du logos au mythos - Prologue Numérique

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DU LOGOS AU MYTHOS
Ouverture philosophique
Collection dirigée par Dominique Chateau,
Agnès Lontrade et Bruno Péquignot
Une collection d'ouvrages qui se propose d'accueillir des travaux
originaux sans exclusive d'écoles ou de thématiques.
Il s'agit de favoriser la confrontation de recherches et des
réflexions qu'elles soient le fait de philosophes "professionnels" ou
non. On n'y confondra donc pas la philosophie avec une discipline
académique; elle est réputée être le fait de tous ceux qu'habite la
passion de penser, qu'ils soient professeurs de philosophie, spécialistes
des sciences humaines, sociales ou naturelles, ou... polisseurs de
verres de lunettes astronomiques.
Dernières parutions
Manthos SANTORINEOS, De la civilisation du papier à la
civilisation du numérique, 2008.
Adrian NIT A, La Métaphysique du temps chez Leibniz et Kant,
2008.
Michel FA TT AL, Aristote et Plotin dans la philosophie arabe,
2008.
François BESSET, Penser l 'Histoire ou L 'Humain au péril de
l 'Histoire, 2008.
Dominique NDEH, Religion et éthique dans les discours de
Schleiermacher.
Essai d'herméneutique,
2008.
Sébastien BUCKINX, Descartes entre Foucault
Roger TEXIER, Descartes physicien, 2008.
et Derrida,
2008.
Philippe SOUAL et Miklos VETO, L'Idéalisme allemand et la
religion, 2008.
Bruno MUNIER, Idéologies, religions et libertés individuelles,
2008.
Marie-Noëlle
AGNIAU, Médiations du temps présent. La
philosophie à l'épreuve du quotidien 2, 2008.
Christian SALOMON (Textes réunis et présentés par), Marey,
penser le mouvement, 2008.
Xavier ZUBIRI, Structure dynamique
de la réalité, 2008.
Seconda
BONGIOVANNI,
La
Philosophie
italienne
contemporaine à l'épreuve de Dieu. Pareyson, Vattimo, Cacciari,
Vitiello, Severino, 2008.
lonel BUSE
DU LOGOS AU MYTHOS
Textes des conférences sur
l'imaginaire et la rationalité
Préface par Bruno Pinchard
L'Harmattan
@ L'Harmattan,
2008
5-7, rue de l'Ecole polytechnique;
75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
diffus ion. harmattan@wanadoo. fr
harmattan] @wanadoo.fi'
ISBN: 978-2-296-06272-6
EAN : 9782296062726
IONEL BU~E est professeur de philosophie à l'Université de
Craiova (Roumanie) et directeur du Centre de Recherches sur
l'Imaginaire
et la Rationalité. Ouvrages:
Essais et esquisses
ontologiques (Tg-Jiu, 1997) ; Une herméneutique des contes de
fies roumains (Cluj-Napoca, 2000) ; La logique du pharmakon
(Bucarest, 2003), Métamorphoses du symbole (Cluj-Napoca, 2000),
Philosophie et méthodologie de l'imaginaire (Craiova, 2005),
Introduction à la pensée roumaine (Lyon, 2006), Démocratie en
rouge caviar (Cluj-Napoca, 2007). Coordinateur d'ouvrages collectifs:
"Aspects du mythe", col. Symbolon, 2001 ; "L'imaginaire du politique",
col. Symbolon, 2002 ; "Imaginaire et Rationalité", col. Symbolon
2007 ; Cahiers Mircea Eliade, nr. 1, 2002 et nr. 2, 2004.
Ionel Buse
et la sagesse des mythes
On peut lire de deux manières le dernier essai que lonel
Buse livre au public français. Acteur infatigable des relations
franco-roumaines,
l'auteur nous offre tout d'abord une
analyse précise des modalités selon lesquelles la pensée
roumaine d'hier et d'aujourd'hui participe à la formation de
l'esprit européen et y apporte sa contribution particulière.
