Considérations éthiques sur l`accès aux traitements

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United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization
Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture
International Bioethics
Committee (IBC)
Comité international
de bioéthique (CIB)
Distribution: limitée
CIP/BIO.501/96/4
Paris, 22 décembre 1996
Originale : anglais
Considérations éthiques sur l’accès aux traitements,
expérimentaux et l’expérimentation sur des sujets humains
______________
Rapporteurs : Harold Edgar* et Ricardo Cruz-Coke**
*
Directeur du Julius Silver Program in Law, Science and Technology, Columbia University, New York.
**
Directeur de l’Unité de génétique, Hôpital J.J. Aguirre, Université du Chili.
Introduction
Le présent rapport a été rédigé en vue de faciliter les discussions au sein du Comité
international de bioéthique (CIB) sur le thème « Accès aux traitements expérimentaux et
protection des droits de la personne humaine ». Il s’agit principalement de déterminer si des
individus ou des groupes ont le « droit » de bénéficier de traitements expérimentaux, ou du
moins d’y avoir accès sans ingérence excessive des autorités, et dans quelle mesure. La
revendication d’un tel droit remet-elle en question les principes et les pratiques qui soustendent la recherche biomédicale sur des sujets humains ?
Bien que s’inspirant de communications plus courtes rédigées par des membres du
CIB, cette étude n’est, d’aucune façon, un rapport du Comité. Elle n’a été précédée d’aucune
réunion préliminaire et la session annuelle du CIB a fourni la première occasion d’une vaste
consultation. Un excellent travail a toutefois déjà été réalisé sur ces questions et des thèmes
voisins sous les auspices d’autres organisations internationales, en particulier dans le cadre
des efforts conjoints de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et du Conseil des
organisations internationales des sciences médicales (CIOMS). Les rapports publiés à l’issue
des conférences de ces institutions et les International Ethical Guidelines for Biomedical
Research Involving Human Subjects (Genève, 1993) [Principes directeurs d’éthique concernant
les recherches biomédicales sur des sujets humains, désignées ci-après par le sigle IEG]
constituent des guides indispensables. Plusieurs membres du Comité international de
bioéthique ont participé aux travaux de l’OMS et du CIOMS.
La Section I du présent rapport décrit et analyse succinctement quelques-uns des
problèmes que pose l’accès aux traitements expérimentaux. La Section II examine les
positions adoptées à cet égard par les principaux textes juridiques internationaux et documents
relatifs aux questions d’éthique.
Il convient de souligner d’emblée une conclusion générale sur laquelle tout le monde
s’accorde. L’égalité d’accès aux traitements expérimentaux suscite d’intéressantes
interrogations (malgré l’absence de consensus sur le point de savoir si l’intérêt que peut
présenter un traitement de ce type pour un individu entraîne pour lui le droit d’en bénéficier).
Mais, d’un point de vue pratique, ce problème passe largement au second plan par rapport à
celui de l’égalité d’accès aux traitements « démontrés ». Même si nous ne l’abordons pas ici,
il est clair que cet autre problème représente un enjeu beaucoup plus important sur le plan
politique.
I.
L’accès aux traitements expérimentaux : ce qui est en jeu
L’épidémie de Sida a donné un tour dramatique au problème de l’accès aux
traitements expérimentaux, mais l’on trouve déjà des réflexions sur des thèmes similaires
dans des écrits antérieurs, parmi lesquels des classiques comme Le dilemme du docteur de
G.B. Shaw. Toutefois, le Sida a fait prendre conscience avec une acuité nouvelle du rôle
indispensable de l’innovation scientifique et médicale et de l’obligation de prendre des risques
pour la rendre possible. Le fait de se prêter à des recherches a peu à peu acquis une
signification culturelle nouvelle. Lorsque, dans les années 60 et 70, les principes régissant la
recherche ont donné naissance à des normes juridiques et éthiques internationales, le courant
de pensée dominant (indépendamment des attitudes des patients réels souffrant de maladies
réelles) mettait l’accent sur les risques inhérents à la recherche médicale et la nécessité d’en
protéger les personnes prises comme sujets d’étude, nécessité d’autant plus grande lorsque ces
personnes appartenaient à des groupes historiquement défavorisés. L’épidémie de Sida nous
a appris à voir les choses différemment : il arrive que des individus atteints d’une maladie
presque à coup sûr mortelle acceptent volontiers de prendre des risques dans l’espoir d’une
possible thérapie (Edgar et Rothman, 1990). Les garde-fous institutionnels peuvent apparaître
inacceptables quand ils ont pour effet de ralentir les avancées thérapeutiques et n’autorisent le
recours à de nouveaux traitements prometteurs qu’après des tests rigoureux, alors même qu’il
n’existe aucune autre cure possible. De même, s’opposer, pour le protéger, à ce qu’un détenu
atteint du Sida participe à un traitement expérimental, ce peut être condamner à une mort
certaine une personne déjà frappée d’incapacité par des sanctions pénales (IEG 7 et
commentaire).
2
Pourtant, le problème de l’accès aux traitements expérimentaux ne se limite pas, loin
s’en faut, au Sida. Tout d’abord, il existe un grand nombre de maladies face auxquelles,
comme c’était le cas face au Sida (du moins avant les nouvelles thérapies combinées), les
médecins sont peu ou prou désarmés. Ensuite, ce problème en dissimule en réalité plusieurs.
Que l’on considère les cinq revendications, ou arguments possibles, ci-après. Chacune
de ces revendications soulève un problème potentiel lié à l’accès aux traitements
expérimentaux. Toutes intéressent directement le débat du CIB. Ont-elles une quelconque
pertinence ? Dans l’affirmative, en reconnaître la légitimité oblige-t-il à repenser les règles
actuellement admises en matière de recherche ?
1.
Tout adulte en pleine possession de ses facultés devrait être libre d’opter pour un
traitement expérimental qu’un médecin est prêt à lui administrer, sans que leur décision
conjointe soit soumise à l’approbation d’un comité d’éthique ou de l’organe chargé de la
réglementation. Les gouvernements et les comités d’éthique ne doivent pas faire obstacle au
choix éclairé du patient.
2.
Il est contraire à l’éthique d’exiger des personnes souhaitant suivre un nouveau
traitement prometteur, encore au stade expérimental, qu’elles acceptent en contrepartie de se
soumettre à un tirage au sort, en fonction duquel elles risquent de ne recevoir qu’un placebo
ou le traitement classique. Les gouvernements ne doivent pas subordonner l’accès à un
traitement expérimental du consentement d’un individu - essentiellement contre son gré - à
servir de cobaye.
3.
Les règles d’éthique tendant à offrir une protection spéciale à certains individus privés
juridiquement de la capacité de donner leur consentement ont pour effet pervers de frapper
ces personnes vulnérables d’une discrimination inadmissible. Les gouvernements doivent
s’abstenir de toute discrimination à l’égard des personnes vulnérables en matière d’accès à des
traitements expérimentaux.
4.
Les gouvernements doivent s’assurer que les femmes et les membres des groupes
ethniques minoritaires participent fréquemment aux expériences médicales, faute de quoi ils
se rendent coupables d’une discrimination à l’encontre de certaines catégories de personnes.
Des produits et des services médicaux seront introduits sur le marché sans que personne n’ait
cherché à savoir si ces traitements sont efficaces sur les patients de sexe féminin ou
appartenant à une minorité. L’une des conséquences manifestes de la révolution du génome
humain est d’avoir mis en évidence les différences existant entre les individus et l’impact de
ces différences sur les maladies et leur traitement. Si la prédisposition à différentes maladies
se déduit en grande partie d’une analyse génétique multifactorielle, il est probable que
l’efficacité des traitements variera, elle aussi, selon les groupes de patients, pour des raisons
également génétiques. Un gouvernement qui ne s’inquiète pas de savoir si les effets de tel ou
tel produit sur des catégories particulières de la population ont été convenablement testés ne
garantit pas l’égalité d’accès aux traitements efficaces.
Cet argument diffère quelque peu de celui qui consiste à dire qu’en protégeant certains
individus, les règles de déontologie leur barrent l’accès à des traitements qui, le plus souvent,
ont des chances de se révéler bénéfiques. On invoque ici le fait que certaines catégories de
personnes définies par leur sexe, leur origine ethnique, etc. réagissent, ou pourraient réagir,
différemment à une thérapie pour des raisons biologiques. Même si aucune femme en
particulier n’a connaissance de tel traitement expérimental ou ne cherche à en bénéficier, dès
lors que les autorités n’auront pas veillé à ce que des femmes participent aux tests, des
produits auront été approuvés sans prendre en compte leur utilisation possible par plus de la
moitié de la population. D’après nos discussions avec les membres du CIB, il semble que,
dans la pratique, ce problème se pose davantage dans certains pays que dans d’autres.
5.
Dans certains contextes, les règles exigeant le consentement éclairé du patient avant la
mise en route d’une thérapie expérimentale peuvent rendre toute recherche impossible, de
sorte que les malades se retrouvent, collectivement, encore plus menacés que si l’on avait
autorisé les recherches. Quand elle empêche d’améliorer les traitements de certains troubles,
l’application des principes de déontologie revient à refuser aux personnes souffrant de ces
troubles l’accès à une cure efficace.
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Chacune de ces revendications se prête à diverses variantes et nuances selon qu’on
prend en compte les cas où le patient est condamné à très brève échéance, l’existence d’autres
traitements efficaces, etc.. Nous nous en tiendrons dans le cadre de ce court essai à la version
que nous venons de présenter, même si l’accès aux traitements expérimentaux soulève
assurément d’autres problèmes encore.
Certains des arguments avancés touchent au problème de la répartition équitable d’une
ressource et supposent une analyse envisageant le traitement expérimental comme un bien
parmi d’autres biens. La question de savoir si l’on peut refuser l’accès à un traitement,
lorsque rien ne permet de penser que celui-ci serait bénéfique, est de toute évidence capitale.
