2010-2011 CERCLE FORTUNATO [ MATEO FALCONE ] LYRIQUE DE METZ Opéra en un acte de Théodore Gouvy (en création mondiale) ; livret du compositeur traduit de l'allemand par René et Samuel Auclair, d'après la nouvelle « Mateo Falcone » de Prosper Mérimée, opéra adapté par René Auclair. Précédé des « Douze chants de l'Ile de Corse » pour chœur a cappella d'Henri Tomasi. Production de l'Opéra-Théâtre de Metz Métropole Conférence tripartite assurée par Sylvain Teutsch, président de l'Institut Théodore Gouvy de Hombourg-Haut, Marie-Noëlle Auguste, professeur au Conservatoire de Saint-Denis, sur « Prosper Mérimée et l'opéra », et René Auclair, musicologue, chargé de cours à l'Université Paul Verlaine de Metz, sur « Fortunato » (Mateo Falcone) de Théodore Gouvy, et animée par Georges Masson, journaliste et critique musical, président du Cercle Lyrique de Metz, le samedi 21 mai à 16h au Foyer de l'Opéra-Théâtre de Metz Métropole. Direction musicale : Jacques Mercier Mise en scène : Eric Chevalier Scénographie : Ange Leccia Costumes : Danielle Barraud Lumières : Patrice Willaume Distribution vocale : Valérie Condolucci, soprano (Fortunato, fils de Mateo) ; Catherine Hunold (Giuseppa, épouse de Mateo) ; Jean-Philippe Lafont, baryton (Mateo Falcone) ; Florian Laconi (Tiodoro Gamba, adjudant) ; Eric Martin-Bonnet (Gianetto Sanpiero, bandit). Théâtre de Metz Métropole. Chœurs de l'Opéra-T Orchestre National de Lorraine. En partenariat avec le Centre Pompidou Metz et l'Institut Théodore Gouvy. Couverture : Reproduction d'après une peinture ancienne du personnage de Mateo Falcone figurant sur les recueils des « nouvelles » de Prosper Mérimée. Conception de la plaquette : Georges Masson. Directeurs de publication : Georges Masson, président et Jean-Pierre Vidit premier vice-président. Adresse postale du Cercle Lyrique de Metz : B.P. 90261 - 57006 Metz Cedex 1 Adresse e-mail du président : [email protected] Adresse du site et du blog Internet : www.associationlyriquemetz.com Composition graphique et impression : Co.J.Fa. Metz - tél. 03 87 69 04 90. Représentations de l’ouvrage les vendredi 27 mai 2011 à 20h, dimanche 29 mai à 15h et mardi 31 mai à 20h. FORTUNATO [ M A T E O FA L C O N E ] de Théodore GOUVY N° 201 Par Georges MASSON Photo de Théodore Gouvy prise, en 1890, par le photographe personnel de l'empereur Napoléon III. La tombe-pyramide de Théodore Gouvy au cimetière de Hombourg-Haut. Elle est en forme de métronome et son médaillon blanc au milieu est à l'effigie du compositeur (Photo Claire Leber). Depuis l'an dernier, nous avons évoqué, ainsi, le souvenir d'artistes qui nous ont quittés au cours de ces derniers mois : le chef britannique Sir Charles Mackerras, les chanteurs et cantatrices Cesare Siepi, Joan Sutherland, Shirley Verrett, Solange Michel, Ernest Blanc, Margaret Price. Le centième anniversaire de Jussi Björling, le « Caruso suédois » a fait l'objet d'un dossier particulièrement étoffé, de même que le cinquantième anniversaire de la disparition de Mado Robin, "la voix la plus haute du monde". Un hommage a été rendu à Mady Mesplé, qui avait succédé à Mado Robin dans Lakmé, à l'occasion récente de ses 80 ans, avec des renvois vers ses enregistrements et son livre de souvenirs publié au début de cette année. Dans le même esprit, nous nous préparons à mettre en ligne un dossier sur Sir Thomas Beecham, chef britannique disparu en mars 1961 ; et sur le baryton américain Leonard Warren, partenaire de Jusssi Björling, qui aurait eu 100 ans en ce mois d'avril 2011. En septembre prochain, nous évoquerons un autre centenaire, celui de Rolf Liebermann, directeur de l'Opéra de Paris de 1973 à 1980. Les concerts de Nathalie Stutzmann, en résidence à l'Arsenal, sont mis en valeur dans "actualité lyrique" ainsi que son récent enregistrement chez Deutsche Grammophon. Enfin, les livres de deux autres femmes, chefs d'orchestre, Claire Gibault et Zahia Ziouani, publiés en décembre 2010, ont été honorés comme ils le méritent. La partie "membres", réservée aux membres du CLM leur permet d'accéder à nos plaquettes ainsi qu'aux livrets des œuvres représentées à Metz. Il leur faut, pour cela, un code d'accès à demander au webmaster. Enfin, en s'inscrivant à la Newsletter, on est informé régulièrement des mises à jour du site. Cette inscription est activée après réception d'un courriel de confirmation. A très bientôt sur www.associationlyriquemetz.com en cliquant simplement sur Google : "Cercle lyrique de Metz". FORTUNATO [ MATEO FALCONE ] de Théodore GOUVY par Georges MASSON Jean-Pierre Pister Vice-président du CLM, webmaster. 48 1 d'Hoffmann en Avignon, Tannhäuser à Bordeaux. Il a participé à des enregistrements CD de Leonore II de Beethoven de Zoroastre avec Les Arts florissants et à un DVD du Roi d'Ys de Lalo à l'Opéra royal de Wallonie. Textes de présentation et interviews : Georges Masson XII JOURNAL LYRIQUE DU C.L.M. : LES DERNIÈRES NOUVELLES Couverture du coffret de l'enregistrement en deux compact-disc des scènes dramatiques de Théodore Gouvy, « Iphigénie en Tauride » gravées en 2010 (Photo akg-images - disc C.P.O.). 2 Le site Internet du Cercle Lyrique de Metz, www.associationlyriquemetz.com a l'ambition de constituer un véritable journal numérique de l'actualité musicale et lyrique, aussi bien au niveau de Metz et de la Lorraine que sur un plan plus général. Les turbulences qui ont marqué la vie culturelle messine au cours de ces derniers mois y sont traitées en bonne place dans "Metz sans musique", sans esprit polémique inutile, avec l'insertion récente des mises au point, qui se veulent rassurantes, du Maire-Adjoint chargé des affaires culturelles. Le nouveau directeur de l'Opéra-Théâtre, Paul-Emile Fourny est présenté comme il convient avec un lien vers son site personnel. Une pré-annonce de la saison lyrique et théâtrale 2011-2012 est disponible, elle sera, naturellement, complétée dès que nous aurons tous les éléments en notre possession. Nos rubriques habituelles sont régulièrement étoffées et mises à jour. Ainsi sont régulièrement mises en ligne les critiques des spectacles retransmis régulièrement depuis le MET de New-York (avec pré-annonce de la prochaine saison). Citons parmi les productions toutes récentes ou à venir avant l'été : Lucia di Lammermoor, Le Conte Ory, Capriccio, Le Trouvère, La Walkyrie. En fonction du calendrier, nous avons à cœur d'évoquer les grands artistes du passé ou récemment disparus. Les rubriques "In Memoriam" et "Anniversaires" sont illustrées de documents iconographiques et d'extraits d'enregistrements transcodés au format MP3, facilement accessible sur Internet. 47 pièces de théâtre en tant que comédien mais aussi comme metteur en scène. Puis il fait ses débuts dans le chant en 1995, avec Michèle Command, Gabriel Bacquier et Christian Jean. Lauréat du Concours des Voix nouvelles 2002, il fut nominé aux 13es Victoires de la musique classique en 2006, dans la catégorie "Révélation Artiste Lyrique de l'année". Il s'est produit souvent sur la scène de l'Opéra-Théâtre de Metz et, dernièrement, dans Les Pêcheurs de perles. Il a fait à peu près le tour des maisons d'opéra de l'Hexagone. Pour ses débuts en Belgique à l'Opéra royal de Liège, il était Don Ramiro dans La Cenerentola, et fut Tybalt dans Roméo et Juliette pour ses débuts à l'Opéra de Los Angelès, avec, dans la distribution, Rolando Villazon et Anna Netrebko, deux pointures incontournables. On retiendra également le rôle de Vincent qu'il incarna dans Mireille de Gounod donné aux Chorégies d'Orange. Il tenait aussi le rôle-titre de Roméo et Juliette à Limoges, chanta dans Manon en Avignon et à HongKong, de même que le rôle de Fenton dans Falstaff de Verdi aux côtés de Bryn Terfel à l'Opéra de Monte-Carlo. Florian Laconi a aussi à son actif quelques rôles dans l'opérette classique, de Ciboulette à La Veuve joyeuse et Au Pays du sourire ; cependant, il a un penchant pour les opérettes d'Offenbach où il a chanté dans La Grande duchesse de Gérolstein, Barbe-Bleue, La Vie parisienne, La Périchole, La Belle Hélène et Orphée aux enfers dans la dernière production donnée à l'Opéra-Théâtre de Metz. Côté oratorio, il a chanté dans La Petite messe solennelle et le Stabat Mater de Rossini, les Requiem de Mozart et de Gounod, La Missa criola de Ramirez… ÉRIC MARTIN-BONNET, baryton, rôle de Gianetto Sanpiero, bandit Il a remporté le Concours des voix d'or en 1990 et quatre prix dont le Prix du public à Marmande, tout en continuant ses études musicales à Paris. Il débute dans Parsifal à l'Opéra du Rhin à Strasbourg, en Avignon dans La Force du destin et à Nancy dans Un Bal masqué, ainsi que dans Les Martyrs aux Chorégies d'Orange, Tosca et Les Contes d'Hoffmann à Angers. Il incarnait le Grand inquisiteur dans le Don Carlos donné à Metz et chanta dans Aïda en version concert à L'Arsenal. Il a pratiquement fait le tour des maisons d'opéras de France. Puis il participe à une tournée européenne de Zoroastre avec William Christie et Les Arts florissants. Il sera, en 2007/08, Leporello de Don Giovanni, Sparafucile dans Rigoletto et dans l'oratorio La Création de Haydn à Saintes. Puis Le Roi d'Ys à Toulouse et à Liège, La Bohème en Avignon, Semiramide aux Musicales du Lubéron, Butterfly à Dublin, Der Fliegende Holländer à Saint-Etienne, Les Contes 46 SOMMAIRE p.5 I Théodore Gouvy, un Européen avant l'heure ? p.9 II Sylvain Teutsch : « C'est l'histoire de notre Grande région » p.13 III On n'a pas toujours été tendre avec Théodore ! p.15 IV Prosper Mérimée : « Mateo » avant « Carmen » p.18 V Mérimée où l'opéra par excellence p.21 VI L'histoire de « Fortunato » et ses personnages p.22 VII René Auclair : « Un opéra d'une intensité psychologique et d'une grande force d'expression » p.36 VIII Eric Chevalier : « L'honneur paternel ne peut être réhabilité que par le sang du fils » p.39 IX César Cui : un « Falcone » à la russe p.40 X Henri Tomasi : « Il faut avoir la Corse dans le sang pour avoir le pouvoir de la chanter » p.42 XI Les artistes de la distribution p.47 XII Journal lyrique du C.L.M. : dernières nouvelles 3 de Metz. Deux autres prises de rôle l'attendent au Theatre Colon de Buenos-Aires, le rôle-titre d'Ariane à Naxos de Richard Strauss et celui de Manon dans Manon Lescaut de Puccini. Elle se produit également en oratorio, dont le Requiem de Verdi et la 9e de Beethoven. Et a abordé l'opérette avec La Périchole d'Offenbach. JEAN-PHILIPPE LAFONT, baryton, rôle de Mateo Falcone Né en 1951 à Toulouse, Jean-Philippe Lafont a choisi comme professeur Denise Dupleix. En 1973, il est remarqué par Louis Erlo et entre à l'Opéra Studio de l'Opéra-Comique à Paris où il se perfectionne dans la diction, le chant, l'interprétation, le théâtre. Il a 23 ans en 1974 lorsqu'il tient son premier rôle, celui de Papageno de La Flûte enchantée, Salle Favart. C'est le début d'une carrière éblouissante. Il a cent rôles majeurs à son actif. Il se produit à la Scala de Milan, au Carnegie Hall et au Metropolitan Opéra de New-York, à la Monnaie de Bruxelles, au Liceo de Barcelone, bref, dans toutes les capitales européennes, et, bien sûr, à Paris, à la Bastille, aux Champs-Elysées et au Châtelet. C'est aussi un habitué des festivals auxquels il est invité : Salzbourg, Aix, Orange, Vérone, Montpellier, Bayreuth dans Lohengrin. Il est l'un des quatre chanteurs français à se produire dans ce temple wagnérien avec Ernest Blanc, Germaine Lubin, et Régine Crespin. Il sera invité quatre années consécutives à partir de 1999, à s'y produire, chose exceptionnelle pour un chanteur français. . Il a créé un Vitalis émouvant dans le Sans famille de Jean-Claude Petit donné en création mondiale d'après le roman d'Hector Malo. Il a aussi incarné César dans Marius et Fanny de Vladimir Cosma aux côtés de Roberto Alagna et de Gheorgiu. Il a également été le personnage principal dans Le dernier jour d'un condamné des frères Alagna, un opéra en version concert donné au Théâtre des Champs-Elysées. Ses rôles préférés sont Wozzeck, Golaud et Falstaff, ce dernier rôle devant lui être attribué à la prochaine production de cet opéra de Verdi qui sera donné en ouverture de la saison 2011-2012, de l'Opéra-Théâtre de Metz. Il y avait d'ailleurs tenu, l'an dernier, le rôle de Merlier dans L'Attaque du moulin d'Alfred Bruneau. Il fut enfin, acteur et chanteur dans la production de Le Festin de Babette qui avait obtenu un oscar du meilleur film étranger. Selon Eve Ruggieri, « Jean-Philippe Lafont est le baryton que l'on s'arrache ». Des portraits divers de Théodore Gouvy alignés sur son piano à la Villa Gouvy, devenue l'Institut Gouvy. 4 FLORIAN LACONI, ténor, rôle de Tiodoro Gamba, adjudant C'est le ténor né à Metz (1977) actuellement parmi les plus en vue sur la scène opératique. Il fera ses débuts à l'Opéra de Paris en 2012, dans Paillasse. Il étudie d'abord l'art dramatique et participe à de nombreuses 45 province à Nice, Angers, Rouen, Limoges, Toulon, Aix-les-Bains… Sa carrière s'oriente ensuite vers l'international, où elle chante Gilda dans Rigoletto à Oslo, Zerlina de Don Juan, ainsi que Didon et Enée à l'Aberdeen de Youth International Festival ; elle sera Andromède dans Persée et Andromède à Palerme, Carmen au Festival de Baalbeck, Pamina de La Flûte enchantée en tournée en Angleterre avec le Glyndebourne Touring Opera. Elle a chanté pour la première fois à L'Arsenal de Metz dans Le Martyre de Saint-Sébastien dirigé par Emmanuel Krivine et le Gloria (588) de Vivaldi avec l'Orchestre de chambre de Metz sous la conduite de Fernand Quattrocchi. Ainsi que Bérénice sous la direction de Jean-Philippe Navarre, de même que Les Illuminations de Benjamin Britten. A Rennes, elle a chanté dans Les Enfants à Bethléem de Gabriel Pierné. Elle a tenu des parties solistes dans divers oratorios et autres œuvres sacrées, ainsi que dans deux symphonies avec partie solo (9e de Beethoven et 2e de Mahler). Elle donne également des récitals lyriques (dont l'un avec Laurent Naouri en hommage à Daniel Lesur), en France et à l'étranger. CATHERINE HUNOLD, soprano lyrico-dramatique, rôle de Giuseppa Elle a fait ses premiers pas dans la voie lyrique à onze ans, à l'OpéraComique à Paris dans L'Ecume des jours de Denisov. Elle étudia le chant chez Mady Mesplé et obtint un Premier Prix à l'unanimité du jury au Conservatoire de Saint-Maur, et, parallèlement, une licence en musicologie à l'Université de Paris VIII. Elle entre ensuite au StudiOpera de Paris, interprétant des rôles dans son registre de soprano lyrico-dramatique. Lauréate de plusieurs concours internationaux, dont le Premier Prix à l'unanimité au Concours européen de chant lyrique d'Arles, la médaille d'or au Concours international des jeunes solistes au Luxembourg ainsi que le Prix de la SACEM, elle a suivi les master-classes de Christa Ludwig. Elle a débuté en 2009, au Théâtre des Champs-Elysées dans Mahagonny ; elle tient les rôles wagnériens de Sieglinde et de Brunehilde, dans les émissions Les leçons de musique de Jean-François Zygel. La même année, elle créait le rôle de la Reine dans l'opéra Affaires étrangères de Villenave à Montpellier, au Festival duquel elle a participé avec La Nonne sanglante de Berlioz. Elle a des projets jusqu'en 2013. On citera sa prise de rôle d'Elsa dans Lohengrin, à Saint-Etienne. Elle a chanté dans Parsifal à l'Opéra de Nice, et tiendra, en novembre 2011, le rôle-titre de l'opéra Françoise de Rimini donné dans le cadre du bicentenaire d'Ambroise Thomas, à l'Opéra-Théâtre 44 I THÉODORE GOUVY : UN EUROPÉEN AVANT L'HEURE ? Deux opéras complètement occultés de Théodore Gouvy (1819-1898) vont être créés en première mondiale à un mois d'intervalle. D'abord Fortunato (Mateo Falcone) du 27 au 31 mai 2011 à L'Opéra-Théâtre de Metz Métropole, puis Le Cid à l'opéra de Sarrebruck à partir du 1er juin. Le premier en français, le second en allemand. Comme un symbole de la double culture du compositeur inhumé à Hombourg-Haut, et dont les ouvrages sont réhabilités depuis une vingtaine d'années. Parcours atypique d'un musicien… Reproduction d'un portrait au dessin de Théodore Gouvy à vingt ans, exécuté par un peintre nancéien, Candide Blaise, en 1839 (Collection Institut Gouvy). C'est un curieux parcours auquel fut destiné Théodore Gouvy qui connut son heure de gloire, entre Paris et Berlin, avant de sombrer dans les limbes durant les trois quarts du XXe siècle, puis de renaître peu à peu à partir des années 1980. Descendant d'une famille de maîtres de forges, il naît à Goffontaine (puis Schafbrücke, devenu aujourd'hui un quartier de Sarrebrück), quatre ans après que cette partie de la Lorraine soit annexée à la Prusse, suite à la bataille de Waterloo et en vertu du Traité de Paris de 1815. Il naquit donc allemand. Il aura trois frères dont Henri, né en 1813 est français et deviendra industriel, Charles né en 1815, qui émigrera aux Etats-Unis, et Alexandre, né en 1817, lequel reprendra la gouvernance de l'entreprise et gèrera les placements financiers de la famille Gouvy. 5 Un bachelier de Metz La mère du jeune Théodore est originaire de Metz. A six ans, le petit musicien improvise sur une harpe à huit cordes. A huit, en 1827, il est collégien à Sarreguemines (en France), et suit des cours privés de piano. Après le décès de son père, en 1829, il entre au Lycée de Metz, ville où son oncle, Joseph Aubert, est négociant, et où sa mère s'installera, de 1830 à 1835. A dix-sept ans, il décroche son bac de philo au Lycée… de Metz. Sa mère avait formulé une demande de naturalisation pour son fils en 1834. Elle est refusée par les autorités ! Oui, car il doit d'abord résider une dizaine d'années en France pour que la démarche soit honorée. Sa mère, toujours, veut qu'il devienne juriste. Théodore s'inscrit d'abord en faculté de droit à Paris, mais sa nationalité allemande restreint ses ambitions. Or, le code civil comme le code pénal ne sont pas sa tasse de thé. Il renoncera à la magistrature après avoir échoué à son examen en 1839. Et il se lance dans la vie musicale. Etranger en son pays ? Cependant, on lui refuse l'accès à l'enseignement officiel au Conservatoire de Paris, parce qu'il est né teuton. Etranger en son pays ? Il part alors à la recherche d'un professeur de piano. Il s'adresse à Henri Herz, pianiste assez connu mais qui, devant partir pour une tournée de concerts et de récitals, lui recommande Edouard Billard, son propre élève. Tenté par la composition musicale, il suit les cours de contrepoint et d'harmonie que lui prodiguera Antoine Elwart qui fut Prix de Rome en 1834, et qui est réputé, diton, pour être un "grand causeur". Puis il s'inscrira aux cours de piano du plus célèbre Pierre-Joseph Zimmermann, qui brillait alors dans les salons artistiques parisiens. Ses leçons de violon, il les suivra auprès de Carl Eckert. Ils deviendront amis. Il prend aussi des cours auprès de Kalkbrenner, qui fut également le professeur de Chopin. Il va se lier avec les compositeurs de son époque, Camille Saint-Saëns, Adolphe Adam, Gabriel Fauré, Théodore Dubois, le violoniste Henri Vieuxtemps, Emmanuel Chabrier, et, bien plus tard, Gabriel Pierné. Fort des lettres de recommandation de son ami Eckert, il part, en 1842, pour l'Allemagne, par Mayence, Francfort. Il écoutera les Schumann, Robert et Clara, en concert à Leipzig, et séjournera à Berlin jusqu'en juillet 1843. Les éditeurs français font la fine bouche ! Ses premières compositions, livrées dès 1841, (il a 22 ans), connaissent un bon accueil. Mais, malgré les recommandations du chef d'orchestre 6 ÉRIC CHEVALIER, METTEUR EN SCÈNE Originaire de Nantes, Eric Chevalier entre en 1978 à l'English National Opera de Londres et conçoit, dès 1979, ses premiers décors dont celui des Saltimbanques pour l'Opéra royal de Liège. Il entre au bureau d'études de l'Opéra de Paris en 1981 et, en 1983, y est nommé chargé de production. Il poursuit conjointement une activité de décorateur et de metteur en scène signant successivement plusieurs productions en France, en Autriche, en Allemagne, en Corée du Sud… Il a notamment mis en scène Les Contes d'Hoffmann et Roméo et Juliette à Séoul, puis Le Pescatrici à Metz, Don Quichotte à Tours, Rennes et Angers, Carmen et Faust à Carcassonne, et embrasse à peu près tous les grands ouvrages du répertoire lyrique, et, parmi eux, des pièces contemporaines dont Erzebeth de Charles Chaynes dont il mit également en scène son Mi Amo r donné, il y a plusieurs saisons, en création à l'Opéra-Théâtre de Metz. C'est depuis 1994 qu'il aborda conjointement la mise en scène et les décors. Nommé en 2003/2004 à la tête de l'Opéra-Théâtre de Metz, il a signé chaque saison, une ou plusieurs mises en scène, dont la re-création du Caïd d'Ambroise Thomas dans le cadre de la Première Biennale consacrée au compositeur né à Metz, celle de L'Amant anonyme du Chevalier de Saint-Georges, celle de L'Attaque du Moulin d'Alfred Bruneau… Parmi les pièces de théâtre lyrique contemporain, on signalera Der Prozess de von Einem, Les Bonnes de Peter Bengston, Le Renard d'Isabelle Aboulker, et, parmi ses mises en scène de théâtre parlé, La Fiancée du matin d'Hugo Claus, Orage de Strindberg et Poil de carotte de Jules Renard. DISTRIBUTION VOCALE : VALÉRIE CONDOLUCCI, soprano, rôle-titre de Fortunato De nationalité franco-italienne, cette soprano lyrique léger, après avoir obtenu deux médailles d'or (chant et musique de chambre) au Conservatoire d'Arras, intègre l'Atelier lyrique de l'Opéra de Paris où elle aura comme professeurs, Janine Reiss, Christa Ludwig, Renata Scotto, Tereza Berganza et Alain Vanzo. Elle remporte le Prix lyrique du Cercle Carpeaux de l'Opéra de Paris, le Prix de la mélodie au Festival de Marmande et le Prix de la Ville de Paris. Elle débute au Centre de Formation lyrique de l'Opéra de Paris dans le rôle-titre de Roméo et Juliette, dans Gianni Schicchi, La Flûte enchantée, Carmen et Manon. Puis, elle assume des rôles, toujours à l'Opéra de Paris, dans Carmen, Manon, Parsifal, Peter Grimes. Elle signe des contrats dans les opéras de 43 XI LES ARTISTES DE LA DISTRIBUTION JACQUES MERCIER, CHEF D'ORCHESTRE Premier prix de direction d'orchestre à l'unanimité au Conservatoire supérieur de Paris, premier prix au Concours de Besançon, Jacques Mercier fut l'assistant de Pierre Boulez et bénéficia des conseils de Karajan. Il entame rapidement une carrière internationale et dirige de prestigieuses formations. Qualifié de "Souveräner Dirigent" à Berlin, il se produit dans les festivals dont celui de Salzbourg. Et Madrid où il est cité comme « l'un des meilleurs chefs français et européens de sa génération » par la critique. De 1982 à 2002, il sera directeur artistique et chef permanent de l'O.D.I.F. devenu national, et Pierre Petit, dans Le Figaro, dira de lui « qu'il a donné la preuve irréfutable de son grand talent fait de précision et de maîtrise, mais aussi de flamme et de panache… » Préalablement, il fut durant sept ans chef permanent du Turku Philharmonic en Finlande, et ce sera pour lui une expérience déterminante de son approche des compositeurs d'Europe du Nord dont Sibélius. Mais son talent s'exerce aussi dans le répertoire français, son territoire de prédilection. Il s'illustre également dans le répertoire contemporain, créant en particulier, des œuvres de Xénakis, Luis de Pablo, Philippe Manoury