Les contre réformes à l`Hôpital et leurs conséquences

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l’Hôpital et leurs conséquences
Université d’été du NPA
Les contre réformes à l’Hôpital et leurs
conséquences
jeudi 3 septembre 2015, par LAUMONIER Jean-Claude (Date de rédaction antérieure : 24 août 2015).
Intervention au débat « Santé Sécurité sociale » organisé dans le cadre de l’Université d’Eté
2015 du NPA, à Port Leucate.
Sommaire
I. Rappels sur l’organisation
II. Une privatisation à (...)
Conclusion
Introduction
Les attaques contre la Sécurité sociale s’accompagnent d’une offensive convergente vis-à-vis de l’Hôpital
public. « Sécu » et Hôpital sont en effet les deux piliers indissociables d’un système de soins qui s’est
construit, en France à partir de 1945.
L’Hôpital, issu des institutions charitables du Moyen Age, portait assistance à ceux qui n’avaient pas les
moyens de payer leurs soins. Grâce à la Sécurité sociale, il s’est transformé, en pivot du système de santé,
permettant à chacun(e), d’accéder à des soins de qualité.
L’essor de la Sécurité sociale, au cours des années de boom économique de l’après guerre a favorisé de
développement de l’Hôpital public : (construction et modernisation des équipements, recrutement et
qualification du personnel, instauration du « temps plein hospitalier » pour les médecins). Chaque assuré
social, riche ou pauvre, a ainsi pu bénéficier des progrès considérables des outils de diagnostic et de
traitement, et des compétences des meilleures équipes de soins.
C’est la raison de l’attachement persistant à l’Hôpital que démontrent tant enquêtes d’opinion, que les
multiples luttes contre les fermetures et restructurations d’établissements
La fin de la phase expansive d’après guerre , dans les pays capitalistes d’Europe, s’est accompagnée de
politiques libérales d’austérité.
Celles-ci poursuivent un triple objectif :
• Restaurer les profits en « baissant le coût du travail ». Cela passe, en particulier, par la réduction
des cotisations sociales et des impôts payés par les entreprises, pour le financement des dépenses
publiques socialisées.
• Ramener la satisfaction de besoins sociaux fondamentaux comme l’éducation ou la santé, à
une question individuelle. Au-delà d’un minimum nécessaire à la reproduction de la force de travail et à
la cohésion sociale, chacun y répondrait en fonction de ses moyens.
• Privatisatiser les services publics en offrant ainsi de nouveaux débouchés aux capitaux en quête
d’investissement.
On trouve là les clés pour comprendre contre réformes de l’Hôpital, menées de manière continue, par les
gouvernements « de droite » comme « de gauche », qui se sont succédés au cours des 40 dernières
années :
L’Hôpital a été en première ligne de la politique dite de « maitrise des dépenses de santé ». Des
gouvernements de Raymond Barre (1978) à ceux de Manuel Valls (2014), la contrainte sur les budgets
hospitaliers se renforce, chaque nouvelle « réforme hospitalière » créant des outils nouveaux à cet effet.
L’austérité budgétaire s’accompagne d’une réduction de la place prépondérante de l’Hôpital public dans
le système de santé.
Ce déclin organisé s’exprime clairement dans les chiffres : la part de l’Hôpital dans les dépenses
d’Assurance maladie qui était de 43% en 1983, est passée à 36% (-7%) en 2010.
Comme le préconise l’Union européenne, il s’agit de ramener le service public de santé à ses missions
traditionnelles d’assistance aux plus pauvres et à quelques missions non rentables, laissant la place au
secteur privé là où des profits peuvent être réalisés.
Mon intervention abordera les 2 points suivants :
1) Un rappel sur le système hospitalier français et sa place dans le système de soins, et un bref historique
des réformes hospitalières jusqu’à la loi de santé (dite loi Touraine), actuellement en discussion au
Parlement.
2) Une présentation des différentes modalités de la privatisation du système hospitalier et des
conséquences de cette marchandisation et de cette privatisation pour les usagers, que pour les
personnels.
I. Rappels sur l’organisation du système hospitalier. Historique des contre réformes
1. Quelques rappels sur l’organisation du système de santé français.
A) Les limites de 1945 : le cloisonnement Ville/Hôpital.
La création de la Sécurité sociale, ne s’est pas accompagnée de la création d’un service public de santé
unique assurant à la fois les soins « en ville » et à l’Hôpital.
Les soins de ville, sont restés, pour l’essentiel assurés par des médecins libéraux généralistes ou
spécialistes. Le service public (à part le secteur psychiatrique, la PMI et un réseau restreint de centres de
santé publics) s’est cantonné à l’Hôpital.