On invoque aussi le respect du droit de tout individu en pleine possession de ses facultés de
décider par lui-même. Au nom de quoi la société s’autoriserait-elle à contester sa décision de
se prêter à une expérimentation ? D’autres arguments font intervenir le principe de la
bienfaisance. Ne devrait-on pas récuser les règles qui font obstacle à l’amélioration du
traitement de certaines maladies ? On le sait, ces trois principes - respect, justice et
bienfaisance - peuvent entrer en conflit dans diverses circonstances. Aucune méthode ne
recueillant l’unanimité ne permet d’en déterminer le poids relatif.
A.
Justice et participation aux protocoles expérimentaux : quelques repères
Nous prendrons comme point de départ la troisième revendication. Mais nous
voudrions tout d’abord réitérer les réserves émises au début de notre rapport. En matière
d’accès aux soins médicaux, le problème principal, à l’échelle du globe, est l’impossibilité
dans laquelle se trouvent quantité d’individus, dans les pays riches comme dans les pays
pauvres, de bénéficier de médicaments et de traitements dont l’efficacité est connue et que
d’autres, plus fortunés, peuvent obtenir sur-le-champ. Les nouveaux médicaments contre le
Sida fourniront un nouvel exemple de cette injustice familière.
L’incapacité d’offrir des soins de santé d’un niveau raisonnable à toutes les personnes
qui en ont besoin est expliquée principalement par le coût élevé de ces soins, mais on met
également en cause l’infrastructure médicale et l’absence de services dans de nombreuses
régions, à quoi s’ajoute parfois l’ignorance des malades. Il n’en est pas moins tragique que des
personnes meurent faute d’avoir reçu les soins médicaux qui auraient pu aisément les sauver.
La question de savoir si cette faillite constitue un manquement aux obligations
internationales en matière de droits de l’homme a fait elle-même l’objet d’une abondante
littérature.
Un grand nombre d’instruments internationaux et régionaux établissent
solidement le droit aux soins de santé élémentaires et le principe de l’accès sans
discrimination à ces soins. Il ne nous est pas possible de présenter ces textes sans allonger
excessivement notre rapport. Que nous ne nous y attardions pas n’enlève rien à l’importance
fondamentale de ce droit.
Offrir à chacun des soins de santé adéquats est un problème d’une telle ampleur et
auquel la communauté internationale apporte une attention si manifestement insuffisante qu’il
peut sembler futile de se demander si les traitements expérimentaux sont équitablement
répartis. Nombre des arguments avancés en faveur du droit aux traitements expérimentaux ne
sont pourtant que le corollaire du principe du droit à l’accès aux soins médicaux en général :
si les traitements expérimentaux ont de fortes chances de représenter un progrès par rapport
aux soins administrés habituellement, la justice, semble-t-il, commande qu’aucun obstacle
artificiel n’en limite l’accès (IEG 10 et commentaire).
On justifie cependant la pratique actuelle en faisant valoir qu’il peut être nécessaire de
restreindre temporairement l’accès à tel ou tel type d’intervention afin de s’assurer de son
efficacité, et que le coût de certains actes diminue au fil du temps. Dans un premier temps, les
nouveaux traitements (la transplantation de tissus osseux en est un bon exemple) ont tendance à
coûter très cher et à n’être accessibles qu’à un nombre extrêmement limité d’individus. Lorsque
la transplantation de moelle osseuse est devenue une opération courante, pratiquée par un plus
grand nombre de centres de soins, son coût a baissé et de plus nombreux malades ont pu en
bénéficier. Il en est de même des thérapies actuellement au stade expérimental (thérapie
cellulaire, thérapie génique ou traitements faisant appel à des produits biopharmaceutiques
coûteux). Leur introduction à très petite échelle et à un prix très élevé se justifie dans la mesure
où l’on compte qu’une fois bien maîtrisées, elles se répandront et coûteront moins cher.
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La revendication 3 met en avant la discrimination dont sont victimes les personnes
vulnérables du fait de la réticence à les prendre comme sujets de recherche. Son sens est
quelque peu différent. L’un des objectifs de la bioéthique a été de limiter le recours à des
personnes incapables de donner leur consentement. Ces restrictions ont été adoptées à la
lumière des leçons du passé : les pires abus dans l’histoire de la recherche médicale ont
toujours été commis à l’encontre des groupes vulnérables. N’avons-nous pas cependant poussé
trop loin l’interdiction de faire appel à eux pour des essais cliniques à visée thérapeutique ?
Si l’on peut considérer la possibilité de participer à des recherches médicales, avant
que les résultats en soient connus, comme un avantage - proposition qui ne fait pas l’unanimité
et que certains membres du CIB rejetteraient - il semble cruel de refuser catégoriquement cet
avantage à des personnes vulnérables telles que les enfants ou les malades mentaux. C’est ce
à quoi l’on aboutit en les jugeant inaptes à se prêter à quelque expérience que ce soit, même
quand les bénéfices semblent largement compenser les risques.
L’accès à un traitement expérimental d’une personne capable de consentir dépend
dans la plupart des cas d’un certain nombre de variables : les médecins qui la soignent, le lieu
où elle vit, son initiative et le simple hasard. Aux Etats-Unis d’Amérique, des efforts sont
faits pour divulguer les essais cliniques de traitements du Sida et d’un nombre croissant
d’autres maladies, de façon que les malades puissent se renseigner sur les études cliniques
existantes, par exemple en consultant Internet. Un projet de loi proposant la création d’un
registre a été présenté au Congrès. Si cette tendance se confirme, elle pourrait donner corps à
l’idée que chacun a le droit de bénéficier des traitements expérimentaux, ou du moins de se
faire inscrire sur une liste d’attente. A l’heure actuelle, les bénéficiaires de tels traitements
sont sélectionnés de manière plus ou moins aléatoire au sein des groupes que les chercheurs
considèrent comme représentants des sujets potentiels. Si les chercheurs décidaient
expressément d’exclure des groupes tels que les enfants ou les malades mentaux (ou encore
les femmes en âge de procréer), on pourrait véritablement parler de discrimination. Il n’y a pas
exclusion quand c’est le hasard qui décide.
Pour l’heure, les personnes incapables de consentir sont exclues des recherches
cliniques en vertu de règles qui interdisent à leurs tuteurs de les y faire participer lorsque ces
recherches peuvent être faites sur des personnes capables de donner leur consentement. De
plus, dès qu’il s’agit de personnes frappées d’incapacité de consentir, il faut prendre en
compte des notions complexes telles que celle de « risque minimal », etc.
Lorsque de telles personnes, ou leurs représentants, se plaignent d’une discrimination,
c’est par référence au double principe de la justice et de la bienfaisance. Pourquoi une personne
atteinte d’un trouble mental lié au Sida serait-elle empêchée d’essayer tel médicament qui
pourrait sauver sa vue ? Dès lors que d’autres volontaires « normaux » jugent que tel
traitement, tout bien pesé, mérite d’être tenté, pourquoi des parents ne pourraient-ils pas
postuler au nom de leur enfant ? L’importance que l’on accorde à ce problème varie nettement
selon que l’on estime réalistes les espoirs placés dans la recherche. Or les règles actuelles
partent semble-t-il du principe que les risques que fait courir un essai clinique sont dans la
plupart des cas plus grands que les possibles bénéfices thérapeutiques.
Les IEG prônent une position minimale, à savoir que si l’on permet un large recours à
des thérapies expérimentales mais prometteuses, dans le cadre de l’autorisation sous certaines
conditions de médicaments encore en cours d’expérimentation (programme « treatment IND »
de la Food and Drug Administration, FDA) ou de la distribution de tels médicaments en
« circuit parallèle », alors les malades mentaux doivent y avoir eux aussi accès. Mais le
commentaire est défavorable à la participation d’individus vulnérables à des « essais cliniques
formels ». Il ne défend ni cette participation ni la proposition voisine qui voudrait que les
individus vulnérables ne participent qu’à des recherches liées aux causes de leur incapacité.
On pourrait penser, toutefois, que la participation aux mêmes essais de personnes capables de
consentir offre quelque assurance que les personnes vulnérables ne sont pas exploitées.
Le débat sur la « bienfaisance » [beneficence] consiste à se demander si les mesures
visant à protéger les personnes incapables de donner leur consentement ne rendent pas
impossible toute recherche sur leurs troubles. A l’évidence, la réponse varie selon les
catégories de malades se trouvant dans cette incapacité. Du fait du vieillissement croissant de
la population, nous allons voir augmenter le nombre d’individus atteints de diverses formes de
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démence. Néanmoins, la maladie d’Alzheimer constitue un problème (et un marché lucratif)
d’une telle ampleur qu’il est peu probable qu’on s’en désintéresse. Par contre, on risque de ne
guère prêter attention aux enfants victimes de maladies pour lesquelles les adultes disposent
de thérapies et qui ne touchent que rarement des individus en bas âge. Les dépenses et les
tracas auxquels il faut faire face dès que l’on veut mettre au point des thérapies destinées aux
enfants, ou seulement vérifier si les thérapies conçues pour les adultes sont également
efficaces chez les enfants, semblent déjà trop lourds. Les obstacles supplémentaires résultant
de l’obligation d’obtenir le consentement des malades et de réduire les risques au minimum
durant la phase purement expérimentale des recherches pourraient inciter à baisser les bras.
B.
Le respect de la personne humaine
Les deux premières revendications consistent à dire qu’au nom du respect de la
personne humaine, il faut laisser les adultes en pleine possession de leurs facultés et bien
informés décider eux-mêmes s’ils souhaitent ou non participer à des thérapies expérimentales.
Tel n’est pas le cas aujourd’hui. Les pratiques actuelles reflètent l’idée qu’il incombe aux
autorités de mettre en balance le « droit » d’avoir accès à un traitement expérimental sans être
tenu de donner préalablement son consentement et le « droit » du public d’être protégé contre
les effets potentiellement nocifs de médicaments insuffisamment testés. Le drame de la
thalidomide est encore dans toutes les mémoires.
Le cas hypothétique ci-après met en lumière les problèmes que pose le compromis
adopté à l’heure actuelle. Un individu souffre d’une maladie ou d’un trouble qui risque
d’entraîner sa mort à très brève échéance ou dans un avenir relativement proche. Il souhaite
désespérément entreprendre un traitement médical novateur qu’un médecin (ou une équipe
médicale) est prêt à tenter dans le cadre d’un projet de recherche (ou accepte de s’y prêter à la
demande de ce médecin). Aux yeux de tierces parties convenablement informées, par exemple
un comité d’éthique ou l’organe national chargé de la réglementation, la procédure n’a guère
de réelles chances de réussir. De plus, elle n’a pas fait l’objet de tests adéquats et ne satisfait
pas encore aux conditions requises pour son expérimentation clinique. La demande
d’autorisation du chercheur est rejetée. Le patient se voit refuser l’accès à cette thérapie
expérimentale. Il meurt.
