@L`Harmattan, 2006 ISBN: 2-296-00738

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@ L'Harmattan, 2006
ISBN: 2-296-00738-4
E~:9782296007383
INNOV ATIONS
Cahiers d'économie
de l'innovation
N°24
Croissance et
développement
Repères internationaux
Revuefondée en 1995
INNOVAL
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12
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(rédaction),Anne-Marie GORISSEet Jean-Claude RAIBAUT(international)
Laboratoire de Recherche sur l'Industrie et l'Innovation
Université du Littoral-Côte d'Opale
21, quai de la Citadelle 59140 DUNKERQUE
téléphone: 03.28.23.71.34/47 - email: [email protected]
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Les manuscrits doivent être envoyés en trois
exemplaires au responsable de la publication:
Sophie BOUTILLIER
17, rue Camille Dramart 93350 LE BOURGET
Prochains
numéros:
n025, Savoir et production
n °26, Développement
durable
n °27, Milieux innovateurs
LABORATOIRE
lm~nité
~.
du Uttom
RU
SOMMAIRE
ÉDITORIAL
Hassan ZAOUAL :
Développement, organisations
et territoire: une approche
Sud-Nord
Nathalie FERREIRA:
La
monnaie « sociale» : l'apport
théorique de P.J. Proudhon
[1809-1865] et l'expérience du
réseau global de troc en
Argentine
Vanessa CASADELLA,
MohamedBE~CENTLEMCANI
:
De l'applicabilité du Système
National d'Innovation dans les
Pays Moins Avancés
Jacques PERRAT : Division
spatiale du travail et nouvelles
organisations productives: des
territoires « segments» aux
territoires « modules »?
Christian AZAÏs : Travail et
régulations territoriales: une
lecture à partir d'expériences
française, italienne et
brésilienne
Emmanuelle
LEGRAND,
Arnaud DIEMER:
Du
processus d'intégration
européenne à la recherche du
progrès social
7
METHODOLOGIE
9
Géry LECAS : La
modélisation systémique:
outils méthodologiques pour
économiste
BIBLIOMETRIE
41
Godefroy KIZABA :
Revues scientifiques et 10
ans de recherche
francophone en
entrepreneunat
231
A PROPOS...
259
Pascal PETIT:
Croissance et richesse de nations
59
Par B. Laperche
Serge LATOUCHE:
L'invention
de l'économie
Par H. Zaoual
91
Bernard GUESNIER, André
JOYAL (textes réunis par) :
Le développement territoria~
Regards croisés sur la diversification
et les stratégies
Par S. Boutillier
115
Françoise HAY, Yunnan SHI
(sous la direction de) :
La montée enpuissance de
l'économie
131
chinoise
Par D. U zunidis
Christophe SCHMIIT
direction de) :
RECHERCHE
FONDAMENTALE
Vincent LAURE VAN
BAMBEKE : Des valeurs aux
prix absolus. Essai de théorie
économique rationnelle
199
(sous la
Université et entrepreneuriat, Une
relation en quête de sens
Par S. Boutillier
Dieter HILLAIRET
171
:
Sport et Innovation. Stratégies,
Techniques et Produits
Par D. U zunidis
Hassan ZAOUAL :
S ocioéconomie de la proximité,
global au local
organisations.
La fin des blouses
blanches et autres?
du
Eugène NYAMBAL,
Créer la
prospérité en Afrique. Dix cléspour
sortir de la pauvreté
Par S. Boutillier
Djilali BENAMRANE,
]AFFRE
François-Xavier
Bruno
VERSCHAVE
:
(coord.)
Bernard YANNOU,
Philippe
DESHA YES (éd.), Intelligence et
Innovation en Conception de
Produits et S ernces
Les Télécommunications, entre bien
public et marchandise
Par]. Kiambu
Franck-Dominique VNIEN
Le développement soutenable
Sébastien CHARLES,
:
Macroéconomie hétérodoxe. De
Kaldor à Minsky
Par B. Laperche
SELECTION
Collection « L'Esprit
économique»
Stefan ENGEL,
La nouvelle
organisation de la production
internationale. Crépuscule des
((
Dieux sur le nouvel ordre
))
mondial
Rémy VOLPI, Développement
durable: Action! La gouvernance
d'entreprise
Clotaire MOULOUNGUI,
Isabelle DEVOS, Tenues de
travail
et mana/{ement
des
273
BULLETIN
D'ABONNEMENT
283
279
RECOMMANDATIONS
AUX AUTEURS
284
,
Editorial
Marché, entreprises, institutions... innover pour lancer ou
entretenir la croissance. Croissance de la capacité à produire,
croissance de la production, croissance des richesses monétaires (ou non)... L'activité économique est, pourtant, remise en
question et renouvelée régulièrement par l'innovation technologique, économique et sociale: nouvelles marchandises, nouvelles activités, mais aussi nouvelles entreprises et nouveaux
modes d'organisation. Dans les économies contemporaines,
la
concurrence, devenue mondiale, explique la priorité donnée par
les entreprises et par les gouvernements à la connaissance, à la
science et à la technologie. Les grandes entreprises deviennent
des pôles de déploiement de réseaux technologiques, financiers
et commerciaux
et imposent leurs productions
au monde
entier. Elles mettent en œuvre des stratégies d'innovation permanente pour consolider leur place sur les marchés internationaux et, en même temps, pour assurer leur pérennité. La
puissance innovatrice d'une entreprise dépend, de son coté, de
l'acquisition constante d'une large gamme de compétences et
de connaissances. Les entreprises investissent, donc, dans les
pays ou les régions riches en capital humain et en ressources
scientifiques et techniques.
