DOSSIER THÉMATIQUE Le programme de remédiation cognitive RECOS The RECOS cognitive remediation program P. Vianin* L a schizophrénie est une pathologie psychiatrique qui se caractérise par divers tableaux cliniques et par des profils cognitifs souvent très différents d’un patient à l’autre. Il est dès lors illusoire de vouloir traiter cette maladie de façon standardisée. De manière assez surprenante, cependant, la prise en charge différenciée des troubles observés après une évaluation cognitive fait figure d’exception en psychiatrie, alors que c’est généralement la règle dans les services de neuropsychologie. Cette constatation a suscité dans une grande mesure le développement du Programme de remédiation cognitive pour patients présentant une schizophrénie ou un trouble associé (RECOS) [1, 2]. Nous avons ainsi nousmêmes développé une batterie neuropsychologique qui recouvre la majorité des fonctions cognitives souvent déficitaires dans cette population. Cette évaluation détaillée permet en effet de cibler avec précision le travail de remédiation, en proposant des modules d’entraînement individualisés. À notre connaissance, il s’agit d’une approche inédite dans le domaine de la schizophrénie et des troubles apparentés. Le programme RECOS Le programme RECOS comprend les éléments suivants1. Indication au programme La constatation clinique de la présence de troubles cognitifs ou l’écoute des plaintes des patients à ce propos suffit pour adresser un patient au programme Pour une vue plus complète des bases théoriques du programme RECOS et de son déroulement, se référer au Manuel du thérapeute (1). 1 RECOS. Il est cependant recommandé que les patients soient suffisamment stabilisés cliniquement, de manière à tirer pleinement bénéfice du programme. Abonnezvous en ligne ! www.edimark.fr Évaluation clinique Des questionnaires cliniques évaluent la symptomatologie négative et positive, l’estime de soi, les plaintes subjectives des déficits cognitifs, les troubles de l’adaptation sociale du patient et la conscience des symptômes de la maladie (insight). Cette évaluation clinique a lieu avant et après la phase de remédiation cognitive. Elle vise non seulement à comprendre les relations entre les déficits cognitifs et les symptômes de la maladie, mais aussi à mesurer les bénéfices cliniques d’un programme de remédiation cognitive ciblé. Évaluation des fonctions cognitives Les tests retenus, pour lesquels nous disposons de normes bien établies au sein d’une population tout-venant, permettent d’évaluer les cinq fonctions cognitives à entraîner. Nous avons cherché à sélectionner les tests neuropsychologiques couvrant au mieux les déficits cognitifs les plus souvent mesurés chez les patients souffrant de schizophrénie (3). Évaluation des répercussions fonctionnelles Au terme de l’évaluation cognitive, les résultats sont présentés au patient. Le thérapeute lui explique alors la signification de chacun des résultats enregistrés * Consultation de Chauderon, polyclinique du DP-CHUV, Lausanne. La Lettre du Psychiatre • Vol. V - n° 4-5 - juillet-octobre 2009 | 87 Résumé Mots-clés Schizophrénie Remédiation cognitive Répercussions fonctionnelles Psychoéducation Highlights Today, it is believed that cognitive disorders concern about 80% of all patients with schizophrenia. However, numerous studies show that cognitive deficits greatly differ from one schizophrenic patient to another. Consequently, the RECOS program contains targeted training modules for their remediation. Before treatment, patients are evaluated with a large battery of tests in order to determine in which of the five specific training modules they would participate. Preliminary results showed a greater improvement in the modules for which training had taken place compared with those where no training had taken place. Since, an improvement was observed in both types of modules, indicating a learning transfer effect. Since these results still need confirmation, a multicentre research study in France and in Switzerland aims to validate the RECOS cognitive remediation program, by comparing it to cognitive remediation therapy, developed by A. Delahunty and T. Wykes, and already validated. Keywords Schizophrenia Cognitive remediation Functional outcome Psychoeducation On pense aujourd’hui