Faut-il protéger la nature?

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Faut-il protéger la nature?
Introduction rédigée
1 Opinion commune
Bien sûr. La culture, la civilisation, se définit par la séparation de l’homme d’avec la
nature et dans l’exploitation de celle-ci, comme on le ferait d’une mine. Il convient
alors de bien gérer cette ressource.
2 Nuance
Mais dans la mesure où la technique n’est pas simple prélèvement, comme dans la
prédation animale, mais modification réglée de la matière, la seule ressource dont on
ne peut se passer ultimement, qui est ainsi l’horizon, la destination, la définition,
l’essence de la technique [sa cause finale, dans le vocabulaire d’Aristote], est une
matière brute ouverte à des transformations illimitées. L’idée d’une protection de la
nature comprise comme gestion avisée de ressources finies et toujours renaissantes
s’avère alors inconsistante.
3 Problématique
Le technocosme, et indissolublement l’économie comme destruction créatrice
(Schumpeter) touche à une limite de fait: nul ne peut plus affirmer que n’importe pas
la destruction des abeilles, de la biodiversité, de la Terre -puisqu’il serait toujours
possible de fabriquer des abeilles artificielles, une biodiversité artificielle, une Terre
artificielle. Nous n’avons pas le temps. Cette limite de fait ouvre à une question de
droit: la crise écologique entraîne la réévaluation du dualisme philosophique, qui
sépare absolument l’être humain du reste de la création.
4 Conclusion et enjeux
Que deviennent alors l’humanisme et les droits de l’Homme, qui se fondent sur la
dignité absolue de l’homme, incomparable à toute chose? Leur déni serait-il vraiment
le prix à payer pour que nous puissions prendre soin de la nature, en nous et hors de
nous?
*
Comment utiliser des textes dans un plan détaillé.
On peut commencer par rendre des exemples d’actualité: développement durable, tri
sélectif, semaines vertes … Des solutions qui n’en sont pas, dérisoires.
Remonter alors à la question de droit:
Texte 1
Présentation de la philosophie de Martin Heidegger
Il s’agit désormais de penser la question de l’être à partir de la consommation de
l’étant: Les slogans de mai 1968 contre la société de consommation vont-ils jusqu’à
reconnaître dans la consommation le visage actuel de l’être?
Nouvelle figuration de l’être qui porte précisément le nom de Gestell -Dispositif, soit
l’ultime figure du destin de l’être. Ouverture qui révèle la triple trame du concept de
consommation. La première est économique: usage ayant pour fin de satisfaire des
besoins. La seconde fait résonner le terme de consumation (de destruction). La
troisième est ontologique: entendue étymologiquement (consummare), la
Consommation est le recueil final de toutes les possibilités d’un être, le moment et le
lieu de leur ultime accomplissement. La Consommation, c’est la fin (Tout est
consommé).
Rendre compte du visage actuel de l’être, c’est penser le nouage de ces trois
acceptions: usage, destruction et somme. Visage instable, en mutation continue, à la
mesure de cet ouragan perpétuel qui, selon Schumpeter, définit le capitalisme -mais
sans doute également à la mesure de l’être. Ce qu’il nous faut comprendre, c’est le
rapport entre cette instabilité et le forçage de l’être. Car les étants consommables
doivent leur statut à la façon qu’a le dispositif éco-technique de les forcer au-delà de
leur fin -de leur possibilité essentielle.
Voici une denrée alimentaire quelconque. Vous avez faim, vous faites usage de cette
chose en vue de satisfaire un besoin, vous la consommez. Supposons la question
Quelle est cette chose? La réponse qui ne se fera pas attendre est que cette chose a pour
fin de vous nourrir. Vous avez ainsi identifié la chose à partir de sa cause finale, soit
l’une des quatre causes que, depuis Aristote, la tradition philosophique repère. Mais
vous avez répondu vite, et par avance. Vite, parce qu’il est difficilement soutenable
d’affirmer que la pomme du pommier avait pour fin de vous nourrir. Sauf à placer
l’homme au centre de la création.
Le problème, c’est que l’histoire a montré un étrange double mouvement: plus
l’homme a été délogé du centre (de l’univers, des espèces, de lui-même), plus il a
aspiré ce centre dans sa propre périphérie. La question n’est ainsi pas tellement de
considérer la pomme en tant que telle, mais que l’on produit des pommiers en vue de
nourrir l’homme, qu’on les cultive à cet effet. Et nous savons bien ce que signifie la
culture intensive, l’intensification de la culture pour l’homme. Si l’on peut dire que la
pomme est faite pour que je la mange, ce n’est pas de l’anthropocentrisme, mais du
réalisme ordinaire qui laisse dans l’oubli la question de la production naturelle au
profit de la production technique parce que cet oubli est un effet même de la production à
but de consommation.
Ce qui est évident, c’est que la disponibilité de la matière pour la forme a pris un tour
extrême dans le cadre du dispositif éco-technique parvenu à son accomplissement.