Mais cet ouvrage si pédagogique est aussi comme un roman
de formation dans lequel un chercheur formé à la fois en
Roumanie et en France, à la césure de ces deux mondes, et
selon les modalités de la fin du communisme
et de
l'effacement de la France d'après-guerre, cherche ce qui croît
en lui et dans son pays à l'orée de transformations encore
plus formidables. Ce n'est pas pourtant parce que ce livre
veut deux lectures qu'il faut en négliger l'une au profit de
l'autre. Le sens littéral de l'œuvre exige d'être assimilé pour
entrer dans le mouvement le plus intérieur de la réflexion.
Ceci mérite quelques mises au point.
La difficulté était de trouver un point d'insertion
légitime pour la pensée roumaine dans l'idée européenne de
la philosophie. Or les représentations négatives de la pensée
roumaine ne manquent pas, malheureusement.
Pensée mal
connue, inscrite aux frontières entre le néo-hégélianisme et la
recherche de logiques alternatives au principe du tiers-exclu,
la pensée roumaine bénéficie de tout l'attrait idéal d'une
verticalité presque carpatique et de toute l'angoisse réelle
que peuvent susciter les bords peu fréquentés d'une mer aussi
noire que son nom. Cette pensée passe alternativement des
promesses des confins, vrai « rivage des Syrtes»
de
l'intelligence, à la figure mouvante de zones irrémédiablement
intermédiaires qui ne trouvent pas leur classicisme. La force
des visions du monde qui en découlent vient alors des
influences qui les traversent pour le meilleur et pour le pire.
On ne peut rêver aux concepts danubiens ou aux spéculations
du «Petit Paris» sans sentir souffler un vent aussi libre que
méphitique que redouble encore quelque style d'architecture
contourné et rococo où le château fort et le gynécée mêlent
leurs attraits redoublés et dangereux. Qui trouverait à nourrir
dans un tel tourbillon quelque solide affirmation de la
raison?
Certes, tout familier du dédale de Bucarest sait qu'il
existe un souffle d'une tout autre ampleur en Roumanie, qui
pourrait
éveiller bien de l'envie
dans les capitales
européennes
plus assagies. Mais il faut compter avec
l'évaluation commune de la pensée roumaine et c'est à elle
qu'un livre comme celui qui nous occupe doit d'abord se
confronter. Or, loin de se couvrir par quelque retour à des
écoles plus immédiatement lisibles, phénoménologique ou anglosaxonne, lonel Buse prend fait et cause pour la figure de la
médiation et rêve à une coi'ncidentia oppositorum dans
l'intelligence où sa langue et son pays feraient figure de
pIOnmer.
V éritable Atlantide de l'est vouée à périr sous les
vagues des invasions successives, la Roumanie aura toisé
toutes les Athènes de l'occident. L'ouvrage s'ouvre sur cette
figure de la pensée insulaire, sur sa puissance mythique, sur
sa disparition programmée. On peut dire qu'en choisissant de
s'adresser au lecteur à partir d'un tel défi adressé à la
philosophie dans ses racines platoniciennes,
lonel Buse
donne le ton et révèle la part chevaleresque de son appel aux
mythes et aux savoirs des peuples vaincus. Il en découle une
indiscutable séduction qui encourage à aller plus loin dans le
livre, à la recherche de ses arguments profonds.
On sait que la raison occidentale a connu depuis Jung,
Bachelard et leurs successeurs une suite de remises en cause,
où le Surréalisme a aussi sa place. C'est cette crise de la
raison dominatrice que lonel Buse identifie comme une
8
chance pour une Roumanie aussi ongmaire qu'obscure. Il
s'en empare résolument et, profitant des travaux récents sur
les rencontres successives entre tous ces auteurs, où l'on
retrouve aussi bien Mircea Eliade qu'Henry Corbin ou
Gilbert Durand, il avance une véritable hypothèse de travail:
une roumanité dans la pensée aurait tout à gagner à s'insérer
dans la critique des rationalités unilatérales et à proposer un
style mixte de pensée qui puisse répondre à une demande
nouvelle. Tout le livre, dans ses diverses variations, sert
fondamentalement cette idée, qui vaut pour le passé comme
pour l'heure actuelle. Et de fait, les œuvres d'Eliade, mais
aussi de M. Florian, de C. Noica même ou de A. Dragomir
sont plus à leur place dans cette recherche
d'une
complexification de la raison que dans le parti pris pathétique
pour la philosophie de l'existence.