A l'autre bout de la chaîne des valeurs, la mondialité des
normes d'accumulation
est contrebalancée par la réinvention
du «local », du particulier, du marginal... Dans les pays en
développement,
le Développement
est capté par des sociétés
auto-organisées
lesquelles, produisant des innovations vitales
pour leur reproduction, sont potentiellement des boîtes à idées
(des sortes de boîtes de Pandore). Au moment venu, des idées,
des schémas ou des figures qui sortent de ces boîtes ouvertes
sont appropriées par l'économie officielle pour se transformer
en actes d'innovation et en normes de mondialisation. D'autres
idées, schémas ou figures alimenteront les risques, les dangers
pour le «global business ».
L'objet de ce numéro de la revue Innovations, Cahiers d'économie de l'innovation est de présenter au lecteur quelques-unes
parmi les principales interrogations actuelles des universitaires
dans le large domaine de l'économie de la croissance et du
développement
dans un contexte ouvert à la concurrence et
aux flux de marchandises
et de capitaux. Les auteurs soulignent, d'une part, l'importance de l'action publique dans l'organisation des processus d'innovation
et des marchés pour
aider les entreprises à innover ou pour attirer celles qui innovent. Mais, d'un autre côté, la dynamique sociale d'innovation
est tributaire d'un ensemble de pratiques inédites aux yeux de la
science académique. Au Nord comme au Sud la croissance et le
développement
obéissent à une même logique: création de
normes d'accumulation / création de marges d'appropriation...
Ce numéro contient aussi une recherche originale qui révolutionne le débat - très ancien - sur le passage des valeurs
aux prix dans la théorie de Marx.
En outre, dans la seconde partie de ce numéro et sur le plan
méthodologique,
la modélisation
systémique est présentée
comme un outil d'analyse économique. Une approche innovante qui prolonge la refléxion sur la contribution des modèles
mathématiques au développement de la science économique.
Enfin, l'entrepreneur étant une catégorie économique qui a
depuis longtemps suscité la curiosité des chercheurs, la recherche à ce sujet a pris d'importantes dimensions, même dans les
pays francophones. L'étude bibliométrique presentée dans ce
numéro montre les apports et les limites de la recherche sur
l'économie de l'entrepreneur.
8
Innovations. Cahiers d'économie de l'innovation
n024, 2006-2, pp.9-40.
Développetnent,
une approche
organisations
Sud-Nord
et territoire:
Hassan ZAOUALl
Laboratoire de Recherche sur l'Industrie et l'Innovation
Université du Littoral Côte d'Opale
/
Résumé
Abstract
L'originalité de cet article de portée interdisciplinaire est de faire converger
les recherches menées dans les pays du Sud et les pays du Nord sur le développement et l'importance universelle qu'acquiert, aujourd'hui, la notion de territoire. C'est sur la base d'une pédagogie de« l'erreurféconde» quant aux limites du
« développementtransposé» dans les pays pauvres que l'auteur formule son approche.
Celle-ci met en évidence l'importance de l'ancrage anthropologique des pratiques
économiques (comportement individuel, pratiques entrepreneuriales et territoriales). De cette façon, elle explicite les paradoxes formel/informel en économie
de développement et local/global au Sud et au Nord. De fait, le paradigme des
sites symboliques d'appartenance, défendu ici, par l'auteur ouvre la voie à une
« révolution scientifique» traitant des anomalies du modèle standard quant à la manière d'aborder le développement, l'entrepreneuriat et la globalisation. TI y souligne la nécessité de prendre en considération la grande diversité des situations
ainsi que le rôle des « croyancespartagées» par les acteurs dans l'accompagnement
des systèmes complexes (territoires, firmes, entreprises, Petites et Moyenne
Entreprises et activités informelles).