La modernité techno-capitaliste repose sur l’impossibilité absolue de penser la
matière indépendamment de la forme qui la sollicite. L’époque moderne opère la
réduction des matières à la généralité amorphe. Extinction de la matière comme
finitude dans l’infinité du matériau amorphe au nom d’une mobilisation totale.
Mais qu’est-ce qu’une forme qui peut être n’importe quelle forme?
Pour répondre à cette question, il nous faut visualiser la boucle du Capital et de la
Technique. Cette dernière, nous dit Heidegger, ne doit pas être pensée en termes
d’outils, mais à partir du Gestell, d’un Dispositif Global intégrant les machines, les
êtres vivants comme les créations hybrides. Le Gestell définit l’époque dans laquelle
l’on ne fait pas que produire les choses, mais où on les provoque. La provocation met
la nature en demeure de livrer une énergie qui puisse comme telle être accumulée.
C’est ce caractère d’accumulation qui distingue la machine traditionnelle d’une
centrale nucléaire. Le fonds accumulé n’est plus simple objet, mais stock en
puissance d’actualisation: l’avion est toujours et d’abord prêt à s’envoler. L’objet
commis perd son statut d’objet parce qu’il est débordé par sa fonction. L’avion, par
exemple, se définit d’abord par le fait qu’il est commis à assurer la possibilité d’un
transport ... La provocation technique est ainsi la forme par laquelle la volonté de
volonté apparaît, en imposant calcul et organisation de toutes choses. À l’ère du
Gestell, rien n’échappe à cette provocation, pas même la vie soumise à un processus
d’intensification ...
La production d’ersatz est le processus qui a pour effet de combler le vide de l’être en
tant qu’oublié. Seulement, l’ersatz n’est pas à la mesure du vide constitué par l’oubli
de l’être, qui est impossible à combler: la volonté qui se veut elle-même, la volonté de
volonté ne peut avoir de cesse; ça manquera toujours. La Technique est par
conséquent l’organisation de la pénurie, et se place d’elle-même dans un manque
abyssal. Le remplacement d’un étant par un autre devient pour le coup une nécessité.
Cette activité de remplacement n’est pas un effet secondaire, mais relève de part en
part d’une véritable organisation: le cercle de l’usure pour la consommation
(Kreisbewegung der Vernutzung um des Verbrauchs) est l’unique processus qui
caractérise l’histoire d’un monde devenu non-monde, immonde.
Il s’agit de produire des objets remplaçables, dont la remplaçabilité soit l’essence.
Être remplaçable, cela signifie être déjà remplacé, pensé au préalable dans son
remplacement à venir. Ce n’est pas simplement l’objet qui sera remplacé par un autre,
c’est la forme de l’objet qui intègre déjà la remplaçabilité, non comme quelque chose à
venir, mais dans sa constitution même, dans son passé. Cette intégration du passé
dans l’objet distingue l’étant consommable d’un objet ayant pour finalité, usage
futur, la consommation: celle-ci devient partie prenante non pas simplement de
l’utilisation que je puis en faire, mais de l’être de l’objet -la destination de l’objet est
branchée dans le processus de production. En bref, l’étant consommable est l’application
d’une forme auto-destructrice sur un matériau amorphe. C’est en ce sens que l’étant
consommable est déjà consommé. D’un objet déjà consommé, on n’attend aucune
réparation (ontologie de l’obsolescence programmée …).
Pourtant quelque chose subsiste: non l’objet, non ce qui pourrait se transmettre, mais
le toujours-nouveau du changement permanent. La volonté de changement fait
partie d’un dispositif global où l’être lui-même ne trouve son essence que dans la
volonté de changement. Le temps de l’objet est celui de l’actualité, dont le propre est
d’être déjà passée, déjà remplacée par l’actualité suivante. C’est en ce sens qu’il faut
entendre que la consommation est le visage actuel de l’être: le visage de l’être en tant qu’il
n’est plus qu’une actualité.
Heidegger note que le terme d’espace vert tend à se substituer à celui de forêt.
Espace et non plus objet. Flux dont l’objet remplaçable n’est que le point local, mais
flux ayant perdu sa part énergétique pour devenir forme dématérialisée. Les robots
domestiques qui peuplent notre confort moderne ont certes une tendance lourde à la
détérioration rapide. N’envisager ce phénomène qu’à partir de la marchandise, soit
de l’avantage pour l’entreprise à ce que nous renouvelions notre acte d’achat, fait
l’impasse sur la facture des objets ainsi constitués. Que vend-on aujourd’hui? Pas des
vêtements, mais une attitude (Calvin Klein). Un logo, une image et, en prime, en
plus, un objet (un objet comme reste, queue de la comète publicitaire). Ou plutôt un
flux d’images qui double par avance un flux d’objets. On vend de la publicité. On
vend des expériences, des services. Changement de régime de la propriété selon les
analyses de Jeremy Rifkin: il ne s’agit plus d’acquérir et de posséder un objet, mais de
pouvoir accéder aux biens et aux services (ce qui compte n’est pas le portable, mais
l’abonnement au portable; pas l’ordinateur, mais la location et l’abonnement internet;
pas le produit, mais les moyens en logiciels pour le réactualiser sans cesse). L’objet
est ici le porteur d’une expérience nouvelle auquel les gens veulent avoir accès afin
d’y participer. Perpétuel leasing; c’est pour faire l’expérience de vivre sa propre vie
qu’on va devoir payer.
