Dossier pédagogique - Les Archives du Spectacle

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Vendredi 30 mars
à 19h00
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Lectures
de poèmes
et textes
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autour de
Combat de nègre
et de chiens
par les comédiens du
Théâtre des Treize Vents
cdn de montpellier
languedoc-roussillon
dans le cadre du
Printemps des poètes
Combat de nègre et
de chiens
de Bernard-Marie Koltès
Mise en scène : Jacques Nichet
du 28 au 31 mars 2001
Grammont
Montpellier
Mercredi 28 et jeudi 29 mars à 19h00
Vendredi 30 et samedi 31 mars à 20h45
Durée : 2h00
Relations publiques
04 67 99 25 12
Location-réservations
04 67 60 05 45
Opéra-Comédie
Tarifs hors abonnement
Général : 100 F - Réduit : 70 F - Collégiens/lycéens : 70 F
Tarif réduit : groupe à partir de 10 personnes, groupe 25 personnes : 60 F, groupe jeunes (25 pers.) : 40 F
Carte Pass étudiants 100 F (4 spectacles)
"J'ai seulement envie de raconter bien, un jour,
avec les mots les plus simples, la chose la plus
importante que je connaisse et qui soit racontable,
un désir, une émotion, un lieu, de la lumière et des
bruits, n'importe quoi qui soit un bout de notre
monde et qui appartienne à tous".
Bernard Marie Koltès - Revue Europe, 1983
Combat de nègre et de chiens
de Bernard-Marie Koltès
Mise en scène : Jacques Nichet
scénographie :
Laurent Peduzzi
lumières :
Marie Nicolas
création musicale :
Georges Baux, Abdel Sefsaf
environnement sonore :
Bernard Vallery
costumes :
Nathalie Prats-Berling
assistant à la mise en scène :
Guillaume Delaveau
Combat de nègre et de chiens est publié aux Editions de Minuit
avec
Le spectacle a été créé au Théâtre National de Toulouse
le 11 janvier 2001
Alain Aithnard
Alboury
François Chattot
Horn
Loïc Houdré
Cal
Martine Schambacher
Léone
Coproduction :
Théâtre National de Toulouse Midi-Pyrénées / Théâtre de la Ville Paris
"Le chacal fonce sur une carcasse mal nettoyée,
arrache précipitamment quelques bouchées,
mange au galop, imprenable et impénitent détrousseur,
assassin d'occasion"
Bernard-Marie Koltès, exergue de Combat de nègre et de chiens
Combat de nègre et de chiens
« Ce que je crois, moi, c’est qu’à la première vie, on doit être un homme comme ce
Cal, l’horrible type ; ces hommes-là comprennent si peu de choses, ils sont si
bêtes, oh, si bouchés, il faut bien qu’ils en soient à leur toute première vie, les
bandits ! Je crois que c’est seulement après beaucoup de vies d’homme, ridicules
et bornées, brutales et braillardes comme sont les vies des hommes, que peut
naître une femme. Et seulement, oui seulement après beaucoup de vies de
femme, beaucoup d’aventures inutiles, beaucoup de rêves irréalisés, beaucoup de
petites morts, alors seulement, alors peut naître un nègre, dans le sang duquel
coulent plus de vies et plus de morts, plus de brutalités et d’échecs, plus de larmes
que dans aucun autre sang. Et moi, combien de fois devrai-je mourir encore,
combien de souvenirs et d’expériences inutiles devront s’entasser en moi ?
Il y a bien une vie que je finirai par vivre pour de bon, non ? »
Bernard-Marie Koltès
Carnets de Combat de nègre et de chiens
Combat de nègre et de chiens
Raconter le mieux possible sans jamais résoudre
B.-M. Koltès - Une part de ma vie
Koltès insiste : « Je n’en sais pas plus sur la vie que n’importe qui, un écrivain sait mieux comment
raconter des histoires, c’est tout ».