et Wolfgang Rihm… Il a réalisé de nombreux enregistrements discographiques. Il s'est vu décerner le Grand Prix de l'Académie Charles Cros pour Bacchus et Ariane d'Albert Roussel et le Prix de l'Académie du disque lyrique pour Djamlileh de Bizet. Son Martyre de Saint-Sébastien de Debussy lui a valu un Choc du Monde de la Musique. Son domaine de l'opéra porte essentiellement sur le répertoire français. Elu Personnalité musicale de l'année 2002 par le Syndicat professionnel de la critique dramatique et musicale, son premier enregistrement avec l'O.N.L. porte sur L'An Mil de Gabriel Pierné qui lui a valu le Diapason d'or de l'année 2007. Son second disque paru en 2008, consacré à Antoine et Cléopâtre de Florent Schmitt, a également obtenu un Diapason d'or. En janvier 2011, Jacques Mercier et l'O.N.L. ont remporté un vif succès pour leur tournée en Allemagne. Théodore Tilmant, il peine à les faire jouer en concert. Ce sera, certes, le début d'une production ininterrompue. Or, les éditeurs français rechignent à les publier, beaucoup d'entre elles étant jouées à partir des manuscrits. De son premier voyage en Italie, en 1844, il ne garde pas les meilleurs souvenirs, car la vie musicale lui semble trop pompeuse et superficielle, et il déteste notamment le faste des offices religieux. Il séjourne à Frascati, à Naples, puis à Bologne où il rencontre Rossini, et croise ses amis, Eckert et le compositeur Niels Gade. Le pérégrin, retour à Paris, devra même louer une salle et payer un orchestre pour faire jouer sa première symphonie ! C'était en 1847. Heureusement, ce fut un succès. Mais il devra attendre l'année 1851 pour, qu'à trente-deux ans, on lui accorde la nationalité française, et encore, par naturalisation. L'année précédente, la famille Gouvy rachetait aux De Wendel, les forges de Hombourg-Haut. Et Gouvy partagera alors ses séjours entre la maison familiale, la Villa Gouvy, et ses voyages à Paris, à Leipzig et autres villes allemandes. Des encouragements d’Hector Berlioz Son nom s'impose aux oreilles de Berlioz qui écrivait alors ses critiques musicales dans le Journal des débats. Que disait-il de Gouvy, en 1851 ? « Qu'un musicien de l'importance de Gouvy soit encore si peu connu à Paris, alors que tant de moucherons importunent le public de leur obstiné bourdonnement, il y a de quoi indigner les esprits naïfs qui croient encore à la raison et à la justice des nos mœurs musicales… » On ne pouvait mieux dire. Or, c'est bien dans les grandes villes musicales allemandes que les mélomanes raffoleront le plus de ses œuvres. A Berlin, Cologne, Dresde, Wiesbaden, Francfort, Leipzig… Si on l'a moins joué dans l'Hexagone qu'Outre-Rhin, c'est qu'en France, l'époque était dominée par le grand opéra et l'opéra-comique, alors que la terre de Goethe cultivait davantage la musique symphonique. Et c'est vrai que la musique de Gouvy, qui a subi l'influence de Mozart, de Beethoven et de Mendelssohn, puis de Brahms, reflète cette double culture, car on y décèle à la fois la grâce et la légèreté bien françaises, et plus particulièrement, la limpidité et le classicisme de Saint-Saëns, tout comme les formes et la consistance germaniques. « Sans cesse ballotté entre deux expressions... » C'est bien ce que confirme d'ailleurs Sylvain Teutsch, président de l'Institut 42 7 Gouvy de Hombourg-Haut, et auquel on doit la renaissance de Gouvy, car il a constitué voici plus de vingt ans, un comité particulièrement actif avec les membres du Chœur d'hommes de Hombourg-Haut en particulier, et qui en fut un des choristes : « On s'est entouré de musicologues et de spécialistes qui ont démontré que Gouvy symbolisait parfaitement la richesse culturelle de notre région. Sans cesse ballotté entre deux expressions, latine et germanique, ne vivant que sous leur influence, il ne peut s'en démarquer. Elles ont été son inspiration et, finalement, sa particularité et sa force, en en faisant un Européen avant l'heure… ». C'est ce qu'il avait affirmé lorsqu'il apprit qu'on allait créer ses deux opéras. chanter », disait-il dans les années 1930. « Ainsi, sans vain orgueil, je crois bien être le seul musicien à avoir ce droit là. » Dans son œuvre Kyrnos, il dépeint les paysages corses rappelant les premiers phocéens et oppose un thème tragique de vocero et un autre plus vif de danse. «De l'exaltation la plus insouciante au pessimisme le plus noir», disait ce profond méditerranéen. Ses Douze chants pour l'Ile de Corse écrits pour chœur a cappella, en sont le reflet. Et ils ne sont pas sans rappeler les chants populaires qu'interprètent, dans les églises comme dans les montagnes, les groupes et chorales de l'Ile. Ces Douze chants pour l'Ile de Corse très rarement interprétés, forment un pendant logique avec l'opéra Fortunato (Mateo Falcone) de Théodore Gouvy. Un film, des disques, un colloque… Depuis deux ans, les événements se sont succédé. L'intégrale discographique de ses symphonies est en passe d'être gravée avec la Saarländischer Rundfunk de Sarrebrück-Kaiserslautern sous la direction de Jacques Mercier ; le film documentaire intitulé Le Mystère Gouvy est sorti en 2009, et les Actes du colloque consacrés au compositeur ont été publiés. Ce colloque "international" s'est tenu à Sarrebrück et à Hombourg-Haut avec des musicologues connus, dont René Auclair (qui en a dirigé les éditions), Danielle Pistone, Martin Kaltenecker… Les communications bilingues portaient aussi bien sur « Gouvy et le discours de la musique sérieuse » que sur « Gouvy et l'écriture violonistique », « Mélodies et Lieder dans l'œuvre de Gouvy », « Entre élégance française et vigueur allemande »… Pour Sylvain Teutsch, « le film constitue une belle carte de visite pour l'Institut et pour toute la région. Il a fait l'objet de transactions avec les chaînes de télévision et il est commercialisé en DVD. Les Actes du colloque lèvent le voile sur une part secrète de l'homme et de son œuvre. Quant au projet discographique proposé à la Radio sarroise avec le soutien de la Région lorraine, il s'est étendu à d'autres réalisations, dont l'enregistrement de la grande cantate Iphigénie en Tauride. D'autres objectifs se sont concrétisés avec le Philharmonique du Wurtemberg qui a réalisé un disque Gouvy avec un éditeur suédois. Un autre avec une firme belge. Et, avec Internet, on découvre que les sites et les radios sont de plus en plus nombreux de par le monde à diffuser la musique de Gouvy… » Deux opéras : « une reconnaissance extraordinaire » La mer violente, les nuages, la foudre, les pierres... Pour Les Douze chants de l'Ile de Corse, les premières images projetées de la scénographe Ange Leccia donneront les clés de ce que sont les protagonistes de Mateo Falcone. Et en premier lieu d'où ils viennent. L'eau, la mer, les vagues d'une mer violente, effrayante, glacée. Puis, naissent les premières mesures des trois premiers chants. Les femmes se sont mises en place pendant la première projection ; on les distingue au travers d'un voile. Lorsqu'elles chantent, l'image se met en boucle. Un silence s'installe après les trois premiers chants. L'air, le ciel. Aux vagues, succèdent les nuages, dans le même esprit que la séquence précédente ; puis trois autres chants interviennent sur les images en boucle. Nouveau silence. Le feu, l'orage et la foudre. Ensemencement. Trois chants suivants. Silence. La terre, les montagnes, les pierres. Elles seront évoquées dans les trois derniers chants. (les Voceri). Les montagnes, le maquis, représentent le monde de la tradition, des valeurs auxquelles tient Mateo. Ils sont un lieu de refuge pour les proscrits, ainsi qu'un lieu de sacrifice humain. Les montagnes sont considérées comme conservatrices des coutumes anciennes en matière de funérailles. Fortunato lui, rêve de la ville. Le lieu où vit Falcone est <à la lisière>, entre le maquis et Porto Vecchio. Après la résurrection de son corpus symphonique, de ses oeuvres religieuses et de sa musique de chambre, c'est la renaissance de ces deux opéras : Fortunato (Mateo Falcone), et Der Cid (Le Cid) qui occupent maintenant Le silence revient sur la fin du dernier chant. L'image filmée se fige ou s'estompe pendant que les femmes ayant interprété les chants, sortent. C'est à partir de là que l'orchestre se met en place sur le même temps. Fortunato commence… 8 41 Henri Tomasi (1901-1971) X HENRI TOMASI : « IL FAUT AVOIR LA CORSE DANS LE SANG POUR AVOIR LE POUVOIR DE LA CHANTER » Bien que d'ascendance corse, Henri Tomasi est né à Marseille en 1901, où il étudia le piano et où il fut ami avec le violoniste Zino Francescatti, le dédicataire de plusieurs de ses œuvres. Diplômé du Conservatoire supérieur de Paris, il remporte le Premier Second Prix de Rome avec sa cantate Coriolan. Chef d'orchestre à Radio-Colonial, il sera un acteur important de la vie musicale française et adhérera au groupe "Triton" qui réunissait Darius Milhaud, Arthur Honegger, Francis Poulenc, sans pour autant être dans la modernité d'écriture de l'époque où il était considéré comme un néo-classique. Pendant la guerre, il dirigea l'Orchestre national, mais, pacifiste convaincu, il se retirera à l'Abbaye Saint-Michel de Frigolet où il composera notamment un Requiem pour la paix et un opéra Don Juan de Manara. Après guerre, il reprendra son activité de chef d'orchestre et il composera des œuvres de concours pour le Conservatoire de Paris, dont son Concerto pour trompette qui connaîtra la célébrité de par ses interprètes, Maurice André et Wynton Marsalis. Dans les années 50, il fut vivement attaqué par les compositeurs d'avantgarde, pratiquant la musique dodécaphonique, Tomasi se considérant comme un compositeur indépendant. « La Corse reste encore à découvrir... » Tomasi avait la fibre du Corse et disait que « la vraie Corse reste encore à découvrir par les librettistes qui ne croient pas seulement aux bandits en escopette, et par les musiciens qui ne se contentent pas d'une chanson populaire pour exprimer les tréfonds de l'âme d'une race antique, indépendante et fière comme la nôtre ». Il affirmait aussi que ses œuvres d'inspiration corse étaient folkloriques sans l'être. « Il faut avoir la Corse dans le sang pour avoir le pouvoir de la 40 l'Institut. « Ce qui nous arrive aujourd'hui est une reconnaissance extraordinaire, ajoute Sylvain Teutsch. C'est, de plus, un beau challenge car ce sont des projets exceptionnels et nous sommes conscients de l'enjeu de ces réalisations. Leur mise en chantier a représenté pour l'Institut, une masse de travail dans l'édition de ces ouvrages qui n'avaient pas été montés du vivant du compositeur. Masse de travail aussi pour la livraison du matériel et gros investissement financier pour notre petite structure. Mais ceux qui s'y dévouent ont voulu relever le défi… » Une sérénade pour Metz Retour d'un voyage à Leipzig, Théodore Gouvy fit escale en 1850 à Metz ou habitait sa mère. Le 23 novembre, il fit à l'hôtel de ville une déclaration stipulant que, résident en France depuis 1830, il voulait élire son domicile à Metz et sollicitait la jouissance de la nationalité française. Il séjourna quelques mois dans cette ville, retourna à Paris et dédia à l'association messine "l'Union des Arts", une Sérénade pour le piano. Ce morceau, gravé par Toussaint, parut dans la Revue publiée en 1852 par cette société. Plusieurs œuvres du compositeur ont été exécutées à Metz, et que les journaux et revues saluèrent de façon élogieuse. En 1859, il fut à nouveau de passage à Metz où il exécuta, avec des musiciens amateurs, le Trio pour violon, piano et violoncelle de sa composition. La relation de ces séjours sont mentionnés dans le « Dictionnaire des Musiciens de la Moselle » de JeanJulien Barbé, archiviste de la ville (Edition Le Messin, 1929) avec une préface de René Delaunay, alors directeur du Conservatoire. II SYLVAIN TEUTSCH : « C'EST L'HISTOIRE DE NOTRE GRANDE RÉGION… » Président de l'Institut Théodore Gouvy, Sylvain Teutsch, né à Hombourg-Haut, est à l'origine de la redécouverte du compositeur, inhumé au cimetière de cette ville, et auquel il s'est intéressé depuis son enfance. Il nous conte les étapes qui ont conduit cette institution 9 à la reviviscence de ses œuvres, et à les faire connaître de par le monde. Etapes d'un passionné… Khama-Bassili Tolo L'intertextualité chez Mérimée, l'étude des sauvages ; René Girard La violence et le sacré. A partir d'un tombeau en forme de métronome ! IX C.L.M. : Comment avez-vous été amené à vous intéresser à Théodore Gouvy ? Sylvain Teutsch : J'étais enfant, je chantais à la chorale et j'habitais un quartier pas loin du cimetière. Un jour, j'aperçus, au fond, une tombe élancée comme une pyramide. La stèle avait la forme d'un métronome sombre sur lequel se détachait un médaillon blanc qui portait l'effigie et le nom de Théodore Gouvy, compositeur (1819-1898). J'en fus intrigué et, depuis, j'ai toujours voulu savoir qui était-il et éclaircir ce mystère. Le déclic se produisit lorsqu'un jour où, alors que j'étais président du Chœur d'hommes de Hombourg-Haut, la ville reçut la visite d'un étudiant en Sorbonne accompagné de descendants de la famille. Si un étudiant, en l'occurrence Martin Kaltenecker (qui choisira plus tard, pour sujet de thèse de doctorat, Théodore Gouvy), s'intéressait à lui, je me suis dit qu'il était vraiment un grand compositeur. Or, si le Chœur d'hommes existait (on avait célébré en 1990, le 125e anniversaire de sa fondation), c'est parce que les chanteurs qui en faisaient partie à l'origine, étaient tous des ouvriers et des employés travaillant aux Etablissements Gouvy, et que, donc, Théodore Gouvy y était pour quelque chose… CÉSAR CUI : UN FALCONE À LA RUSSE Après ce déclic, comment la ville de Hombourg-Haut s'est-elle investie dans ce que l'on peut appeler une aventure ? C'est justement en 1990, afin d'illustrer avec plus d'éclat la célébration des 125 ans du Choeur, que ce dernier, avec la municipalité, avons décidé de créer « Les Rencontres musicales de Hombourg-Haut ». Notre souci principal était de toucher le public le plus large possible et de renouer avec le riche passé historique et culturel de la cité, de par la présence de la famille Gouvy. Cette rencontre magique de la musique et de l'histoire ne pouvait trouver meilleur cadre que celui de la Collégiale Saint-Etienne, admirablement restaurée et témoin d'une histoire presque millénaire, l'édifice ayant été classé en 1930 Monument historique. Et n'est-ce pas sous les voûtes séculaires de cette église que furent célébrées, le 27 avril 1898, les obsèques du compositeur mort six jours auparavant à Leipzig avant d'être inhumé dans le caveau familial ? 10 On ignore si le compositeur russe César Cui connaissait le Mateo Falcone de Théodore Gouvy. Toujours est-il qu'il composa, entre 1906 et 1907, un opéra, pareillement en un acte et portant le même titre, ce qui, en cyrillique, est assez complexe mais qui devient, dans sa transcription : Mateo Fal'kone. Il le désigna plus précisément comme étant une scène dramatique. Le livret est inspiré du même Prosper Mérimée et adapté de Vassili Joukovski. L'ouvrage a été créé en décembre 1907 au Théâtre du Bolchoï de Moscou, mais ce fut un échec. Il semble que son sujet, bien loin des arguments des opéras du répertoire russe, ait laissé le public indifférent. Et l'ouvrage, semble-t-il, n'a jamais été repris. La musique est de style déclamatoire avec récitatifs mélodiques, s'inspirant d'Alexandre Dargomyjsky qui exerça une profonde influence sur lui. Les passages orchestraux suggèrent un décor rustique par le biais d'une barcarolle, le final s'achevant sur la prière d'inspiration latine, Ave Maria. Les personnages sont identiques à ceux de l'opéra de Gouvy et une réduction pour piano et voix en avait été réalisée. Mateo Falcone est le dernier des trois opéras en un acte de César Cui, les deux autres étant La Fête en temps de peste et Mademoiselle Fifi. On rappellera que César Cui fit partie du "groupe des cinq" inspiré par Balakirev et comprenant Rimski-Korsakov, Borodine et Moussorgski, dont Cui acheva son opéra La Foire de Sorotchinsky. 39 N'y a-t-il pas une ambiguïté autour du nom du gendre, Tiodoro ? Après le meurtre, dans la "nouvelle", Mateo, en effet, remplace tout bonnement le fils coupable assassiné, par un fils adoptif, son gendre Tiodoro (Théodore), ce qui veut dire "don de Dieu", et par contraste avec l'infortuné Fortunato, le mal nommé qui a démenti son propre nom. Or, l'étymologie de Tiodoro (Theodoros en grec), et celle de Mateo (Mathieu en français et Mattayahu en hébreux), sont semblables. Ces deux prénoms signifient : don de Dieu. En quelque sorte, Mateo fait venir son double. Mais ce qui surprend plus encore, c'est que l'adjudant Gamba se prénomme aussi Tiodoro… tout comme Gouvy se prénomme Théodore ! Tiodoro serait-il alors une autre réplique du père ? C'est en tout cas la figure du "tentateur". L'homme de la ville, de la civilisation "moderne". Pour lui, les moyens utilisés importent peu. C'est le résultat qui compte. Que tirez vous de ces réflexions dans votre mise en scène ? L'opéra, tout comme la "nouvelle", adoptent une forme brève, concise, d'une précision voisine de l'algèbre. Il n'y a aucune phraséologie, aucune enflure, aucun accent d'élégie. C'est d'une simplicité chirurgicale. Pour moi, Mateo Falcone narre la mort d'une société primitive au contact de la civilisation, non par une destruction venue de l'extérieur, mais par autodestruction, car elle porte le mal en elle-même, à l'intérieur d'un de ses membres le plus fragile et le plus émouvant. Dans ma mise en scène, les costumes (signés Danièle Barraud), illustreront la confrontation de ces deux sociétés. Ainsi, Falcone, sa femme, son fils, Sanpiero et Beppo seront en costume traditionnel corse. Gamba et les flics seront en costumes contemporains. La part prise par la scénographe Ange Leccia est, pour moi, primordiale dans ce spectacle. Son travail et le mien ont été intimement liés. Je considère aussi que Les Douze chants de l'Ile de Corse d'Henri Tomasi qui introduisent le spectacle, (voir le chapitre sur Henri Tomasi), sont hors le temps, hors-jeu pourrait-on dire. Mateo Falcone lui, est en temps réel. L'action se déroule vraiment sur 40 à 45 minutes. L'idéal du théâtre classique voulait que le temps de l'action corresponde au temps de la représentation. La "nouvelle" s'apparente à la tragédie classique par l'unité de lieu, de temps, et d'action. * Notes bibliographiques d'Eric Chevalier : Antonia Fonyi Préface pour l'édition GF Flammarion de Mateo Falcone ; Jacques Chabot L'autre moi, fantasmes et fantastique dans les "nouvelles" de Mérimée ; 38 « Un festival, merveilleux champ d'exploration des œuvres… » Et c'est en leur adjoignant le nom de « Festival international Théodore Gouvy » et en dédiant ses « Rencontres musicales » à son compositeur, que sa ville s'est engagée délibérément dans sa réhabilitation, lui qui était tombé dans l'oubli après sa mort. Dès 1992, on a donc réussi à faire réinterpréter ses œuvres. Le phénomène déclencheur fut la résurrection de son Requiem en 1993, le Festival étant devenu un merveilleux champ d'exploration de ses ouvrages. Aujourd'hui, plus d'une trentaine de ses compositions ont déjà pu être créées ou recréées, et présentées au cœur même où elles avaient été écrites, puisque Gouvy vécut à Hombourg-Haut les trente dernières années de sa vie et où il y composa ses ouvrages les plus importants. Quand les institutions régionales se sont-elles intéressées à la renaissance de Gouvy et quels sont les artistes qui se sont investis dans ses œuvres ? C'est justement à ce moment là, que la Région Lorraine s'est passionnée pour le phénomène lorsqu'elle entreprit d'orienter sa politique vers le patrimoine lorrain en créant « Mémoires musicales de la Lorraine ». Les musicologues, les historiens, les musiciens ont participé aux découvertes et, très vite, dans la foulée du Requiem, on joua la Cantate du printemps. En 1995, le Quatuor Denis Clavier entreprit l'enregistrement d'un des quatuors et d'un des quintettes de Gouvy, sur la douzaine qu'il a écrits, et la cantatrice messine Cyrille Gerstenhaber en chanta les mélodies et les Lieder. Et, tous ces disques furent édités dans la série des Mémoires musicales. 1995, c'est aussi l'année où fut fondé l'Institut Gouvy, sur les lieux mêmes où sa musique avait été composée, c'est-à-dire la Villa Gouvy, résidence de la famille et acquise par la ville de Hombourg-Haut. Les enregistrements se sont succédé : en 96, ce fut le Stabat Mater puis la cantate Egill sur La Villa Gouvy de Hombourg-Haut qui abrite l'Institut Gouvy une légende scandinave, en 98, (Photo Claire Leber) le Quatuor Clavier s'investit à 11 nouveau dans les autres quatuors et quintettes, et tous ces disques ont obtenu des distinctions : Choc de la musique, 9 de Répertoire, 5 diapasons, sans compter les critiques et les articles de journaux et de revues spécialisées… Un véritable musée que l'Institut Gouvy ! Le phénomène Gouvy est contagieux, puisqu'il s'est répandu auprès des éditeurs, des maisons de disques, des festivals étrangers. Où en est actuellement sa progression ? Les enregistrements se sont multipliés avec l'Electre chantée par Françoise Pollet à l'occasion du centenaire de la mort du musicien ; puis l'Institut a entrepris l'édition ou la réédition de partitions, a rassemblé des documents, des photographies, des correspondances, -on a recensé 723 lettres !