parlier, 2007) ;
- Les métiers en survie positive ou en transformation : les compétences nécessaires à
l’exercice de ces métiers doivent évoluer conjointement aux formations
correspondantes ;
- Les métiers naissants ou en émergence : ils correspondent à des compétences rares
dans les organisations et sur le marché du travail. Le rôle de la fonction ressources
humaines est d’identifier, de développer et de capter ces compétences relatives à des
métiers naissants ou en émergence (Dietrich, Parlier, 2007).
Dietrich et Parlier (2007) ajoutent à cette liste les métiers spécifiques qui correspondent à des
compétences à pérenniser et à transmettre.
Nous soulignons ici l’importance de la prise en compte de la dimension temporelle dans
l’analyse des métiers (Hulin, 2010). Pour comprendre et accompagner le métier aujourd’hui et
demain, il est nécessaire de considérer les éléments du passé. Dans cette perspective, les
dispositifs de GPEC ont montré leurs limites (Brillet, Hulin, 2010). La prospective des
métiers apporte des réponses complémentaires.
Par ailleurs, le concept de métier soulève un certain nombre de problématiques managériales :
comment attirer de nouveaux candidats sur certains métiers en émergence ? Comment
fidéliser les individus qui exercent des métiers en survie positive ? Comment favoriser la
mobilité depuis un métier en obsolescence vers un métier en transformation par exemple ?
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Ces questions, toutes relatives au métier, ne pourrait-elle pas être lue au travers de la question
de l’image ? En effet, si l’image que l’on a d’un métier est à l’origine d’un comportement à
l’égard de ce métier (le choisir, s’y former…), alors la faible attractivité du métier, les
nombreuses démissions ou le faible taux de reconversion professionnelle vers ce métier
trouvent peut être en partie une explication dans l’image du métier.
Aucuns travaux, à notre connaissance, ne se sont intéressés à la notion d’image métier. Cette
approche novatrice pourrait présenter un véritable intérêt et soulève des enjeux en matière de
gestion des ressources humaines. Nous allons donc nous attacher, dans la suite de cet article, à
éclaircir cette notion en y apportant une définition avant d’envisager les différents apports
managériaux qu’il pourrait fournir.
3. Le concept d’image
En s’attardant sur le mot « image » dans l’encyclopédie Larousse, la notion de représentation
s’impose comme dénominateur commun aux multiples définitions proposées. A la croisée de
l’ensemble des disciplines et applications auxquelles elle se raccroche, l’image peut ainsi être
définie comme la représentation physique ou psychique d’un objet absent lui ayant donné
naissance. Les représentations psychiques, à travers des images mentales, ont fait l’objet de
nombreuses études et sont largement utilisées en gestion, en particulier en marketing à partir
de travaux issus de la psychologie. L’image mentale trouve des applications dans les
domaines de la communication publicitaire, le comportement du consommateur et la
conception de produit (Gavard-Perret, Helme-Guizon, 2003) comme l’image prix (Coutelle,
2000). Elle est donc à l’origine d’une attitude de l’individu par rapport à un objet concret ou
abstrait. Dans le cadre de notre étude, nous nous intéressons à la représentation du métier par
l’individu (qu’il l’exerce ou non), et donc à l’image mentale du métier et ses enjeux possibles.
L’image mentale s’analyse selon deux angles qui s’enrichissent mutuellement :
- le premier s’intéresse aux processus et aux mécanismes qui conduisent à la production
d’une image mentale,
- le second quant à lui s’attache plutôt à décrire la nature et le type des images
produites.
Ces deux approches peuvent être complétées par l’influence de l’image mentale sur le
comportement de l’individu. Nous allons donc présenter le processus qui conduit à la
construction d’une image mentale, puis nous nous intéresserons à l’influence de l’image sur le
comportement.
3.1. L’imagerie mentale
L’imagerie est le processus conduisant à la construction d’une image. Le processus
d’imagerie mentale s’initie chez l’individu dès son exposition à un ou des stimuli provenant
d’un objet, événement ou relation. L’information sensorielle perçue est alors intégrée par la
mémoire de travail1 de l’individu (Mac Innis, Price, 1987) pour produire une image
susceptible d’être remémorée en l’absence de l’objet qui l’a initiée. Pour Leclaire (1992, cité
par Ratier, 2003), le processus de formation de l’image se divise en quatre phases :
- une perception attentive des stimuli sensoriels par le sujet,
- un décodage cérébral aboutissant à une hypothèse perceptuelle,
- une représentation mentale de la perception,
- une évocation de la perception de la réalité permettant d’émettre une opinion en
l’absence de l’objet.
1
La mémoire de travail ou working memory est la mémoire qui « active les connaissances et les procédures
nécessaires pour la réalisation d’une tâche » (Rossi, 2006)
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Dans les deux approches données par ces auteurs, c’est la capacité à reproduire mentalement
cette expérience sensorielle qui génère l’image mentale après une première exposition à un ou
des stimuli provenant de l’objet initial.
Les stimuli sont de différentes natures. Dans la formation de l’image mentale, on distingue les
stimuli externes issus d’une perception par les sens (parole, son, image, odeur, etc) en rapport
avec l’objet mais également des stimuli internes à l’individu en fonction de son propre cadre
d’analyse qui relèvent de son imagination et de ses propres pensées vis-à-vis de l’objet auquel
il est exposé (Gavard-Perret, Helme-Guizon, 2003). Ainsi, l’image mentale se distingue de la
représentation sociale dans le sens où l’image est propre à chaque individu en fonction des
stimuli auquel il est exposé.
Le processus d’imagerie mentale peut ainsi être schématisé de la manière suivante (adapté de
Gavard-Perret, 1987) :
Figure 1 : Processus d’imagerie mentale.
L’image mentale est donc un construit psychique qui dépend de chaque individu. En effet,
l’image se construit à partir d’un ou plusieurs éléments de perceptions, sensitifs ou
imaginaires, qui ne constituent qu’une part de l’objet dans la réalité, le reste de l’objet étant
fantasmé par l’individu (Mitchell, 1984). L’image mentale possède ainsi une part de
subjectivité et une grande variabilité d’un individu à un autre (Ratier, 2002).
L’image mentale évolue dans le temps en fonction des stimuli et des réflexions de l’individu.
Elle est « en interaction constante avec les autres systèmes cognitifs : perception, langage,
mémoire » (Gavard-Perret, 1987). L’exposition a différents stimuli, après l’exposition initiale
à l’objet, influence l’image qui est ainsi modifiée par un processus dynamique dans le temps.
Le caractère évolutif de l’image peut être modélisé de la manière suivante :
Figure 2 : Evolution de l’image mentale en fonction de l’exposition aux différents stimuli.
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3.2. Image et influence sur le comportement
Le processus d’imagerie produit principalement deux types d’images mentales : les images de
mémoire et les images d’imagination (Piaget et Inhelder, 1966, Denis, 1989, cités par GavardPerret et Helme-Guizon, 2003). Les images de mémoire sont consécutives à une exposition à
un ou des stimuli externes et internes, provenant directement de l’objet, qui génèrent une
image mentale de reproduction. Les images d’imagination sont produites lorsque que le sujet
n’a été qu’à des stimuli provenant indirectement de l’objet dont il s’est formé une image. Il
s’agit alors d’une image mentale d’anticipation que l’individu se crée, ce qui peut notamment
être le cas via une représentation verbale liée à l’expérience du langage (De Schonen, 1974 ;
Denis, 1979).
Selon Boulding (1956, cité par Lindquist, 1974), les images produites par la perception
s’additionnent aux fonctions de connaissance et d’information et sont à l’origine du
comportement humain. Ainsi, l’attitude d’un individu est fonction de ce qu’il croit vrai et non
de ce qui est vrai. L’auteur souligne par ailleurs l’existence d’un seuil de gestion des
informations et des images par l’esprit humain. Au-delà de ce seuil, l’individu tend à
simplifier son raisonnement en le résumant aux significations qui lui paraissent les plus
essentielles.
Les travaux en marketing démontrent l’existence d’une influence de l’image sur l’attitude de
l’individu. L’attitude peut être définie comme « un ensemble de comportements stables et
systématisés d’idées, de croyances, de principes ou d’opinions intervenant comme centre de
référence permanent (ou durable) de tout ce qu’on pense, dit ou fait » (Vandercammen,
2006). Ainsi, le comportement d’un individu à l’égard d’un objet ou d’une relation dépend en
partie de l’image mentale qu’il s’en fait. Les études menées sur l’image de marque (Ratier,
2003) ou l’image prix (Coutelle, 2000) soulignent effectivement l’influence de l’image sur le
comportement de consommation, à travers une dimension cognitive (acquisition et
accumulation d’information) et une dimension affective (impression, opinions et sentiments).
L’image mentale est donc issue de l’ensemble des stimuli provenant de l’objet, que le sujet y
soit exposé ou non. Ainsi, selon Leclaire (1992), l’image mentale s’initierait dès lors que
l’individu porte attention à un stimulus, produisant une image plus ou moins incomplète.
L’image mentale peut donc présenter un intérêt pour celui qui cherche à comprendre le
comportement à l’égard de quelque objet, concept ou relation que ce soit. La variabilité et la
dynamique de l’image mentale en font par ailleurs un outil puissant car modifiable en
fonction de l’exposition à des stimuli.
Dans le contexte de notre recherche, l’image peut donc présenter un intérêt pour comprendre
le comportement des individus à l’égard d’un métier. A partir de ce détour par le concept
d’image, nous pouvons désormais apporter une définition de l’image métier et envisager les
différents enjeux qu’elle représente.
4. Les principaux enjeux de la notion d’image métier
4.1. La définition de l’image métier
Dans la mesure où le métier n’est pas un objet tangible et concret, la représentation qui lui est
associée est de l’ordre du psychique et d’une activité cérébrale. Ainsi, le terme « image » dans
l’expression « image métier » sous-entend une image mentale.
L’ensemble des travaux réalisés sur le métier nous permettent de mettre en évidence trois
référents constants de la définition du concept de métier (Hulin, 2010) : l’identité
professionnelle spécifique pour l’individu, la dimension technique et le niveau de
connaissances et de compétences.
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Ainsi, la définition de l’image métier que nous proposons est la suivante :
l’image métier est une représentation globale du métier dans l’esprit des individus
correspondant à l’ensemble des représentations mentales, formées suite à l’exposition à
différents stimuli internes et externes, qu’un individu se construit de l’identité professionnelle
spécifique, de la dimension technique et du niveau de connaissances et de compétences
relatifs à un métier, et auquel il fait référence lorsque ses pensées et ses actions sont sollicitées
par rapport à ce métier.
Les différents travaux sur l’image mentale permettent d’ors et déjà de soulever un certain
nombre de suppositions et de propositions sur l’image métier qu’il serait intéressant
d’étudier :
- un caractère évolutif dans le temps de l’image métier en fonction de l’exposition à divers
stimuli externes et internes ;
- la nécessité d’une attention de l’individu lors de l’exposition initiale nécessaire à la
formation de l’image métier ;
- l’existence d’image métier de reproduction, formé sur des stimuli provenant directement du
métier (par exemple : l’expérience ou l’observation du métier), et d’image métier
d’anticipation, formé sur des stimuli provenant indirectement du métier (par exemple : le
discours tenu sur un métier dans les médias) ;
- l’existence d’une dimension cognitive (fondée sur des faits) et affective (fondée sur des
sentiments et donc difficilement maîtrisable) dans l’image métier ;
- l’image métier se forme sur un nombre limité de stimuli.
De cette définition du concept d’image métier, nous pouvons désormais proposer deux voies
d’exploration de rôle de l’image métier dans la gestion des ressources humaines : les métiers
dits en tension et le comportement au travail de la génération Y.
4.2. Image métier et métiers en tension
Différentes problématiques interpellent aujourd’hui certaines communautés professionnelles
et certains territoires (Hulin, 2010) : tensions sur certains métiers (non adéquation entre les
offres et les demandes d’emplois), soucis d’attractivité sur des métiers qui n’attirent pas ou
plus, problèmes pour faciliter ou encourager la mobilité sur certains métiers, difficultés de
fidélisation des salariés comme, par exemple, les infirmiers ou les ingénieurs informatiques
(BMO, 2010).
En rapprochant les travaux sur l’image voulue, perçue et transmise en marketing (Marion,
1989), on peut supposer que les principales raisons de ce constat tiennent en partie à l’image
peu attrayante de certains métiers et des filières de formation professionnelle ou les
différences existantes entre l’image perçue par les salariés, voire les candidats potentiels,
l’image voulue par les organisations et l’image transmise. Ainsi, travailler sur l’image métier,
pour des métiers où les recrutements sont jugés difficiles, permettra peut être de capter les
candidats qui détiennent les compétences nécessaires, ou tout du moins à attirer les futurs
candidats dans les filières de formation. Il est possible de citer comme exemple le cas du
recrutement des surveillants pénitentiaires par le ministère de la Justice et des Libertés (cf.
encadré 1), un métier où l’image perçue par le grand public est plutôt négative. Une campagne
de recrutement télévisée a été diffusée pendant plusieurs semaines à la fin de l’année 2010.
Cette campagne a comme objectif affiché d’insister sur les valeurs clés de ce métier : autorité,
respect, humanité et écoute.
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Des carrières au service de la société
Les personnels de surveillance prennent en charge les personnes confiées par les autorités
judiciaires, en assurent la garde et participent à la mission de réinsertion.
« Surveillants pénitentiaires, quelle société peut se passer de vous »
Encadré 1 : Le recrutement des surveillants pénitentiaires (source : site internet du
ministère de la Justice et des Libertés).
L’entreprise Mc Donald’s a également lancé dès 2006 une campagne publicitaire télévisée
pour valoriser l’image de ses métiers.
Par ailleurs, avec sa campagne de recrutement de 2010, l’armée de terre communique sur les
qualités intrinsèques de ses métiers avec un thème évocateur : « Devenez-vous-même ». Avec
des témoignages de militaires, la campagne s’oriente sur le réalisme.
A ces difficultés de recrutement s’ajoute la problématique liée aux départs à la retraite des
seniors et au nécessaire renouvellement des générations dans les organisations.
4.3. Image métier et génération Y
Cette notion d’image métier peut également être rapproché des problématiques liées à la
génération Y et au comportement au travail.
La génération Y peut être définie de la façon suivante (Brillet et al., 2011) :
- Des individus nés entre 1979 et 1994 en référence aux définitions les plus répandues
en recherche (Sullivan et Heitmeyer, 2008 ; Yeaton, 2008 ; Pichault et Pleyers, 2010) ;
- Des individus qui se retrouvent dans un contexte donné et qui partagent la même
histoire, avec des expériences vécues relativement similaires. Ce second élément est
essentiel dans la mesure où il permet de distinguer, de façon plus fine, des sousgroupes homogènes au sein de la génération Y ; c’est la notion de cohorte qui est ici
visée (Markert, 2004). En effet, la cohorte est généralement plus courte, elle permet de
subdiviser les générations. Dès lors, deux cohortes peuvent être distinguées : les
individus qui sont déjà en emploi et ceux étant encore dans un contexte de formation
professionnelle ou d’études.
L’ensemble des caractéristiques clés de la génération Y, généralement présentées dans la
littérature (Pichault, Pleyers, 2010), peuvent être rapprochées des questions liées à l’image
métier :
- Recherche de sens au travail (Hyatt, 2001 ; Eisner, 2005 ; Yealton, 2008) : le sens du
travail est identifié comme une des caractéristiques clés de l’emploi pour la génération
Y. Dès lors, si les organisations ne devront pas travailler sur cette dimension de
l’image de certains métiers connaissant des difficultés d’attractivité. A titre
d’illustration, les armées communiquent beaucoup sur l’utilité de leurs missions pour
les populations ;
- Besoin d’accomplissement (Eisner, 2005 ; Laize et Pougnet, 2007 ; Yeaton, 2008 ;
Erickson et al., 2009 ; Josiam et al., 2009 ; APEC, 2009) : pour la génération Y, le
métier doit renvoyer l’image d’un lieu d’accomplissement personnel ;
- Esprit de groupe (Tapscott, 1998 ; Zemke et al., 2000 ; Paré, 2002 ; Simard, 2007 ;
Laize et Pougnet, 2007 ; Sullivan et Heitmeyer, 2008 ; Yeaton, 2008; Josiam et al.,
2009) : l’image voulue de leur métier par les individus de la génération Y est fortement
marquée parle travail en équipe et les possibilité de développement de relations
sociales fortes ;
- Faible loyalisme institutionnel (Laize et Pougnet, 2007 ; Yeaton, 2008 ; Saba, 2009) :
l’image que les individus de la génération Y se font de leur métier n’est que très
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faiblement influencé par un sentiment d’appartenance important. En effet, pour eux, le
devoir d’obéissance est négligé, le loyalisme organisationnel est très peu exprimé ;
Difficulté à se projeter dans le long terme (Pelton et True, 2004 ; Laize et Pougnet,
2007 ; Sullivan et Heitmeyer, 2008 ; Erickson, 2009) : les individus de la génération Y
construisent leur image métier dans l’immédiateté et non dans ce que le métier va
devenir ou ce qu’il pourrait devenir ;
Technophilie (Eisner, 2005 ; Sullivan et Heitmeyer, 2008 ; Kimberly, 2009 ; APEC,
2009) : cette génération est née au contact des TIC, inscrivant l’individu dans des
communautés virtuelles et privilégiant une idéologie communautariste et tribale. Dès
lors, l’image des métiers véhiculée à travers notamment certains réseaux sociaux
numériques devient essentielle pour les organisations.
5. Conclusion
L’image métier serait donc à l’origine du comportement des individus à l’égard d’un métier et
pourrait être un puissant levier pour favoriser en partie la résolution des problématiques. Il
serait donc intéressant de comprendre comment l’image métier se construit et si certains
stimuli ont une plus forte puissance que d’autres dans la formation de l’image. Pour ce faire,
nous allons mener une étude exploratoire par entretiens semi-directifs qui permettra la mise en
évidence d’items susceptibles de participer au processus d’imagerie. Grâce à ces résultats,
nous procéderons ensuite à une étude sur questionnaire afin d’arriver à la construction d’une
échelle de mesure.
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Audit et valeur(s) des pratiques de responsabilité sociale dans la grande distribution
Stéphanie Carpentier
AUDIT ET VALEUR(S) DES PRATIQUES DE RESPONSABILITE
SOCIALE DANS LA GRANDE DISTRIBUTION
Stéphanie CARPENTIER
Docteur Sciences de Gestion, Enseignant-chercheur
ESC Saint-Etienne
[email protected]
1. Introduction
Le secteur de la grande distribution est observé depuis plusieurs décennies par des
universitaires gestionnaires, ce qui explique les nombreuses formations au management et à la
gestion des ressources humaines qui lui sont destinées depuis longtemps. Nonobstant, ce
secteur fait souvent polémique et interroge également beaucoup les chercheurs car malgré ces
différents dispositifs de formation, il n’en demeure pas moins que les pratiques constatées
dans de nombreuses organisations du secteur font dire à certains experts que la lutte contre
« l’illettrisme managérial » est loin d’être terminée (Baret, préface in Vignon, 2009). De la
même façon, s’interroger sur les pratiques de la grande distribution relatives au management
de la Santé et Sécurité au Travail rendues obligatoires par la branche AT-MP (Accidents du
Travail – Maladies Professionnelles) de la Caisse Nationale de l’Assurance Maladie des
Travailleurs Salariés (CNAMTS) du fait de la forte sinistralité enregistrée dans ce secteur
permet de se questionner pour savoir si les « mauvais élèves » peuvent se révéler bien
meilleurs dans ce domaine particulier du management du fait de l’existence de fortes
contraintes. Les règles du jeu ayant en effet fortement évolué (Reynaud, 1997 ; Carpentier,
2009), les entreprises de la grande distribution sont obligées de s’investir pleinement sur le
développement de leur politique de prévention Santé et Sécurité au Travail et de former leurs
salariés aux enjeux du management spécifique à cette problématique. Mais la question du
management de la santé au travail est également associée à celles du management des
personnes handicapées et donc de la diversité, à la nécessaire gestion des talents, etc. (Peretti,
2010). Dans cette optique, c’est donc la problématique de la responsabilité sociale et sociétale
des entreprises de la grande distribution qui est prise en considération.
Par conséquent, dans la continuité de travaux de S. Carpentier et O. Bachelard (2009a et
2009b) et S. Carpentier (2010b et 2010d) présentant les pratiques managériales de la 2ème
grande enseigne française de la grande distribution qui a une dimension internationale (le
Groupe Kiventou), nous nous proposons de montrer combien l’appropriation des ces
nouvelles problématiques du management (de la santé et sécurité au travail, de la diversité…)
relevant de la dimension de la responsabilité sociale des organisations est souvent plus
difficile qu’il n’y paraît. Certes des politiques et des outils de gestion sont mis en place par les
directions d’entreprises de ce secteur d’activité mais appréhender ces questions d’un point de
vue managérial est bien plus difficile, surtout si l’on s’intéresse à l’appropriation que s’en fait
la ligne hiérarchique que les états majors sollicitent de plus en plus. Ces différents sujets
managériaux appellent donc à ce que des nouveaux comportements émergent mais cela
engendre t-il toutefois de nouvelles pratiques managériales ?
Ainsi, après avoir rappelé quelques points méthodologiques et clarifié un peu plus ce que
signifient les notions de pratiques responsables des organisations, au travers du cas spécifique
de deux grandes enseignes françaises, nous nous intéresserons aux pratiques managériales de
la grande distribution.
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Audit et valeur(s) des pratiques de responsabilité sociale dans la grande distribution
Stéphanie Carpentier
2. Quelques précisions méthodologiques
N’ayant que très récemment commencé à communiquer sur le secteur de la grande
distribution contrairement aux questions relatives à l’audit social ou au management de la
santé au travail par exemple, l’auteur souhaite indiquer en préambule l’origine de son intérêt
pour ce secteur d’activité avant d’exposer les méthodologies utilisées à l’origine de sa
présente réflexion.
2.1. La grande distribution : un secteur d’activité interrogé depuis plusieurs années à
différents niveaux
Cette communication est basée sur un questionnement concernant les pratiques de
management de la grande distribution qui a débuté en 2003 par une participation à la
réalisation d’un contrat de recherche sur les pratiques de régulation du rapport Temps /
Activité dans les entreprises de services (2 études de cas sur la grande distribution avaient
notamment été réalisées) (Livian, Falcoz, Carpentier et Sanséau, 2003)2. La connaissance de
plus fine du management pratiqué au sein de la grande distribution s’est toutefois matérialisée
pour l’auteur dès 2007 par une collaboration protéiforme de plusieurs années tant au niveau
de l’enseignement que de la recherche (Carpentier, 2010b), l’enseigne Kiventou, 2ème grande
enseigne française ayant une dimension internationale, étant son principal (mais non exclusif)
partenaire de la grande distribution, ce secteur d’activité connaissant désormais de très fortes
pressions de la part du système de sécurité social français du fait de son fort taux de
sinistralité en terme d’accidents du travail et de maladies professionnelles (Carpentier, 2009 et
2010c)3.
La méthodologie employée pour l’établissement de cette réflexion portant sur ce secteur
d’activité est par conséquent principalement longitudinale, essentiellement qualitative et issue
de la combinaison de différents types de méthodologies de recherche utilisées depuis
plusieurs années.
2.2. Synthèse des méthodologies employées
La plupart des questionnements engendrés par une collaboration protéiforme et pluriannuelle
avec le Groupe Kiventou ayant fait (ou faisant) l’objet de publications académiques
antérieures (ou à venir), la tentation est grande de détailler les différentes méthodologies
employées tant l’auteur est convaincu de la richesse à utiliser différents méthodes de
recherche en sciences de gestion (Wacheux, 1996 ; Igalens et Roussel, 1998 ; Thiétart,
2003 ; Savall et Zardet, 2004 ; Roussel et Wacheux, 2005) surtout quand cela concerne une
problématique complexe récente comme par exemple le management de la santé et sécurité au
travail auquel la démarche d’audit social doit être associé (Carpentier et Bachelard, 2009a et
2009b).
Cependant quelques éléments peuvent être rappelés : convaincu comme G. Bachelard (1938,
p. 14) que « rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit », le positionnement
épistémologique de l’auteur est constructiviste (Le Moigne, 1999) et les méthodes de
2
Les travaux de thèse de l’auteur l’ont toutefois amenée à approfondir les notions de régulation et de souffrances
au travail issues des défaillances managériales dans d’autres secteurs d’activité.
3
La grande distribution mais également les secteurs du BTP et de l’Intérim sont en effet les cibles privilégiées de
la 2ème Convention d’Objectifs et de Gestion (COG) de la CNAMTS pour la période 2009-2012 qui vise à faire
diminuer car jugés trop importants les taux de sinistralité d’Accidents du Travail et de Maladies Professionnels
des entreprises concernées. Pour plus de précision, cf. également les rapports consultables sur
www.risquesprofessionnels.ameli.fr.
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Audit et valeur(s) des pratiques de responsabilité sociale dans la grande distribution
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recherche employées sont multiples et principalement favorisées par un cadre facilitateur,
celui d’une chaire de recherche (Carpentier et Bachelard, 2009a).
Si l’auteur a une prédilection au fil des années pour les études de cas (Wacheux, 1996 ;
Bournois, Livian, Thomas, 1993 ; Hadly Rispal, 2002 ; Gombault, 2005), cela ne l’a pas
empêché de mener également au sein du groupe Kiventou en 2009 une recherche-action au
travers de sa variante l’ « action science » (Savall et Zardet, 2004 ; Argyris, Putnam and
MacClain Smith, 1985) sans oublier une recherche clinique (Schein, 1987). D’autres
méthodes qualitatives recensées pour répondre entre autre à la problématique du management
de la santé au travail (Carpentier et Bachelard, 2009a) seront également prochainement
expérimentés, toujours au sein de Kiventou, mais les négociations des modalités
d’intervention étant en cours, l’auteur préfère ne pas les évoquer pour l’heure4.
Ceci étant dit, pour mettre en œuvre ces différentes méthodes et réaliser ainsi la triangulation
nécessaire à l’obtention d’une certaine fiabilité de ses données (Wacheux, 1996, p. 192 ;
Igalens et Roussel, 1998, p. 90), l’auteur a également utilisé ses collaborations avec plusieurs
responsables RH opérationnels des différentes branches du Groupe Kiventou pour recueillir
sur la durée différents témoignages (les rencontres étant très régulières depuis 2008 et
généralement au minimum d’1h30) ce qui, combiné au recueil de données secondaires (les
travaux réalisés par les étudiants encadrés par l’auteur), facilite le « croisement » des
informations ainsi obtenues avec l’étude documentaire préconisée en sciences de gestion
(Thiétart, 2003). Par conséquent, l’adoption d’une position constructiviste et la multiplication
des méthodes de recherche employées ne nuit en rien à la connaissance scientifique définie
comme étant une « représentation causale et objective de la réalité » (Mouchot, 1990) dans la
mesure où le caractère propre de la connaissance scientifique est de parvenir à une certaine
objectivité entendu comme un accord entre tous les sujets sur un secteur donné de
connaissances (Piaget, 1968).
3. Audit des pratiques responsables des organisations
Selon J.M. Peretti (2010), ce sont dans les contextes de crise que les apports de l’audit social
et de responsabilité sociale apparaissent essentiels pour faire face aux défis managériaux
existant. Or la crise des années 2008-2010 a fait ressortir la nécessité d’une identification des
risques de toute nature dans les entreprises et les organisations, les questions des risques
psychosociaux et de la souffrance au travail étant une dimension managériale à prendre
particulièrement en considération depuis le renforcement des mesures juridiques, politiques et
parlementaires françaises et européennes récentes (Carpentier, Bachelard et Peretti, 2010).
Dès lors, la notion de responsabilité sociale des organisations définie selon l’ISO 26000
comme prenant en considération les impacts des décisions et activités de ces mêmes
organisations sur la société et l’environnement, se traduisant par un comportement éthique et
transparent qui contribue au développement durable, à la santé et au bien être de la société,
étend sa sphère d’influence aux organisations elles-mêmes. Elle inclut ainsi la conformité
réglementaire, la mise en œuvre de la durabilité, la responsabilité envers les parties prenantes
et le respect des normes internationales de comportement (Peretti, 2010).
Pour autant, comme l’affirment M. Capron et F. Quairel-Lanoiselée (2007), concevoir et
comprendre précisément l’articulation entre ce qui relève du développement durable, c’est-à4
Une immersion totale de 5 ans comme celle pratiquée par M. Waelli (2009) n’est cependant pas encore
envisagée.
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Audit et valeur(s) des pratiques de responsabilité sociale dans la grande distribution
Stéphanie Carpentier
dire les politiques publiques au niveau macrosociétal, et de ce qui concerne la responsabilité
sociale de l’organisation, autrement dit les pratiques de l’entreprise au niveau
microéconomique, devient de plus en plus fort malaisé. Cependant selon ces mêmes auteurs,
le concept de développement durable interpelle l’entreprise dans ses finalités et la conception
de son organisation en fournissant les principes qui encadrent ou conditionnent les activités
économiques.
A titre d’illustration, début 2008, une étude réalisée après enquête auprès de 200 responsables
de Développement Durable de grands groupes français5 révèle que leurs thèmes de
préoccupation en matière de développement durable sont principalement et majoritairement
axés sur le traitement et le recyclage des déchets (cet item étant tout à fait prioritaire pour
71% des réponses) et la réduction des dépenses d’énergie (tout à fait prioritaire pour 69% des
réponses). Il convient cependant de noter que les préoccupations de ces mêmes responsables
de développement durable des 200 grands groupes français recouvrent également les
questions de respects de droits de l’homme et droits du travail (cet item étant lui aussi tout à
fait prioritaire pour 71% des réponses) et les actions de lutte contre les discriminations au sein
de l’entreprise (c’est même considéré comme étant tout à fait prioritaire pour 52% des
réponses).
5
Etude consultable sur http://www.lesechos.fr/medias/2008/0328//300252901.pdf
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Audit et valeur(s) des pratiques de responsabilité sociale dans la grande distribution
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Dès lors, les frontières entre le Développement Durable et la RSE s’estompent à nouveau, ce
qui peut expliquer l’intérêt de certains chercheurs à expliciter les liens entre la gouvernance,
l’éthique et la RSE (Meier et Schier, 2009). Or la RSE représente « des modalités de réponse
[de l’organisation] aux interpellations sociétales en produisant des stratégies, des dispositifs
de management, de conduite du changement et des méthodes de pilotage, de contrôle,
d’évaluation et de réédition en incorporant (du moins en principe) de nouvelles conceptions
de performance » (Capron et Quairel-Lanoizelée, 2007, p. 16).
Pour M. Capron (2004), il existe d’ailleurs encore très peu de dispositifs de « management
responsable » appliqués dans les entreprises qui intègrent vraiment et complètement les
différentes dimensions du développement durable (Capron et Quairel, 2002). Au mieux, il
existe des dispositifs partiels cherchant à relier la dimension économique à la dimension
environnementale (mesures visant l’éco-efficience) et à la dimension sociale (mesures visant
l’amélioration des conditions de travail), la plupart des standards proposés se contentant de
juxtaposer ces trois dimensions (selon la formule triple bottom line). Cela peut ainsi expliquer
l’exercice commun de distinction des trois champs de la RSE comme étant tout d’abord la
prise en considération par l’entreprise de l’impact de ses activités sur l’environnement
physique et naturel mais également l’engagement de cette même entreprise (ou organisation)
au service des communautés locales ou globales, sans oublier la prise en compte des enjeux
sociaux des décisions économiques par référence aux questions de conditions de travail et
d’emploi (Igalens et Vicens, 2005).
Quoi qu’il en soit, les référentiels de RSE comportent des critères sociaux qui supposent
cependant une petite clarification (Fauconnier, d’Ouville et Peulet, 2003). Une approche plus
fine montre en effet que le terme social couvre en fait deux acceptions : celle du social au sens
anglo-saxon qui fait référence au sociétal (c’est-à-dire l’impact sur l’environnement local, les
communautés locales, le développement local, autrement dit le social à l’extérieur de
l’entreprise)6 et la notion de social au sens français (plus proche du concept anglo-saxon de
« workplace ») qui renvoie aux pratiques de management et de gestion des ressources
humaines au sein de l’entreprise, ce que l’on peut qualifier de social à l’intérieur de
l’entreprise. Or l’analyse des pratiques du social à l’intérieur correspond au domaine de
l’audit social.
Dès lors, comme le rappelle S. Carpentier (2010a), l'entreprise qui souhaite évaluer la réalité
de ses pratiques managériales (par rapport à ce qui est prévu et souhaité) mais également la
pertinence de ses objectifs et processus existants dans la perspective de les faire évoluer peut
réaliser un audit social de conformité et de pertinence en référence à des objectifs, règles et
procédures internes à l'entreprise. Les domaines d'application sont nombreux et peuvent en
effet concerner tout ou partie des pratiques de gestion et de management des ressources
humaines: recrutement, formation, appréciation, rémunérations, compétences, diversité, santé
et sécurité du travail, etc. (Ce type d'audit peut alors intégrer des approches de type
benchmarking pour permettre des comparaisons externes). De la même façon, l'audit social
permet une meilleure compréhension des situations sociales particulières (conflit social,
climat social dégradé, fort turnover, absentéisme…), dans le but d'en tirer des enseignements
correctifs pour l'avenir et/ou de prévenir la répétition de situations conflictuelles voire de
souffrances individuelles et/ou collectives suscitées non seulement par des
6
En ce sens, cette référence au sociétal peut être synthétisée par la définition de J. Pasquero (2005), reprise par
F. Lepineux et al. (2010), qui englobe les composantes américaines et européennes de la RSE : « La RSE sera
envisagée comme l’ensemble des obligations, légales ou volontaires, qu’une entreprise doit assumer afin de
passer pour un modèle imitable de bonne citoyenneté dans un milieu donné. » (Lepineux et al., 2010, p. 105).
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Audit et valeur(s) des pratiques de responsabilité sociale dans la grande distribution
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dysfonctionnements d’entreprise mais aussi éventuellement engendrées par une conduite du
changement plus ou moins bien contrôlée dans tout projet d’innovation. Enfin l’audit social se
révèle également précieux avant qu’une situation de changement ne se réalise (fusionacquisition, réorganisation, faisabilité sociale d'un investissement, (re)négociation d'un accord
collectif, etc.), le rapport aux différentes parties prenantes étant à ce moment là crucial.
Par ailleurs l’audit social est précieux au regard de ses principaux champs d'application,
quelles que soient ses trois dimensions concernées (stratégique, opérationnel et de
conformité), car ils visent à évaluer les pratiques internes par rapport à un référentiel normatif
externe (droit du travail et autres codes applicables, conventions collectives, accords
d'entreprise ou tout autre référentiel tel le diagnostic Ressources Humaines7), et au delà des
frontières de l'entreprise (pour les différentes parties prenantes concernées, sous-traitants,
fournisseurs, etc.) c’est regardée en référence à des normes liées à la responsabilité sociale de
l'entreprise (souvent référencées sur les principes de l'Organisation Internationale du Travail)
(Igalens, 2000 et 2003, Combemale et Igalens, 2005 ; Peretti et Vachette, 1985 ; Igalens et
Peretti, 2007 ; Peretti, 2007).
Auditer les pratiques managériales d’un secteur d’activité particulier prend alors un nouvel
intérêt, surtout si ce secteur d’activité est souvent accusé des pires maux.
4. Audit des pratiques responsables de la grande distribution
La grande distribution a souvent mauvaise presse auprès du grand public car elle est souvent
associée à des pratiques managériales visant la recherche effrénée de la flexibilité et de la
performance et favorisant l’intensité des rythmes de travail, le non respect de la législation du
travail, le management « kleenex », le harcèlement au travail, etc. Par conséquent les
situations de souffrance au travail seraient compréhensibles, nombreuses et fréquentes8 et fort
peu appréciées des différentes parties prenantes.
De la même façon, ce secteur d’activité connaît des pratiques managériales qui lui sont
spécifiques (Vignon, 2009 ; Vidaillet et Vignon, 2009 ; Carpentier, 2010d) : travail
immatériel complexe, réorganisations, changements organisationnels et conduite du
changement incessants, difficulté d’un management des compétences très hétérogènes,
charges de travail très importantes et rythmes de travail très irréguliers, contrôles des résultats
mais également des comportements envers le client omniprésent associés à une autonomie
accrue, forte présence de situations de souffrance au travail inquiétantes… Tous ces éléments
rendent par conséquent le travail des managers de la grande distribution des plus difficiles
pour répondre aux exigences des clients conjuguées à celles des salariés et plus généralement
de l'entreprise.
Dès lors, les entreprises de ce secteur d’activité peut-être plus qu’un autre se doivent
dorénavant de répondre à leurs obligations vis-à-vis de leur environnement externe et interne :
communiquer et gérer leur réputation deviennent alors deux nécessités absolues pour ces
organisations. Or comme le rappelle F. Mauléon (2009), « un des moyens efficaces pour gérer
les risques de réputation est de mettre en place une gouvernance d’entreprise comprenant une
gestion anticipative des risques, une écoute des parties prenantes et une communication
transparente sur des problèmes rencontrés par l’entreprise. Les dirigeants doivent chercher à
communiquer le plus clairement possible sur les éléments qui définissent son identité et ses
7
8
Pour plus de précisions, cf. Bachelard, 2007 et Carpentier et Bachelard, 2007.
Pour s’en convaincre, il suffit de lire le succès de librairie « Les tribulations d’une caissière » (A. Sam, 2008) !
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valeurs. Cet exercice de vérité passe par la prise en compte des éléments relatifs à sa
gouvernance [qui devient] un nouvel élément de la communication et du reporting des
entreprises engagées en matière de développement durable » (Mauléon, 2009, p. 147).
4.1. Le cas d’une entreprise du CAC 40
Partant de ce principe, l’étude des rapports de développement durable des entreprises du
secteur d’activité de la grande distribution devrait mettre en évidence leurs centres de
préoccupation. Parmi les entreprises du CAC 40 sur lesquelles D. Nahoum (2009) a réalisé
une étude portant sur l’utilisation d’indicateurs définissant leurs politiques RSE, mais
également leur reporting social et environnemental9, l’entreprise Carrefour figure seule
représentante de ce secteur d’activité.
L’entreprise Carrefour envisage sa responsabilité sociale au travers des choix des produits et
de ses relations avec les fournisseurs et le monde agricole, de l'accessibilité et de la gestion
des magasins, de la satisfaction des clients et de son implantation dans le tissu local. Plus
précisément, au niveau de son engagement envers l’environnement, Carrefour s’engage non
seulement à développer des produits responsables et à s'approvisionner de façon responsable
mais également à réduire l'impact des magasins et son impact logistique. A cet effet des
opérations de sensibilisation sont régulièrement organisées au sein des magasins Carrefour
(Développement depuis le début des années 2000 de produits issus du commerce équitable
tous labellisés Max Havelaar, Semaine du développement durable 2007, campagne Du jetable
au durable consacrée à la suppression des sacs de caisse…). Animées par des bénévoles du
WWF, ces événements permettent à chaque consommateur de mieux appréhender les enjeux
du développement durable et de découvrir les gestes citoyens. Mais qu’en est-il de ses
pratiques de responsabilité sociale et non sociétale ?
Pour ce qui concerne la dimension sociale entendue au sens strict, toute la préoccupation de
Carrefour est concentrée dans le thème de la motivation des collaborateurs, renforcé depuis
2004 par l’adoption d’un Code Ethique soumis à la signature de l’encadrement du Groupe
ainsi que des nouveaux embauchés. Actualisé et précisé en 2007, ce code éthique a été
rebaptisé Code de Conduite : il se veut être la traduction des valeurs et de l’engagement du
Groupe en formalisant les normes de conduite éthique à adopter chaque jour, en interne
comme en externe, avec les parties prenantes du Groupe. Il peut être résumé au travers des 7
valeurs fondamentales suivantes : progrès, solidarité, partage, intégrité, responsabilité, liberté
et respect. L’intérêt de Carrefour pour le dialogue social se matérialise par ailleurs par un outil
« écoute du personnel » développé en 2004 et une collaboration avec l’Union internationale
des syndicats depuis 2001 (Bournois, Point, Rojot et Scaringella, 2007). Pour autant, force est
de constater qu’en 2007 le groupe Carrefour semble plus absorbé par la dimension sociétale
que sociale de sa responsabilité, à moins que les rapports de développement durable / RSE
n’apportent pas suffisamment d’informations détaillées sur l’ensemble des pratiques
managériales qui nous intéressent.
9
Ont été utilisés à cet effet les rapports « Développement durable » 2008 des entreprises concernées.
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Audit et valeur(s) des pratiques de responsabilité sociale dans la grande distribution
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Sources : D. Nahoum (2009, p. 62)
L’étude approfondie d’une autre entreprise de la grande distribution à la même époque (2007)
peut donc nous apporter un regard complémentaire sur les pratiques managériales du secteur.
4.2. Le cas d’une entreprise du SBF 120
Parce que chaque groupe dans la grande distribution se distingue de ses concurrents et donc
est caractérisé par des pratiques managériales différentes (et ce qu’il soit français ou étranger)
(Dufour, 2009), nous allons nous servir du cas de l’enseigne française que nous connaissons
plutôt bien de part nos activités d’enseignement et de recherche : le Groupe Kiventou. Nous
pourrons ainsi mieux appréhender dans quelle mesure les pratiques de management parfois
qualifié d’innovant reflètent les démarches de responsabilité sociales affichées.
Pour décrire ses pratiques managériales de ce groupe du SBF 120, nous nous inspirerons des
approches narratologiques des organisations (Salmon, 2007)10 pour mettre en évidence les
fortes prescriptions que le Groupe cherche à imposer11. En 2007, le groupe Kiventou est le
10
Les préconisations de J. Igalens (2008a et 2008b) sur le talent du griot ne seront cependant pas mises ne
pratique.
11
Nous avons cependant bien conscience que toute prescription de comportement engendre de nouvelles
régulations (Reynaud, 1997) et des situations de souffrance (Carpentier, 2004 ; De Gaulejac, 2005 ; Dujarier,
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Audit et valeur(s) des pratiques de responsabilité sociale dans la grande distribution
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2ème groupe français de distribution alimentaire et il communique fortement sur ses pratiques
durable et de la responsabilité sociale en entreprise (Bournois, Point, Rojot et Scaringella,
2007).
Non seulement le Groupe Kiventou a axé sa stratégie sur la production et la promotion de
produits favorisant le respect environnemental (création de l’indice carbone, lutte contre le
changement climatique, amélioration de l’efficacité énergétique des bâtiments, optimisation
de la gestion des déchets…)12 et contribuant aux programmes nutritionnels équilibrés (nouvel
étiquetage des produits pour intégrer cette dimension, proposition de repas équilibrés dans sa
chaîne de cafétérias et organisation de journées de prévention sur les risques cardiovasculaires, etc.) mais il communique également sur ses pratiques entrepreneuriales
soucieuses du respect des droits de l’homme au travail (dès 2003) : promotion de la diversité,
forte intégration des jeunes ou des personnes handicapées, plan séniors13, création dès 2006 à
partir de quelques entités de la branche supermarchés d’un programme global de prévention
des risques professionnels.
Dès lors, l’ensemble de la politique de gestion des ressources humaines du Groupe est
développé en cohérence avec la politique managériale affichée comme s’articulant autour de
ces principes du développement durable et de la responsabilité sociale en entreprise.
L’évaluation des compétences intègre ces différentes dimensions dans ses critères ; la
politique de promotion interne est très fortement axée sur l’ascension sociale rapide des
collaborateurs ayant commencé au plus près du terrain, ceux-ci bénéficiant en permanence
d’une possibilité de se former, que ce soit au sein du système d’enseignement national, au sein
de l’université du groupe ou en mode d’e-learning (au travers d’un logiciel de formation
managérial généralement implanté également dans les établissements d’enseignement
supérieur principalement français). Le système de rétribution et les pratiques de recrutement
sont enfin elles aussi en cohérence avec les valeurs du Groupe favorisant une implication
managériale maximale développées ci-après.
Les pratiques managériales du groupe Kiventou sont en effet conformes à la culture du
secteur d’activité de la grande distribution (Carpentier, 2010b) et peuvent se résumer au
travers de son référentiel de valeurs décliné sous différentes formes (papiers, vidéo, etc.)
auquel chaque manager, quelque soit sa position dans la hiérarchie, est régulièrement
sensibilisé : les valeurs C.L.E.S. Ce sigle synthétise les attitudes et comportements recherchés
et évalués pour chaque manager :
- Tout manager doit être Conquérant, ce qui se traduit au sein du groupe par une
démarche entrepreneuriale sans cesse renouvelée envers le client, fondée sur
l’innovation et la création des conditions du changement mais également la prise de
décisions et d’initiatives régulière14.
- L’encadrement doit également être Loyal envers le Groupe en portant ses intérêts15. La
politique de rétribution du Groupe et l’importance accordée au développement RH de
l’individu (par une politique de mobilité pluridimensionnelle) en son sein vont dans ce
sens.
2006) que nous ne pouvons toutefois pas traiter ici tant le sujet est vaste et mérite de plus amples
développements.
12
Sa politique environnement ayant été élaborée en 2003.
13
Signé cependant en décembre 2009.
14
La relation managériale se trouve donc bien modifiée par cette omniprésence du client signalée plus haut.
15
Notons que cette dimension renvoie à la notion de contrat psychologique qualifié par D. Rousseau (1996) de
« relationnel » (l’individu s’engage à être loyal et fidèle en échange de rétributions rassurantes telles que le
salaire, la sécurité de l’emploi, etc.).
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Audit et valeur(s) des pratiques de responsabilité sociale dans la grande distribution
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Tout manager a également le devoir d’être Exigeant envers lui-même et ses équipes
pour les conduire vers la performance : l’implication organisationnelle du manager
mais également ses compétences managériales relationnelles et d’animation d’équipe
sont donc très fortement sollicitées.
Enfin chaque encadrant doit être Solidaire afin de permettre à ses collaborateurs de se
développer16.
Le manager est donc bien considéré comme étant le principal acteur des pratiques
managériales du Groupe et les outils et pratiques de management et de gestion des ressources
humaines du groupe Kiventou sont ainsi en cohérence avec ses valeurs affichées. Pour autant
cela signifie t-il que les managers de l’ensemble de la ligne hiérarchique du Groupe Kiventou
se soient emparés de ces questions souvent qualifiées d’innovations managériales ? Vu depuis
la base du terrain, rien ne nous permet de clairement l’affirmer, ne serait-ce que par le fait que
les managers de proximité rencontrés ne percevaient pas les actions relevant du management
de la diversité, des personnes handicapées, de la santé au travail, etc. comme ayant la même
priorité quotidienne que les pratiques de management d’équipe courantes au regard des
indicateurs de management imposés par leur propre hiérarchie. (Il faut dire que la fonction
ressources humaines du Groupe était scindée en deux grandes branches : d’une part la
fonction RH opérationnelle, celle dont dépendait quotidiennement les managers de proximité
rencontrés ; d’autre part, la fonction RH innovante (c’est-à-dire regroupant les experts
« Développement durable », « Santé et Sécurité au Travail », « Diversité » et « Politique de la
Ville » au sein de différents services) à laquelle les interlocuteurs rencontrés n’avaient pas ou
peu accès. Dès lors, cela repose la question de la posture d’auditeur social (Peretti, 2010) que
pourraient développer les managers du Groupe afin que ces politiques managériales de
responsabilité sociale voire même sociétale (Capron, 2004) soient réellement déployées et
appliquées au sein des équipes, au même titre que les pratiques managériales habituelles…
5. Conclusion
Les groupes Carrefour et Kiventou, grandes enseignes de la grande distribution française et
internationale, ont misé depuis quelques années déjà sur une stratégie du développement
durable voire plus généralement de responsabilité mais avec un déploiement inégal selon que
c’est la dimension sociétale et/ou sociale qui est privilégiée. Les pratiques managériales qui
en découlent peuvent alors se trouver en résonnance avec les pratiques managériales et la
culture partagées au sein de ce secteur d’activité des services. Pour autant, développer une
politique de responsabilité des organisations peut se trouver être favorisée par l’adoption
d’une démarche d’audit social, à laquelle les managers seraient éventuellement initiés, surtout
dans une période de forte crise.
Quoi qu’il en soit, toute organisation du secteur de la grande distribution, ou de tout autre
secteur d’activité d’ailleurs, qui souhaiterait renforcer sa politique et ses pratiques de
développement durable ne pourrait le faire en s’abstenant de s’inscrire dans une logique de
Responsabilité Sociale des Organisations (Carpentier et Bachelard, 2009a et 2009b) tout en
contribuant à renforcer sa performance y compris organisationnelle (Gond et Igalens, 2008).
Cependant s’emparer de ces questions de la définition globale de différentes politiques du
management articulées les unes aux autres (santé et sécurité au travail, diversité, compétences,
etc.) suppose non seulement que ces différentes problématiques soient développées au sein
d’une même fonction RH mais également de manière conjointe avec les Directions
16
Cette notion de solidarité renvoie au modèle identitaire de « fusion » tel que défini par R. Sainsaulieu (1987),
c’est-à-dire que le travail est appréhendé comme un lieu de solidarité.
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Développement Durable (ce qui n’est pas toujours évident du fait des jeux de pouvoir qui
peuvent parfois exister). Or en 2010, AMF indiquait que 57 % des sociétés de son échantillon
affirmaient avoir mis en place une direction du développement durable généralement
rattachée au Secrétariat général, au Directeur général adjoint ou encore à la Direction de la
Stratégie, la Direction du développement durable étant même dans certains cas amenée à
reporter directement au Président et à être représentée au Comité Exécutif. Point de liens
officiels avec les Directions des Ressources Humaines. De même, l’AMF consigne dans ce
même rapport le fait que dans certaines sociétés, cette direction du développement durable
traite de tous les aspects de la RSE tandis que d’autres sociétés ont opté pour un modèle dual
(Direction des Ressources Humaines et Direction de l’Environnement), voire tripartite
(Direction de l’Environnement, Direction des Ressources Humaines et Direction du
développement Responsable par exemple). Certes, une telle logique de collaboration
renforcée entre les Directions Développement Durable et Directions des Ressources
Humaines peut être taxée d’illusion, d’optimisme ou de naïveté mais les utopies managériales
ne sont-elles pas nécessaires en sciences de gestion (Trouvé, 2005), surtout pour favoriser le
développement des talents (Peretti, 2008) ?
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Le comportement éthique est-il mesurable dans le cadre d’un audit social ? Réflexion sur les dilemmes
Benoit Cherre & Loubna Tahssain
LE COMPORTEMENT ETHIQUE EST-IL MESURABLE DANS LE
CADRE D’UN AUDIT SOCIAL ? REFLEXION SUR LES DILEMMES
Benoit CHERRE
Professeur chercheur
Groupe Sup de Co la rochelle
[email protected]
Loubna TAHSSAIN
Professeur chercheur
Groupe Sup de Co la rochelle
[email protected]
1. Introduction
Face à la montée croissante des enjeux internes et externes auxquels les entreprises s’efforcent
d’atteindre, les attentes à l’égard des dirigeants en matière d’éthique sont fortes. Dans le
contexte actuel, le chemin vers la modernité et la pérennité impose de nouvelles
donnes comme le respect des valeurs, des normes sociales, et de l’environnement. Une des
premières conséquences se caractérise par la croissance des exigences en matière des
politiques et pratiques RH. Celles-ci doivent désormais être cohérentes avec ces aspects en
vue d’être qualifiées d’« éthiques ».
Ethique professionnelle ou des affaires, les entreprises semblent plus que jamais exigeantes
quant à la conformité des pratiques et comportements managériaux à l’éthique. Dans leur
ouvrage collectif, De bry, Igalens et Peretti (2010) présentent l’éthique dans les différents
domaines de la gestion. Désormais, l’éthique est rattachée aux différents aspects de la gestion
des hommes : engagement, changement, responsabilité sociale, etc.
Comme toutes les pratiques du management, l’éthique doit être exposée à l’audit social. Plus
précisément, il s’agit de vérifier si les normes et valeurs sont bien inscrites dans le script
comportemental des dirigeants notamment dans le cadre de la prise de décision. Cette
dernière se révèle moins complexe dans le cadre de gestion quotidienne des tâches. Il existe
néanmoins des risques éthiques où les valeurs et les normes sont mises en péril et les
managers ne savent plus quoi faire. Ces situations sont souvent générées par des dilemmes
éthiques. A ce titre, plusieurs questions peuvent être posées : qu’est-ce qu’il faudrait auditer
lors de situations difficiles? Comment peut-on auditer un comportement ou une prise de
décision en présence de dilemmes éthiques?
Force est de constater que malgré la multiplication des travaux et débats sur l’éthique des
affaires, les témoignages sur les comportements et décisions caractérisées de non éthique
demeurent non anodins. A ce titre, cet article tente d’apporter un éclaircissement sur ce sujet
avec une nouvelle perspective philosophique.
L’objectif de l’éthique au quotidien en gestion doit répondre à un double questionnement :
celui de comment vivre une situation et/ou un évènement, et quelle décision prendre face à un
dilemme (Igalens et Joras, 2010). Vivre une situation et décider face à un dilemme nous pose
la problématique de l’opérationnalité de ce fait. Quel guide ou quel raisonnement peut-on
mesurer ou auditer afin de garantir un processus de décision qui s’inscrit dans l’éthique de
l’entreprise ? Tout le questionnement réside dans cette complexité.
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Le comportement éthique est-il mesurable dans le cadre d’un audit social ? Réflexion sur les dilemmes
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Notre travail se compose en deux parties. Dans un premier temps, nous allons évoquer
l’éthique des affaires. Plusieurs visions à l’égard de dilemme éthique seront exposées. Cette
notion à laquelle sont confrontés fréquemment les dirigeants constitue un élément central
lorsque nous tentons d’évaluer les comportements éthiques dans des situations de prise de
décision. Quelle décision à prendre face au dilemme ? Intégrité, justice, authenticité, quel
comportement à adopter lorsque les incidences de la décision sont lourdes sur le plan
humain ? Ensuite, une deuxième partie porte sur l’audit d’éthique des affaires et évoquera la
question de la mesure d’éthique dans la prise de décision face au dilemme.
2. Place de dilemme dans l’éthique des affaires
Ces dernières décennies, l’éthique des affaires est devenue un sujet d’actualité. Le public et
les professionnels de la gestion y prêtent une attention particulière. Cependant, son domaine
d’étude est vaste et diversifié, ce qui explique la complexité de sa mise en œuvre (Mercier,
2004). Actuellement, les réflexions sur les dilemmes en éthique des affaires expliquent que la
prise de décision dans ce cas de figure demeure contextuelle et que la prudence est de mise
(Langlois, 2003, Audoyer et Lecaillon, 2006). Pourtant, les théories classiques en philosophie
appliquée présentent des aspects bien différents.
2.1. Dilemme éthique dans le monde des affaires
La définition d’un dilemme peut sembler naturelle et consensuelle. Cependant, ce n’est pas
vraiment le cas car il existe des dissensions sur la définition (Tappolet, 2004). Le dilemme
moral peut se définir comme une possibilité ou un choix difficile entre deux possibilités
morales équivalentes (Williams, 1994). Aujourd’hui encore, ce terme renferme l’idée de
devoir choisir une solution entre deux possibilités non satisfaisantes (Ferrell et al. 2006). Dans
le domaine de la recherche en éthique des affaires, le terme de dilemme éthique véhicule
l’ensemble des possibilités de choix non satisfaisants, mais ce terme est plus souvent associé
- ou confondu - à la notion de problème moral (moral problem) (Ferrell et al. 2006 ; Kidder,
2005 et 2009).
Un second écueil émerge quand on aborde ce phénomène : classifier les dilemmes éthiques
rencontrés en milieu du travail. Une tentative de faire une nomenclature des dilemmes a été
proposée (Aviva, 2006 et Waters et Bird, 1989). Le caractère contingent des dilemmes rend
toutes démarches de classification difficile et les enjeux moraux d’hier et d’aujourd’hui ne
peuvent être identiques (McCabe et al., 1991; McNeil et Pedigo, 2001). Donner une définition
claire et énoncer une typologie précise d’incidents provoquant les dilemmes constituent dèslors un champ d’étude loin d’être saturé et exploré de manière systématique.
Dilemme moral et philosophie morale
Dans le monde de la philosophie morale, la notion de dilemme éthique pose une question qui
s’avère être d’une apparente futilité, mais qui n’en est pas une : « Les dilemmes moraux sont
ils possibles ? » (Tappolet, 2004). Si un individu se heurte à un conflit entre deux devoirs
moraux opposés, comment peut-il le résoudre ? Dans les deux cas, l’individu choisira une
solution et provoquera ainsi un double comportement : éthique et non éthique. Pour le
philosophe Kant, d’un point de vue de la perspective déontologique, les devoirs ou les règles
ne peuvent être en conflit. Le principe kantien stipule que « le devoir implique le pouvoir et
exclut toute possibilité de dilemme moral » (Kant, 2000). Le devoir est la base du pouvoir et
donc de l’action. Si deux devoirs s’opposent dans la même situation, alors l’individu ne peut
pas avoir le pouvoir d’agir car il est paralysé éthiquement. Par exemple, une situation
complexe s’impose si je suis au courant de malversations financières de la part de mon
entreprise : dois-je divulguer ces malversations qui entraînent la faillite de l’entreprise, ou
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dois-je me taire, car j’ai besoin de ce travail afin de faire vivre ma famille dans une région à
haut taux de chômage ? Pour Kant, le mensonge par omission est un mensonge, dire la vérité
est un devoir supérieur. Je dois donc dénoncer les agissements dans mon entreprise et perdre
mon travail.
Pour l’opposant de la conception kantienne de l’éthique, John Stuart Mill (1988), la recherche
de bonheur est la solution de tout dilemme. Pour cette perspective - nommée utilitariste - il
n’y a donc pas de conflit entre deux valeurs, car « si c’est l’utilité qui est la source dernière
des obligations morales, l’utilité peut être invoquée lorsqu’il s’agit de décider entre elles au
cas où leurs exigences seraient incompatibles » (Mills, 1988, p.81). Dans cette phrase réside
la logique que l’on retrouve tant chez les anciens, de chez Kant à Mills. Dès qu’une valeur ou
un principe (Utilité ou Devoir) est reconnu (e) comme le critère éthique supérieur, alors les
dilemmes disparaissent. Comme Kant et Mill le pensaient, les dilemmes moraux ne sont
qu’apparents.
Les perspectives classiques de la philosophie morale proposent peu d’aide au quotidien des
professionnels. Il existe plusieurs raisons pour lesquelles ces philosophies ne peuvent aider à
la compréhension du phénomène du dilemme éthique (Lurie et Albin, 2006). D’abord, ils
analysent et apportent des justifications a posteriori en faisant correspondre la nature des
dilemmes à leur raisonnement. Ensuite, Kant ou Mills n’apportent pas vraiment d’outils et de
solutions pratiques, ou d’attitudes concrètes afin de résoudre ces dilemmes : ils en font une
logique rhétorique. Leurs idées amènent une base de réflexion et des injonctions sans pour
autant offrir un guide d’action à des situations précises (Lurie et Albin, 2006). Les autres
approches philosophiques principales et influentes dans le monde des grandes écoles et
universitaires, telle que l’éthique de conviction, de responsabilité, d’altérité, de discussion ou
de dialectique (Igalens et Joras, 2010) évoquent peu ou prou les dilemmes. Toutes valorisent
certaines formes d’impératif et proposent une norme (l’altérité, la conviction, le consensus, la
dialectique, la responsabilité) comme des déterminismes à toutes décisions.
Actuellement, d’autres philosophes défendent l’idée de la possibilité de dilemmes. C’est le
cœur de la réflexion éthique (Sartre, 1943 ; Lemmon, 1962 et Williams, 1994). Par exemple,
un philosophe britannique Bernard Williams (1994) met le dilemme au centre de sa réflexion.
Selon lui, il existe deux types de conflits moraux : des conflits solubles et des conflits
insolubles (Williams, 1990 et 1994). Un conflit soluble se caractérise par une opposition entre
deux devoirs ou deux valeurs, dont l’un est plus important : par exemple, entre le plaisir futile
et le respect d’autrui. Le choix ne semble pas difficile à faire à ce stade. Le conflit insoluble et c’est dans cette catégorie que Williams situe le dilemme éthique - provient d’une lutte
entre deux obligations équivalentes ou comparables (Smart et Willams, 1997). Ceci nous
apporte une précision : un dilemme éthique existe lorsqu’une personne fait face à deux
obligations ou devoirs de même importance, et qu’elle ne sait pas quoi faire. Une personne vit
un dilemme lorsqu’à la question « que dois-je faire ? », elle répond : «je ne sais pas, mais je
n’ignore pas le problème » (Lemmon, 1962 ; Ogien, 2001 ; Sartre, 1996 ; Smart et Williams,
1997).
Les dilemmes éthiques en gestion
Ce concept d’opposition de deux valeurs est repris par des éthiciens du monde des affaires.
