Les embûches de l`impartition des activités logistiques

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Logistique & Management
Les embûches de l’impartition
des activités logistiques
Jean NOLLET,
Professeur titulaire,
Annie CHATEAUNEUF,
Étudiante à la M.Sc.,
Alain HALLEY,
Professeur agrégé
Service d’enseignement de la gestion des opérations et de la production,
École de Hautes Études Commerciales de Montréal
Au cours de la dernière décennie, de nombreuses entreprises se sont tournées vers
l’impartition des activités logistiques, y voyant une excellente opportunité de réaliser des économies substantielles et de favoriser un retour aux compétences centrales de l’organisation. Dans certains cas, cette stratégie fut couronnée de succès,
alors que dans plusieurs autres, elle marquait le début d’une longue suite d’ennuis.
Ces décisions d’impartition reposeraient dans bien des cas sur un ensemble de fausses prémisses considérées par les auteurs comme des sources probables d’échecs :
importance secondaire de la logistique, prestations de niveau supérieur systématiquement offertes par des tiers, décision d’impartition basée exclusivement sur une
expertise et des ressources internes, surévaluation de la contribution attendue des
fournisseurs privilégiés. L’analyse approfondie du discours et des erreurs commises
lors de la réflexion entourant cette décision nous a permis d’énoncer une suite de
questions et de recommandations destinées à guider la réflexion des décideurs.
Une stratégie logistique bien développée peut permettre d’accroître les bénéfices
découlant de l’impartition d’activités logistiques. Cette stratégie ne prend tout son
sens qu’au moment où les gestionnaires reconnaissent l’importance de la logistique
pour leur entreprise et qu’ils mettent à contribution l’expertise et les ressources des
partenaires.
Onze ans après sa parution, l’article : « The
Core Competence of the Corporation » de
Prahalad et Hamel (1990) continue d’influencer le monde de la gestion. Suggérant qu’une
organisation ne peut atteindre un niveau de
classe mondiale dans plus de cinq ou six compétences, cet article a poussé des milliers de
gestionnaires à externaliser des activités
jugées comme ne contribuant pas suffisamment à ces compétences distinctives.
Jusqu’à récemment, les gestionnaires se limitaient surtout à l’impartition1 d’activités per-
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çues comme secondaires, comme l’entretien,
la sécurité et les services de distribution alimentaire (Nollet et al., 2000). Après avoir
retiré des bénéfices de cette approche, plusieurs ont décidé de poursuivre dans cette voie
et d’externaliser des activités jugées plus
importantes.
Une telle orientation serait principalement
due à l’avancement dans le domaine des technologies de communication, à la hausse des
exigences des consommateurs, à la déréglementation des marchés mondiaux et à la
1 - On reconnaît généralement
la paternité du terme impartition
à P.-Y. Barreyre (1968). Traduit
en anglais par “outsourcing”,
nous retiendrons pour les
besoins de l’article le terme
externalisation.
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grande concurrence qui en découle (Sheffi,
1990). La gestion des systèmes informatiques
constitue l’une des premières activités importantes à avoir été imparties. Plusieurs gestionnaires se sont ensuite tournés
vers l’externalisation des activités logistiques,
car il semblait là aussi y avoir une opportunité
de faire des économies et de mettre l’accent
sur les compétences distinctives de l’organisation (Boyson et al, 1999). Pour certains,
cette démarche fut couronnée de succès ; par
contre, pour plusieurs, cette décision marquait
le début d’une longue suite d’ennuis.
d’erreurs, pourtant à la source de bien des
échecs. Cette constatation nous a donc amené
non seulement à examiner plusieurs publications, mais aussi des cas réels d’entreprises
ayant externalisé leurs services logistiques, ce
qui nous a conduit à l’identification de fausses
prémisses sur lesquelles reposent généralement ces décisions d’externalisation :
L’objectif de cet article est justement de comprendre l’origine de ces ennuis, à savoir pourquoi l’externalisation logistique ne permet
pas d’obtenir tous les bénéfices anticipés.
Dans la première partie de l’article, nous examinons les raisons qui expliquent les échecs
de certaines stratégies d’externalisation logistique. Dans cette optique, nous faisons également ressortir quelles sont les conséquences
pour les entreprises confrontées à de tels
échecs.
