fortunato - E

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2010-2011
CERCLE
FORTUNATO [ MATEO FALCONE ]
LYRIQUE
DE METZ
Opéra en un acte de Théodore Gouvy (en création mondiale) ; livret du
compositeur traduit de l'allemand par René et Samuel Auclair, d'après la
nouvelle « Mateo Falcone » de Prosper Mérimée, opéra adapté par René
Auclair. Précédé des « Douze chants de l'Ile de Corse » pour chœur a cappella d'Henri Tomasi. Production de l'Opéra-Théâtre de Metz Métropole
Conférence tripartite assurée par Sylvain Teutsch, président de l'Institut
Théodore Gouvy de Hombourg-Haut, Marie-Noëlle Auguste, professeur
au Conservatoire de Saint-Denis, sur « Prosper Mérimée et l'opéra », et
René Auclair, musicologue, chargé de cours à l'Université Paul Verlaine de
Metz, sur « Fortunato » (Mateo Falcone) de Théodore Gouvy, et animée par
Georges Masson, journaliste et critique musical, président du Cercle
Lyrique de Metz, le samedi 21 mai à 16h au Foyer de l'Opéra-Théâtre
de Metz Métropole.
Direction musicale : Jacques Mercier Mise en scène : Eric Chevalier
Scénographie : Ange Leccia
Costumes : Danielle Barraud
Lumières : Patrice Willaume
Distribution vocale : Valérie Condolucci, soprano (Fortunato, fils de Mateo) ;
Catherine Hunold (Giuseppa, épouse de Mateo) ; Jean-Philippe Lafont, baryton (Mateo Falcone) ; Florian Laconi (Tiodoro Gamba, adjudant) ; Eric
Martin-Bonnet (Gianetto Sanpiero, bandit).
Théâtre de Metz Métropole.
Chœurs de l'Opéra-T
Orchestre National de Lorraine.
En partenariat avec le Centre Pompidou Metz et l'Institut Théodore Gouvy.
Couverture : Reproduction d'après une peinture ancienne du personnage de Mateo
Falcone figurant sur les recueils des « nouvelles » de Prosper Mérimée.
Conception de la plaquette : Georges Masson.
Directeurs de publication : Georges Masson, président et Jean-Pierre Vidit premier
vice-président.
Adresse postale du Cercle Lyrique de Metz : B.P. 90261 - 57006 Metz Cedex 1
Adresse e-mail du président : [email protected]
Adresse du site et du blog Internet : www.associationlyriquemetz.com
Composition graphique et impression : Co.J.Fa. Metz - tél. 03 87 69 04 90.
Représentations de l’ouvrage les vendredi 27 mai 2011 à 20h,
dimanche 29 mai à 15h et mardi 31 mai à 20h.
FORTUNATO
[ M A T E O FA L C O N E ]
de Théodore GOUVY
N° 201
Par Georges MASSON
Photo de Théodore Gouvy prise, en 1890,
par le photographe personnel de l'empereur Napoléon III.
La tombe-pyramide de Théodore Gouvy au cimetière de Hombourg-Haut. Elle est en forme de métronome et
son médaillon blanc au milieu est à l'effigie du compositeur (Photo Claire Leber).
Depuis l'an dernier, nous avons évoqué, ainsi, le souvenir d'artistes qui
nous ont quittés au cours de ces derniers mois : le chef britannique Sir
Charles Mackerras, les chanteurs et cantatrices Cesare Siepi, Joan
Sutherland, Shirley Verrett, Solange Michel, Ernest Blanc, Margaret Price.
Le centième anniversaire de Jussi Björling, le « Caruso suédois » a fait
l'objet d'un dossier particulièrement étoffé, de même que le cinquantième
anniversaire de la disparition de Mado Robin, "la voix la plus haute du
monde". Un hommage a été rendu à Mady Mesplé, qui avait succédé à
Mado Robin dans Lakmé, à l'occasion récente de ses 80 ans, avec des renvois vers ses enregistrements et son livre de souvenirs publié au début de
cette année. Dans le même esprit, nous nous préparons à mettre en ligne un
dossier sur Sir Thomas Beecham, chef britannique disparu en mars 1961 ;
et sur le baryton américain Leonard Warren, partenaire de Jusssi Björling,
qui aurait eu 100 ans en ce mois d'avril 2011. En septembre prochain, nous
évoquerons un autre centenaire, celui de Rolf Liebermann, directeur de
l'Opéra de Paris de 1973 à 1980.
Les concerts de Nathalie Stutzmann, en résidence à l'Arsenal, sont mis en
valeur dans "actualité lyrique" ainsi que son récent enregistrement chez
Deutsche Grammophon. Enfin, les livres de deux autres femmes, chefs
d'orchestre, Claire Gibault et Zahia Ziouani, publiés en décembre 2010, ont
été honorés comme ils le méritent.
La partie "membres", réservée aux membres du CLM leur permet d'accéder à nos plaquettes ainsi qu'aux livrets des œuvres représentées à Metz. Il
leur faut, pour cela, un code d'accès à demander au webmaster. Enfin, en
s'inscrivant à la Newsletter, on est informé régulièrement des mises à jour
du site. Cette inscription est activée après réception d'un courriel de confirmation.
A très bientôt sur www.associationlyriquemetz.com en cliquant simplement sur Google : "Cercle lyrique de Metz".
FORTUNATO
[ MATEO FALCONE ]
de Théodore GOUVY
par
Georges MASSON
Jean-Pierre Pister
Vice-président du CLM, webmaster.
48
1
d'Hoffmann en Avignon, Tannhäuser à Bordeaux. Il a participé à des enregistrements CD de Leonore II de Beethoven de Zoroastre avec Les Arts
florissants et à un DVD du Roi d'Ys de Lalo à l'Opéra royal de Wallonie.
Textes de présentation et interviews : Georges Masson
XII
JOURNAL LYRIQUE DU C.L.M. :
LES DERNIÈRES NOUVELLES
Couverture du coffret de l'enregistrement en deux compact-disc des scènes dramatiques de Théodore Gouvy,
« Iphigénie en Tauride » gravées en 2010 (Photo akg-images - disc C.P.O.).
2
Le
site
Internet
du
Cercle
Lyrique
de
Metz,
www.associationlyriquemetz.com a l'ambition de constituer un véritable
journal numérique de l'actualité musicale et lyrique, aussi bien au niveau
de Metz et de la Lorraine que sur un plan plus général.
Les turbulences qui ont marqué la vie culturelle messine au cours de ces
derniers mois y sont traitées en bonne place dans "Metz sans musique",
sans esprit polémique inutile, avec l'insertion récente des mises au
point, qui se veulent rassurantes, du Maire-Adjoint chargé des affaires
culturelles.
Le nouveau directeur de l'Opéra-Théâtre, Paul-Emile Fourny est présenté
comme il convient avec un lien vers son site personnel. Une pré-annonce
de la saison lyrique et théâtrale 2011-2012 est disponible, elle sera, naturellement, complétée dès que nous aurons tous les éléments en notre possession.
Nos rubriques habituelles sont régulièrement étoffées et mises à jour. Ainsi
sont régulièrement mises en ligne les critiques des spectacles retransmis
régulièrement depuis le MET de New-York (avec pré-annonce de la prochaine saison). Citons parmi les productions toutes récentes ou à venir
avant l'été : Lucia di Lammermoor, Le Conte Ory, Capriccio, Le Trouvère,
La Walkyrie.
En fonction du calendrier, nous avons à cœur d'évoquer les grands artistes
du passé ou récemment disparus. Les rubriques "In Memoriam" et
"Anniversaires" sont illustrées de documents iconographiques et d'extraits
d'enregistrements transcodés au format MP3, facilement accessible sur
Internet.
47
pièces de théâtre en tant que comédien mais aussi comme metteur en scène.
Puis il fait ses débuts dans le chant en 1995, avec Michèle Command,
Gabriel Bacquier et Christian Jean. Lauréat du Concours des Voix nouvelles 2002, il fut nominé aux 13es Victoires de la musique classique en 2006,
dans la catégorie "Révélation Artiste Lyrique de l'année".
Il s'est produit souvent sur la scène de l'Opéra-Théâtre de Metz et, dernièrement, dans Les Pêcheurs de perles. Il a fait à peu près le tour des maisons d'opéra de l'Hexagone. Pour ses débuts en Belgique à l'Opéra royal de
Liège, il était Don Ramiro dans La Cenerentola, et fut Tybalt dans Roméo
et Juliette pour ses débuts à l'Opéra de Los Angelès, avec, dans la distribution, Rolando Villazon et Anna Netrebko, deux pointures incontournables.
On retiendra également le rôle de Vincent qu'il incarna dans Mireille de
Gounod donné aux Chorégies d'Orange. Il tenait aussi le rôle-titre de
Roméo et Juliette à Limoges, chanta dans Manon en Avignon et à HongKong, de même que le rôle de Fenton dans Falstaff de Verdi aux côtés de
Bryn Terfel à l'Opéra de Monte-Carlo.
Florian Laconi a aussi à son actif quelques rôles dans l'opérette classique,
de Ciboulette à La Veuve joyeuse et Au Pays du sourire ; cependant, il a un
penchant pour les opérettes d'Offenbach où il a chanté dans La Grande
duchesse de Gérolstein, Barbe-Bleue, La Vie parisienne, La Périchole, La
Belle Hélène et Orphée aux enfers dans la dernière production donnée à
l'Opéra-Théâtre de Metz.
Côté oratorio, il a chanté dans La Petite messe solennelle et le Stabat Mater
de Rossini, les Requiem de Mozart et de Gounod, La Missa criola de
Ramirez…
ÉRIC MARTIN-BONNET, baryton, rôle de Gianetto Sanpiero, bandit
Il a remporté le Concours des voix d'or en 1990 et quatre prix dont le Prix
du public à Marmande, tout en continuant ses études musicales à Paris. Il
débute dans Parsifal à l'Opéra du Rhin à Strasbourg, en Avignon dans La
Force du destin et à Nancy dans Un Bal masqué, ainsi que dans Les
Martyrs aux Chorégies d'Orange, Tosca et Les Contes d'Hoffmann à
Angers. Il incarnait le Grand inquisiteur dans le Don Carlos donné à Metz
et chanta dans Aïda en version concert à L'Arsenal. Il a pratiquement fait
le tour des maisons d'opéras de France. Puis il participe à une tournée européenne de Zoroastre avec William Christie et Les Arts florissants. Il sera,
en 2007/08, Leporello de Don Giovanni, Sparafucile dans Rigoletto et dans
l'oratorio La Création de Haydn à Saintes. Puis Le Roi d'Ys à Toulouse et
à Liège, La Bohème en Avignon, Semiramide aux Musicales du Lubéron,
Butterfly à Dublin, Der Fliegende Holländer à Saint-Etienne, Les Contes
46
SOMMAIRE
p.5
I
Théodore Gouvy, un Européen avant l'heure ?
p.9
II
Sylvain Teutsch : « C'est l'histoire de notre Grande région »
p.13
III
On n'a pas toujours été tendre avec Théodore !
p.15
IV
Prosper Mérimée : « Mateo » avant « Carmen »
p.18
V
Mérimée où l'opéra par excellence
p.21
VI
L'histoire de « Fortunato » et ses personnages
p.22
VII
René Auclair : « Un opéra d'une intensité psychologique et
d'une grande force d'expression »
p.36
VIII
Eric Chevalier : « L'honneur paternel ne peut être réhabilité que
par le sang du fils »
p.39
IX
César Cui : un « Falcone » à la russe
p.40
X
Henri Tomasi : « Il faut avoir la Corse dans le sang pour avoir le
pouvoir de la chanter »
p.42
XI
Les artistes de la distribution
p.47
XII
Journal lyrique du C.L.M. : dernières nouvelles
3
de Metz. Deux autres prises de rôle l'attendent au Theatre Colon de
Buenos-Aires, le rôle-titre d'Ariane à Naxos de Richard Strauss et celui de
Manon dans Manon Lescaut de Puccini. Elle se produit également en oratorio, dont le Requiem de Verdi et la 9e de Beethoven. Et a abordé l'opérette avec La Périchole d'Offenbach.
JEAN-PHILIPPE LAFONT, baryton, rôle de Mateo Falcone
Né en 1951 à Toulouse, Jean-Philippe Lafont a choisi comme professeur
Denise Dupleix. En 1973, il est remarqué par Louis Erlo et entre à l'Opéra
Studio de l'Opéra-Comique à Paris où il se perfectionne dans la diction, le
chant, l'interprétation, le théâtre. Il a 23 ans en 1974 lorsqu'il tient son premier rôle, celui de Papageno de La Flûte enchantée, Salle Favart. C'est le
début d'une carrière éblouissante. Il a cent rôles majeurs à son actif. Il se
produit à la Scala de Milan, au Carnegie Hall et au Metropolitan Opéra de
New-York, à la Monnaie de Bruxelles, au Liceo de Barcelone, bref, dans
toutes les capitales européennes, et, bien sûr, à Paris, à la Bastille, aux
Champs-Elysées et au Châtelet. C'est aussi un habitué des festivals auxquels il est invité : Salzbourg, Aix, Orange, Vérone, Montpellier, Bayreuth
dans Lohengrin. Il est l'un des quatre chanteurs français à se produire dans
ce temple wagnérien avec Ernest Blanc, Germaine Lubin, et Régine
Crespin. Il sera invité quatre années consécutives à partir de 1999, à s'y
produire, chose exceptionnelle pour un chanteur français. . Il a créé un
Vitalis émouvant dans le Sans famille de Jean-Claude Petit donné en création mondiale d'après le roman d'Hector Malo. Il a aussi incarné César dans
Marius et Fanny de Vladimir Cosma aux côtés de Roberto Alagna et de
Gheorgiu. Il a également été le personnage principal dans Le dernier jour
d'un condamné des frères Alagna, un opéra en version concert donné au
Théâtre des Champs-Elysées. Ses rôles préférés sont Wozzeck, Golaud et
Falstaff, ce dernier rôle devant lui être attribué à la prochaine production
de cet opéra de Verdi qui sera donné en ouverture de la saison 2011-2012,
de l'Opéra-Théâtre de Metz. Il y avait d'ailleurs tenu, l'an dernier, le rôle de
Merlier dans L'Attaque du moulin d'Alfred Bruneau. Il fut enfin, acteur et
chanteur dans la production de Le Festin de Babette qui avait obtenu un
oscar du meilleur film étranger. Selon Eve Ruggieri, « Jean-Philippe
Lafont est le baryton que l'on s'arrache ».
Des portraits divers de Théodore Gouvy alignés sur son piano à la Villa Gouvy, devenue l'Institut Gouvy.
4
FLORIAN LACONI, ténor, rôle de Tiodoro Gamba, adjudant
C'est le ténor né à Metz (1977) actuellement parmi les plus en vue sur la
scène opératique. Il fera ses débuts à l'Opéra de Paris en 2012, dans
Paillasse. Il étudie d'abord l'art dramatique et participe à de nombreuses
45
province à Nice, Angers, Rouen, Limoges, Toulon, Aix-les-Bains… Sa carrière s'oriente ensuite vers l'international, où elle chante Gilda dans
Rigoletto à Oslo, Zerlina de Don Juan, ainsi que Didon et Enée à
l'Aberdeen de Youth International Festival ; elle sera Andromède dans
Persée et Andromède à Palerme, Carmen au Festival de Baalbeck, Pamina
de La Flûte enchantée en tournée en Angleterre avec le Glyndebourne
Touring Opera.
Elle a chanté pour la première fois à L'Arsenal de Metz dans Le Martyre
de Saint-Sébastien dirigé par Emmanuel Krivine et le Gloria (588) de
Vivaldi avec l'Orchestre de chambre de Metz sous la conduite de Fernand
Quattrocchi. Ainsi que Bérénice sous la direction de Jean-Philippe
Navarre, de même que Les Illuminations de Benjamin Britten. A Rennes,
elle a chanté dans Les Enfants à Bethléem de Gabriel Pierné. Elle a tenu
des parties solistes dans divers oratorios et autres œuvres sacrées, ainsi que
dans deux symphonies avec partie solo (9e de Beethoven et 2e de Mahler).
Elle donne également des récitals lyriques (dont l'un avec Laurent Naouri
en hommage à Daniel Lesur), en France et à l'étranger.
CATHERINE HUNOLD, soprano lyrico-dramatique, rôle de
Giuseppa
Elle a fait ses premiers pas dans la voie lyrique à onze ans, à l'OpéraComique à Paris dans L'Ecume des jours de Denisov. Elle étudia le chant
chez Mady Mesplé et obtint un Premier Prix à l'unanimité du jury au
Conservatoire de Saint-Maur, et, parallèlement, une licence en musicologie à l'Université de Paris VIII. Elle entre ensuite au StudiOpera de Paris,
interprétant des rôles dans son registre de soprano lyrico-dramatique.
Lauréate de plusieurs concours internationaux, dont le Premier Prix à l'unanimité au Concours européen de chant lyrique d'Arles, la médaille d'or
au Concours international des jeunes solistes au Luxembourg ainsi que le
Prix de la SACEM, elle a suivi les master-classes de Christa Ludwig. Elle
a débuté en 2009, au Théâtre des Champs-Elysées dans Mahagonny ; elle
tient les rôles wagnériens de Sieglinde et de Brunehilde, dans les émissions
Les leçons de musique de Jean-François Zygel. La même année, elle créait
le rôle de la Reine dans l'opéra Affaires étrangères de Villenave à
Montpellier, au Festival duquel elle a participé avec La Nonne sanglante
de Berlioz.
Elle a des projets jusqu'en 2013. On citera sa prise de rôle d'Elsa dans
Lohengrin, à Saint-Etienne. Elle a chanté dans Parsifal à l'Opéra de Nice,
et tiendra, en novembre 2011, le rôle-titre de l'opéra Françoise de Rimini
donné dans le cadre du bicentenaire d'Ambroise Thomas, à l'Opéra-Théâtre
44
I
THÉODORE GOUVY :
UN EUROPÉEN AVANT L'HEURE ?
Deux opéras complètement occultés de
Théodore Gouvy (1819-1898) vont être
créés en première mondiale à un mois
d'intervalle. D'abord Fortunato (Mateo
Falcone) du 27 au 31 mai 2011 à L'Opéra-Théâtre de Metz Métropole, puis Le
Cid à l'opéra de Sarrebruck à partir du
1er juin. Le premier en français, le
second en allemand. Comme un symbole de la double culture du compositeur
inhumé à Hombourg-Haut, et dont les
ouvrages sont réhabilités depuis une
vingtaine d'années.
Parcours atypique d'un musicien…
Reproduction d'un portrait au dessin de
Théodore Gouvy à vingt ans, exécuté par un
peintre nancéien, Candide Blaise, en 1839
(Collection Institut Gouvy).
C'est un curieux parcours auquel fut destiné Théodore Gouvy qui connut son heure
de gloire, entre Paris et Berlin, avant de
sombrer dans les limbes durant les trois
quarts du XXe siècle, puis de renaître peu à peu à partir des années 1980.
Descendant d'une famille de maîtres de forges, il naît à Goffontaine (puis
Schafbrücke, devenu aujourd'hui un quartier de Sarrebrück), quatre ans
après que cette partie de la Lorraine soit annexée à la Prusse, suite à la
bataille de Waterloo et en vertu du Traité de Paris de 1815. Il naquit donc
allemand. Il aura trois frères dont Henri, né en 1813 est français et deviendra industriel, Charles né en 1815, qui émigrera aux Etats-Unis, et
Alexandre, né en 1817, lequel reprendra la gouvernance de l'entreprise et
gèrera les placements financiers de la famille Gouvy.
5
Un bachelier de Metz
La mère du jeune Théodore est originaire de Metz. A six ans, le petit musicien improvise sur une harpe à huit cordes. A huit, en 1827, il est collégien
à Sarreguemines (en France), et suit des cours privés de piano. Après le
décès de son père, en 1829, il entre au Lycée de Metz, ville où son oncle,
Joseph Aubert, est négociant, et où sa mère s'installera, de 1830 à 1835. A
dix-sept ans, il décroche son bac de philo au Lycée… de Metz.
Sa mère avait formulé une demande de naturalisation pour son fils en 1834.
Elle est refusée par les autorités ! Oui, car il doit d'abord résider une
dizaine d'années en France pour que la démarche soit honorée. Sa mère,
toujours, veut qu'il devienne juriste. Théodore s'inscrit d'abord en faculté
de droit à Paris, mais sa nationalité allemande restreint ses ambitions. Or,
le code civil comme le code pénal ne sont pas sa tasse de thé. Il renoncera
à la magistrature après avoir échoué à son examen en 1839. Et il se lance
dans la vie musicale.
Etranger en son pays ?
Cependant, on lui refuse l'accès à l'enseignement officiel au Conservatoire
de Paris, parce qu'il est né teuton. Etranger en son pays ? Il part alors à la
recherche d'un professeur de piano. Il s'adresse à Henri Herz, pianiste assez
connu mais qui, devant partir pour une tournée de concerts et de récitals,
lui recommande Edouard Billard, son propre élève. Tenté par la composition musicale, il suit les cours de contrepoint et d'harmonie que lui prodiguera Antoine Elwart qui fut Prix de Rome en 1834, et qui est réputé, diton, pour être un "grand causeur". Puis il s'inscrira aux cours de piano du
plus célèbre Pierre-Joseph Zimmermann, qui brillait alors dans les salons
artistiques parisiens. Ses leçons de violon, il les suivra auprès de Carl
Eckert. Ils deviendront amis. Il prend aussi des cours auprès de
Kalkbrenner, qui fut également le professeur de Chopin. Il va se lier avec
les compositeurs de son époque, Camille Saint-Saëns, Adolphe Adam,
Gabriel Fauré, Théodore Dubois, le violoniste Henri Vieuxtemps,
Emmanuel Chabrier, et, bien plus tard, Gabriel Pierné. Fort des lettres de
recommandation de son ami Eckert, il part, en 1842, pour l'Allemagne, par
Mayence, Francfort. Il écoutera les Schumann, Robert et Clara, en concert
à Leipzig, et séjournera à Berlin jusqu'en juillet 1843.
Les éditeurs français font la fine bouche !
Ses premières compositions, livrées dès 1841, (il a 22 ans), connaissent un
bon accueil. Mais, malgré les recommandations du chef d'orchestre
6
ÉRIC CHEVALIER, METTEUR EN SCÈNE
Originaire de Nantes, Eric Chevalier entre en 1978 à l'English National
Opera de Londres et conçoit, dès 1979, ses premiers décors dont celui des
Saltimbanques pour l'Opéra royal de Liège. Il entre au bureau d'études de
l'Opéra de Paris en 1981 et, en 1983, y est nommé chargé de production. Il
poursuit conjointement une activité de décorateur et de metteur en scène
signant successivement plusieurs productions en France, en Autriche, en
Allemagne, en Corée du Sud… Il a notamment mis en scène Les Contes
d'Hoffmann et Roméo et Juliette à Séoul, puis Le Pescatrici à Metz, Don
Quichotte à Tours, Rennes et Angers, Carmen et Faust à Carcassonne, et
embrasse à peu près tous les grands ouvrages du répertoire lyrique, et,
parmi eux, des pièces contemporaines dont Erzebeth de Charles Chaynes
dont il mit également en scène son Mi Amo r donné, il y a plusieurs saisons, en création à l'Opéra-Théâtre de Metz. C'est depuis 1994 qu'il aborda conjointement la mise en scène et les décors. Nommé en 2003/2004 à la
tête de l'Opéra-Théâtre de Metz, il a signé chaque saison, une ou plusieurs
mises en scène, dont la re-création du Caïd d'Ambroise Thomas dans le
cadre de la Première Biennale consacrée au compositeur né à Metz, celle
de L'Amant anonyme du Chevalier de Saint-Georges, celle de L'Attaque du
Moulin d'Alfred Bruneau… Parmi les pièces de théâtre lyrique contemporain, on signalera Der Prozess de von Einem, Les Bonnes de Peter
Bengston, Le Renard d'Isabelle Aboulker, et, parmi ses mises en scène de
théâtre parlé, La Fiancée du matin d'Hugo Claus, Orage de Strindberg et
Poil de carotte de Jules Renard.
DISTRIBUTION VOCALE :
VALÉRIE CONDOLUCCI, soprano, rôle-titre de Fortunato
De nationalité franco-italienne, cette soprano lyrique léger, après avoir
obtenu deux médailles d'or (chant et musique de chambre) au
Conservatoire d'Arras, intègre l'Atelier lyrique de l'Opéra de Paris où elle
aura comme professeurs, Janine Reiss, Christa Ludwig, Renata Scotto,
Tereza Berganza et Alain Vanzo. Elle remporte le Prix lyrique du Cercle
Carpeaux de l'Opéra de Paris, le Prix de la mélodie au Festival de
Marmande et le Prix de la Ville de Paris. Elle débute au Centre de
Formation lyrique de l'Opéra de Paris dans le rôle-titre de Roméo et
Juliette, dans Gianni Schicchi, La Flûte enchantée, Carmen et Manon.