que les déficits cognitifs affectent environ 80 % des patients souffrant de schizophrénie. Toutefois, de nombreuses études indiquent que les déficits rencontrés diffèrent souvent d’un patient à l’autre. Pour cette raison, le programme RECOS propose des modules d’entraînement ciblés pour leur remédiation. Avant la remédiation, les patients sont évalués au moyen d’une large batterie de tests qui déterminent le module auquel ils participeront. Des résultats préliminaires indiquent une amélioration pour les modules entraînés supérieure à celle des modules non entraînés. On constate cependant une amélioration à certains tests correspondant aux modules non entraînés, ce qui suggère un effet de transfert d’apprentissage. Ces résultats nécessitent confirmation. Dans cette optique, une étude franco-suisse vise à valider le programme RECOS en le comparant à la cognitive remediation therapy développée par A. Delahunty et T. Wykes, et déjà validée. en évoquant les différentes fonctions cognitives évaluées par la batterie RECOS. L’objectif principal d’un programme de rééducation cognitive est d’améliorer la situation du patient dans sa vie quotidienne. Le questionnaire “Évaluation des répercussions fonctionnelles” (ERF) a ainsi été développé dans le but de mesurer les conséquences dans la vie quotidienne des domaines cognitifs déficitaires, évalués préalablement par la batterie neuropsychologique. Un patient qui présente des déficits aux tests mesurant la mémoire verbale devra, par exemple, nous indiquer s’il présente des difficultés à mémoriser ce que les gens lui disent (les consignes de son employeur, les prescriptions de son médecin, etc.). La cotation se fait en fonction des réponses données par le patient et également selon le comportement observé au cours de l’entretien (pour la mémoire verbale, cela pourrait se traduire, par exemple, par une difficulté à mémoriser le contenu de l’entretien). Le choix du module d’entraînement se fait non seulement en fonction de l’évaluation cognitive, mais aussi en fonction des réponses données à l’ERF. Psychoéducation et définition d’objectifs Au terme de la phase évaluative, la séance psychoéducative se déroule en présence du médecin et/ou du clinicien référent et, si possible, d’un ou de plusieurs proche(s) du patient. Plusieurs travaux récents soulignent les effets bénéfiques des séances de psychoéducation pour les patients souffrant de psychose : réduction du taux de rechute, augmentation de la compliance au traitement, réduction du sentiment de culpabilité de la famille et diminution du stress lié aux symptômes. Cette séance permet également de discuter des objectifs individualisés poursuivis durant la phase de remédiation. Ces objectifs sont définis en lien avec les répercussions fonctionnelles des troubles cognitifs observés. Ils font l’objet d’un accord entre le thérapeute et le patient et figurent sur le contrat de participation signé lors de la séance suivante. Ils sont rediscutés régulièrement avec le patient lors de la phase de remédiation proprement dite et sont évalués au terme du programme. 88 | La Lettre du Psychiatre • Vol. V - n° 4-5 - juillet-octobre 2009 Phase de remédiation Chaque module d’entraînement propose des exercices “papier-crayon” et des exercices informatisés2. Les séances papier-crayon permettent au patient – avec l’aide de son thérapeute – de développer les stratégies les plus efficaces pour faire face au problème posé. Ces stratégies sont ensuite appliquées par le patient au cours des exercices sur ordinateur. Il s’agit de séances individuelles qui ont lieu une à deux fois par semaine en présence du thérapeute. Un travail à domicile est également effectué une fois par semaine et son contenu fait l’objet d’une discussion entre le patient et son thérapeute. Il est généralement en lien direct avec les préoccupations de chacun des participants. Ces séances à domicile sont importantes, car elles favorisent le transfert des compétences acquises en séance. Au cours du programme, les patients sont amenés à verbaliser, catégoriser, organiser et planifier. Les stratégies de résolution de problèmes sont également sollicitées, dans la mesure où elles permettent de contrer la tendance des patients les plus déficitaires à persévérer dans leur fonctionnement. Résolution