Moyens d`évaluation et de prise en charge de la douleur

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Moyens d’évaluation et de prise en charge de la douleur
liée à la kinésithérapie chez l’enfant
David Lopes, David Marteil
Masseurs-kinésithérapeutes. Unité de Kinésithérapie. Pôle de chirurgie.
Hôpital Robert Debré. Paris.
Le but de cette communication n’est en aucun cas de faire l’état des lieux de tous les moyens
d’évaluation et de prise en charge masso-kinésithérapiques de la douleur. De nombreux ouvrages
sont en effet consacrés aux techniques de rééducations telles que la physiothérapie ou
l’électrothérapie, qui évoluent constamment de nos jours [1]. On citera par exemple les phorétiques
(migration d’ions), les excitomoteurs (vasculaires et trophiques) et antalgiques.
L’intérêt est plutôt de montrer, à travers quelques exemples, comment le masseur-kinésithérapeute
peut anticiper, évaluer et prendre en charge cette douleur.
Introduction :
Définition de la kinésithérapie (dictionnaire Larousse médical) :
La kinésithérapie est le traitement des affections musculaires et osseuses basé sur les massages et les
mouvements du corps. La racine grecque du terme kinésithérapeute signifie « soigner par le
mouvement ».
Définition de la douleur par l’Association Internationale de l’Etude de la Douleur (IASP) :
« …une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable en rapport avec une lésion tissulaire
réelle, potentielle ou décrite dans les termes d’un tel dommage ».
Au regard de ces deux définitions, on peut facilement remarquer que le masseurkinésithérapeute devra, dans la plupart des situations, s’interroger et se préoccuper de la lésion
même du patient. Encore plus en traumatologie, lorsque par exemple à la sortie d’un plâtre pour
immobiliser une ou des articulations, le masseur-kinésithérapeute devra redonner de la fluidité et du
mouvement à cette dernière. En résumé, réaliser un gain articulaire et redonner de la force aux
muscles pour acquérir une nouvelle fonctionnalité, une ré-éducation.
De ce fait, et l’histoire ne nous contredira pas, les masseurs-kinésithérapeutes ont longtemps été
appelés « mon bourreau » (en cabinet libéral), « les vilains kinés » ou encore « voilà les
tortionnaires » (en milieu institutionnel).
Cependant, en ce qui concerne la kinésithérapie, il est indiscutable que la douleur a toujours
été une préoccupation aussi bien au niveau des services de pédiatrie, que des centres de rééducation,
ou qu’en cabinet libéral, comme en témoignent les expériences de mise en place de réseaux sur la
prise en charge de la douleur.
La législation relative à la douleur dans l’exercice des kinésithérapeutes
Au niveau de la législation les kinésithérapeutes peuvent, comme les autres membres de l’équipe
soignante, s’appuyer sur les textes suivants :
-
La loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique : texte n°4 du J.O.
N°185 du 11 août 2004 relatif à la prise en charge de la douleur.
-
Le plan de lutte contre la douleur 2006-2010 dont la priorité N°1 est d'améliorer la prise en
charge des douleurs des populations les plus vulnérables notamment des enfants et des
adolescents.
-
Les recommandations de l’ANAES.de septembre 2004 avec la référence 32 qui stipule que la
douleur est évaluée et prise en charge.
-
Le manuel de certification de l'HAS (Édition 2007) des établissements de santé et guide de
cotation (Références relatives à la douleur : 26.a.b.c)
De façon plus spécifique en ce qui concerne la profession de Masseur Kinésithérapeute :
o
Le code de la santé publique titre II, article L 4321-1 relatif à l’exercice de la profession de
masseur kinésithérapeute précise :
« Dans le cadre de la prescription médicale, il établit un bilan qui comprend le diagnostic du
kinésithérapeute et les objectifs de soins, ainsi que le choix des actes et des techniques qui lui
paraissent les plus appropriés ».
o
L'article R 4321-9 N°5 mentionne que le kinésithérapeute est habilité à contribuer à la lutte
contre la douleur et à participer aux soins palliatifs.
o
Le décret N°2000-577 du 27 juin 2000 relatif aux actes professionnels et à l’exercice de la
profession de masseur-kinésithérapeute [2] précise :
« … pour la mise en œuvre des traitements mentionnés à l’article 5, le masseur–kinésithérapeute
est habilité à utiliser les techniques et à réaliser les actes suivants : "
-
L’électrothérapie (application de courants électriques, de courants d’électrostimulation
antalgiques, excito-moteur, ondes mécaniques, ondes électromagnétiques) sauf quelques
TENS utilisés plus régulièrement par les infirmiers de l’Unité de Traitement de la Douleur.
-
La physiothérapie (thermothérapie, cryothérapie, balnéothérapie, hydrothérapie et
pressothérapie).
En dehors de quelques TENS utilisés régulièrement par les infirmiers de l’Unité de
Traitement de la Douleur, ces deux pratiques sont peu ou pas utilisées à l’hôpital
Rober Debré à Paris.