Development,
Organizations
and Territory:
A
Southern
/ Northern Approach
The originality of this interdisciplinary paper is to make existing developmental researches in southern and northern countries on the one hand and the
growing importance and universality of the territory concept on the other hand
converge. The author formulates his approach on a "fertile error" based pedagogy built in confrontation with development model transposition limits on developing countries. This pedagogy highlights the importance of economic practices anthropological anchoring (individual behaviour, business management, local
practices). This way, it illustrates the formal vs. informal paradox in developmental economy and the local vs. global paradox in the South and the North. De
facto, the symbolic belonging sites paradigm the author defends opens the way to
a "scientific revolution" which solves standard model anomalies in dealing with
development, entrepreneurship and globalization. The need to take into account
the huge situational diversity and the actors "shared believes" key role in complex
systems coaching is also emphasized (territories, ftmls, business companies, small
and medium sized ftrms, informal economic activity)
JEL
0100, 0170, 0180
1 [email protected]
« I..a réalité est dès lors autant dans la distinction entre le .rystème ouvert et
son environnement. . ..Logiquement, le .rystème ne peut être compris qu'en
incluant l'environnement qui lui est à la fois intime et étranger etfait
partie de lui -même tout en lui étant extérieur»
Edgar MORIN (1992)
Dans cette contribution,
l'approche
développée se veut
interdisciplinaire. Elle croise l'économie du développement, la
sociologie des organisations et une ouverture sur les apports
des sciences de gestion. Cette orientation est dictée par les
conclusions tirées des échecs de la transposition des modèles
d'économie et du management du Nord au Sud. De ce point de
vue, l'histoire intellectuelle
et pratique de l'économie
du
développement est susceptible d'enrichir les recherches menées
dans les pays industriels sur les pratiques entrepreneuriales
et
territoriales. Ainsi, le mode d'exposition déployé relève de la
pédagogie de l'erreur féconde.
Une première partie de la démonstration
met en évidence
l'inadéquation du territoire scientifique de l'économiste du développement avec le territoire de vie des populations concernées par le changement escompté par les transferts précipités
des modèles de développement.
Cette discordance trouve sa
racine dans les postulats fondamentaux
de l'économisme,
réducteurs et niant la diversité des territoires. Tout se passe
comme si l'autonomie de l'économique fonctionnait dans les
faits contre l'autonomie des gens de la base. Le parachutage des
modèles économiques donne lieu à des échecs cinglants et à
des paradoxes
formels/informels
que la théorie des sites
explore en mettant en valeur l'importance des valeurs et des
espaces vécus des acteurs locaux. L'inertie des économies
formelles greffées du dehors et la vitalité des économies dites
informelles constituent une parfaite illustration de ces paradoxes sur lesquels peuvent être construites des alternatives SudNord privilégiant l'échelle localel. Cette économie politique des
pratiques locales trouve dans la figure de l'entrepreneur situé la
vérification empirique de la nécessité des nouvelles approches
transversales et territorialisées.
1 C'est cet ancrage territorial qui devient un lieu de convergence pour toutes les
pensées économiques qu'elles viennent du Sud ou du Nord qui appréhendent les
économies dissidentes territorialisées. Celles-ci peuvent être qualifiées d'informelles au Sud ou d'économies solidaires, sociales ou territoriales au Nord. De ce
poin t de vue, la pertinence de l'échelle locale acquiert une portée universelle.
10
En résumé, comme la science n'avance que par paradoxe,
nous identifierons deux paradoxes moteurs dans l'évolution des
idées économiques et sociales de notre temps. Le premier peut
être extrait des expériences de développement dans les pays du
Sud. L'économie
dite informelle a réussi là où l'économie
formelle, aidée et programmée, a échoué! Le second, de portée
universelle et en déduction du premier, trouve son illustration
dans la montée en puissance des préoccupations
relevant des
territoires dans un contexte marqué par l'extension et l'approfondissement de la globalisation.
Les conclusions fondamentales tirées de cette analyse sont
étendues, dans une seconde partie de notre mode d'exposition,
à la problématique des PME voire des grandes entreprises dans
leurs relations avec leurs territoires d'implantation dans les pays
industrialisés. Dans le décryptage proposé, l'hypothèse essentielle défendue résulte d'un croisement des pensées économiques qui élargissent leurs horizons à la diversité et à la complexité des organisations
économiques
et des territoires. En
capitalisant les expériences du Sud à travers la théorie des sites
symboliques d'appartenance (ZAOUAL, 1994, 2002, 2004), cet
essai comparatif contribue, par ses échanges avec l'institutionnalisme, l'évolutionnisme et la pensée complexe, à asseoir les bases
d'une économiepolitique de la diversité. Les Petites et Moyennes
Entreprises
(PME) dans les pays industrialisés, malgré leurs
différences avec le monde hybride des micro activités informelles du Sud, restituent aussi l'importance de l'ancrageanthropoéconomique dans les sites d'appartenance.
Ce faisant, les diversités organisationnelles
ainsi que la pluralité des modes de
coordination s'en trouvent réhabilitées. Dans cette perspective,
la coordinationpar le marché ainsi que le modèle rationnel de l'organisation sont relativisés et nuancés dans leur portée explicative.
C'est donc une façon de s'émanciper du paradigme économique dominant, en somme, de l'uniformisation.
Enfin, la troisième étape de notre raisonnement consiste à
consolider les bases du paradigme «postglobal» des sites en le
faisant converger vers les récents apports des théories des
organisations mettant en évidence l'importance des croyances
locales dans les systèmes organisés, entreprises et territoires.