- , des souvenirs du musicien, des objets liés à sa vie et à son œuvre, on a répertorié toute sa musique… Un véritable musée. En créant une dynamique autour de Gouvy, l'Institut s'est attaché également à retrouver d'autres oubliés de l'histoire, dont son neveu Léopold qui signait sous le pseudonyme d’« Opol Ygouv » et qui a écrit des œuvres intéressantes. Je citerai le Catalogue complet des œuvres de Gouvy réalisé par René Auclair, son mémoire de DEA, l'ouvrage de doctorat de Martin Kaltenecker, et son analyse d'œuvres inédites, le DEA réalisé sur la correspondance de Gouvy, l'apport important de Mme Pistone, musicologue, qui lui a valu d'être nommée présidente d'honneur de notre Institut… De plus, l'Institut a noué, depuis plusieurs années, de nombreux partenariats, notamment avec les institutions allemandes, la Musikhochschule de Sarrebrück, les Universités de Leipzig et de Hambourg. Figurez-vous que l'Institut a retrouvé la toute première biographie du compositeur, écrite et publiée à Berlin en 1902, par Otto Klauwell, musicologue et directeur du Conservatoire de Cologne et qui avait connu Gouvy ! L'American Gouvy Society de Littleton Racontez-nous comment l'Institut a-t-il noué des partenariats en Amérique et quels sont ses projets futurs ? En Amérique, oui. On est entrain de préparer l'année Gouvy qui aura lieu l'an prochain. Elle se concrétisera notamment par la création d'un Festival Gouvy à Denver dans le Colorado. Et ce festival a été fondé par un correspondant américain, musicologue, pianiste, nommé Robin Mac Lean, qui avait créé, déjà en l'an 2000, l'American Gouvy Society à Littleton, égale12 de l'hospitalité dont l'honneur paternel était le garant. L'hospitalité est donc "homérique". Fortunato transgresse ainsi l'honneur paternel, et cet honneur ne peut être réhabilité que par le sang du fils. C'est le droit de prendre de la chair lorsqu'il y a faute. (dette/Schuld). Ainsi il y a donc dans Mateo Falcone, le conflit de deux légalités, l'une archaïque, l'autre "civilisée". C'est le désir, la convoitise, qui pousse Fortunato à transgresser cette loi de l'hospitalité et un désir infantile d'être "comme papa", de faire la loi comme lui et de posséder comme lui "le bon objet", tout en sachant que c'est interdit. Vous parlez de métaphore animale, s'agissant de Mateo Falcone. Quelle analyse psychologique en faites-vous ? Un faucon. Un chef de clan. Un prédateur. Comme s'il s'agissait de saisir en l'homme ce qui relève de sa nature la plus instinctive. Nul ne peut soutenir le regard de Mateo qui hypnotise, pour ainsi dire, Fortunato, obéissant jusqu'à la dernière minute. C'est Mateo qui a choisi le nom de son fils (on ignore tout du prénom des trois filles qui l'ont précédé). Mateo est à la fois juge, prêtre et bourreau. Ou il renie ses valeurs, et il accepte un traître dans sa famille, et la transmission d'un nom souillé par le déshonneur. Ou l'application stricte du code de l'honneur et la mise à mort de celui qui, "le premier de sa race", s'est rendu coupable de trahison. Ce faisant, il accepte l'extinction de son nom en toute conscience. Fortunato est-il victime ou coupable selon vous ? Fortunato est soumis à l'autorité du "pater familias", maître après Dieu sur sa famille. Et dans cette famille, les sentiments ne s'extériorisent pas. On notera le caractère possessif et violent des liens qui unissent cette famille. Par conséquent, Fortunato a conscience du prestige de son père, ce qui explique son arrogante insolence face à Gamba. Dans ce type de société primitive, l'enfant n'est pas l'objet d'attendrissement. C'est bon pour les nourrices et les femmes, jusqu'à ce que le garçon ait l'âge d'apprendre à devenir un homme auprès de son père. Ce fils doit garantir la continuité du nom. Il vit loin de la ville corruptrice. L'enfant n'est pas attiré par la valeur marchande de l'objet qu'on lui donne (la montre). Il est, par contre, comme un primitif, attiré par ce qui brille. Alors est-il coupable ? Le destin ne l'at-il pas mis, tragiquement, dans une situation au dessus de ses forces ? Opéra d’une simplicité chirurgicale 37 VIII ÉRIC CHEVALIER : « L'HONNEUR PATERNEL NE PEUT ÊTRE RÉHABILITÉ QUE PAR LE SANG DU FILS » Eric Chevalier met en scène l'opéra Fortunato. Il nous donne ses impressions et les jugements qu'il porte sur l'œuvre, sur ses personnages, sur la façon dont ils se comportent et qui se traduiront dans la conception scénique qu'il en a. « L'action pourrait se dérouler dans n'importe quelle société primitive », précise-t-il. « Le meurtre du fils par son père (qui confère à cette histoire corse sa dignité de tragédie antique), est une invention de Mérimée qui disposait, plus banalement, d'un reportage relatant l'exécution d'un traître par sa famille. La différence majeure que j'observe, est que le rôle de la mère est inexistant dans la "nouvelle" par rapport à l'opéra. Son action est intolérable. Dans les adaptations cinématographiques, où radiophoniques de la "nouvelle", cette situation est normalisée. Mérimée, lui, ne s'attendrit pas. » Eric Chevalier : l'honneur paternel ment dans le Colorado. Il a fait un considérable travail de recherche aux Etats-Unis en comptabilisant toutes les œuvres de Gouvy jouées dans les universités américaines. Je n'oublierai pas la fondation, en 2009, de la Theodor Gouvy Gesellschaft par un jeune chef d'orchestre français, Vincent Borritz, qui est actuellement professeur à la Musikhochschule de Dresde. A Dresde, nous avons aussi le projet d'une Académie Sylvain Teutsch, président de l'Institut Gouvy : d'été, avec un concert de Lieder de « L'an prochain, un Festival Gouvy… dans le Colorado ! » Gouvy, et qui se déroulera dans la Villa de Carl Maria von Weber et sur son piano à queue ! Enfin, sur le plan des enregistrements, on va vers l'intégrale des symphonies de Gouvy dont quatre d'entre elles ont déjà été gravées l'an dernier, sous la direction de Jacques Mercier avec la Deutsche Radio Philharmonie de Sarrebrück-Kaiserslautern. Tout est en boîte pour les suivantes. Gouvy en a écrit six, une a été perdue, mais il y a une seconde version de la 6e avec, en plus, une Sinfonietta et une Symphonie brève. Gouvy a un bel avenir devant lui… Un chef français, un orchestre allemand, tout un symbole. Gouvy n'avait-il pas la double culture ? Le voici maintenant qu'il joue à l'international. Une réhabilitation réussie. C.L.M. : Comment analysez-vous le comportement de chaque personnage ? Eric Chevalier : Fortunato est le héros malheureux -infortuné-, de cet opéra, et, pourtant, il semble bien ne faire aucun doute que Mateo en est la figure emblématique et omniprésente. Pourtant, de la page onze jusqu'à la page soixante-sept de la partition, son fils, Fortunato, est seul face à ses responsabilités. Mateo, lui, est animé de la "virtu" qui caractérise les hommes non civilisés. Pur, intransigeant, il détient la quasi-totalité des valeurs traditionnelles qui importent à Mérimée. Il tue son fils, le seul garçon de la famille, pour avoir dérogé aux lois de l'hospitalité. Un fils qui a transgressé la religion Bien que Théodore Gouvy se soit fait des relations dans le monde musical parisien et ait fréquenté les artistes et les compositeurs de son époque, les historiens de la musique, les critiques musicaux et autres commentateurs ont eu parfois la dent dure à son endroit. C'est l'époque qui voulait cela. Certes, il eut des contacts professionnels chaleureux et il s'est aussi lié 36 13 III ON N'A PAS TOUJOURS ÉTÉ TENDRE AVEC THÉODORE ! d'amitié avec Camille Saint-Saëns, Edouard Lalo, Charles Gounod, le violoniste Rodolphe Kreutzer, la cantatrice Pauline Viardot et les chefs d'orchestre Jules Pasdeloup, Charles Lamoureux, Gabriel Pierné aux Concerts Colonne… Mais il est à peine cité dans La Musique des origines à nos jours (Larousse 1946) aux côtés d'autres compositeurs français et qui furent « les bons ouvriers de la restauration du goût musical français… », tandis que, dans le plus récent Dictionnaire usuel de la musique piloté par Marc Honegger (Bordas 1995), on dit qu' « il ne reçut aucune formation musicale sérieuse avant son arrivée à Paris (…) Compositeur sans envergure, Gouvy a, au moins, retenu l'attention d'une époque qui voyait en lui un continuateur français de Carl-Maria von Weber et de Beethoven (…) Il a défendu la musique pure alors que la musique à programme était la principale occupation des compositeurs… ». Plus dur sera, sous la houlette de Marc Vignal, le Dictionnaire de la musique (Larousse-Bordas 1999) où l'on peut lire : « Tenant de la musique pure, Gouvy s'installe à Paris pour étudier le droit, mais son aisance matérielle lui permit de se tourner vers la musique (…) Il a composé dans un style assez impersonnel, six symphonies, … » giques de l'enfant un peu veule et roué, parce que tiraillé entre un père trop rigide et peu affectif et une mère qui tente d'atténuer cette sévérité en prenant sa part de tendre complicité devant les ordres paternels trop abrupts. Une importance encore sous-estimée Le musicologue René Auclair, spécialiste de Gouvy, a relevé aussi des appréciations parfois peu amènes. Dans quelques Histoires de la musique qui en parlent, on le considère comme « un inconnu des Français parce qu'il méprisait autant l'italianisme, le théâtre, la musique à programme, et qu'il dut s'exiler en Allemagne pour faire jouer ses symphonies, ses sonates et ses quatuors » (Norbert Dufourcq), tandis que Jules Combarieu relevait « son goût austère pour la musique pure (…) en avance sur la plupart de ses contemporains ». Le plus enflammé des commentaires fut écrit par le critique, célèbre alors, Léon Kreutzer, dans L'Union musicale d'avril 1854 : « Avec la centième partie du talent que possède M. Gouvy, on a le droit d'être joué sur tous les théâtres lyriques, de porter la décoration de la Légion d'honneur, d'être membre de l'Institut et de gagner 30.000 francs par an. Mais pourquoi, diable, Monsieur Gouvy compose-t-il des symphonies ? » René Auclair cite, malgré tout, une remarque réconfortante de la musicologue Danièle Pistone qui affirme que Gouvy n'était pas le seul compositeur français de son espèce, à partir d'une constatation faite au XIXe siècle prétendant que la tradition symphonique qui existait en France au XVIIIe siècle, s'était brutalement interrompue pour renaître miraculeusement avec César Franck et la génération qui suivra. Et le commentateur de citer 14 Page de couverture manuscrite de « Fortunato » et page de la partition de la main de Gouvy. 35 d'avoir une montre et bonheur de Gamba d'avoir mis la main sur Sanpiero ; prière résignée de Fortunato ; cris de douleur de Pepa et cris de rage de Mateo. Tout cela est parfaitement souligné et mis en valeur par la musique qui est toujours au service de l'expression et de la cohésion de l'ensemble. Cette œuvre peut être considérée comme un "chant du cygne", non seulement par la place qu'elle occupe chronologiquement dans l'œuvre de Gouvy, mais également parce qu'on y retrouve toutes les qualités qui font de lui un musicien intelligent, sensible et attachant, un grand compositeur. Un comparatif entre « Fortunato » et « Le Cid » Gouvy comme le seul qui composait des symphonies et, d'une façon générale, de la musique dite "sérieuse", comme aussi des quatuors à cordes. Ce à quoi Danièle Pistone rétorque, dans son ouvrage La Symphonie dans l'Europe du XIXe siècle, qu'il existait beaucoup d'autres compositeurs à en avoir écrites, citant Onslow, Deldevez, Saint-Saëns, Bizet, Gounod, Reber, Alexis de Castillon, Messager, Benjamin Godard. Et de conclure que « Gouvy est une figure emblématique et l'initiateur du mouvement symphonique français au XIXe siècle, et dont l'importance est encore largement sous-estimée. » Vous avez travaillé également sur cet autre opéra de Gouvy, « Der Cid ». Est-il possible d'en faire la comparaison avec « Fortunato » ? Les deux seules compositions de Gouvy qui portent le nom d'opéra et qui sont réellement des opéras, Der Cid et Fortunato, ont plusieurs points communs. L'un et l'autre sont en allemand et ont été directement composés dans cette langue alors que la plupart des ouvrages lyriques de Gouvy -souvent en version bilingue-, ont d'abord été composés sur le texte français et ensuite, adaptés en version allemande. Il semble que Gouvy ait voulu tirer parti de sa biculture franco-germanique et faire connaître audelà du Rhin, deux représentants de la culture française, l'un classique, l'autre quasi-contemporain. Les deux ouvrages sont restés inédits et non représentés, le premier en raison de la mort de son interprète principal, le second par la mort de son auteur. Et maintenant, l'un et l'autre suscitent un regain d'intérêt mérité. Les différences ne manquent pas non plus : Der Cid, première initiative dans le genre, est un grand opéra en trois actes volumineux, avec ballet, grands airs. C'est l'opera-seria dans toute la force du terme sur un livret réalisé par un tiers. Fortunato, dernière composition dans le genre, qui a sans doute profité de l'expérience d'une bonne vingtaine d'ouvrages, est ramassé en un acte comprenant huit scènes enchaînées, avec mise en scène réduite, absence pratiquement totale de grand air, d'une grande intensité psychologique et d'une grande force d'expression, cela étant peut-être dû en partie au fait que Gouvy organise lui-même le livret qu'il met en musique. Le statut des deux œuvres n'est pas le même non plus : Le Cid est une œuvre intemporelle du théâtre classique, emblématique du dilemme "cornélien" entre le devoir et l'amour. Mateo Falcone, une modeste nouvelle, presque une curiosité anthropologique, satisfaisant le désir romantique de l'ailleurs, même si Gouvy lui donne une portée beaucoup plus "moderne", en campant, avec beaucoup de finesse, les profils psycholo- En matière de théâtre parlé, de romans ou de nouvelles ayant servi de support au théâtre lyrique, on ne connaît guère, de Prosper Mérimée, que sa Carmen, qui est devenue le plus célèbre et le plus joué des opéras à travers le monde. Par contre, ses "nouvelles" sont moins connues, mais celle de Mateo Falcone émerge cependant des trois autres qui l'entourent, en cette même année 1829, et que sont La Chronique du temps de Charles IX, Vision de Charles IX et L'Enlèvement de la Redoute. C'était encore un jeune homme. Il avait alors 26 ans et il était un peu le Casanova des salons littéraires. Né à Paris en 1803, Prosper Mérimée eut comme père, un professeur de dessin, et comme mère, un professeur de peinture. Elle était née Anne Moreau et était une descendante de Marie Leprince de Beaumont, l'auteur du célèbre roman La Belle et la Bête. Prosper Mérimée fait ses études au Lycée Henri IV, puis entreprend des études de droit, obtenant son diplôme en 1823. Le libertin qu'il était alors, lutta un jour avec le mari de sa maîtresse, qui le blessera de plusieurs balles ! Puis, après une courte aventure avec George Sand, il se passionnera pour Valentine Delessert, son égérie, qui était la petite-fille du comte et politicien Alexandre de Laborde. Mérimée sera membre du « Cénacle » de Victor Hugo, voyagera beaucoup, se liera avec Stendhal, publiera « Le Théâtre de Clara Gazul », rendant hommage à la comédienne Clara Gazu, puis, en 1827, à cette autre comédienne qu'était « Maglanovitch Hyacinthe ». En 1828, il publie La Jacquerie, un drame historico-féodal. Arrive l'année 1829. 34 15 IV PROSPER MÉRIMÉE : « MATEO » AVANT « CARMEN » l'émotion de son spectateur sur le conflit psychologique de l'amour, avec ses faiblesses, et de l'honneur, avec sa dureté et, il faut le dire, son obstination peu intelligente. La puissance de l'émotion soulevée par les deux ouvrages est forte, mais, tandis que Mérimée dit les choses tout uniment, reste impartial, extérieur, presque glacé, et, par contraste, rend les faits qu'il rapporte plus horribles encore, Gouvy, au contraire, en musicien, joue des contrastes à l'intérieur même de l'œuvre, dans tout ce que la tradition "lyrique" véhicule avec elle de pathos. Il n'est, pour s'en convaincre, que d'évoquer avec quelle maestria sont mises en œuvre les invectives de Mateo, les objurgations de Pepa et le Pater Noster, recto tono, de Fortunato, dans le dénouement. C'est un grand mérite de ces deux œuvres, courtes, l'une et l'autre, apparemment fort proches, de former maintenant une sorte de dyptique dont les deux volets se répondent et dont les effets différents mais complémentaires se renforcent. Couleur orchestrale, variété de rythmes, de caractères, de nuances, de mouvements Il termine sa nouvelle Mateo Falcone, le 14 février de cette année et lui donne comme sous-titre Mœurs de la Corse. Elle sera publiée dans La Revue de Paris le 5 mai, et l'ouvrage deviendra un classique de la production de son auteur. La nouvelle sera reprise dans « Mosaïque » en 1834. La couleur locale qui l'alimente est présente dans la narration de la vie rurale de l'Ile de Beauté, de même que le caractère de ses habitants, leur fierté, leur honneur, leur rudesse parfois. Et pourtant, Mérimée ne s'était encore jamais rendu dans ces lieux où naquit Napoléon. Il avait simplement puisé ses personnages dans diverses sources bibliographiques. On pense qu'il emprunta quelques idées au récit de l'abbé Gaudin, Voyage en Corse, qui datait de 1787, et que le prêtre avait intitulé Noblesse d'âme d'un Corse. Et cependant, la lecture des quelque douze pages de Mérimée, donne cette impression qu'il avait vécu lui-même, le drame qu'il y contait. Il adopte un Sur le plan musical et sur le plan scénique, quelles conclusions mettezvous en exergue ? Cette œuvre est économe de moyens. L'ouverture (prélude) n'est pas autre chose que les quelques minutes de musique nécessaire précédant le lever de rideau, avertissant le spectateur que le spectacle commence, et ne négligeant pas de le mettre auditivement en contact avec les tensions prémonitoires. Même économie dans la chansonnette de la scène N°1, dans les préparatifs de sortie des parents dans la scène 2 et les objections de Fortunato. Le souci de Théodore Gouvy est de peindre vrai : pas de virtuosité gratuite, pas de bavardage. Il s'agit de serrer l'action au plus près et de conduire graduellement le spectateur à la scène insoutenable de la fin. Ce souci de l'efficacité n'est pas un appauvrissement de la palette musicale, au contraire. On peut noter combien l'expression est servie par une extrême variété de mouvements, de caractères, de rythmes, de nuances, de couleur orchestrale, de modulations. Sur le plan scénique Gouvy réalise avec bonheur la conduite du récit initial. Comme il en est coutumier dans ses autres ouvrages lyriques (Der Cid ou dans les grandes cantates dramatiques), il use toujours du jeu des oppositions. Grand calme de la première scène où Fortunato s'ennuie ; arrivée mouvementée du fugitif ; discussion serrée avec Gamba ; bonheur 16 33 Il n’était pas encore allé en Corse… - Mon père, je sais encore l'Ave Maria et la litanie que ma tante m'a apprise. - Elle est bien longue ; n'importe L'enfant acheva la litanie d'une voix éteinte. - As-tu fini ? - Oh ! mon père, grâce ! pardonnez-moi ! Je ne le ferai plus ! Je prierai tant mon cousin, le caporal, qu'on fera grâce au Gianetto ! découpage rappelant la règle des trois : lieu, temps, action, et divise en cinq tableaux, les étapes de l'histoire, entre l'exposition du maquis corse et de ses moeurs, la description de Falcone et de sa "tribu" familiale, avant de situer l'action, entre l'arrivée du bandit et le comportement du petit Fortunato. Puis, le constat de trahison entraînant l'angoisse d'un danger imminent et le tragique dénouement. Un schéma de drame classique en somme… [Alors que Mateo Falcone se termine comme un simple fait divers et sans beaucoup d'émotion apparente, Fortunato ajoute la scène 8 où l'épisode inventé du petit pâtre courant après les soldats pour assurer in extremis le salut de l'enfant, ménage jusqu'au bout l'attente d'un dénouement d'autant plus dramatique.] Dix ans plus tard... Les notes d’un voyage en l’île Quelles comparaisons entre « Fortunato » et « Mateo Falcone » et quelles réflexions apportez-vous à leur propos ? Fortunato apparaît, assez évidemment, comme un décalque fidèle, sur le plan narratif, de Mateo Falcone. Toutefois, la perspective n'est pas la même et les moyens employés pour susciter l'émotion, différents. Alors que Mérimée déploie aux yeux de son lecteur, un récit "exotique", où l'étonnant, le "curieux", le dispute au tragique, Gouvy recentre toute Arrive le changement de régime de 1830. Prosper Mérimée se sentira bien dans les milieux louis-philippards, et la Monarchie de Juillet s'emploiera à faire connaître ses œuvres. Il occupera d'ailleurs plusieurs postes administratifs au Ministère de la Marine et à celui du Commerce. En tant que chef de cabinet du comte d'Agout, il aura la charge des "Beaux-Arts", avant qu'il soit nommé inspecteur général des Monuments historiques, puis viceprésident de la commission en 1839. C'est dix ans après son Mateo Falcone, que Prosper Mérimée entreprend un voyage… Attirance ou occurrence ? Le 16 août 1839, il débarque à Bastia du bateau-poste en provenance de Toulon. Un rapport du préfet de Corse sur les monuments du département l'avait séduit et incité à s'y rendre. Il avait réussi à obtenir une autorisation du ministre Gasparin, pour y effectuer une tournée officielle d'inspection. Il visitera à peu près tous les monuments, églises, vestiges, tours et fortifications de l'île. Il prend des notes, s'extasie devant "les admirables jambons du village" (Murato), effectue un périple à cheval, décrit, par le menu, l'ancienne cathédrale de Nebbio et ses "trois curieuses églises". A la fin du périple, il s'embarquera à Bastia pour Livourne en Toscane pour y rencontrer Stendhal avant de remonter à Paris. Résultat, un bouquin de 236 pages édité en 1840, sorte de monographie intitulée Notes d'un voyage en Corse. Plus réjouissant, en tout cas, que la dramatique histoire de Fortunato ! 1840, c'est aussi l'année de Colomba, un must ; puis, en 1843, il sera élu membre libre de l'Académie des Inscriptions et belles Lettres, publiera un article sur « Le Palais de Justice », « La Sainte-Chapelle » et, en 1844, entrera à l'Académie française. Historien, traducteur de la littérature russe, commandeur de la Légion d'honneur… En 1844, c'est un autre monument qui entre dans la littérature : Carmen. Ironie du sort : le décès de Prosper est annoncé par erreur le 10 mars 1869 dans Le Figaro ! En réalité, il mourra à Cannes le 23 septembre 1870. Deux semaines après la chute de Napoléon III et la défaite de la guerre francoprussienne… 32 17 Il parlait encore ; Mateo avait armé son fusil et le couchait en joue en lui disant : - Que Dieu te pardonne ! L'enfant fit un effort désespéré pour se relever et embrasser les genoux de son père ; mais il n'en eut pas le temps. Mateo fit feu et Fortunato tomba raide mort. Sans jeter un coup d'œil sur le cadavre, Mateo reprit le chemin de sa maison pour aller chercher une bêche afin d'enterrer son fils. Il avait à peine fait quelques pas qu'il rencontra Giuseppa qui accourait, alarmée par le coup de feu. - Qu'as-tu fait ? s'écria-t-elle. - Justice. - Où est-il ? - Dans le ravin. Je vais l'enterrer. Il est mort en chrétien. Je lui ferai chanter une messe. Qu'on dise à mon gendre Tiodoro Bianchi de venir demeurer avec nous. » Un conflit psychologique de l’amour et de l’honneur Arnaud Laster, Hugo à l'Opéra, L'Avant-Scène Opéra N° 208, mai-juin 2002, p.3. Marie-Hélène Coudroy-Saghaï, « Les Huguenots » dans Joël-Marie Fauquet (dir.) Dictionnaire de la musique en France au XIXe siècle, Paris, Fayard, 2003, p.602. puyant sur son fusil, le considérait avec une expression de colère concentrée. - Tu commences bien ! dit enfin Mateo d'une voix calme, mais effrayante pour qui connaissait l'homme. - Mon père ! s'écria l'enfant en s'avançant les larmes aux yeux comme pour se jeter à ses genoux. Mais Mateo lui cria : - Arrière de moi ! Et l'enfant s'arrêta et sanglota, immobile, à quelques pas de son père. Giuseppa s'approcha. Elle venait d'apercevoir la chaîne de la montre, dont un bout sortait de la chemise de Fortunato. - Qui t'a donné cette montre ?, demanda-t-il d'un ton sévère. - Mon cousin, l'adjudant. Falcone saisit la montre et, la jetant avec force contre une pierre, il la mit en mille pièces. - Femme, dit-il, cet enfant est-il de moi ? Les joues brunes de Giuseppa devinrent d'un rouge de brique. - Que dis-tu Mateo ? Et sais-tu bien à qui tu parles ? - Eh bien ! cet enfant est le premier de sa race qui ait fait une trahison. Les sanglots et les hoquets de Fortunato redoublèrent, et Falcone tenait ses yeux de lynx toujours attachés sur lui. Enfin, il frappa la terre de la crosse de son fusil, puis le rejeta sur son épaule et reprit le chemin du maquis en criant à Fortunato de le suivre. L'enfant obéit. Guiseppa courut après Mateo et lui saisit le bras : - C'est ton fils, lui dit-elle d'une voix tremblante en attachant ses yeux noirs sur ceux de son mari, comme pour lire ce qui se passait dans son âme. - Laisse-moi, répondit Mateo, je suis son père. Giuseppa embrassa son fils et rentra en pleurant dans sa cabane. Elle se jeta à genoux devant une image de la Vierge et pria avec ferveur. Cependant, Falcone marcha quelque deux-cent pas dans le sentier et ne s'arrêta que dans un petit ravin où il descendit. Il sonda la terre avec la crosse de son fusil et la trouva molle et facile à creuser. L'endroit lui parut convenable pour son dessein. - Fortunato, va auprès de cette grosse pierre ! L'enfant fit ce qu'il lui commandait, puis il s'agenouilla. - Dis tes prières. - Mon père, mon père, ne me tuez pas ! - Dis tes prières !, répéta Mateo d'une voix terrible. L'enfant, tout en balbutiant et en sanglotant, récita le Pater et le Credo. Le père, d'une voix forte, répondait Amen ! à la fin de chaque prière. - Sont-ce là toutes les prières que tu sais ? 