Cette piste que cet article explore a été évoquée par Kidder (2009). Nous pensons que tous les
acteurs de l’entreprise rencontrent diverses formes de dilemmes éthiques aux conséquences
lourdes à porter. Certains pourront penser que des dilemmes ne sont que des situations
délicates, mais « solubles » avec des méthodes de gestion rationnelles. Des situations
anodines peuvent cependant se révéler catastrophiques sur le plan humain. Les managers ne
peuvent pas toujours être capables de reconnaître l’ambiguïté ou la dangerosité morale d’une
situation. Pour y parvenir, l’expérience et la prise de conscience sont les atouts du manager
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(Lurie et Albin, 2006). Pourrions-nous alors proposer une nomenclature qui fasse office de
substitut partiel à l’expérience et à la prise de conscience, et aider ainsi les dirigeants dans leur
prise de décision ?
Certains définissent le dilemme éthique en gestion comme un problème, une situation ou une
opportunité qui oblige les personnes à choisir entre plusieurs mauvaises solutions ou décisions
non-éthiques (Treviño et Nelson, 2003 ; Ferrell et al. 2006). Leurs définitions véhiculent le
principe de choix entre ce qui est juste ou injuste. Les situations qui provoquent des dilemmes
sont en outre la discrimination, le harcèlement sexuel, les conflits d’intérêts, la confidentialité
de la clientèle ou les ressources organisationnelles (Treviño et Nelson, 2003). Toutes ces
situations ont le potentiel de pousser les dirigeants à adopter des comportements non-éthiques
s’ils ne préservent pas une certaine forme d’intégrité.
On considère généralement que les dilemmes éthiques sont divers et multiples dans leur
nature, celle-ci étant intrinsèquement liée au contexte dans lequel il prend forme et aux
caractéristiques de ceux qui les vivent. Des liens sont établis entre le type de dilemmes vécus
et l’âge, le sexe et les années d’expérience au travail (Laflamme et Cadieux, 2009). Peu de
recherches ont cependant exploré l’existence d’un phénomène déclencheur commun des
dilemmes éthiques. Quelle que soit la nature ou la cause, le dilemme éthique représente un
état perplexe pour celui qui le vit, et implique la plupart du temps un choix difficile et peu
plaisant (Fisher et Lovell, 2009). Par contre, une vision différente explique les « vrais »
dilemmes durs (realy tough choices) qui ne se concentrent pas sur une dialectique du juste ou
de l’injuste (Aviva, 2006 ; Kidder, 2009). Les dilemmes authentiques trouvent leur source
dans la mise au défi de valeurs profondes. La confrontation entre deux choix de solutions
éthiques crée le dilemme (Kidder, 2009). Les situations ambiguës vécues dans l’exécution
quotidienne du travail font émerger ce type de dilemmes et d’enjeux (Bird et Water, 2002 ;
Bird et al. 1986 ; Waters et Bird, 1989).
Les dilemmes moraux sont donc des incidents critiques, mais surtout sont essentiels à la
compréhension à l’opérationnalité de l’éthique appliquée. En fin de compte, le dilemme nous
ramène à la mise au défi des comportements et des attitudes des personnes dans une
entreprise. Comment s’assurer dans une entreprise d’un dispositif de contrôle qui garantisse
que les conduites et les décisions des managers et des employés respectent les valeurs, les
règles et les principes d’éthique des affaires ? Le dilemme nous pose ce défi complexe.
Notre contribution consiste à présenter un ensemble de propositions d’attitudes et de
comportements qui, certes ne résolvent pas directement le dilemme, qui permettent de mieux
aborder le dilemme et garantir une « assurance raisonnable », pour reprendre les propos
d’Igalens et Joras (2010), de prise de décision éthique.
2.2. Prise de décision face au dilemme
L’intérêt principal de notre réflexion est d’explorer l’audit de l’éthique dans les entreprises et
de s’intéresser à la prise de décision dans le cas de ces dilemmes. Comment savoir si le
manager qui prend une décision dans ce type de situation respecte les règles de base en
éthique. La prise de décision face à un dilemme est notre objet d’étude. Pour reprendre notre
problématique, nous réfléchissons aux principes éthiques qui devraient être respectés afin que
les valeurs, l’image, les objectifs de l’entreprise soient respectés et que les comportements
non éthiques soient évités.
Actuellement, la vision du grand public s’apparente à une perception manichéenne du
processus décisionnel au sein des entreprises ; soit on postule que le manager possède une
large autonomie dans ses choix, soit on perçoit le manager comme une personne prisonnière
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des pressions économiques et financières. La réalité est plus diverse et complexe. Les modèles
de prise de décision éthique et des philosophies morales dont elles s’en inspirent le sont
également.
La faiblesse de ces modèles et des recherches sur la prise de décision éthique réside dans le
nombre modique d’études se référant aux théories de la philosophie morale (Loe, et al., 2000,
O'Fallon et Butterfield, 2005). Dans les rares cas où elles sont présentes, nous nous trouvons
en présence d’un schéma dualiste entre les perspectives qui affirment que les décisions
doivent être prises en fonction des buts à atteindre (téléologiques) comme l’utilité ou en
fonction des devoirs à remplir (déontologique) (Cherré, 2007).
La principale limite de ces deux préceptes provient du fait que leur hypothèse de base
considère l’individu comme un être rationnel et déterminé par des principes Ante dilêmma. A
ce propos, les deux pères fondateurs de l’utilitarisme (John Stuart Mills) et du courant
déontologique (Kant) ont toujours rejeté l’existence de dilemme éthique. Pour eux, le
dilemme éthique est inconcevable soit parce qu’on ne peut mettre deux valeurs en conflits
(Kant), ou parce que le principe d’utilité résout automatiquement ce dilemme. La principale
critique que l’on pourrait faire à ces modèles réside dans le caractère normatif et restrictif de
l’analyse et ne pas aller plus loin. Que se passe-t-il si le manager hésite, s’il ne trouve pas les
mots et ne sait quoi faire face à une situation ? Et comment expliquer que des managers
hésitent entre deux valeurs ? Notamment en cas de génération de conséquences lourdes sur le
plan humain.
Que faire quand la situation est complexe et ambigüe?
Un philosophe a explicitement évoqué ce cas de figure et explicitement dénoncé le
déterminisme moral Ante dilêmma. Se faisant l’apôtre d’une certaine forme de liberté
ontologique, Sartre propose une conception de l’éthique à travers la responsabilité et la liberté
en s’engageant dans une action concrète (Salzmann, 2000, Scanzio, 2000). À la question qui
hante autant les êtres humains que les gestionnaires « Que dois-je faire? », Sartre répond cela
dépend.
Sartre démontre son hypothèse par l’évocation du dilemme du jeune français dans la France
occupée et qui hésite entre deux options : soit il s’engage dans la résistance pour venger la
mort de son père assassiné par les allemands, soit aller travailler en Allemagne afin de
subvenir aux besoins de sa mère malade (Sartre, 1963). Dans son exposé, Sartre insiste sur le
fait qu’il n’existe pas de réponse déterminée par avance. L’étudiant qui lui avait posé la
question « que dois-je faire » n’avait pas non plus de réponse. Pour Sartre, seule une attitude
et une prise de conscience des enjeux qui émergent dans la situation actuelle semblent être les
meilleures boussoles. Les attitudes qui promeuvent, quelles sont-elles ?
En effet, la réponse à cette question dépendrait de la situation, de notre prise de conscience, de
notre projet de vie, et de notre volonté de rester authentique envers nous-mêmes. Cela
dépendrait surtout du fait d’assumer ou pas notre liberté. Sartre (1996) affirme la possibilité
de penser de manière totalement libre et non déterminée offrant ainsi un ensemble d’attitudes
intellectuelles en vue de faire face aux situations d’éthique ambigües.
La représentation du système philosophique de Sartre peut se décrire en six points. Il est à
noter que la représentation de sa pensée s’entremêle à celle de son éthique. Bien que Sartre
n’ait jamais écrit d’ouvrage décrivant systématiquement son modèle moral, ce sujet se
retrouve tout au long de ses essais philosophiques (Scanzio, 2000 et Salzman, 2000). Ainsi, la
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conscience représente une structure de la personnalité et nous donne la possibilité de nous
distancer du passé par le processus de néantisation. Elle représente aussi un processus réflexif
sur la condition de ce que nous vivons dans le présent (Sartre, 1943). Pour ce faire, nous
devons assumer la liberté et notamment la liberté d’être(Sartre, 1943; 1963). Ce constat de
Sartre est le deuxième indicateur de la construction de sa pensée morale. L’authenticité
demeure le résultat et l’application de sa propre liberté et nous offre le troisième concept du
système éthique sartrien (Sartre, 1983).
L’authenticité est le moteur de la liberté et permet à l’individu de devenir libre à travers la
liberté d’autrui (Sartre, 1963).Si l’individu n’est mû par aucun déterminisme, alors son
comportement doit être cohérent avec sa pensée. L’authenticité détient une valeur
fondamentale dans la vie des personnes. Elle constitue un guide de décision et d’action pour
toutes situations ambigües rencontrées dans la vie, et dans la prise de décision éthique en
gestion (Jackson, 2005).
Pour enrichir la relecture de Sartre en management, les chercheurs Hadjistravropoulos et
Malloy (2000) proposent un modèle d'évaluation et d'analyse du processus décisionnel
complété par trois approches: la perspective téléologique (l'utilité), la perspective
déontologique (les normes) et la perspective éthique existentialiste (l’authenticité). Ils
justifient leur opinion selon le fait que les approches déontologiques et conséquencialistes
soulèvent des questions d'éthique à travers des leviers externes de contrôle et de recherche
d’efficacité organisationnelle (Hadjistavropoulos et Malloy, 2000). En réfléchissant sur les
codes de déontologie des médecins canadiens, ces auteurs ont reconnu que l’on ne pouvait pas
anticiper et prévoir l’ensemble des situations et des décisions appropriées face aux diverses
situations. Certaines situations sont nouvelles dans lesquelles les enjeux ne sont pas clairs et
les médecins n’ont aucune idée de comment réagir. En somme, la perspective existentialiste
représente un regard nouveau auquel le manager peut se référer pour décider malgré
l’ambigüité de la situation (Hadjistavropoulos et Malloy, 2000, Sartre, 1983, West, 2008).
Ce point de vue qui est d’incorporer la perspective existentialiste sartrienne, et notamment la
notion d’authenticité, rencontre un intérêt grandissant tant sur le plan conceptuel que sur la
pratique en éthique des affaires (Ashman et Winstanley, 2006, Eliot, 1999, Hadjistavropoulos
et Malloy, 2000, Jackson, 2005, Liedtka, 2008, West, 2008). Reprenons à notre compte cette
vision intégrative des philosophies morales afin de mieux comprendre le phénomène de prise
de décision éthique des managers et posons la question suivante : quelle perspective
philosophique influence cette prise de décision éthique ?
Critères et indicateurs garantissant un comportement éthique face à un dilemme
La difficulté dans l’étude de la prise de décision éthique est de comprendre de manière
appropriée la philosophie morale dans le processus (Miner et Petocz, 2003). Nous proposons
d’inclure la perspective existentialiste issue des travaux de Sartre car elle rejette toutes formes
de déterministe dans la décision (Sartre, 1963). Les individus sont « déterminés » par la
situation seulement s’ils veulent se laisser déterminer par cette dernière. Dans les derniers
scandales de malversation et de corruption qu’a connus notre société, les décisions non
éthiques ont souvent trouvé leur justification par la prémisse de prioriser leur égoïsme ou
l’obéissance aux directives. Dans ce cas, les individus ont tous abdiqué les valeurs communes
et collectives afin de prioriser des intérêts personnels ou égoïstes. Comme dans les
philosophies classiques, les personnes non éthiques sont des individus déterminés par leur
égoïsme ou par leur obéissance aux normes ou aux lois. Que dire alors du comportement de
ces mêmes personnes dans une situation ambigüe qu’est le dilemme. Pour les approches
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classiques, c’est toujours les hypothèses qui s’appliquent et donc, pour elles, il n’y a ni
ambiguïté, ni dilemme. Cette vision de l’être humain peut apparaître réductrice, bien qu’elle
se vérifie dans la réalité. Le système sartrien propose une vision différente et plus complexe
de l’individu parce qu’il intègre l’ambigüité dans la gestion des problèmes éthiques.
Face à un dilemme, Sartre précise que deux postures ou attitudes s’offrent à l’individu : soit il
choisit d’assumer sa liberté et privilégie l’authenticité comme valeur, soit il refuse d’assumer
cette liberté et choisit de s’aliéner envers une idée ou une personne. Pour une question de
clarté, nous reprenons un schéma explicatif :
Liberté
Authenticité- Au
(être pour soi-même et à soi-même)



Au par la Responsabilité
Au par l’Engagement
Au par la création de valeur
selon la situation.
Dilemme
éthique
Prise de
décision
Tension entre
une valeur A et
une valeur B
Mauvaise Foi - MF
(inauthenticité)
(Soi-même à partir des autres)



MF par la Nature humaine
MF par le Devoir
MF par la Valeur de surface
Aliénation
Nous reprenons les propos de Salzman (2000) qui démontrent bien que l’éthique sartrienne
n’est pas une éthique exclusivement subjective, mais qu’elle est faite dans le but de cultiver la
bienveillance mutuelle. A travers sa notion d’engagement, Sartre se faisait le promoteur du
respect d’autrui et de soi-même. Les spécialistes anglo-saxons ont très bien analysé cet aspect
dans le système éthique de Sartre (Jackson, 2005 et West, 2007)
Dans l’audit de l’éthique, la culture d’entreprise et la structure organisationnelle doivent
respecter et promouvoir la liberté d’action et de pensée, de considérer les responsabilités qui
sont liées au poste et la possibilité d’agir selon les circonstances. Ces trois conditions
permettent à la personne de préserver son authenticité. Cette possibilité d’être authentique
dans les choix et les décisions face aux dilemmes résultent d’une cohérence entre les valeurs
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de l’individu et celles de l’entreprise. Si le manager sent qu’il peut être authentique en étant
cohérent entre ce qu’il croit et ce qu’il décide, il réalisera un travail porteur de sens (Cherré,
2007 et Cherré et Morin, 1999). En procédant ainsi, on préservera la santé de l’individu, car
le non-sens au travail affecte beaucoup la santé des individus (Dejours, 1999). En
conséquence, un double objectif sera atteint si on considère les critères de l’éthique sartrienne
dans un audit de l’éthique : l’assurance d’offrir des garanties pour une décision éthique et
pour une décision qui a du sens pour celui qui l’a prend.
Si ces conditions sont respectées, il y a donc possibilité de respecter les conditions d’action du
gestionnaire à décider et à agir selon ses convictions. L’audit d’éthique doit donc prendre en
compte la mesure ou la présence de ces valeurs dans ses critères de mesures :
- Liberté d’action et de décision ;
- Recherche d’authenticité ;
- Rejet de la mauvaise foi et de l’aliénation ;
- Responsabilité envers soi et envers les autres ;
- Conscience des valeurs de l’entreprise et de ses propres valeurs ;
- Prise en compte de la contingence de la situation.
Face à l’ambigüité en éthique générée par les dilemmes, nous proposons la perspective
existentielle de Sartre en éthique en intégrant en outre les perspectives classiques
(Déontologique et Conséquencialiste).
3. Ethique des affaires et audit social
Parmi les définitions données à l’audit social, nous retenons celle de Martory (1996) selon
laquelle cet outil « vise à donner l’opinion professionnelle et indépendante sur la situation
et/ou la gestion sociale d’une entreprise et, lorsque cela est possible, à mettre en lumière des
écarts par rapports à des normes ». L’audit social se révèle être la solution qui permettrait
aux organisations de vérifier le respect des lois et règlements en vue d’assurer une cohérence
entre leurs pratiques RH et les exigences accrues de l’environnement.
Le recours massif à l’audit social ces dernières années s’explique en grande partie par le rôle
joué par la GRH de plus en plus stratégique au sein des organisations (Guerrero, 2008).
L’audit social touche pratiquement à tous les aspects de la gestion des hommes (Igalens,
2000), du recrutement à l’appréciation en passant par d’autres aspects comme l’éthique.
Aujourd’hui les audits de l’éthique concernent davantage les gestionnaires que les éthiciens.
Igalens et Joras (2010) mettent en avant le concept de la sûreté éthique pour inciter les
organisations à s’orienter vers cette pratique. Des organismes comme l’IFACI17 ou encore
l’IFA18 soulignent que l’éthique doit ressortir du cadre réducteur de la détection des
comportements non-éthiques ou encore le non-respect des lois et règlements pour être
appliquée à l’ensemble des activités des organisations.
Un des plus grands défis de l’audit éthique est de prévoir la complexité de mesurer
l’ambiguïté des dilemmes éthiques. Si on désire l’efficacité d’un code de déontologie ou des
politiques éthiques au sein de l’entreprise, on doit prendre en considération deux réalités : la
contingence des situations et la diversité des personnes et donc de leurs comportements. Un
modèle de standardisation des procédures de l’audit éthique risque de ne pas être efficace face
aux situations et en résulter les problèmes que les spécialistes ont constatés avec les codes de
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L’institut français de l’Audit et du contrôle interne.
L’institut français des administrateurs.
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déontologie : être trop général pour être applicable et être juste un discours de bonne volonté.
Dans ce sens, Pigé (2003) souligne que le principal risque que court un audit est « celui d’un
repli sur des normes et des principes d’audit visant à standardiser la prestation offerte ». En
effet, la standardisation des normes d’audit peut s’avérer un outil formidable, mais rester trop
attaché aux normes peut amener à des aberrations de gestion.
Pour parvenir à développer un processus d’audit qui s’intéresse à la performance éthique en
organisation, on devrait travailler sur les indicateurs de cette performance éthique. Ces
derniers doivent êtres les plus inclusifs et plus globaux afin de pouvoir répertorier le plus
grand nombre de situations conflictuelles possibles. En somme, la problématique de cet article
se situe au niveau du troisième temps de la mission d’audit social qui se concentre sur les
travaux de vérification (Combelale et Igalens, 2005). Le problème à ce niveau est celui du
référentiel (ce qui doit être), la bonne pratique, et le réel (ce qui est) (Combelale et Igalens,
2005). Une des difficultés de l’audit est l’épineuse question de la preuve et du critère : quelle
est la bonne décision éthique ? Quels sont les critères qui assurent une décision éthique face à
un dilemme ?
Pour établir des critères fiables et reconnus par la plus grande majorité, un audit doit déjà
partir de valeurs communément reconnues. C’est pour cela que la plupart des guides éthique
reprennent les deux ou trois courants de philosophie appliquée en gestion (Maclagan, 2003).
Cependant, est-ce suffisant ? Notre réponse rejoint d’autres observateurs de ce domaine ; nous
ne le pensons pas (Loosdregt, 2004).
Certes l’audit social constitue un outil incontournable au service du développement durable et
la responsabilité sociale; cependant cette démarche devrait être mise en œuvre avec
parcimonie notamment en coexistence d’éléments comme les dilemmes dans le domaine de
l’éthique. La contextualisation est un élément fondamental qui doit être intégré dans l’esprit
des auditeurs. A contrario, l’orientation vers la standardisation devrait être « repoussée » pour
laisser la place à la sensibilisation – en interne - aux enjeux de l’éthique et la difficulté de
prise de décision face aux dilemmes.
4. Conclusion
L’objectif de ce papier est d’évoquer l’éthique sous l’angle de prise de décision lorsque le
manager se trouve en face de dilemmes. Loin de porter un jugement de valeur sur les
dirigeants d’entreprises ou de déterminer ce qui est éthique et ce qui ne l’est pas, nous
cherchons à travers cette communication à nous interroger sur la possibilité de mesurer
l’éthique lorsque la variable évaluée concerne des comportements, des perceptions et des
cognitions.
N’est-il pas pertinent dans un premier temps de s’interroger sur comment imprégner l’éthique
dans la prise de décision par les gestionnaires plutôt que de se pencher sur la question de
mesure ? Sensibiliser semble en effet le mot juste pour inciter les managers à « décider de
l’éthique ».
Une autre question suscite un intérêt particulier : peut-on standardiser les méthodes et les
démarches d’audit lorsque la décision et ses incidences sont perçues différemment tant par le
manager que par l’auditeur ? Les dilemmes font partie du quotidien de grand nombre de
gestionnaires.
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Le comportement éthique est-il mesurable dans le cadre d’un audit social ? Réflexion sur les dilemmes
Benoit Cherre & Loubna Tahssain
Il serait donc judicieux de comprendre d’une part les enjeux et les incidences de la décision
tant économiques qu’humaines ; et d’autre part, le processus cognitif de la prise de décision.
Ceci peut inciter le manager à mener sa propre réflexion sur le caractère éthique ou non
éthique de la décision qu’il a prise. Cet acte peut constituer une étape fondamentale dans
l’imprégnation de l’éthique dans le script comportemental et décisionnel chez le gestionnaire.
Ce grand travail sur soi, de justifications de ses actes et de ses décisions face au dilemme, peut
présenter aux auditeurs des éléments de base pour mener des réflexions d’une part sur le
processus cognitif de prise de décision face aux dilemmes ; et d’autre part sur la volonté de
quantifier la démarche de l’audit d’éthique.
Sans vouloir mettre en question les pratiques d’audit social, cette communication cherche à
privilégier les dispositions intellectuelles au détriment des mesures standardisées pour éviter
toute forme de déterminisme et émerger des indicateurs attitudinaux.
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Le comportement éthique est-il mesurable dans le cadre d’un audit social ? Réflexion sur les dilemmes
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Le travail décent au péril de la crise
Caroline Cintas & Eric Vatteville
LE TRAVAIL DÉCENT AU PÉRIL DE LA CRISE
Caroline CINTAS
Maître de Conférences de Sciences de gestion
Laboratoire NIMEC – IAE de Rouen
[email protected]
Eric VATTEVILLE
Professeur émérite de Sciences de gestion
Université de Rouen
Laboratoire NIMEC – IAE de Rouen
ESSCA Angers
[email protected], [email protected]
Au cours de la mondialisation la modernisation des systèmes productifs et le progrès social
n’ont pas cheminé du même pas. La sauvegarde des valeurs communes de l’humanité a été
régulièrement subordonnée à l’exigence de compétitivité économique. Les premières années
du XXIème siècle avaient laissé entrevoir un certain rééquilibrage entre les deux finalités du
développement, dans les discours tout au moins. Les Objectifs du Millénaire pour le
Développement (OMD) dont le but est l’amélioration significative de la situation des
populations les plus vulnérables à l’horizon 2015, ont fait du travail décent la dimension
sociale de la mondialisation19.
La notion de travail décent est apparue en 1999 dans le rapport présenté par le Directeur de
l’Organisation Internationale du Travail. Elle s’inscrit dans le contexte normatif dessiné par la
Déclaration relative aux Principes et Droits Fondamentaux du Travail adoptée en 199820 et
elle est devenue la composante essentielle de la sécurité socio-économique et l’ambition
centrale du programme du Bureau International du Travail (BIT) pour le début du siècle en
cours. Elle peut se définir de la façon suivante : « Création d’un ensemble de lois,
réglementations et institutions qui permettent à un nombre croissant de membres de toutes les
sociétés du monde de travailler sans oppression dans une sécurité raisonnable, en améliorant
progressivement leurs possibilités d’épanouissement personnel et gagnant de quoi subvenir à
leurs besoins et à ceux de leurs familles. » (Guy Standing)21. On peut déceler dans le contenu
de cette notion l’influence d’Amartya Sen, auteur pour lequel le développement est un
« Processus d’expansion des libertés réelles dont jouissent les individus »22 et pour qui, dans
les choix collectifs, le débat public et démocratique doit prendre le pas sur le libre
fonctionnement des marchés. Les experts du BIT proposent de la mesurer indirectement par
l’intermédiaire de sept formes de sécurité liées au travail : sécurité du marché du travail,
sécurité de l’emploi, sécurité professionnelle, sécurité au travail, sécurité du maintien des
qualifications, sécurité du revenu et sécurité de représentation. Beaucoup de commentateurs
19
Les OMD, au nombre de huit, sont contenus dans la déclaration signée en septembre 2000 par les 191 pays
réunis à l’occasion du Sommet du Millénaire par l’ONU. Ils vont de la réduction de l’extrême pauvreté et de la
faim à la mise en place d’un partenariat mondial pour le développement en passant par l’éducation, la réduction
de la mortalité infantile, l’égalité des femmes, la lutte contre certaines maladies (SIDA, paludisme…).
20
Quatre font l’objet d’une obligation de respect et d’une procédure de suivi : la liberté d’association,
l’élimination du travail forcé, l’abolition du travail des enfants et la suppression des discriminations en matière
d’emploi. Voir SUPIOT A. (2006), « La place de la sécurité sociale dans le système des normes internationales
du travail. » Semaine Sociale Lamy, supplément N° 1272 (4 septembre), « Protection sociale et travail décent. »
21
STANDING G. (2002), « Enquêtes sur la sécurité des personnes : vers un indicateur de travail décent ». Revue
Internationale du Travail volume 141 N°4.
22
SEN A. (2000), « Un nouveau modèle économique. Développement, justice, liberté. Editions Odile Jacob.
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Le travail décent au péril de la crise
Caroline Cintas & Eric Vatteville
font du travail décent un point de passage obligé dans la marche vers une société plus juste et
un management plus équitable. Il est même envisageable de mobiliser ce concept comme pôle
de résistance face aux excès de la dérégulation du marché du travail (B. Gazier, 2010).
L’analyse des experts internationaux a surtout porté sur l’aspect macroéconomique des choses
et sur la comparaison des profils nationaux de travail décent. Un tel niveau d’observation est
insuffisant. Le travail décent se construit dans l’entreprise ; la notion demeurera vide de sens
si le management n’en fait pas une des composantes de sa stratégie des ressources humaines.
Nous situerons donc notre argumentation dans une perspective de promotion de la
responsabilité sociale de l’entreprise dans une période caractérisée par une forte perturbation
conjoncturelle.
Née aux Etats-Unis dans le secteur des prêts immobiliers en 2007, la crise financière est
devenue économique et mondiale en s’approfondissant en 2008 et 2009 et se prolongeant dans
certaines zones géographiques comme l’Europe de l’Ouest par une sorte d’enlisement
stagnationniste en 2010 et 2011. La crise a remis au premier plan les lois d’airain de la
mondialisation et exacerbé les contradictions de la gestion des ressources humaines. D’une
part elle a accéléré la mutation de l’économie mondiale au profit des pays émergents et
entrainé la dégradation des indicateurs sociaux nationaux, tout particulièrement le taux de
chômage23. D’autre part, en dépit de ses origines bancaires, elle a renforcé la conception
dominante du management dans laquelle la logique du marché financier est la référence
ultime. La grande majorité des entreprises ont répondu à la crise par la réduction de leurs
coûts salariaux (par le moyen de licenciements, de réductions d’horaires, de baisse des taux de
salaires, de diminution des avantages sociaux … ) Elles ont le plus souvent été accompagnées
dans cette stratégie par les pouvoirs publics qui ont fait de la flexibilité du marché du travail le
pilier essentiel dans la recherche du plein emploi. De tels comportements aggravent la fracture
sociale, ils se sont généralisés en dépit de la fragilité de leur fondement théorique puisque les
mécanismes de protection sociale ont un rôle de stabilisateurs automatiques dans les
fluctuations conjoncturelles (J. Stiglitz, 2009).
En raison de sa position élevée sur l’échelle de l’intensité du phénomène – elle est la plus
forte depuis 1929 -, la crise de 2008 – 2009 a eu pour effet de cristalliser certains
déséquilibres sociaux. Son niveau de gravité permettait de la qualifier de « crise du régime
d’accumulation », voire de « crise du mode de production », pour utiliser le vocabulaire des
théoriciens de la régulation (R. Boyer, 2004). Pendant une courte période, autour de la réunion
du G 20 tenue à Londres en avril 2009, une véritable réforme du fonctionnement du
capitalisme financier a semblé envisageable ; mais sa mise en œuvre s’est rapidement heurtée
à l’absence de volonté politique. Le changement de conjoncture a néanmoins clairement
révélé le besoin de nouvelles normes internationales pour la protection sociale, une crise
mondiale appelle des remèdes globaux tout en rendant plus difficile leur financement. Il a
entrainé aussi une extension du champ d’application des ambitions réglementaires de l’OIT.
Initialement conçu pour les pays en voie de développement, le travail décent est devenu une
norme enviable pour bon nombre de nations dites avancées. Fragilisées par l’accumulation de
dettes à grande échelle, elles ont été obligées – à l’instar de la Grèce, de l’Irlande, de la
Grande Bretagne.. – de s’engager dans des programmes d’austérité remettant en question bien
des acquis sociaux de l’Etat –providence. Notre analyse sera centrée sur le cas français.
Les entreprises et leurs directions des ressources humaines se trouvent en première ligne pour
combler les déficits de travail décent. Malheureusement la pérennité de la contrainte
actionnariale en période de pénurie de moyens financiers a sérieusement entravé leurs efforts.
La crise a exacerbé deux tendances souterrainement à l’œuvre depuis une vingtaine d’années :
l’aggravation de l’insécurité économique et la détérioration des conditions de travail. A
23
Entre 2007 et 2010, le taux de chômage passe de 4,8 % à 10 % aux Etats-Unis, de 7,9 % à 10 % en France, de
7,7 % à 10 % au Maroc, accompagné dans tous les pays par une augmentation significative de la précarité.
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Le travail décent au péril de la crise
Caroline Cintas & Eric Vatteville
chacune nous consacrerons une partie, en nous efforçant de développer une analyse critique
des pratiques et de la glorification dont elles ont souvent bénéficié dans le courant de pensée
dominant en gestion des ressources humaines. La critique est nécessaire pour déceler les
domaines dans lesquels un changement est envisageable et pour imaginer les actions
susceptibles de favoriser la sortie de crise en préservant les valeurs de l’humanisme. L’audit
social peut participer à cette promotion d’un management plus « civilisateur ». Nous y ferons
allusion pour conclure.
1. L’aggravation de l’insécurité économique.
La crise a renforcé la tendance des gestionnaires des ressources humaines à faire prévaloir
l’efficace sur le juste. Au nom de la rentabilité, ils se sont attachés à aligner la fluidité des
travailleurs sur celle des ressources financières, faisant peser sur leurs collaborateurs une
menace de plus en plus lourde souvent résumée par le mot « précarité ». Devant l’interruption
de la marche du progrès social entamée au milieu du XIXème siècle, l’Organisation
Internationale du Travail a adopté à l’unanimité le 10 juin 2008 une déclaration sur la justice
sociale pour une mondialisation équitable. Elle met le travail décent au cœur des politiques
élaborées par l’OIT pour atteindre ses objectifs constitutionnels. Un sérieux effort sera
nécessaire pour faire de cette notion la finalité des stratégies des ressources humaines.
« La crise c’est l’urgence, plus la déstabilisation » (Patrick Lagadec)24. Défi pour tous les
managers, elle combine des paramètres objectifs (chute des ventes, baisse de la productivité,
multiplication des incidents de paiement …) et subjectifs (stress, ébranlement des références à
l’environnement …). Les DRH, dans leur domaine, y ont réagi le plus souvent en stimulant
deux phénomènes, conséquences naturelles de la dérégulation du marché du travail. D’une
part, par l’intensification de la concurrence pour l’emploi à l’origine d’une dislocation de la
relation d’emploi et d’un nouveau partage du risque économique. D’autre part, par une
segmentation renforcée de leur marché interne du travail, génératrice d’un accroissement des
disparités de rémunérations, phénomène à l’origine d’un renouveau du débat sur les inégalités
et sur le partage de la valeur ajoutée. Nous évoquerons successivement au cours des deux
points de la première partie ces deux axes de la réponse des responsables des ressources
humaines au défi provoqué par la contraction de l’activité économique. Ils pèsent sur la
plupart des formes de sécurité liées au travail, identifiées par le BIT.
2. La dislocation de la relation d’emploi.
La norme de l’emploi salarié – construite entre 1950 et 1970 – reposait sur trois éléments
rigoureusement codifiés : une relation durable garantie par la réglementation du licenciement ;
un employeur unique ; un travail à plein temps dans les limites imposées par la loi. Elle
formait le contenu du contrat de travail classique25, le plus souvent contrat d’adhésion
déclenchant l’application d’un statut collectif et organisant un partage de risque entre
l’employeur et le salarié. Le premier prenait à sa charge la couverture des aléas mineurs de
l’activité. La poursuite de la flexibilité a grandement fragilisé ce lien et fait peser sur
l’exigence de travail décent une double menace. D’une part la crise a rendu clairement visible
l’affaiblissement de la protection juridique des salariés, conséquence de la dérégulation du
marché du travail réclamée avec insistance par les organisations patronales depuis de
nombreuses années. D’autre part, la logique compétence est simultanément devenue l’axe
central de toute stratégie des ressources humaines, nouvelle instrumentation de gestion qui
24
LAGADEC P. (1993), « Apprendre à gérer les crises. Société vulnérable – acteurs responsables. » Les
Editions d’Organisation.
25
Convention par laquelle une personne s’engage à mettre son activité à la disposition d’une autre sous la
subordination de laquelle elle se place, moyennant une rémunération.
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Le travail décent au péril de la crise
Caroline Cintas & Eric Vatteville
dégénère facilement en pratique managériale asservissante, au fondement plus idéologique
qu’analytique. Nous examinerons brièvement l’un et l’autre péril.
Le dépérissement de la protection juridique.
Les salariés ont vu progressivement s’effriter toutes les garanties qui faisaient l’essence de
leur statut. Les formes particulières d’emploi se sont multipliées, dérogeant plus ou moins
sensiblement aux normes traditionnelles (contrat à durée déterminée, travail intérimaire,
travail à temps partiel, travail à domicile, contrats aidés d’une grande diversité ..). Elles sont à
l’origine de la création d’un noyau dur de travailleurs précaires, environ six millions de
personnes en France aujourd’hui26. La variabilité de la rémunération, en outre, affecte un
nombre croissant d’employés reportant sur eux une fraction de l’aléa financier.
Deux évolutions tenant à l’essence même de la convention d’emploi sont plus redoutables
encore : l’inversion de la hiérarchie habituelle des normes juridiques et la transformation de la
nature du contrat de travail. D’un côté les organisations patronales ont développé une efficace
stratégie de redistribution des pouvoirs27, de la branche vers l’entreprise dans le champ de la
négociation collective. L’entreprise étant devenue le lieu privilégié du dialogue social, la
branche n’a plus qu’un rôle supplétif. Les accords d’entreprise peuvent être moins favorables
aux salariés que la convention de branche, pourvu que soit respecté l’ordre public social. Le
glissement vers un syndicalisme d’entreprise, accéléré par la loi de modernisation du marché
du travail du 25 juin 2008, modifie les rapports de force entre les partenaires sociaux et peut
altérer la sécurité de représentation. En France les syndicats ouvriers ont une culture et une
organisation fondée sur une vision nationale et non locale de l’intérêt commun. La crise,
marquée par le renforcement de la désindustrialisation et de la déconcentration des
établissements, a contribué à leur affaiblissement28. D’un autre côté, les employeurs ont
renforcé leur pouvoir à l’égard de leurs salariés en modifiant insidieusement la nature du
contrat de travail. Celui-ci, qui était une obligation de moyens – se comporter conformément
aux règles du métier -, se rapproche d’une obligation de résultats. Le salarié qui n’atteint pas
ses objectifs peut être licencié pour insuffisance de performance. Les licenciements
individuels pour motifs personnels sont en augmentation régulière dans notre pays, ils sont
désormais trois fois plus nombreux que ceux de nature collective pour motif économique. Ils
sont principalement la conséquence de comportements des petites entreprises et, de ce fait,
peu médiatisés. Ils ont néanmoins touché près de 700 000 personnes en 2008.
Les licenciements individuels sont concurrencés dorénavant par la rupture conventionnelle
introduite dans notre droit par la loi du 25 juin 2008. Cette innovation évacue la notion de
faute et permet de s’affranchir de toute préoccupation concernant un éventuel déficit de travail
décent29. Nous nous rapprochons ainsi d’une sorte « d’entrepreneuriat salarial » qui autorise le
26
Chez les jeunes de 15 à 24 ans, les formes particulières d’emploi dans la population occupée passent de 30 %
au début des années 1990 à 50 % en 2008. (INSEE, « Marché du travail » Séries longues. Edition 2010). Les
CDD, de leur côté, représentent 80 % des embauches dans le secteur tertiaire en 2009 alors qu’ils ne
concernaient que 8 % de l’ensemble des emplois. (Alternatives Economiques, hors série N° 86, 4ème trimestre
2010, « Les chiffres 2011 »).
27
En France elle est fort bien illustrée par le projet de « refondation sociale » défendu par le MEDEF.
28
Le taux global de syndicalisation a poursuivi son irrésistible déclin (8,1 % en 2000, 7,7 % en 2008). Les
militants se raréfient, mais cela n’empêche pas une augmentation de la présence syndicale sur les lieux de travail
à travers les instances représentatives du personnel, contribuant à élargir son influence. L’impact total de ce
double mouvement demeure ambigu. (PERNOT J.M. et PIGNONI M.T., 2008).
29
Elle avait été vigoureusement défendue par le MEDEF à l’origine du slogan « Osons le divorce », mais
l’asymétrie de pouvoir qui existe entre les deux partenaires de la relation d’emploi transforme facilement
l’opération en répudiation. Cette rupture amiable a connu un succès certain. 122 000 ont été homologuées par les
services du Ministère du Travail au premier semestre 2010, contre 82 000 pour la même période en 2009,
respectivement 11,1 % et 7,4 % des sorties du marché du travail. (DARES, Indicateurs N° 88 décembre 2010,
« Les mouvements de main d’œuvre au deuxième trimestre 2010. »)
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Le travail décent au péril de la crise
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remplacement du droit du travail par le droit commercial. La dérégulation de l’emploi atteint
sa limite extrême. Menée au nom de l’amélioration de la productivité, elle n’a pourtant pas eu,
dans cette perspective, l’efficacité vantée par ses promoteurs30 mais elle a fortement dégradé
la sécurité de l’emploi.
La nouvelle GRH estime que le travailleur peut améliorer les conditions de son activité et elle
compte sur lui pour augmenter la productivité. L’idéal serait que chacun devienne
l’entrepreneur de son propre travail, construise son poste et sa carrière. Les citoyens doivent
devenir « Les chefs d’entreprise de leur propre capital humain », note Jürgen Habermas sans
l’approuver31. Cette exigence bouleverse la condition salariale caractérisée traditionnellement
par la subordination et non par la liberté32. A la limite, le salarié est expulsé de l’entreprise
pour être transformé en travailleur indépendant plus ou moins lié à son ancien employeur. La
fausse sous-traitance se multiplie dans certains secteurs comme le bâtiment ou les transports
routiers. Cette évolution est lourde de régression sociale. Elle vide de son sens la notion de
travail décent puisqu’un entrepreneur fixe en toute liberté les conditions dans lesquelles il
exerce son activité. Le mouvement a été vivement encouragé par la crise et par une innovation
contenue dans la loi de modernisation de l’économie applicable depuis le 1er janvier 2009, le
statut d’auto - entrepreneur à l’origine de plus de 300 000 créations d’entreprises en 2009.
La dérive vers « l’entreprise de soi » exaltée par certains consultants (B. Aubrey, 2000)
s’avère pernicieuse car elle entraîne une dislocation du collectif de travail (disparités de
statuts, temps de présence disjoints..) et un morcellement de la société. Chacun est menacé de
se retrouver en position d’agent indépendant sans sécurité d’emploi ni de revenu. Cette
évolution freine l’action syndicale et perturbe les mécanismes de représentation des
travailleurs, mais elle fait simultanément disparaître les valeurs d’entraide et de solidarité. Le
salarié de la précarité livre un combat solitaire. Il est exposé à un risque de « désaffiliation »
(R. Castel, 2001), le mot désigne les situations de décrochage dans lesquelles les individus
sortent des régulations collectives, perdent leurs assises et leurs repères.
L’entreprise communautaire durable, autorisant des parcours professionnels inscrits dans un
destin collectif, laisse de plus en plus souvent place à une organisation ouverte et éphémère
fonctionnant sur le mode projet, peu favorable à la préservation de la sécurité
professionnelle. Les nouvelles technologies permettant la dispersion spatiale de
collaborateurs autonomes ont renforcé le discours dominant favorable à une vision de plus en
plus individualiste des rapports entre les hommes. La transformation des pratiques de gestion
des ressources humaines a été encore accélérée par la crise de la mondialisation qui a fait de
l’exigence de compétitivité une contrainte de plus en plus astreignante33. La logique
compétence, en gestation depuis une vingtaine d’années, a fourni aux spécialistes une
justification théorique dont il faut essayer de saisir la portée.
30
STORM S. et NAASTEPAD C.W.M. (2009), « Labor Market Regulation and Productivity Growth : Evidence
for Twenty OECD Countries (1984-2004) » (Industrial Relations vol. 48) montrent au contraire que
l’amélioration de la productivité de l’emploi était d’autant plus forte que le marché du travail était plus régulé,
résultat qui est un encouragement à l’institutionnalisation du travail décent.
31
HABERMAS J. (2000), « Après l’Etat Nation », Fayard. Cette idéologie, cohérente mais fermée, est propagée
par un nouveau groupe d’acteurs, les « travailleurs mondiaux » issus dans leur grande majorité des écoles de
gestion anglo-saxonnes. Robert REICH (« L’économie mondialisée », Dunod, 1993) les définit comme des
manipulateurs de symboles.
32
Certains, comme le directeur de la production chez VW, considèrent que « le transfert des compétences
entrepreneuriales vers la base permet de supprimer, dans une large mesure, les antagonismes entre travail et
capital. » (Cité par André GORZ, « La personne devient une entreprise. Note sur le travail de production de
soi. » Cadres CFDT N° 404, mai 2003).
33
La crise a soudainement révélé les conséquences dévastatrices pour l’équilibre social de la mise en contact
étroite et permanente d’univers socio productifs très éloignés par la géographie comme par les normes de
rémunération et d’emploi. Elle est en train de bouleverser la hiérarchie des nations.
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Le travail décent au péril de la crise
Caroline Cintas & Eric Vatteville
L’essor de la gestion par les compétences, facteur de vulnérabilité pour le salariat.
Le mot compétence a envahi le champ de la gestion des ressources humaines : recruter, c’est
découvrir la compétence dont on a besoin ; former, c’est développer la compétence ; organiser
le travail, c’est répartir les compétences ; rémunérer, c’est payer la compétence ; gérer les
carrières, c’est optimiser la compétence au cours du temps… La notion, pourtant, demeure
imprécise. Elle recouvre « la mise en œuvre des ressources d’un individu associées à des
moyens fournis par l’entreprise, dans une situation de travail donnée » (Bruno Lacroix et
Alain Dumont)34 ou plus simplement un ensemble de « savoirs, savoir-faire et savoir-être
validés dans un emploi »35. Elle se situe donc dans l’action et dans l’entreprise et elle se
manifeste à l’instant où les capacités de l’employé sont mises en oeuvre36. Elle favorise
l’individualisation de la gestion des personnes. Au sein de son poste, chaque collaborateur
doit mettre en avant ses actes de travail efficaces et négocier isolément la possibilité d’exercer
ses aptitudes et la reconnaissance de celles-ci lors de l’entretien annuel d’évaluation. La
démarche permet de s’affranchir des contraintes de la régulation collective, ce qui est la
principale raison de son succès. En outre elle est en adéquation avec les changements
organisationnels des deux dernières décennies (décentralisation, structures plates, tâches de
moins en moins prescrites, généralisation de la gestion en flux tendus raccourcissant
l’horizon).
Le concept a l’inconvénient de résister à la mesure ; selon l’expression d’un sociologue, c’est
un « mirage social ». (P. Rozenblatt, 2000). La compétence n’est jamais définitivement
acquise puisque liée à une situation de travail changeante. Elle est inférée à partir d’une
performance constatée dont l’estimation est fugace et aléatoire car elle est influencée par le
hasard, par les circonstances du marché, par l’action de tiers (des collègues, des fournisseurs).
Elle peut être remise en cause à tout moment. La relation compétence – performance est
toujours indécise. Elle n’en est pas moins à l’origine de pratiques managériales aux incidences
perverses pour le travail décent. La logique compétence a pour finalité principale la mise en
place de modes de sélection plus efficaces, elle doit aider à repérer les collaborateurs à haut
potentiel et à faciliter la mise à l’écart de ceux dont les performances sont insuffisantes. Cette
préoccupation, particulièrement agissante en période de crise, amplifie l’asymétrie et
l’instabilité de lien salarial. La recomposition continue de la population employée engendre
un important risque d’exclusion, elle compromet la sécurité du maintien des qualifications
garantie naguère par les accords de classification et les conventions collectives. En outre
l’individualisation de la gestion patronale des emplois n’est pas sans conséquences sur la
hiérarchie des rémunérations, comme nous allons le voir dans le second point.
3. L’accroissement des inégalités.
La crise a rendu plus impérieuse l’exigence de rentabilité. Elle a accéléré le passage du
capitalisme partenarial, dominant en Europe continentale jusqu’à la dernière décennie du
XXème siècle, à un capitalisme contractuel d’origine anglo-saxonne. Dans le premier,
l’entreprise est une institution, une communauté soucieuse du bien commun. Pour le second,
la priorité doit être donnée à une vision hédoniste et individualiste du comportement des
acteurs économiques. L’employeur est donc incité à utiliser son pouvoir de marché pour
organiser la compétition entre les travailleurs afin de retrouver quelques degrés de liberté dans
le contrôle de ses charges salariales. Cette ambition est à l’origine d’un alourdissement des
contraintes pesant sur les spécialistes des ressources humaines. Ils ont été conduits à
34
LACROIX B. et DUMONT A. (1999), « Préférer la compétence au diplôme. » Sociétal N° 26, septembre. Les
deux auteurs expriment la position du MEDEF.
35
Formule utilisée en 1990 par les rédacteurs de l’accord phare signé dans la métallurgie, connu sous son
acronyme ACAP 2000 (Accord sur la Conduite de l’Activité Professionnelle).
36
Elle doit être comprise comme un flux plutôt qu’un stock.
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Le travail décent au péril de la crise
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développer leurs stratégies selon deux axes majeurs dans lesquels le travail décent n’est pas
un souci prioritaire : la segmentation et la discrimination. Ces mécanismes jouent un rôle
important dans l’accroissement des disparités entre les salariés. Ils sont bien connus et
peuvent donc être évoqués très brièvement.
La segmentation.
Confrontée à des populations de plus en plus hétérogènes, la gestion des ressources humaines
s’efforce de parvenir à une stratification des emplois et des travailleurs en configurations
clairement hiérarchisées et souvent stabilisées par un enfermement juridique dans l’une ou
l’autre des formes particulières d’emploi utilisables aujourd’hui. Elle poursuit deux objectifs
par l’intermédiaire de cet émiettement des effectifs employés. D’une part tirer avantage des
différences existant entre les élasticités des offres de travail émanant des divers groupes de
demandeurs d’emploi dans une situation de concurrence imparfaite. D’autre part mettre en
place un contrôle social plus étroit de la main d’œuvre (l’individualisation poussée à sa limite
fait de chaque collaborateur un segment de marché du travail susceptible de se voir appliquer
des règles particulières de recrutement, d’évaluation, de rémunération … ). Le dualisme jadis
décrit par Doeringer et Piore (1971) est aujourd’hui trop schématique. Marché primaire et
marché secondaire sont de plus en plus souvent complétés par un ensemble flou soumis à une
parasubordination37 et par un recours au travail clandestin. L’érosion du marché primaire doté
des caractéristiques les plus favorables aux salariés38, est un des traits distinctifs de la période
contemporaine. Par effet de miroir, elle révèle l’affaiblissement de la sécurité du marché du
travail, phénomène fréquemment aggravé par la mise en place de mécanismes de
discrimination.
La discrimination.
La gestion des ressources humaines inflige couramment des traitements différenciés à certains
groupes sociaux indépendamment de leurs caractéristiques productives. Ils limitent leur
recrutement et freinent leur avancement, dans le cas le plus fréquemment étudié de
discrimination négative. Cette pratique se traduit alors par une disparité durable dans les taux
d’accès à l’emploi et par un écart persistant dans la rémunération. Il s’agit d’anomalies pour la
théorie économique standard (G. Becker, 1957). Elles alourdissent les coûts des entreprises
qui les mettent en œuvre et devraient donc disparaître sous la pression de la concurrence. Il
n’en est rien car leur origine est plus profonde. Elles révèlent les motivations extra
économiques des acteurs, renforcées en période de crise (la peur de l’étranger), et même un
choix de société puisque l’on retrouve le même phénomène dans les taux d’accès des
minorités à la formation39.
Les pratiques discriminantes revêtent souvent un caractère cumulatif dont témoignent, d’une
part la pauvreté laborieuse conséquence de l’exclusion appauvrissante des minorités
discriminées et d’autre part la déformation de la structure des rémunérations en faveur d’une
frange très étroite de la population salariée, celle des cadres dirigeants.
D’un côté une pauvreté durable s’est installée au cœur du salariat. Le nécessiteux,
aujourd’hui, n’est plus un inactif âgé mais un travailleur faiblement rémunéré et assisté. Son
statut social s’est modifié. La transformation du Revenu Minimum d’Insertion - RMI – en
Revenu de Solidarité Active – RSA – est caractéristique de ce changement40. En admettant le
37
Collaboration coordonnée et continue générant une dépendance économique extérieure au marché du travail.
Salaires élevés, travail à plein temps, sécurité et stabilité de l’emploi, fortes possibilités de formation et de
promotion, avantages sociaux importants, conditions de travail satisfaisantes…
39
Dans une telle atmosphère, la proportion de firmes discriminantes est élevée, toutes supportent à peu près les
mêmes coûts et le jeu de la pression concurrentielle est entravé.
40
Le RSA a été mis en place par une loi du 1er décembre 2008
38
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Le travail décent au péril de la crise
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cumul d’un petit revenu d’activité et d’une allocation d’assistance41, cette innovation instaure
un régime chronique de sous-salariat rentabilisant les emplois peu qualifiés pour les
entreprises qui bénéficient en outre de multiples exonérations de cotisations sociales.
Amplifié par la discontinuité des trajectoires professionnelles, cet appauvrissement menace
gravement la sécurité du revenu d’une minorité croissante de la population salariée (6 à 8
millions de personnes en France en 2008. D. Clerc, 2008). D’un autre côté, l’ouverture
irrésistible de l’éventail des salaires est la caractéristique majeure de la première décennie du
XXIème siècle. Abandonnée au libre jeu du marché, la structure des rémunérations du travail
s’est déformée en faveur d’une petite élite particulièrement bien dotée en capital humain et
social et bénéficiaire de discriminations positives tout aussi multiplicatives que celles de signe
opposé qui menaient à la pauvreté. Le centile supérieur (113 000 individus pour le secteur
privé) a vu sa part dans la masse salariale augmenter de un point en dix ans (de 5,5 % en 1996
à 6,5 % en 2006. J.P. Cotis, 2009). Une telle situation comporte un risque de tensions sociales
d’autant plus fort qu’elle s’inscrit dans une conjoncture dépressive marquée par une tendance
à la dégradation de la plupart des sécurités liées au travail. Le déficit de travail décent est
aggravé par une autre dérive managériale, la détérioration des conditions de travail à laquelle
nous allons consacrer la seconde partie.
4. La détérioration des conditions de travail.
Afin de garantir un travail décent, l’entreprise doit veiller à la sécurité au travail de ses
salariés. Elle est définie comme « la protection contre les accidents et les maladies du travail,
grâce à des réglementations sur la sécurité et la santé, la limitation de la durée du travail, les
heures supplémentaires, le travail de nuit des femmes… » (G. Standing 2002, p. 488). Si des
efforts sont faits sur les réglementations, ils n’ont guère d’impact sur les pratiques
d’entreprise.
En effet, la sécurité au travail en France et en Europe est mise à mal par la détérioration des
conditions de travail : le développement de démarches qualité augmente de 20 à 30% les
accidents du travail (P. Askenazy et E. Caroli, 2003) ; la généralisation de pratiques flexibles
innovantes dans les entreprises, telles que la polyvalence, le juste à temps, les cercles de
qualité, sont à l’origine d’une dégradation insidieuse des conditions de travail collectives (P.
Askenazy, 2004). Elle pèse également sur la santé et souvent engendre un malaise individuel
(C. Baudelot et M. Gollac 2003), un stress, un mal-être au travail. Il s’explique non seulement
par l’augmentation de la souffrance au travail mais aussi par l’essor des problèmes de
violences dans la relation laborieuse.
L’amplification du phénomène de stress est le révélateur le plus éloquent de la dégradation
des conditions de travail. Cette dernière peut se voir attribuer deux causes principales :
l’aggravation du déséquilibre contrôle – demande et le développement de la violence au
travail. A chacune un point sera consacré.
5. Le renforcement du déséquilibre contrôle/demande.
D’après le modèle de R.A. Karazek (1979) qui analyse les situations de travail en lien avec le
stress perçu, un contrôle fort couplé à des exigences professionnelles élevées en présence d’un
faible soutien social génère une tension au travail. Celle-ci a des répercussions sur l’état de
santé individuel du salarié aussi bien physique (maladies cardiovasculaires) que
psychologique (insomnie, symptômes dépressifs, usure professionnelle, consommation accrue
de psychotropes, addictions). Aujourd’hui le contrôle du travail est renforcé par les T.I.C.
Elles permettent l’intensification des tâches en soumettant leur réalisation à une urgence
toujours plus pressante alors même que le soutien social se fragilise.
41
Au 31 décembre 2009 les bénéficiaires du RSA étaient 1 117 000, au 30 septembre 2010, 1 790 000.
(Alternatives Economiques N° 298, janvier 2011.
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Les T.I.C. : entre urgence et contrôle
Les nouvelles conditions de travail liées aux technologies de l’information et de la
communication (T.I.C.) favorisent l’émergence d’un nouveau rapport au temps et d’un
renforcement du contrôle. L’accélération du rythme de l’activité pèse sur le psychisme des
acteurs. Un sentiment d’urgence constant lié au besoin de réactivité se développe. En effet, le
volume des données à traiter est de moins en moins compatible avec les délais imposés. Cette
surcharge informationnelle déstabilise les salariés (H. Isaac, E. Campoy, M. Kalika, 2007).
Elle induit une perte de maîtrise du temps en terme de volume mais aussi de processus. D’un
côté les salariés se sentent vite dépassés et manquent de temps face aux informations à traiter ;
ils basculent dans le stress et l’agitation. D’un autre côté ils sont interrompus dans leurs tâches
environ toutes les 12 minutes d’après une enquête de septembre 201042. La fréquence des
perturbations provoque un morcellement du temps de travail et réduit les capacités de
concentration. Elle constitue une des dimensions clés de l’augmentation de la demande au
travail.
Les TIC ont permis une dissociation du temps au travail et du temps de travail. Le
nomadisme en est la forme la plus radicale (H. Isaac, 2004). Il favorise l’empiètement sur la
vie privée et provoque un déséquilibre entre vie professionnelle et vie de famille. Les
frontières entre les lieux du travail et du hors travail sont devenues poreuses. Elles créent une
« laisse informatique » qui oblige les salariés à avoir leur dossier à la maison, à pouvoir réagir
aux mails en temps réel, à être joignables à tout moment. Le temps de travail devient donc
flexible et ne se résume plus au temps de présence dans l’entreprise. Les TIC envahissent la
sphère privée et renforcent le sentiment de contrôle de l’activité. Un contrôle accru, des
exigences plus complexes favorisent l’apparition d’une tension au travail, « Job strain ».
Celle-ci, en l’absence de soutien social, a des conséquences désastreuses sur la santé
individuelle et sur les équilibres psycho-sociaux.
De nombreuses études sociologiques ont mis en évidence la fragilisation des collectifs de
travail traditionnels dont le lien est de nature communautaire (D. Linhart, 1994 ; J.L. Laville,
1993 ; C. Thuderoz, 1995 ; T. Coutrot, 1998). Une des pratiques managériales les plus actives
dans cette détérioration est l’évaluation des performances individuelles.
L’évaluation des performances individuelles : entre contrôle et fragilisation du soutien social.
L’évaluation des performances individuelles participe au renforcement du contrôle du travail.
Les dispositifs destinés à la mettre en œuvre basent leur appréciation sur la « valeur »
(compétence) et non plus sur la « qualité » (qualification). La rationalité économique, en
faisant le lien entre sciences exactes, idéologie managériale et dynamique des espaces
professionnels, promeut l’illusoire idéal scientifique et méritocratique de ce type d’outil qui
participe de la passion évaluative (V. Boussard, 2009) et renforce le sentiment de contrôle.
Dans ce cadre, le travail n'est plus considéré que comme un résultat à optimiser, mesurable et
indifférent aux interactions entre les individus, aux effets de synergie. Or, il est difficile voire
impossible de quantifier ce qui revient à la personne du fait de son activité propre et ce qui
revient à la coopération (Girardot, 2007).
La valorisation de la dimension individuelle constitue une méthode pour détacher les salariés
de leurs collectifs d’appartenance (D. Linhart, 1994). En accord avec cette assertion, Didier
Retour (1998) affirme que les politiques de gestion prévisionnelle des emplois et des
compétences conduisent les entreprises à demander aux salariés d’être de plus en plus acteurs
de leurs parcours professionnels. Mais elles ont l’inconvénient de modifier le lien social en
altérant l’esprit de coopération.
42
Cette enquête de septembre 2010 a été publiée par le développeur Web Sciforma et montre le morcellement du
temps de travail qui réduit les capacités de concentration, Revue Travail et Changement (ANACT), N°335,
janvier-février 2011, « Nouvelles organisations : les temps changent ».
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De fait, la logique compétence substitue la complémentarité économique à la solidarité
sociale. Le collectif de travail se transforme et acquiert une dimension coercitive en excluant
les plus démunis en savoirs (C. Everaere, 1996). L’autorégulation du collectif peut avoir des
avantages pour l’entreprise ; cependant, elle peut facilement se transformer en autodiscipline
coercitive avec des incidences négatives sur la cohésion du groupe.
Ainsi, le principal reproche fait à l’évaluation des performances individuelles est la
désintégration qu’elle engendre dans les collectifs de travail. Elle nuit à l’esprit d'équipe en
exacerbant la compétition entre les participants; elle compromet les comportements
d’entraide, chacun poursuivant sa stratégie individuelle pour maximiser ses gains. Une
seconde critique porte sur le développement d’une forme de souffrance au travail. La pression
exercée par l'évaluation individualisée des performances peut conduire aux pathologies de la
solitude (C. Dejours C., 2007). "Ce que nous risquons de perdre si nous cédons au
miroitement du mérite individuel, c'est la dimension sociale du travail. "(Girardot D., 2007,
p.177).
Dans un contexte de fragilisation du soutien social, le renforcement du contrôle et
l’intensification de la demande amplifient les problèmes de stress au travail susceptibles de
donner naissance à des comportements agressifs.
6. Le développement de la violence au travail.
Violences physiques et psychologiques.
Un salarié sur six estime être l’objet de comportements hostiles dans le cadre de son travail
(Enquête SUMER (2003). Les trois vagues d’enquêtes européennes de 1995 à 2005 sur les
conditions de travail montrent une augmentation des violences physiques (de 4% à 6%)
(Rapport de l’INRS, 2010). La violence est un acte par lequel un individu blesse un autre
individu (J.H. Neuman et R.A. Baron, 1998). Le lieu de travail devient de plus en plus
souvent le théâtre d’incidents où les personnes sont insultées, menacées ou agressées pendant
leur activité, et qui mettent en péril de manière explicite ou implicite leur santé, leur sécurité
ou leur bien-être (Di Martino et al. 2003). Les travaux de recherche sur la violence au travail
englobent fréquemment la violence psychologique et la violence physique (M. Tragno, 2007).
L’approche européenne et notamment française de la violence au travail met en évidence la
responsabilité de l’organisation des tâches dans l’aggravation du phénomène (E. Bressol,
2004, C. Déjours, 2005) : l’attente provoquée par un nombre insuffisant de salariés, les rôles
mal définis ou flous, les incohérences des informations données aux clients/usagers….Par
ailleurs, les salariés soumis à de fortes nuisances, contraintes et astreintes sont plus exposés à
la violence, comme le travail de nuit ou les horaires atypiques, le travail isolé, un rythme
élevé, une interruption fréquente dans les tâches, l’impossibilité d’échanges avec les
supérieurs ou les collègues (SUMER, 2003).
Le renforcement du déséquilibre contrôle/demande (cf point II1) et la fragilisation du soutien
social intensifient le stress ressenti par les salariés. Les individus stressés voire épuisés
professionnellement peuvent devenir irritables, agressifs envers les autres ou envers euxmêmes. Ces réactions peuvent dégénérer et conduire à des comportements belliqueux et
générer un climat de travail violent. Le passage à « l’acte violent » vis-à-vis des autres ou
contre soi-même devient le seul moyen d’extérioriser le stress du milieu professionnel ;
« L’homme stressé et épuisé au travail devient alors un homme agressif parce que
constamment agressé » (El Akremi et Sassi, 2005, p.6).
