LE REPOS DE SÉCURITÉ EST-IL SOUHAITABLE ? M. Dru, P. Bruge. Département d’anesthésie-réanimation chirurgicale-SAMU 94, Hôpital Henri Mondor, 94010 Créteil Cedex, France. Let us sleep and we may save our patients from an early grave - R..J. Asher [1]. INTRODUCTION On appelle repos de sécurité l’interruption d’activités survenant à l’issue d’une garde. Cette dernière correspond à une permanence médicale qui se définit comme la capacité d’accueillir et de soigner de jour et de nuit, 24 h/24, toutes les personnes dont l’état requiert les services de l’établissement de soins. L’activité de gardes et d’astreintes est source d’une réelle contrainte et pénibilité qui s’accentue avec l’âge. Tous les anesthésistes-réanimateurs hospitaliers y sont soumis, car il s’agit d’une des missions du service public hospitalier : la continuité des soins. Le repos de sécurité est statutaire depuis 1999 pour les praticiens hospitaliers [2] et plus récemment pour les internes et les résidents. L’idée du repos de sécurité est l’aboutissement logique d’une réflexion sur la population médicale vieillissante, sur l’augmentation des contentieux médicojuridiques et sur la qualité des soins prodigués. L’activité de gardes à laquelle le repos de sécurité est intimement lié, a des répercussions à la fois sur l’individu et sur le groupe, c’est-à-dire sur l’ensemble des anesthésistes-réanimateurs du service. 1. RETENTISSEMENT SUR L’INDIVIDU Le travail de nuit est une exigence répandue des sociétés contemporaines puisque on estime à 20 % la population de travailleurs des pays occidentaux concernée (un million de personnes en France). Les horaires de travail interfèrent plus ou moins largement avec une période normalement dévolue au sommeil, dans de nombreux domaines où les activités requérant un haut niveau d’attention et de vigilance ont remplacé les tâches physiques. L’adaptation à ce rythme est très variable selon les individus et est généralement bonne jusqu’à 35 ou 40 ans. En anesthésie ou plus généralement dans le domaine de l’urgence où technicité et vigilance sont nécessaires à toute heure du jour ou de la nuit, les médecins sont également soumis à ces contraintes. 312 MAPAR 2003 1.1. RAPPEL PHYSIOLOGIQUE Il existe une alternance entre la veille caractérisée par l’interaction de l’individu avec son environnement et le sommeil dans lequel cette interaction est réduite à son minimum. L’état de veille se divise en 2 stades : l’éveil et la somnolence (stade 1 du sommeil). Le sommeil est rythmé comme une horloge. Il survient régulièrement à 2 périodes au cours des 24 h : la nuit et entre 13 h 00 et 15 h 00. Le sommeil comprend le sommeil orthodoxe (stade 2 et le sommeil lent profond regroupant les stades 3 et 4) et le sommeil paradoxal. Plus simplement, on peut également distinguer le sommeil lent (stades 1, 2, 3, 4) du sommeil paradoxal. Ainsi, dans la séquence normale de l’installation du sommeil, le stade orthodoxe fait suite à un bref stade 1 durant en moyenne 4 à 5 min. Le stade paradoxal apparaît pour la première fois au bout de 60 à 100 min de sommeil chez le sujet normal et se reproduit 4 à 5 fois dans la nuit, chacun de ces épisodes étant séparé du précédent par une portion de 50 à 80 min de sommeil orthodoxe. Chaque épisode de sommeil paradoxal clôture un cycle de sommeil. La chronobiologie qui étudie les horaires des processus biologiques et l’effet-temps sur leurs fonctions est une aide précieuse pour l’analyse des phénomènes veillesommeil. L’organisme humain est soumis à une régulation circadienne d’origine endogène impliquant une liaison privilégiée du rythme veille/sommeil avec le cycle naturel jour-nuit. La température ambiante et la température corporelle interfèrent avec les différents stades du sommeil via la thermorégulation sous contrôle hypothalamique. En situation d’alternance jour/nuit, ce système circadien est synchronisé sur 24 h par les synchroniseurs (Zeitgebers). En dehors de l’alternance lumière/obscurité, on relève de nombreux synchroniseurs (rythmes hormonaux, variations de température, bruit, facteurs situationnels…) dont tous