L`entretien AVK à l`officine

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Synthèse
J Pharm Clin 2014 ; 33 (2) : 83-6
L’entretien AVK à l’officine : un enjeu
de santé publique
VKA patient counseling by French retail’s pharmacists:
healthcare outcomes
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017.
Fabrice Veron
Pharmacie du Rouret, Place du Collet, Le Rouret, France
<[email protected]>
Résumé. Face au problème majeur de santé publique que sont les 6 000 décès par an par accidents hémorragiques
et thrombo-emboliques engendrés par les anticoagulants antivitamines K (AVK) (à comparer aux 3 000 décédés sur
les routes en 2013), a germé le projet inédit de donner une mission au pharmacien d’officine français : organiser
des entretiens pharmaceutiques construits, objectivés et rémunérés avec les patients sous traitement anticoagulant.
Ce challenge est d’autant plus d’actualité avec la diffusion massive des nouveaux anticoagulants (Naco) nécessitant
une surveillance accrue de la fonction rénale. Globalement, les premiers enseignements de cette nouvelle pratique
professionnelle sont très positifs en termes quantitatif et qualitatif : de nombreux pharmaciens ont mené leurs
entretiens ; l’accueil, l’intérêt et les informations acquises avec les patients (dans le respect des règles de l’éducation
thérapeutique), les échanges avec les médecins, les infirmières et les biologistes, laissent entrevoir une vraie
opportunité de mettre en avant tout le potentiel d’amélioration en santé publique : utiliser les compétences, les
capacités d’organisation que peuvent apporter les pharmaciens d’officine auprès des patients pour peu que les
instances leur fassent confiance, les accompagnent et leur donnent les moyens de se former et de mener ces
missions en réseaux interprofessionnels de ville et d’hôpital.
Mots clés : entretien AVK, pharmacie d’officine, santé publique, nouvelles missions, pharmacien, organisation
interprofessionnelle, compétences, moyens, éducation thérapeutique
Abstract. Our French health authorities have to deal with a big issue: 6.000 deaths per year are caused by anticoagulants VKA (vitamin K antagonist) side effects such as bleeding and thromboembolic complications (compared
to 3.000 deads on roads in 2013). Hence, French retails’ pharmacists driven by health authorities are involved in a
large national initiative. Indeed, for the first time, they have to organize structured pharmaceutical interviews, with
planned objectives and honorarium, recruiting patients under anticoagulants among their patient population. This
challenge is underlined by massive prescriptions of new anticoagulants (NACO) requiring greater attention regarding side effects and close follow-up of renal function. Currently, first reports are very positive. Many pharmacists
led these pharmaceutical interviews. Respectively, interest and informations acquired by enrolled patients (following therapeutic education’s rules), relationships with both physicians, nurses and biologists, strongly reinforce
networking and raise the opportunity for disease management improvement in public health. From an healthcare
system point of view, skills and retails pharmacists’ organization can provide a new way to prevent patients’ bleeding risks and demonstrate how confident they can be regarding interactions between patients and healthcare
professionals network. Such collaborative work improve quality of care, patient satisfaction and finally, healthcare
outcomes.
Key words: VKA pharmaceutical interviews, community pharmacy, public health, new missions, pharmacists,
interprofessionnel network, skill, cost, therapeutic education
Tirés à part : F. Veron
Pour citer cet article : Veron F. L’entretien AVK à l’officine : un enjeu de santé publique. J Pharm Clin 2014 ; 33(2) : 83-6 doi:10.1684/jpc.2014.0279
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F. Veron
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017.
L’
enjeu de la mise en place des entretiens AVK à
l’officine représente un changement complet de
paradigme dans la relation avec le « malade » ;
en effet, dès les premières prises de rendez-vous puis le
déroulé de l’entretien proprement dit, se tisse une relation
de traitant à patient et efface partiellement la relation de
commerçant de détail à client.
Dans la majorité des cas, les patients attendent que
les traitants prennent le temps de leur expliquer leur
traitement, ce qu’ils vont avaler/injecter, pour quels
bénéfices et avec quels risques, qu’ils prennent le temps
d’échanger, d’obtenir des réponses à leurs questions
simples ou complexes ; en définitive, ils attendent d’être
traités comme des personnes intelligentes, capables
d’autonomie, de prise en charge personnelle ; a contrario, le temps manque à la majorité des traitants avec le
risque d’entretenir le comportement passif voire d’assisté
du malade.