*
Voici posée la boucle du Capital et de la Technique -mais qu’en est-il de l’homme,
immergé dans la boucle, fondu dans le court-circuit de la consommation?
Nous sommes contraints d’élaborer un nouvel humanisme, au-delà du dualisme
proprement mortel entre culture et nature. Cet humanisme serait moderne, pas
technophobe. C’est seulement au moment où la terre peut être vue de l’espace, donc
grâce à la technologie -Heidegger aime à citer Hölderlin: là où croît le danger, croît
aussi ce qui sauve- qu’on peut s’aviser qu’elle une Arche. Le succès d’un film par
ailleurs médiocre, Gravity, est peut-être dû à ce qu’il raconte cette nouvelle
renaissance (les cosmonautes sont des fœtus qui naissent à la terre).
Texte 2
Une morale postdarwinienne
Pour une morale anthropocentrée, l'homme est la mesure de toute chose, c'est-à-dire
que toutes les valeurs sont obtenues par dérivation à partir des intérêts qui sont ceux
des hommes. Une morale anthropocentrée ne reconnaît de valeur aux entités du
monde naturel qu'en relation aux êtres humains et aux buts qu'ils s'assignent.
Dire d'une chose qu'elle a une valeur instrumentale signifie exactement qu'elle n'a que
la valeur que lui confère l'usage que les êtres humains peuvent en avoir. À usage
équivalent, rien ne distingue une chose d'une autre, elles sont essentiellement
interchangeables et ne possèdent aucune propriété qui leur conférerait une valeur
incomparable - une valeur intrinsèque.
En son projet inaugural, l'éthique environnementale se propose précisément de
mettre fin à l'anthropocentrisme des valeurs, en travaillant à élaborer une morale qui
prenne soin de ne pas succomber à la tentation anthropocentrique, parce qu'elle
estime que l'anthropocentrisme est, dans une large mesure, à l'origine des problèmes
environnementaux que nous rencontrons.
Dans ces conditions, l'on comprend aisément pour quelles raisons l'éthique
environnementale n'est pas et ne pouvait pas être une forme d'éthique appliquée au
domaine particulier de l'environnement, prenant place à côté de l'éthique appliquée
des affaires, de l'éthique appliquée d'entreprise, et autres éthiques
d'accompagnement du développement industriel. Le propre d'une éthique de ce
genre est qu'elle se contente, à l'instar de la bioéthique, d'appliquer le modèle de l'une
des morales normatives disponibles (d'inspiration utilitariste, déontologique, etc.)
aux problèmes éthiques inédits suscités par le développement technologique, en
soulevant la question des normes et des règles qui doivent lui servir de limites. Une
éthique appliquée cherche à résoudre des problèmes nouveaux en l'examinant dans
le cadre ancien de l'une des morales déjà existantes. Or l'ambition d'une éthique
environnementale est tout autre, puisqu'il s'agit pour elle d'interroger explicitement
les modalités générales du rapport à la nature tel qu'il a été pensé par la tradition
philosophique, morale, scientifique et religieuse pré-ptoléméenne et prédarwinienne, si bien qu'il ne nous soit plus possible de puiser sereinement dans cette
tradition les éléments permettant de fournir une solution aux problèmes écologiques
auxquels nous sommes confrontés, dans la mesure où cette tradition fait elle-même
partie du problème.
Une morale non anthropocentrée soucieuse d'apporter des solutions à la crise
écologique - une éthique environnementale- devra, par voie de conséquence, se
donner pour tâche prioritaire de rompre avec cette représentation de l'homme
consistant à le situer au sein d'une hiérarchie de l'être comprise comme ordre de
perfection.
Il est nécessaire d'apprendre à percevoir l'homme, non plus comme le rejeton choyé
de la création, mais bien plutôt comme un compagnon voyageur des autres espèces
dans l'odyssée de l'évolution, dans une perspective darwinienne, où la théorie de la
descendance avec modification et l'image de l'arbre phylogénétique sont appelées à
jouer un rôle décisif pour extirper des consciences l'idée d'une échelle des êtres.
Dès lors qu'on en vient à se considérer soi-même comme membre d'une communauté
de vie avec laquelle nous avons co-évolué, le tracé des frontières de ladite
communauté demande à être réexaminé. L'éthique environnementale tient sa
spécificité du fait qu'elle prend au sérieux la possibilité de concevoir les êtres vivants
non humains, ainsi que les composantes abiotiques du milieu naturel, comme des
patients moraux, c'est-à-dire comme des êtres susceptibles d'être présentés comme
des objets de préoccupation morale pour eux-mêmes.