On peut donc faire l'hypothèse que le livre qui nous est
proposé procède de la « critique de la raison impure» au nom
de l'imaginaire moins par un élan purement théorique que par
la recherche anxieuse d'une issue identifiable pour faire
entendre la protestation roumaine. D'une certaine façon, il
fallait que Gilbert Durand ou Jean-Jacques Wunenburger
prouvent la légitimité de leurs démarches pour que la
Roumanie
soit un concept possible
dans la pensée
contemporaine. C'est en tout cas une façon de lire ces auteurs
qui jouent ici le rôle de maîtres, mais qui se retrouvent
chargés de significations dont ils ont à coup sûr pressenti
l'imminence, mais dont ils ne pouvaient deviner qu'elles
prendraient ce visage particulier aux frontières de l'Europe et
dans le contexte de la chute du communisme.
Ce livre nous expose ainsi les voies d'une nouvelle
anthropologie,
mais, ne nous y trompons pas, cette
anthropologie n'a rien d'une hypothèse purement théorique,
il faut y déchiffter les symptômes d'une inquiétude et les
marques d'un effort historique, mieux, il faut y saisir une
prise de parole en acte dont nous ne connaissons pas encore
les effets, comme nous ne connaissons pas encore les effets
politiques de l'entrée de la Bulgarie et de la Roumanie dans
9
l'Europe politique. On lira à cet égard avec un intérêt soutenu
le chapitre consacré à l'imaginaire politique de la Roumanie
depuis le Moyen Age jusqu'à l'époque de la plus douteuse
ivresse nationaliste, pour se rendre compte de la difficulté
pour cette langue et pour ce peuple toujours en quête de ses
origines, de se frayer une voie dans la pensée. Cette voie fut
en effet tardive, mais la puissance de la langue et la
profondeur des mythes disponibles la rendent rapidement
indispensables à quiconque réfléchit sur l'identité européenne
et à la présence de l'orient jusque dans les idéaux grecs de la
pensée.
Le livre de lonel Buse réclame donc dans sa limpidité
une attention particulière
puisqu'il
montre un homme
d'écriture qui, dans le cours de ses études et au cœur même
de ce qui pourrait paraître son isolement, se découvre peu à
peu le porte-parole d'un monde oublié ou exclu, dont le
sérieux ne peut être mis en doute une fois évaluée la portée
de la poésie roumaine romantique ou des mythologies de
Zalmoxis. Mais aussi bien lonel Buse est-il conscient du fait
qu'il ne suffit pas d'imposer le fait roumain avec tous ses
prestiges, encore faut-il le faire entrer en métamorphose et lui
permettre d'accéder à une forme d'universalité.
C'est la
fonction importante du dernier essai sur Brancusi que de
mener à cette nouvelle étape de la réflexion.
Il y a, au fond, la même distance entre les élaborations
compliquées et inachevées de Mircea Florian et la sculpture
universellement
reconnue
de Brancusi
qu'entre
une
Roumanie génialement provinciale et une pureté formelle
dont le pouvoir extatique s'impose comme un tournant du
monde symbolique
chez les modernes.
Comment
la
Roumanie peut-elle rejoindre dans ses concepts le Brancusi et
la « colonne sans fin » qui sommeille en elle? Cette question
s'est posée à tous les amis français de la Roumanie et on
connaît la réponse que la proIes pontica a apportée à cette
demande insistante venue des peuples de l'ouest:
des
Roumains de premier ordre sont venus à Paris et ont conquis
une notoriété mondiale en s'imposant aussi bien par l'acuité
10
inexorable de leurs analyses que par la pureté de leur style
français. Tel fut le cas de Cioran et de Ionesco. Quant à
Eliade il ne s'est pas contenté de séduire à Paris, il a voulu
lier son destin de penseur du religieux à la formidable
autorité des sciences américaines de 1'homme. Mais lui aussi
a assumé un destin d'expatrié, du moins extérieurement car il
a pris soin aussi de relier sa quête du sacré au plus ancien
dieu des Roumains, l'énigmatique Zalmoxis.