Au moment de monter Combat de nègre et de chiens, nous sommes prévenus. L’auteur ne veut
rien « résoudre » ni même « émettre aucun avis ». Il ne veut traiter ni du « néocolonialisme » ni de
la « question sociale ». Même s’il est allé retrouver des amis sur un grand chantier au Nigeria, il n’a
pas voulu se livrer à une enquête. « Tout cela peut aussi bien arriver dans une H.L.M. de
Sarcelles. Le lieu « Afrique » est en même temps une métaphore ».
Koltès refuse à la fois un exotisme africain autant qu’une critique sociale et politique. Il se situe
ailleurs, dans l’univers du conte. C’est l’énigme de ce conte que nous voudrions porter sur la
scène.
Tout commence par une ombre qui se glisse mystérieusement dans la cité des Blancs. Le chœur
invisible des gardes noirs – qui entourent, surveillent, protègent le chantier – a laissé passer un
inconnu. Alboury vient chercher le corps de son « frère », de son double qui a disparu. Cette
ombre recherche une autre ombre – on en vient même à se demander si ce n’est pas, sous la
forme d’un revenant, l’âme du mort qui réclame son propre corps, à jamais perdu. Dans la réalité
de cet immense chantier à l’abandon, une étrange lumière apportée par cette ombre donne sur
l’univers étriqué et violent des petits blancs. Le fantastique éclaire le réel.
Une autre lumière éclaire cette triste réalité : l’amour subit de Léone pour ce noir, de l’autre côté du
« précipice ». Cette jeune femme, projetée dans l’univers de ce chantier le même jour qu’Alboury,
ne veut pas prendre part au combat du nègre et des chiens… Comme dans un conte, Léone et
Alboury se découvrent et se reconnaissent, au delà de la peur. La différence des langues semble,
soudain, surmontable. La blanche se sent devenir noire. Koltès évoque ce rapprochement en
conteur, par « une sorte de nécessité antique fatidique, d’une incroyable attirance et d’une
insurmontable singularité. »
Cet amour se révèlera impossible, tant l’Histoire est la plus forte, tant la haine des chiens
l’emporte. Mais l’élan d’amour de Léone vers Alboury est comme un cri d’espoir dans cette nuit
terrible
Les êtres humains sont déchirés, les consciences séparées, les âmes solitaires, les piles du pont
ne se rejoignent pas, les routes s’enlisent dans la boue. Mais il suffit d’un geste fou – d’un geste
épique – se graver sur les joues les marques tribales de la fidélité pour répondre à la folie du
monde.
La pièce se termine tragiquement, et pourtant je n’ai jamais encore vu de vraie tragédie se
terminant dans un éclat de rire. Léone, l’innocente, au moment de reprendre la route vers Paris,
remonte dans la camionnette en riant.
Dans ses carnets, Koltès donne à Léone une philosophie de la vie, qui est sans doute la morale de
la pièce… Le rire final de Léone éclaire aussi la pièce, ainsi que les commentaires constants de
Koltès : « Je n’ai jamais écrit quelque chose qui soit à prendre au sérieux » ou bien « Je ne peux
pas écrire une scène si je ne peux pas me moquer. »
Koltès semble avoir refusé une interprétation trop négative et trop sérieuse de son œuvre. La
dernière lumière qui éclaire Combat de nègre et de chiens n’est-elle pas la constante ironie de
l’auteur qui se venge, en piégeant des personnages tordus, ou méchants – ces petits racistes, par
exemple, qui ne sont aussi que des victimes – et en se mettant à les aimer quand ils se débattent
douloureusement et comiquement dans le piège tendu…
Fantastique, amour fou, ironie, voilà trois pistes que nous aimerions emprunter pour à notre tour
traverser cette œuvre, si connue et si peu souvent représentée, de Bernard-Marie Koltès.
