L`assurance Face aux risques nouveaux

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mai 2011 - 8 e - n° 665
Point Gamma 21 mai 2011
REVUE MENSUELLE DE L’ASSOCIATION DES ANCIENS ÉLÈVES ET DIPLÔMÉS DE L’ÉCOLE
DOSSiER
L’assurance Face
aux risques nouveaux
➔ Grands risques
et nouveaux
risques
➔ Le rôle
irremplaçable
de l’assurance-vie
➔ Les nouvelles
règles de
la solvabilité
Focus
L E S D E U X A N S D U G R O U P E X - A C H AT S
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P.2-3 Sommaire
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Sommaire
GRAND ANGLE
mai 2011 – n° 665
L’assurance face aux risques nouveaux
5 > Éditorial de Robert Leblanc (76)
Métiers à risques
7 > Résumé des articles
8 > Grands risques et nouveaux risques
par Daniel Zajdenweber
12 > Trente ans d’assurance des catastrophes naturelles
par Thierry Masquelier (68) et Pierre Michel (88)
16 > L’assurance-crédit contre le risque d’impayés
par Michel Mollard (83)
20 > Repenser l’assurance de responsabilité médicale après la crise
par Nicolas Gombault
24 > Un rôle sociétal : alerter, favoriser, accompagner
par Jacques de Peretti (80)
28 > Le rôle irremplaçable de l’assurance-vie
par André Renaudin (76)
32 > Assurance-vie : innover face aux contraintes
par Jean-Pierre Wiedmer (79) et Auriane Maigné
36 > Distribution : une exception française durable ?
par Nicolas Moreau (85)
40 > Créer un cadre d’indemnisation pour les accidents corporels
par Guillaume Rosenwald (85)
42 > Les nouvelles règles de la solvabilité
POUR EN
par Jean-Marie Levaux (64)
SAVOIR +
Rendez vous sur le site de La Jaune et la Rouge pour accéder aux informations complémentaires,
réagir sur les forums et consulter les numéros déjà parus. http://www.lajauneetlarouge.com
Courriel : [email protected]
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EXPRESSIONS
POINT DE VUE
50 > Il faut continuer à exiger des rentabilités de 15 %
par Jean Estin
52 > Maurice Allais et la physique :
« Un parcours atypique de physicien »
par Gérard Pilé (41)
AU COURRIER
55 > Les valeurs alsaciennes
par Régis Bello (65)
FORUM SOCIAL
70 > Développer l’emploi des plus de cinquante ans :
un choix politique
par Jean-Marc Coursin
LIBRES PROPOS
72 > Développement durable ou dérive court termiste ?
par Jean-Pierre Castel (68)
ARTS,
LETTRES ET SCIENCES
56 > Musique en images par Marc Darmon (83)
Bridge par Gaston Méjane (62)
57 > Discographie par Jean Salmona (56)
Récréations scientifiques par Jean Moreau de Saint-Martin (56)
58 > Solutions du bridge et des récréations scientifiques
59 > Livres
P OINT G AMMA
61 > Rendez-vous au Point Gamma le 21 mai
par l’équipe du Point Gamma de la promotion 2009,
avec l’aide de quelques anciens nostalgiques
FOCUS
Les deux ans du groupe X-Achats
74 > François Renard (77), président du groupe X-Achats
« Les achats mènent au fond des choses »
propos recueillis par Jean-Marc Chabanas (58)
VIE
DES ENTREPRISES
81 > Dossier spécial réalisé par FFE
pour le service commercial de La Jaune et la Rouge
Revue mensuelle de
l’Association des anciens élèves et diplômés
de l’École polytechnique
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION :
Christian GERONDEAU (57)
RÉDACTION EN CHEF :
Jean-Marc CHABANAS (58), Hubert JACQUET (64)
ASSISTANTE : Françoise BOURRIGAULT
CORRECTRICE : Catherine AUGÉ
ÉDITEUR :
Association des anciens élèves et diplômés
de l’École polytechnique
5, rue Descartes, 75005 Paris
Tél. : 01.56.81.11.00
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COMITÉ ÉDITORIAL :
Christian MARBACH (56), président,
Pierre LASZLO, Philippe ALQUIER (E.P.),
JEAN DESCHARD (E.P.), Gérard PILÉ (41),
Maurice BERNARD (48), Jean DUQUESNE (52),
Michel HENRY (53), Michel GÉRARD (55),
Charles-Henri PIN (56), Jacques-Charles FLANDIN (59),
Jacques PARENT (61), François Xavier MARTIN (63),
Gérard BLANC (68), Alexandre MOATTI (78),
Jean-Philippe PAPILLON (90)
RÉDACTION DE LA JAUNE ET LA ROUGE :
5, rue Descartes, 75005 Paris
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N ° 665 – MAI 2011
EN COUVERTURE : TSUNAMI, JAPON, JANVIER 2011
© HO NEW / REUTERS
PAG
E 99
P.5 Editorial Leblanc
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ÉDITORIAL
D.R.
par Robert Leblanc (76),
président-directeur général d’AON France
Métiers à risques
le corps de contrôle des assurances et l’actuariat, conduisent naturellement beaucoup de polytechniciens dans l’assurance. Mais
il existe une troisième filière, peut-être la plus importante : celle du
hasard. Quand j’ai rejoint le secteur des assurances et que j’ai eu l’occasion
de raconter mon parcours aux assureurs que je rejoignais, je finissais mon
histoire en observant que je devenais donc assureur par hasard ; et la plupart
me répondaient : « Mais nous sommes tous assureurs par hasard ! »
D
EUX FILIÈRES,
L’assurance est rarement un choix précoce de ceux qui y viennent et son image
à l’extérieur reste un peu grise. Pourtant l’assurance offre des perspectives passionnantes à tous ceux qui ont fait le pas. Elle couvre tous les sujets de société :
des retraites à la santé, en passant par les catastrophes naturelles, les accidents de voitures, la responsabilité environnementale, la responsabilité médicale, le risque décès des emprunteurs ou encore les pertes d’exploitation
consécutives à un bris de machine.
Les sociétés d’assurances peuvent être par actions ou à forme mutuelle. Les
institutions de prévoyance paritaires et les mutuelles santé de la mutualité de
1945 complètent le paysage français, avec leurs spécificités. Mais il n’y a pas
que les porteurs de risques. La profession du courtage, mal connue, est pourtant nécessaire dans la maîtrise des risques des entreprises : grâce à des professionnels aussi qualifiés que ceux des compagnies, ils peuvent mettre en
œuvre avec succès des schémas de rétention et de transfert de risques adaptés à la complexité des entreprises. Les courtiers ont d’ailleurs un champ
d’action aussi vaste que celui des assureurs : assurance-vie et non-vie, appelée généralement IARD (pour Incendies, accidents, risques divers), au service
des particuliers et des entreprises.
Nos métiers sont nombreux et variés. Ils attireront sans nul doute les jeunes
talents dont l’Assurance a besoin et qui y trouveront beaucoup de joie. ■
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P.7 Résumés
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DES ARTICLES
L’assurance face aux risques nouveaux
DOSSIER COORDONNÉ PAR ROBERT LEBLANC (76)
Grands risques et nouveaux risques
par Daniel Zajdenweber p. 8
La croissance économique et démographique a pour conséquence directe une montée de la sinistralité, en particulier
dans les cas de catastrophes naturelles ou d’origine anthropique. Elle crée de nouveaux besoins d’assurance pour faire
face aux risques émergents. La demande va donc croître,
mais pour y répondre les assureurs devront trouver des fonds
propres, faute de quoi les États auront à intervenir.
Trente ans d’assurance des catastrophes naturelles
par Thierry Masquelier (68) et Pierre Michel (88) p. 12
L’assurance des catastrophes naturelles existe depuis trente ans.
Le régime n’a connu de modifications législatives que sur des
détails. Les principes sont restés inchangés depuis l’origine.
C’est la preuve qu’ils sont globalement appréciés des Français.
Cependant, ce régime peut être amélioré, notamment en vue
de le rendre encore plus incitatif à la prévention.
L’assurance-crédit contre le risque d’impayés
par Michel Mollard (83) p. 16
Les impayés peuvent gravement obérer la rentabilité des entreprises, voire les mettre en péril. L’assurance-crédit protège les entreprises à la fois par un mécanisme de mutualisation classique qui répartit les pertes entre clients et par
une baisse des sinistres due à une meilleure gestion des risques. Avec la mondialisation des échanges et le durcissement des critères de solvabilité, cette activité est promise à un
fort développement.
Repenser l’assurance de responsabilité médicale
après la crise
par Nicolas Gombault p. 20
L’assurance de la responsabilité médicale représente un marché étroit et à haut risque, sujet à des revirements de jurisprudence dont il est difficile d’évaluer à l’avance les impacts. La
crise de 2002 subsiste pour certains praticiens, en particulier
les obstétriciens, du fait de l’intensité de certains sinistres.
Une réforme est à nouveau attendue.
Un rôle sociétal : alerter, favoriser, accompagner
par Jacques de Peretti (80) p. 24
L’assureur dommages a pour mission d’indemniser des individus ou des groupes d’individus qui subissent un dommage
et qui s’associent pour mutualiser leur risque. Par son expérience acquise avec sa mission d’indemnisation, l’assureur peut alerter. Par son savoir-faire dans le domaine de la
prévention, l’assureur peut favoriser les comportements responsables. Par sa capacité à prendre des risques, l’assureur
peut accompagner l’innovation. Un des arts que doit maîtriser
l’assureur va être de combiner en permanence dans son action l’ensemble de ces trois leviers. La société a, chaque jour,
plus besoin de lui.
Le rôle irremplaçable de l’assurance-vie
par André Renaudin (76) p. 28
Depuis 1970, l’assurance-vie connaît une croissance continue
et forte. La raison est que cet instrument s’est bien adapté
aux besoins des Français et à ceux de l’économie en général.
Cette croissance devrait naturellement se poursuivre pour répondre aux nouvelles demandes de protection, en particulier
celles liées à la démographie ou à l’évolution des comptes sociaux. Encore faut-il que l’activité puisse évoluer dans un
cadre réglementaire clair et pérenne.
GRAND ANGLE
RÉSUMÉ
Assurance-vie : innover face aux contraintes
par Jean-Pierre Wiedmer (79) et Auriane Maigné p. 32
Placement très prisé des Français, l’assurance-vie a connu un
regain d‘intérêt avec les contrats multisupports. Mais les
obligations nouvelles qui pèsent sur les compagnies, tant en
matière prudentielle qu’en matière d’information des clients,
risquent d’obérer les rendements. Les assureurs sont donc
amenés à innover pour répondre à ces nouveaux défis, en
particulier dans le domaine des compléments de retraite.
Distribution : une exception française durable ?
par Nicolas Moreau (85) p. 36
Après le premier «big bang» des années soixante, avec l’arrivée des mutuelles sans intermédiaires sur les assurances
dommages du particulier, puis celui des années quatre-vingt,
correspondant à l’entrée des banquiers sur l’assurance-vie,
les parts de marché des différents « modes de distribution »
apparaissent stables depuis quinze ans. Cette stabilité intègre des tendances structurelles de déformations, liées à l’évolution des modes de consommation et à la convergence des
activités des secteurs financiers, déformations qui se construisent sur les évolutions des technologies de l’information.
Créer un cadre d’indemnisation
pour les accidents corporels
par Guillaume Rosenwald (85) p. 40
Si les dispositifs français d’indemnisation des victimes d’accidents corporels sont parmi les plus complets au monde, leur
hétérogénéité est source de distorsions importantes. D’importants progrès sont possibles, pour autant que le cadre législatif et réglementaire soit harmonisé et modernisé. Un véritable pilotage des mécanismes d’indemnisation permettrait
de réaliser des améliorations profitables à tous, à l’instar de ce
qui existe en matière des accidents de la route.
Les nouvelles règles de la solvabilité
par Jean-Marie Levaux (64) p. 45
La directive Solvabilité II définit les nouvelles règles en matière
de solvabilité des entreprises d’assurances et de réassurances
européennes. Elle doit conduire à un renforcement de la maîtrise
des risques de la part des entreprises et à une surveillance
prudentielle efficace de la part des autorités de contrôle.
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7
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GRAND ANGLE
L’ASSURANCE
PAR DANIEL ZAJDENWEBER
professeur émérite,
université Paris-OuestNanterre-La Défense
Grands risques
et nouveaux risques
La croissance économique et démographique a pour conséquence directe
une montée de la sinistralité, en particulier
dans les cas de catastrophes naturelles
ou d’origine anthropique. Elle crée de
nouveaux besoins d’assurance pour faire
face aux risques émergents. La demande
va donc croître, mais pour y répondre
les assureurs devront trouver des fonds
propres, faute de quoi les États auront
à intervenir.
REPÈRES
Pour les
assureurs,
le XXI e siècle
est mal parti
Les tendances croissantes des montants des
sinistres et de leurs fréquences, extrapolées et
publiées par les deux plus grands réassureurs
mondiaux, Swiss Re et Munich Re, semblent
annoncer une croissance des sinistres extrêmes
qui, couplée aux débats scientifiques actuels sur
l’éventuel réchauffement climatique global à
venir, laisse présager un futur apocalyptique.
Quant à l’émergence de nouveaux risques sur la
santé des populations, par exemple les éventuelles pathologies liées aux manipulations
génétiques ou à l’usage intensif des téléphones
portables, elle contribue à noircir encore plus
les spéculations sur les risques attendus à plus
ou moins long terme.
AIG
La crise dite des subprimes à partir de 2008
a non seulement réduit les valeurs des
placements des assureurs, mais aussi révélé
le dévoiement d’un grand assureur en quasifaillite (AIG), qui pratiquait une activité bancaire
en dehors du cadre réglementaire « Bâle II »,
autrement dit sans avoir les capitaux propres
ni les provisions suffisants.
(Chili en 2010, Japon en mars 2011), les tsunamis (Sumatra en 2004 et à nouveau le Japon
en mars 2011), les volcans (Islande en 2010),
les tempêtes (Klaus en 2009), les submersions des côtes (Xynthia en 2010) ; les risques
industriels aux impacts urbains ou environnementaux dramatiques, qu’ils soient dus à
la maladresse des opérateurs avec les explosions d’usines chimiques (AZF à Toulouse en
2001) et de plateformes pétrolières (BP dans
le golfe du Mexique en 2010) ou dus à une
cause naturelle (les centrales nucléaires au
Japon après le séisme et le tsunami de
mars 2011) ; les risques politiques ou sociaux
avec les attentats meurtriers et destructeurs
(World Trade Center en 2001) et la récurrence
des actes de piraterie maritime (Somalie) ; les
risques financiers enfin.
Croissance et concentration
■ Pour les assureurs, le vingt et unième
siècle est mal parti. Sa première décennie
(2001 à 2011) a vu se réaliser un grand nombre de sinistres majeurs, qui ont aussi été des
records historiques en termes de pertes économiques et de nombre de victimes. Toutes
les branches de l’assurance ont été affectées.
Les risques naturels avec les cyclones (Katrina
en 2005), les nombreuses inondations (2005 en
Europe centrale, Draguignan en 2010), les
tremblements de terre de magnitude extrême
8
LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011
Toutefois, ce tableau inquiétant de l’état du
monde ne signifie pas que les phénomènes
naturels sont devenus plus fréquents et plus
intenses. Comme l’analyse historique des
catastrophes naturelles nous le montre, l’incontestable aggravation des montants des
sinistres extrêmes et leur apparente plus
grande fréquence sont surtout dues à la croissance économique et à la concentration géographique des populations et des richesses
exposées aux risques naturels.
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Catastrophes naturelles
La tempête Xynthia, fin février 2010, couplée
à un fort coefficient de marée, comme en
Hollande en 1953, qui submergea une partie
des côtes vendéennes et coûta la vie à 53 personnes, illustre de façon caricaturale l’impact
de la croissance économique et de la concentration des populations sur les montants des
dommages. S’il n’y avait pas eu urbanisation
récente des zones côtières, parfois situées
au-dessous du niveau de la mer, les dommages auraient été négligeables. Or, les historiens 1
ont montré que, depuis le Moyen Âge, la Vendée
a connu un grand nombre de tempêtes équivalentes à Xynthia et a aussi subi le passage
de plusieurs tsunamis, un phénomène moins
connu parce que rare mais encore plus dangereux que les tempêtes en raison de son
imprévisibilité. Ce qui a trompé les édiles
locaux, qui ont autorisé les lotissements dans
des zones susceptibles d’être submergées,
c’est la relative absence de tempêtes semblables au cours des cent dernières années,
qui a fait perdre la mémoire des tempêtes
extrêmes.
Fréquence triplée
REUTERS
L’histoire récente des 96 catastrophes climatiques aux États-Unis entre 1980 et 2009, recensées par la NOAA (National Oceanic and
Atmospheric Administration), montre en outre
que si la croissance économique et la concen-
Inondation en Vendée après la tempête Xynthia
le 28 février 2010.
GRAND ANGLE
À l’inverse, la relative rareté de certains sinistres d’origine industrielle, comme ceux liés à
l’industrie électronucléaire, ne signifie pas
que ces risques sont entièrement maîtrisés.
Un rappel sur les paradoxes des risques extrêmes nous montre qu’il convient de rester vigilant et de renforcer la prévention car, à long
terme, la valeur moyenne de ces sinistres
industriels ne peut que croître.
Percolation
On veut traverser un gué sans se mouiller,
en sautant de rocher en rocher. Si le nombre
de rochers est faible, cette traversée peut être
impossible : la probabilité de traversée à sec
est nulle. Lorsque le nombre de rochers
augmente, il est possible qu’un chemin tortueux
à sec apparaisse, d’où une faible probabilité
de passage. Passé une certaine densité
de rochers, un très grand nombre de chemins
sont utilisables, d’où une quasi-certitude de
pouvoir traverser à sec. L’augmentation brutale
et importante de cette probabilité constitue
le seuil de percolation. Dans le contexte des
catastrophes climatiques, dès que la taille
et la concentration des populations et des
richesses dépassent un certain niveau, dénommé
seuil de percolation, la probabilité des sinistres
augmente fortement, voire tend vers un.
tration géographique sont les causes de l’aggravation des dommages, elles sont aussi les
causes de l’augmentation de la fréquence des
catastrophes2. En effet, entre 1980 et 1990
inclus, il y eut chaque année, en moyenne, 1,27
catastrophe climatique qui a coûté plus d’un milliard de dollars. Depuis 1991 la fréquence
annuelle de ces catastrophes climatiques a
plus que triplé : 4,55. Facteur aggravant, alors
qu’entre 1980 et 1990 quatre années n’avaient
pas connu de catastrophes climatiques, depuis
1991 toutes les années sans exception en ont
subi au moins deux, souvent quatre, voire
six comme en 2006 et en 2009 ou huit comme
en 1998 et même neuf comme en 2008. Cette
forte augmentation de la fréquence des sinistres ne résulte pas d’une modification brutale
du climat des États-Unis à partir de 1991, qui
serait passée inaperçue des climatologistes
et des environnementalistes, mais d’un effet
non-linéaire de la croissance économique et de
la concentration des populations.
Il semble qu’à partir des années 1990 la densité de la population et des richesses exposées aux événements climatiques ait franchi
un seuil critique, au-delà duquel il y a une probabilité proche de un, pour que des sinistres
majeurs se réalisent chaque année, alors
qu’avant 1991 la probabilité de ces sinistres
était très inférieure à un. D’où la forte augmentation du nombre de catastrophes, à climat inchangé.
Depuis
le Moyen Âge,
la Vendée
a connu un
grand nombre
de tempêtes
équivalentes
à Xynthia
➤
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GRAND ANGLE
L’ASSURANCE
➤ Urbanisation
Circonstance aggravante, la taille des villes
ou agglomérations renforce les effets destructeurs des catastrophes naturelles. Dans le cas
des cyclones frappant la côte Atlantique des
États-Unis, une étude historique et statistique, couvrant la période 1925-1995, a révélé un
effet d’échelle très sensible, résumé dans le
tableau ci-dessous 3. Il s’agit des montants
médians des dommages, normalisés en dollars constants, en population et en richesse
économique constantes, rapportés au nombre d’habitants, figurant en colonne, ventilés
par classe de cyclones selon l’échelle de SaffirSimpson, figurant en ligne. Le nombre de cyclones depuis 1925 figure entre parenthèses. Tous
les montants sont calculés en millions de dollars de 1995. L’ouragan Andrew (1992) a été
classé dans la catégorie 4 alors que le cyclone
Katrina (2005) serait classé dans la catégorie
5. Les données sur Katrina ont été calculées
par nous et conduisent aujourd’hui à porter le
montant des dommages à 135 milliards de dollars au lieu des 110 milliards de dollars inscrits
dans le tableau.
Facteurs combinés
Il faut
s’attendre
à des sinistres
extrêmes
encore plus
coûteux
dans le futur
Les dommages médians croissent fortement
avec l’intensité des cyclones, un résultat attendu,
mais ils augmentent aussi avec le nombre
d’habitants. La combinaison de ces deux facteurs met en évidence une relation plus que
proportionnelle entre la taille des villes et les
montants des dommages. Puisqu’elle va toujours de pair avec une urbanisation croissante,
la croissance économique aggrave donc la
sinistralité. Il faut donc s’attendre à des sinistres extrêmes encore plus coûteux dans le
futur, même si le climat reste inchangé. Évidemment, si le réchauffement climatique global devait se réaliser et qu’il entraîne une augmentation du nombre de cyclones, comme le
NOMBRE D’HABITANTS
Saffir-Simpson
Moins de 250 000
1
16 (21)
17 (15)
2
140 (10)
158 (7)
3
1 108 (13)
2 050 (12)
4
2 105 (2)
8 224 (4)
5
5 973 (2)
D’après R. A. Pielke et C. W. Landsea (1998).
10
Moins de 1 million
LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011
–
prédisent certains climatologues, cette aggravation tendancielle de la sinistralité serait
encore plus marquée.
Origine technologique
Les catastrophes d’origine technologique constituent une catégorie « fourre-tout » qui contient
les catastrophes dues aux explosions d’usines chimiques et de centrales nucléaires, auxquelles on peut joindre les ruptures de barrages et tous les sinistres à développement
long engendrés par l’usage ou la consommation de substances dangereuses pour la santé
comme l’amiante, les médicaments (Thalidomide
et Distilbène), les rayonnements ionisants,
voire pour certains auteurs, les ondes électromagnétiques. Le très grand nombre et la
variété des événements dangereux et les montants potentiellement illimités des dommages
qu’ils peuvent engendrer, tant en nombre de
victimes qu’en pertes économiques, ont suscité de nombreuses réactions politiques ou
consuméristes. Comme pour les catastrophes
d’origine naturelle, les scénarios apocalyptiques se sont d’autant plus multipliés que certains risques ne sont pas assurables car ils
dépassent les capacités des assureurs et que
des doutes subsistent quant à la capacité des
États à faire face aux conséquences de ces
catastrophes, d’où une angoisse diffuse dans
les populations exposées.
Valeurs extrêmes
L’exemple de l’explosion de Tchernobyl en
avril 1986 est à bien des égards le modèle de
tous les scénarios de catastrophes technologiques, dont celle que le Japon subit actuellement avec ses centrales nucléaires exposées
aux risques telluriques (séismes et tsunamis).
Tout d’abord les dommages. Ils ont été gigantesques tant sur le plan matériel que pour l’environnement. Bien que non évalués par les autorités, ils ont contraint
les populations à être
évacuées de façon
définitive (43000 habiPlus de 1 million
tants à Pripiat, la ville
232 (9)
voisine) et il est fort
1 380 (12)
probable que l’État
soviétique, déjà affai2 118 (15)
bli, subit à cette occa22 886 (4)
sion un échec majeur
110 000 (1)
qui a contribué à sa
disparition quelques
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tiplié par dix, le risque moyen est multiplié par
trois, alors que dans les statistiques « standard », en vertu de la loi des grands nombres,
l’augmentation du nombre d’usines fait converger la moyenne vers une valeur fixe indépendante du nombre d’usines. Autrement dit, dans
la mesure où la croissance économique nécessite de plus en plus de centrales nucléaires
pour satisfaire les besoins en énergie et dans
la mesure où les progrès de la médecine vont
de pair avec la mise au point de nouvelles molécules, il faut s’attendre à ce que les catastrophes d’origine technologique soient plus nombreuses et plus coûteuses, sauf à mettre en
place des politiques de prévention et de précaution, elles aussi de plus en plus coûteuses.
Outils adaptés
Augmenter les fonds propres
Pour évaluer les risques liés à l’industrie
électronucléaire, plus généralement toutes
les industries susceptibles de subir des sinistres dont la distribution n’a pas de moyenne,
parce que les rares valeurs extrêmes des dommages sont très éloignées des nombreuses
valeurs faibles, il faut utiliser des outils statistiques particuliers où les valeurs moyennes
ne sont pas constantes. Elles croissent lentement avec le nombre de centrales en exploitation ou avec le nombre de molécules nouvelles mises sur le marché 4. Par exemple, si le
nombre de centrales dans le monde est mul-
Pour les assureurs, la croissance des dommages extrêmes, d’origine naturelle ou technologique, et l’augmentation actuelle de leur fréquence sont d’abord les conséquences de la
croissance économique. Comme la croissance
économique favorise la demande d’assurance,
le niveau d’activité de cette branche est donc
appelé à croître. Mais les capacités des assureurs doivent être adéquates. Elles devront
donc augmenter. Si, comme on peut le craindre, la rentabilité des placements financiers
venait à baisser durablement ou être plus volatile, comme on peut l’observer depuis la crise
des subprimes, les assureurs devront faire
appel à leurs actionnaires ou à leurs adhérents
s’il s’agit des sociétés mutuelles. Répondrontils aux appels de fonds ? Si la réponse est oui,
alors il n’y aura pas de crise de l’assurance
confrontée à l’élévation tendancielle des risques. Si la réponse est non, une crise majeure
de l’offre est à craindre, qui contraindra les
assureurs publics et les États à se substituer
à un secteur privé trop peu capitalisé. ■
Statistiques à réévaluer
L’évaluation des dommages moyens par les
méthodes statistiques habituelles (total des
dommages divisé par le nombre de centrales
en activité, avec pondération pour tenir compte
des puissances installées et du nombre d’heures
d’activité) sous-évalue les risques réels qu’il faut
réévaluer dès la survenue d’un accident majeur.
En effet, une succession de nombreux incidents
bénins peut donner l’apparence d’une valeur
moyenne très faible que le moindre accident
grave suffit à multiplier par un facteur disproportionné. En conséquence, évaluer le risque
moyen dans l’industrie électronucléaire civile
à partir des événements réalisés dans le passé
n’apporte aucune information utile.
Il faut intégrer les informations contenues
dans ce que le jargon statistique on appelle
la « queue de distribution » qui regroupe les
valeurs extrêmes peu fréquentes.
GRAND ANGLE
années après. Ensuite, la distribution statistique des dommages dus aux accidents dans les
usines électronucléaires est caractéristique des
distributions sans valeur moyenne : les «petits»
accidents, que les ingénieurs nomment parfois
«incidents», sont nombreux. Leurs conséquences sont minimes, elles ne vont pas au-delà de
l’arrêt temporaire de l’exploitation. En revanche, quelques rares événements sont très coûteux car entraînant l’arrêt prolongé de l’installation puis sa reconstruction, comme la centrale
de Three Mile Island (Pennsylvanie) en 1979, qui
manqua de peu d’être le Tchernobyl américain.
Ils peuvent aller jusqu’au déclassement définitif de l’installation endommagée, comme cela
sera vraisemblablement le cas au Japon.
Les assureurs
devront faire
appel à leurs
actionnaires
ou à leurs
adhérents
1. Emmanuel Garnier et Frédéric Surville, La tempête
Xynthia face à l’histoire. Submersions et tsunamis
sur les littoraux français du Moyen Âge à nos jours,
Le Croît vif, Éditions Charentaises, Saintes, 2010.
2. Daniel Zajdenweber, Économie des extrêmes.
Krachs, catastrophes, inégalités, Flammarion, Paris,
2009.
3. Roger A. Pielke Jr et Christopher W. Landsea
(1998), « Normalized Hurricane Damages in the
United States (1925-1995) », Weather and Forecasting,
13, p. 621-631.
4. Daniel Zajdenweber (2009), op.cit.
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GRAND ANGLE
L’ASSURANCE
PAR THIERRY MASQUELIER (68)
président de la CCR
(Caisse centrale
de réassurance)
Trente ans d’assurance
des catastrophes naturelles
ET PIERRE MICHEL (88)
directeur général
adjoint de la CCR
(Caisse centrale
de réassurance)
Le législateur
n’a pas dressé
de liste
exhaustive des
périls couverts
L’assurance des catastrophes naturelles
existe depuis trente ans. Le régime n’a connu
de modifications législatives que sur des
détails. Les principes sont restés inchangés
depuis l’origine. C’est la preuve qu’ils sont
globalement appréciés des Français.
Cependant, ce régime peut être amélioré,
notamment en vue de le rendre encore
plus incitatif à la prévention.
■ Le régime de catastrophe naturelle couvre les immeubles et meubles assurés contre
les dommages d’incendie ou tout autre type
de dommages comme, par exemple, le vol ou
le dégât des eaux. La couverture suit la garantie de base du contrat, c’est-à-dire le plus souvent la garantie incendie, et concerne donc
généralement : les habitations et leur contenu;
les installations industrielles ou commerciales et leur contenu ; les bâtiments appartenant aux collectivités locales et leur contenu ;
les bâtiments agricoles (y compris les récoltes, machines ou animaux se trouvant à l’intérieur des bâtiments).
Sont également couverts les véhicules, de
même que les accessoires et équipements
automobiles si leur couverture est prévue dans
le contrat de base.
Des inondations aux ouragans
L’énumération des périls comprend : les inondations ou coulées de boue ; les séismes ; les
mouvements de terrain ; la sécheresse, que
l’on désigne par « les mouvements de terrain
différentiels consécutifs à la sécheresse et à
la réhydratation des sols » ; les raz-de-marée ;
les ouragans dans les DOM.
À noter que le législateur n’a pas dressé de
liste exhaustive. La loi se lit comme suit : «Sont
considérés comme les effets des catastrophes
naturelles […] les dommages matériels directs
non assurables ayant eu pour cause détermi-
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LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011
REPÈRES
À la suite d’importantes inondations fin 1981 dans
les vallées de la Saône et du Rhône et dans le
sud-ouest de la France, le législateur introduisit
le régime des catastrophes naturelles par la loi
du 13 juillet 1982. Toute indemnisation au titre de
ce régime est subordonnée à deux conditions
préalables : l’état de catastrophe naturelle doit
avoir été constaté par un arrêté interministériel ;
les biens sinistrés doivent être couverts par un
contrat d’assurance « dommages aux biens ».
Bien entendu, un lien de causalité doit exister
entre la catastrophe constatée par l’arrêté et les
dommages subis par l’assuré.
nante l’intensité anormale d’un agent naturel,
lorsque les mesures habituelles à prendre
pour prévenir ces dommages n’ont pu empêcher leur survenance ou n’ont pu être prises. »
(article L125-1 du Code des assurances). Par
agent naturel, il faut entendre un phénomène
inanimé : ainsi, par exemple, les dégâts causés par des termites ne seraient pas couverts.
Le coût des dommages directs
La garantie couvre le coût des dommages matériels directs à concurrence de leur valeur fixée
au contrat. De même, la garantie des pertes
d’exploitation est couverte si elle figure dans le
contrat du risque industriel. Par contre ne sont
pas couverts les dommages immatériels non
consécutifs, c’est-à-dire, par exemple, le contenu
d’un réfrigérateur dans une maison qui n’est pas
atteinte physiquement par l’inondation mais
dont l’alimentation électrique a été interrompue du fait de l’inondation.
La franchise est fixée par la réglementation. Elle
est, pour l’essentiel : pour les biens à usage d’habitation et pour les véhicules, de 380 euros,
sauf pour la sécheresse, pour laquelle elle est
de 1 520 euros : pour les biens à usage professionnel, de 10 % des dommages avec un
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Le régime des tempêtes
Le système présente une autre particularité :
le législateur a mis en place, pour les tempêtes, un régime distinct de celui des catastrophes naturelles. Si celui-ci passe aussi par
l’obligation faite aux assureurs d’inclure la
garantie dans les polices de dommages aux
biens, il fonctionne d’une manière spécifique
qui, notamment, ne repose pas sur le mécanisme des arrêtés interministériels.
Toutefois, la loi du 13 décembre 2000 « d’orientation pour l’outre-mer» dispose que «les effets
du vent dû à un événement cyclonique pour
lequel les vents maximaux de surface enregistrés ou estimés sur la zone sinistrée ont atteint
ou dépassé 145 km/h en moyenne sur dix minu-
Les exclusions
Relevons que le régime des catastrophes
naturelles ne couvre pas les dommages
immatériels, sauf la perte d’exploitation ; ne
couvre pas les dommages corporels ; ne couvre
pas davantage les dommages aux productions
agricoles, comme les cultures ou les élevages
hors des bâtiments ; ne concerne que des biens
pour lesquels une personne, physique ou morale,
a volontairement choisi de souscrire une police
d’assurance de dommages ; ne fonctionne pas en
présence d’un événement d’origine non
naturelle, par exemple, une catastrophe
technologique ou un acte de terrorisme ; ne joue
qu’en présence d’un événement répondant aux
critères légaux et administratifs de la
catastrophe naturelle.
GRAND ANGLE
minimum de 1 140 euros, sauf pour la sécheresse, pour laquelle le minimum est de
3050 euros. Toutefois, quand le contrat prévoit
une franchise plus élevée, c’est celle-ci qui
s’applique.
Les franchises sont, dans certains cas, affectées d’un coefficient multiplicateur. Ainsi, dans
les communes qui n’ont pas de Plan de prévention des risques naturels prévisibles (PPRN),
elles sont doublées à la troisième constatation d’un même péril dans un délai de cinq ans.
Elles peuvent être triplées ou quadruplées lors
d’une quatrième ou cinquième constatation,
toujours dans les cinq ans. Ce dispositif de
modulation des franchises a pour objet d’inciter à la prévention les communes particulièrement exposées à certains périls naturels.
La tarification
Le tarif est également imposé par la
réglementation. Pour l’essentiel, la tarification
est de : 12 % des primes ou cotisations afférentes
aux contrats de base pour les biens d’habitation
ou à usage professionnel ; 6 % des primes
ou cotisations vol et incendie pour les véhicules
ou, à défaut, 0,5 % de la prime ou cotisation
dommages.
tes ou 215 km/h en rafales » sortent du régime
spécifique tempête pour retomber dans le régime
des catastrophes naturelles.