Néanmoins, par le biais des urgences, l’Hôpital permettait à tous, l’accès à des soins gratuits.
B) Les 3 types d’établissements hospitaliers.
Le secteur hospitalier lui-même, se compose de 3 types d’établissements, tous financés, essentiellement
par la Sécurité sociale.
• Les hôpitaux publics, dont le personnel médical et non médical a un statut public (même si la précarité
s’y est beaucoup développée). Ils constituent un réseau très large, allant des hôpitaux locaux et des
centres hospitaliers de proximité, aux CHU en passant par les établissements de psychiatrie publique.
• Les établissements privés à but « non lucratif », de statut associatif ou mutualiste auxquels
appartiennent, notamment, les Centre de lutte contre le Cancer (CLCC). Ces établissements n’ont pas
d’actionnaires. Leur personnel relève de conventions collectives.
• Les établissements privés « à but lucratif », ou établissements commerciaux. Ce sont des entreprises
privées qui versent des dividendes à leurs actionnaires. Leurs médecins y sont, pour l’essentiel, des
praticiens libéraux, et leur personnel non médical relève de conventions collectives.
Quelques données pour situer la place de l’Hôpital.
Capacités d’accueil des établissements de santé
Public
Nombre d’établissements 93
Nombre de lits
Privé non lucratif Privé lucratif Total
699
258.158
58.137
soit 62,23% soit 14%
1.030
2.660
98.545
soit 23,75%
414.840
Source : panorama des établissements de santé 2014
DRESS Ministère de la santé
Nombre d’entrées totales en hospitalisation complète et de semaine
Etablissements publics : 66%
Etablissements privés à but non lucratif : 9 %
Etablissements privés commerciaux 25%
Année 2012
Source : site de la FHF
Nombre de journées d’Hospitalisation complète et de semaine
Etablissements publics : 64%
Etablissements privés à but non lucratif : 14 %
Etablissements privés commerciaux 22%
Année 2012
Source : site de la FHF
Nombre de consultations et soins externes
Etablissements publics : 87%
Etablissements privés à but non lucratif : 10 %
Etablissements privés commerciaux 3 %
Année 2012
Source : site de la FHF
Même, en déclin, l’Hôpital conserve une place déterminante dans le système de soins., et est
donc un obstacle majeur à sa privatisation.
2. L’Etat intervient pour imposer austérité budgétaire et réduction de la place de l’Hôpital
La volonté de maîtrise des dépenses hospitalières publiques a inspiré les réformes qui se sont succédées
depuis 1979, date à laquelle une loi instaure la possibilité de fermeture de lits par autorité du ministre de
la santé.
A) 1983 : budget global et forfeit journalier.
En 1983, un gouvernement socialiste, avec un ministre communiste à la Santé, institue le « budget global
». Chaque établissement reçoit, désormais, une enveloppe budgétaire fixée à l’avance, en fonction d’un «
taux directeur ». Il devra y faire entrer l’ensemble de ses dépenses.
Cette réforme concerne, exclusivement, les hôpitaux publics.
Elle s’accompagne de l’instauration du « forfait journalier », contribution quotidienne non remboursée par
l’Assurance maladie, dont le patient (ou son assurance complémentaire) doit s’acquitter. Une brèche est
ainsi ouverte dans la gratuité des soins hospitaliers. Le forfait journalier n’a cessé d’augmenter est
aujourd’hui de 18€, hors la psychiatrie où il est de 13€50
B) La loi Evin de 1991 , autonomie des établissements et outils pour restructurer.
Cette loi constitue un premier pas vers l’autonomie des établissements publics, qui devront désormais se
doter d’un « projet d’établissement ».
Elle instaure les Schémas Régionaux d’Organisation Sanitaires (SROS), renouvelable tous les 5 ans, sur la
base desquels les préfets pourront fermer des lits et restructurer les établissements.
Elle permet le développement de « coopérations » public et privé, par la création de GIE [1] et de GIP [2].
».
C) Le « Plan Juppé » : maitriser pour privatiser.
Je ne reviendrai ici que sur le volet hospitalier du Plan Juppé.
Celui-ci comporte deux grandes innovations :
- le vote d’une enveloppe nationale fermée des dépenses hospitalières dans le cadre de la loi de
financement de la Sécurité sociale (ONDAM [3] hospitalier) ;
- la création des ARH (Agences Régionales de l’Hospitalisation).