A donc germé dans l’esprit des instances de santé
d’utiliser les compétences d’un spécialiste du médicament, d’un professionnel de santé qui puisse se rendre
disponible sous la forme d’un entretien préliminaire dans
un espace de confidentialité (une salle d’orthopédie par
exemple, ou chez le patient quand cela est nécessaire)
sur une durée de 40 min aux heures qui conviennent aux
deux parties (heures de fermeture : entre 12h et 14h30, de
7h30 à 8h30) avec, si nécessaire la personne proche qui
gère les médicaments du patient (le conjoint, le parent).
Un deuxième entretien de 20 min est programmé 2 mois
après afin d’avoir du recul sur les améliorations apportées
ou celles qui restent à mettre en place. Bien entendu, le
patient est libre de répondre favorablement à cette invitation du pharmacien ou de sa caisse d’assurance-maladie
et d’en sortir dès qu’il le décide.
À la pharmacie du Rouret, les premiers rendez-vous
ont démarré début juillet après la publication du texte
officialisant cet accompagnement.
La phase initiale de l’entretien n◦ 1 démarre par le
remplissage du formulaire d’adhésion par le patient et le
traitant, ainsi que la demande d’autorisation d’informer
leur médecin traitant ou celui qui les suit.
Après examen des documents institutionnels proposés, il s’est avéré que ces outils ne convenaient pas à
l’approche du patient sous l’angle de l’éducation thérapeutique avec ses valeurs (empathie, sans juger, ludique,
en utilisant des questions ouvertes, en rebondissant
sur les questions, en respectant les silences) créatrices
d’alliance thérapeutique, et par rebond, créatrices d’une
bien meilleure observance. Au vu des enquêtes sur
l’observance des patients dans les maladies silencieuses
chroniques telles que le diabète, l’hypertension, les maladies cardiovasculaires en général, celle-ci baisse fortement
au bout de quelques mois du fait de nombreux facteurs
personnels (lassitude, perte de motivation, perte de sens),
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contextuels (crise de confiance dans les traitants, dans les
médicaments, scandales multiples et variés, difficulté à
trouver des informations sérieuses, fiables, dénigrements
et désinformations virales sur la toile d’araignée qu’est
le réseau mondial d’internet) et inhérents à ces pathologies silencieuses uniquement motivées par des données
biologiques et peu de symptômes ressentis au long cours.
Les enquêtes de confiance démontrent année après
année que le pharmacien a un capital de confiance
important au regard du public, malgré les attaques régulières sur son savoir-faire et son utilité de santé publique.
Cette confiance appelle donc à une obligation de compétence, de respect et de rigueur à la hauteur de ces attentes
fortes ; l’occasion (la première depuis plus de vingt ans ?)
nous est donnée de prouver que nos années d’étude en
pharmacologie, chimie et autre pharmacocinétique sont
plus utiles au patient que nos modules d’économie sur le
calcul de la marge, du prix de vente par rapport au prix
d’achat et de la gestion de trésorerie.
En m’inspirant des outils développés en service de
pharmacie et néphrologie de l’hôpital Broussailles à
Cannes (06), j’ai choisi de mettre en place pour l’entretien
individuel en première phase un questionnaire vrai-faux
sur des assertions simples sur les 4 thèmes : les AVK,
l’INR, les interactions médicamenteuses et alimentaires,
l’hospitalisation.
En pratique, étant donné que cela crée un climat
convivial, le patient est libre d’intervenir, de poser les
bonnes questions, et de se servir du questionnaire comme
outil pour rebondir sur toutes les questions qu’il se pose
sans oser les poser. Cela permet de porter l’accent sur les
thèmes qui ressortent comme prioritaires.
En compagnie du patient, on s’aperçoit que pour le
patient A, nous allons préciser le risque hémorragique de
l’AVK car il a souvent des pétéchies, des bleus inexpliqués
(tableau 1).
