Caricature par Luca Navarro, volontaire en Service - Sol

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Caricature par Luca Navarro, volontaire en Service Civique au sein de
l’association
Ce mois-ci, le Sol-Violette vous propose un Extra-Doux pleinement lié à l'actualité
et, en l’occurrence, à la situation que vit actuellement la Grèce qui vient de voir
Alexis Tsipras à nouveau réélu comme Premier ministre malgré un taux
d’abstention record de 45% des électeurs.
Sans prétendre à une description exhaustive des enjeux complexes auxquels ce pays
fait face, nous souhaitons articuler ce texte autour de trois axes : l’origine de la
crise grecque, un bref aperçu de la situation actuelle et, enfin, se poser la question
de savoir quel avenir serait possible aujourd’hui pour le pays.
Par ailleurs, de nombreux auteurs comme Bernard Lietaer ou encore Philippe
Derudder ont la ferme certitude qu’une (ou des) monnaie(s) locale(s),
complémentaire(s) à l’euro, dans un pays qui connaît de telles difficultés à
stabiliser sa situation économique, serait une innovation pleine de sens et d’esprit
progressiste.
Enfin, nous avons eu l'honneur, pour cet écrit, de pouvoir compter sur la
participation de Monsieur François Morin, professeur émérite de sciences
économiques à l'Université Toulouse I et ancien membre du Conseil général de la
Banque de France et du Conseil d'analyse économique, ainsi que de
Monsieur Gabriel Colletis, professeur de sciences économiques à l'Université
Toulouse I qui ont gentiment accepté de nous prêter leur plume. Luca Navarro,
ancien volontaire en Service Civique au sein de notre association, s’est également
essayé à cet exercice. Une fois de plus, au nom de toute l’équipe du Sol-Violette,
merci à tous les trois pour vos contributions à cet Extra-Doux qui, nous l’espérons,
vous apportera des éléments nouveaux sur les problématiques actuelles en Grèce.
L'ORIGINE DE LA CRISE GRECQUE
par Monsieur François Morin
Comment expliquer la nature des trois plans d'aide qui ont été accordés depuis cinq
ans à la Grèce ? On se rappelle que c'est en 2009, que les agences de notation ont
commencé à dégrader la note du pays. Or, comme les autres pays européens, la
Grèce connaissait des déficits chroniques durant les années 2000. Le rapport dette
publique sur PIB bien que relativement contenu jusqu'en 2008 (97,6 %) a
commencé à s'élever en 2009 (103,4%), chiffres qui se situaient dans ce moment de
la crise financière légèrement au-dessus de la moyenne des taux d'endettement de
l'union européenne.
Pour comprendre cette situation, examinons – fin 2009 – le montant des créances
privées et publiques des plus grandes banques mondiales sur la Grèce. Celles-ci
s'élevaient à 236,2 milliards de dollars. Les banques qui détenaient ces créances
étaient essentiellement des banques européennes pour 188,6 milliards de dollars.
Quand on y regarde de plus près, on constate que ce sont plus particulièrement les
banques françaises et allemandes qui étaient les principales créancières (pour un
montant total de 120,2 milliards de dollars). Les banques françaises engagées alors
étaient : Crédit Agricole, BNP Paribas, Société Générale, BPCE et Natixis. Pour
l'Allemagne il s'agissait essentiellement de la Deutsche Bank. D'autres banques
européennes étaient également présentes. Pour la Grande-Bretagne : Barclays,
HSBC, Royal Bank of Scotland. Pour les Pays Bas : ING. Or, toutes ces banques
sont dites "systémiques", c'est-à-dire de très grande taille, interconnectées entre
elles, et susceptibles en cas de faillite de l'une d'entre elles de provoquer un
cataclysme mondial, comme cela avait été le cas avec la faillite de Lehman
Brothers [1]. Que se passe-t-il donc dans les années 2008-2009 pour que le montant
de la dette grecque s'élève sensiblement ?
Le principal facteur est l'emballement du budget militaire, alors que l'on est en
pleine crise financière ! Les principaux achats se sont révélés être des frégates (au
nombre de 6) et des hélicoptères (15) à la France, des tanks et des sous-marins (6) à
l'Allemagne. Tous ces équipements ont été financés par des crédits accordés par les
banques mentionnées ci-dessus.