de problèmes Les stratégies de résolution de problèmes visent à développer une progressive autonomie du patient face aux problèmes qu’il rencontre dans sa vie quotidienne. Dans le cadre de la remédiation cognitive, cette technique a pour objectif d’explorer un large éventail de stratégies possibles et de sélectionner celles qui se révèlent les plus pertinentes pour faire face à un problème donné. Les étapes suivantes sont proposées : Définir le problème. Les objectifs visés et les obstacles pour y parvenir sont exprimés par le patient. Le thérapeute s’assure que les éléments importants du problème posé sont pris en compte et exprimés clairement. Il est possible que cette phase Ces exercices ont été initialement conçus par la société Scientific Brain Training (SBT) établie à Villeurbanne (France). Nous avons collaboré avec cette société pour les rendre compatibles avec les objectifs fixés par le programme RECOS. 2 DOSSIER THÉMATIQUE présente des difficultés pour des patients souffrant d’un trouble du cours de la pensée. Proposer différentes stratégies. Le patient est tenu de proposer différentes stratégies pour résoudre le problème posé. Il est encouragé à suggérer un grand nombre de solutions, même celles qui lui paraissent les plus “folkloriques”. Durant cette phase, le thérapeute sollicite la créativité du patient. Les patients souffrant de symptômes négatifs et d’un manque de flexibilité cognitive sont particulièrement encouragés à proposer un grand nombre de stratégies durant cette étape. Examiner les différentes solutions avec le thérapeute. À cause de l’impossibilité de les mettre en pratique ou lorsqu’elles apparaissent clairement inadéquates, certaines stratégies proposées au cours de l’étape précédente sont éliminées lors de la discussion avec le thérapeute. Appliquer les solutions choisies. Les stratégies retenues après réflexion sont mises en pratique. Les performances obtenues sont évaluées et comparées. Choisir la stratégie. L’évaluation empirique des différentes stratégies permet de décider de la meilleure stratégie à adopter face au problème posé. Une stratégie ne signifie pas une seule étape dans la résolution de problèmes. Au contraire, la stratégie la mieux adaptée se compose souvent de plusieurs étapes de traitement. Le thérapeute remet régulièrement en question la stratégie adoptée. Il est important de veiller à ce que le patient tienne compte des changements – même mineurs – du problème posé. En outre, le choix des stratégies doit être rediscuté en fonction des progrès réalisés. Des stratégies plus élaborées permettent en effet à chaque patient d’optimiser ses performances et d’atteindre des niveaux d’exercices plus élevés. Exemple Christian est un patient de 27 ans souffrant de schizophrénie paranoïde. Enfant, il a vécu de nombreux traumatismes, liés principalement à un père violent. Christian se plaint spontanément des nombreuses pensées intrusives qui font écho à ces traumatismes et perturbent sa concentration. L’évaluation neuropsychologique a permis de constater des troubles de la mémoire verbale et un manque de flexibilité cognitive mis en évidence par le Wisconsin card sorting test. À la suite à cette évaluation, et en accord avec les objectifs de remédiation qui visent à ce qu’il puisse mieux mémoriser ce qu’on lui demande de faire dans son travail, Christian participe au module “Mémoire verbale”. Lors de l’exercice “Mémoire d’éléphant”, qui est l’un des 4 exercices informatisés du module “Mémoire verbale”, une grille de 25 mots est présentée pendant 3 minutes (figure 1). La tâche du patient est de reconnaître ensuite ces 25 mots au sein de 5 planches de 15 mots présentées de manière successive. Sur chacune des planches figurent 5 mots faisant partie de la grille. L’obstacle principal est reconnu par Christian comme étant celui de mémoriser autant de mots en un laps de temps très court. Il prend conscience immédiatement de la nécessité de développer des stratégies pour y parvenir. Il envisage alors trois stratégies principales. ➤ ➤ Comme nous avions déjà travaillé sur d’autres exercices de mémoire verbale et que cette technique s’était révélée satisfaisante, Christian propose d’associer les mots entre eux en se racontant une histoire qui les relie tous. ➤ ➤ Christian propose également