Le harcèlement psychologique est une des formes de cette violence au travail. Il s’agit d’une
« attitude durable et répétée d’un ou plusieurs membres de l’organisation qui tend à
intimider, à dévaloriser ou isoler un autre membre dans le but de le déstabiliser »
(G. Poilpot-Rocaboy, 2000 p.36). Le harcèlement caractérise un phénomène d’agressivité
interindividuel intégrant la notion de répétition des actes. Il y a donc un harceleur et un
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harcelé et partant de là des comportements individuels hostiles qui participent à la
construction du processus de violence. Plus encore, l’organisation va parfois favoriser des
conduites de violence en tolérant des codes de comportements destructeurs du collectif
(Fischer, 2003). On pense notamment à certaines pratiques consistant à éliminer, par des
procédés détournés, une frange de la population des salariés : la placardisation
(D.Lhuilier 2002), le mobbying (H. Leymann, 1996), le harcèlement institutionnel. Ces
formes d’agression psychologique peuvent aussi conduire à retourner la violence contre soi.
Les nombreux cas de suicide récemment médiatisés posent la question de la relation
pathogène du travail sur l’individu (C. Dejours et F. Bègues, 2009), phénomène lié à une
ultime forme de maltraitance, symbolique celle-ci.
Violence symbolique
Le harcèlement physique et psychologique s’inscrit dans des rapports d’exploitation
particulièrement actifs en période de dépression économique et s’accompagnent d’une autre
forme de violence plus dissimulée : une violence symbolique43 (P. Bourdieu, 1994). En effet,
la brutalité de la relation de travail prend toute sa signification lorsqu’on réintroduit les
rapports de force qui ont jalonné la reconnaissance des problèmes de santé au travail (M.
Gollac et al., 2006). Le scandale de l’amiante illustre cette triste réalité (A. Thébaud- Mony,
2007). Ce sont les populations les plus vulnérables, les plus fragilisées par le système
économique qui sont le plus soumises au risque de violence et de dégradation de leurs santés
au travail.
Les contraintes des organisations du travail, la flexibilité (travail intermittent, posté, nocturne)
et la précarité (contrats d’intérim, d’apprentissage … ) constituent de nouvelles formes de
domination dans le travail (Dossier des Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 1996) et
génèrent une augmentation de la pénibilité ainsi qu’une dégradation de la santé. Ces
contraintes sont plus prégnantes dans certains secteurs et certaines fonctions. Ainsi, l’Enquête
Européenne 200044 met en évidence les risques sanitaires pesant sur les femmes, dus à leur
concentration dans les travaux faiblement qualifiés en particulier dans les services
(notamment à la personne). Ces conditions de travail difficiles, qui s’ajoutent aux tâches
domestiques quotidiennes et à l’aide fréquente apportées à des personnes dépendantes,
engendrent une altération de leur état physique et mental. (L. Vogel, 2003)45. De même, les
chiffres sur les accidents du travail issus des statistiques officielles de la CNAM- travailleurs
salariés traduisent les inégalités en terme de pénibilité : sur les 700 000 accidents annuels, un
quart touche un jeune de moins de 25 ans alors que ce groupe d’âge ne représente que 7% de
la population salariés (A. Thébaud-Mony, 2007). L’hypothèse avancée par l’auteur pour
expliquer cette distorsion est le caractère précaire des contrats (intérim ou apprentissage) sur
des postes à faible qualification empêchant l’acquisition d’expérience et les soumettant à un
environnement plus dangereux.
L’amélioration de la sécurité dans l’emploi et la préservation de la santé des travailleurs ne
reposent pas seulement sur le progrès scientifique et technique. Elles sont inséparables d’une
43
Celle-ci impose tout un travail de dissimulation et de transfiguration de la vérité objective de la relation de
domination. « Ces rapports de violence symbolique ne peuvent s’instaurer qu’avec la complicité de ceux qui les
subissent. Le dominé collabore à sa propre exploitation à travers son affection ou son admiration » (Bourdieu
P., 1994, p.198).
44
Paoli P. et Merllié D., « Dix ans de conditions de travail dans l’Union Européenne », Bulletin d’information du
Bureau Technique syndical européen pour la santé et sécurité au travail, numéro spécial, « le travail sans limite ?
Réorganiser le travail et repenser la santé des travailleurs ». Conférence BTS-SALTSA, n°15-16, février 2001.
cité dans Thébaud Mony (2007)
45
Vogel L., 2003, « La santé des femmes en Europe. Des inégalités non reconnues » Bureau Technique Syndical
européen, Bruxelles, 2003, cité dans Thebaud-Mony (2007).
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prise de conscience de nature collective et idéologique conduisant à leur transformation en
enjeux politiques.
La crise économique et sociale fait peser sur le travail décent une double menace. D’une part
elle renforce l’insécurité au travail, cristallisant une déconstruction profonde de la relation
d’emploi et exacerbant les inégalités de rémunérations. D’autre part elle aggrave l’insécurité
au travail ; la baisse des effectifs et la diminution des ressources financières qui la
caractérisent sont propices à l’extension du stress et de la violence. Mais simultanément elle
ouvre un double chantier pour les auditeurs sociaux et les oriente dans une direction inédite :
civiliser l’entreprise.
7. Conclusion : Pour un audit social civilisateur.
Le changement de conjoncture a renforcé la propension des DRH à faire prévaloir l’efficace
sur le juste. Pourtant toute crise transforme « l’atmosphère », c’est à dire le système de
valeurs qui influe sur la capacité de individus à travailler collectivement (O. Williamson,
1985). Elle fournit l’occasion de réfléchir au renouvellement de l’échange entre l’employeur
et le salarié et à un retour vers l’ambition normative de la Déclaration de Philadelphie du 10
mai 1944 fixant les buts et les objectifs de l’Organisation Internationale du Travail (A. Supiot,
2010).
Le travail décent peut devenir une nouvelle dimension de la légitimité entrepreneuriale. Il
caractérise une entreprise civilisée. Soucieuse de sa responsabilité sociale elle évite de mettre
en péril la santé de ses collaborateurs, elle assure leur employabilité, elle maîtrise les
disparités de rémunérations, elle permet aux travailleurs de défendre collectivement leurs
droits et elle encourage leur participation. Les auditeurs sociaux, en mettant en évidence le
respect des sécurités au travail, peuvent contribuer à orienter le management vers la recherche
d’un ordre juste respectueux des droits de l’homme, et plus précisément vers une GRH
éthique, durable et bienveillante effaçant autant que possible les obstacles au déploiement des
libertés. Ils apporteraient ainsi leur contribution à une ambition inédite. Stimulante mission de
médiation entre la morale et l’économie, civiliser l’entreprise pour sortir de la crise ; le projet
n’est pas indigne de leur attention.
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Askenazy P. (2004), « Les désordres du travail ». Editions du Seuil.
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Le procesus de professionnalisation des activités humaines
Fernando Cuevas & Dominique Ballot
LE PROCESSUS DE PROFESSIONNALISATION DES ACTIVITES
HUMAINES.
Fernando CUEVAS
Professeur et consultant d’entreprises
ESC Pau.
[email protected]
Dominique BALLOT
Professeur et ancien DRH
Université de Toulouse Paul Sabatier
[email protected]
L’histoire du travail nous apprend que la tendance est à la division du travail. Depuis l’époque
des primitifs jusqu’aux temps contemporains les hommes partagent les activités et demandent
une plus grande performance dans les actions. Ce processus de spécialisation et de qualité est
à la base d’une professionnalisation des activités. Dans cet article nous allons explorer le
processus et les caractéristiques de ce phénomène de la professionnalisation. Ce qui nous
intéresse principalement c’est le mouvement social vers cette exigence plus que le processus
du comment la satisfaire, autrement dit la formation et l’éducation. Notre étude porte sur la
professionnalisation de l’activité et non de l’individu.
Pour nous la professionnalisation existe dans tous les domaines de l’activité humaine
(médecin, chauffeur de taxi, policier, assistante maternelle, etc.) dans tous les niveaux (du
PDG jusqu’à l’ouvrier) et de différente nature (professionnel de la banque, professionnel de
l’informatique, professionnel du management des équipes, etc.). Un directeur des systèmes
d’information d’une banque doit être professionnel à divers titres (management, banque et
informatique).
1. Professionnel et amateur : où commence l'un où finit l'autre ?
Est-ce le domaine, les enjeux, les attributs, le temps qui les différencient?
Il y a des secteurs dans lesquels on peut rencontrer des amateurs et des professionnels qui
d'ailleurs cohabitent quelques fois pour effectuer l'un son métier l'autre son hobby (par
exemple dans le sport il n'est pas rare de voir des compétitions où les amateurs côtoient les
pros ) alors que dans d'autres secteurs la notion même d'amateur est écartée avec force par
exemple nous ne pouvons même pas imaginer un chirurgien amateur opérant un malade ou un
quidam passionné d'anatomie s'installer comme médecin généraliste....
Nous voyons bien ici que ce n'est pas le domaine d'exercice d'une activité qui différencie le
professionnel de l'amateur mais l'enjeu de l'activité et ses conséquences.
Si le fait de jouer une pièce de théâtre qualifie le joueur d'acteur il en faut plus pour être
reconnu comme acteur professionnel. De même que ce n'est pas les accessoires du chirurgien
qui font le professionnel recherché et sollicité. Autrefois les compagnons recevaient à l'issue
de leur formation les outils qui devenaient en même temps que les garants de leur savoir
professionnel les insignes de leur qualification. Aujourd'hui la vulgarisation grâce aux
nouveaux systèmes de communication rend la connaissance facilement accessible a tous. La
réalisation en kit illusionne chacun sur ses véritables compétences.
La conséquence de cette approche, l'acte étant banalisé, est la perception de la performance.
Nous dirons que le professionnel se confond avec sa discipline, respectueux, il est cette
discipline. Le professionnel se glisse dans sa discipline. L'acteur disparait dans son
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Le procesus de professionnalisation des activités humaines
Fernando Cuevas & Dominique Ballot
personnage, le musicien est uni à son instrument il est son instrument, le prof est sa matière, le
jardinier rentre en symbiose avec la nature.
Qu'en est-il de l'amateur? Il pratique, quelque fois avec fougue et entrain, une discipline mais
on sent qu'il ne fait pas corps avec cette dernière et quand bien même il peut y avoir maîtrise,
il y a toujours différenciation, séparation...l'amateur n'est jamais sa discipline comme
Marsault pouvait être le mime, Wright l'architecture, Chopin le piano, Zidane le football, etc.
Les éléments constitutifs de la professionnalisation.
Ayant lu les propositions des divers auteurs nous pouvons établir la liste suivante.
Un professionnel a la capacité de :
a) se spécialiser (Wittorski),
b) anticiper, prendre en compte les détails (Le Boterf), éviter les problèmes et prévoir des
solutions possibles.
c) prendre des initiatives pertinentes dans des situations complexes, évolutives, inédites (Le
Boterf),
d) décider pour faire face aux exigences d’une situation (Le Boterf),
e) mettre en œuvre des pratiques professionnelles pertinentes, être compétent (Le Boterf) et
respecter les usages de sa profession dans les règles de l’art (Wittorski),
f) traiter un problème grâce à la connaissance approfondie d’un domaine (Dictionnaire
Larousse).
g) faire du conseil en toute objectivité (Wittorski),
h) suivre l’évolution de l’état de l’art sur leur métier (Le Boterf), il ne reste pas figé sur ses
connaissances, s’adapte en permanence, est au courant des nouveautés, etc.
i) savoir s’entourer d’autres professionnels,
j) savoir professionnaliser son entourage,
k) mobiliser des ressources appropriées, internes ou externes, se donner les moyens (Le
Boterf),
l) tirer des leçons de l’expérience pour les transposer à d’autres situations (Le Boterf) voire à
d’autres métiers (Mark Blaug),
Un professionnel dans ses attitudes sait et doit :
m) travailler avec performance et qualité,
n) agir avec sérieux et responsabilité,
o) respecter les normes légales de la profession
p) agir avec une éthique de service (Le Boterf),
q) avoir un idéal de service (Wittorski), à répondre à l’intérêt général,
r) tenir ses engagements.
Ces attitudes professionnelles sont redevables de la culture d’appartenance de la personne.
A cette liste nous pouvons ajouter les conditions suivantes :
s) avoir une activité régulière (Dictionnaire Larousse), l’exercice de l’activité est à titre
principal (Bourdoncle),
t) faire l’objet d’une rétribution et gagner sa vie de l’activité (Dictionnaire Larousse),
u) souvent la création d’une association professionnelle ou instance publique, avec la
rédaction d’un code de déontologie, de manière à obtenir un droit unique d’exercer
l’activité (Dubar et Bourdoncle),
v) la formalisation, normalisation et légitimation des savoirs abstraits et concrets, organisés
et validés par ces associations professionnelles (Bourdoncle),
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Le procesus de professionnalisation des activités humaines
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Facteurs qui ont provoqué l’émergence de la professionnalisation.
Nous avons repéré les conditions socio-économiques de cette émergence suivantes : le
développement des NTIC (nouvelles techniques d’information et de communication) a été
caractérisé par une standardisation des pratiques organisationnelles, par sa formalisation dans
des logiciels qui ont largement contribué à la professionnalisation.
La mutation de l’économie mondiale, avec une nette diminution du secteur primaire et un
développement très important du secteur tertiaire voire quaternaire (information).
Les clients sont de plus en plus formés par le système scolaire. Leur niveau d’exigence
augment en conséquence. La méfiance est de rigueur et l’émergence de la « procédurisation »
des rapports entre clients et fournisseurs a fait que les professionnels améliorent la qualité de
leurs prestations. La voie pour récupérer la confiance des clients est d’être un professionnel
compétent et responsable. La pression des clients pour des prix plus abordables a poussé des
métiers millénaires comme les bergers à se professionnaliser pour améliorer la qualité (goût et
alimentation) et la quantité (productivité). Pour ce faire des écoles spécialisées dans la
bergerie émergent.
La spécialisation, autrement dit la focalisation sur des parties restreintes de l’activité, a permis
un approfondissement de la maîtrise de celles-ci.
La taille moyenne des entreprises a augmenté. Nous avons par exemple, les Caisses
d’Epargne qui en 2006 étaient environ 400 en France. Après un processus de fusion très
important, actuellement il y en a 17. Le nombre de salariés est passé en moyenne d’une
centaine à environ deux milles. Les enjeux financiers ont augmenté, ce qui a pousse le Réseau
des Caisses d’Epargne à former ses cadres dirigeants, à les professionnaliser. De même pour
Médecins du Monde, leur budget (environ 60 millions d’euros) et effectif (248 salariés +
1 395 bénévoles) les ont obligés à embaucher des professionnels comme des ingénieurs,
diplômés de gestion d’entreprises, spécialistes en logistique, etc. L’altruisme ne suffit pas, il
faut des compétences techniques pour assumer les missions.
Le passage d’un système centralisé de décision à une décentralisation des responsabilités a
engendré une exigence de professionnalisation de la périphérie.
Les « nouveaux métiers » tels que le développement durable, l’e-commerce, l’alimentation
bio, les services à la personne, demandent, ou plutôt exigent, un professionnalisme.
Dans le sport, les enjeux financiers ont fait que les sportifs (joueurs, entraineurs et arbitres)
des diverses disciplines (football, rugby, handball, basketball, etc.) deviennent des
professionnels.
La technologie et les NTIC ont augmenté la productivité mais aussi les risques de
malveillance ou d’agression. Plus les risques se développent, plus il y a un besoin de
professionnalisation. La professionnalisation finalement fait passer de l’occupation à un
métier.
La professionnalisation répond alors aux demandes de la société. Selon Bourdoncle l’on
observe une nette différence entre l’émergence à la professionnalisation dans les pays anglosaxons qui relève plutôt de la sphère privée (vision de la profession libérale) et celle des pays
latins qui relève de la sphère publique (émergence des régulations étatiques).
La stratégie des groupes professionnels.
A la fin du XXème siècle la consommation en quantité laisse place à la consommation de
qualité. Ce changement a été à la base de l’émergence de divers « groupes de
professionnels ». Parfois les groupes se sont autoproclamés (les coachs, les secrétaires de
direction, les consultants, etc.) mais d’autres ont pour origine une décision de l’administration
(aides à la personne, aides maternelles, etc.). L’ambition de ces groupes professionnels est de
disposer d’un certain monopole de l’activité : exercice, formation, régulation, certification,
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Le procesus de professionnalisation des activités humaines
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représentation, etc. Ils justifient ce monopole par un souci de service et pour éviter que des
acteurs non-compétents discréditent la profession.
Ces groupes renomment les métiers par exemple « femme de ménage » a été rebaptisée en
« aide à domicile », mettent en place des « labels qualité » élaborent un langage commun
officiel, etc. Comme l’explique R. Wittorski (page 20), « la professionnalisation relève
également d’une rhétorique et d’une dynamique de construction identitaire d’un groupe social
pour revendiquer une élévation dans l’échelle des activités ». La diffusion des techniques, du
langage, des logiques, voire d’une éthique, « autorisés » se fait par des formations organisées
au sein du groupe ou en collaboration avec des institutions éducatives qui vont accorder des
diplômes ou certificats du niveau I (bac+5) jusqu’au niveau V (CAP). Ces formations qui sont
souvent longues permettent d’obtenir une légitimité sociale d’une expertise spécifique. Cette
transmission des compétences va contribuer largement à la construction d’une identité
professionnelle en excluant toutes les personnes ne disposant de ces compétences accréditées.
Le Dictionnaire Larousse décrit la professionnalisation comme le « caractère d’une activité
dont l’exercice tend à devenir professionnel, à ne plus être confié qu’à des spécialistes, des
gens du métier » et « ensemble de personnes qui exercent le même métier ». Ce qui nous
frappe est l’expression « gens du métier », à savoir les gens accrédités par l’association
professionnelle. Des phrases qui démontrent ce processus d’identité professionnelle protégée.
Ces agréments sont souvent accompagnés des rites d’initiation voire des bizutages. Certaines
professions vont jusqu’à la défense du « secret professionnel », autrement dit «à une
« bunkerisation » de leur groupe. Ceux qui ne font pas partie du groupe sont interdits de
s’immiscer dans les affaires réservées aux membres agrées. Ces interdits s’adressent surtout
aux autorités administratives et judiciaires.
Des autodidactes professionnels ?
Certaines personnes échappent à cette logique de monopole. Notamment dans des domaines
peu ou pas professionnalisés. Ces personnes qui ont réussit dans leurs activités sont appelés
« autodidactes ». Nous avons des autodidactes très reconnus dans leur domaine : Pierre
BEREGOVOY, premier ministre, Jacques MAILLOT, fondateur de Nouvelles Frontières,
Gérard DEPARDIEU, acteur, etc. Le moins qu’on peut dire est qu’ils sont des « autodidactes
très professionnels » ou que leur talent innée a comblé ce manque de professionnalisation.
D’autre part nous avons des professionnels de très haut niveau qui sont des autodidactes dans
certaines activités de leur métier. Un professeur avec un niveau de formation bac + 10, est un
autodidacte quand il organise un congrès.
Dans des domaines peu professionnalisés, des autodidactes en profitent pour « se faire une
brèche ». La grande majorité des consultants en management sont des autodidactes dans le
domaine. Nous avons rencontré des anciens professeurs d’anglais, des ingénieurs, des
psychologues, des biologistes, des historiens, des cadres commerciaux, des informaticiens,
etc. dont la formation initiale n’était pas destinée au conseil.
En janvier 2011 le Ministre de l’Intérieur envisageait la possibilité de recruter des policiers
volontaires en leur confiant « des missions de prévention, de communication, de médiation
sociale et de solidarité » (site internet du Ministère de l’Intérieur). Bien évidemment, ils
n’auraient pas de missions de police nationale et serviraient pour des « tâches ponctuelles et
subalternes » (un policier).
Nous avons rencontré un officier des sapeurs pompiers qui nous a expliqué qu’il y a deux
types de statuts : professionnels et volontaires. Mais que ces derniers ne sont pas des
amateurs. Ils ont la même tenue et assument souvent le rôle de commandement lors d’une
intervention (1/3 d’occasions) avec des équipiers professionnels. Ils sont donc des volontaires
professionnels qui ne vivent pas de leurs indemnités.
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Dans ce cas la différence entre amateur, ou autodidacte, ou plutôt volontaire, est au niveau de
la rémunération et de l’activité non régulière, et non au niveau des compétences.
Il arrive que les compétences ne soient pas managées par une association professionnelle ou
institution. Souvent les professionnels des sciences exactes, ou « dures », ont la leur. Mais les
sciences sociales ou « molles » n’en ont que très rarement. Ces derniers vont chercher à
acquérir une légitimité en présentant leurs travaux avec la même logique que les sciences
dures, à savoir « en élaborant des tableaux quantitatifs » (Un DRH et un Directeur de
Marketing).
Les compétences des professionnels et la spécialisation.
Les activités humaines deviennent de plus en plus complexes. L’entreprise souhaite avoir la
maîtrise de A à Z car la concurrence cherche à faire pareil. Le niveau d’exigence de
compétences augmente. Il y a encore quelques années un bac+5 (droit ou gestion) pouvait
faire office d’expert comptable (signature reconnue). Maintenant il faut avoir le DSCG qui est
un niveau Bac+5 plus 3 ans de stage, un clerc de notaire doit aussi avoir bac+5. Les
commerciaux doivent avoir minimum bac+3 et des connaissances importantes de marketing,
de langues, des NTIC, etc. Pour être assistante de direction il faut au minimum bac+2 et des
connaissances d’organisation, des NTIC (gestion des réseaux), de langues, etc.
Un professionnel, bien évidemment doit maîtriser des techniques, mais plus il exerce une
activité de haut niveau, plus il va devoir maîtriser des méthodes de travail. La technique est
suivie littéralement. En revanche la méthode demande des adaptations aux situations
spécifiques. Un professionnel de la santé nous a expliqué qu’il est souvent obligé d' utiliser
des techniques prescrites par une autorité et qu’il n’a pas le choix. Un professionnel doit avoir
des connaissances et être capable de savoir les appliquer. La compétence est alors une
connaissance, une expérience et une capacité d’application.
Les connaissances à la base des compétences évoluent sans cesse (changement qualitatif) et
augmentent (changement quantitatif). Elles deviennent donc de plus en plus complexes. Les
professionnels dans leur intérêt, et souvent par obligation légale (avocats, médecins, experts
comptables, etc.), doivent se former « minimum 20 heures par an » (un avocat et un médecin)
sous peine de sanctions disciplinaires. Les possibilités de formation sont : des séminaires,
congrès, débats, etc. Les sapeurs pompiers se forment souvent pendant les gardes. Chacun de
ces derniers a un livret de formation qui le suit tout au long de sa carrière. « On a intérêt à
pratiquer dans un centre de tir » (un garde de corps). Les professionnels doivent se
professionnaliser tout au long de leur carrière. A ce type de formation formelle s’ajoutent : les
séances d’échange entre professionnels, les retours d’expérience, la lecture des revues, la
visite des cabinets des confrères, etc.
Nous avons vu ci-dessus que le processus de professionnalisation pousse vers la
spécialisation :
a) Par domaine, comme c’est le cas des sapeurs-pompiers : montagne, spéléologie,
maîtres chiens, décombres, pistage, nautique, risques chimiques, etc. Ils ont le droit de
développer au maximum deux spécialités.
b) Par étape d’un processus ou méthode : certains médecins se spécialisent dans le
diagnostique, d’autres dans le traitement, etc.
Jadis, le président d’un club sportif ou l’entraineur conduisait le bus pour amener les joueurs
aux rencontres. Maintenant, pour les clubs professionnels il y a le président, le directeur
général, le responsable du marketing, le directeur sportif, l’entraineur des gardiens,
l’entraineur des attaquants, le médecin, le kiné, et bien entendu un chauffeur professionnel.
Les connaissances professionnelles s’appuient souvent sur des connaissances scientifiques. La
spécialisation suit alors deux mouvements complémentaires : la concentration sur un aspect
précis et l’approfondissement de la connaissance.
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Deux types de compétences : techniques spécifiques au métier et parallèles
Chaque profession à son savoir-faire métier. Il porte sur les compétences de transformation ou
service propres au métier, mais aussi sur le secteur économique. Un directeur du marketing
d’une banque doit être compétent en management, en méthodes de marketing et en technique
bancaire. Ce savoir-faire métier développe un langage spécifique appelé jargon professionnel :
« lors d’un message, on parle beaucoup par code, en ayant la vitesse et la précision. Ceci
permet « d’être compris par l’interlocuteur et ne pas être compris par d’autres personnes » (un
policier).
Les compétences sont aussi physiques, ou plutôt physiologiques. C’est bien évidement le cas
des sportifs, mais aussi du grade de corps, d’un astronaute, etc.
Ecoutons un médecin que nous avons rencontré : « Pour éviter des procès je devrais connaître
mieux le droit…..au niveau des relations humaines l’intuition ne suffit pas…je devrais mieux
savoir comment éviter des conflits avec les patients, avec mes collaborateurs, j’ai appris la
médecine à la faculté…mais je n’ai pas été formé à la direction d’une entreprise… ».
Ce que nous avons trouvé très intéressant, c’est que nos interlocuteurs nous ont signalé toute
une série de compétences parallèles aux compétences-métier :
a) Droit : « je dois respecter les procédures pénales » (un policier). Nous devons
connaître la loi pour savoir quand pouvons-nous ouvrir un appartement (un sapeur
pompier).
b) Statistiques : « je dois faire des analyses statistiques » (Un DRH et un médecin).
c) Qualité : « Pour répondre à des appels d’offre nous devons comprendre le langage
ISO 9001» (un avocat).
d) Bureautique : « je dois maîtriser des logiciels professionnels et généralistes » (un
médecin, un sportif et un recruteur). Mais pour une assistante de direction cette
compétence appartient à son métier.
e) Management de l’information : « je dois savoir utiliser à bon escient les informations
importantes et savoir les dispatcher » (assistante de direction). « Je dois faire des notes
synthétiques » (un DRH).
f) Organisation : « Nous devons avoir des compétences d’organisation, d’anticipation,
… » (une assistante de direction ».
g) Management : « La différence entre un manager expérimenté et un manager
professionnel, c’est que le second contrairement au premier dispose d’une certaine
technicité » (un cadre de la grande distribution).
h) Economie : « Le manager est un professionnel car il connaît son métier et en plus de
cela, il connaît l’environnement micro et macro économique » (un manager de la
grande distribution).
i) Psychologie : « Il faut juger de la gravité d’un appel » (un sapeur-pompier), « Nous
devons démontrer une adaptabilité, une réactivité, une capacité à être interrompue
fréquemment, à gérer les urgences, à garder la maîtrise de soi, à gérer notre stress, …
(une assistante de direction).
j) Relations publiques : « Nous devons savoir communiquer avec les medias,….on nous
a formé.. » (un joueur de football professionnel).
k) Vente : « Il faut savoir se vendre…gagner ne suffit plus….il y a une concurrence entre
les loisirs…» (un joueur de basketball).
l) Langues : « On est de plus en plus exigeants vis-à-vis de nos collaborateurs sur la
maîtrise des langues » (un avocat).
m) Culture générale : « Pour être un bon recruteur il nous faut de la culture générale » (un
recruteur).
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n) Physiologie et anatomie : « Les joueurs connaissent mieux leur corps, son entretien,
…l’eau à boire, quand dormir, se faire des massages, des étirements… » (un joueur de
football).
Souvent ces compétences parallèles sont communes à diverses professions, c’est-à-dire, elles
sont facilement transposables. Dans tous les cas un professionnel doit être capable d’avoir une
vision globale du problème et des détails, de ne pas se contenter de la globalité et traiter les
détails, même si cela prends du temps.
Les écoles spécifiques à chaque profession émergent et son souvent gérées par les
associations professionnelles. Les clubs de football créent des écoles en contrat avec des
lycées : dans leur programme il y a les contenus classiques et aussi la théorie sur le football et
la maîtrise du geste du footballeur.
Les compétences-métier et les compétences-parallèles s’acquièrent grâce à la théorie et à la
pratique, à l’école et pendant les stages. Pour être expert-comptable il faut une formation
théorique de cinq ans (DSCG) et trois ans de stage pratique en cabinet. « L’expérience du
terrain te permet d’acquérir un instinct pour faire ton boulot » (un garde de corps). Tant la
théorie que la pratique sont primordiales. Si l'une fait défaut, la personne ne pourra pas être un
professionnel. C’est le problème de la VAE (valorisation des acquis par l’expérience) et à
l’opposé d’une « nourrice agrée » qui n’a jamais eu d’enfants. Dans le premier cas il y a un
manque de théorie et dans le deuxième cas un manque de pratique.
Les études professionnelles sont sanctionnées par des diplômes. Ceux-ci sont souvent
indispensables à l’exercice d’une profession. « Un entraineur doit être diplômé pour les
équipes de première division, mais aussi pour les clubs des petits » (un joueur de football).
Alors que le niveau d’exigence pour rentrer dans une école n’a pas beaucoup augmenté ces
dernières années, il est rare que le bac soit demandé, on observe une dérive, car il y a une telle
demande qu'en réalité il s’agit de concours et les candidats ont souvent bac+2 voire bac +5
pour être par exemple sapeur pompier. Ceux qui ont moins de bac+2 sont exclus non par un
requis mais par la qualité des autres candidats. Ce qui amène souvent à une « sur
professionnalisation » pour des métiers qui ne le nécessitent pas.
Les compétences professionnelles ont apporté aux entreprises et en général à la société une
plus grande vitesse, une optimisation des ressources et une plus grande qualité des produits et
des services.
Utilisation du matériel et des logiciels professionnels.
Le développement du matériel professionnel a bouleversé les pratiques des personnes mais
aussi les structures organisationnelles. Sa manipulation, qui demande souvent des
compétences de haut niveau, a poussé vers une plus grande spécialisation.
Les performances du matériel ont apporté une plus grande professionnalisation « maintenant
nous disposons d’une échelle de 30 mètres …. les pinces de désincarcération sont très
puissantes…. parfois le matériel évolue vers la simplicité, parfois vers la complexification..»
(un sapeur pompier).
Les logiciels professionnels participent aussi à la performance du professionnel : « on peut
décortiquer un match en utilisant un logiciel dédié… on aboutit à un grand nombre de
statistiques » (un joueur de basketball). « On a des logiciels spécifiques pour nous aider à la
prise de décision…on a un logiciel alerte qui nous propose des niveaux d’intervention…. le
nombre des sapeurs-pompiers….les enjeux…le matériel à emporter » (un sapeur-pompier).
« Les logiciels en réseau ont transformé l’activité d’une assistante de direction…on partage
beaucoup de ressources….ils permettent de travailler avec des personnes éloignées…le niveau
de qualification requis est élevé… » (une assistante de direction).
Les logiciels professionnels ont permis aussi de répondre à des demandes légales
sophistiquées « nous devons avoir une traçabilité totale du matériel utilisé, des médicaments,
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Le procesus de professionnalisation des activités humaines
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de la stérilisation…patient par patient…plus qu’aller vers une simplification, les logiciels sont
de plus en plus intelligents… » (un médecin).
La science et la technologie médicale ont bouleversé la pratique sportive : « lors des
entrainements un ordinateur planifie l’endurance, la résistance, la vitesse, etc. joueur par
joueur…avant tout le monde s’entrainait pareil…actuellement toutes les données
physiologiques sont mesurées par un appareil…si un joueur ne respecte pas le programme,
une montre électronique qu’il porte le recadre » (un joueur de football). « Avec les RX et les
IRM on sait pourquoi un joueur a mal joué…on a des explications physiologiques et
psychologiques de la performance… » (un joueur de basketball).
Mais comme nous l’a expliqué un DRH « le professionnel doit rester maître de l’activité en
dépit des programmes et des méthodes des TIC ».
Le temps de réflexion et le temps d’action d’un professionnel.
R. Wittorski (page 31) développe l’idée que « le modèle du praticien réflexif semble de plus
en plus omniprésent ………professionnaliser un individu, c’est faire en sorte qu’il prenne de
la distance par rapport à son action…. il doit être capable de développer un regard sur ses
pratiques pour qu’il s’adapte plus rapidement à des contextes de travail qui changent».
Voyons maintenant le témoignage d’un joueur de football : « aujourd’hui le coach observe
davantage que celui des années 60. Celui là est plus manager alors que celui-ci était plus dans
l’action ».
La proportion du temps consacré à la préparation, à l’action et à l’évaluation varie selon les
domaines. Mais on observe une diminution du temps d’action au profit de l’avant et de
l’après. Voyons le témoignage de deux personnes qui s’occupent de la sécurité « Je dois tout
observer, arriver avant pour contrôler la cuisine, …je dois anticiper les besoins….. voir la
foule avec les cinq sens…je dois être prêt à l’action…» (un garde du corps). « Une
interpellation dure une minute et la préparation des mois » (un policier). Ces deux
professionnels consacrent une immense majorité du temps à la préparation pour une action
très courte ou pour l'éviter comme c’est le cas du garde du corps.
« Par rapport à une vingtaine d’années je consacre plus de temps à la préparation de mon
intervention et à l’analyse des résultats …. mais j’ai beaucoup diminué le temps de mon
intervention avec le patient » (un médecin). De même pour les sapeurs pompiers : « lors d’une
intervention le niveau d’information se professionnalise : GPS, les informations sur les
bâtiments, ce qui nous permet d’être plus rapides….ensuite il y a le débriefing : le responsable
de l’intervention retrace tout l'historique en voyant ce que chacun a fait… ».
Le temps total consacré à l’action et à l’évaluation a diminué avec les années. Les nouvelles
technologies ont permis d'agir sur les trois temps (préparation, action, évaluation). Ce qui a
changé profondément c’est la proportion en diminuant nettement l‘action et en augmentant le
temps de préparation et le temps d’évaluation.
Comment pouvons-nous expliquer ce phénomène ? D’une part il y a le développement du
matériel et des logiciels qui aident à la préparation et à retirer des enseignements de l’action
en entrainant comme conséquence la diminution du temps de l’action. D’autre part les NTIC
et le bon niveau de formation des collaborateurs ont facilité la délégation d’une grande partie
de l’action. Le professionnel, avec ses connaissances théoriques et son expérience ne fait pas
d’actions compliquées que si c’est vraiment nécessaire. La valeur ajoutée pour un
professionnel se trouve davantage au moment de la préparation (diagnostic et plan d’action),
au moment de l’évaluation (analyse des axes d’amélioration) et moins dans l’action. Le bon
professionnel est celui qui est capable de faire un diagnostic réaliste avec peu d’éléments tout
au début du problème, car faire un diagnostic quand le problème est grave est à la portée de
tout le monde.
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Le procesus de professionnalisation des activités humaines
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Un professionnel, pour être performant, doit non seulement appliquer des techniques et des
méthodes, mais surtout savoir les adapter aux situations spécifiques. Cette adaptation est
permise par ses connaissances théoriques. Un professionnel ne doit jamais s’attacher à une
technique, le dogmatisme est incompatible avec une attitude professionnelle. Mais ceci ne va
pas sans risques. La « procédurisation » que vit la société moderne fait que les professionnels
sont très précautionneux lors des adaptations de leurs méthodes ou expérimentations. Ils
travaillent souvent à la défensive.
Les relations entre les professionnels, leurs clients et l’entourage en général.
Nous avons vu que la très grande majorité de professionnels travaillent dans les secteurs des
services et de l’information, autrement dit en relation directe avec les autres personnes. Et
même les professionnels qui travaillent dans les secteurs primaire et secondaire, sont
passionnés par leur travail.
« Je suis quelqu'un de sensible, je suis attiré par la relation humaine » (un recruteur). « Je
m’investis à fond …mais j’observe que la réciproque n’est pas valable pour un grand nombre
de mes patients… ils ne suivent pas toujours mes consignes…mes plans de traitement.. » (un
médecin). « Avant on pouvait avoir un discours guerrier…actuellement non…ce n’est pas
bien vu…tout est plus aseptisé » (Un joueur de basketball). « Au début je me suis payé
quelques claques à cause de mon affectivité… » (un recruteur). « Le corps de sapeurspompiers, vu le danger pour les victimes, pour eux et pour les biens n’ont pas le droit aux
états d’âme » (un sapeur-pompier). « La technique je la maîtrise, les relations humaines sont
plus compliquées …..je dois faire plus de communication que d’information » (un médecin).
Le rationnel et l’affectif sont indissociables chez les professionnels. Ceux-ci sont pleins de
passion pour leur travail mais se voient dans la situation de se modérer : « il faut rester
neutre….rationnel et professionnel » (un policier).
Les différents professionnels doivent expliquer (informer) mais aussi rassurer (communiquer).
Ils doivent démontrer leur légitimité et gagner la confiance de leurs interlocuteurs : « le “je
pense que” cède la place à “compte tenu de l’étude” » (un DRH). Divers interlocuteurs nous
ont dit qu’ils se sentent dans l’obligation de démontrer qu’ils maîtrisent les règles de l’art.
Mais pour le démontrer, ils doivent faire un effort de traduction des termes techniques en
termes accessibles au plus grand nombre. « Nous avons un côté pédagogique » (un cadre) et
« la transparence est une obligation légale » (un médecin). « Plus qu’un jargon technique….
mon activité est pleine de mots en anglais…. outsourcing, short list, … » (un recruteur).
Le médecin que nous avons rencontré nous explique l'ambivalence suivante: « certains
patients préfèrent que ce soit mon assistant qui explique le traitement… d’autres exigent que
ce soit moi qui le fasse ». Dans le premier cas ils se sentent plus à l’aise pour les questions,
dans le deuxième cas ils se sentent dévalorisés si le praticien ne s’occupe pas d’eux…. parfois
nos patients reçoivent deux explications : la première de ma part, un peu plus technique et une
deuxième de mon assistant, avec un langage plus simple » (un médecin).
Les relations des professionnels avec leurs chefs sont un peu tendues car ils demandent une
participation aux décisions et une plus grande autonomie d’action. Un médecin d’un CHU
s’est auto définit comme « exerçant une profession libérale dans un cadre organisationnel ».
A l’opposé nous avons un autre cas de figure qui est celui du garde de corps, qui doit
s’adresser à son chef avec beaucoup d’égards : « je dois traiter avec beaucoup de courtoisie
mon chef et faire le dur avec d’autres personnes…les deux côtés de la médaille », quel
exercice de double identité !
Avec les collègues et surtout les confrères la relation est plus facile « ils savent ce que je dis,
ce que je demande et ce que je fais » (un sapeur-pompier). Lors d’un processus d’action il y a
des étapes. Des professionnels se succèdent entre eux pour les assumer : « pour sortir un
blessé d’une voiture accidentée, ce sont les sapeurs-pompiers qui s’en occupent. Ensuite
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interviennent les médecins » (un sapeur-pompier). Les professionnels aiment échanger avec
des confrères pour apprendre, pour se tenir au courant des nouveautés. Mais comme nous l’a
dit un cadre « il faut être relationnel pour apprendre ».
Manager des professionnels n’est pas chose facile. L’équipe est formée par une diversité de
spécialistes, ou comme le souligne Maurice Thévenet (page 55) « ce type de regroupement
d’individualités illustre aussi ce que nombreux managers disent de leurs équipes constituées
d’individualistes souvent consciencieux mais qui tendent de fuir les obligations collectives du
travail » et un peu plus loin (page (56) « si ces personnes sont égocentrées, il faut donc les
aider à satisfaire cette orientation personnelle, en faisant en sorte qu’elle serve le collectif.
Cela conduit à les reconnaître, les valoriser, peut-être même les flatter ». Un médecin nous
explique « il y a une pénurie (de personnel professionnel), donc il faut les garder et éviter
toute friction…pour ce faire j’explique bien mes instructions pour éviter des erreurs de leur
part et des réflexions de ma part ».
Les professionnels sont en première ligne pour concilier le rationnel et l’affectif, pour
concilier la convivialité et le sérieux, pour développer un idéal « l’intelligence collective ».
Le professionnel est caractérisé par sa responsabilité.
Nous venons de voir que le professionnel revendique une grande autonomie et par conséquent
il est prêt à assumer ses responsabilités. Dans les organisations « un professionnel se crée son
poste » (un cadre). Responsable signifie savoir répondre, c'est à dire:
a) Anticiper les problèmes,
b) Expliquer l’erreur,
c) Réparer les dégâts.
Les professionnels ont l’ambition d'anticiper. Mais doivent être prêts à assumer l’explication
et la réparation.
On dit souvent qu’ils n’ont que l’obligation de moyens. La réalité est que par les temps qui
courent l’obligation de résultat est de plus en plus présente. Nous avons vu ci-dessus que les
clients n’hésitent pas à faire un procès à un professionnel.
Le professionnel est responsable de la qualité, des délais et du coût de son travail. Il doit bien
faire son travail, avec rigueur, et ne pas se contenter des approximations avec nonchalance. Le
dilettantisme et l’improvisation ne font pas partie de leur vocabulaire. Il a une conscience
professionnelle.
Un professionnel doit se battre avec la même ardeur dans tous les cas et ne pas « choisir ses
matchs » (joueur de football) ou pire encore ne pas s’intéresser qu’à la « belle maladie » (un
médecin d’un CHU), il doit être tenace « si une technique ne donne pas de résultats on essaye
autrement » (un médecin) et ne pas se faire affecter par des contretemps (notamment des
problèmes techniques comme l’effacement d’un fichier informatique). Il doit assumer sa
mission jusqu'au bout. Nous dirions que même démotivé, il continue à foncer.
Le professionnel doit prendre des risques mais comme nous l’a dit un médecin « légalement je
dois être conscient de mes limites ».
Nous avons observé, empiriquement et non de façon scientifique, que les professionnels sont
moins absents à cause de maladie, que les autres catégories des personnes. Ils manifestent une
grande disponibilité au travail avec des horaires très flexibles.
Ils manifestent une grande capacité de concentration et « les états d’âme sont cachés pour ne
pas influencer le service » (un sapeur pompier).
Les sportifs vont jusqu’à mener une vie complètement saine : interdiction de tabac et d’alcool
et longues périodes de sommeil.
Les professionnels sont bien placés pour avoir des informations confidentielles (une assistante
de direction, un juriste, un policier, un expert-comptable, un médecin, etc.). Leur discrétion
est de rigueur.
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Face aux problèmes, ils ne cherchent ni excuse ni tricherie !
Les professionnels retirent une grande fierté de leur travail, gagnent le respect du client, de
leur entourage, etc. C’est cette capacité à assumer leur responsabilité qui fait que nous avons
confiance en nos médecins, bien formés et encadrés, et en nos policiers, car ces derniers sont
des gens responsables lors de l’utilisation de leurs armes !
Les institutions autour d’un professionnel.
Elles prennent forme d’associations professionnelles, conseils de l’ordre, syndicats
professionnels, corporations, fédérations, voire corps d’Etat.
Ces organisations vont avoir un rôle de :
a) Normalisation : au sens de définition des pratiques valables, « de dire ce qui est juste
et utile » (Parsons, cité par Wittorski page 17). Les professions cherchent à s’autoorganiser et à créer les règles de l’exercice du métier, des codes de déontologie, que le
professionnel aura comme repère dans l’action.
b) Agrémentation : vérification des compétences des candidats pour leur donner une
« licence » de travail ou « certification des compétences ». Ces agréments sont souvent
accompagnés de rites : « Nous devons faire serment de probité, de loyauté, de
dignité… » (Un avocat). Outre que les conseils de l’ordre, il y a des associations telles
que SYNTEC pour les consultants, ICF pour les coachs, etc.
c) Contrôle : pour des rappels à l’ordre et si nécessaire pour imposer des sanctions voire
des exclusions. « Nous avons la police de polices » (un policier). « Si j’ai un problème
avec la HALDE, je risque l’exclusion de SYNTEC » (un recruteur).
d) Représentation lors des négociations collectives avec les représentants du personnel :
sur les différents statuts, conditions de travail et de rémunération.
e) Défense des intérêts de la profession : de la reconnaissance sociale de l’utilité de la
profession. « Les groupes professionnels cherchent à se faire reconnaître par leurs
partenaires en développant des rhétoriques professionnelles et en cherchant des
protections légales, tous aspirent à obtenir un statut protecteur » (Wittorski, page 18).
f) Organisation des formations professionnalisantes : A la différence de l’Education
Nationale, qui fournit une formation plutôt généraliste avec des savoirs, les
organisations professionnelles apportent plutôt des compétences. Elles sont de
différents niveaux mais de plus en plus le bac, voire le bac+2, sont demandés. Elles
travaillent bien évidemment avec le Ministère de l’Education Nationale, mais aussi
avec le Ministère de l’Emploi et d’autres Ministères selon la spécialité professionnelle.
Des BTS sont nés à la suite de ces collaborations (par exemple le BTS Assistant de
Manager en ayant comme maître d’œuvre. La Fédération Française des Métiers du
Secrétariat et de l’Assistanat). Au Mexique une personne qui dispose d’un diplôme
minimum bac+5 est appelée « un professionniste ».
g) Organisation des rencontres entre confrères : « la profession apprend d’autant plus que
les savoirs individuels sont partagés, diffusés, combinés et démultipliés » (Wittorski,
page 22). Il s’agit de l’organisation des congrès et des journées d’études.
h) Publication de revues : qui permettent la codification de la connaissance (Cuevas,
1999) et son stockage. Les savoirs sont capitalisés.
Les professions ont donc établit des niveaux des professionnels. Nous avons par exemple :
- les sapeurs pompiers : professionnels et volontaires.
- les spécialistes de marketing : assistant chef de produit, chef de produit, chef de
produit senior, chef de groupe marketing et directeur marketing.
- football : apprentis, aspirant, stagiaire, élite et joueur professionnel,
- consultants : junior, confirmé, senior et manager.
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- police : statutaires et volontaires.
Les grades sont différents selon les corps professionnels (police, sapeurs-pompiers, armée de
terre, armées de l’air, armée de la mer, gendarmerie, etc.)
Il arrive que les compétences soient équivalentes comme c’est le cas des sapeurs-pompiers, ou
qu’il y ait un sentiment de « galvaudage » du statut comme c’est le cas de la police avec la
création du service volontaire citoyen.
Dans des nombreux cas il y a des concours pour avoir accès à la profession et pour faire
carrière.
Des techniciens de très haut niveau souffrent d’un manque de reconnaissance face aux clients
qui préfèrent le professionnel très diplômé. Nous avons l’exemple des infirmières qui sont des
professionnelles à bac + 3, soit niveau licence.
Critique de la professionnalisation.
Nous avons recensé certaines critiques, car nous sommes de l’avis que la professionnalisation
est un bien pour notre société, mais qu’elle n’est pas exempte d’inconvénients :
a) La bureaucratisation : les règles ont pour ambition d’être universelles, autrement dit,
elles standardisent les comportements de l’ensemble d’une population. R. Bourdoncle
émet la critique que « la plupart des associations professionnelles sont plus motivées
par la défense de leurs intérêts économiques que par la recherche prioritaire du bien du
client …. Néanmoins, (en citant Friedson) les évaluations des professions étaient plus
positives que négatives, accentuant les bénéfices pour la société des activités
professionnelles plus que le coût économique et social de leurs privilèges » (page 86)
b) Création d’une dépendance : jadis les femmes s’occupaient des accouchements et de
leurs bébés, les hommes de la plomberie et de leur voiture, etc. Il y a une perte des
compétences individuelles au profit des professionnels.
c) Perte d’autonomie des professionnels : la CPAM, les assureurs et les mutuelles
interviennent dans les décisions professionnelles des médecins.
d) Pénurie : le niveau d’exigence de compétences professionnelles a engendré une
pénurie, bien évidemment lors des recrutements, mais aussi lors des remplacements à
cause de maladie ou autres congés.
e) Coût : légitimement les professionnels demandent des rémunérations plus élevées et
les entreprises cherchent à faire des économies. « Depuis 2010 la prise d’appel du 18
est réalisée par des opérateurs téléphoniques… des administratifs et non par des
sapeurs pompiers » (un sapeur-pompier).
f) Formatage : avec le souci d’égalité nationale la formation de professionnels tend à être
standardisée.
g) Délinquance professionnelle : même les délinquants se forment et s’équipent « avec
les téléphones portables on peut se trouver être entouré d’une vingtaine d'individus
autour de soi en quelques minutes « (un garde de corps).
h) Des domaines difficilement à professionnaliser : la commercialisation, la gestion des
ressources humaines, le conseil en management, etc. Des autodidactes ou des
formations vouées à d’autres métiers (ingénieur par exemple) occupent souvent ces
postes, ce qui provoque des problèmes de légitimité.
i) Exclusion : les personnes sans qualification ont des problèmes pour trouver un emploi.
Même pour l’animation des associations à but social, il y a une exigence d’une
certaine professionnalisation, ce qui exclue la participation de bénévoles : « on est en
train de tuer le bénévolat » (un joueur de football).
j) Emergence des divas : des comportements d’intransigeance et de caprice (Thévenet).
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k) Sectarisation : les règles et les buts de la profession sont « imperméables » par rapport
aux injonctions de l’extérieur. Les professionnels cherchent à fonctionner en champ
clos (P. Bourdieu).
La différence entre un amateur et un professionnel.
Nous proposons le tableau suivant. Les oppositions doivent être perçues comme des tendances
et non comme des caractéristiques opposées absolument :
AMATEUR OU AUTODIDACTE
Rémunération
En moyenne moins rémunéré ou pas du
tout
Statut
Rarement
Compétences
Techniques plutôt simples
et peu diversifiées
répétition des actes issus de l’expérience
(transposition)
Ayant plus de certitudes
Inconscience des actes car ignorance des
variables
Matériel
Utilisation de matériel simple
Performance
Inspiration + talent
Proportion
entre
préparation-actionévaluation
Principalement l’action
Occupation
Partagée avec d’autres
Evaluation
Notion d’erreur
L’équipe
(ou
groupe)
paye
les
conséquences
Motivation
Envie (passion) de gagner (d’avoir une
performance)
Plaisir personnel
Expression de la personne
Motivation intrinsèque
Relations avec les autres principalement
affectives et secondairement par intérêt
Enjeux financiers
Peu d’enjeux
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PROFESSIONNEL
Bien rémunéré
Bien établit avec des niveaux
Techniques plutôt sophistiqués
et diverses
adaptation et amélioration permanentes
Le doute est de mise
Inconscience des actes car les connaissances
sont incorporées et transformées en reflexes
Utilisation de matériel sophistiqué
Inspiration+talent+beaucoup d’entrainement
Principalement la préparation
A temps plein « je pense le matin, le midi et
le soir au football » (un joueur de football)
Notion de faute professionnelle
Le club (ou entreprise) paye
conséquences
les
Obligation de gagner
Respect du contrat
Discipline d’une technique
Motivation extrinsèque
Relations avec les autres principalement par
intérêt et secondairement affectives
Grands enjeux (budgets à gérer, impact de
leur performance, coût de leurs erreurs, etc.)
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Les professionnels en améliorant leurs techniques permettent aux amateurs de s’améliorer :
« des amateurs actuellement sont plus fort que des professionnels des années 60 » (un joueur
de football).
On dit souvent que les professionnels devraient copier les amateurs dans leur capacité à
s'investir et se passionner
2. Applications à trois métiers
Marketing (deux responsables marketing interviewés).
« N’importe qui ne peut s’improviser spécialiste en marketing ….il y a tout un savoir et des
connaissances techniques ». On doit être capable d’appréhender les besoins des clients pour
les années à venir et les transformer en produits et services … cela nécessite un grand
professionnalisme ». « Nous devons élaborer un plan marketing….à partir des études de
marché ». Les professionnels s’appuient sur le marketing mix : prix, produit, distribution et
promotion. Celui-ci a été développé par un professeur américain : Philippe Kotler et non par
une association professionnelle. Nos interviewés ont parlé de : pricing, études de marché,
publicité, négociation commerciale, remise commerciale, référencement, packaging, identité
de la marque, positionnement, niches, panels de consommateurs, etc. un langage technique
semi-transparent mais avec des définitions très précises. A ces compétences métier ils ont
avancé des compétences-parallèles : retour sur investissement, gestion d’un budget,
méthodologie de la décision, gestion des projets, droit du commerce, communication digitale,
etc. « Nous devons être capables d’appliquer une méthodologie rigoureuse ». Mais ils ont
reconnu qu’ils ne disposent pas de logiciels professionnels spécialisés en marketing.
Etant donné la nécessité d’une grande réactivité, car le marketing est essentiellement
opérationnel, les temps de préparation, action et évaluation sont très courts, à l’exception des
actions pour le marketing d’image où le temps de préparation est très long.
Lors de la création de produits et du développement des campagnes publicitaires, de par le
risque d’un attachement affectif, les marqueteurs nécessitent une prise de distance
professionnelle afin qu’ils puissent garder toute leur objectivité.
L’entourage des marqueteurs (medias, cabinets d’études de marché, distribution, agences de
communication, etc.) partagent le même langage du marketing qu’eux. Grâce à une
méthodologie et des techniques partagées, les uns connaissaient les contraintes des autres. Les
marqueteurs peuvent facilement évaluer le niveau de professionnalisme de leur entourage. Le
problème survient quand les marqueteurs doivent négocier avec les ingénieurs de production
et les responsables financiers. Les logiques et les langages sont différents voire divergents. Le
marqueteur va démontrer son professionnalisme surtout quand il réussit à convaincre les
responsables commerciaux de transformer un plan marketing en plan d’action commerciale.
Ces négociations contraignent les marqueteurs à faire preuve d’un professionnalisme de très
haut niveau pour démontrer leur légitimité.
Les marqueteurs ressentent une double responsabilité : vis-à-vis du client et de leur entreprise.
Il y a une promesse au client et des attentes de rentabilité et de pérennité de l’entreprise. Le
professionnalisme permet d’éviter un décalage produit/marché et amène par conséquence de
la rentabilité.
Et comme nous l’a dit un de nos spécialistes de marketing « Il n’y a pas de place à
l’improvisation pour la fonction marketing ….le professionnalisme du marqueteur concourt
au développement durable de notre entreprise ! »
La commercialisation
Nous nous sommes intéresses au métier de vendeur. Ceux que nous avons rencontrés estiment
que si ils peuvent tout vendre pour des raisons d'emploi, ils préfèrent être spécialistes dans un
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domaine (la mode femme ou homme...) Dans les enseignes où ils travaillent ils sont des
capteurs de tendance. La rencontre des clients et leurs demandent font qu'ils sont bien en
amont des désirs des consommateurs et sont surpris que leurs employeurs ne font pas appel à
cette connaissance pour créer les collections à venir. Cette perception des désirs des clients,
en s’ajoutant à leurs propres désirs, risque de faire perdre l’objectivité indispensable à tout
professionnel. L'un nous disait qu'il avait appris son métier avec son beau père, commerçant
dans l'âme qui mettait en avant ses produits en fonction du temps... Et que sa réactivité non
seulement lui donnait un avantage sur ses concurrents mais faisait partie intégrante de son
commerce. Le client avait d'abord le réflexe de passer dans sa boutique avant d'aller ailleurs.
Une de nos surprises aux cours des entretiens a été d'entendre un responsable de
développement d'enseigne, vendeur à la base, nous dire qu'avant d'acheter un emplacement il
observait non la fréquentation de telle ou telle rue mais d'où viennent les sacs que transportent
les passants. Il a expliqué qu'il avait fort envie d'acheter un emplacement dans une rue très
fréquentée d'une capitale régionale mais qu'en observant la provenance des sacs des achats
des passants il s'était aperçu que cette rue très fréquentée et très chère n'était en fait qu'un lieu
de passage alors que le business se faisait dans une autre rue moins chère. Les gens que nous
avons rencontrés avaient tous des idées pour faire évoluer leur métier, non seulement pour
leur faciliter la vie et éviter des pertes de temps inutiles et des erreurs mais aussi pour mieux
servir leurs clients. Nous avons été étonné, alors que nous les pensions superficiels, de voir
qu'ils avaient un idéal de service, une éthique quant à leur rôle et qu'ils souhaitaient en
permanence, fort de leur expérience, faire progresser l'enseigne. Ils étaient cependant surpris
du peu de considération que leur apportait leur manager en parfait décalage avec la
sollicitation et les attentes des clients. Métier peu considéré, la formation formelle s’arrête à
bac + 3, mais cependant les vendeurs apprennent par eux mêmes en consultant internet, en
lisant des magazines, en rencontrant les spécialistes des vitrines, de la communication, de
l'informatique... qui les conduit à des niveaux de connaissances surprenants pour eux et leur
entourage. Une enseigne de mode pour l'homme a conduit une campagne de VAE qui a
montré que les vendeurs avaient des niveaux de connaissance bien supérieurs à leur diplôme
noté dans leur dossier. Ce qui n'a pas entraine plus de reconnaissance
La gestion des ressources humaines.
La gestion des ressources humaines dans les entreprises où nous sommes intervenus est
souvent très mystérieuse pour les personnels à qui elle est censée de servir. Leur rôle tient
plus de l'alchimie que de connaissances reconnues. Le fait que ces postes soient aussi confiés
à des managers venant d'horizons divers ne clarifie pas non plus la situation. Les
professionnels des RH n'ont bien sûr pas la même perception. Pour eux leur métier est de plus
en plus spécialisé et de plus en plus technique. Ils sont soumis d'une part aux évolutions
technologiques comme les NTIC mais aussi à toutes les évolutions sociales, financières,
politiques, légales, etc. Le DRH doit avant tout anticiper ces évolutions pour d'abord prévenir
les risques mais aussi avoir à « l'instant T » les compétences disponibles pour faire face à
cette évolution. Si ils ont bien sûr de leur métier une certaine éthique, leur rôle les obligent à
ne rien entendre, ne rien voir, ne rien dire. La tentation et le risque serait de confondre leur
rôle avec celui de syndicaliste. Leur trouble conduire des missions allant à l'encontre de leur
morale. Les gens que nous avons rencontres avaient des idées pour faire évoluer leur métier
mais compte tenu de leur positionnement dans l'organisation ils avaient plutôt tendance a
reproduire des modèles existants ou à s'engouffrer dans des voies ouvertes par leurs clients.
Pourquoi, ne feriez vous pas ceci....etc. Les RH rencontrés semblent aujourd'hui plus
confortés dans des rôles d'exécutants, disciplinaires ...que dans des rôles stratégiques ou
innovants... Tous DRH...la formule est brillante mais c'est la non reconnaissance de la
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spécificité des connaissances de cette discipline dans l'entreprise et sa condamnation à être
tout à la fois professionnelle sans l'être.
3. Conclusion
Le fonctionnement de nos organisations évolue vers le secteur tertiaire, vers une forte
utilisation des NTIC, vers une plus grande taille avec des clients bien formés et par
conséquent très exigeants.
Les différentes activités humaines, qui relèvent tant des « sciences dures » comme des
« sciences molles » se professionnalisent.
Les professionnels se spécialisent notamment dans la phase de diagnostic ou de préparation de
l’activité, en se consacrant de moins en moins à la phase action. Pour ce faire, ils développent
des compétences-métier mais aussi des compétences-parallèles telles que le droit,
l’informatique, la vente, le management, etc.
Les relations humaines pour les professionnels sont très importantes, ils travaillent surtout
dans les services et pour bien faire, ils doivent maîtriser leur affectivité. Comme ils doivent
actualiser leurs compétences, ou faire appel à des professionnels disposant des compétences
complémentaires par rapport à eux, les professionnels devront établir des bonnes relations
avec leurs collègues et avec les organisations professionnelles.
Bien évidemment, c’est au niveau de leurs compétences spécialisées et de l’utilisation du
matériel sophistiqué qu’on reconnaît un professionnel, mais surtout c’est au niveau de sa
responsabilité assumée et de sa motivation à rendre un service de qualité, rapide et
économique que sa contribution est appréciée dans cette nouvelle société de la performance.
Professionnalisme et amateurisme ne sont pas sur le même continuum. Ils sont sur des
chemins parallèles. S’il y a des degrés de différence entre leurs connaissances, ce n'est pas ce
qui les sépare. Sur un continuum il y a l'amateur et le non amateur, sur l'autre il y a le
professionnel avec d'un côté le bon professionnel et de l'autre le mauvais. L'amateur fait ce
qu'il aime, le professionnel fait ce qu’il doit faire.
La différence vient aussi dans l'appréciation qui est portée sur le travail de l'un et de l'autre.
Pour l’amateur, on l'apprécie quand on le regarde faire quelque chose hors de son champ de
compétences. Le fait de l'avoir fait est un exploit en soi. Pour le professionnel, on observe sa
prestation avec sévérité en pensant à la perfection. Quand on regarde son travail on attend la
performance. Le fait de bien le faire relève de son statut de professionnel.
Bibliographie
Bourdieu, Pierre, (1979), La distinction, Ed. Minuit.
Bourdoncle, Raymond, (2000), « Autour des mots : professionnalisation, formes et dispositif
», Recherche et formation, no. 35.
Cuevas, Fernando, (1999), « La codification des connaissances comme facteur de changement
organisationnel », Congrès de l’AISLF (Association Internationale de Sociologues de Langue
Française), Genève, Suisse, pages 445-450.
dictionnaire larousse, (2009).
Le Boterf, Guy, (2007), conférence au Palais Beaumont à Pau organisée par le CIBC 64.
Thevenet, Maurice, (2009), Le bonheur est dans l’équipe, Eyrolles.
