Othello - National Arts Centre

publicité
Dossier d’accompagnement scolaire
Othello
Texte de William Shakespeare
Mise en scène de Denis Marleau
Une coproduction d’UBU et du Théâtre français du Centre national des Arts
Présentée au Théâtre français du Centre national des arts, du 23 au 27 octobre 2007
Ce dossier d’accompagnement scolaire a été réalisé par Sophie Labelle.
Photo de la page couverture : William Shakespeare, The Chandos portrait (1610), un des plus fameux portraits
qu’on présume représenter le grand auteur.
Sommaire
Charles W. Cope, Othello racontant ses aventures, 1853.
Crédits de la production
William Shakespeare
Biographie
Perceptions de l’œuvre
Genres et inspirations
Style
Texte et traduction
Les pièces
Othello
Résumé de l’action
Personnages et thèmes
Entretien avec les acteurs Éliane Préfontaine et Ruddy Syllaire
Shakespeare et le théâtre élisabéthain
Activités proposées
Bibliographie
Dossier d’accompagnement scolaire – Othello
p. 2
p. 3
p. 4
p. 5
p. 6
p. 8
p. 10
p. 12
p. 18
p. 18
p. 23
p. 29
p. 34
p. 38
p. 40
1
Crédits de la production
Crédits de la production
Othello
Texte de William Shakespeare
Traduction de Normand Chaurette
Mise en scène et scénographie de Denis Marleau
Distribution
Jean Le Doge et Lodovico : François Blanchard
Bianca : Annick Hamel
Iago : Pierre Lebeau
Roderigo : Bruno Marcil
Brabantio et Montano : Denis Gravereaux
Cassio : Vincent-Guillaume Otis
Émilia : Christiane Pasquier
Desdémone : Éliane Préfontaine
Othello : Ruddy Sylaire
L’équipe du spectacle
Conception vidéo : Stéphanie Jasmin
Costumes : Daniel Fortin
Éclairages : Nicolas Descôteaux
Musique originale : Nicolas Bernier et Jacques Poulin-Denis
Maquillages et coiffures : Angelo Barsetti
Design sonore : Nancy Tobin
Staging video et montage : Pierre Laniel
Assistance à la mise en scène et régie : Nadia Bélanger
Assistance au décor et accessoires : Stéphane Longpré
Direction technique : Francis Laporte
Mouvements et combats : Huy Phong Doan
Régie éclairages : Jean Duchesneau
Régie son : Jules Beaulieu
Cette production d’Othello a été créée au Théâtre français du Centre national des arts, le 23
octobre 2007, et reprise à Montréal à l’Usine C du 1er au 24 novembre 2007.
Dossier d’accompagnement scolaire – Othello
2
William Shakespeare
William Shakespeare est le dramaturge le plus lu, le plus
commenté et le plus joué au monde, et ce, depuis plus de quatre
cents ans. Lorsqu’on tape « Shakespeare » dans le moteur de
recherche Internet Google, on se retrouve avec 46 800 000
résultats, soit le double de ce qu’on obtient pour Cervantès et
Goethe et dix fois plus que ce qu’on trouve sur Molière.
Une des images les plus connues de Shakespeare, un portrait de Martin
Droeshout qui figurait sur la page couverture de la première publication
des œuvres complètes de Shakespeare, en 1623.
Cet homme, issu de la classe moyenne anglaise du seizième siècle, était un génie du théâtre.
Parce que c’était un génie, et parce que tant de gens se sont intéressés à son œuvre, diverses
hypothèses, des plus insensées aux plus passionnantes, ont été formulées sur sa vie et ses écrits.
À l’origine de certaines de ces hypothèses, il y a la rareté
d’éléments biographiques sur Shakespeare.