de se répéter les mots dans la tête “comme une dictée”, espérant ainsi que les mots finissent par être mémorisés. ➤ ➤ Une troisième stratégie évoquée par Christian consiste à identifier des catégories et à les mémoriser. Cela lui permettra de choisir les mots appartenant à ces catégories lors de la reconnaissance et d’éviter ainsi de faire des erreurs. Le thérapeute propose alors de passer au point 4 de la résolution de problèmes et d’appliquer les solutions choisies afin d’en évaluer l’efficacité. La première stratégie s’avère rapidement inadéquate x Mémoire d’éléphant fauve croche zoom tirage chorus blanche isoloir rouge cliché concert posemètre liste gouverneur sondage vermeil thé thème dictateur gin bourbon viseur mauve cointreau ambré armagnac Figure 1. Exemple extrait de l’exercice “Mémoire d’éléphant” faisant partie du CD-Rom interactif et issu du module Mémoire verbale. La Lettre du Psychiatre • Vol. V - n° 4-5 - juillet-octobre 2009 | 89 DOSSIER THÉMATIQUE Remédiation cognitive dans la schizophrénie Le programme de remédiation cognitive RECOS dans cet exercice, car le nombre de mots à associer sémantiquement est trop important pour le temps imparti. La deuxième stratégie est également insatisfaisante, car les pensées intrusives surgissent régulièrement lors de la répétition des mots et empêchent Christian de se concentrer. La troisième stratégie, visant à regrouper les mots en catégories, s’avère, en revanche, adéquate et permet à Christian de faire moins d’erreurs. Un problème persiste néanmoins avec cette technique, car certains mots sont inconnus de Christian (“posemètre”, “vermeil”, “ambré”). Après discussion avec le thérapeute, Christian décide de garder la stratégie de regroupement en catégories, en constituant la catégorie des mots inconnus. Comme ces mots inconnus risquent d’être oubliés lors de la tâche de reconnaissance, Christian décide de répéter ces mots dans sa tête plusieurs fois, autrement dit d’intégrer la deuxième stratégie, en la réservant à cette catégorie des mots inconnus. Pour l’exemple présenté ci-dessus, Christian a ainsi pu identifier 6 catégories : ➤ ➤ musique (“croche”, “chorus”, “blanche”, “concert”, “thème”) ➤ ➤ couleurs (“fauve”, “rouge”, “mauve”) ; ➤ ➤ photographie (“zoom”, “tirage”, “cliché”, “viseur”) ; ➤ ➤ politique (“isoloir”, “liste”, “gouverneur”, “sondage”, “dictateur”) ; x Capturez les mots-clés Avec tout cela, il était tard. Charles songea à prendre congé ; mais il apprit que son bagage avait été apporté de son hôtel, et on le conduisit dans une chambre extrêmement confortable, où le maître de la maison, après avoir constaté lui-même que rien ne manquait à son bien-être, le laissa se mettre au lit et se reposer de cette soirée agitée. Appuyez sur la barre espace pour passer à la suite. Figure 2. Exemple extrait de l’exercice “Capturez les mots-clés” faisant partie du CD-Rom interactif et issu du module Mémoire verbale. Cet exercice consiste dans un premier temps à mémoriser la place des verbes d’un texte lu. Dans un second temps, ces verbes doivent être restitués en respectant leur ordre d’apparition dans le texte. 90 | La Lettre du Psychiatre • Vol. V - n° 4-5 - juillet-octobre 2009 ➤ ➤ boissons (“thé”, “gin”, “bourbon”, “cointreau”, “armagnac”) ; ➤ ➤ mots inconnus (“posemètre”, “vermeil”, “ambré”). Les très bons résultats obtenus par Christian dans cet exercice l’ont conforté dans cette stratégie de résolution de problèmes en 4 étapes : ➤ ➤ regrouper les mots connus en catégories ; ➤ ➤ créer une catégorie de mots inconnus ; ➤ ➤ mémoriser le nom des catégories identifiées ; ➤ ➤ répéter plusieurs fois les mots inconnus dans sa tête. Comme l’illustre cet exemple, il est important de tenir compte des symptômes du patient lors de la résolution de problèmes. En l’occurrence, le thérapeute et Christian ont décidé d’abandonner la stratégie durant laquelle des pensées intrusives perturbaient sa concentration. D’autre part, il est important de noter que les exercices informatisés permettent l’utilisation de certaines stratégies à certains niveaux, alors que ces mêmes stratégies peuvent se révéler inadéquates lorsque le patient parvient à des niveaux plus élevés. Ainsi, l’exercice “Mémoire d’éléphant” favorise le regroupement en catégories pour les niveaux les plus bas, puisque 