Il
CE QUE LE SUD PEUT APPRENDRE AU NORD
Paradoxes
de l'économisme
au Sud:
inertie du fOrmel et vitalité de
l'informel
- L'échec de l'économie formelle sous les tropiques
L'économie formelle telle qu'elle s'est établie dans les pays
du Sud est à rapporter à la conception du développement qui a
eu cours après le mouvement des indépendances. En substance, elle reposait sur la croyance en des automatismes économiques. Que l'on adopte le point de vue du libéralisme ou celui
du marxisme, la culture du développement issue de l'imaginaire
et des pratiques du capitalisme isole l'économique et le postule
déterminant dans l'évolution des sociétés. Toutes les théories et
les modèles proposés dérivent, à un degré ou à autre, de cette
vision unilatérale du monde. Cette conception imprègne profondément les institutions du paradigme mécaniste du développement, en premier lieu, les institutions internationales et, à
leur suite, les gouvernements
qui n'ont pas de vision alternative.
C'est dans ce contexte que le Sud a commencé à importer la
pensée et les pratiques de son devenir. Que l'on aille en
Amérique du Sud, en Afrique, dans le monde arabe et dans une
bonne partie de l'Asie, les conséquences
de ce mimétisme
généralisé sont comparables. Elles peuvent être résumées de la
façon suivante: le développement
s'y métamorphose
en débouché pour les économies capitalistes les plus innovantes du
Nord. Dans ce mécanisme, l'offre de développement,
sous
différentes formes (théories, concepts, expertise, institutions,
modèles d'organisation, projets, équipements, industries, usines
clefs en mains etc.) répond à une demande façonnée par
l'histoire, le conditionnement
et la domination globale exercée
par le truchement des élites locales.
Du fait même que les élites sont dans l'impuissance de formuler d'autres visions du monde, autres que celles du développement et de la globalisation, elles ont le statut d'élites
stériles dans le tableau économique mondial. Ce qualificatif,
aujourd'hui, peut s'appliquer tant aux élites orientales qu'aux
élites occidentales dans la mesure où dans les pays dits riches la
restructuration
économique engendre aussi de nombreux exclus et ne fournit aucun horizon plausible au plan économique
et social afOrtiori au plan de l'environnement.
En un mot, nous
sommes à la veille de la fin de tout modèle qui se veut unique
et exclusif de la diversité des pratiques locales.
12
Toutes les entités matérielles et immatérielles du paradigme
du développement décrites ici sont transmises aux pays pauvres
sur le mode enchevêtré des «paquets de développement» qui atterrissent sur des terrains dont on n'a pas pris le soin d'étudier les
contingences locales. La croyance dans les automatismes du
développement
et de la globalisation y est pour beaucoup. Il
s'ensuit un carambolage symbolique, économique et social déroutant pour les populations qui se voient dépossédées de leurs
traditions, de leurs capacités à innover et à évoluer selon les
véritables contraintes
de leurs sites d'existence. Ces conceptions et ces pratiques du haut vers le bas détruisent les
capacités endogènes d'évolution des milieux sur lesquels elles
s'abattent au nom du progrès;
celui-ci étant postulé sans
discussion et sans concertation avec les agents du site. Dans
cette organisation pyramidale du changement, le site perd ainsi
ses «mécanismes immunitaires» capables de lui assurer son autonomie et son intégrité civilisationnelle. Les expériences décrites
par la littérature économique montrent généralement que le
développement détruit sans se réaliser. Il engendre son contraire (un anti capitalisme), au plus une économie de rente précaire. La conséquence macroéconomique
de ce processus est
un surendettement que les programmes d'ajustement structurel
n'entament pas, au contraire.
Ainsi tout se passe comme si l'autonomie de l'économique
introduisait une non autonomie des populations considérées,
d'ailleurs, comme de simples cibles par les techniques meurtrières du paradigme balistique des experts. Il n'y a rien d'humain dans ces stratégies fatales. Les projets y fonctionnent
comme des «prqjectiles»l. Autrement dit, il s'agit bien d'une
guerre qui ne dit pas son nom. Ce n'est pas par hasard que
lorsqu'on approfondit la critique du développement, on débouche, inéluctablement,
sur des incompréhensions,
des querelles
de sens, des conflits voire des guerres au vrai sens du mot.
En somme, l'économie formelle censée être le moteur du
développement
dans les pays du Sud les rend dépendants et
pauvres au lieu d'engendrer leur indépendance et leur prospérité. Mécaniquement, le développement de l'économie officielle
semble induire plus de pauvreté et un surendettement
structurel. Ce qui confère aux économies formelles des pays pauvres
une fonction de débouché dans le processus du développement
1 Un jour, lors d'un séminaire en Ethiopie, j'ai demandé à un expert de me
dessiner le projet qu'il était en train de commenter, il m'a dessiné une sorte de
missile à plusieurs étages (conception, exécution et évaluation pour ne pas dire
destruction) matérialisant les différentes étapes du projet!
13
et de la mondialisation. Toutes les thérapies pratiquées face à ce
mal développement
ont échoué. Les structures de l'économie
formelle maintiennent une bonne partie de l'héritage du colonialisme, seule la couleur des élites a changé!