Wittorski, Richard (2008), La professionnalisation, L’Harmattan.
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178
RSE et activit& manageriale : contribution des phénomènes furtifs
Jean-Pierre Dumazert & Dominique Drillon
RSE ET ACTIVITE MANAGERIALE : CONTRIBUTION DES
PHENOMENES FURTIFS
Jean-Pierre DUMAZERT
Professeur, ESC La Rochelle
Groupe Sup de Co La Rochelle
[email protected]
Dominique DRILLON
Doctorat Sciences Humaines, HDR
Professeur, ESC La Rochelle
Groupe Sup de Co La Rochelle
[email protected]
Le concept de responsabilité sociale de l’entreprise renvoie déjà au siècle dernier et
notamment à l’ouvrage de l’américain Bowen, destiné « à sensibiliser les hommes d’affaires
aux valeurs considérables dans notre société » (Bowen, 1953). Bien qu’elle définisse un
concept volontaire, la RSE devrait se traduire également par la définition d’une éthique,
formalisée dans une charte. Dès lors, s’engager dans un comportement de responsabilité
sociale (Allouche, Huault et Schimdt, 2004), passe par un axe social qui reste largement
déterminant pour se représenter la responsabilité sociale de l’entreprise en France. Mais
s’agissant de la responsabilité des individus, l’objet de cet article est de montrer que la
Gestion des Ressources Humaines se trouve confrontée à des phénomènes que nous qualifions
de furtifs. Partant d’un intérêt pour ce qui est caché, secret (confidentiel) et rapide, au sein des
organisations (pratiques et comportements), la thèse que l’on souhaiterait avancer, dans le
cadre de cet article, est qu’il apparaît possible de s’interroger sur la contribution des
phénomènes furtifs à l’activité managériale. De fait, la furtivité s’infiltre dans la notion de
responsabilité sociale, en tant que variable de management, elle-même définie par les
phénomènes furtifs qui en permettent l’observation et la compréhension.
Dans un contexte actuel où l’entreprise se doit d’être responsable à l’égard d’un grand
nombre d’acteurs et plus spécifiquement pour ses salariés, le concept de RSO vient parfois se
heurter à des points de tension internes. Des pratiques furtives (caché, secret et rapide)
s’infiltrent dans le jeu organisationnel et managérial, amenant avec elles plusieurs
conséquences négatives pour la conduite de la RSO : mise à distance des exclus, présence du
conflit opportuniste, légitimité de la transgression ou de la déviance.
Après avoir défini et resitué les concepts de furtivité et de responsabilité, nous nous
intéressons à l’impact des phénomènes furtifs sur l’activité managériale (présence et
contribution). Pour ce faire, nous illustrons notre propos à travers les résultats d’une étude
qualitative s’appuyant également sur un questionnaire de type Delphi (Dalkey et al., 1972),
que nous avions administré auprès de 30 professionnels du management.
1. Furtivité et responsabilité sociale
La présence de la furtivité liée aux acteurs dans l’organisation implique de détecter les modes
de régulation (Crozier & Friedberg, 1977), à partir des solutions trouvées par les acteurs pour
concilier leurs intérêts divergents. Car pour aborder la question de la responsabilité dans
l’organisation, il est nécessaire de « quitter les personnes, pour analyser leurs
comportements » (Mayaud, 2000, p. 947). Les nouveaux contours de la RSE (Fraisse et
Guerfel-Henda, 2005), forçant le jeu de l’innovation managériale, suppose que la
responsabilité sociale de l’entreprise s’étende sur des questions plus proches de la relation
salariés / entreprises : formation professionnelle, santé et sécurité, équilibre et considération
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RSE et activit& manageriale : contribution des phénomènes furtifs
Jean-Pierre Dumazert & Dominique Drillon
au travail et diversité des ressources humaines. Un tel contexte peut être alors déstabilisé et
remis en cause par la dimension polémique qui accompagne la présence des phénomènes
furtifs (Dumazert, 2009).
1.1. Le concept de furtivité
La furtivité est un concept polysémique dont le contenu et l’interprétation varient suivant le
contexte et les circonstances. La décision de mobiliser ce concept pour qualifier, certaines
pratiques, de phénomènes furtifs, relève d’un choix d’observation46. Il fait appel à plusieurs
notions connexes, dont la distinction ne tient souvent qu’aux nuances associées, au contexte,
et aux circonstances. Ainsi, d’une façon générale, on dira d’un objet47 qu’il est furtif s’il
apparaît comme :
-
caché : qui cache son but ou les moyens par lesquels il cherche à l’atteindre ;
secret : qui est réservé à quelques personnes ;
rapide : qui décide ou procède sans tarder, dont les différentes phases se déroulent à
des intervalles rapprochés.
Dans notre approche, la furtivité dont il est question, s’applique, en situation de relations de
pouvoir et de négociation stratégique au sein des organisations, et concerne donc les êtres
humains s’y trouvant en activité. Nous faisons ici abstraction d’autres cas possibles, relatifs à
l’observation de la furtivité : les virus (vivants ou informatiques), les engins militaires
(avions), les signaux faibles (rayonnement), la construction (chantiers furtifs), etc. Nous
avons, par conséquent, organisé l’objet de notre recherche, en schématisant un cadre principal
d’analyse, constitué de trois cadres généraux : conceptuel, théorique et contextuel. Concernant
le cadre théorique, la littérature scientifique en Sciences de gestion ne le mobilise quasiment
jamais. Il convient alors de l’importer d’autres disciplines (Stengers, 1987 ; Girin, 2001), de le
placer dans le cadre théorique, puis de le mobiliser dans le cadre contextuel propre à l’activité
managériale. Notre choix s’est porté sur l’activité managériale pour deux raisons principales.
Premièrement, il nous est apparu comme plus facile, d’aborder des décideurs sur une
thématique comme celle de la furtivité dans l’organisation. Deuxièmement, les managers
présentent l’avantage d’être à la fois, acteurs et décideurs (au sens du management) dans le
système organisationnel. Nous pourrions rajouter, également, que la nature même de la
fonction managériale est bien d’évoluer dans des environnements complexes et incertains, au
travers de la décision, de l’action et de la réaction (Mintzberg, 1982). Mais également, que les
managers sont au cœur des problématiques de responsabilité sociale des entreprises
(Pesqueux, 2002 ; Peretti, 2004 ; Plane, 2008).
Nous donnons à la furtivité la définition suivante : « ensemble des phénomènes subis ou
maîtrisés par le manager, perçus comme des événements pouvant contribuer à quatre
situations : mise à distance des personnes dans l’entreprise, augmentation du gain pour
l’individu actif, développement du conflit opportuniste et renforcement de la légitimité de la
déviance (transgression). L’impact de ces phénomènes furtifs peut s’observer sur la mission
professionnelle et la légitimité du manager dans l’organisation ». Toutefois, la furtivité ne
s’entend pas en dehors de l’action collective et de ses régulations (Reynaud, 1989), puisque
l’acteur stratégique n’a pas d’intérêt ou d’avantage, à obtenir ou à défendre, lorsqu’il se
trouve isolé (Dumazert, 2009). Elle évoque donc bien un concept situé en proximité de la
responsabilité sociale de l’entreprise et de ses membres (Igalens et Vicens, 2005).
46
47
La présence de la furtivité dans d’autres sciences et disciplines est exposée dans nos travaux précédents.
Le terme objet est à considérer au sens le plus large : organisme, machine, animal, être humain, etc.
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RSE et activit& manageriale : contribution des phénomènes furtifs
Jean-Pierre Dumazert & Dominique Drillon
1.2. Responsabilité sociale et furtivité
Au sein des organisations, la responsabilité renvoie à deux notions précises qui se trouvent
affectées par les phénomènes furtifs : l’identification du sujet et la question de la
responsabilité elle-même (Pailot, 2005). La première notion fait appel à la responsabilité des
personnes morales ou physiques quand à leurs actes (Tourneau, 2003). Ainsi, le droit pénal du
travail évoque clairement l’idée d’une responsabilité permettant d’identifier les acteurs de
l’entreprise, susceptibles d’engager leur responsabilité pénale dans le cadre de leur activité
professionnelle (Mayaud, 2000). Plusieurs signifiants juridiques peuvent alors être mobilisés :
employeur de droit, employeur de fait, salarié, délégataire, etc. permettant de délimiter des
frontières sociales et de séparer la responsabilité juridique (Blanc-Jouvan, 2005). La
responsabilité sociale s’entend également comme un processus participatif (Maclagan, 1999),
mais qui doit prendre en compte la part de l’organisation qui échappe au contrôle des
décideurs (Pfeffer et Salancik, 1978) ou la présence des coalitions (March, 1991). Et les
phénomènes furtifs échappent bien souvent au contrôle des décideurs en raison de leur nature
réelle. D’autres formes de responsabilités peuvent être mobilisées à partir de la littérature
scientifique : la responsabilité économique (Carroll, 2000 ; Capron, 2004), la responsabilité
légale (Carroll, 2000), la responsabilité éthique (Igalens et Joras, 2002) et la responsabilité
discrétionnaire (Carroll, 1991). Toutefois, dans le cadre de cet article, il s’agit bien de la
responsabilité de l’individu au sein du processus de participation sociale de son entreprise qui
est abordée sous l’angle de la furtivité.
Face aux manifestations très spécifiques de ces phénomènes et dans un souci d’efficacité, les
modalités de management de l’organisation peuvent amener la RSE à développer des espaces
de dialogues et d’échanges (Igalens, 2003), faisant évoluer la GRH vers des pratiques
innovantes et inattendues. Ainsi, l’émergence des contextes faisant appel au renforcement de
la responsabilisation des salariés (Richebé, Sobczak, 2004), met en exergue l’ambiguïté du
concept de RSE lorsqu’elle renvoie à la mobilisation même du terme responsabilité. Dès lors,
la responsabilité s’énonce, d’une part, en fonction des comptes qu’une personne doit rendre
dans ce qu’elle accomplit, mais également, d’autre part en fonction des effets provoqués par
son action dans l’entreprise. Or, l’acteur furtif dans l’entreprise s’avance en marge (ou en
transgression) des ces principes malgré les impacts éventuellement perçus du fait de ses actes
cachés, secrets ou rapides. Lorsque la responsabilité suppose l’identification d’un sujet par
l’attribution de l’action à un individu (Mayaud, 2000, p. 942), il devient également difficile de
désigner clairement l’acteur furtif. Par un complément défini par la nature de la responsabilité
(Blanc-Jouvan, 2005), cela qui revient à évoquer les idées d’obligation et d’imputabilité
(Pailot, 2005), lesquelles échappent du cadre normal de perception grâce aux phénomènes
furtifs.
Le chercheur placé en position d’observateur social (Igalens & Joras, 2002) sait aussi, que
le jeu organisationnel (Cyert & March, 1963), va créer une situation de management où une
partie des ressources seront consacrées à la poursuite d’expériences inédites. Et dans ces
interstices propices au manque de contrôle et de régulation, les phénomènes furtifs trouvent
un espace réel de présence au sein des organisations. Or le parallèle n’est pas loin avec les
postulats de l’analyse stratégique des organisations proposée par Michel Crozier (1977, 1989).
Ainsi doit-on repérer les relations entre acteurs et les phénomènes qui les structurent, afin
d’amener en proximité le concept de la RSE avec celui de la furtivité.
2. Présence et contribution de la furtivité
Compte tenu de la complexité liée à l’importation et à la mobilisation du concept de furtivité
en sciences de gestion, nous avons préféré adopter une approche aménagée et exploratoire des
phénomènes furtifs. Dans ce contexte, nous n’avons pas cherché à savoir pourquoi ces
phénomènes se manifestent, mais plutôt comment ils se manifestent. Les raisons pour
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RSE et activit& manageriale : contribution des phénomènes furtifs
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lesquelles les managers subissent ou utilisent la furtivité, ont donc été écartées de notre
problématique de recherche. Notre question de recherche était donc la suivante : quelles sont
la présence et la contribution des phénomènes furtifs à l’activité managériale ? et nous l’avons
soumise à un échantillon de 45 managers (marketing, ressources humaines, logistique, vente
et production). Suite à l’enquête qualitative exploratoire, une enquête Delphi a été réalisée
auprès d’un groupe de 30 professionnels du management, afin d’étudier l’axe contributif de la
furtivité.
2.1. Explorer la présence des phénomènes furtifs
Devant l’importance du verbatim à traiter, nous avons procédé en définissant quatre
catégories principales, dans lesquelles nous avons placé des thèmes significatifs. Ces thèmes
renvoient à des faits observables dans les entreprises, dès lors qu’ils affectent, directement ou
indirectement, la responsabilité des acteurs ou l’organisation du travail. Nous avons ainsi
regroupé les informations obtenues, d’une part, en fonction de leurs significations ou des
représentations données par les managers interrogés, et d’autre part, en fonction des questions
de recherche que nous avions formulées préalablement.
Catégorie n° 1 - la mise à distances des exclus : la transparence de l’individu, le vol de
temps, d’énergie, de valeur, etc., la perte de contact avec le terrain et la dégradation de la
coopération interne.
Catégorie n° 2 - le gain pour l’acteur plutôt que pour l’agent : la division du travail, le
sens donné au travail et la furtivité pour réussir dans son activité.
Catégorie n° 3 - l’acceptation du conflit opportuniste : le conflit, un style excessif moderne
et l’inquiétude, une ressource utile.
Catégorie n° 4 - la légitimité de la déviance : la furtivité une ressource pour éviter le
contrôle, et la furtivité une ressource pour diriger.
D’une façon générale, les managers interrogés ont évoqué la furtivité en fonction d’un constat
général, de l’observation de phénomènes, d’une liaison entre ces phénomènes et leur activité
et, enfin, d’un impact sur leur activité. L’ensemble des éléments obtenus dans le cadre du
verbatim de l’enquête qualitative exploratoire formait un corpus riche et exploitable. Il
montrait déjà, à ce stade de l’étude, que le concept de furtivité n’était pas étranger au
management, aussi bien dans la forme (manifestation des phénomènes furtifs), que dans le
fond (présence et impact sur l’activité managériale). Il est logiquement impossible de fournir
l’ensemble du verbatim obtenu dans le cadre de cet article. Cependant, nous en proposons
trois extraits afin de faciliter la vision des phénomènes furtifs telle qu’elle fut évoquée au
cours des entretiens.
---------« Je classe dans votre définition le fait de voiler la présence de l’autre dans son service, de ne
plus le considérer comme une personne à part entière (…) d’en faire un élément du décor au
fil des jours ».
(Responsable RH, Entretien n° 29 – 10/04/06)
Secteur : Services de gestion de la facturation
------------------« Je dirais que les personnes vivent leur travail ensemble… mais qu’elles ne vivent pas
ensemble dans l’entreprise. C’est là que je pourrais prétendre observer des pratiques
furtives…dans les échanges éphémères entre collègues, dans les informations réduites à des
groupes informels ou encore au regard de la concurrence sévère (…) que se livrent certaines
personnes pour atteindre leurs résultats. L’exigence venant d’en haut s’impose à tous. Je
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pense souvent que beaucoup font les mêmes choses car leur métier est le même, mais que la
face cachée de leurs activités prend le dessus. Je crois que les managers vivent ça aussi
comme ça… ils en sont à courir après le temps, comment pourraient-ils le partager entre eux
ou avec leurs personnels ? ».
(Responsable RH, entretien n° 09 – 08/07/05)
Secteur : Services de marketing direct
---------« Quand ce qui vous préoccupe en priorité, c’est de ne rien lâcher à l’entreprise ou à vos
collègues, vous développez des pratiques qu’on peut en effet qualifier de furtives : mentir à
ses collègues sur son état de santé, tricher sur son emploi du temps, s’inventer une surcharge
de travail, voler du temps à l’entreprise, et surtout, le plus grave pour moi, cumuler les arrêts
maladies pour des raisons injustifiées ! Mais, nous sommes tous responsables de la présence
de ces phénomènes pratiqués sous couvert du secret ».
(Directeur RH, entretien n° 17 – 16/11/05)
Secteur : Equipements de télécommunications
---------2.2. Evaluer la contribution des phénomènes furtifs
Sans en détailler toute la procédure dans le cadre de cette communication, nous avons
finalement décidé que trois vagues d’enquête étaient suffisantes pour notre procédure Delphi.
Cependant, dans le cadre de cet article, nous ne présenterons que les résultats obtenus pour les
deux premières questions de recherche48. Pour faciliter une vision synthétique de notre travail,
nous examinerons, en priorité, les cinq premiers items, classés par score moyen pour chaque
question.
Tableau 01
Source : Jean-Pierre Dumazert, enquête Delphi 2009
Q1. Que pensent les managers de la furtivité ?
Une présence de l’inquiétude et des tensions
relationnelles
Des comportements visant à échapper au contrôle
Une gestion efficace des tâches et objectifs
Une dégradation de la coopération entre les personnes
Un meilleur contrôle des personnes dans l’entreprise
Moyenne
3,77
3,73
3,67
3,40
3,40
Médiane Ecart-type
4
4
4
4
4
0,43
0,52
0,61
0,72
0,86
Nous abordons ces cinq premiers facteurs en les rapprochant des catégories retenues, suite à
l’enquête qualitative exploratoire.
 La mise à distance des exclus
Q1. Que pensent les managers de la furtivité ?
Moyenne Médiane Ecart-type
Une dégradation de la coopération entre les personnes
3,40
4
0,72
Pour les managers interrogés, la dégradation de la coopération entre les personnes semble être
un facteur clé, permettant d’observer la présence de phénomènes furtifs dans l’organisation.
Au regard du verbatim obtenu lors de l’enquête qualitative exploratoire, la mise à distance de
48
Nous n’avons pas pu faire figurer ces résultats dans cet article, mais nous les tenons à la disposition du lecteur.
Pour chaque question, les managers devaient indiquer leur accord ou leur désaccord sur chaque item proposé, à
l’aide d’une échelle de Likert à quatre degrés (1 = Tout à fait en désaccord, 2 = En désaccord, 3 = D’accord, 4 =
Tout à fait d’accord).
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certaines personnes, par des pratiques furtives contestables, correspondrait à une tendance
facilitant l’observation du concept de furtivité dans l’activité managériale. Le principe de
liaison, formé par la coopération entre les individus dans l’entreprise, se trouve placé en
contradiction avec la présence de la furtivité dans l’activité professionnelle (écart-type faible).
La responsabilité sociale de l’entreprise se heurte donc à une dégradation de la coopération
interne (Richebé et Sobczack, 2004), notamment lorsque les acteurs dégradent eux-même
cette coopération (Vigneau, 2004). Ce qui amène également à s’interroger sur la présence de
comportements non socialement responsables (Sobczack, 2002).
 Le gain pour l’acteur plutôt que pour l’agent
Q1. Que pensent les managers de la furtivité ?
Une gestion efficace des tâches et objectifs
Un meilleur contrôle des personnes dans l’entreprise
Moyenne
3,67
3,40
Médiane Ecart-type
4
0,61
4
0,86
L’importance de ces deux résultats est à souligner, puisque ces deux facteurs indiquent que
l’utilisation de la furtivité, par les employés ou les managers, permet d’obtenir un avantage
dans son activité professionnelle. Il s’agit là d’une dimension offensive et active de la
furtivité. L’acteur dans l’entreprise obtiendra plus que l’agent, dès lors qu’il utilise habilement
des pratiques furtives, visant à mieux gérer les objectifs ou à contrôler les personnes. Le fort
consensus entre les managers montre, selon nous, le degré d’accord existant sur la présence
des phénomènes furtifs, lorsqu’il s’agit d’obtenir un avantage ou d’éviter d’en perdre un.
D’un point de vue de la responsabilité sociale, cela nous amène également à nous interroger
sur la fonction et la légitimité du manager lorsqu’il doit « sanctionner des actes relevant de la
vie personnelle du salarié au travail… » (Vigneau, 2004, p. 710). On observe alors que la
présence de la furtivité vient déstabiliser la liaison entre efficacité de la gestion (contrôle des
personnes) et légitimité du manager.
 L’acceptation du conflit opportuniste s’exprime
Q1. Que pensent les managers de la furtivité ?
Moyenne
Une présence de l’inquiétude et des tensions
relationnelles
3,77
Médiane Ecart-type
4
0,43
Cette catégorie obtient le premier facteur qui renvoie directement à l’inquiétude dans les
rapports professionnels entre les personnes, mais également, à la présence de tensions
relationnelles, bénéfiques pour certains acteurs. Certains managers estiment avoir à gérer la
présence d’individus évoluant particulièrement bien dans des environnements incertains ou
des conflits. Ce qui n’est pas compatible avec le sens donné à la responsabilité sociale en
matière de relations interpersonnelles (Peretti, 2004).
 La légitimité de la déviance par :
Q1. Que pensent les managers de la furtivité ?
Des comportements visant à échapper au contrôle
Moyenne
3,73
Médiane Ecart-type
4
0,52
Le second item sur le classement met en liaison les phénomènes furtifs avec la légitimité
de comportements visant à échapper au contrôle de l’autorité professionnelle dans
l’entreprise. En effectuant un retour sur le verbatim des 45 entretiens semi-directifs, on
observe que plusieurs managers ont évoqué les « efforts » mis en place par certaines
personnes, afin de contourner l’autorité ou d’éviter d’être contrôlées sur le lieu de travail. Des
facteurs tels que : cacher une réalité plus contestable que le conflit lui-même, humilier les
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individus sur le lieu de travail, obtenir un terrain propice dans la division du travail et créer
une surcharge de travail pour une personne, ont ainsi obtenu une très forte dispersion des
réponses. Echapper au contrôle par la furtivité renvoie à l’idée d’obligation et d’imputabilité
(Pailot, 2005 ; Blanc-Jouvan, 2005), qui échapperait du cadre normal de perception grâce à ce
type de comportements dans l’entreprise.
Tableau 02
Source : Jean-Pierre Dumazert, enquête Delphi 2009
Q2. Comment perçoivent-ils les phénomènes
Ecartfurtifs ?
Moyenne Médiane type
Se renfermer sur soi, sortir du cadre relationnel
3,87
4
0,35
Echanges éphémères entre collègues
3,83
4
0,38
Tricher sur le contenu de l’information
3,83
4
0,46
Se manipuler et se tromper entre collègues de travail
3,77
4
0,68
Mentir pour cacher l’impact du changement
3,70
4
0,75
Un premier regard sur ces résultats montre l’idée même de responsabilité sociale est fortement
impactée par les phénomènes furtifs au travail. En procédant à une analyse par catégories, on
remarque que :
 La mise à distance des exclus
Q2. Comment perçoivent-ils les phénomènes
Ecartfurtifs ?
Moyenne Médiane type
Echanges éphémères entre collègues
3,83
4
0,38
Ce type de phénomènes furtifs renvoie à une rapidité dans les relations interpersonnelles,
lorsque les individus ne souhaitent pas communiquer entre eux, ou tentent d’exclure d’un
groupe l’un de leurs collègues. Le verbatim obtenu dans les entretiens semi-directifs, a montré
que l’un des phénomènes furtifs les plus évoqués par les managers interrogés, concerne la
diminution des relations et la perte de qualité au sein de la relation humaine. Les espaces de
dialogue propices à la RSE sont donc directement menacés (Igalens & Vicens, 2005).
 Le gain pour l’acteur plutôt que pour l’agent avec :
Q2. Comment perçoivent-ils les phénomènes
Ecartfurtifs ?
Moyenne Médiane type
Se renfermer sur soi, sortir du cadre relationnel
3,87
4
0,35
Mentir pour cacher l’impact du changement
3,70
4
0,75
Cette seconde catégorie regroupe deux types de phénomènes furtifs, dont un qui obtient le
score moyen le plus élevé et la dispersion des réponses la plus faible. Ce premier type de
phénomènes furtifs a été évoqué fréquemment, lorsque des managers ont abordé les cas de
personnes se repliant sur elles-mêmes dans l’entreprise. D’une façon discrète, en cachant son
ressenti et son mal-être, ces personnes vont alors perdre leur statut d’acteurs pour devenir de
« simples agents » de l’entreprise. De façon furtive pour que leur entourage ne s’en aperçoive
pas, elles vont, au fur et à mesure, sortir du cadre relationnel. Le second type de phénomènes
furtifs confirme, d’une certaine façon, cette observation en montrant que le fait de mentir pour
cacher l’impact du changement sur soi-même, ses compétences, sa performance, etc., est un
phénomène jugé comme fréquent (score moyen = 3,70).
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 L’acceptation du conflit opportuniste
Cette troisième catégorie n’a pas d’items dans les dix premières places de ce classement.
C’est le type de phénomène furtif qui correspond à « Informer de façon conflictuelle pour
semer le doute » qui se trouve en 11ème position, avec un score moyen de 3,43 et une
dispersion de 0,73 (écart-type). Il est exact que concernant l’enquête qualitative exploratoire,
les managers interrogés ont évoqué les phénomènes de cette catégorie, de façon spécifique et
proprement ancrée dans un management offensif. C’est-à-dire une forme d’activité
managériale qui ne place pas l’individu au centre des préoccupations du manager responsable,
mais qui, a contrario, intègre la place de l’humain comme un facteur « secondaire » de la
performance.
 La légitimité de la déviance
Q2. Comment perçoivent-ils les phénomènes
Ecartfurtifs ?
Moyenne Médiane type
Tricher sur le contenu de l’information
3,83
4
0,46
Se manipuler et se tromper entre collègues de travail
3,77
4
0,68
Il est particulièrement intéressant de constater que concernant la légitimité de la déviance, les
deux types de phénomènes furtifs qui se placent dans les cinq premiers items, sont
directement liés à l’information, à la manipulation et à la tromperie. Plusieurs entretiens
qualitatifs avaient permis d’évoquer certaines pratiques visant à tricher sur l’information, sa
valeur, son intérêt et son contenu. Cet item obtient un score moyen très élevé (3,83) et un
écart-type faible (0,46). Nous avons constaté que pour plusieurs managers du groupe Delphi,
la furtivité est souvent assimilée à une volonté de tricher, de manipuler ou de tromper l’autre
sur son lieu de travail. Ainsi, la légitimité de la déviance vient prendre une place
particulièrement polémique au sein de l’activité managériale responsable (? (Mayaud, 2000 ;
Igalens & Joras, 2002 ; Igalens 2003). Les managers peuvent alors accepter et tolérer ces
pratiques furtives. Ils peuvent en tirer profit ou en obtenir des avantages dans la gestion
quotidienne de leur activité professionnelle. Mais parfois, elles peuvent aussi représenter un
obstacle à leur légitimité ou à leur leadership (Dumazert, 2009).
3. Conclusion
Nous avons exposé plusieurs éléments montrant que la RSE pouvait être soumise à des
difficultés liées notamment à la présence des phénomènes furtifs au sein de l’activité
managériale49. Dans un contexte actuel où l’entreprise se doit d’être responsable dans la
conduite de ses affaires et dans sa politique sociale, le concept de RSE vient se heurter à des
points de tension externes et internes. Elle est bien entendu responsable des conséquences
sociales créées par son activité (French, 1979, 1984). Mais également, elle se doit d’exercer sa
responsabilité à l’égard d’un grand nombre d’acteurs et plus spécifiquement pour ses
salariés50, bien plus qu’au seul regard de leurs capacités (Bailey, 1993) ou de leur motivation
(Thévenet, 1993).
49
Nous rappelons que seuls des résultats partiels et des extraits de la méthodologie ont été présentés lors de cette
communication. Même chose concernant l’importante phase de déroulement de l’enquête qualitative exploratoire
et de l’enquête Delphi par itérations successives (trois vagues de questionnaires).
50
Une enquête de la SOFRES en 2001 a montré que pour 65% des personnes interrogées en entreprise, la prise
en considération de l’humain dans l’entreprise était un facteur clé de la perception d’une politique de RSE en
France.
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186
RSE et activit& manageriale : contribution des phénomènes furtifs
Jean-Pierre Dumazert & Dominique Drillon
Lorsque des pratiques furtives (caché, secret et rapide) s’infiltrent dans le jeu organisationnel
et managérial, elles amènent avec elles plusieurs conséquences négatives pour la conduite de
la RSE : transparence de l’individu, dégradation de la coopération interne, diminution du sens
donné au travail, conflit opportuniste, légitimité de la déviance et de la transgression, etc.
Pour les managers interrogés (échantillon de 45 professionnels), les phénomènes furtifs sont
directement présents, avec un impact négatif, dans la fonction managériale, sur les rôles de
leader et de négociateur du manager. Toutefois, notre choix de les analyser n’implique pas de
pencher vers une éventuelle forme de psychologisme. Ni de basculer dans le sentiment qu’une
société du mépris nous entoure (Honneth, 2006), et qu’elle constituerait un obstacle aux
engagements propres à la RSE. Pourtant, au regard de la montée en puissance de
l’individualisme, du culte de la performance et d’un besoin de reconnaissance, de plus en plus
exacerbé (Caillé, 2008), nous observons que l’individu, en difficulté relationnelle ou
professionnelle, met en place deux types de résistances dans l’organisation51 : active avec des
actes de rébellion, ou passive, qui se retrouve dans le désengagement et la désimplication
(Barth, 2008). De fait, si le salarié doit multiplier ses chances de rebondir face au changement
apporté par la RSE dans l’entreprise, la fonction Ressources Humaines pourrait glisser vers
celle de Responsabilité Sociale (Igalens, 2003) et renforcer les espaces de dialogue et
d’échanges. Pour la GRH condamnée alors à innover et inventer, la prise en considération de
concept tel que celui de la furtivité, capable de déstabiliser les systèmes actuels de régulation,
de gestion des compétence ou de tactiques sociales, deviendrait un point clé de
responsabilisation sociale de l’entreprise.
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51
Notre cadre de recherche considère que l’incertitude implique inévitablement la présence de l’autre, par
l’interaction, et donc par sa prise en considération, de façon positive ou négative.
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187
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Jean-Pierre Dumazert & Dominique Drillon
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Existe-t-il des compétences collectives
Françoise Dupuich
EXISTE-T-IL DES COMPETENCES COLLECTIVES ?
Françoise DUPUICH
ISC Paris
[email protected]
Au sein des structures de plus en plus complexes, l’amélioration des compétences devient un
élément fondamental de la performance globale, de la capacité à maîtriser la complexité des
flux et des interactions, et supplante les structures traditionnelles de contrôle de travail.
La notion de compétence n’a d’intérêt que par rapport à des objectifs de gestion et ne
représente pas de sens en elle-même. C’est, semble-t-il, la représentation d’une réalité
professionnelle quelconque et/ou un système d’interprétation dans les rapports salariaux
actuels. C’est également un apport dans les pratiques de gestions entrepreneuriales en matière
de recrutement, formation notamment. Les compétences individuelles et collectives se
façonnent selon les situations de travail rencontrées, les impératifs de proactivité, de
flexibilité, d’adaptabilité et d’objectifs à atteindre. Les nouvelles technologies contribuent à
modifier de plus en plus la nature du travail dans les entreprises et accentuent l’abstraction, ce
qui suppose une plus grande adaptation de la part des individus et un développement de pôles
de compétences en construction. La notion de compétence ne s’inscrit plus dans des tâches
préalablement délimitées ou définies, mais au contraire son champ d’action se diversifiant,
elle évolue dans et par les situations de travail poussant les acteurs à élaborer des solutions
inédites, ce qui lui confère une place tout à fait centrale dans la gestion des ressources
humaines aujourd’hui. Au cœur des gestions des ressources humaines et dans des structures
de plus en plus complexes, l’amélioration des compétences devient un élément fondamental
de la performance et supplante les traditionnelles structures de contrôles de travail dont le rôle
est de lutter contre les erreurs. Temps révolus, puisque c’est l’adhésion de tous les acteurs
d’entreprise dans une réflexion stratégique qui permet l’amélioration globale des systèmes
entrepreneuriaux capables d’appréhender rapidement les situations, et surtout de les anticiper.
Les nouvelles donnes économiques obligent les individus à collaborer davantage entre eux et
à mettre en commun un certain nombre de compétences individuelles, objet de pôles de
compétences collectives. Les compétences générales s’accompagnent de compétences
spécialisées dans le monde entrepreneurial. Liée au développement de la société postindustrielle et informationnelle, aux évolutions des moeurs, aux cultures évolutives, aux
éthiques, aux aspirations des hommes au travail, le concept de compétence évolue et se
transforme de l’individuel au collectif.
Notre souci est de rendre davantage intelligible un phénomène qui caractérise maintes
situations et pratiques et pour lequel il n’existe pas de certitude théorique : les conditions
d’émergence et de développement de compétences collectives. C’est un sujet encore peu
exploré qui constitue de nouveaux champs d’exploration. Pour un certain nombre
d’organisations, l’enjeu ne se situe déjà plus au niveau des compétences individuelles (CI)
mais davantage au niveau des compétences collectives (CC). Les équipes de travail
développent et utilisent les CC sans pouvoir bien les cerner. La réflexion présentée dans cet
article est le résultat d’un travail de recherche engagé depuis six ans sur la problématique des
compétences collectives. Il s’agit d’analyser les conditions d’émergence de compétences
collectives, via les Technologies de l’Info-Communication52 (TIC), dans les ETDI53.
52
Nous préférons la terminologie de Technologies de l’Info-communication à celles de Nouvelles Technologies
de l’Information et de la Communication (NTIC ou NTCI). Nous pensons qu’elle reflète assez bien le terme
d’Information Technologies (IT) des anglo-saxons.
53
Par convention, nous définissons les Entreprises de Traitement et de Diffusion de l’Information (ETDI)
comme étant : les SSII qui fabriquent des logiciels et les intègrent (CAP GEMINI, ATOS, UNILOG,
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Existe-t-il des compétences collectives
Françoise Dupuich
Notre choix s’est porté sur des entreprises qui utilisent fréquemment les Technologies de
l’Information et travaillent plus volontiers en groupe Le témoignage d’individus au travail est
une matière intéressante pour analyser les conditions d’émergence et de développement de
compétences collectives. Notre terrain d’investigation sont les Entreprises de Traitement et de
Diffusion de l’Information (ETDI). Nous avons enquêté, in situ, dans trois ETDI54.
L’observation de ce phénomène exige de s’immerger personnellement dans le milieu observé.
Nous sommes donc devenus « l’observateur-participant ». Nous avons observé des acteurs
très réactifs aux contraintes d’anticipations technologiques fortes, aux contraintes de
décryptage des tendances technologiques de fond. Les ingénieurs représentent la grande
majorité de la population salariale dans les ETDI ; c’est une population quasi-homogène55.
Soucieux de maîtriser les nouvelles technologiques, inquiets de se voir reconnus dans la
hiérarchie, ces acteurs collectifs, hommes d’expertise, agents de contrôle et de pilotage,
nouent des stratégies d’alliance, en quête de « construction d’une identité professionnelle »
avec d’autres acteurs et opèrent des jeux offensifs et informels « pour asseoir leur place dans
le système »56. Un des points essentiels de leur compétence et source de pouvoir, est qu’ils
détiennent à la fois une compétence technologique et relationnelle privilégiée avec
l’environnement qui les mettent ainsi au devant de la scène productive, « en les propulsant
dans le champ des acteurs forts »57. De plus en plus les ingénieurs deviennent acteurs
autonomes dans leur propre travail.
Nous rendons compte dans cet article des observations recueillies au cours de nos enquêtes.
Après avoir donné des éléments de définition des compétences collectives, nous nous
attacherons à cerner leurs conditions d’émergence. L’analyse du cadre organisationnel dans
lequel s’exerce les compétences collectives au sein des ETDI fera l’objet d’une troisième
partie.
1. Eléments de définition des Compétences Collectives
Les compétences collectives s’inscrivent dans une logique de compréhension d’action
collective. Les phénomènes d’action collective inspirent les auteurs aussi bien en Europe
qu’au delà de l’Atlantique. Ils ont été analysés comme un phénomène d’anomie,
d’irrationalité ou de frustration, au XIXème siècle par Mac Carthy, C. Tilly, W. Gamson ou
Mac Adam58. Les théories de la mobilisation des ressources humaines se développent aux
Etats-Unis et en Europe dés les années soixante, au sein de mouvements contestataires et/ou
idéologiques de tous ordres : l’écologie, les mouvements collectifs anti-nucléaires et
militaires, les mouvements de libération de la femme notamment. Les acteurs collectifs créent
EURIWARE...), les sociétés de conseil qui font de la prestation de conseil et de l’assistance technologique
(ANDERSEN, KPMG, BOSSARD, EXPERTEL...), les intégrateurs et les constructeurs qui sont susceptibles de
vendre des solutions clé en main (BULL, IBM, ALCATEL...), les opérateurs qui sont en mesure d’opérer des
offres de service complètes (France TELECOM, CEGETEL Entreprises, SIRIS,...).
54
Les entreprises visitées ont été les Sociétés ATLAS France (Global One), EUTELIS S.A (Groupe Expertel
Consulting) et EURIWARE S.A (Groupe Eurisys). Ces entretiens ont été recoupés par une rencontre avec un
consultant spécialisé HORWITZ Consultants, cabinet spécialisé dans le secteur d’activités des Technologies de
l’Information (TI).
55
Les ingénieurs que nous avons rencontrés, ainsi que leurs différents cursus universitaires consultés dans les
entreprises, ont nettement fait dégager le fait que leur formation initiale est de type BAC + 4 ou 5 ans.
56
Expressions empruntées à Renaud Sainsaulieu, Florence Osty, Marc Uhalde et Isabelle Francfort dans « Les
mondes sociaux de l’entreprise », Desclée de Brouwer, page 161.
57
Citation Renaud Sainsaulieu, Florence Osty, Marc Uhalde et Isabelle Francfort dans « Les mondes sociaux de
l’entreprise », Op.Cit, page 112.
58
Les théoriciens du XIXème siècle tels Mac Carthy, M. N. Zald, C. Tilly, W. Gamson et Mac Adam
notamment, qui entendent principalement l'action collective dans la participation à des mouvements sociaux
répondant à des motivations rationnelles tournées vers la réalisation d'un intérêt essentiellement personnel.
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Existe-t-il des compétences collectives
Françoise Dupuich
alors des processus d’identités collectives qui déterminent de nouveaux clivages sociaux59. De
même, les groupes de travail ont leurs propres structures, leurs propres réseaux de
communication, leurs propres fonctionnements et ont besoin de certains types de
compétences. Ils adoptent des structures et « la psychologie sociale, selon Jacques Leplat, a
traité ce problème sur le plan expérimental, en parlant de correspondance entre structure de
la tâche et structure du groupe, et a montré l’importance de ce facteur »60. Joël de Rosnay
s’exprime sur l’émergence du comportement collectif : « Une situation non programmée a
« émergé » des contraintes et du comportement collectif des individus obéissant à certaines
règles... Les réseaux de communication des sociétés d’insectes forment un « réseau neuronal,
une intelligence collective susceptible de résoudre des problèmes se posant à la
communauté ».
La notion de compétence collective est un concept en marche, non stabilisé, du fait que
l’entreprise se construit en construisant ses propres compétences. On voit apparaître, sans
clairement les identifier, de nouvelles représentations collectives de travail. Le contenu des
interrogations relatives au travail diffère, car les systèmes de production ont profondément
changé et la capacité à maîtriser un processus de travail semble davantage dépendre d’un
collectif de travail que d’individualités. La théorie de la mobilisation des ressources humaines
se conçoit dans un modèle de rationalité partagée des acteurs. La construction d’une
« conscience collective » semble se développer de plus en plus. La conception behavioriste de
la notion de compétence est quelque peu dépassée aujourd’hui dans la mesure où elle est
assimilée au taylorisme61. On conçoit qu’elle ne soit plus représentative des tendances
actuelles des interprétations des comportements des acteurs en entreprise. Les organisations
complexes « intelligentes » intègrent l’action individuelle, les interactions personnelles et les
processus de décision comme variables d’action. Les compétences collectives dépassent la
somme des compétences individuelles. Nous définissons les compétences collectives comme
étant : « une combinatoire de savoirs différenciés mis en situation en vue d’atteindre un
objectif commun » (Rabasse, 1999). Nous entendons par compétence collective un processus
évolutif, un construit social, une source de performance, un champ délimité d’ordre socioéconomique, psychologique et relève d’intelligences en situation. Elle est à l’interface des
individus : référents communs, représentations mentales communes. Elle est « l’intelligence
pratique des situations événementielles » (Zarifian, 1995). Nous voyons dans la compétence
collective un phénomène lié notamment à l’état de cohésion des individus.
2. Les conditions d’émergence des Compétences Collectives
Le travail collectif est une notion complexe et polysémique. Ces caractéristiques nous
conduisent à penser qu’il est peut-être préférable d’élargir cette notion sous l’angle de la
59
Alain Touraine, sociologue en témoigne dans plusieurs ouvrages. Voir entre autres, « Bouleversement du
monde », Seuil, 1995 ; « Critique de la modernité », Edition livre de Poche, Hachette, 1996.
60
Jacques Leplat dans un article intitulé « Ergonomie et Activités collectives », dans « Les Aspects Collectifs du
Travail », Op.Cit, page 14, 1994.
61
La notion de compétence se rattache davantage aujourd’hui au comportement des individus au travail plutôt
qu’aux connaissances théoriques ou aux qualifications. Le glissement du mot qualification vers celui de
compétence est d’ailleurs très net dans la plupart des écrits aujourd’hui. A signaler à ce sujet, les propos de
Nicole Fouilleul : « la qualification n’est pas intrinsèque de l’individu, elle singularise sa capacité dans les
conditions de l’emploi. Elle ne comporte aucun critère absolu. », dans le Dossier : « Compétences »,
Performances Humaines et Techniques, N°75-76, page 63, Mai-Juin 1995. A lire également l’ouvrage de
Philippe Zarifian, « La qualification comme capacité opératoire et le problème du taylorisme », l’Orientation
Scolaire et Professionnelle, 1990. Dans le même sens les salaires actuels dans les Entreprises de Traitement et de
Diffusion de l’Information (ETDI) ont tendance à se découpler du poste de travail pour « calquer » sur
l’acquisition de compétences. Voir à ce sujet, « L’Economie appliquée », Tome XLVIII, N°4, Presses
Universitaires de Grenoble, Etude de Laurence Baraldi, Jean-Pierre Dumasy et Jean-François Troussier, 1995.
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Existe-t-il des compétences collectives
Françoise Dupuich
coordination qui implique davantage le partage des activités collectives et lui confère un
caractère plus global.
Il y a intelligence collective lorsque l’on observe l’utilisation collective, au sein d’une
entreprise, d’informations éparses détenues par différents individus au travail et que cette
démarche vise à susciter un consensus d’action collective par le biais de processus cognitifs
individuels et collectifs. Le cadre de l’élaboration d’une compétence collective s’inscrit dans
la pluralité, dans la continuité des formations individuelles, dans l’ouverture des modes de
Pensée et d’Action, dans les confrontations des points de vue et des échanges. Apprendre à
coopérer, à travailler en équipes en vue d’atteindre un consensus, une identification commune
des problèmes, sont au cœur de cette problématique. L’articulation, la mise en place de
combinaisons adaptées aux résolutions des problèmes, la sollicitation de conseil à différents
niveaux hiérarchiques, la mise en commun d’aides aux décisions, la confiance en l’autre, la
foi en la réalisation et l’exécution de projets communs sont des éléments importants dans la
définition d’un cadre d’élaboration d’une compétence collective. Le cadre des représentations
des compétences collectives suppose une modification des représentations mentales de chaque
acteur et la remise à plat de schémas dépassés. En amont une co-détermination des actions à
engager, telles une conception de nouvelles compétences, une détermination de la mobilité,
etc. L’élaboration d’une compétence collective passe par une remise en cause quotidienne de
ses propres savoirs théoriques et de ses propres pratiques, ainsi que par des réajustements dans
et par les situations de travail. L’utilisation des équipements à disposition pour les différents
personnels, des temps d’utilisation des matériels sophistiqués62 et pointus suppose un
apprentissage réel et sérieux. Cela suppose que les décideurs mettent en place des phases
intermédiaires d’adaptation et de conduite de projets qui prennent en compte les rythmes
personnels des individus dans l’exercice de leur fonction et dans l’aménagement de leur
espace de travail. Ceci nécessite l’intégration de tous les paramètres des individus au travail,
de tous les éléments de leur vie privée et professionnelle, qui peuvent influencer leur
détermination à la réalisation de leurs missions.
Les organisations ont à créer leur propre modèle de pilotage en termes de conception
(d’élaboration d’activités, d’information, d’établissement de réseaux, de systèmes d’aide à la
décision), mais aussi en termes d’organisation, de comportements. Les compétences
collectives toute à la fois développent des savoir-faire spécifiques et favorisent la
connaissance globale de l’entreprise. Au-delà des approches transdisciplinaires, les
compétences collectives émergent et se développent au travers de relations, de liens et
d’interprétations mentales communes des acteurs face aux situations de travail. L’usage des
Technologies de l’Information et de la Communication favorise l’émergence de compétences
collectives. Chaque construit collectif a son propre cheminement, par et dans le couplage
Pensée/Action en faisant appel aux mécanismes d’inductions. La compétence collective doit
être étudiée dans une approche intégrée, c’est-à-dire en étudiant les liens entre les différentes
interactions individuelles des individus au travail. La mise en commun de compétences
individuelles ou d’expertises est possible grâce à la micro-informatique, en réseaux et aux
logiciels de travail en groupe appelés « groupware »63. Ces nouveaux modes de travail
permettent de faire travailler différents ingénieurs sur un même projet, sans pour autant qu’ils
soient dans un même lieu. Les compétences collectives qui s’acquièrent dans et par les
situations de travail ne sont pas immuables. Elles se forgent dans et par l’action grâce à des
apprentissages constants.
62
Nous entendons par là un grand nombre de moyens technologiquement avancés tels, les biotechnologies, les
ordinateurs interactifs, le multimédia, par exemple.
63
Groupware = logiciel qui permet à un ensemble de personnes de travailler en groupe. Ce genre de logiciel
utilise tout type de réseau public ou privé et bien entendu Internet, Intranet, Extranet.
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Existe-t-il des compétences collectives
Françoise Dupuich
L’auto-organisation des acteurs dans les entreprises peut être définie comme la résultante des
interactions avec leur environnement. Ces interactions dites « auto-catalysantes »64 peuvent
générer des compétences collectives. Les variables d’analyse des identités collectives au
travail ont plusieurs dimensions, « des espaces d’identification qui, selon Renaud Sainsaulieu,
déterminent des sphères d’appartenance et de référence pour les individus (le travail,
l’entreprise, la société externe, la cohérence identitaire), des attitudes collectives face au
travail (comportements relationnels) et des systèmes de représentations constituant un
élément signifiant et significatif dans l’étude des identités collectives (fondements et principes
de légitimation de l’autorité, finalités du travail et finalités de l’entreprise) »65. Selon
Sainsaulieu cette analyse oppose des groupes à sociabilité différente ou des « axes de
sociabilité »66 et renvoie à des relations centrées principalement sur l’échange, l’implication
dans le travail, l’engagement des ingénieurs dans leurs missions, la communication et les
cohérences identitaires. Les auteurs rappellent la complexité des phénomènes qui accompagne
ces variables d’analyse des identités collectives au travail. Le couplage entre les conditions
internes et externes apparaît important. L’étude des communications entre les différents
groupes dans les entreprises suppose des référentiels communs, des systèmes de gestion
opératifs, des espaces communs d’informations, des environnements cognitifs communs. Ces
référentiels ont la particularité d’évoluer dans et par les situations de travail.
Le modèle de la compétence collective se complexifie. Issue de nombreux changements
organisationnels, de différentes sollicitations, cette notion d’experts en réseaux, « acteurs
émergents », est reprise par Renaud Sainsaulieu67. Il semble qu’il faille opérer une « clinique
des compétences collectives en cours d’activité, entre sens et efficience, afin de définir un
certain régime de production des connaissances »68. L’action et l’interaction des individus les
uns avec les autres et avec leur environnement est un point important dans la compréhension
de l’émergence d’une compétence collective en entreprise. La compétence collective intègre
des actions individuelles, des interactions personnelles des individus au travail et des
décisions comme variables d’action dans des environnements très complexes et mouvants.
Elle semble favoriser des savoir-faire spécifiques et améliorer la connaissance globale de
l’entreprise. Mais, la compétence d’un collectif de travail n’a pas de données préalables
commensurables et figées.
La société industrielle immatérielle dans laquelle nous vivons est une société
informationnelle. Nos sociétés s’organisent en réseaux de pouvoir, en réseaux de
communication, en cellules indépendantes et pourtant communiquantes les unes par rapport
aux autres au sein de ce qu’appelle Joël de Rosnay un « écosystème informationnel »69. De
bons réseaux de communication internes et externes doivent être mis en place dans les
entreprises afin d’améliorer leur efficience et leur productivité. Ces réseaux de
communication jouent un rôle primordial quant au phénomène d’émergence des compétences
64
Voir Deneubourg, J-L, Goss, S, Franks, N. R & Pasteels, J. M, dans « The blind leading the blind : modelling
chemically mediated army ant raid patterns. Journal of insect behavior », 2, pp.719-725, 1989.
65
Propos de Renaud Sainsaulieu et co-auteurs dans « Les mondes sociaux de l'entreprise », Op.Cit, page 220 et
221.
66
Renaud Sainsaulieu et co-auteurs, dans ouvrage Op.Cit, page 222.
67
Renaud Sainsaulieu, Florence Osty, Marc Uhalde et Isabelle Francfort dans « Les mondes sociaux de
l’entreprise », Op.Cit, pp 146-166. Les auteurs soulignent dans cet ouvrage la diversité des acteurs
contemporains de l’entreprise actuelle : l’acteur émergent, l’acteur de l’interface, l’acteur de soi, l’acteur
menacé, l’acteur occasionnel, l’acteur multi-ressources, l’acteur en puissance, l’acteur de contrôle..., et en
donnent les particularités.
68
Expression empruntée à Yves Clot, Maître de Conférences en Psychologie au Conservatoire National des Arts
et Métiers à Paris, dans un article intitulé « La compétence en cours d’activité », dans la Revue l’Education
Permanente, N°123, page 123, 1995-2.
69
Joël de Rosnay dans un article intitulé « Ce que va changer la révolution informationnelle », Le Monde
Diplomatique, page 19, Août 1996.
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Existe-t-il des compétences collectives
Françoise Dupuich
collectives. Les acteurs collectifs ne sont pas définis à l’avance. Des confrontations et des
interactions permanentes, des pratiques de résolution collective de problèmes quotidiennes,
des échanges, des mises en commun des savoirs (constitution de référentiels actualisés), d’une
communication optimale (communication langagière et gestuelle bien menée), naissent des
compromis d’actions. Chaque opérateur dans un espace/temps contextualisé, contribue à
former une compétence collective. Chaque « organisacteur »70 cherche en lui ses propres
ressources pour résoudre collectivement les problèmes collectifs auxquels il est confrontés. Le
couplage contraintes/ressources doit être bien assumé par l’ensemble des individus au travail.
Le fait que « le savoir opérationnel à acquérir ne peut être dissocié de ses conditions
concrètes d’application »71 est important. C’est d’une confrontation, entre la Pensée et
l’Action que naît le cadre d’actions d’intelligences collectives. Le « groupe-acteur » devient le
protagoniste d’actions communes collectivement mûries et décidées.
Un des premiers objectifs est de combiner et de fédérer des compétences pour favoriser le
partage des savoirs et des initiatives des individus au travail. Les situations complexes et
incertaines dans le travail se sont considérablement accrues. C’est par des processus
d’adaptation et de coordination dans des équipes de travail que les effets de synergies peuvent
se développer collectivement.
Autre élément important est la capacité des acteurs à préciser la dialectique entre acquisition
de la connaissance et l’action. L’action entrepreneuriale s’inscrit dans le temps et varie selon
les aléas. C’est donc cette temporalité que les acteurs vont devoir gérer au mieux en adaptant,
en corrigeant et en régularisant les variables de résolution des problèmes auxquels ils sont
confrontés. Cette « adaptabilité » dans les situations de travail est une composante essentielle
dans l’élaboration du contenu d’une compétence collective.
Une autre composante dans l’élaboration du contenu d’une compétence collective est
l’utilisation d’un langage commun. C’est ce que Pierre Falzon appelle le « langage opératif
commun »72. Les langages professionnels sont en grande partie construits à partir de codes
professionnels connus et reconnus par les gens d’une même profession. Les ingénieurs ont un
vocabulaire commun qui leur est intelligible et facilite les dialogues entre les équipes de
travail. Les langages utilisés par les ingénieurs sont issus d’expériences professionnelles et
permettent des gains de temps non négligeables dans la mesure où l’explication d’un mot
devient par le fait même inutile, puisqu’il est communément connu par les collaborateurs et
partagé par les membres d’une même équipe de travail ou d’une même catégorie
professionnelle. Ce langage technique s’apparente à un code culturel ou social commun. Les
langages opératifs communs ne sont pas exportables d’une profession à une autre. Cela est dû
à la spécificité des corporations elles-mêmes. A chaque profession, son propre langage. Nous
avons observé ce phénomène dans les ETDI. Par exemple, lorsque les ingénieurs
communiquent entre eux, ils ont un langage très spécialisé et technique, qui s’avère souvent
totalement incompréhensible pour une personne extérieure à ce secteur d’activité. La
terminologie informatique utilisée par les ingénieurs devient pour le « béotien enquêteur »
vraiment inaccessible intellectuellement. La coordination de l’action offre l’intérêt d’un
« common knowledge » comme le nomment les anglo-saxons, d’un référentiel commun
(psychologie cognitive), et d’une connaissance d’objets techniques. La coopération entre les
membres d’une équipe de travail est un autre élément à considérer. Faciliter et entretenir des
relations de solidarité, veiller à la cohésion des groupes de travail est sûrement un point
crucial au regard du développement des compétences collectives. Tous les acteurs doivent
pouvoir être en mesure de peser sur les décisions entrepreneuriales par le jeu de ces
interactions permanentes. Reynaud soutient que « les actions collectives de travail visent à
70
Expression de Régis Ribette, Dossier ISERIS N°6, CNAM, Paris, 1997
Citation de Guy Le Boterf dans son ouvrage « De la Compétence », Editions d’Organisation, page 137, 1994.
72
Pierre Falzon, dans « Langages opératifs et compréhension opérative », in Le Travail Humain, page 50, 1987.
71
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l’élaboration de règles ». Ces règles écrites ou non écrites ont une fonction importante de
contextualisation et de pouvoir pour « améliorer l’organisation et la fonctionnalité du
groupe » (Terssac de, 1992). A partir de cette hypothèse, diverses régulations (culturelles,
d’innovation...) peuvent s’opérer et l’escompte d’une « transformation négociée »
(Sainsaulieu et co-auteurs, 1996) dans l’entreprise est possible. Ces transformations sociales
existent si les décideurs opèrent des multiplications d’interdépendances dans les relations de
travail avec les ingénieurs et élaborent des projets communs avec l’ensemble des personnels.
C’est ce que Sainsaulieu appelle « la cristallisation des valeurs portées par les groupes
sociaux » (Op.Cit, 1996).
Les stratégies d’anticipation et d’apprentissage constituent une autre composante intéressante
dans l’élaboration du contenu d’une compétence collective. Les acteurs en entreprise sont
tenus d’anticiper les aléas quotidiens afin de mieux appréhender les marges d’incertitude et
par la même d’augmenter leurs connaissances. Cette zone d’apprentissage technologique, ce
savoir-compenser, cette conversation avec la situation, sont autant d’éléments susceptibles
d’améliorer la compétence collective. Ces stratégies d’anticipation et d’apprentissage peuvent
permettre une construction sociale meilleure et constituent des dispositifs de liaison entre les
différents acteurs, capables de dépasser leurs propres représentations mentales pour se
mobiliser collectivement. Tirer des anticipations sur des changements sur l’avenir, envisager
des régulations à faire et les coordonner est cependant une chose délicate à réaliser.
Le savoir-coopérer le savoir-composer73 sont également à prendre en considération. Ces
aptitudes supposent la collaboration de multiples acteurs au travail. C’est en cherchant à
mettre en commun les savoirs et les expériences que se constitue une compétence collective.
Souvent assimilé à une entraide dans les milieux professionnels, le savoir-coopérer relève
davantage d’une coopération entre les individus. C’est ce que le philosophe Habermas appelle
« l’agir communicationnel »74. Apprendre à coopérer, à communiquer n’est pas chose facile75.
L’accent n’est pas mis dans notre pays sur la compétition de groupe, la façon d’aller chercher
systématiquement et partout l’information, de développer la négociation, d’apprendre à
discerner les problèmes des autres afin de mieux évaluer les siens, de considérer les
problèmes dans toute leur perspective. C’est un « handicap » pour l’émergence de
compétences collectives et, a fortiori, pour leur développement. Le savoir-apprendre est une
autre composante dans l’élaboration du contenu d’une compétence collective. Il n’y a de
compétence collective que lorsque plusieurs personnes tirent les leçons de leur propre
expérience ou apprentissages et les mettent à profit au sein d’une collectivité. C’est dans
l’expérience commune et par l’action commune que la compétence collective peut émerger et
se développer.
Les savoir-apprendre partagés réorientent les pratiques professionnelles et peuvent améliorer
les compétences professionnelles. Deux profils de compétences se distinguent : celui de
l’expert (individus à haute technicité de connaissances) et celui du manager (individus ayant
des aptitudes à animer, coordonner et diriger).
Les acteurs jouent un rôle essentiel dans les modes de régulation dans des différentes unités
de production et représentent les maillons centraux de l’entreprise.
73
A ce sujet, Philippe Zarifian dans « La nouvelle productivité », l’Harmattan, appelle le savoir-composer
« l’activité associatrice », page 98, 1992.
74
Habermas, J, dans « Une théorie de l’agir communicationnel », Fayard, 1987. Pour l’auteur « l’agir
communicationnel » est l’agir technologique, l’agir régi par les normes, l’agir dramaturgique et l’agir
communicationnel. Cité par Guy le Boterf dans « De la compétence », Les Editions d’organisation, page 133,
1994.
75
Françoise Perrier lors de la conférence qu’elle a donné sur le thème « Méthodologie et Qualité de
Développement de Projet » dans le cadre des Rencontres de l’Institut Supérieur d’Etudes et de Recherches en
Ingénierie des Systèmes (ISERIS) le 26 Juin 1996, évoque à plusieurs reprises l’importance de la communication
dans la conduite de projets en milieu complexe.
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On constate un rapprochement entre le travail et la formation. De nouvelles formes de
formation de type fonction tutorale apparaissent dans les organisations. Ces nouvelles
formations sont intégrées au travail proprement dit et tiennent une place essentielle dans la
mesure où elles font appel à la participation des acteurs eux-mêmes dans l’élaboration de ces
formations. C’est par et dans les situations de travail que se font les formations. La volonté
des responsables à faire participer les ingénieurs à la gestion de l’évolution des productions
tant matérielles, qu’immatérielles est à l’origine de grands changements. La formation porte
essentiellement sur la résolution de problèmes opérationnels dans des démarches de projets
communs, ce qui laisse à penser que les formations n’obéissent plus à un déterminisme assuré
ou à quelque programmation précise. Elles répondent davantage à des mises en situation de
travail et à des propositions de résolution de problèmes concrets. Les nouveaux processus de
travail mettent en évidence la mise en place de nouveaux modes de fonctionnement dans la
fonction formation. Il est nécessaire d’avoir recours à des agents médiateurs (intervenants
extérieurs, consultants...) qui facilitent la polyfonctionnalité des dispositifs de formation des
ingénieurs.
Autre point observé, in situ, est que les compétences collectives émergent dans des
organisations qualifiantes.
Les facteurs propices à la mise en place d’une organisation qualifiante :
- L’adaptation rapide des acteurs à l’environnement constitue l’un des premiers facteurs
propice à la mise en place d’une organisation qualifiante. Sans la réactivité des ingénieurs aux
événements technologiques, rien ne pourrait évoluer.
- La pensée collective ou schémas de pensée collective est un deuxième élément à prendre en
considération. C’est elle qui agit sur l’organisation en place et qui peut la modifier. Cette
pensée collective permet de mieux combattre le chaos et d’entreprendre la construction de
nouvelles formes d’organisation qualifiantes.
La cohérence des collectifs de travail apparaît comme un autre critère important dans la
recherche d’une organisation qualifiante. Il est nécessaire que soient réunis des volontés
communes, des projets communs pour permettre la mise en place d’organisations qualifiantes.
Toute la problématique des organisations qualifiantes repose sur la mise en place de
structures, leur pérennisation dans les entités de travail et de l’évolution à terme du système
« compétence/organisation ». L’organisation qualifiante doit succéder à l’organisation
qualifiée. La gestion de compétences individuelles et collectives repose dans une organisation
qualifiante sur certains critères : qualité de développement de connaissances associées, qualité
des combinatoires de savoirs, qualité d’implication des acteurs dans l’entreprise, qualité
d’élaboration de conduites concertées de projets communs et d’objectifs, qualité de flexibilité
et réactivité aux aléas, qualité d’invention, qualité d’innovation, qualité des acteurs à
mobiliser leur intelligence.
