Le J4 et le fort Saint-Jean MUCEM LE J4 ET LE FORT SAINT-JEAN MUCEM 9€ HORSSERIE_COUV_MUCEMV3.indd 1 17/06/13 11:08 11 Le fort était un étranger pour les Marseillais COMMENT UNE CITADELLE DEVINT MUSéE 1 Pa r Anastasi a A ltm aye r , journaliste A Vue de la rampe d’accès entre le J4 et le fort Saint-Jean © Lisa Ricciotti La rampe prend naissance sur le toit du J4, puis surplombe la mer pour aboutir au fort Saint-Jean. 14 près que Joseph Vernet l’eut immortalisé en 1754 (L’Entrée du port de Marseille, musée du Louvre), le fort Saint-Jean ne cessa de péricliter jusqu’à cette explosion dévastatrice d’août 1944. Les prémices d’une reconstruction n’ont été envisagées réellement qu’à partir de 1964, lorsque le site a été classé à l’Inventaire des Monuments historiques. Imposant complexe d’édifices militaires marquant l’entrée du port par sa colossale tour du Roi-René, il était en effet en très mauvais état : certains bâtiments étaient en ruine et n’avaient même plus de toit (ceux qui composent le « Village », au fond de la place d’Armes) ; d’autres avaient été mieux entretenus, tel le bâtiment Georges Henri Rivière, voire partiellement rénovés, comme la galerie des Officiers. 3 Le projet du musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée a permis de restaurer ces édifices qui composent le fort, le faisant ainsi bénéficier d’une surface totale de 15 000 m², dont des espaces d’exposition de 1 100 m². 2 Restaurer dans un souci d’authenticité Cependant, le projet du MuCEM s’est greffé sur un projet de restauration qui avait pris corps dès 2005, sans lien initial, conduit par l’architecte en chef des Monuments historiques, François Botton. Il s’agissait alors de restaurer le fort pour sa valeur historique et ses qualités propres. Une visée aujourd’hui atteinte grâce à de nombreuses opérations : la consolidation et la rénovation de 11 500 m² de courtines et de remparts ; la réhabilitation du chemin de ronde et de la fausse braie (respectivement au sommet et au pied des remparts) ; la reprise en façade de la chapelle Saint-Jean, plus ancien vestige visible du fort (xiie siècle) ; la restauration des casernements (le « Village ») et de la montée des canons, chemin de jonction entre les parties supérieure et inférieure du complexe. L’enjeu de la restauration ne s’arrêtait pas là. François Botton avait également pour mission de restituer au fort son identité de place imprenable… « On n’aborde pas un fort militaire par le rez-de-chaussée en poussant une petite porte ! » analyse l’architecte : c’était pourtant le cas jusqu’à présent, puisque seul l’accès par le Vieux-Port avait été conservé, tandis que celui par la Porte royale s’était vu condamné. Aujourd’hui, le fort Saint-Jean a retrouvé sa dignité. Il est à nouveau entièrement protégé, 10 4 5 1. Tour du Fanal 2. Bâtiment Georges Henri Rivière 3. Place d’Armes 4. Le Village 5. Galerie des Officiers 6. Entrée, billetterie accès Vieux-Port 7. Chapelle Saint-Jean 8. Cour de la Commande 9. Tour du Roi-René 10. Rampe d’accès à l’église Saint-Laurent 11. Rampe d’accès au J4 6 7 8 9 15 à gauche Montée des canons © Lisa Ricciotti La montée donne accès au quartier du Panier via la passerelle Saint-Laurent, et à la Place d’armes. ci-contre La galerie des Officiers © Lisa Ricciotti La galerie des Officiers, ainsi que le « Village » accolé (les anciennes casernes), étaient à l’état de ruine lorsque la restauration a été envisagée en 2005 et confiée à François Botton, architecte en chef des Monuments historiques. page de droite Le Village © Lisa Ricciotti Sur la façade de ce bâtiment consacré au cirque et dominant la cour des orangers, une pergola en acier Corten (5 mètres de haut) est animée de figures du monde du cirque inspirées des dessins des sœurs Vesque du xxe siècle. soit par des obstacles naturels, en l’occurrence la mer, soit par des obstacles artificiels : d’une part, le fossé voulu par Vauban qui isole le complexe du quartier du Panier ; d’autre part, la darse qui le sépare du J4 et que l’on a recreusée pour rendre au fort son caractère maritime. Encore fallait-il établir des moyens de franchir ces obstacles. Une passerelle relie aujourd’hui la porte Royale au parvis de l’église Saint-Laurent (dans le quartier du Panier et en dehors de la fortification), tandis qu’une seconde