En effet, les économies néocoloniales du Sud restent dominées par des productions et, par voie de conséquence, des exportations centrées sur des produits extraits de la nature et peu
valorisés localement. De plus, l'inertie qu'introduit le télescopage entre le développement et les milieux d'accueil ne favorise
guère le développement
d'activités à forte valeur ajoutée
intellectuelle.
La pratique des paquets du développement
l'interdit. Comme tout est conçu et exécuté de l'extérieur,
l'expertise du développement peut être résumée par la formule
suivante: « nepensez pas, nous pensons pour vous,pqyez ». En clair,
l'acteur et son milieu ne sont pas ni respectés ni impliqués dans
la formulation de leurs besoins et dans la manière de les
satisfaire. Le «développement transposé» exclut l'acteur et, par
conséquent, sa participation et l'expérimentation
de ses propres
capacités de créativité et d'apprentissage. L'acteur ou l' homo situs
dans la terminologie de notre théorie n'est pas considéré comme sujet mais comme objet. Le paradigme du développement
lui interdit de faire sa propre expérience. Ce processus
d'aliénation est bien entendu alimenté par les systèmes éducatifs clonés, les projets clefs en main, la publicité, la «parabolisation» de peuples entiers, l'arrogance des puissances et les
forces de l'argent qui dominent le monde, etc. Tout cela lamine
la confiance en soi et donne en pâture les peuples du monde et
d'immenses territoires aux appétits sans limite des multinationales et à l'industrie du développement.
Dans sa profondeur, l'économie formelle préfabriquée est
une économie de rente dont le capitalisme mondial a besoin
comme débouché et réservoir de matières premières voire
comme poubelle de ses pollutions. D'un côté, il organise la
concentration
de la richesse économique et de l'innovation
dans les critères du profit et de l'autre la destruction symbolique et économique. Ce qui libère des antagonismes Nord-Sud
que seuls les flux migratoires, l'aide et des interventions militaires à répétition dans les anciennes aires coloniales arrivent à
contenir momentanément
et avec toutes les conséquences que
l'on connaît aujourd'hui.
En effet, les mécanismes néocoloniaux de stabilisation volent en éclats. L'ensemble des structures politiques, économiques et sociales officielles de régulation sont en cours de décomposition
comme le montre la situation internationale
14
depuis quelques années. Ainsi le post néocolonialisme cherche
ses modalités de fonctionnement
du côté du droit de l'ingérence directe dans les affaires des pays affaiblis par les
destructions et les formes dictatoriales de gouvernement
qui
ont accompagné le développement post colonial. Le monde qui
se dessine, en l'absence d'une avancée significative vers la
civilisation de la diversité, est voué au chaos et à une prolifération des désordres de tout ordre. On ne peut maintenir des
peuples entiers dans une entière incohérence. Sur ces terrains,
la modernité, importée clefs en tête et clefs en mains, demeure
inaccessible et les traditions maintenues à l'état de «fourrure
idéologique» aidant en cela des légitimités non fécondes. Les
synthèses entre les deux mondes restent à faire, celles qui ont
cours fonctionnent sur le mode du juxtaposé. De la modernité
et des traditions, les élites ne sélectionnent que ce qui correspond à leurs intérêts et à ceux des pays qui conduisent la
globalisation économique. Un tel système ne peut plus survivre.
L'évolution et, en premier lieu, celle de la démographie se
chargera de le faire disparaître malgré le retour en force de
l'impérialisme.
- Mystères et dynamisme de l'économie« informelle
encas trée »
Si l'économie formelle des pays du Sud semble fonctionner
sur le mode d'un «trou noir» qui absorbe le développement
sans développer un capitalisme local innovateur, diversifié dans
ses structures, etc., les processus qui caractérisent les dynamiques informelles, semblent, quant à eux, plus performants.
L'informel comble les trous noirs que le formel laisse derrière
lui en raison de son inadéquation aux terrains. Tout se passe
comme si ceux qui sont portés par l'économie
formelle
consomment sans produire tandis que ceux qui sont exclus du
« développementgratuit» sont contraints de faire travailler leur
imagination.
Ce n'est pas un hasard si, aujourd'hui,
les
institutions officielles nationales et internationales portent un
intérêt évident à ce qui est communément désigné par la notion
discutable de secteur informel ou secteur non structuré. Elle a
fait l'objet de nombreuses controverses. Le plus souvent les
pratiques dites informelles sont appréhendées par les économistes et même les sociologues sans changer de lunettes conceptuelles. Déjà le mot informel ou non structuré est révélateur
de la projection d'un regard, celui d'un sociocentrisme. Dire
qu'il s'agit d'entités informelles veut dire littéralement qu'elles
n'ont pas de formes propres. Or, ces microsystèmes et ces
15
organisations incorporent des modes de fonctionnement
qui
leurs sont singuliers. Comme la science, ici l'économie, a
horreur de la singularité, elle ne cherche que le généralisable et
le quantifiable, la recherche des spécificités locales s'en trouve
découragée.