Un tel cas est-il fréquent ?
Curieusement, l’opinion publique est plus souvent alertée lorsque l’intervention a lieu,
alors même qu’elle est jugée risquée par le corps médical, que lorsque l’autorisation est
refusée. La controverse suscitée par les premières utilisations du coeur artificiel, ou la
transplantation d’un coeur de primate dans le corps d’un bébé, est sans doute une bonne
illustration de ce genre de situation. La tentative « héroïque » fait l’objet d’un battage
considérable ; elle échoue et des voix s’élèvent alors pour demander pourquoi le comité
d’éthique local (IRB) n’a rien fait pour l’empêcher.
Pourtant, il n’est pas rare que les chercheurs souhaitant tenter une intervention se
heurtent à un refus, ou s’entendent dire qu’elle est prématurée et que des patients meurent.
L’affaire ne reçoit guère de publicité parce que, dans la plupart des cas, le patient n’a eu à aucun
moment connaissance de la chance qui lui était ainsi refusée. On ne s’informe de son éventuel
consentement qu’après approbation du protocole par un comité d’éthique indépendant. De
fait, le « refus » est le plus souvent anticipé par le chercheur lui-même, qui juge inutile de
présenter une demande d’autorisation quand, par exemple, les tests sur des animaux ne sont
pas terminés ou que le produit ne satisfait pas à la réglementation nationale relative aux
procédures de fabrication. Les chercheurs préfèrent mener à terme les recherches préliminaires
plutôt que de soumettre des demandes d’autorisation ayant peu de chances d’être acceptées.
Un patient qui ignore que l’accès à un traitement expérimental lui a été refusé ne peut
évidemment pas faire valoir son droit à décider lui-même en vertu du principe de l’autonomie.
Rares sont les cas où le patient est si bien informé que son opinion personnelle influence le
cours des choses, comme ce fut apparemment le cas lorsqu’une tentative de transplantation de
moelle osseuse de babouin chez un malade infecté par le VIH a reçu le feu vert. Il est clair
cependant que quantité de patients ne peuvent bénéficier de recherches cliniques auxquelles
ils accepteraient de se prêter sans hésiter, parce que les chercheurs entendent se conformer
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aux règles prescrites. Il est difficile d’admettre que le droit d’un patient à faire valoir
librement ses intérêts, même dans des limites raisonnables, soit bafoué simplement parce que
les règles et pratiques en vigueur font qu’à aucun moment il n’a connaissance de ces intérêts.
En prenant fait et cause pour de telles personnes, on met toutefois en péril l’ensemble
du dispositif de protection contre les risques liés aux traitements expérimentaux. Les
mécanismes de contrôle institutionnels et réglementaires mis en place par la communauté
scientifique internationale, au nom de l’éthique, ont pour but d’empêcher les patients de se
prêter à certains traitements expérimentaux, à savoir ceux dont un comité indépendant estime
imprudent d’entreprendre l’étude sur des sujets humains, bien que des médecins s’y déclarent
prêts. Se peut-il qu’il soit « contraire à l’éthique » de se plier aux règles dictées par l’éthique ?
On pourrait justifier la décision de passer outre de la façon suivante. Nul doute que si
rien n’est tenté, le patient va mourir. Un membre du corps médical est d’avis que le traitement
expérimental offre un faible espoir. Quel doit être en la matière le souci de la communauté,
représentée par un comité d’éthique bien informé ? Supposons que le comité a raison dans
presque tous les cas et que l’intervention échoue presque toujours. Quel risque y a-t-il à
tenter l’intervention ? Il se peut que, de temps à autre, le comité se trompe. Après tout, ses
membres sont rarement mieux informés que le responsable de la recherche. (De fait, il peut
arriver aux Etats-Unis d’Amérique que ce soit la voix d’un spécialiste des problèmes
d’éthique et non celle d’un scientifique qui décide du vote final). Et une chose est sûre :
l’expérience sera riche d’enseignements.
Existe-t-il, du moins dans les démocraties libérales, une base juridique permettant
d’affirmer que l’Etat ne doit pas opposer son veto lorsqu’une personne sur le point d’être
emportée par une maladie, dont il n’existe aucun traitement connu, souhaite se prêter à un
traitement expérimental qu’un médecin ayant l’autorisation d’exercer estime bon
d’entreprendre dans le cadre d’un projet de recherche ? Aux Etats-Unis d’Amérique, deux
importantes juridictions fédérales ont récemment estimé que l’Etat ne peut, aux termes de la
Constitution, empêcher des membres du corps médical d’aider un patient jouissant de ses
facultés intellectuelles, dont l’état est désespéré et lui cause de grandes souffrances, à mettre
fin à ses jours (l’affaire est actuellement examinée par la Cour suprême des Etats-Unis
d’Amérique). Est-il normal aux termes de la constitution que l’Etat s’oppose à ce qu’un autre
médecin tente de soigner le même patient au moyen d’un médicament ou d’un traitement
expérimental, pour la simple raison que ce médicament ou ce traitement n’a pas été approuvé
par un comité ou par la FDA ?
L’un des arguments avancés à l’appui des procédures actuelles est que, dans bien des
cas, le remède est pire que la mort. Lorsqu’une intervention prolonge de deux mois la vie du
patient, mais que ce dernier est diminué par une attaque, le bénéfice est minime. De même, si
le patient subit des semaines durant une thérapie anticancéreuse éprouvante qui ne permet pas
de le sauver, les souffrances qu’il endure doivent être considérées comme un préjudice. Les
pratiques actuelles reposent sur l’idée qu’une personne à sa dernière extrémité n’est pas
toujours à même de juger si un sursis justifie le fardeau et les désagréments d’une
expérimentation nouvelle. Beaucoup, face à la mort, seront prêts à prendre n’importe quel
risque (et à payer n’importe quel prix sur le plan financier, d’où des risques de fraude). C’est
précisément parce que de tels patients sont incapables d’apprécier et d’accepter leur situation
qu’il est nécessaire de les protéger.
(Toutefois, si l’on accepte cet argument, on est amené à se demander s’il est juste de
mener des recherches sur des malades en phase terminale. S’il est vrai que ceux-ci ne sont
pas en mesure de juger par eux-mêmes de l’opportunité de participer à des recherches qu’un
comité n’approuverait pas, pourquoi leurs facultés intellectuelles seraient-elles différentes
quand les recherches proposées paraissent justifiées, en particulier lorsque le comité reconnaît
que certaines composantes offrent une faible chance de succès ?)
Il est cependant difficile de croire que c’est le souci d’éviter aux patients « un remède
pire que la mort » qui justifie l’intervention d’un comité d’éthique. Après tout, le comité
exerce les mêmes fonctions de supervision lorsque le patient est seulement malade, mais non
mourant. Peut-on affirmer que les malades soumis à une expérimentation ne sont jamais
capables d’apprécier la situation ? Prenons le cas d’un médecin (ou d’une équipe médicale)
qui, souhaitant lancer un protocole de recherches cliniques, se heurte au refus du comité.
Supposons que le comité ou l’organe chargé de la réglementation ait habituellement raison.
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Pourquoi son jugement prévaudrait-il si le patient - après avoir entendu ses arguments, quels
qu’ils soient - ne se range pas à son avis ? Les normes admises en matière de capacité d’une
personne adulte semblent s’inscrire en faux contre la pratique universelle qui consiste à laisser
le comité d’éthique (ou tout autre organe responsable, tel que la FDA) avoir le dernier mot.
La justification des pratiques actuelles, qui s’accorde le mieux avec la conduite réelle
des sociétés modernes, est de type utilitaire. Les mécanismes de supervision de la recherche
constituent un moyen rationnel de faciliter l’élaboration, l’expérimentation et la diffusion de
nouvelles thérapeutiques. Les déceptions infligées aux médecins et aux patients pressés
d’essayer de nouvelles approches sont le prix à payer pour le bien collectif que représentent la
confiance du public dans les institutions de la recherche et la possibilité de contrôler - et de
certifier - la validité des nouvelles approches thérapeutiques. Ces préoccupations sont d’autant
plus légitimes que le public finance une part substantielle de la recherche et de l’utilisation
ultérieure des produits et procédures considérés. La personne à qui l’on refuse aujourd’hui
l’accès à un traitement expérimental est bénéficiaire du bon fonctionnement passé du système
et ne peut exiger de la société qu’elle autorise de nouvelles thérapeutiques sans exercer un
contrôle.
Admettre qu’un individu ait le droit de tenter n’importe quelle intervention médicale
de son choix affaiblirait considérablement l’ensemble des règles d’éthique qui régissent la
recherche. Cela est inacceptable.
La deuxième revendication et le problème éthique que soulèvent les essais cliniques
dits contrôlés sont beaucoup plus délicats. ces essais sont controversés (comme en témoigne,
notamment, le refus des comités d’éthique de certains pays, dont la Tunisie et le Chili, de les
approuver). Il existe une abondante littérature sur ce sujet.
Contrairement aux cas où le patient veut aller plus vite que la collectivité ne l’estime
approprié, l’utilité de ces essais est reconnue par tous les spécialistes. La question est de
savoir s’il est moralement défendable d’administrer le nouveau médicament ou traitement à
certaines personnes et non à d’autres, en particulier lorsque tous les intéressés manifestent
leur préférence pour le nouveau traitement.
Bien que toutes sortes de variantes soient possibles, supposons qu’un patient souhaite
bénéficier d’une nouvelle thérapie prometteuse et que le comité d’éthique (ou l’organe chargé
de la réglementation) admette l’intérêt de cette thérapie et l’opportunité d’en vérifier
l’efficacité par rapport à un placebo ou à un traitement classique (laissant à désirer). Pour
corser l’affaire, imaginons que le patient est condamné à court terme et qu’il n’existe aucun
autre espoir de traitement. On ignore si la nouvelle thérapie améliorera ou non son état - et de
fait elle risque de l’aggraver - mais, sans elle, il est fort probable que le patient mourra
rapidement.