Puis, elle assume des rôles, toujours à l'Opéra de Paris, dans Carmen,
Manon, Parsifal, Peter Grimes. Elle signe des contrats dans les opéras de
43
XI
LES ARTISTES DE LA DISTRIBUTION
JACQUES MERCIER, CHEF D'ORCHESTRE
Premier prix de direction d'orchestre à l'unanimité au Conservatoire supérieur de Paris, premier prix au Concours de Besançon, Jacques Mercier fut
l'assistant de Pierre Boulez et bénéficia des conseils de Karajan. Il entame
rapidement une carrière internationale et dirige de prestigieuses formations. Qualifié de "Souveräner Dirigent" à Berlin, il se produit dans les
festivals dont celui de Salzbourg. Et Madrid où il est cité comme « l'un des
meilleurs chefs français et européens de sa génération » par la critique. De
1982 à 2002, il sera directeur artistique et chef permanent de l'O.D.I.F.
devenu national, et Pierre Petit, dans Le Figaro, dira de lui « qu'il a donné
la preuve irréfutable de son grand talent fait de précision et de maîtrise,
mais aussi de flamme et de panache… » Préalablement, il fut durant sept
ans chef permanent du Turku Philharmonic en Finlande, et ce sera pour lui
une expérience déterminante de son approche des compositeurs d'Europe
du Nord dont Sibélius. Mais son talent s'exerce aussi dans le répertoire
français, son territoire de prédilection. Il s'illustre également dans le répertoire contemporain, créant en particulier, des œuvres de Xénakis, Luis de
Pablo, Philippe Manoury et Wolfgang Rihm…
Il a réalisé de nombreux enregistrements discographiques. Il s'est vu décerner le Grand Prix de l'Académie Charles Cros pour Bacchus et Ariane
d'Albert Roussel et le Prix de l'Académie du disque lyrique pour Djamlileh
de Bizet. Son Martyre de Saint-Sébastien de Debussy lui a valu un Choc
du Monde de la Musique. Son domaine de l'opéra porte essentiellement sur
le répertoire français. Elu Personnalité musicale de l'année 2002 par le
Syndicat professionnel de la critique dramatique et musicale, son premier
enregistrement avec l'O.N.L. porte sur L'An Mil de Gabriel Pierné qui lui a
valu le Diapason d'or de l'année 2007. Son second disque paru en 2008,
consacré à Antoine et Cléopâtre de Florent Schmitt, a également obtenu un
Diapason d'or. En janvier 2011, Jacques Mercier et l'O.N.L. ont remporté
un vif succès pour leur tournée en Allemagne.
Théodore Tilmant, il peine à les faire jouer en concert. Ce sera, certes, le
début d'une production ininterrompue. Or, les éditeurs français rechignent
à les publier, beaucoup d'entre elles étant jouées à partir des manuscrits.
De son premier voyage en Italie, en 1844, il ne garde pas les meilleurs souvenirs, car la vie musicale lui semble trop pompeuse et superficielle, et il
déteste notamment le faste des offices religieux. Il séjourne à Frascati, à
Naples, puis à Bologne où il rencontre Rossini, et croise ses amis, Eckert
et le compositeur Niels Gade.
Le pérégrin, retour à Paris, devra même louer une salle et payer un orchestre pour faire jouer sa première symphonie ! C'était en 1847.
Heureusement, ce fut un succès. Mais il devra attendre l'année 1851 pour,
qu'à trente-deux ans, on lui accorde la nationalité française, et encore, par
naturalisation.
L'année précédente, la famille Gouvy rachetait aux De Wendel, les forges
de Hombourg-Haut. Et Gouvy partagera alors ses séjours entre la maison
familiale, la Villa Gouvy, et ses voyages à Paris, à Leipzig et autres villes
allemandes.
Des encouragements d’Hector Berlioz
Son nom s'impose aux oreilles de Berlioz qui écrivait alors ses critiques
musicales dans le Journal des débats. Que disait-il de Gouvy, en 1851 ?
« Qu'un musicien de l'importance de Gouvy soit encore si peu connu à
Paris, alors que tant de moucherons importunent le public de leur obstiné
bourdonnement, il y a de quoi indigner les esprits naïfs qui croient encore
à la raison et à la justice des nos mœurs musicales… » On ne pouvait
mieux dire.
Or, c'est bien dans les grandes villes musicales allemandes que les mélomanes raffoleront le plus de ses œuvres. A Berlin, Cologne, Dresde,
Wiesbaden, Francfort, Leipzig… Si on l'a moins joué dans l'Hexagone
qu'Outre-Rhin, c'est qu'en France, l'époque était dominée par le grand
opéra et l'opéra-comique, alors que la terre de Goethe cultivait davantage
la musique symphonique. Et c'est vrai que la musique de Gouvy, qui a subi
l'influence de Mozart, de Beethoven et de Mendelssohn, puis de Brahms,
reflète cette double culture, car on y décèle à la fois la grâce et la légèreté
bien françaises, et plus particulièrement, la limpidité et le classicisme de
Saint-Saëns, tout comme les formes et la consistance germaniques.
« Sans cesse ballotté entre deux expressions... »
C'est bien ce que confirme d'ailleurs Sylvain Teutsch, président de l'Institut
42
7
Gouvy de Hombourg-Haut, et auquel on doit la renaissance de Gouvy, car
il a constitué voici plus de vingt ans, un comité particulièrement actif avec
les membres du Chœur d'hommes de Hombourg-Haut en particulier, et qui
en fut un des choristes : « On s'est entouré de musicologues et de spécialistes qui ont démontré que Gouvy symbolisait parfaitement la richesse
culturelle de notre région. Sans cesse ballotté entre deux expressions, latine et germanique, ne vivant que sous leur influence, il ne peut s'en démarquer. Elles ont été son inspiration et, finalement, sa particularité et sa force,
en en faisant un Européen avant l'heure… ». C'est ce qu'il avait affirmé
lorsqu'il apprit qu'on allait créer ses deux opéras.
chanter », disait-il dans les années 1930. « Ainsi, sans vain orgueil, je crois
bien être le seul musicien à avoir ce droit là. »
Dans son œuvre Kyrnos, il dépeint les paysages corses rappelant les premiers phocéens et oppose un thème tragique de vocero et un autre plus vif
de danse. «De l'exaltation la plus insouciante au pessimisme le plus noir»,
disait ce profond méditerranéen. Ses Douze chants pour l'Ile de Corse
écrits pour chœur a cappella, en sont le reflet. Et ils ne sont pas sans rappeler les chants populaires qu'interprètent, dans les églises comme dans les
montagnes, les groupes et chorales de l'Ile. Ces Douze chants pour l'Ile de
Corse très rarement interprétés, forment un pendant logique avec l'opéra
Fortunato (Mateo Falcone) de Théodore Gouvy.
Un film, des disques, un colloque…
Depuis deux ans, les événements se sont succédé. L'intégrale discographique de ses symphonies est en passe d'être gravée avec la Saarländischer
Rundfunk de Sarrebrück-Kaiserslautern sous la direction de Jacques
Mercier ; le film documentaire intitulé Le Mystère Gouvy est sorti en 2009,
et les Actes du colloque consacrés au compositeur ont été publiés. Ce colloque "international" s'est tenu à Sarrebrück et à Hombourg-Haut avec des
musicologues connus, dont René Auclair (qui en a dirigé les éditions),
Danielle Pistone, Martin Kaltenecker… Les communications bilingues
portaient aussi bien sur « Gouvy et le discours de la musique sérieuse » que
sur « Gouvy et l'écriture violonistique », « Mélodies et Lieder dans
l'œuvre de Gouvy », « Entre élégance française et vigueur allemande »…
Pour Sylvain Teutsch, « le film constitue une belle carte de visite pour
l'Institut et pour toute la région. Il a fait l'objet de transactions avec les
chaînes de télévision et il est commercialisé en DVD. Les Actes du colloque lèvent le voile sur une part secrète de l'homme et de son œuvre.
Quant au projet discographique proposé à la Radio sarroise avec le soutien
de la Région lorraine, il s'est étendu à d'autres réalisations, dont l'enregistrement de la grande cantate Iphigénie en Tauride. D'autres objectifs se
sont concrétisés avec le Philharmonique du Wurtemberg qui a réalisé un
disque Gouvy avec un éditeur suédois. Un autre avec une firme belge. Et,
avec Internet, on découvre que les sites et les radios sont de plus en plus
nombreux de par le monde à diffuser la musique de Gouvy… »
Deux opéras : « une reconnaissance extraordinaire »
La mer violente, les nuages, la foudre, les pierres...
Pour Les Douze chants de l'Ile de Corse, les premières images projetées de
la scénographe Ange Leccia donneront les clés de ce que sont les protagonistes de Mateo Falcone. Et en premier lieu d'où ils viennent.
Š L'eau, la mer, les vagues d'une mer violente, effrayante, glacée. Puis,
naissent les premières mesures des trois premiers chants. Les femmes se
sont mises en place pendant la première projection ; on les distingue au travers d'un voile. Lorsqu'elles chantent, l'image se met en boucle. Un silence s'installe après les trois premiers chants.
Š L'air, le ciel. Aux vagues, succèdent les nuages, dans le même esprit que
la séquence précédente ; puis trois autres chants interviennent sur les images en boucle. Nouveau silence.
Š Le feu, l'orage et la foudre. Ensemencement. Trois chants suivants.
Silence.
Š La terre, les montagnes, les pierres. Elles seront évoquées dans les trois
derniers chants. (les Voceri). Les montagnes, le maquis, représentent le
monde de la tradition, des valeurs auxquelles tient Mateo. Ils sont un lieu
de refuge pour les proscrits, ainsi qu'un lieu de sacrifice humain. Les montagnes sont considérées comme conservatrices des coutumes
anciennes en matière de funérailles. Fortunato lui, rêve de la ville. Le lieu
où vit Falcone est <à la lisière>, entre le maquis et Porto Vecchio.
Après la résurrection de son corpus symphonique, de ses oeuvres religieuses et de sa musique de chambre, c'est la renaissance de ces deux opéras :
Fortunato (Mateo Falcone), et Der Cid (Le Cid) qui occupent maintenant
Le silence revient sur la fin du dernier chant. L'image filmée se fige ou
s'estompe pendant que les femmes ayant interprété les chants, sortent. C'est
à partir de là que l'orchestre se met en place sur le même temps. Fortunato
commence…
8
41
Henri Tomasi (1901-1971)
X
HENRI TOMASI : « IL FAUT
AVOIR LA CORSE DANS LE
SANG POUR AVOIR LE
POUVOIR DE LA CHANTER »
Bien que d'ascendance corse, Henri Tomasi est né à Marseille en 1901, où
il étudia le piano et où il fut ami avec le violoniste Zino Francescatti, le
dédicataire de plusieurs de ses œuvres. Diplômé du Conservatoire supérieur de Paris, il remporte le Premier Second Prix de Rome avec sa cantate Coriolan. Chef d'orchestre à Radio-Colonial, il sera un acteur important de la vie musicale française et adhérera au groupe "Triton" qui réunissait Darius Milhaud, Arthur Honegger, Francis Poulenc, sans pour autant
être dans la modernité d'écriture de l'époque où il était considéré comme un
néo-classique. Pendant la guerre, il dirigea l'Orchestre national, mais, pacifiste convaincu, il se retirera à l'Abbaye Saint-Michel de Frigolet où il
composera notamment un Requiem pour la paix et un opéra Don Juan de
Manara. Après guerre, il reprendra son activité de chef d'orchestre et il
composera des œuvres de concours pour le Conservatoire de Paris, dont
son Concerto pour trompette qui connaîtra la célébrité de par ses interprètes, Maurice André et Wynton Marsalis.
Dans les années 50, il fut vivement attaqué par les compositeurs d'avantgarde, pratiquant la musique dodécaphonique, Tomasi se considérant
comme un compositeur indépendant.
« La Corse reste encore à découvrir... »
Tomasi avait la fibre du Corse et disait que « la vraie Corse reste encore à
découvrir par les librettistes qui ne croient pas seulement aux bandits en
escopette, et par les musiciens qui ne se contentent pas d'une chanson
populaire pour exprimer les tréfonds de l'âme d'une race antique, indépendante et fière comme la nôtre ».
Il affirmait aussi que ses œuvres d'inspiration corse étaient folkloriques
sans l'être. « Il faut avoir la Corse dans le sang pour avoir le pouvoir de la
40
l'Institut.
« Ce qui nous arrive aujourd'hui est une reconnaissance extraordinaire, ajoute Sylvain Teutsch. C'est, de plus, un beau challenge car ce
sont des projets exceptionnels et nous sommes conscients de l'enjeu
de ces réalisations. Leur mise en chantier a représenté pour l'Institut,
une masse de travail dans l'édition de ces ouvrages qui n'avaient pas
été montés du vivant du compositeur. Masse de travail aussi pour la
livraison du matériel et gros investissement financier pour notre petite structure. Mais ceux qui s'y dévouent ont voulu relever le défi… »
Une sérénade pour Metz
Retour d'un voyage à Leipzig, Théodore Gouvy fit escale en 1850 à
Metz ou habitait sa mère. Le 23 novembre, il fit à l'hôtel de ville une
déclaration stipulant que, résident en France depuis 1830, il voulait
élire son domicile à Metz et sollicitait la jouissance de la nationalité
française. Il séjourna quelques mois dans cette ville, retourna à Paris
et dédia à l'association messine "l'Union des Arts", une Sérénade pour
le piano. Ce morceau, gravé par Toussaint, parut dans la Revue
publiée en 1852 par cette société. Plusieurs œuvres du compositeur
ont été exécutées à Metz, et que les journaux et revues saluèrent de
façon élogieuse. En 1859, il fut à nouveau de passage à Metz où il
exécuta, avec des musiciens amateurs, le Trio pour violon, piano et
violoncelle de sa composition. La relation de ces séjours sont mentionnés dans le « Dictionnaire des Musiciens de la Moselle » de JeanJulien Barbé, archiviste de la ville (Edition Le Messin, 1929) avec une
préface de René Delaunay, alors directeur du Conservatoire.
II
SYLVAIN TEUTSCH :
« C'EST L'HISTOIRE DE NOTRE
GRANDE RÉGION… »
Président de l'Institut Théodore Gouvy, Sylvain Teutsch, né à
Hombourg-Haut, est à l'origine de la redécouverte du compositeur,
inhumé au cimetière de cette ville, et auquel il s'est intéressé depuis
son enfance. Il nous conte les étapes qui ont conduit cette institution
9
à la reviviscence de ses œuvres, et à les faire connaître de par le monde.
Etapes d'un passionné…
Khama-Bassili Tolo L'intertextualité chez Mérimée, l'étude des sauvages ;
René Girard La violence et le sacré.
A partir d'un tombeau en forme de métronome !
IX
C.L.M. : Comment avez-vous été amené à vous intéresser à Théodore
Gouvy ?
Sylvain Teutsch : J'étais enfant, je chantais à la chorale et j'habitais un
quartier pas loin du cimetière. Un jour, j'aperçus, au fond, une tombe élancée comme une pyramide. La stèle avait la forme d'un métronome sombre
sur lequel se détachait un médaillon blanc qui portait l'effigie et le nom de
Théodore Gouvy, compositeur (1819-1898). J'en fus intrigué et, depuis, j'ai
toujours voulu savoir qui était-il et éclaircir ce mystère. Le déclic se produisit lorsqu'un jour où, alors que j'étais président du Chœur d'hommes de
Hombourg-Haut, la ville reçut la visite d'un étudiant en Sorbonne accompagné de descendants de la famille. Si un étudiant, en l'occurrence Martin
Kaltenecker (qui choisira plus tard, pour sujet de thèse de doctorat,
Théodore Gouvy), s'intéressait à lui, je me suis dit qu'il était vraiment un
grand compositeur. Or, si le Chœur d'hommes existait (on avait célébré en
1990, le 125e anniversaire de sa fondation), c'est parce que les chanteurs
qui en faisaient partie à l'origine, étaient tous des ouvriers et des employés
travaillant aux Etablissements Gouvy, et que, donc, Théodore Gouvy y
était pour quelque chose…
CÉSAR CUI : UN FALCONE À LA RUSSE
Après ce déclic, comment la ville de Hombourg-Haut s'est-elle investie
dans ce que l'on peut appeler une aventure ?
C'est justement en 1990, afin d'illustrer avec plus d'éclat la célébration des
125 ans du Choeur, que ce dernier, avec la municipalité, avons décidé de
créer « Les Rencontres musicales de Hombourg-Haut ». Notre souci principal était de toucher le public le plus large possible et de renouer avec le
riche passé historique et culturel de la cité, de par la présence de la famille
Gouvy. Cette rencontre magique de la musique et de l'histoire ne pouvait
trouver meilleur cadre que celui de la Collégiale Saint-Etienne, admirablement restaurée et témoin d'une histoire presque millénaire, l'édifice ayant
été classé en 1930 Monument historique. Et n'est-ce pas sous les voûtes
séculaires de cette église que furent célébrées, le 27 avril 1898, les
obsèques du compositeur mort six jours auparavant à Leipzig avant d'être
inhumé dans le caveau familial ?
10
On ignore si le compositeur russe César Cui connaissait le Mateo Falcone
de Théodore Gouvy. Toujours est-il qu'il composa, entre 1906 et 1907, un
opéra, pareillement en un acte et portant le même titre, ce qui, en cyrillique,
est assez complexe mais qui devient, dans sa transcription : Mateo
Fal'kone. Il le désigna plus précisément comme étant une scène dramatique. Le livret est inspiré du même Prosper Mérimée et adapté de Vassili
Joukovski. L'ouvrage a été créé en décembre 1907 au Théâtre du Bolchoï
de Moscou, mais ce fut un échec. Il semble que son sujet, bien loin des
arguments des opéras du répertoire russe, ait laissé le public indifférent. Et
l'ouvrage, semble-t-il, n'a jamais été repris. La musique est de style déclamatoire avec récitatifs mélodiques, s'inspirant d'Alexandre Dargomyjsky
qui exerça une profonde influence sur lui. Les passages orchestraux suggèrent un décor rustique par le biais d'une barcarolle, le final s'achevant sur
la prière d'inspiration latine, Ave Maria. Les personnages sont identiques à
ceux de l'opéra de Gouvy et une réduction pour piano et voix en avait été
réalisée. Mateo Falcone est le dernier des trois opéras en un acte de César
Cui, les deux autres étant La Fête en temps de peste et Mademoiselle Fifi.
On rappellera que César Cui fit partie du "groupe des cinq" inspiré par
Balakirev et comprenant Rimski-Korsakov, Borodine et Moussorgski, dont
Cui acheva son opéra La Foire de Sorotchinsky.
39
N'y a-t-il pas une ambiguïté autour du nom du gendre, Tiodoro ?
Après le meurtre, dans la "nouvelle", Mateo, en effet, remplace tout bonnement le fils coupable assassiné, par un fils adoptif, son gendre Tiodoro
(Théodore), ce qui veut dire "don de Dieu", et par contraste avec l'infortuné Fortunato, le mal nommé qui a démenti son propre nom. Or, l'étymologie de Tiodoro (Theodoros en grec), et celle de Mateo (Mathieu en français
et Mattayahu en hébreux), sont semblables. Ces deux prénoms signifient :
don de Dieu. En quelque sorte, Mateo fait venir son double. Mais ce qui
surprend plus encore, c'est que l'adjudant Gamba se prénomme aussi
Tiodoro… tout comme Gouvy se prénomme Théodore ! Tiodoro serait-il
alors une autre réplique du père ? C'est en tout cas la figure du "tentateur".
L'homme de la ville, de la civilisation "moderne". Pour lui, les moyens utilisés importent peu. C'est le résultat qui compte.
Que tirez vous de ces réflexions dans votre mise en scène ?
L'opéra, tout comme la "nouvelle", adoptent une forme brève, concise,
d'une précision voisine de l'algèbre. Il n'y a aucune phraséologie, aucune
enflure, aucun accent d'élégie. C'est d'une simplicité chirurgicale. Pour
moi, Mateo Falcone narre la mort d'une société primitive au contact de la
civilisation, non par une destruction venue de l'extérieur, mais par autodestruction, car elle porte le mal en elle-même, à l'intérieur d'un de ses membres le plus fragile et le plus émouvant.
Dans ma mise en scène, les costumes (signés Danièle Barraud), illustreront
la confrontation de ces deux sociétés. Ainsi, Falcone, sa femme, son fils,
Sanpiero et Beppo seront en costume traditionnel corse. Gamba et les flics
seront en costumes contemporains.
La part prise par la scénographe Ange Leccia est, pour moi, primordiale
dans ce spectacle. Son travail et le mien ont été intimement liés.
Je considère aussi que Les Douze chants de l'Ile de Corse d'Henri Tomasi
qui introduisent le spectacle, (voir le chapitre sur Henri Tomasi), sont hors
le temps, hors-jeu pourrait-on dire. Mateo Falcone lui, est en temps réel.
L'action se déroule vraiment sur 40 à 45 minutes. L'idéal du théâtre classique voulait que le temps de l'action corresponde au temps de la représentation. La "nouvelle" s'apparente à la tragédie classique par l'unité de lieu,
de temps, et d'action.
* Notes bibliographiques d'Eric Chevalier :
Antonia Fonyi Préface pour l'édition GF Flammarion de Mateo Falcone ;
Jacques Chabot L'autre moi, fantasmes et fantastique dans les "nouvelles"
de Mérimée ;
38
« Un festival, merveilleux champ d'exploration
des œuvres… »
Et c'est en leur adjoignant le nom de « Festival international Théodore
Gouvy » et en dédiant ses « Rencontres musicales » à son compositeur, que
sa ville s'est engagée délibérément dans sa réhabilitation, lui qui était
tombé dans l'oubli après sa mort.
Dès 1992, on a donc réussi à faire réinterpréter ses œuvres. Le phénomène
déclencheur fut la résurrection de son Requiem en 1993, le Festival étant
devenu un merveilleux champ d'exploration de ses ouvrages. Aujourd'hui,
plus d'une trentaine de ses compositions ont déjà pu être créées ou recréées,
et présentées au cœur même où elles avaient été écrites, puisque Gouvy
vécut à Hombourg-Haut les trente dernières années de sa vie et où il y composa ses ouvrages les plus importants.
Quand les institutions régionales se sont-elles intéressées à la renaissance de Gouvy et quels sont les artistes qui se sont investis dans ses
œuvres ?
C'est justement à ce moment là, que la Région Lorraine s'est passionnée
pour le phénomène lorsqu'elle entreprit d'orienter sa politique vers le patrimoine lorrain en créant « Mémoires musicales de la Lorraine ». Les musicologues, les historiens, les musiciens ont participé aux découvertes et, très
vite, dans la foulée du Requiem, on joua la Cantate du printemps. En 1995,
le Quatuor Denis Clavier entreprit l'enregistrement d'un des quatuors et
d'un des quintettes de Gouvy, sur la douzaine qu'il a écrits, et la cantatrice
messine Cyrille Gerstenhaber en chanta les mélodies et les Lieder. Et, tous
ces disques furent édités dans
la série des Mémoires musicales. 1995, c'est aussi l'année
où fut fondé l'Institut Gouvy,
sur les lieux mêmes où sa
musique avait été composée,
c'est-à-dire la Villa Gouvy, résidence de la famille et acquise
par la ville de Hombourg-Haut.
Les enregistrements se sont
succédé : en 96, ce fut le Stabat
Mater puis la cantate Egill sur
La Villa Gouvy de Hombourg-Haut qui abrite l'Institut Gouvy
une légende scandinave, en 98,
(Photo Claire Leber)
le Quatuor Clavier s'investit à
11
nouveau dans les autres quatuors et quintettes, et tous ces disques ont obtenu des distinctions : Choc de la musique, 9 de Répertoire, 5 diapasons, sans
compter les critiques et les articles de journaux et de revues spécialisées…
Un véritable musée que l'Institut Gouvy !
Le phénomène Gouvy est contagieux, puisqu'il s'est répandu auprès des
éditeurs, des maisons de disques, des festivals étrangers. Où en est
actuellement sa progression ?
Les enregistrements se sont multipliés avec l'Electre chantée par Françoise
Pollet à l'occasion du centenaire de la mort du musicien ; puis l'Institut a
entrepris l'édition ou la réédition de partitions, a rassemblé des documents,
des photographies, des correspondances, -on a recensé 723 lettres !- , des
souvenirs du musicien, des objets liés à sa vie et à son œuvre, on a répertorié toute sa musique… Un véritable musée. En créant une dynamique
autour de Gouvy, l'Institut s'est attaché également à retrouver d'autres
oubliés de l'histoire, dont son neveu Léopold qui signait sous le pseudonyme d’« Opol Ygouv » et qui a écrit des œuvres intéressantes.
Je citerai le Catalogue complet des œuvres de Gouvy réalisé par René
Auclair, son mémoire de DEA, l'ouvrage de doctorat de Martin
Kaltenecker, et son analyse d'œuvres inédites, le DEA réalisé sur la correspondance de Gouvy, l'apport important de Mme Pistone, musicologue,
qui lui a valu d'être nommée présidente d'honneur de notre Institut…
De plus, l'Institut a noué, depuis plusieurs années, de nombreux partenariats, notamment avec les institutions allemandes, la Musikhochschule de
Sarrebrück, les Universités de Leipzig et de Hambourg.
Figurez-vous que l'Institut a retrouvé la toute première biographie du compositeur, écrite et publiée à Berlin en 1902, par Otto Klauwell, musicologue et directeur du Conservatoire de Cologne et qui avait connu Gouvy !