Officiellement la maitrise des dépenses dans une enveloppe fixée, chaque année au parlement par le vote
du PLFSS [4] concerne les soins de ville et l’Hospitalisation. Dans la réalité il ne s’appliquera qu’au
secteur hospitalier. L’ONDAM hospitalier est toujours resté inférieur aux besoins. Il ne permet même n’a
pas de maintenir les moyens existants.
Pour imposer l’austérité budgétaire, et les restructurations, la réforme Juppé se dote d’un véritable « bras
armé » : les ARH (Agences Régionale de l’Hospitalisation) dont le directeur détient les pleins pouvoir pour
attribuer les budgets et les autorisations, fermer les établissements, imposer les regroupements et les
privatisations. l’ARH a autorité tant sur les établissements publics que privés.
Le plan Juppé illustre de manière particulièrement nette le rôle de la restriction par l’Etat des
dépenses publiques et du service public, comme préalable et outil des privatisations.
Contrairement à ce qu’affirmaient à l’époque les soutiens prétendument« de gauche » de Juppé, celui-ci
n’avait pas pour fonction de « sauver » l’Hôpital et le système public de soins. Selon eux, une une «
maîtrise » certes douloureuse des dépenses publiques de santé par l’Etat aurait été le seul moyen d’éviter
une croissance incontrôlable de celles-ci. En détruisant le système public cette dérive libérale aurait
ouvert la voie à sa privatisation.
La régulation étatique imposée par les ordonnances Juppé, doit être à mon sens comprise de manière
exactement inverse : en réduisant la place de l’Hôpital et des dépenses socialisées elles permet
d’ouvrir la voie à un espace plus large, aux établissements privés lucratifs et aux assurances.
Nous pourrons peut être revenir sur cette question dans la discussion, car ce débat se poursuit
aujourd’hui face à la loi Touraine. Des défenseurs reconnus de l’Hôpital public, tels qu’André Grimaldi,
prônent en effet la régulation du système de soins public par l’instauration d’un « panier de soins »
remboursé intégralement par la Sécurité sociale, comme seul moyen de « sauver » l’Hôpital et la Sécu.
D) Jospin/Aubry appliquent le plan Juppé et instaurent les 35 heures.
Suite aux élections de 1997, c’est le gouvernement Jospin, avec Martine Aubry aux affaires sociales qui
mit en œuvre le plan Juppé, et poursuivit les restructurations. Kouchner, ministre de la santé de l’époque
ne déclarait-il pas que ce plan était un horizon « indépassable » ?
Il faut dire ici quelques mots du conflit sur les 35h, dernière grande lutte nationale des personnels
hospitaliers, qui en 2001 2002 percuta la politique d’austérité.
Dans des établissements où le manque de personnel était déjà criant, le passage aux 35 heures, sans les
10% d’embauches correspondantes ne pouvait que créer une situation de crise.
Après bien des hésitations, le gouvernement Jospin décida d’appliquer les 35h à l’Hôpital, mais tenta par
tous les moyens de limiter les embauches, malgré la forte mobilisation dans les établissements, et la
pression de la base qui imposa plusieurs manifestations nationales à Paris. Les directions des principales
fédérations syndicales parvinrent à canaliser la lutte vers des accords locaux, plus ou moins favorables
selon les rapports de force.
En l’absence de recrutement suffisant l’application des 35 heures aboutit à une intensification du travail, à
la dégradation des conditions de travail, et à une dénaturation du travail lui-même. Les journées de RTT
furent la seule compensation tangible pour les hospitaliers. On comprend leur détermination à
les défendre aujourd’hui.
Depuis cette époque, la droite, mais aussi une partie du PS, et les directions hospitalières n’ont cessé de
dénoncer les 35 heures, comme responsables de la crise de l’Hôpital. Elles détournent ainsi l’attention de
la véritable question : celle du manque de personnel conséquence de l’austérité et non de la réduction du
temps de travail.
E) Le plan Hôpital 2007.
Le second mandat de Jacques Chirac (2002 2007) est marqué par une brusque accélération des contre
réformes hospitalières sous le nom de « Plan Hôpital 2007 » réparti dans plusieurs textes.
Les différents volets de ce plan (investissements, organisation sanitaire, nouvelle tarification, réforme de
la « gouvernance » hospitalière) ont transformé rapidement le paysage hospitalier.
• Investissements : des crédits pour restructurer
« Hopital 2007 » a été présenté avant tout comme un plan d’investissements massifs, en vue de rénover
un parc hospitalier de plus en plus vétuste.
Mais à y regarder de plus près, les investissements en question s’inscrivent dans une perspective de
privatisation et de restructurations.