Est-il justifié d’un point de vue éthique de n’autoriser l’accès au nouveau traitement
que dans le cadre d’un essai contrôlé au cours duquel le patient court le risque réel de recevoir
un placebo ? En pareil cas, son état continuera de se dégrader inexorablement jusqu’à l’issue
fatale. N’est-il pas en réalité enrôlé d’office plus que volontaire ?
La littérature justifiant d’un point de vue déontologique les essais contrôlés met en
avant l’ignorance dans laquelle on est de l’efficacité du nouveau protocole. L’éthique exige
qu’il y ait « incertitude clinique absolue » [clinical equipoise]. Le chercheur n’a aucun
moyen de savoir si le traitement A est un meilleur choix que le traitement B ou l’absence de
traitement. Le nouveau traitement peut être pénible et comporte sûrement des risques, car il
est peu probable qu’un médicament sans aucun effet nocif ait un quelconque effet curatif. Du
reste, si le chercheur était fermement convaincu de la supériorité du nouveau traitement, il
devrait s’interdire de prendre part à l’essai clinique. Par conséquent, le tirage au sort ne prive
le patient d’aucun bénéfice avéré. Les patients reçoivent des traitements différents, mais rien
n’autorise a priori à préférer l’un plutôt que l’autre. Le préjudice qui leur est causé équivaut à
les contraindre de miser sur le rouge plutôt que sur le noir à la roulette, au lieu de leur en
laisser le choix. De tels choix vides de substance ont peu de poids aux yeux de la société face
à la nécessité de tester les nouveaux médicaments.
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De plus, l’histoire de la médecine regorge d’exemples d’essais contrôlés démontrant
que l’absence de traitement était de beaucoup préférable, contrairement à ce que le corps
médical était fortement tenté de croire. Qui eût cru que les fumeurs suivant un régime à base
de carotène se porteraient moins bien que ceux qui s’abstiennent de tels suppléments
alimentaires ?
Le débat sur l’accès aux traitements administrés par tirage au sort tourne essentiellement
autour de la validité de « l’incertitude » postulée. Revenons par exemple sur l’argument selon
lequel, en empêchant la plupart du temps les malades mentaux de bénéficier de traitements
expérimentaux, on fait preuve de discrimination à leur égard. En quoi cela est-il gênant que
l’on exclue les malades mentaux des essais contrôlés ? Puisque rien ne porte à croire qu’ils
pourraient retirer un bénéfice d’une telle participation, ils ne sont en rien lésés. Si ce postulat
est correct, l’argument en faveur de leur participation se borne à affirmer que l’Etat ne doit
pas s’immiscer dans les choix faits par un tuteur indépendant en lieu et place de la personne
frappée d’incapacité dont il a la garde. L’absurdité d’une telle proposition saute aux yeux,
quand on sait combien il est important de protéger les personnes sous tutelle d’éventuels abus
de leur tuteur.
Or, le postulat selon lequel nul ne « sait » rien de fiable tant qu’un essai clinique n’a
pas démontré la validité de telle ou telle hypothèse est contredit par la pratique quotidienne de
la médecine.
Il est exact que beaucoup d’essais contrôlés donnent des résultats déroutants.
Curieusement, c’est presque toujours à travers des anecdotes qu’on le découvre. Quel est le
pourcentage des médicaments parvenus à la phase III qui recevront finalement l’autorisation
de mise sur le marché ? La véritable question est de savoir si - et avec quelle fréquence - il
arrive que l’on procède à des essais contrôlés alors que des cliniciens parfaitement informés
seraient fortement enclins à estimer de beaucoup préférable d’administrer le nouveau
traitement au patient que de le laisser sans traitement ou de le traiter de la manière classique.
Dans de telles situations (qui représentent une fraction de l’ensemble des essais contrôlés),
quel est le pourcentage d’erreur des cliniciens ? On imagine mal qu’ils se trompent plus
d’une fois sur deux. Après tout, il doit être assez rare que des organismes commerciaux tels
que les laboratoires pharmaceutiques entreprennent des essais de phase III coûtant des
millions de dollars alors que leurs chercheurs sont réellement dans une « incertitude absolue »
quant à l’efficacité des produits testés.
Il importe également de noter que l’exercice de la médecine ne consiste pas - et ne
peut en aucun cas se réduire - à administrer un traitement ou un médicament dont l’innocuité et
l’efficacité ont été « prouvées » par des essais contrôlés. En premier lieu, la variabilité
biologique des patients est trop grande. Du reste, la quatrième revendication - participation
accrue des femmes à la recherche biomédicale - tire sa force de ce que les groupes sur
lesquels sont menées les recherches ne reflètent pas actuellement la composition de la
population. Les responsables des essais cliniques devraient s’assurer que les différentes
catégories de la population sont convenablement représentées. Deuxièmement, les nouveaux
médicaments sont (habituellement) testés sur deux groupes de patients pour une indication
donnée, puis mis sur le marché où ils sont vendus pour n’importe quelle prescription dont
l’expérience accumulée des médecins a révélé la pertinence. Il se peut que l’expérience clinique
impose des doses plus élevées que celles qui sont recommandées sur la notice, ou des
indications différentes de celles-ci.
Certes, les organes de contrôle s’efforcent de réglementer la promotion commerciale
des indications non mentionnées sur la notice. Une entreprise ne peut pas se prévaloir d’un
effet curatif qui n’a pas été dûment attesté. Néanmoins, une fois mis sur le marché, les
médicaments sont prescrits dans toutes sortes de cas où leur efficacité n’est d’aucune façon
démontrée. De fait, tel est précisément le sens de la quatrième revendication, « accès » des
femmes, des enfants et des minorités ethniques. Nul ne « sait » - au sens où la chose aurait
été « prouvée » par des essais contrôlés - si des médicaments qui se sont révélés efficaces sur
des individus blancs de sexe masculin ont le même profil thérapeutique au sein de populations
différentes. C’est ainsi que, sur le plan physiologique, les enfants ne sont pas de petits
adultes. Pourtant, la société se satisfait que la connaissance que les cliniciens ont de l’efficacité
de différents traitements utilisés en pédiatrie ne repose que sur leur seule expérience.
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Il est aisé bien sûr de justifier les essais contrôlés pour des raisons utilitaires. Il est
dans l’intérêt de la collectivité de mettre en oeuvre des procédures garantissant que les
nouvelles thérapies ont été convenablement testées avant d’être diffusées à grande échelle.
Quelque contrainte qu’il y ait à demander au patient souhaitant avoir accès à une nouvelle
thérapie d’accepter le risque de ne recevoir qu’un traitement fictif, elle est justifiée par le plus
grand bien qui résulte de sa contribution quasi involontaire. La société n’a même pas les
moyens de financer tous les traitements médicaux efficaces ; au moins doit-elle veiller à ne
pas financer des traitements inefficaces et à plus forte raison à ne pas exposer des milliers de
patients à leurs effets secondaires. Certains membres du mouvement pour la défense des
malades du Sida acceptent désormais cette vision des essais pharmacologiques. La politique
visant à faciliter une mise sur le marché rapide des médicaments a permis d’accroître l’accès
des patients aux nouvelles thérapies, mais ceux-ci ne savent trop quels médicaments prendre
ni à quel moment. Les nouvelles substances doivent être utilisées avec beaucoup de
précautions et peuvent avoir de graves effets secondaires. Il est très difficile d’obtenir des
données de recherche fiables une fois que toutes sortes de médicaments se sont largement
répandues. Peut-être, est-il donc préférable de les tester avant leur diffusion, quitte à en
refuser l’accès le temps que durent les essais.
Il est toutefois quelque peu incongru de défendre les essais contrôlés en invoquant des
arguments utilitaristes. Tout l’édifice de la déontologie de la recherche repose sur l’idée que
la société n’a pas le droit de soumettre une personne à une expérimentation sans avoir dûment
obtenu son consentement. Aux yeux de beaucoup, les essais contrôlés ne sont acceptables
que sur la base du strict respect des droits de la personne humaine. Dès lors que le
consentement est à proprement parler involontaire, la pratique est condamnable. Pour ceux
qui défendent ce point de vue, l’analyse conduisant à affirmer que nul n’a « droit » à un
traitement dont l’efficacité n’est pas démontrée est décisive, car elle semble dispenser de
l’obligation d’obtenir le consentement des intéressés dans le cas de traitements expérimentaux
accessibles seulement de manière discrétionnaire.
Que l’on estime ou non problématiques les justifications éthiques des essais contrôlés
selon la méthode du double aveugle (et il est clair que la plupart des membres du CIB n’y
voient pas d’objection), on est amené à se demander si l’explosion des technologies de
l’information à l’échelle mondiale n’en limitera pas l’utilisation à l’avenir, du moins pour des
maladies qui, comme le Sida, bénéficient d’une très grande publicité. L’Internet permet à des
patients souffrant d’une même maladie d’entrer en contact pour partager leur expérience dans
des groupes de discussion [chats] ouverts à tous. Si toutes les personnes participant à un essai
clinique sont en mesure de discuter des symptômes qu’elles présentent après les prises de
médicaments et d’obtenir des informations récentes sur les effets secondaires connus de la
composante active de l’étude, les membres du groupe recevant un placebo ne risquent-ils pas
de s’en rendre compte ? Et si cela se produit, continueront-ils de se soumettre loyalement à
l’expérimentation ou se tourneront-ils vers d’autres centres de recherche ? Comme le fait
observer Herranz Rodriguez (voir Volume 2 des présents Actes), les règles d’éthique modernes
obligent à indiquer au patient qu’il n’est pas tenu de se prêter à l’expérience jusqu’au bout.
Il est possible cependant que, tout en rendant les essais contrôlés plus difficiles, les
technologies de l’information offrent un moyen important de les compléter. Le regroupement
des informateurs médicaux donne de meilleures chances de mesurer de manière suivie les
effets sur la santé de tel ou tel traitement. On pourrait collecter des informations bien plus
nombreuses sur chaque type de prescription d’un médicament et les mettre sur ordinateur. Le
jour viendra sans doute où nous devrons nous demander si cela est compatible avec le respect
de la confidentialité des données.
