LA RÉPLIQUE › L’ALLEMAGNE ET LA GRÈCE Les analogies douteuses de John R. MacArthur 6 août 2015 | Frédéric Mérand - Professeur de science politique | Actualités internationales Photo: Robert Michael Agence France-Presse Une manifestation de Pegida en Allemagne. Présenter Angela Merkel avec un brassard nazi n'ajoute rien à la compréhension de la crise grecque, soutient l'auteur. À travers un subtil dosage d’anecdotes, de citations et d’images dont on ne sait pas toujours s’il les reprend à son compte, le chroniqueur John R. MacArthur avance trois idées : (1) la politique européenne du gouvernement d’Angela Merkel est comparable à celle des nazis ; (2) la situation en Europe est comparable à celle de 1940 ; (3) le président François Hollande agit comme le maréchal Pétain, un collaborateur. Il nous laisse imaginer le résultat. Ces analogies sont douteuses et méritent une réponse. Certes, la crise grecque est complexe. On peut toutefois la résumer d’une autre manière que M. MacArthur. D’abord, il faut revenir au contexte, caractérisé par les illusions de la première décennie de la monnaie unique. Au début des années 1990, les Européens créent l’euro sur le modèle du Deutsche Mark, avec des règles contraignantes pour garantir une monnaie forte. C’est le prix que la France a payé pour que l’Allemagne embarque dans son projet d’intégration européenne. Au début, tout se passe mieux que prévu. Sauf que… En 2001, la Grèce est admise dans l’euro après avoir maquillé ses chiffres pour répondre aux conditions d’adhésion. Pendant huit ans, l’économie grecque profite de taux d’intérêt avantageux qui permettent à l’État de vivre largement au-dessus de ses moyens, ce qui, dans un système clientéliste, profite bien à certaines catégories de la population. Comment l’austérité est-elle arrivée à Athènes ? En pleine crise économique et financière mondiale, le mensonge des statistiques publiques grecques éclate au grand jour. Les marchés attaquent une Grèce beaucoup plus endettée qu’elle ne le disait. Afin d’éviter la contagion et de sauver leurs propres banques, les États de la zone euro acceptent de reprendre la dette grecque, celle-ci devenant en grande partie la propriété des citoyens allemands, mais aussi français, néerlandais, etc. En échange, les créanciers privés effacent une ardoise de 100 milliards d’euros et sortent du jeu. L’austérité, qui aurait de toute manière été imposée par les marchés, l’est désormais par la « troïka », représentant les créanciers que sont les États européens, la Banque centrale et le FMI, qui impose des réformes structurelles et fiscales visant à permettre le remboursement de la dette, mais aussi à réformer un État jugé corrompu et inefficace. Le pire est évité Ceci nous amène aux négociations du printemps dernier. L’économie grecque continuant à s’effondrer à cause de l’austérité mais aussi de ses faiblesses structurelles, de nouveaux emprunts ont rapidement été nécessaires. Arrivé au pouvoir en janvier 2015, le parti Syriza d’Alexis Tsipras demande l’arrêt des réformes et une annulation de la dette. Son mandat est clair, mais sa marge de manoeuvre l’est moins. Dans un climat d’euroscepticisme croissant, aucun État européen n’est prêt à expliquer à son électorat qu’il va effacer la dette d’un pays qui n’aurait jamais dû faire partie de la zone euro. Même si Paris adopte un ton plus conciliant, l’analyse y est la même qu’à Berlin, Varsovie, Ljubljana ou Helsinki. Tsipras ne trouve aucun ami en Europe, sauf peut-être, dans un premier temps, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker. Après des semaines de négociations épuisantes sur le plan psychologique, dont un référendum inutile, l’Allemagne accepte finalement le 13 juillet dernier que les Européens octroient un prêt supplémentaire permettant à la Grèce d’honorer ses engagements à court terme. Le pire est évité, à moins de vouloir un retrait brutal de la Grèce de l’économie mondiale. Mais, comme aucun des créditeurs n’a confiance dans le gouvernement grec, ils exigent de nouvelles conditions qui, selon toute évidence, continueront à plomber l’économie grecque. Derrière Berlin, on retrouve la Finlande, les Pays-Bas et tous les pays de l’Est, souvent plus pauvres que la Grèce. Athènes n’a pas réussi à convaincre que, même sous un nouveau gouvernement, la corruption et le clientélisme étaient une chose du passé. Arrogance allemande ? Cette histoire, absurde sur le plan économique et tragique pour une partie du peuple grec, ne révèle toutefois aucune volonté de faire « souffrir » les Grecs « sous le joug allemand ». On observe plutôt des erreurs commises par toutes les parties, un système institutionnel européen défaillant, une absence de solidarité et un surplus de défiance, mais surtout des conceptions différentes de la politique économique qui cohabitent mal sous une monnaie commune. Arrogance allemande, dites-vous ? Rappelons que, depuis 2010, 260 milliards d’euros ont été prêtés à la Grèce par les États européens (soit 750 euros par habitant de la zone euro, les Allemands ayant payé davantage parce qu’ils sont plus riches), à des taux d’intérêt presque nuls. Au final, Berlin a imposé sa vision économique parce que c’est elle qui paye l’addition, alors que les appels à la solidarité lancés par Paris sonnent creux. Il est possible que la stratégie germano-française ne soit pas la bonne et certain que les conditions exigées par le ministre allemand des Finances, M. Schäuble, seront contre-productives. Mais présenter Mme Merkel avec un brassard nazi comme M. MacArthur s’est plu à le faire n’ajoute rien d’utile à la compréhension de la crise grecque.