Pourtant, cette
rareté était courante à l’époque, et on peut tout de même suivre
la trace de Shakespeare via quelques documents administratifs,
peu nombreux il est vrai, mais tangibles. Shakespeare l’homme
public existe, mais c’est l’homme privé que l’on cherche. On
est en quête d’un accès à sa personnalité et à ses idées intimes,
ce qui permettrait de comprendre, et pour certains d’admettre,
qu’une telle œuvre ait pu sortir de la plume d’un simple fils de
gantier. Shakespeare n’a laissé aucune lettre ou autre document personnel. Il a seulement légué
une œuvre monumentale. L’explication de son génie réside sans doute en partie dans le fait que
personne n’a su saisir et s’approprier comme lui les conventions théâtrales pour construire une
œuvre personnelle, reconnaissable entre toutes.
The Flower portrait, d’un artiste inconnu, est une des trois images de Shakespeare les plus diffusées, avec le
Chandos portrait et le portrait de Droeshout.
Dossier d’accompagnement scolaire – Othello
3
Biographie
Il reste et restera toujours des énigmes et des lacunes dans la vie et l’œuvre de
Shakespeare, mais on constate qu’on en sait davantage sur lui que sur la vie de la
plupart des dramaturges de l’époque. William Shakespeare est né en Angleterre, à
Stratford-upon-Avon, en 1564. Il est mort dans la même ville, en 1616. Son père,
John Shakespeare, était gantier, et il s’est vraisemblablement enrichi dans le
commerce du tissu.
Sa mère, Mary Arden, était issue d’une famille aisée
d’agriculteurs de la région. Stratford était une ville commerçante, où se tenaient
régulièrement des foires et des marchés. Elle était située à deux jours de cheval ou à
quatre jours de marche de Londres.
Le carrière du père de Shakespeare a connu des hauts et des bas. Il a occupé plusieurs fonctions
publiques importantes, de conseiller municipal à bailli, la plus haute fonction de la ville, qui
combine les responsabilités de maire et de chef de police. À une certaine époque, la famille
Shakespeare est prospère.
William Shakespeare est le troisième de huit enfants, dont cinq ont survécu. Il est le
fils aîné. Entre son baptême en 1564 et son mariage en 1582, aucun document ne
nous permet avec certitude de suivre sa trace, mais on présume, selon la logique de
l’époque et la position de son père, qu’il fréquente la grammar school de Stratford,
une école qui se consacre à l’enseignement du latin, des textes de l’Antiquité, de
l’histoire, de la logique et de la rhétorique. On sait par contre que Shakespeare ne
fréquentera pas l’université, et qu’il deviendra un excellent autodidacte.
Le prochain document officiel où l’on retrouve son nom est son certificat de mariage. En 1582, à
l’âge tendre de 18 ans, il se marie avec Anne Hathaway, de sept ans son aînée, déjà enceinte au
moment du mariage. Il aura une fille, Suzanne, le 23 mai 1583, et des jumeaux, Judith et Hamnet,
le 2 février 1585. Shakespeare vivra la majeure partie de sa vie d’adulte à Londres, loin de sa
famille demeurée à Stratford. Ensuite, on perd sa trace. De 1582 à 1592, rien ne subsiste de la
vie de Shakespeare. Les spécialistes ont baptisé cette période « les années perdues ». On le
retrouve en 1592, à Londres, établi dans le milieu du théâtre.
Dossier d’accompagnement scolaire – Othello
4
Ironie du sort, l’homme qui nous permet de reprendre contact avec Shakespeare en 1592 et nous
prouve qu’il a commencé à écrire est un critique cinglant, Robert Greene. Dans son pamphlet, il
ne nomme pas Shakespeare, mais on y retrouve une parodie évidente d’un vers de sa pièce Henri
VI et, surtout, c’est à travers un jeu de mot qu’il nous révèle l’identité de celui dont il se moque,
en disant de lui qu’il se croit le seul « ébranleur de scène » (shake-scene) du pays. Shakespeare
est maintenant lié à une troupe importante, les Hommes du Lord Chambellan, qui deviendra plus
tard, sous le roi Jacques 1er, les Hommes du Roi. Il travaillera avec cette troupe toute sa vie.