Pour le patient B qui a perdu une grande partie de son
acuité visuelle il y a deux ans, on réalise que la simple
opération laser de la cataracte nécessitait vraisemblablement un arrêt des AVK avec switch sur HBPM afin de
réduire le risque d’hémorragie oculaire, ayant entraîné
cette cécité partielle vraisemblablement, à l’instar de ce
que faisait son dentiste systématiquement. Cela peut arriver à chacun de nos patients et un averti en vaut deux.
Pour le patient C, à qui on avait prescrit et dispensé
un nouvel antidépresseur inhibiteur de la recapture de
la sérotonine il y a deux mois et qui avait constaté une
remontée de l’INR au-dessus de la marge thérapeutique
sans faire le lien de cause à effet entre les deux.
Pour le patient D dont l’activité principale et le plaisir sont de s’occuper de son potager, gros consommateur
de tomates, accompagnées de laitue, de concombres et
d’huile d’olive depuis 2 mois a constaté la baisse de son
INR en dessous de la marge de sécurité et s’est inquiété
J Pharm Clin, vol. 33 n◦ 2, juin 2014
L’entretien AVK à l’officine
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Tableau 1. Synthèse des cas décrits.
Patients
Commentaires
Patient A
Risque hémorragique de l’AVK ;
souvent des pétéchies, des bleus
Patient B
Perte d’une grande partie de son acuité
visuelle il y a deux ans, opération laser de la
cataracte et non-arrêt des AVK avec switch
sur HBPM afin de réduire le risque
d’hémorragie oculaire
Patient C
Dispensation d’un nouvel antidépresseur
inhibiteur de la recapture de la sérotonine
il y a deux mois et qui avait constaté une
remontée de l’INR au-dessus de la marge
thérapeutique sans faire le lien de cause
à effet entre les deux
Patient D
Gros consommateur de tomates de son
potager, accompagnées de laitue, de
concombres et d’huile d’olive depuis 2 mois
a constaté la baisse de son INR en dessous
de la marge de sécurité ; adaptation avec le
médecin de la posologie de l’AVK et conseil
d’une consommation régulière et saine
Patient E
Consommation de quelques verres de vin
à chaque repas et impact sur son INR
Patient F
Dérive d’hygiène alimentaire et son impact
sur l’INR de 2,5 à 4 ; l’objectif est de tenter
de recentrer ce patient récalcitrant dans une
hygiène de vie plus cardioprotectrice
Patient F
L’addition délétère de l’administration
de cotrimoxazole et d’une dénutrition
entraînant une perte rapide de masse
grasse et musculaire a provoqué une
montée d’INR à 6 !
du risque qu’il encourrait et de la conduite à tenir. Bien
entendu, nous avons convenu qu’il contacte son médecin
pour adapter la posologie de l’AVK et conseillé qu’une
consommation régulière serait plus pertinente que de
bouleverser son alimentation saine [1].
Pour le patient E, l’impact de sa consommation de
quelques verres de vin à chaque repas sur son INR le
tracassait depuis quelques temps sans oser s’en épancher
auprès de son médecin traitant ou de son cardiologue.
Globalement, ces patients se basent sur la courbe
d’INR fournie par leur laboratoire d’analyse. Mais cet outil
rend le patient passif et ne permet pas de faire le parallèle
entre les variations d’INR, les différentes posologies administrées successivement et les interactions éventuelles.
Un des objectifs est de rendre le patient plus autonome
et plus vigilant sur les interactions et leur impact sur l’INR :
il peut être atteint en gagnant l’adhésion du patient au
J Pharm Clin, vol. 33 n◦ 2, juin 2014
carnet de suivi des anticoagulants grâce à cette approche
pédagogique. Il me semble que celui-ci n’est pas proposé
par les médecins généralistes, les cardiologues ou par les
laboratoires d’analyses mais par le pharmacien.
Après avoir pris le temps d’échanger des informations sur les anticoagulants et leur suivi par l’INR, la
synthèse sur les interactions médicamenteuses, alimentaires et autres mérite d’aller plus dans le détail en fonction
des attentes et précisions pour chaque patient comme vu
dans les exemples ci-dessus.