18 31 V MÉRIMÉE OU L'OPÉRA PAR EXCELLENCE par Marie-Noëlle Auguste L'œuvre littéraire de Prosper Mérimée a suscité un véritable engouement opératique depuis le XIXe siècle jusqu'à nos jours et, malgré « tout ce que le répertoire des scènes lyriques doit à l'œuvre de Victor Hugo1 », il reste incontestablement l'auteur du XIXe siècle le plus porté à l'opéra. Optant pour des adaptations très libres ou très fidèles, plus d'une quarantaine d'oeuvres se sont inspirées soit de son théâtre marqué par sa dissidence idéologique et esthétique : pratiquement toutes les pièces du Théâtre de Clara Gazul ont été portées sur la scène lyrique ainsi que La Jaquerie, soit de ses romans et nouvelles : Carmen, La Chambre bleue, Chronique sous le règne de Charles IX, Colomba, Mateo Falcone, Lokis, La Vénus d'Ille, ou encore de ses traductions de nouvelles russes : Six et quatre, La Dame de pique. Une défiance vis-à-vis de l’art lyrique ? Parmi ce foisonnement d'œuvres, une bonne quinzaine naquit du vivant de l'auteur. Tout en partageant l'euphorie romantique où « le règne du chanteur-acteur divinise l'artiste et en fait un objet d'adulation2 », Mérimée semble étonnamment distant vis-à-vis de cette profusion musicale, soit par désintérêt (Mérimée ne laisse aucun témoignage dans sa correspondance), soit par désaccord eu regard du pillage des adaptations théâtrales qui représentaient un véritable commerce littéraire au XIXe siècle, soit encore par défiance profonde vis-à-vis de l'art lyrique. Malgré l'engouement opératique que suscite son œuvre, Mérimée semble nourrir une méfiance irrespectueuse pour les musiciens. Dans une lettre datée du 29 juillet 1855, il écrit à Mistress Senior : « J'ai entendu dire que vous étiez grande musicienne, mais j'ai peine à le croire, parce que vous me semblez avoir trop d'esprit et être trop 1 2 se mettre à la recherche de voleurs de deux chèvres. Son fils veut le suivre mais il refuse. Le jeu "père sévère / mère indulgente" est tout de suite posé, et la figure de l'enfant qui s'ensuit, sans doute pas plus mauvais qu'un autre mais habitué à ne pas tenir tête à un père intraitable et à négocier avec une mère compréhensive et qui le soutient, acquiert une grande crédibilité… L'ordre événementiel de Fortunato suit celui de Mateo Falcone, là encore, avec une coloration psychologique beaucoup plus marquée. La 3e scène est bien consacrée aux réflexions du jeune Fortunato et se clôt sur l'arrivée d'un homme blessé, annoncée par des coups de feu, mais ces réflexions sont loin d'avoir la sérénité dépeinte dans Mateo. Et les pensées qui agitent Fortunato dans ce monologue, ne sont pas d'agréables perspectives de promenade dominicale, mais toutes de récriminations contre les recommandations maternelles, les idées paternelles et l'injustice du traitement qui lui est réservé… Mateo Falcone continue sur le mode narratif, et, à la scène 4, Fortunato résume tout cela par les didascalies (…) ; le mode narratif reprend totalement ses droits dans Mateo Falcone… tandis que, dans Fortunato, le dialogue se poursuit, toujours serré et émouvant, la « pièce de cinq francs qu'il avait réservée, sans doute pour acheter de la poudre » devenant « sa dernière pièce de cinq francs qu'il avait économisée pour acheter de la poudre » (…) La rencontre des poursuivants de Sanpiero et de Fortunato, entretient, (dans les textes), à peu près les mêmes rapports que précédemment : alternance de narration et de dialogue dans le premier, jeu de scène et dialogue dans le second… paresseuse. Il faut être un peu bête pour ne faire qu'une chose, et dans les arts on n'excelle qu'en s'y consacrant d'une manière absolue. Ensuite il faut travailler du matin au soir, ne jamais s'exposer au vent et ne pas manger de glaces en été3. Dans son ouvrage Paris dilettante au commencement du siècle, honorant l'esprit voltairien de Mérimée, Adolphe Jullien fait le rapprochement de cette lettre avec un texte de Voltaire adressé à Gretry : « Vous êtes musicien et vous avez de l'esprit ! Cela est trop rare, Monsieur, pour que je ne prenne pas à vous voir le plus vif intérêt4. » "Peu mélomane5" , trouvant le musicien assez borné, Mérimée reste néanmoins l'auteur de prédilection pour une multitude de compositeurs d'écoles et de nationalités diverses, séduits par son esthétique de la réticence, sa posture ironique et son principe archaïque. Ayant une bonne connaissance de toute l'œuvre littéraire de Mérimée, ils ont eu l'intuition commune de son architecture puissante, laconique et déjà elle-même opératique, propre à subir un traitement lyrico dramatique. Sept ouvrages lyriques composés sur Mateo Falcone. L'analyse des opéras inspirés de Mérimée permet d'en dégager plusieurs constantes qui restituent dans leur sémiotique musicale la rhéthorique mériméenne fondée sur l'arkhê6, principe étroitement lié à la notion d'enargeia, et sur l'obliquité ironique dans une dualité chronique où cohabitent le rire et l'horreur. Certaines de ces œuvres ont été plusieurs fois portées à l'opéra, notamment Mateo Falcone. Publiée le 3 mai 1829 dans la Revue de Paris, la nouvelle de Mérimée n'a cessé d'inspirer des compositeurs de diverses nationalités à différentes périodes dans des adaptations qui recouvrent plus d'un siècle et demi de l'histoire de la musique, de 1839 à 1987. … Jusqu’à l’intensité du dénouement La scène du meurtre est la plus émouvante. Pouvez-vous nous en livrer les propos les plus intenses ? C'est dans la scène 7, l'avant-dernière scène, que se concentre toute l'intensité dramatique du dénouement. Là encore, la matérialité des événements est très proche; pourtant, leur succession et leur organisation dramatique ainsi que la tonalité générale sont assez différentes… 1839 : François Albert-Henri-Ferdinand Ruolz-Montchal (baron ou comte de), La Vendetta, opéra en 3 actes, livret de Léon Pillet et d'Adolphe Vaunois, créé à l'Académie Royale de Musique-Le Peletier le 11 3 « Il se passa près de dix minutes avant que Mateo ouvrît la bouche. L'enfant regardait d'un œil inquiet tantôt sa mère, tantôt son père, qui, s'ap- Prosper Mérimée, Correspondance générale, établie et annotée par Maurice Parturier avec la collaboration pour les tomes I à VI de Pierre Josserand et de Jean Mallion, t. I-VI, Paris, le Divan, 1941-1947, t. VII-XVII Toulouse, Privat, 19531964, lettre de juillet 1855, tome VII, pp. 511-512. 4 Texte de Voltaire rapporté dans les mémoires de Grétry, I, 33, inséré dans Adolphe Jullien, « Mérimée dilettante et orateur » dans Paris dilettante au commencement du siècle, ouvrage orné de 36 gravures sur bois et facs. de dessins originaux conservés aux Archives de l'Opéra, Paris, Firmin-Didot, 1884, p. 337. 5 Raymond Leslie Evans, Les Romantiques français et la musique, Paris : Champion, 1934, réédition Genève : Slatkine Reprints, 1976, p. 38. 6 Cf. Antonia Fonyi « La passion pour l'archè » Prosper Mérimée écrivain, archéologue, historien, Antonia Fonyi (dir.), Genève, Droz, 1999, p. 197-207. 30 19 [N.D.L.R. : nous reproduisons ci-dessous la fin du texte en français, adapté de la version allemande sur laquelle Gouvy avait construit sa partition] 1894 1896 1898 1907 1930 1987 septembre 1839. Opéra repris en deux actes en 1840. Livret, Paris, Duverger, 1839. Heinrich Zöllner, Mateo Falcone, livret du compositeur, créé au Metropolitan Opera de New York en 1884, repris à l'Irving Place Theater de New-York le 18 décembre 1893 [1894]. Théodore Gouvy, Fortunato, livret du compositeur, œuvre inédite. Réduction chant-piano, livrets en français et en allemand, extraits du conducteur d'orchestre offerts gracieusement par Sylvain Teutsch, président de l'Institut Théodore Gouvy. Theodor Gerlach, Matteo Falcone, opéra en 3 actes, livret du compositeur, créé à Hanovre le 23 octobre 1898. César Cui, Mateo Falcone, scène dramatique en un acte, livret de Vasily Zhukovsky, créé au Théâtre du Bolchoï de Moscou le 14 décembre 1907.Conducteur d'orchestre, réduction piano-chant, Moscou, Éditions Jurgenson, 1907. Florence Ewart, Mateo Falcone, opéra en 3 actes, livret du compositeur, composé à Melbourne entre 1930 et 1932. Œuvre inédite. Réduction piano-chant manuscrite, livret et notes, Melbourne, Grainger Museum, 1930. Paul Fejko, Matteo Falcone, opéra en un acte, livret de Dino Yannopoulos créé à l' Académie of Vocal Arts de Philadelphie le 23 octobre 1987. Réduction piano-chant, conducteur d'orchestre, manuscrits offerts gracieusement par Paul Fejko. Placés aux endroits cruciaux dans l'histoire de la musique, les opéras inspirés de Mérimée en reflètent l'esthétique, produit atypique du XIXe siècle, à la fois héritier et unique, soumis et dissident, conforme et novateur. Qu'ils soient très librement inspirés de l'auteur ou le plus fidèles au texte, ces opéras condensent la rhétorique mériméenne en une immanence musicale dont la force métaphorique illustre l'aphorisme de Roland Barthes : « Peut-être qu'une chose ne vaut que pour sa force métaphorique : peut-être que c'est cela, la valeur de la musique : d'être une bonne métaphore7.» La légendaire sécheresse de ton de Mérimée, qui dissimule passionnément le contraire, a permis aux compositeurs, comme l'affirme Louis Durey dans son Catalogue commenté, de s'exprimer eux-mêmes à travers son œuvre littéraire qui, pour reprendre l'expression de Roland Manuel « appelle la 3 Roland Barthes, L'obvie et l'obtus. Essais critiques III, Paris, Le Seuil, 1982, p. 252. Roland Manuel (Roland Alexis Manuel Lévy dit), Lettre à Louis Durey, à propos de sa tentative de monter L'Occasion de Mérimée, mentionnée dans le Catalogue commenté de Louis Durey, Bulletin de la Société Nationale de Musique de l'IRCAM : " Intemporel ". L'extrait du Catalogue commenté de Louis Durey consacré à L'Occasion m'a gracieusement été offert par Madame Arlette Durey, fille du compositeur. 8 20 Un début qui baigne dans la couleur locale Qu'avez-vous découvert en décortiquant le texte de « Fortunato » ? Pour ce qui est de l'état du texte de Mérimée qui fut entre les mains de Gouvy, il n'est rien resté de sa bibliothèque littéraire qui puisse en fournir René Auclair : « dès la 2 scène, Gouvy dramatise le propos… » un quelconque indice, contrairement à sa bibliothèque musicale qui a été conservée intégralement. Toutefois, si l'on en juge par l'édition critique (Jean Mallion et Pierre Salomon), les variantes textuelles sont minimes et revêtent, ici, beaucoup moins d'importance que le compositeur tire du texte français un livret en allemand. Selon toute vraisemblance, il a rédigé dans la langue de Goethe, un livet inspiré du texte de Mérimée en pratiquant l'exercice dit de "contraction croisée de texte" dans les concours des Grandes écoles. Mateo débute par une introduction qui présente au lecteur le cadre corse qui avait un caractère beaucoup plus "exotique" qu'aujourd'hui… Dans Fortunato, tous ces détails sont concentrés en quelques lignes de didascalies à destination du metteur en scène. Et l'on est plongé, dans la première scène, fort courte, dans la "couleur locale" où le jeune Fortunato chante une chanson corse. Mais cette introduction s'étend aussi, et longuement, sur le "héros" lui-même, « aussi bon tireur que dangereux ennemi », et dont la réputation de chasseur est mise en exergue. En voici un exemple : « La nuit, il se servait de ses armes aussi facilement que le jour (…) A quatre-vingts pas, on plaçait une chandelle allumée derrière un transparent de papier, large comme une assiette. Il mettait en joue, puis on éteignait la chandelle et, au bout d'une minute, dans l'obscurité la plus complète, il tirait et perçait le transparent trois fois sur quatre ! »… e Une dramatisation progressive… Certains de ces traits seront repris dans les dialogues ultérieurs de Fortunato. Le texte est d'abord au passé puisqu'il s'agit de faits antérieurs, au moment de la rencontre du narrateur avec le "héros" de l'histoire. La 2e scène de Fortunato suit l'action décrite mais en opérant certaines transpositions qui, dès l'abord, la dramatise. La première apparition de Mateo le montre avec un fusil, non pas pour aller "visiter ses troupeaux", mais pour 29 la voie nouvelle qu'il avait empruntée. Pourtant, dès l'année suivante, grâce à la découverte de la poésie de Ronsard dont il met en musique quarante pièces, la musique lyrique prend une importance nouvelle pour lui. En 1874, son Requiem op.70 inaugurera une longue production de grandes œuvres dramatiques religieuses ou profanes, tels le Stabat Mater ou Electre, et dont Fortunato représente le terme ultime, une Didon n'ayant été qu'envisagée… Fidélité au texte allemand, éclairage du texte français original Comment avez-vous procédé pour réaliser l'adaptation du texte allemand en français au niveau de la prosodie, et du respect de l'écriture musicale ? Il pouvait sembler un peu curieux de présenter, en France, un ouvrage composé par un Français, dont l'argument était une "nouvelle" de langue française, dans sa version allemande, originale et seul autographe. On peut d'ailleurs raisonnablement supposer que Théodore Gouvy aurait probablement réalisé, comme il en avait l'habitude, une version française de cette œuvre, si sa mort n'était intervenue peu de temps après l'achèvement de la version allemande. C'est sans doute dans cet esprit, qu'Henriette Gouvy avait rédigé une adaptation française qu'elle proposa, sans succès au compositeur André Messager. Cette adaptation n'est pas sans mérite, et il eût été doublement intéressant de pouvoir la proposer au public en raison de la proximité familiale et artistique de son auteur, belle-sœur et amie particulièrement impliquée dans la carrière artistique du compositeur. Toutefois, malgré de réelles qualités et un effort constant pour respecter la prosodie française, de trop nombreuses coquilles et libertés prises avec le texte original (Henriette Gouvy-Böcking était Sarroise de langue allemande), interdisaient cette démarche. A la demande de M. Eric Chevalier, directeur de l'Opéra-Théâtre de Metz, nous avons réalisé (N.D.L.R. René et Samuel Auclair) l'adaptation française qui fait l'objet de cette édition. Notre démarche a été guidée par les principes suivants : la fidélité la plus grande possible au texte allemand de Théodore Gouvy avec l'éclairage mais l'éclairage seulement- du texte français original de Prosper Mérimée ; le respect de la prosodie française avec les licences classiques qu'elle s'autorise (ex : la règle du "e muet" prononcé, la finale "féminine" …) ; le respect intégral de la musique, en particulier de l'harmonie et des accents… 28 musique avec une force irrésistible8 ». Si la modernité de Mérimée reste incontestable, on peut en revanche, après la redécouverte d'un tel patrimoine opératique, interroger la légitimité de la démarche de postérité qui usa de Carmen pour occulter les autres chefsd'œuvre, notamment Fortunato de Theodore Gouvy. Marie-Noëlle AUGUSTE Professeur de flûte à bec et de musique de chambre au Conservatoire de Saint-Denis (93) Directeur artistique de l'ensemble vocal et instrumental A Contrario Doctorante à l'Université de la Sorbonne Paris IV sous la codirection de Danièle Pistone (Musicologie) et Jean-Yves Masson (Littérature comparée). Sujet de thèse : Mérimée à l'Opéra. VI L'HISTOIRE DE FORTUNATO ET SES PERSONNAGES Qui est Mateo Falcone ? Un vieux bandit qui a amassé de l'argent entre trafic et contrebande, et qui a fixé sa demeure, une maison-ferme, à l'orée d'une forêt. Il considère son fils de dix ans, Fortunato, comme son digne héritier, avec ses trois filles et sa femme, et qui sont l'honneur de la famille. Chasseur invétéré, il décide, avec son épouse Giuseppa, d' aller au gibier dans les futaies proches, tout en recommandant à son fils de rester et de bien garder la maison. Au cours de sa battue, Mateo entend des coups de feu en rafales, puis, croise un homme qui s'enfuit et le supplie ardemment de lui trouver une cachette. Mateo y consent, mais en échange d'une somme… de cinq francs. Le bandit traqué -il s'appelle Gianetto Sanpiero-, sera planqué dans la demeure familiale. Entre bandits, c'est naturel. Or, peu après, une demi-douzaine d'hommes armés, commandés par l'adjudant Tiodoro Gamba, déboulent sur les lieux à la recherche du malfaiteur qu'ils poursuivent. Ils sont face à face avec le petit Fortunato auquel ils demandent s'il n'y a pas un homme qui se serait terré dans la maison de ses parents. L'enfant rechigne tout d'abord, mais, pour l'amadouer, l'un des hommes armés lui donne une montre. Tout content et, par convoitise et par fierté, il va dénoncer le fuyard, 21 Sanpiero, en le livrant aux hommes de loi, contrevenant ainsi aux règles d'honneur de la famille. Lorsque les époux Falcone rentrent à la ferme, Mateo, discutant avec les pourchasseurs, apprend que son fils n'a pas respecté les règles de l'hospitalité à l'endroit d'un homme aux abois, et que, de plus, il s'est laissé soudoyer en acceptant une montre. Le père n'approuve pas du tout sa conduite qui est contraire aux conventions des Falcone. Il appartient à cette catégorie humaine dont les bandits sont des personnages de légende et qui, par conséquent, sont intouchables. Mateo remâche sa punition. Que va-t-il faire avec son fusil ? Sa femme Giuseppa subodore ses intentions morbides. Elle veut retenir son mari qu'elle supplie de rester. Mais Mateo ne l'entend pas de cette oreille car il ne tolère pas la trahison. On lit l'intransigeance et la détermination du « falcone », du « faucon », qui a pour seul évangile, le respect de la parole donnée, et auquel s'ajoutent l'orgueil et le principe d'honneur de la lignée. La tension monte. Mateo part avec son arme et emmène Fortunato dans la forêt. Il l'abattra sans autre forme de procès, creusera une fosse et l'enterra lui-même sur place. C.L.M. : Quel est le cheminement de vos recherches pour retrouver la partition de cet opéra « Fortunato » ? René Auclair : A l'époque de mon prix d'histoire, mon professeur, Marc Brunerye, m'avait proposé de rédiger une étude, au choix, sur l'un des musiciens lorrains. J'étais alors enseignant à Dieulouard et le nom de Gouvy était dans les mémoires de par la présence des Etablissements Gouvy qui s'y étaient installés vers les années 1870. On en vint à parler de Théodore Gouvy. Les descendants de sa famille y habitaient encore. Je ne savais pas trop qui était ce compositeur. La famille Gouvy-Durteste me facilita l'accès à ses archives au milieu desquelles figuraient quantité de partitions bien conservées du compositeur, dont un grand nombre en manuscrits autographes ainsi que du matériel d'orchestre. C'est à partir de ce moment là que j'ai commencé à recenser et à rédiger le Catalogue complet de ses œuvres. Il était question un moment de remettre ces archives à la Bibliothèque nationale de France, mais à l'époque, personne n'était enthousiaste pour réaliser ce transfert. Il en irait autrement aujourd'hui ! Toujours est-il que l'Institut Gouvy de Hombourg-Haut était tout désigné pour l'accueillir, et que ce fond de partitions allait permettre leur parfaite exploitation. VII RENÉ AUCLAIR : « UN OPÉRA D'UNE INTENSITÉ PSYCHOLOGIQUE ET D'UNE GRANDE FORCE D'EXPRESSION » Musicologue, chargé de cours à l'Université Paul Verlaine de Metz, René Auclair, titulaire d'un prix d'Histoire de la musique au Conservatoire de Metz, a réalisé son mémoire de DEA en Sorbonne sur le compositeur Théodore Gouvy. Vice-président de l'Institut Gouvy de Hombourg-Haut, on lui doit la restitution et la maquette complète de l'opéra Fortunato (Mateo Falcone), créé à Metz en cette fin mai 2011, ainsi que l'adaptation française de sa version allemande, en collaboration avec son fils Samuel, également germaniste, de même que celle de l'opéra Der Cid qui, comme Fortunato à l'Opéra-Théâtre de Metz, sera donné en première mondiale à l'Opéra de Sarrebrück, début juin 2011. René Auclair a détaillé, pour le Cercle Lyrique de Metz, les étapes de ses recherches et analysé le contenu de Fortunato. 