C.
La bienfaisance
Venons-en à la cinquième revendication, à certains égards la plus épineuse. Proscrire
au nom de la déontologie tous les moyens envisageables de tester de meilleurs traitements,
c’est empêcher quiconque d’avoir accès à ces traitements. Lorsqu’il est impossible, d’un
point de vue pratique, de mener tel ou tel type de recherches pour un coût raisonnable sur des
malades capables de donner leur consentement, alors même que la plupart des sujets
potentiels considéreraient ces expériences comme dictées par le bon sens et, s’ils en avaient la
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possibilité, se prononceraient à une large majorité pour leur participation aux recherches,
pourquoi ne les entreprendrait-on pas malgré tout ? Shapiro et Lachmann posent implicitement
la question lorsqu’ils remarquent que les grandes avancées en matière de santé publique que
furent les premiers vaccins n’auraient pas été possibles s’il avait fallu se conformer aux règles
de déontologie actuelle (voir Volume 2 des présents Actes).
Il est bon de réfléchir aux observations formulées par le Professeur Lachmann lors
d’une discussion de groupe sur le problème de l’accès. Tant les définitions plus strictes de
l’autonomie de l’individu que l’impératif absolu qu’est la nécessité d’obtenir son
consentement éclairé peuvent entrer en conflit avec les exigences de la santé publique et il
faut donc trouver une solution de compromis. Le conflit est particulièrement délicat s’agissant
des maladies infectieuses. Le plus souvent, les vaccins sont testés dans des conditions réelles
sur des enfants trop jeunes pour donner leur consentement éclairé. Les programmes de
vaccination visant l’éradication totale d’une maladie infectieuse (éradication réussie pour la
variole, en bonne voie pour la poliomyélite et envisageable pour d’autres maladies, en
particulier la malaria) nécessitent des tests à grande échelle. Même si l’éradication de la
malaria n’est pas encore possible aujourd’hui, l’approche la plus prometteuse est sans doute
celle de vaccins bloquant la transmission dirigés contre les formes sexuées du parasite. Les
personnes ainsi vaccinées n’en tireront aucun bénéfice direct. Mais leur sang infectera les
moustiques qui les piquent, protégeant ainsi d’autres personnes de la contamination. Si cette
approche réussit, les tests devront être conduits sur de vastes échantillons de population, qui
devront accepter les risques d’effets secondaires.
Le débat récemment engagé aux Etats-Unis d’Amérique dans le domaine des
politiques publiques sur l’opportunité et la manière d’élaborer des règles particulières
s’appliquant aux situations d’urgence éclaire également ce problème (US Dept. of Health &
Human Services, FDA, Fed. Register, 1995).
Chaque année, approximativement 350.000 personnes aux Etats-Unis d’Amérique sont
victimes d’un arrêt cardiaque soudain. La plupart meurent et beaucoup d’autres souffrent de
complications laissant des séquelles irréversibles, telles que des lésions cérébrales. Chez les
patients qui survivent, le risque d’un nouvel accident cardiaque est élevé et la protection
offerte par un défibrillateur-cardioverter facile à implanter témoigne des importantes avancées
qui sont possibles. L’une des plus grandes difficultés est de réussir à améliorer le taux de
survie initiale chez des sujets qui sont généralement incapables de réagir et de communiquer.
Actuellement, malgré les efforts déployés pour enseigner à la population des notions
élémentaires de secourisme (c’est-à-dire les méthodes classiques de réanimation cardiopulmonaire), un faible pourcentage seulement des personnes victimes d’un arrêt cardiaque
brutal hors de l’hôpital sont réanimés par des témoins de l’accident. L’hospitalisation n’en
sauve qu’un petit nombre. Le pourcentage des survivants ne dépasse pas 1 à 3% dans
certaines grandes agglomérations et se situe dans les meilleurs des cas aux alentours de 25%
seulement. Etant donné le grand nombre d’arrêts cardiaques soudains enregistrés chaque
année aux Etats-Unis d’Amérique, la moindre amélioration dans les soins proposés pourrait
permettre de sauver quantité de vies.
Les méthodes de réanimation cardio-pulmonaire classiques ont été mises au point en
grande partie sur la base de notions mécanistes et théoriques. Leur amélioration ou leur
évaluation rigoureuse sont compliquées par la difficulté d’obtenir l’autorisation de mener des
études sur les personnes victimes d’un arrêt cardiaque hors de l’hôpital. L’incapacité dans
laquelle sont la plupart de ces personnes de fournir le consentement éclairé requis a été un
important obstacle à l’évaluation des options de traitement utilisées dans d’autres pays ou des
techniques nouvelles conçues aux Etats-Unis d’Amérique.
Est-il acceptable de soumettre des patients inconscients, qui sont en danger de mort, à
des essais contrôlés visant à évaluer de nouvelles techniques de réanimation, dont certaines
comportent des procédures fortement invasives et risquent de causer le décès immédiat du
sujet ? La Food and Drug Administration a publié un projet de réglementation (adopté depuis)
autorisant les recherches (sous contrôle spécial du comité d’éthique local) même quand il est
impossible d’obtenir le consentement éclairé du patient ou de le donner en son nom. Les
documents de la FDA et les arguments qui y sont avancés s’efforcent de s’aligner sur les
règles de déontologie classiques, mais il est difficile de ne pas conclure que les décideurs, les
chercheurs et, dans une certaine mesure, le reste de la collectivité ont décidé de passer outre à
11
ces règles, parce qu’elles empêchent de parvenir à des résultats satisfaisants. Il n’est pas bon
d’entraver la recherche dans des domaines de cette importance. Si la nécessité d’obtenir un
consentement éclairé empêche d’aller de l’avant, alors il faut reconsidérer cette règle.
Jusqu’où peut-on à bon droit s’avancer sur cette voie dans d’autres cas, en invoquant les
mêmes raisons ? S’il est par exemple absolument indispensable de tester un vaccin, bien que
cela implique d’exposer des tiers à certains risques, n’est-il pas également légitime de le faire ?
Et qu’en est-il des recherches menées sur des maladies locales propres à certains pays
en développement, où les individus dont la coopération est requise ne sont pas à même de
comprendre les procédures utilisées, ou les risques encourus ?
Une fois que l’on renonce à l’idée que le consentement des intéressés est un impératif
absolu, il n’y a plus de limites claires. Néanmoins, on ne peut sans graves conséquences se
désintéresser des problèmes de santé publique ou du sort des malades.
II.
Droit, déontologie et accès aux traitements expérimentaux
L’élaboration et la large reconnaissance par la communauté internationale de règles
d’éthique particulières régissant l’expérimentation biomédicale sur des sujets humains
représentent, à maints égards, une remarquable victoire pour tous ceux qui ont défendu la
cause de la bioéthique depuis l’après-guerre.
Sur des questions telles que l’avortement, l’euthanasie ou la procréation artificielle, il
n’y a guère de principes fondamentaux qui fassent l’unanimité et différentes sociétés ont
adopté des positions fortement divergentes. Il existe en revanche un large consensus en ce qui
concerne l’expérimentation sur des sujets humains : de telles recherches ne doivent être
entreprises qu’après examen d’un protocole par un comité indépendant, consentement éclairé
des participants et mise en place de mesures de protection spéciales pour les individus
incapables de consentir du fait de leur trop jeune âge, de leur état de santé ou d’un trouble
mental.
A notre connaissance, nul au sein de la communauté scientifique internationale ou des
organes gouvernementaux compétents ne conteste le bien-fondé de ces principes.
De plus, ce consensus ne repose pas sur un ou deux rapports internationaux ou sur des
législations nationales que le reste du monde aurait acceptés avec indifférence, personne ne
s’inquiétant vraiment des problèmes de fond ainsi soulevés. L’extraordinaire, s’agissant de la
bioéthique, est de constater combien ces enjeux moraux trouvent un écho partout dans le
monde. Ces préoccupations ont donné lieu à une avalanche de rapports internationaux et
nationaux, émanant aussi bien de commissions indépendantes que d’associations
professionnelles, ainsi qu’à des textes législatifs et à des décisions des tribunaux. Sur les
questions centrales de la légitimité de la recherche scientifique et médicale et des critères
fondamentaux à respecter à l’égard des patients, le monde s’exprime semble-t-il d’une même
voix. La recherche scientifique et médicale est une activité importante qui doit aller de
l’avant, mais elle doit le faire dans le respect des principes fondamentaux de la dignité
humaine. La future déclaration universelle sur le génome humain et les droits de la personne
humaine est une autre puissante manifestation de cette conviction.
Les observateurs doivent cependant rester prudents quand l’unanimité se fait sur des
problèmes aussi complexes. Tout d’abord, que ces principes fassent l’objet d’un consensus
ne signifie pas qu’ils sont effectivement appliqués par les instances chargées de superviser la
recherche. Dans de nombreuses régions du monde, rares sont les personnes qui ont une
formation suffisante dans le domaine de l’analyse des protocoles expérimentaux et de
l’éthique de la recherche pour assumer pleinement les responsabilités que cela suppose.
Même dans les sociétés où cette pénurie n’existe pas, on est fondé à se demander si les
comités locaux sont en mesure de s’acquitter de leur tâche dans le laps de temps qu’ils y
consacrent. L’intervention des comités indépendants se borne parfois à donner un coup de
tampon. C’est ainsi qu’aux Etats-Unis d’Amérique, un récent rapport gouvernemental a
épinglé les comités d’éthique, estimant que le temps dont ils disposent est sans commune
mesure avec l’ampleur de leur tâche (United States General Accounting Office, 1996).
Toutefois, l’essentiel, du moins à nos yeux, c’est que l’existence même d’institutions et de
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procédures de contrôle a permis une amélioration spectaculaire des projets de recherche
soumis par les médecins et autres chercheurs et d’accroître les chances que les recherches
soient effectuées dans le respect des droits des personnes qui s’y prêtent.
Le fait que les principes de déontologie jouent un rôle de « facilitation » appelle une
deuxième réserve. Ces principes n’ont pas seulement pour effet de fixer des limites à l’action
des scientifiques et des médecins (même si, bien entendu, ils remplissent cette fonction).