3. Les décisions concernant les activités logistiques doivent être prises à l’interne
seulement.
À partir de l’analyse et la réflexion ainsi introduite, nous proposons, dans la deuxième
partie de l’article, des recommandations afin
de permettre aux gestionnaires de mieux évaluer la portée de leurs décisions dans ce
domaine aux retombées financières importantes. Dans l’optique de l’élaboration de la stratégie logistique de l’entreprise, une suite de
questionnements est d’ailleurs proposée, afin
de guider le dirigeant dans son processus décisionnel.
L’externalisation logistique :
mythes et réalités
On a souvent attribué les échecs d’externalisation des activités logistiques à des objectifs
imprécis, à des attentes irréalisables, à du
sabotage par des gestionnaires de la firme qui
externalisait et qui étaient effrayés à l’idée de
perdre leur emploi, ainsi qu’à des faiblesses
dans les contrats liant les deux parties (Ackerman, 1996). Il apparaît que l’ensemble des raisons avancées pour expliquer ces déboires
découleraient d’un manque de planification/contrôle a posteriori de la décision
elle-même.
Nous croyons qu’à cette liste devraient s’ajouter les erreurs commises par les gestionnaires
lors de la réflexion précédant la décision
d’externaliser, ainsi que dans le processus
décisionnel entourant ce choix. Or, les écrits
semblent plutôt passer sous silence ce type
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1. La logistique a une importance secondaire.
2. La gestion des activités logistiques à l’externe est préférable.
4. Les fournisseurs privilégiés sont les plus
aptes à fournir une contribution élevée au
niveau de la logistique.
La logistique a une importance secondaire
La première erreur, probablement la plus
répandue, est de ne pas accorder à la gestion
des activités logistiques toute l’importance
qu’elle mérite. Comme le souligne Halley
(1999) dans une étude réalisée auprès d’un
grand donneur d’ordres du secteur du transport et des véhicules récréatifs et de ses fournisseurs de premier rang, il semble que la
logistique ait chez ceux-ci une importance
relativement faible. Il apparaît que dans bien
des cas, celle-ci provient d’une influence
externe, soit celle du donneur d’ordres ou
encore d’un prestataire logistique.
Certains voient la logistique comme une activité de niveau opérationnel, alors qu’elle peut,
lorsqu’exploitée judicieusement, jouer un
rôle important au niveau de la stratégie
concurrentielle de l’organisation et de la création de valeur. Dans la distribution, l’avantage
concurrentiel de Wal Mart par exemple ne
repose-t-il pas, entre autres, sur sa stratégie
logistique et son système de réapprovisionnement continu géré grâce à une plate-forme
Internet (CRPF : Continuous Replenishment
Program Forecasting)? Dans une étude réalisée auprès de 200 grandes entreprises canadiennes et américaines, Deloitte Consulting
(1999) souligne que 47 % des répondants
n’ont aucune stratégie formelle de gestion de
la chaîne logistique (incluant l’externalisation
et les relations avec les prestataires de services
logistiques ou 3PL).
Au sein de plusieurs entreprises où la logistique est considérée comme une activité
secondaire, les chefs de service sont responsables des aspects logistiques de leurs opéra-
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Figure 1 - Répercussions d’une saine gestion des activités logistiques
tions respectives. Généralement peu familiers
avec les notions fondamentales de la logistique, ces gestionnaires peuvent facilement
avoir tendance à mettre l’accent sur les économies de coûts pour leur service, aux dépens
des bienfaits globaux de l’intégration de la
chaîne logistique et de ses implications pour
chacun de ces services (Painter, 1994). Au
Québec, par exemple, 15% des grandes entreprises n’ont pas de département/organisation
logistique formelle ; respectivement 34% des
moyennes entreprises et 53 % des petites
entreprises se retrouvent également dans une
situation comparable (Roy, 2002).