Conséquence? Pour une tempête, comme, par
exemple, Xynthia, les dommages causés par le
vent sont bien couverts par les assureurs, mais
en dehors du régime des catastrophes naturelles, tandis que les dommages dus aux inondations entrent dans le régime. Les conditions
de déclenchement de l’indemnisation et les
franchises sont donc différentes selon la cause
des dommages.
La procédure d’indemnisation
Lorsque survient une catastrophe naturelle
dans une commune, le maire formule une
demande auprès du préfet de son département, qui établit un dossier aussi complet que
possible, en principe dans le mois de la survenance de la catastrophe. Le dossier est transmis à une commission interministérielle nationale, qui émet un avis sur l’existence ou l’absence
de catastrophe naturelle au sens de la loi. La
commission estime, d’une façon générale, qu’il
y a catastrophe naturelle au sens de la loi lorsque le phénomène se reproduit avec une fréquence inférieure, en probabilité, à une fois
tous les dix ans.
L’avis est concrétisé par un arrêté interministériel publié au Journal officiel.
L’assuré doit déclarer à son assureur tout
sinistre susceptible de faire jouer la garantie
dès qu’il en a connaissance, et au plus tard
dans les dix jours (trente jours pour la perte d’exploitation) suivant la parution de l’arrêté interministériel au Journal officiel.
Ensuite, la procédure d’indemnisation sera
semblable à toute autre procédure d’indemnisation. L’assuré envoie à l’assureur un état
estimatif des dégâts. L’assureur enverra un
expert évaluer ceux-ci s’il l’estime utile. Il fera
Le tarif est
également
imposé par la
réglementation
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GRAND ANGLE
L’ASSURANCE
La réassurance
Les grandes catastrophes naturelles (comme la tempête Xynthia le 27 février 2010 ou les inondations
du Var le 15 juin) entraînent une multiplicité de dossiers de sinistres qui sont susceptibles, par leur
agrégation, de porter atteinte au résultat d’un assureur ou, pire, à ses fonds propres. Aussi les assureurs
n’ont-ils accepté de couvrir les catastrophes naturelles que sous la condition qu’ils puissent se réassurer.
Le législateur a, par conséquent, autorisé la Caisse centrale de réassurance (CCR), société anonyme
détenue à 100 % par l’État, à offrir une telle réassurance avec la garantie que l’État interviendrait
si les ressources propres du régime s’avéraient insuffisantes.
La CCR propose, pour l’essentiel, une réassurance à la fois proportionnelle (traité dit en quote-part)
et non proportionnelle (traité dit en stop loss).
Notons que l’assureur n’est pas obligé de se réassurer ou qu’il peut se réassurer auprès d’autres
réassureurs. Certains, parce que leurs garanties catastrophes naturelles ne forment qu’une faible partie
de leur chiffre d’affaires, ne se réassurent pas.
Les réassureurs, y compris la CCR, sont libres de tarifer leurs couvertures à l’égard des assureurs :
les pourcentages de surprime réglementée mentionnés plus haut ne s’imposent qu’aux polices
d’assurance, pas aux traités de réassurance.
une proposition de règlement, en principe dans
les trois mois de l’envoi par l’assuré de l’état
estimatif des dégâts ou, à défaut, versera une
provision dans les deux mois.
La prévention
La prévention
s’exerce
essentiellement par
les Plans
de prévention
des risques
naturels
La prévention s’exerce essentiellement par
les Plans de prévention des risques naturels
prévisibles (PPRN). Quelque 12000 PPRN, dont
plus de 7 500 sont déjà approuvés, sont en
œuvre ou en cours d’élaboration. Rapportés
à environ 36 000 communes, dont un grand
nombre n’est pas exposé de façon significative aux périls naturels, ces Plans représentent un premier résultat louable. Mais on peut
certainement faire mieux. Sans porter atteinte
à la solidarité, qui est l’un des fondements du
régime, une piste semble être de moduler la
prime en fonction de l’exposition par commune
ou par risque, dans un premier temps pour
les risques professionnels (et éventuellement
dans un second temps pour les risques de particuliers). On pourrait aussi vouloir pénaliser
les constructions qui ne seraient pas conformes à leur permis de construire ou pour lesquelles les mesures de prévention prévues au
PPRN ne seraient pas respectées, etc. Il s’agit
là de pistes de réflexion.
La modélisation
Quelle méthodologie faut-il suivre lorsque l’on
cherche à estimer l’impact des événements
naturels extrêmes ? Outre la collecte de données, on doit s’engager dans une démarche
de modélisation, la simple exploitation statis14
LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011
tique des observations ne pouvant suffire. Pour
commencer, on recherchera des descriptions
aussi complètes que possible des événements
historiques. On tentera de les traduire en coûts
actuels, ce qui suppose de tenir compte non
seulement de l’inflation, mais aussi de l’accroissement des richesses et plus précisément de leur accumulation dans des zones
exposées (par exemple, le Bassin parisien est
plus particulièrement exposé aux crues de la
Seine, la région PACA aux crues torrentielles
et aux séismes, et ainsi de suite).
Le (ré)assureur s’intéressera non seulement
à la hausse du niveau général des prix, mais
intégrera aussi le fait qu’après un événement
catastrophique la pénurie relative de l’offre
de matériaux et de main-d’œuvre pour la
reconstruction des sites endommagés provoque des effets de « surinflation » temporaire
particulièrement prononcés, facilement audelà de 20 à 30 %.
Il complétera son analyse en tenant compte des
évolutions du taux de pénétration de l’assurance
et des conditions des polices : franchises, limites de garantie, couverture des préjudices
immatériels comme la perte d’exploitation,
etc. Il chiffrera les effets systémiques tels
que : le fonctionnement en réseau des agents
économiques, reposant sur les flux tendus et
augmentant leur interdépendance ; les progrès des matériaux et normes de construction ; le développement des mesures de prévention (pour bien faire, il faut tenir compte
de leur application effective ou non sur le territoire considéré).
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GRAND ANGLE
Une évaluation à partir des catastrophes
historiques est insuffisante : il faut s’attacher à caractériser les événements
considérés comme
possibles aujourd’hui, qu’ils aient ou
non été observés,
ainsi que la distribution de leur probabilité de survenance.
Bref, même du point
de vue partiel de
l’assurance, que l’on
peut penser bien circonscrit, quantifiable et fondé sur des
séries statistiques
longues, l’estimation du coût potentiel des catastrophes
extrêmes est entachée d’incertitudes
majeures.
D.R.
P.12 Masquelier et Michel
D.R.
La Faute-sur-Mer.
Inondations en Vendée le 1er mars 2010.
Un rôle central
Quelques chiffres
en France
Les tempêtes historiquement violentes, Lothar
et Martin, qui ont soufflé sur l’ouest de l’Europe
du 25 au 28 décembre 1999, auront coûté aux
seuls assureurs et réassureurs, au titre des
dommages en France, de l’ordre de 8,5 milliards
d’euros actuels.
Un tremblement de terre de grande amplitude
dans la région de Nice pourrait entraîner un
préjudice économique de l’ordre de 10 milliards
d’euros.
Le coût économique d’une crue centennale
de la Seine, survenant aujourd’hui, est estimé,
selon les experts, dans une fourchette de 5
à 10 milliards d’euros. Mettons ce chiffre en
perspective : une période de récurrence de
cent ans est très loin de caractériser l’événement
le plus grave pouvant survenir. Concédons
néanmoins que, s’agissant des périodes de retour
élevées, il devient difficile de dire où la
probabilité de survenance se situe précisément.
En d’autres termes, pour un coût donné, on ne
sait pas réellement si la période de retour
est plutôt de cent ans, deux cent cinquante ans
voire cinq cents ans.
Les (ré)assureurs recueillent des données et
disposent de ressources, ce qui leur confère
un rôle central dans la modélisation des catastrophes naturelles sous l’angle bien particulier du coût des dommages assurés (qui ne
forme évidemment pas la vision complète des
phénomènes).
L’assurance des catastrophes naturelles existe
maintenant depuis bientôt trente ans. Pratiquement, le régime n’a connu, au cours de ces
trente années, de modifications législatives que
sur des détails. Les principes sont restés inchangés depuis l’origine. C’est la preuve qu’ils sont
globalement appréciés des Français. Cependant,
ce régime peut être amélioré, notamment en
vue de le rendre encore plus incitatif à la prévention. Il s’agirait d’introduire une certaine
modulation de la prime en fonction de l’exposition au risque, de traiter différemment la sécheresse sur les bâtiments récents, etc.
Diverses mesures en matière de respect des
règles de construction, de Plan de prévoyance
des risques naturels, de permis de construire
seraient envisagées. L’année du trentième anniversaire sera-t-elle celle de la réforme ? ■
L’estimation
du coût
potentiel des
catastrophes
extrêmes est
entachée
d’incertitudes
majeures
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GRAND ANGLE
L’ASSURANCE
PAR MICHEL MOLLARD (83)
membre du directoire,
Groupe Euler Hermes
L’assurance-crédit
contre le risque d’impayés
Les impayés peuvent gravement obérer
la rentabilité des entreprises, voire les mettre
en péril. L’assurance-crédit protège les
entreprises à la fois par un mécanisme
de mutualisation classique qui répartit
les pertes entre clients et par une baisse
des sinistres due à une meilleure gestion
des risques. Avec la mondialisation
des échanges et le durcissement des critères
de solvabilité, cette activité est promise
à un fort développement.
REPÈRES
Les principaux
banquiers des
entreprises
sont les
entreprises
elles-mêmes
En France, le montant du crédit interentreprises
peut être estimé à 700 milliards d’euros. Le
crédit clients représente en moyenne 20 % du
bilan des entreprises, chiffre élevé non pas du fait
d’une faible proportion des fonds propres des
entreprises françaises (sujet qui n’est plus
vraiment d’actualité contrairement à la situation
des années 1990) mais du fait d’une relative
faible part de la dette financière dans les bilans
des entreprises.
Délais de paiement
L’affirmation fera peut-être sourire mais c’est
une réalité : les principaux banquiers des entreprises sont… les entreprises elles-mêmes. La
très grande majorité des relations commerciales entre entreprises dans le monde (relations B to B, business to business) ne s’effectuent en effet pas au comptant mais voient les
fournisseurs consentir des délais de paiement
à leurs clients (mécanisme dit d’open account).
Les délais de paiement varient selon les pays,
entre une trentaine de jours aux États-Unis
jusqu’à un an ou presque dans certains pays
d’Europe du Sud. Il en résulte ce que l’on
appelle le crédit interentreprises, qui a deux
composantes selon le point de vue que l’on
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LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011
adopte. Le crédit clients (asset receivables en
anglais, A/R) correspond au crédit accordé
par un fournisseur à ses clients. Au bilan, il
figure alors à l’actif et se traduit par un besoin
de financement pour le fournisseur. La dette
fournisseurs (asset payables en anglais, A/P)
correspond à la dette due par le client à ses
fournisseurs. Au bilan, elle figure au passif et
s’analyse comme un financement du client
par ses fournisseurs. La somme des crédits
clients est égale à la somme des dettes fournisseurs et elle est égale au montant du crédit interentreprises. Celui-ci s’élève à environ 25 000 Md€ dans le monde (soit environ
la moitié du PIB mondial).
Deux grands paradoxes
Ces éléments posés, on voit tout de suite émerger deux grands paradoxes. Le premier est lié
au fait que la plupart des entreprises actives
dans le B to B se retrouvent dans une position
de banquier, alors que ce n’est en rien leur
métier et qu’elles n’en mesurent pas toujours
les risques. Ces derniers sont loin d’être négligeables : on estime en effet qu’une faillite
d’une entreprise sur quatre dans le monde est
provoquée par l’insolvabilité d’un de ses clients.
C’est le fameux effet domino : du fait du poids
du poste clients dans le bilan, le non-paiement
Crédits non encadrés
Comment ne pas être étonné que l’activité de
crédit soit strictement encadrée lorsqu’il s’agit
de financement bancaire (Bâle II aujourd’hui,
Bâle III demain) mais extrêmement peu lorsqu’il
s’agit d’opérations commerciales, seules les
normes comptables IFRS exigeant des
entreprises et filiales d’entreprises cotées
qu’elles indiquent dans leur rapport annuel
la manière dont elles gèrent leur poste clients
et le risque qu’il représente ?
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Se prémunir des faillites
L’origine de l’assurance-crédit remonte au
dix-huitième siècle. En France, c’est dans les
années 1830, précisément en 1839, qu’un économiste italien, Bonajuto Paris Sanguinetti,
adresse un projet aux présidents des Chambres
de commerce françaises recommandant d’établir « en France une Compagnie d’assurances
mutuelles contre les faillites ». Toutefois, l’assurance-crédit, comme ailleurs dans les principaux pays européens (Allemagne, RoyaumeUni, Italie…), n’y prospère véritablement qu’à
l’issue de la Première Guerre mondiale.
Avec le recul du temps, deux raisons essentielles ont poussé au développement de cette
activité. La première, de bon sens, tient tout
simplement à la volonté des entreprises de
protéger un élément clé de leur actif. C’est
une approche assurantielle classique. La
seconde, plus subtile, relève de la question
de savoir s’il est plus efficace pour une entreprise de disposer en interne d’une équipe de
gestion du risque de crédit ou d’externaliser
cette fonction. Il ne s’agit pas là d’un débat
entre assurance et auto-assurance mais de
bien autre chose. La décision de consentir un
crédit ou non à un client nécessite en effet
tout d’abord d’investir dans une ressource
rare et coûteuse à obtenir si elle est pertinente : l’information sur ce client.
Mutualisation des coûts
Cette information pertinente, l’entreprise a le
choix entre l’acquérir elle-même ou à recourir à un assureur-crédit. Si elle fait le choix de
l’acquérir elle-même, elle s’expose à des coûts
fixes (chaque fois qu’elle acquiert un nouveau
client) et récurrents (pour entretenir la qualité
de sa base de données) très conséquents.
GRAND ANGLE
de certaines créances peut largement dépasser le résultat d’une entreprise et entraîner à
son tour son dépôt de bilan.
Le second paradoxe est lié au fait qu’il ne viendrait à l’idée d’aucune entreprise bien gérée de
ne pas assurer ses principaux actifs mais qu’il
en va différemment lorsqu’il s’agit du poste
clients qui peut représenter jusqu’à 40 % de
l’actif d’une entreprise œuvrant dans le B to B. Or
un nombre non négligeable d’entreprises, surtout les plus petites d’entre elles, continuent
aujourd’hui de ne pas se protéger contre le
défaut de leurs clients, l’assurance contre ce
type de risque n’étant en rien obligatoire.
Information pertinente
Par information pertinente, il ne faut pas
entendre une information que tout le monde peut
trouver sur Internet, à faible valeur ajoutée, ou
les derniers états financiers qui peuvent ne
refléter en rien la situation actuelle réelle
d’une entreprise, tout particulièrement
en période de retournement de cycle, mais au
contraire une information parfaitement à jour,
à forte valeur ajoutée car connue d’un faible
nombre d’intervenants.
L’assureur-crédit, a contrario, a la faculté de
mutualiser le coût d’acquisition de cette information sur l’ensemble des assurés qui portent des risques sur ce client. Il peut donc faire
diminuer ce coût ou, à coût égal, améliorer
considérablement la qualité de l’information.
De fait, les assureurs-crédits disposent certainement des meilleures bases de données et
des plus complètes au monde sur les entreprises. Ce coût considérable que représente l’acquisition d’informations pertinentes explique
également pourquoi le secteur s’est concentré comme il l’a fait ces dernières années.
Transparence
Une troisième raison émerge aujourd’hui qui
pousse puissamment de plus en plus d’entreprises, notamment les plus grands groupes
internationaux, à recourir à une assurancecrédit : les exigences croissantes en matière
de gouvernance. Combien de dirigeants sont
en effet incapables de mentionner les plus
grands risques clients portés par leur entreprise. À leur décharge, la complexité des liens
capitalistiques et financiers unissant certaines de leurs contreparties ne cesse de croître.
Comment se faire une idée du soutien réel
Les assureurscrédits
disposent des
meilleures
bases de
données sur
les entreprises
Fonds propres
Si une entreprise ne transfère pas son risque
à un tiers, elle doit en théorie mobiliser des fonds
propres pour couvrir celui-ci. Là aussi, il est
évident que moins de fonds propres devront être
mobilisés si les risques sont mutualisés chez un
assureur que s’ils restent au sein de l’entreprise.
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GRAND ANGLE
L’ASSURANCE
apporté par une maison mère à l’une de ses filiales quand les cas d’abandon pur et simple se
multiplient de la part de très grands groupes ?
Comment estimer le risque porté sur une filiale
européenne d’une entreprise américaine en
difficulté? Comment y voir clair dans les accords
de cash pooling ? Autant de questions auxquelles il est difficile de répondre sans des investigations très complexes.
Prévention des risques
L’assuré peut
éviter une
grande partie
des sinistres
qu’il aurait eu
à assumer
L’assurance-crédit est un type d’assurance
original dans la mesure où elle intervient pour
couvrir le risque de défaut des clients moins
par un mécanisme assurantiel pur que par un
mécanisme de prévention. Couvrir le risque
de manière purement assurantielle, sans prévention, coûterait en effet trop cher aux entreprises. Celles-ci devraient en effet payer une
prime au moins égale au taux de défaillance
moyen des entreprises. Cela représenterait
une ponction considérable sur leur taux de
marge que l’on peut estimer en moyenne à un
quart mais qui dans certains cas pourrait atteindre, voire dépasser les 100 %.
Le mécanisme de prévention repose sur des
contacts fréquents, qui peuvent être quotidiens, entre l’assureur-crédit et l’assuré.
Chaque fois que ce dernier contracte avec
un nouveau client ou développe son activité
avec un client existant, il discute avec son
assureur-crédit des garanties dont il peut
disposer.
De son côté, l’assureur informe régulièrement
son assuré de l’évolution de la situation de ses
clients, notamment s’agissant de leur solvabilité. Lorsque pour un débiteur donné celle-
Effets induits
Les échanges entre assureur et assuré, qui
s’apparentent à ceux existant au sein de
l’entreprise entre la direction financière et la
direction commerciale, présentent un caractère
éminemment vertueux, quoiqu’ils ne soient pas
toujours aisés : ils poussent en effet l’entreprise
à développer une clientèle profitable. Rien n’est
en effet plus inefficace pour une entreprise que
de pousser ses forces de vente sur des marchés
qui n’existeront plus demain, rien n’est plus
efficace que de développer des relations
d’affaires avec des clients à potentiel.
18
LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011
Un exemple concret
En décembre 2009, l’entreprise A n’est pas
assurée. Elle a 10 000 clients et réalise un CA
de 870 M€. Cinq défauts de paiement
de respectivement 1,45 M€, 0,98 M€, 0,53 M€,
0,82 M€ et 0,57 M€ ont marqué l’année pour un
total de 4,35 M€ (0,5 % du CA). Si elle avait été
assurée, elle n’aurait subi des pertes que dans
le dernier cas et son loss ratio aurait été ramené
à 0,07 %.
En décembre 2010, elle est assurée. Avec
10 700 clients, elle réalise un CA de 915 M€.
Grâce à son assurance son loss ratio s’établit
à 0,07 %. Elle paie une prime égale à 0,2 %
de son CA. Le gain net pour elle est égal à
4,35 M€ – (0,2 % + 0,07 %) x 915 M€, soit 1,88 M€.
ci est menacée à court terme, ou que la prime
payée par l’assuré n’est plus compatible avec
le risque pris, l’assureur peut décider d’une
réduction, voire d’une annulation des garanties sur ce débiteur. Cette réduction ou cette
annulation ne prennent évidemment effet que
pour les factures futures et avec un préavis
minimum qui varie selon les pays. L’assuré
peut ainsi éviter une grande partie des sinistres qu’il aurait eu à assumer. Si l’assureur
n’est pas en mesure d’assurer une prévention adéquate des sinistres, il indemnise
alors son assuré et procède la plupart du
temps pour son compte au recouvrement des
créances.
Prévoir les crises
Une des particularités de l’assurance-crédit est
de se situer en amont des cycles économiques
et, plus généralement, de servir de révélateur
des tendances économiques de fond.
Cela est dû tout d’abord au fait qu’avant de ne
pas payer son banquier et risquer ainsi de mettre en péril son financement, une entreprise qui
connaît des difficultés a tendance à commencer à ne pas rembourser ses fournisseurs, ou,
à tout le moins, certains d’entre eux. De par
les obligations contractuelles de ses assurés,
l’assureur-crédit est le réceptacle naturel de
ces informations relatives à l’allongement des
délais de paiement qui annonce des difficultés à venir.
Plus généralement, l’assureur-crédit couvrant
l’intégralité du poste clients de ses assurés,
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Dès le milieu de l’année 2007 aux États-Unis
et dès le début de 2008 en France (c’est-à-dire
plusieurs mois avant la chute de Lehman
Brothers), il a été possible de discerner
les signes avant-coureurs clairs d’une crise
de très grande ampleur : les délais de paiement
s’allongeaient, les défauts croissaient
d’une manière qui ne pouvait pas tromper.
il perçoit aussi clairement l’évolution des stratégies des entreprises, notamment en matière
de développement international. De par la
richesse et la profondeur de ses bases de données sur les entreprises, il est également capable, en les consolidant, d’anticiper les grands
mouvements de plaques tectoniques de l’économie mondiale. De ce point de vue, force est
de constater la montée en puissance fulgurante, beaucoup plus rapide que ce que beaucoup pensent encore, de grands groupes industriels et financiers dans les pays désormais
émergés d’Asie et d’Amérique latine.
Bâle III
Un autre facteur joue en faveur du
développement du crédit interentreprises :
le renforcement de la réglementation bancaire.
Bâle III notamment ne devrait en rien faciliter
le financement des entreprises. Or celles-ci ont
des besoins de financement pour se développer.
Le capital est cher et donc le crédit interentreprises, qui l’est moins et n’est d’ailleurs
pas toujours facturé à son juste prix, ne peut
que se développer.
Des besoins au niveau mondial
Avec la croissance des échanges internationaux qui progressent en moyenne à un rythme
double du PIB mondial, le crédit interentreprises ne cesse de croître. Par ailleurs, on
observe très clairement en Asie, en Amérique
latine et au Moyen-Orient une montée en
puissance du mécanisme d’open account,
moins lourd et d’un coût plus faible que d’autres moyens de financement comme la lettre de crédit.
GRAND ANGLE
Anticipation
Est-ce une bonne chose ou une mauvaise
chose ? C’est avant tout une réalité. Le crédit interentreprises existe partout dans le
monde. Des tentatives existent pour le réguler mais qui connaissent des fortunes diverses. Ainsi en a-t-il été en France de la loi
LME sur la réduction des délais de paiement
qui partait d’un souhait louable. Ce qui joue
en soi n’est en effet pas seulement le délai de
paiement lui-même mais l’effet net entre
délais fournisseurs et délais clients. Cela
signifie que toute régulation peut ultimement
s’analyser comme un transfert de trésorerie de certaines entreprises ou certains secteurs d’activité à d’autres, sujet dont on
mesure la sensibilité.
Cette montée en puissance du crédit interentreprises entraîne à sa suite celle de l’assurance-crédit, non seulement parce que le
volume du crédit interentreprises croît mais
aussi parce que les risques dont il est porteur évoluent. Quelle entreprise européenne
peut ainsi affirmer qu’elle connaît parfaitement ses contreparties russes, chinoises,
indiennes ou brésiliennes ? Qu’elle maîtrise
parfaitement le droit des faillites dans les
grandes économies émergées qui constituent désormais le moteur de la croissance
mondial ?
Mais là n’est finalement pas l’essentiel. Le
développement économique s’est toujours
accompagné de risques et c’est bien ainsi. Il
faut seulement savoir les reconnaître et les
maîtriser. ■
Domination française
Le marché mondial de l’assurance-crédit
représente environ 5 milliards d’euros de primes
et s’organise autour de trois grands acteurs
mondiaux : Euler Hermes, Coface et Atradius.
Alors qu’on ne cesse de dire que la France
n’est pas un pays suffisamment exportateur,
force est de constater que les deux premiers
parmi ces trois acteurs mondiaux sont français :
Euler Hermes et Coface. Cette remarquable
spécificité trouve son origine essentiellement
dans la manière dont ces groupes ont su tirer
parti de la mondialisation dans les années 1990
en bâtissant des leaders mondiaux à partir
des leaders français.
Le développement
économique
s’est toujours
accompagné
de risques
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GRAND ANGLE
L’ASSURANCE
PAR NICOLAS GOMBAULT
directeur général
du Sou MédicalGroupe MACSF
Repenser l’assurance
de responsabilité médicale
après la crise
L’assurance de la responsabilité médicale
représente un marché étroit et à haut risque,
sujet à des revirements de jurisprudence
dont il est difficile d’évaluer à l’avance
les impacts. La crise de 2002 subsiste
pour certains praticiens, en particulier
les obstétriciens, du fait de l’intensité
de certains sinistres. Une réforme est
à nouveau attendue.
Disparités
On constate ainsi de très fortes disparités entre
les médecins face à l’exposition au risque
médico-légal. Ainsi, dans l’année, pratiquement
un chirurgien sur deux en moyenne voit sa
responsabilité recherchée alors qu’au cours
de la même période un médecin généraliste
sur cent sera mis en cause. Sur ces bases,
on peut calculer qu’un chirurgien exerçant
trente-cinq ans dans sa carrière serait mis
en cause 16 fois.
Un marché à hauts risques
La sinistralité
des professionnels
de santé a
très fortement
augmenté
Comme tout risque, le risque de la responsabilité médicale s’apprécie à la fois en fréquence
et en intensité. Il n’existe pas de statistiques
nationales pour le mesurer mais les statistiques du Sou Médical et de la MACSF sont suffisamment significatives pour nous permettre
des constats utiles. La sinistralité des professionnels de santé a très fortement augmenté
REPÈRES
Le marché de l’assurance de la responsabilité
médicale est un micromarché. Il apparaît
extrêmement étroit tout d’abord s’agissant du
panel d’acteurs opérants puisque, au fil du
temps, le nombre de sociétés d’assurances
acceptant de garantir la responsabilité des
professionnels de santé ou des établissements
s’est réduit comme peau de chagrin et
aujourd’hui cinq sociétés d’assurances se
partagent plus de 95 % de ce marché. Il s’agit en
second lieu d’un marché extrêmement étroit eu
égard au montant des primes encaissées. Le
chiffre d’affaires global de cette branche était
évalué à seulement 428 millions d’euros en 2008.
C’est dire que les capacités d’indemnisation des
assureurs sont limitées.
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LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011
entre les années 1990 à 2000 et depuis 2001
et 2002, le nombre des réclamations semble
se stabiliser.
En revanche, celles formulées à l’encontre
des établissements, et notamment des établissements publics, continuent de croître fortement.
S’agissant des praticiens libéraux, la fréquence
des déclarations connaît des différences on
ne peut plus significatives selon les spécialités exercées.
Réclamations en hausse
Il est fort probable que l’on connaisse à l’avenir une augmentation des réclamations formulées à l’encontre des professionnels de
santé – toutes spécialités confondues – et des
établissements de soins. De nombreux facteurs permettent d’avancer ces prévisions pessimistes : multiplication des campagnes de
dépistage, technicité et sophistication des actes
qui accroissent les risques, progrès médicaux
médiatiquement exposés qui accentuent les
exigences des patients et rendent inacceptables les échecs, développement d’une médecine de l’ultime qui étend son champ d’action
aux âges et états pathologiques les plus
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GRAND ANGLE
fragiles, taux d’innovation bien supérieur à
celui des industries ultra-sûres comme l’aviation, carences d’organisation, possibilité d’intenter des recours sans bourse délier (création des commissions régionales de conciliation
et d’indemnisation des victimes d’accidents
médicaux).
Séries noires
La difficulté à trouver des assureurs acceptant
de couvrir la responsabilité médicale s’est
considérablement accrue du fait de l’apparition
d’accidents sériels (sida, hépatite C, infection
nosocomiale, accident de radiothérapie).
Inflation des indemnisations
Le sort réservé par les magistrats aux instances engagées par les patients a connu lui aussi
une évolution extrêmement péjorative pour
les assureurs. Si l’on reprend les dossiers du
Sou Médical et de la MACSF dans lesquels sont
intervenues des décisions de justice civile
entre les années 1980 à 1984, on constate que
33 % de ces décisions au fond débouchaient
sur une condamnation prononcée par les magistrats. Aujourd’hui, ce pourcentage est de l’ordre de 68 %.
L’intensité des dossiers a par ailleurs subi
récemment une inflation considérable. Le coût
moyen du dossier indemnisé par le Sou Médical
et la MACSF était de l’ordre de 120 000 euros
en 2002; ce coût moyen est passé à 256000 euros
à partir de 2007 soit une augmentation supérieure à 100 % en cinq ans.
De multiples facteurs sont susceptibles d’expliquer cette tendance et notamment le recours
à la nomenclature Dintilhac (qui a augmenté
les préjudices indemnisables), ou l’inflation
tout à fait particulière de certains postes comme
celui de la tierce personne.
Au total, le nombre des indemnisations lourdes ne cesse de croître et l’ensemble des spécialités est concerné. L’intensité la plus importante se retrouve cependant dans les dossiers
d’obstétrique pour lesquels les progrès réalisés en matière de réanimation néonatale ne
permettent malheureusement pas de revenir
sur les effets d’une anoxie mais permettent
en revanche la survie de grands encéphalopathes profonds.
Une offre raréfiée
La raréfaction de l’offre des assureurs en
matière de responsabilité médicale peut s’expliquer par quatre facteurs : l’évolution de la
jurisprudence, l’augmentation de la fréquence
des sinistres, l’augmentation du coût moyen
des sinistres, le fait que la problématique de
la réparation de l’aléa médical n’est résolue
que de façon récente et partielle.
En matière d’évolution jurisprudentielle, il ne
nous semble pas exagéré de faire valoir que le
droit de la responsabilité médicale s’est mué
en droit de l’indemnisation des victimes. Cette
évolution, dont l’objectif évident est d’aboutir
à une meilleure indemnisation des victimes,
est très pernicieuse pour les assureurs parce
qu’elle met à mal toutes leurs prévisions actuarielles : le propre de la jurisprudence est en
effet d’être rétroactive ; ainsi, une modification de jurisprudence favorable aux malades
va s’appliquer immédiatement à l’ensemble
des sinistres en cours, obligeant l’assureur à
revoir en totalité son provisionnement alors
que ce risque n’avait pas été pris en compte
au moment où la prime a été réglée.
Précisément, en matière de responsabilité
médicale, les revirements de jurisprudence
sont constants.
Nomenclature Dintilhac
Assurance en crise
En 2005, la Chancellerie a confié à un groupe
de travail piloté par un haut magistrat,
Jean-Pierre Dintilhac, la définition d’une
nomenclature des préjudices corporels.
Ainsi a été créée une liste exhaustive des postes
de préjudice dont une victime peut demander
réparation. Bien qu’elle n’ait qu’un caractère
de recommandation, cette liste constitue
une référence majeure.
La crise de l’assurance de la responsabilité
médicale a ainsi touché son paroxysme depuis
la fin de l’année 2002, date à laquelle, de façon
paradoxale, le législateur a décidé de rendre
obligatoire cette assurance, précisément à un
moment où de nombreuses sociétés d’assurances et notamment étrangères se sont retirées
du marché, créant ainsi le risque de voir certains établissements ou certains professionnels de santé sans garantie d’assurance.
Le droit de la
responsabilité
médicale s’est
mué en droit de
l’indemnisation
des victimes
➤
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GRAND ANGLE
L’ASSURANCE
➤ Le législateur a tenté d’enrayer cette crise en
réaffirmant, sauf exception, le principe d’une
responsabilité fondée sur la faute (article
L 1142-1 du Code de la santé publique).
En revanche, le législateur a décidé de faire
peser sur les établissements de santé une
obligation de sécurité de résultat en matière
d’infection nosocomiale, alors que ce régime
pesait auparavant à la fois sur les établissements
privés et les praticiens à la suite d’une jurisprudence de la Cour de cassation du 29 juin 1999.
L’arrêt tient son nom de Nicolas Perruche
né gravement handicapé car sa mère,
qui avait contracté la rubéole pendant
sa grossesse, n’a pas avorté en raison
d’une erreur de diagnostic.
Cet arrêt de la Cour de cassation consacrait
le droit pour un enfant né handicapé à être
indemnisé de son propre préjudice.
Une indemnisation à la charge
de la solidarité nationale
Par la loi du 30 décembre 2002, le législateur
a décidé de modifier ce régime d’indemnisation des infections nosocomiales en prévoyant
que pour celles qui entraînent les préjudices
les plus graves (taux d’AIPP supérieur à 25 %
et décès), l’indemnisation était à la charge de
la solidarité nationale, l’ONIAM disposant alors
d’un recours subrogatoire contre le responsable basé sur la faute. Il n’en demeure pas
moins que la grande majorité des infections
nosocomiales entraîne des préjudices en deçà
de ces seuils et que dès lors elles demeurent
à la charge des assureurs d’établissements
de santé.
Une évolution juridique
pour le diagnostic anténatal
Les assureurs Le législateur du 4 mars 2002 a par ailleurs
entendu revenir sur les effets de la jurisprune pouvaient
dence Perruche en matière de diagnostic antéfaire face aux
condamnations
prononcées sur
la base de la
Prescription à dix ans
jurisprudence
La loi du 4 mars 2002 a décidé d’unifier
Perruche
la prescription des actions en prévoyant que
les actions se prescrivent par dix ans à compter
de la consolidation du dommage.
Pour les assureurs de praticiens ou
d’établissements privés, cette modification n’a
nullement modifié de façon significative
l’approche du risque. En effet, la réduction de
trente à dix ans du délai de prescription est
contrebalancée par le point de départ du délai
de dix ans qui est la consolidation du dommage
du demandeur ; par ailleurs, la très grande
majorité des mises en cause de responsabilité
intervenant dans les cinq ans de l’acte médical,
la réduction de trente à dix ans n’a eu en tout état
de cause qu’un effet très relatif.
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Arrêt Perruche
LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011
natal et posé des règles essentielles et dérogatoires en ce domaine compte tenu des incidences éthiques, sociales et économiques de
cette problématique de la responsabilité en
matière de diagnostic anténatal.
Une seule chose était certaine en la matière,
les assureurs ne pouvaient faire face aux
condamnations susceptibles d’être prononcées sur la base de la jurisprudence Perruche
compte tenu de leur coût et du nombre d’événements susceptibles d’être en cause.