Il ne s'agit donc pas de promouvoir des comportements normatifs vis-à-vis de
l'environnement non humain en fonction de la prospérité et du bien-être humain,
puisque cela revient à n'attribuer de valeur à la nature qu'en fonction des hommes
(donc une valeur instrumentale). Il ne s'agit pas davantage de promouvoir un usage
pondéré, un usage durable des ressources naturelles pour garantir la survie de
l'humanité. Ce que l'éthique environnementale revendique bien plutôt, c'est la prise
en compte morale de l'environnement non humain pour lui-même. Elle s'oppose à la
réduction des éléments composant l'environnement à de seules et uniques
ressources, et entend mettre au jour la nature comme lieu de valeurs intrinsèques
dont l’existence commande un certain nombre d’obligations morales.
Stéphane Afeissa, la communauté des êtres de nature
*
Mais tel a toujours été le propos de l’humanisme
Descartes n’était pas dualiste, ni le rationalisme auquel renvoie justement l’adjectif
cartésien, pour lequel l’homme n’a jamais été un empire dans un empire (Spinoza).
Habiter la terre n’est pas la dominer, sinon par métaphore, comme un plaisant effet
conscient de bonne magie. Il convient de dépoussiérer les textes, mieux compris
grâce au détour critique, fécond, heideggérien.
Texte 3 et commentaire
Sitôt que j'eus acquis quelques notions générales touchant la physique, et que
commençant à les éprouver en diverses difficultés particulières, j'ai remarqué jusque
où elles peuvent conduire, et combien elles diffèrent des principes dont on s'est servi
jusqu'à présent, j'ai cru que je ne pouvais les tenir cachées sans pécher grandement
contre la loi qui nous oblige à procurer, autant qu'il est en nous, le bien général de
tous les hommes. Car elles m'ont fait voir qu'il est
possible de parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie, et qu'au lieu de
cette philosophie spéculative, qu'on enseigne dans les écoles, on peut en trouver une
pratique, par laquelle connaissant la force et les actions du feu, de l'eau, de l'air, des
astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement
que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer
en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres et ainsi nous rendre
comme maîtres et possesseurs de la nature. Ce qui n'est pas seulement à désirer pour
l'invention d'une infinité d'artifices, qui feraient qu'on jouirait, sans aucune peine,
des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s'y trouvent, mais
principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le
premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie.
Descartes
Commentaire:
Comme maîtres et possesseurs de la nature, de l'importance de lire un texte sans
oublier les conjonctions.
Cette expression célèbre utilisée par Descartes dans le Discours de la Méthode lui a été
reprochée comme point de départ de la volonté (folle et vouée à l’échec)
d'appropriation de la nature par l’homme, et finalement de la destruction de l’écosystème.
Or que dit Descartes, et quel est ce projet? Les choses naturelles peuvent changer de
figures sans cesser d'être naturelles, leurs propriétés peuvent être diversement
utilisées sans inverser pour cela leur finalité, car les hommes ne savent pas pour
quelles fins Dieu les a créés.
Descartes ne prône pas la conquête de la nature par l'homme. Mais son utilisation
intelligente grâce à la connaissance que la physique apporte.
Que l'homme puisse véritablement être et se considérer le maître de la nature serait
une absurdité et une puérilité. La maîtrise technique d'un objet n'induit pas une
conduite de domination, mais de responsabilité.
Les notions de maîtrise et de respect de la nature sont fétichistes en ce qu'elles
étendent aux choses des rapports qui ne sont sensés qu'entre les hommes. La relation
de domination ne s'exerce qu'entre le maître et son esclave, non entre un homme et
une chose. D'où certaines pratiques magiques, comme de prier pour qu'il pleuve,
Mais agir par signes ne produit aucun effet sur la nature à laquelle il est impossible
de commander. La physique moderne libère de ce genre de superstition en
désenchantant le monde, c'est-à-dire en le dépouillant de nos illusions
anthropomorphiques.
Cependant la position de Descartes n'est pas purement matérialiste et ne vise pas
simplement le confort matériel des hommes, mais poursuit des buts plus élevés. C'est
pourquoi il va préciser ensuite ce qui motive réellement son désir de faire évoluer la
science dans la voie qu'il vient d'indiquer. Descartes considère que la vie de l'Esprit
même si selon lui ce dernier est substantiellement distinct du corps, est dépendante
de l'Union de l'âme avec le corps, ce qui fait que la santé de celui-ci a une incidence
sur son équilibre et son activité: il n'est pas difficile de comprendre que la souffrance
ou la fatigue du corps empêche l'esprit de penser avec rigueur et lucidité. C'est
pourquoi il affirme que la réalisation de son projet aurait pour conséquence, en
faisant progresser la médecine (qui est une technique avant d'être une science), de
rendre les hommes plus sages et plus habiles qu'ils n'ont été jusqu'ici ...