Les entreprises de haute technologie s’adaptent au mieux à la complexité de l’environnement,
se reposent sur des réseaux d’acteurs « connectés » entre eux, en interactions et travaillant de
plus en plus en temps réel. De nouvelles règles de pilotage, de catalyse se mettent en place et
développent de nouvelles compétences. Il en résulte un management coordonné et approprié à
ces nouvelles compétences. Les responsables d’équipes de travail une fois « coachés » en
amont sont, par retour en aval « coachés » par leurs propres collaborateurs.
Après avoir synthétisé les résultats de nos investigations dans les ETDI, nous avons identifié
neuf conditions d’émergence des compétences collectives que nous proposons pour synthèse
dans le schéma suivant :
Conditions d’émergence des compétences collectives
Non obstant, nous avons répertorié, in situ, certaines difficultés propres à l’émergence et au
développement des compétences collectives, telles : une vision stéréotypée des autres
membres d’une équipe de travail, l’invulnérabilité de certains acteurs qui affichent un
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optimisme démesuré, l’illusion d’unanimité d’un groupe qui a tendance à ne pas prendre en
compte des sources extérieures enrichissantes, les difficultés de transférabilité des
compétences collectives.
Ces déviances à l’émergence et au développement des compétences collectives s’inscrivent
dans une logique de gestion préventive impérative entrepreneuriale ou « veille stratégique »
des compétences collectives.
3. Le cadre organisationnel des Compétences collectives
La mise en place d’une organisation dans une entreprise dépend de multiples
facteurs : l’activité principale, les relations sociales, la typologie des personnels, la gestion des
ressources humaines, les stratégies, les structures mises en place, les réseaux
communicationnels et opérationnels, le degré de spécialisation, le type de management.
Partant du principe qu’une organisation est un lieu dynamique d’échanges et « d’ajustements
entre les projets individuels et collectifs »76 des acteurs, « dans une acception qui recouvre
principalement l’identité entrepreneuriale de l’entreprise »77 le concept de compétence
collective prend racine. « On peut rapprocher « l’organisacteur » (l’agent opérationnel est
aujourd’hui tout à la fois organisateur et acteur ou, en quelque sorte, « organis-acteur »)78
ainsi défini de « l’observateur », dans une approche constructiviste venant complémenter
l’approche positiviste »79. Ainsi, « le développement des connaissances, particulières et
générales, individuelles et collectives, est l’un des facteurs clés de tout processus
organisationnel »80. La performance ne s’explique pas comme le résultat d’un processus
séquentiel et additif. De nouvelles configurations se développent. Des structures pyramidales,
les décideurs passent à des structures en réseaux81, espérant ainsi renforcer des liens
relationnels entre les individus. Le choix d’organisations décentralisées, de structures en
réseaux82, de filialisations, amène à regarder différemment les liens entre les acteurs
d’entreprise et leurs partenaires. Lorsque l’environnement est en évolution, les structures dites
« souples » ou « horizontales » permettent une meilleure adaptation, privilégient de meilleurs
76
Expression empruntée à « L’Encyclopédie des Ressources Humaines », Groupe Térence, Tome N°4, Les
Editions d’Organisation, Paris, page 43, 1994.
77
Expression empruntée à « L’Encyclopédie des Ressources Humaines », Groupe Térence, Tome N°4, Op.Cit,
page 44, 1994.
78
Propos de Régis Ribette lors de son intervention lors du Séminaire « Organisations apprenantes » à Aix-enProvence, page 3, les 22, 23 et 24 Mai 1995.
79
Voir dans « L’Encyclopédie des Ressources Humaines », Tome N°4, Op.Cit, page 46, note de bas de page
n°11.
80
Propos de Régis Ribette lors de son intervention au séminaire d’Aix-en-Provence, Op.Cit, page 4.
81
On trouve depuis plusieurs années moins d'entreprises « A » à structure pyramidale (par exemple IBM pendant
fort longtemps) et plus d'entreprises « J » à structure horizontale ou réseaux (comme les entreprises japonaises),
selon l'économiste japonais Masahito Aoki.
82
L’intégration croissante de la technologique met d’évidence en relation, voire en interaction, les différents
acteurs qui composent une chaîne de production, de sa conception à sa réalisation. Ce phénomène engendre des
« réseaux de solidarité » (solidarité des fonctions, des acteurs, des buts à atteindre...) ramifiés et souvent très
étendus quant aux objectifs ou moyens...(lignes de production, projets...). Les usines d'une même entreprise dans
ces contextes ont alors à se soucier du développement des autres usines partenaires, faire des compromis et
s’articuler autour de dénominateurs communs. Ce que la littérature managériale appelle « l’enchevêtrement des
rapports à échelle multiples » (cf : P. Zarifian et P. Veltz dans « Travail Collectif et Modèles d’Organisation de
la Production », Le Travail Humain, Tome N°57, N°3/1994, page 24O) doit s’interpréter comme une réalité
complexe de mise en commun des compétences et inexorable dans l’actuelle configuration du travail collectif.
Cette coordination des savoirs et actions nous conforte dans l'idée qu'il existe un processus de « corps collectifs à
compétences multiples » d’espace et de temps (complémentarité fonctionnelle). Mais la difficulté de cette mise
en commun (voir à ce sujet : E. Durkheim, « De la Division du Travail Social », Paris, Alcan, 1987) des
compétences est grande.
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circuits de décisions. L’entreprise « communicante et intégrée »83 se caractérise par un
décloisonnement vertical et horizontal84.
Les connaissances technologiques sont par nature précaires et nécessitent un suivi permanent.
Il ne s’agit certainement pas de mettre autour d’une table les meilleurs experts dans un
domaine bien précis pour que l’entrepreneur soit sûr de résultats ou de modèles probants et
encourageants dans une logique managériale positiviste de type « coût/qualité/délai ». L’idée
de départ est que toute organisation est capable de s’auto-réguler, s’auto-contrôler afin de
pouvoir, par différents apprentissages et confrontations de connaissances afin de s’améliorer
constamment. Les équipes formelles décrites au sein des organigrammes des entreprises ne
sont pas toujours les véritables équipes opérationnelles sur le terrain, et plus particulièrement
en ce qui concerne les entreprises de haute technologie. Les équipes effectives exécutent le
travail de manière collective (coopération d’individus). On peut les interpréter comme des
déviances à l’organisation. Nous relevons que la gestion de projets entraîne l’intervention
coordonnée d’individus concernés et concertés sur un projet commun. Il existe une notion
d’interdépendance que soulignent Schmidt et Bannon85. Notion d’interdépendance qui
soulève parallèlement la notion d’activités et de coordination. Elle est alors vue sous l’angle
de réseaux associés à des notions voisines : interprétation, communication, langage commun,
visualisation commune des projets. Les agents créent des relations privilégiées avec des préordres, des pré-demandés, des pré-établis. Cette interdépendance est un des points de départ à
la dynamisation des équipes de travail et à l ’émergence de compétences collectives. Elle
intervient comme une sorte de ciment de la gestion de projets communs.
Les compétences collectives apparaissent comme le point d’intersection des compétences
individuelles et collectives et de l’organisation du travail. Les organisations qualifiantes
organisées en réseaux d’équipes autonomes valorisent, nous l’avons observé, l’ensemble des
compétences, dans la mesure où elles les stimulent, les « interfertilisent », les font
« interéagir » les unes avec les autres. Les nouvelles donnes mondiales technologiques et
économiques redéfinissent les normes de productivité des entreprises et, de fait, leur
organisation. De nouvelles organisations qualifiantes apparaissent qui mettent en œuvre des
synergies de compétences. Conduire un changement technologique en entreprise se traduit
parallèlement par un changement organisationnel. Retenir la logique d’un déterminisme
technologique conduit à avoir des effets centralisateurs, intégrateurs et formateurs.
L’utilisation accrue de ces NTIC « aplatit » la structure des entreprises : diminution des
niveaux hiérarchiques de l’encadrement, extension de l’information et donc des contrôles.
Comme corollaire, dans les ETDI visitées, on constate une diminution des cadres
intermédiaires. Face au développement croissant des NTIC dans ces organisations
qualifiantes, le rôle de l’encadrement évolue. Pour faire fonctionner les nouvelles
organisations du travail, l’encadrement doit veiller au développement des compétences de ses
collaborateurs, adapter les organisations afin qu’elles soient cohérentes avec les compétences
disponibles, faciliter les progrès technologiques, aménager des procédures de contrôles pour
mieux maîtriser les effets de feed-back et maintenir un dialogue social permanent.
L’encadrement se voit confier le développement de la gestion des projets et des performances
des équipes : compétences individuelles mais aussi collectives. Cette redistribution des rôles
modifie les relations hiérarchiques, favorise la capacité d’initiative et la prise de responsabilité
des collaborateurs.
83
C’est ainsi que le Commissariat du Plan décrit en 199O l’usine des années à venir. Voir, Commissariat
Général du Plan, « L’usine du futur », Paris, la Documentation Française.
84
Voir M. Kennedy et R. Florida sur le thème du passage du « Fordisme » au « Fujitsuisme » dans « Japan's
role in post-fordist age », in Futures, Avril 1989.
85
Schmidt , K, et Bannon L, « Taking CSCW seriously : supporting articulation work », Computer Supported
Cooperative Work (CSCW) : an International, 1,1,1-33, 1992.
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La logique de poste « éclate ». Le travail d’encadrement se modifie en fonction des individus
et de l’extension de ses possibilités. L’encadrement gère avec les ingénieurs les évolutions des
marchés. Cette évolution du rôle du management revêt un aspect culturel tangible car il remet
en cause l’identité professionnelle et sociale.
4. Conclusion
L’adhésion de tous les acteurs d’entreprise à une réflexion stratégique permet l’amélioration
globale des systèmes entrepreneuriaux capables d’appréhender rapidement les situations, de
les anticiper et de faire émerger des compétences collectives. Face à la déstabilisation actuelle
des régulations sociales, l’entreprise doit porter toute son attention sur la compréhension des
identités des acteurs, être à l’écoute de leurs problèmes, les accompagner dans l’élaboration
de leurs formations et compétences, capitaliser les savoirs, explorer les capacités de chaque
individu pour mieux les développer, dynamiser sa politique sociale en favorisant des espaces
de liberté et d’expression collective, conduire le changement en accompagnant les individus
dans leurs apprentissages quotidiens professionnels et culturels. L’entreprise contribue à
développer l’intelligence collective en mettant en place des réseaux de régulations et de
contrôles adaptés aux problématiques des groupes de travail. Il s’agit d’apprendre à passer de
la logique de qualifications à la logique de compétences, de la dépendance à celle de
l’autonomie, d’un déterminisme dans ces modes de gestion des ressources humaines à une
souplesse de compréhension quant aux acquisitions de connaissances, ainsi qu’à leurs
transferts. La reconnaissance des individus passe par l’évaluation de leurs compétences, d’où
l’importance du concept de compétences collectives au sein des équipes de travail.
Enfin, la gestion des compétences collectives devrait permettre aux entrepreneurs d’intégrer
en amont (recrutement) cette dimension nodale, d’accroître la productivité de l’entreprise, de
consolider, voire d’améliorer, l’intérêt des hommes au travail (responsabilisation, autonomie
croissante...), et de fait ralentir leur turn-over.
A ce jour, nous travaillons sur une modélisation du concept de compétences collectives, qui
rendrait plus tangibles les tenants et les aboutissants de cet outil de gestion.
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200
Constuire un management des ressources humaines performant au Maroc
Driss Férar & Aline Scouarnec
CONSTRUIRE UN MANAGEMENT DES RESSOURCES HUMAINES
PERFORMANT AU MAROC
Driss FERAR
Doctorante
Université de Caen, NIMEC
[email protected]
Aline SCOUARNEC
Professeur
Université de Caen, NIMEC
[email protected]
1. Introduction
L’histoire montre que le management des organisations et des hommes a toujours évolué, en
fonction des périodes et des contextes, pour rechercher de meilleures pratiques RH dans un
but de performance accrue. Si les principaux modèles de référence des pays développés ont
toujours influencés les pays émergents ou en voie de développement, le contexte actuel de
mondialisation des échanges et de concurrence exacerbée conduit cette seconde catégorie de
pays à s’interroger sur l’évolution de ses pratiques managériales. Le Maroc figure parmi les
pays qui aspirent à la performance en adoptant des réformes ambitieuses. Notre travail de
recherche s’inscrit dans cette lignée. Il concerne cette dynamique de changement et de
recherche de meilleures pratiques de management des ressources humaines à travers l’analyse
des réformes démocratiques économiques et sociales.
L’intérêt scientifique de cette recherche est triple : pour les sciences de gestion, la motivation
académique recherchée à travers la connaissance marocaine, pourrait, au terme de cette thèse
peu abordée par la littérature, enrichir en termes de diversité managériale, la littérature des
sciences de gestion. Pour les entreprises, la recherche permet d’aider les entreprises
marocaines à mieux gérer la dynamique du changement et des réformes et à mieux intégrer
les nouvelles pratiques performantes qui ont donné leurs fruits un peu partout dans le monde.
Pour le pays la recherche vise à sensibiliser les acteurs décideurs sur l’erreur de croire que le
changement et la recherche de la performance seraient un processus linéaire non conflictuel
(Trosa 2006). Demain les dirigeants marocains n’auront plus besoins d’être des visionnaires,
de sages décideurs, mais auront besoin de devenir social, architecte de gestion, et de sens.
Le choix du sujet vise ainsi à créer d’une part une valeur particulière pour les organisations
cherchant un modèle de MRH, et d’autre part une qualité particulière pour les entreprises
marocaines en quête de pratiques RH performantes. . En effet construire, créer et innover
constituant « le propre du vivant » selon l’heureuse expression de Calisti et Karolewicz
(2005), est devenu aujourd’hui une qualité de performance organisationnelle et
entrepreneuriale à forte valeur ajoutée.
L’ambition affichée par le Maroc dans cette perspective est de chercher à construire un
modèle de pratiques de MRH performant, malgré des résistances d’ordre comportemental et
culturel. La question est alors de savoir précisément : comment construire des pratiques de
Management des Ressources Humaines performantes au Maroc ? Pour apporter quelques
éléments de réponses, nous présenterons en première partie le cadre de la recherche (I) afin de
mettre en relief le contenu des réformes structurelles, et celui du management RH pratiqué
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dans les entreprises marocaines. Nous formulons ensuite, dans une deuxième partie, la
problématique et la question de recherche (II). En troisième partie, nous exposerons notre
choix méthodologique et nos premiers résultats des enquêtes : exploratoire et prospective.
2. Le cadre de la recherche
Le cadre de la recherche vise à présenter à la fois le contexte des réformes engagées par le
Maroc depuis quelques années et les « réalités » du management RH contemporain. Nous
analyserons le contenu des réformes structurelles avant d’examiner le management des RH
caractérisé par une gestion personnifiée (Belkahia, 2004) au sein des entreprises marocaines.
2.1. Le contexte des réformes structurelles
Les réformes structurelles engagées par le Maroc pour stimuler le changement, la Les
réformes structurelles engagées par le Maroc pour stimuler le changement, la performance et
le développement durable, sont composées de quatre catégories de variables : la variable
démocratique, la variable économique, la variable sociale et la variable éducative. Sur les
quatre variables le Maroc a été perçu comme un modèle de réformes un leader dans les pays
de l’Afrique du nord et du Moyen-Orient (Malka et Alterman 2006 ; rapport européen 2008 ;
Igalens 2008 ; Vatteville 2009). Ces réformes structurelles qui s’inscrivent dans une
dimension internationale contraignante intéressent américains et européens. Si l’approche
américaine est principalement orientée, selon une étude menée par le centre des études
stratégiques à Washington DC (2006), vers la stimulation d’un changement interne, préférant
travailler avec les individus plutôt que les institutions, l’approche européenne a plutôt
tendance selon la même étude, à traiter avec les organes gouvernementaux et non les
individus. Les indicateurs de succès de ces réformes dans les prochaines années, seraient
toutefois, selon Malka et Alterman (2006) tributaires d’une part de la volonté du chef du
gouvernement à déléguer du pouvoir et d’autre part des prédispositions des acteurs publics à
montrer en contre partie qu’ils sont à la hauteur de la responsabilité..
Le rapport marocain Maroc 2025 (2005) va dans le même sens, mais se démarque néanmoins
par la mise en évidence de deux scénarios possibles. Un scénario « régressif » fondé sur le
développement inégal du territoire et l’insuffisance de la préparation à la mondialisation qui
conduisent à un Maroc à plusieurs vitesses. Un scénario possible que le rapport (2005),
appelle « le Maroc souhaitable » conditionné par la réalisation de certains leviers de
développement relatifs à la démocratie, la décentralisation et la responsabilité citoyenne.
2.2. Les « réalités » du management RH contemporain au Maroc
Si la littérature anglo-saxonne (Drucker, 2005) et francophone (Boyer 2006) traitent d’une
manière générale le concept du devenir du management, qu’en est-il pour le cas du Maroc ?
Existe-t-il des travaux de recherche sur ce thème ?
Pras (2007) traite la convergence et la co-existence des valeurs de l’Islam et du management
et donne l’exemple du management de la performance au Maroc sous-tendu par la valeur
religieuse. La difficulté qui handicape le management et la performance dans les entreprises
marocaines relève surtout du poids des PME dans la société. Sur ce point, la littérature est
partagée. Azzouzi (1997) traite des faiblesses extrinsèques relatives au financement, et
intrinsèques relatives à la pénurie de cadres, de main d’œuvres qualifiée qui fragilisent les
PME marocaines. Mezouar et Semeriva (1998) amputent le manque de compétitivité des
entreprises marocaines plutôt à la culture méditerranéenne, au faible management participatif,
et à une crise de pensée stratégique. Eddakir (2003) fait quand à lui, un lien étroit entre le
dirigeant d’entreprise et sa culture nationale. Il considère que le profil du dirigeant
d’entreprise est marqué par une « culture d’obéissance », une image du « pouvoir absolu » du
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père. Le paradoxe dans le profil décrit est que malgré les faiblesses endogènes et exogènes qui
affectent l’entreprise marocaine, le chef d’entreprise prétend continuer à toujours faire
cavalier seul (Abakouy 2006). Le fait de ne pas anticiper, planifier réside selon Abakouy
(2006) dans l’existence d’une culture déterministe qui encourage le chef d’entreprise dès son
bas âge à ne pas s’aventurer, à laisser faire, et à croire à la fatalité.
Croire à la fatalité et ne pas participer à la gestion de l’entreprise sont des éléments d’ordre
socioculturels qui expliquent que le management participatif est constamment remis en
question. Le management participatif comme vecteur de performance, semble ne pas
intéresser et motiver les responsables d’entreprises marocaines. Des travaux de recherche (AlArkoubi. 2004), montrent en effet que parmi les obstacles qui freinent le développement
économique des entreprises marocaines, figure la passivité des décideurs. Cette passivité des
responsables a été soulignée dans d’autres travaux de recherche comme ceux de Gray (2002)
par exemple. Selon d’autres travaux (Scouarnec 2005), même si le Maroc s’intègre dans la
mondialisation, il ne peut le faire que par la participation de tous les acteurs. Ben Cox et AlArkoubi (2006), parlent quant à eux des « schémas traditionnels » de pensée et de
comportement, qui résistent aux changements apportés par les réformes. Les chercheurs
constatent que le modèle de MRH au Maroc, comme dans tous les pays arabes, est le produit
d’un héritage influencé par le tribalisme, l’arabité et la religion.
Gray (2002) cible plutôt la dimension culturelle qui influence considérablement le
management des ressources humaines marocain. D’autres travaux de recherche rejoignent
cette notion d’influence culturelle sur la gestion des affaires et le management RH au sein des
entreprises marocaines. Nous pensons aux Kabasakal et Bodur (2002) qui ont identifié en
effet neuf dimensions culturelles influençant le style de management des responsables.
Étudiant un pôle de cinq pays : Le Maroc, la Turquie, L’Égypte, le Qatar et le Koweït, les
chercheurs constatent que malgré les caractéristiques communes à ces nations (religion,
langue, culture), les pratiques propres à chaque pays, permettent de les différencier sur
certaines valeurs culturelles, de collectivisme, d’individualisme, d’attitude à l’égard de
l’incertitude et d’évitement (Hofstede 1994). Les sociétés dans le groupe arabe étudié par
Kabasakal et Bodur (2002) attribuent une faible importance à la planification de l’avenir et
affichent un faible score à l’orientation future, du fait de l’interprétation négative de la notion
du destin sur l’avenir.
Pour expliquer le management RH performant certains auteurs lient la performance
économique à la rationalité économique qui procure la croissance économique. Gray (2002)
relève que la performance économique signifie l’esprit d’entreprise, de créativité,
d’innovation qui s’insère dans la logique d’un management RH rationnel. Les entreprises
marocaines perçoivent par contre, cet esprit de créativité, comme similaire à l’imitation. Du
point de vue de la performance sociale, les entreprises marocaines sont censées répondre,
selon Fahim (2004)86 et Benson (2006) à une responsabilité sociale, citoyenne visant la
croissance du capital humain comme catalyseur du changement. Le Maroc n’est pas en effet
bien classé sur le capital humain et l’indice du développement humain selon le PNUD (2003)
qui lui attribue le 125ème rang parmi les 177 pays participants, avec un taux de pauvreté qui a
augmenté de 12% à partir de 1999. Une étude auprès de 34 PME exportatrices, menée par
Abakouy (2006), montre que les entreprises marocaines ne remplissent pas les conditions de
performance et de succès sur les marchés extérieurs. La plus récente étude sur la performance
86
Fahim, Z. (2004) 'La fonction de l'entreprise n'est pas seulement de faire des bénéfices', La Vie Economique 9
January: 39. Form Action (2004) Forum sur la formation et la gestion des ressources humaines au Maroc.
Casablanca.
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économique et sociale au Maroc, est celle de Zaoual (2008) qui estime que « le changement,
ne se clone pas mais se construit ».
3. La problématique et la question de recherche
En considérant l’impact des réformes sur les pratiques de management des R.H, l’influence du
management international sur les structures des organisations et l’évolution du management
interne au sein des entreprises marocaines, nous avons choisi de mettre en relief la
problématique de notre recherche comme suit. Si les entreprises marocaines connaissent un
problème de performance, notre problématique est de chercher à construire des pratiques de
management RH performantes c'est-à-dire une performance économique et sociale (Savall,
1974). Les contours de ce modèle de pratiques performantes peuvent être dessinés par
l’impact des réformes structurelles (Pettigrew, 1995), l’influence de la mondialisation (Burns
et Stalker, 1966) et l’effet d’un management RH interne résistant au changement (Lewin,
1951).
Nous cherchons en définitive à démontrer si les influences tridimensionnelles ainsi décrites
permettent de construire des pratiques de management RH performantes, et si ces pratiques
refléteraient un modèle local, régional, international ou hybride ? (Voir figure)
Figure : La problématique de la recherche
L’espoir, le durable
et la performance
Evolution du
management
international
- L’ambition
- La vision
- La promesse
Le management - Le possible
- La vie pratique
interne des
- Le concret
entreprises
Les réformes
structurelles
Quelles
pratiques
MRH
performant
Modèle international, méditerranéen,
africain hybride ou marocain ?
A la lumière de cette problématique ainsi explicitée nous pouvons avancer la question
centrale de la recherche dans les termes suivants
«Comment construire des pratiques de management des
ressources humaines performantes pour le Maroc de demain
Cette question centrale implique une autre question sur comment construire des pratiques de
MRH performantes de demain ? C’est à dire quelle méthodologie choisir ?
4. La méthodologie de recherche et les resultats
Pour tenter de répondre à la question centrale, nous avons choisi une méthodologique de
recherche qualitative axée sur deux étapes : Une étude exploratoire et une étude prospective.
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4.1. Une étude exploratoire
L’étude exploratoire conduit à la réalisation d’une enquête exploratoire sous forme d’un
entretien semi directif en 5 points. L’entretien concerne un échantillon de 13 chefs
d’entreprises répartis dans des zones géographiques diversifiées et évoluant dans différents
secteurs d’activités. A coté des dires des dirigeants d’entreprise, nous avons préféré nous
intéresser aussi à une autre catégorie de population constituée de 24 salariés. Ce choix est
justifié en raison des informations et des données non négligeables que recèle cette catégorie
de population qui nous permet de comparer et confronter les avis des uns et des autres sur la
problématique du devenir du management des ressources humaines au Maroc. Pour recueillir
les informations que nous recherchons au près de la population cible, nous avons élaboré un
guide d’entretien en cinq questions :1) Quels changements ayant un impact sur les pratiques
de GRH. 2) Quelle évolution des pratiques de GRH ?3) Quelle préoccupation dans cinq ans
pour le manager ? 4) Changement organisationnel ou comportemental ? 5) Quel modèle de
management pour demain ?
Nous avons choisi d’adopter vis-à-vis de nos interlocuteurs une attitude d’empathie leur
conférant une position plus à l’aise dans leurs discours. En tentant de percer les
représentations mentales des déclarants, nous avons cherché à chiffrer leurs interprétations en
indiquant dans quelle mesure ils étaient favorables aux questions posées. Les réponses
recueillies confrontées aux trois théories de gestion étudiées (Burns et Stalker 1966 ; Lewin
1951 ; et Pettigrew 1995), révèlent que l’influence de l’environnement externe à l’entreprise,
c’est-à-dire l’influence tridimensionnelles des trois forces en présence, n’est pas intégrale
mais relativisée à 51%. En traduisant ces résultats, en termes de management des ressources
humaines performantes nous pouvons avancer que l’influence de l’environnement socioéconomique sur les pratiques de management RH, n’est pas totale mais moyennement
perceptible (51%) par les chefs d’entreprises et faiblement ressentie par les salariés (20%).
Pour approfondir la recherche, nous avons effectué une analyse de contenu thématique de
chacune des personnes interviewées en nous appuyant sur les recommandations de Miles et
Huberman (2003) et de Bardin (2007). Cette analyse consiste à faire une lecture du corpus de
l’entretien segment par segment afin de repérer les idées significatives et les regrouper en
codes thématiques (Douhou-Renaud, 2009). Nous avons réalisé un codage manuel assisté par
ordinateur qui pourrait être complémentaire. Le codage consiste à découper les données
recueillies en unités d’analyse au sens Allard-Poesi (2003), ou en segments de texte, le plus
souvent une phrase de la transcription, au sens de Lincoln et Guba (2005), ou en attribuant des
mots (labelling) au sens de Strauss et Corbin (1991). En codant les réponses fournies, nous
avons choisi d’attribuer le mot « positif » (labelling) aux réponses qui sont en faveur de
l’influence de l’environnement sur les pratiques de MRH, et le mot « négatif » aux réponses
défavorables (Voir tableau de comparaison).
Tableau 2. Bilan comparatif des réponses des Chefs d’entreprises et des salaries
Thèmes
Chefs d’entreprises Salariés
OBS
Thème 1
(changements ayant un impact sur Positif
négatif
+ et les pratiques)
Thème 2
(Quelle évolution pour les Positive
négative
+ et pratiques ?)
Thème 3
négative
+ et (Quelle interrogation pour les Positive
managers?)
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Thème 4
organisationnel
(Changement organisationnel ou
et comportemental
comportemental)
Thème 5
(Quel modèle de management ?)
International
comportemental
chinois
+ + et 40%Modèle
international
- 40% un modèle
chinois
Si nous conjuguons en termes de management RH, l’influence moyennement perceptible par
les chefs d’entreprise avec celle faiblement ressentie par les salariés, nous obtenons un
résultat en deçà de la moyenne (35%).C’est à dire que le bilan déduit de l’enquête
exploratoire montre un modèle de management RH en deçà de la moyenne loin d’être
performant.
La modélisation que nous comptons construire par rapport aux sciences de gestion, (Léonard
2008 ; Pesqueux 2009), est générée par l’influence de la phénoménologie complexe du
changement socioéconomique sur le management des ressources humaines. En termes de
gestion, nous recherchons dans notre modèle conceptuel à savoir si le modèle de pratiques de
MRH, généré par les trois forces tridimensionnelles, serait un modèle à l’international qui
tire vers la performance vers une trajectoire ascendante au sens de Friedman (2005). Nous
cherchons si ce modèle serait à l’inverse un modèle méditerranéen en raison d’une histoire
commune méditerranéenne ayant assisté à une succession de civilisations, et de l’approche
innovante du rapprochement euro- méditerranéen initiée en 2009 par le Président français
Nicolas Sarkozy. Autrement dit nous chercherons à savoir si nous serons plutôt en présence
d’un modèle africain que Mutabazi (2006), appelle un modèle circulatoire (circulation libre
des personnes et des biens), compte tenu de l’enracinement du Maroc dans une culture
africaine. Nous nous demandons s’il ne s’agirait pas d’un modèle magrébin en raison d’une
similitude qui existe dans les pays nord-africains sur le plan de la langue, la culture, l’histoire
et la géographie ou alors un modèle hybride, un brassage de toutes les cultures et de toutes les
forces en présence (Frimousse et Perréti 2006). Le modèle recherché serait-il alors carrément
un modèle maroco-marocain, compte tenu des forces résistantes émanant des conservateurs
qui rejettent tout modèle étranger même s’il est performant en faveur d’un modèle
spécifiquement local ?
Le modèle conceptuel que nous voulons esquisser est un modèle de l’avenir, d’un futur que
nous avons appelé « demain ». Le terme demain vise un échéancier qui peut s’étaler dans la
littérature des sciences de gestion, entre cinq et dix ans. Les dires d’experts sur la construction
des meilleures pratiques de management RH et les représentations que les interviewés
peuvent avoir sur le modèle de demain, ne pourraient correspondre qu’à un espace temporel à
deux horizons, soit à court terme (mangement RH opérationnel) soit à long terme
(management RH stratégique) ou probablement les deux (management hybride opérationnel
et stratégique). Nous tenons dans ce tour d’horizon managérial à apporter une explication de
ce que nous entendons par pratiques de management des ressources humaines au Maroc.
Nous cherchons à préciser en effet si les pratiques de gestion poursuivies au sein des
entreprises marocaines, seraient des actes rationnels (Meric 2009), ou seraient-elles
immuables, fixées dans une durée déterminée (Zollo et Winter, 2002). Les pratiques
managériales marocaines pourraient-elles changer et constituer une source de dynamisme
permanent au-delà de tout lien rationnel, ou seraient-elles à l’inverse des pratiques rituelles
érigées en institutions (Pesqueux 2007).
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A toutes ces questions et tant d’autres, nous tenterons, en s’appuyant sur les résultats de
l’enquête exploratoire, d’apporter des éléments de réponse nécessaires par des investigations
qualitatives lors de la démarche Prospective que nous développons sans tarder.
4.2. L’étude prospective
S’il existe plusieurs démarches et méthodes prospectives qui pourraient intéresser notre
thématique comme la méthode Delphi et Prodin (Godet 2001), notre choix a porté sur la
méthode PM (Prospective Métiers) que nous avons simplifiée et adaptée au contexte local. La
démarche prospective permettant d’anticiper les avenirs possibles et de percevoir des signaux
annonciateurs de changement (Scouarnec et Boyer 2009), comprend quatre étapes principales
et une cinquième facultative. La version adaptée au contexte local concerne particulièrement
la troisième étape de la méthode où il convient de réaliser les résultats de la synthèse des
entretiens et du questionnaire sans obligation de réunir le groupe d’experts comme il est
recommandé dans la version originale. C’est une étape adaptée au contexte local car les
experts locaux n’apprécieraient pas l’idée de les réunir en groupe pour analyser les résultats.
4.2.1. Mise en œuvre des entretiens prospectifs
L’entretien envisagé qui est l’un des outils privilégiés de la recherche qualitative (Denzin et
Lincoln, 1998) permet de dégager les variables les plus importantes pour décrire et analyser la
phénoménologie de l’influence tridimensionnelle (réformes structurelles, management
international et management RH interne), sur les pratiques managériales marocaines. Dans
notre recherche qualitative, il ne s’agit pas de rechercher des régularités statistiques, mais de
rechercher les significations, de comprendre les processus, ou comme dirait Kaufman, (1996)
« l’entretien compréhensif », dans des situations uniques ou fortement contextualisées. Les
différents concepts composant notre sujet de thèse (management des ressources humaines,
performance, changement, prospective), que nous avons développés dans la partie théorique
de la recherche, sont implicitement ou explicitement évoqués dans le guide d’entretien élaboré
en trois points :
1) En s’inscrivant dans la mondialisation et les normes internationales, le Maroc vit des
changements et des reformes de toutes sortes. Quel est, selon vous, l’impact de ces
réformes sur le management en général ? 2) Compte tenu de ce contexte aujourd’hui et
surtout demain, quelles sont, d’après vous, les « bonnes pratiques » de management des
ressources humaines à développer pour construire des organisations performantes au
Maroc ? 3) Enfin, quels seraient, selon vous, les leviers pour développer ces « bonnes
pratiques » ou au contraire les freins au développement d’un management des ressources
humaines durable et performant au Maroc ?
Après l’élaboration du guide d’entretien qu’en est-il maintenant de l’étude terrain ?
4.2.2. L’étude du terrain
La mise en œuvre de la recherche qualitative par entretien, nécessite de lier les concepts, les
théories, et les modèles, avec les données empiriques de notre terrain d’investigation (Angot
et Milano, 1999), et de choisir l’échantillon théorique le plus représentatif possible de notre
population cible. Pour choisir les acteurs praticiens connaisseurs de la réalité managériale du
présent et du futur, nous avons ciblé une population diversifiée composée de 45 experts
sélectionnés dans six catégories socioprofessionnelles (chefs d’entreprises, DRH, salariés,
professeurs de gestion, personnalités publiques et étudiants en Master).
L’entretien semi-direct, appelé aussi entretien « centré » (Merton, Fiske et Kendal, 1990),
exige de nous sagacité et vivacité. Cette méthode d’entretien relève de ce que certains travaux
appellent l’entretien « créatif » du fait qu’elle procède de la « révélation mutuelle » entre le
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chercheur et le sujet, et de la « génération d’émotion » (Douglas, 1985). Le fait de se révéler
au près de nos interlocuteurs constitue en effet un gage d’authenticité qui a permis à nos
interlocuteurs d’avoir eux même tendance à se révéler à nous.
4.2.3. Les résultats des entretiens prospectifs
En croisant les réponses des six catégories d’experts, nous constatons en final que la
construction des pratiques de management RH performantes pour le Maroc de demain, se fait
modestement et moyennement à 54%. Les représentations mentales que nos interviewés se
font du devenir du management au Maroc, qualifient la construction des pratiques de MRH de
demain de modeste et moyen. Cette évaluation moyenne montre en termes quantitatifs que
l’atteinte des objectifs s’est faite moyennement et qu’en termes qualitatifs la dynamique du
changement et des réformes progresse à une vitesse moyenne (54%.). La comparaison avec
le résultat évalué en deçà de la moyenne (31%) issu de l’enquête exploratoire , montre que
les personnes interrogées en deuxième étape de la méthodologie prospective, ont apprécié
plus largement le devenir du management au Maroc sans pour autant dépasser un score
moyen de 54%.
5. Conclusion
Nous avons analysé dans cette présentation le cadre de la recherche mettant en relief les
réformes structurelles décidées par les pouvoirs publics dans un contexte de management
centralisé et personnifié des PME marocaines. Celles-ci semblent fragilisées par des facteurs
culturels liés à l’évitement d’incertitude et d’orientation future (Kabasakal et al, 2002). Nous
avons cherché à apporter quelques éléments de réponses à notre question centrale « comment
construire des pratiques de MRH performantes ? » en se fondant sur une épistémologie
interprétativiste et une méthodologie qualitative. Nous avons mené à cet effet une enquête
exploratoire au près de 13 chefs d’entreprises et 24 salariés. Les résultats de cette enquête ont
révélé un modèle de MRH en deçà de la moyenne (35%), loin d’être performant. Dans la
deuxième étape de notre méthodologie qualitative, les résultats des entretiens menés au près
de 45 experts choisis, ont montré que la construction d’un modèle de MRH s’est faite
modestement progressant à une vitesse moyenne (54%.).
L’objectif qui est de chercher à construire des pratiques RH performantes et esquisser un
modèle de MRH performant semble avoir été atteint dans la mesure où les résultats des deux
enquêtes menées et confrontées aux théories de gestion, ont montré que le modèle de MRH
recherché est un modèle qui est construit en deçà de la moyenne loin d’être performant.
Ce résultat nécessite cependant d’être relativisé en raison des limites théoriques et empiriques
de cette recherche. Au point de vue théorique l’enquête prospective par entretien, demeure
relative dans la mesure où les informations recueillies, malgré leur avantage qualitatif,
apparaissent difficilement chiffrées et quantifiées. Notre méthodologie qualitative loin de
s’enfermer dans une approche unilatérale réductrice (Poésie, 2005 ; Charreire et Huault 2001,
2006), ni dans une myopie académique et empirique reste cependant ouverte sur la maîtrise de
toute connaissance réelle scientifique qui n’est pas nécessairement prouvée mais « qui est
probablement vrai » (Chalmer 1987). La méthodologie qualitative par entretien malgré son
apport académique mérite en effet d’être complétée par une étude quantitative ultérieure. Sur
le plan empirique l’échantillon réduit de notre population cible ne permet pas une
appréhension globale objective et complète de la réalité managériale recherchée. Une
démarche prospective qualitative et quantitative plus extensible touchant une population plus
large et d’autres catégories d’experts, pourrait motiver des travaux de recherche qui seraient
intéressés par notre questionnement.
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La réorganisation des services publics : désorganisation ou reconstruction des acteurs.
Anne-Marie Fray
LA REORGANISATION DES SERVICES PUBLICS :
DESORGANISATION OU RECONSTRUCTION DES ACTEURS
Anne Marie FRAY
Professeur
Groupe ESCEM Tours/Poitiers
[email protected]
L’importance des services publics en France est incontestable. Mais si, pour certains, le
service public est l’archétype de l’excellence française depuis plusieurs siècles, pour d’autres
notre conception des services publics n’est plus adaptée à notre monde en mutation. Pourtant
le service public est une activité considérée comme devant être disponible pour tous, qui
s’appuie donc sur le concept de l’intérêt général, défini non pas comme une somme des
intérêts particuliers (conception américaine), mais bien comme un fait qui, dépassant chaque
individu, est en quelque sorte l’émanation de la volonté de la collectivité des citoyens en tant
que telle87. Le service public est donc pris ici comme partie de cet intérêt général, et non
comme la représentation d’un statut particulier88. Or les différentes mutations du monde
économique et financier changent l’approche et l’essence même de la notion de service public
en y intégrant des notions comme la rentabilité, la performance, l’efficience. Et les
changements provoqués par les politiques publiques sont multidimensionnels, complexes à
saisir et à gérer : «Peu de cadres de référence sont développés pour analyser les phases de vie
par lesquelles l’organisation doit migrer pour s’adapter» ( Auger, St-Martin (2002, p 80).
Dans un tel décor, l’auditeur social se doit d’appréhender le nouveau contexte des
organisations, ou plutôt des réorganisations, de prendre en compte de nouvelles approches de
développement, de réévaluer les critères du référentiel en fonction des choix organisationnels.
C’est ce que nous appellerons un paradigme d’interprétation, nécessaire à la compréhension
des faits et des résultats. L’objectif de cette réflexion théorique est donc d’éclairer l’auditeur
sur ces nouvelles approches organisationnelles et managériales dont peut s’emparer une
organisation, et de revisiter le lien entre celles-ci et les identités et valeurs portées par les
acteurs. Cette interrogation se fera sous le questionnement de l’impact des réorganisations sur
les acteurs concernés, et l’observation des possibilités de reconstruction de ceux-ci. Deux
exemples de réorganisation en termes de fusion d’entités illustreront notre propos.
1. Les réorganisations du service public
Les réorganisations du service public touchent des domaines très divers : fusions d’entités
(Pôle Emploi), réaffectation des ressources (services vétérinaires de l’Etat), recherche
d’efficience et d’efficacité (Agence Régionale de Santé), etc. Ces mutations entrent dans un
modèle de changement subi, encadré par la loi et les politiques publiques. Deux éléments sont
à prendre en compte pour appréhender le contexte : la LOLF et la RGPP. L’application de ces
lois va modifier considérablement le rôle de l’Etat, et par là-même les objectifs et les valeurs
des entités et induire de nouveaux modes de management, issus de ces transformations.
1.1. Une réorganisation sous ordonnance
La Loi Organique relative aux Lois de Finances (LOLF)
Les trois objectifs principaux de la LOLF consistent à améliorer la transparence par un rôle
plus actif des parlementaires dans l’autorisation et le contrôle des dépenses, à favoriser une
stratégie pluriannuelle par une plus grande clarté des choix stratégiques des finances
publiques, et à accroitre l’efficacité de la gestion publique par une plus grande responsabilité
87
88
Il s’agit de la conception d’Adam Smith opposée à celle de Jean Jacques Rousseau….
Les exemples présentées ne concernent d’ailleurs que très peu le monde des fonctionnaires
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La réorganisation des services publics : désorganisation ou reconstruction des acteurs.
Anne-Marie Fray
et une plus grande liberté des acteurs de l’administration, le tout dans une logique
d’orientation des budgets vers les résultats. La LOLF, par les principes qu’elle porte, a induit
d’une part une approche systémique (lien de cause à effet, prise en compte de l’histoire des
organisations avec leurs règles, valeurs, contexte d’action, modernisation des processus) ; et,
d’autre part, une dynamique continue (plan d’actions ministériels pluriannuels, vision, étapes,
conduite du changement). Ainsi pour 2010, 48 missions correspondent aux grandes politiques
de l’état, 171 programmes définissent le cadre de mise en œuvre des politiques publiques et
650 actions précisent la destination des crédits.
Les programmes regroupent l’ensemble des dépenses afférentes à une politique publique,
quelle qu’en soit la nature (personnel, fonctionnement, investissement ou intervention). Ils
constituent des enveloppes globales à caractère limitatif et en grande partie fongibles (sauf
dépense de personnel). Ils sont donc le cadre de l’élaboration d’une politique, au niveau
structurant de l’autorisation parlementaire, de la budgétisation et de la gestion, dans le
périmètre de réalisation des activités et de la définition des résultats attendus.
En conjuguant la responsabilité sur les résultats et la responsabilité des moyens, à travers une
culture du résultat aux objectifs de plus en plus précis, les programmes impactent donc
fortement les valeurs professionnelles des agents publics (qualité et réactivité du service rendu
pour l’usager et efficience de la gestion pour le citoyen).
La Révision générale des Politiques Publiques (RGPP)
La RGPP est une démarche novatrice qui repose sur 3 grands principes : adapter les politiques
publiques aux besoins des citoyens, valoriser le potentiel humain de l’administration, dégager
des marges de manœuvre pour financer les priorités.
Ce programme de réforme de l’état concerne toutes les structures administratives (centrales,
déconcentrées, opérateurs). Ainsi 4 grands chantiers sont conduits dans ce cadre :
- La contractualisation entre l’état et ses opérateurs est renforcée (citons par exemple la
création des Agences Régionales de Santé).
- Les fonctions support sont rationalisées par la mise en œuvre de grands projets
interministériels (achats, pensions, immobilier, paye,..).
- La réforme de l’administration territoriale repose sur la réduction du nombre de
structure au niveau départemental (regroupement et simplification des missions) et sur
la réorganisation du niveau régional (niveau de droit commun du pilotage des
politiques publiques).
- Enfin une logique d’interlocuteur unique pour les citoyens et les entreprises est
développée (fusion Assedic/ANPE)
Bien entendu la RGPP conduit à redéfinir des activités des agents de la chaine de dépense, ce
qui induit des changements en matière d’enchainement des taches et par là-même,
l’émergence de nouvelles compétences. Au-delà de ses différentes transformations, se profile
clairement l’idée d’efficacité économique : cette dernière va devoir alors développer des
logiques combatives dans un contexte de raréfaction de ressources :
- Une logique d’efficacité économique attendue de l’action de l’Etat
- Une logique de service rendu à l’usager
- Une logique d’efficacité de gestion ou performance des institutions.
Les évolutions de la RGPP se traduisent, par exemple, par la naissance de nouvelles entités
émanant de réorganisation ou de fusion de services publics éclatés et préexistants : Pôle
emploi, Régime social des Indépendants, Agence Régionale de Santé, etc. L’argument qui
prévaut réside dans l’intérêt de l’usager, (du client), qui doit bénéficier du meilleur service au
meilleur cout. Pour cela, l’action publique doit être objectivisée, quantifiée, évaluée, afin de
juger de son intérêt et de sa performance, la variable d’ajustement la plus importante étant la
ressource humaine. Mais si cette ressource est un facteur de production essentiel aux
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La réorganisation des services publics : désorganisation ou reconstruction des acteurs.
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organisations, elle possède également une sensibilité et une identité propre : les décisions ne
sont pas suffisantes à la déplacer sans engendrer des difficultés, des réticences, des désordres
sociaux.
De par ces lois encadrant la gestion publique, les grandes réformes menées dans ce secteur
sont plus souvent d’initiative gouvernementale que de propositions issues des dirigeants
opérationnels des grandes institutions publiques. Ce nouveau courant tend en effet à séparer la
définition des politiques publiques de la mise en œuvre managériale des acteurs (Rouban,
1995). L’Etat prend alors un nouveau rôle ; il n’est plus un simple opérateur, mais un stratège
et un animateur (Donzelot, Estèbe, 1994). Ce nouveau rôle relève davantage du contrôle et du
pilotage, mais le prive du savoir faire et des connaissances des managers opérationnels. Cette
nouvelle vision des politiques publiques s’est légitimée au fil du temps, mettant par exemple
les hauts fonctionnaires dans un rôle de traducteurs et médiateurs de cette nouvelle forme de
gestion, au profit d’un état stratège (Bezes, 2009). Ce dernier se gardant la conceptualisation
de l’action publique et laissant au personnel le soin d’appliquer les décisions et de contrôler
les résultats. Cette tendance dite « néo-managériale » affaiblit la légitimité des réformes sur
le terrain et tend à renforcer le rôle des managers dits administratifs au détriment des
managers opérationnels.
1.2. Induisant de nouveau mode de management
Ces mutations profondes qui traversent le service public ne sont pas propres à l’Etat français :
pour exemple, la politique de libéralisation menée par les pays anglo-saxons depuis les années
80 s’est construite en réaction contre le rôle des fonctionnaires dans les sphères de l’état,
contre l’inertie bureaucratique ou contre l’augmentation des dépenses publiques. Même
maux, même remède ? Les pays anglo-saxons ont précédé de quelques années le service
public français sur un management porté vers l’efficience, la qualité du service rendu à
l’usager, la rationalisation des dépenses publiques. En France, le mouvement de « Renouveau
du Service Public » est lancé en Février 1989 et précède alors la version française du New
Public Management entre 1991 et 1997.
Désinstitutionalisation, effacement des frontières entre public et privé deviennent alors les
symptômes d’un « managérialisme » de plus en plus présent comme mode de gestion des
personnels du service public
Issu du New Public Management anglo-saxon, le managerialisme porte en lui la croyance
d’un leadership permanent tourné vers un changement comme mode de vie des organisations,
le tout placé sous le signe du pragmatisme. En ceci, il se met en rupture avec la notion
philosophique du bien commun, tel que décrit par Platon dans la République et développé en
Occident par Rousseau et Hegel et où l’Etat et son administration rationnel, en tant qu’organe
éthique, a le souci du bien dans chacune de ses actions, et où la justice est définie par rapport
à la Cité et non dans une acception individuelle. C’est également sous l’influence des objectifs
de la bourgeoisie industrielle anglaise qu’apparait une vision de la société comme réunion
d’individualités au comportement et au développement personnel guidé par le souci
d’enrichissement matériel.
Ce managérialisme se développe alors comme un élément régulateur des comportements
individuels à travers des normes rassemblées sous la culture organisationnelle. Il tend
également à dépasser cet aspect régulateur, voire disciplinaire, et à participer à une société
fondée sur le contrôle (Rouillard, Giroux, 2005).
Actuellement, le managérialisme s’insère dans les mutations du service public en se faisant
porteur des concepts et outils issus du monde de l’entreprise, ou monde marchand, vers le
monde non-marchand. Il porte la croyance des similitudes entre les organisations, et le fait
que toutes les organisations peuvent être optimisées par l’application de génériques de
gestion.
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Au niveau macro, il met en avant le concept de régulation à travers un libéralisme
économique ouvrant sur l’autorégulation des marchés et l’inutilité de l’intervention de l’Etat
face à la suffisance de ce marché. Les politiques publiques servent alors à alimenter un
marché autorégulant et laissent la socialisation se faire uniquement par référence à la
marchandise.
Au niveau du monde social, il repose sur trois postulats majeurs (Pesqueux, 2007) :
- La performance est un critère d’évaluation pertinent pour évaluer le fonctionnement
des organisations de toute nature.
- Les entreprises doivent adopter un mode de fonctionnement animé par une rationalité
instrumentale.
- Audit, transparence, responsabilité et contractualisation sont les dynamiques propres à
ces entreprises
Au niveau des organisations, il marque le passage d’une culture de moyens à une culture de
performance et de résultats, opéré dès 1996 avec la création des conventions d’objectifs et de
gestion.
A travers ces postulats, le managérialisme s’installe dans la scission opérée entre la
conception et la mise en œuvre des politiques publiques, et dans un courant réformateur qui
distingue l’acteur public en charge de la stratégie et l’acteur gestionnaire qui assure
l’opérationnalité. La focalisation sur l’efficience et la réduction de couts passe par cette
séparation des acteurs, séparation par laquelle l’Etat peine à faire adhérer le plus grand
nombre.
Mais l’usager n’est pas le grand absent de cette évolution. Sa conception a été longtemps
guidée par le principe de l’égalité de tous devant le service public et par conséquent par une
dépersonnalisation neutre et objective. New Public Management et managérialisme vont à
l’encontre de cette vision en considérant l’usager comme un individu ayant des besoins et
attentes spécifiques. La relation doit être plus personnalisée et la qualité de service au centre
des préoccupations : cette dernière approche constitue un axe majeur des engagements de
service contractualisés entre l’état et certains services public (Sécurité Sociale, monde
médico-social, par ex)89.
Mais d’un autre coté, l’usager est également devenu de ce fait la caution des réformes : c’est
sous couvert de rationaliser ses démarches et donc de lui rendre un meilleur service que les
fusions d’organismes sont menées actuellement.
A travers ces évolutions, on assiste également à une instrumentalisation des valeurs et de
l’éthique, ces derniers devenant un soutien des réformes en cours : cette mutation entraine des
tensions entre, d’une part, le processus démocratique et les idéaux du service public
traditionnel, et d’autre part, la recherche d’efficience et de résultats.
2. Un risque de désorganisation des acteurs…
La nécessité de rationaliser les services publics est apparue dès les années 80 pour des raisons
financières, économiques et politiques. Elle s’est accompagnée de son corolaire
incontournable depuis : la valorisation croissante de pratiques professionnelles et de valeurs
issues du monde privé.
2.1 Par un glissement des valeurs
Dans ce contexte, les institutions sont affectées sous trois aspects :
En premier lieu, le passage de l’état providence à un état social actif se traduit par une série
d’axes transformateurs : individualisation du traitement et de l’accompagnement de l’usager
dans une logique de projet contractualisé ; promotion du travail en concertation et en réseau
avec des intervenants aux appartenances institutionnelles et aux cultures professionnelles
89
La Fonction Publique a crée le label Marianne pour inciter les opérateurs de l’Etat à mettre l’usager au cœur
du système
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La réorganisation des services publics : désorganisation ou reconstruction des acteurs.
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diversifiées ; procéduralisation accrue de l’accomplissement de la norme ; emprise des
logiques managériales et gestionnaires. Le tout amenant les acteurs depuis une existence
légitimée par les limites du système, à une existence basée sur une remise en cause
permanente, interne et externe (Franssen, 2005).
En second lieu,
les institutions à service public souffrent d’atteintes sur leur
légitimité habituelle: elles sont attaquées sur les finances (sécurité sociale, hôpital) et/ou sur
leurs compétences mises en doute sans preuve référencées (collectivités territoriales). Dans
ce contexte de faible légitimité des institutions, et leur incapacité nouvelle à faire sens, le
service public se défend en jouant sur une inflation des valeurs et de leur usage, mais à travers
un contexte de faiblesse et d’abaissement de légitimité de ses organisations. Celles-ci, dans un
contexte de gouvernance remaniée, s’appuient sur des relations horizontales nourries de
compromis, de négociation, de coordination et de réseaux, ces différents éléments tenant
ensemble par la force des valeurs partagées.
Enfin, et en troisième lieu, les acteurs peinent à arguer de leur légitimité: cette dernière ne
peut plus se fonder sur des valeurs cohésives, et doit sans cesse être prouvée. Sans doute
parce que l’individu prévaut sur le collectif en devenant le point à partir duquel on évalue la
cohésion de la société à travers les relations interindividuelles. Cet avantage des valeurs
individuelles entraine alors une baisse des valeurs cohésives et l’institution est toujours en
effort, donc en devenir de souffrance (Palau, 2008).
Dans ce champ de transformations des institutions, se pose le problème de la crise de sens du
service public : à partir du moment où les objectifs résident dans la réactivité et la rentabilité,
comment situer la valeur de service au public et d’intérêt général ? La question n’est pas
résolue, sans doute parce qu’elle n’a pas été posé au départ. Or à partir du moment où l’usager
devient client, et que la culture du résultat s’intensifie90, la frontière entre les deux secteurs
tend à se perméabiliser dans les deux sens. Dans cette interpénétration, les managers du
secteur privé cherchent à importer des valeurs du service public pour donner du sens à l’action
et renforcer l’implication et l’engagement organisationnel ; les managers du secteur public
sont dans l’obligation d’intégrer des outils de contrôle et de résultats issus du secteur privé.
Secteur public
Tendance à encourager le profit
Secteur privé
Tendance à encourager les valeurs
d’excellence et de dévouement
Service de la collectivité
Service des intérêts particuliers
 tendance à l’individualisation
 tendance à la responsabilité globale
Attaque de la logique gestionnaire privée
Importation des valeurs professionnelles
publiques
Identification au métier et au service
Identification à l’entreprise
Sens social du travail : lien avec la société Sens productif du travail : lien avec les
des citoyens
objectifs de l’entreprise
Objectif : intérêt général
Objectif : intérêt de l’entreprise
Satisfaction sociale inscrite dans un lien Satisfaction narcissique inscrite dans
collectif ne tenant que peu compte des l’individualisation et rassemblé en discours
individualités
collectif
Tableau 1 : Glissement entre secteur privé et public, d'après Linhart D, 2009
Concrètement, ce glissement porte comme principale conséquences une émergence de valeurs
dites nouvelles : efficacité, transparence, proximité vis-à-vis des citoyens, autonomie, valeurs
communes à l’ensemble de la société ; et ce, au détriment par altération des valeurs dites
90
Notamment par le biais de la LOLF
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La réorganisation des services publics : désorganisation ou reconstruction des acteurs.
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traditionnelles et fortement identitaires du service public que sont l’égalité, la continuité ou la
défense de l’intérêt général (Sicilani, 2008). Ce phénomène impacte les comportements des
acteurs dans le champ des réorganisations des services publics.
2.2. Par des possibilités de comportements retreints
Un mal être se généralise au sein des organismes publics devant une incompréhension du lien
entre l’émulation née de la rentabilité et de la productivité d’une part, et les valeurs de qualité
de service à la population d’autre part. Ces mutations peu encadrées peuvent entrainer chez
les acteurs différentes réactions (Franssen, 2005) :
- Une réaction offensive où l’acteur opère de lui-même une mutation de son statut et
travaille sur sa nouvelle identité professionnelle pour donner de la cohérence à
l’expérience qu’il vit.
- Une réaction défensive où il faut assurer la pérennité de son rôle, en le justifiant (« Île
préservée ») ou en campant sur ses acquis (« Forteresse assiégée »). Cette position
pouvant mener à un risque de crispation identitaire.
-
Une réaction anomique (« Château de sable submergé ») où l’acteur souffre d’un
effondrement identitaire du fait de transformations d’organisation et de gestion lui
faisant perdre le sens et les finalités de son métier.
Des travaux antérieurs hors France font également état de ces comportements restreints des
acteurs. Le Canada en est précurseur par rapport à la France : son exemple met en avant la
tentative de construction d’un socle commun entre le service public et le pragmatisme
désormais attendu des institutions (Gow, 2004). L’approche canadienne est souvent
considérée comme une capacité à rassembler management et rationalité, dans une voie moins
agressive que celle développée en Grande Bretagne, en Nouvelle Zélande ou aux USA
(Bouckaert, Politt, 2000).
Les études canadiennes se sont penchées, par exemple, sur l’analyse des fusions municipales.
Leur intérêt est d’avoir montré que deux structures concomitantes sont partie prenantes dans
ces fusions : la réorganisation structurelle (que l’on retrouve en France sous forme de mise en
pôle dans les hôpitaux, Pôle Emploi, Agence Régionale de Santé, fonctionnement des
Régimes Sociaux des Indépendants, etc.), ou démarche politique de réorganisation à incidence
juridique (modes de fusion) ; et l’intégration des acteurs en tant que collectif dans un
processus de mise en œuvre et consolidation des espaces de vie (processus d’intégration), la
deuxième découlant de la première.
Modes de fusion
Fusion forcée
Fusion volontaire
Intégration
Intégration en passe
ATTITUDES DES Réticents
désavouée
d’enlisement
PRINCIPAUX
ACTEURS
Intégration
Intégration orientée
Adhérents
souhaitée
vers le projet
Tableau 2 : Modes de fusion et rôle des acteurs (d'après Mezouz, 2003)
La réorganisation forcée entraine deux types de comportements. L’intégration désavouée est
le cas d’une réorganisation vécue difficilement par les acteurs, les réticences au projet
amplifiant les risques du processus d’intégration. L’intégration souhaitée révèle un
comportement plus opportuniste, l’acteur ayant une capacité à sortir un gain de la nouvelle
situation.
Dans le cas d’une réorganisation plus volontaire, l’enlisement peut survenir quand la
démarche de rapprochement des collectifs donne une impression de trainer en longueur
(adéquation des statuts, des conventions collectives, etc.). L’intégration orientée vers le projet
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se traduit par une adhésion marquée par l’appropriation du projet non seulement au niveau des
acteurs, mais également et surtout au niveau des collectifs concernés.
Ces différents comportements, étudiés lors de réorganisations administratives canadiennes
peuvent servir de point d’analyse sur les conséquences en terme de perception par les acteurs
concernés. Le tableau ci-dessous en donne un aperçu synthétique. Il montre également la
difficulté de passer d’un extrême à l’autre et ouvre naturellement sur des préconisations
managériales tournées vers la compréhension et l’appropriation du projet.
Intégration désavouée
Intégration en passe
d’enlisement
Confusion dans les
priorités
Intégration souhaitée
Risque de
dédoublements et de
coûts supérieurs
concernant les services à
venir
Attachement excessif
aux schémas
d’aménagement
antérieurs
Gêne dans la
coordination des
modes et des
processus de services
Retard sur les
économies escomptées
Harmonisation
déficiente
des schémas
d’aménagement
Intégration lente des
schémas
d’aménagement
Visions divergentes du
développement
économique
Désaccord sur les
priorités de
développement
Perspectives encore
lointaines de projets de
développement
Refus d’alignement en
vue d’un positionnement
approprié
Confusion sur les
objectifs de
positionnement
Délai dans le
positionnement
stratégique
Opposition à
l’intégration
des stratégies et des
structures d’ensemble
Manque de cohésion
des stratégies et des
structures d’ensemble
Amorce de cohérence
dans les stratégies et
les structures
d’ensemble
Risque d’obstruction
et source d’insécurité
Délais d’intégration
des structures
administratives
Intégration orientée
vers le projet
Adoption de politiques
intégrées
suivant les besoins
des clients/usagers
Économies d’échelle
dans
l’offre et ajout de
nouveaux services
Recherche
d’intégration des
espaces, des services et
des
fonctions
Projets nouveaux et
stimulants
de développement
Positionnement
stratégique donnant
prise à un
développement
conséquent
Dotation de stratégies
et de structures
générales et
particulières solides
Tableau 3 : Exemple d’incidence possible de l’attitude des principaux acteurs lors des
réorganisations (d’après Mezouz et alii, 2003)
Dans ce contexte, les acteurs peuvent donc être impactés fortement. La question qui se pose
alors est de savoir si cette transformation de leurs champs d’actions ouvrant sur de nouveaux
comportements conduit à une complète désorganisation du collectif, ou si des possibilités de
reconstruction peuvent émerger.
3. Désorganisation des acteurs ou possibilité d’une reconstruction
Les exemples de fusions d’organismes déjà effectués renseignent sur les différentes
possibilités de reconstruction et sur les modes d’appropriation préalables qui sont nécessaires.
Nous donnerons deux exemples : l’un sur le Pôle Emploi, à partir d’un rapport préalable à la
fusion, mettant en garde contre des conséquences pourtant préalablement analysées, l’autre à
travers le premier dépouillement du terrain de la fusion des régimes sociaux des indépendants
(fusion de caisses)
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La réorganisation des services publics : désorganisation ou reconstruction des acteurs.