L'American Gouvy Society de Littleton
Racontez-nous comment l'Institut a-t-il noué des partenariats en
Amérique et quels sont ses projets futurs ?
En Amérique, oui. On est entrain de préparer l'année Gouvy qui aura lieu
l'an prochain. Elle se concrétisera notamment par la création d'un Festival
Gouvy à Denver dans le Colorado. Et ce festival a été fondé par un correspondant américain, musicologue, pianiste, nommé Robin Mac Lean, qui
avait créé, déjà en l'an 2000, l'American Gouvy Society à Littleton, égale12
de l'hospitalité dont l'honneur paternel était le garant. L'hospitalité est donc
"homérique". Fortunato transgresse ainsi l'honneur paternel, et cet honneur
ne peut être réhabilité que par le sang du fils. C'est le droit de prendre de
la chair lorsqu'il y a faute. (dette/Schuld).
Ainsi il y a donc dans Mateo Falcone, le conflit de deux légalités, l'une
archaïque, l'autre "civilisée". C'est le désir, la convoitise, qui pousse
Fortunato à transgresser cette loi de l'hospitalité et un désir infantile d'être
"comme papa", de faire la loi comme lui et de posséder comme lui "le bon
objet", tout en sachant que c'est interdit.
Vous parlez de métaphore animale, s'agissant de Mateo Falcone. Quelle
analyse psychologique en faites-vous ?
Un faucon. Un chef de clan. Un prédateur. Comme s'il s'agissait de saisir
en l'homme ce qui relève de sa nature la plus instinctive. Nul ne peut soutenir le regard de Mateo qui hypnotise, pour ainsi dire, Fortunato, obéissant
jusqu'à la dernière minute. C'est Mateo qui a choisi le nom de son fils (on
ignore tout du prénom des trois filles qui l'ont précédé). Mateo est à la fois
juge, prêtre et bourreau. Ou il renie ses valeurs, et il accepte un traître dans
sa famille, et la transmission d'un nom souillé par le déshonneur. Ou l'application stricte du code de l'honneur et la mise à mort de celui qui, "le premier de sa race", s'est rendu coupable de trahison. Ce faisant, il accepte
l'extinction de son nom en toute conscience.
Fortunato est-il victime ou coupable selon vous ?
Fortunato est soumis à l'autorité du "pater familias", maître après Dieu sur
sa famille. Et dans cette famille, les sentiments ne s'extériorisent pas. On
notera le caractère possessif et violent des liens qui unissent cette famille.
Par conséquent, Fortunato a conscience du prestige de son père, ce qui
explique son arrogante insolence face à Gamba. Dans ce type de société
primitive, l'enfant n'est pas l'objet d'attendrissement. C'est bon pour les
nourrices et les femmes, jusqu'à ce que le garçon ait l'âge d'apprendre à
devenir un homme auprès de son père. Ce fils doit garantir la continuité du
nom. Il vit loin de la ville corruptrice. L'enfant n'est pas attiré par la valeur
marchande de l'objet qu'on lui donne (la montre). Il est, par contre, comme
un primitif, attiré par ce qui brille. Alors est-il coupable ? Le destin ne l'at-il pas mis, tragiquement, dans une situation au dessus de ses forces ?
Opéra d’une simplicité chirurgicale
37
VIII
ÉRIC CHEVALIER : « L'HONNEUR
PATERNEL NE PEUT ÊTRE RÉHABILITÉ
QUE PAR LE SANG DU FILS »
Eric Chevalier met en scène l'opéra
Fortunato. Il nous donne ses
impressions et les jugements qu'il
porte sur l'œuvre, sur ses personnages, sur la façon dont ils se comportent et qui se traduiront dans la
conception scénique qu'il en a.
« L'action pourrait se dérouler dans
n'importe quelle société primitive »,
précise-t-il. « Le meurtre du fils par son père (qui confère à cette histoire
corse sa dignité de tragédie antique), est une invention de Mérimée qui
disposait, plus banalement, d'un reportage relatant l'exécution d'un traître
par sa famille. La différence majeure que j'observe, est que le rôle de la
mère est inexistant dans la "nouvelle" par rapport à l'opéra. Son action est
intolérable. Dans les adaptations cinématographiques, où radiophoniques
de la "nouvelle", cette situation est normalisée. Mérimée, lui, ne s'attendrit
pas. »
Eric Chevalier : l'honneur paternel
ment dans le Colorado. Il a fait un
considérable travail de recherche
aux Etats-Unis en comptabilisant
toutes les œuvres de Gouvy jouées
dans les universités américaines.
Je n'oublierai pas la fondation, en
2009, de la Theodor Gouvy
Gesellschaft par un jeune chef
d'orchestre français, Vincent
Borritz, qui est actuellement professeur à la Musikhochschule de
Dresde. A Dresde, nous avons
aussi le projet d'une Académie
Sylvain Teutsch, président de l'Institut Gouvy :
d'été, avec un concert de Lieder de
« L'an prochain, un Festival Gouvy… dans le Colorado ! »
Gouvy, et qui se déroulera dans la
Villa de Carl Maria von Weber et sur son piano à queue !
Enfin, sur le plan des enregistrements, on va vers l'intégrale des symphonies de Gouvy dont quatre d'entre elles ont déjà été gravées l'an dernier,
sous la direction de Jacques Mercier avec la Deutsche Radio Philharmonie
de Sarrebrück-Kaiserslautern.
Tout est en boîte pour les suivantes. Gouvy en a écrit six, une a été perdue,
mais il y a une seconde version de la 6e avec, en plus, une Sinfonietta et
une Symphonie brève. Gouvy a un bel avenir devant lui…
Un chef français, un orchestre allemand, tout un symbole. Gouvy
n'avait-il pas la double culture ? Le voici maintenant qu'il joue à
l'international. Une réhabilitation réussie.
C.L.M. : Comment analysez-vous le comportement de chaque personnage ?
Eric Chevalier : Fortunato est le héros malheureux -infortuné-, de cet
opéra, et, pourtant, il semble bien ne faire aucun doute que Mateo en est la
figure emblématique et omniprésente. Pourtant, de la page onze jusqu'à la
page soixante-sept de la partition, son fils, Fortunato, est seul face à ses
responsabilités.
Mateo, lui, est animé de la "virtu" qui caractérise les hommes non civilisés. Pur, intransigeant, il détient la quasi-totalité des valeurs traditionnelles
qui importent à Mérimée. Il tue son fils, le seul garçon de la famille, pour
avoir dérogé aux lois de l'hospitalité. Un fils qui a transgressé la religion
Bien que Théodore Gouvy se soit fait des relations dans le monde musical
parisien et ait fréquenté les artistes et les compositeurs de son époque, les
historiens de la musique, les critiques musicaux et autres commentateurs
ont eu parfois la dent dure à son endroit. C'est l'époque qui voulait cela.
Certes, il eut des contacts professionnels chaleureux et il s'est aussi lié
36
13
III
ON N'A PAS TOUJOURS ÉTÉ TENDRE
AVEC THÉODORE !
d'amitié avec Camille Saint-Saëns, Edouard Lalo, Charles Gounod, le
violoniste Rodolphe Kreutzer, la cantatrice Pauline Viardot et les chefs
d'orchestre Jules Pasdeloup, Charles Lamoureux, Gabriel Pierné aux
Concerts Colonne…
Mais il est à peine cité dans La Musique des origines à nos jours (Larousse
1946) aux côtés d'autres compositeurs français et qui furent « les bons
ouvriers de la restauration du goût musical français… », tandis que, dans
le plus récent Dictionnaire usuel de la musique piloté par Marc Honegger
(Bordas 1995), on dit qu' « il ne reçut aucune formation musicale sérieuse
avant son arrivée à Paris (…) Compositeur sans envergure, Gouvy a, au
moins, retenu l'attention d'une époque qui voyait en lui un continuateur
français de Carl-Maria von Weber et de Beethoven (…) Il a défendu la
musique pure alors que la musique à programme était la principale occupation des compositeurs… ». Plus dur sera, sous la houlette de Marc
Vignal, le Dictionnaire de la musique (Larousse-Bordas 1999) où l'on peut
lire : « Tenant de la musique pure, Gouvy s'installe à Paris pour étudier le
droit, mais son aisance matérielle lui permit de se tourner vers la musique
(…) Il a composé dans un style assez impersonnel, six symphonies, … »
giques de l'enfant un peu
veule et roué, parce que
tiraillé entre un père trop
rigide et peu affectif et une
mère qui tente d'atténuer
cette sévérité en prenant
sa part de tendre complicité devant les ordres
paternels trop abrupts.
Une importance encore sous-estimée
Le musicologue René Auclair, spécialiste de Gouvy, a relevé aussi des
appréciations parfois peu amènes. Dans quelques Histoires de la musique
qui en parlent, on le considère comme « un inconnu des Français parce
qu'il méprisait autant l'italianisme, le théâtre, la musique à programme, et
qu'il dut s'exiler en Allemagne pour faire jouer ses symphonies, ses sonates et ses quatuors » (Norbert Dufourcq), tandis que Jules Combarieu relevait « son goût austère pour la musique pure (…) en avance sur la plupart
de ses contemporains ». Le plus enflammé des commentaires fut écrit par
le critique, célèbre alors, Léon Kreutzer, dans L'Union musicale d'avril
1854 : « Avec la centième partie du talent que possède M. Gouvy, on a le
droit d'être joué sur tous les théâtres lyriques, de porter la décoration de la
Légion d'honneur, d'être membre de l'Institut et de gagner 30.000 francs
par an. Mais pourquoi, diable, Monsieur Gouvy compose-t-il des symphonies ? »
René Auclair cite, malgré tout, une remarque réconfortante de la musicologue Danièle Pistone qui affirme que Gouvy n'était pas le seul compositeur français de son espèce, à partir d'une constatation faite au XIXe siècle
prétendant que la tradition symphonique qui existait en France au XVIIIe
siècle, s'était brutalement interrompue pour renaître miraculeusement avec
César Franck et la génération qui suivra. Et le commentateur de citer
14
Page de couverture manuscrite
de « Fortunato »
et
page de la partition de
la main de Gouvy.
35
d'avoir une montre et bonheur de Gamba d'avoir mis la main sur Sanpiero ;
prière résignée de Fortunato ; cris de douleur de Pepa et cris de rage de
Mateo. Tout cela est parfaitement souligné et mis en valeur par la musique
qui est toujours au service de l'expression et de la cohésion de l'ensemble.
Cette œuvre peut être considérée comme un "chant du cygne", non seulement par la place qu'elle occupe chronologiquement dans l'œuvre de
Gouvy, mais également parce qu'on y retrouve toutes les qualités qui font
de lui un musicien intelligent, sensible et attachant, un grand compositeur.
Un comparatif entre « Fortunato » et « Le Cid »
Gouvy comme le seul qui composait des symphonies et, d'une façon générale, de la musique dite "sérieuse", comme aussi des quatuors à cordes. Ce
à quoi Danièle Pistone rétorque, dans son ouvrage La Symphonie dans
l'Europe du XIXe siècle, qu'il existait beaucoup d'autres compositeurs à en
avoir écrites, citant Onslow, Deldevez, Saint-Saëns, Bizet, Gounod, Reber,
Alexis de Castillon, Messager, Benjamin Godard. Et de conclure que
« Gouvy est une figure emblématique et l'initiateur du mouvement symphonique français au XIXe siècle, et dont l'importance est encore largement
sous-estimée. »
Vous avez travaillé également sur cet autre opéra de Gouvy, « Der Cid ».
Est-il possible d'en faire la comparaison avec « Fortunato » ?
Les deux seules compositions de Gouvy qui portent le nom d'opéra et qui
sont réellement des opéras, Der Cid et Fortunato, ont plusieurs points
communs. L'un et l'autre sont en allemand et ont été directement composés
dans cette langue alors que la plupart des ouvrages lyriques de Gouvy
-souvent en version bilingue-, ont d'abord été composés sur le texte français et ensuite, adaptés en version allemande. Il semble que Gouvy ait
voulu tirer parti de sa biculture franco-germanique et faire connaître audelà du Rhin, deux représentants de la culture française, l'un classique,
l'autre quasi-contemporain. Les deux ouvrages sont restés inédits et non
représentés, le premier en raison de la mort de son interprète principal, le
second par la mort de son auteur. Et maintenant, l'un et l'autre suscitent un
regain d'intérêt mérité.
Les différences ne manquent pas non plus : Der Cid, première initiative
dans le genre, est un grand opéra en trois actes volumineux, avec ballet,
grands airs. C'est l'opera-seria dans toute la force du terme sur un livret
réalisé par un tiers. Fortunato, dernière composition dans le genre, qui a
sans doute profité de l'expérience d'une bonne vingtaine d'ouvrages, est
ramassé en un acte comprenant huit scènes enchaînées, avec mise en scène
réduite, absence pratiquement totale de grand air, d'une grande intensité
psychologique et d'une grande force d'expression, cela étant peut-être dû en
partie au fait que Gouvy organise lui-même le livret qu'il met en musique.
Le statut des deux œuvres n'est pas le même non plus : Le Cid est une
œuvre intemporelle du théâtre classique, emblématique du dilemme
"cornélien" entre le devoir et l'amour. Mateo Falcone, une modeste nouvelle, presque une curiosité anthropologique, satisfaisant le désir romantique de l'ailleurs, même si Gouvy lui donne une portée beaucoup plus
"moderne", en campant, avec beaucoup de finesse, les profils psycholo-
En matière de théâtre parlé, de romans ou de nouvelles ayant servi de support au théâtre lyrique, on ne connaît guère, de Prosper Mérimée, que sa
Carmen, qui est devenue le plus célèbre et le plus joué des opéras à travers
le monde. Par contre, ses "nouvelles" sont moins connues, mais celle de
Mateo Falcone émerge cependant des trois autres qui l'entourent, en cette
même année 1829, et que sont La Chronique du temps de Charles IX,
Vision de Charles IX et L'Enlèvement de la Redoute. C'était encore un
jeune homme. Il avait alors 26 ans et il était un peu le Casanova des salons
littéraires.
Né à Paris en 1803, Prosper Mérimée eut comme père, un professeur de
dessin, et comme mère, un professeur de peinture. Elle était née Anne
Moreau et était une descendante de Marie Leprince de Beaumont, l'auteur
du célèbre roman La Belle et la Bête. Prosper Mérimée fait ses études au
Lycée Henri IV, puis entreprend des études de droit, obtenant son diplôme en 1823. Le libertin qu'il était alors, lutta un jour avec le mari de sa maîtresse, qui le blessera de plusieurs balles ! Puis, après une courte aventure
avec George Sand, il se passionnera pour Valentine Delessert, son égérie,
qui était la petite-fille du comte et politicien Alexandre de Laborde.
Mérimée sera membre du « Cénacle » de Victor Hugo, voyagera beaucoup,
se liera avec Stendhal, publiera « Le Théâtre de Clara Gazul », rendant
hommage à la comédienne Clara Gazu, puis, en 1827, à cette autre comédienne qu'était « Maglanovitch Hyacinthe ». En 1828, il publie La
Jacquerie, un drame historico-féodal. Arrive l'année 1829.
34
15
IV
PROSPER MÉRIMÉE : « MATEO »
AVANT « CARMEN »
l'émotion de son spectateur sur le conflit psychologique de l'amour, avec
ses faiblesses, et de l'honneur, avec sa dureté et, il faut le dire, son obstination peu intelligente.
La puissance de l'émotion soulevée par les deux ouvrages est forte, mais,
tandis que Mérimée dit les choses tout uniment, reste impartial, extérieur,
presque glacé, et, par contraste, rend les faits qu'il rapporte plus horribles
encore, Gouvy, au contraire, en musicien, joue des contrastes à l'intérieur
même de l'œuvre, dans tout ce que la tradition "lyrique" véhicule avec elle
de pathos. Il n'est, pour s'en convaincre, que d'évoquer avec quelle maestria sont mises en œuvre les invectives de Mateo, les objurgations de Pepa
et le Pater Noster, recto tono, de Fortunato, dans le dénouement. C'est un
grand mérite de ces deux œuvres, courtes, l'une et l'autre, apparemment fort
proches, de former maintenant une sorte de dyptique dont les deux volets
se répondent et dont les effets différents mais complémentaires se renforcent.
Couleur orchestrale, variété de rythmes, de caractères,
de nuances, de mouvements
Il termine sa nouvelle Mateo Falcone, le 14 février de cette année et lui
donne comme sous-titre Mœurs de la Corse. Elle sera publiée dans La
Revue de Paris le 5 mai, et l'ouvrage deviendra un classique de la production de son auteur. La nouvelle sera reprise dans « Mosaïque » en 1834. La
couleur locale qui l'alimente est présente dans la narration de la vie rurale
de l'Ile de Beauté, de même que le caractère de ses habitants, leur fierté,
leur honneur, leur rudesse parfois. Et pourtant, Mérimée ne s'était encore
jamais rendu dans ces lieux où naquit Napoléon. Il avait simplement puisé
ses personnages dans diverses sources bibliographiques. On pense qu'il
emprunta quelques idées au récit de l'abbé Gaudin, Voyage en Corse, qui
datait de 1787, et que le prêtre avait intitulé Noblesse d'âme d'un Corse. Et
cependant, la lecture des quelque douze pages de Mérimée, donne cette
impression qu'il avait vécu lui-même, le drame qu'il y contait. Il adopte un
Sur le plan musical et sur le plan scénique, quelles conclusions mettezvous en exergue ?
Cette œuvre est économe de moyens. L'ouverture (prélude) n'est pas autre
chose que les quelques minutes de musique nécessaire précédant le lever
de rideau, avertissant le spectateur que le spectacle commence, et ne négligeant pas de le mettre auditivement en contact avec les tensions prémonitoires. Même économie dans la chansonnette de la scène N°1, dans les préparatifs de sortie des parents dans la scène 2 et les objections de Fortunato.
Le souci de Théodore Gouvy est de peindre vrai : pas de virtuosité gratuite, pas de bavardage. Il s'agit de serrer l'action au plus près et de conduire
graduellement le spectateur à la scène insoutenable de la fin. Ce souci de
l'efficacité n'est pas un appauvrissement de la palette musicale, au contraire. On peut noter combien l'expression est servie par une extrême variété
de mouvements, de caractères, de rythmes, de nuances, de couleur orchestrale, de modulations.
Sur le plan scénique Gouvy réalise avec bonheur la conduite du récit
initial. Comme il en est coutumier dans ses autres ouvrages lyriques (Der
Cid ou dans les grandes cantates dramatiques), il use toujours du jeu des
oppositions. Grand calme de la première scène où Fortunato s'ennuie ; arrivée mouvementée du fugitif ; discussion serrée avec Gamba ; bonheur
16
33
Il n’était pas encore allé en Corse…
- Mon père, je sais encore l'Ave Maria et la litanie que ma tante m'a apprise.
- Elle est bien longue ; n'importe
L'enfant acheva la litanie d'une voix éteinte.
- As-tu fini ?
- Oh ! mon père, grâce ! pardonnez-moi ! Je ne le ferai plus ! Je prierai tant
mon cousin, le caporal, qu'on fera grâce au Gianetto !
découpage rappelant la règle des trois : lieu, temps, action, et divise en cinq
tableaux, les étapes de l'histoire, entre l'exposition du maquis corse et de
ses moeurs, la description de Falcone et de sa "tribu" familiale, avant de
situer l'action, entre l'arrivée du bandit et le comportement du petit
Fortunato. Puis, le constat de trahison entraînant l'angoisse d'un danger
imminent et le tragique dénouement. Un schéma de drame classique en
somme…
[Alors que Mateo Falcone se termine comme un simple fait divers et sans
beaucoup d'émotion apparente, Fortunato ajoute la scène 8 où l'épisode
inventé du petit pâtre courant après les soldats pour assurer in extremis le
salut de l'enfant, ménage jusqu'au bout l'attente d'un dénouement d'autant
plus dramatique.]
Dix ans plus tard... Les notes d’un voyage en l’île
Quelles comparaisons entre « Fortunato » et « Mateo Falcone » et quelles réflexions apportez-vous à leur propos ?
Fortunato apparaît, assez évidemment, comme un décalque fidèle, sur le
plan narratif, de Mateo Falcone. Toutefois, la perspective n'est pas la même
et les moyens employés pour susciter l'émotion, différents. Alors que
Mérimée déploie aux yeux de son lecteur, un récit "exotique", où
l'étonnant, le "curieux", le dispute au tragique, Gouvy recentre toute
Arrive le changement de régime de 1830. Prosper Mérimée se sentira bien
dans les milieux louis-philippards, et la Monarchie de Juillet s'emploiera à
faire connaître ses œuvres. Il occupera d'ailleurs plusieurs postes administratifs au Ministère de la Marine et à celui du Commerce. En tant que chef
de cabinet du comte d'Agout, il aura la charge des "Beaux-Arts", avant qu'il
soit nommé inspecteur général des Monuments historiques, puis viceprésident de la commission en 1839.
C'est dix ans après son Mateo Falcone, que Prosper Mérimée entreprend
un voyage… Attirance ou occurrence ? Le 16 août 1839, il débarque à
Bastia du bateau-poste en provenance de Toulon. Un rapport du préfet
de Corse sur les monuments du département l'avait séduit et incité à s'y
rendre. Il avait réussi à obtenir une autorisation du ministre Gasparin, pour
y effectuer une tournée officielle d'inspection. Il visitera à peu près tous les
monuments, églises, vestiges, tours et fortifications de l'île. Il prend des
notes, s'extasie devant "les admirables jambons du village" (Murato),
effectue un périple à cheval, décrit, par le menu, l'ancienne cathédrale de
Nebbio et ses "trois curieuses églises". A la fin du périple, il s'embarquera
à Bastia pour Livourne en Toscane pour y rencontrer Stendhal avant de
remonter à Paris. Résultat, un bouquin de 236 pages édité en 1840, sorte de
monographie intitulée Notes d'un voyage en Corse. Plus réjouissant, en
tout cas, que la dramatique histoire de Fortunato !
1840, c'est aussi l'année de Colomba, un must ; puis, en 1843, il sera élu
membre libre de l'Académie des Inscriptions et belles Lettres, publiera un
article sur « Le Palais de Justice », « La Sainte-Chapelle » et, en 1844, entrera à l'Académie française. Historien, traducteur de la littérature russe,
commandeur de la Légion d'honneur…
En 1844, c'est un autre monument qui entre dans la littérature : Carmen.
Ironie du sort : le décès de Prosper est annoncé par erreur le 10 mars 1869
dans Le Figaro ! En réalité, il mourra à Cannes le 23 septembre 1870. Deux
semaines après la chute de Napoléon III et la défaite de la guerre francoprussienne…
32
17
Il parlait encore ; Mateo avait armé son fusil et le couchait en joue en lui
disant :
- Que Dieu te pardonne !
L'enfant fit un effort désespéré pour se relever et embrasser les genoux de
son père ; mais il n'en eut pas le temps. Mateo fit feu et Fortunato tomba
raide mort.
Sans jeter un coup d'œil sur le cadavre, Mateo reprit le chemin de sa maison pour aller chercher une bêche afin d'enterrer son fils. Il avait à peine
fait quelques pas qu'il rencontra Giuseppa qui accourait, alarmée par le
coup de feu.
- Qu'as-tu fait ? s'écria-t-elle.
- Justice.
- Où est-il ?
- Dans le ravin. Je vais l'enterrer. Il est mort en chrétien. Je lui ferai chanter une messe. Qu'on dise à mon gendre Tiodoro Bianchi de venir demeurer avec nous. »
Un conflit psychologique de l’amour et de l’honneur
Arnaud Laster, Hugo à l'Opéra, L'Avant-Scène Opéra N° 208, mai-juin 2002, p.3.
Marie-Hélène Coudroy-Saghaï, « Les Huguenots » dans Joël-Marie Fauquet (dir.) Dictionnaire de la musique en France
au XIXe siècle, Paris, Fayard, 2003, p.602.
puyant sur son fusil, le considérait avec une expression de colère concentrée.
- Tu commences bien ! dit enfin Mateo d'une voix calme, mais effrayante
pour qui connaissait l'homme.
- Mon père ! s'écria l'enfant en s'avançant les larmes aux yeux comme pour
se jeter à ses genoux. Mais Mateo lui cria :
- Arrière de moi !
Et l'enfant s'arrêta et sanglota, immobile, à quelques pas de son père.
Giuseppa s'approcha. Elle venait d'apercevoir la chaîne de la montre, dont
un bout sortait de la chemise de Fortunato.
- Qui t'a donné cette montre ?, demanda-t-il d'un ton sévère.
- Mon cousin, l'adjudant.
Falcone saisit la montre et, la jetant avec force contre une pierre, il la mit
en mille pièces.
- Femme, dit-il, cet enfant est-il de moi ?
Les joues brunes de Giuseppa devinrent d'un rouge de brique.
- Que dis-tu Mateo ? Et sais-tu bien à qui tu parles ?
- Eh bien ! cet enfant est le premier de sa race qui ait fait une trahison.
Les sanglots et les hoquets de Fortunato redoublèrent, et Falcone tenait ses
yeux de lynx toujours attachés sur lui. Enfin, il frappa la terre de la crosse
de son fusil, puis le rejeta sur son épaule et reprit le chemin du maquis en
criant à Fortunato de le suivre. L'enfant obéit.