Il se taille un succès comme auteur et comme acteur, de rôles secondaires. Entre
1590 et 1597, il écrit deux tétralogies de drames historiques, en même temps qu’entre
1593 et 1600, il rédige dix comédies et ses premières tragédies. Entre 1594 et 1608,
il écrit deux pièces par an, ensuite, son rythme ralentit peu à peu jusqu’à sa retraite en
1612.
Shakespeare a quitté Stratford jeune et pauvre, il y revient 25 ans plus tard pour y vivre les
dernières années de sa vie comme un bourgeois prospère. Il meurt à Stratford le 23 avril 1616 et
est enterré dans la ville. Ses enfants n’ont pas eu de descendance, et seule la lignée de sa sœur
Perceptions de l’œuvre
Joan est encore vivante aujourd’hui.
Si l’absence de documentation sur les intentions de Shakespeare prive les spécialistes
de contenu, elle a par contre pour effet de nous permettre de considérer la valeur de
ses pièces dans l’absolu, et non leur valeur à l’époque où elles ont été écrites. Cela
amène à percevoir Shakespeare sous le seul éclairage du théâtre, auquel il a dédié sa
vie. On pourrait présumer que son silence est imputable à sa grande humilité et que
son conformisme tranquille et discret lui assure une totale liberté de création. Cette
liberté, elle ressort dans ses œuvres. Et, surtout, elle est au service de l’œuvre. Peu
importe quel point de vue on adopte, peu importe notre degré d’appréciation de son
oeuvre, on est forcé d’admettre que Shakespeare est au service du théâtre. Et du
théâtre seulement.
Shakespeare est le théâtre.
On retrouve dans son œuvre la
quintessence de la frustration du désir. Quelqu’un veut quelque chose de quelqu’un
d’autre. Poussé à son extrême comme chez Shakespeare, cela donne des grands
conflits dramatiques, un condensé de vie. L’œuvre de Shakespeare est également
Dossier d’accompagnement scolaire – Othello
5
fascinante parce qu’elle contient une réflexion continuelle sur le théâtre et les
diverses formes de spectacles.
On ne peut que s’incliner devant l’habileté de
Shakespeare qui questionne son travail à travers son travail.
Selon l’auteur polonais Jan Kott, auteur d’un livre sur la contemporanéité de Shakespeare1, son
oeuvre est le grand livre du monde avec lequel l’humanité s’analyse et se juge. Comme l’a dit
Ben Jonson, contemporain et ami de Shakespeare, He was not of an age, but for all time, qu’on
pourrait traduire librement par Il n’était pas d’une époque, mais de toutes les époques. À partir
du vingtième siècle, plusieurs textes de Shakespeare ont bénéficié (ou souffert, selon le cas),
d’une relecture ou d’une actualisation.
On présente les grandes tragédies en costumes
contemporains, pour bien affirmer l’actualité de Shakespeare. On joue ses pièces dans des
entrepôts, on les modernise, on les parodie. Shakespeare a également inspiré des peintres, des
Genres
et
inspirations
compositeurs, des chorégraphes, des cinéastes.
Shakespeare, comme tous les écrivains de son époque, trouve ses sujets dans le
folklore, et chez d’autres auteurs, principalement ceux de l’Antiquité grecque et
romaine. Son théâtre regorge de fées, de sorcières et de lutins issus du folklore celte,
mis à la mode au théâtre. Les fantômes et le surnaturel hantent son théâtre comme ils
hantent les esprits de ses contemporains. Son lieu d’origine, Stratford, mêlait ville et
campagne. Shakespeare est un homme de souche paysanne et la connaissance de la
faune et de la flore qu’il laisse transparaître dans son œuvre ne vient pas des livres.
Dans ses premières pièces, à caractère historique, Shakespeare célèbre les gloires et les crises du
passé de l’Angleterre, mais donne aux événements une forme et un rythme théâtraux. Il exalte
les valeurs patriotiques, mais ce n’est qu’une façade.