Ils sont accordés tant aux établissements privés que publics et en contrepartie de l’acceptation de
restructuration, fusions, ou de la mise en place de coopérations public privé.
De plus, il ne s’agit pas directement de financer les travaux dont les établissements ont besoin, mais de
les aider à rembourser les emprunts contractés auprès des banques. En d’autres termes, les aides
apportées contribuent à alimenter les profits des banques dont les établissements restent dépendants.
Elles ne financent pas la totalité des travaux et contraignent donc les hôpitaux à s’endetter davantage
(nous y reviendrons).
• Tarification à l’activité : marchandisation du soin et mise en concurrence des établissements
L’un des aspects déterminants de la réforme est l’instauration d’un nouveau mode de financement des
établissements commun au public et au privé :la « tarification à l’activité » dite « T2A », qui remplace,
dans les Hôpitaux publics, le « budget global ».
La T2A institue une conception « industrielle » de l’Hôpital. Celui-ci cesse de recevoir un budget censé lui
donner les moyens de remplir au mieux ses missions.
Chaque établissement public ou privé est désormais financé en fonction de sa production d’actes de
soins, et de la rentabilité de cette production.
Chaque séjour de patient est facturé à la Sécurité sociale selon un coût standard prédéfini pour la
pathologie.
Il faut donc à la fois
• que l’Hôpital produise un volume suffisant d’actes ;
• que le prix de revient de chaque acte ne soit pas plus élevé que le tarif fixé, et pour cela il faut diminuer
les coûts donc faire plus avec moins.Les dépenses de personnel qui représentent 70 à 80% des dépenses
hospitalières sont les premières visées par cet effort de « productivité »
Ce système est une incitation à la sélection des malades et à celle des pathologies soignées.
• Mieux vaut accueillir un patient jeune, et par ailleurs en bonne santé, qu’un patient âgé dont l’état de
santé général est dégradé : son séjour sera plus court, et nécessitera moins de temps de travail soignant.
• A l’inverse, la multiplication d’actes coûteux et bien remboursés, même s’ils sont redondants ou inutiles
s’avère être une affaire lucrative.
Aussi, les cliniques privées, mais désormais aussi les hôpitaux publics, se dotent ils d’experts en cotation
des actes afin de les facturer le plus cher possible à la Sécurité sociale.
La mise en concurrence de l’Hôpital et des cliniques privées commerciales joue inévitablement en faveur
des établissements commerciaux, qui ont une activité programmée, et ne sont donc pas obligés de
maintenir des lits, des équipements et du personnel disponible pour l’urgence ou l’imprévu. Ces
établissements ont toute possibilité pour sélectionner les créneaux les plus rentables pour leur activité
ainsi que pour renvoyer vers l’Hôpital les patients dont les coûts sont jugés trop élevés.
Les missions de service public ne sont pas prises en compte, les hôpitaux étant désormais financés à 80%
par la tarification à l’activité.
Financement des investissements et « nouvelle gouvernance : l’Hôpital entreprise
Soumis à la concurrence du secteur privé, l’Hôpital doit désormais fonctionner sur le modèle de celui-ci .
• Pour financer ses investissements il devra comme une entreprise
- soit « dégager des marges » sur ses dépenses de fonctionnement en accroissant la productivité du
travail, et donc en intensifiant le travail du personnel, recourant à des modes de gestion utilisés dans
l’industrie, tels que le « lean management » ;
- soit s’endetter auprès des banques auxquelles il faudra ensuite rembourser les intérêts. Il n’est pas
surprenant que la dette des hôpitaux ait triplé entre 2005 et 2015 et atteint 29 Mrd d’€ sur une masse
budgétaire de 74 Mrd.
Dans ce cadre, un certain nombre d’établissements ont souscrit des emprunts toxiques, pour un montant
estimé à 1,5 Mrd d’€ Ils se trouvent dans des situation financières critiques.
Une gestion d’entreprise
La « nouvelle gouvernance » cherche à transformer une partie du corps médical en « managers »
impliqués dans les résultats de la gestion de l’Hôpital :
• Des médecins sont associés à l’équipe de direction administrative.
• L’Hôpital est désormais divisé en « pôles » dont la gestion est confiée à un médecin « chef de pôle ».
La création des pôles permet par ailleurs d’instaurer la polyvalence généralisée du personnel au sein
d’entités beaucoup plus vastes que les services, et donc de réduire les effectifs.
F) La « loi Bachelot » : des ARH aux ARS.
La loi HPST, dite « loi Bachelot » votée sous N. Sarkozy complète le plan Hôpital 2007.
• Elle abolit totalement la distinction entre établissements publics et privés.