les mécanismes sont loin d’être élucidés. Des anomalies de synchronisation telles que les retards et avances de phase ou l’absence de synchronisation sur 24 h peuvent dépendre de facteurs extrinsèques (décalage horaire, travail posté) ou intrinsèques (cécité, pathologies neurologiques). Des détails supplémentaires sur la description des grapho-éléments du sommeil, des stades et de leur organisation peuvent être retrouvés dans des ouvrages spécialisés [3]. Le sommeil est un besoin physiologique quotidien indispensable pour notre survie. A 50 ans (âge moyen d’un praticien hospitalier en anesthésie-réanimation en France), vous avez dormi pendant 16,5 ans ! De façon globale, le vieillissement amène à une désorganisation progressive du rythme veille/sommeil. Le sommeil d’une traite alternant avec une période d’éveil sans somnolence fait place, surtout à partir de 50 ans, à un schéma plus fragmenté (éveils entrecoupant le sommeil, chutes du niveau d’éveil et besoin de sieste). Pour tout individu, un sommeil de mauvaise qualité se traduit le jour suivant par une fatigue qui s’exprime de façon variable. Après une nuit blanche, certains individus se sentent, le matin, très fatigués sans avoir envie de se coucher (effet circadien). De nombreux travaux sur la répercussion du manque de sommeil ont été conduits dans des branches professionnelles diverses conduisant parfois à des modifications de la législation. 1.2. ÉTUDES PHYSIOPATHOLOGIQUES Dans les jours qui suivent un décalage de plusieurs fuseaux horaires (≥ 3 h), une perturbation de la qualité de l’éveil et des difficultés de sommeil sont fréquemment notés. Ce dysfonctionnement du rythme veille/sommeil traduit l’incapacité du système circadien à être en harmonie avec les nouveaux synchroniseurs. Il est en avance ou en retard, selon la direction du vol, par rapport à eux. On parle alors de désynchronisation externe. Les différents rythmes biologiques s’ajustent plus ou moins rapidement, corrigeant une désynchronisation, elle, interne. En reprenant la littérature, dans le domaine de Session professionnelle 313 l’aviation, de l’énergie nucléaire, des transports routiers et du sport, A. Heins et B. Euerle ont trouvé des résultats identiques : les mesures de performance se détériorent avec le manque de sommeil et le travail de nuit [4]. Les pilotes d’avion représentent une population d’étude intéressante, en matière de fatigue. Une étude des pilotes qui ont traversé 6 fuseaux horaires en vol, a montré que l’exécution des tâches simples est récupérée en 3 jours et les tâches plus complexes en plus de 5 jours [5]. Luna a analysé la performance et le travail posté chez les contrôleurs aériens. Il décrit une diminution de performance lors du travail de nuit mais, donne des résultats équivoques sur l’incidence des erreurs commises [6]. Les études menées dans l’industrie automobile ont montré que la majorité des accidents surviennent pendant ou juste après une nuit de travail [7]. Le travail de Mitler et al. indique que les chauffeurs de poids lourds comptabilisent moins d’heures de sommeil (4,78 h) que nécessaire pour être vigilant au travail, entraînant inattention et augmentation du taux d’erreurs [8]. Le minimum requis pour maintenir une vigilance et des fonctions cognitives acceptables est estimé à 5 h [9]. Aux Etats-Unis, la majorité des études de la population médicale sur le manque de sommeil ont été menées chez les médecins en voie de formation ou juniors (résidents et internes). On y distingue un profil : les résidents tolèrent d’autant mieux les gardes qu’ils sont jeunes, « du soir », ont une capacité à surmonter un état de somnolence, qu’ils peuvent dormir n’importe quand et qu’ils n’ont pas d’enfant [10]. Les médecins urgentistes sont devenus aux USA, l’objet de nombreuses études, du fait de la vigilance soutenue nécessaire à leur pratique et de leurs horaires de travail. Dans un article plus ancien, Smith-Coggins et al. avaient mis en évidence une augmentation du temps d’intubation de mannequins, chez des urgentistes confirmés, après une garde de 24 h [11]. Selon Harrison et