Alors, sachant que nous ne pouvons transformer la nature qu’en fonction de ses lois,
nous savons que notre maîtrise est relative aux connaissances toujours limitées que
nous en avons, qu'elle n'est maîtrise que par métaphore: la science moderne nous
rend comme maîtres et possesseurs de la nature, pour parler comme Descartes; qui
ne s'est donc pas trompé. Un homme qu'on dit comme mort n'est pas mort.
Ce qui ne contredit pas le christianisme, pour lequel en effet seul Dieu est réellement
maître, Dominus, Seigneur. Et la domination (donc relative) que Dieu laissera
l'homme sur la nature n'est pas violence, comme serait une sorte de droit d’user et
d'abuser. La prise de possession de la nature par l'homme ne saurait donc s'entendre
comme l'exercice d'un pouvoir arbitraire d'une partie de la nature sur les autres, mais
à la façon dont on peut dire que le danseur prend possession de son corps, c'est-àdire le spiritualise. Ainsi la transformation de la nature ne se réduit pas à sa fonction
vitale (se protéger des intempéries par exemple) mais consiste à prendre possession
de la nature en la rendant humaine, pour l'habiter comme l'âme du danseur habite
son corps.
On a toujours su que l’homme était intendant, et pas propriétaire, d’abord dans la
tradition religieuse, dont c’est peut-être une quasi-définition. Chacun sait que la
Croix a été taillée dans un morceau de bois à demi-fossilisé de l’Arche de Noé.
Texte 4
L'héritage judéo-chrétien est ambivalent, en admettant que l'expression même
d'héritage judéo-chrétien ait le moindre sens dans la mesure où elle met en rapport
des entités qui n'ont jamais existé à l'état chimiquement pur. S'il est indéniable que
l'homme est bien souvent présenté comme une sorte de rejeton choyé de la création,
lequel a le droit, en tant que tel, de soumettre la nature et de l'exploiter, de dominer
sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, et toutes les bestioles qui rampent sur la terre
comme le dit un célèbre verset de la Genèse, mis en scène dans le film Django
comme justification hallucinée de l’esclavage, cette inspiration anthropocentrique
n'est nullement exclusive de son contraire. Elle n'a pas empêché le développement
d'une sensibilité proprement écologique à l'endroit de la diversité et de la beauté de
la création, au sein de l'immensité de laquelle l'homme est censé occuper la place
d'un gérant ou d'un intendant des richesses de la nature, responsable devant Dieu
de ses créatures.
La supériorité des êtres humains, loin de leur conférer de manière univoque tous les
droits, leur donne donc aussi des nouveaux devoirs en augmentant leur
responsabilité. Respondere signifie répondre. Nous répondons de la nature (et non à la
nature). Les êtres humains, seuls d'entre les êtres à avoir pris la parole, se trouvent
pour cette raison même promus au rang de porte-parole de la création.
C'est le sens de la splendide formule de Diderot, Ils dorment et nous veillons.
L'inspiration écologique est celle que François d'Assise a cherché à insuffler au
christianisme dans le Cantique des Créatures.
Stéphane Afeissa, la communauté des êtres de nature
*
Respecter l’humanité -ensemble des vivants dotés de conscience qui ont vécu, vivent et
vivront- est ainsi étendu à: respect d’une vie future vraiment humaine, et pas seulement
d’une survie-incluant la jouissance de valeurs (esthétiques, morales? …) comme celle
de la biodiversité.
Dans la mesure où il n’y a pas de présent humain qui ne soit ouvert à un avenir, sous
peine d’être un brouillon informe, cet impératif au présent de respecter ce qui
n’existe pas encore est rationnellement justifié. La question finale de Jonas peut
recevoir une réponse laïque, ce qui est absolument nécessaire.
Texte 5
L’impératif adapté au nouveau type de l'agir humain et qui s'adresse au nouveau
type de sujets de l'agir s'énoncerait à peu près ainsi: Agis de façon que les effets de
ton action soient compatibles avec la permanence d'une vie authentiquement humaine sur
terre; ou pour l'exprimer négativement: Agis de façon que les effets de ton action ne
soient pas destructeurs pour la possibilité future d'une telle vie; ou simplement: Ne
compromets pas les conditions pour la survie indéfinie de l'humanité sur terre; ou encore,
formulé de nouveau positivement: Inclus dans ton choix actuel l'intégrité future de
l'homme comme objet secondaire de ton vouloir.
On voit sans peine que l'atteinte portée à ce type d'impératif n'inclut aucune
contradiction d'ordre rationnel. Je peux vouloir le bien actuel en sacrifiant le bien
futur. De même que je peux vouloir ma propre disparition, je peux aussi vouloir la
disparition de l'humanité. Sans me contredire moi-même, je peux, dans mon cas personnel comme dans celui de l'humanité, préférer un bref feu d'artifice
d'extrême accomplissement de soi-même à l'ennui d'une continuation indéfinie dans
la médiocrité.