Que craignent les banques à la fin de l'année 2009, une fois les achats militaires
financés par le crédit bancaire ? Que l'abaissement de la note de la Grèce entraîne
une dégradation de la valeur de leurs créances et, pire, que cela se produise en
raison de la faillite de l'une ou l'autre d'entre elles (par exemple, fin 2009, le Crédit
Agricole était engagé à hauteur de 30,3 milliards d'euros en Grèce, un record !).
Début 2010, les dirigeants des plus grandes banques font vite l'analyse de la
situation : pas question que ces créances deviennent douteuses ou dangereuses,
surtout si, comme on commence à l'évoquer, la Grèce doit faire faillite et donc
sortir de la zone euro. Joseph Akermann, le président de la Deutsh Bank [2],
parcourt donc les capitales européennes (notamment Berlin, Frankfort et Athènes)
pour défendre un plan de sauvetage que les banques ont conçu elles-mêmes. Selon
ce plan, l'aide qui doit être apportée à la Grèce doit servir en priorité à rembourser
les banques.
Quand le 10 mai 2010 un plan de 110 milliards de prêts est décidé par le Conseil
européen pour éviter la sortie de la Grèce de la zone euro, les grandes banques
peuvent respirer. Elles se sentent de surcroît aidées par la BCE qui, le même jour,
décide que les banques centrales de la zone euro pourront racheter des dettes
privées ou publiques sur les marchés financiers secondaires. Il faut bien
comprendre ici que ce plan européen (ainsi que les suivants en mars 2012) va
permettre à ce que des créances logées dans le bilan des grandes banques puissent
se transformer progressivement, par leur rachat, en dette publique de l'Etat grec. Il
faut ajouter que, contrairement à ce qui a pu être dit ci et là, la grande majorité de
ces créances sont privées et ne concernent donc pas la dette de l'Etat grec. Nous
avons calculé que pour la Société Générale, 20% seulement de leurs créances
grecques étaient d'origine publique. Les expositions des banques étrangères à la
Grèce vont alors fondre littéralement, car rachetées par la BCE et le mécanisme
européen de stabilité (MES). Entre 2009 et 2011, le premier plan va permettre de
réduire d'un peu plus de moitié ces expositions; et le second plan va diviser par
trois ce qui reste.
Au sein de la Troïka, la position du FMI mérite d'être regardée de très près. Elle
constitue un élément de complication et finalement de contradiction
supplémentaire. On sait maintenant que lors du premier plan d'aide, celui de mai
2010, le débat a été très vif au sein de l'institution internationale pour accorder le
prêt de 30 milliards d'euros (sur les 110) à la Grèce. De façon traditionnelle, le FMI
n’apporte son soutien à un pays que lorsque la dette est devenue soutenable, c'est-àdire après restructuration ou effacement partiel, voire total de celle-ci. Or, pour la
première fois de son histoire, l'instance dirigeante va, à une faible majorité de ses
directeurs [3], déroger à cette règle pourtant de bon sens financier. Par un document
interne du FMI, révélé par le rapport du Comité sur la vérité concernant la dette
publique grecque (rapport du 18 juin 2015), la décision de dérogation a été prise au
regard du « risque de contagion » qu’une restructuration des dettes grecques
pourrait entrainer.
Aucun doute n’est donc permis sur le sens de cette décision : il fallait sauver les
banques systémiques européennes lourdement engagées en Grèce et leur permettre
de se débarrasser de leurs créances potentiellement toxiques.
Cette décision va laisser de lourdes traces au sein du FMI. Après plusieurs coups de
semonces depuis le début de l’année 2015, l’organisation de Washington franchit le
pas, et revient à ses fondamentaux financiers : elle fait savoir, le 30 juillet, que sa
participation au prochain plan d’aide à la Grèce est en suspens. Elle le restera, sans
engagement « concret » des Européens à alléger la dette d’Athènes. La menace
suscite l’effroi à Bruxelles et surtout en Allemagne où la présence du FMI est jugée
indispensable. Le FMI exige que la restructuration de la dette grecque soit
explicitement mentionnée [4]. L’organisation rappelle qu’elle ne peut accorder des
prêts à un pays que si sa dette est jugée « soutenable ».
Autre membre de la Troïka, la BCE a toujours accompagné activement les trois
plans d’aide à la Grèce. Dès le premier plan, la BCE a annoncé qu’elle rachèterait
des créances privées ou publiques grecques sur le marché secondaire des titres
financiers, façon pour elle de soutenir les banques qu’elles soient étrangères ou
grecques. Le traumatisme de Lehman Brothers était encore proche en mai 2010.