al., les médecins sont moins aptes à raisonner après 36 h sans sommeil [12]. Ces conclusions coïncident avec celles de l’étude de Taffindor et coll. [13] montrant que les chirurgiens éveillés toute la nuit font plus d’erreurs et opèrent moins vite que ceux qui ont eu une nuit complète de repos, étude corroborée par le très récent travail prospectif de Grantcharov [14]. G. Kuhn a retrouvé, chez les médecins, des résultats similaires avec un traitement des informations altéré par le manque de sommeil, entraînant une augmentation du temps de réponse, plus lors d’activités prolongées ou continues que lors de tâches brèves [15]. Les conséquences du manque de sommeil ne sont pas différentes dans notre spécialité ; plus la tâche est complexe dans la conduite de l’anesthésie, plus la mémoire s’altère et plus oublis et défauts de vigilance surviennent [16]. Environ 41 % des anesthésistes en formation ont avoué des erreurs due à la fatigue [17]. Une étude néo-zélandaise récente, menée chez les médecins anesthésistes juniors et seniors, rapportait un nombre croissant d’erreurs médicales liées à la fatigue dès que l’impliqué avait dépassé sa propre limite de sécurité, différente pour chaque individu, en matière d’heures de travail [18]. Plus étonnantes, en revanche, sont les conclusions d’une étude de Dawson et Reid : la performance psychomotrice d’un individu après 24 h de veille est la même que celle d’un individu avec une alcoolémie à 1 g.L-1 [19]. Les résultats de cette étude sont recoupés par ceux d’une étude plus récente comparant l’effet du manque de sommeil sur, entre autres, les réactions, la réalisation des tâches, le raisonnement, la mémoire. Trente-neuf mêmes volontaires ont été testés après 28 h d’éveil et après consommation croissante d’alcool. Un comportement similaire a été retrouvé chez les participants lorsqu’ils n’avaient pas dormi depuis 17 à 19 h et lorsqu’ils atteignaient une alcoolémie de 0,5 g.L-1, de même après 18 à 20 h d’éveil et sous l’influence d’une alcoolémie à 1 g.L-1 [20]. Nous avons étudié, chez des médecins seniors, le retentissement de la garde sur le sommeil et l’activité de jour, pendant une période de 15 jours comprenant au moins 3 gardes, en utilisant des actimètres [21]. Il s’agit de moniteurs miniaturisés conçus pour être 314 MAPAR 2003 portés au poignet non dominant et détectant en continu les accélérations liées aux mouvements, grâce à des capteurs de type piézolélectrique, puis stockées sous forme numérisée. L’actimétrie, méthode validée pour l’identification des périodes veille-sommeil [22], présente une excellente corrélation avec l’EEG pour la détermination de l’endormissement, du réveil et de la durée du sommeil [23]. Parallèlement à cet enregistrement, les médecins tenaient chaque jour, un agenda veille-sommeil dans lequel ils évaluaient la qualité de leurs journées et de leurs nuits. En garde, nos résultats montraient une réduction importante du sommeil, ce qui était attendu, avec une durée moyenne de 4 h et 37 min (68 %) mais surtout de qualité médiocre objectivement et subjectivement. Comme Gaba et coll., nous avons relevé qu’au cours d’une garde, même lorsque le sommeil n’était pas interrompu par le service, il apparaissait souvent limité et surtout fragmenté [24]. L’augmentation du sommeil la nuit suivant la garde est limitée à 20 min en moyenne par rapport à une nuit normale, sans amélioration probante de sa qualité. Lorsque le jour post-garde est un jour de travail habituel, l’activité motrice est réduite seulement dans la soirée, probablement car fatigue et somnolence sont masquées, au cours de la journée, par la demande de travail. Les résultats de l’étude de Stepanski et coll. ont montré que la fragmentation du sommeil a une incidence sur la somnolence diurne, même en l’absence de raccourcissement de la durée totale du sommeil [25]. Un niveau donné de vigilance peut être maintenu, si nécessaire, en dépit d’une somnolence mais le « coût » est élevé comme le suggèrent Clodoré et coll. [26]. Le phénomène est à rapprocher des sportifs de haut niveau qui puisent dans leurs réserves