Histoire de i`éthique médicale et infirmière. Contexte socioculturel et

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BOOK REVIEWSI COMPTES RENDUS
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Histoire de i'éthique médicale et infirmière. Contexte socioculturel
et scientifique
G. Durand, A. Duplantie, Y. Laroche et D. Laudy
Montréal: Presses de l'université de MontréauLes éditions inf., 2000,
361 p., 39.95$
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Cette Histoire de l'éthique médicale et infirmière couvre la période allant d'Hippocrate à l'avènement de la bioéthique (années 1960).Ji s'agit d'un travail collectif, produit de l'association de spécialistes issus de disciplines variées : théologie, droit, sciences infirmières, science politique. Certes, «faire de l'histoire»
n'est pas une activité réservée aux historiens. Mais il faut bien avouer que cette
activité se nourrit de l'apport de spécialistes en la matière et, si l'on regarde le
noyau dur des auteurs de cet ouvrage ou la liste des collaborateurs en sa
périphérie, une réalité s'impose: pas de signature historienne, une absence renforcée par la prédominance de chercheurs issus du monde biomédical. Et la
phrase de Denys D'Halicarnasse (historiengrec, ler siècle avant J.-C.)
proposée
en préambule au texte, d'histoire c'est la philosophie enseignée par l'exemple* ne peut
assurément suffire pour cautionner cette lacune.
Le fil conducteur de ce retour dans le passé du «questionnement éthique»
appliqué au champ de la santé est quoiqu'il en soit bien l'éthique elle-même, au
sens large de morale. L'ouvrage ne s'articule pas seulement autour d'une mise en
relief des différentes dimensions d'un concept complexe actuellement très porteur; il nous ramène à la genèse même de cette idée. il veut inclure Y éthique dans
ses principales dimensions, «la déontologie, la législation et l'analyse réflexive*; il s'attache aussi en particulier à explorer «les sources de l'éthique professionnelle» (médicale et infirmière) avant sa construction en discipline. Face à ces ambitions, le
risque de dispersion était grand, celui de noyer le concept dans une variété de
définitions et d'interprétations qui en auraient décoloré le contenu. Mais ce
n'est pas là que le bât blesse mais bien plutôt dans le fait que l'on n'arrive pas
véritablement à comprendre le choix méthodologique et problématique des
auteurs: «la réflexion éthique est tributaire, pour une bonne part, des circonstances,
des possibilités techno-scientifiques, des visions existentielles, bref de la culture. D'un côté
1...],les idéologies, les croyances, les options philosophiques influencent l'éthique. D'un
autre côté, les découvertes entraînent souvent une modification du questionnement
éthique [...]Aussice livre s'efforcera-t-il de situer l'histoire de l'éthique dans son contexte
culturel» (12-13). On ne comprend pas non plus véritablement ce qui a prévalu
à la décision de faire une histoire commune de l'éthique professionnelle médicale et infirmière : en quoi les différences soulevées entre ces deux éthiques
méritent-elies cette distinction?A l'inverse, si, comme il est dit dès l'introduction,
il n'existe pas réellement de «profession»ni d'éthique infkmière, pourquoi tenter d'en redécouvrir les racines? Sagirait-il là finalement d'un simple effet de collaboration à l'écriture du texte?
L'articulation générale du texte limite par ailleurs l'effort issu d'une initiative
assurément pertinente, celle qui devait retracer l'évolution de «questions éthiques
particulières». Ces questionnements entraînent en effet la proposition de synthèses intéressantes sur quelques sujets dont on apprécie de pouvoir suivre
l'histoire depuis l'Antiquité : confidentialité, contraception, avortement1
eugénisme, vérité au malade, suicideleuthanasie, expérimentation médicale,
responsabilité sociale. Dans un autre genre, la démarche, là aussi systématique,
qui consiste à mettre en évidence les principaux théoriciens et défenseurs de
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courants déontologiques en matière de médecine et de santé permet de retrouver facilement quelques grands noms et d'obtenir sur leur pensée des repères
utiles (d'Hippocrate à Florence Nightingale, en passant par St Vincent de Paul).
On appréciera encore le chapitre sur la période contemporaine (première moitié
du XXe siècle, 243-322), qui, tout en occupant une part non négligeable du volume comme il se doit, insiste sur les grandes phases de l'évolution éthique et
déontologique avec force dé-tails législatifs et analyse de leur contenu.
Mais, globalement, cette étude sur différents «niveaux» d'éthique est
desservie par un découpage en chapitres chronologiques dont les bornes restent
discutables. Certes, il faut noter que pour chaque grande période abordée, la
pensée éthique (déontologieprofessionnelles/questionsd'éthique en débat) est
resituée dans un contexte politique et social, un contexte sanitaire aussi, avant
d'être inscrite dans le cadre de découvertes scientifiques et techniques particulières oti encore un «contexte anthropologique». Mais n'aurait-il pas été plus judicieux de préférer cette structurethématique pour mettre ainsi l'accent sur l'histoire de l'éthique elle-meme et non sur l'histoire de la médecine en Occident et
de ses principales inflexions dans le temps? Par ailleurs, sous l'intitulé «contexte
anthropologique», il est en fait essentiellement question de courants de pensée,
d'idées médicales et non de conceptions et représentations de la santé. On a
également du mal à cautionner la séparation qui est systématiquement établie
entre toile de fond socio-politiqueet scientifique. Pour leur part, les liens entre
contexte socioculturel, contexte sanitaire et développement des connaissances
médicales pour une période donnée sont relativement mal mis en évidence,
iimitant ainsi la pertinence de survols qui s'appuient en outre sur des références
bibliographiquestrop peu historiques- alors même qu'une pléthore d'ouvrages
historiques existe justement sur ces sujets. En conséquence, les propos sur Yévolution de l'éthique et sur quelques questions d'éthique particulièrement saillantes semblent mal animées aux différents contextes évoqués et réduisent de ce
fait l'ambition originelle.
Redisons-le, la participation d'un historien aurait sûrement permis au lecteur
de mieux saisir en quoi l'avènement de cette discipline versatile qu'est la
bioéthique a changé considérablement le paysage et la problématique de
l'éthique, tout au moins en Occident, ce à quoi la conclusion de cette Histoire de
l'éthique médicale et infivmit?re ne répond pas. Au contraire, elle semble même relativiser l'importance de la rupture choisie comme jtistification à Sam& de l'étude
dans les années 1960 (323). Reste qu'il était temps de pouvoir lire une telle histoire, ne seraitte qu'au vu de la prééminence actuelle de la bioéthique dans le
champ des sciences humaines et sociales. En cela, cet ouvrage constitue une
référence d'abord aisé et agréable.
LAURENCE MONNAIS-ROUSSELOT
Université de Montréal
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