22 Pouvez-vous nous parler des origines de la composition de l'œuvre musicale et du texte sur lequel elle est bâtie ? Il est impossible de préciser les circonstances qui ont donné à Gouvy l'idée de se lancer dans la composition de Fortunato. En revanche, au regard de sa production antérieure, on peut comprendre certaines de ses motivations générales. Gouvy fut un grand symphoniste, un défenseur de la musique "pure", entendons de la symphonie, du quatuor à cordes et de la musique instrumentale en général, avec quelques rares incursions dans la musique lyrique. C'est ce que les anciennes "Histoires de la musique" ont retenu de lui lorsqu'elles mentionnaient son nom. En réalité, les choses sont beaucoup plus complexes. S'il est vrai que toute la première partie de sa carrière répond parfaitement à cette image, Gouvy, sous la pression de la critique musicale qui, à l'époque, ne peut et ne veut consacrer un compositeur sans avoir entendu un de ses grands ouvrages lyriques, il écrit un grand opéra en 1862-63, Der Cid sur un livret allemand d'après Corneille. Cet opéra est reçu au théâtre de Dresde en 1864, mais de nombreuses corrections sont demandées par le ténor, Schnorr von Carolsfeld , qui doit chanter le rôletitre. Alors que l'opéra devait être donné en octobre 1865, le ténor décède et la direction renonce à monter le spectacle. Cet épisode à la fois tragique et contrariant, n'est pas pour conforter les aspirations du compositeur dans 27 Mateo Falcone en costume et large chapeau, tenant son fusil (maquette de Danièle Barraud). Costume en grande cape de Giuseppa, épouse de Mateo (maquette de Danièle Barraud) 26 23 Le jeune Fortunato, pieds nus (maquette de Danièle Barraud) Les quatre costumes suivants sont portés par la même femme, Giuseppa, mais ces habits sont transformés : c'est le principe du chœur de femmes qui interprètent « Les Chants de l'Ile de Corse » de Tomasi, mais qui participent aussi à l'opéra « Fortunato (Mateo Falcone) » sont d'abord vêtues d'une robe assez ample, au corsage assez fin, croisé mauve clair, avec fichu orné et noué sur la tête. Puis, pour les derniers chants, elles inversent leur foulard de poitrine qui est réversible et devient sombre ; puis, elles rabattent sur leur tête, leur jupe de dessus qui est doublée de noir à l'intérieur, le jupon de dessous étant également noir à l'intérieur. Elles deviennent ainsi des pleureuses, des femmes en deuil (maquette de Danièle Barraud). Costume du bandit Gianetto Sanpiero (maquette de Danièle Barraud) 24 25 Le jeune Fortunato, pieds nus (maquette de Danièle Barraud) Les quatre costumes suivants sont portés par la même femme, Giuseppa, mais ces habits sont transformés : c'est le principe du chœur de femmes qui interprètent « Les Chants de l'Ile de Corse » de Tomasi, mais qui participent aussi à l'opéra « Fortunato (Mateo Falcone) » sont d'abord vêtues d'une robe assez ample, au corsage assez fin, croisé mauve clair, avec fichu orné et noué sur la tête. Puis, pour les derniers chants, elles inversent leur foulard de poitrine qui est réversible et devient sombre ; puis, elles rabattent sur leur tête, leur jupe de dessus qui est doublée de noir à l'intérieur, le jupon de dessous étant également noir à l'intérieur. Elles deviennent ainsi des pleureuses, des femmes en deuil (maquette de Danièle Barraud). Costume du bandit Gianetto Sanpiero (maquette de Danièle Barraud) 24 25 Mateo Falcone en costume et large chapeau, tenant son fusil (maquette de Danièle Barraud). Costume en grande cape de Giuseppa, épouse de Mateo (maquette de Danièle Barraud) 26 23 Sanpiero, en le livrant aux hommes de loi, contrevenant ainsi aux règles d'honneur de la famille. Lorsque les époux Falcone rentrent à la ferme, Mateo, discutant avec les pourchasseurs, apprend que son fils n'a pas respecté les règles de l'hospitalité à l'endroit d'un homme aux abois, et que, de plus, il s'est laissé soudoyer en acceptant une montre. Le père n'approuve pas du tout sa conduite qui est contraire aux conventions des Falcone. Il appartient à cette catégorie humaine dont les bandits sont des personnages de légende et qui, par conséquent, sont intouchables. Mateo remâche sa punition. Que va-t-il faire avec son fusil ? Sa femme Giuseppa subodore ses intentions morbides. Elle veut retenir son mari qu'elle supplie de rester. Mais Mateo ne l'entend pas de cette oreille car il ne tolère pas la trahison. On lit l'intransigeance et la détermination du « falcone », du « faucon », qui a pour seul évangile, le respect de la parole donnée, et auquel s'ajoutent l'orgueil et le principe d'honneur de la lignée. La tension monte. Mateo part avec son arme et emmène Fortunato dans la forêt. Il l'abattra sans autre forme de procès, creusera une fosse et l'enterra lui-même sur place. C.L.M. : Quel est le cheminement de vos recherches pour retrouver la partition de cet opéra « Fortunato » ? René Auclair : A l'époque de mon prix d'histoire, mon professeur, Marc Brunerye, m'avait proposé de rédiger une étude, au choix, sur l'un des musiciens lorrains. J'étais alors enseignant à Dieulouard et le nom de Gouvy était dans les mémoires de par la présence des Etablissements Gouvy qui s'y étaient installés vers les années 1870. On en vint à parler de Théodore Gouvy. Les descendants de sa famille y habitaient encore. Je ne savais pas trop qui était ce compositeur. La famille Gouvy-Durteste me facilita l'accès à ses archives au milieu desquelles figuraient quantité de partitions bien conservées du compositeur, dont un grand nombre en manuscrits autographes ainsi que du matériel d'orchestre. C'est à partir de ce moment là que j'ai commencé à recenser et à rédiger le Catalogue complet de ses œuvres. Il était question un moment de remettre ces archives à la Bibliothèque nationale de France, mais à l'époque, personne n'était enthousiaste pour réaliser ce transfert. Il en irait autrement aujourd'hui ! Toujours est-il que l'Institut Gouvy de Hombourg-Haut était tout désigné pour l'accueillir, et que ce fond de partitions allait permettre leur parfaite exploitation. VII RENÉ AUCLAIR : « UN OPÉRA D'UNE INTENSITÉ PSYCHOLOGIQUE ET D'UNE GRANDE FORCE D'EXPRESSION » Musicologue, chargé de cours à l'Université Paul Verlaine de Metz, René Auclair, titulaire d'un prix d'Histoire de la musique au Conservatoire de Metz, a réalisé son mémoire de DEA en Sorbonne sur le compositeur Théodore Gouvy. Vice-président de l'Institut Gouvy de Hombourg-Haut, on lui doit la restitution et la maquette complète de l'opéra Fortunato (Mateo Falcone), créé à Metz en cette fin mai 2011, ainsi que l'adaptation française de sa version allemande, en collaboration avec son fils Samuel, également germaniste, de même que celle de l'opéra Der Cid qui, comme Fortunato à l'Opéra-Théâtre de Metz, sera donné en première mondiale à l'Opéra de Sarrebrück, début juin 2011. René Auclair a détaillé, pour le Cercle Lyrique de Metz, les étapes de ses recherches et analysé le contenu de Fortunato. 22 Pouvez-vous nous parler des origines de la composition de l'œuvre musicale et du texte sur lequel elle est bâtie ? Il est impossible de préciser les circonstances qui ont donné à Gouvy l'idée de se lancer dans la composition de Fortunato. En revanche, au regard de sa production antérieure, on peut comprendre certaines de ses motivations générales. Gouvy fut un grand symphoniste, un défenseur de la musique "pure", entendons de la symphonie, du quatuor à cordes et de la musique instrumentale en général, avec quelques rares incursions dans la musique lyrique. C'est ce que les anciennes "Histoires de la musique" ont retenu de lui lorsqu'elles mentionnaient son nom. En réalité, les choses sont beaucoup plus complexes. S'il est vrai que toute la première partie de sa carrière répond parfaitement à cette image, Gouvy, sous la pression de la critique musicale qui, à l'époque, ne peut et ne veut consacrer un compositeur sans avoir entendu un de ses grands ouvrages lyriques, il écrit un grand opéra en 1862-63, Der Cid sur un livret allemand d'après Corneille. Cet opéra est reçu au théâtre de Dresde en 1864, mais de nombreuses corrections sont demandées par le ténor, Schnorr von Carolsfeld , qui doit chanter le rôletitre. Alors que l'opéra devait être donné en octobre 1865, le ténor décède et la direction renonce à monter le spectacle. Cet épisode à la fois tragique et contrariant, n'est pas pour conforter les aspirations du compositeur dans 27 la voie nouvelle qu'il avait empruntée. Pourtant, dès l'année suivante, grâce à la découverte de la poésie de Ronsard dont il met en musique quarante pièces, la musique lyrique prend une importance nouvelle pour lui. En 1874, son Requiem op.70 inaugurera une longue production de grandes œuvres dramatiques religieuses ou profanes, tels le Stabat Mater ou Electre, et dont Fortunato représente le terme ultime, une Didon n'ayant été qu'envisagée… Fidélité au texte allemand, éclairage du texte français original Comment avez-vous procédé pour réaliser l'adaptation du texte allemand en français au niveau de la prosodie, et du respect de l'écriture musicale ? Il pouvait sembler un peu curieux de présenter, en France, un ouvrage composé par un Français, dont l'argument était une "nouvelle" de langue française, dans sa version allemande, originale et seul autographe. On peut d'ailleurs raisonnablement supposer que Théodore Gouvy aurait probablement réalisé, comme il en avait l'habitude, une version française de cette œuvre, si sa mort n'était intervenue peu de temps après l'achèvement de la version allemande. C'est sans doute dans cet esprit, qu'Henriette Gouvy avait rédigé une adaptation française qu'elle proposa, sans succès au compositeur André Messager. Cette adaptation n'est pas sans mérite, et il eût été doublement intéressant de pouvoir la proposer au public en raison de la proximité familiale et artistique de son auteur, belle-sœur et amie particulièrement impliquée dans la carrière artistique du compositeur. Toutefois, malgré de réelles qualités et un effort constant pour respecter la prosodie française, de trop nombreuses coquilles et libertés prises avec le texte original (Henriette Gouvy-Böcking était Sarroise de langue allemande), interdisaient cette démarche. A la demande de M. Eric Chevalier, directeur de l'Opéra-Théâtre de Metz, nous avons réalisé (N.D.L.R. René et Samuel Auclair) l'adaptation française qui fait l'objet de cette édition. Notre démarche a été guidée par les principes suivants : la fidélité la plus grande possible au texte allemand de Théodore Gouvy avec l'éclairage mais l'éclairage seulement- du texte français original de Prosper Mérimée ; le respect de la prosodie française avec les licences classiques qu'elle s'autorise (ex : la règle du "e muet" prononcé, la finale "féminine" …) ; le respect intégral de la musique, en particulier de l'harmonie et des accents… 28 musique avec une force irrésistible8 ». Si la modernité de Mérimée reste incontestable, on peut en revanche, après la redécouverte d'un tel patrimoine opératique, interroger la légitimité de la démarche de postérité qui usa de Carmen pour occulter les autres chefsd'œuvre, notamment Fortunato de Theodore Gouvy. Marie-Noëlle AUGUSTE Professeur de flûte à bec et de musique de chambre au Conservatoire de Saint-Denis (93) Directeur artistique de l'ensemble vocal et instrumental A Contrario Doctorante à l'Université de la Sorbonne Paris IV sous la codirection de Danièle Pistone (Musicologie) et Jean-Yves Masson (Littérature comparée). Sujet de thèse : Mérimée à l'Opéra. VI L'HISTOIRE DE FORTUNATO ET SES PERSONNAGES Qui est Mateo Falcone ? Un vieux bandit qui a amassé de l'argent entre trafic et contrebande, et qui a fixé sa demeure, une maison-ferme, à l'orée d'une forêt. Il considère son fils de dix ans, Fortunato, comme son digne héritier, avec ses trois filles et sa femme, et qui sont l'honneur de la famille. Chasseur invétéré, il décide, avec son épouse Giuseppa, d' aller au gibier dans les futaies proches, tout en recommandant à son fils de rester et de bien garder la maison. Au cours de sa battue, Mateo entend des coups de feu en rafales, puis, croise un homme qui s'enfuit et le supplie ardemment de lui trouver une cachette. Mateo y consent, mais en échange d'une somme… de cinq francs. Le bandit traqué -il s'appelle Gianetto Sanpiero-, sera planqué dans la demeure familiale. Entre bandits, c'est naturel. Or, peu après, une demi-douzaine d'hommes armés, commandés par l'adjudant Tiodoro Gamba, déboulent sur les lieux à la recherche du malfaiteur qu'ils poursuivent. Ils sont face à face avec le petit Fortunato auquel ils demandent s'il n'y a pas un homme qui se serait terré dans la maison de ses parents. L'enfant rechigne tout d'abord, mais, pour l'amadouer, l'un des hommes armés lui donne une montre. Tout content et, par convoitise et par fierté, il va dénoncer le fuyard, 21 1894 1896 1898 1907 1930 1987 septembre 1839. Opéra repris en deux actes en 1840. Livret, Paris, Duverger, 1839. Heinrich Zöllner, Mateo Falcone, livret du compositeur, créé au Metropolitan Opera de New York en 1884, repris à l'Irving Place Theater de New-York le 18 décembre 1893 [1894]. Théodore Gouvy, Fortunato, livret du compositeur, œuvre inédite. Réduction chant-piano, livrets en français et en allemand, extraits du conducteur d'orchestre offerts gracieusement par Sylvain Teutsch, président de l'Institut Théodore Gouvy. Theodor Gerlach, Matteo Falcone, opéra en 3 actes, livret du compositeur, créé à Hanovre le 23 octobre 1898. César Cui, Mateo Falcone, scène dramatique en un acte, livret de Vasily Zhukovsky, créé au Théâtre du Bolchoï de Moscou le 14 décembre 1907.Conducteur d'orchestre, réduction piano-chant, Moscou, Éditions Jurgenson, 1907. Florence Ewart, Mateo Falcone, opéra en 3 actes, livret du compositeur, composé à Melbourne entre 1930 et 1932. Œuvre inédite. Réduction piano-chant manuscrite, livret et notes, Melbourne, Grainger Museum, 1930. Paul Fejko, Matteo Falcone, opéra en un acte, livret de Dino Yannopoulos créé à l' Académie of Vocal Arts de Philadelphie le 23 octobre 1987. Réduction piano-chant, conducteur d'orchestre, manuscrits offerts gracieusement par Paul Fejko. Placés aux endroits cruciaux dans l'histoire de la musique, les opéras inspirés de Mérimée en reflètent l'esthétique, produit atypique du XIXe siècle, à la fois héritier et unique, soumis et dissident, conforme et novateur. Qu'ils soient très librement inspirés de l'auteur ou le plus fidèles au texte, ces opéras condensent la rhétorique mériméenne en une immanence musicale dont la force métaphorique illustre l'aphorisme de Roland Barthes : « Peut-être qu'une chose ne vaut que pour sa force métaphorique : peut-être que c'est cela, la valeur de la musique : d'être une bonne métaphore7.» La légendaire sécheresse de ton de Mérimée, qui dissimule passionnément le contraire, a permis aux compositeurs, comme l'affirme Louis Durey dans son Catalogue commenté, de s'exprimer eux-mêmes à travers son œuvre littéraire qui, pour reprendre l'expression de Roland Manuel « appelle la 3 Roland Barthes, L'obvie et l'obtus. Essais critiques III, Paris, Le Seuil, 1982, p. 252. Roland Manuel (Roland Alexis Manuel Lévy dit), Lettre à Louis Durey, à propos de sa tentative de monter L'Occasion de Mérimée, mentionnée dans le Catalogue commenté de Louis Durey, Bulletin de la Société Nationale de Musique de l'IRCAM : " Intemporel ". L'extrait du Catalogue commenté de Louis Durey consacré à L'Occasion m'a gracieusement été offert par Madame Arlette Durey, fille du compositeur. 8 20 Un début qui baigne dans la couleur locale Qu'avez-vous découvert en décortiquant le texte de « Fortunato » ? Pour ce qui est de l'état du texte de Mérimée qui fut entre les mains de Gouvy, il n'est rien resté de sa bibliothèque littéraire qui puisse en fournir René Auclair : « dès la 2 scène, Gouvy dramatise le propos… » un quelconque indice, contrairement à sa bibliothèque musicale qui a été conservée intégralement. Toutefois, si l'on en juge par l'édition critique (Jean Mallion et Pierre Salomon), les variantes textuelles sont minimes et revêtent, ici, beaucoup moins d'importance que le compositeur tire du texte français un livret en allemand. Selon toute vraisemblance, il a rédigé dans la langue de Goethe, un livet inspiré du texte de Mérimée en pratiquant l'exercice dit de "contraction croisée de texte" dans les concours des Grandes écoles. Mateo débute par une introduction qui présente au lecteur le cadre corse qui avait un caractère beaucoup plus "exotique" qu'aujourd'hui… Dans Fortunato, tous ces détails sont concentrés en quelques lignes de didascalies à destination du metteur en scène. Et l'on est plongé, dans la première scène, fort courte, dans la "couleur locale" où le jeune Fortunato chante une chanson corse. Mais cette introduction s'étend aussi, et longuement, sur le "héros" lui-même, « aussi bon tireur que dangereux ennemi », et dont la réputation de chasseur est mise en exergue. En voici un exemple : « La nuit, il se servait de ses armes aussi facilement que le jour (…) A quatre-vingts pas, on plaçait une chandelle allumée derrière un transparent de papier, large comme une assiette. Il mettait en joue, puis on éteignait la chandelle et, au bout d'une minute, dans l'obscurité la plus complète, il tirait et perçait le transparent trois fois sur quatre ! »… e Une dramatisation progressive… Certains de ces traits seront repris dans les dialogues ultérieurs de Fortunato. Le texte est d'abord au passé puisqu'il s'agit de faits antérieurs, au moment de la rencontre du narrateur avec le "héros" de l'histoire. La 2e scène de Fortunato suit l'action décrite mais en opérant certaines transpositions qui, dès l'abord, la dramatise. La première apparition de Mateo le montre avec un fusil, non pas pour aller "visiter ses troupeaux", mais pour 29 se mettre à la recherche de voleurs de deux chèvres. Son fils veut le suivre mais il refuse. Le jeu "père sévère / mère indulgente" est tout de suite posé, et la figure de l'enfant qui s'ensuit, sans doute pas plus mauvais qu'un autre mais habitué à ne pas tenir tête à un père intraitable et à négocier avec une mère compréhensive et qui le soutient, acquiert une grande crédibilité… L'ordre événementiel de Fortunato suit celui de Mateo Falcone, là encore, avec une coloration psychologique beaucoup plus marquée. La 3e scène est bien consacrée aux réflexions du jeune Fortunato et se clôt sur l'arrivée d'un homme blessé, annoncée par des coups de feu, mais ces réflexions sont loin d'avoir la sérénité dépeinte dans Mateo. Et les pensées qui agitent Fortunato dans ce monologue, ne sont pas d'agréables perspectives de promenade dominicale, mais toutes de récriminations contre les recommandations maternelles, les idées paternelles et l'injustice du traitement qui lui est réservé… Mateo Falcone continue sur le mode narratif, et, à la scène 4, Fortunato résume tout cela par les didascalies (…) ; le mode narratif reprend totalement ses droits dans Mateo Falcone… tandis que, dans Fortunato, le dialogue se poursuit, toujours serré et émouvant, la « pièce de cinq francs qu'il avait réservée, sans doute pour acheter de la poudre » devenant « sa dernière pièce de cinq francs qu'il avait économisée pour acheter de la poudre » (…) La rencontre des poursuivants de Sanpiero et de Fortunato, entretient, (dans les textes), à peu près les mêmes rapports que précédemment : alternance de narration et de dialogue dans le premier, jeu de scène et dialogue dans le second… paresseuse. Il faut être un peu bête pour ne faire qu'une chose, et dans les arts on n'excelle qu'en s'y consacrant d'une manière absolue. Ensuite il faut travailler du matin au soir, ne jamais s'exposer au vent et ne pas manger de glaces en été3. Dans son ouvrage Paris dilettante au commencement du siècle, honorant l'esprit voltairien de Mérimée, Adolphe Jullien fait le rapprochement de cette lettre avec un texte de Voltaire adressé à Gretry : « Vous êtes musicien et vous avez de l'esprit ! Cela est trop rare, Monsieur, pour que je ne prenne pas à vous voir le plus vif intérêt4. » "Peu mélomane5" , trouvant le musicien assez borné, Mérimée reste néanmoins l'auteur de prédilection pour une multitude de compositeurs d'écoles et de nationalités diverses, séduits par son esthétique de la réticence, sa posture ironique et son principe archaïque. Ayant une bonne connaissance de toute l'œuvre littéraire de Mérimée, ils ont eu l'intuition commune de son architecture puissante, laconique et déjà elle-même opératique, propre à subir un traitement lyrico dramatique. Sept ouvrages lyriques composés sur Mateo Falcone. L'analyse des opéras inspirés de Mérimée permet d'en dégager plusieurs constantes qui restituent dans leur sémiotique musicale la rhéthorique mériméenne fondée sur l'arkhê6, principe étroitement lié à la notion d'enargeia, et sur l'obliquité ironique dans une dualité chronique où cohabitent le rire et l'horreur. Certaines de ces œuvres ont été plusieurs fois portées à l'opéra, notamment Mateo Falcone. Publiée le 3 mai 1829 dans la Revue de Paris, la nouvelle de Mérimée n'a cessé d'inspirer des compositeurs de diverses nationalités à différentes périodes dans des adaptations qui recouvrent plus d'un siècle et demi de l'histoire de la musique, de 1839 à 1987. … Jusqu’à l’intensité du dénouement La scène du meurtre est la plus émouvante. Pouvez-vous nous en livrer les propos les plus intenses ? C'est dans la scène 7, l'avant-dernière scène, que se concentre toute l'intensité dramatique du dénouement. Là encore, la matérialité des événements est très proche; pourtant, leur succession et leur organisation dramatique ainsi que la tonalité générale sont assez différentes… 1839 : François Albert-Henri-Ferdinand Ruolz-Montchal (baron ou comte de), La Vendetta, opéra en 3 actes, livret de Léon Pillet et d'Adolphe Vaunois, créé à l'Académie Royale de Musique-Le Peletier le 11 3 « Il se passa près de dix minutes avant que Mateo ouvrît la bouche. L'enfant regardait d'un œil inquiet tantôt sa mère, tantôt son père, qui, s'ap- Prosper Mérimée, Correspondance générale, établie et annotée par Maurice Parturier avec la collaboration pour les tomes I à VI de Pierre Josserand et de Jean Mallion, t. I-VI, Paris, le Divan, 1941-1947, t. VII-XVII Toulouse, Privat, 19531964, lettre de juillet 1855, tome VII, pp. 511-512. 4 Texte de Voltaire rapporté dans les mémoires de Grétry, I, 33, inséré dans Adolphe Jullien, « Mérimée dilettante et orateur » dans Paris dilettante au commencement du siècle, ouvrage orné de 36 gravures sur bois et facs. de dessins originaux conservés aux Archives de l'Opéra, Paris, Firmin-Didot, 1884, p. 337. 5 Raymond Leslie Evans, Les Romantiques français et la musique, Paris : Champion, 1934, réédition Genève : Slatkine Reprints, 1976, p. 38. 6 Cf. Antonia Fonyi « La passion pour l'archè » Prosper Mérimée écrivain, archéologue, historien, Antonia Fonyi (dir.), Genève, Droz, 1999, p. 197-207. 30 19 [N.D.L.R. : nous reproduisons ci-dessous la fin du texte en français, adapté de la version allemande sur laquelle Gouvy avait construit sa partition] Arnaud Laster, Hugo à l'Opéra, L'Avant-Scène Opéra N° 208, mai-juin 2002, p.3. Marie-Hélène Coudroy-Saghaï, « Les Huguenots » dans Joël-Marie Fauquet (dir.) Dictionnaire de la musique en France au XIXe siècle, Paris, Fayard, 2003, p.602. puyant sur son fusil, le considérait avec une expression de colère concentrée. - Tu commences bien ! dit enfin Mateo d'une voix calme, mais effrayante pour qui connaissait l'homme. - Mon père ! s'écria l'enfant en s'avançant les larmes aux yeux comme pour se jeter à ses genoux. Mais Mateo lui cria : - Arrière de moi ! Et l'enfant s'arrêta et sanglota, immobile, à quelques pas de son père. Giuseppa s'approcha. Elle venait d'apercevoir la chaîne de la montre, dont un bout sortait de la chemise de Fortunato. - Qui t'a donné cette montre ?, demanda-t-il d'un ton sévère. - Mon cousin, l'adjudant. Falcone saisit la montre et, la jetant avec force contre une pierre, il la mit en mille pièces. - Femme, dit-il, cet enfant est-il de moi ? Les joues brunes de Giuseppa devinrent d'un rouge de brique. - Que dis-tu Mateo ? Et sais-tu bien à qui tu parles ? - Eh bien ! cet enfant est le premier de sa race qui ait fait une trahison. Les sanglots et les hoquets de Fortunato redoublèrent, et Falcone tenait ses yeux de lynx toujours attachés sur lui. Enfin, il frappa la terre de la crosse de son fusil, puis le rejeta sur son épaule et reprit le chemin du maquis en criant à Fortunato de le suivre. L'enfant obéit. Guiseppa courut après Mateo et lui saisit le bras : - C'est ton fils, lui dit-elle d'une voix tremblante en attachant ses yeux noirs sur ceux de son mari, comme pour lire ce qui se passait dans son âme. - Laisse-moi, répondit Mateo, je suis son père. Giuseppa embrassa son fils et rentra en pleurant dans sa cabane. Elle se jeta à genoux devant une image de la Vierge et pria avec ferveur. Cependant, Falcone marcha quelque deux-cent pas dans le sentier et ne s'arrêta que dans un petit ravin où il descendit. Il sonda la terre avec la crosse de son fusil et la trouva molle et facile à creuser. L'endroit lui parut convenable pour son dessein. - Fortunato, va auprès de cette grosse pierre ! L'enfant fit ce qu'il lui commandait, puis il s'agenouilla. - Dis tes prières. - Mon père, mon père, ne me tuez pas ! - Dis tes prières !, répéta Mateo d'une voix terrible. L'enfant, tout en balbutiant et en sanglotant, récita le Pater et le Credo. Le père, d'une voix forte, répondait Amen ! à la fin de chaque prière. - Sont-ce là toutes les prières que tu sais ? 