Or le nouvel impératif affirme précisément que nous avons bien le droit de risquer
notre propre vie, mais non celle de l'humanité; qu'Achille avait certes le droit de
choisir pour lui-même une vie brève, faite d'exploits glorieux, plutôt qu'une
longue vie de sécurité sans gloire (sous la présupposition tacite qu'il y aurait une
postérité qui saura raconter ses exploits), mais que nous n'avons pas le droit de
choisir le non-être des générations futures à cause de l'être de la génération
actuelle et que nous n'avons même pas le droit de le risquer.
Ce n'est pas du tout facile, et peut-être impossible sans recours à la religion, de
légitimer en théorie pourquoi nous n'avons pas ce droit, pourquoi au contraire
nous avons une obligation à l'égard de ce qui n'existe même pas encore et ce qui de
soi ne doit pas non plus être, ce qui du moins n'a pas droit à l'existence, puisque
cela n'existe pas. Notre impératif le prend d'abord comme un axiome sans
justification.
Hans Jonas, Le Principe responsabilité (1979)
*
Il faut historiciser ce que l'on nomme à tort la crise environnementale. A tort, car il
s’agit d’une crise de l’Humanité, qui remet en question ce qui a été commencé au
néolithique. Faux départ! Comment entrer dans l’histoire, comme le disait Marx,
c’est-à-dire sortir de la pré-histoire d’une humanité divisée en classes et finalement
auto-destructrice?
L’histoire de la nature est l’histoire de nos rapports avec la nature, ce qui a toujours
été le cas mais qui apparait maintenant en pleine lumière, soit l’histoire du rapport
des hommes entre eux. Ce rapport est la guerre, sociale et inter-étatique. Protéger la
nature revient à imaginer la paix.
Texte 6
L’Anthropocène est cette période géologique dans laquelle nous serions entrés. Elle
succède à l'holocène, commencé il y a 11 500 ans, et définit un nouvel âge de la Terre
-ou plutôt du système Terre-dans lequel l'action de l'homme est devenue la force
géophysique dominante. Les traits majeurs de cette nouvelle époque géologique sont
connus: altération de la chimie de l'atmosphère, modification à grande échelle des
milieux naturels, surexploitation des ressources. Avec, au centre de tout, l'impuissante
puissance de l'homme, selon l'expression de Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste
Fressoz. Dans L'Evénement anthropocène (Seuil), les deux historiens, chercheurs au
CNRS, ont entrepris de raconter l'entrée dans cette nouvelle ère et d'en dévoiler les
grands déterminants.
Que peut apporter l'Histoire à la compréhension de l'anthropocène?
La première chose qui frappe est que les discours sur ce que l'on nomme la crise
environnementale ou sur l'anthropocène sont à peu près complètement a-historiques.
Les anthropocénologues se limitent généralement à montrer des courbes assez
déprimantes qui montent depuis la révolution thermo-industrielle et s'accélèrent
depuis les années 1950 : croissance des émissions de gaz à effet de serre,
augmentation des températures, évolution des surfaces de terre exploitées, érosion
de la biodiversité, etc. Toutes ces courbes sont présentées comme une sorte de
tableau de bord de la planète. Mais ce qui est frappant, c'est qu'il n'y a pas réellement
d'histoire permettant d'expliquer ces phénomènes de manière causale. Aligner les
chiffres de la croissance démographique, de celle des produits intérieurs bruts ou des
échanges internationaux ne tient pas lieu d'explication. Or ces courbes qui grimpent
sont pourtant bel et bien la résultante de processus historiques.
Historiciser la révolution géologique que nous vivons depuis deux siècles environ,
c'est aussi en éclairer les enjeux politiques. Le constat scientifique de l'anthropocène,
c'est-à-dire de l'empreinte gigantesque, tellurique, des humains sur le devenir de la
Terre, est incontestable. Mais on ne peut pas se satisfaire de l'histoire officielle de
cette ère que nous racontent les scientifiques et certains philosophes selon laquelle
l'humanité, nous, avons depuis deux siècles, sans nous en rendre compte, abîmé la
planète, avant qu'une poignée de scientifiques nous fassent prendre conscience du
danger vers la fin du XXe siècle.
N'y a-t-il pas une part de vérité dans ce récit?
Il est plein de présupposés. D'abord, il suppose que, depuis deux siècles, nous ne
savions pas. Or, le travail historique montre au contraire qu'il y avait des savoirs
populaires et savants sur nombre de questions environnementales dès le tournant du
XVIIIe siècle: sur les liens entre déforestation, climat et précipitations; sur ceux qui
existent entre l'environnement et la santé ... Nous sommes entrés dans l'anthropocène
précisément au moment où émergent des théories et des savoirs très importants sur
ces questions -questions qui agitent les académies des sciences, les tribunaux ou les
parlements au début du XIXe siècle! Ce n'est pas grâce à la science dernier cri que la
question environnementale a émergé.