Jacques Nichet
Lettre d ' Afrique
par Bernard-Marie-Koltès
Extrait de la lettre de Koltès à Hubert Gignoux, alors directeur du Théâtre national de
Strasbourg, écrite depuis Ahoada, Nigéria, le 11 février 1978 - dite " Lettre d'Afrique ".
" Je pensais à cela dans la lagune, région qui n'est ni la mer, ni la terre, lieu
mystérieux, déroutant, incompréhensible, où il faut, pour s'assurer que l'on est bien
quelque part, arracher au passage une motte de terre et l'écraser dans sa main,
plonger son bras dans l'eau et ensuite le lécher pour sentir qu'il est salé ; alors
seulement, dans cet espace apparemment si abstrait, on peut croire qu'il est à la
fois fait de mer et de terre, et qu'à un moment donné, en avançant encore au
milieu de l'indécision de la lagune, un jour, on aperçoit le grand large. " (...)
" Voici, pour finir, le rêve que je fais chaque nuit, depuis la première de mon arrivée
à Lagos jusqu'à la dernière, hier soir: Au milieu de ma chambre, à Paris, est un
tronc d'arbre tropical, immense. (Ne t'empresse pas de rire : peut-être est-il une
symbolique nègre qui règne ici, tout éloignée du freudisme, et dont les clés nous
sont secrètes !) Et presque au plafond, se trouve cet endroit où les branches
rejoignent ensemble le tronc, et forment comme un cœur. Je monte à l'arbre,
plonge ma main dans le creux, et en tire un jouet - dont je croyais avoir oublié
l'existence mais dont maintenant je me souviens très bien, et qui doit remonter à
ma première enfance. Puis, un à un, je tire du fond de l'arbre, puis jette sur le sol,
toute une série d'objets très précis, reconnus au fur et à mesure, comme des
tranches de vie ; chaque nuit en découvre un nouveau, très enfoui dans ma
mémoire, aucun plus tardif que mes douze ou treize ans ; ainsi à chaque rêve
revient une période oubliée sous la forme d'un objet ordinaire que je reconnais,
comme des accessoires de théâtre que je tire du creux de l'arbre et laisse tomber
sur le sol. "
François Koltès
Au cœur des ténèbres
"Un grand silence alentour et au-dessus. Peut-être,
par une nuit calme, la vague rumeur de tambours
lointains, s'éteignant puis se gonflant, une rumeur
ample et faible ; un son étrange, attirant, suggestif
et sauvage – avec peut-être une signification aussi
profonde que celui des cloches dans un pays
chrétien. Une fois, un Blanc en uniforme
déboutonné, campant sur le chemin avec une
escorte armée de Noirs, efflanqués de Zanzibar,
très accueillant et jovial – pour ne pas dire ivre,
qui déclara qu'il surveillait l'entretien de la route.
Je dois dire que je ne vis ni route ni entretien, à
moins que l'on puisse considérer comme une
amélioration durable le cadavre d'un nègre d'âge
mûr, le front troué d'une balle, sur lequel je
trébuchai littéralement cinq kilomètres plus loin.
Joseph Conrad
"Combat de nègre et de chiens se situe au cœur
des ténèbres"
par Jacques Nichet
" Je n'ai pas vu la mise en scène de Combat de nègre et de chiens de Chéreau.
Cela m'aurait sans doute intimidé. Mais il est difficile d'ignorer les admirables
photos qu'il en reste ! Je ne fais pas de la pièce une lecture politique. Bien
entendu, cet aspect-Ià y est, mais moins fort que dans la "lettre d'Afrique" à
Gignoux. Il y a la persistance du colonialisme, à travers le point de départ du Noir
venant sur le chantier demander le corps de son frère. Mais ce n'est pas une pièce
sur la négritude, Koltès le dit lui-même. Certes, Léone, à la fin de la pièce, change,
elle rejoint l'espace des Noirs, l'espace des condamnés. Elle, la blanche, inscrit sur
son visage les marques tribales pour manifester un attachement définitif, un refus
de l'Europe et du monde des nantis. Mais Koltès ne conte pas cela de façon
militante. Pour lui, l'humanité se divise en races différentes prises dans une
confrontation irrémédiable. Combat entre chiens et chats ! L'humour est désespéré
et la poésie, si forte, nourrie d'étrangeté.