• Les Agences régionales de santé, remplacent les ARH.
L’ARS garde l’autorité sur l’ensemble des établissements d’hospitalisation publics et privés qu’avait
l’ARH. Mais son domaine de compétence s’étend désormais à la médecine de ville libérale et au secteur
médico-social. L’ARS assure l’organisation et l’articulation dans la région de ces trois secteurs.
Disposant des « enveloppes budgétaires » de ces trois secteurs les ARS auront la possibilité de transférer
les crédits accordés jusque là à l’hôpital à la médecine de ville ou au médico-social. L’opération inverse
étant bien entendu exclue !
• Communautés hospitalières de territoires et « partenariats public/privé »
Afin d’accélérer la restructuration du secteur public hospitalier, la loi HPST prévoit la création de «
communautés hospitalières de territoires ». Le gouvernement entend également développer les «
partenariats » entre établissements publics et privés, en confiant dans le cadre de « groupements de
coopération sanitaire »
• Durcissement de la « gouvernance » hospitalière
Les pouvoirs du directeur sont renforcés., C’est désormais lui seul qui a les compétences budgétaires
Mais il est en même temps soumis aux exigences de l’ARS qui peut le relever de ses fonctions, s’il ne se
montre pas assez « performant » dans la mise en œuvre de l’austérité.
Les pâles contre-pouvoirs existant au sein de l’hôpital sont laminés. Comme dans une entreprise privée, la
rémunération des directeurs et des médecins managers dépendra des « résultats » financiers de l’hôpitalentreprise.
G) De Bachelot à Touraine, continuité et accélération.
Lors de la campagne présidentielle de 2012, Hollande et Touraine avaient prévenu : ils n’abrogeraient pas
la loi « HPST [5] » Ce qu’ils n’avaient pas annoncé, c’est qu’ils iraient plus loin encore que leurs
prédécesseurs afin de mettre en œuvre une brutale politique d’austérité et de privatisation, qui s’est
affirmée avec le « pacte de responsabilité ».
Tout en prétendant redonner sa place à l’Hôpital, la loi de santé dite « loi Touraine » aggrave par
plusieurs aspect la loi Bachelot.
Alors que celle-ci avait aboli toute distinction entre les « établissements de santé » publics ou privés
Hollande/Touraine avaient affirmé leur volonté de redonner à l’Hôpital public une place particulière aux
hôpitaux. Au-delà des effets d’annonce la réalité est bien différente.
Les trois lois de financement de la Sécurité sociale votées depuis 2012 n’ont fait qu’aggraver la situation
des établissements hospitaliers. En 2013 et 2014 plus d’un milliard d’€ supplémentaires ont été
ponctionnés sur les budgets de l’Hôpital public Mais aujourd’hui c’est une « purge » beaucoup plus
violente qui est en cours avec le « pacte de responsabilité ».
Malgré les dénégations de la ministre, un document confidentiel à usage des ARS révélé par Libération
[6], confirme bien les conséquences de cette politique sur les effectifs de établissements hospitaliers.
860 millions d’€ de « maitrise de la masse salariale » sont annoncés dans ce document. Ils équivalent à 22
000 suppressions de postes (soit 2% des effectifs de la fonction publique hospitalière) en 3 ans.
Le vrai faux retour du service public.
Le projet de loi de santé (article 26) rétablit certes la notion de service public hospitalier qui avait disparu
avec la « loi Bachelot ». Dans la réalité, cela ne change pas grand chose puisque les cliniques privées
commerciales [7] sont autorisées à « assurer le service public »….à condition d’en remplir toutes
les obligations,
Regrouper pour fermer et restructurer.
La loi Touraine (article 27) rend obligatoire au 1er Janvier 2016, l’adhésion de tout établissement public à
un « Groupement Hospitalier de Territoire ».
C’est la reprise sous un autre nom de la« Communauté Hospitalière de Territoires », de la loi Bachelot.
Mais pour celle-ci, l’adhésion des établissements restait facultative. Avec la loi Touraine, les sanctions
pour les récalcitrants seront lourdes : pénalités financières, ou même retrait de l’autorisation d’activité.
II. Une privatisation à multiples visages
La privatisation de l’Hôpital Public prend des formes multiples : c’est 3 de ces aspects que j’aborderai
maintenant :
• Tout d’abord le passage à des cliniques privées commerciales d’une partie des missions et activités de
l’Hôpital Public. Elle s’effectue dans un contexte de transformation elle aussi très rapide de ces
établissements.