Une évolution jurisprudentielle essentielle est
intervenue au sujet de ce texte, initiée tout
d’abord par deux arrêts de la Cour européenne
des droits de l’homme du 6 octobre 2005 puis
par trois arrêts de la Cour de cassation du
24 juin 2006.
Puis, par une décision du 8 juillet 2008, la Cour
de cassation a décidé de maintenir les effets
de la jurisprudence Perruche à toute manifestation d’un dommage constaté avant l’intervention de la loi du 4 mars 2002, et ce, quelle
que soit la date à laquelle les parents de l’enfant né avec un handicap avaient intenté leur
action en justice.
La rétroactivité jugée contraire
à la Constitution
Enfin, dans la mesure où ce texte n’avait pas
été soumis au Conseil constitutionnel, ce dispositif a fait l’objet d’une question prioritaire
de constitutionnalité tranchée par le Conseil
constitutionnel le 11 juin 2010, qui a validé le
dispositif mis en place par l’article 1er de la loi
du 4 mars 2002.
En revanche, le caractère rétroactif de la loi
a été jugé contraire à la Constitution ; la loi
avait en effet prévu que le nouveau dispositif
devait s’appliquer à toutes les instances en
cours dans lesquelles il n’avait pas été sta-
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Le Conseil constitutionnel a motivé sa décision du
11 juin 2010 en considérant que l’exigence d’une
faute caractérisée comme condition de
reconnaissance de responsabilité en matière de
diagnostic anténatal se justifiait par les difficultés
inhérentes au diagnostic anténatal ; et que la
limitation des préjudices indemnisables
(impossibilité pour les parents de solliciter la
réparation du préjudice résultant des charges
particulières, découlant tout au long de la vie de
l’enfant de son handicap, lesquelles relèvent de
la solidarité nationale) ne revêt pas un caractère
disproportionné au regard des buts poursuivis ; le
législateur a fondé son choix sur des
considérations éthiques et sociales ainsi que sur
des motifs d’ordre financier qui relèvent de son
pouvoir d’appréciation.
tué irrévocablement sur le principe de l’indemnisation; le Conseil constitutionnel a considéré qu’il ne pouvait être porté atteinte aux
droits acquis et a déclaré contraire à la
Constitution cette rétroactivité.
Une obligation d’assurance
pour les professionnels de santé
Les professionnels de santé exerçant à titre
libéral ainsi que les établissements de santé
sont tenus de souscrire une assurance de responsabilité professionnelle au terme de la loi
du 4 mars 2002. Le manquement à cette obligation d’assurance est pénalement sanctionné.
Les sociétés d’assurances sont tenues de proposer aux professionnels de santé des garanties dont les montants ne peuvent être inférieurs à 3 millions d’euros par sinistre et à
10 millions d’euros par année d’assurance.
Ces montants peuvent s’avérer insuffisants
eu égard à l’intensité de certains sinistres, raison pour laquelle les praticiens ont intérêt à
souscrire des contrats prévoyant des garanties
supérieures.
Sur la base de la réclamation
et non du fait générateur
Le contrat d’assurance de responsabilité médicale doit depuis la loi du 30 décembre 2002
être libellé, au niveau de la garantie dans le
temps, sur la base de la réclamation et non
plus, comme l’exigeait la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation, sur la base du
GRAND ANGLE
Motivations
fait générateur. Des tempéraments ont toutefois été apportés à ce principe, la loi ayant prévu
une garantie subséquente de cinq ans s’appliquant après toute résiliation ainsi qu’une
garantie subséquente de dix s’appliquant aux
contrats souscrits par les professionnels de
santé en cas de cessation d’activité ou de décès.
Un dispositif insuffisant
toujours à la recherche de solutions
La crise qui subsiste en matière d’assurance
de responsabilité médicale ne concerne qu’un
nombre relativement faible de praticiens soumis à un haut risque.
C’est bien entendu le cas principalement des
obstétriciens libéraux.
Des condamnations d’un montant totalement
insupportable pour ces praticiens peuvent en
effet demeurer à leur charge.
La loi de financement de la Sécurité sociale
pour 2010 a tenté de régler les problèmes
posés par ce qu’il est convenu d’appeler « les
trous de garantie » par son article 44.
Ce texte apparaît toutefois totalement insuffisant, que ce soit au niveau de l’expiration
des garanties (réclamation intervenant après
la garantie subséquente et notamment celle
de dix ans liée au décès ou la cessation d’activité du praticien) qu’au niveau de l’épuisement des garanties (indemnisation supérieure
aux montants de garantie prévus). La loi de
financement de la Sécurité sociale de 2011 a
à nouveau mis en lumière les insuffisances
du dispositif de protection des praticiens sans
y apporter de solution. Une mission a été
confiée à G. Johanet pour dégager des pistes
de solution.
Sinistres en hausse
Des sinistres pouvant dépasser 7 millions
d’euros, même s’ils sont exceptionnels, sont
constatés. Dans la mesure où la consolidation des
enfants atteints d’un grave handicap n’intervient
qu’à l’âge de 18 ans, les montants
d’indemnisation sont difficilement prévisibles.
La crise
ne concerne
qu’un nombre
relativement
faible de
praticiens
soumis à un
haut risque
Seule une meilleure mutualisation du risque
ou un écrêtement des sinistres les plus lourds
permettrait de trouver une réponse à ce délicat problème. ■
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GRAND ANGLE
L’ASSURANCE
PAR JACQUES DE PERETTI (80)
directeur général d’Axa
Un rôle sociétal : alerter,
favoriser, accompagner
L’assureur dommages a pour mission
d’indemniser des individus ou des groupes
d’individus qui subissent un dommage
et qui s’associent pour mutualiser leur risque.
Par son expérience acquise avec sa mission
d’indemnisation, l’assureur peut alerter.
Par son savoir-faire dans le domaine
de la prévention, l’assureur peut favoriser
les comportements responsables.
Par sa capacité à prendre des risques,
l’assureur peut accompagner l’innovation.
Un des arts que doit maîtriser l’assureur
va être de combiner en permanence dans
son action l’ensemble de ces trois leviers.
La société a, chaque jour, plus besoin de lui.
Événements
climatiques,
effets
migratoires
et démographiques
justifient
l’évolution
observée
■ Le métier de l’assureur consiste notamment à analyser les sinistres survenus dans
le passé, pour en tirer des tendances et des
évolutions pour l’avenir. C’est un travail de
cette nature qui a été réalisé en 2008 à l’échelon professionnel au sujet des événements climatiques dans le but d’estimer leur impact
sur l’assurance dommages.
ALERTER
La Fédération française des sociétés d’assurances a tout d’abord analysé la sinistralité survenue entre 1997 et 2007 en matière d’inondation,
de sécheresse et de tempête. Ensuite, elle s’est
intéressée à l‘évolution de la population française, sa démographie, ses flux migratoires, sa
composition et sa richesse en la projetant sur
les vingt prochaines années. Elle a alors complété
ses recherches par des hypothèses en matière
d’évolution des fréquences de survenance des
événements climatiques aussi bien de faible
ampleur que d’intensité exceptionnelle.
Les résultats sont édifiants. La charge des sinistres observée sur les vingt dernières années est
de 30 milliards d’euros, la charge des sinistres
estimée sur les vingt prochaines années est, elle,
de 60 milliards d’euros. Ces chiffres sont d’autant plus surprenants, qu’ils intègrent, sur la
période passée, Lothar et Martin, événements climatiques qualifiés de centenaires. Deux facteurs
essentiels viennent justifier cette évolution. Pour
moitié, la hausse des fréquences des événements
climatiques, pour une autre moitié les effets migratoires et démographiques de notre pays.
REPÈRES
Des professions ou des corps de métier se sont unis autour d’un même besoin. Les premiers ont été
les armateurs anglais qui voulaient protéger leurs navires et leurs biens ; les villes qui, pour se
développer, offraient aux commerçants participant à leurs foires locales des garanties à la fois financières
et de protection physique. C’est ainsi qu’une ville comme Troyes connut un gigantesque essor à la
Renaissance.
Ces assurances ont permis à des entrepreneurs de prendre des risques et de développer leurs
entreprises, à des régions de créer de l’activité et plus généralement à l’économie de se développer.
L’assurance a évolué et innové en fonction des grands événements qui ont pu toucher l’homme. La
naissance des premières sociétés d’assurances contre l’incendie est directement la conséquence du grand
incendie de Londres qui détruisit 13 200 bâtiments en 1666. Cet incendie provoqua, à l’époque, la prise
de conscience que les fléaux nécessitent la mise en place de mécanismes de solidarité. La première
société d’assurance incendie, la Friendly Society Office, est ainsi née en 1684 (la première société vie
n’apparaissant que beaucoup plus tard en 1762).
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climatiques que subit un grand nombre de
nos concitoyens. Les assureurs ont aujourd’hui
conscience de cette évolution, liée au climat.
Ils doivent la partager avec l’ensemble des
acteurs.
Un électrochoc
FAVORISER
Cette étude est la première du genre réalisée
dans notre pays. Des météorologues, des économistes ont pu se pencher sur ces résultats,
et ont conclu qu’ils n’étaient pas incohérents,
bien au contraire.
Les pouvoirs publics ont tendance à réagir sous
la pression de l’événement et non sur la base d’anticipations ou d’études a priori. Mais, les événements de 2009 et 2010 ont été un électrochoc
pour nos parlementaires. Les travaux des assureurs sont venus alors éclairer le sujet sur le
long terme. Ils ont contribué à alimenter le débat,
poser des données objectives. Et comme les
assureurs sont plutôt considérés comme des
gens sérieux, ils ont pu être écoutés.
Forts de ce travail d’alerte, les assureurs peuvent faire des préconisations. Le rapport de
la FFSA met en avant des propositions, comme
l’accélération de la mise en place des Plans
de prévention des risques inondations, l’exigence de fondations adaptées à la nature des
sols, pour les nouvelles constructions, la réalisation d’une cartographie complète et à jour
des risques inondations.
Comme les assureurs ont permis la création
de l’assurance incendie suite au grand incendie de Londres, les assureurs doivent aujourd’hui
réagir et faire réagir au fléau des événements
Cent mille logements
en zones inondables
Sur des sujets qui touchent une grande partie
de la population, qui génèrent tous les ans
de très nombreuses victimes, il est important
que les assureurs alertent les pouvoirs publics,
les collectivités, et les aident à appréhender une
politique de prévention efficace dans le domaine.
Tout cela en respectant bien la mission de chacun
et en rappelant que l’assureur a un rôle d’indemnisation et non de financement de la prévention.
Une étude récente du Commissariat général au
développement durable révèle que 100 000 logements ont été construits en zones inondables
entre 1999 et 2006, ce n’est pas sans
conséquence.
GRAND ANGLE
Cette étude est basée sur l’idée que rien ne
change par ailleurs, que les habitations ne seront
pas plus résistantes aux vents qu’aujourd’hui ou
que les constructions sur les zones argileuses
ne seront pas plus renforcées qu’aujourd’hui.
La prévention des risques fait progresser la
société, nous venons de l’évoquer. Il faut favoriser les comportements responsables. Les
assureurs, en favorisant les bonnes pratiques
liées à la prévention et la protection des biens
et des individus, entrent dans le champ comportemental de leurs clients.
Ils ont acquis un réel savoir en technique de
prévention. Ils mènent des actions effectives
pour que les mesures de préventions soient
réalisées.
Agir pour la protection des biens
En matière de protection des biens, le fait de
ne pas accepter un risque, parce qu’il n’est pas
protégé, rend obligatoire la mise en œuvre de
mesures de protection. Ainsi, si un individu ne
trouve pas d’assurance contre le vol, il sait qu’en
installant une porte de qualité, un système
d’alarme efficace, voire un coffre-fort, il pourra
s’assurer. En protégeant son bien, et en réduisant la facilité pour un cambrioleur d’accéder
à son logement, il adopte un comportement
responsable, et décourage les éventuels voleurs.
Le principe est identique avec l’assurance
incendie pour les entreprises dont les activités à risque nécessitent une installation de
sprinklers. L’assureur, en réduisant le risque
d’incendie, réduit par là même le nombre de
décès accidentels par le feu. Les assureurs
ont ainsi contribué à la création de matériaux
résistant mieux au feu, à l’eau. Ils ont favorisé
la pose d’une installation électrique protégée.
Tout cela dans le but de réduire la sinistralité
et donc les accidents.
Améliorer la conduite automobile
Les assureurs
mènent
des actions
effectives
pour que
les mesures
de prévention
soient prises
En matière de conduite automobile, le «bonusmalus » a un effet sur le comportement des
conducteurs. L’automobile est aujourd’hui
indispensable pour un grand nombre d’entre
nous. Mais sans assurance, ce véhicule n’est
plus utilisable. Le conducteur doit donc garder
son assurance et en limiter le coût. Il sait qu’en
ayant un accident il risque justement de perdre son assurance ou de devoir payer une coti-
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GRAND ANGLE
L’ASSURANCE
Dix ans de responsabilité
En assurance construction, le fait de devoir
engager sa responsabilité sur dix ans a nécessité
le développement d’une compétence par
l’assureur qui s’est traduite par une évolution
des matériaux ou des modes de construction.
La certification a progressé en faveur d’une
meilleure protection et d’une plus grande
sécurité pour les consommateurs.
sation beaucoup plus élevée. Le bonus-malus a
un effet tout aussi dissuasif sur la prise de risque en automobile que les radars sur la vitesse.
On peut penser que le nombre de blessés et de
morts sur les routes serait bien plus important
si l’assurance n’avait pas cet effet dissuasif. En
même temps, dans la perception des assurés,
avoir un « bonus 50 » est synonyme de qualité
du conducteur. « Je suis un bon conducteur et
mon assurance le confirme. »
Inciter à la responsabilité
environnementale
Par une
incitation
sur le prix,
l’automobiliste
peut modifier
sa conduite
26
En matière d’environnement, les assureurs
peuvent également inciter les particuliers
comme les entreprises à mettre en place des
comportements favorables au développement
durable. Proposer une garantie de responsabilité environnementale aux entreprises qui
managent leurs risques environnementaux,
qui choisissent la voie de la certification, va
dans ce sens. Bon nombre d’assureurs proposent des tarifs préférentiels pour les véhicules électriques ou hybrides. D’autres assureurs utilisent l’évolution de la consommation
de carburant d’une entreprise pour fixer une
réduction possible de la cotisation d’une flotte.
Il ne s’agit pas là d’un simple artifice marketing, mais de la prise en compte d’un comportement responsable. Les assureurs, qui proposent aujourd’hui ces offres, font le pari qu’un
comportement favorable au développement
durable permet de réduire la sinistralité et
donc la prime. Avoir une conduite écoresponsable nécessite de conduire avec fluidité, souplesse, anticipation, autant de facteurs qui doivent permettre de réduire la sinistralité. Par
une incitation sur le prix, l’automobiliste peut
modifier sa conduite, réduire sa consommation
énergétique, émettre moins de gaz à effet de
serre et voir sa sinistralité diminuer.
LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011
Réduire les effets
des catastrophes naturelles
En matière de catastrophes naturelles, la prévention pourrait permettre qu’un événement
ne se transforme pas en catastrophe. La prévention ne pourra pas supprimer l’aléa, mais
pourra en réduire les effets. Si une inondation
a lieu, mais qu’aucune victime n’est à déplorer et que les dégâts matériels sont réduits,
la prévention a atteint son objectif. Cette prévention passe par la responsabilisation. Si le
régime français des catastrophes naturelles
dispose de nombreux atouts, à commencer
par celui de la solidarité, il présente l’inconvénient d’être déresponsabilisant. Au lendemain de la tempête Xynthia, il était intéressant d’observer la réaction des médias qui
semblaient surpris que les assureurs accordent des garanties à des habitations se trouvant dans des zones inondables. Mais comment est-ce possible ? Les assureurs sont-ils
devenus fous? Est-ce bien raisonnable de proposer une assurance dans de tels cas, c’est
pousse-au-crime ? Pourquoi les assureurs ne
jouent-ils pas leur rôle de censeur ?
Des sanctions inefficaces
La prévention nécessite souvent des investissements et, toujours, de faire changer les comportements. Côté investissements, les marges de manœuvre budgétaires de l’État, des
collectivités locales, des communes sont très
limitées. Concrètement, qu’est-ce qui va inciter un maire à arbitrer un budget en faveur de
la prévention ?
Va-t-il préférer construire un gymnase ou des
buses d’évacuation dont personne n’est sûr
qu’elles serviront dans l’année ?
Pas de politique de prévention
Lors des récentes inondations du Var, trois villes
(Roquebrune, Fréjus et Draguignan) ont été une
nouvelle fois touchées alors qu’elles ont connu
respectivement 16, 12 et 7 arrêtés de
catastrophes naturelles. Comme si personne
ne pouvait rien faire, comme si nous étions
inefficaces et dépassés par de tels événements.
Les parlementaires soulignent, dans leurs
rapports de mission de l’été 2010, l’absence
de politique de prévention en France et en font
leur cheval de bataille.
P.24 de Peretti
20/04/11
9:05
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L’effet franchise ayant montré ses limites,
il faut maintenant s’intéresser à l’effet prime.
En matière de catastrophes naturelles, le tarif
est unique, tout le monde paie 12 % de sa
cotisation pour financer cette garantie. Cela
concerne aussi bien l’entreprise que le particulier, l’habitant du 5e étage d’un immeuble
que le propriétaire d’une maison d’un niveau
en bord de mer.
Le régime des catastrophes naturelles a pensé
à promouvoir la prévention en proposant un
système basé sur la sanction. Les franchises
appliquées sont proportionnelles aux sinistres déjà survenus. Ce régime de sanctions
n’intervenant qu’a posteriori n’est en pratique
pas efficace, au contraire, il vient s’ajouter à la
détresse des victimes de ces événements en
les pénalisant une nouvelle fois.
Responsabiliser
Afin de passer à une ère de responsabilisation, les assureurs pourraient disposer, en
habitation, de taux différenciés selon que la
localisation du bien est dans une zone risquée
ou non, et que des moyens de prévention sont
mis en place par la commune ou non. Afin de
préserver la solidarité du régime, les pouvoirs
publics pourraient construire un «zonier» officiel qui s’appliquerait à tous et qui pourrait
évoluer dans le temps. Les acteurs économiques locaux verraient leurs investissements
officiellement reconnus et récompensés par
l’assureur. Les habitants d’une commune
connaîtraient de façon très officielle et transparente ce qui est réalisé par leurs élus pour
les protéger des risques climatiques. D’une
action utile, mais invisible, l’assureur permettrait de passer à une action utile, reconnue et
visible. La solidarité du régime serait renforcée, la responsabilisation serait introduite.
Des mesures simples
Pour les grandes entreprises, l’assureur pourrait aller encore plus loin et personnaliser son
approche. Celles qui ont cette démarche de
prévention verraient alors un impact immédiat sur la prime d’assurance. Il est bon de
rappeler que des mesures simples pourraient
permettre d’éviter les effets constatés aujourd’hui
par la sécheresse. Cela passe par l’obligation
GRAND ANGLE
Prime ou franchise
de réaliser des études de sol dans les zones argileuses et la mise en œuvre de fondations adaptées à la nature du sol.
ACCOMPAGNER L’INNOVATION
Par nature, l’innovation est porteuse de risques. De la même façon, ne pas innover est
également porteur de risques. Sans vouloir
débattre de la notion de progrès, il est un fait
qu’une entreprise qui n’innove pas est vouée
à disparaître. Cela s’adresse à tous les industriels et, bien entendu, assureurs.
Dès lors, il faut nous poser la question de savoir
si l’assurance est un frein au développement
technique ou un accompagnateur. Il s’agit d’un
vrai dilemme pour notre profession et cela à
plusieurs titres.
Accompagner l’innovation peut vouloir dire
travailler sans historique. Dès lors, il faut effectuer un travail de sélection, d’évaluation, de
pesée des risques pour assurer ces nouvelles activités.
Accompagner l’innovation, c’est permettre le
développement de produits qui pourront se
montrer nocifs dans le temps. Ne pas accompagner l’innovation, c’est la freiner, c’est rendre impossible la commercialisation de procédés ou de nouveaux produits. C’est aussi ne pas
s’intéresser à une opportunité de business.
L’assureur est devenu un élément indispensable du bon fonctionnement de la société, tant
au niveau économique que sociétal. Il joue un
rôle éminemment important pour les personnes et les biens. À l’avenir, il devra exercer ce
rôle avec plus encore de responsabilité, tant la
société a, chaque jour, plus besoin de lui. ■
OGM et produits verts
Passer
à une action
utile, reconnue
et visible
L’assurance des OGM est un exemple significatif.
Aujourd’hui, les études réalisées sur l’impact
des OGM sur la santé publique ne sont pas toutes
unanimes. Leurs résultats dépendent souvent
de leur commanditaire. Dans ce cas, les assureurs ont exprimé leur volonté de ne pas offrir
de garantie de responsabilité civile.
À l’inverse, dans le cadre de l’économie verte,
les assureurs ont choisi d’accompagner le
mouvement de développement, en proposant
des garanties en relation avec les énergies
renouvelables, en acceptant un processus allégé
et accéléré de certification des produits verts.
LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011
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P.28 Renaudin
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GRAND ANGLE
L’ASSURANCE
PAR ANDRÉ RENAUDIN (76)
Le rôle irremplaçable
de l’assurance-vie
directeur général
d'AG2R La Mondiale
et Prémalliance
Depuis 1970, l’assurance-vie connaît
une croissance continue et forte. La raison
est que cet instrument s’est bien adapté
aux besoins des Français et à ceux de
l’économie en général. Cette croissance
devrait naturellement se poursuivre pour
répondre aux nouvelles demandes de
protection, en particulier celles liées
à la démographie ou à l’évolution
des comptes sociaux. Encore faut-il
que l’activité puisse évoluer dans un cadre
réglementaire clair et pérenne.
Cette
croissance
confirme
le rôle
irremplaçable
de l’assurancevie
■ Il y a une dizaine d’années, alors que j’étais
délégué général du Groupement des assurances de personnes à la Fédération française
des sociétés d’assurances, j’ai eu l’idée de
faire établir le graphe de l’évolution des cotisations en assurances de personnes depuis
l’après-guerre. Surprise : il s’agit d’une exponentielle, perturbée seulement par des aléas
conjoncturels, hélas de plus en plus fréquents.
Cette croissance confirme le rôle irremplaçable de l’assurance-vie pour nos concitoyens
et pour notre pays. Comment en sommes-nous
arrivés là ?
Cotisations en assurance-vie
(affaires directes, France)
160
140
120
100
80
60
40
20
0
1955
1960
1965
1970
1975
1980
1985
1990
1995
Source : FFSA (2010, estimation).
28
LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011
L’assurance-vie moderne en France est née en
1787. Elle est issue de la création, autorisée par
édit de Louis XVI (on dirait aujourd’hui « agréée
par décision de l’Autorité de contrôle
prudentiel »), de la Compagnie royale d’assurance sur la vie humaine. Aujourd’hui, l’encours
des provisions d’assurance-vie dépasse
1 300 milliards d’euros, dont 210 milliards pour
les supports en unités de compte : ces supports
UC pèsent presque autant que l’ensemble des
actions OPCVM détenues en direct par les
épargnants français et deux fois plus que les
actions cotées détenues par ces mêmes Français.
Une définition très moderne
En France, l’histoire de l’assurance-vie commence avec la création de la Compagnie royale
d’assurance sur la vie humaine, à l’instigation
d’Étienne Clavière, banquier genevois qui
deviendra le premier ministre des Finances
de la République, emporté pendant la Terreur.
Précurseur de génie, il nous laisse une belle
définition de l’assurance-vie, d’une modernité
extraordinaire : « On entend par assurance sur
la vie, un contrat en vertu duquel des assu-
Au service
de l’intérêt général
Md€
1950
REPÈRES
2000
2005
2010
L’approche d’Étienne Clavière était autant sociale
qu’économique. Pour lui l’objet de l’assurancevie est d’intérêt général : « Faire servir l’inégale
durée de la vie humaine, et l’intérêt de l’argent,
à fonder des ressources pour l’âge avancé ou,
après la mort, en faveur des survivants, tel est
en peu de mots le but de toutes les sortes
d’assurances sur la vie. Leur utilité générale
n’est pas douteuse. Dans tout pays où l’on
s’occupe du bonheur des individus, on a mis au
rang des bienfaiteurs de la société les hommes
qui ont inventé ces assurances. »
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Renaissance
La Compagnie royale ne survit pas à la
Révolution, et il faut attendre le Second Empire
pour que l’assurance-vie renaisse de ses cendres. Elle a failli connaître une seconde mort,
emportée par l’inflation pendant la dernière
guerre. Pour résumer le sentiment de nos
compatriotes, un capital garanti qui permettait
l’acquisition d’une voiture en 1940 ne représentait guère plus que la valeur des pneus en
1945. Échaudés, les Français se sont détournés de l’assurance-vie pendant une génération, concrètement donc jusqu’en 1970.
Nous revoilà à notre exponentielle : 1970 est
le zéro des abscisses, le moment du décollage. Outre le facteur «d’oubli générationnel»,
il me semble qu’il y a une autre explication
fondamentale à ce retour vers l’assurancevie : des solutions avaient été trouvées au
dilemme du taux technique et de l’inflation.
En effet, s’il est clair que le taux d’intérêt garanti
a priori par les assureurs-vie doit être plafonné à un niveau assez bas pour être tenable viagèrement, c’est-à-dire potentiellement
pendant des dizaines d’années 2, il est non
moins clair qu’une rémunération de l’épargne
de 3,5 % lorsque les rendements obligataires
bruts dépassent 10 % laisse a posteriori un
sentiment de désenchantement ; et il s’agit là
d’un euphémisme lorsque l’on cumule l’écart
sur dix ans ou plus.
Décollage
L’assurance-vie a vraiment décollé avec
le développement des premiers contrats
à versements libres. C’est à cette époque
que les associations d’épargnants sont créées :
Amphitéa, partenaire d’AG2R La Mondiale (1974),
Afer (1976, partenaire d’Aviva), Agipi (1976,
partenaire d’Axa).
GRAND ANGLE
reurs reçoivent annuellement, pendant un
nombre d’années limité, ou une fois pour toutes, une certaine somme, à condition de payer,
à la mort d’une ou de plusieurs personnes
désignées dans le contrat 1, un capital quelconque, ou une rente annuelle sur la tête d’une
ou de plusieurs personnes pareillement désignées dans le contrat. » Au-delà du fondement
de mon métier, sa vison du rôle de l’assurance
dans la société guide ma vie professionnelle.
Nouveaux supports
Si les contrats en unités de compte, à capital
variable mobilier ou immobilier, ont été autorisés
en 1969 par circulaire de la Direction des
assurances (sans base légale avant 1985),
c’est le développement des marchés boursiers
et immobiliers durant les années quatre-vingt
qui générera une forte croissance de ces
contrats. Il est frappant de constater la stabilité
des stocks de ces contrats même en cas de
tempête boursière : seuls les flux sont concernés.
Participation aux excédents
La solution a consisté tout d’abord dans le
mécanisme de la « participation aux excédents », rendu obligatoire par la loi n° 66-935
du 17 décembre 1966 grâce à l’idée féconde
d’une redistribution de 90% des résultats techniques et 85 % des résultats financiers des
entreprises d’assurance-vie. Ce principe permet aux rendements des contrats d’assurancevie de s’ajuster à l’environnement financier. Il
permet également la mutualisation au sein de
la collectivité des assurés. Encore faut-il jouer
le jeu de l’équitable mutualisation intergénérationnelle.
Bancassurance
Avec les deux chocs pétroliers des années
soixante-dix, l’inflation et les taux d’intérêts
bruts sont au plus haut. Les banquiers sentent que la collecte de l’épargne longue passera par l’assurance-vie : ils créent, souvent
en partenariat avec des assureurs, des filiales dédiées à partir du milieu des années quatre-vingt. Si Sogecap (1963, Société Générale)
ou Cardif (1973, Paribas) sont précurseurs,
Prédica créée en 1986 par le Crédit Agricole
connaît un essor fulgurant. La connaissance des
flux de trésorerie de leurs clients donne à ces
sociétés un net avantage pour collecter,
aujourd’hui, plus de la moitié des cotisations
d’assurance-vie en France. Ces filiales permettent également aux banquiers de commercialiser les assurances emprunteurs qu’ils
peuvent proposer en même temps que les crédits à l’habitat ou à la consommation.
Les Français
se sont
détournés de
l’assurance-vie
pendant une
génération
jusqu’en 1970
Aversion au risque
Avec une culture financière largement influencée par l’existence de produits de court terme
parfois fortement rémunérés, sans fiscalité et
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GRAND ANGLE
L’ASSURANCE
sans risque comme le livret A, les épargnants
français sont toutefois largement réfractaires
au risque. L’assurance-vie, par son offre permettant d’associer à des supports euros aux
supports en unités de compte, réussit à développer une part d’actifs à risques dans le patrimoine des ménages.
Désormais, les cotisations d’assurance-vie
représentent un peu moins de 150 milliards
d’euros. Il s’agit à 84 % d’assurance en cas de
vie que l’on pourrait qualifier à but d’épargne
car non spécifiquement logée dans un dispositif retraite. Toutefois, les enquêtes de la FFSA
montrent que l’objectif principal des assurés
détenant ce type de contrat est de préparer
leur retraite.
Les cotisations en assurance retraite représentent environ 9% de l’ensemble. Ces contrats
sont soit souscrits individuellement (PERP,
contrats Madelin pour les travailleurs non salariés), soit sous forme collective (contrats à
cotisations définies, à prestations définies,
retraite-chapeau, PERE).
Un produit sans égal
L’objectif
principal des
assurés est
de préparer
leur retraite
L’assurance-vie est donc un produit en forte
croissance. Rien que sur les dix dernières
années, les encours ont été multipliés par
deux, soit 7,4 % de progression en moyenne
annuelle. Selon toute vraisemblance, cette
progression devrait continuer. Mieux encore,
en 2010 comme en 2009, l’assurance-vie a
représenté plus de 100 % du flux de placements financiers, l’ensemble des autres placements étant globalement en décollecte, soit
en raison des risques trop importants (actions,
Assurance décès
L’assurance en cas de décès représente 7 % des
cotisations totales. On y trouve ici les contrats
« vie entière », qui permettent le versement
d’un capital ou d’une rente à une personne
désignée lors du décès de l’assuré quelle qu’en
soit la date, ou les contrats « temporaires »
qui ne permettent ces versements que si le décès
se situe sur une période définie à l’avance
(comme pour les assurances emprunteurs ou les
rentes éducation). On notera que l’assurance-vie
est un outil idéal pour organiser sa succession,
permettant ainsi des ajustements par rapport aux
dispositions successorales, en faveur d’un parent
handicapé, des petits-enfants...
30
LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011
obligations, OPCVM), soit de par leur trop faible rentabilité (livrets A, sicav monétaires,
comptes à terme). Ainsi, l’assurance-vie apparaît comme le seul réel vecteur de placement
financier et il n’existe pas d’alternative véritable pour les épargnants.
Financer l’économie
Avec son développement, l’assurance-vie permet de financer durablement l’économie de
notre pays. L’assureur-vie est en effet un investisseur institutionnel de premier plan, capable de recueillir et de mobiliser une épargne
longue et stable.
Aussi l’assurance-vie, comme l’assurance
non-vie, en particulier dans la conjoncture
que nous avons connue avec la crise financière, participe de façon significative au financement de la dette de l’État. Au-delà de l’importance de ce financement, les placements
de l’assurance concernent d’abord les entreprises : les titres d’entreprises, actions et obligations confondues, représentent en valeur
de marché plus de la moitié des actifs des
sociétés d’assurances.
18 % de l’encours en valeur de marché, soit
un peu moins de 300 milliards d’euros, sont
directement ou indirectement investis en
actions. Le développement de l’assurance-vie
et des contrats en unités de compte ces dernières années a largement contribué à cette
orientation.
Quant au financement des entreprises par la
souscription d’obligations, il s’avère essentiel
lorsqu’il devient difficile de lever des capitaux
sur le marché actions, comme ce fut le cas
récemment.
L’assurance-vie, dont les actifs représentent
90% des actifs des sociétés d’assurances, présente donc un intérêt économique et social
irremplaçable. Encore faut-il qu’elle conserve
les moyens de jouer ce rôle moteur.
Menaces et risques
Appréhendée dans sa dimension contractuelle,
l’assurance-vie protège et fortifie le patrimoine. Elle permet aux assurés de jouir de la
plus grande sécurité. La robustesse du secteur lors de la crise majeure que nous venons
de traverser en constitue une illustration remarquablement tangible. Cela étant, le succès de
l’assurance repose sur la confiance et la
confiance se nourrit de stabilité. À cet égard,
une menace majeure réside dans l’insécurité
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De nouvelles opportunités
Pour autant, l’optimisme doit être de rigueur.
En effet, le marché de l’assurance-vie demeure
extrêmement porteur. L’évolution de la démographie et la dégradation des comptes sociaux
rendront de plus en plus nécessaire le recours
à l’assurance privée, collective ou individuelle,
Gestion à long terme
À la lecture de l’histoire récente, l’assureur-vie
ne devra jamais perdre de vue que la dimension
financière de son métier constitue un moyen
et en aucune façon une fin en soi, et que la
recherche d’une rentabilité à court terme
est parfois difficilement compatible avec
la gestion de produits de long terme.
Plus généralement, il devra constamment
s’appuyer sur ses fondamentaux, en veillant,
entre autres, à ne pas réduire l’assurance
à un simple produit d’épargne. Par ailleurs,
la réforme « Solvabilité II » devrait conduire
à une meilleure prise en compte des risques pris
par l’assureur.
GRAND ANGLE
fiscale et juridique qui pèse
régulièrement sur le secteur.
L’assurance-vie, comme l’ensemble de la profession, a besoin
d’évoluer dans un cadre réglementaire clair et pérenne. Ce
préalable étant posé, il faudra
également veiller à toujours
rechercher le juste équilibre entre
le niveau nécessaire de réglementation et la part laissée à la
liberté d’entreprendre, condition
nécessaire à l’innovation. En d’autres termes, pour que l’assurance-vie puisse demeurer le meilleur instrument de protection et de développement du
patrimoine, pour qu’elle puisse toujours mieux
répondre aux attentes des assurés, il conviendra d’opérer les bons arbitrages entre les
besoins de l’économie et les intérêts des assurés. De ce point de vue, la réforme annoncée
de la fiscalité du patrimoine pour 2011 devrait
nous éclairer sur les intentions des Pouvoirs
publics.
Parallèlement aux menaces exogènes qui pèsent
sur lui, l’assureur-vie aura aussi tout intérêt à
se protéger contre lui-même, en évitant de devenir à son tour créateur de ses propres risques.