Ce manque de coordination entre les services
est souvent extrêmement coûteux pour les
organisations. Intelligemment mise à profit, la
gestion des activités logistiques peut en effet
amener l’entreprise à accroître la qualité, à
obtenir de meilleurs prix, à réduire les stocks
et à répondre plus rapidement aux variations
dans la demande (voir figure 1). Un site web
configurant les commandes, l’intégration
automatisée des commandes au plan de production et leur transmission simultanée aux
fournisseurs ne sont que quelques exemples
d’outils et de systèmes permettant à une organisation d’atteindre ces résultats.
Au moment où ils constatent l’importance
d’une stratégie logistique cohérente et des
bénéfices qu’elle pourrait apporter à leur
organisation, les dirigeants tentent habituellement de trouver une solution afin de pallier les
faiblesses remarquées à ce niveau ; plusieurs
d’entre eux se tournent alors vers l’externalisation des activités logistiques, souvent
perçue comme salvatrice, ce qui est en soi une
seconde fausse prémisse.
La gestion des activités logistiques
à l’externe est préférable
L’externalisation de la gestion des activités
logistiques est devenue une voie très tentante
pour les entreprises désireuses de profiter des
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bienfaits d’une logistique stratégique. Très
souvent, lorsque les dirigeants réalisent enfin
l’importance de l’intégration de la chaîne
logistique, leur premier réflexe est d’en
confier la gestion à un prestataire de services
logistiques qui établira une stratégie opérationnelle (transport et distribution) et orchestrera, par le fait même, l’ensemble des
activités qui y sont reliées. Ce choix semble en
harmonie parfaite avec la position de Prahalad
et Hamel (1990) pour qui une entreprise
devrait se recentrer sur ses compétences centrales (maximum cinq ou six) et externaliser
systématiquement les autres activités (ce que
Porter définit comme des activités de soutien).
Cox (2001) abonde dans le même sens.
On prend souvent cette décision sans réfléchir
à toutes les conséquences qu’elle implique.
On trouve des centaines d’articles portant sur
les bienfaits de l’externalisation relatant les
succès remportés par plusieurs organisations
en ayant fait l’essai. Cependant, peu d’articles
mettent en évidence les problèmes de communication que l’externalisation a entraînés entre
les différents services d’une entreprise, les
délais de livraison ratés, les employés révoltés
par les coupures de postes, les gestionnaires
mis à pied après l’échec du projet ou encore
les poursuites qui s’éternisent après une rupture de contrat. Pourtant, tout cela est réel et
fréquent (Lacity et Hirschheim, 1993 ; Laabs,
1998). Ces situations surviennent entre autres
lorsqu’un dirigeant se lance dans un projet
d’externalisation – quel qu’il soit – sans en
comprendre toutes les implications et sans
évaluer convenablement la possibilité de
conserver la gestion des activités logistiques à
l’interne.
Confier la gestion de ces dernières à un tiers
rend les employés plus craintifs de perdre leur
emploi, une conséquence qu’entraîne souvent
ce type de projet (Elmuti et al, 1998). Cela
vient également placer un nouveau joueur sur
l’échiquier logistique, ce joueur évoluant
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entre le donneur d’ordres et ses fournisseurs.
Une toute nouvelle dynamique s’installe donc
et il peut être difficile de gérer cette nouvelle
situation.
De plus, les baisses de coûts – habituellement
le principal élément motivant une organisation
à externaliser (Bardi et Tracey, 1991; Lieb et
Randall, 1996 ; Daugherty, Stank et Rogers,
1996 ; Elmuti, Kathawala et Monipallil,
1998)–, ne sont pas toujours au rendez-vous.
Le contrat, souvent financièrement très alléchant, qui a convaincu un gestionnaire d’externaliser à un prestataire, peut révéler des
surprises. En effet, un grand nombre de dirigeants insatisfaits de leur expérience d’externalisation n’ont jamais vu les diminutions de
coûts tant promises (Sink et Langley, 1997).