Après avoir monté Le Retour au désert, je mets en scène Combat de nègre dans
une continuité, avec la même équipe (Laurent Peduzzi pour la scénographie,
lumières de Marie Nicolas). C'est un conte fantastique, qui se passe dans une nuit.
La nuit du théâtre, la nuit de l'Afrique, la nuit d'un lieu perdu. Des personnages se
cherchent dans les ténèbres. Pour une rencontre avec l'invisible et avec l'autre.
C'est un théâtre de la frontière, de l'obscurité de l'être humain. C'est un théâtre
mythologique, d'une mythologie de la nuit. Je relisais récemment un poème de
Koltès écrit en classe de seconde. Il s'appelait Un coucher de soleil au bord de la
mer. Déjà, la nuit ! Nous travaillons sur le nocturne et le vide. Pour les
représentations à Paris, nous avons hésité entre le théâtre des Abbesses et le
théâtre de la Ville ; nous avons choisi cette dernière salle, afin de perdre les quatre
acteurs sur un plateau trop grand.
On pense beaucoup à l'univers de Conrad, que Koltès lisait beaucoup alors. Au
cœur des ténèbres. disait Conrad. Nous y sommes ! Et tout reflète une étrange
inquiétude... Fantastique était la pièce d'avant, La Nuit juste avant les forêts.
Fantastique est aussi celle qui a suivi, ce Combat auquel nous donnons forme
dans cet esprit-Ià. "
Propos recueillis par Gilles Costaz- Magazine Littéraire
Février 2001
Patrice Chéreau
les années Koltès
Bernard-Marie Koltès et Patrice Chéreau ont travaillé ensemble pendant dix ans.
Cette relation rare, ce lien unique, entre un auteur et un metteur en scène
contemporains a joué un rôle majeur dans le réception en France de Koltès.
Entretien.
Vous avez rencontré Bernard-Marie Koltès il y a une vingtaine d'année. Son théâtre
semble vous avoir touché rapidement, presque brutalement, comme une évidence,
et vous avez monté, à partir de cette époque, la plupart de ses pièces "dans
l'urgence". Aujourd'hui, dix ans après sa mort, avec le recul que vous n'aviez peutêtre pas à l'époque, quel regard portez-vous sur son œuvre ?
- Ce que je vois bien, avec le recul, c'est la place que Koltès a joué dans ma vie. Un
écrivain que je ne connaissais pas m'envoie par la poste deux pièces. C'était en 1979..
Quelques jours avant ou après, un homme que je respecte infiniment, Hubert Gignoux,
me parle de cet auteur. Il a travaillé avec lui à Strasbourg. Il me dit qu'il faut lire ses
pièces. Je le fais. Jusqu'à cette date, je n'avais jamais vraiment croisé d'auteur
contemporain, peut-être parce que je n'avais pas suffisamment de curiosité pour eux.
C'est le premier écrivain d'aujourd'hui auquel je me sois vraiment attaché. A partir de
cette rencontre, je l'ai côtoyé et je l'ai accompagné dans son œuvre. J'ai un peu été un
passeur : oui, j'ai fait "passer" son œuvre, me semble-t-il.
Du coup, même avec le recul, si je pense à Koltès, ce n'est pas du tout comme l'auteur
qu'on connaît aujourd'hui, l'auteur très joué dans le monde entier de maintenant. Pour
moi, c'était un auteur qui avait un immense avantage, le principal même : c'était un
auteur vivant… Je pouvais aller avec lui au cinéma, discuter de ce qui se passait dans la
rue, dans la politique : il avait toujours un point de vue surprenant et rare sur les choses.