passerelle, longue de 130 mètres, véritable « muscle tendu » selon le propos de Rudy Ricciotti, permet de rejoindre le bâtiment contemporain. Rendre accessible, aménager et scénographier Parallèlement aux activités de rénovation, d’importants travaux d’accessibilité ont été rendus nécessaires par le très important dénivelé (20 mètres) entre les niveaux supérieur et inférieur du fort qui a exigé l’intégration d’un ascenseur dans la structure de la galerie des Officiers. L’accessibilité fut l’affaire de Roland Carta, tout comme l’aménagement des espaces intérieurs, destinés à accueillir la scénographie et les « Folies » de Zette Cazalas. Car le fort Saint-Jean n’intervient pas comme une simple prolongation du J4. Il a vocation à proposer au visiteur un parcours muséographique non directif, variable selon les portes qu’il choisit de pousser. Ces portes, ce sont par exemple celles 16 du bâtiment Georges Henri Rivière, situé au pied de la tour du Fanal et dédié aux expositions temporaires dont la première, intitulée « Les choses de ce côté du monde », présente les créations photographiques et vidéo de huit artistes contemporains de la Méditerranée. Quant aux collections permanentes, elles comprennent les vidéos projetées sous les voûtes de la salle du Corps de garde (ensemble du Village) consacrée à l’histoire du fort, ainsi qu’un accrochage thématique destiné à être renouvelé tous les trois à cinq ans, intitulé « L’invention des loisirs ». Plusieurs édifices l’accueillent : la chapelle Saint-Jean, la galerie des Officiers et deux bâtiments du Village (les E et G). Un parti pris muséographique en accord avec l’ambition de l’agence paysagiste APS, qui a aménagé les espaces extérieurs du fort selon une promenade végétale en quinze tableaux, propice à la déambulation aléatoire. Le public et les Marseillais pourront redécouvrir le fort Saint-Jean, cet îlot extraterritorial monopolisé depuis le début du xxe siècle par l’État et affecté aux fonctions militaires. Outre les trois accès (la passerelle du J4, celle du parvis Saint-Laurent et la porte du Vieux-Port), le fort est rendu à ses habitants grâce au réaménagement de la fausse braie en véritable promenade comme, en témoignent des gravures du xviie siècle, c’était jadis le cas. Des origines du fort à nos jours, une promenade à travers le temps afin de rendre à Marseille ce qui est à Marseille ! Place du Dépôt, théâtre de marionnettes © Lisa Ricciotti Sur la place du Dépôt, la scénographe Zette Cazalas a conçu un théâtre caché dans cette sculpture de déesse grecque à quatre visages, une des « Folies ». Une fois ouverte, elle déploie une scène pour marionnettistes. 17 ci-contre Le fort Saint-Jean vu du côté de la tour du Roi-René © Hervé Champollion/Akg Entre la tour du Fanal à gauche et la tour du Roi-René à droite, on aperçoit le couronnement du bâtiment Georges Henri Rivière et la galerie des Officiers. La rampe d’accès entre le J4 et le fort Saint-Jean © Lisa Ricciotti Le public peut accéder gratuitement à cette rampe. VISITE GUIDÉE DU FORT SAINT-JEAN Quatre bâtiments importants ont été affectés au projet muséographique du MuCEM : le bâtiment Georges Henri Rivière, le Village, la galerie des Officiers et la chapelle Saint-Jean. La restauration a redonné de sa splendeur au fort et les aménagements, une touche contemporaine. Le jardin des Migrations, créé sur les 15 000 m2 d’espaces extérieurs du fort, invite quant à lui à découvrir la forteresse. ci-dessus À droite Côté sud du fort, le jardin des myrtes est encadré de la galerie des Officiers et de la galerie des ombres, composée d’une tonnelle en acier tressé. La galerie des Officiers vue depuis la galerie des ombres. L’entrée de forme carrée donne accès à l’ascenseur construit lors des travaux d’accessibilité pour palier le gros dénivelé entre les deux niveaux du fort. © Lisa Ricciotti © Lisa Ricciotti en bas L’agence paysagiste APS a aménagé la terrasse basse du Cavalier de la rade avec ces transats, clin d’œil au monde de la croisière. Sur les remparts, de chaque côté du chemin qui mène à la tour du Fanal, sont plantés les aromatiques (à gauche) et le potager (à droite, dans les carrés de bois), au pied du bâtiment Georges Henri Rivière. © Lisa Ricciotti © Lisa Ricciotti ci-dessous La cour des orangers (ou cour de la Commande) Devant