En ignorant cela, le récit officiel de l'anthropocène donne le sentiment que la prise de
conscience ne provient que des milieux scientifiques éclairés et que, par voie de
conséquence, eux seuls détiendraient les solutions. Or cette façon de raconter les
choses fait passer au second plan les mouvements socio-environnementaux (autour
des forêts, des biens communs, des luttes contre les pollutions voire contre les
machines, etc.) qui traversent la société de longue date. Si les travaux scientifiques
sont essentiels, ce n'est pas seulement des élites technoscientifiques que sont venues
et que viennent les prises de conscience, ce sont plutôt par tous les pores de la société
qu'émergent, à chaque époque, des contestations, des alternatives et des solutions
face aux dérèglements écologiques. On ne peut réduire la société à une sorte de
masse aveugle devant être guidée par la science ...
En outre, le terme même d'anthropocène implique que la catégorie qu'il faut étudier
dans son interaction avec le système Terre, c'est l'homme lui-même, en tant
qu'espèce. Mais ce nous biologique et indifférencié n'a pas de sens: un Ethiopien
consomme trente fois moins de ressources qu'un Américain!
Que nous dit l'Histoire de l'entrée dans l'anthropocène? Que nous dit-elle de notre
situation présente?
D'abord, que ce que nous vivons n'est pas une crise environnementale, comme on le
dit souvent. Le terme crise renvoie à une situation aiguë, provisoire. Or, c'est une
mutation géologique qui s'est engagée: même si les émissions de gaz à effet de serre
chutaient fortement, les climatologues nous disent qu'il faudrait plusieurs milliers
d'années avant que le système climatique ne revienne sur sa trajectoire d'avant la
révolution industrielle.
Ensuite, l'Histoire nous montre que nous ne sommes pas entrés dans l'anthropocène
par inadvertance, mais par des processus qui ont systématiquement placé hors jeu
des résistances sociales à développer telle ou telle technologie, à faire tel ou tel choix
économique. Une telle lecture nous rend alors davantage conscients des rapports de
force, des processus de désinhibition qui sont aujourd'hui à l'œuvre.
Cette lecture conduit à abandonner toute autosatisfaction: depuis trente ans, on s'est
beaucoup félicité de notre prise de conscience environnementale planétaire, chacun
s'est proclamé plus réflexif, plus vert et plus durable que par le passé ... Pourtant, au
cours de cette même période, les dérèglements écologiques n'ont fait que s'aggraver.
Prenons par exemple un concept à la mode comme celui de transition énergétique:
historiquement il n'y en a jamais eu de réelle. On a ajouté le pétrole au charbon, que
l'on avait ajouté au bois ... Les précédents historiques de réduction des émissions
correspondent à des crises subies: Etats-Unis après la crise de 1929, Allemagne après
1945, Russie après 1992 ...
On imagine qu'une réduction à la hauteur des dangers climatiques dans notre société
ne pourra pas s'obtenir avec des technologies vertes, des plans d'isolation thermique
ou des écotaxes: c'est tout un mode de production, d'urbanisation et de
consommation qu'il s'agira de repenser, dans le cadre d'un pacte social et
démocratique radicalement nouveau.
Pas de fatalisme pour autant! Des choix sont possibles et il existe de multiples façons
de bien vivre. Par exemple, en 1913, la population française avait un produit national
brut (PNB) par habitant de seulement 20 % inférieur à celui des Anglais, tout en
ayant émis quatre fois moins de CO2 depuis 1750: on peut y voir une leçon de
pluralité des modèles de développement possibles.
Au terme de quels processus historiques le modèle dominant actuel s'est-il
imposé?
Il y a toute une historiographie sur la globalisation et l'utilisation de l'énergie qui
prend une nouvelle dimension au prisme de l'anthropocène. Par exemple, si l'on fait
la somme des émissions de dioxyde de carbone des Etats-Unis et du Royaume-Uni,
on voit qu'il faut attendre les années 1980 pour que le reste du monde atteigne le
même niveau! Donc l'anthropocène est d'abord un anglocène. Or le Royaume-Uni et
les Etats-Unis sont respectivement les puissances dominantes aux XIXe et XXe
siècles: en creusant cette piste, on réalise que les émissions des gaz à effet de serre l'un des éléments clés de l'entrée dans l'anthropocène- ont des liens étroits avec les
projets de domination globale.
De même, la grande accélération des dérèglements écologiques après 1945 ne peut se
comprendre sans la pétrolisation des sociétés et la course gigantesque de la guerre
froide.
Parmi les acteurs qui ont contribué à la situation actuelle, l'institution militaire tient
une place centrale. D'abord, les théâtres d'affrontement sont fortement dégradés pour
longtemps, comme au Vietnam, où l'utilisation intensive de défoliants a détruit un
quart de la forêt et imprègne toujours les populations humaines.