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L’exemple du Pôle Emploi
La fusion ANPE et Assedic en Pôle Emploi, sujette à de nombreuses critiques tant qu’internes
qu’externes, a, pourtant fait l’objet en amont d’une analyse critique préconisatrice (Mesnil du
Buisson, 208). Les points suivants en avaient été soulevés :
-
Les organismes présentent en général des divergences sur le plan statutaire et
organisationnel, dues aux délégations préalables de service public à des organismes
privés (multiplication de convention collective différente, par ex)
Ces divergences sont à analyser également à travers les modes de gestion, la
gouvernance, la mise en réseau, tous ces éléments ayant leurs particularités. Ces
particularité ont un impact sur les politiques de gestion des ressources humaines et les
relations sociales de ces entités (politique salariale, classification, couverture sociale,
politique de recrutement, gestion des carrières, modes de management, etc.
A partir de ces constats, les leviers d’action pour réussir ces fusions résident principalement
sur la mise en œuvre d’un rapprochement des métiers afin de créer de nouvelles pratiques
professionnelles ; une interrogation élargie et participative des acteurs pour les associer à une
réflexion sur les finalités de l’organisation, le nouveau rapport au client, leur identité
professionnelle ; un investissement dans le dialogue social pour assurer la transition et
permettre la construction de la nouvelle entité. A noter que ces préconisations pourtant
pertinentes n’ont que peu été suivi d’effets dans la mise en place de Pôle Emploi.
L’exemple du R.S.I
Le RSI ou Régime Social des Indépendants est né le 1er Juillet 2006 de la fusion de trois
caisses : AVA pour les artisans, ORGANIC pour les commerçants, AMPI pour les professions
indépendantes). Cette fusion a permis de regrouper en 30 caisses de base les 90 organismes
précédents, pour servir près de 3,5 millions de travailleurs indépendants.
Les entretiens qualitatifs ont porté sur 16 personnes associées au fonctionnement des
nouvelles caisses RSI : 4 sont sur des postes de direction, 6 sur des postes de cadres
supérieurs, 3 occupent des fonctions de cadres de terrain, un administrateur a été également
entendu La recherche a été menée sur un mode de recherche action à visée d’enseignement
managériale pour les chercheurs impliqués mais également pour les acteurs du terrain
concerné. Nous ne donnons dans ce travail que la base d’un premier dépouillement des
entretiens à partir de mots clés issus de la revue de littérature : il s’agit donc d’un travail
exploratoire sur les comportements des acteurs91.
Les entretiens ont porté sur : la trajectoire des acteurs, la préparation de la fusion des caisses,
les outils à disposition du manager, et l’impact du changement sur le service public.
Les principaux résultats portent sur la possibilité de reconstruction des acteurs mais avec des
nuances identifiées :
1° Le réseau d’origine joue un rôle : plus les opportunités issues de l’ancienne
appartenance permettent d’enrichir le travail et émergent, et plus les acteurs se
réorganisent dans leur appartenance à la nouvelle structure.
91
Ecole Nationale Supérieure de Sécurité Sociale (2010), Cultures, Valeurs et Identités professionnelles :
L'exemple du Régime Social des Indépendants, Rapport de recherche action, Décembre, Saint Etienne, France.
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218
La réorganisation des services publics : désorganisation ou reconstruction des acteurs.
Anne-Marie Fray
2° Suivant son niveau hiérarchique, la restructuration entraine des comportements
différents.
En reprenant la théorie de la gestion relationnelle et les différents comportements mis en
évidence par Franssen (2005) et les recherches canadiennes : offensif, anomique, et défensif,
les résultats peuvent tendre à l’établissement d’une typologie indicative.
Direction :
offensif,
intégration
projet et
souhaitée
un
mode
entre
orientée
intégration
Cadres :
un
mode
défensif entre intégration
souhaitée et enlisement
Agents :
un
mode
anomique
entre
enlisement et intégration
désavouée
Contexte :
diminution
de
postes
et/ou
mobilité
fonctionnelle/géographique.
Ressources : participation à l’INP92, lieu de régulation – Proximité
hiérarchique de la sphère décisionnelle
Enjeux : compétition pour l’obtention de postes – reclassement pour les
sans postes après fusion
Innovation : formations pour reconversion professionnelles
Contexte : réduction des périmètres de compétences
Ressources : statut, identité de cadre
Enjeux : possibilité de promotion ou statut écorné
Contexte : guichet unique, sollicitations du public, demandes nombreuses
Difficultés : sentiment d’être débordé
Conséquences : défiance vers la nouvelle organisation, effondrement
identitaire
Les acteurs offensifs se partagent entre un comportement opportuniste (compétition sur les
nouveaux postes) et un comportement proactif (reconversion professionnelle). Quatre
éléments de succès peuvent être mis en évidence :
- Existence d’un lieu espace/temps de régulation, système transitoire permettant
d’affiner la compréhension des objectifs et d’établir des repères sur les parcours
professionnels (statut, carrière)
- Relation entre les acteurs et la sphère décisionnelle : l’éloignement favorise les
inquiétudes
- Nécessité d’établir des critères clairs pour l’obtention de postes à responsabilités
- Nécessité d’accompagnement pour les transformations de postes post-fusion, et donc
de mise en place préalable de gestion des compétences sur un mode de développement
horizontal
Les acteurs défensifs se situent suivant les gains qu’ils peuvent espérer de la nouvelle
organisation. En cela leur comportement est également opportuniste mais avec un faible
marge de manœuvre. Les acteurs anomiques sont dans le « subi ». Leur marge de manœuvre
est inexistante et les gains ne peuvent être qu’individuels et souvent subjectifs.
3° Les acteurs se sentent d’autant moins désorganisés que l’organisation a développé des
capacités à faire accepter le changement, des processus d’homogénéisation des pratiques
professionnelles, une évaluation de la plus value pertinente pour l’usager en parallèle du
calcul de sa propre efficience.
Ces premiers résultats exploratoires montrent la possibilité de reconstruction des acteurs, mais
identifient également leurs facteurs clés de succès : appartenance antérieure, niveau
hiérarchique et marges de manœuvre en sont les principaux items. Prendre en compte ces
observations et les intégrer dans le champ conceptuel du manager de service public paraît
évident. Mais cela suffit-il à compenser le fossé creusé entre un état stratège et des
opérationnels ? La critique du managérialisme doit certainement trouver là un lieu de forces
de propositions. C’est la conclusion majeure des acteurs interrogés.
92
Instance Nationale Provisoire
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219
La réorganisation des services publics : désorganisation ou reconstruction des acteurs.
Anne-Marie Fray
4. Conclusion
Les réorganisations du service public ne font que commencer dans un climat général marqué
par une forte incertitude, due à la fois au mode de fusion et à l’attitude des principaux
acteurs. Ces modes de fusion-réorganisation se situent dans le champ des fusions forcées,
alors que les principaux acteurs varient de la réticence à l’adhésion. Le système des
réorganisations est donc un système forcé de changement subi. Suivant les gains qu’il peut
en tirer l’acteur se situe dans un positionnement plus ou moins positif ou négatif, plus ou
moins offensif ou défensif, voire anomique. Ces différents éléments font apparaître des
situations de gestion intéressantes à examiner tant sur le plan conceptuel que sur celui de
l’action. La capacité de l’acteur à se réorganiser dans un nouvel environnement doit
s’accompagner d’une assurance de continuité sur son espace de vie, ce qui ne signifie pas
refuser un autre changement, mais intégrer un projet correspondant à une stratégie cohérente.
La réorganisation ne peut être rassembleuse que si elle prend souche dans un projet qui aille
bien au-delà du simple suivi de la réorganisation juridico-administrative des entités
fusionnées : elle doit permettre de lier la structure visée et le collectif d’individus qui l’anime.
Ce sont sans doute ses derniers points qui doivent interroger l’auditeur dans sa dimension
sociale.
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220
Méditerranée : rupture ou unité ?
Soufyane Frimousse
MEDITERRANEE : RUPTURE OU UNITE ?
Soufyane FRIMOUSSE
Maître de Conférences
IAE de Corse
[email protected]
1. Introduction :
Entre les rives Nord et Sud de la Méditerranée, ces croisements ne facilitent pas la découverte
de l’autre. Bien au contraire, elles sont guidées le plus souvent par la « glottophagie » qui
consiste en un désir irrépressible de consommer « l’autre » comme image, de le réduire ou de
le soumettre à la domination (Etienne, 2003). Le regard enferme « l’autre » dans sa plus
étroite appartenance et devient ainsi une source d’angoisse. L’autre n’est que toléré ou exclu.
En Méditerranée, malgré l’héritage de l’Andalousie, la seule idée qui a très peu changé est
qu’il y a un « nous » et un « eux », l’un et l’autre bien établis. Ces modes de pensée basés
essentiellement sur la distinction culturelle conduit à la séparation entre la rive européenne et
la rive maghrébine.
Chacun se définit dans un jeu de miroirs avec son voisin qui partage les mêmes références
abrahamiques dont le 11 septembre 2001 marque la violence physique/symbolique. Selon la
thèse du « choc des civilisations », développée notamment par Huntington (1996), la
Méditerranée est la zone de séparation entre l’Occident judéo-chrétien et le Levant arabomusulman. De nos jours, les représentations mentales empêchent de voir la Méditerranée et
d’apprécier son héritage (Morin, 1999). Les relations entre une rive et l’autre de la
Méditerranée sont une accumulation de tensions, d’incompréhensions, de replis qui se
cristallisent autour de l’opposition Islam/ Occident. Deux civilisations s’entrechoquent depuis
plusieurs siècles. La Méditerranée, dans ces conditions, ne serait au mieux qu’une utopie, une
construction artificielle.
Comment expliquer ces peurs multipliées et ces passions irraisonnées ? La Méditerranée estelle (re) devenue le nouveau théâtre des chocs ou au contraire peut-elle (re)devenir une mer
qui transcende les oppositions ? Est-il possible d’aller plus loin que ces formules qui
nourrissent la dynamique des affrontements et façonnent le face à face entre « Eux » et
« Nous » ?
La communication insiste donc sur le décalage entre les réalités méditerranéennes et les
discours/récits bienveillants. Il s’agit d’aller au-delà de la scène illuminée du dialogue
interculturel et de décortiquer l’obscurité des faits. Les clivages actuels semblent puissants. La
Méditerranée reflète treize siècles de conflits entre deux univers culturels, entre la rive nord
européenne « judéo-chrétienne » et la rive sud « arabo-musulmane ». Cette proximité entre
deux dimensions culturelles aussi importante constitue l’ossature à toute analyse
interculturelle de la Méditerranée. Pourquoi les mémoires retiennent-elles la Méditerranée de
la rupture et non pas celle de l’unité ? Pourquoi les thèses de H. Pirenne et S. Huntington qui
morcèlent la Méditerranée en un Nord chrétien et un Sud musulman sont préférées à la pensée
des deux rives de J.Berque ? Il s’agit d’interroger les fractures historiques, culturelles et
d’esquisser les formes de leur possible dépassement car la Méditerranée peut constituer une
source cachée. Nous avons la conviction que le fonds culturel méditerranéen dépasse les
dimensions maghrébines ou européennes et constitue un ethos partagé par les peuples de
toutes les rives méditerranéennes. Cet ethos constitue-t-il la base d’une civilisation hybride et
optionnelle93 ?
93
Expression empruntée à Huntzinger (2010).
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221
Méditerranée : rupture ou unité ?
Soufyane Frimousse
2. Les cultures entre les rives de la Méditerranée : entre hérodianisme et zélotisme.
Selon Hofstede (1994), la culture est par essence une programmation mentale collective que
nous partageons avec les autres membres de notre nation, mais aussi de notre région, de notre
groupe. La capacité à comprendre puis s’adapter aux spécificités d’une situation d’interaction
interculturelle est désignée dans le concept de compétence interculturelle (Trompenaars,
Hampden-Turner, 2001). Cependant, la culture est un déterminant nécessaire mais non
suffisant. Sans rejeter l’intérêt des approches culturalistes, il semble nécessaire de les
compléter avec les approches néo-institutionnalistes. Les entreprises des rives Nord et Sud de
la Méditerranée sont « encastrées » dans des systèmes culturels et contextuels opposés rendant
les rencontres difficiles et complexes. En effet, la culture des deux rives, symbole de
l’Andalousie, semble constituer un mythe tant les sociétés des rives nord et sud de la
Méditerranée sont éloignées. Un positionnement vis-à-vis d’autrui mène à des phénomènes de
rejets, de défenses ou d’enfermement. Toynbee (1994) qualifie la première alternative
d’hérodianisme. La seconde est nommée zélotisme. Le zélote exalte sa culture et ses
spécificités tout en diabolisant la culture dominante. Le zélotisme peut engendrer des
réactions violentes.
2.1 Un mythe unitaire : de la scène illuminée du dialogue interculturel…
Al-Andalus a connu une coexistence des cultures et religions islamique, chrétienne et juive
pendant presque huit siècles au Moyen Age. Elle était un espace privilégié de dialogue et de
rencontre. La culture grecque, la philosophie, les sciences de l’Inde, la Perse, la Chine ont été
transmises à l’Europe. Al-Andalus était la jonction de l’Occident et l’Orient. La Méditerranée
était un pont entre des univers de sens immenses et complexes. Aujourd’hui, elle est une ligne
de fracture et de division. De nos jours, la rencontre entre l’Occident figé et l’Orient asphyxié
donnent des hommes mal dans leur peau et mal dans leur époque.
La Méditerranée juxtapose des mondes fermés les uns par rapport aux autres avec la montée
de l’incompréhension et de l’intolérance. L’Andalousie est un exemple et un message
universel de partage, de quête de sens et de responsabilité. Retrouver l’héritage d’Al-Andalus
est souhaitable mais est-ce possible dans un contexte méditerranéen marqué par des enjeux
économiques, politiques, géostratégiques si complexes ? Les relations entre les différentes
populations des deux rives de la Méditerranée ne facilitent pas l’émergence de collectivités
métisses. Dans les meilleurs cas, elles suscitent une coexistence pacifique. Les barrières
essentiellement religieuses des monothéismes demeurent souvent infranchissables. Sur la rive
Nord, pour beaucoup, l’islam est considéré comme une civilisation inférieure, irrationnelle,
sexiste et agressive. Sur la rive Sud, pour beaucoup, l’Europe judéo-chrétienne est considérée
comme un monde fermé, intolérant, méprisant et agressif. Il y a des pratiques et des
comportements notamment à travers les médias générateurs d’un vrai conflit civilisationnel.
2.1.1 L’unité méditerranéenne : une fabrication anthropologique.
L’idée d’une Méditerranée considérée tel un espace de rencontres et de métissage a pris forme
à la fin des années 1930, en Afrique du Nord dans les milieux européens en contact avec le
Maghreb colonisé et s’est exprimé notamment grâce à Armand Guibert et Albert Camus.
Selon Tozy, la Méditerranée est une fabrication anthropologique qui s’est construite à partir
d’un certain nombre de questions : la famille, la vengeance, la cuisine, le rapport au temps, à
l’espace, à l’architecture. L’unité méditerranéenne reposerait sur des strates géographiques,
historiques et culturelles qui forment un substrat commun. La Méditerranée représente le
facteur commun des peuples riverains. Cette mer est génératrice d’un climat particulier qui
offre de paysages uniques, marqués par la clarté de la mer, un fort ensoleillement, une
végétation singulière avec notamment les pins, la vigne et les oliviers. L’identité
méditerranéenne est d’abord géographique (climat/relief). Elle comporte ensuite des usages
culturels spécifiques. Ce sont les modes de vie (l’art de cultiver la terre, l’art culinaire, le rôle
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Méditerranée : rupture ou unité ?
Soufyane Frimousse
de la table, l’idée de Dieu…(Porcel. 2000). La ville est également un élément du patrimoine
méditerranéen. Résider en ville, c’est être le maître. Résider en dehors de la ville, c’est servir
un maître. L’urbanisme méditerranéen est divisé entre l’espace public réservé à l’homme et
l’espace privé réservé à la femme. La ville méditerranéenne est le lieu du commerce et de la
culture, du loisir et de l’échange, du spectacle et de la prière. L’agora, le temple, la place, le
forum, l’église, la mosquée expriment cette civilisation citadine.
L’unité culturelle méditerranéenne a surtout existé pendant la période greco-romaine qui
regroupait un ensemble formé par l’héritage des Egyptiens avec le règne des pharaons, des
Phéniciens avec Carthage et la domination grecque. Le partage et l’échange ont enrichi la
connaissance dans plusieurs domaines dont l'écriture et les techniques commerciales...
2.1.2 La culture des deux rives : Mare nostrum
Pendant des siècles, la Méditerranée fut un « lac romain » entouré par l’empire qui l’appela «
Mare Nostrum » (Notre Mer). Maurice Sartre explique comment l’unification culturelle a
précédé l’unification politique. L’osmose culturelle concernait essentiellement le référent
greco-romain. Dans la vie quotidienne, les communautés locales bénéficiaient d’une grande
autonomie. Les Romains n’ont pas fait de leur Empire une société « coloniale ». Ils
accordaient la citoyenneté à des gens qui n’étaient pas ethniquement romains…Rome n’avait
pas la volonté d’imposer une norme unique. L’hégémonie politique ne s’accompagnait pas
d’une hégémonie culturelle. La culture romaine s’est propagée sur le bassin méditerranéen
tout en favorisant le métissage. L’art de la mosaïque représente cette capacité à générer une
culture commune. Le monde gréco-romain procédait d’un véritable enjambement des rives.
Selon l’historien, dans le monde antique, aucune religion ne prétendait détenir la vérité. Avec
Constantin l’empire débute sa conversion au christianisme. Constantin favorise l’Eglise, mais
ménage les païens qui constituent l’immensité de son empire. Il faudra attendre la fin du IVe
siècle en 380 avec Théodose pour faire du christianisme la religion officielle et obligatoire de
l’empire romain.
2.2. Aux réalités : des cultures éloignées, traumatisées et divisées.
Les travaux de Samuel Huntington sur le choc des civilisations ont suscité de nombreuses
réactions. Ces pensées complexes ont le mérite d’insister sur l’importance des civilisations qui
régissent les Etats et les frontières. Huntington a rédigé sa théorie suite à l’ouvrage de
Fukuyama qui défendait la thèse de la fin de l’histoire car le bloc communiste s’était effondré.
Pour Huntington, les idéologies se sont essoufflées mais les civilisations les remplacent,
provoquant un choc. Le combat entre Etats ne concerne plus les idéologies (capitalisme,
communisme) mais les civilisations (les cultures, les valeurs…). Le monde est désormais
multipolaire et multicivisationnel. La Méditerranée est le lieu par excellence du conflit entre
civilisations au sens « huntingtonien ».
2.2.1 Une appartenance méditerranéenne interrogée et appréhendée différemment.
Laurens (2010) considère la Méditerranée comme un mythe ou un rêve. Cela a d’abord été un
imaginaire alimenté par les écrivains, Nerval, Flaubert, Camus, Valéry. Cette Méditerranée
était considérée comme un refuge à la modernité. Les cahiers du Sud vantent l’existence d’un
humanisme méditerranéen, une civilisation au service de l’homme et non faite pour l’écraser.
Plusieurs projets souhaitent concilier l’ensemble des héritages culturels jusque-là posés en
confrontation : le judaïsme, le christianisme, l’islam. En 1933, lors de la création du centre
universitaire méditerranéen de Nice, Paul Valéry insiste sur le rôle civilisationnel de la
Méditerranée qui combine la parole et la raison. Pour Camus, la « pensée du midi » est une
lumière contre l’obscurité européenne. Le mythe méditerranéen a d’abord été un mythe
français, puis européen. Huntzinger affirme qu’il n’a jamais été porté par la rive sud laquelle
était plutôt influencée par le nationalisme, l’anticolonialisme et l’anti-impérialisme.
Rappelons qu’en Egypte, Taha Hussein, dans l’Avenir de la culture en Egypte de 1938, vante
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Méditerranée : rupture ou unité ?
Soufyane Frimousse
l’appartenance méditerranéenne de son pays ! La référence à la civilisation occidentale n’est
pas perçue comme un facteur étranger mais plutôt comme une composante de la culture
égyptienne. Ainsi sur la rive nord, l’humanisme méditerranéen conteste la civilisation
techniciste et aliénante alors que sur la rive sud, il est un projet d’accès à la modernité.
Actuellement, la Méditerranée refuge de Matvejevic et Cassano est un appel à une pensée des
deux rives face à un Nord surpuissant, déshumanisé et postmoderne (Huntzinger, 2010). Pour
Morin, la mer matricielle est devenue vide. Le désir de la Méditerranée doit être confronté à la
réalité. Rappelons les meurtres confessionnels, les caricatures, les peurs, les exclusions.
2.2.2 De véritables failles séparatrices.
Les cahiers du Sud dirigés par Jean Ballard et les ouvrages de Jacques Berque ont présenté la
Méditerranée comme une terre de contact. Malgré les tentatives de rapprochement, les
populations des deux rives ne se reconnaissent pas méditerranéennes. Depuis trente ans, les
conflits se multiplient. C’était déjà Israël contre la Palestine ; à ce premier foyer de malheur se
sont ajoutés, depuis, la guerre meurtrière du Liban, l’explosion des Balkans et le drame
algérien. Sur la rive Nord, « l’Arabe », en raison de la crainte de l’immigration non contenue,
du terrorisme, de l’histoire coloniale (guerre d’Algérie, l’expédition de Suez, les rapatriés
d’Algérie, les guerres d’Irak), est trop souvent considéré comme l’ennemi irréductible de la
civilisation européenne occidentale.
Il représente une image, une classe qui aurait perdu sa qualité d’homme. Il serait antidémocratique, anti-amour, anti-femme…Sa langue, son théâtre et sa poésie intéressent très
peu. Ses croyances sont généralement considérées comme des superstitions. Certains médias
usent de techniques de manipulation. L’islam y est présenté comme une religion des
extrêmes, objet d’une pression constante qui tend à pousser à un repli. La grande majorité des
musulmans se retrouvent dans une posture défensive et forcés de se définir, non pas par ce
qu’ils sont, mais parce qu’ils ne sont pas. L’image de l’islam est souvent associée au
terrorisme à l’extérieur et à la délinquance à l’intérieur. Le musulman doit être modérément
musulman. Trop souvent, il devient radical aux yeux de certains s’il veut pratiquer son culte.
De véritables failles séparatrices existent dans les sphères économiques et démographiques.
Sur la rive Sud de la Méditerranée se nourrit, contre le Nord, une haine alimentée par la
misère, le sentiment d’injustice et le mépris. La pauvreté est d’autant plus ressentie qu’elle est
subie sous l’œil des riches qui s’installent dans d’anciens quartiers populaires transformés en
luxueux ryads. De la France, de l’Italie et de l’Espagne seuls proviennent quatre cinquièmes
du PIB, autrement dit : 80% des richesses engendrées tous les ans en Méditerranée. Plus
parlante encore à l’imagination, apparaît la différence de revenus entre un Egyptien et un
Français : quand le premier gagne un euro, le second en empoche plus de trente. Pour les
entreprises situées sur la rive Nord de la Méditerranée, le Sud et l’Est de la mer ne
représentent qu’un maigre marché : ils n’y vendent que 10% de leurs exportations, pas
davantage qu’à Taïwan avec ses 20 millions d’habitants. Face à cette fracture, l’Union
européenne, dominée par les pays Nord ne parvient pas encore à se doter d’une politique et
d’une stratégie bien définie malgré les tentatives du processus de Barcelone et le projet
d’Union pour la Méditerranée.
Les Américains, lorsqu’ils veulent assurer leur maîtrise dans une Méditerranée qu’ils
connaissent mal, ne se rendent pas compte que leur système économique et modèle
managérial dont ils prônent les prétendues vertus ne convient pas aux réalités contextuelles de
cette région du monde.
Le paysage est donc bien sombre. Il s’obscurcit encore davantage lorsqu’on considère les
dangers qui s’amoncellent à l’horizon de quelques années. Tout d’abord, une bombe
démographique risque d’exploser. Les prévisions suggèrent que la population
méditerranéenne atteindra le chiffre de 600 millions de personnes en 2025 et de 900 millions
en 2050. Cette masse humaine risque de se déstabiliser pour deux raisons. L’urbanisation, tout
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Méditerranée : rupture ou unité ?
Soufyane Frimousse
d’abord, détruira les modes de vie traditionnels puisque, dès 2025, 80% des Méditerranéens
auront quitté les villages et se concentreront dans des villes encombrées et polluées. Plus
grave encore apparaît être la seconde menace.
En effet, les deux rives connaissent deux régimes démographiques opposés. Au Nord, la
fécondité est chétive : 1,3 enfant par femme en Lombardie ; au Sud : trois à quatre enfants par
foyer. En dépit des réserves et des craintes engendrées par les immigrés, les pays du Nord
vieillissants auront besoin de main d’œuvre dans certains domaines d’activité, tandis que les
terres du Sud et de l’Est, en régime de poussée démographique, déborderont d’un excès de
jeunesse. Du Maghreb au Proche-Orient, la pression démographique attise les besoins de
croissance mais celle-ci est freinée. Par conséquent, le chômage ne peut que s’étendre,
suscitant, ici et là, des explosions sociales. (Frimousse et Orsoni, 2010).
3. Une altérité désespérante et une Méditerranée bleue hématome.
Le conflit civilisationnel se nourrit des séquelles de la longue histoire commune et de la
controverse religieuse médiévale entre les sphères des deux structures centrales de la
Méditerranée : la sphère chrétienne et la sphère musulmane. Jocelyne Dakhlia (2009) est
persuadée que la peur de l’islam coïncide avec un retour, conscient ou inconscient, aux
racines chrétiennes de l’Europe. Dès les premiers contacts, la sphère chrétienne a du mal
avec l’islam car il prétend dépasser le christianisme. Selon Djaït (1989), les consciences
occidentales et orientales médievales puisent les fondements de leurs représentations
réciproques de la phase d’expansion de l’islam. Pour l’islam, l’Europe est perçue comme le
monde barbare « dar al-harb ». Pour l’Europe de la chrétienté, l’islam est à rejeter à cause
de la prophétie de Mohammed et de la peur de la conquête.
3.1 La Méditerranée : carrefour des civilisations, voie à sens unique ou voie sans issue ?
Le VIIème siècle est celui de l’émergence de l’islam en Méditerranée. Pendant treize années,
à la Mecque, le prophète Mohamed a une prédication religieuse à partir de la révélation divine
reçue. En 622, il s’exile vers Médine. Selon Huntzinger (2010), l’Hégire marque le passage
de l’islam religion à l’islam puissance. L’Hégire fait émerger un pouvoir prophétique et une
communauté (Umma). La période des premiers califes correspond à un essor religieux et
territorial de l’Umma. En 640, la moitié de la Méditerranée est arabe. Deux civilisations
s’étendent désormais en Méditerranée. Selon Pirenne, la mer qui avait été jusqu’ici le centre
de la chrétienté devient une frontière entre deux civilisations. L’historien affirme que les
conquêtes arabes ont mis fin à l’unité du monde méditerranéen.
L’arrivée de l’islam aurait provoqué une fracture. Pour Marwan Rashed et alii (2009),
interpréter cet événement comme une rupture correspond à une erreur historique. L’évolution
du monde islamique débouche aussi sur une ouverture à d’autres horizons. Par contre, en
1798, avec la campagne d’Egypte de Bonaparte, s’est opéré un profond basculement. Du
point de vue de la rive sud, la colonisation inverse le rapport des forces en vigueur jusqu’à
l’Expédition d’Egypte, puisque, ces sociétés dominatrices sont passées sous la tutelle des
puissances européennes. La colonisation s’est bien évidemment appuyée sur des idéologies
qui avaient tout intérêt à prôner la rupture.
3.1.1 Des conquêtes aux systèmes de domination.
Les relations entre les deux rives ont été caractérisées par la conquête qui a produit des
systèmes de domination. Les empires coloniaux ont pris fin en Méditerranée au milieu du
XXième siècle, avec la crise de Suez et la fin de la guerre d’Algérie. Les indépendances et les
décolonisations leur ont succédé. Ces périodes de colonisation et décolonisation ont façonné
des clichés et des stéréotypes. Saisir ces périodes coloniales est indispensable pour
comprendre les interactions entre cultures et les représentations dans un temps postcolonial.
Les sociétés coloniales opposent de manière binaire en procédant par des classifications.
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Méditerranée : rupture ou unité ?
Soufyane Frimousse
L’idéologie coloniale était une idéologie d’expansion. L’expansion était fondée sur
l’eurocentricité. Le monde était divisé en deux : centre et périphérie, créativité et transfert,
maître et disciple. Raison contre magie, logique contre superstition, pensée civilisée contre
pensée sauvage, celui qui pense et celui qui agit, celui qui planifie et celui qui exécute, celui
qui domine et celui qui est dominé. L’Autre n’est que le lieu de la matière première, du travail
bon marché.
Cela a créé dans la conscience européenne de l’époque un complexe de supériorité et dans la
conscience non européenne un complexe d’infériorité (Hanafi, 2004). Les expositions
coloniales, les récits de voyage, les films… contribuèrent à donner une démonstration muette
de la division entre Nous et les Autres. Dans la société coloniale, les échanges existaient entre
« Arabes » et « Européens ». Toutefois, ces rapprochements se réalisaient prisonniers de
rapports sociaux fortement hiérarchique et inégalitaire.
Sur les rives sud de la Méditerranée, les mouvements de décolonisation s’appuyaient sur le
nationalisme arabe, un panarabisme marxiste, un mouvement islamique et un mouvement du
Tiers-Monde. Après les périodes postcoloniales, les Etats indépendants ont perdu leur
légitimité interne et ont essayé de trouver une légitimité externe. L’Etat indépendant, produit
d’un mouvement d’indépendance nationale, est redevenu dépendant des pouvoirs extérieurs.
Ainsi, si les années cinquante et soixante correspondent à des décennies d’indépendance, les
décennies suivantes sont celles de la dépendance. Ce qu’il y a de terrible avec le colonialisme,
ce n’est pas qu’il interrompe l’histoire d’un peuple, mais plutôt qu’il pousse celui-ci à revenir
en arrière (Boudjera, 2010).
3.1.2 En Méditerranée, « la croisade s’amuse ».
La première guerre contre l’Irak marque le véritable début de l’affrontement civilisationnel
Nord-Sud. La pax americana portée par le déploiement de forces armées s’est accompagnée
d’une guerre psychologique soutenue par les médias. Cet évènement majeur symbolise la
première grande rupture, confrontation, conflit dans lequel l’élément culturel a un rôle
prépondérant. Il s’agit de l’échec du dialogue Nord-Sud, Occident-Orient soulignant l’absence
d’efforts pour comprendre et parler les langages du Sud et du Nord (ElMandjra, 1992).
Depuis le 11 septembre 2001, les réflexes de repli et de peur de l’Autre se sont amplifiés,
encourageant une politique guerrière et conquérante.
G.Bush parlait de croisade contre le mal. La question du pourquoi fut négligée. La seule
explication apportée était la suivante « Ils détestent notre démocratie » « nous sommes des
gens bons » « nous sommes visés car nous sommes le phare le plus brillant de la liberté ».
G.Bush et T. Blair expliquaient qu’il s’agissait d’une guerre pour la démocratie et la liberté
(Fisk, 2005). Cette vision est diffusée sur la rive Nord posant ainsi la violence comme facteur
endogène à la religion musulmane.
Sur la rive Sud, le discours idéologique « djihadiste » génère des replis identitaires et des
actes de violence en dénonçant la volonté hégémonique. Suite à ce drame, les logiques
binaires et simplistes sont donc de retour accompagnées des pensées « pirenienne » et
« huntingtonnienne ». Le choc des civilisations est à l’œuvre, scindant le monde en deux
parties adverses vouées à l’affrontement armé.
Quelques jours après l’invasion américaine, Moncef Marzouki rédigeait un article publié dans
un journal arabe, intitulé « le baiser de la mort au projet démocratique arabe ». L’auteur
insistait sur les effets catastrophiques de cette intervention sur la démocratisation du monde
arabe. Difficile de justifier auprès des peuples arabes la vision démocratique américaine en
Irak. Cet acte et sa gestion ont augmenté l’hostilité de l’opinion publique arabe et sa tendance
à rejeter l’Occident et la démocratie en omettant que la plus grande démocratie au monde est
l’Inde, pays appartenant à « l’Orient ».
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226
Méditerranée : rupture ou unité ?
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3.2 Derrière le rameau d’olivier : la mitraillette ou la réconciliation.
Les discours, la diplomatie, les ouvrages, le cinéma, la presse, la télévision sont souvent au
service de l’épée. Derrière le rameau d’olivier à la main se cache une grenade dans la poche.
La parole de paix dans les hautes instances internationales a pour écho une volée de coups de
canon. La mitraillette n’a jamais été une clé de compréhension. Elle ouvre les crânes mais elle
ferme les cœurs et les âmes. Faire la paix, c’est d’abord se soigner soi même et cesser
d’estimer que la mort est pour les autres, pour les gens inférieurs et arriérés.
3.2.1 Des considérations confessionnels masquant des intérêts économiques et géostratégiques.
Derrières les considérations d’ordre culturel et confessionnel, des intérêts financiers et géostratégiques dictent les actes des grandes puissances en Méditerranée. Les deux rives ne sont
considérées qu’en termes de surfaces stratégiques et économiques et nullement en tant que
sphère vivante. Les approches quantitatives évaluent les civilisations en tonnes de pétrole, en
marchés, en kilomètres de routes, de câbles sans tenir compte des êtres humains. Il est
généralement accrédité que le prophète Mohammed a lancé ses cavaliers à l’assaut de
l’Ancien monde. En fait, cette invasion est mue par la conquête et non pas la diffusion de la
religion. Rappelons que les tribus arabes se trouvaient économiquement dépourvues. La
religion musulmane est venue se superposer à ce mouvement de conquête permettant de le
coordonner. La conquête arabe n’a pas pris le caractère d’une lutte confessionnelle.
N’oublions pas que les chrétiens d’Egypte ont fourni des soldats aux califes. Sur la rive Nord,
ils n’étaient pas question de résistance au nom de la foi contre les cavaliers d’Allah. Venonsen maintenant aux croisades. Elles sont postérieures de quatre siècles à l’installation de
l’islam en terre sainte. Pendant cette longue période aucun litige grave n’opposa l’Eglise aux
califes. C’est contre les Turcs musulmans que fût prêchée la première croisade. Derrière ces
guerres s’abritaient des intérêts qui dépassaient l’Au-delà.
3.2.2 La conciliation du fauteuil et de l’esprit.
Le discours du Caïre de B. Obama de juin 200994 pourrait laisser espérer un déplacement des
frontières imaginaires. Au Caïre, Barack Hussein Obama a affirmé qu’il était venu chercher
un nouveau commencement entre l’Occident et l’islam, qui se fonde sur un respect mutuel et
sur le fait que l’Amérique et l’islam ne sont pas exclusifs l’un de l’autre et ne sont pas voués à
se faire concurrence. Le Président a insisté sur le chevauchement et le partage des principes
communs : justice et progrès ; tolérance et dignité de tous les êtres humains. Malgré les
souhaits de quelques stratèges, la guerre d’Algérie, l’expédition de Suez, les deux guerres
d’Irak, le 11 septembre, les liens immémoriaux que les siècles ont tissés entre les deux rives
résistent aux entreprises de démolition. Toutefois, il est urgent de se débarrasser de ces
systèmes de confrontation injectés au sein de la Méditerranée. Il est important de « concilier
le fauteuil et l’esprit » « l’esprit libertaire et la sensibilité à l’authentique ». Tous les
hommes de toutes confessions ont durant leur vie matérielle et spirituelle les mêmes besoins,
94
« Tant que notre relation sera définie par nos différences, nous renforcerons ceux qui sèment la haine et non
la paix, et qui promeuvent le conflit plutôt qu’une coopération qui peut aider nos peuples à parvenir à la justice
et à la prospérité. Ce cycle du soupçon et de la discorde doit cesser… Instruit en histoire, je connais aussi la
dette de la civilisation envers l’islam. Ce fut l’esprit d’innovation qui soufflait sur les communautés musulmanes
qui a produit l’algèbre, nos compas et outils de navigation, notre maîtrise de l’imprimerie, notre compréhension
de la transmission des maladies et des moyens de la soigner. La culture musulmane nous a donné des arches
majestueuses et des spirales élancées, une poésie éternelle et une musique magnifique ; une calligraphie
élégante et des endroits de paisible contemplation...De même que les musulmans ne correspondent pas à un
stéréotype grossier, l’Amérique n’est pas le stéréotype grossier de l’empire mû par ses seuls intérêts. Les EtatsUnis ont été l’une des plus grandes sources de progrès que le monde n’ait jamais connues. » Extrait du discours.
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les mêmes faims et les mêmes souhaits de paix. Il s’agit de ne plus empoisonner mais plutôt
fertiliser la Méditerranée.
Ne plus diviser mais mêler les sphères « arabes » et « européennes »95. Croiser les « routes »
culturelles propices à l’établissement d’une civilisation hybride. Cette perspective de
rapprochement est l’affaire des sociétés civiles des deux rives. Cependant, les Etats ont
également un rôle prépondérant. En effet, la nature des régimes est essentielle. Il semble
difficile d’unir démocraties et autoritarismes. L’union européenne n’a démarré qu’après la
chute des régimes de Franco ou Salazar. Il est bon de se rappeler que le pouvoir est une
fonction temporaire et non pas un privilège éternel. Arabes et Israéliens doivent faire la paix.
Difficile d’être partenaires en situation de guerre. Plus essentiel encore, il est impératif
d’arrêter le double discours et la démocratie à géométrie variable. Lutter contre la terreur ne
revient pas à lutter contre la démocratie. En déroulant le tapis rouge sous les pieds de certains
dictateurs de la région, les démocraties « occidentales » rendent détestable l’idée même de
démocratie aux oreilles de millions d’Arabes. En soutenant des régimes devenus souvent des
corps étrangers dans leurs propres sociétés (exemple de Ben Ali en Tunisie), les grandes
puissances perdent de leur crédibilité. A travers ces attitudes, les dirigeants des grandes
puissances de la rive nord bloquent les démocrates arabes entre le marteau de l’intégrisme et
l’enclume de régimes souvent autoritaires. Pour Olivier Roy (2002), appuyer des régimes
sclérosés amène à favoriser le maintien des causes mêmes des hantises des pays de la rive
nord : le terrorisme et l’émigration. Les sociétés civiles sont en voie de démocratisation
portées notamment par les technologies, la télévision satellitaire, Internet96. Ce mouvement
ne doit pas être freiné et affaibli par les dirigeants des pays du Nord. C’est l’une des
conditions à la conciliation (Marzouki, 2004).
4. Malgré ces failles…. Un fonds culturel.
Pour reprendre l’expression d’Etienne (2003), les pays du Maghreb et de la rive occidentale
de l’Europe (Espagne, France et Italie) sont des « grains de grenade» pas tout à fait
semblables mais côte à côte dans le même ensemble. De multiples et intenses échanges ont
provoqué un fonds commun. Les caractéristiques de ce fonds culturel reposent sur certaines
valeurs : la famille, le rôle des anciens, l’importance des émotions, l’usage de la parole, la
conversation et surtout le sens de la mesure.
4.1 Un « air de famille ».
Les sociétés méditerranéennes ont un air de famille. Une toile de connivences culturelles
permet aux hommes de se connaître et de se reconnaître. Pour Cassano (2005), la pensée
méditerranéenne, qu’il nomme pensée méridienne, se reflète dans la fraternité et dans
l’importance accordée aux liens sociaux.
4.1.1 Entre déracinement, enracinement et encastrement.
Cassano (2005) situe la « pensée » méridienne entre l’immobilisme de la terre (tradition) et la
mobilité de l’océan (modernité). Pour Nietzsche, la mer représente la découverte et la terre est
une chaîne. Le déracinement est donc nécessaire. A l’opposé, Heidegger pense que la terre
renvoie aux fondations et aux repères qui orientent l’être humain. Ces deux visions opposées
deviennent communes dans la pensée méridienne qui se positionne sur un va-et-vient
permanent entre déracinement et enracinement. Elle limite les effets néfastes de la terre grâce
à la mer et vice-versa. En Méditerranée, le monde domestique-familial reste souvent le cadre
dominant. Famille et traditions-coutumes sont encore des référents prégnants. Les positions
95
Nous regroupons les cultures en deux grandes sphères sachant que ces dernières sont multiples : arabes,
kabyles, chaouis, chleuhs, sahariens, rifains, corses, provençaux, juifs…
96
Pensons à la révolution du Jasmin en Tunisie.
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hiérarchiques et les chaînes de dépendance sont très importantes. L’individu ne peut être
dissocié de son appartenance à un corps social plus large, un groupe. Il est un maillon dans
une chaîne d’êtres. Certes, les sociétés méditerranéennes évoluent avec les effets de la
«mondialisation», la montée concomitante de l’individualisme et la prépondérance des
considérations financières…Toutefois, la dimension communautaire constitue encore le noyau
dur de la société des régions qui nous concernent.
4.1.2 Les valeurs de la Méditerranée : le symbole d’Ulysse.
En Méditerranée, les relations entre les peuples ont été faites d’affrontements et d’apports
réciproques. De ces interactions, résulte un éthos commun qui correspond à un ensemble de
valeurs et d’attitudes. Les relations sont plus humaines et moins mécaniques. Le travail n’est
pas uniquement au service de la maximisation des profits personnels. Il vise d’abord la
satisfaction des besoins élémentaires d’un groupe. Toutes les pratiques doivent être acceptées
socialement. Ce processus vise à favoriser un sentiment d’appartenance, d’authenticité dans
un réseau social bien déterminé. Le mythe d’Ulysse/ navigateur errant et archer d’une
précision imparablement juste et mesurée symbolise les valeurs de la Méditerranée. Les
aventures d’Ulysse lui enseignent la sagesse la plus ordinaire et la plus commune : la
patience. L’irrésistible désir de retourner dans son royaume fait tout le sens de sa vie. Ulysse
a refusé le cadeau empoisonné que lui proposait Calypso : l’immortalité, la condition divine.
Il a préféré retourner à Ithaque en restant un homme mortel. La démesure commence toujours
par le mépris de la vie humaine et le désir pervers de se faire dieu. Avec la démesure,
s’atrophie le dessèchement du cœur et de l’esprit. L’homme qui connaît ses limites, se sait
mortel, éphémère et relatif. Cette juste mesure nous permet de ne pas dépasser les bornes de
l’humain ! Au-delà des limites imposées à l’homme, son désir de savoir le conduit à la
perdition… Ulysse est englouti avec ses navires (Chabat, 2002).
4.2 Des barrières poreuses.
Historiquement, les antagonismes étaient et sont toujours forts, mais il ne faudrait pas oublier
que les moments d’affrontements sont aussi des phases de commerce, d’échanges et de
rapprochements avec l’autre. Il faut donc cesser à tout prix d’opposer Occident et Orient.
D’ailleurs, que représente l’Occident ? Là encore, rien n’est simple. Si l’Occident correspond
au G8, alors le Japon en fait aussi partie ! Rappelons que Maghreb signifie…Occident !
L’historien américain Bernard Lewis (2005) prétend que le monde musulman n’aurait pas eu
de curiosité pour les autres sociétés. Pour Jocelyne Dakhlia, le monde islamique avait une
connaissance des langues européennes très poussée. Alain de Libéra a mis en lumière les
sources arabes de la culture européenne. La langue franque a été cette langue commune
utilisée tant par les chrétiens que les musulmans (Dakhlia, 2009). Un héritage que l’on a trop
tendance à oublier par la faute des esprits dogmatiques qui s’approprient l’universel, s’en
arrogent le monopole et établissent une hiérarchie des valeurs, des civilisations et des cultures.
Parfois, ils l’imposent sans détours à autrui.
Dans cette posture dite universelle, la plus naturelle des attitudes, sans être la moins
dangereuse, consiste à réduire l’horizon des possibles à son unique point de vue. L’exclusif
est son territoire, sa propriété, l’universel son idéal. « Seule sa vérité est vraie, seules ses
raisons ont raison » (Ramadan, 2010). L’idéal est de dépasser les esprits dogmatiques et
binaires présents sur les deux rives en insistant sur la porosité des barrières, en accédant à la
complexité des points de vue et en introduisant de la nuance dans l’analyse et la lecture des
évènements.
4.2.1 Le dépassement des lectures binaires et dogmatiques : au-delà du démon croissant
sarrazin et du diable à la croix occidental.
Il est vrai qu’un écart politique existe encore entre une rive Sud marquée par diverses formes
de régimes autoritaires et la rive Nord régie par les principes démocratiques. Cependant,
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Abdou Filali-Ansary (2005) et Yadh Ben Achour (2008) constatent l’émergence sur la rive
Sud d’une véritable société civile marquant le dépassement du post-nationalisme arabe et du
post-islamisme. Ces modèles de transition favorisent des démocraties émergentes avec le
développement de l’expression libre malgré la non garantie de liberté d’expression par les
régimes en place. Les deux rives expriment des conceptions du droit opposées. La charia ou
loi divine au sud et le droit « laïcisé » au nord. Les politologues utilisent de préférence la
notion de sécularisation plutôt que celle de laïcité pour indiquer qu’une société estime que sa
loi ne dépend pas exclusivement de sa conception de la transcendance. La charia est un corpus
sacré dont l’application passe par le fiqh « droit musulman » qui est une élaboration humaine
encadrée par des principes stricts. Sur la rive sud, les activités économiques, commerciales et
administratives sont largement régies par des droits proches de la législation européenne.
Au Maghreb, le système juridique est très influencé en de nombreux domaines, par celui de la
période coloniale française. La séparation existe donc entre des secteurs sécularisés de la
société et un droit inspiré de la transcendance. Seule la sphère sociale reste proche du droit
musulman traditionnel. Il s’agit du statut juridique de la femme au regard du mariage, de
l’héritage, du divorce…Rappelons que la sécularisation de la société européenne ne s’est pas
réalisée sans résistances (Etienne, 2003). L’islam éprouverait quelques difficultés avec l’idée
de laïcité et sa transcription en texte de loi. Cependant, comme le rappelle Frégosi (2008),
toutes les religions n’ont pas accepté spontanément de se voir dessaisies de leur influence
sociale. L’image et la considération de la femme semblent aussi marquer un fossé entre les
deux rives. La femme européenne lutte pour l’achèvement de la concrétisation des principes
d’égalité, la non discrimination.
Elle cherche l’articulation entre la sphère privée et professionnelle. Au Sud, la femme serait
de plus en plus voilée, fondamentalement discriminée et sous l’autorité patriarcale du père et
du mari. Là encore, les femmes sont infiniment multiples. Une femme de prince qui passe ses
vacances en Corse et dépense des fortunes n’a que peu de rapport avec une femme berbère
des montagnes du Rif.
4.2.2 Sur les deux rives : une crise du sacré.
Les deux rives semblent éloignées avec le décalage entre une laïcité européenne et un
religieux islamique. L’un sort de la religion ou est dans un état de « religieux conscient » alors
que l’autre y demeure immergée et se situe dans un « religieux profond97 ». Toutefois, pour
Tozy (2009), la rive sud de la Méditerranée englobe un religieux traditionnel dans lequel le
politique et le social sont entremêlés, un religieux mystique, un religieux radical exprimant un
choc identitaire et un religieux moderne individualisé marquant le début du processus de
désenchantement avec la dissociation du religieux et du sociétal. Laïcité et religiosité
s’entremêlent. Signes extérieurs de la tradition et modernité cohabitent avec l’explosion de
l’utilisation des technologies de la communication (téléphone, paraboles, internet…). Sur la
rive Nord, la présence de nombreuses populations originaires du sud de la Méditerranée brise
les raisonnements binaires et la pseudo incompatibilité avec la laïcité !
Le Sud amorce un début de processus de sécularisation et de modernisation alors que le Nord
poursuit son désenchantement et entre dans l’hypermodernité. Un Sud « trop plein » de
valeurs et un Nord « trop vide » de son nihilisme. Les deux rives partagent une crise du
sacré. Chaque partie renvoyant à l’autre la responsabilité de sa propre crise. D’un côté, une
rive sur laquelle le sacré s’est largement immobilisé. Sur l’autre rive, la sécularisation a
entraîné une perte de contact avec la question du sens spirituel de l’existence. Sur le plan
spirituel, l’islam dit à l’Occident « N’as-tu pas évacué un peu vite la question spirituelle,
n’as-tu pas cru un peu vite que Dieu était mort ? ». L’Occident dit à l’islam : « N’as-tu pas
oublié de te régénérer ? » (Bidar, 2009). La rencontre de ces deux crises du sacré sur les
97
Cf. M. Gauchet (1985).
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rives de la Méditerranée permet-elle de sortir de la religion dogmatique sans perdre les
valeurs véhiculées ?
5. L’hypermodernité : une demande de Méditerranée ?
Les sociétés moderne et postmoderne et l’entreprise capitaliste managériale ainsi que son
modèle de management sont contestés facilitant l’émergence de nouvelles valeurs sociales qui
constituent l’hypermodernité. Les valeurs méditerranéennes semblent répondre aux nouvelles
attentes des sociétés hypermodernes du Nord.
5.1. De la modernité à la hyper-modernité.
La modernité a débuté au XVIIIe siècle. Elle se caractérise par de multiples découvertes
scientifiques et la propagation généralisée du bien-être. La pensée moderne repose sur le
triomphe de la raison. La modernité laisse les croyances religieuses dans la sphère privée.
L'homme de la modernité est amené à se « vendre », être « rentable » et « compétitif ». Au
début des années 80, Jean-François Lyotard lance le concept de post-modernité qui l'avait
présenté par la formule « la défaillance des grands récits ». Les grands évènements
historiques du XXe siècle dont les guerres mondiales ont marqué l'épuisement de la modernité
qui souhaitait émanciper l'humanité au nom du règne universel de la rationalité. Dans les
années 1950-1960, la consommation et la communication de masse ont propulsé et valorisé
les valeurs hédonistes avec notamment un culte des loisirs et du plaisir.
Emerge ainsi une société centrée sur l'individu, le bien-être et l'accomplissement de soi. Les
individus se libèrent de leur monde d'appartenance et de la tradition. Le droit à la liberté est à
la base de la post-modernité (Lyotard, 1979). La vie libre sans contraintes et le choix de son
mode d'existence marquent l'avènement de ce que Lipovetsky nomme la vie « en libreservice ». Dans L'Ere du vide, Lipovetsky (2006) montre que l’état actuel des sociétés
développées se caractérise par la montée du scepticisme, de l'incrédulité et d'une
transformation des comportements et des modes de vie. Apparaît ainsi l’hypermodernité dans
laquelle les logiques de singularisation, la lenteur et le sens de la mesure revêtent un intérêt
majeur.
5.1.1 L’éloge de la lenteur: un besoin hypermoderne proche du sens de la mesure
méditerranéen.
Dans un contexte hypermoderne, la personne est en quête de temps. Elle cherche à se guérir
de l’obsession du temps et revenir au sens de la mesure et fait l’éloge de la lenteur. Elle
cherche à aller moins vite. Elle privilégie la qualité au détriment de la quantité. Il s'agit de
trouver un meilleur équilibre entre activité et repos, travail et temps libre. Il s’agit de trouver
ce que les musiciens appellent tempo giusto, la bonne cadence, en allant vite lorsque notre
activité l'exige et en se ménageant des pauses (Honoré, 2004 ). Il s’agit du «juste milieu»
aristotélicien si cher aux socio-cultures non occidentales en général, et au Méditerranéooriental en particulier.
L'émergence du Slow Food en Italie marque incontestablement l’intérêt grandissant porté à
cette notion de lenteur. Ce mouvement, créé en réaction aux fast-foods, prône que nos
aliments doivent être cultivés, cuisinés et consommés tranquillement. Donc lentement. Le
Slow Food valorise tout ce que le fast-food bannit. En Italie, ce mouvement regroupe plus de
1 500 restaurateurs. Le mouvement Slow Food réunit plus de 100 000 membres à travers le
monde. Selon Carlo Petrini, son fondateur, le slow food est un refus de la vitesse sous toutes
ses formes.
Des municipalités italiennes se sont également inspiré de cette dynamique et ont lancé et
signé le manifeste Cittaslow qui privilégie un développement plus respectueux des rythmes de
leurs habitants. Un escargot portant une ville sur sa coquille est utilisé comme logo. Ces villes
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suivent les principes de la réduction du bruit et de la circulation en ville, l'augmentation des
espaces verts et des zones piétonnes, la préservation des traditions esthétiques et culinaires
locales et l'adoption d'un esprit d'hospitalité et de bon voisinage. Ainsi, des bus électriques et
silencieux ont été mis en service dans certaines villes. Ce concept est également présent dans
d’autres pays tels que le Brésil ou le Japon. Les rythmes du travail au sein des entreprises sont
également concernés par la lenteur. Des aménagements se mettent en place, sous la pression
des salariés mais aussi à l'initiative des sociétés, inquiètes des effets du stress sur leur
personnel. Les hôtels Marriott ont ainsi décidé de lutter contre le «présentéisme» en proposant
à leurs salariés de quitter l'entreprise une fois leur tâche terminée. La lenteur, l’une des
caractéristiques de la Méditerranée, souvent considérée comme de la paresse est désormais
réclamée par de nombreuses personnes de la rive Nord étouffée par la vitesse.
Ne dit-on pas sur la rive Sud que les peuples de la rive Nord ont la montre et que ceux du Sud
ont le temps ! Autre pratique typiquement méditerranéenne plébiscitée : la sieste. Au Portugal,
une Association des amis de la sieste s’est crée. En Espagne, un réseau national de caféssalons propose de faire une petite pause à toute heure de la journée. Au Japon, le Club de la
paresse, qui prône un mode de vie plus calme et moins agressif pour l'environnement, a ouvert
un café à Tokyo proposant un espace repos. Les cadres et les chefs d'entreprise hyperactifs
s’intéressent de plus en plus à ce phénomène. Le slow repose sur une idée très simple qui
consiste à chercher la vitesse appropriée à chaque activité que nous réalisons. Le slow
revient à prendre le temps de réfléchir de manière profonde à notre façon de faire. Le
mouvement slow ne prétend nullement qu'il faut tout faire à une allure d'escargot mais
souligne que notre qualité de vie passe par un meilleur équilibre entre rapidité et
lenteur.
5.1.2 La relation, la parole, la singularité, la proximité et l’encastrement : des attentes
hypermodernes aux couleurs méditerranéennes.
En Méditerranée, un vaste réseau de communication informelle permet d’échanger…de
toucher le réel au plus près, de résoudre des problèmes de façon très spontanée et en temps
réel. Les relations sont simplifiées grâce à l’élimination des formalités et des procédures
permettant de se rapprocher. Il s’agit en fait de contacts, d’écoute et de face à face. La mise en
relation n’impose pas que les acteurs partagent les mêmes intérêts. Elle requiert l’aptitude à
élaborer des passerelles par la communication et grâce à la parole. Cette fluidité relationnelle
permet de repérer les non-dits qui en disent souvent long et à mieux cerner les différentes
personnalités du groupe. L’hypermodernité souligne le désir des individus de ne plus être
considéré comme des objets inhumains. De par la place de la parole dans les cultures
méditerranéennes, les êtres s’expriment. La parole trouve un espace où s’exercer alors que
dans d’autres espaces elle est téléguidée voire confisquée. Les peuples de la Méditerranée
s’interpellent (souvent en hurlant). C’est l’une des conditions de base de la « constitution » en
tant que sujet-personne. Selon Maffesoli (1991), l’individu recherche son identité propre tout
en s’« encastrant » dans une communauté d’appartenance (la « tribu ») évoluant ainsi dans un
réseau de relations personnelles. Les personnes sont de plus en plus, encastrées dans un réseau
de relations fortes, proxémiques. Elles recherchent de la singularité.
La Méditerranée est un laboratoire de singularités bricolées de manière pragmatique en prise
avec des valeurs groupales (tribu, clan…). La singularité implique l’idée selon laquelle la
personne, l’entreprise s’efforcent de ne pas ressembler à aucune autre. Matvejevic (1992)
souligne qu’être méditerranéen est une distinction.
Nous pensons qu’être méditerranéen est également une singularité. Les Méditerranéens
privilégient les informations qu’ils obtiennent par contact personnel plus que par voie
formalisée. Ce sont des cultures dans lesquelles la solidarité et la confiance sont
fondamentales. En ce sens, les actions ne sont pas uniquement animées par les comportements
rationnels d’agents qui maximisent mais par les représentations d’acteurs insérées dans un
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réseau de relations. Le Méditerranéen est encastrée dans des réseaux de relations personnelles.
Il n’est pas un acteur atomisé. Cette singularité mêlée de proximité et d’encastrement semble
réclamée par la rive nord comme en témoignent les enquêtes sur la souffrance dans les
entreprises, la vague des suicides dans les grandes entreprises, le besoin de dialogue et
d’écoute, la revendication de lien social et de protection/bien être. L'importance des échanges
oraux et du temps passé à ces échanges est désormais une évidence organisationnelle de plus
en plus reconnue. L’échange humain n’est pas un système d'échange de signaux neutres entre
émetteurs et récepteurs aussi neutres.
5.2 L’hybridation : rendre sa dimension humaine à l’homme.
Arkoun (2004) s’interroge sur la possibilité d’identifier dans la pensée et les cultures
méditerranéennes des pistes qui pourraient rendre sa dimension humaine à l’homme. Il s’agit
d’une culture de transition capable d'assurer le passage des identités culturelles fermées à la
diversité, l'interculturalité et l'intercréativité. Cette voie doit permettre de transgresser et
dépasser les grandes oppositions et la persistance de la polarisation de deux imaginaires
L’hybridation correspond à un brassage des différences. Cette pensée de l’entre deux permet
d’éviter les réactions brutales suscitées par l’irruption de la modernité. L’hybridation autorise
un dialogue des cultures sans la négation de l’autre. L’hybridation reconnaît à la fois la
persistance de différences culturelles et la présence d’éléments culturels universels.
5.2.1 Des cultures enchevêtrées et non pas opposées : la mosaïque.
Les sphères culturelles judéo-chretienne et arabo-musulmane de la Méditerranée ne sont pas
superposées mais enchevêtrées. Elles appartiennent à un réseau d’histoires interdépendantes.
L’hybridation facilite la lutte contre les oppositions binaires entre le « nous » et « les autres »,
le « bien » et le « mal » et la « normalité » et la « déviance ». Elle réduit les projections
négatives qui visent à déprécier l’autre tout en se valorisant soi-même. L’homme
d’aujourd’hui à un éventail de choix. Il peut passer d’une aire culturelle à une autre. Il est en
mesure d’en faire des synthèses et des déplacements. Les multiples contacts entre les deux
rives peuvent engendrer des phénomènes d’hybridation et de mosaïque qui correspondent à
l’éparpillement de cultures plurielles mais qui forment un ensemble cohérent. Les rives Nord
et Sud ne sont pas des blocs uniformes et rigides. Les populations des deux rives sont
humaines ! Malgré des différences culturelles, elles demeurent humaines c’est-à-dire diverses,
multiples, unies, séparées, honnêtes, malhonnêtes, vertueuse, croyante, non croyante. Il est
nécessaire de ne pas les stigmatiser à partir de leur appartenance à des sphères culturelles. Il
est essentiel de refuser le déterminisme culturel (Etienne, 2003).
5.2.2 La réappropriation de l’héritage andalou et d’Averroès : les hommes de
« transposition ».
La Méditerranée est confrontations et incompréhensions. Elle est également rencontres et
sources entremêlées. Sur cette mer, depuis des millénaires, les meurtres mais aussi l’amour
s’échangent. L’Andalousie constitue le moment historique pendant lequel les deux rives ont
été réunies en un seul lieu dépassant les pseudo-incompatibilités de culture entre l’Europe
judéo-chrétien et la sphère arabo-musulmane. La référence à l’Andalousie peut permettre de
sortir de l’imaginaire actuel de la peur qui encercle la Méditerranée. Il s’agit de rejoindre le
souhait de Jacques Berque qui appelait à des andalousies toujours recommencées. Revenir à la
figure emblématique de Averroès peut faciliter ces processus d’hybridation et dépasser les
antagonismes. Averroès (ou Ibn Rushd) est un philosophe né à Cordoue en 1126 et mort à
Marrakech. Il est un personnage central pour les trois cultures-musulmane, juive et chrétienne.
Il a produit l’œuvre philosophique la plus importante du moyen âge, commentant notamment
l’œuvre d’Aristote. Selon Alain de Libera, Ibn Rushd est la pièce centrale du dispositif
intellectuel qui a permis à la pensée européenne de construire son identité philosophique. Il
insiste sur cet élément arabe de la culture occidentale (De Libera, 1991).
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233
Méditerranée : rupture ou unité ?
Soufyane Frimousse
Cet héritage oublié ou minimisé joue un rôle déformateur de l’image du monde arabe dans le
miroir de l’Occident. Rossi (1970, 1976) souhaitait rétablir les liens de parenté qui ont uni
l’Europe à un ensemble de dimensions arabo-musulmane. Il affirmait que l’Europe était la
fille de l’Orient afro-asiatique. L’Occident étant à ses yeux que la pente déclinante de
l’Orient. Spécialiste de l’Orient, Rossi regrettait le rabaissement, la caricature et le quasienterrement de l’univers arabe par la rive Nord.