Il est évident qu’un projet d’une telle complexité et comportant autant de risques ne doit
pas être pris à la légère. Conserver cette activité à l’interne – quitte à mieux en intégrer les
facettes – constitue une alternative qui devrait
être considérée avec tout autant de sérieux que
l’externalisation. Le gestionnaire doit être
persuadé du bien-fondé de sa décision, car une
fois le projet d’externalisation mis sur pied, il
lui sera très difficile de revenir en arrière, les
coûts de renonciation étant souvent très élevés. Qui plus est, toute stratégie d’externalisation doit faire l’objet d’une révision régulière,
du fait que les activités créatrices de valeur et
les compétences distinctives s’y rattachant
évoluent dans le temps au rythme des goûts et
des besoins des utilisateurs ou encore de
l’évolution technologique. Par exemple, suite
à certains problèmes rencontrés avec son fournisseur stratégique de composants électroniques Denso et du fait que ces systèmes
représentent désormais 30% (et même un peu
plus) d’un véhicule, Toyota a décidé il y a
quelques années de réintégrer à l’interne une
partie de la fabrication de ces systèmes.
Les décisions concernant les activités
logistiques doivent être prises à l’interne
seulement
Malgré tous ces risques et inconvénients,
l’externalisation des activités logistiques peut
quand même être une solution gagnante. Toutefois, une bonne préparation s’impose si on
veut éviter de commettre un autre type
d’erreurs : négliger d’impliquer ses partenaires dans les décisions importantes.
L’externalisation de la gestion des activités
logistiques a non seulement des implications
majeures pour le donneur d’ordres, mais aussi
pour ses fournisseurs, principalement pour
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ceux de première ligne. Certains de ces
fournisseurs sont appelés « fournisseurs privilégiés » (FP) et constituent l’une des catégories d’organisations avec lesquelles une
entreprise interagit. Les FP peuvent être définis comme des partenaires possédant une
capacité et des aptitudes supérieures pour
offrir au donneur d’ordres un produit et un service constamment renouvelés, d’une qualité
sans cesse rehaussée à un prix avantageux. La
collaboration qu’ils entretiennent avec le
donneur d’ordres est étroite et vise une coordination et une intégration accrues des compétences, en vue de créer des situations
gagnant-gagnant, tout en partageant les risques. Les FP constituent donc un maillon central de la chaîne logistique et il est évident que
des changements dans la chaîne auront nécessairement de grandes répercussions sur le
fonctionnement de leur organisation.
Fait surprenant, la majorité des décisions
d’externalisation sont prises par le donneur
d’ordres sans la moindre consultation de ses
partenaires (fournisseurs, sous-traitants, équipementiers). Les résultats des études (peu
nombreuses) ayant abordé ce sujet indiquent
que ces décisions sont prises d’une manière
très centralisée. À la limite, les entreprises
vont recourir à une firme de consultants, à un
distributeur ou à diverses sources d’informations comme la publicité des 3PL (Sink et
Langley, 1997 ; Boyson et al, 1999.
On constate ainsi que les FP prennent rarement part au processus de sélection du prestataire. L’entreprise qui externalise fait son
choix selon ses propres critères, qui ne tiennent pas nécessairement compte des considérations logistiques de ses partenaires (Halley
et Nollet, 2002). Le FP, qui a d’ores et déjà ses
habitudes au niveau de la logistique opérationnelle avec le donneur d’ordres, se voit
donc dans l’obligation d’évoluer selon de
nouvelles règles, établies par une firme
sous-traitante du donneur d’ordres et avec
laquelle il n’a peut-être jamais transigé et qui
ignore souvent tout des techniques développées par son organisation.
Une telle approche peut être à la source de
bien des problèmes. La nouvelle stratégie peut
forcer un fournisseur à revoir ses processus et
à les modifier d’une manière qui ne convient
pas à son entreprise, entraînant ainsi des pertes de productivité. À long terme, ces pertes
peuvent devenir non seulement très coûteuses
pour lui, mais aussi pour le donneur d’ordres.
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Les fournisseurs privilégiés sont les plus
aptes à fournir une contribution élevée au
niveau de la logistique
Afin d’éviter tous les désagréments qu’implique l’externalisation de la gestion des activités logistiques à un prestataire externe,
plusieurs organisations décident d’en confier
une partie à leurs FP. Les racines du terme
“impartition” étant les mots partage et
confiance, cette décision peut sembler des plus
logiques, puisque ces termes représentent également les principales caractéristiques d’une
relation unissant un donneur d’ordres et un FP.