D.R.
P.28 Renaudin
en complément des régimes obligatoires de
protection sociale. Risques nouveaux, besoin
de couverture accru et attentes nouvelles permettront à l’assurance-vie de pleinement remplir sa fonction d’utilité sociale.
La perte d’autonomie en constitue une parfaite
illustration. Sans chercher à entrer dans le
débat relatif à son mode de financement (publicprivé), il semble évident que l’assurance-vie
aura tout son rôle à jouer, en complément de
la solidarité nationale. En même temps, cela
induit des responsabilités supplémentaires à la
charge de l’assureur vie, en particulier celle
de ne pas décevoir. En ce sens, les assureurs
vie devront faire preuve de toujours plus de
pédagogie et la réforme portant sur le devoir
d’information et de conseil doit être ainsi considérée non pas comme une menace mais comme
une opportunité. Cette pédagogie renforcée
participera d’une meilleure compréhension et
d’une meilleure maîtrise de produits souvent
complexes, permettant du même coup à l’assuré de mieux arbitrer entre ses préoccupations de court, moyen et long terme, voire de
privilégier des choix de long terme. ■
1. S’il n’existe pas de définition «civile» de l’assurancevie, une très bonne est fournie par l’instruction
fiscale n° 5 du 7 janvier 2000 (BOI 7 K-1-00) :
« L'assurance sur la vie est une convention aux
termes de laquelle une personne (l’assureur) s’oblige
envers une autre (le souscripteur) pendant une
durée déterminée (la durée du contrat) moyennant
une prestation unique ou périodique (la prime), à
verser au contractant lui-même ou à un tiers désigné
ou déterminable (le bénéficiaire) un capital ou une
rente, sous certaines éventualités dépendant de la
vie ou de la mort d’une personne désignée (l’assuré).»
2. L’âge moyen de souscription d’un contrat
d’assurance en cas de vie est de 51 ans selon une
enquête de la FFSA et la durée de vie résiduelle à
cet âge est encore de 32 ans.
Le marché
de l’assurancevie demeure
extrêmement
porteur
LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011
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P.32 Wiedmer et Maigné
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GRAND ANGLE
L’ASSURANCE
PAR JEAN-PIERRE WIEDMER (79)
président, HSBC
Assurances
Assurance-vie : innover
face aux contraintes
ET AURIANE MAIGNÉ
chargée des relations
publiques, HSBC
Assurances
La popularité
de l’assurancevie vient de la
diversité des
investissements qu’elle
permet
Placement très prisé des Français,
l’assurance-vie a connu un regain d‘intérêt
avec les contrats multisupports. Mais
les obligations nouvelles qui pèsent sur
les compagnies, tant en matière prudentielle
qu’en matière d’information des clients,
risquent d’obérer les rendements.
Les assureurs sont donc amenés à innover
pour répondre à ces nouveaux défis,
en particulier dans le domaine des
compléments de retraite.
■ Les contrats multisupports, qui sont
aujourd’hui légion et qui proposent aux assurés de répartir leur investissement entre un
fonds euros et de multiples supports en unités
de compte, offrent un bon compromis entre
sécurité, risque et performance. Les assureurs
ont ainsi trouvé le parfait relais de croissance et
de rentabilité pour gérer les contraintes actifpassif et la lente érosion des taux d’intérêt. Les
bancassureurs sont d’ailleurs les plus fervents
soutiens des unités de compte qui leur ont permis de créer un produit financier performant
en faisant le meilleur usage possible des synergies entre leurs filiales d’asset management,
d’assurance, et leur réseau de distribution.
REPÈRES
1 300 milliards d’euros. C’est le total des sommes
que les Français ont décidé, à ce jour, de confier
à leur placement préféré. Premier vecteur de
l’épargne longue, l’assurance-vie a donné la
preuve de sa résistance dans un contexte de crise
financière où elle a fait figure de valeur refuge
pour des épargnants guidés par leur besoin de
sécurité. 42 % des ménages possèdent au moins
une assurance-vie, produit qui offre un cadre
fiscalement attractif, un rendement intéressant
et la possibilité de sécuriser, au moins en partie,
leur épargne.
Levier fiscal
Du côté de la fiscalité, l’année 2010 a été particulièrement agitée en matière de réflexion
fiscale mais cela n’a donné lieu qu’à des réformes limitant légèrement le statut privilégié
de l’assurance-vie (les prélèvements sociaux
par exemple). Pour autant il ne faut pas croire
que la fiscalité ne contribuerait qu’à réduire
les avantages dont jouit l’assurance-vie. Une
réflexion est d’ailleurs en train d’être menée
sur la façon dont, par le biais de la fiscalité,
on peut encourager la détention de contrats
en actions. Ces mesures d’incitation viendraient
Diversifier les placements
Un autre atout, et pas des moindres, qui explique la popularité de l’assurance-vie, est la
diversité des investissements qu’elle permet.
Actions, obligations, immobilier ou liquidités,
l’allocation des actifs est à la fois simple et
souple pour qui s’y connaît un peu. Et si on n’y
connaît rien ? Les modes de gestion définis
par les assureurs permettent désormais aux
conseillers d’orienter leurs clients vers les
supports ou les options de gestion les mieux
adaptés, en fonction de leurs connaissances
financières, de leur horizon de placement et
de leur niveau d’aversion au risque.
32
LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011
Nuances
Si la situation actuelle de l’assurance-vie
en France peut paraître idyllique de prime abord,
il faut toutefois y mettre quelques nuances.
L’environnement très favorable dans lequel
s’est jusqu’à présent épanouie l’assurance-vie
est maintenant sous pression, puisque les
régulateurs européens et les autorités
économiques françaises ont récemment initié
des réformes réglementaires et fiscales
qui vont transformer le paysage de l’assurancevie en France.
P.32 Wiedmer et Maigné
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À la fin des années quatre-vingt-dix, l’inclusion
d’une part en actions dans les contrats
d’assurance-vie a rencontré un très vif succès
et considérablement contribué à booster
l’épargne longue. Ce succès a cependant été
rapidement freiné par le krach boursier de 20012002, et plus encore par l’explosion de la bulle
financière en 2008. Depuis, les épargnants
se laissent en grande majorité séduire par
les sirènes du fonds euros et de son capital
garanti. Et c’est compréhensible (les supports
euros drainent 87 % de la collecte).
pallier la forte désaffection observée sur les
actions, liée à l’instabilité des marchés financiers. Ce phénomène, qui semble s’estomper
en 2010 (+10 % de collecte depuis janvier), doit
cependant être surveillé attentivement puisque
les remous des marchés sont loin d’être la
seule explication au recul des unités de compte.
Contraintes prudentielles
L’horizon des marchés financiers est également assombri par la perspective de la réglementation Solvabilité II, qui s’imposera aux
assureurs dès 2012. Avec une volonté annoncée de mieux parer aux risques financiers, les
régulateurs européens formalisent actuellement cette réforme qui vise à mettre en adéquation le niveau des fonds propres des compagnies d’assurances avec le niveau d’exposition
au risque de leurs activités. La première conséquence en est que la politique d’allocation d’actifs se verra profondément modifiée à la lumière
des nouvelles dispositions. C’est donc en fonc-
Solvabilité II
Le véritable changement introduit par Solvabilité II réside dans le fait que les stratégies
d’allocation d’actifs seront dirigées non plus
uniquement dans une logique d’optimisation
de la performance mais également dans une
logique d’optimisation des fonds propres.
Si à ce stade les dispositions définitives ne sont
pas encore connues, il faut être conscient du fait
que des exigences en fonds propres trop
importantes, ou trop volatiles, pourraient inciter
les assureurs à désinvestir des actions, chères
en fonds propres car risquées.
GRAND ANGLE
Succès mitigé
tion des nouvelles contraintes en fonds propres que celle-ci sera optimisée. Il appartiendra à chaque assureur d’appliquer les normes
apportées par Solvabilité II en fonction de la
capacité de couverture dont il dispose déjà et
de la capacité d’absorption de son passif.
La question qui se pose alors aux assureurs
est de savoir de quelle manière ils vont pouvoir atteindre un niveau de performance acceptable, avec une prise de risque acceptable elle
aussi.
La solution pourrait être d’attirer les assurés
vers des produits de long terme, avec des
garanties non pas à tout moment mais à des
moments donnés de la vie du contrat, fixés au
préalable.
En tarifant un produit sur le long terme, l’assureur sera ainsi à même de mieux absorber
les variations du portefeuille.
Érosion des rendements
La nouvelle donne réglementaire pose aussi la
question de la performance pour les assurés.
Si ces derniers peuvent se réjouir des normes
de sécurité accrues, il n’en reste pas moins
que d’importantes répercussions dans les rendements servis en fin d’année sont à prévoir.
Stratégies d’investissement prudentes et forte
baisse des taux des obligations d’État contribuent à une lente érosion des rendements.
Nouveaux acteurs
La situation est d’autant plus difficile à vivre
que les acteurs de l’assurance-vie se multiplient à cause du mouvement de concentration qui s’opère dans le secteur bancaire. Les
distributeurs par Internet, les Conseillers en
gestion de patrimoine indépendants (CGPI) et
les courtiers en tous genres alimentent le jeu
de la concurrence entre les acteurs traditionnels du secteur, mais les poussent aussi à renforcer leur réactivité et leur force d’innovation. La concentration du secteur, qui continuera
sans doute, peut toutefois être optimisée par
la mise en commun des expertises et le développement des synergies au bénéfice du client.
Les épargnants
se laissent en
grande majorité
séduire par
les sirènes
du fonds euros
et de son
capital garanti
Devoir de conseil
La multiplication des acteurs sur la scène de
l’assurance montre bien toute l’importance
que prend le devoir de conseil pour les assureurs, qui doivent donner la preuve qu’un conseil
financier, personnalisé et incarné par un expert,
est une valeur ajoutée réelle. Les dispositions
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GRAND ANGLE
L’ASSURANCE
Concurrence accrue
La multiplication des canaux de distribution
et la concurrence que certains se livrent sont
d’autant plus accentuées par l’ampleur qu’ont
prise, depuis les débuts des années 2000,
les médias spécialisés. Magazines et sites de
comparatifs en ligne sont ainsi devenus pour
certains épargnants le principal relais de leur
information financière.
de la directive MIFID, appliquées depuis novembre 2007, favorisent notamment la protection
des investisseurs et renforcent les exigences
en matière de devoir de conseil. Ainsi, le profil investisseur, qui doit obligatoirement être
défini, permet de situer les connaissances
financières, l’horizon de placement, le niveau
d’aversion au risque, et favorise donc une meilleure connaissance financière des clients.
Une information technique
Il faudra éviter
de produire une
communication
qui manquerait
de lisibilité
Solvabilité II ira aussi dans ce sens puisque
les assureurs devront communiquer une stratégie ou un plan d’action à long terme concernant la consommation des fonds propres. Toute
la question réside donc dans la façon dont un
assureur pourra traduire de façon intelligible
pour ses assurés une information à très haute
technicité, pour leur permettre d’opérer leurs
choix en toute conscience. Puisque cette communication sera de nature à générer des attentes, ou à influer sur les comportements d’investissement des assurés, il faudra à tout prix
éviter de produire une communication qui,
parce qu’elle manquerait de lisibilité, puisse être
discriminante.
L’évolution de la réglementation en termes
d’information et de devoir de conseil va par-
MIFID
Cette directive vise à renforcer le cadre législatif
communautaire des services d’investissement
et des marchés réglementés, de manière à servir
davantage deux grands objectifs : d’une part,
protéger les investisseurs et préserver l’intégrité
du marché, en fixant des exigences harmonisées
pour l’activité des intermédiaires agréés ;
et, d’autre part, promouvoir l’équité, la transparence, l’efficacité et l’intégration des marchés
financiers.
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LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011
ticiper à une meilleure maîtrise des produits
par les assurés et réduire les risques
attachés.
Dans un environnement plus concurrentiel et
plus réglementé, et sous la pression des tendances démographiques et économiques, la
question qui se pose est la façon dont, pour
continuer d’attirer les épargnants et maintenir l’assurance-vie dans son statut de placement préféré des Français, les assureurs vont
pouvoir innover dans leur offre de produits.
Compléments de retraite
Il est un aspect de l’assurance-vie qui, à la
lumière des évolutions récentes qui ont marqué notre système de retraite, revêt une importance toute particulière. Face aux limites prévisibles du système par répartition et à
l’allongement de l’espérance de vie des individus, commence à émerger l’idée que le financement des vieux jours relève de la responsabilité individuelle. Les Français ont pris
conscience qu’ils sont désormais responsables de leur confort financier à la retraite, et
ils considèrent davantage les pensions publiques comme un soutien que comme la source
principale de leurs revenus.
Flexibilité versus garantie
L’approche volontaire est donc assumée mais
encore faut-il pouvoir proposer à ces assurés
les solutions de placement qui offriront le juste
équilibre entre garantie des revenus et flexibilité.
Cette dernière notion étant, dans l’imaginaire
collectif, en parfaite antinomie avec le système des sorties en rente (un système qui vaut
à un produit comme le PERP la réticence des
Français, ces derniers étant attachés aux
notions de capital et d’héritage), l’assurancevie apparaît comme le placement idéal pour
préparer sa retraite. Afin d’encourager cette
épargne, il faut travailler à améliorer le fonctionnement du produit et mettre en place des
mécanismes qui incitent l’assuré à conserver
son placement le plus longtemps possible. Il
faudrait bien sûr pour allonger ce délai de
détention aligner l’orientation fiscale attachée.
Innovations
Au rang des innovations, certains produits
récents commencent à faire parler d’eux et à
séduire le marché français. Ce sont sur ces
solutions nouvelles, complémentaires à l’as-
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Une majorité de Français souscrit un contrat
d’assurance-vie en vue de la retraite. La FFSA
a ainsi confirmé dans une étude publiée
en juin 2010 que 66 % des détenteurs d’une
assurance-vie voient dans leur placement
le support privilégié d’une épargne en vue
de la retraite, voire de la dépendance.
surance-vie, que doit se concentrer l’innovation. Parmi les nouveautés, les variable annuities, qui nous viennent des États-Unis. Quelques
assureurs les ont développées cette année.
Bien qu’il s’agisse d’un produit assimilé à de
la rente, et donc difficile à introduire sur un marché traditionnellement hostile à ce principe,
celui-ci présente l’avantage de ne pas aliéner le capital et de garantir, pour toute la vie
et à partir d’un moment donné, des revenus
dont le montant est connu à l’avance. Ce produit est conseillé en complément de l’assurancevie dont la logique de transmission du patrimoine vient compléter utilement ce produit
retraite nouvelle génération.
Performance et besoin de sécurité
Les variable annuities sont une alternative crédible, mais pas une solution miracle pour
autant, car il ne faut pas manquer de considérer le coût pour l’épargnant des garanties
offertes par ce produit, et l’effort pédagogique qu’il requiert.
Certains contrats d’assurance-vie développent aussi des options financières qui fonctionnent avec un mécanisme de limitation à
la baisse des moins-values (mécanisme de
stop loss).
La multigestion diversifiée est une autre piste
à surveiller attentivement. En sélectionnant
GRAND ANGLE
Épargne-retraite
les meilleurs experts d’un marché, d’un pays
ou d’un secteur, elle apporte une diversification optimale et une meilleure maîtrise des
risques au sein du portefeuille. Il n’y a pas de
secret, «performance» continue de rimer avec
« actions ». Il appartient dès lors aux assurés
d’arbitrer entre leurs aspirations de performance et leur besoin de sécurité.
Engagements à long terme
Quel que soit le chemin que prenne l’innovation, une caractéristique doit cependant être commune à tous ces produits : un engagement de
détention doit être mis en place pour favoriser la gestion financière des assureurs sur le
long terme.
Il faut noter que, sur la dernière année, nous
avons constaté une utilisation détournée de
l’assurance-vie comme un placement à court
terme. Cela ne peut bien entendu qu’être dommageable à la gestion financière sur le long
terme des assureurs.
Réintroduire l’horizon de long terme est donc
une première chose mais les nouveaux produits se devront d’avoir également une vision
plus assurantielle (et moins financière, liée
simplement à l’optimisation d’un avantage fiscal) et s’inscrire dans la durée en offrant des
horizons plus longs concernant réellement les
problématiques de l’assurance : protection en
cas de décès, façon de gérer les risques.
Long terme
Favoriser les placements à long terme passe
notamment par des produits qui offrent
des garanties non pas à tout moment, mais
à des dates spécifiques, définies par l’assuré.
Un produit de substitution ou plutôt une
déclinaison à notre actuelle assurance-vie,
à horizon de détention défini et à long terme,
pourrait venir compléter utilement
la gamme actuelle proposée pour l’épargne
des Français.
Il n’y a pas
de secret,
performance
continue de
rimer avec
actions
Contrats à annuités variables
Ce sont des placements en unités de compte,
assortis de garanties optionnelles permettant
de sécuriser les capitaux placés par les assurés.
Ils permettent à ceux-ci de recevoir une rente
viagère garantie dont le minimum est connu
à l’avance. Cette rente n’est versée qu’à partir
d’un certain âge.
Solvabilité, fiscalité, baisse des rendements :
des contraintes qui, à en croire les analystes
et les prospectives, ne menacent pas pour
autant la popularité du roi des placements.
L’assurance-vie a encore de beaux jours devant
elle et les assureurs ne manquent pas de ressources pour lui donner un nouvel élan. ■
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GRAND ANGLE
L’ASSURANCE
PAR NICOLAS MOREAU (85)
directeur général d’Axa
France
Distribution :
une exception française durable?
Après le premier « big bang » des années
soixante, avec l’arrivée des mutuelles sans
intermédiaires sur les assurances dommages
du particulier, puis celui des années quatrevingt, correspondant à l’entrée des
banquiers sur l’assurance-vie, les parts
de marché des différents « modes de
distribution » apparaissent stables depuis
quinze ans. Cette stabilité intègre des
tendances structurelles de déformations, liées
à l’évolution des modes de consommation
et à la convergence des activités des secteurs
financiers, déformations qui se construisent
sur les évolutions significatives des
technologies de l’information.
La
bancassurance
« à la
française »
présente
de réelles
spécificités
■ Dans plusieurs pays d’Europe, à l’exemple de l’Allemagne, de l’Italie ou de l’Espagne,
la distribution de l’assurance relève principalement de réseaux « liés » tels que ses propres salariés et les agents généraux. Dans
d’autres pays au contraire, comme le RoyaumeUni, la Belgique ou les Pays-Bas, les compagnies d’assurances ont historiquement davantage recours à des réseaux «non liés», et donc
principalement au courtage.
La France se distingue de ses principaux voisins par la variété de ses modes de distribution d’assurances, avec la cohabitation de
modes avec intermédiaires ou sans et, souvent, la coexistence de plusieurs modes pour
une même compagnie ou une même marque :
agents généraux, généralistes ou spécialisés ;
courtiers, allant du « petit courtage » local aux
courtiers internationaux ; salariés, dans les
réseaux bancaires ou dans les réseaux d’assurances (debout-itinérants ou assis-en agence);
vente directe, par téléphone, courrier et désormais par Internet.
Les parts de marché relatives de ces différents modes de distribution et leur évolution
dans les quarante dernières années sont différentes selon que l’on parle d’assurances
dommages ou d’assurances-vie. Elles le sont
également que l’on s’intéresse aux clients
« particuliers » ou aux clients « entreprises »
séparément.
Le premier choc, en termes de distribution sur
le marché français, a été la conquête par les
« mutuelles sans intermédiaires », à compter
des années soixante et soixante-dix, de fortes
parts de marché en assurances dommages,
notamment dans les risques du particulier
(environ 40% de part de marché), au détriment
REPÈRES
Le secteur de l‘assurance emploie 215 000 personnes en France, comprenant 145 000 emplois au sein des
compagnies d’assurances (dont environ 20 000 commerciaux itinérants) et 50 000 chez les intermédiaires
exerçant cette activité à titre principal (courtiers et agents généraux).
41 500 intermédiaires d’assurances étaient enregistrées à fin 2009, dont 12 500 agents généraux et
12 000 courtiers.
340 sociétés françaises étaient agréées au 31 décembre 2009, auxquelles s’ajoutent 110 succursales de
sociétés étrangères implantées en France. Environ 1 000 sociétés de l’Espace économique européen sont
autorisées à exercer en France en LPS (Libre prestation de service).
En 2009, le chiffre d’affaires (primes émises) s’est élevé à 200 milliards d’euros, dont 129 en épargneretraite (+ 14% versus 2008), 45 en dommages (+ 1%) et 26 en prévoyance (+ 4%). Les encours gérés en
assurance-vie et capitalisation s’élèvent à 1 250 milliards fin 2009, ont progressé de + 10 % durant 2009
et représentent plus de 40 % des placements financiers des ménages.
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La bancassurance n’est pas, à proprement parler,
un modèle mondial. L’aspect mondial réside
dans le rapprochement entre ces deux métiers
du fait de l’interpénétration croissante des
métiers financiers. Mais la bancassurance
telle que nous la connaissons en France présente
certaines spécificités nationales. Partant
de la présence en épargne (sous forme
de contrats d’assurance-vie), les banquiers
ont progressivement étendu leur présence
à l’assurance décès, puis à l’assurance
dommages (automobile, habitation, etc.) ;
en premier lieu auprès de la clientèle de
particuliers puis auprès des TNS (commerçants,
artisans, professions libérales, etc.) puis des
TPE. Cette extension a été souvent construite
initialement dans une démarche commerciale
« liant » ce contrat d’assurance à l’activité
bancaire et notamment à l’octroi d’un crédit
(immobilier, consommation et prêt personnel).
principalement des agents généraux. Cette
conquête s’est cependant arrêtée depuis plus
de dix ans. Les intermédiaires restent très largement prédominants dans l’assurance des
risques d’entreprises, et notamment les courtiers pour le haut de ce segment.
GRAND ANGLE
Bancassurance
et démarche commerciale
tions rencontrées au sein de ces réseaux dans
un contexte de fortes concurrences : concentration dans le monde du courtage, restructuration de réseaux d’agents généraux, émergence de nouveaux modes concurrents (direct,
grande distribution, constructeurs automobiles, etc.) et impact des nouvelles technologies.
Le contre-exemple britannique
Au Royaume-Uni, il n’y a quasiment plus d’agents
généraux (4 % du dommage) et de forces de
vente propres.
En assurance-vie, les IFA (Independent Financial
Advisors, soit en version française les Conseillers
en gestion de patrimoine indépendants «CGPI»)
détiennent, depuis de longues années, plus de
70 % de part de marché, tant en « individuelles » (clients particuliers) qu’en « collectives »
(clients entreprises). Et les banques représentent la quasi-totalité du solde.
En dommages, sur les risques d’entreprises,
le courtage est prédominant, comme en France,
avec 80 % de part de marché. En revanche sur
les risques dommages du particulier, les banques, absentes il y a dix ans, ont fortement crû
pour représenter désormais plus de 30 % de
part de marché.
D’un point de vue « réglementaire » en France,
deux événements majeurs sont à citer. Le premier est représenté par les accords de 1996 entre
la FFSA (Fédération française des sociétés d’as-
L’arrivée des banquiers
La seconde rupture aura été l’arrivée des guichets des établissements bancaires et financiers, comme premier acteur de la vente en
«assurance-vie» dès le début des années quatre-vingt-dix, au détriment des agents généraux et des réseaux salariés.
Cette « bancassurance » française est née, au
début des années quatre-vingt, de la prise de
conscience par les banques du risque de voir
l’épargne qu’elles collectaient s’enfuir vers
des contrats d’assurance-vie, compte tenu de
ses avantages fiscaux, et donc vers d’autres
acteurs et d’autres réseaux. En fait on peut
aussi considérer que les banquiers ont fait
croître le marché de l’assurance épargne vie,
tout en laissant aux acteurs historiques leur
volume initial d’activités (en euros et non en
part de marché).
Les parts de marché des différents modes de
distribution apparaissent stables depuis plusieurs années. Et ce malgré les fortes évolu-
Les agents généraux
d’assurances
Leurs statuts initiaux ont été adoptés en 1949
en dommages et en 1950 en vie, par le Conseil
national des assurances, et homologués alors
par décrets.
Le nombre d’agents généraux a fortement reculé
durant ces dernières années, pour tomber à
environ 12 500 à ce jour, soit environ un agent
général pour 5 000 habitants. Installés en zones
rurales, semi-urbaines et urbaines, ils emploient
34 000 collaborateurs et offrent avec 15 300
points de vente un service de proximité au plus
près des assurés. Ils ont « intermédié »
27 milliards d’euros de primes en 2009, pour un
chiffre d’affaires moyen (commissions perçues)
d’environ 250 000 euros par agent.
À titre de comparaison, l’Hexagone comptait
42 000 stations-service en 1980. Fin 2010 l’on
n’en dénombre plus que 12 500 (soit le même
nombre que les agents généraux d’assurances).
En France,
des accords
fixent les droits
et obligations
réciproques
des agents et
des compagnies
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GRAND ANGLE
L’ASSURANCE
La loi sur l’intermédiation
Cette loi fixe les conditions d’accès et d’exercice
de cette activité (honorabilité, capacité
professionnelle, responsabilité civile
professionnelle et capacité financière) ; prévoit
l’immatriculation obligatoire des intermédiaires
auprès de l’Organisme pour le registre des
intermédiaires en assurance (ORIAS) et inclut
également de nouvelles exigences en matière
d’information du consommateur et de
formalisation du conseil fourni.
surances) et la FNSAGA (Fédération nationale
des syndicats d’agents généraux d’assurances,
devenue depuis AGEA) mettant fin aux statuts
précédents des agents généraux (datant de 1949
et 1950) dans un souci de modernisation économique et d’équilibre des droits et obligations
réciproques des agents et des compagnies.
Le second est la loi du 15 décembre 2005 entrée
en vigueur le 30 avril 2007 et venant transposer la directive européenne sur l’intermédiation en assurance (dite « DIA » du 9 décembre
2002; directive 2002/92/CE du Parlement européen et du Conseil).
Les agents généraux résistent
L’assurance
ne constitue
pas encore un
sujet autonome
de consultation
sur Internet
De nombreux oracles ou intervenants évoquaient déjà, dans les années quatre-vingt, la
mort lente mais certaine des agents généraux.
Certes leur nombre a fortement baissé durant
ORIAS
L’Organisme pour le registre des intermédiaires
en assurance est une association loi 1901 à but
non lucratif, dont les statuts sont homologués
par arrêté ministériel. Il est administré par
des représentants des organisations professionnelles suivantes : Chambre syndicale des
courtiers d’assurances (CSCA), Fédération
française des sociétés d’assurances (FFSA),
Fédération nationale des syndicats d’agents
généraux d’assurances (AGEA), Groupement
des entreprises mutuelles d’assurances (GEMA).
La Fédération bancaire française (FBF) et la
Fédération nationale de la mutualité française
(FNMF) sont représentées dans la Commission
des immatriculations de l’ORIAS.
41 500 intermédiaires étaient immatriculés
à l’ORIAS au 31 décembre 2009.
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LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011
ces dernières années ; mais force est de
constater qu’ils ont su, avec les compagnies,
faire évoluer, depuis 1996, leur métier et qu’ils
restent encore aujourd’hui des acteurs importants en assurance dommages… même si
c’est sans avoir jamais réellement « percé »
en assurance de personnes.
L’essor des ventes en direct
Cependant, au sein de « l’assurance dommages », sur le seul secteur des particuliers, ce
sont désormais les ventes par les guichets
bancaires et les ventes en direct (Internet)
qui apparaissent en croissance de part de
marché depuis quelques années, au détriment, semble-t-il, de ces mêmes agents généraux : les « bancassureurs », avec en tête le
Crédit Agricole et le Crédit Mutuel, représentaient 12 % de ces activités en 2008 (et probablement plus de 15 % en 2010), doublant leur
part de marché en huit ans, alors que les
agents généraux perdaient 8 points à 26 %.
Les MSI restent stables, à ce stade, avec 40 %
de part de marché.
L’impact des nouvelles technologies
À cette présence croissante des banquiers,
ainsi que celle d’autres acteurs comme les
constructeurs automobiles, vient s’ajouter
l’impact des nouvelles technologies (et donc
d’Internet), qui est, comprenons-le bien, protéiforme : la vente en direct (Amaguiz, Direct
Assurance, IDMacif, etc.), qui représente des
volumes modestes à ce jour mais est en forte
croissance ; les comparateurs (Assurland,
LeLynx, etc.), pour lesquels la France semble
très en retard par rapport au Royaume-Uni
par exemple, et qui poussent, en général, le
développement des assureurs directs ; le
« multiaccès », c’est-à-dire l’appui à la relation client pour toutes les formes de réseaux
« traditionnels », et aussi parfois la vente…
en gérant les « conflits » potentiels dans le
cas de compagnies avec intermédiaires.
Il semble effectivement raisonnable de penser que cela puisse faire déformer ce marché déjà très concurrentiel, et par là même,
les parts relatives des modes de distribution.
Enfin, pour avoir un tableau exhaustif des
forces en présence et donc des déformations
possibles durant les prochaines années, il
convient de compter avec l’arrivée récente
de La Banque Postale sur le marché de l’assurance dommages.
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Amaguiz, filiale de Groupama, après dix-huit
mois d’activité, a acquis 100 000 contrats en
portefeuille, principalement en assurance
habitation, au travers de son site Internet
www.amaguiz.com
Admiral Group, présent en France via son
comparateur LeLynx.fr (et au Royaume-Uni
avec www.confused.com) a lancé début 2011
une offre d’assurance automobile en ligne.
TF1 se lance aussi avec le comparateur
www.automotocompare.fr, pendant que
Le Figaro lance son courtier en ligne
www.cplus-sur.com
Assurland (filiale de Covea, groupe MMA, Maaf,
GMF, etc.) reste le premier comparateur
d’assurances et revendique 80 % du marché
en ligne, devant Kelassur et Hyperassur.
De même, en assurance-vie, constituée en
très grande majorité (en chiffre d’affaires mais
pas nécessairement en rentabilité pour les
compagnies) par l’épargne-retraite, ce sont
les courtiers spécialisés CGPI qui grignotent
des parts de marché dans un marché qui a
été fortement perturbé durant ces dernières
années par la crise financière et économique
d’une part mais aussi par des éléments plus
endogènes comme l’externalisation des IRS
Une distorsion de concurrence
La loi du 22 octobre 2010 sur la régulation
bancaire et financière, en attente de ses décrets,
et de son article définissant le mandat de
l’Intermédiaire en opérations bancaires (« IOB »)
pourrait régler l’actuelle distorsion de
concurrence.
En effet, à ce jour, dans deux agences,
l’une bancaire, l’autre d’assurance, arborant
sur leur vitrine « banque et assurance »
pour la première et « assurance et banque »
pour la seconde, le client ne pourra pas effectuer
les mêmes transactions : dans l’agence
d’assurance, ce client ne pourra effectuer
aucune opération bancaire, puisque celles-ci sont
à ce jour le « monopole » de personnels employés
de banque… alors que, dans celle de banque,
l’employé de banque pourra, lui, effectuer
toute opération de vente et d’après-vente
en assurance.
GRAND ANGLE
Quelques actualités du Net
(Institution de retraite supplémentaire). Il semble cependant peu probable que ces CGPI
prennent en France, à court, moyen ou long termes, des parts de marché équivalentes à celles qu’ils ont acquises dans certains marchés
anglo-saxons. La présence dominante des
« bancassureurs » sur ce secteur en étant la
première raison.
L’arrivée de nouveaux acteurs
La distribution de l’assurance en France nous
semble être face à de profondes évolutions
stratégiques, reflétant la maturité progressive du secteur sur ces sujets, l’arrivée de
nouveaux acteurs potentiels , le pouvoir croissant d’un consommateur de plus en plus
informé, mais aussi les impacts multiples
des évolutions des technologies de l’information. ■
Les catégories d’assurances
Les « assurances dommages », aussi appelées
assurances IARD (Incendies, accidents et risques
divers) ou assurances de biens et de responsabilité, en anglais P & C (Property & Casualty)
ou GI (General Insurance), recouvrent
les contrats multirisques en automobile,
habitation, commerces, immeuble, mais aussi
les contrats monorisques en vol, risques
industriels, responsabilité civile, bris de
machines, transports, risques agricoles, etc.
Les « assurances-vie », plus exactement les
assurances de personnes, appelées aussi
assurances-vie, épargne, retraite, regroupent
les contrats d’épargne et de retraite, ceux
de couverture décès, mais aussi ceux
de « maladie et dommages corporels »
(avec des garanties d’incapacité ou invalidité
et des garanties de remboursement de frais
de soins).
On distingue les contrats dits individuels
(le « client » souscrit un contrat – ou adhère –
à titre individuel) et ceux dits collectifs
(le « client » devient assuré car salarié
d’une entreprise ayant souscrit un contrat
pour le compte de ses employés).
À noter que l’appellation « assurance non-vie »
renvoie en général à l’ensemble des activités
d’assurance hors les contrats décès, épargne
et retraite. L’appellation « prévoyance » regroupe
en général les contrats décès, de soins de santé
et d’incapacité-invalidité-dépendance.
Le pouvoir
croissant d’un
consommateur
de plus en plus
informé
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PAR GUILLAUME ROSENWALD (85)
© MOURAD CHEFAÏ
GRAND ANGLE
L’ASSURANCE
directeur général
adjoint du groupe
MACIF
Créer un cadre d‘indemnisation
pour les accidents corporels
Si les dispositifs français d’indemnisation
des victimes d’accidents corporels sont
parmi les plus complets au monde,
leur hétérogénéité est source de distorsions
importantes. D’importants progrès sont
possibles, pour autant que le cadre législatif
et réglementaire soit harmonisé et
modernisé. Un véritable pilotage
des mécanismes d’indemnisation permettrait
de réaliser des améliorations profitables
à tous, à l’instar de ce qui existe en matière
des accidents de la route.
REPÈRES
C’est en matière d’accidents routiers que le
dispositif d’indemnisation est le plus exemplaire :
les victimes autres que les conducteurs bénéficient, depuis la loi du 5 juillet 1985 dite « loi
Badinter », d’une réparation rapide et complète,
dont l’effectivité est garantie par deux
mécanismes : l’assurance automobile obligatoire
– la réparation pesant sur l’assureur du véhicule
impliqué dans l’accident – et le Fonds de garantie
automobile (à présent le Fonds de garantie des
assurances obligatoires de dommages)
intervenant lorsque l’automobiliste impliqué est
non assuré ou inconnu.