Le problème se pose aujourd'hui
en des termes
différents. A l'issue de la lecture de l'ouvrage de lonel Buse,
on peut se demander si une nouvelle universalité n'est pas à
naître. Elle résiderait moins cette fois dans une faculté
extraordinaire d'assimilation que dans la redécouverte d'une
tradition propre, non pas certes identifiable à une tradition
nationale, mais fidèle à des formes si archaïques,
si
imprononçables dans aucune langue moderne, tellement issue
des bords les plus intérieurs de la plus intérieure des
Méditerranée, que les visions les plus reçues des civilisations
antiques et des liens que nous pouvons entretenir avec elles
s'en trouveraient modifiées et ici, lonel Buse nous le montre,
Brancusi est bien un modèle pour les philosophes euxmêmes. Telle, du moins, devrait être notre lecture du Baiser
de Brancusi ou de la Sagesse de la terre, ou encore de la
Muse endormie, si nous faisions assez réflexion sur le lien de
ces objets avec d'anciens rites et si nous nous montrions
capables d'une telle purification des formes avec l'aura de
perpétuité qu'elle suscite.
Quelle sera la «Muse endormie»
de l'incorrigible
hellénisme européen, quelle sera la religion solaire des monts
hyperboréens qui regardera de haut les dieux de l'Olympe,
quelle sera l'oracle du loup des Daces, nul ne le sait à l'heure
qu'il est. Une seule chose est sûre, il y aurait bien de
l'arrogance à réduire ces formes primordiales à de simples
légendes destinées à illustrer une loi générale déjà connue par
ailleurs. S'il y a une sagesse des mythes qui se tient en
réserve sur les bords de la Mer Noire, il serait heureux de n'y
chercher ni prétextes ni épouvantails et c'est seulement ainsi
Il
que la troisième voie entre raison et déraison pour laquelle
plaide ce livre pourra paraître pour ce qu'elle est vraiment:
un appel à renouer avec des forces qui échappent à I'histoire,
des forces littéralement pré-historiques
qui, si elles ne
promettent aucun accès à l'éternel, permettent à tout le moins
d'appeler les dieux par leur nom et de leur tracer, malgré le
chaos des forces contraires, un temple jusque dans la
Transylvanie de l'âme. Or, jusqu'à preuve du contraire, pour
cet office secret, la Roumanie n'a pas sa pareille.
Un événement récent le confirme: un cinéaste, connu
pour bien d'autres exploits, s'est essayé à la sagesse des mythes
roumains et a cherché une traduction cinématographique de la
nouvelle de Mircea Eliade, Tinerete fara tinerete, « L'homme
sans âge» en français, elle-même reprise d'un vieux conte
roumain aux significations multiples. Ce film, pourtant animé
de mouvements profonds et toujours tendre à l'égard des
miracles roumains, n'a pas rencontré son public et est montré
du doigt par la critique comme l'exemple même de ce qu'il
ne faut pas faire pour mettre un point final à une carrière
aussi éclatante que celle de l'auteur d'Apocalypse now ou du
Parrain. Mais précisément, l'affaire est loin d'être jugée et la
cécité métaphysique des représentants officiels du grand
public ne saurait prétendre épuiser le sujet. Le foudroiement
du passant de la grande ville, l'entrée dans les profondeurs de
la langue au fil de ses racines, la puissance médiumnique de
l'amour, la chaîne interrompue des traditions, la répétition
compulsive de la vie et du savoir ne peuvent être passées sous
silence parce que ces expériences sont hors de portée de
quelques journalistes avides de scènes d'action. Il me prend
alors à songer, en achevant ces quelques mots d'amitié
adressés à mon ami lonel Buse, qu'un livre comme le sien,
oui, précisément comme le sien, aussi attentif, aussi abouti
dans ses finalités, aussi opportun au temps où la Roumanie
entre dans le concert européen, pourrait servir à introduire
aux mystères rencontrés par Coppola en lisant Eliade et
pourrait donner quelques justifications
de poids aux
12
recherches profondes et savantes dans l'ordre des mythes et
des croyances.