5 catégories y sont systématiquement présentées. Pour les niveaux plus difficiles, les mots sont en revanche choisis au hasard dans une large base de données. Cette technique de regroupement en catégories risque alors de s’avérer inefficace, et de nouvelles stratégies devront être envisagées pour répondre aux contraintes de la situation. L’organisation des exercices en différents niveaux de jeu nécessite ainsi une grande flexibilité cognitive de la part des patients, puisqu’il s’agit de remettre en question les stratégies utilisées jusque-là avec succès. Fonctions cognitives traitées par le programme RECOS Les fonctions cognitives pour lesquelles les patients présentent des déficits font l’objet d’un module d’entraînement spécifique. Chaque module d’entraînement comprend 6 exercices papier-crayon ainsi que 4 exercices informatisés. Nous présentons ici un exemple d’exercice pour chacun des 5 modules d’entraînement. Mémoire verbale La mémoire verbale intervient pour enregistrer ou rappeler des informations aussi diverses que le DOSSIER THÉMATIQUE contenu d’une conversation, le nom de tel objet ou de telle personne présentée il y a peu, une date historique ou encore l’apprentissage d’une langue étrangère. Elle se trouve continuellement mise à contribution – de façon volontaire ou non – et permet de constituer en chacun de nous un stock de connaissances et de souvenirs dans lequel nous puisons en permanence. La mémoire verbale est une des fonctions cognitives dont les déficits sont susceptibles d’avoir des répercussions fonctionnelles importantes (figure 2). x Objets, où êtes-vous ? Mémoire et attention visuo-spatiales La vie quotidienne nécessite que nous portions régulièrement notre attention sur les formes des objets et que nous soyons capables de nous représenter leur position dans l’espace. La mémoire et l’attention visuo-spatiales nous permettent ainsi d’analyser et de stocker les informations visuelles pour développer nos activités au sein de l’environnement : imaginer la position d’un objet par rapport à un autre, estimer la distance qui nous sépare d’un obstacle ou encore percevoir la position de notre corps sont autant de capacités qui nous permettent d’évoluer sans encombre dans notre environnement (figure 3). Valider Figure 3. Exemple extrait de l’exercice “Objets, où êtes-vous ?” faisant partie du CD-Rom interactif et issu du module “Mémoire et attention visuo-spatiales”. L’exercice consiste à mémoriser des images ainsi que leur emplacement sur une grille. Mémoire de travail La mémoire de travail intervient dans le traitement et le maintien temporaire des informations nécessaires à la réalisation d’activités cognitives aussi diverses que la compréhension, l’apprentissage et le raisonnement. Ainsi, la mémoire de travail permet non seulement de reproduire immédiatement les informations, mais également de les manipuler, les “travailler” mentalement. C’est, par exemple, la mémoire qui permet de suivre une conversation, de comprendre le contenu d’un texte (roman, article de journal, etc.) ou encore de retenir un numéro de téléphone lu dans l’annuaire afin de le composer. Les déficits de mémoire de travail ont des répercussions importantes sur la vie quotidienne du patient, notamment sur ses interactions sociales (figure 4). Attention sélective L’attention sélective correspond à la capacité de porter son attention sur un seul type d’informations (les paroles d’une chanson, l’odeur d’un repas, Jus de pamplemousse : 3 doses Sirop de citron vert : 1 dose Crème de coco : 2 doses une rondelle de banane un verre tulipe Valider le cocktail Figure 4. Exemple extrait de l’exercice “À vos shakers” faisant partie du CD-Rom interactif et issu du module “Mémoire de travail”. Cet exercice permet d’exercer la mémoire de travail, puisqu’il s’agit de retenir les ingrédients d’un cocktail, ainsi que leur dosage et le type de verre utilisé, jusqu’au terme de la réalisation du cocktail. La Lettre du Psychiatre • Vol. V - n° 4-5 - juillet-octobre 2009 | 91 DOSSIER THÉMATIQUE Remédiation cognitive dans la schizophrénie Le programme de remédiation cognitive RECOS x Planche N° 1 la forme d’un objet, etc.), de manière à ce que les autres stimuli de l’environnement ne viennent pas perturber la tâche en cours (par exemple, le bruit du tramway, qui