personnelles l’énergie pour atteindre le niveau requis, même fatigués… En revanche, lorsque que la garde est suivie d’un repos, la somnolence et la fatigue sont démasquées, à travers des épisodes plus longs et plus fréquents d’hypoactivité motrice et un niveau plus bas d’activités à partir de midi, en concordance avec les travaux de Mitler [27]. Du point de vue chronobiologique, être réveillé et actif la nuit interfère avec 2 processus de régulation du cycle veille-sommeil chez les médecins de garde : l’allongement de la période d’éveil et la réduction du sommeil d’une part, le coucher retardé d’autre part. Nos résultats montrent que leur cycle repos-activité reste synchronisé au cycle lumière-obscurité, comme chez les sujets témoins normaux. La perturbation répétée du cycle jour-nuit (travail-sommeil) semble retentir sur la stabilité du rythme activité-repos sans pour autant la désynchroniser. Pour Dinges [28], il est prouvé que de nombreuses personnes ne s’adaptent pas biologiquement au travail de nuit et que, même parmi celles qui le tolèrent bien, l’insertion ponctuelle de période de travail nocturne dans un travail de jour demande une adaptation allant jusqu’à 3 jours. Pour Minors et Waterhouse [29], une période de quatre heures de sommeil la nuit, appelée « anchor sleep » (sommeil de fond) est suffisante pour maintenir la synchronisation des 24 h de la température du corps, ce qui peut expliquer nos résultats. Du point de vue subjectif, tous les paramètres (qualité de la journée, irritabilité, somnolence, difficultés de concentration, fatigue et humeur) étaient altérés le lendemain de la garde. La mauvaise qualité de la nuit de garde comme le montre l’agenda veille-sommeil, coïncide avec les données recueillies chez les ingénieurs d’astreinte qui s’attendent à être réveillés [30]. Le deuxième jour post-garde, malgré une nuit de récupération, la fatigue est toujours présente et humeur et concentration toujours ébranlées. Ces effets négatifs persistants suggèrent une récupération incomplète comme montré ci-dessus. Le retour à des fonctions cognitives n’est normalisé qu’après 2 nuits de récupération. Notre étude souligne l’importance d’un repos post-garde suffisant pour sauvegarder la sécurité des patients mais également la santé des médecins. L’instauration de ce repos requiert la mise en place d’une organisation au sein des services. Session professionnelle 315 2. RETENTISSEMENT SUR LE GROUPE Le repos au lendemain d’une garde est une préoccupation qui intéresse la pratique médicale dans plusieurs pays. La médecine française est une branche dans laquelle il existe un risque pour la sécurité de la population et qui, contrairement à l’aviation civile ou aux transports routiers, ne possède pas de réglementation précise, en matière de durée de travail quotidienne. En revanche, un certain nombre de textes parus récemment offre des perspectives, pour l’organisation des services à activités continues. 2.1. RÉGLEMENTATION ACTUELLE Elle est différente selon les pays. Les médecins ont toujours été en retard sur les autres professions à risque en matière de législation. Néanmoins, la lutte médicale dans les pays industrialisés sur la durée du temps de travail se conclut souvent par une modification de la réglementation, tendant toujours à s’aligner sur les avancées acquises par les autres professions. 2.1.1. AUX ETATS-UNIS ET EN EUROPE La réglementation a changé à New York pour les internes, à la suite du décès d’une jeune femme de 18 ans. Elle avait été admise dans un hôpital universitaire de New York pour hyperthermie et est décédée peu après. Une erreur grave d’un interne de garde depuis 36 h avait été mise en avant (affaire Libby Zion, 1984). De ce fait, le Département de la Santé de New York a adopté en 1988 une nouvelle réglementation pour la sécurité et la protection des patients : pas plus de 24 h de travail consécutives, la garde ne devant pas excéder 12 h. L’Etat du New Jersey a modifié également sa réglementation depuis juin 2002, limitant la durée de travail des internes à 24 h consécutives et à 10 h de repos entre 2 gardes. Le 