On arrive à sentir dans ses pièces
historiques sa liberté et sa lucidité. De plus, ce n’est ni la monarchie, ni le peuple auxquels
Shakespeare prête sa voix, mais à la nation, une entité un peu abstraite. Sa série de pièces
historiques est fortement inspirée des Chroniques d’Angleterre, d’Écosse et d’Irlande de Raphael
Holinshed, publiées en 1577.
1
Jan Knott, Shakespeare, notre contemporain, Payot, 1993. L’édition originale polonaise est de 1965.
Dossier d’accompagnement scolaire – Othello
6
Ensuite viennent les comédies. Ce qui engendre le comique chez Shakespeare, c’est
la supériorité des spectateurs sur les personnages. Les personnages shakespeariens
sont dans le brouillard, alors que pour le public, c’est limpide. Les sources de ses
comédies sont plutôt variées, allant du Décaméron de Boccace, un recueil de
nouvelles très célèbre de la littérature italienne écrit entre 1349 et 1353, aux romances
pastorales du Moyen Âge, en passant par les auteurs de l’Antiquité Virgile,
Aristophane et Plaute et les Contes de Canterbury de Chaucer, un recueil qui
comporte 21 contes narrés par des pèlerins en route vers la cathédrale de Canterbury.
Cette dernière œuvre, éditée en Angleterre pour la première fois en 1478, a permis de
démontrer la pertinence d’utiliser la langue anglaise en littérature.
Dans les comédies de Shakespeare, pour que le dénouement survienne, il est presque
systématique que les personnages doivent être soumis à la mort, et en réchapper.
Plus
Shakespeare avance dans l’écriture de ses comédies, plus les dénouements sont ambigus. Ces
fins moins heureuses traduisent son scepticisme face au bonheur éternel. Il délaisse alors la
comédie pour la tragédie durant quatre ans. Dans les tragédies de Shakespeare, les personnages
sont confrontés à leurs propres failles ou victimes de la convoitise des autres. La violence, la
sauvagerie universelle et la perversité humaine sont des forces destructrices dont l’Histoire
regorge, et que le monde nous montre ordinairement, alors que Shakespeare nous les fait
apparaître immorales et sacrilèges.
Comme sources des tragédies de Shakespeare, on retrouve
encore une fois les Chroniques d’Holinshed et plusieurs légendes aux provenances variées
comme le Danemark, l’Italie, l’Écosse et l’Antiquité. Les Métamorphoses d’Ovide ont été pour
Shakespeare et plusieurs auteurs une grande inspiration.
Écrites en latin un peu avant
l’avènement du christianisme, les Métamorphoses est une série d’environ 250 fables issues de la
mythologie grecque. Malgré la multiplicité des sources chez Shakespeare, il en résulte une
composition homogène. Shakespeare, autodidacte et fidèle à lui-même, faisait preuve d’une
grande liberté dans ses emprunts à la littérature antique, qui tenaient plus de l’intuition que de
l’érudition.
Dossier d’accompagnement scolaire – Othello
7
Les intrigues de Shakespeare sont simples. Ce sont les textes qui sont complexes.
Ses textes sont somptueux, touffus et luxuriants.
Les personnages argumentent,
Style
plaident, se défendent, attaquent, ironisent et séduisent. Son théâtre vise la réalité,
mais n’est pas la réalité.
Il reflète la réalité par un processus d’appropriation
déformante. Il ne faut pas trop chercher à analyser Shakespeare sous le couvert de la
psychologie. Tout le théâtre de la vie quotidienne se retrouve sur scène, les passions,
les désirs, les peurs, les ruses et les naïvetés, les mensonges et les aveux. Mais avant
d’obéir aux lois de la vraisemblance – on lui a souvent reproché son
invraisemblance – le théâtre de Shakespeare obéit à ses propres lois, à ses lois
artistiques.