m’empêche de comprendre ce que je lis). Deux mécanismes sont donc nécessaires à ce travail cognitif : la sélection de l’information pertinente et l’inhibition des informations non pertinentes. Les troubles de l’attention sélective sont décrits comme des déficits cognitifs majeurs de la schizophrénie (figure 5). Raisonnement Figure 5. Exemple extrait de l’exercice “Figures enchevêtrées” faisant partie du CD-Rom interactif et issu du module “Attention sélective”. Cet exercice consiste à identifier dans une figure complexe les 3 éléments enchevêtrés la constituant. Il exerce l’attention sélective dans la mesure où il nécessite d’isoler – au niveau de la perception – chacun des éléments constituant la figure complexe en faisant abstraction des 2 autres éléments. Dans le contexte de ce programme, le “raisonnement” fait référence aux fonctions exécutives et comprend les capacités d’organisation, de planification, de flexibilité cognitive et de logique3. Le raisonnement définit des traitements de l’information appelés de “haut niveau” parce qu’il requiert la mise en place de stratégies parfois complexes. De bonnes capacités de raisonnement permettent ainsi de s’adapter à une situation nouvelle, de planifier le déroulement d’une action ou encore de modifier son comportement lorsque celui-ci n’est plus adapté. De nombreuses études ont mentionné des troubles du raisonnement chez les patients schizophrènes avec idées délirantes. Les patients schizophrènes souffrant d’idées de persécution utiliseraient un nombre moins élevé d’informations avant de tirer des conclusions ( jump-to-conclusions) que les patients non délirants ou que les sujets contrôles (figure 6). démon Réévaluation cognitive et clinique Jeux et jouets Bijoux Créatures fantastiques Devises Figure 6. Exemple extrait de l’exercice “Tiroirs secrets” faisant partie du CD-Rom interactif et issu du module “Raisonnement”. Des mots appartenant à différentes catégories défilent du haut de l’écran vers le bas. L’exercice consiste à attraper les mots avant qu’ils n’atteignent le bas de l’écran et à les ranger dans des tiroirs représentant différentes catégories. Les capacités d’organisation de l’information sont ici sollicitées. 92 | La Lettre du Psychiatre • Vol. V - n° 4-5 - juillet-octobre 2009 Au terme des modules d’entraînement, une évaluation cognitive similaire à celle réalisée initialement est effectuée dans le but de comparer les performances cognitives avant et après la phase de remédiation. La même évaluation clinique permet également d’évaluer les effets des progrès cognitifs sur la symptomatologie et le fonctionnement psychosocial. Comme l’attention sélective et la mémoire de travail font partie des fonctions exécutives et que ces deux fonctions sont évaluées séparément, nous avons préféré le terme de “raisonnement” à celui de “fonctions exécutives”. 3 DOSSIER THÉMATIQUE Résultats préliminaires Les résultats obtenus chez 30 patients souffrant d’un trouble du spectre de la schizophrénie indiquent une amélioration globale chez les participants qui ont terminé le programme (résultats en cours de publication). On note une amélioration pour les modules entraînés supérieure à celle obtenue dans les modules non entraînés, ce qui témoigne de la pertinence d’un entraînement adapté aux déficits cognitifs du patient. On constate aussi une amélioration à certains tests correspondant aux modules non entraînés, ce qui atteste d’un effet de transfert d’apprentissage. En outre, sur la base du nombre d’erreurs persévératives obtenues au Wisconsin card sorting test, nous mettons en évidence pour le RECOS des effets plus importants que ceux produits par un entraînement cognitif non spécifique. Ces résultats confirment l’impact thérapeutique d’un programme de remédiation cognitive spécifiquement adapté au profil cognitif du patient. Une étude franco-suisse impliquant 280 patients souffrant de schizophrénie est menée actuellement dans le but de valider le programme RECOS. Elle vise à évaluer les progrès enregistrés chez 140 patients ayant suivi le programme RECOS et à les comparer à ceux obtenus chez 140 patients ayant participé à la version française de la cognitive remediation therapy. L’impact de ces deux programmes sur les symptômes de la maladie, ainsi que sur les aspects