Guiseppa courut après Mateo et lui saisit le bras :
- C'est ton fils, lui dit-elle d'une voix tremblante en attachant ses yeux noirs
sur ceux de son mari, comme pour lire ce qui se passait dans son âme.
- Laisse-moi, répondit Mateo, je suis son père.
Giuseppa embrassa son fils et rentra en pleurant dans sa cabane. Elle se jeta
à genoux devant une image de la Vierge et pria avec ferveur. Cependant,
Falcone marcha quelque deux-cent pas dans le sentier et ne s'arrêta que
dans un petit ravin où il descendit. Il sonda la terre avec la crosse de son
fusil et la trouva molle et facile à creuser. L'endroit lui parut convenable
pour son dessein.
- Fortunato, va auprès de cette grosse pierre !
L'enfant fit ce qu'il lui commandait, puis il s'agenouilla.
- Dis tes prières.
- Mon père, mon père, ne me tuez pas !
- Dis tes prières !, répéta Mateo d'une voix terrible.
L'enfant, tout en balbutiant et en sanglotant, récita le Pater et le Credo. Le
père, d'une voix forte, répondait Amen ! à la fin de chaque prière.
- Sont-ce là toutes les prières que tu sais ?
18
31
V
MÉRIMÉE OU L'OPÉRA
PAR EXCELLENCE
par Marie-Noëlle Auguste
L'œuvre littéraire de Prosper Mérimée a suscité un véritable engouement
opératique depuis le XIXe siècle jusqu'à nos jours et, malgré « tout ce que
le répertoire des scènes lyriques doit à l'œuvre de Victor Hugo1 », il reste
incontestablement l'auteur du XIXe siècle le plus porté à l'opéra.
Optant pour des adaptations très libres ou très fidèles, plus d'une quarantaine d'oeuvres se sont inspirées soit de son théâtre marqué par sa dissidence idéologique et esthétique : pratiquement toutes les pièces du Théâtre
de Clara Gazul ont été portées sur la scène lyrique ainsi que La Jaquerie,
soit de ses romans et nouvelles : Carmen, La Chambre bleue, Chronique
sous le règne de Charles IX, Colomba, Mateo Falcone, Lokis, La Vénus
d'Ille, ou encore de ses traductions de nouvelles russes : Six et quatre, La
Dame de pique.
Une défiance vis-à-vis de l’art lyrique ?
Parmi ce foisonnement d'œuvres, une bonne quinzaine naquit du vivant de
l'auteur. Tout en partageant l'euphorie romantique où « le règne du
chanteur-acteur divinise l'artiste et en fait un objet d'adulation2 », Mérimée
semble étonnamment distant vis-à-vis de cette profusion musicale, soit par
désintérêt (Mérimée ne laisse aucun témoignage dans sa correspondance),
soit par désaccord eu regard du pillage des adaptations théâtrales qui représentaient un véritable commerce littéraire au XIXe siècle, soit encore par
défiance profonde vis-à-vis de l'art lyrique.
Malgré l'engouement opératique que suscite son œuvre, Mérimée semble
nourrir une méfiance irrespectueuse pour les musiciens. Dans une lettre
datée du 29 juillet 1855, il écrit à Mistress Senior :
« J'ai entendu dire que vous étiez grande musicienne, mais j'ai peine à
le croire, parce que vous me semblez avoir trop d'esprit et être trop
1
2
se mettre à la recherche de voleurs de deux chèvres. Son fils veut le
suivre mais il refuse. Le jeu "père sévère / mère indulgente" est tout de
suite posé, et la figure de l'enfant qui s'ensuit, sans doute pas plus mauvais
qu'un autre mais habitué à ne pas tenir tête à un père intraitable et à négocier avec une mère compréhensive et qui le soutient, acquiert une grande
crédibilité…
L'ordre événementiel de Fortunato suit celui de Mateo Falcone, là encore,
avec une coloration psychologique beaucoup plus marquée. La 3e scène est
bien consacrée aux réflexions du jeune Fortunato et se clôt sur l'arrivée
d'un homme blessé, annoncée par des coups de feu, mais ces réflexions
sont loin d'avoir la sérénité dépeinte dans Mateo. Et les pensées qui agitent
Fortunato dans ce monologue, ne sont pas d'agréables perspectives de promenade dominicale, mais toutes de récriminations contre les recommandations maternelles, les idées paternelles et l'injustice du traitement qui lui est
réservé…
Mateo Falcone continue sur le mode narratif, et, à la scène 4, Fortunato
résume tout cela par les didascalies (…) ; le mode narratif reprend totalement ses droits dans Mateo Falcone… tandis que, dans Fortunato, le
dialogue se poursuit, toujours serré et émouvant, la « pièce de cinq francs
qu'il avait réservée, sans doute pour acheter de la poudre » devenant « sa
dernière pièce de cinq francs qu'il avait économisée pour acheter de la
poudre » (…) La rencontre des poursuivants de Sanpiero et de Fortunato,
entretient, (dans les textes), à peu près les mêmes rapports que précédemment : alternance de narration et de dialogue dans le premier, jeu de scène
et dialogue dans le second…
paresseuse. Il faut être un peu bête pour ne faire qu'une chose, et dans les
arts on n'excelle qu'en s'y consacrant d'une manière absolue. Ensuite il faut
travailler du matin au soir, ne jamais s'exposer au vent et ne pas manger de
glaces en été3.
Dans son ouvrage Paris dilettante au commencement du siècle, honorant
l'esprit voltairien de Mérimée, Adolphe Jullien fait le rapprochement de
cette lettre avec un texte de Voltaire adressé à Gretry :
« Vous êtes musicien et vous avez de l'esprit ! Cela est trop rare, Monsieur,
pour que je ne prenne pas à vous voir le plus vif intérêt4. »
"Peu mélomane5" , trouvant le musicien assez borné, Mérimée reste néanmoins l'auteur de prédilection pour une multitude de compositeurs d'écoles
et de nationalités diverses, séduits par son esthétique de la réticence, sa
posture ironique et son principe archaïque. Ayant une bonne connaissance
de toute l'œuvre littéraire de Mérimée, ils ont eu l'intuition commune de
son architecture puissante, laconique et déjà elle-même opératique, propre
à subir un traitement lyrico dramatique.
Sept ouvrages lyriques composés sur Mateo Falcone.
L'analyse des opéras inspirés de Mérimée permet d'en dégager plusieurs
constantes qui restituent dans leur sémiotique musicale la rhéthorique
mériméenne fondée sur l'arkhê6, principe étroitement lié à la notion d'enargeia, et sur l'obliquité ironique dans une dualité chronique où cohabitent le
rire et l'horreur.
Certaines de ces œuvres ont été plusieurs fois portées à l'opéra, notamment
Mateo Falcone. Publiée le 3 mai 1829 dans la Revue de Paris, la nouvelle
de Mérimée n'a cessé d'inspirer des compositeurs de diverses nationalités à
différentes périodes dans des adaptations qui recouvrent plus d'un siècle et
demi de l'histoire de la musique, de 1839 à 1987.
… Jusqu’à l’intensité du dénouement
La scène du meurtre est la plus émouvante. Pouvez-vous nous en livrer
les propos les plus intenses ?
C'est dans la scène 7, l'avant-dernière scène, que se concentre toute l'intensité dramatique du dénouement. Là encore, la matérialité des événements
est très proche; pourtant, leur succession et leur organisation dramatique
ainsi que la tonalité générale sont assez différentes…
1839 : François Albert-Henri-Ferdinand Ruolz-Montchal (baron ou comte
de), La Vendetta, opéra en 3 actes, livret de Léon Pillet et d'Adolphe
Vaunois, créé à l'Académie Royale de Musique-Le Peletier le 11
3
« Il se passa près de dix minutes avant que Mateo ouvrît la bouche.
L'enfant regardait d'un œil inquiet tantôt sa mère, tantôt son père, qui, s'ap-
Prosper Mérimée, Correspondance générale, établie et annotée par Maurice Parturier avec la collaboration pour les
tomes I à VI de Pierre Josserand et de Jean Mallion, t. I-VI, Paris, le Divan, 1941-1947, t. VII-XVII Toulouse, Privat, 19531964, lettre de juillet 1855, tome VII, pp. 511-512.
4
Texte de Voltaire rapporté dans les mémoires de Grétry, I, 33, inséré dans Adolphe Jullien, « Mérimée dilettante et orateur » dans Paris dilettante au commencement du siècle, ouvrage orné de 36 gravures sur bois et facs. de dessins originaux conservés aux Archives de l'Opéra, Paris, Firmin-Didot, 1884, p. 337.
5
Raymond Leslie Evans, Les Romantiques français et la musique, Paris : Champion, 1934, réédition Genève : Slatkine
Reprints, 1976, p. 38.
6
Cf. Antonia Fonyi « La passion pour l'archè » Prosper Mérimée écrivain, archéologue, historien, Antonia Fonyi (dir.),
Genève, Droz, 1999, p. 197-207.
30
19
[N.D.L.R. : nous reproduisons ci-dessous la fin du texte en français, adapté de la version allemande sur laquelle Gouvy avait construit sa partition]
1894
1896
1898
1907
1930
1987
septembre 1839. Opéra repris en deux actes en 1840. Livret, Paris,
Duverger, 1839.
Heinrich Zöllner, Mateo Falcone, livret du compositeur, créé au
Metropolitan Opera de New York en 1884, repris à l'Irving Place
Theater de New-York le 18 décembre 1893 [1894].
Théodore Gouvy, Fortunato, livret du compositeur, œuvre inédite.
Réduction chant-piano, livrets en français et en allemand, extraits du
conducteur d'orchestre offerts gracieusement par Sylvain Teutsch,
président de l'Institut Théodore Gouvy.
Theodor Gerlach, Matteo Falcone, opéra en 3 actes, livret du compositeur, créé à Hanovre le 23 octobre 1898.
César Cui, Mateo Falcone, scène dramatique en un acte, livret de
Vasily Zhukovsky, créé au Théâtre du Bolchoï de Moscou le 14
décembre 1907.Conducteur d'orchestre, réduction piano-chant,
Moscou, Éditions Jurgenson, 1907.
Florence Ewart, Mateo Falcone, opéra en 3 actes, livret du compositeur, composé à Melbourne entre 1930 et 1932. Œuvre inédite.
Réduction piano-chant manuscrite, livret et notes, Melbourne,
Grainger Museum, 1930.
Paul Fejko, Matteo Falcone, opéra en un acte, livret de Dino
Yannopoulos créé à l' Académie of Vocal Arts de Philadelphie le 23
octobre 1987. Réduction piano-chant, conducteur d'orchestre,
manuscrits offerts gracieusement par Paul Fejko.
Placés aux endroits cruciaux dans l'histoire de la musique, les opéras inspirés de Mérimée en reflètent l'esthétique, produit atypique du XIXe siècle, à
la fois héritier et unique, soumis et dissident, conforme et novateur. Qu'ils
soient très librement inspirés de l'auteur ou le plus fidèles au texte, ces opéras condensent la rhétorique mériméenne en une immanence musicale dont
la force métaphorique illustre l'aphorisme de Roland Barthes :
« Peut-être qu'une chose ne vaut que pour sa force métaphorique : peut-être
que c'est cela, la valeur de la musique : d'être une bonne métaphore7.»
La légendaire sécheresse de ton de Mérimée, qui dissimule passionnément
le contraire, a permis aux compositeurs, comme l'affirme Louis Durey dans
son Catalogue commenté, de s'exprimer eux-mêmes à travers son œuvre
littéraire qui, pour reprendre l'expression de Roland Manuel « appelle la
3
Roland Barthes, L'obvie et l'obtus. Essais critiques III, Paris, Le Seuil, 1982, p. 252.
Roland Manuel (Roland Alexis Manuel Lévy dit), Lettre à Louis Durey, à propos de sa tentative de monter L'Occasion
de Mérimée, mentionnée dans le Catalogue commenté de Louis Durey, Bulletin de la Société Nationale de Musique de
l'IRCAM : " Intemporel ". L'extrait du Catalogue commenté de Louis Durey consacré à L'Occasion m'a gracieusement été
offert par Madame Arlette Durey, fille du compositeur.
8
20
Un début qui baigne dans la
couleur locale
Qu'avez-vous découvert en décortiquant le texte de « Fortunato » ?
Pour ce qui est de l'état du texte de
Mérimée qui fut entre les mains de
Gouvy, il n'est rien resté de sa bibliothèque littéraire qui puisse en fournir
René Auclair : « dès la 2 scène, Gouvy dramatise le
propos… »
un quelconque indice, contrairement à
sa bibliothèque musicale qui a été
conservée intégralement. Toutefois, si l'on en juge par l'édition critique
(Jean Mallion et Pierre Salomon), les variantes textuelles sont minimes et
revêtent, ici, beaucoup moins d'importance que le compositeur tire du texte
français un livret en allemand. Selon toute vraisemblance, il a rédigé dans
la langue de Goethe, un livet inspiré du texte de Mérimée en pratiquant
l'exercice dit de "contraction croisée de texte" dans les concours des
Grandes écoles. Mateo débute par une introduction qui présente au lecteur
le cadre corse qui avait un caractère beaucoup plus "exotique"
qu'aujourd'hui… Dans Fortunato, tous ces détails sont concentrés en
quelques lignes de didascalies à destination du metteur en scène. Et l'on est
plongé, dans la première scène, fort courte, dans la "couleur locale" où le
jeune Fortunato chante une chanson corse. Mais cette introduction s'étend
aussi, et longuement, sur le "héros" lui-même, « aussi bon tireur que dangereux ennemi », et dont la réputation de chasseur est mise en exergue. En
voici un exemple : « La nuit, il se servait de ses armes aussi facilement que
le jour (…) A quatre-vingts pas, on plaçait une chandelle allumée derrière
un transparent de papier, large comme une assiette. Il mettait en joue, puis
on éteignait la chandelle et, au bout d'une minute, dans l'obscurité la plus
complète, il tirait et perçait le transparent trois fois sur quatre ! »…
e
Une dramatisation progressive…
Certains de ces traits seront repris dans les dialogues ultérieurs de
Fortunato. Le texte est d'abord au passé puisqu'il s'agit de faits antérieurs,
au moment de la rencontre du narrateur avec le "héros" de l'histoire. La 2e
scène de Fortunato suit l'action décrite mais en opérant certaines transpositions qui, dès l'abord, la dramatise. La première apparition de Mateo le
montre avec un fusil, non pas pour aller "visiter ses troupeaux", mais pour
29
la voie nouvelle qu'il avait empruntée. Pourtant, dès l'année suivante, grâce
à la découverte de la poésie de Ronsard dont il met en musique quarante
pièces, la musique lyrique prend une importance nouvelle pour lui. En
1874, son Requiem op.70 inaugurera une longue production de grandes
œuvres dramatiques religieuses ou profanes, tels le Stabat Mater ou
Electre, et dont Fortunato représente le terme ultime, une Didon n'ayant
été qu'envisagée…
Fidélité au texte allemand,
éclairage du texte français original
Comment avez-vous procédé pour réaliser l'adaptation du texte allemand
en français au niveau de la prosodie, et du respect de l'écriture
musicale ?
Il pouvait sembler un peu curieux de présenter, en France, un ouvrage composé par un Français, dont l'argument était une "nouvelle" de langue française, dans sa version allemande, originale et seul autographe. On peut
d'ailleurs raisonnablement supposer que Théodore Gouvy aurait probablement réalisé, comme il en avait l'habitude, une version française de cette
œuvre, si sa mort n'était intervenue peu de temps après l'achèvement de la
version allemande. C'est sans doute dans cet esprit, qu'Henriette Gouvy
avait rédigé une adaptation française qu'elle proposa, sans succès au compositeur André Messager.
Cette adaptation n'est pas sans mérite, et il eût été doublement intéressant
de pouvoir la proposer au public en raison de la proximité familiale et artistique de son auteur, belle-sœur et amie particulièrement impliquée dans la
carrière artistique du compositeur. Toutefois, malgré de réelles qualités et
un effort constant pour respecter la prosodie française, de trop nombreuses
coquilles et libertés prises avec le texte original (Henriette Gouvy-Böcking
était Sarroise de langue allemande), interdisaient cette démarche. A la
demande de M. Eric Chevalier, directeur de l'Opéra-Théâtre de Metz, nous
avons réalisé (N.D.L.R. René et Samuel Auclair) l'adaptation française qui
fait l'objet de cette édition.
Notre démarche a été guidée par les principes suivants : la fidélité la plus
grande possible au texte allemand de Théodore Gouvy avec l'éclairage mais l'éclairage seulement- du texte français original de Prosper Mérimée ;
le respect de la prosodie française avec les licences classiques qu'elle s'autorise (ex : la règle du "e muet" prononcé, la finale "féminine" …) ; le
respect intégral de la musique, en particulier de l'harmonie et des accents…
28
musique avec une force irrésistible8 ».
Si la modernité de Mérimée reste incontestable, on peut en revanche, après
la redécouverte d'un tel patrimoine opératique, interroger la légitimité de la
démarche de postérité qui usa de Carmen pour occulter les autres chefsd'œuvre, notamment Fortunato de Theodore Gouvy.
Marie-Noëlle AUGUSTE
Professeur de flûte à bec et de musique de chambre au
Conservatoire de Saint-Denis (93)
Directeur artistique de l'ensemble vocal et instrumental A
Contrario
Doctorante à l'Université de la Sorbonne Paris IV sous la codirection de Danièle Pistone (Musicologie) et Jean-Yves
Masson (Littérature comparée). Sujet de thèse : Mérimée à
l'Opéra.
VI
L'HISTOIRE DE FORTUNATO ET
SES PERSONNAGES
Qui est Mateo Falcone ? Un vieux bandit qui a amassé de l'argent entre
trafic et contrebande, et qui a fixé sa demeure, une maison-ferme, à l'orée
d'une forêt. Il considère son fils de dix ans, Fortunato, comme son digne
héritier, avec ses trois filles et sa femme, et qui sont l'honneur de la famille.
Chasseur invétéré, il décide, avec son épouse Giuseppa, d' aller au gibier
dans les futaies proches, tout en recommandant à son fils de rester et de
bien garder la maison.
Au cours de sa battue, Mateo entend des coups de feu en rafales, puis,
croise un homme qui s'enfuit et le supplie ardemment de lui trouver une
cachette. Mateo y consent, mais en échange d'une somme… de cinq francs.
Le bandit traqué -il s'appelle Gianetto Sanpiero-, sera planqué dans la
demeure familiale. Entre bandits, c'est naturel.
Or, peu après, une demi-douzaine d'hommes armés, commandés par l'adjudant Tiodoro Gamba, déboulent sur les lieux à la recherche du malfaiteur
qu'ils poursuivent. Ils sont face à face avec le petit Fortunato auquel ils
demandent s'il n'y a pas un homme qui se serait terré dans la maison de ses
parents. L'enfant rechigne tout d'abord, mais, pour l'amadouer, l'un des
hommes armés lui donne une montre.
Tout content et, par convoitise et par fierté, il va dénoncer le fuyard,
21
Sanpiero, en le livrant aux hommes de loi, contrevenant ainsi aux règles
d'honneur de la famille. Lorsque les époux Falcone rentrent à la ferme,
Mateo, discutant avec les pourchasseurs, apprend que son fils n'a pas
respecté les règles de l'hospitalité à l'endroit d'un homme aux abois, et que,
de plus, il s'est laissé soudoyer en acceptant une montre. Le père n'approuve pas du tout sa conduite qui est contraire aux conventions des Falcone. Il
appartient à cette catégorie humaine dont les bandits sont des personnages
de légende et qui, par conséquent, sont intouchables.
Mateo remâche sa punition. Que va-t-il faire avec son fusil ? Sa femme
Giuseppa subodore ses intentions morbides. Elle veut retenir son mari
qu'elle supplie de rester. Mais Mateo ne l'entend pas de cette oreille car il
ne tolère pas la trahison. On lit l'intransigeance et la détermination du
« falcone », du « faucon », qui a pour seul évangile, le respect de la parole
donnée, et auquel s'ajoutent l'orgueil et le principe d'honneur de la lignée.
La tension monte. Mateo part avec son arme et emmène Fortunato dans la
forêt. Il l'abattra sans autre forme de procès, creusera une fosse et l'enterra
lui-même sur place.
C.L.M. : Quel est le cheminement de vos recherches pour retrouver la
partition de cet opéra « Fortunato » ?
René Auclair : A l'époque de mon prix d'histoire, mon professeur, Marc
Brunerye, m'avait proposé de rédiger une étude, au choix, sur l'un des
musiciens lorrains. J'étais alors enseignant à Dieulouard et le nom de
Gouvy était dans les mémoires de par la présence des Etablissements
Gouvy qui s'y étaient installés vers les années 1870. On en vint à parler de
Théodore Gouvy. Les descendants de sa famille y habitaient encore. Je ne
savais pas trop qui était ce compositeur. La famille Gouvy-Durteste me
facilita l'accès à ses archives au milieu desquelles figuraient quantité de
partitions bien conservées du compositeur, dont un grand nombre en
manuscrits autographes ainsi que du matériel d'orchestre. C'est à partir de
ce moment là que j'ai commencé à recenser et à rédiger le Catalogue complet de ses œuvres.
Il était question un moment de remettre ces archives à la Bibliothèque
nationale de France, mais à l'époque, personne n'était enthousiaste pour
réaliser ce transfert. Il en irait autrement aujourd'hui ! Toujours est-il que
l'Institut Gouvy de Hombourg-Haut était tout désigné pour l'accueillir, et
que ce fond de partitions allait permettre leur parfaite exploitation.
VII
RENÉ AUCLAIR : « UN OPÉRA D'UNE
INTENSITÉ PSYCHOLOGIQUE ET D'UNE
GRANDE FORCE D'EXPRESSION »
Musicologue, chargé de cours à l'Université Paul Verlaine de Metz, René
Auclair, titulaire d'un prix d'Histoire de la musique au Conservatoire de
Metz, a réalisé son mémoire de DEA en Sorbonne sur le compositeur
Théodore Gouvy. Vice-président de l'Institut Gouvy de Hombourg-Haut,
on lui doit la restitution et la maquette complète de l'opéra Fortunato
(Mateo Falcone), créé à Metz en cette fin mai 2011, ainsi que l'adaptation
française de sa version allemande, en collaboration avec son fils Samuel,
également germaniste, de même que celle de l'opéra Der Cid qui, comme
Fortunato à l'Opéra-Théâtre de Metz, sera donné en première mondiale à
l'Opéra de Sarrebrück, début juin 2011.
René Auclair a détaillé, pour le Cercle Lyrique de Metz, les étapes de ses
recherches et analysé le contenu de Fortunato.
22
Pouvez-vous nous parler des origines de la composition de l'œuvre musicale et du texte sur lequel elle est bâtie ?
Il est impossible de préciser les circonstances qui ont donné à Gouvy l'idée
de se lancer dans la composition de Fortunato. En revanche, au regard de
sa production antérieure, on peut comprendre certaines de ses motivations
générales. Gouvy fut un grand symphoniste, un défenseur de la musique
"pure", entendons de la symphonie, du quatuor à cordes et de la musique
instrumentale en général, avec quelques rares incursions dans la musique
lyrique. C'est ce que les anciennes "Histoires de la musique" ont retenu de
lui lorsqu'elles mentionnaient son nom. En réalité, les choses sont beaucoup plus complexes. S'il est vrai que toute la première partie de sa carrière répond parfaitement à cette image, Gouvy, sous la pression de la critique
musicale qui, à l'époque, ne peut et ne veut consacrer un compositeur sans
avoir entendu un de ses grands ouvrages lyriques, il écrit un grand opéra
en 1862-63, Der Cid sur un livret allemand d'après Corneille. Cet opéra est
reçu au théâtre de Dresde en 1864, mais de nombreuses corrections sont
demandées par le ténor, Schnorr von Carolsfeld , qui doit chanter le rôletitre. Alors que l'opéra devait être donné en octobre 1865, le ténor décède
et la direction renonce à monter le spectacle. Cet épisode à la fois tragique
et contrariant, n'est pas pour conforter les aspirations du compositeur dans
27
Mateo Falcone en costume et large chapeau,
tenant son fusil (maquette de Danièle Barraud).
Costume en grande cape de Giuseppa,
épouse de Mateo (maquette de Danièle Barraud)
26
23
Le jeune Fortunato, pieds nus
(maquette de Danièle Barraud)
Les quatre costumes suivants sont portés par la même femme,
Giuseppa, mais ces habits sont transformés : c'est le principe du
chœur de femmes qui interprètent « Les Chants de l'Ile de Corse » de
Tomasi, mais qui participent aussi à l'opéra « Fortunato (Mateo
Falcone) » sont d'abord vêtues d'une robe assez ample, au corsage
assez fin, croisé mauve clair, avec fichu orné et noué sur la tête. Puis,
pour les derniers chants, elles inversent leur foulard de poitrine qui est
réversible et devient sombre ; puis, elles rabattent sur leur tête, leur
jupe de dessus qui est doublée de noir à l'intérieur, le jupon de
dessous étant également noir à l'intérieur. Elles deviennent ainsi des
pleureuses, des femmes en deuil (maquette de Danièle Barraud).