18 31 V MÉRIMÉE OU L'OPÉRA PAR EXCELLENCE par Marie-Noëlle Auguste L'œuvre littéraire de Prosper Mérimée a suscité un véritable engouement opératique depuis le XIXe siècle jusqu'à nos jours et, malgré « tout ce que le répertoire des scènes lyriques doit à l'œuvre de Victor Hugo1 », il reste incontestablement l'auteur du XIXe siècle le plus porté à l'opéra. Optant pour des adaptations très libres ou très fidèles, plus d'une quarantaine d'oeuvres se sont inspirées soit de son théâtre marqué par sa dissidence idéologique et esthétique : pratiquement toutes les pièces du Théâtre de Clara Gazul ont été portées sur la scène lyrique ainsi que La Jaquerie, soit de ses romans et nouvelles : Carmen, La Chambre bleue, Chronique sous le règne de Charles IX, Colomba, Mateo Falcone, Lokis, La Vénus d'Ille, ou encore de ses traductions de nouvelles russes : Six et quatre, La Dame de pique. Une défiance vis-à-vis de l’art lyrique ? Parmi ce foisonnement d'œuvres, une bonne quinzaine naquit du vivant de l'auteur. Tout en partageant l'euphorie romantique où « le règne du chanteur-acteur divinise l'artiste et en fait un objet d'adulation2 », Mérimée semble étonnamment distant vis-à-vis de cette profusion musicale, soit par désintérêt (Mérimée ne laisse aucun témoignage dans sa correspondance), soit par désaccord eu regard du pillage des adaptations théâtrales qui représentaient un véritable commerce littéraire au XIXe siècle, soit encore par défiance profonde vis-à-vis de l'art lyrique. Malgré l'engouement opératique que suscite son œuvre, Mérimée semble nourrir une méfiance irrespectueuse pour les musiciens. Dans une lettre datée du 29 juillet 1855, il écrit à Mistress Senior : « J'ai entendu dire que vous étiez grande musicienne, mais j'ai peine à le croire, parce que vous me semblez avoir trop d'esprit et être trop 1 2 - Mon père, je sais encore l'Ave Maria et la litanie que ma tante m'a apprise. - Elle est bien longue ; n'importe L'enfant acheva la litanie d'une voix éteinte. - As-tu fini ? - Oh ! mon père, grâce ! pardonnez-moi ! Je ne le ferai plus ! Je prierai tant mon cousin, le caporal, qu'on fera grâce au Gianetto ! découpage rappelant la règle des trois : lieu, temps, action, et divise en cinq tableaux, les étapes de l'histoire, entre l'exposition du maquis corse et de ses moeurs, la description de Falcone et de sa "tribu" familiale, avant de situer l'action, entre l'arrivée du bandit et le comportement du petit Fortunato. Puis, le constat de trahison entraînant l'angoisse d'un danger imminent et le tragique dénouement. Un schéma de drame classique en somme… [Alors que Mateo Falcone se termine comme un simple fait divers et sans beaucoup d'émotion apparente, Fortunato ajoute la scène 8 où l'épisode inventé du petit pâtre courant après les soldats pour assurer in extremis le salut de l'enfant, ménage jusqu'au bout l'attente d'un dénouement d'autant plus dramatique.] Dix ans plus tard... Les notes d’un voyage en l’île Quelles comparaisons entre « Fortunato » et « Mateo Falcone » et quelles réflexions apportez-vous à leur propos ? Fortunato apparaît, assez évidemment, comme un décalque fidèle, sur le plan narratif, de Mateo Falcone. Toutefois, la perspective n'est pas la même et les moyens employés pour susciter l'émotion, différents. Alors que Mérimée déploie aux yeux de son lecteur, un récit "exotique", où l'étonnant, le "curieux", le dispute au tragique, Gouvy recentre toute Arrive le changement de régime de 1830. Prosper Mérimée se sentira bien dans les milieux louis-philippards, et la Monarchie de Juillet s'emploiera à faire connaître ses œuvres. Il occupera d'ailleurs plusieurs postes administratifs au Ministère de la Marine et à celui du Commerce. En tant que chef de cabinet du comte d'Agout, il aura la charge des "Beaux-Arts", avant qu'il soit nommé inspecteur général des Monuments historiques, puis viceprésident de la commission en 1839. C'est dix ans après son Mateo Falcone, que Prosper Mérimée entreprend un voyage… Attirance ou occurrence ? Le 16 août 1839, il débarque à Bastia du bateau-poste en provenance de Toulon. Un rapport du préfet de Corse sur les monuments du département l'avait séduit et incité à s'y rendre. Il avait réussi à obtenir une autorisation du ministre Gasparin, pour y effectuer une tournée officielle d'inspection. Il visitera à peu près tous les monuments, églises, vestiges, tours et fortifications de l'île. Il prend des notes, s'extasie devant "les admirables jambons du village" (Murato), effectue un périple à cheval, décrit, par le menu, l'ancienne cathédrale de Nebbio et ses "trois curieuses églises". A la fin du périple, il s'embarquera à Bastia pour Livourne en Toscane pour y rencontrer Stendhal avant de remonter à Paris. Résultat, un bouquin de 236 pages édité en 1840, sorte de monographie intitulée Notes d'un voyage en Corse. Plus réjouissant, en tout cas, que la dramatique histoire de Fortunato ! 1840, c'est aussi l'année de Colomba, un must ; puis, en 1843, il sera élu membre libre de l'Académie des Inscriptions et belles Lettres, publiera un article sur « Le Palais de Justice », « La Sainte-Chapelle » et, en 1844, entrera à l'Académie française. Historien, traducteur de la littérature russe, commandeur de la Légion d'honneur… En 1844, c'est un autre monument qui entre dans la littérature : Carmen. Ironie du sort : le décès de Prosper est annoncé par erreur le 10 mars 1869 dans Le Figaro ! En réalité, il mourra à Cannes le 23 septembre 1870. Deux semaines après la chute de Napoléon III et la défaite de la guerre francoprussienne… 32 17 Il parlait encore ; Mateo avait armé son fusil et le couchait en joue en lui disant : - Que Dieu te pardonne ! L'enfant fit un effort désespéré pour se relever et embrasser les genoux de son père ; mais il n'en eut pas le temps. Mateo fit feu et Fortunato tomba raide mort. Sans jeter un coup d'œil sur le cadavre, Mateo reprit le chemin de sa maison pour aller chercher une bêche afin d'enterrer son fils. Il avait à peine fait quelques pas qu'il rencontra Giuseppa qui accourait, alarmée par le coup de feu. - Qu'as-tu fait ? s'écria-t-elle. - Justice. - Où est-il ? - Dans le ravin. Je vais l'enterrer. Il est mort en chrétien. Je lui ferai chanter une messe. Qu'on dise à mon gendre Tiodoro Bianchi de venir demeurer avec nous. » Un conflit psychologique de l’amour et de l’honneur l'émotion de son spectateur sur le conflit psychologique de l'amour, avec ses faiblesses, et de l'honneur, avec sa dureté et, il faut le dire, son obstination peu intelligente. La puissance de l'émotion soulevée par les deux ouvrages est forte, mais, tandis que Mérimée dit les choses tout uniment, reste impartial, extérieur, presque glacé, et, par contraste, rend les faits qu'il rapporte plus horribles encore, Gouvy, au contraire, en musicien, joue des contrastes à l'intérieur même de l'œuvre, dans tout ce que la tradition "lyrique" véhicule avec elle de pathos. Il n'est, pour s'en convaincre, que d'évoquer avec quelle maestria sont mises en œuvre les invectives de Mateo, les objurgations de Pepa et le Pater Noster, recto tono, de Fortunato, dans le dénouement. C'est un grand mérite de ces deux œuvres, courtes, l'une et l'autre, apparemment fort proches, de former maintenant une sorte de dyptique dont les deux volets se répondent et dont les effets différents mais complémentaires se renforcent. Couleur orchestrale, variété de rythmes, de caractères, de nuances, de mouvements Il termine sa nouvelle Mateo Falcone, le 14 février de cette année et lui donne comme sous-titre Mœurs de la Corse. Elle sera publiée dans La Revue de Paris le 5 mai, et l'ouvrage deviendra un classique de la production de son auteur. La nouvelle sera reprise dans « Mosaïque » en 1834. La couleur locale qui l'alimente est présente dans la narration de la vie rurale de l'Ile de Beauté, de même que le caractère de ses habitants, leur fierté, leur honneur, leur rudesse parfois. Et pourtant, Mérimée ne s'était encore jamais rendu dans ces lieux où naquit Napoléon. Il avait simplement puisé ses personnages dans diverses sources bibliographiques. On pense qu'il emprunta quelques idées au récit de l'abbé Gaudin, Voyage en Corse, qui datait de 1787, et que le prêtre avait intitulé Noblesse d'âme d'un Corse. Et cependant, la lecture des quelque douze pages de Mérimée, donne cette impression qu'il avait vécu lui-même, le drame qu'il y contait. Il adopte un Sur le plan musical et sur le plan scénique, quelles conclusions mettezvous en exergue ? Cette œuvre est économe de moyens. L'ouverture (prélude) n'est pas autre chose que les quelques minutes de musique nécessaire précédant le lever de rideau, avertissant le spectateur que le spectacle commence, et ne négligeant pas de le mettre auditivement en contact avec les tensions prémonitoires. Même économie dans la chansonnette de la scène N°1, dans les préparatifs de sortie des parents dans la scène 2 et les objections de Fortunato. Le souci de Théodore Gouvy est de peindre vrai : pas de virtuosité gratuite, pas de bavardage. Il s'agit de serrer l'action au plus près et de conduire graduellement le spectateur à la scène insoutenable de la fin. Ce souci de l'efficacité n'est pas un appauvrissement de la palette musicale, au contraire. On peut noter combien l'expression est servie par une extrême variété de mouvements, de caractères, de rythmes, de nuances, de couleur orchestrale, de modulations. Sur le plan scénique Gouvy réalise avec bonheur la conduite du récit initial. Comme il en est coutumier dans ses autres ouvrages lyriques (Der Cid ou dans les grandes cantates dramatiques), il use toujours du jeu des oppositions. Grand calme de la première scène où Fortunato s'ennuie ; arrivée mouvementée du fugitif ; discussion serrée avec Gamba ; bonheur 16 33 Il n’était pas encore allé en Corse… d'avoir une montre et bonheur de Gamba d'avoir mis la main sur Sanpiero ; prière résignée de Fortunato ; cris de douleur de Pepa et cris de rage de Mateo. Tout cela est parfaitement souligné et mis en valeur par la musique qui est toujours au service de l'expression et de la cohésion de l'ensemble. Cette œuvre peut être considérée comme un "chant du cygne", non seulement par la place qu'elle occupe chronologiquement dans l'œuvre de Gouvy, mais également parce qu'on y retrouve toutes les qualités qui font de lui un musicien intelligent, sensible et attachant, un grand compositeur. Un comparatif entre « Fortunato » et « Le Cid » Gouvy comme le seul qui composait des symphonies et, d'une façon générale, de la musique dite "sérieuse", comme aussi des quatuors à cordes. Ce à quoi Danièle Pistone rétorque, dans son ouvrage La Symphonie dans l'Europe du XIXe siècle, qu'il existait beaucoup d'autres compositeurs à en avoir écrites, citant Onslow, Deldevez, Saint-Saëns, Bizet, Gounod, Reber, Alexis de Castillon, Messager, Benjamin Godard. Et de conclure que « Gouvy est une figure emblématique et l'initiateur du mouvement symphonique français au XIXe siècle, et dont l'importance est encore largement sous-estimée. » Vous avez travaillé également sur cet autre opéra de Gouvy, « Der Cid ». Est-il possible d'en faire la comparaison avec « Fortunato » ? Les deux seules compositions de Gouvy qui portent le nom d'opéra et qui sont réellement des opéras, Der Cid et Fortunato, ont plusieurs points communs. L'un et l'autre sont en allemand et ont été directement composés dans cette langue alors que la plupart des ouvrages lyriques de Gouvy -souvent en version bilingue-, ont d'abord été composés sur le texte français et ensuite, adaptés en version allemande. Il semble que Gouvy ait voulu tirer parti de sa biculture franco-germanique et faire connaître audelà du Rhin, deux représentants de la culture française, l'un classique, l'autre quasi-contemporain. Les deux ouvrages sont restés inédits et non représentés, le premier en raison de la mort de son interprète principal, le second par la mort de son auteur. Et maintenant, l'un et l'autre suscitent un regain d'intérêt mérité. Les différences ne manquent pas non plus : Der Cid, première initiative dans le genre, est un grand opéra en trois actes volumineux, avec ballet, grands airs. C'est l'opera-seria dans toute la force du terme sur un livret réalisé par un tiers. Fortunato, dernière composition dans le genre, qui a sans doute profité de l'expérience d'une bonne vingtaine d'ouvrages, est ramassé en un acte comprenant huit scènes enchaînées, avec mise en scène réduite, absence pratiquement totale de grand air, d'une grande intensité psychologique et d'une grande force d'expression, cela étant peut-être dû en partie au fait que Gouvy organise lui-même le livret qu'il met en musique. Le statut des deux œuvres n'est pas le même non plus : Le Cid est une œuvre intemporelle du théâtre classique, emblématique du dilemme "cornélien" entre le devoir et l'amour. Mateo Falcone, une modeste nouvelle, presque une curiosité anthropologique, satisfaisant le désir romantique de l'ailleurs, même si Gouvy lui donne une portée beaucoup plus "moderne", en campant, avec beaucoup de finesse, les profils psycholo- En matière de théâtre parlé, de romans ou de nouvelles ayant servi de support au théâtre lyrique, on ne connaît guère, de Prosper Mérimée, que sa Carmen, qui est devenue le plus célèbre et le plus joué des opéras à travers le monde. Par contre, ses "nouvelles" sont moins connues, mais celle de Mateo Falcone émerge cependant des trois autres qui l'entourent, en cette même année 1829, et que sont La Chronique du temps de Charles IX, Vision de Charles IX et L'Enlèvement de la Redoute. C'était encore un jeune homme. Il avait alors 26 ans et il était un peu le Casanova des salons littéraires. Né à Paris en 1803, Prosper Mérimée eut comme père, un professeur de dessin, et comme mère, un professeur de peinture. Elle était née Anne Moreau et était une descendante de Marie Leprince de Beaumont, l'auteur du célèbre roman La Belle et la Bête. Prosper Mérimée fait ses études au Lycée Henri IV, puis entreprend des études de droit, obtenant son diplôme en 1823. Le libertin qu'il était alors, lutta un jour avec le mari de sa maîtresse, qui le blessera de plusieurs balles ! Puis, après une courte aventure avec George Sand, il se passionnera pour Valentine Delessert, son égérie, qui était la petite-fille du comte et politicien Alexandre de Laborde. Mérimée sera membre du « Cénacle » de Victor Hugo, voyagera beaucoup, se liera avec Stendhal, publiera « Le Théâtre de Clara Gazul », rendant hommage à la comédienne Clara Gazu, puis, en 1827, à cette autre comédienne qu'était « Maglanovitch Hyacinthe ». En 1828, il publie La Jacquerie, un drame historico-féodal. Arrive l'année 1829. 34 15 IV PROSPER MÉRIMÉE : « MATEO » AVANT « CARMEN » d'amitié avec Camille Saint-Saëns, Edouard Lalo, Charles Gounod, le violoniste Rodolphe Kreutzer, la cantatrice Pauline Viardot et les chefs d'orchestre Jules Pasdeloup, Charles Lamoureux, Gabriel Pierné aux Concerts Colonne… Mais il est à peine cité dans La Musique des origines à nos jours (Larousse 1946) aux côtés d'autres compositeurs français et qui furent « les bons ouvriers de la restauration du goût musical français… », tandis que, dans le plus récent Dictionnaire usuel de la musique piloté par Marc Honegger (Bordas 1995), on dit qu' « il ne reçut aucune formation musicale sérieuse avant son arrivée à Paris (…) Compositeur sans envergure, Gouvy a, au moins, retenu l'attention d'une époque qui voyait en lui un continuateur français de Carl-Maria von Weber et de Beethoven (…) Il a défendu la musique pure alors que la musique à programme était la principale occupation des compositeurs… ». Plus dur sera, sous la houlette de Marc Vignal, le Dictionnaire de la musique (Larousse-Bordas 1999) où l'on peut lire : « Tenant de la musique pure, Gouvy s'installe à Paris pour étudier le droit, mais son aisance matérielle lui permit de se tourner vers la musique (…) Il a composé dans un style assez impersonnel, six symphonies, … » giques de l'enfant un peu veule et roué, parce que tiraillé entre un père trop rigide et peu affectif et une mère qui tente d'atténuer cette sévérité en prenant sa part de tendre complicité devant les ordres paternels trop abrupts. Une importance encore sous-estimée Le musicologue René Auclair, spécialiste de Gouvy, a relevé aussi des appréciations parfois peu amènes. Dans quelques Histoires de la musique qui en parlent, on le considère comme « un inconnu des Français parce qu'il méprisait autant l'italianisme, le théâtre, la musique à programme, et qu'il dut s'exiler en Allemagne pour faire jouer ses symphonies, ses sonates et ses quatuors » (Norbert Dufourcq), tandis que Jules Combarieu relevait « son goût austère pour la musique pure (…) en avance sur la plupart de ses contemporains ». Le plus enflammé des commentaires fut écrit par le critique, célèbre alors, Léon Kreutzer, dans L'Union musicale d'avril 1854 : « Avec la centième partie du talent que possède M. Gouvy, on a le droit d'être joué sur tous les théâtres lyriques, de porter la décoration de la Légion d'honneur, d'être membre de l'Institut et de gagner 30.000 francs par an. Mais pourquoi, diable, Monsieur Gouvy compose-t-il des symphonies ? » René Auclair cite, malgré tout, une remarque réconfortante de la musicologue Danièle Pistone qui affirme que Gouvy n'était pas le seul compositeur français de son espèce, à partir d'une constatation faite au XIXe siècle prétendant que la tradition symphonique qui existait en France au XVIIIe siècle, s'était brutalement interrompue pour renaître miraculeusement avec César Franck et la génération qui suivra. Et le commentateur de citer 14 Page de couverture manuscrite de « Fortunato » et page de la partition de la main de Gouvy. 35 VIII ÉRIC CHEVALIER : « L'HONNEUR PATERNEL NE PEUT ÊTRE RÉHABILITÉ QUE PAR LE SANG DU FILS » Eric Chevalier met en scène l'opéra Fortunato. Il nous donne ses impressions et les jugements qu'il porte sur l'œuvre, sur ses personnages, sur la façon dont ils se comportent et qui se traduiront dans la conception scénique qu'il en a. « L'action pourrait se dérouler dans n'importe quelle société primitive », précise-t-il. « Le meurtre du fils par son père (qui confère à cette histoire corse sa dignité de tragédie antique), est une invention de Mérimée qui disposait, plus banalement, d'un reportage relatant l'exécution d'un traître par sa famille. La différence majeure que j'observe, est que le rôle de la mère est inexistant dans la "nouvelle" par rapport à l'opéra. Son action est intolérable. Dans les adaptations cinématographiques, où radiophoniques de la "nouvelle", cette situation est normalisée. Mérimée, lui, ne s'attendrit pas. » Eric Chevalier : l'honneur paternel ment dans le Colorado. Il a fait un considérable travail de recherche aux Etats-Unis en comptabilisant toutes les œuvres de Gouvy jouées dans les universités américaines. Je n'oublierai pas la fondation, en 2009, de la Theodor Gouvy Gesellschaft par un jeune chef d'orchestre français, Vincent Borritz, qui est actuellement professeur à la Musikhochschule de Dresde. A Dresde, nous avons aussi le projet d'une Académie Sylvain Teutsch, président de l'Institut Gouvy : d'été, avec un concert de Lieder de « L'an prochain, un Festival Gouvy… dans le Colorado ! » Gouvy, et qui se déroulera dans la Villa de Carl Maria von Weber et sur son piano à queue ! Enfin, sur le plan des enregistrements, on va vers l'intégrale des symphonies de Gouvy dont quatre d'entre elles ont déjà été gravées l'an dernier, sous la direction de Jacques Mercier avec la Deutsche Radio Philharmonie de Sarrebrück-Kaiserslautern. Tout est en boîte pour les suivantes. Gouvy en a écrit six, une a été perdue, mais il y a une seconde version de la 6e avec, en plus, une Sinfonietta et une Symphonie brève. Gouvy a un bel avenir devant lui… Un chef français, un orchestre allemand, tout un symbole. Gouvy n'avait-il pas la double culture ? Le voici maintenant qu'il joue à l'international. Une réhabilitation réussie. C.L.M. : Comment analysez-vous le comportement de chaque personnage ? Eric Chevalier : Fortunato est le héros malheureux -infortuné-, de cet opéra, et, pourtant, il semble bien ne faire aucun doute que Mateo en est la figure emblématique et omniprésente. Pourtant, de la page onze jusqu'à la page soixante-sept de la partition, son fils, Fortunato, est seul face à ses responsabilités. Mateo, lui, est animé de la "virtu" qui caractérise les hommes non civilisés. Pur, intransigeant, il détient la quasi-totalité des valeurs traditionnelles qui importent à Mérimée. Il tue son fils, le seul garçon de la famille, pour avoir dérogé aux lois de l'hospitalité. Un fils qui a transgressé la religion Bien que Théodore Gouvy se soit fait des relations dans le monde musical parisien et ait fréquenté les artistes et les compositeurs de son époque, les historiens de la musique, les critiques musicaux et autres commentateurs ont eu parfois la dent dure à son endroit. C'est l'époque qui voulait cela. Certes, il eut des contacts professionnels chaleureux et il s'est aussi lié 36 13 III ON N'A PAS TOUJOURS ÉTÉ TENDRE AVEC THÉODORE ! nouveau dans les autres quatuors et quintettes, et tous ces disques ont obtenu des distinctions : Choc de la musique, 9 de Répertoire, 5 diapasons, sans compter les critiques et les articles de journaux et de revues spécialisées… Un véritable musée que l'Institut Gouvy ! Le phénomène Gouvy est contagieux, puisqu'il s'est répandu auprès des éditeurs, des maisons de disques, des festivals étrangers. Où en est actuellement sa progression ? Les enregistrements se sont multipliés avec l'Electre chantée par Françoise Pollet à l'occasion du centenaire de la mort du musicien ; puis l'Institut a entrepris l'édition ou la réédition de partitions, a rassemblé des documents, des photographies, des correspondances, -on a recensé 723 lettres !