Tout aussi important, ils avalisent certains types de recherches. Ils tracent une voie que les
chercheurs sont autorisés à suivre. Tant que ceux-ci ne s’en écartent pas, ils ont l’assurance
d’agir avec l’approbation de la société. En l’absence de telles règles formelles, comme c’était
le cas avant la deuxième guerre mondiale, il était beaucoup plus difficile de savoir dans quelle
mesure on pouvait se permettre de faire sciemment courir des risques à des tiers et quelles
seraient les réactions si des personnes étaient blessées ou décédaient au cours d’un projet de
recherche. Des expériences étaient faites, certes, mais nul ne savait trop à quoi il s’exposait
sur le plan professionnel ou juridique en cas d’accident. Lorsque le doute plane sur la
légitimité réelle de leur activité, les chercheurs préfèrent mener leurs investigations là où elles
passeront inaperçues, c’est-à-dire au sein des groupes les plus vulnérables de la société. Le
sort des handicapés mentaux, des sans-abris, des malades de l’assistance publique ne fait
l’objet d’aucun contrôle strict et c’est ce qui explique que les plus graves abus en matière de
recherche ont toujours été commis à leur encontre.
De nos jours, le chercheur respectueux des principes d’éthique peut agir en plein jour.
Mais la question de l’accès aux traitements expérimentaux risque de se trouver escamotée
dans la recherche d’un consensus entre la communauté des chercheurs et le reste de la
collectivité. La liste des maladies et troubles nécessitant des recherches est hélas interminable.
Pour la communauté scientifique dans son ensemble, le principal est d’avoir les moyens de
travailler sur des problèmes importants et intéressants. Si les règles régissant la recherche
rendent beaucoup plus difficile et coûteux de s’intéresser à certains types de problèmes - par
exemple les problèmes de santé liés aux maladies mentales - qu’à d’autres - les maladies
cardio-vasculaires, par exemple - les chercheurs peuvent être tentés d’accorder une attention
disproportionnée aux seconds. Les perdants seraient en pareil cas les personnes souffrant de
maladies dont les chercheurs se désintéresseraient parce qu’il est impossible de procéder à
certaines expériences ou parce que le temps et les efforts qu’il faudrait préalablement
consacrer à des considérations d’ordre éthique paraissent démesurés. Et quand ces malades
négligés appartiennent à des catégories vulnérables et privées de pouvoir, les décisions
politiques prises par le reste de la communauté ne tiennent pas toujours convenablement
compte de leur situation. La société veut avoir la garantie que les terribles abus qui furent
monnaie courante dans le passé ne se reproduiront plus. Cela ne change toutefois rien à
l’isolement des personnes vulnérables qui a été en grande partie à l’origine de ces abus.
Les organismes tels que le Comité international de bioéthique ont donc un rôle
important à jouer en déterminant qui sont les bénéficiaires et les laissés-pour-compte, dans un
monde dont les règles n’autorisent pas l’égalité d’accès aux thérapies expérimentales, et en
alertant l’opinion lorsque c’est précisément aux membres les plus vulnérables de la société
qu’est refusé cet accès.
Enfin, l’existence d’un consensus ne veut pas dire que tous les pays apportent les
mêmes réponses aux différents problèmes soulevés par la recherche. De brèves études
décrivent la situation aux Etats-Unis d’Amérique (Katz, 1997), en Suède (Fuxe, 1997) et en
Tunisie (Hamza, 1997) (voir le Volume II des présents Actes). Il est intéressant de comparer
ces pratiques avec celles que nous connaissons au Chili.
En Tunisie, c’est le Ministère de la santé qui réglemente la recherche clinique ; au
Chili et en Suède, ce sont des comités basés dans les différents hôpitaux. Aux Etats-Unis
d’Amérique, il existe aussi des comités d’éthique locaux (IRB) mais, du point de vue du droit
fédéral, leur autorisation n’est strictement nécessaire que pour les projets financés par le
gouvernement fédéral et les expériences relevant de la législation sur les produits alimentaires
et pharmaceutiques (produits biologiques, médicaments, appareils médicaux). Dans la pratique,
toutefois, presque tous les projets de recherche médicale formels entrepris aux Etats-Unis
d’Amérique le sont après approbation d’un IRB.
13
En Tunisie comme au Chili, il est interdit de rétribuer financièrement les personnes se
prêtant à une expérimentation. Il est également interdit de mener des recherches sur des
personnes dépendantes et de réaliser des essais cliniques sur des femmes enceintes. Tout cela
est autorisé aux Etats-Unis d’Amérique dans certaines circonstances. De plus, il est possible
aux Etats-Unis d’Amérique de mener des recherches sur des malades en phase terminale, ce
qui n’est pas le cas en Tunisie et au Chili. Les essais contrôlés sont la méthode utilisée de
préférence aux Etats-Unis d’Amérique pour vérifier l’innocuité et l’efficacité des nouveaux
médicaments. La pratique consistant à tirer au sort les patients qui feront partie de chaque
groupe a également cours en Suède, où l’on admet cependant qu’elle soulève des questions
délicates. Au Chili, en revanche, les comités d’éthique des hôpitaux universitaires autorisent
rarement le tirage au sort et l’administration de placebos.
Nul doute que s’il fallait examiner les règles appliquées dans un plus grand nombre de
pays, on serait amené à dresser un tableau d’une grande complexité sur des aspects tels que la
réglementation des recherches cliniques menées sur des sujets souffrant de troubles mentaux,
des enfants ou des patients en phase terminale. Or, ce sont ces règles qui décident quelles
catégories de personnes n’ont pas accès aux traitements expérimentaux, ce qui constitue, à
notre sens, un aspect capital du problème. Est-il juste de dire qu’il existe un consensus quand
les dispositions varient à ce point dans le détail ?
Il nous semble cependant que, quelle que soit la diversité des mesures particulières,
elles participent toutes du même esprit. On est frappé par la similitude des procédures de
contrôle et des organes chargés de les appliquer, malgré les différences considérables sur
d’autres aspects touchant à la culture et aux traditions médicales.
A.
Les instruments internationaux
Le consensus en matière d’éthique et de procédures de recherches se fonde sur la
convergence des normes juridiques et des normes professionnelles. Le point de départ
historique, du point de vue du droit international, fut le Code de Nuremberg, proclamé en
1947 par un tribunal international qui jugeait des médecins nazis accusés d’avoir tué ou
mutilé des personnes sur lesquelles ils prétendaient mener des recherches. Les juges
énoncèrent dans l’exposé de leurs motifs les règles et normes professionnelles qui leur étaient
apparues recueillir une large approbation concernant les cas où il était acceptable
d’entreprendre des recherches risquant d’entraîner des dommages physiques. Mais le Code
n’avait trait qu’à des expériences dont aucun individu ne retirait un bénéfice et visait à
déterminer si des actes que l’on pouvait qualifier par ailleurs de violences (ou d’homicide) se
justifiaient dès lors qu’ils étaient commis à des fins scientifiques. Non, dirent les juges, à
moins que certains critères rigoureux soient respectés (Cruz-Coke, 1994). Il n’est pas certain
pour autant que le Code s’applique à des recherches dont le sujet peut retirer un bénéfice.
Les faits jugés à Nuremberg n’avaient, on ne saurait trop le souligner, rien de commun
avec des recherches médicales menées dans un cadre thérapeutique. De plus - et peut-être
pour cette raison - le Code de Nuremberg ne dit mot des circonstances dans lesquelles on
pourrait éventuellement autoriser des recherches thérapeutiques sur des personnes dans
l’incapacité de consentir. Il n’est rien dit du consentement par procuration.
Même si le Code de Nuremberg n’aborde pas les questions de fond posées par le
problème de l’accès aux traitements expérimentaux, le caractère absolu des interdits qu’il
proclame continue d’influer sur les esprits. C’est ainsi qu’il semble proscrire les recherches
non thérapeutiques comportant un risque grave lorsqu’il n’est pas possible d’obtenir un
véritable consentement. (A l’inverse, on pourrait faire valoir qu’il autorise les recherches non
thérapeutiques ne faisant courir qu’un risque « minimum », les intentions du chercheur ne
pouvant dans ce cas être présumées criminelles, puisqu’il est peu probable qu’il en résulte un
dommage physique.) La position que le Code défend apparemment - de manière seulement
implicite - est largement approuvée dans la littérature et a trouvé un écho dans de nombreux
documents nationaux et internationaux ultérieurs. Les IEG admettent toutefois, dans certaines
circonstances, que l’on entreprenne de telles recherches lorsque le risque est « légèrement »
supérieur au risque minimal.
14
Le point important est que cette position découle directement des principes des droits
de l’homme, plutôt que d’une réflexion visant à déterminer si ces principes rendent certains
types de recherches difficiles ou impossibles, ou à qui l’abandon de ces recherches serait
bénéfique ou préjudiciable. On peut par exemple douter sérieusement qu’il soit acceptable,
dans quelques circonstances que ce soit, de procéder à des essais de médicaments
anticancéreux sur des enfants au cours de la phase I. Si ces essais ont pour objet de déterminer
les dosages appropriés, et que la pratique consiste à essayer d’abord des doses faibles puis à
les augmenter progressivement, les chances qu’un enfant en retire un bénéfice à ce stade sont
infimes. Est-ce une raison pour renoncer à tester et améliorer les nouveaux traitements du
cancer sur des enfants ? L’habitude de qualifier de tels essais de « thérapeutiques » frôle
l’abus de langage (Ackerman, 1995).
L’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté par les
Nations Unies en 1966 et entré en vigueur en 1976, est le deuxième grand instrument
international qui ait traité de l’expérimentation. Il est rédigé comme suit :
« Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou
dégradants. En particulier, il est interdit de soumettre une personne sans son libre
consentement à une expérience médicale ou scientifique. »
Plus de cent Etats ont accepté cette disposition. Sa portée est problématique. On peut
l’interpréter comme ne proscrivant que les expériences qui, par leur nature même, méritent
d’être qualifiés de torture ou de traitement cruel, inhumain ou dégradant. Sont condamnables
les expériences qui peuvent être assimilées à un acte de torture. Cette lecture étroite explique
pourquoi l’article 7 ne dit rien du consentement par procuration ou des recherches sur des
sujets frappés d’incapacité.