Costume du bandit Gianetto Sanpiero
(maquette de Danièle Barraud)
24
25
Le jeune Fortunato, pieds nus
(maquette de Danièle Barraud)
Les quatre costumes suivants sont portés par la même femme,
Giuseppa, mais ces habits sont transformés : c'est le principe du
chœur de femmes qui interprètent « Les Chants de l'Ile de Corse » de
Tomasi, mais qui participent aussi à l'opéra « Fortunato (Mateo
Falcone) » sont d'abord vêtues d'une robe assez ample, au corsage
assez fin, croisé mauve clair, avec fichu orné et noué sur la tête. Puis,
pour les derniers chants, elles inversent leur foulard de poitrine qui est
réversible et devient sombre ; puis, elles rabattent sur leur tête, leur
jupe de dessus qui est doublée de noir à l'intérieur, le jupon de
dessous étant également noir à l'intérieur. Elles deviennent ainsi des
pleureuses, des femmes en deuil (maquette de Danièle Barraud).
Costume du bandit Gianetto Sanpiero
(maquette de Danièle Barraud)
24
25
Mateo Falcone en costume et large chapeau,
tenant son fusil (maquette de Danièle Barraud).
Costume en grande cape de Giuseppa,
épouse de Mateo (maquette de Danièle Barraud)
26
23
Sanpiero, en le livrant aux hommes de loi, contrevenant ainsi aux règles
d'honneur de la famille. Lorsque les époux Falcone rentrent à la ferme,
Mateo, discutant avec les pourchasseurs, apprend que son fils n'a pas
respecté les règles de l'hospitalité à l'endroit d'un homme aux abois, et que,
de plus, il s'est laissé soudoyer en acceptant une montre. Le père n'approuve pas du tout sa conduite qui est contraire aux conventions des Falcone. Il
appartient à cette catégorie humaine dont les bandits sont des personnages
de légende et qui, par conséquent, sont intouchables.
Mateo remâche sa punition. Que va-t-il faire avec son fusil ? Sa femme
Giuseppa subodore ses intentions morbides. Elle veut retenir son mari
qu'elle supplie de rester. Mais Mateo ne l'entend pas de cette oreille car il
ne tolère pas la trahison. On lit l'intransigeance et la détermination du
« falcone », du « faucon », qui a pour seul évangile, le respect de la parole
donnée, et auquel s'ajoutent l'orgueil et le principe d'honneur de la lignée.
La tension monte. Mateo part avec son arme et emmène Fortunato dans la
forêt. Il l'abattra sans autre forme de procès, creusera une fosse et l'enterra
lui-même sur place.
C.L.M. : Quel est le cheminement de vos recherches pour retrouver la
partition de cet opéra « Fortunato » ?
René Auclair : A l'époque de mon prix d'histoire, mon professeur, Marc
Brunerye, m'avait proposé de rédiger une étude, au choix, sur l'un des
musiciens lorrains. J'étais alors enseignant à Dieulouard et le nom de
Gouvy était dans les mémoires de par la présence des Etablissements
Gouvy qui s'y étaient installés vers les années 1870. On en vint à parler de
Théodore Gouvy. Les descendants de sa famille y habitaient encore. Je ne
savais pas trop qui était ce compositeur. La famille Gouvy-Durteste me
facilita l'accès à ses archives au milieu desquelles figuraient quantité de
partitions bien conservées du compositeur, dont un grand nombre en
manuscrits autographes ainsi que du matériel d'orchestre. C'est à partir de
ce moment là que j'ai commencé à recenser et à rédiger le Catalogue complet de ses œuvres.
Il était question un moment de remettre ces archives à la Bibliothèque
nationale de France, mais à l'époque, personne n'était enthousiaste pour
réaliser ce transfert. Il en irait autrement aujourd'hui ! Toujours est-il que
l'Institut Gouvy de Hombourg-Haut était tout désigné pour l'accueillir, et
que ce fond de partitions allait permettre leur parfaite exploitation.
VII
RENÉ AUCLAIR : « UN OPÉRA D'UNE
INTENSITÉ PSYCHOLOGIQUE ET D'UNE
GRANDE FORCE D'EXPRESSION »
Musicologue, chargé de cours à l'Université Paul Verlaine de Metz, René
Auclair, titulaire d'un prix d'Histoire de la musique au Conservatoire de
Metz, a réalisé son mémoire de DEA en Sorbonne sur le compositeur
Théodore Gouvy. Vice-président de l'Institut Gouvy de Hombourg-Haut,
on lui doit la restitution et la maquette complète de l'opéra Fortunato
(Mateo Falcone), créé à Metz en cette fin mai 2011, ainsi que l'adaptation
française de sa version allemande, en collaboration avec son fils Samuel,
également germaniste, de même que celle de l'opéra Der Cid qui, comme
Fortunato à l'Opéra-Théâtre de Metz, sera donné en première mondiale à
l'Opéra de Sarrebrück, début juin 2011.
René Auclair a détaillé, pour le Cercle Lyrique de Metz, les étapes de ses
recherches et analysé le contenu de Fortunato.
22
Pouvez-vous nous parler des origines de la composition de l'œuvre musicale et du texte sur lequel elle est bâtie ?
Il est impossible de préciser les circonstances qui ont donné à Gouvy l'idée
de se lancer dans la composition de Fortunato. En revanche, au regard de
sa production antérieure, on peut comprendre certaines de ses motivations
générales. Gouvy fut un grand symphoniste, un défenseur de la musique
"pure", entendons de la symphonie, du quatuor à cordes et de la musique
instrumentale en général, avec quelques rares incursions dans la musique
lyrique. C'est ce que les anciennes "Histoires de la musique" ont retenu de
lui lorsqu'elles mentionnaient son nom. En réalité, les choses sont beaucoup plus complexes. S'il est vrai que toute la première partie de sa carrière répond parfaitement à cette image, Gouvy, sous la pression de la critique
musicale qui, à l'époque, ne peut et ne veut consacrer un compositeur sans
avoir entendu un de ses grands ouvrages lyriques, il écrit un grand opéra
en 1862-63, Der Cid sur un livret allemand d'après Corneille. Cet opéra est
reçu au théâtre de Dresde en 1864, mais de nombreuses corrections sont
demandées par le ténor, Schnorr von Carolsfeld , qui doit chanter le rôletitre. Alors que l'opéra devait être donné en octobre 1865, le ténor décède
et la direction renonce à monter le spectacle. Cet épisode à la fois tragique
et contrariant, n'est pas pour conforter les aspirations du compositeur dans
27
la voie nouvelle qu'il avait empruntée. Pourtant, dès l'année suivante, grâce
à la découverte de la poésie de Ronsard dont il met en musique quarante
pièces, la musique lyrique prend une importance nouvelle pour lui. En
1874, son Requiem op.70 inaugurera une longue production de grandes
œuvres dramatiques religieuses ou profanes, tels le Stabat Mater ou
Electre, et dont Fortunato représente le terme ultime, une Didon n'ayant
été qu'envisagée…
Fidélité au texte allemand,
éclairage du texte français original
Comment avez-vous procédé pour réaliser l'adaptation du texte allemand
en français au niveau de la prosodie, et du respect de l'écriture
musicale ?
Il pouvait sembler un peu curieux de présenter, en France, un ouvrage composé par un Français, dont l'argument était une "nouvelle" de langue française, dans sa version allemande, originale et seul autographe. On peut
d'ailleurs raisonnablement supposer que Théodore Gouvy aurait probablement réalisé, comme il en avait l'habitude, une version française de cette
œuvre, si sa mort n'était intervenue peu de temps après l'achèvement de la
version allemande. C'est sans doute dans cet esprit, qu'Henriette Gouvy
avait rédigé une adaptation française qu'elle proposa, sans succès au compositeur André Messager.
Cette adaptation n'est pas sans mérite, et il eût été doublement intéressant
de pouvoir la proposer au public en raison de la proximité familiale et artistique de son auteur, belle-sœur et amie particulièrement impliquée dans la
carrière artistique du compositeur. Toutefois, malgré de réelles qualités et
un effort constant pour respecter la prosodie française, de trop nombreuses
coquilles et libertés prises avec le texte original (Henriette Gouvy-Böcking
était Sarroise de langue allemande), interdisaient cette démarche. A la
demande de M. Eric Chevalier, directeur de l'Opéra-Théâtre de Metz, nous
avons réalisé (N.D.L.R. René et Samuel Auclair) l'adaptation française qui
fait l'objet de cette édition.
Notre démarche a été guidée par les principes suivants : la fidélité la plus
grande possible au texte allemand de Théodore Gouvy avec l'éclairage mais l'éclairage seulement- du texte français original de Prosper Mérimée ;
le respect de la prosodie française avec les licences classiques qu'elle s'autorise (ex : la règle du "e muet" prononcé, la finale "féminine" …) ; le
respect intégral de la musique, en particulier de l'harmonie et des accents…
28
musique avec une force irrésistible8 ».
Si la modernité de Mérimée reste incontestable, on peut en revanche, après
la redécouverte d'un tel patrimoine opératique, interroger la légitimité de la
démarche de postérité qui usa de Carmen pour occulter les autres chefsd'œuvre, notamment Fortunato de Theodore Gouvy.
Marie-Noëlle AUGUSTE
Professeur de flûte à bec et de musique de chambre au
Conservatoire de Saint-Denis (93)
Directeur artistique de l'ensemble vocal et instrumental A
Contrario
Doctorante à l'Université de la Sorbonne Paris IV sous la codirection de Danièle Pistone (Musicologie) et Jean-Yves
Masson (Littérature comparée). Sujet de thèse : Mérimée à
l'Opéra.
VI
L'HISTOIRE DE FORTUNATO ET
SES PERSONNAGES
Qui est Mateo Falcone ? Un vieux bandit qui a amassé de l'argent entre
trafic et contrebande, et qui a fixé sa demeure, une maison-ferme, à l'orée
d'une forêt. Il considère son fils de dix ans, Fortunato, comme son digne
héritier, avec ses trois filles et sa femme, et qui sont l'honneur de la famille.
Chasseur invétéré, il décide, avec son épouse Giuseppa, d' aller au gibier
dans les futaies proches, tout en recommandant à son fils de rester et de
bien garder la maison.
Au cours de sa battue, Mateo entend des coups de feu en rafales, puis,
croise un homme qui s'enfuit et le supplie ardemment de lui trouver une
cachette. Mateo y consent, mais en échange d'une somme… de cinq francs.
Le bandit traqué -il s'appelle Gianetto Sanpiero-, sera planqué dans la
demeure familiale. Entre bandits, c'est naturel.
Or, peu après, une demi-douzaine d'hommes armés, commandés par l'adjudant Tiodoro Gamba, déboulent sur les lieux à la recherche du malfaiteur
qu'ils poursuivent. Ils sont face à face avec le petit Fortunato auquel ils
demandent s'il n'y a pas un homme qui se serait terré dans la maison de ses
parents. L'enfant rechigne tout d'abord, mais, pour l'amadouer, l'un des
hommes armés lui donne une montre.
Tout content et, par convoitise et par fierté, il va dénoncer le fuyard,
21
1894
1896
1898
1907
1930
1987
septembre 1839. Opéra repris en deux actes en 1840. Livret, Paris,
Duverger, 1839.
Heinrich Zöllner, Mateo Falcone, livret du compositeur, créé au
Metropolitan Opera de New York en 1884, repris à l'Irving Place
Theater de New-York le 18 décembre 1893 [1894].
Théodore Gouvy, Fortunato, livret du compositeur, œuvre inédite.
Réduction chant-piano, livrets en français et en allemand, extraits du
conducteur d'orchestre offerts gracieusement par Sylvain Teutsch,
président de l'Institut Théodore Gouvy.
Theodor Gerlach, Matteo Falcone, opéra en 3 actes, livret du compositeur, créé à Hanovre le 23 octobre 1898.
César Cui, Mateo Falcone, scène dramatique en un acte, livret de
Vasily Zhukovsky, créé au Théâtre du Bolchoï de Moscou le 14
décembre 1907.Conducteur d'orchestre, réduction piano-chant,
Moscou, Éditions Jurgenson, 1907.
Florence Ewart, Mateo Falcone, opéra en 3 actes, livret du compositeur, composé à Melbourne entre 1930 et 1932. Œuvre inédite.
Réduction piano-chant manuscrite, livret et notes, Melbourne,
Grainger Museum, 1930.
Paul Fejko, Matteo Falcone, opéra en un acte, livret de Dino
Yannopoulos créé à l' Académie of Vocal Arts de Philadelphie le 23
octobre 1987. Réduction piano-chant, conducteur d'orchestre,
manuscrits offerts gracieusement par Paul Fejko.
Placés aux endroits cruciaux dans l'histoire de la musique, les opéras inspirés de Mérimée en reflètent l'esthétique, produit atypique du XIXe siècle, à
la fois héritier et unique, soumis et dissident, conforme et novateur. Qu'ils
soient très librement inspirés de l'auteur ou le plus fidèles au texte, ces opéras condensent la rhétorique mériméenne en une immanence musicale dont
la force métaphorique illustre l'aphorisme de Roland Barthes :
« Peut-être qu'une chose ne vaut que pour sa force métaphorique : peut-être
que c'est cela, la valeur de la musique : d'être une bonne métaphore7.»
La légendaire sécheresse de ton de Mérimée, qui dissimule passionnément
le contraire, a permis aux compositeurs, comme l'affirme Louis Durey dans
son Catalogue commenté, de s'exprimer eux-mêmes à travers son œuvre
littéraire qui, pour reprendre l'expression de Roland Manuel « appelle la
3
Roland Barthes, L'obvie et l'obtus. Essais critiques III, Paris, Le Seuil, 1982, p. 252.
Roland Manuel (Roland Alexis Manuel Lévy dit), Lettre à Louis Durey, à propos de sa tentative de monter L'Occasion
de Mérimée, mentionnée dans le Catalogue commenté de Louis Durey, Bulletin de la Société Nationale de Musique de
l'IRCAM : " Intemporel ". L'extrait du Catalogue commenté de Louis Durey consacré à L'Occasion m'a gracieusement été
offert par Madame Arlette Durey, fille du compositeur.
8
20
Un début qui baigne dans la
couleur locale
Qu'avez-vous découvert en décortiquant le texte de « Fortunato » ?
Pour ce qui est de l'état du texte de
Mérimée qui fut entre les mains de
Gouvy, il n'est rien resté de sa bibliothèque littéraire qui puisse en fournir
René Auclair : « dès la 2 scène, Gouvy dramatise le
propos… »
un quelconque indice, contrairement à
sa bibliothèque musicale qui a été
conservée intégralement. Toutefois, si l'on en juge par l'édition critique
(Jean Mallion et Pierre Salomon), les variantes textuelles sont minimes et
revêtent, ici, beaucoup moins d'importance que le compositeur tire du texte
français un livret en allemand. Selon toute vraisemblance, il a rédigé dans
la langue de Goethe, un livet inspiré du texte de Mérimée en pratiquant
l'exercice dit de "contraction croisée de texte" dans les concours des
Grandes écoles. Mateo débute par une introduction qui présente au lecteur
le cadre corse qui avait un caractère beaucoup plus "exotique"
qu'aujourd'hui… Dans Fortunato, tous ces détails sont concentrés en
quelques lignes de didascalies à destination du metteur en scène. Et l'on est
plongé, dans la première scène, fort courte, dans la "couleur locale" où le
jeune Fortunato chante une chanson corse. Mais cette introduction s'étend
aussi, et longuement, sur le "héros" lui-même, « aussi bon tireur que dangereux ennemi », et dont la réputation de chasseur est mise en exergue. En
voici un exemple : « La nuit, il se servait de ses armes aussi facilement que
le jour (…) A quatre-vingts pas, on plaçait une chandelle allumée derrière
un transparent de papier, large comme une assiette. Il mettait en joue, puis
on éteignait la chandelle et, au bout d'une minute, dans l'obscurité la plus
complète, il tirait et perçait le transparent trois fois sur quatre ! »…
e
Une dramatisation progressive…
Certains de ces traits seront repris dans les dialogues ultérieurs de
Fortunato. Le texte est d'abord au passé puisqu'il s'agit de faits antérieurs,
au moment de la rencontre du narrateur avec le "héros" de l'histoire. La 2e
scène de Fortunato suit l'action décrite mais en opérant certaines transpositions qui, dès l'abord, la dramatise. La première apparition de Mateo le
montre avec un fusil, non pas pour aller "visiter ses troupeaux", mais pour
29
se mettre à la recherche de voleurs de deux chèvres. Son fils veut le
suivre mais il refuse. Le jeu "père sévère / mère indulgente" est tout de
suite posé, et la figure de l'enfant qui s'ensuit, sans doute pas plus mauvais
qu'un autre mais habitué à ne pas tenir tête à un père intraitable et à négocier avec une mère compréhensive et qui le soutient, acquiert une grande
crédibilité…
L'ordre événementiel de Fortunato suit celui de Mateo Falcone, là encore,
avec une coloration psychologique beaucoup plus marquée. La 3e scène est
bien consacrée aux réflexions du jeune Fortunato et se clôt sur l'arrivée
d'un homme blessé, annoncée par des coups de feu, mais ces réflexions
sont loin d'avoir la sérénité dépeinte dans Mateo. Et les pensées qui agitent
Fortunato dans ce monologue, ne sont pas d'agréables perspectives de promenade dominicale, mais toutes de récriminations contre les recommandations maternelles, les idées paternelles et l'injustice du traitement qui lui est
réservé…
Mateo Falcone continue sur le mode narratif, et, à la scène 4, Fortunato
résume tout cela par les didascalies (…) ; le mode narratif reprend totalement ses droits dans Mateo Falcone… tandis que, dans Fortunato, le
dialogue se poursuit, toujours serré et émouvant, la « pièce de cinq francs
qu'il avait réservée, sans doute pour acheter de la poudre » devenant « sa
dernière pièce de cinq francs qu'il avait économisée pour acheter de la
poudre » (…) La rencontre des poursuivants de Sanpiero et de Fortunato,
entretient, (dans les textes), à peu près les mêmes rapports que précédemment : alternance de narration et de dialogue dans le premier, jeu de scène
et dialogue dans le second…
paresseuse. Il faut être un peu bête pour ne faire qu'une chose, et dans les
arts on n'excelle qu'en s'y consacrant d'une manière absolue. Ensuite il faut
travailler du matin au soir, ne jamais s'exposer au vent et ne pas manger de
glaces en été3.
Dans son ouvrage Paris dilettante au commencement du siècle, honorant
l'esprit voltairien de Mérimée, Adolphe Jullien fait le rapprochement de
cette lettre avec un texte de Voltaire adressé à Gretry :
« Vous êtes musicien et vous avez de l'esprit ! Cela est trop rare, Monsieur,
pour que je ne prenne pas à vous voir le plus vif intérêt4. »
"Peu mélomane5" , trouvant le musicien assez borné, Mérimée reste néanmoins l'auteur de prédilection pour une multitude de compositeurs d'écoles
et de nationalités diverses, séduits par son esthétique de la réticence, sa
posture ironique et son principe archaïque. Ayant une bonne connaissance
de toute l'œuvre littéraire de Mérimée, ils ont eu l'intuition commune de
son architecture puissante, laconique et déjà elle-même opératique, propre
à subir un traitement lyrico dramatique.
Sept ouvrages lyriques composés sur Mateo Falcone.
L'analyse des opéras inspirés de Mérimée permet d'en dégager plusieurs
constantes qui restituent dans leur sémiotique musicale la rhéthorique
mériméenne fondée sur l'arkhê6, principe étroitement lié à la notion d'enargeia, et sur l'obliquité ironique dans une dualité chronique où cohabitent le
rire et l'horreur.
Certaines de ces œuvres ont été plusieurs fois portées à l'opéra, notamment
Mateo Falcone. Publiée le 3 mai 1829 dans la Revue de Paris, la nouvelle
de Mérimée n'a cessé d'inspirer des compositeurs de diverses nationalités à
différentes périodes dans des adaptations qui recouvrent plus d'un siècle et
demi de l'histoire de la musique, de 1839 à 1987.
… Jusqu’à l’intensité du dénouement
La scène du meurtre est la plus émouvante. Pouvez-vous nous en livrer
les propos les plus intenses ?
C'est dans la scène 7, l'avant-dernière scène, que se concentre toute l'intensité dramatique du dénouement. Là encore, la matérialité des événements
est très proche; pourtant, leur succession et leur organisation dramatique
ainsi que la tonalité générale sont assez différentes…
1839 : François Albert-Henri-Ferdinand Ruolz-Montchal (baron ou comte
de), La Vendetta, opéra en 3 actes, livret de Léon Pillet et d'Adolphe
Vaunois, créé à l'Académie Royale de Musique-Le Peletier le 11
3
« Il se passa près de dix minutes avant que Mateo ouvrît la bouche.
L'enfant regardait d'un œil inquiet tantôt sa mère, tantôt son père, qui, s'ap-
Prosper Mérimée, Correspondance générale, établie et annotée par Maurice Parturier avec la collaboration pour les
tomes I à VI de Pierre Josserand et de Jean Mallion, t. I-VI, Paris, le Divan, 1941-1947, t. VII-XVII Toulouse, Privat, 19531964, lettre de juillet 1855, tome VII, pp. 511-512.
4
Texte de Voltaire rapporté dans les mémoires de Grétry, I, 33, inséré dans Adolphe Jullien, « Mérimée dilettante et orateur » dans Paris dilettante au commencement du siècle, ouvrage orné de 36 gravures sur bois et facs. de dessins originaux conservés aux Archives de l'Opéra, Paris, Firmin-Didot, 1884, p. 337.
5
Raymond Leslie Evans, Les Romantiques français et la musique, Paris : Champion, 1934, réédition Genève : Slatkine
Reprints, 1976, p. 38.
6
Cf. Antonia Fonyi « La passion pour l'archè » Prosper Mérimée écrivain, archéologue, historien, Antonia Fonyi (dir.),
Genève, Droz, 1999, p. 197-207.
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19
[N.D.L.R. : nous reproduisons ci-dessous la fin du texte en français, adapté de la version allemande sur laquelle Gouvy avait construit sa partition]
Arnaud Laster, Hugo à l'Opéra, L'Avant-Scène Opéra N° 208, mai-juin 2002, p.3.
Marie-Hélène Coudroy-Saghaï, « Les Huguenots » dans Joël-Marie Fauquet (dir.) Dictionnaire de la musique en France
au XIXe siècle, Paris, Fayard, 2003, p.602.
puyant sur son fusil, le considérait avec une expression de colère concentrée.
- Tu commences bien ! dit enfin Mateo d'une voix calme, mais effrayante
pour qui connaissait l'homme.
- Mon père ! s'écria l'enfant en s'avançant les larmes aux yeux comme pour
se jeter à ses genoux. Mais Mateo lui cria :
- Arrière de moi !
Et l'enfant s'arrêta et sanglota, immobile, à quelques pas de son père.
Giuseppa s'approcha. Elle venait d'apercevoir la chaîne de la montre, dont
un bout sortait de la chemise de Fortunato.
- Qui t'a donné cette montre ?, demanda-t-il d'un ton sévère.
- Mon cousin, l'adjudant.
Falcone saisit la montre et, la jetant avec force contre une pierre, il la mit
en mille pièces.
- Femme, dit-il, cet enfant est-il de moi ?
Les joues brunes de Giuseppa devinrent d'un rouge de brique.
- Que dis-tu Mateo ? Et sais-tu bien à qui tu parles ?
- Eh bien ! cet enfant est le premier de sa race qui ait fait une trahison.
Les sanglots et les hoquets de Fortunato redoublèrent, et Falcone tenait ses
yeux de lynx toujours attachés sur lui. Enfin, il frappa la terre de la crosse
de son fusil, puis le rejeta sur son épaule et reprit le chemin du maquis en
criant à Fortunato de le suivre. L'enfant obéit.
Guiseppa courut après Mateo et lui saisit le bras :
- C'est ton fils, lui dit-elle d'une voix tremblante en attachant ses yeux noirs
sur ceux de son mari, comme pour lire ce qui se passait dans son âme.
- Laisse-moi, répondit Mateo, je suis son père.
Giuseppa embrassa son fils et rentra en pleurant dans sa cabane. Elle se jeta
à genoux devant une image de la Vierge et pria avec ferveur. Cependant,
Falcone marcha quelque deux-cent pas dans le sentier et ne s'arrêta que
dans un petit ravin où il descendit. Il sonda la terre avec la crosse de son
fusil et la trouva molle et facile à creuser. L'endroit lui parut convenable
pour son dessein.
- Fortunato, va auprès de cette grosse pierre !
L'enfant fit ce qu'il lui commandait, puis il s'agenouilla.
- Dis tes prières.
- Mon père, mon père, ne me tuez pas !
- Dis tes prières !, répéta Mateo d'une voix terrible.
L'enfant, tout en balbutiant et en sanglotant, récita le Pater et le Credo. Le
père, d'une voix forte, répondait Amen ! à la fin de chaque prière.
- Sont-ce là toutes les prières que tu sais ?
18
31
V
MÉRIMÉE OU L'OPÉRA
PAR EXCELLENCE
par Marie-Noëlle Auguste
L'œuvre littéraire de Prosper Mérimée a suscité un véritable engouement
opératique depuis le XIXe siècle jusqu'à nos jours et, malgré « tout ce que
le répertoire des scènes lyriques doit à l'œuvre de Victor Hugo1 », il reste
incontestablement l'auteur du XIXe siècle le plus porté à l'opéra.