- , des souvenirs du musicien, des objets liés à sa vie et à son œuvre, on a répertorié toute sa musique… Un véritable musée. En créant une dynamique autour de Gouvy, l'Institut s'est attaché également à retrouver d'autres oubliés de l'histoire, dont son neveu Léopold qui signait sous le pseudonyme d’« Opol Ygouv » et qui a écrit des œuvres intéressantes. Je citerai le Catalogue complet des œuvres de Gouvy réalisé par René Auclair, son mémoire de DEA, l'ouvrage de doctorat de Martin Kaltenecker, et son analyse d'œuvres inédites, le DEA réalisé sur la correspondance de Gouvy, l'apport important de Mme Pistone, musicologue, qui lui a valu d'être nommée présidente d'honneur de notre Institut… De plus, l'Institut a noué, depuis plusieurs années, de nombreux partenariats, notamment avec les institutions allemandes, la Musikhochschule de Sarrebrück, les Universités de Leipzig et de Hambourg. Figurez-vous que l'Institut a retrouvé la toute première biographie du compositeur, écrite et publiée à Berlin en 1902, par Otto Klauwell, musicologue et directeur du Conservatoire de Cologne et qui avait connu Gouvy ! L'American Gouvy Society de Littleton Racontez-nous comment l'Institut a-t-il noué des partenariats en Amérique et quels sont ses projets futurs ? En Amérique, oui. On est entrain de préparer l'année Gouvy qui aura lieu l'an prochain. Elle se concrétisera notamment par la création d'un Festival Gouvy à Denver dans le Colorado. Et ce festival a été fondé par un correspondant américain, musicologue, pianiste, nommé Robin Mac Lean, qui avait créé, déjà en l'an 2000, l'American Gouvy Society à Littleton, égale12 de l'hospitalité dont l'honneur paternel était le garant. L'hospitalité est donc "homérique". Fortunato transgresse ainsi l'honneur paternel, et cet honneur ne peut être réhabilité que par le sang du fils. C'est le droit de prendre de la chair lorsqu'il y a faute. (dette/Schuld). Ainsi il y a donc dans Mateo Falcone, le conflit de deux légalités, l'une archaïque, l'autre "civilisée". C'est le désir, la convoitise, qui pousse Fortunato à transgresser cette loi de l'hospitalité et un désir infantile d'être "comme papa", de faire la loi comme lui et de posséder comme lui "le bon objet", tout en sachant que c'est interdit. Vous parlez de métaphore animale, s'agissant de Mateo Falcone. Quelle analyse psychologique en faites-vous ? Un faucon. Un chef de clan. Un prédateur. Comme s'il s'agissait de saisir en l'homme ce qui relève de sa nature la plus instinctive. Nul ne peut soutenir le regard de Mateo qui hypnotise, pour ainsi dire, Fortunato, obéissant jusqu'à la dernière minute. C'est Mateo qui a choisi le nom de son fils (on ignore tout du prénom des trois filles qui l'ont précédé). Mateo est à la fois juge, prêtre et bourreau. Ou il renie ses valeurs, et il accepte un traître dans sa famille, et la transmission d'un nom souillé par le déshonneur. Ou l'application stricte du code de l'honneur et la mise à mort de celui qui, "le premier de sa race", s'est rendu coupable de trahison. Ce faisant, il accepte l'extinction de son nom en toute conscience. Fortunato est-il victime ou coupable selon vous ? Fortunato est soumis à l'autorité du "pater familias", maître après Dieu sur sa famille. Et dans cette famille, les sentiments ne s'extériorisent pas. On notera le caractère possessif et violent des liens qui unissent cette famille. Par conséquent, Fortunato a conscience du prestige de son père, ce qui explique son arrogante insolence face à Gamba. Dans ce type de société primitive, l'enfant n'est pas l'objet d'attendrissement. C'est bon pour les nourrices et les femmes, jusqu'à ce que le garçon ait l'âge d'apprendre à devenir un homme auprès de son père. Ce fils doit garantir la continuité du nom. Il vit loin de la ville corruptrice. L'enfant n'est pas attiré par la valeur marchande de l'objet qu'on lui donne (la montre). Il est, par contre, comme un primitif, attiré par ce qui brille. Alors est-il coupable ? Le destin ne l'at-il pas mis, tragiquement, dans une situation au dessus de ses forces ? Opéra d’une simplicité chirurgicale 37 N'y a-t-il pas une ambiguïté autour du nom du gendre, Tiodoro ? Après le meurtre, dans la "nouvelle", Mateo, en effet, remplace tout bonnement le fils coupable assassiné, par un fils adoptif, son gendre Tiodoro (Théodore), ce qui veut dire "don de Dieu", et par contraste avec l'infortuné Fortunato, le mal nommé qui a démenti son propre nom. Or, l'étymologie de Tiodoro (Theodoros en grec), et celle de Mateo (Mathieu en français et Mattayahu en hébreux), sont semblables. Ces deux prénoms signifient : don de Dieu. En quelque sorte, Mateo fait venir son double. Mais ce qui surprend plus encore, c'est que l'adjudant Gamba se prénomme aussi Tiodoro… tout comme Gouvy se prénomme Théodore ! Tiodoro serait-il alors une autre réplique du père ? C'est en tout cas la figure du "tentateur". L'homme de la ville, de la civilisation "moderne". Pour lui, les moyens utilisés importent peu. C'est le résultat qui compte. Que tirez vous de ces réflexions dans votre mise en scène ? L'opéra, tout comme la "nouvelle", adoptent une forme brève, concise, d'une précision voisine de l'algèbre. Il n'y a aucune phraséologie, aucune enflure, aucun accent d'élégie. C'est d'une simplicité chirurgicale. Pour moi, Mateo Falcone narre la mort d'une société primitive au contact de la civilisation, non par une destruction venue de l'extérieur, mais par autodestruction, car elle porte le mal en elle-même, à l'intérieur d'un de ses membres le plus fragile et le plus émouvant. Dans ma mise en scène, les costumes (signés Danièle Barraud), illustreront la confrontation de ces deux sociétés. Ainsi, Falcone, sa femme, son fils, Sanpiero et Beppo seront en costume traditionnel corse. Gamba et les flics seront en costumes contemporains. La part prise par la scénographe Ange Leccia est, pour moi, primordiale dans ce spectacle. Son travail et le mien ont été intimement liés. Je considère aussi que Les Douze chants de l'Ile de Corse d'Henri Tomasi qui introduisent le spectacle, (voir le chapitre sur Henri Tomasi), sont hors le temps, hors-jeu pourrait-on dire. Mateo Falcone lui, est en temps réel. L'action se déroule vraiment sur 40 à 45 minutes. L'idéal du théâtre classique voulait que le temps de l'action corresponde au temps de la représentation. La "nouvelle" s'apparente à la tragédie classique par l'unité de lieu, de temps, et d'action. * Notes bibliographiques d'Eric Chevalier : Antonia Fonyi Préface pour l'édition GF Flammarion de Mateo Falcone ; Jacques Chabot L'autre moi, fantasmes et fantastique dans les "nouvelles" de Mérimée ; 38 « Un festival, merveilleux champ d'exploration des œuvres… » Et c'est en leur adjoignant le nom de « Festival international Théodore Gouvy » et en dédiant ses « Rencontres musicales » à son compositeur, que sa ville s'est engagée délibérément dans sa réhabilitation, lui qui était tombé dans l'oubli après sa mort. Dès 1992, on a donc réussi à faire réinterpréter ses œuvres. Le phénomène déclencheur fut la résurrection de son Requiem en 1993, le Festival étant devenu un merveilleux champ d'exploration de ses ouvrages. Aujourd'hui, plus d'une trentaine de ses compositions ont déjà pu être créées ou recréées, et présentées au cœur même où elles avaient été écrites, puisque Gouvy vécut à Hombourg-Haut les trente dernières années de sa vie et où il y composa ses ouvrages les plus importants. Quand les institutions régionales se sont-elles intéressées à la renaissance de Gouvy et quels sont les artistes qui se sont investis dans ses œuvres ? C'est justement à ce moment là, que la Région Lorraine s'est passionnée pour le phénomène lorsqu'elle entreprit d'orienter sa politique vers le patrimoine lorrain en créant « Mémoires musicales de la Lorraine ». Les musicologues, les historiens, les musiciens ont participé aux découvertes et, très vite, dans la foulée du Requiem, on joua la Cantate du printemps. En 1995, le Quatuor Denis Clavier entreprit l'enregistrement d'un des quatuors et d'un des quintettes de Gouvy, sur la douzaine qu'il a écrits, et la cantatrice messine Cyrille Gerstenhaber en chanta les mélodies et les Lieder. Et, tous ces disques furent édités dans la série des Mémoires musicales. 1995, c'est aussi l'année où fut fondé l'Institut Gouvy, sur les lieux mêmes où sa musique avait été composée, c'est-à-dire la Villa Gouvy, résidence de la famille et acquise par la ville de Hombourg-Haut. Les enregistrements se sont succédé : en 96, ce fut le Stabat Mater puis la cantate Egill sur La Villa Gouvy de Hombourg-Haut qui abrite l'Institut Gouvy une légende scandinave, en 98, (Photo Claire Leber) le Quatuor Clavier s'investit à 11 à la reviviscence de ses œuvres, et à les faire connaître de par le monde. Etapes d'un passionné… Khama-Bassili Tolo L'intertextualité chez Mérimée, l'étude des sauvages ; René Girard La violence et le sacré. A partir d'un tombeau en forme de métronome ! IX C.L.M. : Comment avez-vous été amené à vous intéresser à Théodore Gouvy ? Sylvain Teutsch : J'étais enfant, je chantais à la chorale et j'habitais un quartier pas loin du cimetière. Un jour, j'aperçus, au fond, une tombe élancée comme une pyramide. La stèle avait la forme d'un métronome sombre sur lequel se détachait un médaillon blanc qui portait l'effigie et le nom de Théodore Gouvy, compositeur (1819-1898). J'en fus intrigué et, depuis, j'ai toujours voulu savoir qui était-il et éclaircir ce mystère. Le déclic se produisit lorsqu'un jour où, alors que j'étais président du Chœur d'hommes de Hombourg-Haut, la ville reçut la visite d'un étudiant en Sorbonne accompagné de descendants de la famille. Si un étudiant, en l'occurrence Martin Kaltenecker (qui choisira plus tard, pour sujet de thèse de doctorat, Théodore Gouvy), s'intéressait à lui, je me suis dit qu'il était vraiment un grand compositeur. Or, si le Chœur d'hommes existait (on avait célébré en 1990, le 125e anniversaire de sa fondation), c'est parce que les chanteurs qui en faisaient partie à l'origine, étaient tous des ouvriers et des employés travaillant aux Etablissements Gouvy, et que, donc, Théodore Gouvy y était pour quelque chose… CÉSAR CUI : UN FALCONE À LA RUSSE Après ce déclic, comment la ville de Hombourg-Haut s'est-elle investie dans ce que l'on peut appeler une aventure ? C'est justement en 1990, afin d'illustrer avec plus d'éclat la célébration des 125 ans du Choeur, que ce dernier, avec la municipalité, avons décidé de créer « Les Rencontres musicales de Hombourg-Haut ». Notre souci principal était de toucher le public le plus large possible et de renouer avec le riche passé historique et culturel de la cité, de par la présence de la famille Gouvy. Cette rencontre magique de la musique et de l'histoire ne pouvait trouver meilleur cadre que celui de la Collégiale Saint-Etienne, admirablement restaurée et témoin d'une histoire presque millénaire, l'édifice ayant été classé en 1930 Monument historique. Et n'est-ce pas sous les voûtes séculaires de cette église que furent célébrées, le 27 avril 1898, les obsèques du compositeur mort six jours auparavant à Leipzig avant d'être inhumé dans le caveau familial ? 10 On ignore si le compositeur russe César Cui connaissait le Mateo Falcone de Théodore Gouvy. Toujours est-il qu'il composa, entre 1906 et 1907, un opéra, pareillement en un acte et portant le même titre, ce qui, en cyrillique, est assez complexe mais qui devient, dans sa transcription : Mateo Fal'kone. Il le désigna plus précisément comme étant une scène dramatique. Le livret est inspiré du même Prosper Mérimée et adapté de Vassili Joukovski. L'ouvrage a été créé en décembre 1907 au Théâtre du Bolchoï de Moscou, mais ce fut un échec. Il semble que son sujet, bien loin des arguments des opéras du répertoire russe, ait laissé le public indifférent. Et l'ouvrage, semble-t-il, n'a jamais été repris. La musique est de style déclamatoire avec récitatifs mélodiques, s'inspirant d'Alexandre Dargomyjsky qui exerça une profonde influence sur lui. Les passages orchestraux suggèrent un décor rustique par le biais d'une barcarolle, le final s'achevant sur la prière d'inspiration latine, Ave Maria. Les personnages sont identiques à ceux de l'opéra de Gouvy et une réduction pour piano et voix en avait été réalisée. Mateo Falcone est le dernier des trois opéras en un acte de César Cui, les deux autres étant La Fête en temps de peste et Mademoiselle Fifi. On rappellera que César Cui fit partie du "groupe des cinq" inspiré par Balakirev et comprenant Rimski-Korsakov, Borodine et Moussorgski, dont Cui acheva son opéra La Foire de Sorotchinsky. 39 Henri Tomasi (1901-1971) X HENRI TOMASI : « IL FAUT AVOIR LA CORSE DANS LE SANG POUR AVOIR LE POUVOIR DE LA CHANTER » Bien que d'ascendance corse, Henri Tomasi est né à Marseille en 1901, où il étudia le piano et où il fut ami avec le violoniste Zino Francescatti, le dédicataire de plusieurs de ses œuvres. Diplômé du Conservatoire supérieur de Paris, il remporte le Premier Second Prix de Rome avec sa cantate Coriolan. Chef d'orchestre à Radio-Colonial, il sera un acteur important de la vie musicale française et adhérera au groupe "Triton" qui réunissait Darius Milhaud, Arthur Honegger, Francis Poulenc, sans pour autant être dans la modernité d'écriture de l'époque où il était considéré comme un néo-classique. Pendant la guerre, il dirigea l'Orchestre national, mais, pacifiste convaincu, il se retirera à l'Abbaye Saint-Michel de Frigolet où il composera notamment un Requiem pour la paix et un opéra Don Juan de Manara. Après guerre, il reprendra son activité de chef d'orchestre et il composera des œuvres de concours pour le Conservatoire de Paris, dont son Concerto pour trompette qui connaîtra la célébrité de par ses interprètes, Maurice André et Wynton Marsalis. Dans les années 50, il fut vivement attaqué par les compositeurs d'avantgarde, pratiquant la musique dodécaphonique, Tomasi se considérant comme un compositeur indépendant. « La Corse reste encore à découvrir... » Tomasi avait la fibre du Corse et disait que « la vraie Corse reste encore à découvrir par les librettistes qui ne croient pas seulement aux bandits en escopette, et par les musiciens qui ne se contentent pas d'une chanson populaire pour exprimer les tréfonds de l'âme d'une race antique, indépendante et fière comme la nôtre ». Il affirmait aussi que ses œuvres d'inspiration corse étaient folkloriques sans l'être. « Il faut avoir la Corse dans le sang pour avoir le pouvoir de la 40 l'Institut. « Ce qui nous arrive aujourd'hui est une reconnaissance extraordinaire, ajoute Sylvain Teutsch. C'est, de plus, un beau challenge car ce sont des projets exceptionnels et nous sommes conscients de l'enjeu de ces réalisations. Leur mise en chantier a représenté pour l'Institut, une masse de travail dans l'édition de ces ouvrages qui n'avaient pas été montés du vivant du compositeur. Masse de travail aussi pour la livraison du matériel et gros investissement financier pour notre petite structure. Mais ceux qui s'y dévouent ont voulu relever le défi… » Une sérénade pour Metz Retour d'un voyage à Leipzig, Théodore Gouvy fit escale en 1850 à Metz ou habitait sa mère. Le 23 novembre, il fit à l'hôtel de ville une déclaration stipulant que, résident en France depuis 1830, il voulait élire son domicile à Metz et sollicitait la jouissance de la nationalité française. Il séjourna quelques mois dans cette ville, retourna à Paris et dédia à l'association messine "l'Union des Arts", une Sérénade pour le piano. Ce morceau, gravé par Toussaint, parut dans la Revue publiée en 1852 par cette société. Plusieurs œuvres du compositeur ont été exécutées à Metz, et que les journaux et revues saluèrent de façon élogieuse. En 1859, il fut à nouveau de passage à Metz où il exécuta, avec des musiciens amateurs, le Trio pour violon, piano et violoncelle de sa composition. La relation de ces séjours sont mentionnés dans le « Dictionnaire des Musiciens de la Moselle » de JeanJulien Barbé, archiviste de la ville (Edition Le Messin, 1929) avec une préface de René Delaunay, alors directeur du Conservatoire. II SYLVAIN TEUTSCH : « C'EST L'HISTOIRE DE NOTRE GRANDE RÉGION… » Président de l'Institut Théodore Gouvy, Sylvain Teutsch, né à Hombourg-Haut, est à l'origine de la redécouverte du compositeur, inhumé au cimetière de cette ville, et auquel il s'est intéressé depuis son enfance. Il nous conte les étapes qui ont conduit cette institution 9 Gouvy de Hombourg-Haut, et auquel on doit la renaissance de Gouvy, car il a constitué voici plus de vingt ans, un comité particulièrement actif avec les membres du Chœur d'hommes de Hombourg-Haut en particulier, et qui en fut un des choristes : « On s'est entouré de musicologues et de spécialistes qui ont démontré que Gouvy symbolisait parfaitement la richesse culturelle de notre région. Sans cesse ballotté entre deux expressions, latine et germanique, ne vivant que sous leur influence, il ne peut s'en démarquer. Elles ont été son inspiration et, finalement, sa particularité et sa force, en en faisant un Européen avant l'heure… ». C'est ce qu'il avait affirmé lorsqu'il apprit qu'on allait créer ses deux opéras. chanter », disait-il dans les années 1930. « Ainsi, sans vain orgueil, je crois bien être le seul musicien à avoir ce droit là. » Dans son œuvre Kyrnos, il dépeint les paysages corses rappelant les premiers phocéens et oppose un thème tragique de vocero et un autre plus vif de danse. «De l'exaltation la plus insouciante au pessimisme le plus noir», disait ce profond méditerranéen. Ses Douze chants pour l'Ile de Corse écrits pour chœur a cappella, en sont le reflet. Et ils ne sont pas sans rappeler les chants populaires qu'interprètent, dans les églises comme dans les montagnes, les groupes et chorales de l'Ile. Ces Douze chants pour l'Ile de Corse très rarement interprétés, forment un pendant logique avec l'opéra Fortunato (Mateo Falcone) de Théodore Gouvy. Un film, des disques, un colloque… Depuis deux ans, les événements se sont succédé. L'intégrale discographique de ses symphonies est en passe d'être gravée avec la Saarländischer Rundfunk de Sarrebrück-Kaiserslautern sous la direction de Jacques Mercier ; le film documentaire intitulé Le Mystère Gouvy est sorti en 2009, et les Actes du colloque consacrés au compositeur ont été publiés. Ce colloque "international" s'est tenu à Sarrebrück et à Hombourg-Haut avec des musicologues connus, dont René Auclair (qui en a dirigé les éditions), Danielle Pistone, Martin Kaltenecker… Les communications bilingues portaient aussi bien sur « Gouvy et le discours de la musique sérieuse » que sur « Gouvy et l'écriture violonistique », « Mélodies et Lieder dans l'œuvre de Gouvy », « Entre élégance française et vigueur allemande »… Pour Sylvain Teutsch, « le film constitue une belle carte de visite pour l'Institut et pour toute la région. Il a fait l'objet de transactions avec les chaînes de télévision et il est commercialisé en DVD. Les Actes du colloque lèvent le voile sur une part secrète de l'homme et de son œuvre. Quant au projet discographique proposé à la Radio sarroise avec le soutien de la Région lorraine, il s'est étendu à d'autres réalisations, dont l'enregistrement de la grande cantate Iphigénie en Tauride. D'autres objectifs se sont concrétisés avec le Philharmonique du Wurtemberg qui a réalisé un disque Gouvy avec un éditeur suédois. Un autre avec une firme belge. Et, avec Internet, on découvre que les sites et les radios sont de plus en plus nombreux de par le monde à diffuser la musique de Gouvy… » Deux opéras : « une reconnaissance extraordinaire » La mer violente, les nuages, la foudre, les pierres... Pour Les Douze chants de l'Ile de Corse, les premières images projetées de la scénographe Ange Leccia donneront les clés de ce que sont les protagonistes de Mateo Falcone. Et en premier lieu d'où ils viennent. L'eau, la mer, les vagues d'une mer violente, effrayante, glacée. Puis, naissent les premières mesures des trois premiers chants. Les femmes se sont mises en place pendant la première projection ; on les distingue au travers d'un voile. Lorsqu'elles chantent, l'image se met en boucle. Un silence s'installe après les trois premiers chants. L'air, le ciel. Aux vagues, succèdent les nuages, dans le même esprit que la séquence précédente ; puis trois autres chants interviennent sur les images en boucle. Nouveau silence. Le feu, l'orage et la foudre. Ensemencement. Trois chants suivants. Silence. La terre, les montagnes, les pierres. Elles seront évoquées dans les trois derniers chants. (les Voceri). Les montagnes, le maquis, représentent le monde de la tradition, des valeurs auxquelles tient Mateo. Ils sont un lieu de refuge pour les proscrits, ainsi qu'un lieu de sacrifice humain. Les montagnes sont considérées comme conservatrices des coutumes anciennes en matière de funérailles. Fortunato lui, rêve de la ville. Le lieu où vit Falcone est <à la lisière>, entre le maquis et Porto Vecchio. Après la résurrection de son corpus symphonique, de ses oeuvres religieuses et de sa musique de chambre, c'est la renaissance de ces deux opéras : Fortunato (Mateo Falcone), et Der Cid (Le Cid) qui occupent maintenant Le silence revient sur la fin du dernier chant. L'image filmée se fige ou s'estompe pendant que les femmes ayant interprété les chants, sortent. C'est à partir de là que l'orchestre se met en place sur le même temps. Fortunato commence… 8 41 XI LES ARTISTES DE LA DISTRIBUTION JACQUES MERCIER, CHEF D'ORCHESTRE Premier prix de direction d'orchestre à l'unanimité au Conservatoire supérieur de Paris, premier prix au Concours de Besançon, Jacques Mercier fut l'assistant de Pierre Boulez et bénéficia des conseils de Karajan. Il entame rapidement une carrière internationale et dirige de prestigieuses formations. Qualifié de "Souveräner Dirigent" à Berlin, il se produit dans les festivals dont celui de Salzbourg. Et Madrid où il est cité comme « l'un des meilleurs chefs français et européens de sa génération » par la critique. De 1982 à 2002, il sera directeur artistique et chef permanent de l'O.D.I.F. devenu national, et Pierre Petit, dans Le Figaro, dira de lui « qu'il a donné la preuve irréfutable de son grand talent fait de précision et de maîtrise, mais aussi de flamme et de panache… » Préalablement, il fut durant sept ans chef permanent du Turku Philharmonic en Finlande, et ce sera pour lui une expérience déterminante de son approche des compositeurs d'Europe du Nord dont Sibélius. Mais son talent s'exerce aussi dans le répertoire français, son territoire de prédilection. Il s'illustre également dans le répertoire contemporain, créant en particulier, des œuvres de Xénakis, Luis de Pablo, Philippe Manoury et Wolfgang Rihm… Il a réalisé de nombreux enregistrements discographiques. Il s'est vu décerner le Grand Prix de l'Académie Charles Cros pour Bacchus et Ariane d'Albert Roussel et le Prix de l'Académie du disque lyrique pour Djamlileh de Bizet. Son Martyre de Saint-Sébastien de Debussy lui a valu un Choc du Monde de la Musique. Son domaine de l'opéra porte essentiellement sur le répertoire français. Elu Personnalité musicale de l'année 2002 par le Syndicat professionnel de la critique dramatique et musicale, son premier enregistrement avec l'O.N.L. porte sur L'An Mil de Gabriel Pierné qui lui a valu le Diapason d'or de l'année 2007. Son second disque paru en 2008, consacré à Antoine et Cléopâtre de Florent Schmitt, a également obtenu un Diapason d'or. En janvier 2011, Jacques Mercier et l'O.N.L. ont remporté un vif succès pour leur tournée en Allemagne. Théodore Tilmant, il peine à les faire jouer en concert. Ce sera, certes, le début d'une production ininterrompue. Or, les éditeurs français rechignent à les publier, beaucoup d'entre elles étant jouées à partir des manuscrits. De son premier voyage en Italie, en 1844, il ne garde pas les meilleurs souvenirs, car la vie musicale lui semble trop pompeuse et superficielle, et il déteste notamment le faste des offices religieux. Il séjourne à Frascati, à Naples, puis à Bologne où il rencontre Rossini, et croise ses amis, Eckert et le compositeur Niels Gade. Le pérégrin, retour à Paris, devra même louer une salle et payer un orchestre pour faire jouer sa première symphonie ! C'était en 1847. Heureusement, ce fut un succès. Mais il devra attendre l'année 1851 pour, qu'à trente-deux ans, on lui accorde la nationalité française, et encore, par naturalisation. L'année précédente, la famille Gouvy rachetait aux De Wendel, les forges de Hombourg-Haut. Et Gouvy partagera alors ses séjours entre la maison familiale, la Villa Gouvy, et ses voyages à Paris, à Leipzig et autres villes allemandes. Des encouragements d’Hector Berlioz Son nom s'impose