Pourtant, l'observation des pratiques locales, en dehors des
catégories de la science admise, peut faire avancer notre connaissance du dedans. Les activités des micro entrepreneurs, à
titre d'exemples, dévoilent que ces acteurs agissent selon une
rationalité et des modes de coordination qui portent la marque
de leur site symbolique d'appartenance. Le site étant considéré
comme un espace cognitif permettant des ajustements entre
l'individu et sa communauté de proximité.
En substance, le site fonctionne
comme un «attracteur
étrange» dans lequel tout est enchevêtré de l'imaginaire au réel.
Le site est le lieu d'un ensemble de repères collectifs portant les
marques de l'éthique et l'histoire du site. Etant cela, il assure
des certitudes locales qui fluidifient les échanges interindividuels. Ces derniers, de par leur encastrement anthropologique, ne sont jamais totalement de nature marchande. Au
contraire, le site veille sur sa cohésion et impose par socialisation endogène la solidarité et l'ensemble des mécanismes qui
en assure la reproduction. La monétarisation n'empêche pas la
persistance de la variété des mécanismes économiques qui ont
cours dans l'univers de l'économie située. C'est, d'ailleurs, ce
qui fait la force des pratiques informelles par rapport à
l'économie
formelle bureaucratique
ou privée au sens du
clonage du « développementtransposé».
C'est dans son site que l'entrepreneur situé puise ses atouts
quant à l'autofinancement
de son activité et à la mobilisation
des savoir-faire endogènes au site. Ici, la technique n'est pas
séparée de l'éthique. Elle n'atterrit pas sous le mode du parachutage comme c'est le cas dans les pratiques traditionnelles du
développement.
Elle est le fruit d'un bricolage in situ qui
mobilise la créativité locale. De ce fait, elle n'endosse pas le mécanisme d'une consommation
symbolique des objets techniques venus d'ailleurs.
Ce qui laisse entrevoir que tout
transfert de quelque nature qu'il soit ne peut être dynamisant
pour les organisations et les systèmes locaux que s'il est relayé
par une mobilisation du savoir-être et du savoir-faire du site
considéré. Synthèse et apprentissage
et encastrement
sont,
donc, incontournables
dans la dynamique des organismes
sociaux. Tout emprunt sans prise sur le génie du site devient
une emprise. Ainsi, l'expertise du site (savoir social local) est
16
partie prenante de tout changement autonome. Cet énoncé est
l'abc de la participation voire de la conception même de ce qui
doit ou ne doit pas être fait dans une situation donnée. Il est
illusoire d'élaborer des projets ou de créer des structures et des
institutions en dehors des systèmes des représentations
symboliques et du contexte d'action des acteurs du site. L'échec est
assuré au bout de tout constructivisme
hâtif. Ici, c'est la
subjectivité des hommes de la situation qui est à prendre en
considération
d'autant plus que les processus économiques
sont plus proches des prophéties auto réalisantes que d'une
quelconque réalité objective.
Dans ces conditions, toute performance
est un construit
social in situ. C'est l'adhésion à des croyances partagées qui fait
la réussite de toute organisation. Elles imprègnent non seulement les règles et les institutions mais aussi les conceptions et
le savoir social. Elles fonctionnent ainsi comme des moteurs
symboliques structurants de l'ensemble des pratiques locales.
Ce qui empêche tout découpage entre les dimensions de
l'existence des acteurs en question et signe, du même coup, la
fin de l'économisme. De ce point de vue, le secteur dit non
structuré est hautement structuré. C'est plutôt le secteur formel
qui est, au-delà, de ses formes apparentes, non structuré en
profondeur selon les critères de la science qui l'organise.
D'ailleurs,
l'économie
officielle dans les pays dits en
développement
est elle-même truffée de réseaux informels
dont les logiques perturbent, déjouent et détournent la rationalité économique et l'ensemble des impératifs du paradigme
qui légitime, du moins en théorie, les pratiques du développement et de la globalisation économiques. Tout semble s'organiser pour maintenir le capitalisme innovateur à la périphérie
de l'économie de rente. Le schéma centre-périphérie
d'inspiration marxiste se retrouve ici renversé. Seul entre dans le
milieu d'accueil un capitalisme chosifié et désincarné, suite au
processus intellectuel et pratique qu'il subit. Si l'expertise
échoue à rationaliser l'économie formelle dans ses propres critères, comment voulez-vous qu'il puisse structurer les dynamiques informelles selon les canons de la théorie implicite à ses
propositions
et conseils pratiques. Qu'il nous démontre d'abord qu'il réussit sur son propre terrain avant de pouvoir
administrer ses thérapies à des organisations et systèmes dont
la complexité est indomptable par le réductionnisme
scientifique classique.