1er juillet 2003, date fatidique pour les internes et résidents, verra l’application de ces mesures édictées par le Congrès à l’ensemble des USA, accompagnées de sanctions juridiques aux hôpitaux qui les violeraient. En Europe, plusieurs pays ont adopté une réglementation en matière de durée médicale de travail à la suite de la parution de la directive du Conseil de l’Union Européenne relative à l’aménagement du temps de travail introduite en 1993 et amendée en 2000 [31]. La durée de travail y est limitée à 48 h par semaine, gardes comprises. La période de repos se décline non seulement en repos journalier, hebdomadaire et congés annuels mais également en repos suffisant : « le fait que les travailleurs disposent de périodes de repos régulières… suffisamment longues et continues pour éviter… qu’ils ne blessent d’autres personnes et qu’ils ne nuisent à leur santé, à court ou à plus long terme, par suite de la fatigue ou d’autres rythmes de travail irrégulier. » Libre aux pays de la communauté européenne de mettre en place une réglementation nationale développant de meilleures conditions de travail. Ainsi, en Finlande, en Italie ou en Allemagne, on rentre chez soi, le lendemain d’une garde. Au Royaume-Uni, un jour de congé supplémentaire est octroyé par garde, mais non pris nécessairement le lendemain. Tous les niveaux d’application de cette directive sont observés, selon les pays, mais un réel effort de mise en conformité est recherché dans toute l’Europe. 2.1.2. EN FRANCE De longue date, les anesthésistes-réanimateurs avaient pris l’habitude, dans de nombreux services, de s’octroyer un jour de congé hebdomadaire. Ce dernier est statutaire dans la mesure où les 10 demi-journées de travail sont accomplies dans la semaine. En fait, il ne pouvait s’agir que des semaines où le praticien effectuait une visite médicale au cours de 2 demi-journées, le samedi et/ou le dimanche. Rapidement, cette pratique s’est étendue aux praticiens qui participaient au service de garde, représentant une récupération 316 MAPAR 2003 ou le plus souvent une compensation. Le décret n° 99-563 du 6 juillet 1999 [2] a eu le mérite de rendre cette pratique réglementaire en introduisant la notion de repos de sécurité à l’issue de la garde. Un arrêté d’application du 14 septembre 2001 [32] en précise les modalités de mise en place. Son attribution procède du parcours du combattant : il est proposé par la commission médicale d’établissement, « sur avis de la commission des gardes… et après consultation des chefs de service ou de départements ». De plus, il n’est accordé que « pour une durée d’un an renouvelable après évaluation des activités concernées ». Il s’agit d’un repos de 11 h qui est, selon le type d’activités du service, caractérisé soit par une interruption totale de toute activité, prise immédiatement après chaque garde de nuit effectuée, soit par une interruption de toute activité clinique en contact avec le patient, prise immédiatement après chaque garde de nuit. Ainsi, on note, dès la définition, une inégalité selon le type de service dans lequel exerce le praticien, pour une garde de nuit effectuée à l’hôpital et à la demande de l’administration pour remplir ses missions de service public. De plus, une discrimination entre les différents types de praticiens est relevée puisque biologistes, anesthésistes-réanimateurs ou pharmaciens, soumis au même statut, ne bénéficient pas des mêmes droits. Cet arrêté est donc inique et d’application compliquée. Il a fallu attendre les tout récents décrets du 6 décembre 2002 [33] pour que soit intégrée la directive européenne sus-citée. Ce texte offre par ailleurs des possibilités d’organisation plus souples. 