Une situation contrastée
La prise en
charge des
accidents
corporels
est marquée
par une
très grande
hétérogénéité
La France a été l’un des pays précurseurs pour
la prise en charge des frais de soins et d’hospitalisation. Si le dispositif d’assurance sociale
national mis en place en 1945 semble actuellement dans une phase de désengagement, il
reste, pour autant, l’un des plus complets au
monde. En revanche, la prise en charge des
conséquences durables des accidents corporels est marquée par une très grande hétérogénéité. L’accès au droit à réparation, son étendue et les modalités de la réparation dépendent
en effet de la nature de l’accident en cause.
Pour les accidents du travail, les accidents de
la circulation, les attentats ou infractions, les
accidents et aléas médicaux, les victimes sont
indemnisées grâce à des dispositifs assurantiels privés ou publics ou à des fonds. En revanche les victimes d’autres types d’accidents ne
sont indemnisées qu’après identification d’un
éventuel responsable et, le plus souvent, décision d’un tribunal consacrant leurs droits à
indemnisation.
Contrats individuels
Par ailleurs les assureurs proposent depuis
une soixantaine d’années des contrats individuels ou familiaux couvrant les dommages
corporels indépendamment des questions de
40
LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011
responsabilité. Ces couvertures ne permettent cependant pas une indemnisation intégrale de l’ensemble de la population en cas
d’accident corporel.
Un grand nombre d’accidentés, faute de responsable identifié et de couverture contractuelle suffisante, sont pris en charge dans leur
vie quotidienne au titre de l’aide sociale par
les collectivités locales sous la coordination
des maisons départementales pour le handicap mises en place par la loi du 11 février 2005.
Les coûts de prise en charge de ces victimes
sont alors « dilués » entre différents budgets
publics et dégagés au fil des ans.
Accidents de la vie
L’Association française de l’assurance (AFA)
estime à fin 2009 que 39,8 millions de personnes
sont couvertes par des contrats individuels à fin
2009, soit 60 % de la population. La qualité de ces
couvertures s’est très sensiblement accrue
depuis une quinzaine d’années avec la proposition de nouveaux contrats barémisés par les
mutuelles d’assurances et le lancement de la
« Garantie des accidents de la vie ».
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GRAND ANGLE
Des progrès possibles
Le premier axe de progrès passe par l’augmentation du champ d’une bonne indemnisation pécuniaire se basant sur la responsabilité civile. L’idée est d’étendre ce système très
protecteur prévu par la loi Badinter. Elle est bien
entendu séduisante, c’est une orientation forte
du rapport rédigé en 2005 sous la direction de
M. Pierre Catala.
Un dispositif généreux
Le dispositif de la loi Badinter, très protecteur,
n’exclue une victime d’accident de la circulation
de l’indemnisation qu’en cas de « faute
inexcusable » de la victime. Cette notion a été
précisée de manière extrêmement restrictive
par la jurisprudence qui aboutit quasiment
à n’exclure que les victimes ayant volontairement
provoqué l’accident. Ce dispositif très généreux
pour les victimes s’est avéré efficace, fiable
et supportable économiquement par les assurés
et leurs assureurs de responsabilité grâce
aux progrès de la sécurité routière et à la
mutualisation du risque.
Un tel dispositif ne peut cependant s’appliquer
que lorsque la solvabilité des responsables
est garantie par une assurance de responsabilité obligatoire et un fonds de garantie.
Cette assurance obligatoire doit être applicable et contrôlable sur l’ensemble du territoire
et pour l’ensemble des acteurs même nonrésidents : la loi Badinter est ainsi applicable
en France pour l’ensemble des accidents impliquant un véhicule terrestre à moteur car elle
profite du système international de la « carte
verte» et d’une assurance obligatoire au niveau
européen.
Transports terrestres
Ainsi l’extension de la loi Badinter aux tramways et chemins de fer serait logique et favoriserait une égalité de traitement entre les
usagers des voies publiques, l’idée a d’ailleurs été reprise par Monsieur le député
Lefrand dans la proposition de loi actuellement en discussion au Parlement. Si cette
proposition de loi était adoptée, l’indemnisation plus systématique des victimes provoquerait corrélativement un renchérissement
de la charge de responsabilité civile corporelle pour ces transporteurs même si d’ores
Impossibilité pratique
Une extension de la loi Badinter à d’autres types
d’accidents impliquant, par exemple, un bateau à
moteur s’avérerait impossible sans un dispositif
équivalent à la « carte verte », sauf à contrôler
tout bateau à moteur entrant dans les eaux
territoriales françaises.
et déjà la jurisprudence a considérablement
alourdi leur responsabilité à l’égard de leurs
passagers victimes.
Ce surcoût serait naturellement finalement payé
par l’ensemble des usagers.
Aller plus loin ?
Peut-on imaginer de construire d’autres dispositifs de type Badinter pour des accidents
autres que ceux liés aux transports ? La notion
« d’implication » du véhicule dans l’accident
qui, dans la loi Badinter déclenche l’obligation d’indemnisation à l’égard de la victime et
qui, appréciée très largement par les tribunaux, étend de fait la responsabilité du conducteur ou du gardien du véhicule, est difficilement envisageable pour des biens autres que
des moyens de transport.
Imaginons, par exemple, un tel dispositif concernant les biens immobiliers : l’indemnisation
des victimes d’incendie prenant naissance dans
le bien serait alors facilitée, accélérée, systématisée. Mais le recours à la notion extensive
« d’implication » permettrait de prendre en
charge toutes sortes d’accidents même ceux
dont l’origine serait étrangère au fait de la
chose (par exemple, la personne qui en courant dans le couloir d’un immeuble tombe sur
le sol parfaitement entretenu et exempt de
vice). La prise en charge de ces accidents par
le propriétaire ou le gardien du bien immobi-
Un grand
nombre
d’accidentés
sont pris en
charge par les
collectivités
locales
Patchwork
L’extension à d’autres domaines des principes
de la loi Badinter ne ferait qu’augmenter le
patchwork actuel de couvertures liées à divers
objets. Mais celui-ci comporterait toujours
d’innombrables trous. Ce n’est vraisemblablement pas la bonne voie de progrès au-delà
des accidents de transport.
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GRAND ANGLE
L’ASSURANCE
lier qui ne pourraient se dégager de leur responsabilité qu’en apportant la preuve quasi
impossible d’une « faute inexcusable » serait
alors injustifiée et constituerait de fait une
atteinte à leur patrimoine.
Généraliser les garanties
Doit-on organiser la couverture des 40 % de
foyers non encore assurés par un contrat accidents corporels ? Une telle généralisation n’a
de sens que si elle repositionne clairement la
prise en charge des conséquences durables
des accidents de la vie courante sur ces garanties. La branche santé de l’assurance-maladie
ferait alors l’économie des frais de soins consécutifs à un accident de la vie courante. Les collectivités territoriales feraient l’économie de
la prise en charge des handicaps consécutifs
aux accidents de la vie courante.
Couverture accident
universelle
Les systèmes
d’indemnisation
n’encouragent
pas
l’amélioration
de l’état de la
victime
42
Une « Couverture accident universelle »
construite et financée sur le modèle de la
Couverture maladie universelle pourrait
permettre de couvrir les quelque quatre
millions de bénéficiaires de la CMU. La difficulté
principale d’une telle démarche est qu’elle
rendrait visible dans le budget de tous les
ménages des coûts aujourd’hui dilués entre
de multiples organismes et services publics.
Accompagner les victimes
Le défaut principal des systèmes d’indemnisation des victimes en France est de ne pas encourager l’amélioration de l’état de la victime.
D’un point de vue purement financier, la victime ou sa famille a aujourd’hui intérêt à faire
constater le pire état physique et psychique
pour obtenir la plus forte indemnisation.
À l’étranger et particulièrement dans les pays
anglo-saxons, on prend en revanche souvent
en compte les efforts de la victime pour gagner
en autonomie et reconstruire sa vie.
Pourtant, à mon avis, l’intérêt des victimes,
en termes de qualité de vie, est de reconquérir autant que possible une indépendance suffisante leur permettant d’accomplir ellesmêmes des tâches matérielles, intellectuelles
voire de retravailler plutôt que de demeurer
à plein-temps dans la dépendance de tierces
personnes.
LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011
Évolutions juridiques
Le rapport Catala a identifié les faiblesses du
système français d’indemnisation et appelle à
une évolution de notre dispositif juridique pour
encourager le « dynamisme » des victimes. La
proposition de loi Béteille reprend ces principes,
mais uniquement pour les dommages matériels
sans encore « oser » les avancer pour les
dommages à la personne.
Motivations
Dans les institutions de rééducation, les efforts
de réadaptation sont aujourd’hui souvent plus
importants et donnent de bien meilleurs résultats lorsque la victime ne bénéficie pas du soutien financier d’un responsable solvable ou
d’un assureur capable de payer une assistance
humaine importante.
Sans rentrer dans les détails d’ordre médicolégal ou juridique, le montant de l’indemnisation à verser à la victime est aujourd’hui apprécié et déterminé à un seul moment, celui de
la « consolidation », c’est-à-dire lorsque l’état
médical de la victime est considéré comme
stable et non susceptible d’évolution.
En revanche après «consolidation» de l’état de
la victime et fixation du niveau de l’indemnisation encore exclusivement pécuniaire, en
capital ou en rente, la proposition de l’assureur du responsable de réparer autrement,
par la mise à disposition de services destinés
à améliorer la situation de la victime, à la réinsérer socialement et si possible professionnellement, bref à l’aider à l’élaboration de son
projet de vie et faciliter sa mise en œuvre, est
Reconstruction
L’assureur du responsable qui, aujourd’hui, aide
la victime dès après l’accident, le fait en dehors
de tout cadre réglementaire. Plusieurs
compagnies d’assurances françaises et en
particulier les grandes mutuelles d’assurances
telles que la MACIF prennent cependant
l’initiative d’accompagner les victimes dans leur
démarche de « reconstruction » en s’appuyant
sur des associations et des réseaux
d’établissements de réadaptation. Cette pratique
extrêmement bénéfique aux victimes est enfin
tolérée depuis quelques années.
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Égalité de traitement et sécurité juridique
Pour les victimes d’accidents de la circulation,
on constate sur une longue période une autorégulation de la charge économique globale.
L’effort accompli dans le domaine de la sécurité routière (division par 5 du nombre de décès
en quarante ans) a permis une amélioration
conséquente de l’indemnisation des victimes
pour un coût global constant en termes d’effort pour les ménages.
Mais cette évolution est irrégulière dans le
temps et varie selon les tribunaux. Les différences de niveau d’indemnisation entre les
juridictions créent un important problème
d’équité entre victimes, certains préjudices
personnels étant indemnisés deux fois plus
généreusement dans certaines régions.
L’évolution erratique dans le temps crée de
plus une incertitude forte pour les assureurs
et surtout pour les réassureurs directement
concernés par les victimes les plus gravement
atteintes.
Cette incertitude a un coût finalement payé
par l’ensemble des assurés.
Référentiels d’indemnisation
Le rapport Catala de 2005 comme le Livre blanc
de l’AFA sur l’indemnisation des dommages
corporels appellent à l’instauration de référentiels d’indemnisation qui permettraient,
sans figer définitivement les postes de pré-
Primes majorées
L’indemnisation d’une victime lourdement
blessée se faisant au rythme des évolutions
de son état médical et éventuellement
des décisions de justice s’étale couramment
sur cinq à sept ans. La difficile prédictibilité
des conditions d’indemnisation amène
les réassureurs à appliquer une prime de risque
très importante sur la couverture des accidents
corporels. Paradoxalement, en matière
d’accidents graves de la circulation, ce n’est pas
à l’échelle macroéconomique l’événement luimême qui est incertain mais sa prise en compte
par les tribunaux. L’incertitude principale pour
les assureurs et réassureurs est juridique.
GRAND ANGLE
encore considérée comme une ingérence, alors
même que ce type de prestations en nature a
été conforté par la loi sur le handicap du
11 février 2005.
20 à 30 milliards d’euros
L’indemnisation des victimes d’accidents
corporels coûte à la société environ 5 milliards
d’euros par an pour les accidents de circulation,
7 milliards d’euros par an pour les accidents du
travail et une somme inconnue pour les accidents
de la vie courante (4 fois plus nombreux que les
accidents de la circulation). Au total un ordre de
grandeur de 20 à 30 milliards d’euros par an est
vraisemblable.
judice, d’instaurer une meilleure équité comme
une meilleure prédictibilité des indemnisations.
Un article de la proposition de loi Lefrand, dans
sa version initialement proposée, prévoyait
d’instaurer un tel référentiel, il a été rejeté en
première lecture par l’Assemblée nationale,
apparemment suite à l’intervention d’associations de victimes craignant de figer le droit à
indemnisation ou peut-être d’avocats spécialisés pour qui la non-égalité de traitement
entre victimes est une condition fort logique
de valorisation de leur intervention.
Une nécessaire gouvernance
Le coût des accidents de circulation est suivi
et analysé par la Délégation à la sécurité et à
la circulation routières et par les assureurs. Il
fait l’objet de nombreuses études françaises et
internationales, en particulier de nombreuses
études comparatives des systèmes d’indemnisation. Ces nombreux travaux ne servent
cependant que peu à éclairer les décisions
d’enrichissement de l’indemnisation qui pour
la plupart ne sont, de fait, pas prises par le
législateur mais par les tribunaux par le moyen
de créations de nouveaux préjudices ou de
décisions plus généreuses en valeur.
Absence de vision
Sur l’ensemble du champ des dommages corporels, aucune institution ne suit économiquement la bonne prise en charge des coûts, ni
n’analyse l’opportunité d’une évolution des
indemnisations. L’amélioration de l’indemnisation des victimes d’accidents corporels nécessite la définition d’une véritable stratégie économique et juridique.
La stratégie juridique existe : la dynamique
lancée par Robert Badinter en 1985 a créé une
véritable école juridique française de l’indem-
Certains
préjudices sont
indemnisés
deux fois plus
généreusement
dans certaines
régions
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D.R.
GRAND ANGLE
L’ASSURANCE
Il est
nécessaire
d’engager
un débat
global avec
l’ensemble
des acteurs
concernés
nisation des victimes. Le Rapport Catala de
2005 (ouvrage collectif) propose clairement
des voies d’amélioration.
Il n’existe en revanche pas de démarche économique globale sur le sujet.
Chaque acteur économique ne considère que
les coûts qu’il a directement en charge.
Il n’est pas certain que l’alignement de l’ensemble des indemnisations des accidents de travail sur l’indemnisation de droit commun constituerait un surcoût global, mais les études
réalisées par la Sécurité sociale ne s’intéressent qu’aux coûts directs du régime des accidents du travail.
Opportunisme
Faute de vision économique globale, il existe
encore moins de tactique de déploiement des
améliorations proposées par les juristes. Ceuxci, seuls spécialistes en pointe sur le sujet et
pour beaucoup d’entre eux véritablement motivés par l’intérêt des victimes, voire par l’intérêt général, ne peuvent que saisir les opportunités d’amélioration lorsqu’elles se présentent.
Fausses économies
La branche accidents du travail de la Sécurité
sociale considère les interventions d’assureurs
de responsabilité civile des entreprises dans
le cadre de « fautes inexcusables de
l’employeur » comme une économie, alors même
que la charge, plus importante, revient
finalement aux mêmes entreprises cotisantes.
44
LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011
Ces opportunités sont d’abord jurisprudentielles, un nouveau poste de préjudice est
inventé par un tribunal ou une notion comme
la faute inexcusable de l’employeur ou la faute
du médecin est étendue. Si ces « innovations »
ne sont pas remises en cause, elles s’installent rapidement. Si elles provoquent un
désordre économique, alors les pouvoirs publics
interviennent dans l’urgence, soit en rétablissant par la loi la situation antérieure, soit en
inventant une nouvelle source d’indemnisation, en général par la création d’un fonds parapublic supplémentaire ou par l’élargissement
du champ d’intervention d’un fonds existant.
Les opportunités sont également législatives :
des parlementaires ont régulièrement la volonté
d’améliorer l’indemnisation des victimes d’accidents corporels, mais faute de stratégie publique globale, ils sont condamnés à agir par
microévolutions successives.
Livre blanc
L’indemnisation des victimes implique de nombreux ministères : Justice, Affaires sociales,
Santé, Économie, Transports, Intérieur. Certains
de ces ministères sont de plus autorité de
tutelle d’intervenants tels que la Sécurité
sociale, les assureurs ou les collectivités
locales mis en positions antagonistes plus que
complémentaires.
Jusqu’à aujourd’hui, personne n’a repris d’un
point de vue économique les propositions du
Rapport Catala afin de faire des propositions
opérationnelles pour uniformiser les niveaux
d’indemnisation des victimes d’accidents, quelle
que soit la cause de l’accident ; définir les
modes de couverture les plus efficaces, individuels ou collectifs; et, enfin, préciser les responsabilités des différents acteurs publics et
privés.
Les assureurs ont fait des propositions fortes
d’évolutions pratiques et juridiques dans le
Livre blanc de l’Association française de l’assurance sur l’indemnisation du dommage corporel (avril 2008). Ces propositions n’ont pour
le moment provoqué que des réactions d’adhésion ou de rejet partielles de la part des autres
acteurs, mais le débat global nécessaire n’a
pas encore eu lieu. Il est nécessaire de l’engager avec l’ensemble des acteurs concernés.
La proposition de loi Lefrand prévoit la mise en
place d’une commission rassemblant ces
acteurs, nous pouvons espérer qu’elle sera
facteur de progrès. ■
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L’ASSURANCE
Les nouvelles règles
de la solvabilité
Actuaire
La directive Solvabilité II définit les nouvelles règles en matière de solvabilité des entreprises
d’assurances et de réassurances européennes. Elle doit conduire à un renforcement de la
maîtrise des risques de la part des entreprises et à une surveillance prudentielle plus efficace de
la part des autorités de contrôle.
■ Les risques fondamentaux (souscription,
marché, contrepartie notamment) ne sont pas
suffisamment pris en compte dans le calcul
des exigences actuelles. En outre, le cadre
réglementaire existant formule peu d’exigences qualitatives en ce qui concerne la gestion
des risques et la gouvernance.
La nouvelle directive Solvabilité II vise à faire
converger la réglementation et les pratiques
de contrôle entre les différents États membres afin d’assurer un niveau similaire de protection des assurés, un traitement équitable
des entreprises contrôlées (level playing field)
et une meilleure supervision des groupes internationaux.
Les principaux enjeux de la réforme sont d’assurer une application harmonisée de la réforme
dans tous les pays de l’Union européenne, de
renforcer la solvabilité des assureurs, de
conduire les entreprises à mieux connaître et
gérer leurs risques et de faciliter la supervision de la solvabilité des entreprises par les
autorités de contrôle, tout cela afin d’améliorer la protection des assurés.
Un calendrier très exigeant
Il faut noter qu’il s’agit de la première directive assurance s’inscrivant dans le cadre du
processus législatif Lamfalussy. Ce processus consiste en une définition dans la directive de principes-cadres adoptés par le Conseil
et le Parlement européens (niveau I). L’interprétation des principes conduisant à préciser
les mesures nécessaires à leur application
(niveau II) est conduite ensuite par la Commission
assistée des États membres. Enfin, les orientations techniques complémentaires (niveau III)
sont précisées par le Comité des contrôleurs
GRAND ANGLE
PAR JEAN-MARIE LEVAUX (64)
REPÈRES
La directive du 25 novembre 2009, désignée en
général sous le terme « Solvabilité II », définit
les nouvelles règles en matière de solvabilité
des entreprises d’assurances et de réassurances
européennes. Cette réforme du cadre réglementaire introduit des modifications profondes
par rapport aux règles prudentielles actuelles
en matière d’assurances, en mettant davantage
l’accent sur la gestion des risques. Même si la
réglementation française actuelle s’est révélée
robuste, le cadre prudentiel actuel en matière
de solvabilité des assurances, « Solvabilité I »,
n’est pas suffisamment sensible à la
discrimination des risques associés à chaque type
d’activité. Il comporte peu d’incitations à
l’émergence des meilleures pratiques de
maîtrise des risques.
d’assurances et de pensions professionnelles
(CEIOPS en anglais) – dont l’Autorité de contrôle
prudentiel (ACP) en France est un membre
actif –, puis approuvées par la Commission
européenne. L’entrée en vigueur de la directive est prévue pour le 1er janvier 2013, ce qui
est un calendrier très exigeant eu égard à l’ampleur de la tâche à accomplir à la fois en matière
d’élaboration normative et de mise en œuvre.
L’entrée en
vigueur de la
directive
Solvabilité II est
prévue pour le
1er janvier 2013
L’évaluation des actifs et des passifs
Solvabilité II repose sur trois piliers.
Le pilier 1 a pour objectif de définir les normes quantitatives de l’évaluation des actifs et
des passifs (dont les provisions techniques,
qui représentent les obligations envers les
assurés), des fonds propres, des exigences de
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GRAND ANGLE
L’ASSURANCE
capital, et les règles d’investissement. L’existence
de deux niveaux de capital réglementaire est
prévue : le capital minimum requis (MCR),
défini comme le niveau de capital en dessous
duquel une compagnie d’assurances ne peut
fonctionner normalement, et le capital de solvabilité requis (SCR), qui représente le capital cible nécessaire pour absorber le choc provoqué par un risque majeur. Le niveau du SCR
sera calculé soit à partir d’une formule standard, soit, autre nouveauté introduite par
Solvabilité II, par le biais d’un modèle interne
sous réserve qu’il ait préalablement été autorisé par l’autorité de contrôle. L’examen et, le
cas échéant, l’autorisation des modèles internes nécessiteront du temps et des compétences spécifiques. Mais, un défi supplémentaire
résidera dans l’harmonisation au niveau européen clairement affirmée comme un objectif
de Solvabilité II. Les autorités de contrôle
auront à promouvoir une culture commune
pour mettre en place des critères de jugement
pleinement partagés et garantir ainsi une égalité de traitement entre les différents organismes d’assurances du marché européen.
L’évaluation du suivi des risques
L’évaluation
interne du
risque et de la
solvabilité est
obligatoire
46
Le pilier 2 a pour objectif de fixer des normes
qualitatives de suivi des risques par les organismes d’assurances, et les modalités selon lesquelles l’autorité de contrôle doit exercer ses
pouvoirs de surveillance. L’identification des
sociétés « les plus risquées » est un objectif
et les autorités de contrôle auront en leur pouvoir la possibilité, dans des conditions bien
encadrées, de demander à ces organismes de
détenir un capital plus élevé que le montant
suggéré par le calcul du SCR (capital add-on)
ou de réduire leur exposition aux risques. La
directive indique que l’imposition d’exigences
rigoureuses en matière de gouvernance est
une condition préalable à l’efficacité d’un régime
de solvabilité. Ainsi la solidité du système de
gouvernance revêt-elle une importance critique pour la qualité de la gestion de l’assureur
et pour l’efficacité du système de contrôle.
Pour impliquer la direction dans cette gouvernance, la politique de l’entreprise relative au
contrôle interne et à l’audit interne doit être
rigoureusement formalisée et faire l’objet
d’une approbation par le conseil d’administration ou son équivalent. Ce système inclut
aussi l’évaluation interne du risque et de la
solvabilité (ORSA, Own Risk and Solvency
LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011
Assessment), qui est obligatoire et dont le
résultat doit être communiqué aux autorités
de contrôle.
L’information du public
Le pilier 3 a pour objectif de définir l’ensemble
des informations détaillées auquel le public aura
accès, d’une part, et qui sera transmis aux autorités de contrôle pour l’exercice de leur mission
de surveillance, d’autre part. Solvabilité II vise
notamment à accroître la transparence de l’information diffusée au public (assurés, courtiers,
analystes financiers, etc.), afin de garantir une meilleure discipline de marché. Par ailleurs, le principe actuel de l’obligation de communiquer toute
information nécessaire aux fins du contrôle est
maintenu ; la nouveauté est que la Commission
et le CEIOPS travaillent actuellement sur des
mesures d’application permettant d’assurer une
convergence des états de reporting réglementaires au niveau européen. Le CEIOPS – dont les
pouvoirs seront prochainement renforcés et qui
deviendra l’EIOPA (European Insurance and
Occupational Pensions Authority) dans le cadre
des mesures engagées au niveau européen pour
répondre aux faiblesses que la crise financière
a mises en évidence (faisant suite au rapport
« De Larosière ») – a un rôle particulier à jouer
dans la promotion d’une application cohérente
de la directive et dans la convergence des pratiques prudentielles.
Un travail de préparation
L’ensemble des organismes d’assurances doit
se préparer activement à la mise en œuvre opérationnelle de ce nouveau cadre réglementaire,
afin d’être en mesure de se conformer aux nouvelles règles prudentielles dès leur entrée en
vigueur. La préparation aux nouvelles normes
de solvabilité passe notamment par une connaissance de leurs principes au sein des organismes d’assurances. Leur appropriation doit
dépasser le cercle des spécialistes et se diffuser à l’ensemble des fonctions au sein de chaque organisme, c’est-à-dire non seulement la
direction générale et le conseil d’administration, mais aussi les opérationnels, les juristes,
les comptables, en bref, l’ensemble des équipes. Les organismes d’assurances devront également adapter leurs systèmes d’information
afin de traiter les données prudentielles. Ainsi,
avant la fin de l’année 2012, des chantiers importants doivent être achevés par les entreprises
d’assurances et de réassurances.
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Les études d’impact, conduites par la Commission européenne avec l’appui technique du CEIOPS, visent
à mettre en évidence les répercussions du nouveau système auprès des acteurs du marché.
Actuellement, les assureurs et réassureurs testent la cinquième étude d’impact (QIS 5 : Quantitative
Impact Study n° 5), qui va permettre de définir le calibrage fin des différentes exigences de capital
(Pilier 1). Une participation large et de qualité des organismes d’assurances français au QIS 5,
qui s’est déroulée d’août à novembre 2010, a été essentielle pour assurer la meilleure prise en compte
des caractéristiques du marché français.
Alors que les négociations sont en cours sur les mesures de niveau 2 et les recommandations de niveau 3,
les résultats du QIS 5 vont avoir un poids très important. La communication des résultats par le CEIOPS
et les autorités de contrôle nationales doit avoir lieu en mars 2011.
Une compétitivité renforcée
Solvabilité II impliquera des coûts initiaux
importants, tant pour les organismes d’assurances qui n’ont pas encore mis en place des
systèmes performants de gestion des risques,
que pour les autorités de contrôle. Mais, pour
une part significative, il s’agira d’actions de
formation des équipes, d’optimisation ou de
rénovation des systèmes et de revue des organisations, qui auront de toute façon à être
conduites et qui permettront de s’aligner sur
les meilleures pratiques en vigueur. Les organismes d’assurances et de réassurances européens devraient voir leur compétitivité renfor-
GRAND ANGLE
Une prise en compte du marché français
cée par un meilleur alignement des exigences réglementaires sur la réalité économique
des risques qu’ils encourent.
Surtout, la meilleure appréhension de ces
derniers que permettra Solvabilité II doit
conduire à une gestion plus sécurisée de la
part des entreprises et à une surveillance
prudentielle plus efficace de la part des autorités de contrôle. En effet, Solvabilité II sera
un succès si elle permet, dans le contexte
actuel de crise économique et financière, de
garantir une plus grande stabilité du système financier et une protection adéquate
des assurés. ■
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LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011
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P.50 Estin
28/04/11
18:41
POINT
Page 50
DE VUE
PAR JEAN ESTIN
président d’Estin & Co
Il faut continuer à exiger
des rentabilités de 15%
Pour un grand groupe, l’exigence d’une rentabilité élevée
n’est pas un simple enjeu financier de couverture de coût
du capital. C’est avant tout un enjeu stratégique. À long terme,
des rentabilités faibles conduisent à la marginalisation puis
à la disparition des groupes.
■ Dans un monde où la croissance
des pays occidentaux risque d’être
faible à moyen et long terme (1 à 2%
par an), et donc où les rentabilités
des entreprises seront réduites, la
tentation est grande d’abaisser les
exigences concernant les rentabilités minimales attendues d’une entreprise ou d’un investissement. Le
coût du capital sera plus faible ; les
chances d’obtenir des rentabilités
élevées réduites ; des objectifs trop
ambitieux décourageront des investissements de long terme et peuvent
obérer l’avenir d’une entreprise.
C’est oublier que la croissance mondiale, tirée par les pays émergents,
va rester forte (5 à 6% par an) et que
les capitaux voyagent. Le coût du capital ne baissera pas à long terme.
Les entreprises occidentales qui se
Participer ou gagner
Les questions récurrentes sur
la nécessité et la possibilité
d’obtenir des rentabilités de 15 %
ou plus de façon soutenable
dans une activité relèvent en fait
d’un débat plus profond : joue-t-on
pour gagner ou simplement pour
participer ? S’accommode-t-on
du déclin européen ou veut-on
être un acteur de la croissance
mondiale ?
50
LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011
contenteront de rentabilités et de
croissances réduites disparaîtront
simplement à long terme au profit
de concurrents occidentaux ou de
pays émergents plus ambitieux.
Ce n’est pas une question financière
de couverture ou non du coût du capital. C’est une question stratégique.
La croissance mondiale
va rester forte,
de 5 à 6 % par an
Les leaders ont toujours des
rentabilités supérieures à 15 %
Dans une activité classique, avec une
baisse des coûts de 10 à 20 % pour
chaque doublement de taille, et à
des stades de concentration normaux, les leaders peuvent théoriquement avoir des EBIT 1 de 20 à
35 % du chiffre d’affaires, alors que
les n° 2 ont environ 10 à 20 % et les
n° 3 sont proches du point mort.
On constate rarement de tels écarts
dans la réalité car les leaders utilisent cet avantage pour réinvestir et
concentrer l’industrie. Une partie de
la surmarge potentielle est en fait
absorbée par des coûts plus élevés
(meilleure qualité du produit, plus
grande innovation technologique,
meilleur service au client, investissements publicitaires plus élevés) ou
des prix plus bas, qui permettent au
leader d’avoir un modèle d’activité
plus compétitif, de gagner des parts
de marché sur ses concurrents et
de concentrer l’industrie. L’EBIT résultant pour le leader s’établit plus
souvent à 10 ou 20 %, et le ROCE 2
(avec une hypothèse de CA/CE 3 = 2x)
à 20 voire 40 %.
Rentabilité
et part de marché
Dans nombre d’industries bien
structurées (fortes barrières
à l’entrée, effets d’échelle
significatifs, pas de capture trop
grande de la valeur par les clients
ou les fournisseurs), on peut
observer que le ROCE est
d’ailleurs souvent proche de
la part de marché : 20 % de part
de marché implique 20 %
de ROCE ; 30 % de part de marché
implique 30 % de ROCE.
Demander des rentabilités supérieures à 15 % ne revient pas seulement
à vouloir couvrir le coût du capital,
qui est d’ailleurs aujourd’hui le plus
souvent très inférieur. C’est demander des rentabilités de leader ou de
coleader.
Il faut même demander beaucoup
plus des activités sans croissance
où l’entreprise a des positions de 30
à 40 % de part de marché.
Des allocations de ressources
pertinentes
À l’inverse, la logique voudrait que
l’on n’exige pas de telles rentabilités pour les activités où l’entreprise
a de faibles parts de marché ou bien
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Financer la croissance
Les leaders en croissance ont toujours des TSR 4 supérieurs à 15 %.
Un ROCE de 15 % se traduit généralement par des ROE 5 de 15 à 20%
qui permettent de financer des
croissances au minimum de 10 %
par an tout en distribuant des dividendes. Encore faut-il trouver les
Des exceptions
à la règle
Certaines activités à investissement non capitalisable (dépenses
publicitaires et marketing très
importantes, comme dans les
parfums, dépenses de R & D
comme dans la pharmacie,
les semi-conducteurs ou développement de logiciels comme
dans les services Internet, les jeux
vidéos) peuvent justifier des
exigences de rentabilité moins
élevées. Il faut alors retraiter
les rentabilités de l’impact de
ces investissements non
capitalisés ou fixer des exigences
adaptées de rentabilité.
métiers et les stratégies qui permettent de maintenir ce rythme.
10 % n’est pas la croissance d’un
acteur de pays émergent (les
grands leaders chinois croissent de
25 à 35 % par an). C’est la croissance normale d’un acteur occidental dans des marchés en croissance modérée (5 à 6 % par an en
valeur) et concentrant ces marchés
(croissance de l’entreprise de 10 %
par an).
Une croissance de 10 % avec des
ROE stables de 15 à 20 % par an
procure généralement des TSR de
15 % par an.
En cas de crise, on peut
accepter des rentabilités
réduites pendant un
ou deux ans
Une telle croissance devient hors
de portée dans des marchés trop
mûrs (1 à 3 % de croissance en valeur) et déjà fortement concentrés
(où le leader a par exemple 40 % de
part de marché).
Mais c’est une croissance normale
pour un acteur ayant un mix d’activités qui croît comme la moyenne
de l’économie mondiale et qui
concentre les marchés dans lesquels il est présent.
Exiger un TSR de 15 % revient à inciter l’entreprise à faire évoluer son
mix d’activités en permanence pour
éviter les marchés trop mûrs ou
déjà trop concentrés, et à rechercher continuellement de la croissance, par le choix de ses métiers
et géographies et par ses stratégies
de leadership. Là encore, ce n’est
pas simplement vouloir couvrir le
coût du capital et la rentabilité
moyenne des marchés des actions
(bien inférieurs). C’est demander
un TSR de leader en croissance.
Un objectif stratégique
Un objectif de 15 % de ROCE, ou de
ROE, ou de TSR, n’est pas un simple objectif financier. C’est un choix
stratégique pour le dirigeant d’un
grand groupe qui veut distancer ses
concurrents par des stratégies de
leadership dans chaque métier, et
par le choix de métiers et de géographies plus attractifs.
Fleurons disparus
Les leaders qui ne croissent plus,
ou trop faiblement par rapport
à la moyenne de l’économie
mondiale, disparaissent ou se font
racheter à long terme. Même s’ils
sont très rentables, leur valeur
boursière ne croît plus, leurs
marges de manœuvre se réduisent
(il devient difficile de faire des
acquisitions), et leurs actionnaires
se lassent. La liste des entreprises
autrefois dans le peloton de tête
et aujourd’hui disparues ou
rachetées est longue, qu’il
s’agisse de PanAm, de l’UAP,
du CCF, de DEC ou d’Euromarché.
Contrairement aux idées reçues,
c’est l’objectif le plus soutenable à
long terme car reposant in fine sur
des mix de métiers et de géographies attractifs, des positions
concurrentielles et des stratégies
fortes.
Tout objectif inférieur induit des positions de suiveur, des marges de
manœuvre stratégiques et financières réduites, des capitalisations
boursières plafonnées, des capacités de réinvestissement insuffisantes
et donc des positions et des résultats non soutenables à long terme.