Optant pour des adaptations très libres ou très fidèles, plus d'une quarantaine d'oeuvres se sont inspirées soit de son théâtre marqué par sa dissidence idéologique et esthétique : pratiquement toutes les pièces du Théâtre
de Clara Gazul ont été portées sur la scène lyrique ainsi que La Jaquerie,
soit de ses romans et nouvelles : Carmen, La Chambre bleue, Chronique
sous le règne de Charles IX, Colomba, Mateo Falcone, Lokis, La Vénus
d'Ille, ou encore de ses traductions de nouvelles russes : Six et quatre, La
Dame de pique.
Une défiance vis-à-vis de l’art lyrique ?
Parmi ce foisonnement d'œuvres, une bonne quinzaine naquit du vivant de
l'auteur. Tout en partageant l'euphorie romantique où « le règne du
chanteur-acteur divinise l'artiste et en fait un objet d'adulation2 », Mérimée
semble étonnamment distant vis-à-vis de cette profusion musicale, soit par
désintérêt (Mérimée ne laisse aucun témoignage dans sa correspondance),
soit par désaccord eu regard du pillage des adaptations théâtrales qui représentaient un véritable commerce littéraire au XIXe siècle, soit encore par
défiance profonde vis-à-vis de l'art lyrique.
Malgré l'engouement opératique que suscite son œuvre, Mérimée semble
nourrir une méfiance irrespectueuse pour les musiciens. Dans une lettre
datée du 29 juillet 1855, il écrit à Mistress Senior :
« J'ai entendu dire que vous étiez grande musicienne, mais j'ai peine à
le croire, parce que vous me semblez avoir trop d'esprit et être trop
1
2
- Mon père, je sais encore l'Ave Maria et la litanie que ma tante m'a apprise.
- Elle est bien longue ; n'importe
L'enfant acheva la litanie d'une voix éteinte.
- As-tu fini ?
- Oh ! mon père, grâce ! pardonnez-moi ! Je ne le ferai plus ! Je prierai tant
mon cousin, le caporal, qu'on fera grâce au Gianetto !
découpage rappelant la règle des trois : lieu, temps, action, et divise en cinq
tableaux, les étapes de l'histoire, entre l'exposition du maquis corse et de
ses moeurs, la description de Falcone et de sa "tribu" familiale, avant de
situer l'action, entre l'arrivée du bandit et le comportement du petit
Fortunato. Puis, le constat de trahison entraînant l'angoisse d'un danger
imminent et le tragique dénouement. Un schéma de drame classique en
somme…
[Alors que Mateo Falcone se termine comme un simple fait divers et sans
beaucoup d'émotion apparente, Fortunato ajoute la scène 8 où l'épisode
inventé du petit pâtre courant après les soldats pour assurer in extremis le
salut de l'enfant, ménage jusqu'au bout l'attente d'un dénouement d'autant
plus dramatique.]
Dix ans plus tard... Les notes d’un voyage en l’île
Quelles comparaisons entre « Fortunato » et « Mateo Falcone » et quelles réflexions apportez-vous à leur propos ?
Fortunato apparaît, assez évidemment, comme un décalque fidèle, sur le
plan narratif, de Mateo Falcone. Toutefois, la perspective n'est pas la même
et les moyens employés pour susciter l'émotion, différents. Alors que
Mérimée déploie aux yeux de son lecteur, un récit "exotique", où
l'étonnant, le "curieux", le dispute au tragique, Gouvy recentre toute
Arrive le changement de régime de 1830. Prosper Mérimée se sentira bien
dans les milieux louis-philippards, et la Monarchie de Juillet s'emploiera à
faire connaître ses œuvres. Il occupera d'ailleurs plusieurs postes administratifs au Ministère de la Marine et à celui du Commerce. En tant que chef
de cabinet du comte d'Agout, il aura la charge des "Beaux-Arts", avant qu'il
soit nommé inspecteur général des Monuments historiques, puis viceprésident de la commission en 1839.
C'est dix ans après son Mateo Falcone, que Prosper Mérimée entreprend
un voyage… Attirance ou occurrence ? Le 16 août 1839, il débarque à
Bastia du bateau-poste en provenance de Toulon. Un rapport du préfet
de Corse sur les monuments du département l'avait séduit et incité à s'y
rendre. Il avait réussi à obtenir une autorisation du ministre Gasparin, pour
y effectuer une tournée officielle d'inspection. Il visitera à peu près tous les
monuments, églises, vestiges, tours et fortifications de l'île. Il prend des
notes, s'extasie devant "les admirables jambons du village" (Murato),
effectue un périple à cheval, décrit, par le menu, l'ancienne cathédrale de
Nebbio et ses "trois curieuses églises". A la fin du périple, il s'embarquera
à Bastia pour Livourne en Toscane pour y rencontrer Stendhal avant de
remonter à Paris. Résultat, un bouquin de 236 pages édité en 1840, sorte de
monographie intitulée Notes d'un voyage en Corse. Plus réjouissant, en
tout cas, que la dramatique histoire de Fortunato !
1840, c'est aussi l'année de Colomba, un must ; puis, en 1843, il sera élu
membre libre de l'Académie des Inscriptions et belles Lettres, publiera un
article sur « Le Palais de Justice », « La Sainte-Chapelle » et, en 1844, entrera à l'Académie française. Historien, traducteur de la littérature russe,
commandeur de la Légion d'honneur…
En 1844, c'est un autre monument qui entre dans la littérature : Carmen.
Ironie du sort : le décès de Prosper est annoncé par erreur le 10 mars 1869
dans Le Figaro ! En réalité, il mourra à Cannes le 23 septembre 1870. Deux
semaines après la chute de Napoléon III et la défaite de la guerre francoprussienne…
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17
Il parlait encore ; Mateo avait armé son fusil et le couchait en joue en lui
disant :
- Que Dieu te pardonne !
L'enfant fit un effort désespéré pour se relever et embrasser les genoux de
son père ; mais il n'en eut pas le temps. Mateo fit feu et Fortunato tomba
raide mort.
Sans jeter un coup d'œil sur le cadavre, Mateo reprit le chemin de sa maison pour aller chercher une bêche afin d'enterrer son fils. Il avait à peine
fait quelques pas qu'il rencontra Giuseppa qui accourait, alarmée par le
coup de feu.
- Qu'as-tu fait ? s'écria-t-elle.
- Justice.
- Où est-il ?
- Dans le ravin. Je vais l'enterrer. Il est mort en chrétien. Je lui ferai chanter une messe. Qu'on dise à mon gendre Tiodoro Bianchi de venir demeurer avec nous. »
Un conflit psychologique de l’amour et de l’honneur
l'émotion de son spectateur sur le conflit psychologique de l'amour, avec
ses faiblesses, et de l'honneur, avec sa dureté et, il faut le dire, son obstination peu intelligente.
La puissance de l'émotion soulevée par les deux ouvrages est forte, mais,
tandis que Mérimée dit les choses tout uniment, reste impartial, extérieur,
presque glacé, et, par contraste, rend les faits qu'il rapporte plus horribles
encore, Gouvy, au contraire, en musicien, joue des contrastes à l'intérieur
même de l'œuvre, dans tout ce que la tradition "lyrique" véhicule avec elle
de pathos. Il n'est, pour s'en convaincre, que d'évoquer avec quelle maestria sont mises en œuvre les invectives de Mateo, les objurgations de Pepa
et le Pater Noster, recto tono, de Fortunato, dans le dénouement. C'est un
grand mérite de ces deux œuvres, courtes, l'une et l'autre, apparemment fort
proches, de former maintenant une sorte de dyptique dont les deux volets
se répondent et dont les effets différents mais complémentaires se renforcent.
Couleur orchestrale, variété de rythmes, de caractères,
de nuances, de mouvements
Il termine sa nouvelle Mateo Falcone, le 14 février de cette année et lui
donne comme sous-titre Mœurs de la Corse. Elle sera publiée dans La
Revue de Paris le 5 mai, et l'ouvrage deviendra un classique de la production de son auteur. La nouvelle sera reprise dans « Mosaïque » en 1834. La
couleur locale qui l'alimente est présente dans la narration de la vie rurale
de l'Ile de Beauté, de même que le caractère de ses habitants, leur fierté,
leur honneur, leur rudesse parfois. Et pourtant, Mérimée ne s'était encore
jamais rendu dans ces lieux où naquit Napoléon. Il avait simplement puisé
ses personnages dans diverses sources bibliographiques. On pense qu'il
emprunta quelques idées au récit de l'abbé Gaudin, Voyage en Corse, qui
datait de 1787, et que le prêtre avait intitulé Noblesse d'âme d'un Corse. Et
cependant, la lecture des quelque douze pages de Mérimée, donne cette
impression qu'il avait vécu lui-même, le drame qu'il y contait. Il adopte un
Sur le plan musical et sur le plan scénique, quelles conclusions mettezvous en exergue ?
Cette œuvre est économe de moyens. L'ouverture (prélude) n'est pas autre
chose que les quelques minutes de musique nécessaire précédant le lever
de rideau, avertissant le spectateur que le spectacle commence, et ne négligeant pas de le mettre auditivement en contact avec les tensions prémonitoires. Même économie dans la chansonnette de la scène N°1, dans les préparatifs de sortie des parents dans la scène 2 et les objections de Fortunato.
Le souci de Théodore Gouvy est de peindre vrai : pas de virtuosité gratuite, pas de bavardage. Il s'agit de serrer l'action au plus près et de conduire
graduellement le spectateur à la scène insoutenable de la fin. Ce souci de
l'efficacité n'est pas un appauvrissement de la palette musicale, au contraire. On peut noter combien l'expression est servie par une extrême variété
de mouvements, de caractères, de rythmes, de nuances, de couleur orchestrale, de modulations.
Sur le plan scénique Gouvy réalise avec bonheur la conduite du récit
initial. Comme il en est coutumier dans ses autres ouvrages lyriques (Der
Cid ou dans les grandes cantates dramatiques), il use toujours du jeu des
oppositions. Grand calme de la première scène où Fortunato s'ennuie ; arrivée mouvementée du fugitif ; discussion serrée avec Gamba ; bonheur
16
33
Il n’était pas encore allé en Corse…
d'avoir une montre et bonheur de Gamba d'avoir mis la main sur Sanpiero ;
prière résignée de Fortunato ; cris de douleur de Pepa et cris de rage de
Mateo. Tout cela est parfaitement souligné et mis en valeur par la musique
qui est toujours au service de l'expression et de la cohésion de l'ensemble.
Cette œuvre peut être considérée comme un "chant du cygne", non seulement par la place qu'elle occupe chronologiquement dans l'œuvre de
Gouvy, mais également parce qu'on y retrouve toutes les qualités qui font
de lui un musicien intelligent, sensible et attachant, un grand compositeur.
Un comparatif entre « Fortunato » et « Le Cid »
Gouvy comme le seul qui composait des symphonies et, d'une façon générale, de la musique dite "sérieuse", comme aussi des quatuors à cordes. Ce
à quoi Danièle Pistone rétorque, dans son ouvrage La Symphonie dans
l'Europe du XIXe siècle, qu'il existait beaucoup d'autres compositeurs à en
avoir écrites, citant Onslow, Deldevez, Saint-Saëns, Bizet, Gounod, Reber,
Alexis de Castillon, Messager, Benjamin Godard. Et de conclure que
« Gouvy est une figure emblématique et l'initiateur du mouvement symphonique français au XIXe siècle, et dont l'importance est encore largement
sous-estimée. »
Vous avez travaillé également sur cet autre opéra de Gouvy, « Der Cid ».
Est-il possible d'en faire la comparaison avec « Fortunato » ?
Les deux seules compositions de Gouvy qui portent le nom d'opéra et qui
sont réellement des opéras, Der Cid et Fortunato, ont plusieurs points
communs. L'un et l'autre sont en allemand et ont été directement composés
dans cette langue alors que la plupart des ouvrages lyriques de Gouvy
-souvent en version bilingue-, ont d'abord été composés sur le texte français et ensuite, adaptés en version allemande. Il semble que Gouvy ait
voulu tirer parti de sa biculture franco-germanique et faire connaître audelà du Rhin, deux représentants de la culture française, l'un classique,
l'autre quasi-contemporain. Les deux ouvrages sont restés inédits et non
représentés, le premier en raison de la mort de son interprète principal, le
second par la mort de son auteur. Et maintenant, l'un et l'autre suscitent un
regain d'intérêt mérité.
Les différences ne manquent pas non plus : Der Cid, première initiative
dans le genre, est un grand opéra en trois actes volumineux, avec ballet,
grands airs. C'est l'opera-seria dans toute la force du terme sur un livret
réalisé par un tiers. Fortunato, dernière composition dans le genre, qui a
sans doute profité de l'expérience d'une bonne vingtaine d'ouvrages, est
ramassé en un acte comprenant huit scènes enchaînées, avec mise en scène
réduite, absence pratiquement totale de grand air, d'une grande intensité
psychologique et d'une grande force d'expression, cela étant peut-être dû en
partie au fait que Gouvy organise lui-même le livret qu'il met en musique.
Le statut des deux œuvres n'est pas le même non plus : Le Cid est une
œuvre intemporelle du théâtre classique, emblématique du dilemme
"cornélien" entre le devoir et l'amour. Mateo Falcone, une modeste nouvelle, presque une curiosité anthropologique, satisfaisant le désir romantique de l'ailleurs, même si Gouvy lui donne une portée beaucoup plus
"moderne", en campant, avec beaucoup de finesse, les profils psycholo-
En matière de théâtre parlé, de romans ou de nouvelles ayant servi de support au théâtre lyrique, on ne connaît guère, de Prosper Mérimée, que sa
Carmen, qui est devenue le plus célèbre et le plus joué des opéras à travers
le monde. Par contre, ses "nouvelles" sont moins connues, mais celle de
Mateo Falcone émerge cependant des trois autres qui l'entourent, en cette
même année 1829, et que sont La Chronique du temps de Charles IX,
Vision de Charles IX et L'Enlèvement de la Redoute. C'était encore un
jeune homme. Il avait alors 26 ans et il était un peu le Casanova des salons
littéraires.
Né à Paris en 1803, Prosper Mérimée eut comme père, un professeur de
dessin, et comme mère, un professeur de peinture. Elle était née Anne
Moreau et était une descendante de Marie Leprince de Beaumont, l'auteur
du célèbre roman La Belle et la Bête. Prosper Mérimée fait ses études au
Lycée Henri IV, puis entreprend des études de droit, obtenant son diplôme en 1823. Le libertin qu'il était alors, lutta un jour avec le mari de sa maîtresse, qui le blessera de plusieurs balles ! Puis, après une courte aventure
avec George Sand, il se passionnera pour Valentine Delessert, son égérie,
qui était la petite-fille du comte et politicien Alexandre de Laborde.
Mérimée sera membre du « Cénacle » de Victor Hugo, voyagera beaucoup,
se liera avec Stendhal, publiera « Le Théâtre de Clara Gazul », rendant
hommage à la comédienne Clara Gazu, puis, en 1827, à cette autre comédienne qu'était « Maglanovitch Hyacinthe ». En 1828, il publie La
Jacquerie, un drame historico-féodal. Arrive l'année 1829.
34
15
IV
PROSPER MÉRIMÉE : « MATEO »
AVANT « CARMEN »
d'amitié avec Camille Saint-Saëns, Edouard Lalo, Charles Gounod, le
violoniste Rodolphe Kreutzer, la cantatrice Pauline Viardot et les chefs
d'orchestre Jules Pasdeloup, Charles Lamoureux, Gabriel Pierné aux
Concerts Colonne…
Mais il est à peine cité dans La Musique des origines à nos jours (Larousse
1946) aux côtés d'autres compositeurs français et qui furent « les bons
ouvriers de la restauration du goût musical français… », tandis que, dans
le plus récent Dictionnaire usuel de la musique piloté par Marc Honegger
(Bordas 1995), on dit qu' « il ne reçut aucune formation musicale sérieuse
avant son arrivée à Paris (…) Compositeur sans envergure, Gouvy a, au
moins, retenu l'attention d'une époque qui voyait en lui un continuateur
français de Carl-Maria von Weber et de Beethoven (…) Il a défendu la
musique pure alors que la musique à programme était la principale occupation des compositeurs… ». Plus dur sera, sous la houlette de Marc
Vignal, le Dictionnaire de la musique (Larousse-Bordas 1999) où l'on peut
lire : « Tenant de la musique pure, Gouvy s'installe à Paris pour étudier le
droit, mais son aisance matérielle lui permit de se tourner vers la musique
(…) Il a composé dans un style assez impersonnel, six symphonies, … »
giques de l'enfant un peu
veule et roué, parce que
tiraillé entre un père trop
rigide et peu affectif et une
mère qui tente d'atténuer
cette sévérité en prenant
sa part de tendre complicité devant les ordres
paternels trop abrupts.
Une importance encore sous-estimée
Le musicologue René Auclair, spécialiste de Gouvy, a relevé aussi des
appréciations parfois peu amènes. Dans quelques Histoires de la musique
qui en parlent, on le considère comme « un inconnu des Français parce
qu'il méprisait autant l'italianisme, le théâtre, la musique à programme, et
qu'il dut s'exiler en Allemagne pour faire jouer ses symphonies, ses sonates et ses quatuors » (Norbert Dufourcq), tandis que Jules Combarieu relevait « son goût austère pour la musique pure (…) en avance sur la plupart
de ses contemporains ». Le plus enflammé des commentaires fut écrit par
le critique, célèbre alors, Léon Kreutzer, dans L'Union musicale d'avril
1854 : « Avec la centième partie du talent que possède M. Gouvy, on a le
droit d'être joué sur tous les théâtres lyriques, de porter la décoration de la
Légion d'honneur, d'être membre de l'Institut et de gagner 30.000 francs
par an. Mais pourquoi, diable, Monsieur Gouvy compose-t-il des symphonies ? »
René Auclair cite, malgré tout, une remarque réconfortante de la musicologue Danièle Pistone qui affirme que Gouvy n'était pas le seul compositeur français de son espèce, à partir d'une constatation faite au XIXe siècle
prétendant que la tradition symphonique qui existait en France au XVIIIe
siècle, s'était brutalement interrompue pour renaître miraculeusement avec
César Franck et la génération qui suivra. Et le commentateur de citer
14
Page de couverture manuscrite
de « Fortunato »
et
page de la partition de
la main de Gouvy.
35
VIII
ÉRIC CHEVALIER : « L'HONNEUR
PATERNEL NE PEUT ÊTRE RÉHABILITÉ
QUE PAR LE SANG DU FILS »
Eric Chevalier met en scène l'opéra
Fortunato. Il nous donne ses
impressions et les jugements qu'il
porte sur l'œuvre, sur ses personnages, sur la façon dont ils se comportent et qui se traduiront dans la
conception scénique qu'il en a.
« L'action pourrait se dérouler dans
n'importe quelle société primitive »,
précise-t-il. « Le meurtre du fils par son père (qui confère à cette histoire
corse sa dignité de tragédie antique), est une invention de Mérimée qui
disposait, plus banalement, d'un reportage relatant l'exécution d'un traître
par sa famille. La différence majeure que j'observe, est que le rôle de la
mère est inexistant dans la "nouvelle" par rapport à l'opéra. Son action est
intolérable. Dans les adaptations cinématographiques, où radiophoniques
de la "nouvelle", cette situation est normalisée. Mérimée, lui, ne s'attendrit
pas. »
Eric Chevalier : l'honneur paternel
ment dans le Colorado. Il a fait un
considérable travail de recherche
aux Etats-Unis en comptabilisant
toutes les œuvres de Gouvy jouées
dans les universités américaines.
Je n'oublierai pas la fondation, en
2009, de la Theodor Gouvy
Gesellschaft par un jeune chef
d'orchestre français, Vincent
Borritz, qui est actuellement professeur à la Musikhochschule de
Dresde. A Dresde, nous avons
aussi le projet d'une Académie
Sylvain Teutsch, président de l'Institut Gouvy :
d'été, avec un concert de Lieder de
« L'an prochain, un Festival Gouvy… dans le Colorado ! »
Gouvy, et qui se déroulera dans la
Villa de Carl Maria von Weber et sur son piano à queue !
Enfin, sur le plan des enregistrements, on va vers l'intégrale des symphonies de Gouvy dont quatre d'entre elles ont déjà été gravées l'an dernier,
sous la direction de Jacques Mercier avec la Deutsche Radio Philharmonie
de Sarrebrück-Kaiserslautern.
Tout est en boîte pour les suivantes. Gouvy en a écrit six, une a été perdue,
mais il y a une seconde version de la 6e avec, en plus, une Sinfonietta et
une Symphonie brève. Gouvy a un bel avenir devant lui…
Un chef français, un orchestre allemand, tout un symbole. Gouvy
n'avait-il pas la double culture ? Le voici maintenant qu'il joue à
l'international. Une réhabilitation réussie.
C.L.M. : Comment analysez-vous le comportement de chaque personnage ?
Eric Chevalier : Fortunato est le héros malheureux -infortuné-, de cet
opéra, et, pourtant, il semble bien ne faire aucun doute que Mateo en est la
figure emblématique et omniprésente. Pourtant, de la page onze jusqu'à la
page soixante-sept de la partition, son fils, Fortunato, est seul face à ses
responsabilités.
Mateo, lui, est animé de la "virtu" qui caractérise les hommes non civilisés. Pur, intransigeant, il détient la quasi-totalité des valeurs traditionnelles
qui importent à Mérimée. Il tue son fils, le seul garçon de la famille, pour
avoir dérogé aux lois de l'hospitalité. Un fils qui a transgressé la religion
Bien que Théodore Gouvy se soit fait des relations dans le monde musical
parisien et ait fréquenté les artistes et les compositeurs de son époque, les
historiens de la musique, les critiques musicaux et autres commentateurs
ont eu parfois la dent dure à son endroit. C'est l'époque qui voulait cela.
Certes, il eut des contacts professionnels chaleureux et il s'est aussi lié
36
13
III
ON N'A PAS TOUJOURS ÉTÉ TENDRE
AVEC THÉODORE !
nouveau dans les autres quatuors et quintettes, et tous ces disques ont obtenu des distinctions : Choc de la musique, 9 de Répertoire, 5 diapasons, sans
compter les critiques et les articles de journaux et de revues spécialisées…
Un véritable musée que l'Institut Gouvy !
Le phénomène Gouvy est contagieux, puisqu'il s'est répandu auprès des
éditeurs, des maisons de disques, des festivals étrangers. Où en est
actuellement sa progression ?
Les enregistrements se sont multipliés avec l'Electre chantée par Françoise
Pollet à l'occasion du centenaire de la mort du musicien ; puis l'Institut a
entrepris l'édition ou la réédition de partitions, a rassemblé des documents,
des photographies, des correspondances, -on a recensé 723 lettres !- , des
souvenirs du musicien, des objets liés à sa vie et à son œuvre, on a répertorié toute sa musique… Un véritable musée. En créant une dynamique
autour de Gouvy, l'Institut s'est attaché également à retrouver d'autres
oubliés de l'histoire, dont son neveu Léopold qui signait sous le pseudonyme d’« Opol Ygouv » et qui a écrit des œuvres intéressantes.
Je citerai le Catalogue complet des œuvres de Gouvy réalisé par René
Auclair, son mémoire de DEA, l'ouvrage de doctorat de Martin
Kaltenecker, et son analyse d'œuvres inédites, le DEA réalisé sur la correspondance de Gouvy, l'apport important de Mme Pistone, musicologue,
qui lui a valu d'être nommée présidente d'honneur de notre Institut…
De plus, l'Institut a noué, depuis plusieurs années, de nombreux partenariats, notamment avec les institutions allemandes, la Musikhochschule de
Sarrebrück, les Universités de Leipzig et de Hambourg.
Figurez-vous que l'Institut a retrouvé la toute première biographie du compositeur, écrite et publiée à Berlin en 1902, par Otto Klauwell, musicologue et directeur du Conservatoire de Cologne et qui avait connu Gouvy !
L'American Gouvy Society de Littleton
Racontez-nous comment l'Institut a-t-il noué des partenariats en
Amérique et quels sont ses projets futurs ?
En Amérique, oui. On est entrain de préparer l'année Gouvy qui aura lieu
l'an prochain. Elle se concrétisera notamment par la création d'un Festival
Gouvy à Denver dans le Colorado. Et ce festival a été fondé par un correspondant américain, musicologue, pianiste, nommé Robin Mac Lean, qui
avait créé, déjà en l'an 2000, l'American Gouvy Society à Littleton, égale12
de l'hospitalité dont l'honneur paternel était le garant. L'hospitalité est donc
"homérique". Fortunato transgresse ainsi l'honneur paternel, et cet honneur
ne peut être réhabilité que par le sang du fils. C'est le droit de prendre de
la chair lorsqu'il y a faute. (dette/Schuld).
Ainsi il y a donc dans Mateo Falcone, le conflit de deux légalités, l'une
archaïque, l'autre "civilisée". C'est le désir, la convoitise, qui pousse
Fortunato à transgresser cette loi de l'hospitalité et un désir infantile d'être
"comme papa", de faire la loi comme lui et de posséder comme lui "le bon
objet", tout en sachant que c'est interdit.