2.2. CONSÉQUENCES Le repos de sécurité apparaît donc comme une nécessité physiologique pour la santé du praticien qui participe au service de garde. Sa mise en place peut obliger à la modification de l’organisation de certains services. Actuellement, deux populations médicales se côtoient : celle qui bénéficie du repos de sécurité et celle qui n’en bénéficie pas, dans un contexte actuel particulier, celui de l’aménagement et la réduction du temps médical. Ces dispositions amènent à une réflexion sur la réorganisation des activités le jour comme la nuit. Le temps d’occupation des salles d’opération des hôpitaux publics est d’environ 40 % entre 8 h et 16 h, au moment où tout le personnel médical et paramédical est présent. Il suffit que soit élaboré le programme opératoire conjointement, comme le précise la circulaire du conseil de bloc opératoire, rappelant le décret n° 94-1050 du 5 décembre 1994 dit de sécurité. Ainsi l’utilisation des salles d’opération est rationalisée au cours de la journée. L’efficience des blocs opératoires, objectif prioritaire, paralysera la pratique du plateau technique de complaisance tout en générant du temps anesthésique. En ce qui concerne l’activité de nuit, il appartient à la commission des gardes et astreintes : • D’évaluer la nécessité du service de gardes, • De vérifier si le nombre requis de praticiens pour établir une liste de garde est satisfait, en s’appuyant sur quelques données réglementaires ; tous les praticiens à temps plein ou à temps partiel participent au service de gardes (en dehors des praticiens placés en mi-temps thérapeutique, à leur demande et ceux qui ont fait l’objet d’une décision d’exclusion) et un même praticien ne peut, sauf nécessité impérieuse de service et à titre exceptionnel, être mis dans l’obligation d’assurer plus de 4 gardes dont un dimanche ou un jour férié. Pour contourner ce que certains centres hospitaliers pensaient irréalisable, furent recruter des praticiens ne travaillant que la nuit. Cette expérience fut un échec. En dehors de la rupture sociale, les médecins se plaignaient du manque de communication (absence de prise en charge collégiale du patient, absence de participation à la politique du service...). Face au faible niveau d’activités de certaines structures, la nuit, dénoncé par l’enquête «3 jours en anesthésie», réalisée en 1996, il faudra parfois envisager une restructuration régionale des sites de gardes. Le but est un dimensionnement correct des listes de gardes Session professionnelle 317 (7 à 8 médecins pour constituer une liste de gardes) et un niveau adapté d’activités des sites de gardes. L’arrêté du 14 septembre 2001, dans son art. 3, d’ailleurs, permet, dans ce cadre, le regroupement des hôpitaux voisins. Le repos de sécurité participe donc à la réorganisation de l’hôpital public sur le concept simple de la pertinence et de l’efficience des sites opératoires et des listes de gardes. De plus, il remet en cause les dérives qui permettaient d’assurer l’attractivité d’un poste de praticien hospitalier dans certains hôpitaux (forfait mensuel de 10 gardes prises en astreinte, astreinte à domicile indemnisée sous forme de garde effectuée à l’hôpital… ) Tout comme l’équilibre de la gestion d’une unité peut être mis en cause par des médecins qui effectuent un nombre beaucoup plus important de gardes que leurs collègues. Certes, ils rendent service à la communauté quoique les uns réalisent le jour, le travail que les autres font la nuit ! Néanmoins, l’unité peut être pauvre en médecins anesthésistes-réanimateurs. Il est alors vivement conseillé aux amateurs de plus de 4 gardes, de les effectuer les vendredis, samedis et veilles de jours fériés. D’autres problèmes peuvent surgir du fait de la rigidité due à la mise en application du repos de sécurité. En effet, dans les établissements avec une activité médicale nocturne justifiant l’institution de plusieurs listes de gardes, ce sont plusieurs praticiens qui seront absents le jour suivant dès 8 h 30. Les décrets du 6 décembre 2002 introduisent une mesure nouvelle : «Par dérogation aux dispositions de l’alinéa précédent, il (le praticien) peut accomplir une durée de travail continue maximale de vingt-quatre heures. Dans ce cas, il bénéficie, immédiatement à l’issue de cette période, d’un repos d’une durée équivalente». Ainsi, après 24 h consécutives de travail, le repos est lui aussi de 24 h. Cet alinéa introduit plus de souplesse pour la gestion d’un service ; en effet, pour trois médecins de garde