En effet, ces dynamiques sont de nature composites et
chaotiques, donc non linéaires. Elles conjuguent dans leur
17
fonctionnement
quotidien une pluralité de dimensions
et
d'espaces de justification au sens des économistes des conventions. L'impératif économique classique n'est aucunement leur
principe supérieur. C'est plus la recherche d'un équilibre
cfynamiquement situé qui semble prendre le pas qu'un mode de
fonctionnement
séparant l'économie de la société locale. Ainsi,
leur but n'est pas centré sur l'accumulation
pour l'accumulation. Ainsi, les lois économiques
admises sont, plutôt,
contrariées par les résistances des sites dans le monde de
l'économie formelle comme dans le monde de l'économie située
dont les rationalités nous restent encore inconnues. D'ailleurs,
les activités des économiesendogènesdissidentes (ZAOUAL, 2003)
prolifèrent plus qu'elles ne concentrent sous le mode capitaliste
classique.
Dans le même ordre d'idées, l'aventure des entrepreneurssitués
dévoile que ces derniers ne sont pas des entrepreneurséconomiques
au sens classique du terme. Enchâssés, ils déploient des mécanismes économiques à objectifs multiples. Ce qui veut dire en
clair que le profit, s'il y a lieu d'en parler, ne constitue pas leur
unique «prophète ». Dans les expériences humaines, les divinités
des sites sont innombrables. Religions, croyances, cultures etc.
s'y mélangent avec les activités matérielles et donnent d'autres
directions à ces dernières. Et, c'est là que les économies
informelles semblent paradoxalement
post modernes d'autant
plus que la recherche sur les frnnes capitalistes elles -mêmes
s'orientent, de plus en plus, vers la nécessité d'un ancrage
territorial et d'une intégration des mécanismes de coordination
hors marché (citoyenneté, éthique, culture, identité, appartenance, croyances, réseaux, coopération inter entreprises et intra
territoriale avec des acteurs non économiques, partenariat, etc.).
Ici, le marché s'épuise de par son fonctionnement
endogène. A
son paroxysme, il génère une incertitude paralysante pour la vie
économique.
L'asymétrie, l'opportunisme,
le passager clandestin, la tromperie, la manipulation, etc. dictés par le profit
finissent par détruire l'inestimable carburant du dynamisme
économique
qu'est la confiance. C'est ce qui explique les
brèches paradigmatiques de l'économie de marché et le besoin
de renouvellement
y compris du point de vue du discours et
des pratiques économiques dominantes. En écartant l'éthique
de l'économie, celle-ci finit par s'autodétruire.
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L'enchâssement localdes dynamiques «(informelles)) au Sud
L'observation des expériences dans divers pays du Sud nous
a enseigné que le déficit institutionnel des modèles macroéconomiques (les microprojets ne font guère mieux) constitue une
des causes essentielles de leurs défaillances.Cette anomalie laisse
entrevoir la grande incomplétude de l'analyse économique traditionnelle du développement.
Le fait institutionnel représente
l'angle saillant de cette énigmescientifique.En vérité, le monde des
transactions économiques est assailli par une nuée d'incertitudes
en l'absence d'institutions assurant une coordination autre que
celle du « marchépur ». Les expériences des districts italiens comme le savoir collectifaccumulé sur les phénomènes d'économie dite
informelle dans des pays aussi divers que ceux du Maghreb et
d'Afrique subsaharienne indiquent, de façon apodictique, que la
coordination économique est, par essence, multimodale. Le nier,
c'est sombrer dans un nihilisme théoriquesansportée empirique.
A contrario, les faits expriment une pluralité de modes de
coordination qui fait la force du dynamisme des organisations et
des territoires économiques au Nord comme au Sud. L'agent
(individu ou organisation) y a recours dans sa stratégie de
minimisation des risques. La coordination plurielle joue le rôle
d'une diversitéstabilisante par opposition à la coordination uniformisante, centrée, exclusivement,
sur le critère de l'échange
marchand. D'ailleurs, la micro entrepriseinformelledans les pays du
Sud en use quotidiennement
dans son fonctionnement.
Du
démarrage de son activité à sa stabilité dans un univers peuplé
par une pluralité d'épreuves de réalité au sens des économistes des
conventions, le micro entrepreneursurvit par la coordinationplurielle
que son site met à sa disposition. Ce qui lui confère toutes les
caractéristiques de l' homo situs, beaucoup plus variées que celles
de l'homo oeconomicus.Delà dérive une nette distinction entre
l'entrepreneur situé et l'entrepreneur économiqueau sens des théories
économiques admises (ZAOUAL,2003).
Dans cette perspective, le site soutient l'agent et le limite
dans ses activités économiques.
La coopération
interindividuelle omniprésente dans les économies néo-communautaires
est, en effet, une des modalités de la création des micro
activités urbaines. Elle trouve sa justification dans les principes
supérieurs du site au sens de L. THEVENOT
et de L. BOLTANSKI. L'appartenance,
la réputation et la proximité sont
garantes de ces processus de solidarité. Dans l'imaginaire en
acte du site, l'entreprise est, dans les faits et les pratiques considérées, pensée et vécue comme une organisation commu19
nautaire. Son but, en retour, n'est pas exclusivement le marché
et le profit mais la reproduction communautaire. En cela, le site
limite l'accumulation et étend la redistribution. Comme nous
l'indiquions dans de récents articles traitant des principes de
l'économie de la proximité et du site (2003, 2004), contrairement à la formule de Karll\1ARX ((Accumuler, accumuler, c'est
la loi desprophètes », nous sommes tenté de dire plutôt « Donner,
donner, c'est la vraie loi des prophètes ». Dans les sites africains et
arabo-musulmans,
par expérience, pour accumuler, il faut
donner. L'économie du don s'incruste ainsi dans le modèle du
capital et l'impulse à la périphérie du territoire du site. Ce mécanisme fonde le caractère relationnel des économies africaines
et arabo-musulmanes
endogènes. Tandis que ce penchant rend
les économies formelles, greffées artificiellement de l'extérieur,
purement
des économies de rente, au plus redistributives
(ZAOUAL,1999).