Qui n’avance pas recule et disparaît. ■
EXPRESSIONS
pour celles où le métier est mal
structuré (peu ou pas d’effets
d’échelle, pas de barrières à l’entrée, capture de la valeur par les
grands clients).
Il faut pourtant le faire. Il est clair
que l’on ne pourra pas les obtenir.
Mais les exiger revient à mettre une
pression très forte sur ces activités,
à les gérer au détriment du long
terme et donc à en sortir à terme,
ou à forcer le management à les redéfinir, voire à les céder. Stratégiquement, c’est une saine pression.
Elle conduit à des allocations de ressources pertinentes. Réduire cette
exigence revient à accepter de rester
dans des activités sans intérêt stratégique ou financier à long terme
pour l’entreprise.
Hors logiques transitoires de lancement de produits, de démarrage
d’activités, ou de gains majeurs de
parts de marché, il y a peu d’exceptions. Même et surtout dans les activités en forte croissance, les leaders
ont des rentabilités fortes, permettant de financer la croissance.
En cas de crise, on peut accepter des
rentabilités réduites pendant un ou
deux ans. Rarement plus.
1. EBIT : Earnings before interest and taxes.
2. ROCE : EBIT/capitaux engagŽs.
3. CA/CE : chiffre dÔaffaires/capitaux engagŽs.
4. TSR : Total Shareholder Return, retour total
pour lÔactionnaire sur son investissement de
dŽpart (dividendes, distribution dÔactions gratuites,
plus-value sur titres) avec hypoth•se de dividendes
rŽinvestis.
5. ROE : bŽnŽfice net apr•s imp™ts et frais
financiers/fonds propres.
Estin & Co est un cabinet
international de conseil en
stratégie basé à Paris, Londres,
Genève et Shanghai. Le cabinet
assiste les directions générales
de grands groupes européens
et nord-américains dans leurs
stratégies de croissance, ainsi
que les fonds de private equity
dans l’analyse et la valorisation
de leurs investissements.
LA JAUNE ET LA ROUGE ¥ MAI 2011
51
P.52 Pilé et Courrier
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Page 52
DE VUE
PAR GÉRARD PILÉ (41)
Maurice Allais et la physique
« Un parcours atypique
de physicien »
Les travaux de physique de Maurice Allais, essentiellement d’ordre
expérimental, n’exigent pas, pour être compris, de culture scientifique autre que générale, même si, pour juger de la rigueur
et du soin apportés au travail sous-jacent, une connaissance
des techniques statistiques de l’analyse harmonique des séries
de données est très utile. Notre propos est ici de bien cerner les
phénomènes « dérangeants » dévoilés par Maurice Allais, comme
autant de messages à l’adresse des juges de demain, mais avant
de les remettre en perspective dans leur filiation historique et leur
cohérence, invitons le lecteur à s’affranchir de préjugés ayant pu
contribuer à brouiller son image.
■ Nul ne s’en étonnera : « le courant » n’est jamais bien passé entre
certaines institutions scientifiques
de notre pays et Maurice Allais, physicien autodidacte, disons « franctireur », comme si l’économie (cette
« pseudoscience ») ne suffisait pas
à sa quête de reconnaissance.
Rigueur et clarté
Laissons de côté les épisodes de
cette fracture pour en retenir le
malentendu : Maurice Allais s’est
toujours considéré comme, d’abord
et viscéralement physicien, vocation ayant absorbé pas moins de
40 % de son temps, à laquelle il
n’entendait renoncer sous aucun
prétexte. Si l’économie offrait un
vaste champ d’investigation, ce devait être à l’image de la nature pour
le physicien, exigeant les mêmes
rigueur et clarté, pour en dégager
des lois auxquelles elle ne saurait
se dérober sans faillir. Que l’on ne
se méprenne pas : le physicien y
précède l’économiste pour mieux
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LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011
l’épauler et c’est bien au premier
que l’on doit ses approches les
plus innovantes de son œuvre magistrale en économie.
Notre camarade Jean-Bernard
Deloly (65) nous a également
adressé un long article sur
Maurice Allais et la physique.
« Maurice Allais, écrit-il, n’a cessé
de consacrer une part importante
de son temps à la physique,
et son œuvre dans ce domaine,
bien que demeurée peu connue,
est à la hauteur de son apport
à la science économique par
sa profonde originalité, sa solidité
et l’ampleur de ses implications. »
Nous renvoyons les lecteurs
intéressés au site Internet
de La Jaune et la Rouge où
ils pourront consulter
intégralement les deux articles.
Découvrir ce que l’on cherche
N’est-il pas étrange que les phénomènes énigmatiques, que dit nous
révéler Maurice Allais, aient pu
échapper jusqu’ici aux observateurs?
(Assertion inexacte comme nous le
verrons.) Que sont-ils en réalité? Des
perturbations locales à caractère périodique et d’amplitude faible (quelques 10–5 au plus), de moyenne nulle
sur des périodes plus ou moins longues (diurne, mensuelle lunaire sidérale, entre équinoxes, annuelle).
De telles perturbations, indétectables dans des observations isolées,
exigent, pour être mises en évidence,
des mesures suffisamment nombreuses, échelonnées dans le temps
(même pour 24 heures). S’y ajoute la
nécessaire mise en œuvre de procédures ad hoc destinées à découvrir
uniquement ce que l’on cherche.
D’une manière générale, quand on
veut détecter un signal dans un bruit
de fond, il faut d’abord conjecturer
son existence pour provoquer l’effet
de résonance approprié. Il en va de
même des régularités présumées
dans des séries temporelles où, par
le biais de filtrages, on relève phases et amplitudes, et teste par la
suite leur validité statistique, c’est
un travail méthodique exigeant motivation, rigueur et professionnalisme
d’expérimentateur. Ces conditions,
Maurice Allais va bientôt les incarner au plus haut niveau.
Premières expériences
(1954-1960)
Comme tout passionné de physique,
Maurice Allais est hanté par l’exigence unitaire des quatre forces fon-
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Page 53
L’effet d’Allais
The Allais effect 3 eut, à l’époque, un
retentissement international plus
particulièrement aux États-Unis, à
la Nasa, où il intrigua W. von Braun.
Les expériences qui s’ensuivirent ont
compris une série de campagnes
mensuelles échelonnées, année
après année, sur la base de relevés
de 14 minutes renouvelés toutes les
20 minutes du plan d’oscillation du
pendule (plus exactement du grand
axe de l’ellipse décrite) tandis que,
pour s’assurer de l’insignifiance
d’effets pervers externes, des expériences identiques effectuées en
parallèle dans un couloir souterrain
de l’IGN à Bougival donnèrent les
mêmes résultats. Fort de cette
moisson de résultats, Maurice Allais entreprend de diversifier le
champ de ses expériences. En simultanéité avec celles du pendule, il
procède, en juin-juillet 1968, à l’IRSID, à des visées sur mires, et l’année suivante, dans un couloir souterrain de l’IGN, à des visées sur
mires et collimateurs.
Un siècle de découvertes
Avant de passer à la deuxième phase
des travaux de Maurice Allais replaçons-les dans leur perspective historique.
1) Rappelons que les Théories de la
relativité restreinte, puis générale
d’Einstein, voient respectivement le
jour en 1905 et 1916.
2) En 1925-1926, le docteur Miller,
expérimentateur hors pair, au mont
Wilson et à Cleveland, alors président de la Société américaine de
physique, renouvelle les expériences de Michelson-Morley avec un interféromètre bien plus précis (c’est
ainsi que la longueur du trajet lumi-
Six années d’expériences
1 – Pendule paraconique
Mise en évidence de composantes périodiques :
a) diurne solaire, diurne lunaire (24 h 50 min.),
b) mensuelle lunaire sidérale (27 j., 322 min.), le maximum de la
composante étant voisin du minimum de déclinaison de la Lune,
c) semi-annuelle et annuelle assez probables avec amplitude faible,
extremum aux alentours du 21 mars.
2 – Visées optiques
a et b) concordance des phases,
c) données peu exploitables mais composantes périodiques probables
avec même extremum.
3 – Conclusion
L’existence de composantes périodiques communes aux phénomènes
mécaniques et optiques, la similitude des ordres de grandeur, leurs liens
avec des configurations astronomiques amènent à considérer que l’on est
en présence de deux aspects d’un même phénomène : l’anisotropie de
l’espace due à l’action à distance des astres sur des facteurs locaux.
neux est multipliée par 30!). Il diversifie les mesures et surtout innove
en les étalant sur un an. Ses expériences confirment celles de ses prédécesseurs : entre deux directions
orthogonales précisées avec soin,
date et heure sidérale à l’appui, on
relève bien en moyenne sur l’année
une différence de vitesse de la lumière, de l’ordre de 6 à 10 km/s.
« Si les résultats du docteur Miller
sont confirmés, la Théorie de la relativité s’écroule, l’expérience est le
juge suprême », commente alors
Einstein à leur annonce, qui ne s’en
heurte pas moins à un scepticisme
général : on conclut sans preuve aucune à des « effets pervers ayant
faussé les mesures ».
3) À peine deux ans plus tard (19271928), un nouveau signal se produit :
l’astronome français, Ernest Esclangon, révèle l’existence d’une très légère dissymétrie entre rayons incident et réfléchi sur un miroir, due à
l’entraînement de ce dernier par le
mouvement de la Terre sur son orbite avec pour conséquence un effet
d’aberration sur l’année solaire. S’y
ajoute une deuxième dissymétrie optique est-ouest (imputable à la rotation terrestre ?).
4) Il eût sans doute été plus sage de
se dire que l’on s’était peut-être débarrassé un peu vite de « l’éther »,
du moins de ce milieu-support bien
réel, au prétexte qu’il était inassimilable à un fluide substantiel (Henri
Poincaré s’était clairement expliqué
à ce sujet).
Ce doute, pour peu qu’il en subsiste,
allait être effacé par une découverte
de nature à jeter autrement trouble
et interrogations dans les esprits à
commencer chez Einstein. En 1929,
Hubble observe que les galaxies
lointaines s’éloignent de nous, ce
qui remettait en question l’idée que
l’on s’était faite, a priori , de la
constante cosmologique de la Relativité générale.
5) Est-il besoin de rappeler comment, par la suite, le modèle quantique (après avoir surmonté bien des
mises à l’épreuve) avait fait une
irruption irrésistible en astrophysique, notamment à l’initiative de Richard Feynman, réhabilitant au
moins partiellement le concept de
trajectoire mis à mal par le principe
➤
d’incertitude d’Heisenberg.
LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011
EXPRESSIONS
damentales de la nature et le défi
posé par ces insaisissables ondes
gravitationnelles. Instruit d’anomalies observées lors de mesures de
triangulation comme de déviations
optiques 1, il va bientôt, servi par les
circonstances, faire le pari d’une
mise en évidence des interactions
entre champs électromagnétique et
gravifique, liées à des anisotropies
de l’espace.
Responsable d’un laboratoire à l’Institut de recherches sidérurgiques,
Maurice Allais va s’y livrer à des expériences mémorables dans la perspective d’une éclipse totale de Soleil, le 30 juin 1954. Il s’y prépare en
mettant au point son pendule paraconique 2. Au cours de ce rodage, il
vérifie et mesure soigneusement les
effets prévisibles, comme ceux de
Foucault. Une série mensuelle d’observations, centrée sur la date de
l’éclipse, révèle alors un phénomène
inattendu et depuis lors inexpliqué :
une brusque déviation du plan d’oscillation du pendule durant l’éclipse
(confirmé cinq ans plus tard lors de
l’éclipse du 2 octobre 1959, puis à
Bucarest en 1965, puis au début de
notre siècle en Chine).
53
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DE VUE
➤ Apparaît bientôt une équation de
Schrödinger relativiste « astronomique» fournissant une bonne approximation de la dynamique gravitationnelle régissant l’évolution de
structures assez grandes pour figurer le chaos : dans de nombreux systèmes, un nuage de matière piégé
dans le champ de gravitation d’un
corps massif subissait son accrétion,
comme s’il était façonné par une
telle équation.
Maurice Allais
et les observations de Miller
En 1933, le docteur Miller, alors découragé, meurtri par le scepticisme
et les railleries de ses confrères,
avait pris soin de sauvegarder ses
milliers de pointés en les publiant
dans l’espoir que la postérité les
prendrait enfin au sérieux. Ce réflexe
salutaire, Maurice Allais va en tirer le
meilleur parti, aidé en cela par son
intuition et son savoir-faire en matière d’analyse harmonique des séries temporelles de mesure. Les observations interférométriques de
Miller, portant sur les azimuts en
temps sidéral et les vitesses de la
lumière, couvraient quatre périodes
hebdomadaires centrées sur les
dates 1/4, 1/8, 15/3, 8/2, les azimuts
correspondant au maxi des franges
lors d’un demi-tour d’horizon du dispositif (ne permettant pas de distinguer deux vitesses de signe opposé),
tandis que les variations de vitesse
étaient déduites du déplacement des
franges. Rappelons que, selon la
théorie classique, l’hodographe de
la projection de la vitesse de la Terre
sur le plan horizontal est une ellipse
symétrique par rapport au méridien
dont le grand axe est perpendiculaire à ce dernier. Après lissage de
ses observations par substitution de
moyennes sur 6 à 10 jours consécutifs, Miller avait au moins clairement
mis en évidence une périodicité
diurne sidérale avec des écarts de
vitesse étroitement corrélés aux azimuts. En opérant sur des moyennes
mobiles des observations propres
aux quatre périodes, Maurice Allais
parvient à reconstituer empiriquement les hodographes des vitesses
avec leurs ajustements elliptiques
en temps réel pour constater leur
perpendicularité aux directions
moyennes, non des méridiens (selon
54
LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011
la théorie classique) mais des azimuts, assortie d’une très forte interdépendance entre les vitesses et ces
derniers.
Ces hodographes mettent en évidence des régularités tout à fait remarquables : les quatre points correspondant à une même heure
sidérale (0, 1, 2…) se situent sur un
même cercle et il en va de même
pour leurs centres, permettant d’associer à chaque époque une direction centrale moyenne (un lien dont il
est malheureusement impossible de
suivre l’évolution, en raison de l’insuffisance des données).
Par ailleurs l’analyse harmonique
des variations de leurs paramètres
permet de découvrir des structures
périodiques semi-annuelle ou annuelle avec des maxima au voisinage
du 21 mars, équinoxe du printemps.
Cet ensemble de périodicités, confirmant l’existence d’une structure
sous-jacente particulièrement cohérente, dissipe le soupçon d’effets
pervers ayant pu biaiser les observations de Miller. La mise en évidence de ces corrélations apparaît
ainsi comme révélatrice d’un phénomène nouveau, d’un tout autre
ordre de grandeur (10 3 à 10 5 fois
celui prévisible par les théories actuelles).
Maurice Allais dissipe
le soupçon d’effets pervers
ayant pu biaiser les
observations de Miller
Le premier pays concerné par l’analyse fine des observations du docteur Miller était les États-Unis.
Quelle diffusion, quel accueil y furent faits à L’Anisotropie de l’es-
pace ? Nous l’ignorons, sauf qu’à la
Nasa The Allais effect refit surface
deux ans plus tard 4.
Concluons cette deuxième phase en
faisant précisément retour à la
« case départ » de la première : ce
fameux effet d’éclipse rebelle à toute
explication « conventionnelle » 5 serait, selon toute vraisemblance, la
manifestation extrême d’un phénomène perturbateur plus général de
caractère cyclique et local du champ
de gravitation sur notre globe, dû à
l’action à distance du Soleil et de la
Lune, en phase avec les configurations des trois astres.
Un phénomène perturbateur
de caractère cyclique et local
du champ de gravitation
Un avenir en question
Maurice Allais, expérimentateur passionné, comme le fut Miller en son
temps, va-t-il passer à la postérité ?
Observons que sa position à cet
égard est bien meilleure, non seulement il valorise les expériences de
son prédécesseur (comme le fit jadis
Kepler de celles de Tycho Brahé),
mais il peut les appuyer sur les siennes. En outre, on sait aujourd’hui
que la Relativité générale, sésame
d’une époque, ne rend pas exactement compte de la réalité, échouant
notamment à unifier les forces de la
nature.
Même si les précisions numériques
apportées par Maurice Allais sont
encore trop partielles, l’existence
même des phénomènes « dérangeants », clairement cernés dans
leur cohérence, paraît difficilement
contestable.
L’éther en mouvement
La conception de « l’éther » en mouvement de Maurice Allais repose
sur l’hypothèse d’égalité entre la vitesse d’une planète en tout point
de sa trajectoire orbitale (environ 30 km/s pour la Terre) et celle de son
« éther » environnant. Maurice Allais l’appuie sur un calcul emprunté
à la mécanique des fluides (l’accélération étant comptée avec sa composante sur l’axe Terre-Soleil). Il fait la même hypothèse pour tout satellite
d’une planète. Un calcul simple appliqué au couple Terre-Lune (assorti
de la troisième loi de Kepler) montre que si la vitesse de la Lune sur
son orbite est de l’ordre de 1 km/s, celle de l’éther au voisinage
de la Terre devrait être de 8 km/s, c’est-à-dire dans la fourchette (6–10)
des écarts observés par Miller.
P.52 Pilé et Courrier
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Diligenter une enquête
auprès de spécialistes
Une attitude plus porteuse et active
serait cependant bien préférable,
consistant à diligenter une enquête
auprès de spécialistes a priori
concernés, à commencer par ceux
des mesures interférométriques et
ceux des techniques GPS. L’emploi
de ces dernières peut-il être adapté
pour effectuer des séries de pointés
révélatrices d’écarts significatifs de
vitesse de la lumière (selon la latitude, l’heure, etc.) ?
Il serait en second lieu très utile d’inviter des astrophysiciens à réagir, à
donner leurs diagnostics sur les travaux de Maurice Allais dans la mesure où ils s’y sont déjà intéressés,
sinon à leur recommander d’y porter attention. Notons ici que plusieurs de nos camarades travaillent
dans des laboratoires d’astrophysique et peuvent servir de relais auprès de leur entourage.
Insistons enfin sur ce terrain exceptionnellement novateur et dynamique de la recherche actuelle en astrophysique où notre vision du
cosmos a été bouleversée depuis la
découverte de forces antigravifiques
d’une « énergie noire » provoquée
par l’effondrement de cœurs stellaires et de leur prépondérance (d’où
l’expansion accélérée du cosmos).
Des modèles innovants voient le jour,
tel celui de la «Relativité d’échelle» 6
développé par Laurent Nottale.
La découverte « d’exoplanètes »
(dès 1997) a permis à Laurent
Nottale de proposer un modèle
général très plausible de
quantification des systèmes
planétaires, ces « grands
systèmes » intégrables de
Poincaré, dont nous découvrons
peu à peu l’extraordinaire diversité
dans leur connivence avec
la mécanique quantique
(et l’existence probable de
divergences locales, cycliques,
liées aux orbites composantes).
À ses yeux la constante cosmologique proviendrait de deux sources :
un terme de nature géométrique,
l’autre gravitationnel des fluctuations du vide quantique jouant un
rôle dominant au-dessous d’une certaine échelle.
Ajoutons encore une remarque :
l’existence (dûment constatée ?) de
vitesses supraluminiques transverses autour de certains sites cosmiques 7 serait de nature à conforter
l’hypothèse allaisienne d’un éther
porteur solidaire de la rotation de
corps célestes éteints. ■
démontrant que l’application du postulat de
J. von Neumann et Morgenstern (longtemps
référence de base de l’approche « rationnelle »
des comportements humains), dans la théorie
des jeux, ne tenait pas devant l’expérience,
sauf à l’assortir d’un correctif (cf. La Jaune et
la Rouge, février 2011, Lévy-Garboua).
4. Déconcerté par la perte de trois sondes
spatiales (Pioneer 10 et 11, Ulysse) détournées
de leurs trajectoires sous l’effet d’accélérations
insolites plus ou moins en phase avec des
anomalies gravimétriques, le docteur Noever
prit l’initiative de promouvoir un vaste programme
expérimental autour de The Allais effect .
Malheureusement Noever ayant quitté la Nasa
en décembre 1999, d’autres « priorités »
prévalurent.
1. Une faible déviation optique (mesurée en
radian) entraîne une variation relative égale
de la vitesse de la lumière.
5. A review of conventional explanations of
anomalous observations during solar eclipses
par Chris. P. Duf, 11/8/2004, université de
Delft. (Note assortie d’une cinquantaine de
références sur ce sujet.)
2. Un cône d’acier, une tige en bronze
(amagnétique) de 83 cm, fixée sur un étrier
reposant sur une bille, elle-même posée sur un
plateau (selon deux versions : anisotrope et
isotrope du dispositif et des procédures).
7. Pensons, par exemple, aux «pulsars binaires»
dont l’un orbite autour d’une étoile morte à
neutrons (un « trou noir avalant ») tournant très
vite sur elle-même.
6. Référence : Pour la Science, n° 309, juillet 2003.
Précision importante : si, dans les théories
admises de la gravitation, les effets d’origine
astrale sont indépendants de la longueur du
pendule, dans l’hypothèse d’une anisotropie
de l’espace, ils sont inverses de celle-ci.
Site Internet :
http://allais.maurice.free.fr
3. Ne doit pas être confondu avec The Allais
paradox, l’un de ses premiers succès «antidogme»
AU
EXPRESSIONS
Ayons donc la sagesse d’accueillir,
de garder au moins en mémoire tout
ce qui, non compris aujourd’hui, peut
le devenir demain ou après-demain,
dans le cadre plus général de quelque nouveau modèle.
Page 55
COURRIER
Les valeurs alsaciennes
Suite à notre Focus sur les polytechniciens en Alsace, paru dans le numéro de mars dernier et à l’annonce
de la création d’un nouveau groupe
X-Alsace, notre camarade Bello a
tenu à nous apporter lui aussi son
témoignage.
«Je suis venu en Alsace en 1983 pour
diriger Strafor, puis pendant seize ans
le groupe De Dietrich, créé en 1684
et parfait exemple des valeurs alsaciennes : travail, investissement à
long terme, discrétion, ouverture internationale, culture plurielle liée à
une longue histoire partagée entre
l’Allemagne et la France.
Aujourd’hui l’Alsace me plaît toujours
autant : j’aime ses paysages souriants qui s’ordonnent au pied des
Vosges plus sauvages et le long du
Rhin; j’aime les Alsaciens gais et sen-
timentaux, sérieux et fidèles. FrancComtois d’origine, j’aime sa dimension provinciale mais frontalière, sa
culture duale et sa fibre humaniste
et européenne.
La qualité de vie matérielle, intellectuelle et culturelle que j’y ai expérimentée vaut largement celle de «l’intérieur » (la France hors l’Alsace,
selon les Alsaciens…). Les X y sont
bien représentés dans des domaines
très variés : des entreprises et de
l’administration à la politique ou à la
vie associative très développée ici.
Jeune retraité, je suis heureux d’y
poursuivre aujourd’hui plusieurs
mandats d’administrateur indépendant et diverses activités bénévoles
comme la présidence de la Fondation
de l’université de Strasbourg, ou des
mandats électifs à l’EM Strasbourg,
à la CCI d’Alsace et au Medef 67. » ■
Régis Bello (65)
LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011
55
Maurice Allais et la Physique
Par Jean-Bernard
DELOLY (65)
Cet article n’a pu être inséré dans le journal papier. Il figure sur le site de La Jaune et la Rouge et a
été intégré au fichier pdf du journal
Une règle d’or : la primauté de l’expérience

Tout au long de son existence Maurice Allais n’a cessé de consacrer une importante partie
de ses activités à la physique, qui d’ailleurs avait été sa vocation première.
Si son œuvre dans ce domaine est infiniment moins connue que son apport à la science
économique, elle pourrait bien pourtant, poursuivie dans le cadre de programmes à long
terme et par des équipes disposant de moyens suffisants, déboucher sur des progrès décisifs
dans la connaissance des lois les plus fondamentales de la physique.

Personne ne conteste bien sûr que l’expérience soit souveraine : les progrès en physique
résultent toujours de la mise en évidence de phénomènes inexplicables dans le cadre des
théories en vigueur, d’une part parce qu’elles sont ainsi remises en cause, bien sûr, mais
aussi parce qu’il en résulte des indications pour la construction de théories nouvelles.
Pourtant la situation actuelle n’est guère satisfaisante.
Tout ce qui se passe dans le domaine qui nous est le plus immédiatement accessible (le domaine
macroscopique, sur la Terre) étant réputé expliqué par les théories classiques éventuellement
complétées par les corrections relativistes, la recherche de phénomènes susceptible d’infirmer les
théories en vigueur s’est pour l’essentiel retrouvée cantonnée aux domaines des extrêmes :
l’astrophysique et la physique des particules.
Outre les difficultés -et le coût- de la réalisation effective d’observations, un problème majeur est
que, même lorsque l’on met en évidence un phénomène nouveau, il est généralement malaisé d’en
déduire quoi que ce soit, un exemple typique en étant le problème de la « matière noire ».
LA JAUNE ET LA ROUGE * MAI 2011 (Article additionnel)
Page 1
La matière noire
Il est apparu qu’il y avait une différence entre d’une part la masse des galaxies calculée à
partir de la matière observée directement, et d’autre part la masse calculée à partir de
l’observation du mouvement des étoiles, en appliquant les lois de la gravitation : pour toutes
les galaxies analysées, la seconde est environ dix fois plus importante que la première.
Cela est-il dû à la présence de « matière noire », ou au fait que les lois de la gravitation ne
sont pas exactes (mais alors la relativité générale, qui englobe ces lois, serait inexacte elle
aussi, avec toutes les remises en cause conceptuelles qui en résulteraient) ? S’agissant de
phénomènes qui se produisent à des millions ou des milliards d’années lumières, et qui
impliquent des éléments que l’on ne connaît qu’à travers les modèles que l’on s’en est
construit, gageons que l’on risque d’attendre encore un certain temps la réponse à cette
question.
Maurice Allais, avec la totale indépendance d’esprit qui marque l’ensemble de son œuvre, s’est avant
tout attaché sans aucun à priori à la recherche de phénomènes remettant en cause aussi
directement que possible les théories en vigueur.
Il a ainsi mis en évidence qu’il existe bel et bien de tels phénomènes (et même des gisements de tels
phénomènes…) dans le domaine macroscopique, sur des sites terrestres fixes, et dans des conditions
d'environnement qui n'ont rien d'extrême.
On voit donc tout l’intérêt de ses travaux – et l’absence totale dans sa démarche du moindre calcul
carriériste: la nature humaine étant ce qu’elle est, la notoriété va toujours, au moins sur le court
terme, à ceux qui proposent des théories, et non aux expérimentateurs.
L’essentiel de son œuvre a été présentée dans son ouvrage de 1997, « l’Anisotropie de l’Espace ».
Les phénomènes découverts par Maurice Allais
Les anomalies de la précession d’un pendule court.
Ayant tout d’abord remarqué que l’observation de la précession d’un pendule court relancé
fréquemment (toutes les 20mn) était un outil particulièrement approprié à la détection de forces
très petites, il utilisa en 1953 cet outil pour rechercher si un champ magnétique important pouvait
agir sur un pendule amagnétique, ce qui aurait témoigné de l’existence d’un couplage entre champ
magnétique et champ gravitationnel.
Ceci n’aboutit pas à des résultats significatifs, mais son attention fut alors attirée par le fait que la
précession du pendule ne se réduisait absolument pas à l’effet de Foucault, et présentait des
anomalies très importantes et variables avec le temps.
LA JAUNE ET LA ROUGE * MAI 2011 (Article additionnel)
Page 2
Effet de Foucault et précession d’Airy
La rotation du grand axe de l’ellipse décrite par l’extrémité d’un pendule résulte à la fois de l’effet de
Foucault (=> vitesse de rotation= - ω sinL, ω étant la vitesse de rotation de la terre et L la latitude) et
des autres forces s’exerçant sur le dispositif, lesquelles agissent pour l’essentiel par l’intermédiaire
de l’ovalisation de la trajectoire qu’elles entraînent (précession d’Airy).
Cette ovalisation entraîne en effet une vitesse de rotation égale 3/8
g / l α(t) β(t), où l est la
longueur équivalente du pendule, et α(t) et β(t) les angles sous lesquels le grand axe et le petit axe
de l’ellipse sont vus du point de suspension du pendule
Le suivi de la précession du grand axe de l’ellipse donne donc des informations sur les actions qui
s’exercent sur le pendule, avec une sensibilité d’autant plus importante que le pendule est court.
Pour fixer les idées, dans les expérimentations de Maurice Allais, l est d’environ 80 cm, α est voisin
de 0,1 rd, et β reste inférieur à 0, 001 rd.
Il s’attacha alors à l’étude de ces anomalies, ce
qui, de 1953 à 1960, l’amena tout d’abord à
concevoir un pendule doté d’un mode de
suspension particulier (pendule appelé «
paraconique »), puis à conduire, outre de
multiples expérimentations destinées à la mise
au point du dispositif et à l’étude fine de son
comportement, 6 expérimentations continues
d’une durée d’un mois, l’une d’entre elle ayant
mis en œuvre simultanément deux pendules
identiques implantés dans des sites différents,
dont l’un au cœur d’une profonde carrière
souterraine (totalement manuelles, ces
expérimentations étaient évidemment
extraordinairement exigeantes et
fastidieuses…).
Il en est résulté la mise en évidence dans
l’évolution de la précession du pendule de
composantes périodiques liées à des
Fig.1
évènements astronomiques et dont l’analyse a
Photo
du
chef
de
laboratoire
de Maurice Allais
montré qu’elles ne pouvaient résulter de
(Sciences et Avenir, n°135, mai 1958)
l’action directe ou indirecte d’un phénomène
connu : en particulier leur amplitude était plus
d’un million de fois supérieure à celle qui aurait résulté de l’action classique de la gravitation.
LA JAUNE ET LA ROUGE * MAI 2011 (Article additionnel)
Page 3
Sont à citer tout particulièrement, outre une composante diurne d’environ 24h, une composante
diurne lunaire (24h50), une composante mensuelle lunaire sidérale (27,32j), ainsi qu’une
composante semi annuelle dont les extremums sont voisins des équinoxes et des solstices.
Fig.2 (datation en T.U.)
L’Anisotropie de l’Espace,
page 165
L’anomalie survenue lors
de l’éclipse se détache très
nettement d’un schéma
d’évolution par ailleurs
assez remarquable étalé
sur un peu plus de 2 jours.
A noter que l’éclipse avait
précédé d’environ 6h une
conjonction de Jupiter
(alignement Terre-SoleilJupiter), ce dont il n’a été
pris conscience que
récemment.
Par ailleurs une déviation très marquée du plan d'oscillation du pendule vers la direction commune
du soleil et de la lune a été enregistrée pendant la durée de l'éclipse totale de soleil du 30 juin 1954,
dont il s'est trouvé qu'elle est survenue lors de la première des 6 expérimentations. Fig.2
Un phénomène analogue s’est produit lors de l’éclipse du 2 octobre 1959.
Fig.3
Suivi de la « direction d’anisotropie
de l’espace » du 20/11/1959 au
15/12/1959.
L’Anisotropie de l’Espace, p.275
LA JAUNE ET LA ROUGE * MAI 2011 (Article additionnel)
Page 4
Maurice Allais a pu en outre montrer que l’effet de l’ensemble des actions de nature inconnue
tendait à rappeler le plan d’oscillation du pendule vers une direction variable dans le temps, qu’il a
appelée « direction d’anisotropie de l’espace », les composantes périodiques ci-dessus et les
déviations relevées à l’occasion d’éclipses ne constituant qu’une partie de l’évolution de cette
direction, qui n’a pu malheureusement être suivie que pendant bien trop peu de temps (sa
connaissance effective a nécessité une modification du pendule qui n’a été introduite que pour les 2
dernières expérimentations). Fig.3
Existence de déviations anormales dans des visées sur mires et sur
collimateurs.
En parallèle avec les travaux précédents Maurice Allais a organisé 2 campagnes d’observations
optiques continues d’une durée d’un mois (en 1958 et 1959).
La première, menée en même temps que l’expérimentation ayant mis en œuvre deux pendules, et
sur le même site que l’un d’entre eux, consistait à viser toutes les 20 mn une mire verticale au
moyen d'une lunette; la seconde comportait en supplément des visées sur collimateur (visée du fil
vertical du réticule, éclairé par une ampoule montée en lieu et place de l'oculaire, d'une lunette mise
au point à l'infini et utilisée donc comme collimateur).
Des déviations apparemment inexplicables sont apparues.
Bien que n’ayant pu être que partiellement exploitées du fait de divers problèmes de mise au point,
ces observations ont permis la mise en évidence d’une composante périodique mensuelle lunaire
sidérale, ainsi que d’une composante diurne lunaire de 24h50 qui s’est révélée être en phase (à 5mn
près) avec la composante identifiée au moyen des pendules.
L’exploitation par Maurice Allais des observations optiques de
Dayton C. Miller et d’Ernest Esclangon.
Maurice Allais a en outre réexploité les observations conduites par Dayton C. Miller au Mt Wilson en
1925-1926 (au moyen d’un interféromètre de type Michelson et Morley), et par Ernest Esclangon à
l’observatoire de Strasbourg en 1927-1928 (au moyen d’un dispositif très particulier de mesure par
autocollimation de déviations de rayons réfléchis).
De toutes les observations effectuées avant 1930, date à partir de laquelle, l’emprise de la théorie de
la relativité sur la communauté scientifique étant devenue à peu près totale, il n’était réellement plus
guère possible de remettre en question le principe de la constance de la vitesse de la lumière, elles
sont les seules à avoir été étalées sur une année environ : toutes les autres avaient été des
observations ponctuelles (au maximum quelques séries de mesures réparties sur quelques jours).
Ce sont aussi les seules dont les auteurs ont conclu à l’existence effective de variations de la vitesse
de la lumière, en l’occurrence de variations présentant une importante composante périodique
diurne sidérale (23h 56mn).
LA JAUNE ET LA ROUGE * MAI 2011 (Article additionnel)
Page 5
De l’importance fondamentale des observations de longue durée…
On ne peut en effet rien conclure d’observations courtes :
▪ Si l’on observe quelque chose, on est incapable de le caractériser de façon suffisamment précise
pour pouvoir l’interpréter :
Ainsi les variations de vitesses d’environ 5 à 10 km/s constatées lors de la plupart des nombreuses
observations effectuées au moyen d’un interféromètre Michelson et Morley de 1887 à 1930, qui
étaient très inférieures aux vitesses attendues de plusieurs centaines de km/s correspondant au
déplacement de la Terre, ont été systématiquement considérées comme étant du bruit.