Ayant en effet une tutelle du secteur bancaire européen et défendant les intérêts (la
survie ?) des plus grandes banques, la BCE s’est opposée dès le premier plan à
toute idée de restructuration qui aurait notamment mis en danger des banques
systémiques européennes.
A chaque fois donc, elle a accompagné les décisions de la Commission européenne,
brandissant quand cela s’avérait nécessaire l’arme des crédits d’urgence pour faire
plier les gouvernements grecs. Enfin, la BCE s’est opposée en 2012 à toute idée de
restructuration des titres financiers qu’elle détenait à l’époque. Cela aurait impacté
négativement son bilan et par conséquent sa crédibilité avec, à la clé, une
recapitalisation nécessaire de la Banque centrale. Même raisonnement pour le
Grexit. Une sortie de la Grèce de la zone euro mettrait en danger la zone euro ellemême et donc l’existence même de la Banque centrale européenne.
Finalement, les plans d’aide successifs n’ont fait qu’alourdir la dette grecque
puisque l’essentiel de ces plans a été consacré à renflouer les banques européennes
(dont les créances risquaient de devenir toxiques), à rembourser les dettes arrivant à
échéance et à payer les intérêts échus de cette dette. En l’absence de croissance
économique, le rapport dette sur PIB ne pouvait que rester à un niveau élevé :
177% en juillet 2015, pour une dette de 312 milliards d’euros.
[1] On peut aussi défendre l’idée que ces banques appartiennent à un oligopole
bancaire mondial. Voir François Morin, L’Hydre mondiale ; l’oligopole bancaire,
éditions Lux 2015.
[2] La Deutsche Bank n’a jamais voulu à l’époque révéler son exposition exacte
sur la Grèce. Certaines estimations l’ont évalué à 1,5 milliards d’euros, ce qui est
relativement limité. Mais, l’intérêt de la banque était tout autre. La Deutsche Bank
est en effet premier fabricant de produits dérivés dans le monde. Une nouvelle crise
bancaire aurait eu sur son bilan des effets dévastateurs considérables.
[3] La décision a été obtenue au sein de l’instance dirigeante par 14 voix des
directeurs exécutifs sur 24. Les directeurs qui ont été mis en minorité ont vivement
protesté contre cette décision, mais le débat est resté interne à l’organisation.
[4] Mais cette exigence s’est jusqu’ici heurtée à l’intransigeance de l’Allemagne et
d’une partie des pays européens. La chanceli ère Angela Merkel et son ministre des
finances, Wolfgang Schäuble, n’imaginent pas faire avaler cette idée au
contribuable allemand et encore moins au Bundestag.
APERCU DE LA SITUATION ACTUELLE EN GRECE
par Monsieur Luca Navarro
On accuse souvent la Troïka de tous les maux, et il convient de faire un
récapitulatif de cette institution célèbre dont l'origine et les ramifications le sont
nettement moins. Le terme "troïka" est un mot russe désignant un ensemble de trois
choses. L'expression "troïka européenne" a été utilisée dans les médias européens
pour désigner différents groupes, suivant les périodes.
Depuis la crise grecque, la troïka désigne les experts représentant la Commission
européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international,
chargés d'auditer la situation économique grecque et notamment l'état de ses
finances publiques dans le cadre de l'accord de refinancement négocié en mai 2010
et pendant toute la durée de validité de celui-ci. Ainsi, la Troïka est censée «
secourir » les pays surendettés grâce à des plans d'aide et des politiques d'austérité
visant à redynamiser leur économie. Mais les échecs répétés de ces méthodes déjà
expérimentées au Portugal, en Irlande ou à Chypre montrent un peu plus chaque
jour leurs défauts systémiques et leurs sens inadapté. Parti de gauche radicale,
Syriza a réussi à nouveau l'exploit de se hisser au gouvernement grec et de faire
front aux dogmes économiques imposés partout en Europe. Elu sur les promesses
de sortir la Grèce des plans d'austérité, Alexis Tsipras a senti à de nombreuses
reprises l'étau se refermer.
Deux options s'affichent alors : se laisser étrangler financièrement en persistant à
vouloir appliquer son programme originel, ou renier certaines de ses promesses et
abandonner une part de son électorat. Au vu des actualités et des accords signés, le
gouvernement grec semble dans un premier temps s'être plié aux exigences des
institutions européennes ; comme en témoigne l'accord du 13 juillet dernier souvent
comparé, telle une humiliation historique, au Traité de Versailles de 1919 ayant
favorisé à la montée des extrémismes dans l’Allemagne de la première moitié du
XX siècle. La nouvelle réélection d’Alexis Tsipras changera-t-elle la donne ?