C’est aussi le transfert d’une partie des missions et activités de l’Hôpital à d’autres acteurs privés :
médecins libéraux, cabinets privés de radiologie, structures associatives ou « non lucratives » elles mêmes
de plus en plus soumises à une logique marchande. C’est ce désengagement qu’organise la « loi Touraine
», à la suite de la « loi Bachelot ».
• C’est également la privatisation d’une partie des activités d’un hôpital (services techniques et
logistiques) ainsi que les « partenariats public privé ».
• C’est enfin l’instauration d’un fonctionnement de l’Hôpital de plus en plus proche de celui du secteur
privé, même si son statut juridique reste public. Nous en verrons les conséquences tant pour les usagers,
que pour les personnels
1 L’hospitalisation privée : concentration et emprise croissante des groupes financiers.
L’ouverture d’un marché plus large pour l’hospitalisation privée s’accompagne d’une rapide
transformation de ce secteur. L’époque des petites cliniques, détenues par leurs médecins, leurs
chirurgiens et/ou leur famille appartient de plus en plus au passé.
On assiste à un fort mouvement de concentrations des établissements privés commerciaux. Selon un
rapport de l’IGAS de 2012 les groupes de cliniques rassemblent 600 des 1050 cliniques, et 68% des
capacités d’accueil du secteur [8].
Les apports de capitaux ponctuels des médecins et même les regroupements d’établissements s’avérant
désormais insuffisants, les cliniques ont fait appel à des fonds d’investissements pour assurer leur
développement.
Mais la logique de ces fonds n’est évidemment pas la réponse aux besoins de santé d’une population, ni
même un investissement durable dans le secteur. Leur seule religion c’est le « cash », la rentabilité
financière à court terme. Il en découle des opérations ayant souvent un caractère purement spéculatif et
des mouvements d’achat et de vente très rapides, avec des conséquences désastreuses sur le système de
santé.
L’exemple de la Générale de Santé, premier groupe d’hospitalisation en France est emblématique.
La Générale de santé s’est constituée pendant les années 80 par le rachat de petites cliniques. De 1997 à
2001 elle est contrôlée par le fonds d’investissement britannique CINVEN.
Elle est ensuite rachetée par des actionnaires italiens pour être revendue et fusionner en 2014 avec
Ramsay santé, groupe australien qui possède 151 établissements sur 3 continents, en association avec
Prédica (Assurances du Crédit Agricole).
On peut également citer le groupe Medipartner/Médipole sud santé détenu par Bidgepoint (dont les
investisseurs sont entre autres des caisses de retraites, des fonds de pensions, des fonds souverains et des
sociétés d’assurances).
Vitalia est possédé à 100% par le fonds Blackstone, prédateur bien connu, notamment dans le domaine de
l’immobilier contre lequel des mobilisations ont eu lieu en Espagne et aux USA.
Capio santé, est la propriété d’un groupe suédois, détenu par les fonds APAX et NORDIK CAPITAL.
A coté des fonds d’investissements, il faut ajouter le rôle des sociétés civiles immobilières, certains
groupes de cliniques ayant fait le choix, de vendre leur patrimoine immobilier et d’en devenir locataires.
Les regroupements peuvent concerner des cliniques à but commercial et d’autres à but non
lucratif, comme Hospi Grand Ouest qui regroupe 16 établissements de Bretagne et pays de Loire et
associe le groupe HGO (cliniques commerciales) et des mutuelles (dont Harmonie Mutuelle et la mutualité
Finistère Morbihan). On le voit, les frontières entre le « lucratif » et le « non lucratif » deviennent bien
minces !
La pénétration du secteur privé lucratif ne s’effectue bien sûr que dans les secteurs rentables ou des
profits sont attendus.
C’est ainsi que si les cliniques commerciales qui assurent 25% de l’activité hospitalière, réalisent 54% des
actes de chirurgie dont essentiellement les actes les plus simples, et les plus lucratifs : 70% des
opérations d’ablation des amygdales, et des végétations, près de 74 % des opérations de la cataracte et
plus de 63% des interventions de chirurgie plastique. De même si elles assurent environ le quart des
accouchements, cela concerne essentiellement les accouchements sans complications.
Aujourd’hui le secteur privé commercial investit dans le secteur particulièrement lucratif des personnes
âgées dépendantes, que certains ont qualifié « d’or gris » : la rentabilité des capitaux y est
particulièrement juteuse.
Ainsi, le Groupe Korian possède plus de 200 établissements en France, dont plus d’une centaine
d’EHPAD et est également présent en Allemagne et en Italie.