Averroès a fait le lien entre la religion et la philosophie. Il s’agissait de redéfinir le rapport
entre le moi islamique et l’autre philosophique. Ibn Rushd consacra plusieurs ouvrages à ce
projet dont la fameux Tahâfut al-tahâfut (L’incohérence de l’incohérence). Pour Al Jabiri
(2003), Averroès est surtout un européen arabe ! Cette caractéristique est essentielle dans le
contexte actuel de la Méditerranée dominée par des rapports d’opposition. Il s’efforçait de
comprendre, de tolérer l’autre selon son propre système de référence en évitant de rejeter
systématiquement. Il reconnaissait le droit à la différence en affirmant qu’une vérité ne
contredit pas une autre, mais s’accorde avec elle et témoigne en sa faveur. Averroès était un
homme de synthèse, d’hybridation et un homme pont. Il symbolise la profondeur des liens et
de la fertilité des confluences entre les deux rives de la Méditerranée. Sur la rive Nord, les
cycles de réflexions et d’échanges conçus par T. Fabre en 1994 valorisent cet héritage alors
que sur la rive sud, la voix, la mémoire et la pensée de Ibn Rushd se sont hélas éteintes avec
lui. En effet, Averroès fut exilé et rejeté par les juristes du droit théologique car il était
considéré comme une menace pour la foi et le sentiment religieux. L’Andalousie et Averroès
constituent un héritage sur lequel s’appuyer pour former cette civilisation optionnelle formée
d’hybridation culturelle entre les deux rives de la Méditerranée.
Marseille, Tanger, Oran, Tunis ne seront jamais Grenade. Mais chaque époque élabore sa
propre forme sociale et ses propres Ibn Rushd et ses hommes ponts capables de faire
converger et coïncider les cultures grâce à la table de transposition chère à Averroès et Louis
Massignon. Le passé colonial et la tendance hégémonique de la rive Nord sont toujours très
imprégnés dans les imaginaires des peuples de la rive Sud mais ils sont également
accompagnés de son rôle de modèle ou d’exemple dans le domaine du progrès scientifique et
dans celui des droits de l’homme et de la démocratie. Cet aspect ne doit jamais être ignoré.
L’univers arabe dans son ensemble, des techniciens, des managers, des politiciens, des
boutiquiers s’agrippent à l’idée d’une rive Nord libre, démocrate et amie de la Méditerranée.
La remise en question des concepts traditionnels, des imaginaires, des attitudes et
connaissances figés peut permettre d’explorer des nouveaux systèmes de pensée. Les
« hommes ponts » de l’entre deux sont les bases de l’émergence de « l’hybridation». Ils sont
les connecteurs et intermédiaires entre les univers de sens grâce à la multiple appartenance.
En Europe, les musulmans natifs d’Europe ont des valeurs et des références culturelles
plurielles. Ils cherchent l’équilibre et la conciliation entre leurs deux matrices culturelles
européennes et maghrébines. Majoritairement, ils tentent de trouver un juste équilibre entre
la fidélité à l’héritage, à sa pratique et l’adaptation à un environnement qui fonctionne selon
des règles différentes. Il y a beaucoup d’intelligence en acte dans cette adaptation. Ils
concilient l’inné arabo-musulman et les acquis occidentaux. Une fraction de cette population
souhaite adapter la société européenne à l’islam et non pas l’inverse. Il s’agit des demandes
conservatrices (horaires réservés dans les piscines…). Une étude de l’Ifop permet de
distinguer : un islam pieux, un islam spirituel, un islam culturel fruit d’un héritage familial et
un islam récusé. A l’intensité de la pratique, il convient de préciser les différences ethniques
(maghrébins, turcs), linguistiques (arabophones, berbérophones). Certains basent leur
croyance sur la foi de manière intériorisée (Leïla Babès, 2000). D’autres suivent la
conjonction foi/ loi / voie. Enfin, pour Bidar (2006), certains acteurs musulmans agissent par
réappropriation individualisée et sélective de l’islam à travers une stratégie de self islam.
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Méditerranée : rupture ou unité ?
Soufyane Frimousse
Si l’islam semble un dans son corpus, il se révèle pluriel dans les pratiques et le rapport à ses
enseignements. Quoi qu’il arrive, ces nouveaux européens-arabes ont des sphères culturelles
plurielles avec des pensées nomades qui passent d’une culture à l’autre avec l’aisance des
funambules. Métissage, hybridation, croisement font de ces héritiers d’Averroès des hommes
ponts capables de lier et d’avoir une vision kaléidoscopique de la Méditerranée dépassant
ainsi les oppositions bipolaires modernité/tradition, Occident/Orient, Nord/Sud.
6. Conclusion :
Malgré les mouvements alternés des migrations des populations du Nord vers le Sud de la
Méditerranée et du Sud vers le Nord, les exemples de synthèse qui permettent de dépasser les
spécificités culturelles sans les altérer sont très rares. L’interpénétration demeure exception à
l’inverse des traits coloniaux et du ressentiment qui perdurent. La Méditerranée sépare alors
qu’elle peut relier. Pour Jacques Berque, le partenaire méditerranéen est un « frère siamois
ignoré et repoussé » des deux côtés des rives de la mer du milieu, « Al bahr al-mutawassit ».
Toutes les sphères culturelles de la Méditerranée ont vocation à s’interpénétrer à s’enrichir les
unes les autres. Le dialogue culturel entre les deux rives ne doit pas être un débat entre des
nantis et des ethnocentrés. Il est plutôt une communion des esprits, un partage sans division
des êtres. La Méditerranée est oubliée voir humiliée par la doxa et ses systèmes théoriques.
Or, en Méditerranée, il n’y a rien dans l’intellect qui n’ait d’abord été sensuellement senti. Il
faut réapprendre « à traverser la mer ». L’apprentissage de la pluralité nécessite une
découverte sans scaphandre (Berque, 1999). La Méditerranée doit (re)-devenir un « lac de
sens ». Le Nord indique la direction par rapport à laquelle s’oriente une pense ferme et
résolue. « Ne pas perdre le Nord » est d’ailleurs synonyme de raison garder. Le Sud se plaît à
perdre le Nord pour mieux jouir d’être déboussolé. La règle est de ne pas avoir de règle, d’en
inventer plusieurs. Les « hommes ponts » de la Méditerranée à leur insu peut-être, sont en
train de modeler le visage d’une culture où la grandeur de l’homme trouvera enfin son vrai
visage !
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Soufyane Frimousse
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Présentation de la démarche de vérification des informations sociétales
Claire Gillet
PRESENTATION DE LA DEMARCHE DE VERIFICATION DES
INFORMATIONS SOCIETALES
Claire GILLET
Docteur- ATER
Laboratoire Gestion et Cognition (LGC) - IAE - Université Toulouse 1 Capitole
[email protected]
1. Introduction
De plus en plus d’entreprises font appel à des tiers extérieurs pour vérifier les informations
contenues dans leurs rapports extra-financiers. « Ainsi se crée une expertise nouvelle dans un
domaine nouveau, la vérification du rapport de développement durable », (Igalens, 2004a, p.
159). La vérification des informations sociétales98 est alors présentée comme un déterminant
potentiel de la crédibilité du reporting. En effet, la pertinence et la confiance accordée à
l’information diffusée étant conditionnées par sa crédibilité, il a été nécessaire d’attester sa
fiabilité par le recours à une vérification externe (Rivière-Giordano, 2007). La vérification des
informations sociétales, analysée comme un processus fondamental pour crédibiliser le
reporting sociétal, constitue par là même une réponse à la méfiance des utilisateurs (Capron et
Quairel, 2004). Selon Igalens (2004b, p.14), « pour le professionnel l’objectif d’un
engagement d’assurance est d’évaluer un domaine dont la responsabilité incombe à une
tierce partie (ici l’entreprise) au vu de critères appropriés et d’exprimer une conclusion qui
fournisse à l’usager de l’avis (celui qui prend connaissance et utilise cette information) un
certain niveau d’assurance. Il s’agit d’accroître la qualité de l’information publiée ».
Les origines et les différentes approches de la vérification sociétale sont examinées (1). Nous
étudions la terminologie et les définitions de cette pratique (1.1) ainsi que ses différentes
approches (1.2). L’état actuel de la vérification sociétale est également traité à travers les
étapes (2.1) et le contenu (2.2) de la mission de vérification.
2. Les origines et approches de la vérification sociétale
Un ensemble de terminologie a été adopté pour décrire le travail entrepris par une partie
extérieure indépendante qui fournit un avis sur les informations sociétales diffusées par les
entreprises (Hodge et al. 2007). Cette variété de termes employés et le choix de l’emploi de
« vérification » nécessite de se pencher sur les origines de ce terme et sur ses définitions. Les
différentes approches de la vérification sociétale sont également abordées.
2.1 Terminologie et definitions de la verification
Au début des années 90, les entreprises voulant répondre à une demande de confiance accrue
ont peu à peu introduit une vérification par un tiers extérieur de leurs informations sociétales
(Park et Brorson, 2005). Les terminologies employées varient : outre « vérification », les
termes « audit » et « certification » ont été utilisés pour désigner des activités similaires. Dés
lors, il est intéressant de justifier l’emploi du terme « vérification », de revenir sur son
étymologie et ses définitions.
98
Le terme « informations sociétales » est utilisé pour regrouper à la fois les informations environnementales et
sociales.
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Présentation de la démarche de vérification des informations sociétales
Claire Gillet
L’emploi du terme « vérification »
S’agissant des informations financières et comptables, le besoin de vérifier ces informations
impliquant un contrôle des comptes a toujours existé. A l’origine, l’audit est une vérification
des états financiers des entreprises et ce n’est qu’à partir des années 1970 que le mot « audit »
à été généralisé pour désigner divers types de mission de vérification (Mikol, 2003). Le terme
« audit » signifiait alors contrôler ou vérifier. Comme le souligne Mikol (2003), cette tâche
était autrefois confiée à un « vérificateur des comptes » aujourd’hui dénommé « commissaires
aux comptes » ou « contrôleur légal ». A l’arrivée des cabinets anglo-saxons sur le territoire
français et à l’apparition d’une stabilisation et d’une réglementation de ces missions,
l’utilisation du terme « vérification » a laissé place au terme « audit ». Ainsi, la
« vérification » concerne une mission peu normalisée et peu réglementée, alors que l’« audit »
désigne une mission bien stabilisée avec des règles clairement établies. En effet, Rondeau
(2003) précise que le terme « audit » se rapporte à une mission effectuée dans un cadre
réglementaire, comportant des normes et des valeurs qui ont été codifiées et
institutionnalisées. Ainsi, s’agissant de l’audit financier, il est aujourd’hui encadré par des
normes et des réglementations. De plus, il apparaît dans un contexte d’asymétrie
d’informations, faisant émerger un besoin de fiabiliser l’information comptable. L’audit, qui
est une façon particulière de contrôler, permet d’assouvir ce besoin de fiabilisation (Power,
2005). La vérification sociétale relève d’une décision managériale discrétionnaire, afférente à
une diffusion d’informations également, dans la majorité des cas, volontaire (Gillet, 2010).
Ainsi, comme le précisent Hodge et al. (2007) le terme « vérification » est mieux adapté dans
ce contexte peu normalisé et non réglementé. En effet, les termes « audit » ou « certification »
sont souvent réservés aux validations entrant dans le champ de dispositions législatives et
réglementaires et/ou concernant des processus de validation bien stabilisés. Pour une
utilisation justifiée du terme « audit sociétal », il devrait vérifier un contenu normalisé, selon
une procédure d’audit réglementée avec des principes professionnels formellement établis
(Rivière-Giordano, 2007). Ainsi, le manque d’uniformité quant aux procédures de validation
rend peu pertinent l’emploi du vocable « audit » pour la réalisation de telles missions.
Cependant, on pourrait faire une analogie avec les origines de l’audit financier en se
positionnant dans la phase initiale de son développement où les termes « contrôle » ou
« vérification » des états financiers étaient alors usités.
Selon un rapport établi par un groupe de travail constitué au sein de l’ORSE (2004), en ce qui
concerne la mise en place d’une validation de données sociétales sur une base volontaire, le
terme « vérification » est effectivement le plus adéquat pour ce type de mission. Concernant
l’utilisation du terme « certification », les conclusions de ce rapport sont unanimes sur la
prudence avec laquelle ce qualificatif doit être utilisé. « Il s’agit, en réalité, beaucoup plus
d’une simple vérification d’informations données ou d’une validation des processus engagées
sans expression d’une opinion sur la pertinence ou la qualité des politiques RSE de leurs
clients… « Ceci est exact, nous l’avons vérifié » et « ceci est bien », c’est toute la différence
qui sépare l’activité de vérification de celle de notation » (ORSE, 2004, p.12). Selon les
experts interrogés à l’occasion de ce groupe de travail, la « certification » suppose que l’on
dispose d’un référentiel reconnu par tous, ce qui n’est pas encore le cas de telles missions, « la
certification à proprement parler sera probablement un jour une bonne solution mais
aujourd’hui, il faut laisser émerger un consensus, et que les entreprises puissent s’approprier
la démarche » (ORSE, 2004, p.21).
L’étymologie et les définitions de la vérification
Le vocable « audit » trouve son origine dans le latin auditus qui signifie « entendu ». Selon
Joras (2000), la définition proposée en 1885 par le Bescherelle définissait l’audition d’un
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Présentation de la démarche de vérification des informations sociétales
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compte comme l’action d’ouïr (déformation d’« audire ») et d’examiner un compte. Le rôle
d’écoute et d’audition est alors bien présent. En effet, pour comprendre le rôle de l’écoute, il
faut se rappeler que dans les temps anciens les descriptions se faisaient oralement puisque la
plupart des personnes ne savaient ni lire ni écrire (Combemale et Igalens, 2005). L’ « audit »
est défini par le Petit Robert (2000) comme étant « une procédure de contrôle de la
comptabilité et de la gestion (d’une entreprise) et par extension une mission d’examen de la
conformité (aux règles de droit, de gestion) d’une opération, d’une activité particulière ou de
la situation générale d’une entreprise » (p.175). Cette définition montre que l’audit est bien
encadré par des aspects légaux qui servent de base à la mission.
S’agissant du mot « vérification », son origine vient du latin verificare et verus qui signifie
« vrai ». La vérification est « le fait de vérifier, l’opération par laquelle on vérifie », il s’agit
« d’examiner (une chose) de manière à pouvoir établir si elle est conforme à ce qu’elle doit
être » (Dictionnaire Le Robert, 2000, p.2656). La définition laisse transparaître le caractère
générique du terme vérification. L’aspect « respect d’un cadre réglementaire » n’est donc pas
mentionné dans la définition. Ce terme peut donc être employé dans le cas de missions plus
générales que celles de l’audit et surtout lors de missions non délimitées par une
réglementation.
En 2004 l’International Auditing and Assurance Standards Board (IAASB) définit la
vérification sociétale comme une mission « …dans laquelle un praticien exprime une
conclusion destinée à augmenter le degré de confiance d’éventuels utilisateurs, autres que la
partie responsable, concernant le résultat de l’évaluation ou de la mesure d’un sujet, à l’aune
de critères » (p.150). La définition fournie par l’IAASB est la plus citée dans la littérature. La
vérification sociétale est décrite par Igalens (2004a) comme une mission conduisant « …à un
niveau d’assurance qui s’appuie sur des principes spécifiés pour formuler un jugement sur la
qualité d’un « dire » émanant d’une entreprise. Elle peut être décrite comme la part de
confiance ou de certitude qu’un professionnel indépendant fournit aux parties intéressées par
ce dire ». Plus récemment, Smith (2010) considère que « l’idée essentielle de la vérification,
c’est qu’un examen indépendant de l’information fournie par une partie pour le bénéfice
d’une autre, améliore sa crédibilité » (p.4).
La vérification est décrite comme un mécanisme permettant d’augmenter la confiance des
utilisateurs dans l’information diffusée (Zadek et al., 2004 ; Rivière-Giordano, 2007). Elle est
supposée contribuer à la réduction des risques et à l’assurance de la fiabilité des données.
L’objectif de la vérification sociétale est ainsi identifié. Cependant, bien que ces définitions
mettent en évidence l’importance des notions de confiance et de fiabilité, elles restent assez
générales. Le contenu de la mission n’est pas abordé. Ainsi, la principale limite des
définitions proposées réside dans l’absence de précisions sur la mission en elle-même.
2.2. les approches générales d’une vérification sociétale
Il existe trois approches de la vérification des informations sociétales décrites par la
Fédération des Experts Comptables Européens (FEE, 2002) : l’approche comptable,
l’approche de l’audit social et l’approche par le recours à des consultants. Elles ne sont pas
concurrentes mais au contraire leurs méthodologies peuvent être combinées. Les différences
entre ces trois approches résultent de leur historique et sont visibles dans la nature du
vérificateur et les domaines d’information couverts par le périmètre du rapport. L’approche
comptable est essentiellement une évaluation de l’information rapportée par l’entreprise ellemême. L’audit social est, quant à lui, un rapport d’un tiers extérieur, sans intervention de
l’entreprise. Enfin, l’approche par le recours aux consultants vient du fait que les entreprises
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recourent à l’assistance de consultants extérieurs qui étendent leur engagement au reporting
(FEE, 2002, p.18).
Figure 1: Les trois approches générales de la vérification sociétale
Approche comptable
Approche de l’audit
social
Approche par le
recours à des
Comptables et Auditeurs
(Cabinets comptables)
Auditeurs sociaux
(Organisations réalisant des
enquêtes)
Consultants
(Cabinets de consulting)
L’approche comptable est développée par des auditeurs et professionnels comptables
fournissant des rapports ou avis qui donnent un certain niveau d’assurance sur les
informations diffusées (FEE, 2002). Cette approche prend largement modèle sur le reporting
financier. L’entreprise fournit au vérificateur le rapport de développement durable qu’elle a
préparé et qui sera ensuite rendu public. Pour réaliser sa mission, le vérificateur va utiliser des
procédures appropriées pour réunir des preuves avant de fournir un rapport proclamant
l’assurance donnée. Dans cette approche, les vérificateurs se réfèrent à des guides et des
normes professionnelles comme l’ISAE3000. En effet, l’approche comptable opère
habituellement là où il existe des règles définissant l’objet et la mission de vérification. Dans
cette approche, le vérificateur est volontairement mandaté par l’entreprise pour réaliser la
mission de vérification des informations sociétales diffusées de façon volontaire dans son
rapport de développement durable.
Cependant, le contexte français est particulier. La loi NRE (2001) qui fixe l’obligation pour
les entreprises françaises de publier des informations sociétales dans leur rapport de gestion a
également introduit l’obligation pour les commissaires aux comptes de l’entreprise de vérifier
ces informations considérées comme obligatoires. Il s’agit alors d’une mission entrant dans le
cadre de l’audit légal. En effet, comme le précise Igalens (2004a), la place même de ces
informations dans le rapport de gestion oblige le commissaire aux comptes à en prendre
connaissance, puisqu’il se prononce sur ce document. Cela a notamment été renforcé par la loi
Grenelle 2 qui précise que les informations sociales et environnementales figurant ou devant
figurer au regard des obligations légales et réglementaires doivent faire l'objet d'une
vérification par un organisme tiers indépendant.
L’approche de type audit social prend sa source dans l’étude du reporting de la performance
d’une entreprise par des auditeurs sociaux externes (Geddes, 1992). Le terme social a été
utilisé pour recouvrir une multitude d’aspects du reporting d’une entreprise et il peut, dans son
sens le plus large, inclure des aspects environnementaux et économiques. Les auditeurs
sociaux peuvent être des organisations réalisant des enquêtes sur des entreprises dans un
secteur particulier. Dans cette approche, l’audit se fait sans la coopération de l’entreprise.
L’entreprise ne fournit pas de rapport, le seul document public est celui de l’auditeur social.
Cette approche repose sur l’obtention de preuves en dehors de l’entreprise, par exemple de la
part de parties prenantes et de tiers. La plupart du temps pour être plus crédible, le vérificateur
se focalise sur des sujets très précis, ce qui fait que l’extension de l’audit social à l’ensemble
d’un rapport de développement durable est impossible. Un développement de l’audit social
peut exister. Il s’agit du cas où l’entreprise collabore avec l’auditeur social, ce qui aboutit à un
rapport commun, ou à un rapport dans lequel l’entreprise donne des informations et l’auditeur
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Présentation de la démarche de vérification des informations sociétales
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les commente. Dans ce cas, l’auditeur social donne son avis sur le reporting, mais fait aussi
des commentaires indépendants dans et sur le rapport publié.
La troisième approche est celle du recours à des consultants. Elle a vu le jour à la suite de
l’utilisation par les entreprises de consultants pour améliorer leurs systèmes de reporting et
leur performance dans les domaines sociaux et environnementaux. Ainsi, le recours à de tels
organismes a pour objectif soit d’améliorer la performance de l’entreprise en matière de
développement durable, soit d’accroître la diffusion et la fiabilité de l’information sociétale.
Les missions réalisées par ces consultants sont centrées sur une discipline en particulier, du
fait de la non multidisciplinarité des équipes. Ainsi, l’extension de cette mission à l’ensemble
du rapport de développement durable paraît difficile. Les consultants réalisant ce type de
mission vont publier un rapport pouvant expliquer l’implication du consultant, contenir les
recommandations qui ont été faites à l’entreprise ainsi que sa réponse. De plus, ce rapport
peut également contenir, comme dans l’approche comptable, une opinion sur des déclarations
de l’entreprise. Dans cette approche, le problème d’indépendance du vérificateur est présent
puisque celui-ci entretient une relation de travail très proche avec l’entreprise. Cependant, les
méthodes utilisées lors de la mission sont similaires à celles de l’approche comptable.
Les trois approches identifiées par la FEE (2002) sont toutes importantes pour l’examen et la
fiabilité du reporting sociétal et ne sont en aucun cas antagonistes. Ces trois approches
principales peuvent être combinées avec d’autres approches telles que les évaluations par les
agences de notation sociétale ou les déclarations faites par des parties prenantes. Il existe
cependant des confusions entre les trois approches. Cela vient du fait que les cabinets
comptables, qui désormais emploient des professionnels dans les domaines environnementaux
et sociaux, peuvent aussi fournir des engagements d’assurance en employant l’approche des
consultants ou peuvent également effectuer des audits sociaux (FEE, 2002).
La recherche se focalise sur l’approche comptable. Après avoir envisagé les approches
générales des missions de vérification sociétale, nous étudions la démarche employée pour
mettre en place ce type de pratique et le contenu de la mission de vérification.
3. L’état actuel de la vérification sociétale
Dans le contexte français, la majorité des entreprises mettant en place une vérification de leurs
informations sociétales, ont recours à un commissaire aux comptes pour réaliser cette mission.
Ainsi, il apparaît légitime de se questionner sur les analogies méthodologiques entre les
missions d’audit financier et les missions de vérification sociétale. Dès lors, il convient de
s’interroger sur les étapes conduisant aux missions de vérification sociétale puis d’étudier le
contenu de cette mission.
3.1. Les étapes vers la mission de verification societale
Comme le montre l’étude d’Antheaume (2003), la vérification sociétale est insérée dans une
démarche plus large de diffusion sociétale. Ainsi, avant l’introduction d’une mission de
vérification des informations sociétales, un certain nombre de mesures sont prises par
l’entreprise. La vérification sociétale est donc précédée de plusieurs étapes indispensables à sa
réalisation (Park et Brorson, 2005).
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Présentation de la démarche de vérification des informations sociétales
Claire Gillet
Crédibilité accrue
Etape 4
Etape 3
Etape 2
Etape 1
Rapport public.
Pas de système de
reporting interne.
Pas de rapport
public.
Vérification par
un tiers extérieur
du rapport public.
Mise en œuvre d’un
système interne de
reporting.
Pas
de
rapport
public.
Vérification par
un tiers extérieur
du rapport.
Les
parties
prenantes
sont
associées
au
processus
de
vérification.
Progrès dans le reporting et la vérification volontaire
Source : Park et Brorson (2005, p.1097).
Figure 2 : Les étapes vers une vérification par un tiers extérieur des informations sociétales
La première étape est la mise en place d’un système de reporting interne. Cette étape est
essentielle pour s’assurer que l’organisation gère correctement ses questions sociales et
environnementales. Cependant, l’introduction d’un système de reporting interne pour la
collecte et l’analyse des données sociétales est une tâche exigeante. La deuxième étape
consiste à produire et publier un rapport public. Cette étape demande aux entreprises
davantage d’argent et de ressources. La plupart des entreprises s’arrêtent à la deuxième étape.
Il semble que ce soit une décision difficile pour les entreprises de franchir la troisième étape
en procédant à une vérification des informations diffusées. Il peut même y avoir une
quatrième étape dans laquelle les parties prenantes sont activement impliquées (Park et
Brorson, 2005).
Les étapes décrites par Park et Brorson (2005) et l’étude de l’Ordre des Expert Comptables
(2008) menée sur le contrôle de l’information environnementale ont permis de synthétiser le
processus de vérification en deux phases majeures : une phase interne et une phase externe
(Ordre des Experts Comptables, 2008). Ainsi, tout comme pour l’audit financier, la
vérification constitue, en interne, un facteur d’amélioration de l’information, et en externe, un
facteur d’évaluation et de jugement d’une responsabilité déléguée.
Mise en place d’un système de reporting :
=> Décision de publier
=> Identification de l’audience et des principaux impacts
=> Sélection des éléments à publier
=> Collecte des données
Phase 1
Révision en interne : Procédures classiques d’audits internes
Phase 2
Avis exprimé par un tiers : Procédures de vérifications
Publication et diffusion des informations sociétales (Contenant l’avis)
Figure 3 : Le processus de vérification sociétale
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Présentation de la démarche de vérification des informations sociétales
Claire Gillet
Après avoir mis en place un système de reporting interne, les entreprises entrent dans une
phase de contrôle. La première étape consiste à faire contrôler en interne les informations
sociétales. Cette révision peut prendre la forme d’audits internes structurés et/ou peut
consister en une relecture des versions du rapport de développement durable. Les objectifs de
cette étape sont de faciliter l’étendue de l’engagement des organes dirigeants de l’entreprise et
également de faciliter la tâche des vérificateurs externes (Ordre des Experts Comptables,
2008).
La seconde étape est donc la réalisation de la vérification externe par un tiers extérieur et
indépendant. Cette étape aboutit à l’expression d’un avis qui est contenu dans le rapport de
développement durable. Elle marque la volonté de l’entreprise d’apporter une démarche
garantissant la qualité de l’information (Ordre des Experts Comptables, 2008). Après avoir
réalisé la vérification externe, l’avis émis par le vérificateur est inséré dans le rapport public
qui est ensuite publié. La présente recherche se focalise sur l’étape de la vérification externe.
Dès lors, il convient de présenter le contenu de cette mission de vérification externe.
3.2. LE CONTENU DE LA MISSION DE VERIFICATION SOCIETALE
L’examen de la mission de vérification sociétale met en évidence l’emprunt de techniques et
procédures d’audit financier à la vérification de l’information extra-financière (De Moor et De
Beelde, 2005). La mission de vérification comporte ainsi plusieurs étapes.
L’étape préliminaire à toute mission de vérification est relative aux choix du vérificateur par
l’entreprise et à l’acceptation de la mission par celui-ci. Bien qu’en France cette mission soit,
dans la quasi-totalité des cas, réalisée par des prestataires appartenant aux grands cabinets
d’audit internationaux (Deloitte, 2007), d’autres vérificateurs peuvent également réaliser cette
mission. Il s’agit notamment des organismes de certification, des consultants spécialisés tels
que le bureau Véritas ou encore d’autres
prestataires tels que des universitaires
(CorporateRegister, 2008 ; Smith, 2010). L’étude de CorporateRegister (2008) confirme, dans
un contexte international, la dominance des cabinets d’audit internationaux pour réaliser ces
missions (41%), viennent ensuite les consultants (33%), puis les cabinets de certification
(13%) et les autres types de vérificateurs (13%).
Lorsque le vérificateur choisi est un commissaire aux comptes, la mission ayant un caractère
conventionnel, celui-ci est libre d’accepter ou de refuser cette mission. Dans le cas où ce
dernier accepte la mission, il doit respecter les principes fondamentaux de comportement et
les règles générales définis dans le Code de déontologie professionnelle. Il doit mettre en
œuvre un processus de vérification conforme au cadre conceptuel des missions d’assurance de
l’IAASB et notamment la norme ISAE3000 (Rivière-Giordano, 2007). Ainsi, les trois parties
concernées par la mission de vérification sont : l’entreprise, le fournisseur de la prestation
d’assurance ainsi que les parties intéressées par cette vérification (Igalens, 2004a).
« L’objectif de la mission de vérification consiste pour le prestataire à évaluer un sujet (une
performance, des objectifs, des informations) qui est sous la responsabilité d’une autre
partie » (Igalens, 2004a, p.154). La vérification étant effectuée par un tiers extérieur et
indépendant, elle permet de garantir l’objectivité et la crédibilité de la démarche (Capron et
Quairel, 2004). La vérification sociétale fait intervenir trois parties : l’entreprise, le
fournisseur de la prestation et les parties intéressées. L’entreprise établit les informations
sociétales, le vérificateur les vérifie et les parties intéressées consultent ces informations
vérifiées. Dans cette relation tripartite, le fournisseur doit alors être indépendant des deux
autres parties (Igalens, 2004a).
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Présentation de la démarche de vérification des informations sociétales
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Indépendanc
e
Entreprise « vérificatrice »
Etablit les informations
Vérificateur
Evalue les informations
Parties Intéressées
Consultent les informations
Source: Construit d’après Igalens (2004a, p.154).
Figure 4 : La relation tripartite dans la vérification sociétale
Ensuite, le processus de vérification débute par une planification de la mission. Lors de la
première rencontre entre la direction de l’entreprise et l’équipe d’audit, les objectifs et le
périmètre de la mission sont déterminés. L’étendue des travaux ainsi que le niveau
d’attestation sont alors définis entre l’entreprise et le commissaire aux comptes lors de cette
phase. La mission de vérification peut être une vérification sur les processus d’établissement
des informations sociétales, sur les données du rapport de développement durable ou, à la fois,
sur les processus et les données sociétales.
En France, la Compagnie des Commissaires aux Comptes (2003) a rédigé un avis technique
sur «l’intervention conventionnelle d’expression d’assurance sur le rapport de développement
durable », dans lequel trois niveaux de vérification sont identifiés. Ces trois niveaux
d’assurance sont : un niveau d’assurance raisonnable, un niveau d’assurance modérée et un
niveau d’assurance faible (Capron et Quairel, 2004 ; Rivière-Giordano, 2007). La norme
ISAE3000 a également identifié des niveaux d’assurance pour la réalisation de telles
missions. Le tableau suivant présente les trois niveaux d’assurance fournis par la Compagnie
des Commissaires aux Comptes.
Compagnie des commissaires aux comptes, avis technique sur « l’intervention conventionnelle d’expression
d’assurance sur le rapport de développement durable », mai 2003 :
Trois niveaux d’assurance sont envisagés selon l’étendue des vérifications et le pourcentage d’erreurs
acceptable par rapport au référentiel :
-
-
-
Niveau d’assurance faible ne portant que sur le respect des procédures et du référentiel ; l’audit se base
sur un référentiel interne (code de conduite, manuel de procédures internes) ou externe (GRI, loi
NRE…).
Niveau d’assurance modérée : la fiabilité par rapport au référentiel est assurée avec un pourcentage
d’incertitude autorisé de 20 à 25 % près sur le périmètre audité (ici le périmètre audité est compris entre
10 à 50% du périmètre de reporting total) ; l’assurance modérée est une première étape indispensable
vers l’assurance raisonnable.
Niveau d’assurance raisonnable : le périmètre de vérification est plus large (ici le périmètre audité est de
plus de 50% du périmètre total) et la fiabilité est assurée avec un pourcentage d’incertitude autorisé de 5
% près.
Source : Capron et Quairel (2004, p.217)
Tableau 1 : Les niveaux d’assurance de la vérification sociétale
.
Concernant les deux niveaux les plus élevés, le vérificateur se focalise sur la vérification
d’indicateurs sociétaux, appréhendés au regard d’un référentiel approprié. La différence entre
ces deux niveaux provient de l’étendue et de la nature des travaux. Ces deux niveaux diffèrent
notamment sur le périmètre de reporting vérifié. Pour le niveau modéré, le périmètre vérifié
est de 10 à 50%, alors que pour le niveau supérieur, le niveau de reporting vérifié est de plus
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de 50%. L’attestation d’assurance raisonnable est également caractérisée par un pourcentage
d’incertitude autorisé de 5%, c'est-à-dire que les données doivent être validées à hauteur de
95%. Pour l’attestation d’assurance modérée, le risque acceptable est de 20% à 25%, de
délivrer une conclusion incorrecte. Concernant le niveau de vérification faible, il ne concerne
que l’examen du respect des procédures et constitue une étape préliminaire aux niveaux plus
élevés permettant d’attester la fiabilité des indicateurs diffusés. Il est intéressant de se
questionner sur l’utilisation des différents niveaux de vérification dans les entreprises
françaises. L’étude menée par Deloitte met en évidence les types de travaux de vérification
dans les entreprises du SBF120.
Figure 5 : Les types de travaux de vérification dans les entreprises du SBF 120
Source : Deloitte (2007, p.2).
Quelques soient les années, le niveau d’assurance raisonnable est le niveau le moins utilisé.
En 2005, seulement deux entreprises ont fait vérifier leurs informations avec un niveau
d’assurance raisonnable et trois entreprises en 2006 et 2007. Cependant, l’utilisation du
niveau intermédiaire (assurance modérée) s’est accrue au cours des trois exercices. Alors que
seulement treize entreprises faisaient vérifier leurs informations selon un niveau d’assurance
modéré en 2005, vingt quatre entreprises ont utilisé ce niveau en 2007. Ainsi, l’utilisation de
niveaux d’assurance élevés illustre l’amélioration de la fiabilité des indicateurs de
développement durable publiés par les entreprises. Cette amélioration est due à la
formalisation et au renforcement des systèmes de reporting et de contrôle interne mis en
œuvre par les entreprises.
Après avoir déterminé le niveau utilisé, le vérificateur va ensuite identifier et collecter les
éléments probants justifiant le bien-fondé des informations diffusées par l’entreprise (RivièreGiordano, 2007). Le vérificateur va apprécier les procédures de reporting des informations
sociétales des différentes entités du groupe au regard du référentiel applicable par l’entreprise
(loi NRE, lignes directrices de la GRI, des référentiels internes…). Lorsque cela est défini
dans la mission, il va également apprécier la cohérence et la réalité des données sociétales au
regard de l’organisation mise en place, des procédures existantes, des documents disponibles
et des outils de reporting dédiés.
S’agissant du type d’informations vérifiées, l’étude de Deloitte (2007) décrit le nombre
moyen d’indicateurs vérifiés par thème. La figure 6 présente les résultats.
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Présentation de la démarche de vérification des informations sociétales
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Figure 6 : Les indicateurs vérifiés lors de la vérification sociétale
Source : Deloitte (2007, p.2).
Les indicateurs de développement durable vérifiés portent principalement sur les aspects
environnementaux (11 indicateurs vérifiés en moyenne) et les aspects liés aux ressources
humaines et à la sécurité (6 indicateurs vérifiés en moyenne). D’autres types d’indicateurs
font également l’objet de travaux de vérification, il s’agit notamment des indicateurs portant
sur l’éthique des affaires et la gouvernance (le nombre de collaborateurs chargés de
déontologie…), sur la capacité d’innovation de l’entreprise (nombre de brevets déposés…) et
enfin sur la dimension sociétale (montant dédié aux associations caritatives…).
Pour mener à bien sa mission, le vérificateur recourt à différentes techniques de collecte et
d’analyse des informations. En effet, le processus de vérification sociétale repose sur une
méthodologie qui s’appuie sur des connaissances et des compétences spécialisées pour
identifier des preuves, réaliser des contrôles et évaluer des méthodes de travail telles que le
reporting, dans le but de justifier pleinement l’avis conclusif (Igalens, 2004b).
S’agissant des techniques de vérification utilisées pour réaliser la mission, Wallage (2000,
p.61) précise qu’il s’agit de techniques empruntées à l’audit financier traditionnel.
Le vérificateur peut procéder à des entretiens avec les personnes concernées par l’application
des processus d’établissement des informations sociétales (exemple : le correspondant en
charge du reporting environnemental) et avec les personnes concernées par la production de
données proprement dites (exemple : pour les informations relatives à la thématique « égalité
professionnelle » entretien avec le responsable diversité). La mise en œuvre de procédures
analytiques et la réalisation de tests de détail sur la base de sondages consistant à vérifier les
calculs et à rapprocher les données avec les pièces justificatives, permettent au vérificateur de
réaliser sa mission.
Wallage (2000, p.61) fait un état des techniques d’audit financier traditionnel utilisées pour la
vérification des informations sociétales. Il s’agit notamment de l’enquête qui consiste à
rechercher des informations auprès de personnes intérieures ou extérieures à l’entreprise, de
l’observation qui sert à examiner un processus ou une procédure réalisée par d’autres, de
l’inspection qui consiste à examiner des rapports, des documents ou des valeurs tangibles, du
calcul qui sert à vérifier l’exactitude arithmétique des documents sources et des rapports
comptables ou procéder à des calculs indépendants ou encore de la confirmation qui répond à
une demande pour corroborer l’information contenue dans les rapports comptables et des
procédures analytiques qui consistent à analyser les ratios significatifs et les tendances
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Présentation de la démarche de vérification des informations sociétales
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incluant les résultats de l’investigation des fluctuations et des relations qui ne correspondent
pas aux autres informations adéquates ou qui dévient des montants prévus.
Cependant, d’autres sources peuvent être nécessaires pour réaliser une vérification sociétale
des rapports de développement durable. Il peut s’agir notamment des focus groupe, des
commentaires d’experts tels que des agences indépendantes d’étude de marché et des panels
de parties prenantes pour conseiller l’auditeur.
Au regard de ces diverses investigations, le vérificateur va émettre un rapport qui pourra être
inséré dans le rapport de développement durable. Ainsi, le rapport rédigé par l’équipe d’audit
comporte la nature et l’étendue des travaux, ainsi que l’avis donné à la fin de la mission. Il
s’agit d’un rapport conclusif qui met en exergue le travail effectué par le vérificateur. En effet,
comme le précise Igalens (2004b), « l’avis ou rapport d’assurance constitue la conclusion du
travail du prestataire et il doit être rédigé de façon claire et compréhensible non seulement
pour l’entreprise qui l’a sollicité mais surtout pour les parties intéressées auxquelles il est
plus particulièrement destiné » (p.155).
4. Conclusion
Les origines et étymologies des différentes appellations utilisées dans la littérature ont permis
de mieux cerner et justifier l’utilisation du terme « vérification » pour qualifier la pratique
étudiée. La vérification sociétale est présentée comme s’insérant dans une démarche plus
large, comportant différentes étapes, allant de la décision de recourir à un reporting sociétal
(mise en place d’indicateurs sociétaux), à une vérification de ces informations. La dernière
étape de cette démarche se conclue par la publication d’informations sociétales vérifiées par
un tiers extérieur et indépendant (Antheaume, 2003 ; Park et Brorson, 2005).
Il apparaît que l’intérêt pour les entreprises de la mise en place d’une vérification sociétale est
d’orienter leur politique de développement durable en interne et de faire progresser le
reporting sociétal (Gillet, 2010). De plus, la mise en place d’une vérification externe des
informations sociétales a pour but de garantir aux utilisateurs de l’information une confiance
et une fiabilité dans les informations diffusées (Rivière-Giordano, 2007). Malgré les différents
apports du recours à une vérification sociétale, des limites apparaissent. En effet, le rapport
d’assurance établi par le vérificateur étant souvent peu documenté et peu explicite quant à la
réalisation de la mission, la confiance pouvant lui être accordée est parfois mise en doute
(Gillet, 2010). De plus, il apparait qu’une limite majeure dans la mise en place d’une
vérification sociétale est directement liée au coût important de cette mission (Gillet, 2010).
Notre recherche qui a permis de revisiter le concept de vérification sociétale, peu ou mal
défini dans la littérature antérieure, et d’apporter un éclairage nouveau sur cet objet de
recherche, contribue à améliorer la compréhension des pratiques de vérification sociétale.
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Audit social et égalité Professionnelle
Sana Guerfel-Henda & George-Axelle Broussillo
AUDIT SOCIAL ET EGALITE PROFESSIONNELLE
Sana GUERFEL-HENDA
Professeur à l’ESC-Amiens,
Responsable Pôle Leadership et Ressources Humaines
[email protected], [email protected]
George-Axelle BROUSSILLON
Groupe L’Oréal (Diversité)
[email protected], [email protected]
L’ouverture des frontières et l'apparition de normes internationales sociales et éthiques font de
l'audit social une discipline et une démarche de plus en plus sollicitées. Le recours à l’audit
social contribue à renforcer le développement de la GRH. L’audit social est un instrument
d’évaluation de la compétitivité des ressources humaines. C’est un outil stratégique qui
participe d’une part, à l’amélioration des décisions stratégiques et opérationnelles ; et d’autre
part, à la conciliation de l’économique, du social et de l’humain (Peretti, 1998). En d’autres
termes, l’audit social peut permettre de continuer à façonner des stratégies de ressources
humaines cohérentes, c’est à dire capables d’utiliser et de développer le potentiel humain afin
d’être plus performantes.
L’audit social doit également favoriser, par le biais notamment de l’apprentissage stratégique,
la diffusion du concept de responsabilité sociale des entreprises. Cet outil est au service du
pouvoir décisionnel de l'entreprise. Il fournit des constats, des analyses objectives, des
recommandations et des commentaires utiles, faisant apparaître des risques de différentes
natures tels que : - le non-respect des textes, - l'inadéquation de la politique sociale aux
attentes du personnel, - l'inadéquation aux besoins des ressources humaines.
Ce diagnostic peut permettre aux entreprises d’assumer leur responsabilité sociale en
améliorant les conditions de travail. Cette amélioration passe par la crédibilité et les
compétences du management, la transparence de la communication interne, le respect des
valeurs de chacun, la répartition équitable des opportunités telles que la rémunération, la
formation (Benraïss, Peretti, 2003). Les entreprises socialement responsables ont une
meilleure image et bénéficient d’un jugement favorable envers la société mais aussi leurs
employés (Yanat, Tchankam, 2004).
La création du label égalité en France en 2004 a permis de positionner l’égalité
professionnelle comme une thématique majeure et à part entière pour les auditeurs sociaux.
Promouvoir et garantir l’égalité femmes-hommes sont ainsi devenus des objectifs à atteindre
pour les entreprises, objectifs souvent intégrés dans le cadre de leur politique diversité. Ces
efforts sont d’autant plus attendus que les lois mises en place depuis 40 ans pour réduire les
discriminations et réduire les inégalités caractérisant la situation des femmes (Laufer, 2003,
2007) ne semblent pas avoir été suivies d’effets. En France, les inégalités s’affirment avec
plus de force sur la question des salaires et des carrières : les femmes percevraient 37% de
moins que les hommes en termes de revenus, en partie en raison du temps partiel souvent subi
et à nombre d’heures équivalentes, leur salaire annuel moyen brut est inférieur de 18,9% dans
les secteurs privés et semi-publics (Le Figaro, mars 2010). De plus, alors qu’elles représentent
37% des cadres des entreprises, elles ne représentent que 7% des membres des comités de
direction et des comités exécutifs des Groupes du CAC 40.
Comment donc évaluer et garantir la compétitivité des ressources humaines, au regard de cet
enjeu sociétal qu’est l’égalité professionnelle ? Comment mesurer les effets en termes de
performance sociale et économique pour une entreprise ?
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Audit social et égalité Professionnelle
Sana Guerfel-Henda & George-Axelle Broussillo
1. Diversité et égalité professionnelle dans l’entreprise
L’égalité professionnelle : un enjeu réaffirmé dans le cadre des politiques de diversité
Le champ de recherche en gestion des ressources humaines reconnait aujourd’hui une place
considérable à la gestion de la diversité. Comme le rappelle Thévenet (2007), cela ne signifie
pas qu’il s’agit d’un phénomène émergent mais plutôt que le concept fait son apparition dans
le débat public. De même, les mesures prises par les pouvoirs publics (sur l’égalité
hommes/femmes, le travail des handicapés, la non discrimination, les différences ethniques ou
religieuses) encouragent les entreprises à s’y intéresser. Deuxièmement, cette préoccupation
est aussi liée aux conséquences de la diversité sur les performances de l’entreprise ou des
équipes qui la composent. Plusieurs auteurs mettent en avant des enjeux forts (Milliken et
Martins, 1996 ; Ely et Thomas, 2001 ; Delhaye et Cornet ; 2004). Ces enjeux sont
économiques, commerciaux ou managériaux. Ceci nous montre que si la diversité est
inhérente à la société en général, les organisations peuvent en tirer partie grâce à un
management efficace. Gérer du personnel, c’est naturellement toujours gérer de la diversité
humaine. Mais actuellement, la lutte contre les discriminations (touchant les femmes, les
minorités visibles, les personnes reconnues handicapées, les syndicalistes, les seniors…) et la
nécessité d’une gestion des âges (pour des raisons démographiques) fait de la capacité à gérer
la diversité des ressources humaines un challenge important pour les entreprises.
L’égalité professionnelle peut être ainsi considérée comme indispensable dans une société
démocratique. Des dispositifs législatifs ont mis en œuvre cet objectif dans une logique de
responsabilité sociale de l’entreprise (Laufer, Pigeyre, 2003, Scotto, 2009). L’égalité
professionnelle peut constituer, dans ce sens, un moyen d’accroître la performance des
entreprises. La diversité, et en particulier la présence significative de femmes à tous les
niveaux, est donc présentée comme une opportunité pour l’entreprise de se développer. Dans
ce cas nous allons nous retrouver face à un développement du management stratégique des
ressources humaines qui tient compte des talents et du potentiel de chacun afin de rendre
l’entreprise compétitive.. Selon Belghiti, (2002) des études Catalyst, (1996, 2004) ont mis en
avant que près de 80% des entreprises qui se préoccupent des carrières des femmes sont avant
tout motivées par les impératifs des affaires et non par un souci de responsabilité sociale ou de
promotion de l’égalité entre hommes et femmes.
Nous constatons aujourd’hui une nette amélioration des préoccupations d’égalité
professionnelle entre les femmes et les hommes dans les entreprises françaises (Scotto et al,
2009). Les cadres juridiques européen et français favorisent cette dynamique en incitant les
entreprises à prendre conscience de ces enjeux. En effet, de nouvelles lois ont été instituées en
matière d’égalité professionnelle pour compléter ou renforcer la loi de 1972 « A travail égal,
salaire égal », la loi Roudy de 1983 affirmant le principe de non-dicrimination dans les
relations de travail : en mars 2006, la loi Nicole Ameline a réaffirmé l’égalité des salaires
avec « la suppression des écarts salariaux entre les femmes et les hommes dans un délai de
cinq ans », en 2008, la loi constitutionnelle a promulgué « l’égal accès des femmes et des
hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ». Plus récemment, en janvier 2011, la
loi Copé-Zimmerman oblige désormais les entreprises cotées en Bourse à nommer « 20% de
femmes dans les conseils d’administration d’ici 2014, et 40% de femmes d’ici 2016.
Pour Scotto, (2008) une approche de l’égalité femmes/hommes apparaît s’appuyant ainsi sur
une réelle logique de promotion (Pfefferkorn, 2002 ; Laret-Bedel 2008). Le contexte français
actuel marqué par des facteurs démographiques et économiques (forte natalité, hausse de la
monoparentalité, crise économique), l’apparition du cadre conceptuel de la diversité, ainsi que
la mise en place de lois sont des éléments qui incitent les entreprises à déployer de réelles
politiques d’égalité professionnelle. Ces politiques ont deux logiques : l’une de sécurisation
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juridique (la lutte anti-discriminatoire et l’égalité des chances), et l’autre plus pro-active (la
logique de Business Case et de performance de l’organisation).
Selon Chiu et Ng (2001), les politiques en faveur des femmes dans l’entreprise se focalisent
sur la lutte anti-discrimination, la formation et le développement professionnel, le changement
de perspective des politiques de ressources humaines visant à intégrer une vision « genderconscious » dans les pratiques. Les résultats d’Olgiati et Shapiro (2002) vont dans le même
sens en dégageant quatre approches telles que les procédures de recrutement et de sélection, le
développement professionnel, les modes d’organisation du travail et ce que les auteurs
définissent comme « l’environnement égalitaire » de l’entreprise et qui démontre le rôle de la
culture d’entreprise dans le développement de ces politiques (Belghiti, 2002).
La question de l’égalité professionnelle semble de plus en plus importante en France (Bender,
2004 ; De Bry et Ballet, 2004) dans un contexte de persistance des inégalités entre les
hommes et les femmes, et ce notamment en matière d’accès aux postes dits à responsabilités
(Okba, 2004 ; Garner-Moyer, 2003 ; Laufer, 2003). Les initiatives pour favoriser la
progression de carrière des femmes s’intensifient du fait de l’existence du concept de diversité
lié aux questions d’égalité professionnelle. Le concept de diversité, dans ce cas, examine les
politiques d’égalité professionnelle sous l’angle du business case, à savoir sous l’angle de
leurs enjeux économiques, ce qui pourrait constituer une opportunité et favoriser leur
développement (Bender et Pigeyre, 2004 ; Cornet et Rondeaux, 1998).
Caractérisation des politiques d’égalité professionnelle
Selon Landrieux (2005), les politiques d’égalité professionnelle peuvent être caractérisées en
fonction des enjeux et des outils mis en place par les entreprises. On les analyse suivant une
logique de reconnaissance de capacités égales entre les hommes et les femmes qui concerne
les politiques d’égalité des chances ou de discrimination positive (approche radicale, égalité
présente aussi dans les résultats) et aussi suivant une logique de valorisation des différences,
qui est celle de la gestion de la diversité (Bender et Pigeyre, 2004).
Ces politiques d’égalité professionnelle consistent à réduire et combattre les inégalités et les
discriminations que les femmes continuent à rencontrer sur le marché du travail même avec
l’existence de lois relatives à l’égalité de rémunérations de 1972, à l’interdiction des
discriminations à l’embauche en 1975 ou encore les lois de 1983 et 2001. Comme nous
l’avons dit précédemment, la loi de 1983 « instaure un principe de non discrimination entre
les sexes dans les domaines du recrutement, de la promotion, de la rémunération, de la
formation, de la qualification et de la classification» (Laufer, 2003). Elle transpose également
en droit français une directive européenne de 1976 qui autorise le principe des actions
positives. « On passe ainsi d’un principe négatif de non discrimination à un principe positif
d’égalité » (Maruani, 2000).
Quant aux politiques d’égalité des chances elles visent à s’assurer que tous les salariés sont
traités de manière équitable et qu’ils ne sont pas sujets à des actes de discrimination sur leur
lieu de travail.
Les politiques de discrimination positive font référence aux actions entreprises pour
surmonter les effets de pratiques passées ou présentes ou de barrières à l’égalité des chances.
Il s’agit d’un premier pas pour corriger des injustices ou erreurs passées (Cascio, 1995, p. 62).
Garner-Moyer (2004) distingue une approche américaine, caractérisée par un traitement
préférentiel consistant « à choisir un candidat appartenant à un groupe minoritaire alors qu’au
moins un membre appartenant à un groupe non minoritaire avait un niveau de qualification
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supérieur », d’une approche européenne qui se fonde sur « la notion de discrimination à
rebours » qui est « une différence de traitement qui inverse le mécanisme d’une
discrimination antérieure ». Le fait de constater des inégalités à l’encontre des femmes sur le
marché du travail (Garner-Moyer, 2003 ; Maruani, 1998 ; Mossuz-Lavau et al., 1997) attribue
à ces politiques un enjeu moral. Ces différences s’expriment en termes de salaires, de carrière
ou bien face au chômage et à la précarité (Belghiti et Rodhain, 2001). En matière de salaire,
de nombreuses études tentent de mesurer la discrimination salariale et montrent que les écarts
augmentent pour les salaires les plus élevés (Le Minez et al., 2002 ; Barrat et al., 2003). Par
ailleurs, l’emploi féminin se caractérise également par une forte concentration horizontale
(Génisson, 1999 ; Okba, 2004), mais aussi par une ségrégation verticale : on parle alors du
plafond de verre pour décrire les difficultés d’accès des femmes aux postes de responsabilités
(Cotta, 2000 ; Epiphane, 2001 ; Laufer et al., 1997).
Doniol-Shaw et al. (1989) estiment qu’« un plan pour l’égalité se résume, pour les partenaires
sociaux, à un plan de formation accompagné de déclarations d’intention sur la nécessité de
limiter les discriminations existantes…la négociation des plans d’égalité professionnelle
semble se faire en totale déconnexion de la politique générale des entreprises et plus
précisément des négociations ‘traditionnelles’ sur les salaires, la promotion… ». Laufer
(1992) affirme l’importance de la formation, qui est « un terrain consensuel », dans les
mesures, suivie du recrutement, et dans de rares cas des rémunérations, des conditions de
travail, du développement de carrière… Ces plans se focaliseraient sur la formation, mais
celle-ci ne serait pas suffisamment articulée avec d’autres dimensions essentielles, telles que
la promotion, les rémunérations, l’aménagement du temps de travail… (Laufer, 1992).
Le développement de réseaux de femmes dans 32% des cas ou la facilitation de l’insertion des
femmes dans les réseaux de l’entreprise (36%), le parrainage (36%) ou encore le coaching de
cadres (54%) sont utilisés pour développer le potentiel des femmes. D’autres actions visent
les procédures existantes dans l’entreprise et s’interrogent donc sur leur caractère neutre.
Ainsi, 36% des entreprises disent « reconsidérer les systèmes d’évaluation et de rémunération
» et 50% d’entre elles disent « prendre en compte les cycles différenciés de carrière ».
Un autre type d’actions s’intéresse à l’environnement égalitaire, via dans 96% des cas, la «
sensibilisation des équipes dirigeantes » ou encore la mise en place d’un « site intranet
d’échanges et d’information » dans 36% des cas. Enfin, la conciliation de la vie familiale et
professionnelle serait favorisée. 79% de ces entreprises affirment agir sur la flexibilité
(horaires, temps de travail, télétravail…), elles mettent aussi, dans 57% des cas, à disposition
des services pour faciliter le quotidien et cherchent, dans 57% des cas également, à faciliter
les départs et retours de congés maternité.
La loi dite des Nouvelles Régulations Economiques (NRE) de 2002 oblige les entreprises
inscrites sur le premier marché boursier à communiquer des rapports environnementaux et
sociaux détaillés, au afin de traiter de l’égalité professionnelle entre les femmes et les
hommes. Les entreprises ont la liberté du choix de leur référentiel. La plupart d’entre elles
adoptent celui de la Global Reporting Initiative qui présente un guide d’indicateurs favorisant
la mesure et la présentation des résultats en matière de Responsabilité sociale. Parmi ces
indicateurs, deux peuvent être reliés au genre. La norme internationale ISO26000, soutient la
dimension du genre. En effet, elle prône « la promotion de l’égalité des sexes et
l’autonomisation des femmes » et « la prévention de la perpétuation des stéréotypes en
matière de sexe ». Les entreprises sont notamment obligées de mettre en place des
programmes « traitant de questions telles que le chômage des jeunes, le sous-emploi des
femmes ainsi que la sous représentation des femmes à des postes de responsabilités (Laufer et
Fouquet, 1998) ». Le Conseil Economique et Social, lors d’une étude menée en 2007, a mis
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en avant des inégalités existantes en matière de rémunérations et a recommandé le
renforcement des politiques d’égalité professionnelle par la création d’indicateurs additionnels
comme l’institution de quotas au sein de la gouvernance des entreprises. Cette
recommandation a trouvé un écho quatre ans plus tard dans la loi Copé-Zimmerman sur les
quotas de femmes dans les Conseils d’administration.
Des initiatives ont été mises en place pour inciter les entreprises mettre en place ces
programmes en faveur de l’égalité professionnelle comme, par exemple, le label « Egalité »,
créé en 2004. Certaines entreprises agissent donc en faveur de la diversité (Cornet et Warland,
2008), y compris en matière de genre. De Bry et Ballet présentent des champs de pratiques
ciblés : la formation et sensibilisation, le recrutement, la promotion, l’organisation du travail,
la mobilité professionnelle des femmes, l’assistance personnelle afin de concilier vie
professionnelle et vie familiale et la gestion des temps de carrière des salariés féminins
notamment en cas de congés maternité ou parental (de Bry Ballet 2006).
Des enquêtes menées auprès de DRH permettent de mieux comprendre les motivations qui
président à la mise en œuvre de politiques de gestion de la diversité ou d’égalité
professionnelle dans les entreprises. On peut les recenser suivant l’argument de pénurie de
main d’œuvre et de cadres : 51% des entreprises réfléchissent à la situation ou à la carrière des
femmes (Accenture-GEF, 2003) ainsi que 57% des DRH européens interrogés, lesquels
pensent qu’une politique active de gestion de la diversité représente une solution partielle aux
pénuries de main d’œuvre (CSES, 2003). L’argument d’un management féminin est
également avancé par 89% des entreprises de l’enquête Accenture-GEF (2003) qui ont des
politiques en faveur des femmes. L’argument commercial est repris par 53% des entreprises
qui réfléchissent à la situation des femmes et à leur carrière, car une part importante de leurs
clients est constituée de femmes (Accenture-GEF, 2003). De la même façon, 57% des
entreprises avancent qu’une politique de diversité permet un accroissement de la qualité du
service et de la satisfaction des clients (CSES, 2003). L’image est aussi une motivation
importante, puisque 54% des entreprises qui se penchent sur la question des femmes pensent
qu’une telle politique permet d’améliorer l’image de l’entreprise auprès des différents
partenaires (Accenture-GEF, 2003). 69% des DRH européens interrogés pensent, eux aussi,
qu’une politique de gestion de la diversité permet de promouvoir la notoriété de l’entreprise
(CSES, 2003). Malgré cela, les entreprises semblent aussi conscientes de leur responsabilité
sociale. En effet, 83% des entreprises qui réfléchissent à la situation des femmes le font sur la
base d’un principe d’égalité, jugeant que « les hommes et les femmes doivent avoir les mêmes
opportunités d’accès aux postes de direction » (Accenture-GEF, 2003).
Les politiques d’égalité professionnelle répondent donc à des préoccupations sociales (logique
d’égalité), même si les motivations économiques sont nombreuses, comme nous l’avons vu. Il
est cependant difficile de savoir si les politiques mises en œuvre atteignent effectivement leurs
objectifs en matière d’égalité professionnelle et si elles répondent aux attentes soulevées et
décrites précédemment dans les motivations. En effet, peu d’études s’intéressent aux effets
des politiques mises en œuvre (Chiu et Ng, 1999 ; Benschop, 2001). Ces démarches sont trop
rarement suivies et évaluées (Laufer, 1992, p.40). Considérons donc maintenant quelques
pratiques sur le terrain en matière d’égalité professionnelle et les modes d’évaluation mis en
œuvre.
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2. Promouvoir et garantir l’égalité professionnelle sur le terrain
Promouvoir l’égalité professionnelle : le cas L’Oréal
Pour répondre à cet impératif de gestion des diversités dont l’égalité professionnelle fait
partie, de nombreuses entreprises ont cherché un répertoire de pratiques permettant de se
prémunir contre le risque de discriminations et, pour les plus proactives, ont élaboré des
stratégies intégrées afin de devenir des organisations plus diversifiées. En créant un
environnement de travail caractérisé par l’ouverture et la tolérance, en travaillant sur les
représentations et les comportements relatifs à autrui, les entreprises seraient censées favoriser
l’intégration et le développement des potentiels de chacun, dans le respect des identités et des
différences. Quels sont alors les contours de l’entreprise idéale pour les femmes ?
Considérons principalement le cas de L’Oréal. Leader sur le marché des cosmétiques, le
Groupe est composé majoritairement de femmes (elles représentent 64% de ses effectifs dans
le monde, 61% des cadres recrutés) et est engagé de longue date en faveur des diversités et de
la non-discrimination. Ainsi, valoriser et promouvoir les femmes aux postes à responsabilités,
garantir la mixité dans les équipes et l’égalité professionnelle femmes-hommes font partie
intégrante de la politique diversité de L’Oréal. En effet, depuis les années 70, afin de fidéliser
ses collaboratrices, ce Groupe, à l’avant-garde, accorde 4 semaines de congé maternité
supplémentaire à ses collaboratrices. Du nom du fondateur de L’Oréal, le Congé Schueller a
concerné 624 collaboratrices en France fin 2010. Celles-ci peuvent fractionner ce congé
(rémunéré à 100% par l’entreprise) jusqu’aux trois ans de l’enfant. Depuis, signataire de la
Charte de la Diversité en France en 2004, L’Oréal a formalisé en 2005 ses engagements en
faveur des diversités -et par conséquent, de l’égalité professionnelle - à travers une politique
globale et internationale qui s’articule autour de 6 dimensions (le genre, la nationalité, le
handicap, l’origine sociale, l’origine ethnique et l’âge) et qui mobilise 5 leviers stratégiques :
le recrutement & intégration, la formation, le management & inclusion, la gestion de carrière
et la communication.