Du dedans des organisations locales en question, l'auto
limitation de l'accumulation voire son absence n'est point un
paradoxe. C'est même un ordre spontané du site qui rend caduque,
au moins partiellement,
celui du marché. Comme il s'agit
toujours de visions, a contrario, ce fait est véritablement pensé
comme un paradoxe du côté de la sciencenormale en économie.
Ce paradoxe a, en effet, beaucoup intrigué les économistes,
ceux qui persistent à garder les mêmes lunettes paradigmatiques. Comme par enchantement,
ils écartent, d'un tour de
main, le véritable paradoxe, celui d'une économieformelle qui se
construit avec leurs modèles et échoue, par opposition, aux
performances
des cfynamiques informelles auxquelles contribuent
les acteurs les plus démunis. Pourtant, les paradoxes sont censés
stimuler la découvertescientifique. Décidément, c'est le plus grand
défi de ce siècle auquel se heurte la scienceéconomiquedes modèles.
Elle le fuit en étendant, par simple extension, son paradigme au
lieu de le révolutionner
du dedans. On tourne en rond en
raison de l'inertie des croyances scientifiques de la science
normale. C'est pour cette raison que les ouvertures actuelles
opérées par les courants que l'on pourrait qualifier d' hétérodoxes
sont prometteuses.
Ainsi, l'institutionnalisme dans ses différentes
variantes,
comble, partiellement, le vide que le paradigme du marché laisse derrière lui quant à l'énigme de l'incertitude (ZAOUAL, 2004).
Dans cette même lignée, la théorie du site fait appel aux croyances, aux conventions et au parcours du site dans la levée de
cette énigme. De même, l'évolutionnisme en mettant l'accent sur
la complexité endogène et exogène des organisations ouvre la
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voie à la prise en compte de la trajectoire, donc, de l'histoire et
du territoire dans les processus d'évolution des organisations
économiques.
En conséquence, la mémoire des organismes économiques
acquiert un statut d'objet de recherche dans l'univers de
l'analyse économique au même titre que dans le management
des organisations.
La mémoire vive du site apparaît ainsi
comme un «stock» d'expériences, de valeurs, de compétences
et de routines constamment revisité par l'organisation à la lueur
du défi du changement, c'est son« codebook». C'est, d'ailleurs,
ce caractère dynamique qui confère au site les capacités d'une
organisation socialeapprenante. Là, nous retrouvons l'hypothèse du
site expert collectif.Ce qui met aussi en lumière l'hypothèse, tant
défendue par Philippe D'IRIBARNE,
que les traditions d'un
site ne sont pas, toujours, antinomiques avec l'innovation et le
changement en général. D'ailleurs, dans sa dernière livraison
intitulée Le Tiers monde qui réussit (2003), cet auteur, sur la base
d'enquêtes
de terrain, démontre que même les filiales des
firmes multinationales qui veulent réussir sur les critères du
profit mobilisent un certain nombre de valeurs locales qu'elles
combinent avec les outils du management universel. Le fait
multinational ne peut se soustraire au fait interculturelqui exprime
ici la force des territoires d'implantation
par rapport à la
globalisation entendue comme modèle unique généralisable.
Ainsi, rien ne semble échapper aux facteurs de site dont nous
soulignons l'importance dans ce texte.
Comme le montre la littérature portant sur le développement, les entrepreneurs informels dans les pays pauvres sont
plus portés à satisfaire, directement et sur de petites échelles,
les besoins des communautés ambiantes qu'à chercher une ouverture sur les marchés globaux et lointains. Parallèlement, leurs
modalités de fonctionnement,
proches de l'entreprenariat asiatique notamment chinois, mobilisent les institutions sociales du
site local. L'espace du marché y est endigué par des pratiques
locales qui font preuve d'autres modes de coordination dans
lesquels les ,rystèmes de réciprocités demeurent vivaces. Ici, le
concept de site ,rymboliquedécrypte ces relations en partant des
représentationset des pratiques des acteurs. La force des croyances
partagées soude les institutions du site et combat ainsi l'incertitude contractuelle. Le site gère l'incertitude en recourant à
l'éthique et aux normes du groupe. Le site organise la confiance. C'est ce qui fait, d'ailleurs, la force de la finance informelle
que les pratiques du micro crédit tentent d'imiter. De ce point de
vue, l'anti modèle (l'informel) devient le modèle!
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