Medica possède 130 EHPAD et est également présent en Italie. Ce Groupe est coté en Bourse et ses
principaux actionnaires sont Covéa (MMA MAAF GMF) Prédica (Crédit Agricole), et Batipart.
En 2010 , la FHP (fédération de l’hospitalisation privée) qui regroupe les établissements commerciaux a
adhéré au MEDEF, sur lequel elle s’appuie dans son combat contre l’Hôpital public.
Le démantèlement du service public se fait aussi, par le transfert des activités de l’Hôpital Public, vers des
praticiens libéraux, comme c’est le cas avec le prétendu remplacement des urgences des hôpitaux de
proximité par des maisons médicales libérales, censées assurer la permanence des soins, de l’envoi vers le
secteur (médico social (avec des coûts, et un encadrement très réduit) de patients jugés inadéquats dans
des services de psychiatrie, ou de la suppression massive de lits de longs séjours gériatriques transformés
en lits d’EHPAD , dont le coût est essentiellement à la charge du résident, de sa famille, ou des
collectivités territoriales.
2 L’abandon de certaines activités hospitalières au privé et les « partenariats publics privés ».
De plus en plus d’activités hospitalières, sont confiées au secteur privé, ce qui permet de réduire comme
ailleurs le nombre d’emplois publics, mais pas nécessairement les côuts.
Les fonctions de nettoyage, de traitement du linge, de restauration, de surveillance, d’entretien des
locaux, de transport des malades entre autres sont confiées à des entreprises privées, pour des coûts qui
peuvent s’avérer prohibitifs dans la durée.
Dans la même logique se développent les partenariats publics privés, qui consistent, à confier à un
opérateur privé la construction de locaux, moyennant le versement d’un loyer pour une durée déterminée.
Le bâtiment devenant après cette date propriété de l’Hôpital.
L’exemple du partenariat Public Privé pour la reconstruction de l’Hôpital d’EVry/Corbeil (une
coproduction d’un certain Manuel Valls, ancien maire d’Evry et d’un certain Serge Dassault ancien maire
de Corbeil) présenté, à l’époque, comme un modèle mérite qu’on y revienne. Il s’est terminé par un fiasco
retentissant et illustre les dérives d’un système qui a entrainé la faillite de nombreux Hôpitaux au
Royaume Uni.
Faute de financement public, la construction des nouveaux bâtiments du Centre Hospitalier Sud
Francilien a été prise en charge par le groupe de BTP Eiffage, en contrepartie du versement pour une
durée de 30 ans d’un loyer exorbitant d’environ 3OM d’€, son versement nécessitant des coupes
budgétaires et une augmentation de la « productivité » du personnel.
Au moment de la livraison, avec un retard d’un an, 8000 malfaçons sont constatées par huissier, dont
certaines, graves et mettant en cause la sécurité des patients.
Pour y remédier, Eiffage a alors exigé une hausse du loyer qui serait passé à plus de 40 millions d’€
Devant le scandale, l’opération du finalement être abandonnée, et un « accord » fut trouvé avec Eiffage
moyennant un « dédommagement » de 170M d’€… à la charge de la collectivité.
3. L’Hôpital Entreprise, quelles conséquences pour les usagers et les personnels.
La privatisation du système hospitalier doit d’abord être dénoncée pour ce qu’elle est : l’accaparement
d’argent public (celui de la Sécurité sociale) par des intérêts privés, les actionnaires des cliniques, les
entreprises privées auxquelles les hôpitaux abandonnent une partie de leur activité, ou les cabinets
libéraux.
Mais notre critique ne doit pas s’arrêter là.
La logique marchande à laquelle sont soumis les établissements tant publics que privés a des
conséquences sur l’accès aux soins, et la nature des soins, eux mêmes
Même quand le statut juridique des hôpitaux reste public, par le biais de la tarification à l’activité les
établissements publics et privés n’en sont pas moins soumis à une logique marchande de comparaison des
couts
Comme le souligne Philippe Batifoulier [9], « l’évolution de l’Hôpital est révélatrice de celle de la politique
publique dans son ensemble : elle s’appuie sur les méthodes managériales du benchmarking, qui consiste
à identifier les organisation les plus performantes pour les prendre pour modèle ». Il en découle une
standardisation des soins dont les effets pervers sont multiples
Ces conséquences concernent en premier lieu les usagers, leur possibilité d’accéder aux soins, la qualité
et la sécurité de ces soins. Elle touche également les professionnels, qui sont soumis à des conditions de
travail insupportables, mais qui ont également le sentiment de ne plus pouvoir faire leur travail de
manière satisfaisante, voire de mettre en danger les patients dont ils ont la charge.