au cours de la même nuit, un praticien peut commencer à 8 h 00 et finir le lendemain à 8 h 00, tandis qu’un autre commence à 13 h 00 pour finir le lendemain à 13 h 00 et à 18 h 00 pour finir le lendemain après sa journée de travail à 18 h 00. Cette mesure est particulièrement intéressante pour les services d’anesthésie-réanimation, car l’activité chirurgicale se déroule généralement en grande partie le matin. Cette organisation permet un chevauchement des praticiens en réanimation ou dans les services d’urgence. A notre avis, cette forme de repos doit être privilégiée. CONCLUSION Avant l’ère du repos de sécurité, un praticien pouvait être amené à commencer son travail à 8 h 30 et finir le lendemain à 18 h 30, soit travailler pendant 34 heures, ce que n’assume aucune autre profession, en dehors de situation de guerre ou de plan ORSEC. Rappelons que les gardes sont imposées par le service public (continuité des soins) et relèvent : • De l’employeur (Directeur de l’hôpital), pour la proximité, • De la Région (Directeur de l’Agence Régionale d’Hospitalisation) pour un maillage sanitaire, • De l’Etat pour le service fourni à l’usager voire à la population en général. En conséquence, l’attribution d’un repos après une période de travail, de plus nocturne, semble une juste reconnaissance de la pénibilité de l’exercice des praticiens. Aujourd’hui, les médecins bénéficient d’un repos quotidien minimum de 11 h, mais par dérogation, ils peuvent être amenés à travailler jusqu’à 24 h consécutives avec, dans ces conditions, un repos immédiat d’une durée égale à la durée de travail. Il ne s’agit pas de facto d’un repos de sécurité, selon la définition réglementaire. Au terme de repos de sécurité, il faut préférer celui de repos suffisant. L’instauration d’un repos suffisant après la garde permet de garantir une sécurité sanitaire pour les patients et une équité sociale pour les prati- 318 MAPAR 2003 ciens. Même s’il est difficile à mettre en œuvre à certaines périodes de l’année (congés annuels), il doit demeurer un objectif prioritaire. La mise en application de ce repos, loin d’encourager les havres organisationnels développés par certains individualismes, impose l’entraide entre différents secteurs d’activités. Il ne faut pas sous-estimer, et particulièrement chez nos jeunes collègues, l’importance que peut revêtir ce repos. La situation démographique des spécialités à gardes trouve une de ses origines dans les conditions d’exercice des médecins. Le repos de sécurité a constitué une mesure d’attractivité à un moment où il n’était pas d’application obligatoire en France. En 2003, le repos suffisant est une composante d’une meilleure prise en charge du patient. Il procède, en effet, à l’amélioration de la qualité des soins ; un praticien qui sait qu’il pourra bénéficier d’un repos à l’issue de sa garde sera plus performant à la prise en charge rapide et souvent complexe du patient en urgence. Les établissements où le repos suffisant n’est pas instauré devraient être sanctionnés. Il représente une mesure sanitaire essentielle, qui devra être intégrée dans les critères d’accréditation des établissements. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES [1] Asher RAJ. The danger of going to bed. Br Med J 1947;2:967-968 [2] Art. 12 du décret n° 99-563 du 6 juillet 1999 modifiant le décret n° 84-131 du 24 février 1984 modifié portant statut des praticiens hospitaliers. (http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/Visu?cid=207850& indice=2&table=JORF&ligneDeb=1) [3] Gaillard JM. Le sommeil, ses mécanismes et ses troubles, Payot éditeurs, Lausanne, 322 p, 1990 ou encore Benoît O & Foret J. Le sommeil humain, éd. Masson, Paris, 211 p, 1995 [4] Heins A, Euerle B. Application of chronobiology to resident physician work scheduling. Ann Emerg Med. 2002; 39: 444-447 [5] Klein K, Bruner H, Gunther E. Psycholgical and physiological changes caused by desynchronisation following transzonal air travel. In: Colquhoun WP, eds. Aspects of Human Efficiency: Diurnal rhythm and loss of sleep. 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