Vous parlez de métaphore animale, s'agissant de Mateo Falcone. Quelle
analyse psychologique en faites-vous ?
Un faucon. Un chef de clan. Un prédateur. Comme s'il s'agissait de saisir
en l'homme ce qui relève de sa nature la plus instinctive. Nul ne peut soutenir le regard de Mateo qui hypnotise, pour ainsi dire, Fortunato, obéissant
jusqu'à la dernière minute. C'est Mateo qui a choisi le nom de son fils (on
ignore tout du prénom des trois filles qui l'ont précédé). Mateo est à la fois
juge, prêtre et bourreau. Ou il renie ses valeurs, et il accepte un traître dans
sa famille, et la transmission d'un nom souillé par le déshonneur. Ou l'application stricte du code de l'honneur et la mise à mort de celui qui, "le premier de sa race", s'est rendu coupable de trahison. Ce faisant, il accepte
l'extinction de son nom en toute conscience.
Fortunato est-il victime ou coupable selon vous ?
Fortunato est soumis à l'autorité du "pater familias", maître après Dieu sur
sa famille. Et dans cette famille, les sentiments ne s'extériorisent pas. On
notera le caractère possessif et violent des liens qui unissent cette famille.
Par conséquent, Fortunato a conscience du prestige de son père, ce qui
explique son arrogante insolence face à Gamba. Dans ce type de société
primitive, l'enfant n'est pas l'objet d'attendrissement. C'est bon pour les
nourrices et les femmes, jusqu'à ce que le garçon ait l'âge d'apprendre à
devenir un homme auprès de son père. Ce fils doit garantir la continuité du
nom. Il vit loin de la ville corruptrice. L'enfant n'est pas attiré par la valeur
marchande de l'objet qu'on lui donne (la montre). Il est, par contre, comme
un primitif, attiré par ce qui brille. Alors est-il coupable ? Le destin ne l'at-il pas mis, tragiquement, dans une situation au dessus de ses forces ?
Opéra d’une simplicité chirurgicale
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N'y a-t-il pas une ambiguïté autour du nom du gendre, Tiodoro ?
Après le meurtre, dans la "nouvelle", Mateo, en effet, remplace tout bonnement le fils coupable assassiné, par un fils adoptif, son gendre Tiodoro
(Théodore), ce qui veut dire "don de Dieu", et par contraste avec l'infortuné Fortunato, le mal nommé qui a démenti son propre nom. Or, l'étymologie de Tiodoro (Theodoros en grec), et celle de Mateo (Mathieu en français
et Mattayahu en hébreux), sont semblables. Ces deux prénoms signifient :
don de Dieu. En quelque sorte, Mateo fait venir son double. Mais ce qui
surprend plus encore, c'est que l'adjudant Gamba se prénomme aussi
Tiodoro… tout comme Gouvy se prénomme Théodore ! Tiodoro serait-il
alors une autre réplique du père ? C'est en tout cas la figure du "tentateur".
L'homme de la ville, de la civilisation "moderne". Pour lui, les moyens utilisés importent peu. C'est le résultat qui compte.
Que tirez vous de ces réflexions dans votre mise en scène ?
L'opéra, tout comme la "nouvelle", adoptent une forme brève, concise,
d'une précision voisine de l'algèbre. Il n'y a aucune phraséologie, aucune
enflure, aucun accent d'élégie. C'est d'une simplicité chirurgicale. Pour
moi, Mateo Falcone narre la mort d'une société primitive au contact de la
civilisation, non par une destruction venue de l'extérieur, mais par autodestruction, car elle porte le mal en elle-même, à l'intérieur d'un de ses membres le plus fragile et le plus émouvant.
Dans ma mise en scène, les costumes (signés Danièle Barraud), illustreront
la confrontation de ces deux sociétés. Ainsi, Falcone, sa femme, son fils,
Sanpiero et Beppo seront en costume traditionnel corse. Gamba et les flics
seront en costumes contemporains.
La part prise par la scénographe Ange Leccia est, pour moi, primordiale
dans ce spectacle. Son travail et le mien ont été intimement liés.
Je considère aussi que Les Douze chants de l'Ile de Corse d'Henri Tomasi
qui introduisent le spectacle, (voir le chapitre sur Henri Tomasi), sont hors
le temps, hors-jeu pourrait-on dire. Mateo Falcone lui, est en temps réel.
L'action se déroule vraiment sur 40 à 45 minutes. L'idéal du théâtre classique voulait que le temps de l'action corresponde au temps de la représentation. La "nouvelle" s'apparente à la tragédie classique par l'unité de lieu,
de temps, et d'action.
* Notes bibliographiques d'Eric Chevalier :
Antonia Fonyi Préface pour l'édition GF Flammarion de Mateo Falcone ;
Jacques Chabot L'autre moi, fantasmes et fantastique dans les "nouvelles"
de Mérimée ;
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« Un festival, merveilleux champ d'exploration
des œuvres… »
Et c'est en leur adjoignant le nom de « Festival international Théodore
Gouvy » et en dédiant ses « Rencontres musicales » à son compositeur, que
sa ville s'est engagée délibérément dans sa réhabilitation, lui qui était
tombé dans l'oubli après sa mort.
Dès 1992, on a donc réussi à faire réinterpréter ses œuvres. Le phénomène
déclencheur fut la résurrection de son Requiem en 1993, le Festival étant
devenu un merveilleux champ d'exploration de ses ouvrages. Aujourd'hui,
plus d'une trentaine de ses compositions ont déjà pu être créées ou recréées,
et présentées au cœur même où elles avaient été écrites, puisque Gouvy
vécut à Hombourg-Haut les trente dernières années de sa vie et où il y composa ses ouvrages les plus importants.
Quand les institutions régionales se sont-elles intéressées à la renaissance de Gouvy et quels sont les artistes qui se sont investis dans ses
œuvres ?
C'est justement à ce moment là, que la Région Lorraine s'est passionnée
pour le phénomène lorsqu'elle entreprit d'orienter sa politique vers le patrimoine lorrain en créant « Mémoires musicales de la Lorraine ». Les musicologues, les historiens, les musiciens ont participé aux découvertes et, très
vite, dans la foulée du Requiem, on joua la Cantate du printemps. En 1995,
le Quatuor Denis Clavier entreprit l'enregistrement d'un des quatuors et
d'un des quintettes de Gouvy, sur la douzaine qu'il a écrits, et la cantatrice
messine Cyrille Gerstenhaber en chanta les mélodies et les Lieder. Et, tous
ces disques furent édités dans
la série des Mémoires musicales. 1995, c'est aussi l'année
où fut fondé l'Institut Gouvy,
sur les lieux mêmes où sa
musique avait été composée,
c'est-à-dire la Villa Gouvy, résidence de la famille et acquise
par la ville de Hombourg-Haut.
Les enregistrements se sont
succédé : en 96, ce fut le Stabat
Mater puis la cantate Egill sur
La Villa Gouvy de Hombourg-Haut qui abrite l'Institut Gouvy
une légende scandinave, en 98,
(Photo Claire Leber)
le Quatuor Clavier s'investit à
11
à la reviviscence de ses œuvres, et à les faire connaître de par le monde.
Etapes d'un passionné…
Khama-Bassili Tolo L'intertextualité chez Mérimée, l'étude des sauvages ;
René Girard La violence et le sacré.
A partir d'un tombeau en forme de métronome !
IX
C.L.M. : Comment avez-vous été amené à vous intéresser à Théodore
Gouvy ?
Sylvain Teutsch : J'étais enfant, je chantais à la chorale et j'habitais un
quartier pas loin du cimetière. Un jour, j'aperçus, au fond, une tombe élancée comme une pyramide. La stèle avait la forme d'un métronome sombre
sur lequel se détachait un médaillon blanc qui portait l'effigie et le nom de
Théodore Gouvy, compositeur (1819-1898). J'en fus intrigué et, depuis, j'ai
toujours voulu savoir qui était-il et éclaircir ce mystère. Le déclic se produisit lorsqu'un jour où, alors que j'étais président du Chœur d'hommes de
Hombourg-Haut, la ville reçut la visite d'un étudiant en Sorbonne accompagné de descendants de la famille. Si un étudiant, en l'occurrence Martin
Kaltenecker (qui choisira plus tard, pour sujet de thèse de doctorat,
Théodore Gouvy), s'intéressait à lui, je me suis dit qu'il était vraiment un
grand compositeur. Or, si le Chœur d'hommes existait (on avait célébré en
1990, le 125e anniversaire de sa fondation), c'est parce que les chanteurs
qui en faisaient partie à l'origine, étaient tous des ouvriers et des employés
travaillant aux Etablissements Gouvy, et que, donc, Théodore Gouvy y
était pour quelque chose…
CÉSAR CUI : UN FALCONE À LA RUSSE
Après ce déclic, comment la ville de Hombourg-Haut s'est-elle investie
dans ce que l'on peut appeler une aventure ?
C'est justement en 1990, afin d'illustrer avec plus d'éclat la célébration des
125 ans du Choeur, que ce dernier, avec la municipalité, avons décidé de
créer « Les Rencontres musicales de Hombourg-Haut ». Notre souci principal était de toucher le public le plus large possible et de renouer avec le
riche passé historique et culturel de la cité, de par la présence de la famille
Gouvy. Cette rencontre magique de la musique et de l'histoire ne pouvait
trouver meilleur cadre que celui de la Collégiale Saint-Etienne, admirablement restaurée et témoin d'une histoire presque millénaire, l'édifice ayant
été classé en 1930 Monument historique. Et n'est-ce pas sous les voûtes
séculaires de cette église que furent célébrées, le 27 avril 1898, les
obsèques du compositeur mort six jours auparavant à Leipzig avant d'être
inhumé dans le caveau familial ?
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On ignore si le compositeur russe César Cui connaissait le Mateo Falcone
de Théodore Gouvy. Toujours est-il qu'il composa, entre 1906 et 1907, un
opéra, pareillement en un acte et portant le même titre, ce qui, en cyrillique,
est assez complexe mais qui devient, dans sa transcription : Mateo
Fal'kone. Il le désigna plus précisément comme étant une scène dramatique. Le livret est inspiré du même Prosper Mérimée et adapté de Vassili
Joukovski. L'ouvrage a été créé en décembre 1907 au Théâtre du Bolchoï
de Moscou, mais ce fut un échec. Il semble que son sujet, bien loin des
arguments des opéras du répertoire russe, ait laissé le public indifférent. Et
l'ouvrage, semble-t-il, n'a jamais été repris. La musique est de style déclamatoire avec récitatifs mélodiques, s'inspirant d'Alexandre Dargomyjsky
qui exerça une profonde influence sur lui. Les passages orchestraux suggèrent un décor rustique par le biais d'une barcarolle, le final s'achevant sur
la prière d'inspiration latine, Ave Maria. Les personnages sont identiques à
ceux de l'opéra de Gouvy et une réduction pour piano et voix en avait été
réalisée. Mateo Falcone est le dernier des trois opéras en un acte de César
Cui, les deux autres étant La Fête en temps de peste et Mademoiselle Fifi.
On rappellera que César Cui fit partie du "groupe des cinq" inspiré par
Balakirev et comprenant Rimski-Korsakov, Borodine et Moussorgski, dont
Cui acheva son opéra La Foire de Sorotchinsky.
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Henri Tomasi (1901-1971)
X
HENRI TOMASI : « IL FAUT
AVOIR LA CORSE DANS LE
SANG POUR AVOIR LE
POUVOIR DE LA CHANTER »
Bien que d'ascendance corse, Henri Tomasi est né à Marseille en 1901, où
il étudia le piano et où il fut ami avec le violoniste Zino Francescatti, le
dédicataire de plusieurs de ses œuvres. Diplômé du Conservatoire supérieur de Paris, il remporte le Premier Second Prix de Rome avec sa cantate Coriolan. Chef d'orchestre à Radio-Colonial, il sera un acteur important de la vie musicale française et adhérera au groupe "Triton" qui réunissait Darius Milhaud, Arthur Honegger, Francis Poulenc, sans pour autant
être dans la modernité d'écriture de l'époque où il était considéré comme un
néo-classique. Pendant la guerre, il dirigea l'Orchestre national, mais, pacifiste convaincu, il se retirera à l'Abbaye Saint-Michel de Frigolet où il
composera notamment un Requiem pour la paix et un opéra Don Juan de
Manara. Après guerre, il reprendra son activité de chef d'orchestre et il
composera des œuvres de concours pour le Conservatoire de Paris, dont
son Concerto pour trompette qui connaîtra la célébrité de par ses interprètes, Maurice André et Wynton Marsalis.
Dans les années 50, il fut vivement attaqué par les compositeurs d'avantgarde, pratiquant la musique dodécaphonique, Tomasi se considérant
comme un compositeur indépendant.
« La Corse reste encore à découvrir... »
Tomasi avait la fibre du Corse et disait que « la vraie Corse reste encore à
découvrir par les librettistes qui ne croient pas seulement aux bandits en
escopette, et par les musiciens qui ne se contentent pas d'une chanson
populaire pour exprimer les tréfonds de l'âme d'une race antique, indépendante et fière comme la nôtre ».
Il affirmait aussi que ses œuvres d'inspiration corse étaient folkloriques
sans l'être. « Il faut avoir la Corse dans le sang pour avoir le pouvoir de la
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l'Institut.
« Ce qui nous arrive aujourd'hui est une reconnaissance extraordinaire, ajoute Sylvain Teutsch. C'est, de plus, un beau challenge car ce
sont des projets exceptionnels et nous sommes conscients de l'enjeu
de ces réalisations. Leur mise en chantier a représenté pour l'Institut,
une masse de travail dans l'édition de ces ouvrages qui n'avaient pas
été montés du vivant du compositeur. Masse de travail aussi pour la
livraison du matériel et gros investissement financier pour notre petite structure. Mais ceux qui s'y dévouent ont voulu relever le défi… »
Une sérénade pour Metz
Retour d'un voyage à Leipzig, Théodore Gouvy fit escale en 1850 à
Metz ou habitait sa mère. Le 23 novembre, il fit à l'hôtel de ville une
déclaration stipulant que, résident en France depuis 1830, il voulait
élire son domicile à Metz et sollicitait la jouissance de la nationalité
française. Il séjourna quelques mois dans cette ville, retourna à Paris
et dédia à l'association messine "l'Union des Arts", une Sérénade pour
le piano. Ce morceau, gravé par Toussaint, parut dans la Revue
publiée en 1852 par cette société. Plusieurs œuvres du compositeur
ont été exécutées à Metz, et que les journaux et revues saluèrent de
façon élogieuse. En 1859, il fut à nouveau de passage à Metz où il
exécuta, avec des musiciens amateurs, le Trio pour violon, piano et
violoncelle de sa composition. La relation de ces séjours sont mentionnés dans le « Dictionnaire des Musiciens de la Moselle » de JeanJulien Barbé, archiviste de la ville (Edition Le Messin, 1929) avec une
préface de René Delaunay, alors directeur du Conservatoire.
II
SYLVAIN TEUTSCH :
« C'EST L'HISTOIRE DE NOTRE
GRANDE RÉGION… »
Président de l'Institut Théodore Gouvy, Sylvain Teutsch, né à
Hombourg-Haut, est à l'origine de la redécouverte du compositeur,
inhumé au cimetière de cette ville, et auquel il s'est intéressé depuis
son enfance. Il nous conte les étapes qui ont conduit cette institution
9
Gouvy de Hombourg-Haut, et auquel on doit la renaissance de Gouvy, car
il a constitué voici plus de vingt ans, un comité particulièrement actif avec
les membres du Chœur d'hommes de Hombourg-Haut en particulier, et qui
en fut un des choristes : « On s'est entouré de musicologues et de spécialistes qui ont démontré que Gouvy symbolisait parfaitement la richesse
culturelle de notre région. Sans cesse ballotté entre deux expressions, latine et germanique, ne vivant que sous leur influence, il ne peut s'en démarquer. Elles ont été son inspiration et, finalement, sa particularité et sa force,
en en faisant un Européen avant l'heure… ». C'est ce qu'il avait affirmé
lorsqu'il apprit qu'on allait créer ses deux opéras.
chanter », disait-il dans les années 1930. « Ainsi, sans vain orgueil, je crois
bien être le seul musicien à avoir ce droit là. »
Dans son œuvre Kyrnos, il dépeint les paysages corses rappelant les premiers phocéens et oppose un thème tragique de vocero et un autre plus vif
de danse. «De l'exaltation la plus insouciante au pessimisme le plus noir»,
disait ce profond méditerranéen. Ses Douze chants pour l'Ile de Corse
écrits pour chœur a cappella, en sont le reflet. Et ils ne sont pas sans rappeler les chants populaires qu'interprètent, dans les églises comme dans les
montagnes, les groupes et chorales de l'Ile. Ces Douze chants pour l'Ile de
Corse très rarement interprétés, forment un pendant logique avec l'opéra
Fortunato (Mateo Falcone) de Théodore Gouvy.
Un film, des disques, un colloque…
Depuis deux ans, les événements se sont succédé. L'intégrale discographique de ses symphonies est en passe d'être gravée avec la Saarländischer
Rundfunk de Sarrebrück-Kaiserslautern sous la direction de Jacques
Mercier ; le film documentaire intitulé Le Mystère Gouvy est sorti en 2009,
et les Actes du colloque consacrés au compositeur ont été publiés. Ce colloque "international" s'est tenu à Sarrebrück et à Hombourg-Haut avec des
musicologues connus, dont René Auclair (qui en a dirigé les éditions),
Danielle Pistone, Martin Kaltenecker… Les communications bilingues
portaient aussi bien sur « Gouvy et le discours de la musique sérieuse » que
sur « Gouvy et l'écriture violonistique », « Mélodies et Lieder dans
l'œuvre de Gouvy », « Entre élégance française et vigueur allemande »…
Pour Sylvain Teutsch, « le film constitue une belle carte de visite pour
l'Institut et pour toute la région. Il a fait l'objet de transactions avec les
chaînes de télévision et il est commercialisé en DVD. Les Actes du colloque lèvent le voile sur une part secrète de l'homme et de son œuvre.
Quant au projet discographique proposé à la Radio sarroise avec le soutien
de la Région lorraine, il s'est étendu à d'autres réalisations, dont l'enregistrement de la grande cantate Iphigénie en Tauride. D'autres objectifs se
sont concrétisés avec le Philharmonique du Wurtemberg qui a réalisé un
disque Gouvy avec un éditeur suédois. Un autre avec une firme belge. Et,
avec Internet, on découvre que les sites et les radios sont de plus en plus
nombreux de par le monde à diffuser la musique de Gouvy… »
Deux opéras : « une reconnaissance extraordinaire »
La mer violente, les nuages, la foudre, les pierres...
Pour Les Douze chants de l'Ile de Corse, les premières images projetées de
la scénographe Ange Leccia donneront les clés de ce que sont les protagonistes de Mateo Falcone. Et en premier lieu d'où ils viennent.
Š L'eau, la mer, les vagues d'une mer violente, effrayante, glacée. Puis,
naissent les premières mesures des trois premiers chants. Les femmes se
sont mises en place pendant la première projection ; on les distingue au travers d'un voile. Lorsqu'elles chantent, l'image se met en boucle. Un silence s'installe après les trois premiers chants.
Š L'air, le ciel. Aux vagues, succèdent les nuages, dans le même esprit que
la séquence précédente ; puis trois autres chants interviennent sur les images en boucle. Nouveau silence.
Š Le feu, l'orage et la foudre. Ensemencement. Trois chants suivants.
Silence.
Š La terre, les montagnes, les pierres. Elles seront évoquées dans les trois
derniers chants. (les Voceri). Les montagnes, le maquis, représentent le
monde de la tradition, des valeurs auxquelles tient Mateo. Ils sont un lieu
de refuge pour les proscrits, ainsi qu'un lieu de sacrifice humain. Les montagnes sont considérées comme conservatrices des coutumes
anciennes en matière de funérailles. Fortunato lui, rêve de la ville. Le lieu
où vit Falcone est <à la lisière>, entre le maquis et Porto Vecchio.
Après la résurrection de son corpus symphonique, de ses oeuvres religieuses et de sa musique de chambre, c'est la renaissance de ces deux opéras :
Fortunato (Mateo Falcone), et Der Cid (Le Cid) qui occupent maintenant
Le silence revient sur la fin du dernier chant. L'image filmée se fige ou
s'estompe pendant que les femmes ayant interprété les chants, sortent. C'est
à partir de là que l'orchestre se met en place sur le même temps. Fortunato
commence…
8
41
XI
LES ARTISTES DE LA DISTRIBUTION
JACQUES MERCIER, CHEF D'ORCHESTRE
Premier prix de direction d'orchestre à l'unanimité au Conservatoire supérieur de Paris, premier prix au Concours de Besançon, Jacques Mercier fut
l'assistant de Pierre Boulez et bénéficia des conseils de Karajan. Il entame
rapidement une carrière internationale et dirige de prestigieuses formations. Qualifié de "Souveräner Dirigent" à Berlin, il se produit dans les
festivals dont celui de Salzbourg. Et Madrid où il est cité comme « l'un des
meilleurs chefs français et européens de sa génération » par la critique. De
1982 à 2002, il sera directeur artistique et chef permanent de l'O.D.I.F.
devenu national, et Pierre Petit, dans Le Figaro, dira de lui « qu'il a donné
la preuve irréfutable de son grand talent fait de précision et de maîtrise,
mais aussi de flamme et de panache… » Préalablement, il fut durant sept
ans chef permanent du Turku Philharmonic en Finlande, et ce sera pour lui
une expérience déterminante de son approche des compositeurs d'Europe
du Nord dont Sibélius. Mais son talent s'exerce aussi dans le répertoire
français, son territoire de prédilection. Il s'illustre également dans le répertoire contemporain, créant en particulier, des œuvres de Xénakis, Luis de
Pablo, Philippe Manoury et Wolfgang Rihm…
Il a réalisé de nombreux enregistrements discographiques. Il s'est vu décerner le Grand Prix de l'Académie Charles Cros pour Bacchus et Ariane
d'Albert Roussel et le Prix de l'Académie du disque lyrique pour Djamlileh
de Bizet. Son Martyre de Saint-Sébastien de Debussy lui a valu un Choc
du Monde de la Musique. Son domaine de l'opéra porte essentiellement sur
le répertoire français. Elu Personnalité musicale de l'année 2002 par le
Syndicat professionnel de la critique dramatique et musicale, son premier
enregistrement avec l'O.N.L. porte sur L'An Mil de Gabriel Pierné qui lui a
valu le Diapason d'or de l'année 2007. Son second disque paru en 2008,
consacré à Antoine et Cléopâtre de Florent Schmitt, a également obtenu un
Diapason d'or. En janvier 2011, Jacques Mercier et l'O.N.L. ont remporté
un vif succès pour leur tournée en Allemagne.
Théodore Tilmant, il peine à les faire jouer en concert. Ce sera, certes, le
début d'une production ininterrompue. Or, les éditeurs français rechignent
à les publier, beaucoup d'entre elles étant jouées à partir des manuscrits.
De son premier voyage en Italie, en 1844, il ne garde pas les meilleurs souvenirs, car la vie musicale lui semble trop pompeuse et superficielle, et il
déteste notamment le faste des offices religieux. Il séjourne à Frascati, à
Naples, puis à Bologne où il rencontre Rossini, et croise ses amis, Eckert
et le compositeur Niels Gade.
Le pérégrin, retour à Paris, devra même louer une salle et payer un orchestre pour faire jouer sa première symphonie ! C'était en 1847.
Heureusement, ce fut un succès. Mais il devra attendre l'année 1851 pour,
qu'à trente-deux ans, on lui accorde la nationalité française, et encore, par
naturalisation.
L'année précédente, la famille Gouvy rachetait aux De Wendel, les forges
de Hombourg-Haut. Et Gouvy partagera alors ses séjours entre la maison
familiale, la Villa Gouvy, et ses voyages à Paris, à Leipzig et autres villes
allemandes.
Des encouragements d’Hector Berlioz
Son nom s'impose aux oreilles de Berlioz qui écrivait alors ses critiques
musicales dans le Journal des débats. Que disait-il de Gouvy, en 1851 ?
« Qu'un musicien de l'importance de Gouvy soit encore si peu connu à
Paris, alors que tant de moucherons importunent le public de leur obstiné
bourdonnement, il y a de quoi indigner les esprits naïfs qui croient encore
à la raison et à la justice des nos mœurs musicales… » On ne pouvait
mieux dire.
Or, c'est bien dans les grandes villes musicales allemandes que les mélomanes raffoleront le plus de ses œuvres. A Berlin, Cologne, Dresde,
Wiesbaden, Francfort, Leipzig… Si on l'a moins joué dans l'Hexagone
qu'Outre-Rhin, c'est qu'en France, l'époque était dominée par le grand
opéra et l'opéra-comique, alors que la terre de Goethe cultivait davantage
la musique symphonique. Et c'est vrai que la musique de Gouvy, qui a subi
l'influence de Mozart, de Beethoven et de Mendelssohn, puis de Brahms,
reflète cette double culture, car on y décèle à la fois la grâce et la légèreté
bien françaises, et plus particulièrement, la limpidité et le classicisme de
Saint-Saëns, tout comme les formes et la consistance germaniques.