-
Le massage décrit comme toute manœuvre externe réalisée sur les tissus, dans un but
thérapeutique ou non, de façon manuelle ou par l’intermédiaire d’appareils autres que
les appareils d’électrothérapie. Dans notre expérience, le massage n’est pas utilisé
dans une visée antalgique.
Le plateau technique de l’hôpital Robert Debré à Paris
A l’hôpital Robert Debré, les rééducations qui se réalisent dans l’Unité de Kinésithérapie
(consultations externes) sont de 3 types :
-
La rééducation des malpositions mineures et majeures des pieds, telles que les Pieds Bots
Varus Equin (PBVE).
-
La kinésithérapie respiratoire.
-
Les différents examens kinésithérapiques en rapport avec des pathologies neurologiques
(bilans neuro-moteur, bilan de la spasticité, EMFG, etc.).
Mais, au total, plus de 80% des séances de rééducation se réalisent au lit du patient ou dans le
service d’hospitalisation.
Ces rééducations peuvent se résumer en deux catégories, à savoir dans la majorité des cas :
-
La kinésithérapie respiratoire qui comprend le diagnostic de désencombrement
(bronchiolite) et celui de la fonction respiratoire (défaut de ventilation).
-
La kinésithérapie injustement réduite au terme de « kinésithérapie motrice ou neuromotrice », dans le cadre de pathologies d’ordre orthopédique (traumatologie) ou
neurologique.
Autour de cela nous avons pu faire quelques constatations sur la douleur en pédiatrie,
particulièrement en Orthopédie et en Réanimation :
-
En Orthopédie, les enfants sont d’autant plus dans un schéma de douleur que nous avons à
faire à des traumatismes.
-
En Réanimation, les conditions de prise en charge de la plupart des patients nécessitent que
ces derniers soient sous antalgiques. Cela rassure le kinésithérapeute et facilite sa prise en
charge.
Afin d'illustrer ce que le diagnostic kinésithérapique peut apporter à la prise en charge de la
douleur liée aux actes de kinésithérapie chez l'enfant, nous allons vous présenter trois cas cliniques
qui mettrons en lumière notre démarche d'évaluation et de prise en charge de la douleur au
quotidien.
1ER Cas : Prise en charge dans le service d’orthopédie pédiatrique
Kinésithérapie précoce et douleur post-opératoire : savoir anticiper plutôt que soulager…
(Photo n°1)
Ce travail est notre fer de lance pour l’évaluation et la prise en charge de la douleur car il a
donné naissance à de nombreuses publications [3] [4], de nombreuses conférences et au final à
un Contrat d’Initiation de Recherche Clinique (CIRC) qui débutera en novembre 2007. Il
concerne la prise en charge de la douleur au cours de séances de kinésithérapie précoces (dès J2
post-opératoire) suite à des interventions multisites pour des enfants atteints d’Infirmité Motrice
et Cérébrale (IMC).
Il faut prendre en considération que le diagnostic kinésithérapique se réalise en deux temps, aussi
importants l’un que l’autre :
-
En premier lieu, l’évaluation de la douleur avant le geste thérapeutique, ou son mode
d’expression pour des patients incapables de quantifier leur douleur, du fait de leur jeune âge
ou de leur niveau cognitif.
-
Dans un deuxième temps, l’évaluation de la douleur pendant et à distance du geste.
Ce qui est primordial, dans ce type de rééducation, c’est que l’on ne se contente pas d’évaluer et
de quantifier la douleur du patient au cours de la séance, par les échelles validées de cotation de la
douleur [3]. En effet, au cours de ces rééducations (réalisées depuis plus de 6 ans) nous avons
encore plus pris conscience de l’importance et de la précision de nos prises et contre-prises. Ces
dernières nous permettent d’anticiper réellement les sensations douloureuses avant qu’elles ne
soient perçues et exprimées par le patient.
2EME Cas : la kinésithérapie en réanimation : un travail pluridisciplinaire et un partage de
connaissances (photos n°2 et 3)
Ce cas concerne la prise en charge d’un enfant en réanimation, trachéotomisé sous respirateur, qui
avait une prise en charge articulaire et musculaire des membres supérieurs et inférieurs. Cet
exemple a été retenu dans nos choix, car il démontre bien que c’est à nous de faire évoluer nos
techniques, et que seul le fort partenariat entre les médecins, les infirmières et les
kinésithérapeutes permet cette évolution.
Cet exemple n’aurait pu être présenté sans une réflexion commune des acteurs du service de
réanimation, qui ont bien voulu nous suivre dans cette rééducation. C’est la première fois qu’un
soin de kinésithérapie de ce type était réalisé avec du MEOPA sur un patient trachéotomisé et sous
respirateur. Le but était de réaliser une prise en charge au niveau des membres inférieurs. Il fallait
à la fois effectuer des mobilisations de l’articulation tibio-tarsienne et des étirements du triceps
sural, jusqu'à ce que la cheville soit suffisamment souple pour accueillir une attelle de maintien.
Ce cas montre de plus, à quel point l’évaluation et l’anticipation de la prise en charge de la douleur
est aussi importante que le soin lui-même.