Par ailleurs, le combat de Syriza met en lumière certains défauts de l'Union
Economique et Monétaire et pousse sur le devant de la scène un enjeu absolument
crucial, celui de l'unité même de l'Europe. En effet, le fossé se creuse entre les
économies du cœur de l'Europe et celles de la périphérie, ce qui risque de
provoquer un morcellement progressif de la zone euro et, à terme, de souffrances
sociales toujours plus vives. Pourtant, si les politiques d'austérité permettent de
rendre certains pays du Sud plus compétitifs, elles s'accompagnent également, en
moyenne, d'une baisse du niveau de vie de 20 à 30% comparé à l’avant 2008
(Thomas Piketty).
La marche de Syriza est bien entendu difficile mais terriblement bénéfique, car non
seulement elle a montré les défaillances de nombreux mécanismes d’ajustements
européens mais a également contribué à faire souffler un vent de solidarité et de
contestations partout sur le Vieux Continent, questionnant ainsi les européen-ne-s
sur les voies alternatives qu’il serait possible d’emprunter ; en témoignent la
médiatisation de l'ancien ministre des finances grec, M. Yanis Varoufakis, ou
encore l’avènement de Podemos en Espagne. Comme le disait Friedich Höderlin, «
là où croit le péril, croit aussi ce qui sauve ».
UN AVENIR POUR LA GRECE ?
Par Monsieur Gabriel Colletis
C'est en engageant le projet d'un nouveau modèle de développement sans tarder que
la Grèce pourra sortir enfin de l'état de double dépendance, politique et
économique, dans laquelle elle se situe : dépendance politique à l'égard des
institutions internationales (FMI, BCE, Commission européenne, Mécanisme
européen de stabilité financière), dépendance économique liée à ses importations et
aux financements externes.
Cinq principes nous semblent devoir guider la mise en œuvre d'un nouveau modèle
de développement pour la Grèce :





Recouvrer la souveraineté politique et économique du pays;
Développer la démocratie;
Répondre aux besoins fondamentaux du peuple grec, en valorisant le travail
et les compétences de toutes et tous;
Protéger la nature et protéger le bien commun plus généralement;
Favoriser le développement des territoires, les économies de proximité.
Trois orientations devraient être mises en œuvre pour traduire ces principes dans
des actions concrètes :



La première orientation concerne des actions à mettre en œuvre dans le cadre
d'un programme national de développement de l'industrie et de l'agriculture;
La deuxième orientation vise à développer des réseaux productifs
territorialisés (clusters);
La troisième orientation concerne des actions visant à développer des
solidarités économiques et sociales, le plus souvent territoriales. Ce type
d'action se situe dans une perspective qui l'apparente en partie aux
démarches en termes d'économie sociale et solidaire.
Que la Grèce reste membre de la zone euro ou en sorte, il est probable que le corps
social grec soit mis à rude épreuve dans le mois et peut-être les années qui
viennent. Développer en Grèce une économie solidaire, une économie alternative –
évitant ainsi les dérives délétères de l'économie parallèle, grise ou mafieuse – est
impératif.
Ce chantier doit être engagé en s'appuyant sur les expériences déjà à l'œuvre en
Grèce : dispensaires sociaux, épiceries solidaires, coopératives et associations
diverses de promotion de l'artisanat et des produits du terroir. Ainsi, si la sortie de
la zone euro doit se produire, celle-ci ne déclenchera pas -ou aussi peu que
possible- de choc de pauvreté et, à l'inverse, s’insérera alors dans le processus
d’élaboration d'un autre modèle de développement.
Dans la perspective du développement d'une économie solidaire, devront être
encouragés :



Les banques-temps et systèmes d'échanges locaux, permettant l'essor
d'échanges démonétisés;
Les circuits courts assurant une relation directe entre producteurs et
consommateurs;
L'économie circulaire, suggérant le développement de processus de
production sobres en carbone et en énergie, fondés sur l'éco-conception
devant favoriser le recyclage au meilleur coût. Des monnaies parallèles
locales (électronique ou non) devraient être favorisées, nonobstant la
possibilité d'introduction d'une nouvelle monnaie nationale qui pourrait
préfigurer en Europe le passage d'une monnaie unique vers une monnaie
commune.
Pour aller plus loin, nous vous proposons de vous renseigner sur le site
:www.unavenirpourlagrece.com
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