Je me limiterai à une brève énunération des effets de cette course sans fin à la rentabilité :
• Incitation à la sélection des patients
L’instauration d’un systéme de financement qui rémunère une pathologie « standard » et non les soins
donnés à un patient est une incitation à la sélections des patients et au rejet de ceux de le « coûts » sera
plus élevé que la norme.
• Difficultés d’accès aux soins
La logique marchande d’occupation maximum des lits (un lit vide est un lit « non rentable » qui « creuse
le déficit ») entre en contradiction avec l’exigence d’une disponibilité de lits et de personnel pour faire
face à l’imprévu.
Elle pousse aux fermetures massives de lits, d’établissements et de services de proximité qui aboutissent à
une sur-occupation des services, les lits dans les couloirs.
La fermeture de lieux de soins éloignent ceux ci du patient.
Les délais d’attente pour les consultations ou les soins s’allonge, provoquant ce qu’en termes pudiques les
managers appellent une « perte de chance » pour le malade. En clair l’aggravation de son état de santé, et
dans les cas extrémes son décès.
L’éloignement des services hospitaliers gratuits aboutit à un recours à des services privés et à des
surcouts qui constituent à leur tour de nouveaux freins, financiers cette fois à l’accès aux soins.
• Mise en cause de la qualité et de la sécurité des soins.
La rentabilisation des services, l’insuffisance des personnel, la généralisation de la polyvalence et de
l’intérim qui entraine une méconnaissance du fonctionnement des services et des patients soignés, source
d’erreur due à la fatigue des personnels, l’insuffisance des temps de transmission et d’échanges
indispensables au travail en équipe. Les risques d’erreurs qui seront ensuite imputées au soignant s’en
trouve multiplié.
Le soin se réduit à sa part purement technique, le plus standardisée possible, au détriment de toute
dimension relationnelle, pourtant indispensable à la qualité des soins.
La deshumanisation du soin est une conséquence directe du management d’entreprise transposé à
l’Hôpital.
Elle est aussi à l’origine de la souffrance de plus en plus visible des personnels.
Celle ci a pour cause l’intensification du travail, liée au manque de personnel, les horaires et de
contraintes insupportables (suppression des repos et congès, retour au travail non prévu pour nécessité
de service), mais aussi de la disparition d’un cadre collectif de travail en équipe et de la perte de
signification de ce travail, jugé comme insatisfaisant alors qu’on s’y épuise.
Cette souffrance s’accroit au fur et à mesure que s’accroit la précarisation du personnel dans le public
comme dans le privé. La sécurité donnée par l’existence d’un statut donnant des droits et des capacités de
résistance au personnel des établissements publics est de ce fait l’un des verrous que les contre réformes
libérales veulent faire sauter,
Conclusion
Jusqu’à maintenant, malgré l’ampleur de l’attaque et ses conséquences pour les salariés et leur droit à la
santé, l’offensive menée contre l’Hôpital public n’a pu être mise en échec.
Ni les fédérations syndicales de personnel hospitalier ni le mouvement ouvrier interprofessionnel, dans ce
domaine comme dans les autres n’a pas apporté de riposte correspondant aux enjeux.
Les luttes pourtant nombreuses des salariés – et aussi des comités de défense des hôpitaux – sont restées
isolées, et dans le meilleur des cas n’ont imposé qu’un recul partiel et temporaire Seule leur coordination,
dans une action commune nationale des salariés de la santé et des usagers, permettra d’inverser la
tendance et de mettre fin à la privatisation rampante de cet acquis essentiel qu’est l’Hôpital public.
Nous devons y travailler de toutes nos forces.
Jean-Claude Laumonier, Commission nationale Santé Sécu Social du NPA, 24 août 2015
Notes
[1] Groupement d’intérêt économique.
[2] Groupement d’intérêt public
[3] Objectif National des Dépenses d’Assurance Maladie.
[4] Projet de loi de financement de la sécurité sociale.
[5] Hopital Patients Santé et Territoires.
[6] Voir dossier paru dans libération le 9/03/2015.
[7] Les cliniques privées commerciales sont les établissements à but lucratif versant des dividendes à
leurs actionnaires. Elles sont de plus en plus entre les mains de groupes financiers (fonds de
pensions….). Elles sont à distinguer des établissements privés dits « à but non lucratif », de type
mutualiste ou associatif.
[8] Evaluation de la place et du rôle des cliniques privées dans l’offre de soins . Inspection Générale
des Affaires Sociales RM 2012-112P.
[9] Philippe Batifoulier , Capital Santé , éditions « La découverte » 2014
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