Il a fallu au moins un siècle pour que Shakespeare commence à être apprécié à sa juste valeur.
Dans son propre pays, on le considérait parfois comme un auteur populaire, sans érudition, parce
qu’il n’a jamais perdu contact avec les légendes et avec la culture orale et populaire. Même dans
ses tragédies légendaires, il oppose la truculence du peuple aux drames des grands et des princes.
La France, qui le découvre en pleine période classique, n’accepte pas son irrespect de la règle des
trois unités (unités de lieu, de temps et d’action) et le fait qu’il montre des horreurs sur scène,
alors que les auteurs classiques ont la décence de faire survenir les actes barbares en coulisses et
les racontent ensuite. Baroque, hétéroclite, Shakespeare crée une combinaison du comique et du
tragique qui se trouve au cœur de la réalité et ne se gêne pas pour mêler grandiloquence et
bouffonnerie. Shakespeare utilise abondamment les conventions théâtrales de base, comme les
monologues, les apartés2, les soliloques entendus par d’autres personnages qui ne devraient pas
entendre, les déguisements et les cachettes.
Il amplifie les invraisemblances, ajoute des
conventions irréalistes, et le public suit.
Dans ses pièces, Shakespeare s’offre une grande liberté de construction.
Il passe
rapidement d’une scène à l’autre, il aime rattraper ses personnages au milieu d’une action
ou d’une discussion. L’absence de décor rend possible cette façon de faire. Parfois le
glissement d’une scène à l’autre fait franchir une longue distance dans le temps et l’espace.
Il y a souvent des intrigues multiples, qu’il lie adroitement, sans artifices extérieurs à la
2
L’aparté est une réplique qui est dite par un personnage directement aux spectateurs, à l’insu des autres
personnages.
Dossier d’accompagnement scolaire – Othello
8
pièce elle-même. Sa ligne est presque toujours la même : l’ordre menacé, le désordre et le
retour à l’ordre, mais sans qu’on sente une mécanique lourde et évidente.
Il y a très peu d’indications de
scène
dans
ses
pièces,
probablement parce qu’il était
présent durant les répétitions et
n’avait donc pas besoin d’écrire
les mouvements.
d’Hamlet
aux
Le discours
comédiens
au
troisième acte de la pièce nous
donne quelques indices sur l’idée
que Shakespeare se fait du théâtre
et de l’interprétation.
Hamlet
Dites cette tirade, je vous prie, comme je l’ai prononcée, lestement sur la
langue ; car si vous devez la beugler, comme font tant de comédiens,
j’aimerais autant faire dire mes vers par le crieur public. Et puis ne sciez
pas trop l’air avec la main, comme ça, de la mesure en tout : car dans le
torrent, la tempête et, pour ainsi dire, le tourbillon de la passion, vous
devez acquérir et engendrer en vous une retenue qui lui donne du coulé.
Oh ! Cela me blesse l’âme d’entendre un furieux gaillard emperruqué
déchirer une passion en lambeaux, oui, en charpie, fendre les oreilles des
spectateurs du parterre, qui pour la plupart n’apprécient en rien que les
pantomimes incompréhensibles, et le fracas.
(…)
Ne soyez pas non plus trop bridé ; mais laissez votre discernement vous
guider. Réglez le geste sur le mot, et le mot sur le geste, en vous gardant
surtout de dépasser la modération de la nature. Car tout ce qui est forcé
s’écarte du propos du jeu théâtral, dont le but, dès l’origine et aujourd’hui
était et demeure de tendre pour ainsi dire un miroir à la nature, de montrer
à la vertu ses traits, au ridicule son image, et à notre époque et au corps de
notre temps sa forme et son effigie.
En contrepartie d’un jeu d’acteur réaliste, Shakespeare exigeait des spectateurs un grand effort
d’imagination et un consentement volontaire aux conventions théâtrales. Par exemple, les pièces
étaient jouées le jour, alors une simple torche symbolisait la nuit, ou des vêtements mouillés un
naufrage.