l’ancienne chapelle Saint-Jean, elle est animée de pots plantés d’orangers et d’un bassin dessiné par l’agence APS, à la bordure découpée de motifs de feuilles d’oranger. © Lisa Ricciotti une flânerie didactique 12 000 m2 POUR LE JARDIN DES MIGRATIONS Pa r Anastasi a A ltm aye r , journaliste P atrimoines naturel et architectural se côtoyaient déjà à la proue de Marseille, entre la Méditerranée et le fort SaintJean. Désormais, il faut compter également sur le végétal, avec l’aménagement par l’agence paysagiste APS de tous les espaces extérieurs du fort jusqu’alors inexploités. Baptisé « jardin des Migrations », ce jardin-promenade offre aujourd’hui ses 12 000 m² aux promeneurs et leur révèle, à 360 degrés, les panoramas sur la Méditerranée, le J4, Sainte-Marie-Majeure, le Vieux-Port ou le fort Saint-Nicolas. Poétique, la flânerie s’avère également didactique puisque les quinze tableaux de ce jardin sec racontent la grande épopée de la migration des plantes et des hommes à travers la Méditerranée. 12 000 végétaux occupent les 6 500 m² de surface effectivement plantée : myrtes, safran, alfas, figuiers, orangers… Parmi les 275 espèces représentées, le chêne, dont plusieurs spécimens forment un bosquet sur la place d’Armes, évoque la forêt méditerranéenne. La découverte commence. Le visiteur peut emprunter les jardins de la Colline pour accéder à un parcours ethnobotanique, longeant les remparts face au quartier du Panier. De l’autre côté de l’esplanade centrale, au pied de la tour 24 Devant le Village et à côté du bâtiment Georges Henri Rivière, le bosquet de chênes verts et de chênes blancs. Les images de synthèse de l’agence APS donnent à voir ce que sera le jardin dans quelques années. © Agence APS/Golem Images du Fanal et derrière le bâtiment Georges Henri Rivière (le GHR), quatorze carrés plantés composent le potager du fort. Ils témoignent à eux seuls d’une double volonté de l’agence APS : l’authenticité et l’écoresponsabilité. En effet, sa culture étant destinée à approvisionner les cuisines du café-restaurant, son utilité est avérée. Son entretien se fait en outre dans les règles de l’art grâce à un système d’arrosage traditionnel et écologique, celui de l’irrigation gravitaire et de la récupération de l’eau de pluie. Aménagements et mobiliers Sur les remparts côté est, vers la passerelle d’accès à l’église Saint-Laurent, le parcours ethnobotanique et les plantes emblématiques de la Méditerranée. © Agence APS/Golem Images Au-delà des végétaux, l’aménagement paysager du jardin-promenade a également consisté en l’habillage des sols. Pierres, bois, bétons, calades servent tour à tour de revêtements. Il est fait un usage récurrent du calcaire local, notamment sur la place d’Armes, pensée pour accueillir des manifestations culturelles, des concerts, des spectacles… Les spectateurs prennent place dans les gradins, élaborés en bois de chêne et dont la structure n’est pas sans rappeler une charpente maritime. Tout le mobilier conçu par APS traduit d’ailleurs la métaphore navale : les transats de la terrasse basse du Cavalier de la rade, ainsi que le banc faisant dos aux figuiers suspendus sur le Cavalier même (ancien poste de surveillance) en sont des exemples flagrants. Après la pierre (pour les sols mais aussi pour les murs ou encore les restanques provençales) et le bois, vient le tour du métal. Les paysagistes ont en effet également conçu les éléments de serrurerie – notamment les rampes ondulées des escaliers – et la galerie des ombres, une pergola en acier tressé qui accueille les visiteurs entrés par le Vieux-Port. Au niveau inférieur, juste en dessous de cet ouvrage, l’ancienne cour de la Commande est devenue une cour des orangers, véritable jardin hispano-mauresque. Ses dix arbres en pot jardin hispano-mauresque. Ses dix arbres en pot (de la poterie Ravel, sise à Aubagne depuis 1837) trouvent écho dans un bassin en acier Corten, dentelé du motif de la feuille d’oranger. Autant d’atmosphères qui s’enchaînent harmonieusement. Cette promenade n’en a pas moins été pensée en cohérence avec la vocation du musée : dans le prolongement des collections, le jardin des Migrations illustre toute la richesse du patrimoine naturel, de l’art paysager et même de la culture agricole propres aux spécificités du Bassin méditerranéen. 25