3EME Cas : Savoir « panser » avant de masser : application de crème anesthésiante sur des
cicatrices douloureuses
Ce cas concerne également un enfant en service de réanimation. Cet enfant est né prématurément
et a été opéré pour une pathologie ORL, par thoracotomie.
La situation concerne le fondement même de notre profession : le massage.
« Les actes de massage thérapeutique ou non thérapeutique sont réservés aux masseurskinésithérapeutes titulaires des diplômes mentionnés à l'article L. 4321-2 du code de la santé
publique, conformément à l'article L. 4321-1 du même code et à l'article 3 du décret n° 96-879 du
8 octobre 1996 relatif aux actes professionnels et à l'exercice de la profession de masseurkinésithérapeute. Par conséquent, le droit français encadre déjà cette activité et l'autorise aux
seuls masseurs kinésithérapeutes. Ainsi, les personnes qui ne sont pas masseurs kinésithérapeutes,
ne sont pas habilitées à réaliser ces actes et sont passibles de sanctions pénales prévues à l'article
L. 4323-4 du code précité ».
Pour ce dernier exemple, c’est dans un premier temps, la psychomotricienne du service de
réanimation qui nous a sollicités. Le bébé qu’elle avait en charge, montrait des réactions
anormales de retrait et de difficulté de mouvement du membre supérieur droit.
L’évaluation diagnostique du kinésithérapeute a réellement mis en évidence cette difficulté à
l’antépulsion et l’abduction d’épaule par un déficit qui semblait articulaire et localisé au niveau de
l’articulation scapulo-humérale. Le problème est que la simple mobilisation de l’articulation était
douloureuse, et donc le diagnostic difficile. Soit c’était la cicatrice qui était adhérente et empêchait
une bonne fluidité de l’articulation scapulo-humérale, soit c’était l’articulation elle-même qui était
atteinte. Il fallait donc trouver un moyen antalgique efficace permettant de savoir ce qui générait
ce déficit. Une prescription de patch EMLA a été faite, après un temps d'application de 2 heures
sur la cicatrice, il a été possible de la mobiliser. Cet exemple illustre bien l'importance du travail
pluridisciplinaire, la mutualisation des compétences afin de prévenir et traiter au mieux la douleur
des enfants dont nous avons la charge.
Conclusion
L’histoire veut que pendant tout notre enseignement, il soit stipulé « qu’il faut toujours prendre en
compte la douleur du patient ». Lorsque nous interrogeons les étudiants qui sont en stage, ils
avouent très facilement qu’ils connaissent les techniques dites antalgiques de kinésithérapie. Les
premiers problèmes qu’ils rencontrent au cours de leur stage sont lorsqu’on leur parle de douleur
en pédiatrie. Puis ils se retrouvent, pour la plupart complètement désarmés lorsque les techniques
enseignées en Institut de Formation en Masso Kinésithérapie (IFMK) ne peuvent être employées,
de par la particularité de la pédiatrie ou des différents services ou sont hospitalisés les patients.
Suite à ce travail sur les méthodes d’évaluation et de prise en charge de la douleur par l’équipe de
kinésithérapie dans les différents services de Robert Debré, il ressort que :
-
L’existence d’une Unité du Traitement de la Douleur (UTD) est très utile aux autres soignants
de l’établissement,
-
Le travail d’équipe et le partage sont des éléments d’un intérêt indiscutable, surtout si des
soignants ont eu une formation de type Diplôme Universitaire.
-
Ces formations type Diplôme Universitaire Douleur sont encore difficiles à trouver, tant au
niveau des organismes, qu’au niveau du contenu exact du programme théorique.
-
Pour finir, ces formations type DU spécifiques à la pédiatrie pour les paramédicaux
n’existent pas encore, à notre connaissance.
Pour conclure, je reprendrais une phrase du Dr. Daniel Annequin, qui au cours d’un congrès à très
bien cerné, à mon avis, la relation du kinésithérapeute à la douleur :
« … ces professionnels que sont les kinésithérapeutes qui ont la capacité à flirter avec la douleur
pour mieux la combattre. »
Références et Bibliographie :
[1] BISSCHOP G, DUMOULIN J. Electrothérapie appliquée, Monographie de Bois Larris.
Masson. 2ème édition. 1989.
[2] Décret n° 2000-577 du 27 juin 2000, relatif aux actes professionnels et à l’exercice de la
profession de masseur-kinésithérapeute.
[3] LOPES D. Exemple de la mise en place d’un dossier de recherche clinique à l’hôpital Robert
Debré par une évaluation des pratiques professionnelles kinésithérapiques. Kinésithér. Scient.
2006 ; 462 : 23-29.
[4] LOPES D, COSTE F, WOOD C. Kinésithérapie et MEOPA : nouvelle approche (hôpital
Robert Debré, Paris). Exemple des mobilisations précoces après chirurgie. Le courrier de
l’Algologie. Octobre-novembre-décembre 2006 ; Vol V. N° 4. Pages 80-86.
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