Les personnages de Shakespeare, s’ils sont stylisés, sont tout de même beaucoup
mieux définis et plus individualisés que ceux de la commedia dell’arte italienne
connue à Londres à l’époque élisabéthaine. Les personnages devaient être facilement
identifiables, parce que les acteurs en incarnaient plusieurs dans une même pièce. On
retrouve dans les comédies de Shakespeare les caractères type de l’amoureux, du
vilain, du vengeur. On retrouve aussi beaucoup chez lui la figure traditionnelle du
fou, du bouffon, incarné par un acteur spécialisé, dans son costume bariolé, qui
pimente la pièce de chansons et d’acrobaties. Les fous de Shakespeare sont pleins
d’esprit, irrespectueux, et se cachent derrière leur supposée sottise pour critiquer la
hiérarchie sociale, la raison et le langage.
Dans sa jeunesse, Shakespeare a aussi été attiré par la poésie non théâtrale. Il fait paraître, en
1593 et 1594, deux recueils de poésie, Vénus et Adonis et Le Viol de Lucrèce, qui sont les deux
seuls ouvrages dont on sait qu’il autorisa et supervisa la publication lui-même. Les Sonnets est
Dossier d’accompagnement scolaire – Othello
9
son œuvre poétique la plus connue. Il s’agit de 126 sonnets3 écrits en hommage à la beauté d’un
jeune homme, un aristocrate au rang social bien supérieur à celui de Shakespeare. Les 26 sonnets
suivants sont adressés à une drame brune avec laquelle le jeune homme et le poète ont commis
l’adultère. Sous forme allégorique, Les Sonnets exposent les grands thèmes : le désir, la jalousie,
Texte
et
traduction
la hantise, la vieillesse, la mort et l’amour.
Lire Shakespeare dans le texte, quel plaisir ce doit être ! Mais même pour les
anglophones, la lecture des pièces peut s’avérer ardue. Son vocabulaire est étendu,
riche, et on estime à 30 000 le nombre de mots différents dans son œuvre. Cela dit,
Shakespeare n’oubliait jamais que ce qu’il écrivait était destiné à la scène et l’oralité
de son langage ne fait aucun doute.
Certains monologues formulés par des
personnages menaçants mettent l’accent sur les consonnes, alors que les monologues
amoureux sont plus ronds en bouche.
Ce qui caractérise principalement la langue de Shakespeare (c’est même devenu une expression
consacrée !) est avant tout sa souplesse. Elle s’adapte à toutes les circonstances, les émotions, les
pensées et intentions du personnage. À l’intérieur d’une même pièce, un personnage peut passer
d’un langage relevé à des jeux de mots beaucoup plus vulgaires. On retrouve trois styles dans
son écriture.
1. La prose, c’est-à-dire le texte libre, qui n’est soumis à aucune règle.
2. Le vers blanc, non rimé, mais rythmé.
3. Les passages rimés, très structurés, qui sont souvent des chansons et des poèmes
incorporés dans le texte.
Shakespeare passe d’un style à l’autre dans une même pièce. Certaines, comme les tragédies
Titus Andronicus, Roméo et Juliette et Macbeth sont presque toutes en vers alors que d’autres,
comme les comédies Les Joyeuses commères de Windsor et Beaucoup de bruit pour rien sont en
majorité en prose.
3
Les Sonnets de Shakespeare sont des poèmes de quatorze vers séparés en trois quatrains et un distique.
Dossier d’accompagnement scolaire – Othello
10
Il est difficile de traduire la libre course du vers de Shakespeare. Le français paraît rigide à côté
de la souplesse de l’anglais. Les traductions de Shakespeare ont souvent eu le verbe lourd et
ampoulé. Même si Shakespeare utilisait un vers libre, il employait souvent des mots aux mêmes
consonances dans une même phrase, comme dans Le Marchand de Venise : « How sweet the
moonlight sleeps upon this bank ». Comment retrouver en français l'écho de sweet et sleeps ?