C’est parce que les observations de Miller ont été suffisamment nombreuses et étalées dans le
temps que d’une part ce « bruit » s’est d’une part révélé comporter une importante composante
diurne, et que d’autre part cette composante diurne est apparue être diurne sidérale (23h56mn), et
non diurne solaire (24h), ce qui est évidemment essentiel pour son interprétation.
C’est parce que les expérimentations de Maurice Allais ont duré un mois qu’il a pu distinguer, dans
les anomalies de la précession du pendule, la composante diurne lunaire de 24h50 de la
composante d’environ 24h.
▪Si l’on n’observe rien du tout, on ne peut en aucune façon en déduire l’absence d’anisotropies.
Ainsi, lors des expérimentations de Miller, il y a eu des périodes pendant lesquelles nulle variation
diurne significative ne se manifestait. Pourtant, au vu des données recueillies sur l’ensemble de
l’année, l’existence d’une importante composante périodique diurne sidérale était
incontestable. Cela résultait simplement de ce que ces données ne se réduisaient pas à cette
composante, et que cette dernière s’était alors retrouvée provisoirement masquée.
En reprenant les données de Miller et
d’Esclangon, Maurice Allais a mis en
évidence des régularités qui n’avaient
pas été perçues à l’époque:
• Existence de composantes annuelles
ou semi-annuelles, une circonstance
remarquable étant que les extremums
sont dans le premier cas voisins des
équinoxes, et dans le second voisins des
équinoxes et des solstices (comme pour
les azimuts du pendule).
• Dans le cas des observations de Miller,
qui fournissaient à la fois le module de
la variation maximum de la vitesse de la
lumière sur un tour d’horizon et
l’azimut de cette variation maximum
(défini à 180° près), le tracé de
l’hodographe correspondant fait
ressortir des figures tout à fait
extraordinaires. Fig.4
Fig.4 Hodographes de D.C.Miller
Communication du Professeur Allais à l'Académie des Sciences (26 Avril 1999)
LA JAUNE ET LA ROUGE * MAI 2011 (Article additionnel)
Page 6
Il en résulte en particulier presque immédiatement qu’il est impossible d’expliquer les observations
de Miller par l’influence de gradients de température internes au bâtiment dans lequel se trouvait
l’interféromètre, contrairement à ce qu’avait conclu l’article de R.S.Shankland publié en 1955 dans
une revue de tout premier plan, article dont le rôle a été déterminant dans l’enterrement des
travaux de Miller (et dont un examen attentif et le recoupement avec les autres informations
disponibles sur ces travaux confirme bien qu’il a été établi à partir de considérations totalement
biaisées).
Compte tenu de la structure de cet hodographe, il est en outre impossible de retenir, comme avait
cru pouvoir le faire Miller, que les variations de vitesse mesurées résultaient de la vitesse absolue de
la Terre: leur origine est certainement beaucoup plus complexe.
Pourquoi tous ces phénomènes ont-ils pu rester à peu
près ignorés ?
Toutes les expérimentations mentionnées ci-dessus datant d'un demi-siècle ou plus, c'est
évidemment la première question qui vient à l'esprit. En fait cela s'explique très bien par leur nature
même.
Il s’agit en effet de phénomènes qui, bien que plus de mille fois supérieurs aux corrections résultant
de la relativité générale, demeurent très petits (10-6 à 10-5 en valeur relative) et qui, soit ne se
manifestent que dans des circonstances exceptionnelles (éclipses), soit sont des perturbations à
caractère périodique de moyenne nulle. Ils sont donc en règle générale sans incidence notable sur les
applications pratiques des lois de l’optique et de la mécanique et, lorsque d’aventure ce n’est pas le
cas, ils ont toutes chances d’être considérés comme résultant d’artefacts divers : ils ne peuvent en
fait être réellement mis en évidence que par des expérimentations dédiées à leur recherche, et qui
plus est d'une nature tout particulièrement exigeante, car elles doivent être d'une durée suffisante,
suffisamment nombreuses, et répétées sur des durées suffisamment longues.
La suite donnée aux travaux de Maurice Allais, et les
travaux connexes.
• S’ils sont assurément très loin d’avoir eu à ce jour la suite qu’ils auraient méritée, les travaux de
Maurice Allais n’ont pas été pour autant oubliés, et sont l’objet d’un regain d’intérêt depuis une
dizaine d’années.
Certains scientifiques utilisent le suivi de la précession d’un pendule de Foucault comme outil de
recherche de phénomènes gravitationnels anormaux à l’occasion d’éclipses (fig. 5 par exemple), et
l’existence de tels phénomènes (qui ont d’ailleurs été appelés « l’effet Allais ») peut aujourd’hui être
considérée comme confirmée. Il semble bien en outre qu’on les retrouve aussi dans des alignements
de planètes (les éclipses ne sont qu’un alignement de corps célestes particulier).
LA JAUNE ET LA ROUGE * MAI 2011 (Article additionnel)
Page 7
A noter que d’autres anomalies ont été signalées à l’occasion d’éclipses (variations de la période d’un
pendule de torsion, variations de la mesure de g par certains types de gravimètres, modification de la
fréquence d’horloges atomiques…)
Par ailleurs la seule campagne d’observations de longue durée qui ait été menée à ce jour (grâce à
l’utilisation d’un pendule automatisé) a apparemment permis de retrouver les composantes
périodiques lunaires identifiées par Maurice Allais.
A ce jour aucune explication conventionnelle de tous ces phénomènes n’a toujours pu être donnée.
Fig.5
Les 2 pendules mis en œuvre, de caractéristiques mécaniques très proches, avaient été placés tous deux au
planétarium de Suceava (mais dans des pièces différentes). Chacun d’entre eux était relancé toutes les 12 mn
dans un azimut donné, qui restait le même tout au long de l’expérimentation, mais cet azimut n’était pas le
même pour les 2 pendules.
Extrait de “Correlated anomalous effects observed during the August 1st 2008 solar eclipse;Thomas J. Goodey,
Alexander F. Pugach, and Dimitrie Olenici; Journal of Advanced Research in Physics 1(2), 021007 (2010)”
• L’anisotropie de l’espace mécanique découverte par Maurice Allais pourrait bien jouer un rôle
dans ce qui est l’un des problèmes les plus irritants du moment : l’impossibilité de connaître à mieux
que 10-4 près la valeur de la constante de gravitation G (les fourchettes d’incertitude associées aux
différentes méthodes de mesure ne se recoupent pas).
LA JAUNE ET LA ROUGE * MAI 2011 (Article additionnel)
Page 8
La construction d’une théorie unitaire de la physique:
et si une voie nouvelle avait été ouverte ?
• Les travaux de Maurice Allais, qui aboutissent au constat que l’espace est anisotrope tant dans le
domaine de l’optique que dans celui de la mécanique (les anisotropies relevées étant liées à des
phénomènes astronomiques), et qui font de plus apparaître des connexions entre ces deux
domaines, s’inscrivent assurément dans cette construction.
De toute façon une théorie ayant l’ambition d’être unitaire devra pouvoir rendre compte des
phénomènes qu’il a découverts- et de tous ceux qui restent à découvrir en poursuivant ses travaux.
Il est en effet certain que des enseignements extraordinairement précieux seraient à tirer d’un suivi
continu, au moyen de pendules appropriés, de la « direction d’anisotropie de l’espace », sur
plusieurs années et en différents lieux, surtout si ce suivi était doublé d’observations optiques.
Les technologies aujourd’hui disponibles autorisent la conduite de telles expérimentations de façon
largement automatisée
• Depuis des décennies la construction d’une théorie unitaire- du moins est-ce ainsi que cela est
présenté- est axée sur la recherche d’une théorie englobant à la fois la mécanique quantique et la
théorie de la relativité (théories dont l’intérêt empirique actuel est assurément tout à fait certain),
et c’est dans ce cadre qu’un certain nombre de théories ont été proposées, les plus connues étant
celles qui font intervenir la notion mathématique de cordes.
Bien qu’ayant mobilisé des centaines de chercheurs parmi les plus brillants de la planète, cette
démarche semble bien aujourd’hui avoir conduit à une impasse : on pourra par exemple lire sur ce
sujet le remarquable ouvrage de Lee Smolin, « Rien ne va plus en physique ; l’échec de la théorie des
cordes ».
En effet, pour qu’une théorie nouvelle soit validée, on doit en revenir à l’expérience: il faut bien sûr
qu’elle soit compatible avec tous les faits expérimentaux connus, mais il faut en outre qu’elle
fournisse au moins une prédiction nouvelle concernant une expérience non encore réalisée, ou
l’explication d’un fait expérimental non explicable par les théories en vigueur, et cela n’a à ce jour été
le cas pour aucune des théories proposées.
Dans ce contexte on ne peut évidemment que souhaiter que les travaux de Maurice Allais soient
poursuivis en y consacrant enfin des moyens appropriés. Si les expérimentations à conduire, qui pour
apporter significativement des données nouvelles devraient pouvoir s’étaler sur plusieurs années et
être conduites en plusieurs lieux, sont assurément exigeantes en compétence, capacité
d'organisation et motivation, ces moyens demeurent en regard de leur enjeu modestes, et
technologiquement très accessibles : nulle nécessité de créer les conditions extrêmes que l'on
trouve dans un cyclotron, ou de pouvoir observer finement ce qui se passe dans de lointaines
galaxies.
LA JAUNE ET LA ROUGE * MAI 2011 (Article additionnel)
Page 9
P.56 Arts et lettres
27/04/11
14:49
Page 56
ARTS, LETTRES ET SCIENCES
MUSIQUE EN IMAGES
RÉCITAL RENÉE FLEMING À BERLIN
Puccini, Strauss, Dvorak...
Orchestre Philharmonique de Berlin, direction Ion Marin
1 DVD ou 1 Blu-ray Euroarts 2058074
■ Renée Fleming est une des plus
grandes chanteuses actuelles.
Américaine éclectique, qui n’hésite
pas à chanter du jazz ou de la comédie musicale (elle chante en langage
elfe dans Le Seigneur des anneaux),
elle est avant tout spécialiste des
répertoires straussien et mozartien.
Elle rappelle, par sa voix, sa pureté,
son timbre, et son répertoire, la
grande Elisabeth Schwarzkopf. Pour
ceux qui n’ont pas encore vu Le
Chevalier à la rose de Strauss, commenté ici en 2010 (1 DVD DECCA),
qu’elle irradiait de sa beauté, ce DVD
récital, qui existe aussi en Blu-ray
avec une image d’une inimaginable
perfection, sera une excellente introduction.
Le programme tout d’abord est
superbe. À côté de trois tubes de
Puccini (Mimi, Liu, Lauretta), l’Air à
la lune de Rusalka de Dvorak, où elle
fait référence, puis du Korngold, du
Leoncavallo. Et surtout, toute la scène
finale de Capriccio de Strauss, un
sommet de l’opéra. Malgré la période
trouble de composition de cet opéra
(1942), Capriccio est considéré comme
une œuvre emblématique de Richard
Strauss : par son thème tout d’abord,
l’éternel débat autour de l’opéra sur
la préséance ou non de la musique
sur la parole (prima la parola, e più
la musica) , débat qui hante toute
l’approche opératique de Strauss,
débat bien futile à une époque où
l’Allemagne phare artistique et philosophique avait sombré dans l’horreur. Emblématique aussi par cette
dernière scène, où la soprano reste
en scène vingt minutes accompagnée d’une musique sublime, pour
exprimer, comme à la fin du Chevalier
à la rose, sa nostalgie d’une époque
révolue.
56
LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011
BRIDGE
Gaston Méjane (62)
Une erreur typographique a rendu incompréhensible l’énoncé du problème paru
dans le précédent numéro. Nous présentons toutes nos excuses aux lecteurs.
Nous reprenons le texte intégral.
ÉNONCÉ
Une donne de DN2 par quatre. Vous jouez
6♣ en Sud, entame 7♠.
NORD
SUD
♠ A R 4 2
♠ 6
♥ D V 9 8 7 2 ♥ A
♦ D 8
♦ A V 6 5 2
♣ A R V 9 6 5
♣ D
LES ENCHÈRES
N
E
S
1♥
3♥
4♥
6♣
L’interprétation de l’ensemble, on
s’en doute, est superlative. La voix
de la soprano est à la fois chaude et
brillante, et elle est très émouvante
et sensuelle. La prononciation est
bien sûr plus naturelle en allemand
qu’en italien, mais on retrouve chaque fois l’atmosphère différente de
chacun des opéras, la tragédie de
chacune des héroïnes. Enregistré en
plein air, à la Waldbühne, ce concert
est donc sonorisé. Cela permet à
Renée Fleming de ne jamais forcer sa
voix, de donner une impression de
facilité et de souvent à peine ouvrir
la bouche pour émettre les sons pourtant les plus émouvants.
Comme dans tout récital, les airs
sont alternés avec des morceaux
purement orchestraux qui permettent à la chanteuse de faire reposer
sa voix. Ici les pièces orchestrales ne
sont pas du tout des bouche-trous,
jugez plutôt : Une nuit sur le Mont
Chauve , l’ouverture de Rienzi de
Wagner, Roméo et Juliette de
Tchaïkovski. Et tout ça par le
Philharmonique de Berlin ! Le chef
2♠
–
–
–
3♣
4♦
5♦
–
O
–
–
–
–
Vous prenez l’entame de l’As, jouez
la Dame de ♣ puis ♥ pour l’As et
les atouts (le 10 quatrième en Ouest
qui a fourni le 10 de ♥ sur l’As).
Quel est votre plan de jeu ?
Solutions page 58
Ion Marin est excellent et très efficace, tout à fait au niveau musical de
la soliste.
Ajoutons un mot sur l’image, exceptionnelle, sans doute mon plus beau
disque de ce point de vue. Au-delà
de la réelle beauté de l’artiste, magnifiée par trois superbes robes de
soirée de couleurs différentes au
cours du récital, et de l’élégance du
lieu, scène d’été en plein air du
Philharmonique de Berlin, dont les
lumières changent tout au long du
spectacle qui débute avant la tombée de la nuit, la qualité de l’image
haute définition est proprement
impressionnante.
À tout point de vue, un Blu-ray de
démonstration. ■
Marc Darmon (83)
P.56 Arts et lettres
27/04/11
14:49
Page 57
RÉCRÉATIONS
SCIENTIFIQUES
MUSIQUES FRANÇAISES
Il n’est bon bec que de Paris.
FRANÇOIS VILLON, Le Testament
■ Villon, poète et truand, dédie sa
Ballade aux femmes de Paris et ne
dit rien de la musique de la France
d’alors qui, il est vrai, n’avait pas
encore connu au XVe siècle les raffinements de la Renaissance et des
époques à venir. Mais au diable la
diplomatie et vive le chauvinisme : y
a-t-il, depuis Rameau et Couperin,
musique à la fois plus subtile, plus
légère et plus jubilatoire que la musique française? Et si Mozart, toujours
subtil, est souvent léger et jubilatoire, n’est-ce pas à Paris plus qu’à
Vienne qu’il le doit ?
Poulenc, Fauré, Debussy
Quelle musique est plus jolie que celle
de Poulenc, véritable musique de printemps? Les bonnes âmes de la musique contemporaine font la fine bouche devant ce compositeur raffiné et
mondain mais rien moins qu’intellectuel, qui vise le plaisir avant toute
chose. Et notre regretté camarade
Claude Helffer, superbe pianiste, refusa
de jouer le Concerto pour deux pianos salle Pleyel pour le bicentenaire
de l’X : vous savez, nous dit-il, que
Poulenc n’est pas ma tasse de thé.
C’est précisément ce même concerto
qu’ont enregistré Jos Van Immerseel
et Claire Chevallier avec l’Anima Eterna
Brugge 1. Ce n’est pas un concerto
très orthodoxe, avec des thèmes échappés du music-hall, des citations de
Stravinski, des réminiscences de
Mozart, mais c’est sans doute le plus
joyeux et le plus joli que l’on puisse
entendre. La Suite française, qui figure
sur le même disque, écrite pour bois,
cuivres, clavecin et percussions, est un
hommage à la musique française du
XVIe siècle. Le Concert champêtre pour
clavecin et orchestre, créé en 1929
par Wanda Landowska, est un clin
d’œil au XVIIIe siècle et une petite merveille de légèreté. « Ce concerto », a
dit Poulenc, « est champêtre selon
Diderot et Rousseau ». L’andante est
une des plus jolies choses que Poulenc
ait écrites.
C’est encore Poulenc qui ouvre le disque récent Impressions françaises
de la grande – et belle – flûtiste Juliette
Hurel avec sa Sonate pour flûte et
piano, jouée avec la pianiste Hélène
Couvert 2 : musique fine de plaisir
pur, à la fois virtuose et sensuelle, et que
vous chantonnerez longtemps après
l’avoir entendue.
Elle est rigoureusement dans
la ligne de la
Sonate pour flûte, alto et harpe de
Debussy, qui lui est antérieure de cinquante ans et qui est formellement
plus exigeante. Enfin, des pièces de
moindres dimensions de Fauré, dont
la Sicilienne et une très belle et peu
connue Fantaisie pour flûte et piano,
et de Debussy, dont Syrinx, figurent
sur le même disque.
Rameau, Fonscolombe, Cavanna
Notre camarade Jean-Pierre Ferey
a enregistré il y a peu cinq Suites et
extraits de Suites de Rameau 3 .
L’originalité de son interprétation
tient à son choix du piano de préférence au clavecin –
un Fazioli au timbre d’une extraordinaire clarté dont
il joue comme
d’un clavecin,
sans jamais utiliser la pédale
1) DES CARRÉS DANS L’HYPERBOLE
Soit l’hyperbole d’équation 3x2 + x = 4y2
+ y. Montrer que x-y est un carré parfait en tout point à coordonnées entières (x, y) de cette hyperbole.
2) TÉTRAÈDRE EXCLU
On donne n points dans l’espace, sans
qu’il y en ait 4 dans le même plan.
Combien de segments au maximum
peut-on tracer en reliant certains de
ces points, sans former de tétraèdre,
c’est-à-dire sans qu’il existe 6 segments reliant deux à deux 4 des points
donnés ?
3) TÉTRAÈDRE À LA COUPE
Soit un tétraèdre quelconque ABCD.
Déterminer son intersection avec le
plan IJK, donné par les points I dans la
face ABC, J dans la face ACD et K dans
la face BCD.
Solutions page 58
AVIS À NOS LECTEURS
INTERNAUTES
Les récréations scientifiques sont
maintenant accessibles sur la version électronique de La Jaune et la
Rouge. Quant aux problèmes des
années antérieures, vous pouvez en
retrouver une bonne part sur le site
www.diophante.fr de notre camarade
Philippe Fondanaiche (63). Ces problèmes y sont reconnaissables,
parmi plus de mille autres, par leur
code à une lettre et 5 chiffres.
ARTS, LETTRES ET SCIENCES
DISCOGRAPHIE
Jean Moreau de Saint-Martin (56)
[email protected]
forte – et à son souci de jouer tous
les ornements, ce qui est rare au
piano. Le résultat est une musique
parfaitement déliée et enlevée, qui
rappelle les Sonates de Scarlatti.
On redécouvre Emmanuel de
Fonscolombe (1810-1875), aristocrate et musicien provençal, qui s’est
illustré par sa musique d’église, avec
un enregistrement de son allègre
Messe brève 4 pour quatre solistes
et orgue. Peu nous chaut qu’il ait été
l’arrière-grand-père de Saint-Exupéry.
En revanche, on apprécie sa musique carrée et bien construite, témoignage d’une époque où un homme
bien né, qui vivait de ses terres en
province, pouvait en même temps
LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011
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ARTS, LETTRES ET SCIENCES
être maître de chapelle dans une
église et consacrer une partie de son
temps à la composition.
On terminera par Bernard Cavanna,
compositeur français d’aujourd’hui,
dont la musique est présentée sur
un disque récent : Shanghai Concerto,
Trois strophes sur le nom de Patrice
Lumumba et Karl Koop Concert 5.
Décrire cette musique avec ses répétitions et ses emprunts est une
gageure. Le parti pris est de surprendre et de naviguer à la limite du canular : le titre exact de Karl Koop Concert
est Comédie pompière, sociale et
réaliste pour accordéon et orchestre . On se souvient que Satie luimême s’est ingénié à affecter à ses
pièces pour piano des titres provocateurs. Mais Cavanna est novateur,
et sa musique suffisamment légère
et subtile, voire parfois jubilatoire –
on pourrait dire une musique de khômiss – pour lui faire pardonner une
volonté apparente de choquer l’auditeur bourgeois. ■
Jean Salmona (56)
1. 1 CD ZIG ZAG.
2. 1 CD ZIG ZAG.
3. 1 CD SKARBO.
4. 1 CD VOL.
5. 1 CD AEON.
SOLUTIONS DES RÉCRÉATIONS SCIENTIFIQUES
1) DES CARRÉS DANS L’HYPERBOLE
L’équation de l’hyperbole s’écrit (8y + 1)2 = (12x + 1) (4x + 1).
Si x et y sont entiers avec x > 0, les facteurs du second membre 12x + 1
et 4x + 1, premiers entre eux, sont le produit de nombres premiers avec
des exposants pairs comme dans le premier membre ; ce sont donc
des carrés u2 et v2, avec uv = 8y + 1.
Alors 16 (x – y) = (12x + 1) + (4x + 1) – 2 (8y – 1) = (u – v)2, et x – y est aussi
un carré, sans qu’il soit besoin de discuter la relation u2 + 2 = 3v2.
Si x était entier négatif, on obtiendrait des facteurs – 12x – 1 et – 4x – 1
qui ne peuvent être carrés car multiples de 4 diminués de 1 ;
la branche d’hyperbole x < 0 n’a aucun point à coordonnées entières.
Les curieux verront qu’on peut exprimer u, v, x, y au moyen des polynômes
de Tchebychev Tk (2).
2) TÉTRAÈDRE EXCLU
Partageons les points en 3 ensembles disjoints ; joignons chaque point
à tous les points des ensembles dont il ne fait pas partie, sans le joindre
à aucun point du même ensemble.
Quelle que soit la façon dont on prendra 4 points, il y en aura au moins 2
dans un même ensemble (principe des tiroirs), et il manquera pour faire
un tétraèdre le segment qui devrait les joindre.
Soit q l’entier le plus voisin de n/3 : n = 3q + e avec e = – 1, 0 ou 1.
Avec trois ensembles de q, q et q + e points, on peut tracer 3q2 + 2qe =
(n2 – e2)/3 segments, soit la partie entière de n2/3.
Cette disposition est optimale, conformément à un théorème de Turan.
C’est vrai pour 4 points (supprimer un des 6 segments équivaut à constituer
3 ensembles de 1, 1 et 2 points). Si c’est vrai pour n points, ajoutons
un (n + 1) –ième point ; on formerait un tétraèdre si on le reliait à des points
dans les 3 ensembles ; on peut le relier aux points de 2 ensembles,
et l’annexer ainsi au 3e. On voit facilement qu’on maximise le nombre
de segments en rendant les 3 ensembles aussi égaux que possible.
3) TÉTRAÈDRE À LA COUPE
SOLUTIONS DU BRIDGE
Il faut espérer le Roi de ♦ en Ouest,
on joue ♦ vers la Dame, si Ouest
prend, on a gagné, sinon on tire
le Roi de ♠, puis Dame de ♥
sur laquelle on défausse un ♦,
Ouest en main ne peut que rejouer
♥ ou ♦. Un joueur seulement
a gagné ce contrat.
OUEST
♠ 7
♥ R
♦ R
♣ 10
5
10
10 9 7 3
7 4 3
EST
♠ D V 10 9 8 3
♥ 6 5 4 3
♦ 4
♣ 8 2
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LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011
Dans le plan ABC, AI coupe BC en M.
Dans le plan ACD, AJ coupe CD en N.
Le plan AMN contient I et J. Son intersection avec le plan BCD est la droite
MN, qui coupe la droite IJ en P.
Le point P est un point de l’intersection des plans BCD et IJK, le point K
en est un autre. Dans le plan BCD, la droite PK coupe CD en S, DB en T,
BC en U.
Dans le plan ABC, I et U sont des points du plan IJK, la droite IU coupe AC
en V et AB en X.
Dans le plan ACD, les points S, V et J sont des points du plan IJK, ils doivent
donc être alignés si la construction géométrique a été bien faite.
La droite SVJ coupe AD en W.
Avec S, T, U, V, W, X on a obtenu les intersections du plan IJK avec
les 6 arêtes du tétraèdre. Il faut ne garder que les points qui appartiennent
aux 6 segments AB, AC, AD, CD, DB, BC : il y en a 3 ou 4, et l’intersection
cherchée est un triangle ou un quadrilatère. Il reste à tracer les segments
qui joignent ces points pour obtenir cette intersection.
POST-SCRIPTUM À « PLAQUES HELLÈNES »
(LA JAUNE ET LA ROUGE DE MARS 2011)
Michel Dorrer (67) signale la référence sur Internet
http://fr.wikipedia.org/wiki/Plaque-d’immatriculation-grecque
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LA SCIENCE AU CŒUR
DE NOS VIES
Pr Maurice Tubiana
Paris – Éditions Odile Jacob 1 –
2010
On peut espérer que les polytechniciens gardent un intérêt pour la science
et la considèrent comme partie intégrante de la culture de l’honnête
homme. C’est à ceux qui ont ces
convictions en partage que
Maurice Tubiana s’adresse,
car si pour lui « la science
est au cœur de nos vies »,
ce n’est pas simplement
en tant que scientifique,
c’est aussi en tant que
citoyen. Maurice Tubiana
est le grand cancérologue
français, ancien élève de
Joliot-Curie, fondateur de
l’Institut de Villejuif, chercheur éminent et reconnu
au plan international. Il est
aussi connu pour ses positions courageuses, souvent à contre-courant,
concernant aussi bien les vrais combats comme la lutte contre le tabagisme ou pour la vaccination contre
l’hépatite, que les peurs irrationnelles comme les dangers de l’énergie
nucléaire, les risques hypothétiques
des OGM, les craintes des électrosensibles, et les absurdités ubuesques liées au principe de précaution.
Les amateurs de langue de bois n’y
trouveront pas leur compte : depuis
longtemps, Maurice Tubiana a décidé
d’appeler un chat un chat, et refuse
de déguiser la lâche indulgence pour
l’irrationnel des habits d’une tolérance mal comprise.
Il a écrit ce livre pour ses arrièrepetits-enfants, pour leur « expliquer
la science ». Et quoi de mieux pour
cela que des exemples ? Mais pas
question de se limiter à la médecine,
c’est de la démarche scientifique qu’il
veut leur parler. Avec un chapitre sur
la physique, un sur la biologie et la
médecine, c’est tout un panorama
non pas de ces disciplines, mais de
leur façon de fonctionner, qui ravit
le lecteur simplement curieux de
sciences. Ce n’est pas un livre «d’histoire des sciences », mais plutôt un
livre « d’histoires de science » qui
construit chez le lecteur une familiarité avec la démarche scientifique.
Le troisième chapitre est en fait la
justification profonde du livre, la
science au cœur de nos vies de
citoyens, le devoir de courage qui impose de défendre une rationalité scientifique en butte à toutes
les attaques complaisamment relayées par les faiseurs de mode. Alors un
« croisé de la science »
Maurice Tubiana? Non pas
dans ce que ce terme
pourrait avoir de fanatique, mais certainement
dans ce qu’il contient de
panache, d’élégance et de
dévouement à une noble cause. Vous
ressortirez de ce livre heureux d’avoir,
un moment dans vos vies, participé
à la science.
Yves Brechet (81)
1. 15, rue Soufflot, 75005 Paris.
www.odilejacob.fr
CYNIQUES & CIE
ARTS, LETTRES ET SCIENCES
LIVRES
Cie, est aussi une épopée, qui retrace
la journée mouvementée d’un patron
d’entreprise, nouvel Homme pressé
de notre époque. Avis de tempête lors
de son conseil d’administration :
Armand Blanc (le pseudonyme est si
transparent que nos
camarades les
plus chevronnés le
reconnaîtront sans
aucun mal),
le pape des
affaires, veut
la peau de
notre héros.
Vous découvrirez le récit
de cette journée – car, à la Boileau, l’auteur respecte l’unité de temps de la tragédie classique. C’est un monde
effectivement tragique, avec ses bassesses et ses faux-semblants, qu’il
nous décrit finement. Et son héros,
même mouillé jusqu’au cou dans ce
monde, trouve finalement grâce aux
yeux du lecteur par une certaine aura
de fidélité qui l’entoure : fidélité à sa
femme, à sa maîtresse attitrée, à un
camarade de promotion dans la difficulté, à un certain nombre de valeurs
qu’il cultive. Au-delà de la confrérie
polytechnicienne, au-delà des tours
de La Défense joliment représentées
en couverture, au-delà même du
monde de l’entreprise, c’est, comme
dans ses autres ouvrages, à une
réflexion sur les valeurs à laquelle
nous invite Gilles Cosson dans cette
brillante sotie.
Alexandre Moatti (78)
2. 54, rue des Saints-Pères, 75007 Paris.
Gilles Cosson (57)
Les Éditions de Paris 2 – Max Chaleil
– 2011
Gilles Cosson poursuit sa seconde
vie, celle d’écrivain prolixe et original
– une dizaine d’ouvrages depuis
quinze ans (signalons notamment
Éclats de vie, ainsi que Thulé : une
épopée au temps de la Renaissance ;
voir son site www.gillescosson.com).
Sa dernière livraison, Cyniques et
RECENSIONS
• Adresser à La Jaune et la Rouge,
5, rue Descartes, 75005 Paris,
un exemplaire du livre.
• Envoyer par courriel le texte
de la recension sous forme
d’un fichier Word à l’adresse :
[email protected]
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Rendez-vous au Point Gamma
Dossier réalisé par l’équipe du Point Gamma de la promo 2009,
avec l’aide de quelques anciens nostalgiques.
L
E POINT GAMMA fait partie des
événements majeurs de la
vie polytechnicienne durant
les deux années d’études sur le
campus de Palaiseau. Mais c’est
également tous les ans la plus
grande soirée étudiante de France,
avec cette année encore plus de
6 000 étudiants attendus le samedi
21 mai sur le campus de 19 h 30 à
5 heures du matin.
Le Point Gamma est donc un événement de grande ampleur qui
nécessite un travail en amont extrêmement important, entièrement effectué par les élèves au
sein du binet Point Gamma, l’un
des binets les plus emblématiques
de la vie polytechnicienne. C’est
une équipe de 30 polytechniciens
motivés qui travaille depuis octobre à l’organisation de cette soirée. Bien sûr, cette équipe soudée
est divisée en plusieurs cellules
qui ont chacune un rôle bien déterminé.
Ainsi, la cellule « Specto » est
chargée de la programmation musicale (que vous pourrez découvrir
sur la page suivante). Par ailleurs,
elle est en charge de toutes les
animations annexes qui sont proposées comme un saut à l’élastique, des autos tamponneuses, un
feu d’artifice et pour la première
fois cette année un Laser Game.
La cellule « Com » doit faire en
sorte que tous les étudiants de la
région parisienne entendent parler
du Point Gamma. Ses membres
sont responsables de l’impression
et de la distribution des affiches,
des partenariats publicitaires, du
site Internet entre autres. Ils sont
ceux qui doivent en faire le plus
avec le moins d’argent, mais leur
rôle est capital.
La cellule « Bars-Restos » est responsable du ravitaillement de tous
ces étudiants pendant la soirée.
Elle sera appuyée par près de
400 X de la promotion 2010 pour
servir dans les bars.
La cellule « Sécu » a la lourde responsabilité d’éviter tout déborde-
ment pendant la soirée et d’assurer la sécurité de tous. Chargés
du respect des normes incendie
et des dispositifs de sécurité, ses
membres sont très occupés.
La cellule « Technique » fait en
sorte de transformer le Grand Hall
en vraie discothèque et la Cour
Vaneau en concert de plein air.
La cellule « Défilé » s’occupe d’organiser un défilé de mode pendant la soirée et recrute les plus
belles Xettes et les plus beaux X
pour qu’ils se pavanent sur le podium installé dans le Grand Hall.
La cellule « Sponso » est chargée
de trouver les financements nécessaires pour à la fois maintenir
un prix d’entrée abordable et
conserver tout le caractère grandiose de cette soirée.
La cellule « Matos » supervise
l’installation de tout le matériel
non technique (tables, tentes…) et
la préparation des bars par les
X 2010. Elle met en place un défilé dans Paris (le 12 mai) auquel
participent les X 2010 nouvellement arrivés.
En effet, le Point Gamma marque
aussi le premier investissement
des X tout juste sortis de leur
stage militaire dans la vie de campus. Pour les membres du binet,
la soirée marquera la concrétisation d’un grand projet (plus de
300 000 € de budget) après beaucoup de pression dans le mois
précédant l’événement. C’est donc
l’un des rares binets qui permet
de travailler son sens de l’organisation et sa capacité de gestion
dans l’urgence tout en offrant la
possibilité de voir son projet, qui
a demandé tant d’investissement,
se concrétiser et satisfaire tous
les participants. ■
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■■
2011 n’aurait pu mieux commencer pour Martin Solveig, dans la lignée d’une année 2010 irrésistible. En effet,
son dernier single Hello, enregistré en collaboration avec l’artiste canadienne Dragonette, s’est déjà imposé
comme le plus grand succès de sa carrière en occupant depuis sa sortie les plus hautes places des charts en Europe et dans le monde.
On ne pouvait donc rêver meilleure entrée en matière pour son nouveau projet, Smash, que Martin envisage à la
fois comme un album et comme une Web-série, dont il a puisé l’inspiration dans l’attachant personnage de Richie Tenenbaum imaginé par Wes Anderson. Réalité et situations fantasques s’y entremêlent pour délivrer un message profondément sensible et poétique, loin des sentiers battus.
Et en matière de course, le DJ parisien n’a pas perdu de temps. Son nom résonne aujourd’hui comme une valeur
sûre de l’électro made in France. Trois albums couronnés de succès – dont le dernier, C’est la vie, a été sacré double disque d’or – et de nombreux hits internationaux (Rocking Music, Everybody, Rejection, etc.) lui ont valu
une reconnaissance globale et un statut d’artiste mérité. En une décennie, il a su s’imposer comme un incontournable des clubs et festivals internationaux et a conquis le cœur du public en semant son imaginaire décalé
dans le monde entier.
DJ Gregory, de son vrai nom
Grégory Darsa, est un DJ parisien
spécialisé dans la deep house
et la house.
En 2000, il devient l’un des
moteurs du projet Africanism,
aux côtés de Bob Sinclar.