Plus profondément encore, l'institution militaire, en inventant des outils pour tuer les
humains, a développé des outils pour tuer le vivant en général. Le transfert des
technologies militaires dans le monde civil a joué un rôle moteur dans
l'anthropocène. Par exemple, les pesticides sont directement hérités des travaux
menés pour mettre au point les gaz de combat. Historiquement, le développement
des engrais azotés a été intimement lié à celui des explosifs et c'est l'arrivée de ces
intrants qui a profondément changé l'agriculture, en la rendant très énergivore. De
même, les nouvelles technologies de pêche -qui permettent la surexploitation actuelle
des océans sont récupérées des radars et des sonars inventés pendant la seconde
guerre mondiale. Même le nylon des filets de pêche est une invention militaire! Les
exemples sont nombreux: de l'aviation à l'utilisation de l'aluminium en passant par
l'énergie nucléaire ...
De manière générale, l'institution militaire ne prête aucune attention à la sobriété
énergétique. On le comprend bien: lorsque l'enjeu est de tuer pour ne pas être tué, la
question de l'efficacité énergétique des systèmes mis en œuvre devient accessoire. La
tendance qu'ont eue les technologies militaires à innerver le monde civil a ainsi
largement contribué à rendre nos sociétés aussi énergétiquement voraces. De ce point
de vue, on peut donc également parler de thanatocène.
Le Monde, 09.11.13
*
Conclusion: prendre soin
Il ne s’agit donc plus de protéger, la protection étant une variante de la domination,
peut-être sa première définition, mais de prendre soin. Culture est alors synonyme de
recherche -créatrice!- de la paix.
Prendre soin de la nature revient à chercher les conditions de cette paix hors de nous
et finalement en nous. Ce que notre époque nomme l’inconscient ne peut-il être
pensé comme l’immémorial, le naturel en nous? (Merleau-Ponty)
Texte 7
La culture est encore le seul remède à la crise de la culture: si l'homme est bien seul,
entre ces deux absolus que sont l'animal et Dieu, à devenir imbécile, il est aussi le
seul à être perfectible. L'imbécillité est la rançon de la perfectibilité, c'en est même
peut-être la condition: il y a du jeu, du vide, du creux, pas de nature préétablie:
l'homme, on ne sait pas encore bien ce que c'est.
Comment sortir de l'état d'imbécillité? Tant qu'on demeure sur le plan du dualisme
nature-culture, on se heurte à ces signes que sont la mélancolie et la mauvaise
conscience, expressions affectives de la contradiction. Reste alors une troisième voie,
puisque la tâche de la vraie culture -de la pensée- est de rendre possible la rupture
du processus d'uniformisation, l'émergence d'une pluralité expressive et originale.
Une pratique nous montre la voie, celle de l'art contemporain. L'art constitue une
forme de renaturalisation, non au sens de retour, mais au sens où ce terme peut
nommer un apprentissage inédit des Formes de la nature, une pratique de l'invention
retrouvée, de la création continuée de la Nature naturante.
Toute culture vivante exprime toujours, par le travail des formes plastiques ou
discursives, son appartenance à la Nature naturante. Les artistes savent ça très bien:
Cézanne et la géologie de la montagne Sainte-Victoire, Ponge et le parti pris des
choses, Dubuffet et l'art brut, Varèse et le bruit, Klee et la Nature naturante ... Ils
mettent en œuvre ce que Lévi-Strauss nomme pensée sauvage, vrai universelpartout plus essentielle que la pensée domestiquée, qui dit que la culture n'est pas un
empire dans un empire, qu'elle est l'expression d'une nature qu'elle doit reconnaître
et manifester, sous peine de mort, dans sa vérité.
Une culture qui serait attentive à ce qui surgit et s'exprime en deçà de l'humain et
au-delà de lui, science du concret, pensée sauvage qui ramènent cet humain à
davantage de modestie, et aux richesses d'une spontanéité (nature) travaillée et
alertée (culture). Culture devient l'adjectif de nature, c'est nature qui devient la vraie
substance de la vie culturelle: apprendre à voir, à entendre, à sentir, contre les
valeurs culturelles, les maisons de la culture et leur écrasante et clôturante logique.
Ainsi pour que l'homme devienne ce qu'il est, alors qu'il ne sait rien de cet être, pour
que le monde retrouve son unité et sa cohérence, au-delà de son être d'objet (de
science, de technique...), il faut penser l'Un.
La nature naturée et la culture sont des expressions déterminées, mais contingentes
en leur être actuel, de la Nature naturante, c'est-à-dire de l'Etre, envisagé en dehors
de tout modèle ou de toute représentation.
C'est cela que vise Lévi-Strauss quand il distingue d'une part l'humanisme
aristocratique de la Renaissance et l'humanisme bourgeois du XIX siècle, qui sont des
humanismes de privilégiés, et d'autre part un humanisme à venir [présent en
filigrane dans les humanismes historiques avec une variable fermeté], pour lequel
rien de naturel ne saurait être étranger à l'homme.
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