L’autre difficulté réside dans les jeux de mots, presque toujours intraduisibles, et Shakespeare en
était friand, tout comme il l’était de sous-entendus obscènes et d’ironie. Le français a besoin de
plus de mots, de plus d’espace, et les mots sont plus longs. Le traducteur a le triste choix
d’escamoter une couche de sens, ou faire un texte trop explicatif.
Les grandes œuvres suscitent sans fin un désir de traduction, parce qu’aucune ne
parvient à épuiser la richesse ou à circonscrire l’énigme de l’œuvre. Comme le veut
l’adage qui associe traduction et trahison, les réussites en traduction de Shakespeare
demeurent relatives, jamais entièrement satisfaisantes.
La difficulté stimule le traducteur, qui se doit d’être inventif et libre. Il doit essayer de traduire à
la fois l’harmonie qui ressort du texte de Shakespeare, de même que son ambivalence.
Néanmoins, la traduction rend le texte plus immédiat et nous permet d’apprécier Shakespeare,
alors qu’en langue originale, certaines incompréhensions subsistent, pour ceux qui assistent
aujourd’hui à une pièce de Shakespeare dans sa langue d’origine. Un traducteur, comme le fait
Normand Chaurette pour la version d’Othello qui sera présentée au Théâtre français du Centre
national des arts, traduit le texte dans la langue d’aujourd’hui. Sous prétexte que la pièce a été
écrite au seizième siècle, on ne peut pas traduire Shakespeare en français du seizième siècle. Les
traducteurs doivent essayer de retrouver dans la langue le rapport contemporain que Shakespeare
entretenait avec son époque.
Dossier d’accompagnement scolaire – Othello
11
On attribue 37 pièces à William Shakespeare. Elles contiennent près de 900 personnages.
Shakespeare ne s’est pas occupé de la publication de ses pièces de son vivant, sans doute
Les pièces
pour deux raisons principales. La première, d’ordre esthétique, voulait que le théâtre soit
un genre mineur qui ne méritait pas qu’on s’attarde à sa lecture au même titre que la
poésie. La seconde, c’est que les pièces appartenaient aux compagnies qui les jouaient, et
que dès qu’elles étaient publiées, n’importe quelle autre troupe pouvait s’en emparer et la
jouer. En empêchant la publication, on protégeait ainsi son exclusivité. Mais quelques
pièces de Shakespeare ont été publiées du temps de leur auteur, sous une forme bon
marché appelée In Quarto. Ces publications pirates sont probablement l’œuvre d’éditeurs
véreux, qui envoyaient un « sténographe » retranscrire le texte durant la représentation,
ou, de manière plus vraisemblable, venaient du texte du souffleur ou du régisseur. On
possède dix-huit Quartos des pièces de Shakespeare, qui ont été qualifiés de bons ou de
mauvais par les experts, en comparaison avec d’autres textes disponibles. En 1623,
quelques années après sa mort, des Hommes du Rois, comédiens de la troupe de
Shakespeare, font paraître son œuvre complète, dans ce qu’on appelle un Folio, parce
qu’il est imprimé sur des feuilles simples pliées en deux. Ce Folio non plus ne fait pas
l’unanimité, mais il est le seul texte fiable pour une vingtaine d'œuvres, ainsi qu'une
source majeure pour les autres.
Traditionnellement, les œuvres de Shakespeare sont classées en différentes catégories, bien qu’il
y ait aussi des pièces considérées « à problèmes ». La classification des œuvres peut varier
légèrement d’un critique à l’autre. Nous vous proposons ici la classification la plus simple, qui
comprend les pièces historiques, les comédies, les tragédies et les romances, aussi appelées tragicomédies fabuleuses.
