proposition est en effet une structure affirmative qui s’appuie sur le verbe «[ être] » pour en confirmer la réalité, tandis que la seconde proposition joue sur l’opposition de deux verbes, le premier reprenant le dernier verbe de la phrase précédente, en un jeu interrogatif. Difficulté à définir !" La strophe suivante adopte un rythme haletant, voire chaotique, par la longueur de la phrase et son absence de coupure syntaxique, nous donnant l’impression d’une réflexion spontanée qui se trouble. Cette impression semble se confirmer par le réseau lexical figurant la difficulté de l’esprit à se recentrer « sur lui-même », tandis qu’apparaît cette « terreur » si difficilement transmissible à l’autre. Cette souffrance s’apparente dès lors à un masque sous lequel il convient de deviner une « vérité mouvante », insaisissable par sa complexité et sa volonté à ne pas se laisser appréhender. Ce mouvement ne semble dès lors renvoyer qu’à une impossible expression tant de la souffrance que de l’être même, puisque le vers se termine par cette interrogation douloureuse : « m’éloigne déjà des lignes à peine sèches ? » en un constat terrible de l’évanescence de l’homme même lorsqu’il s’évertue à se définir. L’écriture semble ainsi ne pouvoir fixer que pour un temps et de façon partielle l'homme, dans ce qu’il a de complexe et de trouble. Cette difficulté paraît remettre en cause l’écriture même. III. Une remise en cause de l’écriture ? Un constat d’impuissance !" Cette dernière se voit en effet remise en cause, marquée dès la strophe suivante par un blanc en son début et en sa fin, comme s’il s’agissait de représenter visuellement l'homme penché à sa table s’efforçant de comprendre pourquoi il écrit. En un chassé-croisé de sens et de sous-entendus, le poème entremêle les définitions et les acceptions, donnant la force d’un pluriel au mot « vérité » pour en signifier les multiples réalités et liant l’intime au collectif en un constat de nouveau d’impuissance : « de ce qui ne comprend pas ». Ce dernier vers, en reliant ainsi le « [quotidien] », à l’écriture, devient une dénonciation de la vérité par ce geste d’écrire, puisque ce qui apparaît comme un travail de longue haleine n’amène finalement qu’un résultat décevant « questions sans réponse », la question se notant au singulier, une seule suffirait à l’homme. Mais celui-ci reste, en définitive, celui « qui ne comprend pas » et ne comprendra pas. Le combat de l’écriture !" Le dernier mot de la strophe, isolé, reste en suspens dans le poème comme dans la tête de l'homme, « Celles, », la virgule se voulant la marque d’une réflexion qui s’interrompt mais ne se poursuit pas. Elle ne reprend en effet qu’après une pause marquée par un blanc et s’interroge sur les raisons possibles de cet échec. La « [maladresse] » devient une expression de l’intime qui se livre par l’écriture pour celui qui s’étonne « pourtant » de ne pas être compris. Le poème insiste sur l’idée d’exhiber son moi propre en un combat difficile de soi contre soi qui se prolonge en une définition du geste d’écrire : « les mots ne lèvent pas sans un long combat minant le réel ». L’écriture devient dès lors une bataille, un « long combat » qui passe par une violence retournée contre soi pour permettre aux mots de se « [lever] » enfin, sachant que la souffrance engendrée sera répercutée sur la vie « minant le réel ». L’écriture se noue ainsi comme une douleur infligée à soi-même qui ne permet pourtant qu’une approximative expression de cette souffrance. Le constat final du poème reste douloureux puisqu’il marque l’échec de cette lutte dans cette tentative de se ressaisir soi, comme pour constater qu’en définitive l’écriture n’aboutit qu’à se décrire, non à se définir. IV. Conclusion Au fil du poème, l’écriture se dessine comme ce qui permet de nommer mais également de suggérer, d’en appeler à la sensibilité du lecteur, de dire pour les autres à défaut de le faire pour soi. Montrer et cacher tout à la fois, ce qui appelle à être mis en mots et ce qui doit rester secret, paraît guider une poétique dont la force vient aussi de cette dichotomie. Mais l’expression reste conflictuelle, se nouant autour de la difficulté à dire, à donner la part de l’intime au collectif, remettant en cause cette propension même de l’écriture à permettre de révéler l’indicible. Que peut la poésie ? Combattre répond le poème et s’efforcer de continuer. Editeur : MemoPage.com SA © 2006 Auteur : Corinne Godmer Expert : Jacques Ménigoz L’impossibilité pour la souffrance d’être exprimée autrement que par des symboles rejoint, dès le début du poème, une interrogation sur le geste d’écrire. Ce dernier vient en effet se définir comme un « lieu clos » qui s’oppose à « l’espace ouvert » de la lecture, « ouvert à chacun » c'est-à-dire permettant à tous de lire ce qui se construit pourtant dans la solitude. Cette impression de livrer une intimité au monde se retrouve dans cette figuration de l’écriture en un « cela » énigmatique qui vient de nouveau prendre sens dans une interprétation plus personnelle. La fin du vers conforte ce retour sur soi en rappelant que ce qui est caché tend à vouloir le rester mais appuyant également l’idée d’une écriture qui se cache en se dévoilant. La fin de la strophe vient dès lors poser une conclusion partielle, en un rythme saccadé marqué par une succession de verbes. La première Se livrer à l’autre !" II. Difficile expression de la souffrance Rapport passionné à soi, lien à l’autre, souffrance et poésie manient les symboles, les figures énigmatiques et semblent indissociables l’une de l’autre. Est-ce à dire que le poète apparaît toujours comme une figure de la souffrance ? Probablement. Il en est au moins l’interprète idéal grâce son lien privilégié avec la langue. Il est aussi celui qui parvient à se servir de cette souffrance pour la changer en acte de création. Poème ici tourné vers la difficulté d’écrire, la souffrance apparaît comme masquée et représentée en même temps. Il serait donc intéressant d’étudier comment cette souffrance se voit mise en mots par ce jeu de cache-cache entre écriture et émotion, entre représentation et dissimulation. Il serait ainsi possible d’étudier, dans un premier temps, la difficile expression de la souffrance, puis dans un second temps, la possible remise en cause de l’écriture. I. Introduction Au-delà des cercles Benoît Conort