Puisqu’ils offrent déjà une performance supérieure à plusieurs niveaux (Stuart, 1997),
qu’une bonne communication et un haut degré
de confiance sont installés entre les parties, on
peut être porté à croire qu’ils excelleront également au plan de la logistique. Comme le soulignent Christopher et Jüttner (2000), un
donneur d’ordres qui donne plus de contrats à
ses fournisseurs privilégiés et qui investit plus
d’énergies et de ressources dans ces relations
aura systématiquement tendance à avoir de
plus grandes attentes face à eux.
Les résultats d’une étude menée auprès de 50
fournisseurs d’une grande multinationale
canadienne viennent toutefois contredire cette
hypothèse pourtant fort logique (Halley, 2000).
Dans cette recherche, l’auteur a observé que les
FP contribuaient souvent moins que les autres
fournisseurs à l’intégration de la chaîne logistique du donneur d’ordres. Une définition des
besoins incomplète par ce dernier lors de la
sélection du FP pourrait expliquer un tel état de
faits. En effet, rien dans les écrits n’indique que
les capacités au niveau logistique comptent
pour beaucoup dans le processus de sélection
des fournisseurs de première ligne : on rechercherait plutôt des attributs au niveau de l’innovation, des coûts et de la qualité. Le FP, dont la
fonction est principalement centrée sur le produit (innovation, coûts et qualité), pourrait
donc être amené à développer ces capacités au
détriment de celles reliées à la gestion des flux
(la logistique).
vation au niveau de la logistique. Finalement,
la perception de l’importance limitée de ces
activités, ainsi que la faible quantité de ressources humaines et financières qui leur sont attribuées au sein de plusieurs organisations
seraient également à la source de leur sous-performance.
Il en ressort donc que les organisations qui
incluent leurs FP dans leur stratégie logistique
devraient soit réviser leur choix, soit tenter de
trouver certaines solutions qui contribueraient
à hausser la contribution logistique de leurs FP.
Recommandations
aux gestionnaires
La discussion sur les causes possibles de ces
quatre fausses prémisses et certaines de leurs
conséquences nous a permis de développer un
cadre décisionnel qui pourrait guider le dirigeant dans sa décision d’externalisation.
Puisque chaque organisation se caractérise par
différentes ressources, aptitudes et philosophies, il est évident qu’une stratégie logistique
individuelle sera de mise. Afin de déterminer
celle qui semble la plus adéquate pour son
organisation, le dirigeant peut cheminer par
une série d’interrogations (voir figure 2).
Réaliser l’importance de la logistique
La première étape de ce processus (étape 1 de
la figure) est de reconnaître que la logistique
Figure 2 - Cheminement suggéré dans la détermination
d’une stratégie logistique
D’autres facteurs pourraient être à l’origine de
la faible performance de certains FP au niveau
de la logistique. Le fait d’entretenir une relation à long terme avec un partenaire engendre
souvent un profond sentiment de sécurité et
même de dépendance face à ce dernier, ce qui
pourrait causer, pour certaines entreprises, de
l’inertie au plan logistique. D’autre part, le
contrôle qu’effectue le donneur d’ordres sur les
activités de ses partenaires de première ligne
limiterait leur créativité et leur capacité d’inno-
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est une activité importante pour toute entreprise et que la négliger implique de renoncer à
un avantage concurrentiel potentiel. Comme
le soulignent de plus en plus de grands donneurs d’ordres dans les industries de l’automobile et de l’aéronautique, la conception, le
développement et la fabrication (le manufacturing) sont désormais des acquis en ce qui a
trait à la prestation attendue des sous-traitants.
Il faut désormais que ceux-ci soient également
aptes à générer une performance logistique,
soit une capacité à gérer étroitement les
cycles, à raccourcir les délais de livraisons, à
réagir rapidement et à faire preuve de beaucoup de flexibilité.