« Sans cesse ballotté entre deux expressions... »
C'est bien ce que confirme d'ailleurs Sylvain Teutsch, président de l'Institut
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7
Un bachelier de Metz
La mère du jeune Théodore est originaire de Metz. A six ans, le petit musicien improvise sur une harpe à huit cordes. A huit, en 1827, il est collégien
à Sarreguemines (en France), et suit des cours privés de piano. Après le
décès de son père, en 1829, il entre au Lycée de Metz, ville où son oncle,
Joseph Aubert, est négociant, et où sa mère s'installera, de 1830 à 1835. A
dix-sept ans, il décroche son bac de philo au Lycée… de Metz.
Sa mère avait formulé une demande de naturalisation pour son fils en 1834.
Elle est refusée par les autorités ! Oui, car il doit d'abord résider une
dizaine d'années en France pour que la démarche soit honorée. Sa mère,
toujours, veut qu'il devienne juriste. Théodore s'inscrit d'abord en faculté
de droit à Paris, mais sa nationalité allemande restreint ses ambitions. Or,
le code civil comme le code pénal ne sont pas sa tasse de thé. Il renoncera
à la magistrature après avoir échoué à son examen en 1839. Et il se lance
dans la vie musicale.
Etranger en son pays ?
Cependant, on lui refuse l'accès à l'enseignement officiel au Conservatoire
de Paris, parce qu'il est né teuton. Etranger en son pays ? Il part alors à la
recherche d'un professeur de piano. Il s'adresse à Henri Herz, pianiste assez
connu mais qui, devant partir pour une tournée de concerts et de récitals,
lui recommande Edouard Billard, son propre élève. Tenté par la composition musicale, il suit les cours de contrepoint et d'harmonie que lui prodiguera Antoine Elwart qui fut Prix de Rome en 1834, et qui est réputé, diton, pour être un "grand causeur". Puis il s'inscrira aux cours de piano du
plus célèbre Pierre-Joseph Zimmermann, qui brillait alors dans les salons
artistiques parisiens. Ses leçons de violon, il les suivra auprès de Carl
Eckert. Ils deviendront amis. Il prend aussi des cours auprès de
Kalkbrenner, qui fut également le professeur de Chopin. Il va se lier avec
les compositeurs de son époque, Camille Saint-Saëns, Adolphe Adam,
Gabriel Fauré, Théodore Dubois, le violoniste Henri Vieuxtemps,
Emmanuel Chabrier, et, bien plus tard, Gabriel Pierné. Fort des lettres de
recommandation de son ami Eckert, il part, en 1842, pour l'Allemagne, par
Mayence, Francfort. Il écoutera les Schumann, Robert et Clara, en concert
à Leipzig, et séjournera à Berlin jusqu'en juillet 1843.
Les éditeurs français font la fine bouche !
Ses premières compositions, livrées dès 1841, (il a 22 ans), connaissent un
bon accueil. Mais, malgré les recommandations du chef d'orchestre
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ÉRIC CHEVALIER, METTEUR EN SCÈNE
Originaire de Nantes, Eric Chevalier entre en 1978 à l'English National
Opera de Londres et conçoit, dès 1979, ses premiers décors dont celui des
Saltimbanques pour l'Opéra royal de Liège. Il entre au bureau d'études de
l'Opéra de Paris en 1981 et, en 1983, y est nommé chargé de production. Il
poursuit conjointement une activité de décorateur et de metteur en scène
signant successivement plusieurs productions en France, en Autriche, en
Allemagne, en Corée du Sud… Il a notamment mis en scène Les Contes
d'Hoffmann et Roméo et Juliette à Séoul, puis Le Pescatrici à Metz, Don
Quichotte à Tours, Rennes et Angers, Carmen et Faust à Carcassonne, et
embrasse à peu près tous les grands ouvrages du répertoire lyrique, et,
parmi eux, des pièces contemporaines dont Erzebeth de Charles Chaynes
dont il mit également en scène son Mi Amo r donné, il y a plusieurs saisons, en création à l'Opéra-Théâtre de Metz. C'est depuis 1994 qu'il aborda conjointement la mise en scène et les décors. Nommé en 2003/2004 à la
tête de l'Opéra-Théâtre de Metz, il a signé chaque saison, une ou plusieurs
mises en scène, dont la re-création du Caïd d'Ambroise Thomas dans le
cadre de la Première Biennale consacrée au compositeur né à Metz, celle
de L'Amant anonyme du Chevalier de Saint-Georges, celle de L'Attaque du
Moulin d'Alfred Bruneau… Parmi les pièces de théâtre lyrique contemporain, on signalera Der Prozess de von Einem, Les Bonnes de Peter
Bengston, Le Renard d'Isabelle Aboulker, et, parmi ses mises en scène de
théâtre parlé, La Fiancée du matin d'Hugo Claus, Orage de Strindberg et
Poil de carotte de Jules Renard.
DISTRIBUTION VOCALE :
VALÉRIE CONDOLUCCI, soprano, rôle-titre de Fortunato
De nationalité franco-italienne, cette soprano lyrique léger, après avoir
obtenu deux médailles d'or (chant et musique de chambre) au
Conservatoire d'Arras, intègre l'Atelier lyrique de l'Opéra de Paris où elle
aura comme professeurs, Janine Reiss, Christa Ludwig, Renata Scotto,
Tereza Berganza et Alain Vanzo. Elle remporte le Prix lyrique du Cercle
Carpeaux de l'Opéra de Paris, le Prix de la mélodie au Festival de
Marmande et le Prix de la Ville de Paris. Elle débute au Centre de
Formation lyrique de l'Opéra de Paris dans le rôle-titre de Roméo et
Juliette, dans Gianni Schicchi, La Flûte enchantée, Carmen et Manon.
Puis, elle assume des rôles, toujours à l'Opéra de Paris, dans Carmen,
Manon, Parsifal, Peter Grimes. Elle signe des contrats dans les opéras de
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province à Nice, Angers, Rouen, Limoges, Toulon, Aix-les-Bains… Sa carrière s'oriente ensuite vers l'international, où elle chante Gilda dans
Rigoletto à Oslo, Zerlina de Don Juan, ainsi que Didon et Enée à
l'Aberdeen de Youth International Festival ; elle sera Andromède dans
Persée et Andromède à Palerme, Carmen au Festival de Baalbeck, Pamina
de La Flûte enchantée en tournée en Angleterre avec le Glyndebourne
Touring Opera.
Elle a chanté pour la première fois à L'Arsenal de Metz dans Le Martyre
de Saint-Sébastien dirigé par Emmanuel Krivine et le Gloria (588) de
Vivaldi avec l'Orchestre de chambre de Metz sous la conduite de Fernand
Quattrocchi. Ainsi que Bérénice sous la direction de Jean-Philippe
Navarre, de même que Les Illuminations de Benjamin Britten. A Rennes,
elle a chanté dans Les Enfants à Bethléem de Gabriel Pierné. Elle a tenu
des parties solistes dans divers oratorios et autres œuvres sacrées, ainsi que
dans deux symphonies avec partie solo (9e de Beethoven et 2e de Mahler).
Elle donne également des récitals lyriques (dont l'un avec Laurent Naouri
en hommage à Daniel Lesur), en France et à l'étranger.
CATHERINE HUNOLD, soprano lyrico-dramatique, rôle de
Giuseppa
Elle a fait ses premiers pas dans la voie lyrique à onze ans, à l'OpéraComique à Paris dans L'Ecume des jours de Denisov. Elle étudia le chant
chez Mady Mesplé et obtint un Premier Prix à l'unanimité du jury au
Conservatoire de Saint-Maur, et, parallèlement, une licence en musicologie à l'Université de Paris VIII. Elle entre ensuite au StudiOpera de Paris,
interprétant des rôles dans son registre de soprano lyrico-dramatique.
Lauréate de plusieurs concours internationaux, dont le Premier Prix à l'unanimité au Concours européen de chant lyrique d'Arles, la médaille d'or
au Concours international des jeunes solistes au Luxembourg ainsi que le
Prix de la SACEM, elle a suivi les master-classes de Christa Ludwig. Elle
a débuté en 2009, au Théâtre des Champs-Elysées dans Mahagonny ; elle
tient les rôles wagnériens de Sieglinde et de Brunehilde, dans les émissions
Les leçons de musique de Jean-François Zygel. La même année, elle créait
le rôle de la Reine dans l'opéra Affaires étrangères de Villenave à
Montpellier, au Festival duquel elle a participé avec La Nonne sanglante
de Berlioz.
Elle a des projets jusqu'en 2013. On citera sa prise de rôle d'Elsa dans
Lohengrin, à Saint-Etienne. Elle a chanté dans Parsifal à l'Opéra de Nice,
et tiendra, en novembre 2011, le rôle-titre de l'opéra Françoise de Rimini
donné dans le cadre du bicentenaire d'Ambroise Thomas, à l'Opéra-Théâtre
44
I
THÉODORE GOUVY :
UN EUROPÉEN AVANT L'HEURE ?
Deux opéras complètement occultés de
Théodore Gouvy (1819-1898) vont être
créés en première mondiale à un mois
d'intervalle. D'abord Fortunato (Mateo
Falcone) du 27 au 31 mai 2011 à L'Opéra-Théâtre de Metz Métropole, puis Le
Cid à l'opéra de Sarrebruck à partir du
1er juin. Le premier en français, le
second en allemand. Comme un symbole de la double culture du compositeur
inhumé à Hombourg-Haut, et dont les
ouvrages sont réhabilités depuis une
vingtaine d'années.
Parcours atypique d'un musicien…
Reproduction d'un portrait au dessin de
Théodore Gouvy à vingt ans, exécuté par un
peintre nancéien, Candide Blaise, en 1839
(Collection Institut Gouvy).
C'est un curieux parcours auquel fut destiné Théodore Gouvy qui connut son heure
de gloire, entre Paris et Berlin, avant de
sombrer dans les limbes durant les trois
quarts du XXe siècle, puis de renaître peu à peu à partir des années 1980.
Descendant d'une famille de maîtres de forges, il naît à Goffontaine (puis
Schafbrücke, devenu aujourd'hui un quartier de Sarrebrück), quatre ans
après que cette partie de la Lorraine soit annexée à la Prusse, suite à la
bataille de Waterloo et en vertu du Traité de Paris de 1815. Il naquit donc
allemand. Il aura trois frères dont Henri, né en 1813 est français et deviendra industriel, Charles né en 1815, qui émigrera aux Etats-Unis, et
Alexandre, né en 1817, lequel reprendra la gouvernance de l'entreprise et
gèrera les placements financiers de la famille Gouvy.
5
de Metz. Deux autres prises de rôle l'attendent au Theatre Colon de
Buenos-Aires, le rôle-titre d'Ariane à Naxos de Richard Strauss et celui de
Manon dans Manon Lescaut de Puccini. Elle se produit également en oratorio, dont le Requiem de Verdi et la 9e de Beethoven. Et a abordé l'opérette avec La Périchole d'Offenbach.
JEAN-PHILIPPE LAFONT, baryton, rôle de Mateo Falcone
Né en 1951 à Toulouse, Jean-Philippe Lafont a choisi comme professeur
Denise Dupleix. En 1973, il est remarqué par Louis Erlo et entre à l'Opéra
Studio de l'Opéra-Comique à Paris où il se perfectionne dans la diction, le
chant, l'interprétation, le théâtre. Il a 23 ans en 1974 lorsqu'il tient son premier rôle, celui de Papageno de La Flûte enchantée, Salle Favart. C'est le
début d'une carrière éblouissante. Il a cent rôles majeurs à son actif. Il se
produit à la Scala de Milan, au Carnegie Hall et au Metropolitan Opéra de
New-York, à la Monnaie de Bruxelles, au Liceo de Barcelone, bref, dans
toutes les capitales européennes, et, bien sûr, à Paris, à la Bastille, aux
Champs-Elysées et au Châtelet. C'est aussi un habitué des festivals auxquels il est invité : Salzbourg, Aix, Orange, Vérone, Montpellier, Bayreuth
dans Lohengrin. Il est l'un des quatre chanteurs français à se produire dans
ce temple wagnérien avec Ernest Blanc, Germaine Lubin, et Régine
Crespin. Il sera invité quatre années consécutives à partir de 1999, à s'y
produire, chose exceptionnelle pour un chanteur français. . Il a créé un
Vitalis émouvant dans le Sans famille de Jean-Claude Petit donné en création mondiale d'après le roman d'Hector Malo. Il a aussi incarné César dans
Marius et Fanny de Vladimir Cosma aux côtés de Roberto Alagna et de
Gheorgiu. Il a également été le personnage principal dans Le dernier jour
d'un condamné des frères Alagna, un opéra en version concert donné au
Théâtre des Champs-Elysées. Ses rôles préférés sont Wozzeck, Golaud et
Falstaff, ce dernier rôle devant lui être attribué à la prochaine production
de cet opéra de Verdi qui sera donné en ouverture de la saison 2011-2012,
de l'Opéra-Théâtre de Metz. Il y avait d'ailleurs tenu, l'an dernier, le rôle de
Merlier dans L'Attaque du moulin d'Alfred Bruneau. Il fut enfin, acteur et
chanteur dans la production de Le Festin de Babette qui avait obtenu un
oscar du meilleur film étranger. Selon Eve Ruggieri, « Jean-Philippe
Lafont est le baryton que l'on s'arrache ».
Des portraits divers de Théodore Gouvy alignés sur son piano à la Villa Gouvy, devenue l'Institut Gouvy.
4
FLORIAN LACONI, ténor, rôle de Tiodoro Gamba, adjudant
C'est le ténor né à Metz (1977) actuellement parmi les plus en vue sur la
scène opératique. Il fera ses débuts à l'Opéra de Paris en 2012, dans
Paillasse. Il étudie d'abord l'art dramatique et participe à de nombreuses
45
pièces de théâtre en tant que comédien mais aussi comme metteur en scène.
Puis il fait ses débuts dans le chant en 1995, avec Michèle Command,
Gabriel Bacquier et Christian Jean. Lauréat du Concours des Voix nouvelles 2002, il fut nominé aux 13es Victoires de la musique classique en 2006,
dans la catégorie "Révélation Artiste Lyrique de l'année".
Il s'est produit souvent sur la scène de l'Opéra-Théâtre de Metz et, dernièrement, dans Les Pêcheurs de perles. Il a fait à peu près le tour des maisons d'opéra de l'Hexagone. Pour ses débuts en Belgique à l'Opéra royal de
Liège, il était Don Ramiro dans La Cenerentola, et fut Tybalt dans Roméo
et Juliette pour ses débuts à l'Opéra de Los Angelès, avec, dans la distribution, Rolando Villazon et Anna Netrebko, deux pointures incontournables.
On retiendra également le rôle de Vincent qu'il incarna dans Mireille de
Gounod donné aux Chorégies d'Orange. Il tenait aussi le rôle-titre de
Roméo et Juliette à Limoges, chanta dans Manon en Avignon et à HongKong, de même que le rôle de Fenton dans Falstaff de Verdi aux côtés de
Bryn Terfel à l'Opéra de Monte-Carlo.
Florian Laconi a aussi à son actif quelques rôles dans l'opérette classique,
de Ciboulette à La Veuve joyeuse et Au Pays du sourire ; cependant, il a un
penchant pour les opérettes d'Offenbach où il a chanté dans La Grande
duchesse de Gérolstein, Barbe-Bleue, La Vie parisienne, La Périchole, La
Belle Hélène et Orphée aux enfers dans la dernière production donnée à
l'Opéra-Théâtre de Metz.
Côté oratorio, il a chanté dans La Petite messe solennelle et le Stabat Mater
de Rossini, les Requiem de Mozart et de Gounod, La Missa criola de
Ramirez…
ÉRIC MARTIN-BONNET, baryton, rôle de Gianetto Sanpiero, bandit
Il a remporté le Concours des voix d'or en 1990 et quatre prix dont le Prix
du public à Marmande, tout en continuant ses études musicales à Paris. Il
débute dans Parsifal à l'Opéra du Rhin à Strasbourg, en Avignon dans La
Force du destin et à Nancy dans Un Bal masqué, ainsi que dans Les
Martyrs aux Chorégies d'Orange, Tosca et Les Contes d'Hoffmann à
Angers. Il incarnait le Grand inquisiteur dans le Don Carlos donné à Metz
et chanta dans Aïda en version concert à L'Arsenal. Il a pratiquement fait
le tour des maisons d'opéras de France. Puis il participe à une tournée européenne de Zoroastre avec William Christie et Les Arts florissants. Il sera,
en 2007/08, Leporello de Don Giovanni, Sparafucile dans Rigoletto et dans
l'oratorio La Création de Haydn à Saintes. Puis Le Roi d'Ys à Toulouse et
à Liège, La Bohème en Avignon, Semiramide aux Musicales du Lubéron,
Butterfly à Dublin, Der Fliegende Holländer à Saint-Etienne, Les Contes
46
SOMMAIRE
p.5
I
Théodore Gouvy, un Européen avant l'heure ?
p.9
II
Sylvain Teutsch : « C'est l'histoire de notre Grande région »
p.13
III
On n'a pas toujours été tendre avec Théodore !
p.15
IV
Prosper Mérimée : « Mateo » avant « Carmen »
p.18
V
Mérimée où l'opéra par excellence
p.21
VI
L'histoire de « Fortunato » et ses personnages
p.22
VII
René Auclair : « Un opéra d'une intensité psychologique et
d'une grande force d'expression »
p.36
VIII
Eric Chevalier : « L'honneur paternel ne peut être réhabilité que
par le sang du fils »
p.39
IX
César Cui : un « Falcone » à la russe
p.40
X
Henri Tomasi : « Il faut avoir la Corse dans le sang pour avoir le
pouvoir de la chanter »
p.42
XI
Les artistes de la distribution
p.47
XII
Journal lyrique du C.L.M. : dernières nouvelles
3
d'Hoffmann en Avignon, Tannhäuser à Bordeaux. Il a participé à des enregistrements CD de Leonore II de Beethoven de Zoroastre avec Les Arts
florissants et à un DVD du Roi d'Ys de Lalo à l'Opéra royal de Wallonie.
Textes de présentation et interviews : Georges Masson
XII
JOURNAL LYRIQUE DU C.L.M. :
LES DERNIÈRES NOUVELLES
Couverture du coffret de l'enregistrement en deux compact-disc des scènes dramatiques de Théodore Gouvy,
« Iphigénie en Tauride » gravées en 2010 (Photo akg-images - disc C.P.O.).
2
Le
site
Internet
du
Cercle
Lyrique
de
Metz,
www.associationlyriquemetz.com a l'ambition de constituer un véritable
journal numérique de l'actualité musicale et lyrique, aussi bien au niveau
de Metz et de la Lorraine que sur un plan plus général.
Les turbulences qui ont marqué la vie culturelle messine au cours de ces
derniers mois y sont traitées en bonne place dans "Metz sans musique",
sans esprit polémique inutile, avec l'insertion récente des mises au
point, qui se veulent rassurantes, du Maire-Adjoint chargé des affaires
culturelles.
Le nouveau directeur de l'Opéra-Théâtre, Paul-Emile Fourny est présenté
comme il convient avec un lien vers son site personnel. Une pré-annonce
de la saison lyrique et théâtrale 2011-2012 est disponible, elle sera, naturellement, complétée dès que nous aurons tous les éléments en notre possession.
Nos rubriques habituelles sont régulièrement étoffées et mises à jour. Ainsi
sont régulièrement mises en ligne les critiques des spectacles retransmis
régulièrement depuis le MET de New-York (avec pré-annonce de la prochaine saison). Citons parmi les productions toutes récentes ou à venir
avant l'été : Lucia di Lammermoor, Le Conte Ory, Capriccio, Le Trouvère,
La Walkyrie.
En fonction du calendrier, nous avons à cœur d'évoquer les grands artistes
du passé ou récemment disparus. Les rubriques "In Memoriam" et
"Anniversaires" sont illustrées de documents iconographiques et d'extraits
d'enregistrements transcodés au format MP3, facilement accessible sur
Internet.
47
Depuis l'an dernier, nous avons évoqué, ainsi, le souvenir d'artistes qui
nous ont quittés au cours de ces derniers mois : le chef britannique Sir
Charles Mackerras, les chanteurs et cantatrices Cesare Siepi, Joan
Sutherland, Shirley Verrett, Solange Michel, Ernest Blanc, Margaret Price.
Le centième anniversaire de Jussi Björling, le « Caruso suédois » a fait
l'objet d'un dossier particulièrement étoffé, de même que le cinquantième
anniversaire de la disparition de Mado Robin, "la voix la plus haute du
monde". Un hommage a été rendu à Mady Mesplé, qui avait succédé à
Mado Robin dans Lakmé, à l'occasion récente de ses 80 ans, avec des renvois vers ses enregistrements et son livre de souvenirs publié au début de
cette année. Dans le même esprit, nous nous préparons à mettre en ligne un
dossier sur Sir Thomas Beecham, chef britannique disparu en mars 1961 ;
et sur le baryton américain Leonard Warren, partenaire de Jusssi Björling,
qui aurait eu 100 ans en ce mois d'avril 2011. En septembre prochain, nous
évoquerons un autre centenaire, celui de Rolf Liebermann, directeur de
l'Opéra de Paris de 1973 à 1980.
Les concerts de Nathalie Stutzmann, en résidence à l'Arsenal, sont mis en
valeur dans "actualité lyrique" ainsi que son récent enregistrement chez
Deutsche Grammophon. Enfin, les livres de deux autres femmes, chefs
d'orchestre, Claire Gibault et Zahia Ziouani, publiés en décembre 2010, ont
été honorés comme ils le méritent.
La partie "membres", réservée aux membres du CLM leur permet d'accéder à nos plaquettes ainsi qu'aux livrets des œuvres représentées à Metz. Il
leur faut, pour cela, un code d'accès à demander au webmaster. Enfin, en
s'inscrivant à la Newsletter, on est informé régulièrement des mises à jour
du site. Cette inscription est activée après réception d'un courriel de confirmation.
A très bientôt sur www.associationlyriquemetz.com en cliquant simplement sur Google : "Cercle lyrique de Metz".
FORTUNATO
[ MATEO FALCONE ]
de Théodore GOUVY
par
Georges MASSON
Jean-Pierre Pister
Vice-président du CLM, webmaster.
48
1
Photo de Théodore Gouvy prise, en 1890,
par le photographe personnel de l'empereur Napoléon III.
La tombe-pyramide de Théodore Gouvy au cimetière de Hombourg-Haut. Elle est en forme de métronome et
son médaillon blanc au milieu est à l'effigie du compositeur (Photo Claire Leber).
2010-2011
CERCLE
FORTUNATO [ MATEO FALCONE ]
LYRIQUE
DE METZ
Opéra en un acte de Théodore Gouvy (en création mondiale) ; livret du
compositeur traduit de l'allemand par René et Samuel Auclair, d'après la
nouvelle « Mateo Falcone » de Prosper Mérimée, opéra adapté par René
Auclair. Précédé des « Douze chants de l'Ile de Corse » pour chœur a cappella d'Henri Tomasi. Production de l'Opéra-Théâtre de Metz Métropole
Conférence tripartite assurée par Sylvain Teutsch, président de l'Institut
Théodore Gouvy de Hombourg-Haut, Marie-Noëlle Auguste, professeur
au Conservatoire de Saint-Denis, sur « Prosper Mérimée et l'opéra », et
René Auclair, musicologue, chargé de cours à l'Université Paul Verlaine de
Metz, sur « Fortunato » (Mateo Falcone) de Théodore Gouvy, et animée par
Georges Masson, journaliste et critique musical, président du Cercle
Lyrique de Metz, le samedi 21 mai à 16h au Foyer de l'Opéra-Théâtre
de Metz Métropole.
Direction musicale : Jacques Mercier Mise en scène : Eric Chevalier
Scénographie : Ange Leccia
Costumes : Danielle Barraud
Lumières : Patrice Willaume
Distribution vocale : Valérie Condolucci, soprano (Fortunato, fils de Mateo) ;
Catherine Hunold (Giuseppa, épouse de Mateo) ; Jean-Philippe Lafont, baryton (Mateo Falcone) ; Florian Laconi (Tiodoro Gamba, adjudant) ; Eric
Martin-Bonnet (Gianetto Sanpiero, bandit).
Théâtre de Metz Métropole.
Chœurs de l'Opéra-T
Orchestre National de Lorraine.
En partenariat avec le Centre Pompidou Metz et l'Institut Théodore Gouvy.
Couverture : Reproduction d'après une peinture ancienne du personnage de Mateo
Falcone figurant sur les recueils des « nouvelles » de Prosper Mérimée.
Conception de la plaquette : Georges Masson.
Directeurs de publication : Georges Masson, président et Jean-Pierre Vidit premier
vice-président.
Adresse postale du Cercle Lyrique de Metz : B.P. 90261 - 57006 Metz Cedex 1
Adresse e-mail du président : [email protected]
Adresse du site et du blog Internet : www.associationlyriquemetz.com
Composition graphique et impression : Co.J.Fa. Metz - tél. 03 87 69 04 90.
Représentations de l’ouvrage les vendredi 27 mai 2011 à 20h,
dimanche 29 mai à 15h et mardi 31 mai à 20h.
FORTUNATO
[ M A T E O FA L C O N E ]
de Théodore GOUVY
N° 201
Par Georges MASSON
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