psychosociaux (autonomie, réinsertion sociale) sera également mesuré dans cette étude. Conclusion Nous considérons la remédiation cognitive non seulement comme un but – améliorer les compétences cognitives –, mais aussi, et surtout, comme un moyen donné aux patients de mieux gérer leur vie quotidienne en misant sur l’acquisition et la consolidation des techniques de résolution de problèmes et le transfert des apprentissages effectués en séance. En premier lieu, notre démarche vise en effet à développer chez les patients traités l’aptitude à rechercher des solutions aux problèmes posés en trouvant eux-mêmes des stratégies adéquates. Les techniques de résolution de problèmes sont particulièrement importantes chez des patients qui souffrent fréquemment d’une perte d’initiative et d’un manque de motivation, comme cela peut être le cas chez les patients dépressifs. Le fait de pouvoir résoudre des problèmes complexes va notamment renforcer une estime de soi souvent déficitaire. Ces techniques pourront ensuite être utilisées lorsqu’il s’agira de prendre des décisions, de faire face à un symptôme ou encore d’évaluer les conséquences d’un comportement. Par ailleurs, nous avons vu que les patients présentant des idées délirantes ont tendance à tirer trop rapidement des conclusions lorsqu’ils sont confrontés à un problème. Les techniques de résolution de problèmes leur permettent de contrecarrer cette tendance, puisqu’elles incitent à considérer plusieurs stratégies avant de choisir la meilleure manière de parvenir aux objectifs fixés. Les patients présentant les symptômes positifs de la maladie peuvent ainsi également bénéficier des techniques visant à aborder un problème sous différents angles. Au-delà des compétences développées dans le programme (entraînement de la mémoire de travail, de l’attention sélective, etc.), notre objectif est donc que le patient “apprenne à apprendre”, selon l’expression consacrée. Un deuxième aspect important du programme RECOS concerne la métacognition. De manière générale, la métacognition peut être définie comme la connaissance qu’un sujet a de son propre fonctionnement cognitif, la manière dont il peut en prendre conscience et les moyens mis en œuvre pour adapter son comportement en conséquence. Autrement dit, l’accent est mis à la fois sur la psychoéducation, le transfert d’apprentissage et la généralisation des techniques de résolution de problèmes. Il s’agit de s’assurer que ce qui est entraîné en séance puisse servir à améliorer le bien-être et l’autonomie du patient. La métacognition exige donc de prendre de la distance par rapport à ses propres pensées ou cognitions, d’identifier le problème posé par la situation et d’expliciter sa manière de le résoudre. Un des intérêts majeurs du développement de la métacognition des patients traités en remédiation réside dans la possibilité de maintien des acquis sur le long terme. Les techniques apprises en cours de séance pourront ainsi être mieux automatisées ainsi que généralisées à la vie quotidienne, et favoriser le processus de réhabilitation dans son ensemble. En insistant sur les éléments métacognitifs de la prise en charge, nous soulignons la place importante du thérapeute, qui agit comme un médiateur entre les déficits observés, leurs répercussions dans la vie quotidienne du patient et les objectifs visés par le programme. Sans ce rôle de médiation et sans les capacités du thérapeute à modifier la relation qu’entretient le patient avec son environnement, le maintien et la généralisation des progrès rencontrés au terme du programme seraient fortement compromis. La formation des thérapeutes au programme RECOS est ainsi une condition préalable à son utilisation. ■ Références bibliographiques 1. Vianin P. Programme de remédiation cognitive pour patients présentant une schizophrénie ou un trouble associé. Manuel du thérapeute. Charleroi : Socrate Éditions Promarex, 2007. 2. Vianin P. Remédiation cognitive de la schizophrénie. Présentation du programme RECOS. Annales médico-psychologiques 2007;165:200-5. 3. Vianin P, Jaugey L. Pourquoi et comment évaluer les troubles cognitifs des patients schizophrènes ? Revue francophone de clinique comportementale et cognitive 2007;12(1):14-24. La Lettre du Psychiatre • Vol. V - n° 4-5 - juillet-octobre 2009 | 93