Ainsi interprété, l’article 7 ne fait pas obligation aux Etats de réglementer la recherche
clinique ou de se préoccuper de manière plus générale du problème de l’accès aux traitements
expérimentaux. Il est pourtant difficile de défendre cette interprétation limitée. Les principes
juridiques courants condamnent les comportements pouvant être qualifiés de torture ou de
traitement dégradant, même quand il y a consentement des intéressés. L’article 7 repose sur
l’idée que les expériences médicales sont condamnables en l’absence de consentement, mais
légitimes quand celui-ci a été donné. On peut donc faire valoir que le fait de « soumettre » des
personnes à une expérience sans leur consentement « libre et éclairé » est en soi dégradant
(Katz, 1993).
S’il est interdit de « soumettre » un individu à une expérience médicale sans son
consentement, parce qu’une telle pratique constitue un traitement dégradant, l’article 7 peut
être appliqué à de nombreux cas de figure. Est-il légitime de mener des recherches sur des
enfants ou des personnes n’ayant pas la capacité de consentir lorsque leur représentant donne
son « libre consentement » ? Est-il acceptable de conduire certaines recherches dans des
situations d’urgence au nom d’une théorie qui délègue le consentement aux responsables
politiques ?
Enfin, où s’arrête la notion d’« expérimentation » ? Pour prendre un exemple extrême,
mais en rapport avec le thème de la présente réunion du CIB, peut-on soutenir que lorsqu’un
gouvernement autorise la mise sur le marché à titre expérimental de nouveaux produits
alimentaires issus de manipulations génétiques, en conformité avec les dispositions
réglementaires obligeant à contrôler strictement l’absence de tout effet indésirable, il traite,
dans les faits, les consommateurs comme des sujets d’expérimentation ? L’hypothèse testée
peut se formuler grosso modo comme suit : « au bout de quelques jours, la fraction de la
population qui consomme tel produit ne se différenciera en rien, sur le plan médical, de celle
qui n’en consomme pas ». Le consentement du consommateur est-il nécessaire ? Suffit-il
pour l’obtenir de l’avertir de la nature du produit sur les étiquettes ?
Les concepts de « recherche », « expérimentation », etc. présentent des ambiguïtés
considérables que la littérature sur l’éthique de la recherche n’a pas levées de manière
satisfaisante.
Il faudra à cet égard décider de la portée qu’il convient d’attribuer à l’article 7. Si cet
article est interprété au sens large, le sens donné au mot « recherche » devra être précisé, de
façon que, par exemple, l’adoption d’une nouvelle politique régionale de l’environnement ne
15
soit pas assimilée à une expérience scientifique du seul fait que les décideurs sont résolus à
évaluer les effets de leur action et à tirer de leur enquête des conclusions susceptibles d’être
généralisées.
Des accords régionaux peuvent également influer sur l’accès aux traitements
expérimentaux. C’est ainsi que le Projet de convention sur la bioéthique élaboré en juin 1996
par le Conseil de l’Europe comporte des dispositions qui interdisent d’entreprendre des
recherches sur des personnes n’ayant pas la capacité d’y consentir, à moins de satisfaire à
certains critères très stricts. L’un de ces critères, qui nous est familier, est qu’il faut que les
recherches ne puissent être menées à bien sans leur concours. Si l’hypothèse testée peut l’être
avec des sujets capables de consentir, il ne peut être fait appel à des individus privés de cette
capacité. Ce projet de convention exclut les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ne
jouissant plus de toutes leurs facultés intellectuelles des recherches visant à déterminer si un
nouveau médicament peut améliorer leur état dès lors que les propriétés de ce médicament
peuvent être testées sur des sujets atteints de la même maladie, mais ayant conservé leur
capacité de consentir. Si cette lecture de la convention est correcte, on est fondé à se
demander pourquoi il faudrait refuser aux individus les plus gravement malades les bénéfices
pouvant résulter d’une nouvelle thérapie durant la longue période qui s’écoule entre les
premiers tests et l’autorisation finale de mise sur le marché.
Doit-on prendre en considération le fait que des représentants des personnes souffrant
de la maladie d’Alzheimer approuveraient la restriction proposée, ou s’y opposerait avec
véhémence ? Une solution pratique pourrait consister à admettre qu’un médicament qui paraît
prometteur peut être administré en dehors du protocole formel. Mais sur quelles bases ? Les
réactions de chaque patient à tel ou tel médicament ne sont-elles pas également riches
d’enseignement ?
Pour compliquer encore les choses, on peut se demander si le bénéfice que retire le
patient des essais cliniques doit ou non être pris en compte pour décider si les recherches
peuvent être menées sur des personnes incapables de donner leur consentement. La révolution
des biotechnologies a multiplié les nouvelles approches des maladies difficiles à traiter et il peut
très bien se faire qu’il n’y ait pas suffisamment de patients pour les tester toutes, ou du moins
pour tester les indications offrant les meilleures chances de fournir rapidement des informations
claires sur l’efficacité d’un médicament. Comment interpréter la convention lorsqu’il apparaît
théoriquement possible de tester l’hypothèse de recherche sur des patients capables de donner
leur consentement, mais que ceux-ci sont beaucoup plus difficiles à recruter parce qu’ils se
prêtent déjà à d’autres essais cliniques ? On peut imaginer des variations infinies sur ce thème.
B.
Les législations nationales et le droit aux traitements expérimentaux
La portée des instruments internationaux en matière d’accès aux traitements
expérimentaux peut sembler incertaine, mais les nations ont aussi leurs propres lois visant à
résoudre ces mêmes problèmes. Comme on pouvait s’y attendre, ces lois diffèrent entre elles.
A titre d’exemple, l’Article 54(1) de la Constitution de la Hongrie fait écho à l’Article 7 du
Pacte international relatif aux droits civils et politiques ; la France s’est dotée d’une
législation détaillée concernant l’expérimentation sur des sujets humains ; et cette dernière est
réglementée aux Etats-Unis d’Amérique par un arsenal complexe de textes comprenant des
lois fédérales (et d’autres propres à certains Etats), des règlements administratifs et des règles
de common law.
Il n’existe pas à notre connaissance de source regroupant toutes les législations
pertinentes dans le monde. Voir cependant la compilation excellente, bien qu’incomplète, de
Kelley et al. (1993).
Les législations nationales peuvent s’adapter plus aisément que les traités internationaux
à l’évolution de l’opinion concernant le problème de l’accès aux traitements expérimentaux.
Aux Etats-Unis d’Amérique, les préoccupations que ce problème suscite ont largement
influencé de récentes décisions politiques. C’est ainsi que la FDA a considérablement révisé ses
méthodes d’évaluation des traitements du Sida et annoncé qu’elle appliquerait des procédures
tout aussi rapides pour des médicaments destinés à soigner d’autres maladies graves (Edgar et
Rothman, 1990).
16
Lois et règlements témoignent d’une attention nouvelle portée aux problèmes de santé
de la population féminine (US Dept. of Health and Human Services (NIH), Fed. Register,
1995). Une révision des règles en vigueur en vue d’autoriser des recherches dans les
situations d’urgence sans le consentement classique est en voie d’aboutir (US Dept. of Health
and Human Services (FDA), 60 Fed. Register, 49086-49103, 1995).
La FDA a d’ores et déjà autorisé les IRB à approuver l’utilisation de « dispositifs à
usage humanitaire » [humanitarian use devices] pour soigner des troubles affectant moins de
4.000 individus par an et sans qu’il soit nécessaire aux termes de la législation fédérale
d’obtenir le consentement éclairé des patients. L’innocuité et l’efficacité de ces dispositifs ne
sont pas contrôlées par la FDA et leur utilisation n’est pas considérée comme relevant de la
recherche, même s’il s’agit « d’encourager la découverte et l’utilisation » de dispositifs
permettant de traiter des affections rares (US Dept. of Health and Human Services (FDA),
61 Fed. Register, 33232-33248, 1996).
Enfin, en vertu d’une dérogation aux règles régissant la recherche, le gouvernement
des Etats-Unis d’Amérique peut administrer au personnel militaire, sans son consentement
éclairé, des substances « expérimentales » destinées à le protéger contre des attaques à l’arme
chimique (Doe v. Sullivan, 938 F.2d 1370, D.C. Cir. 1991).
Reste à savoir si le débat sur l’accès aux traitements expérimentaux exercera une
influence comparable sur les politiques nationales d’autres pays.
C.
Les normes éthiques
La Déclaration d’Helsinki, adoptée par l’Association médicale mondiale en 1964 et
amendée à plusieurs reprises depuis, est le principal texte de référence de la profession en
matière d’éthique de la recherche, même si bon nombre de disciplines médicales disposent de
leurs propres directives. Et, naturellement, une part considérable de la littérature consacrée
aux problèmes philosophiques et éthiques a trait à la recherche. Depuis les années 70 et la
publication du rapport Belmont (Katz, 1996), les problèmes d’éthique de la recherche sont le
plus souvent analysés à la lumière des « trois principes » - respect, bienfaisance et justice postulés dans ce document. De nombreux travaux ont tenté de déterminer si ces principes, ou
leurs équivalents, étaient communs à la plupart des traditions culturelles (Gillon, 1994).
S’agissant de la Déclaration d’Helsinki, il convient tout d’abord de souligner qu’elle
visait à proposer des règles de déontologie en harmonie avec le Code de Nuremberg, mais
aussi à énoncer des principes complémentaires sur des aspects que celui-ci n’avait pas abordés
explicitement.
Aussi, constate-t-on de nombreuses différences entre la Déclaration d’Helsinki et le
Code de Nuremberg. En particulier, le second décrit la recherche comme un véritable
partenariat, fondé sur l’engagement du sujet. Au contraire, la Déclaration d’Helsinki met
l’accent sur le fait que le patient n’est nullement tenu de continuer à se prêter à une expérience
s’il vient à changer d’avis (Herranz Rodriguez, voir le Volume II des présents Actes).
