Le système de santé : un choix éthique ou un enjeu commercial ?

publicité
tribune
Le système de santé : un choix éthique
ou un enjeu commercial ?
Depuis plusieurs années, nous assistons à un peu plus l’arsenal des dispositions dis­
d’importants changements du mode de criminatoires à l’égard des plus défavori­
finan­cement de notre système de santé. sés et ouvrir la voie à une médecine à deux
Sous la pression des assureurs, de nouvelles vitesses. Après la «chasse au bon client»
dispositions entrent en vigueur, dont le ouverte par les assureurs, c’est au tour des
principe fondamental s’appuie sur l’élar­gis­ établissements et des réseaux de soins de
sement de la concurrence entre tous les pres­ choisir les bons «cas». Dans un tel système,
tataires sans distinction de leur mandat et/ou la prise en charge des plus démunis re­
viendra immanquablement aux hôpitaux
de leur statut privé ou public.
Présenté comme une véritable recette publics qui auront ainsi bien du mal à
miracle pour endiguer les coûts et réduire équilibrer leur budget.
Combien de temps encore pourront-ils
les primes d’assurance, force est de consta­
ter que ce beau principe n’a pas produit incarner les valeurs éthiques et altruistes
jusqu’ici les effets économi­
… Après la «chasse au bon client» ouverte
ques escomptés. Pire ! Non
contentes d’avoir échoué, nos
par les assureurs, c’est au tour des
autorités politiques «sous la
établissements et des réseaux de soins
coupe» du lobby des assu­
de choisir les bons «cas» …
reurs mettent maintenant gra­
vement en péril certains principes fonda­ d’un modèle en pleine dérive hypocrite et
mentaux de notre modèle de santé tels que mercantile ? Combien de temps encore nos
la confidentialité des données mé­di­cales, le libre élus réussiront-ils à nous faire croire que
choix du médecin et, plus grave encore, l’équité tous les citoyens seront logés à la même
enseigne ?
de traitement face à la maladie.
Par un tour de passe-passe digne des plus
Après l’activité ambulatoire, passé à un
régime de «forfait à la prestation», le sys­ viles complicités, les naïfs Helvètes sont
tème franchit aujourd’hui une nouvelle ainsi «invités» à financer tout à la fois les
étape avec l’introduction d’un mode de bénéfices du privé abandonné à la consommation
finan­cement des prestations hospitalières débridée d’une économie de marché, et à com­
en classe générale, basé sur un tarif forfai­ bler, par les contribuables, les déficits du service
taire par pathologie (DRG), applicable à public confiné aux tâches coûteuses, aux cas
tous les fournisseurs de prestations. A n’en «lourds» et mal assurés. Déliez vos bourses !
pas douter, avec cette nouvelle disposition, Il faudra beaucoup d’argent pour financer
notre système s’enfoncera encore un peu tout cela et enrichir nos chères assurances
plus dans le marasme économique dans qui n’auront bientôt de social que le nom.
Parallèlement, nos élus locaux débous­
lequel les assureurs, avec la complicité de
certains élus, s’évertuent à nous diriger, et solés n’auront d’autre rôle que de devoir
marquera une nouvelle étape dans cette résoudre une équation bien insoluble : com­
farce au goût amer pour le citoyen et pour ment donc veiller à la rationalité et à l’éco­
nomicité du système sans avoir les moyens
les patients qui en seront les otages.
Si le prix d’un traitement donné est de leur politique, avec des règles du jeu
conditionné par les moyens mis en œuvre, qui leur échappent et dont ils ne sont plus
ceux-ci dépendent fortement de l’état gé­ les maîtres ? Comment tenter une quelcon­
néral de santé du patient. Des maladies que «régulation» si celle-ci ne peut exercer
préexistantes rendent le traitement plus ses effets que sur le service public dont elle
complexe, et le risque de complications plus garde encore la maîtrise et que, parallèle­
élevé engendre un surcoût actuellement ment, sur l’autel sacro-saint de la libre en­
insuffisamment financé. Dans le mercanti­ treprise, se multiplient toutes sortes d’ins­
lisme concurrentiel vers lequel nous nous tituts et d’établissements confinés dans des
dirigeons, le réflexe de certains prestataires espaces financièrement porteurs et des ni­
sera de sélectionner les bons cas et offrir ches lucratives ?
Un des fleurons de notre société, qui fai­
ainsi une prestation à tarif forfaitaire ré­
duit. La loi sur le Managed Care du 17 juin sait notre fierté nationale entre les mains
prochain pourrait venir renforcer encore de responsables intègres est en passe de
devenir la honte de notre Helvétie décré­
pite. Ce qui a été patiemment construit au­
tour de notions humanistes de solidarité et
d’équité est maintenant perverti par l’ap­
plication d’une logique d’économie de mar­
ché, au centre duquel le patient devient
«client» et le médecin simple «prestataire»
de soins protocolés. A quelle triste réduc­
tion des genres assistons-nous et vers quel
témoignage inquiétant de la barbarie nos
sociétés mercantiles glissent-elles inexora­
blement !
Réveillez-vous braves concitoyens, «clients
potentiels» et futurs «consommateurs» de
prestations tarifées, le ver est dans le fruit !
Ne donnez plus à vos élus et aux assureurs
la corde qui servira à vous pendre, le sys­
tème commercial qu’on vous vend n’aura
rien d’économique et surtout rien à voir
avec celui que vous espériez pour vos sem­
blables !
Dr Philippe Saegesser
Chemin de la Veyre d’en Haut D6
1806 St-Légier
[email protected]
Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 13 juin 2012
43_36565.indd 1
1299
11.06.12 11:48
Téléchargement