Pour ce faire, le gestionnaire doit tout d’abord
déterminer si son organisation a les ressources
nécessaires à l’élaboration d’une stratégie
logistique correspondant à ses besoins et faire
en sorte que celle-ci s’adapte aux caractéristiques de chacun des services. Cela se traduit
habituellement par l’ajout de compétences
logistiques au niveau de la direction (à tout le
moins s’assurer que certains dirigeants aient
une vision logistique développée), par un soutien financier (acquisition de nouvelles technologies logistiques ou de systèmes d’aide à la
prise de décision) et par l’implication des dirigeants des divers services de l’entreprise dans
les activités menant à l’élaboration de la stratégie logistique en tant que telle (fonction ou
direction logistique, restructuration et regroupement de toutes les opérations physiques
sous une même unité logistique, etc.).
C’est alors que débute le processus décisionnel menant réellement à la mise sur pied de la
stratégie. Le dirigeant a la responsabilité de
fixer des objectifs globaux et d’établir les
grandes lignes de ses différents projets logistiques (stratégie de production, segmentation et
politique de service à la clientèle, partenariat
et nature des ententes, stratégie de distribution, etc.). C’est souvent le moment que choisit le gestionnaire pour se tourner vers
l’externalisation, croyant cette solution plus
simple, plus efficace et surtout, plus économique qu’un réaménagement de certaines
structures de l’organisation.
Définir si la logistique doit être conservée à
l’interne ou non
Quoique des entreprises aient réduit leurs
coûts suite à l’externalisation de leurs activités logistiques, cette stratégie ne convient pas
à toutes. Il est nécessaire d’évaluer s’il ne
serait pas préférable de conserver cette
activité à l’interne (étape 2). En effet, qu’un
prestataire soumette une proposition plus allé-
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chante financièrement que celle bâtie par
l’équipe interne (si une telle proposition de
l’interne existe) n’implique pas qu’il faille
absolument se lancer dans cette voie. Il est
d’abord important de se demander pourquoi
leur proposition semble meilleure. Peut-on en
faire autant (Lacity et Hirchheim, 1993)?
Il faut tenir compte des réponses à ces questions ainsi que des conséquences – difficultés
accrues de coordination, coûts de transaction
qui en découlent, besoin de rehausser la
compatibilité et la qualité des systèmes, investissements nécessaires, etc. – de la décentralisation qu’implique l’externalisation et du
suivi nécessaire qui en résulte afin de s’assurer de la conformité de la prestation, avant
d’opter pour conserver à l’interne ou non. En
d’autres mots, les gestionnaires ne doivent pas
se laisser aveugler par les économies que laissent miroiter les futurs sous-traitants, puisque
celles-ci ne sont généralement basées que sur
les coûts de production (en intégrant parfois
ceux de livraison). Qui plus est, une part significative des économies proposées sont le
résultat d’économies d’échelle auxquelles les
donneurs d’ordres peuvent eux-mêmes directement accéder.
Choisir le prestataire en incluant
les fournisseurs privilégiés
Deux conclusions peuvent ressortir de cet
examen : il peut sembler préférable pour
l’entreprise d’externaliser la gestion de ses
activités logistiques, ou encore de conserver
celles-ci à l’interne. Dans l’éventualité où
l’externalisation serait la solution qui
convienne le mieux à son organisation, le gestionnaire peut commencer à rechercher un
prestataire à qui confier la gestion de ses activités (étape 3.1). Nous croyons essentiel
d’inclure les FP dans ce processus, afin de
trouver un prestataire pouvant répondre non
seulement à ses critères, mais également aux
leurs. Une participation aux décisions, en plus
de leur procurer un certain sentiment de valorisation et de leur permettre de mieux comprendre les enjeux, les motivera à s’investir
plus intensément dans la nouvelle relation, ce
qui accroît les chances de succès. De plus, le
fait de tenir compte des systèmes logistiques
des partenaires déjà en place fera en sorte de
réduire les risques inhérents à une nouvelle
chaîne logistique, tout en simplifiant au maximum les opérations reliées à la chaîne physique (réception, manutention, entreposage,
consolidation, etc.). Si le nouveau système
tient compte des installations et systèmes de
tous et qu’il est conçu en conséquence, les
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chances de réussite sont meilleures. Par la
suite, ce sera à chacune des parties de faire
preuve de patience, de respect et même
d’indulgence, afin de rendre ces nouvelles
relations les plus harmonieuses possible.