aux oreilles de Berlioz qui écrivait alors ses critiques musicales dans le Journal des débats. Que disait-il de Gouvy, en 1851 ? « Qu'un musicien de l'importance de Gouvy soit encore si peu connu à Paris, alors que tant de moucherons importunent le public de leur obstiné bourdonnement, il y a de quoi indigner les esprits naïfs qui croient encore à la raison et à la justice des nos mœurs musicales… » On ne pouvait mieux dire. Or, c'est bien dans les grandes villes musicales allemandes que les mélomanes raffoleront le plus de ses œuvres. A Berlin, Cologne, Dresde, Wiesbaden, Francfort, Leipzig… Si on l'a moins joué dans l'Hexagone qu'Outre-Rhin, c'est qu'en France, l'époque était dominée par le grand opéra et l'opéra-comique, alors que la terre de Goethe cultivait davantage la musique symphonique. Et c'est vrai que la musique de Gouvy, qui a subi l'influence de Mozart, de Beethoven et de Mendelssohn, puis de Brahms, reflète cette double culture, car on y décèle à la fois la grâce et la légèreté bien françaises, et plus particulièrement, la limpidité et le classicisme de Saint-Saëns, tout comme les formes et la consistance germaniques. « Sans cesse ballotté entre deux expressions... » C'est bien ce que confirme d'ailleurs Sylvain Teutsch, président de l'Institut 42 7 Un bachelier de Metz La mère du jeune Théodore est originaire de Metz. A six ans, le petit musicien improvise sur une harpe à huit cordes. A huit, en 1827, il est collégien à Sarreguemines (en France), et suit des cours privés de piano. Après le décès de son père, en 1829, il entre au Lycée de Metz, ville où son oncle, Joseph Aubert, est négociant, et où sa mère s'installera, de 1830 à 1835. A dix-sept ans, il décroche son bac de philo au Lycée… de Metz. Sa mère avait formulé une demande de naturalisation pour son fils en 1834. Elle est refusée par les autorités ! Oui, car il doit d'abord résider une dizaine d'années en France pour que la démarche soit honorée. Sa mère, toujours, veut qu'il devienne juriste. Théodore s'inscrit d'abord en faculté de droit à Paris, mais sa nationalité allemande restreint ses ambitions. Or, le code civil comme le code pénal ne sont pas sa tasse de thé. Il renoncera à la magistrature après avoir échoué à son examen en 1839. Et il se lance dans la vie musicale. Etranger en son pays ? Cependant, on lui refuse l'accès à l'enseignement officiel au Conservatoire de Paris, parce qu'il est né teuton. Etranger en son pays ? Il part alors à la recherche d'un professeur de piano. Il s'adresse à Henri Herz, pianiste assez connu mais qui, devant partir pour une tournée de concerts et de récitals, lui recommande Edouard Billard, son propre élève. Tenté par la composition musicale, il suit les cours de contrepoint et d'harmonie que lui prodiguera Antoine Elwart qui fut Prix de Rome en 1834, et qui est réputé, diton, pour être un "grand causeur". Puis il s'inscrira aux cours de piano du plus célèbre Pierre-Joseph Zimmermann, qui brillait alors dans les salons artistiques parisiens. Ses leçons de violon, il les suivra auprès de Carl Eckert. Ils deviendront amis. Il prend aussi des cours auprès de Kalkbrenner, qui fut également le professeur de Chopin. Il va se lier avec les compositeurs de son époque, Camille Saint-Saëns, Adolphe Adam, Gabriel Fauré, Théodore Dubois, le violoniste Henri Vieuxtemps, Emmanuel Chabrier, et, bien plus tard, Gabriel Pierné. Fort des lettres de recommandation de son ami Eckert, il part, en 1842, pour l'Allemagne, par Mayence, Francfort. Il écoutera les Schumann, Robert et Clara, en concert à Leipzig, et séjournera à Berlin jusqu'en juillet 1843. Les éditeurs français font la fine bouche ! Ses premières compositions, livrées dès 1841, (il a 22 ans), connaissent un bon accueil. Mais, malgré les recommandations du chef d'orchestre 6 ÉRIC CHEVALIER, METTEUR EN SCÈNE Originaire de Nantes, Eric Chevalier entre en 1978 à l'English National Opera de Londres et conçoit, dès 1979, ses premiers décors dont celui des Saltimbanques pour l'Opéra royal de Liège. Il entre au bureau d'études de l'Opéra de Paris en 1981 et, en 1983, y est nommé chargé de production. Il poursuit conjointement une activité de décorateur et de metteur en scène signant successivement plusieurs productions en France, en Autriche, en Allemagne, en Corée du Sud… Il a notamment mis en scène Les Contes d'Hoffmann et Roméo et Juliette à Séoul, puis Le Pescatrici à Metz, Don Quichotte à Tours, Rennes et Angers, Carmen et Faust à Carcassonne, et embrasse à peu près tous les grands ouvrages du répertoire lyrique, et, parmi eux, des pièces contemporaines dont Erzebeth de Charles Chaynes dont il mit également en scène son Mi Amo r donné, il y a plusieurs saisons, en création à l'Opéra-Théâtre de Metz. C'est depuis 1994 qu'il aborda conjointement la mise en scène et les décors. Nommé en 2003/2004 à la tête de l'Opéra-Théâtre de Metz, il a signé chaque saison, une ou plusieurs mises en scène, dont la re-création du Caïd d'Ambroise Thomas dans le cadre de la Première Biennale consacrée au compositeur né à Metz, celle de L'Amant anonyme du Chevalier de Saint-Georges, celle de L'Attaque du Moulin d'Alfred Bruneau… Parmi les pièces de théâtre lyrique contemporain, on signalera Der Prozess de von Einem, Les Bonnes de Peter Bengston, Le Renard d'Isabelle Aboulker, et, parmi ses mises en scène de théâtre parlé, La Fiancée du matin d'Hugo Claus, Orage de Strindberg et Poil de carotte de Jules Renard. DISTRIBUTION VOCALE : VALÉRIE CONDOLUCCI, soprano, rôle-titre de Fortunato De nationalité franco-italienne, cette soprano lyrique léger, après avoir obtenu deux médailles d'or (chant et musique de chambre) au Conservatoire d'Arras, intègre l'Atelier lyrique de l'Opéra de Paris où elle aura comme professeurs, Janine Reiss, Christa Ludwig, Renata Scotto, Tereza Berganza et Alain Vanzo. Elle remporte le Prix lyrique du Cercle Carpeaux de l'Opéra de Paris, le Prix de la mélodie au Festival de Marmande et le Prix de la Ville de Paris. Elle débute au Centre de Formation lyrique de l'Opéra de Paris dans le rôle-titre de Roméo et Juliette, dans Gianni Schicchi, La Flûte enchantée, Carmen et Manon. Puis, elle assume des rôles, toujours à l'Opéra de Paris, dans Carmen, Manon, Parsifal, Peter Grimes. Elle signe des contrats dans les opéras de 43 province à Nice, Angers, Rouen, Limoges, Toulon, Aix-les-Bains… Sa carrière s'oriente ensuite vers l'international, où elle chante Gilda dans Rigoletto à Oslo, Zerlina de Don Juan, ainsi que Didon et Enée à l'Aberdeen de Youth International Festival ; elle sera Andromède dans Persée et Andromède à Palerme, Carmen au Festival de Baalbeck, Pamina de La Flûte enchantée en tournée en Angleterre avec le Glyndebourne Touring Opera. Elle a chanté pour la première fois à L'Arsenal de Metz dans Le Martyre de Saint-Sébastien dirigé par Emmanuel Krivine et le Gloria (588) de Vivaldi avec l'Orchestre de chambre de Metz sous la conduite de Fernand Quattrocchi. Ainsi que Bérénice sous la direction de Jean-Philippe Navarre, de même que Les Illuminations de Benjamin Britten. A Rennes, elle a chanté dans Les Enfants à Bethléem de Gabriel Pierné. Elle a tenu des parties solistes dans divers oratorios et autres œuvres sacrées, ainsi que dans deux symphonies avec partie solo (9e de Beethoven et 2e de Mahler). Elle donne également des récitals lyriques (dont l'un avec Laurent Naouri en hommage à Daniel Lesur), en France et à l'étranger. CATHERINE HUNOLD, soprano lyrico-dramatique, rôle de Giuseppa Elle a fait ses premiers pas dans la voie lyrique à onze ans, à l'OpéraComique à Paris dans L'Ecume des jours de Denisov. Elle étudia le chant chez Mady Mesplé et obtint un Premier Prix à l'unanimité du jury au Conservatoire de Saint-Maur, et, parallèlement, une licence en musicologie à l'Université de Paris VIII. Elle entre ensuite au StudiOpera de Paris, interprétant des rôles dans son registre de soprano lyrico-dramatique. Lauréate de plusieurs concours internationaux, dont le Premier Prix à l'unanimité au Concours européen de chant lyrique d'Arles, la médaille d'or au Concours international des jeunes solistes au Luxembourg ainsi que le Prix de la SACEM, elle a suivi les master-classes de Christa Ludwig. Elle a débuté en 2009, au Théâtre des Champs-Elysées dans Mahagonny ; elle tient les rôles wagnériens de Sieglinde et de Brunehilde, dans les émissions Les leçons de musique de Jean-François Zygel. La même année, elle créait le rôle de la Reine dans l'opéra Affaires étrangères de Villenave à Montpellier, au Festival duquel elle a participé avec La Nonne sanglante de Berlioz. Elle a des projets jusqu'en 2013. On citera sa prise de rôle d'Elsa dans Lohengrin, à Saint-Etienne. Elle a chanté dans Parsifal à l'Opéra de Nice, et tiendra, en novembre 2011, le rôle-titre de l'opéra Françoise de Rimini donné dans le cadre du bicentenaire d'Ambroise Thomas, à l'Opéra-Théâtre 44 I THÉODORE GOUVY : UN EUROPÉEN AVANT L'HEURE ? Deux opéras complètement occultés de Théodore Gouvy (1819-1898) vont être créés en première mondiale à un mois d'intervalle. D'abord Fortunato (Mateo Falcone) du 27 au 31 mai 2011 à L'Opéra-Théâtre de Metz Métropole, puis Le Cid à l'opéra de Sarrebruck à partir du 1er juin. Le premier en français, le second en allemand. Comme un symbole de la double culture du compositeur inhumé à Hombourg-Haut, et dont les ouvrages sont réhabilités depuis une vingtaine d'années. Parcours atypique d'un musicien… Reproduction d'un portrait au dessin de Théodore Gouvy à vingt ans, exécuté par un peintre nancéien, Candide Blaise, en 1839 (Collection Institut Gouvy). C'est un curieux parcours auquel fut destiné Théodore Gouvy qui connut son heure de gloire, entre Paris et Berlin, avant de sombrer dans les limbes durant les trois quarts du XXe siècle, puis de renaître peu à peu à partir des années 1980. Descendant d'une famille de maîtres de forges, il naît à Goffontaine (puis Schafbrücke, devenu aujourd'hui un quartier de Sarrebrück), quatre ans après que cette partie de la Lorraine soit annexée à la Prusse, suite à la bataille de Waterloo et en vertu du Traité de Paris de 1815. Il naquit donc allemand. Il aura trois frères dont Henri, né en 1813 est français et deviendra industriel, Charles né en 1815, qui émigrera aux Etats-Unis, et Alexandre, né en 1817, lequel reprendra la gouvernance de l'entreprise et gèrera les placements financiers de la famille Gouvy. 5 de Metz. Deux autres prises de rôle l'attendent au Theatre Colon de Buenos-Aires, le rôle-titre d'Ariane à Naxos de Richard Strauss et celui de Manon dans Manon Lescaut de Puccini. Elle se produit également en oratorio, dont le Requiem de Verdi et la 9e de Beethoven. Et a abordé l'opérette avec La Périchole d'Offenbach. JEAN-PHILIPPE LAFONT, baryton, rôle de Mateo Falcone Né en 1951 à Toulouse, Jean-Philippe Lafont a choisi comme professeur Denise Dupleix. En 1973, il est remarqué par Louis Erlo et entre à l'Opéra Studio de l'Opéra-Comique à Paris où il se perfectionne dans la diction, le chant, l'interprétation, le théâtre. Il a 23 ans en 1974 lorsqu'il tient son premier rôle, celui de Papageno de La Flûte enchantée, Salle Favart. C'est le début d'une carrière éblouissante. Il a cent rôles majeurs à son actif. Il se produit à la Scala de Milan, au Carnegie Hall et au Metropolitan Opéra de New-York, à la Monnaie de Bruxelles, au Liceo de Barcelone, bref, dans toutes les capitales européennes, et, bien sûr, à Paris, à la Bastille, aux Champs-Elysées et au Châtelet. C'est aussi un habitué des festivals auxquels il est invité : Salzbourg, Aix, Orange, Vérone, Montpellier, Bayreuth dans Lohengrin. Il est l'un des quatre chanteurs français à se produire dans ce temple wagnérien avec Ernest Blanc, Germaine Lubin, et Régine Crespin. Il sera invité quatre années consécutives à partir de 1999, à s'y produire, chose exceptionnelle pour un chanteur français. . Il a créé un Vitalis émouvant dans le Sans famille de Jean-Claude Petit donné en création mondiale d'après le roman d'Hector Malo. Il a aussi incarné César dans Marius et Fanny de Vladimir Cosma aux côtés de Roberto Alagna et de Gheorgiu. Il a également été le personnage principal dans Le dernier jour d'un condamné des frères Alagna, un opéra en version concert donné au Théâtre des Champs-Elysées. Ses rôles préférés sont Wozzeck, Golaud et Falstaff, ce dernier rôle devant lui être attribué à la prochaine production de cet opéra de Verdi qui sera donné en ouverture de la saison 2011-2012, de l'Opéra-Théâtre de Metz. Il y avait d'ailleurs tenu, l'an dernier, le rôle de Merlier dans L'Attaque du moulin d'Alfred Bruneau. Il fut enfin, acteur et chanteur dans la production de Le Festin de Babette qui avait obtenu un oscar du meilleur film étranger. Selon Eve Ruggieri, « Jean-Philippe Lafont est le baryton que l'on s'arrache ». Des portraits divers de Théodore Gouvy alignés sur son piano à la Villa Gouvy, devenue l'Institut Gouvy. 4 FLORIAN LACONI, ténor, rôle de Tiodoro Gamba, adjudant C'est le ténor né à Metz (1977) actuellement parmi les plus en vue sur la scène opératique. Il fera ses débuts à l'Opéra de Paris en 2012, dans Paillasse. Il étudie d'abord l'art dramatique et participe à de nombreuses 45 pièces de théâtre en tant que comédien mais aussi comme metteur en scène. Puis il fait ses débuts dans le chant en 1995, avec Michèle Command, Gabriel Bacquier et Christian Jean. Lauréat du Concours des Voix nouvelles 2002, il fut nominé aux 13es Victoires de la musique classique en 2006, dans la catégorie "Révélation Artiste Lyrique de l'année". Il s'est produit souvent sur la scène de l'Opéra-Théâtre de Metz et, dernièrement, dans Les Pêcheurs de perles. Il a fait à peu près le tour des maisons d'opéra de l'Hexagone. Pour ses débuts en Belgique à l'Opéra royal de Liège, il était Don Ramiro dans La Cenerentola, et fut Tybalt dans Roméo et Juliette pour ses débuts à l'Opéra de Los Angelès, avec, dans la distribution, Rolando Villazon et Anna Netrebko, deux pointures incontournables. On retiendra également le rôle de Vincent qu'il incarna dans Mireille de Gounod donné aux Chorégies d'Orange. Il tenait aussi le rôle-titre de Roméo et Juliette à Limoges, chanta dans Manon en Avignon et à HongKong, de même que le rôle de Fenton dans Falstaff de Verdi aux côtés de Bryn Terfel à l'Opéra de Monte-Carlo. Florian Laconi a aussi à son actif quelques rôles dans l'opérette classique, de Ciboulette à La Veuve joyeuse et Au Pays du sourire ; cependant, il a un penchant pour les opérettes d'Offenbach où il a chanté dans La Grande duchesse de Gérolstein, Barbe-Bleue, La Vie parisienne, La Périchole, La Belle Hélène et Orphée aux enfers dans la dernière production donnée à l'Opéra-Théâtre de Metz. Côté oratorio, il a chanté dans La Petite messe solennelle et le Stabat Mater de Rossini, les Requiem de Mozart et de Gounod, La Missa criola de Ramirez… ÉRIC MARTIN-BONNET, baryton, rôle de Gianetto Sanpiero, bandit Il a remporté le Concours des voix d'or en 1990 et quatre prix dont le Prix du public à Marmande, tout en continuant ses études musicales à Paris. Il débute dans Parsifal à l'Opéra du Rhin à Strasbourg, en Avignon dans La Force du destin et à Nancy dans Un Bal masqué, ainsi que dans Les Martyrs aux Chorégies d'Orange, Tosca et Les Contes d'Hoffmann à Angers. Il incarnait le Grand inquisiteur dans le Don Carlos donné à Metz et chanta dans Aïda en version concert à L'Arsenal. Il a pratiquement fait le tour des maisons d'opéras de France. Puis il participe à une tournée européenne de Zoroastre avec William Christie et Les Arts florissants. Il sera, en 2007/08, Leporello de Don Giovanni, Sparafucile dans Rigoletto et dans l'oratorio La Création de Haydn à Saintes. Puis Le Roi d'Ys à Toulouse et à Liège, La Bohème en Avignon, Semiramide aux Musicales du Lubéron, Butterfly à Dublin, Der Fliegende Holländer à Saint-Etienne, Les Contes 46 SOMMAIRE p.5 I Théodore Gouvy, un Européen avant l'heure ? p.9 II Sylvain Teutsch : « C'est l'histoire de notre Grande région » p.13 III On n'a pas toujours été tendre avec Théodore ! p.15 IV Prosper Mérimée : « Mateo » avant « Carmen » p.18 V Mérimée où l'opéra par excellence p.21 VI L'histoire de « Fortunato » et ses personnages p.22 VII René Auclair : « Un opéra d'une intensité psychologique et d'une grande force d'expression » p.36 VIII Eric Chevalier : « L'honneur paternel ne peut être réhabilité que par le sang du fils » p.39 IX César Cui : un « Falcone » à la russe p.40 X Henri Tomasi : « Il faut avoir la Corse dans le sang pour avoir le pouvoir de la chanter » p.42 XI Les artistes de la distribution p.47 XII Journal lyrique du C.L.M. : dernières nouvelles 3 d'Hoffmann en Avignon, Tannhäuser à Bordeaux. Il a participé à des enregistrements CD de Leonore II de Beethoven de Zoroastre avec Les Arts florissants et à un DVD du Roi d'Ys de Lalo à l'Opéra royal de Wallonie. Textes de présentation et interviews : Georges Masson XII JOURNAL LYRIQUE DU C.L.M. : LES DERNIÈRES NOUVELLES Couverture du coffret de l'enregistrement en deux compact-disc des scènes dramatiques de Théodore Gouvy, « Iphigénie en Tauride » gravées en 2010 (Photo akg-images - disc C.P.O.). 2 Le site Internet du Cercle Lyrique de Metz, www.associationlyriquemetz.com a l'ambition de constituer un véritable journal numérique de l'actualité musicale et lyrique, aussi bien au niveau de Metz et de la Lorraine que sur un plan plus général. Les turbulences qui ont marqué la vie culturelle messine au cours de ces derniers mois y sont traitées en bonne place dans "Metz sans musique", sans esprit polémique inutile, avec l'insertion récente des mises au point, qui se veulent rassurantes, du Maire-Adjoint chargé des affaires culturelles. Le nouveau directeur de l'Opéra-Théâtre, Paul-Emile Fourny est présenté comme il convient avec un lien vers son site personnel. Une pré-annonce de la saison lyrique et théâtrale 2011-2012 est disponible, elle sera, naturellement, complétée dès que nous aurons tous les éléments en notre possession. Nos rubriques habituelles sont régulièrement étoffées et mises à jour. Ainsi sont régulièrement mises en ligne les critiques des spectacles retransmis régulièrement depuis le MET de New-York (avec pré-annonce de la prochaine saison). Citons parmi les productions toutes récentes ou à venir avant l'été : Lucia di Lammermoor, Le Conte Ory, Capriccio, Le Trouvère, La Walkyrie. En fonction du calendrier, nous avons à cœur d'évoquer les grands artistes du passé ou récemment disparus. Les rubriques "In Memoriam" et "Anniversaires" sont illustrées de documents iconographiques et d'extraits d'enregistrements transcodés au format MP3, facilement accessible sur Internet. 47 Depuis l'an dernier, nous avons évoqué, ainsi, le souvenir d'artistes qui nous ont quittés au cours de ces derniers mois : le chef britannique Sir Charles Mackerras, les chanteurs et cantatrices Cesare Siepi, Joan Sutherland, Shirley Verrett, Solange Michel, Ernest Blanc, Margaret Price. Le centième anniversaire de Jussi Björling, le « Caruso suédois » a fait l'objet d'un dossier particulièrement étoffé, de même que le cinquantième anniversaire de la disparition de Mado Robin, "la voix la plus haute du monde". Un hommage a été rendu à Mady Mesplé, qui avait succédé à Mado Robin dans Lakmé, à l'occasion récente de ses 80 ans, avec des renvois vers ses enregistrements et son livre de souvenirs publié au début de cette année. Dans le même esprit, nous nous préparons à mettre en ligne un dossier sur Sir Thomas Beecham, chef britannique disparu en mars 1961 ; et sur le baryton américain Leonard Warren, partenaire de Jusssi Björling, qui aurait eu 100 ans en ce mois d'avril 2011. En septembre prochain, nous évoquerons un autre centenaire, celui de Rolf Liebermann, directeur de l'Opéra de Paris de 1973 à 1980. Les concerts de Nathalie Stutzmann, en résidence à l'Arsenal, sont mis en valeur dans "actualité lyrique" ainsi que son récent enregistrement chez Deutsche Grammophon. Enfin, les livres de deux autres femmes, chefs d'orchestre, Claire Gibault et Zahia Ziouani, publiés en décembre 2010, ont été honorés comme ils le méritent. La partie "membres", réservée aux membres du CLM leur permet d'accéder à nos plaquettes ainsi qu'aux livrets des œuvres représentées à Metz. Il leur faut, pour cela, un code d'accès à demander au webmaster. Enfin, en s'inscrivant à la Newsletter, on est informé régulièrement des mises à jour du site. Cette inscription est activée après réception d'un courriel de confirmation. A très bientôt sur www.associationlyriquemetz.com en cliquant simplement sur Google : "Cercle lyrique de Metz". FORTUNATO [ MATEO FALCONE ] de Théodore GOUVY par Georges MASSON Jean-Pierre Pister Vice-président du CLM, webmaster. 48 1 Photo de Théodore Gouvy prise, en 1890, par le photographe personnel de l'empereur Napoléon III. La tombe-pyramide de Théodore Gouvy au cimetière de Hombourg-Haut. Elle est en forme de métronome et son médaillon blanc au milieu est à l'effigie du compositeur (Photo Claire Leber). 2010-2011 CERCLE FORTUNATO [ MATEO FALCONE ] LYRIQUE DE METZ Opéra en un acte de Théodore Gouvy (en création mondiale) ; livret du compositeur traduit de l'allemand par René et Samuel Auclair, d'après la nouvelle « Mateo Falcone » de Prosper Mérimée, opéra adapté par René Auclair. Précédé des « Douze chants de l'Ile de Corse » pour chœur a cappella d'Henri Tomasi. Production de l'Opéra-Théâtre de Metz Métropole Conférence tripartite assurée par Sylvain Teutsch, président de l'Institut Théodore Gouvy de Hombourg-Haut, Marie-Noëlle Auguste, professeur au Conservatoire de Saint-Denis, sur « Prosper Mérimée et l'opéra », et René Auclair, musicologue, chargé de cours à l'Université Paul Verlaine de Metz, sur « Fortunato » (Mateo Falcone) de Théodore Gouvy, et animée par Georges Masson, journaliste et critique musical, président du Cercle Lyrique de Metz, le samedi 21 mai à 16h au Foyer de l'Opéra-Théâtre de Metz Métropole. Direction musicale : Jacques Mercier Mise en scène : Eric Chevalier Scénographie : Ange Leccia Costumes : Danielle Barraud Lumières : Patrice Willaume Distribution vocale : Valérie Condolucci, soprano (Fortunato, fils de Mateo) ; Catherine Hunold (Giuseppa, épouse de Mateo) ; Jean-Philippe Lafont, baryton (Mateo Falcone) ; Florian Laconi (Tiodoro Gamba, adjudant) ; Eric Martin-Bonnet (Gianetto Sanpiero, bandit). Théâtre de Metz Métropole. Chœurs de l'Opéra-T Orchestre National de Lorraine. En partenariat avec le Centre Pompidou Metz et l'Institut Théodore Gouvy. Couverture : Reproduction d'après une peinture ancienne du personnage de Mateo Falcone figurant sur les recueils des « nouvelles » de Prosper Mérimée. Conception de la plaquette : Georges Masson. Directeurs de publication : Georges Masson, président et Jean-Pierre Vidit premier vice-président. Adresse postale du Cercle Lyrique de Metz : B.P. 90261 - 57006 Metz Cedex 1 Adresse e-mail du président : [email protected] Adresse du site et du blog Internet : www.associationlyriquemetz.com Composition graphique et impression : Co.J.Fa. Metz - tél. 03 87 69 04 90. Représentations de l’ouvrage les vendredi 27 mai 2011 à 20h, dimanche 29 mai à 15h et mardi 31 mai à 20h. FORTUNATO [ M A T E O FA L C O N E ] de Théodore GOUVY N° 201 Par Georges MASSON