C'est aussi quelqu'un qui m'a permis de croire à nouveau en l'écriture théâtrale
contemporaine. Il a ouvert une réflexion sur le monde d'aujourd'hui, il m'a fait comprendre
ce monde. Koltès a su trouver les bons instruments pour en parler, même s'il ne le fait
pas d'une manière strictement réaliste. Jusqu'à ma rencontre avec lui, je croyais que le
théâtre n'était pas, ou plus, accessible au contemporain, ne pouvait pas raconter le
monde actuel. Je me trompais.
- C'est votre mise en scène de La Dispute de Marivaux, que Koltès a vu six fois à
Paris en 1976, qui l'incite à vous écrire. Il vous a "choisi" pour que vous montiez
ses pièces. Est-ce que vous auriez pu passer à côté de Koltès ?
- Oui. J'aurais très bien pu lui renvoyer ses textes ou ne pas les monter. On refait
toujours l'histoire. Aujourd'hui, on dit que c'était évident que je devais rencontrer Koltès.
Non, j'aurais pu rater ce rendez-vous. Au premier abord d'ailleurs, Combat de nègre et de
chiens m'a paru être un texte intéressant mais j'avais du mal à le comprendre. J'aimais la
façon qu'avaient les gens de s'y exprimer et je n'avais lu ça nulle part ailleurs : le langage
magnifique d'un poète qui semblait venir d'une longue tradition, d'un usage incroyable de
la langue française par les peuples colonisés, un usage inventif et dérangeant. Mais en
même temps, je ne savais pas par quel bout le prendre. J'aurais pu passer à côté.
- Contrairement à ce qui est dit souvent, votre univers de metteur en scène me
semble en plus assez éloigné de son univers d'écrivain.
- Ce sont des univers qui se complétaient quand même, mais qui n'étaient pas très
proches en effet. Au début, on me demandait quelle part j'avais prise à l'écriture de
Combat de nègre ou de Quai Ouest. Les gens ne me croyaient pas vraiment quand je
leur disais : "aucune part". Il faut dire qu'on m'avait classé depuis longtemps comme un
"metteur en scène sombre et désespéré" et le fait que je monte Combat semblait
confirmer, aux yeux des critiques, que c'était à la fois mon univers, et celui de Koltès. A
cette époque, je lisais des journalistes qui disaient : " Chéreau a trouvé son frère dans un
monde désespéré et noir ". En fait, l'univers de Bernard est totalement indépendant du
mien. Il n'est pas du tout sombre et désespéré. Moi non plus, d'ailleurs!
- Koltès dit dans une interview au Monde de 1986 : " Nous sommes différents. [
Patrice Chéreau ] est plus pessimiste, je suis plus désespéré ".
- Et il a dû dire cela en éclatant de rire... Surtout que j'ai toujours pensé qu'il avait dit
l'inverse ! Je pense qu'avec cette formule, Koltès veut surtout se dépêtrer de mots
comme pessimiste, désespéré ou noir. Il faut beaucoup de temps pour arriver à parler
calmement et légèrement du désespoir.
Et je ne sens pas vraiment de désespoir chez Bernard. Le désespoir, comme le dit
Edward Bond, est une attitude de renoncement. C'est, dit-il, je crois, la somme des
choses auxquelles vous êtes prêt à renoncer. Et Koltès n'a jamais renoncé à rien, ni à se
battre, ni à s'affirmer. Il y avait chez lui une attitude de rébellion profonde, qui n'est pas la
mienne d'ailleurs. Il a toujours été beaucoup plus radical que moi.
- Aujourd'hui, Koltès est pris dans une certaine mythologie. Celle, rimbaldienne,
d'un jeune homme beau qui est mort du sida. Cette idéalisation très manifeste
dans les écoles de théâtre par exemple, et quelquefois dans les lycées, n'est-elle
pas un peu préjudiciable à son œuvre ? Toute mythologie est un peu réductrice.