Nous ne cherchons pas l'inconscient, il nous cherche, et
c'est bien qu'une voix étrangère vienne nous dire qu'il peut
venir au devant de nous avec ['accent roumain.
Bruno Pinchard, Université de Lyon 3
13
Introduction
Le retour du mythos? Difficile à répondre. Les
philosophes deviennent méfiants quand on parle de mythos ou de
poiêsis dans la structure du logos et même dans l'archéologie du
concept philosophique. Mais dans quelle mesure le concept
serait-il la création exclusive d'une raison pure? Ne serait-il pas
marqué, au moins dans le champ des sciences de l'esprit, comme
les appelle Dilthey, par une certaine charge symbolique? Se
serait-il définitivement débarrassé de ce nisus formativus qui est à
l'origine de sa dimension icônique?
Le statut paradoxal du symbole nous dévoile une
totalité de sens qui relève une liaison et une tension
dynamique entre deux types de déterminations, «un sens
visible, localisé dans l'expérience, limité à telle configuration
spatio-temporelle,
et un autre, délié de son inscription
empirique, supraspatio-temporel,
qui renvoie a un noyau de
signification,
à un Logos »1. Située comme médiateur
dynamique entre le sensible et l'intelligible, entre le concret
et l'abstrait, l'image symbolique, créatrice par excellence,
semble nous offrir la possibilité de réévaluer même nos
rapports cognitifs avec le monde.
La redécouverte
du symbole, au XXème siècle,
représente sans doute une réaction contre le triomphalisme
rationaliste
et positiviste
du XIXème siècle.
A l'époque
de la
civilisation des images, un grand nombre de courants et
méthodes (la phénoménologie, I'herméneutique, l'étude des
mythologies et des religions, le structuralisme figuratif, la
sociologie, I'histoire des mentalités, la psychologie et la
psychanalyse, les sciences du langage, la poétique, I'histoire
1
Jean-Jacques Wunenburger, Philosophie des images, Paris, PUF, 1997, p. 208.
de l'art, etc.) ont mis en évidence, dans le cadre général de
l'interrogation
de l'homme, le rôle des mythes et des
symboles dans l'apparition d'une rationalité non-identitaire.
Vu la multiplicité et la complexité des univers des
images il s'avère nécessaire de les appréhender dans une
perspective ouverte dans laquelle on puisse parler d'une
raison symbolique et d'un concept approprié de l'imaginaire.
Dans le sillage des pères fondateurs de la notion de
l'imaginaire et des recherches récentes de philosophie et
anthropologie de l'image, nous avons choisi pour ce volume,
certaines conférences révisées sur la pensée figurative,
présentées à l'occasion des divers colloques internationaux.2
Elles ont pour but de mettre en exergue le fait qu'entre
l'image et le concept il y a des rapports profonds ayant plutôt
le rôle de les rapprocher que de les séparer et que notre
postmodernité
philosophique
a ouvert déjà la voie aux
recherches fondamentales des structures figuratives de la
pensée plurielle.
La première partie de l'ouvrage (Rationalité philosophique
et pensée figurative) qui commence par une étude sur l'imaginaire
des philosophes (le mythe platonicien de l' Atlantide), propose par
diverses approches théoriques un dialogue imaginaire-rationalité
placé sous le signe d'une logique de la contradiction et de la
dualitude. En ce sens, nous avons essayé quelques analyses
comparatives de la pensée figurative de Carl Gustav Jung,
Gaston Bachelard, Mircea Eliade, Jean Piaget et Gilbert
Durand. Nous avons mis en évidence l'idée de coincidentia
oppositorum
chez Bachelard et Eliade par les notions
jungiennes
de animus et anima et par le mythe de
l'androgyne.
Chez Bachelard,
le mythe poétique
de
l'androgyne suppose une dimension prospective. Dans notre
interprétation son message est que l'image et le concept ne
peuvent se réconcilier par une synthèse de l'ordre de la
rationalité, mais par une synthèse idéalisante ou poétique, au
niveau prospectif du cogito rêveur. A son tour, Eliade par
2 Voir l'annexe
Conférences.