Placé au cœur des préoccupations du Groupe, de la composition des équipes aux produits
développés, le management des diversités recouvre ainsi des enjeux majeurs pour L’Oréal.
D’une part, des enjeux économiques : dans la mesure où le Groupe crée des produits dans le
respect des différences de types de peau, d’âges, de traditions esthétiques, de styles. La mixité
et la complémentarité des regards sont donc absolument essentielles pour répondre aux
attentes de ses clients. D’autre part, des enjeux d’ordre organisationnel et liés à la Gestion des
ressources humaines puisqu’il s’agit pour L’Oréal d’attirer et de retenir les meilleurs
managers dont des femmes. De plus, dans une logique d’entreprise citoyenne et pour répondre
pro-activement à des sollicitations sociétales de plus en plus nombreuses sur la thématique des
diversités, le Groupe va plus loin en soutenant des programmes d’accompagnement et de
développement des femmes dans la société. Quelles sont donc les actions mises en œuvre en
interne et en externe pour promouvoir l’égalité professionnelle ?
Grâce à un ensemble d’initiatives RH et managériales, les femmes sont beaucoup plus
présentes dans les instances de direction de ce Groupe. Vers la fin 2010, elles représentaient
dans l’ensemble du Groupe : 21,4 % des membres du Comité exécutif (contre 7,3 % en
moyenne dans les entreprises du CAC 40), plus de 20% du Conseil d’Administration, (contre
10,5 % en moyenne dans les entreprises du CAC 40), 39% des membres de Comités de
Direction. Elles sont aussi présentes dans le Groupe dans des domaines habituellement
masculins.
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Dès le recrutement, le Groupe participe à des forums dédiés aux femmes. Néanmoins, il s’agit
bien d’avoir au final des équipes mixtes en féminisant des fonctions fortement masculinisées
ou en masculinisant des fonctions fortement féminisées comme le marketing ou la
communication.
De plus, le mentoring est une pratique intégrée dans le cadre des programmes d’intégration.
En direction de tous, cette pratique consiste à faire accompagner un(e) salarié(e) par une
personne référente, très expérimentée, « un parrain ou ami de carrière », n’appartenant pas à
sa ligne hiérarchique et qui l’aide à connaître et décoder l’organisation, élargir ses
compétences, former son réseau et se projeter. Dans un Groupe où l’oralité et le réseau sont
des éléments essentiels, le mentoring permet ainsi de favoriser l’apprentissage et de renforcer
l’égalité des chances. En instaurant le mentoring auprès de ses collaborateurs, L’Oréal affirme
ainsi sa volonté de rechercher plus de parité. Dans cette dynamique, la mise en place d’un
réseau de femmes /d’un think tank sur l’égalité professionnelle est en cours de réflexion.
La mobilité internationale, en tant que puissant accélérateur de carrière, est également
proposée aux managers femmes. Les équipes RH se proposent alors si besoin d’aider le
conjoint à trouver une activité professionnelle sur place. Chez L’Oréal, 34 % des expatriés
sont des femmes, fin 2010. Plus largement, tout au long de leur carrière, les collaborateurs de
L’Oréal ont accès à des dispositifs qui ont vocation à améliorer la conciliation vie privée-vie
professionnelle. En allégeant les contraintes de vie personnelle, L’Oréal permet ainsi à ses
collaboratrices de mieux s’investir professionnellement. Par exemple, en décembre 2008, un
accord sur l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes a été signé à l’unanimité
par les organisations syndicales du Groupe. Cet accord prévoit, tout d’abord, en matière
salariale, que « les principes de la politique salariale de L’Oréal s’appliquent sans
discrimination aux femmes et aux hommes ». L’entreprise s’est donc engagée à corriger les
écarts de salaires injustifiés dans l’hypothèse où de tels écarts seraient identifiés. Deux ans
plus tard, le Bilan Diversités France de L’Oréal, publié pour la 1ère fois en septembre 2010,
fait état d’une réduction progressive des écarts de rémunérations femmes – hommes depuis
2004 : l’écart est environ de 3% fin 2010, contre une moyenne nationale de 17%.
Par cet accord, le Groupe a, de plus, réaffirmé son engagement à veiller à l'égalité des
hommes et des femmes en ce qui concerne les possibilités d'évolution professionnelle. Ils
peuvent ainsi avoir accès à tous les emplois quel qu’en soit le niveau de responsabilité, y
compris les plus élevés, l’accès des femmes aux postes à responsabilité se faisant sur les
mêmes critères que pour les hommes. Enfin, concernant les périodes dites de parentalité,
l’accord prévoit le renforcement, voire l’évolution de nombreuses mesures afin que ces
absences ne soient pas préjudiciables à l’évolution professionnelle : la mise en place d’un
« entretien de retour » pour la salariée en congé maternité, le maintien du salaire des
collaborateurs en congé paternité, en complément des indemnités de sécurité sociale, en sont
des exemples.
Initiée par l’association SOS Préma et L’Oréal en 2008, la Charte de la Parentalité en
Entreprise est une initiative innovante en matière d’accompagnement des salariés-parents.
Parrainée par le Ministère du Travail, des Relations Sociales, de la Famille et de la Solidarité
en France, cette charte a été signée par plus de 200 entreprises à ce jour. Elle s’entend comme
un véritable modèle en la matière et compte 3 objectifs :
o
Faire évoluer les représentations liées à la parentalité dans l’entreprise.
o
Créer un environnement favorable aux salariés-parents, en particulier pour les femmes
enceintes.
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o
Respecter le principe de non-discrimination dans l’évolution professionnelle des
salariés-parents.
Depuis, L’Oréal a accéléré le déploiement des crèches interentreprises en France et est, depuis
début 2010, membre fondateur du Club des Crèches en Entreprises créé par le Ministère du
Travail. A ce jour, près de 100 berceaux sont proposés aux collaborateurs en Ile-de-France, à
proximité des différents sites (Levallois, Clichy, Asnières, Ormes, Chevilly-Larue et SaintOuen). Après le développement des places de crèches, le Groupe a proposé à ses
collaborateurs du site de Saint-Ouen un accès privilégié à un nouveau service : un centre de
loisirs interentreprises. En septembre 2010, ce centre, géré par Filapi a accueilli 17 enfants dès
3 ans, le mercredi et pendant les vacances scolaires au travers d’activités ludiques et
pédagogiques par groupe d’âge.
Certains dispositifs mis en place avant la signature de l’accord, tout en rencontrant un vif
succès auprès de tous les collaborateurs, permettent d’accompagner qualitativement les
femmes dans leur évolution professionnelle en facilitant la conciliation vie familiale – vie
professionnelle : services de conciergerie (traiteur, pressing, etc), dispositif Mercredis pères et
mères de famille. A travers ce dispositif, L’Oréal offre la possibilité aux mères et pères d'un
enfant de moins de 12 ans révolus de s’absenter un, deux, trois ou quatre mercredis par mois.
Ce dispositif représente 36,7 % des motifs de temps partiel fin 2010.
Outre ces mesures RH et managériales présentées pour promouvoir les femmes aux postes à
responsabilités, L’Oréal participe également à des initiatives innovantes visant à aider les
femmes à prendre conscience de leurs propres biais intérieurs et à oser les dépasser, afin
qu’elles ne participent pas à créer elles-mêmes « le plafond de verre ». Initié par Danone, en
partenariat avec L’Oréal, KPMG, Crédit Agricole, PSA, SNCF et Schneider Electric, le
programme EVE a réuni, pour la 1ère fois, en décembre 2010 près de 250 femmes et quelques
hommes à Evian pour travailler pendant 2 jours et demie sur la relation à soi, la relation aux
autres et le leadership au féminin. Par un cheminement individuel et collectif, chaque femme
a ainsi appris à « oser être soi pour pouvoir agir », thématique du séminaire.
Citons également une autre initiative interentreprises à laquelle le Groupe a participé : la
création d’un guide « Egalité Femmes-Hommes en entreprise ». Paru en mars 2011, ce guide
a pour objectifs de faire progresser la place des femmes dans les entreprises et les bonnes
pratiques tout en démontrant que l’égalité femmes/hommes est une question de société qui
impacte autant la compétitivité des entreprises que la vie personnelle des collaborateurs, et qui
concernent autant les femmes que les hommes.
L’engagement de L’Oréal en faveur des diversités, et notamment de l’égalité professionnelle,
s’est également renforcé en Europe si bien que le Groupe est, à ce jour, la seule entreprise
membre du Comité de pilotage de la Commission européenne sur les questions de diversité.
Et pour cause : après avoir fait partie des premières entreprises à avoir signé la Charte de la
Diversité en France, le Groupe a été signataire de la Charte en Belgique, en Allemagne, en
Espagne, en Autriche, ainsi qu’en Italie et en Suède (où, dans ces deux derniers exemples, ses
filiales ont contribué à la création des chartes nationales). L’Oréal a ainsi favorisé le
développement de places en crèches notamment pour sa filiale allemande, la garde d’enfants
étant un enjeu majeur en Allemagne.
Mais comment évaluer et certifier les pratiques en faveur de l’égalité professionnelle en
France et en Europe. Quels sont les outils à dispositions pour auditer les processus RH et
managériaux ?
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Audit social et égalité Professionnelle
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Evaluer l’égalité professionnelle sur le terrain : exemples d’audits
Les entreprises sont de plus en plus nombreuses à afficher des objectifs en matière de
politique et de pratique de diversités et notamment d’égalité professionnelle. L’audit permet
de vérifier si ces objectifs ont été atteints. Le référentiel utilisé est donc l’engagement pris.
Cet engagement est ou non chiffré. L’auditeur identifie les écarts et les risques qui en
découlent et les causes des insuffisances constatées. Il propose des mesures pour remédier
aux carences. Les missions d’audit égalité portent, en particulier, sur les principaux process
RH de l’entreprise pour lesquels des objectifs explicites ou implicites sont identifiables:
Recrutement, Intégration, Formation et développement des compétences, Mobilité et
évolution de carrière, Evaluation et détection des potentiels, Organisation du travail,
Rémunérations. Au nombre des instruments de mesure, l’audit social, comme le soulignent
Peretti et Frimousse (2004), est un instrument d’évaluation de la compétitivité des ressources
humaines, source de performances sociale et économique pour l’entreprise et créatrice de
valeurs. Il permet d’améliorer des décisions stratégiques et opérationnelles ; et de concilier
l’économique, le social et l’humain (Peretti, 1998). Dans ce sens l’objectif de cet audit est de
développer le potentiel humain afin de rendre les entreprises plus performantes. Il leur peut
permettre d’assumer leur responsabilité sociale en améliorant les conditions de travail.
En matière d’évaluation et de certification des pratiques en faveur de l’égalité femmeshommes en France, le label égalité professionnelle est un outil incontournable. Créé en 2004 à
l’initiative de l’association Arborus sous le haut parrainage de Nicole Ameline, ancienne
Ministère de la parité, il est décerné par l’AFNOR pour une durée de trois ans avec un audit
de renouvellement à dix-huit mois. Il a permis a plus de 40 entreprises à ce jour de faire
reconnaître et certifier leurs pratiques en faveur de l’égalité professionnelle.
Créé également sous l’impulsion d’Arborus en 2010, le label européen pour l’égalité
professionnelle, Gender Equality European Standard, poursuit la même ambition avec un
périmètre plus étendu. Bénéficiant du soutien de la Commission Européenne et de la
contribution de 6 entreprises (L’Oréal, Orange, BNP Personal Finance, Randstad, PSA et
General Electric), cette initiative 1ère du genre en Europe a rendu possible l’audit des
processus RH et managériaux des entreprises à la fois au niveau Groupe et dans chacune des
filiales auditées. Décerné par Bureau Véritas Certification pendant 3 ans et renouvelable à 18
mois, ce label sera remis aux premières entreprises labellisées en juin 2011.
Autre outil d’évaluation exploitable sur un périmètre mondial : le 1er Label international pour
l’égalité professionnelle, Gender Equality Certification. Initié par Gender Equality Project,
une fondation suisse, avec la contribution d’une dizaine d’entreprises (BC Hydro, Pfeizer,
Ogilvy, Coca-Cola, Alcaltel-Lucent, KPMG et L’Oréal) et en partenariat avec le World
Economic Forum, ce label permet aux entreprises de bénéficier d’un outil d’auto-évaluation
se rapportant à des objectifs chiffrés. Lancé officiellement lors du forum de Davos de janvier
2011, il sera remis aux premières entreprises labellisées début 2012.
En conclusion, nous pouvons avancer que la dynamique créée en faveur de la diversité en
France a permis de relancer le débat sur l’égalité professionnelle femmes-hommes. A travers
à la fois des engagements forts et la mise en place de dispositifs d’accompagnement et de
développement, les entreprises se sont engagées soit à poursuivre leurs efforts, et c’est le cas
de L’Oréal, soit à impulser le changement dans leurs pratiques RH, managériale, voire dans
l’organisation du travail. Pour développer ou promouvoir leurs actions en faveur de l’égalité
professionnelle, elles participent de plus en plus à des initiatives collectives (séminaire de
formation interentreprises, guide de sensibilisation) et contribuent même à la création d’outils
d’évaluation et de certification. L’audit social prend ainsi toute sa place dans leurs dispositifs
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de mesure des moyens mis en œuvre ou des résultats accomplis. A l’heure où les conseils
d’administration doivent se féminiser (loi Copé-Zimmermann), où les entreprises ont
l’obligation de pratiquer l’égalité salariale, à l’heure où le chômage touche davantage les
quartiers populaires et les femmes, il s’agit pour elles d’être pro-actives et de repenser le
modèle de l’entreprise fait par des hommes pour des hommes.
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La socialisation organisationnelle des nouvelles recrues : entre valeurs humaines et valeurs économiques
Sana Guerfel-Henda & Manal El Abboudi
LA SOCIALISATION ORGANISATIONNELLE DES NOUVELLES
RECRUES : ENTRE VALEURS HUMAINES ET VALEURS
ECONOMIQUES
Sana GUERFEL-HENDA
Professeur, ESC Sup de Co Amiens
Responsable Pôle Leadership et Ressources Humaines
[email protected]
Manal EL ABBOUBI
Professeur, ICHEC Brussels Management School,
Chercheur Post-doc Louvain School of Management,
Université catholique de Louvain
[email protected]
1. Introduction
Aujourd’hui nous nous retrouvons face à un contexte dans lequel des changements
sociodémographiques et économiques bouleversent le marché du travail. Les entreprises vont
dans ce sens se préoccuper de plus en plus de la gestion de l’intégration professionnelle des
nouveaux arrivants pour tenter de les fidéliser sur le long terme. Cette stratégie est surtout
axée sur les jeunes qui disposent de talents porteurs de valeur ajoutée. Ainsi, les départs
massifs en retraite des seniors, la rareté de la main d’œuvre qualifiée au niveau des jeunes, les
démissions prématurées, ainsi que la concurrence accrue ne font qu’augmenter la sensibilité
de la question de l’intégration et de la socialisation.
En effet, l’entrée en entreprise des jeunes diplômés est un sujet crucial dans la gestion des
ressources humaines même si les différentes approches théoriques qui lui sont dédiées ne sont
pas tout à fait homogènes. Cependant il faut faire la distinction entre l’insertion
professionnelle et l’intégration professionnelle. En effet, nous entendons par insertion
professionnelle l’accès à l’emploi, la phase de transition entre formation initiale et vie
professionnelle de la jeune recrue, tandis que l’intégration professionnelle renvoie à l’étape de
l’entrée de la recrue dans l’organisation.
L’intégration des nouveaux salariés ainsi que leur socialisation, a toujours été négligée par la
gestion des ressources humaines. La question de l’intégration est cruciale car recruter un
salarié engendre toujours des coûts souvent considérés comme un investissement par les DRH
or des facteurs sont à prendre en compte dans ce processus d’intégration. D’abord, les attentes
et les comportements de la nouvelle génération à l’égard de l’entreprise ont changé avec le
temps aussi.
Bien que la question de l’intégration professionnelle des jeunes soit reconnue par les DRH en
tant que problème, les moyens mis en place pour réussir cette phase n’est pas toujours à la
portée de toutes les entreprises. En effet, pour maîtriser l’étape de l’intégration, les managers
ont besoin de vraies politiques voire des stratégies de socialisation souvent à l’image de leur
culture d’entreprise.
La gestion de l’intégration des nouveaux arrivants est un domaine qui a suscité de nombreuses
recherches pour identifier les facteurs qui permettent sa réussite ou son échec. Cet
engouement de la part des chercheurs autour du sujet s’explique par l’importance de
l’intégration professionnelle dans les organisations et les conséquences qui découlent de la
manière dont elle est gérée. En effet les organisations qui la réussissent bénéficient des
avantages en amortissant les frais de recrutement engagés grâce à la valeur ajoutée fournie par
leurs meilleurs salariés, tandis que celles qui échouent, assistent aux départs prématurés de
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La socialisation organisationnelle des nouvelles recrues : entre valeurs humaines et valeurs économiques
Sana Guerfel-Henda & Manal El Abboudi
leurs recrues et un turnover important. Selon Perrot (2008), la socialisation organisationnelle
constitue, une notion importante et un enjeu crucial pour les entreprises qui souhaitent
fidéliser leurs collaborateurs, tout en tenant compte des coûts du recrutement et du turnover.
Ainsi, pour tenter d’apporter des réponses aux préoccupations des organisations en ce qui
concerne la gestion de l’intégration, les chercheurs comme Van Maanen (1978) et Schein
(1979) ont d’abord tenté d’expliquer le phénomène de l’intégration ainsi que les éléments
qu’il recouvre. Ils considèrent alors l’intégration comme une partie du processus de
socialisation organisationnelle. Cette dernière est définie comme « le processus par lequel on
enseigne à un individu et par lequel cet individu apprend les ficelles d’un rôle
organisationnel. Dans un sens plus général, la socialisation est le processus par lequel un
individu acquiert les connaissances sociales et les compétences nécessaires pour assumer un
rôle dans une organisation» (Lacaze, 2005).
La socialisation organisationnelle est un processus à l’intérieur duquel la gestion de
l’intégration se passe dans la phase d’entrée dans l’organisation. Jones (1986) a pu identifier
les pratiques utilisées par les organisations pour intégrer leurs recrues et les a regroupé en 6
couples bipolaires avec dans chaque couple des pratiques qui s’opposent mutuellement. C’est
par la suite que Van Maanen (1978) et Schein (1979) ont regroupé ces pratiques dans deux
types de procédures d’intégration distinctes : la procédure individualisée et la procédure
institutionnalisée.
D’une part, les procédures individualisées sont constituées de pratiques qui donnent une
grande autonomie au nouvel arrivant et sont utilisées par les petites entreprises. D’autre part,
les procédures institutionnalisées sont constituées de pratiques qui exigent une forte
conformité aux normes de l’entreprise et sont généralement utilisées par les grandes
entreprises.
Cependant, de nombreuses critiques sont faites aux travaux de ces chercheurs surtout quand il
s’agit de la prise en compte des comportements de la jeune recrue. En effet, si les premières
recherches avaient comme objectif d’identifier les pratiques utilisées par les entreprises pour
intégrer leurs recrues, les recherches actuelles privilégient davantage les problématiques liées
à la gestion de l’intégration par les nouveaux arrivants eux-mêmes.
En effet, le processus d’intégration est souvent vécu selon Louis (1980), comme une période
de stress avec un niveau d’incertitudes très élevé vis-à-vis de l’organisation. La gestion de
cette phase dépend des aptitudes de l’individu à s’intégrer ainsi que des moyens mis en place
par l’organisation qui l’accueille. Par ailleurs, des recherches ont été réalisées sur l’adéquation
entre l’individu et l’organisation pour étudier les éventuels effets du niveau d’adéquation sur
la qualité de l’intégration. La notion d’adéquation a été abordée par (S. Perrot, 2001, p. 4748) en faisant référence aux travaux de Lorsch et Morse (1974) et Bowers (1973) et Bem et
Allen (1974). Holland (1973) d’Andria (1995). Ainsi l’adéquation entre l’individu et
l’organisation se mesure lors du recrutement, au niveau des attentes de chacun, et au niveau
du travail.
Cependant, ces résultats ne représentent qu’une infime partie de ce qu’il faut connaître sur les
nouveaux arrivants. Bien que les chercheurs se sont intéressés au rôle de l’individu dans
l’organisation ou de son adéquation avec celle-ci, la question des effets que peuvent avoir les
procédures d’intégration sur les tactiques des jeunes recrues reste moins développée.
L’objectif de notre recherche est de connaître les tactiques que les jeunes ont tendance à
développer selon le type de procédure d’intégration utilisée par l’organisation qui les a
accueillis.
Cela pose la problématique de l’impact des pratiques et procédures d’intégration sur les
tactiques individuelles des jeunes recrues. Les chercheurs ont déjà affirmé que les procédures
d’intégration avaient un impact sur les tactiques individuelles en disant que d’une manière
générale, les procédures institutionnalisées (formalisées) réduisent le stress et permettent à
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l’individu de se retrouver dans son nouvel environnement, tandis que les procédures
individualisées (non formalisées) augmentent le stress et favorisent les départs prématurés.
Comme problématique de départ, nous nous sommes interrogés sur les effets des procédures
organisationnelles d’intégration sur les tactiques individuelles d’intégration déployées par les
jeunes recrues. En nous posant cette question, nous aimerions savoir si les pratiques
d’intégration organisationnelles (formation, attribution de signes de reconnaissance, gestion
de carrières) permettent aux jeunes recrues de développer des comportements proactifs
(recherche d’informations, quête de soutien social, auto-management, gestion du stress) pour
s’aider à s’intégrer. Enfin nous aimerions connaître lequel des deux types de procédures de
socialisation organisationnelles (individualisées ou institutionnalisées,) favorise mieux les
comportements proactifs.
Ainsi peu de recherches se sont intéressées à la manière dont la recrue réagit aux différentes
pratiques et procédures utilisées par l’entreprise pour son intégration professionnelle. Nous
avons orienté nos hypothèses de recherche sous deux angles : d’une part se rapportant aux
effets des pratiques organisationnelles d’intégration sur les tactiques individuelles et d’autre
part traitant de relation entre les tactiques individuelles d’intégration et les types de
procédures d’intégration. Nous nous sommes donc intéressés à quelques pratiques
d’intégration telles que le tutorat, l’attribution de signes de reconnaissances, le recrutement
ainsi que les procédures formelles, informelles et classiques sur les tactiques individuelles de
recherche d’informations, d’auto-management, de gestion du stress et de quête de relations
sociales.
Cependant, les recherches qui ont été menées jusqu’ici ont comme population cible des
officiers et des personnes qui travaillent en contact direct avec la clientèle, en grande
distribution ou dans la restauration rapide telles que les équipiers, les hôtesses de caisse ou les
téléconseillers. De plus ces recherches s’intéressent plus à déterminer une échelle de mesure
de la qualité de l’intégration à partir de la maîtrise des 4 domaines de socialisation que sont la
maîtrise des tâches, la connaissance de l’organisation, l’intégration sociale ainsi que la
construction d’un rôle.
Ainsi peu de recherches se sont intéressées à la manière dont la recrue réagit aux différentes
pratiques et procédures utilisées par l’entreprise pour son intégration professionnelle. Nous
nous sommes donc intéressés à quelques pratiques d’intégration telles que le tutorat,
l’attribution de signes de reconnaissances, le recrutement ainsi que les procédures formelles,
informelles et classiques sur les tactiques individuelles de recherche d’informations, d’automanagement, de gestion du stress et de quête de relations sociales.
Notre population cible est constituée non seulement de jeunes recrues, travaillant dans des
secteurs d’activités différents pour permettre une meilleure comparaison au niveau des profils,
mais aussi des responsables de ressources humaines et des chefs d’entreprises. Ainsi, notre
population cible est constituée de jeunes apprentis, de stagiaires, de personnes en contrats à
durée déterminée et indéterminée. Les profils de ces jeunes diffèrent de par leur métier, leur
secteur d’activités ainsi que le type de leur contrat de travail.
Pour mener à bien cette recherche, une revue de littérature détaillée sur le sujet de
l’intégration professionnelle des nouveaux arrivants sera d’abord élaborée. Ensuite la
démarche méthodologique ainsi que les outils d’analyse des résultats. Enfin, pour terminer,
nous prendrons le soin de confronter les résultats de la recherche.
2. La gestion de la socialisation organisationnelle dans les organisations
Intégrer une nouvelle recrue a toujours suscité des enjeux que ce soit pour l’entreprise ou pour
le nouvel arrivant. Les enjeux du côté de l’entreprise peuvent être les coûts liés à l’échec d’un
recrutement, l’émergence de nouvelles pratiques avec l’arrivée des jeunes, et la recherche de
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profit. Du côté des jeunes, les enjeux concernent leur capacité à s’adapter ou à s’imposer et le
fait de pouvoir évoluer dans l’entreprise. Ainsi, pour gérer tous ces enjeux, la question de
l’intégration est prépondérante dans le processus de socialisation de la nouvelle recrue.
3. La socialisation organisationnelle comme cadre théorique de référence
Etudier la question de l’intégration sans parler de la socialisation organisationnelle n’a guère
de sens d’autant plus que l’intégration est une étape parmi d’autres dans le processus de
socialisation du nouvel arrivant. C’est donc la raison pour laquelle nous avons choisi la
socialisation organisationnelle comme cadre théorique de référence pour cerner l’ensemble
des éléments qui la constituent pour mieux étudier le phénomène de l’intégration. Outre la
théorie, la littérature sur les pratiques d’intégration et sur les tactiques individuelles déployées
par les jeunes pour s’intégrer revêt une importance non négligeable dans la mesure où l’on se
rapproche de ce qui se passe dans les entreprises en temps réel. Enfin, un apport de la
littérature sur l’adéquation entre l’individu et l’organisation sera traité pour compléter la
littérature sur l’intégration.
4. Définition de la socialisation organisationnelle
Il n’existe pas de consensus concernant la définition de la socialisation organisationnelle.
Ainsi, en fonction des auteurs considérés, la socialisation permet de maîtriser un rôle
organisationnel (Van Maanen et Schein, 1979), de comprendre la culture de l’entreprise
(Louis, 1980) ou de devenir membre de l’organisation (Feldman, 1976). En revanche, peu
d’indications sont données sur la nature du processus à la source de la socialisation. Par
conséquent, elle devient un processus défini par son résultat et non par son fonctionnement
propre. En outre, peu de recherches s’accordent sur la nature de ce résultat, qui paraît être
constitué de plusieurs dimensions.
Van Maanen et Schein (1979) considèrent que la socialisation organisationnelle est une
politique mise en place par l’organisation pour influencer et modeler le salarié. A l’inverse,
Louis (1980) théorise la socialisation organisationnelle comme un processus cognitif de
rationalisation par le salarié qui tente ainsi d’attribuer du sens à son nouvel environnement
social.
5. La dimension temporelle de la socialisation organisationnelle
De par sa définition, la socialisation organisationnelle est un processus dynamique car elle
décrit une continuité dans la phase de transition d’un statut de débutant à celui de
professionnel efficace. « C’est avant tout un processus qui s’inscrit dans le temps. Elle a lieu
à chaque fois qu’un individu change de poste ou de lieu de travail, qu’elle soit bien gérée par
l’organisation ou non » (Delobbe, et al., 2001) (cité par Lacaze, 2005). Pour expliciter la
dimension temporelle de la socialisation, les chercheurs font recours à des études
longitudinales. « En moyenne, les recherches mettent en œuvre 2,68 collections de données
par étude. (…) La première collection intervient en moyenne 1 mois après l’entrée, la seconde
6 mois après, et la troisième 1 ans après l’entrée ». (Fabre, 2005, p15) Ainsi, pour étudier le
phénomène de l’intégration, il faudra le faire durant la première année de la jeune recrue, plus
particulièrement au cours des 3 premiers mois où le processus est plus intense.
En définitive, la socialisation organisationnelle est un processus dynamique, s’inscrivant dans
le temps avec une intensité plus considérable dans les trois premiers mois. Cependant, c’est
également un processus ponctué d’étapes que la nouvelle recrue doit franchir et maîtriser le
contenu.
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6. Les étapes de la socialisation organisationnelle
Feldman (1981) a étudié la socialisation organisationnelle par une approche séquentielle.
Selon lui, pour être intégré dans l’organisation, l’individu doit être socialisé en suivant trois
étapes : 1) la socialisation anticipée, 2) l’entrée effective dans l’organisation, et 3) la
résolution de conflits.
La socialisation anticipée
Elle dure en moyenne un mois (Fabre, 2005) et commence lors de la formation initiale et du
recrutement (Lacaze, 2002). Elle est caractérisée par une quête d’informations par le jeune sur
l’entreprise où il souhaite travailler avant même d’y être embauché. Elle est également, pour
la future recrue, une étape de préparation à l’entrée dans la vie active. En effet, cela se passe
notamment lors des stages en entreprise. Par ailleurs, c’est aussi l’étape du recrutement ; le
moment de la première prise de contact entre l’organisation et la future recrue. C’est une
séquence très importante car c’est le moment de signer le « contrat psychologique » avec la
nouvelle recrue. «L’objectif principal du processus de socialisation c’est de permettre aux
nouveaux arrivants de comprendre la culture de l’entreprise ; défini comme un système de
partage de valeurs. » (Cable, et al., 2000).
En effet, l’entreprise communique au candidat des informations sur son fonctionnement, ses
valeurs ainsi que les membres qui la composent et donc c’est une opportunité pour le nouveau
d’accumuler ces informations pour mieux connaître l’organisation. De son côté, la nouvelle
recrue profite de l’occasion pour confronter ses propres valeurs avec celles de l’organisation.
C’est la raison pour laquelle, on parle de « contrat psychologique ». Dans la plupart des cas,
comme le stipule (Cable, et al., 2000), l’information communiquée aux nouveaux arrivants, en
ce qui concerne les valeurs de l’entreprise, ne correspond pas toujours à ce qui se passe
réellement dans l’organisation. Afin de combler rapidement les postes, les entreprises
préfèrent véhiculer dans les universités, des informations positives sur leur propre image
plutôt que de se coller à une représentation fidèle des réalités de l’entreprise qui pourrait leur
porter préjudice.
La socialisation anticipée est donc un moment très important dans le processus de
socialisation et peut influencer positivement ou négativement la prochaine étape du processus
qui est l’entrée effective dans l’organisation.
L’entrée effective dans l’organisation
Il s’agit d’une période qui peut être critique de par sa capacité à confronter les valeurs
individuelle de la nouvelle recrue avec les valeurs organisationnelle de son recruteur. Elle
dure en moyenne six mois et marque le début de la deuxième étape consistant en l’acquisition
de la culture d’entreprise, du rôle et des compétences attendues dans le travail, et du
fonctionnement au sein de l’équipe (D.Lacaze, 2002). La maîtrise de ces éléments par la
nouvelle recrue est une condition fondamentale pour réussir l’intégration. En effet, c’est le
moment de l’intégration, le moment où le nouveau salarié se confronte à la réalité de
l’entreprise. Dans cette étape, l’organisation et la nouvelle recrue ont toutes les deux un rôle à
jouer. En effet, l’organisation doit mettre en place des actions qui facilitent la transmission
des savoirs et savoir-faire par les membres de l’organisation et leur acquisition par les jeunes
recrues. De leur côté, les jeunes recrues doivent trouver des tactiques pour s’intégrer
rapidement et devenir des membres efficaces dans l’organisation.
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La résolution de conflits
C’est le dernier stade appelé « management des rôles » par Feldman (1976), «acceptation
mutuelle» par Schein (1978) et «adaptation » par Louis (1980). Cette étape dure en moyenne
douze mois. Selon Fabre (2005), la nouvelle recrue a acquis pendant cette étape une identité
organisationnelle, des attitudes, des valeurs et des comportements compatibles avec la culture
de l’organisation qui lui permettent de gérer les conflits de rôle auxquels elle est
potentiellement confrontée.
Lors de cette étape, la jeune recrue a déjà assimilé le contenu de la socialisation et se trouve
en mesure de résoudre les conflits liés à son travail ou son rapport avec les autres membres
del’organisation.
Comme le souligne Eckert (2006), les conflits interpersonnels au cours de la période
d’intégration dans l’entreprise, qu’il s’agisse de conflits entre pairs ou de conflits
hiérarchiques, pourraient constituer autant de moments du processus d’intégration. Il peut être
question de «conflits de légitimité» qui peuvent opposer les jeunes des séniors. Dans ce cas, la
jeune recrue peut revendiquer son long parcours scolaire, ses connaissances scolaires ainsi
que l’importance de ses diplômes. De son côté, le sénior revendique son expérience et sa
connaissance de l’organisation.
Comme il a été expliqué plus haut, la phase de l’entrée dans l’entreprise est la plus importante
car c’est le moment de l’intégration, le moment où la nouvelle recrue est sensée maîtriser les
éléments qui lui permettent de bien s’intégrer. Mais c’est aussi le moment où des pratiques de
socialisation (de l’individu ou de l’entreprise) prennent plus d’ampleur. La partie suivante
s’attarde sur ce point.
7. Le rôle de l’organisation et de l’individu
Le processus de socialisation est géré à la fois par l’organisation et par la nouvelle recrue.
L’organisation choisit ses propres méthodes pour intégrer le nouvel arrivant pendant que ce
dernier en fait de même sa propre intégration. Cependant, les méthodes ne sont pas les mêmes
aussi bien du côté des entreprises que du côté des recrues entre elles.
8. Les pratiques de socialisation dans les organisations
Les pratiques de socialisation sont l’ensemble des pratiques que l’organisation met en œuvre
pour transmettre à la nouvelle recrue, ses valeurs, sa culture, les savoirs et ainsi que tous les
éléments qu’elle considère comme essentiels pour son intégration. Ces pratiques sont en
général héritées du passé dans les petites entreprises (Igalens, et al., 2007), ou utilisées en tant
qu’outils stratégiques dans les grandes entreprises. selon Delobbe et al (2000), la mise en
œuvre ces pratiques peut prendre la forme d’une procédure individualisée ou
institutionnalisée.
9. Les procédures individualisées et institutionnalisées
En étudiant les procédures de socialisation organisationnelle, Van Maanen (1978) et Schein
(1979), ont repéré une série de six couples de pratiques présentées sous forme de bipolarité
qui sont les suivantes :
- Individuelles ou collectives : la nouvelle recrue est intégrée de façon individuelle et va donc
suivre un modèle dans l’organisation, ou en groupe (procédures collectives) quand il y a un
grand nombre de nouvelles recrues à intégrer.
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La socialisation organisationnelle des nouvelles recrues : entre valeurs humaines et valeurs économiques
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- Formelles ou informelles : Dans le cas formel, les nouveaux suivent des formations pour
apprendre leur métier, en étant séparés des plus anciens. Dans le cas informel, ils sont formés
sur le tas avec les plus anciens.
- Séquentielles ou non séquentielles : l’intégration est séquentielle si elle se fait par étape avec
un niveau de difficulté croissant. Elle n’est pas séquentielle, si les étapes ne sont ni définies ni
ordonnées.
- Fixes ou variables : les jeunes recrues sont intégrées selon un planning précis (procédures
séquentielles) ou elles s’intègrent, en suivant leur propre rythme (procédures variables).
- En série ou disjointes : la nouvelle recrue imite la personne qui occupait précédemment son
poste (procédures en série) ou il faut créer son propre rôle au cas où c’est un nouveau poste
(procédures disjointes).
- D’investissement ou de désinvestissement : l’entreprise encourage la nouvelle recrue à
affirmer sa personnalité (procédures d’investissement) ou lui impose de suivre fidèlement les
comportements des membres de (procédures de désinvestissement).
L’ensemble de ces procédures sont regroupées par Jones (1986), en deux catégories distinctes:
les procédures institutionnalisées et les procédures individualisées.
Les pratiques institutionnalisées sont (individuelles, formelles, séquentielles, fixes, en série,
d’investissement) elles exigent une stricte conformité aux normes de l’entreprise et une forte
adhésion à ses valeurs et à sa culture. Jones (1986) a constaté qu’en générale les procédures
institutionnalisées favorisent une grande satisfaction au travail et l'engagement
organisationnel et diminuent l’intention de quitter l’organisation. D’autre part,
Les procédures individualisées sont (collectives, informelles, non séquentielles, variables,
disjointes, de désinvestissement) et elles favorisent l’apprentissage sur le tas et donnent une
grande autonomie à la jeune recrue). Selon Uzoamaka, et al., (1999), les tactiques
individualisées sont associées à des niveaux élevés de conflit et d’ambiguïté au niveau du rôle
que la nouvelle recrue doit tenir.
L’enjeu qui préoccupe les managers aujourd’hui est de trouver un juste équilibre entre un
accompagnement trop formalisé qui empêche la créativité et l’innovation, et un
accompagnement assez limité qui favorise le stress et l’intention de quitter prématurément
l’organisation. Igalens, et al.(2007) tentent de proposer une solution en considérant le facteur
environnemental de l’organisation comme essentiel dans le choix du type de procédure
d’intégration. Selon eux, dans un environnement stable, l’organisation doit adopter un faible
accompagnement tandis que dans un environnement instable, elle doit plus renforcer son
accompagnement. Cependant, la limite de cette proposition est que la définition même de la
stabilité ou de l’instabilité d’un environnement n’est pas précisée.
Par ailleurs, selon Ashforth et al. (1998), le choix du type d’accompagnement se fait en
fonction de la taille de l’entreprise et son contexte organisationnel. En effet, les procédures
formelles (institutionnalisées) ne peuvent fonctionner que dans des organisations qui
favorisent le statuquo plutôt que l’innovation dans le rôle. De plus, selon Boussaguet, et al.,
(2000), les entreprises ayant recours à un programme d’intégration très formel, sont des
entreprises de plus de 100 salariés, dans lesquelles toutes les fonctions sont formellement
définies et organisées hiérarchiquement dans un organigramme. Par ailleurs, on constate que
les programmes d’intégration sont collectifs, dans la mesure où cela concerne plusieurs
nouvelles recrues devront exercer les mêmes fonctions et qui sont recrutées en même temps.
En regard des différents apports théoriques relatifs à la socialisation organisationnelle, nous
nous intéressons dans ce qui suit à explorer les modes opératoires de son fonctionnement.
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La socialisation organisationnelle des nouvelles recrues : entre valeurs humaines et valeurs économiques
Sana Guerfel-Henda & Manal El Abboudi
10. Méthodologie
Eu égard de la nature des questions de recherche que nous nous sommes posées dans cette
recherche, questionnant le pourquoi et le comment, nous avons opté pour une méthodologie
qualitative basée sur des entretiens semi-directifs. Nous avons pour cela interrogé des jeunes
recrues qui ont intégré le marché du travail pour la première fois, chacun dans un secteur
d’activité particulier. Nous avons également interrogé des représentants d’entreprise
(directeur / directeur ressources humaines) pour couvrir l’avis de l’entreprise dans notre
analyse.
Notre échantillon se constitue comme suit :
Fonction
Manager de rayon
Nouvelles recrues
Chargé d’études
Représentants
d’entreprises
Acheteur
Directeur adjoint
Chargé de recrutement
Consultant
Gérant d’une grande surface
Gérant
DRH
DRH
DRH
DRH
Secteur d’activité
Grande consommation
Service aux entreprises
restauration
Milton Roy Mixing
Santé
Service aux entreprises
Conseil
Bricolage
Conseil de TPE et PME
Transport ferroviaire
Industrie-Electroménager
Distribution
Sécurité ferroviaire
de
Tableau 2: Personnes interrogées
Nous avons utilisé un guide d’entretien composé de 17 grandes questions touchant d’une part
les thèmes du tutorat, des signes de reconnaissance, de l’accueil, du principe d’acculturation,
et du recrutement en ce qui concerne les pratiques des organisations. Nous avons orchestré le
guide d’entretien en deux parties. La première comporte des questions sur les pratiques
d’intégration utilisées en entreprise au niveau du tutorat, de l’attribution de signes de
reconnaissance, de l’accueil des premiers jours et du principe d’acculturation. Quant à la
seconde partie, elle traite des tactiques utilisées par la recrue telles que l’auto-management, la
gestion de l’autonomie, l’intégration sociale, son attachement à l’organisation et d’autres
tactiques découvertes à l’issue des entretiens. Nous allons donc restituer les réponses des
recrues par rapport à ces thèmes avant de les confronter à celles des représentants des
entreprises.
11. Résultats
Nous présentons les résultats de notre analyse empirique en nous attardons dans un premier
temps sur les pratiques utilisées par les organisations puis dans un deuxième temps sur celles
utilisées par les nouvelles recrues.
La socialisation organisationnelle vue par les nouvelles recrues
Les personnes interrogées ont décrit la manière avec laquelle leur socialisation au sein de
l’entreprise s’est déroulée et ont témoigné de leur ressenti par rapport aux différentes
pratiques utilisées par leur employeurs. Ces dernières se répartissent entre le tutorat, l’accueil,
la formation initiale, l’évaluation et le suivi d’intégration.
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La socialisation organisationnelle des nouvelles recrues : entre valeurs humaines et valeurs économiques
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La pratique
organisation
nelle
Tutorat
Formation
initiale
Evaluation
Forme de la
pratique
Citations
« Au début je me renseignais auprès de lui, mais en fait il ne prend pas son rôle de tuteur au sérieux,…il m’a très vite fait
comprendre qu’il valait mieux que j’aille voir ailleurs ».
« …on m’a changé de tuteur et le nouveau ne me donne pas assez de retour sur mon travail».
« Tout nouveau projet est un processus d’assimilation de la structure, de sa manière de fonctionner au niveau organisationnel
ce qui fait qu’il faut souvent passer 1 mois et demi, voire 2 mois pour se sentir vraiment à l’aise..., le meilleur moyen pour
moi c’est que je m’adresse aux vieux, ceux qui sont là depuis longtemps, qui maîtrisent parfaitement l’organisation. Après je
fouine tous les documents existants sur l’entreprise. Ce qui était bien chez cette entreprise, c’est qu’il y a quelqu'un qui m’a
formé »
« Le fait qu’il y avait une relation de confiance avec mon tuteur cela facilite les échanges, je n’hésite pas à aller vers lui
quand j’ai un problème, et de son côté, il n’hésite pas à me demander des choses aussi »
« Il y a un certain nombre de… pas de contraintes mais d’obligations à respecter parce qu’on appartient à un groupe
américain et il y a une certaine rigueur à avoir au niveau de ce qu’on appelle le ACE, c’est l’Amélioration Continue vers
l’Excellence. Ca comprend des normes de rangement, d’étiquetage, la transmission des données informatiques, sur les sites
où on peut aller ou non. Dans tous ces domaines là, on a été formé par des intervenants internes et externes et c’est vrai que
c’est quelque chose d’assez lourd quand on est débutant, on est noyé dans la masse des informations fournie, on se sent
perdu »
« Je suis arrivé en entreprise le 7 janvier et toute de suite j’ai eu une semaine de formation. Durant cette semaine de
formation, le mardi soir, il y avait un pot d’intégration, où je rencontrai le Directeur des Ressources Humaines, mon
responsable, mon chef de projet et les autres consultants recrutés. »
« … mon tuteur m’a félicitée pour mon travail, …un travail où ils étaient un peu à la bourre, …C’était au tout début quand il
y avait moins de problèmes. De toute façon j’attendais après une reconnaissance, j’avais besoin de savoir si ce que je faisais
était bien, si j’étais à ma place en tant qu’apprentie qui arrive, … pas une reconnaissance sur le plan financier mais qu’on me
dise si c’était bien ce que je faisais. »
« Tout ce que je fais, c’est analysé de façon ponctuelle. En tant qu’acheteur, nous avons trois objectifs qui sont constamment
mesurés, il y a des reporting qui sont faits où tu vois la performance de tous les acheteurs.»
« Chaque année, on a des entretiens annuel d’évaluation qui ont eu lieu en octobre dernier, je passe un entretien d’évaluation
avec un sou-manager, il fait le point avec tous les managers comme moi et fait le bilan avec mon manager. De octobre à
janvier, ils étudient tous les profils au cas par cas via une commission Rh avec les hauts placés de l’entreprise, où ils parlent
de comment se passe l’intégration de chaque salarié dans l’entreprise et de l’évolution de chacun au sein des missions et de
l’augmentation salariale. Lors de ces discussions, ils se basent sur les grilles d’évaluation et sur les barèmes d’acquisition de
compétences et de performance. Tous les consultants font également une auto évaluation de leurs compétences et de leur
performance. »
Tableau 3: Les pratiques de socialisation pratiquées par les entreprises et observées par les nouvelles recrues
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Pertinence
estimée
Individualisé
Faible
Institutionnalisé
Elevée
Institutionnalisé
Faible
Institutionnalisé
Elevée
Individualisée
Elevée
Institutionnalisé
Elevée
La socialisation organisationnelle des nouvelles recrues : entre valeurs humaines et valeurs économiques
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La socialisation organisationnelle vue par les entreprises
Les représentants des entreprises que nous avons interrogés nous ont expliqué comment la
socialisation s’opère dans leurs établissements et les difficultés qu’ils rencontrent dans la mise
en place de procédures relatives à cela.
En définitive, les représentants d’entreprises que nous avons rencontrés ont tous eu recours à
l’intégration classique au niveau de l’accueil des premiers jours mais avec quelques
spécificités dans la suite de la procédure aussi bien en termes de formation, de tutorat,
d’évaluation et de suivi de la qualité de l’intégration. Les objectifs visés par la formation sont
spécifiques au secteur d’activités des entreprises et dépendent de leurs besoins en termes de
formation. Les entreprises qui appartiennent à des secteurs d’activité très techniques
consacrent des séquences de formation sur les éléments importants de leur activité à tous les
nouveaux arrivants quelque soit le type de poste. L’investissement en matière de formation est
très déterminant dans la réussite de l’intégration dans les entreprises techniques.
Concernant le tutorat, dans toutes les entreprises interrogées, l’intégration est l’affaire de tous.
Elle est gérée à la fois par la direction des ressources humaines et par les managers. La
direction des ressources humaines informe le nouvel arrivant sur l’environnement de
l’entreprise tandis que le tuteur lui enseigne son travail. Etant donné que les interactions sont
nécessaires entre le tuteur et la recrue, le tuteur ne doit pas être le supérieur hiérarchique pour
ne pas empêcher la recrue de poser des questions. Les entreprises sont aussi toutes d’accord
pour dire que le tuteur doit être une personne qui a de l’expérience.
Concernant l’évaluation de la qualité de l’intégration, les entreprises ont recours à des
entretiens périodiques pour déterminer les besoins des recrues. Les attentes des entreprises par
rapport à la recrue sont généralement l’autonomie, la prise d’initiative et la force de
proposition. Cependant, les entreprises techniques n’ont pas besoin d’une forte autonomie de
la part des jeunes recrues au niveau des procédures de travail car leur travail est normalisé.
Par contre, le représentant d’une entreprise de distribution que nous avons rencontré nous fait
part de sa volonté de voir les nouveaux arrivants plus autonomes dans la proposition de
nouvelles idées mais pas dans la recherche d’information qui fait perdre du temps.
Par ailleurs, pour ce qui est des types de procédures d’intégration à privilégier, les entreprises
affirment que les procédures institutionnalisées sont plus efficaces que les procédures
individualisées car elles mettent à l’aise le nouvel arrivant dans son nouvel environnement et
c’est une sorte de reconnaissance envers lui. Enfin, les entreprises qui réussissent mieux
l’intégration sont celles où la technicité du secteur est élevée à cause de la normalisation des
procédures de travail et aux investissements en termes de formation.
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La socialisation organisationnelle des nouvelles recrues : entre valeurs humaines et valeurs économiques
Sana Guerfel-Henda & Manal El Abboudi
La pratique
organisatio
nnelle
Tutorat
Formation
initiale
Evaluation
Forme de la
pratique
Citations
« C’est le supérieur hiérarchique qui est systématiquement le tuteur. De par sa fonction, il est très proche de la
nouvelle recrue »
« Chez nous, le tutorat est un travail en commun entre la direction des ressources humaines et le supérieur
hiérarchique. Les deux doivent pouvoir aider la nouvelle recrue lors de ses premières semaines. »
« le tuteur doit avoir de l’expérience pour pouvoir répondre efficacement aux questions de la nouvelle recrue »
« La formation se passe par la distribution de documents relatifs à l’entreprise (livret d’accueil), par la
présentation des membres de l’entreprises et par une visite des locaux. Plus la nouvelle recrue avance dans
chacune des étapes, plus elle apprend des choses. C’est une sorte de formation qui ne nous coute pas cher in
fine »
« les jeunes ont besoin de comprendre ce qu’ils viennent faire chez nous, c’est la raison pour laquelle nous leur
formons sur des choses spécifiques à nous par exemple sur notre rôle sur le plan juridique en France. ».
« Actuellement, nous sommes très demandeurs des connaissances sur la haute technologie qui sont plus
d’actualité. C’est pourquoi nous ne recrutons pas que des personnes expérimentées – car c’est souvent des
personnes qui sont très âgées mais qui ont du mal à avoir une vision plus récente de la technologie. Ce que nous
faisons c’est recruter des jeunes ingénieurs en complétant leur formation par notre partenariat avec des écoles de
formation ferroviaire. Ainsi, 3 de nos jeunes sont engagés en alternance dans ce nouveau master. »
« nous n’investissons pas beaucoup dans la formation initiale. Comme nous sommes basés dans l’Oise, donc très
proche de la région parisienne, les jeunes viennent souvent chez nous pour avoir une première expérience puis ils
vont travailler à paris après, car il y a des primes de cherté de la vie qui n’existe pas chez nous.
Pertinenc
e estimée
Individualisé
Faible
--Individualisée
--Faible
Institutionnalis
é
Elevée
« Nous menons des entretiens toutes les trois semaines avec le nouvel arrivant, à la fois pour évaluer son Individualisée
intégration dans l’équipe, mais aussi et surtout pour demander si tout va bien »
Elevée
« une enquête a été menée auprès des 20 premiers jeunes qui ont intégré l’entreprise ces trois dernières années et Institutionnalis
nous avons pu évaluer la pertinence de nos méthodes d’intégration, mais surtout, l’enquête a servi aussi d’outil é
d’évaluation des compétences acquises par les jeunes »
Elevée
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Audit social et Egalité professionnelle
Sana Guerfel-Henda et George-Axelle Broussillon
A présent, en interviewant à la fois les recrues et les responsables d’entreprises, nous avons
une vision bipolaire du processus d’intégration qui nous sera utile dans la vérification des
hypothèses que nous nous sommes fixés au départ.
Concernant les effets des pratiques organisationnelles d’intégration sur les tactiques
individuelles d’intégration
L’augmentation des responsabilités est le signe de reconnaissance le plus important pour les
recrues et elle a un effet positif sur la gestion du stress grâce à une relation de confiance qui
s’est instaurée entre la recrue et son manager. Elle permet surtout à la recrue de gérer sa
carrière et elle favorise également la stratégie d’auto-management puisqu’elle encourage la
recrue à prendre des initiatives pour atteindre ses objectifs et avoir de nouvelles missions.
Cependant, ce type de reconnaissance professionnelle n’est possible que dans les métiers où
les objectifs sont formalisés et les feedback réguliers. Enfin, l’augmentation salariale n’est pas
le signe de reconnaissance le plus significatif chez les recrues et n’a aucun effet sur leurs
stratégies d’intégration.
Les types de contrats de longue durée voire à durée indéterminée n’influent pas sur les
tactiques proactives des recrues mais ce sont les exigences du métier et la personnalité de
l’individu qui ont un impact là-dessus et qui agissent sur le déploiement des stratégies
proactives.
Concernant la relation entre les tactiques individuelles d’intégration et les types de
procédures d’intégration
A l’issue de cette recherche, nous avons aussi constaté que les entreprises ont recours aux
pratiques qui relèvent à la fois des procédures d’intégration institutionnalisée et
individualisée. Toutefois, pendant que certaines entreprises tentent de trouver le juste
équilibre entre les deux, d’autres ont tendance à plus favoriser une méthode en particulier.
Du fait qu’elles laissent une large marge d’autonomie à la recrue dans la gestion de son
intégration, les procédures individualisées sont favorables à la recherche d’informations.
Pour ce qui est des tactiques d’auto-management, les procédures individualisées ne les
favorisent pas directement dans le cas de la fixation des sous-objectifs. Concernant la gestion
du stress, il y a des pratiques relevant des procédures individualisées qui ne la facilitent.
Enfin, la quête de relations sociales est plus favorisée par les procédures individualisées car
les recrues laissées à elles mêmes ont tendance à chercher la bonne personne dans
l’organisation qui pourra l’aider à s’intégrer.
Toutes les entreprises que nous avons interviewées ont reconnu que le type de procédure
utilisé pour intégrer la recrue a obligatoirement une influence sur le comportement du nouvel
arrivant. S’agissant des recrues elles-mêmes, nous avons constaté que la formalisation des
pratiques d’intégration a un impact sur la gestion de leur carrière et leur attachement à
l’organisation. D’une façon générale, toutes entreprises affirment que les procédures
institutionnalisées sont plus efficaces que les procédures individualisées car elles mettent à
l’aise le nouvel arrivant dans son nouvel environnement et c’est une sorte de reconnaissance
envers lui. Enfin, les entreprises qui réussissent mieux l’intégration sont celles où la technicité
du secteur est élevée à cause de la normalisation des procédures de travail et aux
investissements en termes de formation. Ces entreprises formalisent une grande partie de leurs
procédures d’intégration.
Pour ce qui est des procédures individualisées, elles ne formalisent pas les pratiques utilisées
par les entreprises pour intégrer le nouvel arrivant, tandis que les procédures traditionnelles
formalisent uniquement l’accueil des premiers jours par la remise d’un livret d’accueil, la
présentation de la jeune recrue aux locaux et aux membres de l’organisation.
Par ailleurs la majorité des recrues a été intégrée en partie par les procédures traditionnelles.
Ces recrues ont été accueilli presque de la même façon avec quelques particularités sur la
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Audit social et Egalité professionnelle
Sana Guerfel-Henda et George-Axelle Broussillon
forme notamment la présentation de l’entreprise en diaporama interactive ou l’explication du
livret en face à face, la présentation aux collègues lors d’une réunion exceptionnelle etc.
Cependant, les procédures individualisées du fait qu’elles laissent le nouvel arrivant gérer sa
propre intégration s’apparentent aux procédures traditionnelles qui ne formalisent que le début
de l’intégration et qui laisse la recrue s’intégrer comme elle peut par la suite.
12. Discussion
L’objectif de cette recherche était de savoir de quelles manières les recrues réagissaient aux
pratiques et procédures utilisées par les entreprises pour les intégrer.
En effet, il n’existe pas de procédures d’intégration purement individualisées ou purement
institutionnalisées. L’entreprise ne formalise que ce qui lui paraît important dans la gestion de
l’intégration du nouvel arrivant qui lui permet également l’atteinte de ses propres objectifs.
Par ailleurs, la recherche a montré que le comportement des recrues est influencé par la
manière dont l’entreprise gère l’intégration.
Concernant le tutorat, les résultats ont montré que la relation entre le tuteur et le nouvel
arrivant est influencée par la confiance mutuelle entre les deux, la disponibilité du tuteur ainsi
que la légitimité du choix du tuteur. De ce fait, en tenant compte de ces facteurs, la nature de
la relation entre le tuteur et la recrue aura des répercussions sur son comportement. Par
exemple, un tuteur qui accorde une confiance à son protégé cherchera à l’aider dans la
construction de sa carrière professionnelle en lui donnant de nouvelles responsabilités plus
intéressantes. Cette confiance doit être mutuelle car, d’une elle est accordée au tuteur par la
recrue, du fait de sa patience et de ses aptitudes à transmettre son savoir ; d’autre part à la
recrue, du fait de son sérieux et de sa performance.
Cependant, ces résultats méritent d’être nuancés pour plusieurs raisons. La relation de
confiance a été évoquée par les recrues pour qui leur tuteur est aussi leur supérieur
hiérarchique. Dans ce cas là, cela suppose que c’est par le tuteur que passent les possibilités
d’évolution professionnelles dans l’entreprise notamment au sein des missions. Et donc, si,
par principe de priorité, la recrue ne cherche pas à évoluer au niveau de ses missions, cette
relation de confiance aura un faible impact sur son comportement car le manque de confiance
de son manager ne lui fera aucun effet dans ce sens. Toutefois, la tendance peut être inversée
si les facteurs sur lesquels repose la relation de confiance changent.
D’autre part, la légitimité du choix du tuteur a été évoquée d’abord dans le sens où les recrues
pensent que les critères qui permettent de choisir le tuteur ne tiennent pas en compte les
affinités. En effet, dans le choix du tuteur, certaines entreprises, à quelques exceptions près,
exigent plus que le tuteur ait une certaine expérience dans le domaine concerné sans s’attarder
aux affinités qui puissent exister entre le tuteur et la recrue. Le fait que le tuteur soit une
personne expérimentée ne signifie pas qu’elle sera capable de partager son savoir et savoirfaire avec la recrue. Cela remet en cause la définition du rôle du tuteur qui est jusqu’ici
communément considéré par les entreprises comme la personne qui doit accompagner la
personne dans la maîtrise des tâches, dans la connaissance de son environnement,
expérimentée, etc.
Par ailleurs, dans le cas où la recrue intègre une nouvelle équipe où les membres de l’équipe
ainsi que le tuteur sont des nouveaux arrivants, comment le recruteur gère t-il l’intégration de
tous ces nouveaux arrivants? Le tuteur a t-il besoin d’un tuteur lui-même pour se donner les
moyens de réussir son intégration et celle de la personne qui est sous sa tutelle ? D’autre part,
une autre recrue a évoqué l’impact négatif qu’a eu le changement de tuteur, sur l’évolution de
son intégration dans l’entreprise.
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Le problème qui se pose dans ce cas est la gestion de la transition des responsabilités. Il est
légitime de se poser la question de savoir quels seront les moyens que le tuteur va donner à
son remplaçant pour assurer l’intégration du nouvel arrivant.
Dans un autre angle, nous avons également identifié des tactiques individuelles qui relèvent
plus de la personnalité de l’individu notamment quand il s’agit d’aller vers les autres pour se
familiariser avec les membres de l’organisation.
Ensuite, nous avons également privilégié l’opinion des recrues car jusqu’ici les recherches ont
toujours été orientées du côté des entreprises en ayant toujours comme objectif d’identifier les
pratiques utilisées par les entreprises pour gérer le processus d’intégration. Cependant, nous
avons effectué le même travail sur un échantillon d’entreprises certes plus réduit mais qui
nous permet de connaître également les attentes des entreprises par rapport à une nouvelle
recrue ainsi que leur opinion sur les types de procédures d’intégration qui existent.
13. Conclusion
En définitive, cette recherche nous a permis de connaître l’avancée des travaux des chercheurs
sur la question de l’intégration professionnelle des nouveaux arrivants ainsi que la façon dont
elle est gérée par les entreprises. Ainsi, l’intégration professionnelle, associée à l’entrée dans
l’organisation dans le processus de socialisation de Van Maanen (1979) et de Schein (1978),
est une étape qui doit être gérée à la fois par l’organisation et le nouvel arrivant. Sa bonne
gestion par l’entreprise lui assure des économies en matière de frais de recrutement et
constitue un bon départ pour la fidélisation des salariés (Perrot, 2008). Avec l’aide de leurs
tuteurs ou des personnes ressources, expérimentées qui travaillent au sein de l’entreprise, les
jeunes recrues pourront prendre la relève après les départs massifs des séniors.
Cependant, cela nécessite des efforts de gestion de l’intégration qui passe par la prise en
compte du rôle de l’individu dans l’organisation et des pratiques organisationnelles
d’intégration qui favorisent mieux cette intégration. Toutefois, l’objectif de la recherche était
d’identifier les effets que peuvent avoir les pratiques et procédures organisationnelles
d’intégration sur les tactiques individuelles déployées par les recrues.
A l’issue de cette recherche, les résultats ont montré qu’il n’existe pas de meilleure procédure
d’intégration purement formalisée ou purement informelle. Qu’elles soient petites ou grandes,
les entreprises associent des pratiques formelles et informelles. Cependant, les entreprises
dont les recrues sont plutôt contentes de leur intégration sont celles où le niveau élevé de la
technicité du secteur les amène à formaliser les éléments les plus importants dans leur activité.
De plus, ces entreprises favorisent la tactique d’auto-management en laissant une certaine
autorité à la recrue de gérer son travail comme elle le souhaite mais avec une certaine
formalité et un suivi au niveau des objectifs.
Cependant, mis à part l’individu et l’organisation, les acteurs de l’entreprise occupent une
place importante dans le processus d’intégration surtout quand il s’agit d’aider la recrue à
connaître l’entreprise et de tisser des liens sociaux. L’étude a montré que ce ne sont pas
toujours les tuteurs qui sont les personnes facilitent mieux l’intégration de l’individu. Les
recrues vont généralement vers les personnes à qui elles ont confiance et à qui elles n’ont pas
de compte à rendre. Le coût social étant faible, elle développe
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