- Il est mort jeune. On ne peut pas empêcher, je crois, cette idéalisation. En même
temps, encore une fois, ce n'est pas ce Koltès-là que j'ai connu. J'ai juste le souvenir de
quelqu'un de très drôle et de plutôt désabusé. De quelqu'un aussi qui a vécu une agonie
très dure. Je ne peux pas parler de lui en me plaçant aujourd'hui.
-Sa mort vous a éloigné de l'écriture théâtrale contemporaine ?
-Elle m'a éloigné du théâtre tout simplement ! Du jour où, auteur vivant, il est devenu un
auteur mort, tout a changé. Oui, je pense que sa mort n'est pas indifférente dans le fait
que je me sois éloigné du théâtre pour aller vers le cinéma. Ce n'est pas la seule raison,
mais depuis, il y a moins de nécessité pour moi à retourner au théâtre. Moins d'urgence.
- L'expérience du théâtre Nanterre-Amandiers durant ce qu'on a appelé " les
années Chéreau " s'est faite " autour " de Koltès ? C'est-à-dire autour du théâtre
d'aujourd'hui ?
- J'ai ouvert ma première saison à Nanterre avec Koltès - Combat de nègre et de chiens
en 1983 - et on peut dire que nous avons terminé Nanterre avec la reprise de La Solitude
et la création de Retour au désert en 1988. Koltès est mort en avril 1989, un mois après
la dernière représentation.
Au fond, cette expérience a eu lieu autour d'un centre, un centre sans lequel il n'y aurait
pas eu Nanterre, c'est-à-dire autour de Koltès, et de beaucoup d'acteurs, comme Michel
Piccoli ou Maria Casarès. Nanterre, Koltès et l'école de comédiens dirigée par Pierre
Romans, ce fut l'une des périodes les plus importantes de ma vie. Un âge d'or. Imaginez
qu'à cette époque, pendant presque huit années, il y avait à Nanterre à la fois Koltès,
Heiner Müller, Hervé Guibert et Jean Genet qui passaient et qui travaillaient avec nous !
J'ai monté les pièces de Koltès au fur et à mesure qu'elles étaient écrites, parfois avant
même de les avoir lues. C'était avec lui que je voulais faire mon chemin professionnel,
dans la fidélité et la permanence : j'avais trouvé le partenaire qui me manquait. Je pense
aujourd'hui que, si l'on s'en tient au répertoire classique, on ne sert pas à grand-chose
comme metteur en scène ; il faut se confronter à des textes contemporains, à des
auteurs qui sont vos contemporains, qui s'adressent aux gens de votre époque. Avec
Koltès, j'ai vécu une expérience unique : ce lien durable avec un auteur qui avait mon
âge a changé ma vie.
- Diriez-vous que Koltès c'est d'abord un dramaturge, un auteur de " théâtre
littéraire " ou même un poète, un des rares poètes français de la fin du XX" siècle
comme aiment le dire certains auteurs ?
- Je ne crois pas, au fond, que Koltès aurait aimé que l'on dise que ses textes sont de la
poésie. Et si on affirme que son théâtre est " littéraire ", c'est simplement parce que c'est
très bien écrit...
- Et parce qu'il y a de nombreux monologues aussi...
- Oui. Mais le monologue est une caractéristique centrale de son style. C'est la forme qui
le mène à l'écriture. C'est grâce aux monologues que Bernard parvenait à commencer
ses pièces.
(…) Tous ses textes tournent autour des monologues. Mais je n'appellerais pas ça du
théâtre littéraire, car c'est incroyablement concret à jouer et formidable à dire à haute voix
sur un plateau, à incarner. (…)
Propos recueillis par Frédéric Martel - Magazine Littéraire
Février 2001
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