En 2010, Il s’associe avec Martin
Solveig en participant à l’album
Smash. Il y apparaît comme
Lafaille, le manager de Martin
et fait les warm-up de toute
la tournée des Smash Party.
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SALM c’est une histoire d’audace,
d’envie, et surtout de contre-courant.
Celle de deux gamins à l’adolescence
rythmée comme une partition :
les semaines passées dans la joyeuse
cacophonie d’un conservatoire ; les
week-ends dansés en boîte de nuit.
En octobre 2006, après des années
passées à mûrir dans l’esprit des deux
amis, SomethingALaMode est né.
Le résultat ? Un premier album
« électro-cordes », fusion insolente
entre des univers qui se sont
longtemps cherchés et qui grâce à
SALM s’accordent enfin à merveille.
Originaire de Belgique,
Peter Luts est un DJ Producteur
aujourd'hui célèbre. Il écrit et
compose Love is the message
en 2005. En 2006 il sort son
premier single What a feeling
qui devient la musique favorite
des boîtes de nuit, surtout aux
États-Unis. C'est le début du
succès international pour Peter
Luts qui confirme en 2010 avec la
sortie d'un autre succès intitulé
The rain.
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POINT GAMMA
■■
Originaire de Belgique, Paul Van Haver a.k.a. Stromae – Maestro, en verlan – compose depuis 2005 mais
c'est en 2009 qu'il se fait remarquer du grand public avec le tube Alors on danse puis en 2010 avec son premier
album Cheese. Avec des influences comme Jacques Brel et le monde hip-hop en passant par l'Eurodance,
Stromae prodigue ses conseils acides et nous raconte sa vision de la vie avec un flow efficace sur fond électro.
Un album original, à l'image de son compositeur, qui vient d'être récompensé aux Victoires de la Musique 2011.
Killtronik est un groupe poprock-électro originaire de
Cannes, principalement influencé
par le glam rock, le rock et
l’électro-pop.
Après le Bus Palladium,
Le Réservoir et des premières
parties des Pony Pony Run Run,
Killtronik est un groupe
talentueux à découvrir sur scène
avec son pop-rock vintage,
ses lignes de guitare envoûtantes
et un son toujours aussi frais
et planant…
Housse de Racket c’est d’abord
deux copains d’enfance, Victor
et Pierre. Deux adolescents qui
se snobaient engagent la conversation sur Eddie Vedder et Kurt
Cobain. C’est le début d’une
grande histoire d’amitié.
Quelques années plus tard,
ils décident qu’eux aussi ont leur
mot à dire et veulent apporter
leur pierre à l’édifice de la French
touch (Daft Punk, Air…).
Après leur hit Oh Yeah tiré de leur
album Forty Love en 2008, ils
s’attaquent à un nouvel album
qui doit sortir courant 2011 sous
le label Kitsuné.
Stuck in the Sound est un groupe
parisien d’indie rock révélé en
2004 par les Inrockuptibles. C’est
en 2006 que tout commence avec
leur premier album Nevermind
The Living Dead, 10 000 albums
vendus et 200 concerts.
Stuck in the Sound fait maintenant partie des leaders du rock
indé en France. Une tournée avec
une centaine de dates a eu lieu en
2010.
Un concert des Stuck, c’est une
rafale d’énergie, un shoot d’adrénaline et un flot d’émotions
inoubliables.
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L’histoire d’une fête joyeuse
Le Point Gamma a pour origine la marotte d’un professeur d’astrophysique, lequel ne pouvait se passer
de mentionner, à chacun de ses cours, le « point gamma », qui est l’un des deux points d’intersection de
l’équateur et de l’écliptique. Le jour du 21 mars, le Soleil est dans le signe du Bélier : le point vernal est
alors désigné par la lettre grecque γ pour sa ressemblance avec l’animal du zodiaque.
■■
L’élève Émile Lemoine
(1860) eut l’idée de compenser les paroles soporifiques
du maître par une fête
joyeuse en l’honneur du
point gamma. Il s’agissait de
s’en rapporter à cette tradition antique du culte astral,
de faire comme « ces prêtres de la vieille Égypte qui
s’inspiraient du mouvement
des astres dans le règlement de leurs cérémonies
mystiques1 ».
Le Point Gamma est à sa
création une mascarade
d’inspiration païenne qui
succède au Bal burlesque
des «fruits secs», qui se déroula de 1831 à 1848, et célébrant le réveil de la nature.
À partir de 1875, la fête se
fait somptueuse par les déguisements, les décorations, les spectacles. Les frais occasionnés sont
tels que le Point Gamma est supprimé en 1880 par le ministre de la
Guerre, probablement aussi alarmé
de voir les élèves vaquer pendant
près de deux semaines à des occupations si peu scolaires.
La renaissance
Le Point Gamma renaît en 1919.
Mais la fête se veut bénéficiaire :
les gains réalisés sont reversés à
l’Action sociale de la Kès ou à des
organismes de bienfaisance externes comme la Croix-Rouge.
Les élèves sont impliqués immédiatement car il relève de leur responsabilité de monter les divers
restaurants et bars, marques tangi64
LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011
bles de leur esprit d’entreprise. En
effet, « l’intérêt du Point Gamma
est multiple : il permet à tous de
bricoler à l’École, de faire preuve
d’initiative, d’humour, de punch ; il
rassemble des gens qui sinon ne
se seraient pas ou peu connus ;
puis, durant le Point Gamma luimême, il règne une joyeuse atmosphère dans cette vieille boutique,
et ça n’est pas si désagréable. Bref,
cela consiste à redécouvrir la notion de fête, notion qui se perd et
à laquelle beaucoup de monde s’intéresse actuellement2 ».
tour Umbdenstock ; à la piscine, on peut assister à des
« attractions exceptionnelles » ; dans la cour de l’infi,
on pourra prendre une place
au « Salon de verdure ». Sur
le site actuel, on maintient
cette utilisation festive des locaux. Le programme du Point
Gamma de 1980 annonce que,
dans le Grand Hall, on pourra
manger libanais, dans le
Salon d’honneur, vietnamien.
Les élèves comptent ainsi attirer la clientèle par la variété
des traditions culinaires. Les
amphis accueillent, quant à
eux, divers spectacles. Le clou
de la soirée, c’est la soirée
Styx, que martèleront les
rythmes divers de rock’n roll,
de reggae, de new wave ou de
disco . Par le passé, on nommait
Styx les parties souterraines de
l’École où la Khômiss organisait ses
réunions secrètes ; aujourd’hui, les
Styx sont les soirées dansantes des
élèves. Autant dire que le Styx du
Point Gamma est un méga-Styx, venant couronner l’une des plus importantes fêtes étudiantes. Sinon la
plus importante ?
« Sans honte, nous pouvons nous
affirmer comme la plus grande fête
étudiante et comme la moins
chère3 ».
Extrait du Carva Déchaîné, mai 1994.
Cuisine et spectacle
En juin, cette fête donne à l’École
une organisation nouvelle de son
espace. En 1946, la Brasserie alsacienne occupe le sommet de la
1. Le Monde illustré, 12 avril 1879.
2. Journal des élèves, 11 février 1975.
3. Organisateurs du Point Gamma, 18 juin
1983.
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P OINT G AMMA
TÉMOIGNAGES
Remplir la caisse
■■
L’organisation du Point Gamma, en 1944, était de
la responsabilité de la Kès qui remplissait sa «caisse»
à cette occasion. Nos deux caissiers sont décédés.
Victor Rosset et moi-même avons pris le relais pour
maintenir la cohésion de la promo, mais nous n’avons
évidemment aucune archive. Dommage.
Michel Artaud (44)
Quand le Point Gamma faisait le printemps
■■
C’est en l’an 1805 que notre École a été installée
rue Descartes, sur la « Montagne Sainte-Geneviève ».
Le premier Point γ s’y est déroulé en 1862. Cette fête
marquait le passage de l’hiver au printemps, le 21 mars
(équinoxe de printemps). Les élèves étaient grimés et
travestis et formaient un long et bruyant monôme qui
parcourait les couloirs et les cours de l’École. C’était un
genre de carnaval, auquel ne participaient que les élèves et qui ne sortait pas de l’enceinte de l’École. Le
21 mars étant sous le signe du Bélier, cela explique
le choix du γ et de ses cornes. La fabrication des guirlandes et costumes, les essayages, les répétitions, les
préparatifs divers ont fini par nécessiter une période de
deux semaines durant lesquelles toutes les études
étaient suspendues, toutes les têtes étaient en délire.
L’autorité s’émut de la perte de temps et des lourdes
dépenses que cette fête occasionnait et le Ministre la
supprima en 1880. La tradition fut reprise en 1919 avec
interruption pendant la Deuxième Guerre mondiale,
de 1940 à 1947.
Mais pourquoi le Point γ, qui devrait marquer l’avènement du Printemps, le 21 mars, se déroule-t-il en mai?
Very superior old promotion
■■
Je ne sais si l’alcool a toujours droit de cité au Point Gamma. Il y a
cinquante ans et plus, il était de mise, approvisionné à prix d’amis auprès de camarades producteurs. Les excédents étaient stockés dans la
cave de la Kès et revendus au fil du temps aux camarades amateurs.
Notre casert avait jeté son dévolu sur un fort estimable cognac VSOP.
Attachée au goulot de la bouteille, une petite fiche permettait à chacun
de noter ses consommations ou celles qu’il offrait à ses camarades, le
prix étant ensuite partagé au prorata. L’offre d’une tournée générale
était monnaie courante et les bouteilles défilaient rapidement.
Notre casert formait l’ossature de l’équipe de football. Celle-ci se fit rapidement remarquer, tant par ses dribbles imprévisibles que par son
impuissance face aux buts adverses, dont le gardien paraissait curieusement dédoublé. L’épuisement des stocks vint à temps nous arrêter sur cette pente savonnée. Depuis, nous ne buvons plus que de
l’eau ferrugineuse.
Jean-Marc Chabanas (58)
66
LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011
André Luc (48)
P. 61 Point Gamma
28/04/11
15:55
Page 67
POINT GAMMA
TÉMOIGNAGES
Eurydice Express
■■
Le Styx, le vrai, se situe comme chacun sait dans les profondeurs de la Montagne Sainte-Geneviève. Le
grand problème est d’y accéder sans trop mépriser les consignes élémentaires de sécurité. Nous l’avons résolu
avec élégance en reliant le PK aux profondeurs infernales par un ravissant escalier en colimaçon qui étreint la
cheminée du chauffage. Celui-ci est suivi d’une voûte pseudo-romane destinée à faire oublier l’étroitesse du
boyau final où l’on ne peut, certes, pas regarder si son Eurydice est toujours là.
Yves Stierlé (65)
Dans les rues de Paris
D.R.
Jerôme Cabouat (77)
et Laurent Bourrelier (77)
D.R.
■■
Mieux qu’un long discours, voici quelques photos
du défilé que nous avons
avons réalisé dans les rues de
Paris pour assurer la promotion du Point Gamma.
Les grosses têtes
■■
Le Point Gamma en 1995… un rush incroyable pour dénicher des artistes, un départ à sec (comprenez :
des coups dans l’eau) pour se retrouver avec finalement trop de (grosses) têtes d’affiche (Charlélie Couture,
Bertignac, Dick Annegarn, JJ Johanson) et un gros challenge pour finir dans le vert ! Des heures de prévente et
d’affichage plus tard, la soirée commence dans le stress. Résultat : plus de 9 500 entrées, un record (à l’époque),
ce qui nous a permis de verser un léger excédent à Médecins sans frontières. Contrat rempli.
Martin Bustarret (95), trésorier du Point Gamma
Élastique facultatif pour les anciens
■■
Deux grues sont prévues cette année pour qu’un maximum de personnes puisse profiter du saut à l’élastique, attraction toujours très prisée. Baptême de Montgolfière et paint ball sont aussi au programme. Mais la
grande nouveauté concerne les anciens. Dans un souci de rassembler durant une soirée la promotion du Plateau
et toutes celles qui l’ont précédée, un Espace Prestige est créé, dans un lieu un peu à l’écart, au calme, réservé
aux VIP de la soirée et aux anciens élèves, une sorte de salon tranquille et feutré, avant de plonger dans la
pleine ambiance.
La Jaune et la Rouge, n° 545 (mai 1999)
LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011
67
P.70 Forum social
22/04/11
20:03
FORUM
Page 70
SOCIAL
PAR JEAN-MARC COURSIN
président de Quinquas Citoyens
L’envers du décor
Développer l‘emploi des plus
de 50 ans : un choix politique
Le sous-emploi des seniors constitue un désastre à la fois social
et économique. Le recul de l’âge de la retraite accentue la nécessité
de développer une autre politique et d’explorer de nouvelles pistes
pour y mettre fin. Les résultats obtenus dans des pays voisins
peuvent nous éclairer à condition de faire changer certaines
mentalités.
Un paradoxe français ?
La discrimination à l’emploi, dont sont
victimes les plus de 50 ans en France,
continue à produire ses effets économiques et sociaux désastreux. Privant le pays de quelque 800 000 actifs (Rapport du Conseil d’analyse
économique, n° 58), elle contribue à
creuser les déficits sociaux d’un montant évalué à plus de 10 milliards
d’euros par an.
Combien de quinquas qualifiés se
voient refuser un poste, au motif
aberrant qu’ils sont surqualifiés, à
un moment où, paraît-il, les entreprises font face à une pénurie de talents ? Les seniors encore en activité, quant à eux, font l’objet de
pressions sous des formes multiples pour les pousser à quitter leur
emploi.
Qualifications obsolètes, frein à la
productivité, coût trop élevé pour l’entreprise sont les arguments avancés,
a posteriori, pour justifier l’ostracisme
dont ils font l’objet.
Variable d’ajustement
De manière constante, les décisions politiques ont fait le choix
systématique d’un « chômage de
70
LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011
masse » qui pèse principalement
sur les jeunes et les seniors. Ces
deux tranches de la population servent, en fait, de variables d’ajustement pour sauvegarder l’emploi de
la grande majorité en poste.
À quand un débat public
sur la répartition du risque
de chômage et la rotation
du « stock » des chômeurs ?
En contrepartie, les salariés en poste
doivent accepter une intensification
du travail, dans des conditions qui
se dégradent ; ils doivent, aussi, se
contenter de niveaux de salaires très
modérés, dans un climat général de
précarité, entretenu par une sorte
de « chantage » au chômage et le
temps partiel subi : 25 % des salariés, soit plus de 6 millions, gagnent
moins de 750 euros par mois.
Confrontés aux mêmes défis, d’autres pays européens enregistrent des
résultats plus probants en matière
d’emploi des quinquas.
Les Quinquas Citoyens
Apr•s vingt-cinq ans d’expérience
en gestion financi•re et management dans des multinationales
et PME, j’ai vu, à 50 ans, les
portes de l’emploi se refermer.
Essuyant de multiples rejets
de candidature, je me suis dirigé
vers le conseil et la formation,
et spécialisé dans les techniques
de dynamisation des équipes
autour d’un projet collectif, grâce
aux apports de la biologie du
comportement et des neurosciences. J’ai créé en 2005,
Les Quinquas Citoyens,
Association de lutte contre
la discrimination à l’emploi
par l’âge et pour l’égalité des
droits à la retraite. Ses actions
visent à faire prendre conscience,
aux politiques et aux employeurs,
du gâchis que constitue le sousemploi des seniors, et des cožts,
financier, humain et social du
ch™mage de masse concentré
sur les jeunes et les seniors.
Elle fait entendre sa voix par le
biais d’Internet, de témoignages
dans la presse écrite, radio et
télévisuelle, de participations
aux assises parlementaires et
d’autres événements qui traitent
de l’emploi des seniors, ou encore
en organisant des rencontres
entre seniors et entreprises.
Faut-il alors croire à une fatalité
du sous-emploi des seniors en
France ? Avec un taux d’emploi des
seniors (55-64 ans) de 39 %, la
France se situe, en effet, nettement
P.70 Forum social
22/04/11
20:03
Page 71
On citera le cas éloquent de BMW :
anticipant le vieillissement de ses
salariés, cette entreprise a aménagé les postes de travail d’une
chaîne de production, en appliquant
les recommandations de ses employés seniors.
Pour un investissement modeste, la
productivité de la chaîne a augmenté
de 7 % en un an, et le taux d’absentéisme a chuté à 2 %. Transposer en
France ces bonnes pratiques impose
de faire évoluer les mentalités : une
politique économique différente, ayant
pour objectif le plein-emploi, comme
le préconisait Maurice Allais ; une
évolution qui rendrait à l’homme sa
dignité dans le processus économique, pour ne plus apparaître comme
un simple facteur de production ou
d’ajustement, et le travail comme une
simple marchandise. ■
Une simple formalité
Un million d’exclus
Ce décret aura peut-être un impact à
moyen terme, pour les salariés toujours en poste, mais aucun effet significatif sur les seniors exclus du
travail (actuellement près d’un million). Dans la dernière réforme des
retraites, le travail des seniors a très
peu été évoqué. Pour les quinquas
sans emploi, la réforme signifie une
prolongation de la durée de leur chômage, rémunéré ou non. On déplorera aussi l’absence de débat public
sur la répartition du risque du chômage et sur la rotation du « stock »
des chômeurs.
Travail soutenable
Ailleurs, en Europe, deux éléments
fondamentaux ont été pris en
compte : l’amélioration des conditions de travail, pour un « travail
soutenable », et la formation professionnelle continue tout au long
de la carrière, pour développer les
qualifications et capitaliser l’expérience. En Allemagne, le taux
d’emploi des seniors est passé audessus des 50 %, grâce à des politiques innovantes de gestion des
ressources humaines dans les entreprises.
Chien ou loup ?
« Un loup n’avait que les os et la peau. »
J’ai vite compris que je n’étais pas un
chien fait pour le collier et la chaîne, fûtelle dorée. Cela m’a coûté fort cher.
Parvenu, la cinquantaine approchant, sans
rien lâcher des valeurs un peu désuètes
qui sont les miennes, à un honnête poste
de direction générale dans une PME de
province, j’ai fait une grosse gaffe : j’ai
refusé d’être de ceux qui organisent la
misère chez nous en s’appuyant sur
l’indigence des plus misérables du monde,
détruisant les emplois et les existences ici
en s’appuyant sur l’esclavage ailleurs, au
nom du résultat financier, et même, sans
rire, du bonheur des peuples miséreux.
Depuis dix ans, toute ma sixième décade, « cancre, hère et pauvre diable,
dont la condition est de mourir de faim », je « pointe » donc chaque mois
comme demandeur d’emploi, discriminé aussi par l’âge. Peut-être un
record, en tout cas parmi les anciens de notre honorable École. Beaucoup
n’ont pas mon entêtement et profitent dès que possible des échappatoires
« offertes » pour quitter l’infamant statut : préretraite, dispense de
recherche, etc. Je ne m’y complais pas, mais c’est ma protestation contre ce
statut de variable d’ajustement, ma solidarité avec les 4 051 700 objets
statistiques recensés par les services « de l’emploi », 15 % de la population
active, une personne sur six. Et combien d’autres, parmi les vingt millions
restants, qui se savent directement menacés !
Seuls les gros « dogues, aussi puissants que beaux, gras, polis », bon
pedigree et supportant bien le collier, sont (presque) sûrs d’y échapper.
Au milieu de la décennie, quand je quêtais frénétiquement le Graal (l’emploi), je rencontrai dans le train un camarade de ma prépa, et de la promo
suivant la mienne, parvenu laborieusement à une direction régionale d’un
grand groupe nationalisé. Il allait prendre sa… retraite, avec 80 % d’un bon
salaire, et ne savait à quoi il allait occuper tout ce temps : voile, voyages.
J’espère que les excès de la chair n’abrégeront pas cette félicité bien
méritée ?
Mais « de tous vos repas je ne veux en aucune sorte », et de toute façon, je
n’ai plus le choix : chien ou loup, ces routes sont sans retour. Dans ma quête,
je suis tombé au milieu d’une bande d’irréductibles, au fin fond de la
Bretagne « porcine », qui souffre tant aujourd’hui. Lassés eux-mêmes d’être
traités en variables d’ajustement, ils se sont mis en tête de rendre leur
territoire autosuffisant en énergie, tous ensemble, avec leur vent, leur soleil,
leurs champs et leur bois, comme d’autres avant eux chez nos voisins
européens. Ils avaient besoin d’un ingénieur : je fis l’affaire, sacrifiant, sans
trop le choix, mes prétentions à un projet iconoclaste.
Et ça marche, mais ne le dites pas à EDF.
« Cela dit, maître Loup s’enfuit, et court encor. »
Marc Théry (71)
© MC CANN ERIKSON
Dans un décret récent, il est fait
obligation aux employeurs de mettre en place, à partir du 1er janvier
2010, des plans négociés en faveur
de l’emploi des seniors. Mais ce
texte ne comporte aucune sanction
véritable à l’encontre des employeurs qui discriminent par l’âge
(hormis une pénalité pour défaut
de signature des accords). Les entreprises ne voient, dans cette nouvelle mesure, qu’une simple formalité imposée par la loi. Ce texte
n’a pas déclenché de politique rénovée de gestion des ressources
humaines.
EXPRESSIONS
en dessous de la moyenne européenne, qui est de 45,6 %.
Les pays d’Europe du Nord ont anticipé le mouvement (Suède en
tête, avec un taux de 70 %). Chez
nous, le chantier de la réflexion sur
l’emploi des seniors reste donc ouvert, à la recherche de remèdes à
ce véritable gâchis de compétences inexploitées.
LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011
71
P.72 Castel
21/04/11
9:02
LIBRES
Page 72
PROPOS
PAR JEAN-PIERRE CASTEL (68)
Développement durable
ou dérive court termiste ?
Le passage de la « finance bancaire » à la « finance de marché » induit des arbitrages de plus en plus
rapides. L’effet de levier, la titrisation et autres subprimes diluent les risques à long terme.
Une communication financière trimestrielle, un reporting souvent hebdomadaire scandent le rythme
de notre industrie. Nos démocraties vivent en campagne électorale permanente.
72
■ Le décalage entre prises de décision «court termistes» et constantes de temps «réelles» alimente une
volatilité des prix. Dans le cas des
matières premières, celle-ci est aggravée par l’irruption de nouveaux
acteurs financiers sur les marchés.
Il n’y a pas si longtemps, les banques et les grandes familles restaient attachées à leurs entreprises,
et en confiaient les rênes à des managers stratèges. Aujourd’hui encore, quelques groupes familiaux,
comme Toyota ou Bosch, détonnent
par leur culture d’entreprise plus
soucieuse d’un développement partenarial à long terme avec l’ensemble de leurs stakeholders que d’une
satisfaction immédiate de leurs
seuls shareholders.
Les nouveaux acteurs de la «finance
de marché » conduisent le monde
avec une stratégie d’arbitrage de
plus en plus court termiste, dans
une relation de plus en plus « intermédiée », découplée du réel.
sont en interrelation, par exemple
la liquidité de l’économie, l’opacité
des marchés, voire encore l’accroissement des inégalités de revenus, illustré entre autres, par une
surchauffe dans les berlines de
luxe et une atonie sur les modèles
populaires.
Pour une approche systémique
Quelques questions
Les appels au développement durable contrastent de façon pathétique
avec l’accélération permanente dans
laquelle nous vivons. La dérive mêlant court termisme et anonymat est
certes souvent dénoncée, mais elle
s’impose à nous par une sorte de fatalité. Elle ne fait guère l’objet d’analyses qui permettraient de comprendre son origine, ses perspectives,
ses moteurs internes.
Il s’agit vraisemblablement d’une
évolution complexe, systémique, où
de nombreux facteurs de risques
Cette accélération, ce changement
dans la perception du temps sontils l’effet, ou la cause, des nouvelles
technologies de communication ?
Est-ce l’aversion du citoyen américain pour toute régulation administrée qui a favorisé la foi déraisonnable en l’efficience du marché d’un
Milton Friedman et d’un Ronald Reagan, ou l’inverse ?
La mondialisation doit-elle, par la
loi des grands nombres, freiner la
volatilité, ou l’accroître par la généralisation du mimétisme ?
LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011
La dérive court termiste
est souvent dénoncée,
rarement analysée
L’argument de la cupidité, habituellement avancé, ne fait que mettre en
évidence la pauvreté de l’analyse, la
nature humaine n’ayant sans doute
guère changé depuis Adam Smith.
Faute d’être capable de relier ces
dysfonctionnements multiples, la parole des hommes publics, politiques
ou économiques se contente d’émotion et d’incantation, comme si elle
émanait d’apprentis sorciers sans
prise sur la réalité.
Dans cet écheveau de causes,
d’effets et de feedbacks, la dérive
court termiste n’est-elle qu’un
symptôme parmi d’autres,
ou pourrait-elle être un fil
d’Ariane qui permettrait de
démêler la complexité de notre
monde, de mieux orienter
l’action ?
La montée de l’individualisme, de
l’incivilité, voire le développement de
la « prime à la casserole » de nos
hommes politiques sont-ils des
réactions inéluctables face à la taille
et à l’anonymat croissants de notre
village planétaire ?
Certes, l’opacité et la défiance se développent plus facilement que la
transparence et la confiance.
Appel à nos intellectuels
Aussi pourrait-on souhaiter que nos
intellectuels nous viennent en aide
pour déchiffrer la systémique d’un
monde accéléré, globalisé, composé
de sept milliards d’habitants individualistes mais fortement mimétiques, doté de systèmes de pouvoir
disparates, décentralisés, voire obscurs. Éclairer notre lanterne sur
l’origine du courant court termiste
qui nous entraîne pourrait être plus
utile que discourir sur un développement durable de plus en plus mythique. Expliquer l’origine de la volatilité et de l’opacité croissantes qui
raccourcissent notre horizon pourrait nourrir le dialogue entre les citoyens, les agents économiques et
les décideurs. ■
P.74 Focus
28/04/11
14:44
Page 74
F OCUS
Les deux ans du groupe X-Achats
PORTRAIT
François Renard (77), président du groupe X-Achats
« Les achats mènent au fond
des choses »
Le groupe X-Achats fête ses deux ans d’existence. Fort de quatre-vingt-dix membres, il organise tous
les trimestres un débat à la Maison des X suivi d’un dîner. Dans un secteur très spécialisé qui ne compte
qu’un faible pourcentage d’ingénieurs, François Renard, son président, se félicite d’avoir instauré
un climat d’échange très détendu, sans concurrence ni rôle à jouer.
■■
« Trouver des fournisseurs,
c’est facile. Établir une stratégie
d’achat, c’est tout autre chose. »
François Renard, président du
groupe X-Achats, veut promouvoir
cette fonction à la fois simple et
complexe. A priori non vitale, ni
même indispensable, la fonction
« Achats » apporte aux entreprises
qui ont fait le choix de l’organiser
des résultats performants pour des
objectifs ambitieux.
«La clé du succès, dit-il, est de savoir prendre du recul, rester
concret, passer du concept à la
mise en pratique. Là où le particulier achète un produit, l’entreprise
choisit un fournisseur. »
Nulle part ailleurs
Comment mieux progresser dans
la fonction « Achats » qu’en échangeant des expériences ?
C’est l’idée qui a présidé à la création du groupe X-Achats, il y a
maintenant deux ans.
« Je ne disposais que de deux outils, rappelle François Renard, l’Annuaire et polytechnique.org
« J’ai réussi à identifier environ
soixante-dix camarades impliqués
74
LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011
dans les achats (dont une quinzaine
s’est avérée par la suite avoir
changé de fonction) et je les ai
contactés par courriel pour organiser une première réunion, qui a
regroupé une vingtaine de personnes, en juillet 2009, à l’AX.
« Nous atteignons aujourd’hui un
régime de croisière, avec quatrevingt-dix membres.
« Il s’est instauré un bon climat
d’échange, détendu, que l’on ne
rencontre nulle part ailleurs dans
les groupes et les associations plus
officielles. Pas de rôle à jouer. Pas
de concurrence. »
Une rencontre par trimestre
La formule de fonctionnement du
groupe X-Achats est simple. Pas
de cotisation. Un débat tous les trimestres à la Maison des X à partir
de 18 heures, suivi d’un dîner facultatif. Seul le dîner éventuel est
payant (45 euros).
« L’annonce des rencontres, indique le Président, se fait simplement via le site du groupe sur polytechnique.org. Des thèmes sont
proposés et font l’objet d’un vote
sur Internet avant d’être retenus et
programmés de façon précise.
Les achats, c’est ça
« Pour beaucoup, estime François Renard, la fonction « Achats » se résume
à trouver un fournisseur et négocier les prix.
« Les achats, c’est pas ça.
« C’est faire travailler le fournisseur avec tous les membres de la société,
être une force de proposition et de recommandation. Laisser décider les
autres par rapport à nos recommandations.
« L’acheteur, le vrai, participe activement à formuler les besoins. Il est
capable de proposer de nouvelles solutions, que ce soit pour des produits,
des investissements ou des frais généraux. Il élabore des « stratégies
achats », s’assurant d’avoir les meilleurs fournisseurs adaptés aux
besoins de l’entreprise. Il identifie les innovations de demain et pilote
la performance des fournisseurs. »
P.74 Focus
28/04/11
14:44
Page 75
Président :
François Renard (77)
Vice-présidents :
Alain Héry (78)
et Gilles Drouard (75)
FOCUS
X-Achats
Secrétaire :
Jacques Bonnet (77)
5, rue Descartes, 75005 Paris
x-achats@x-achats.
polytechnique.org
Prochaines
rencontres
Gestion des risques fournisseurs
(6 juin 2011).
Achats de prestations intellectuelles (dernier trimestre 2011).
D.R.
Diagnostic et maturité
des organisations d’achats
(premier trimestre 2012).
Jeunes et moins jeunes
François Renard (77), 53 ans, marié, est père de quatre enfants.
Ceux-ci poursuivent des études scientifiques,
l’aîné est à l’X et le second à Centrale.
Joueur de golf, François Renard est également trésorier
d’un groupe de scouts.
Après de longues expériences dans plusieurs grands groupes
(Schlumberger, Vinci, Moulinex, Valeo), il s’est progressivement intéressé
à la fonction des achats, avant de se lancer à titre individuel
dans le conseil, il y a deux ans, créant sa propre société, SourcingConsult.
« Je refais du concret et redeviens créatif, se félicite-t-il,
hors des lourdes structures de management des grandes entreprises.
Je m’adapte aux petites entreprises autant qu’aux grands groupes.
« Je peux exercer ma curiosité, aller au fond des choses,
toujours m’appuyer sur le bon sens.
C’est une autre façon de vivre. »
« En deux ans ont ainsi été organisées huit rencontres.
Celles-ci ont eu pour thèmes : les
achats et la crise, organisation
achats, performance fournisseurs,
systèmes d'information achats, développement durable, achats en
pays low-cost, innovation et achats,
stratégie achats.
« Il est précisé que le débat est ouvert à tous et que le compte rendu,
rédigé par le Secrétaire, comprend
les présentations et est en accès
libre sur le site Internet.
Cette méthode permet à ceux qui
ont assisté au débat de diffuser l’information dans leurs équipes s’ils
le souhaitent.
« À sa création le groupe comptait
une quarantaine de membres.
« Les quatre-vingt dix membres
actuels, précise François Renard,
appartiennent principalement à la
tranche des promos 75 à 95, donc
ils sont en pleine activité.
« Nous avons aussi quelques retraités, qui viennent par intérêt
personnel.
« Mais nous comptons aussi des
jeunes encore à l’École et des corpsards des Mines en cours de formation complémentaire.
« Conformément aux souhaits de
l’AX, nous avons ouvert le groupe à
des non-polytechniciens. Ce sont
des « invités permanents » dont on
exige seulement une certaine représentativité, et qui peuvent
après un an devenir membres à
part entière. »
Propos recueillis
par Jean-Marc Chabanas
LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011
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P.74 Focus
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Page 76
F OCUS
Les deux ans du groupe X-Achats
TÉMOIGNAGES
Un exemple à suivre
Le groupe X- Achats, ouvert aux
participants non polytechniciens
quasiment depuis le début de son
existence, travaille avec son homologue d’HEC.
Jacques Bonnet (77)
Secrétaire du groupe X-Achats
D.R.
■■
Ayant travaillé pendant de nombreuses années dans différentes entreprises industrielles,
j’ai pu constater l’importance du rôle et de la
contribution des achats dans l’entreprise, mais
j’ai aussi pu constater le manque de reconnaissance de cette contribution par la majorité des
membres de l’entreprise (y compris parfois de
l’équipe dirigeante). La création d’un Groupe sur
le sujet me paraissait tellement importante que
j’ai immédiatement accepté d’y participer.
Je suis membre de plusieurs groupes polytechniciens et celui-ci me semble être un exemple
de ce qu’il faut faire. Il règne une excellente ambiance dans les réunions
qui sont organisées, les thèmes évoqués lors des réunions ont été choisis
par les membres du groupe X-Achats. Les présentations faites sont diffusées très rapidement après les réunions.
■■
Il faut souligner le rôle important du Bureau et surtout de son
Président dans l'animation de ce
groupe X-Achats et dans sa bonne
gouvernance.
Alain Héry (78)
Achat raisonné
que est l’aptitude à maintenir, entre ses
membres, des contacts de bons niveaux et
des échanges centrés sur les évolutions
stratégiques, managériales et opérationnelles du métier achats. Reconnaissons-le :
la création de cette Association est une
reconnaissance en soi pour la fonction
achats. Se rassembler autour de la fonction achats est un signe d’avancée notoire.
D.R.
■■
En tant que non-polytechnicien, j’ai eu la
joie d’être invité à une des premières sessions de l’Association X-Achats. Dès le départ, j’ai été frappé par le niveau d’échange
et de partage. Après deux ans, la dynamique est bien en marche. Les discussions
sont de haut niveau et l’échange est actif.
Cette Association a l’intelligence de fonctionner selon les modalités et l’esprit d’un club à dimension humaine, propices à un développement de
qualité de ses activités en réseau. Les réunions d’XAchats sont assez classiques. Ce qui est moins classi-
Olivier Wajnsztok,
vice-président de l’Association Achat d’HEC
Enseignement et partage
■■
À la sortie de l’X, et dans le cadre de ma formation du corps des Mines, j’ai effectué un stage d’un an
au département achat de Latécoère. Dans ce monde
passionnant, où l’expérience de la négociation et la
formation de réseaux sont des armes fondamentales,
j’ai trouvé dans le groupe X-Achats une occasion unique d’enseignement et de partage qui m’ont été fort
76
LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011
utiles. Je continue à assister aux
rencontres du groupe, convaincu
de l’importance structurante des
achats dans la recomposition
mondialisée du tissu industriel.
Geoffrey Bouquot (2005)
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