Veut-on confier certaines activités à nos
fournisseurs privilégiés ?
Il est possible que le gestionnaire découvre
qu’il soit plus avantageux de conserver la gestion de certaines activités logistiques à
l’interne. Il est toutefois peu fréquent qu’une
organisation soit en mesure de prendre en
charge l’aspect opérationnel de toutes les
tâches logistiques. Par exemple, une entreprise peut gérer sa propre distribution, mais
sous-traiter le transport à une firme spécialisée. Plusieurs organisations demandent à
leurs FP de gérer certaines activités au niveau
logistique (stocks en consignation, réapprovisionnement continu géré par le fournisseur,
VMI ou Vendor Management Inventory). Or,
le dirigeant devrait tout d’abord évaluer s’il
peut leur confier ces tâches (étape 3.2). Tel
que mentionné par Halley (2000), peu d’entre
eux sont en mesure d’offrir, à ce niveau, une
performance correspondant à ce qu’on attendrait normalement d’un fournisseur appelé
“privilégié”. Le gestionnaire doit donc s’assurer qu’ils possèdent les capacités requises,
avant de leur imposer cette nouvelle responsabilité.
Il existerait toutefois des moyens permettant
de hausser la contribution logistique de ces
fournisseurs. Le dirigeant qui désire inclure
les FP dans sa stratégie logistique pourrait
appliquer quatre principes fondamentaux afin
d’y arriver, soit :
• encourager les dirigeants de l’entreprise
partenaire à développer un intérêt face aux
services logistiques ;
• décentraliser les décisions et favoriser l’autonomie des fournisseurs, ce qui réduira le
sentiment de sécurité du fournisseur et stimulera sa créativité ainsi que son sens de
l’innovation ;
• fournir un support technique et financier
aux fournisseurs privilégiés – et peut-être
même à d’autres fournisseurs – souhaitant
développer leur stratégie logistique ;
• redéfinir la stratégie d’approvisionnement
chez les partenaires, en y intégrant à la base
la recherche de qualité au niveau logistique.
Une telle approche pourrait permettre aux
donneurs d’ordres de pallier plusieurs des
lacunes remarquées chez les FP au niveau
logistique. Elle peut être intéressante pour les
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entreprises ayant déjà ce type de relations
avec leurs FP, en leur permettant de rehausser
la valeur de ce partenariat. Pour celles dont la
stratégie est en train d’être mise sur pied, il est
évidemment conseillé d’examiner différentes
alternatives, dont celle de faire appel à des firmes privées (en transport, entreposage etc.), à
ses fournisseurs actuels (privilégiés ou non),
ou encore de réorienter ses choix de partenaires en accordant une importance accrue au
volet logistique.
Conclusion
L’identification de ces quatre fausses prémisses et de leurs conséquences devrait amener
tout gestionnaire à réaliser que l’externalisation n’est pas la solution miracle qui résoudra
tous ses problèmes logistiques, mais plutôt
une stratégie parmi d’autres pouvant être utilisées pour soutenir la stratégie globale de
l’organisation. Un examen approfondi est
nécessaire pour établir une stratégie logistique efficace. Le cheminement présenté dans
cet article peut aider le dirigeant dans sa
démarche, lui permettant d’éviter de tomber
dans les pièges des réponses préfabriquées
tirées des histoires à succès de diverses organisations.
Nous espérons que nos propos soulèveront
plusieurs autres interrogations, auxquelles cet
article ne visait pas à répondre (par exemple :
Quel degré de responsabilité doit-on confier à
ses partenaires ? Jusqu’à quel point doit-on
intervenir dans les relations entre son prestataire de services logistiques et ses FP ?). Ce
sera au dirigeant d’y répondre en mettant tout
en œuvre afin de faire en sorte que les éléments de ses réponses s’harmonisent à ceux
de son environnement. Le jeu en vaut toutefois la chandelle. Dans un monde aussi
concurrentiel que celui dans lequel nous évoluons, il est essentiel qu’une entreprise se distingue de ses concurrents ; une stratégie
logistique bien développée peut fort bien faire
la différence.
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