Le document d’Helsinki manque de clarté sur la plupart des problèmes liés à l’accès
aux traitements expérimentaux. Il affirme tout d’abord que « le médecin doit être libre de
recourir à une nouvelle méthode diagnostique ou thérapeutique s’il juge que celle-ci offre un
espoir de sauver la vie, rétablir la santé ou soulager les souffrances du malade ». A la lettre,
cela signifie qu’un médecin qui juge une nouvelle thérapie efficace ne doit pas - du moins au
regard de la déontologie de sa profession - se sentir obligé d’appliquer l’ensemble des règles
régissant l’expérimentation des médicaments et appareils médicaux. Mais ces règles n’en
limitent pas moins sa liberté d’agir comme bon lui semble. En effet, les organes responsables
(FDA, etc.) ne lui permettront même pas d’acquérir le nouveau médicament, sauf s’il accepte
de ne l’utiliser que conformément à leurs directives, ce qui exclut qu’il se fie à son seul
jugement personnel.
La Déclaration d’Helsinki semble favorable à ce qu’un malade ait accès à une thérapie
expérimentale lorsque le médecin estime qu’elle offre un espoir et que le patient a donné son
accord, mais elle n’est peut-être pas tout à fait cohérente sur ce point. Le principe premier, selon
cette déclaration, est que les projets doivent être soumis à un comité « pour examen,
commentaire et conseil ». Le médecin peut-il passer outre ? Dans la négative, le médecin
17
faisant de la « recherche médicale associée aux soins médicaux » n’est pas libre d’utiliser une
nouvelle méthode thérapeutique dans le cadre de la recherche. Le comité empêche le patient de
suivre le traitement expérimental quand il récuse le jugement du médecin, même si celui-ci est en
possession du médicament ou est lui-même l’inventeur du nouveau dispositif médical envisagé.
Il existe une lecture possible de la Déclaration qui permet de surmonter ces
contradictions apparentes. Le médecin risquant d’essuyer un refus du comité ne pourrait-il
pas déclarer son intention d’utiliser la nouvelle thérapie, mais non dans le cadre d’un projet de
recherche ? Dès lors qu’il ne s’agit pas de recherche, le comité n’est plus compétent. On voit
alors la bizarrerie d’une situation où les règles de déontologie offrent des garanties non pas en
fonction des risques encourus par les patients, mais des motivations déclarées par les
chercheurs. C’est un problème très important, car les patients ne sont alors protégés que si
l’intervention médicale est qualifiée de « recherche ».
Deuxièmement, la Déclaration d’Helsinki comporte des dispositions complexes en ce
qui concerne les essais cliniques. Lorsque la recherche médicale est associée à des soins
médicaux, le texte précise que « le médecin devra peser les risques et les inconvénients
potentiels d’une nouvelle méthode par rapport aux meilleures méthodes diagnostiques ou
thérapeutiques en usage ». Il s’ensuit qu’il n’est pas possible, dans le cadre d’un essai clinique,
de comparer un nouveau traitement et un placebo s’il existe déjà un traitement qui mérite
d’être considéré comme « la meilleure méthode diagnostique ou thérapeutique en usage ». On
ne voit pas très bien pourquoi, quand le « meilleur » traitement est en réalité très médiocre,
des adultes en pleine possession de leurs facultés intellectuelles ne pourraient pas consentir à
en essayer un autre, en particulier si cela doit démontrer clairement l’efficacité d’une
approche entièrement nouvelle (Nightingale, 1995). De fait, le paragraphe 3 de la section II de
la Déclaration, pris à la lettre, obligerait à remettre en question bien des essais contrôlés. Il y
est dit que « lors d’un examen clinique - avec ou sans groupe témoin - le malade devra
bénéficier des meilleurs moyens diagnostiques et thérapeutiques disponibles ». Comment
tester dans ces conditions une nouvelle thérapie dont l’efficacité n’est pas encore démontrée
puisque cela revient automatiquement à priver le malade de la possibilité de bénéficier « des
meilleurs moyens diagnostiques et thérapeutiques disponibles » ?
(Lors de discussions entre des membres du CIB, ceux-ci se sont montrés clairement
d’accord sur le fait que la Déclaration d’Helsinki ne devait pas être interprétée comme
proscrivant, dans tous les cas, l’utilisation d’un placebo dans le groupe témoin lorsque le
traitement classique ne donne pas satisfaction.)
Troisièmement, la Déclaration d’Helsinki semble exiger le consentement du patient
dans tous les cas (par. 9, Section I). Lorsque la recherche est associée à des soins médicaux et
que le médecin juge « essentiel de ne pas demander le consentement éclairé » du sujet, il doit
en préciser les raisons dans le protocole de l’expérimentation. C’est sous-entendre que le
comité indépendant peut approuver son intention d’agir en l’absence de consentement, sinon à
quoi servirait de lui soumettre ce protocole ? Mais les critères qui pourraient justifier une
telle décision du comité sont passés sous silence.
Enfin, la Déclaration d’Helsinki ne traite pas explicitement du problème de l’égalité
d’accès s’agissant des personnes juridiquement inaptes à donner leur consentement. Elle
appelle à prendre des précautions particulières dans le cas d’une expérimentation sur un sujet
se trouvant dans une situation de dépendance vis-à-vis du médecin (par. 10, section I) ou
frappé d’incapacité juridique. La difficulté d’assurer à de telles personnes l’accès à des
traitements potentiellement bénéfiques n’est pas mentionnée.
Les Principes directeurs d’éthique sont beaucoup plus détaillés que la Déclaration
d’Helsinki. Ces principes, qui ont été révisés tout récemment en 1993, abordent le problème
de l’accès aux traitements expérimentaux, mais contournent la difficulté sur certains points
cruciaux en usant d’un langage qui se prête à des interprétations contradictoires. C’est ainsi
que la première directive exige le consentement éclairé sans faire la moindre réserve et admet
que ce consentement soit fourni par procuration par « un représentant dûment autorisé ».
Pourtant, le commentaire qui l’accompagne laisse entendre que dans le cas d’adultes jouissant
par ailleurs de toutes leurs facultés, un simple assentiment, assorti de l’approbation d’un
comité d’éthique indépendant, peut suffire. C’est un assouplissement très important compte
tenu de la diffusion que les directives sont appelées à connaître dans les pays en
18
développement. Le principe du consentement ne doit pas empêcher de poursuivre les
recherches sur les maladies qui ne se rencontrent que dans le monde en développement, au
sein de populations dont il peut être difficile d’obtenir le consentement « éclairé ». Ce
principe devrait néanmoins être appliqué avec autant de force dans les pays en
développement, par exemple dans les situations d’urgence. Or, les directives et leur
commentaire ne traitent pas de ces problèmes d’un point de vue général.
De même, la directive 6 semble énoncer un principe absolu, que vient aussitôt atténuer
le commentaire. Elle affirme (à l’instar du Projet de convention de bioéthique, voir supra)
que les personnes dans l’incapacité de consentir ne doivent pas être prises comme sujets d’une
expérience lorsque les recherches « pourraient tout aussi bien être menées sur des personnes
en pleine possession de leurs facultés mentales ». Pourtant, le commentaire ajoute que les
personnes incapables de consentir qui « souffrent, ou risquent de souffrir, d’affections graves
telles qu’une infection par le VIH, un cancer ou une hépatite ne doivent pas être privées des
effets bénéfiques possibles de médicaments encore en cours d’expérimentation », du moins si
ces médicaments « laissent entrevoir » une amélioration thérapeutique. Ces patients ne
peuvent cependant pas participer à des « essais cliniques formels », sauf lorsque ceux-ci
portent sur le handicap à l’origine de leur vulnérabilité. Le Conseil ne fait aucun effort pour
justifier ces distinctions, dont la logique n’est pas clairement apparente.
Dans la directive 7, la contradiction est résolue dans le sens du droit à l’accès. Les
détenus ne doivent pas se voir refuser l’accès à une thérapie expérimentale.
La directive 10 reconnaît la nécessité de répartir équitablement les bienfaits et les
inconvénients de la recherche et appelle à la fois à offrir des garanties spéciales aux personnes
vulnérables et à les faire bénéficier de médicaments n’ayant pas encore reçu l’autorisation de
mise sur le marché lorsque d’autres personnes y ont accès.
Conclusion
En définitive, les revendications du droit aux traitements expérimentaux nous forcent à
reconnaître que, si salutaires qu’aient été les règles régissant la recherche médicale, elles ne
s’appuient pas sur un principe unique qui se laisse aisément formuler et que le bien-fondé et
les limites de leur application dans des contextes dépassant la relation médecin-malade
traditionnelle peuvent se révéler problématiques. Quelles activités désigne-t-on par
expérimentation et par recherche et qu’est-ce qui en fait la spécificité ?
La difficulté pratique à laquelle sont confrontées tous ceux qui s’occupent d’éthique de
la recherche est de résoudre les problèmes liés à l’accès aux traitements expérimentaux dans le
respect des principes fondamentaux, en prévoyant des dérogations appropriées quand cela
semble impératif. La tâche est difficile, car admettre que des principes présentés comme
absolus ne le sont pas réellement c’est mettre en danger l’édifice tout entier. On imagine mal
cependant qu’il faille abandonner un ensemble de pratiques ayant contribué à réglementer de
façon si positive les mécanismes de la recherche sous prétexte que l’on bute sur quelques
problèmes épineux.
BIBLIOGRAPHIE
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Regulatory Process. The Milbank Quarterly 68, Suppl. 1 (1990), 111-142
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• US GENERAL ACCOUNTING OFFICE. Scientific Research - Continued Vigilance Critical to
Protecting Human Subjects. 1996
20
ANNEXE
Comité international de bioéthique
GROUPE DE TRAVAIL SUR
ACCES AUX TRAITEMENTS EXPERIMENTAUX
ET PROTECTION DES DROITS DE LA PERSONNE HUMAINE
Rapporteurs :
M. Harold EDGAR (Etats-Unis d’Amérique)
M. Ricardo CRUZ-COKE (Chili)
Membres :
M. Kjell FUXE (Suède)
M. Béchir HAMZA (Tunisie)
M. Gonzalo HERRANZ RODRIGUEZ (Espagne)
M. Peter LACHMANN (Royaume-Uni)
M. QIU Ren-Zong (Chine)
M. David SHAPIRO (Royaume-Uni)
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