Ensuite, que cela soit la prudence lors d’une intervention ou l’impact d’une dénutrition post-hospitalisation
assez fréquente sur la remontée du risque hémorragique,
le message passe bien.
Il est important de finir en concluant correctement
l’entretien n◦ 1 par les réponses au questionnaire vrai-faux
initial et la remise des documents qui leur ont été présentés, du carnet et de la prise de rdv pour l’entretien n◦ 2.
Les seconds entretiens ont été féconds afin d’analyser
les sorties de zone thérapeutique de sécurité (INR en
dehors de 2 et 3 pour mes patients) : la dérive d’hygiène
alimentaire du patient F a sûrement joué un rôle dans son
passage d’INR de 2,5 à 4 ; l’objectif est de tenter de recentrer ce patient récalcitrant dans une hygiène de vie plus
cardioprotectrice.
Chez le patient F, l’addition délétère de l’administration
de cotrimoxazole et d’une dénutrition entraînant une
perte rapide de masse grasse et musculaire a provoqué
une montée d’INR à 6 !
Pour ceux qui l’ont accepté, une lettre est envoyée
au confrère médecin pour l’informer des thèmes de
l’entretien et l’inviter à nous contacter pour de plus amples
détails.
Ensuite, lors des délivrances ultérieures d’AVK, les
patients étaient contents d’avoir eu un moment privilégié
ensemble et d’avoir pris le temps de clarifier les points
qui les intéressaient. Globalement, le bilan est satisfaisant
en attendant les deuxièmes entretiens. Pour le moment
8 patients ont accepté le 1er entretien, un seul a refusé
pour des raisons de fatigue et de soucis importants. Les
entretiens n◦ 1 ont duré entre 40 min et 1h15. Cinq se
sont tenus à la pharmacie dont 4 à 13h30 et une à 7h30.
Les 3 autres se sont tenus au domicile du patient pour des
raisons médicales et à 13h30.
Après chaque entretien, j’enregistre sur www.ameli.fr
les adhésions et les dates d’entretien en téléchargeant
les adhésions en ligne et les autorisations éventuelles de
communiquer avec leur médecin traitant.
L’enjeu est à la fois de santé publique car l’objectif
est de fortement baisser les accidents mortels (5 000
à 6 000/an) mais aussi de changer fondamentalement
le regard des patients pour revenir aux sources de
notre métier : la compétence, le conseil, l’écoute, qui
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F. Veron
nécessiteront une formation continue de toute l’équipe
officinale (pour le moment, seul le titulaire a effectué
les entretiens) et une organisation collective plus spécialisée et réactive par rapport à ces nouvelles missions
éloignées du comptoir. En cette période de disette pour
la gestion des pharmacies d’officine et de déserts médicaux en pleine extension, reste une énigme de taille et
non des moindres dans cette équation à inconnues multiples : les instances décisionnaires de l’économie de la
santé publique choisiront-elles d’investir dans cet axe de
santé publique générateur d’économie financière et de
baisse de morbi-mortalité ? Décideront-elles de nous donner réellement les moyens légaux et financiers de prendre
ce virage à 180◦ et d’assumer ces responsabilités à risque ?
Le temps nous le dira.
Quant aux risques liés à l’instauration des Naco, il
est vraisemblable que le respect de l’AMM est primordial
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(switch AVK vers Naco) [2] ; la mise en place d’une stratégie de prévention des hémorragies (absence de données
biologiques comme l’INR) et d’une adaptation posologique en fonction du degré d’insuffisance rénale (en
général et pour les Naco) seront des gages de sécurité
pour les patients, bien mis en difficulté lors des plaintes
récentes contre le Pradaxa®. À suivre attentivement dans
les mois à venir.
Liens d’intérêts : L’auteur déclare ne pas avoir de lien
d’intérêt en rapport avec cet article.
Références
1. Bal dit Sollier C, Drouet L. Vitamine K, antivitamine K et alimentation. Cahiers de nutrition et de diététique 2009 ; 44 : 273-7.
2. ANSM. Les anticoagulants en France en 2012 : état des lieux et
surveillance. Rapport thématique, juillet 2012.
J Pharm Clin, vol. 33 n◦ 2, juin 2014
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