16
l'idée de coincidentia oppositorum présente dans les mythes
archaïques
de l'androgyne,
suppose
l'existence
d'un
fondement
permanent,
figuratif et contradictoire
pour
n'importe quelle manifestation de l'esprit. D'ailleurs, par
l'étude dédiée à Mircea Eliade, nous avons essayé de mieux
faire connaître
la dimension
anthropologique
de ses
recherches d'histoire des religions en analysant la structure
symbolique de l'hiérophanie et le sens de l'herméneutique
créatrice.
Une place
importante
dans les analyses
comparatives occupe le structuralisme figuratif de Gilbert
Durand, où l'imaginaire de la fantastique transcendantale est
considéré la prémisse fondamentale d'une pédagogie ouverte.
La présentation de la pensée de Mircea Florian - un
philosophe roumain très peu connu en Occident - met en
évidence sa théorie de la récessivité, fondée sur l'opposition
contraire, comme tentative de repenser la structure du monde.
Proche de l'idée d'une raison figurative, il peut être considéré
l'un des philosophes du XXème siècle qui s'inscrit dans
l'épistémè de la pensée du complexe et de la «révolution
culturelle» de l'épistémologie
contemporaine du signifié,
selon l'expression de Gilbert Durand3.
La deuxième partie (Figures de l'imaginaire) présente
diverses métamorphoses de l'imaginaire (politique, socioculturel,
artistique) ayant pour but de montrer que le mythe est une « res
réelle », selon le propos de Gilbert Durand, qui peut être
manipulée «pour le meilleur comme pour le pire ». La
première étude met en évidence la manière dont les mythes
roumains des origines ont étés utilisés par la mythologie de la
nation ou confisqués par les idéologies totalitaires du XXème
(le fascisme et le communisme). En ce qui concerne le mythe
de Dracula, il est interprété comme mythe politique de
l'altérité (dans le sens d' alteratio) créé par l'imaginaire
collectif occidental.
3 Gilbert Durand, Introduction
1996, p. 47.
ci la mythodologie,
17
Paris, Albin Michel,
L'essai
sur
l' anti -utopie
féministe
propose
l'interprétation
de l'imaginaire
féminin
comme
une
dimension contradictoire,
polyvalente
et dynamique
de
l'imaginaire socioculturel. Les deux dernières études sont des
interprétations de l'imaginaire artistique de l'écrivain Mircea
Eliade (de la nouvelle fantastique, Mademoiselle Christina)
par une grille de lecture bachelardienne, et des créations
sculpturales de Constantin Brancusi, qui, par la transfiguration
artistique des mythes et symboles de la culture populaire
roumaine, renvoie à l'idée archaïque de coincidentia
oppositorum.
Un aspect particulier de notre ouvrage est donné par
les études qui mettent en valeur
les contributions de la
pensée roumaine à la culture européenne, surtout par les
oeuvres de Mircea Eliade et Constantin Brancusi qui, à côté
de Tristan Tzara, Benjamin Fondane, Eugène Ionesco, Emil
Cioran, Stefan Lupasco, George Enesco, peuvent être
considérés aussi des personnages - symboles de la culture
française.
Notre gratitude va aux Éditions L'Harmattan qui ont
accepté par leurs lecteurs de la collection Ouverture
philosophique
de publier cette petite introduction dans la
pensée figurative, à mon directeur de thèse et ami, le
professeur Jean-Jacques Wunenburger -l'un des philosophes
français très connus dans le domaine de la recherche des
images
qui a eu l'amabilité de lire la plupart de mes textes,
mon ami, le professeur Bruno Pinchard, l'auteur d'une
brillante préface, peut-être trop élogieuse, mon ami et
collègue roumain Dorin Ciontescu-Samfireag
pour ses
conseils linguistiques et à ma famille qui a supporté mes
nombreux voyages aux divers conférences internationales.
-
18
Le mythe n'est plus un fantasme
gratuit que l'on subordonne
au
perceptif et au rationnel. C'est une res
réelle, qu'on peut manipuler pour le
meilleur comme pour le pire.
Gilbert Durand
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