Les pièces historiques
Dans sa jeunesse, Shakespeare écrit des drames à caractère historique inspirés par le passé de
l’Angleterre. Ces pièces sont divisées en deux tétralogies (quatre pièces), chacune formant un
ensemble ayant son style propre et qui se suivent chronologiquement. Un peu comme George
Lucas pour Star Wars, Shakespeare a écrit la seconde tranche d’histoire avant la première.
Dossier d’accompagnement scolaire – Othello
12
La première tétralogie comprend les pièces :
•
Henri VI première partie – (Henry VI part one)
•
Henri VI deuxième partie – (Henry VI part two)
•
Henri VI troisième partie – (Henry VI part three)
•
Richard III
Elle a été écrite entre 1590 et 1592.
L’action se déroule entre 1422 et 1485.
La seconde tétralogie comprend les pièces :
•
Richard II
•
Henri IV première partie – (Henry IV part one)
•
Henri IV deuxième partie – (Henry IV part two)
•
Henri V
Elle a été écrite entre 1595 et 1599. L’action se déroule entre 1400 et 1422.
Le Roi Jean – (King John) écrite en 1596 et Henri VIII, la dernière pièce de Shakespeare écrite en
1612, font également partie des pièces historiques.
Moins populaires que les comédies et les tragédies, les pièces historiques ne sont pas pour autant
inintéressantes. Plusieurs d’entre elles renferment des personnages passionnants à jouer pour les
acteurs. Richard III, beaucoup grâce au personnage qui porte le même nom, est une pièce parmi
les plus appréciées de Shakespeare. De grands acteurs se sont frottés à la violence et à la
grandiloquence du rôle.
Voici un extrait d’un échange entre
Richard III et Anne, acte I, scène II,
qu’il réussira à convaincre de l’épouser,
même si elle le déteste parce qu’il a tué
son père et son frère.
Richard
La cause prématurée de la mort d’Henri et Edouard
Plantagenet
N’est-elle pas aussi blâmable que le meurtrier ?
Anne
C’est toi qui en fus la cause et l’exécutant exécré.
Richard
C’est votre beauté qui en fut la cause de cet effet :
Votre beauté qui me hantait dans mon sommeil
Et me poussait à entreprendre la mort du monde entier,
Pour pouvoir vivre une heure seulement sur votre sein
charmant.
Dossier d’accompagnement scolaire – Othello
13
Les comédies
Shakespeare installe dans ses comédies des situations qui passent de la dissonance à l’harmonie.
Elles contiennent des intrigues amoureuses, l’atmosphère est à la fête et au carnaval, les
personnages sont jeunes et insoumis, mais on y retrouve tous les grands thèmes qui peuplent ses
tragédies : séparations, bannissements, vengeances, perfidie.
Cependant Shakespeare stoppe
l’impensable et réconcilie l’irréconciliable. Plusieurs des comédies montrent un espace un peu
magique, plus rural, garni de forêts enchantées et d’une nature dotée de certains pouvoirs, ce qui
annonce les romances de la fin de sa vie.
•
La Comédie des erreurs – 1592 – (The Comedy of Errors)
•
La Mégère apprivoisée – 1593 – (The Taming of the Shrew)
•
Les Deux gentilshommes de Vérone – 1594 - (The Two Gentlemen of Verona)
•
Peines d’amour perdues – 1594 – (Love's Labour's Lost)
•
Le Songe d’une nuit d’été – 1595 – (A Midsummer Night's Dream)
•
Le Marchand de Venise – 1596 – (The Merchant of Venice)
•
Beaucoup de bruit pour rien – 1599 – (Much Ado About Nothing)
•
Comme il vous plaira – 1599 – (As You Like It)
•
Les Joyeuses commères de Windsor – 1601 – (The Merry Wives of Windsor)
•
La Nuit des rois – 1602 – (Twelfth Night)
•
Tout est bien qui finit bien – 1603 – (All's Well that Ends Well)
•
Mesure pour mesure – 1604 – (Measure for Measure)
Dossier d’accompagnement scolaire – Othello
14
Dans la comédie Beaucoup de bruit pour rien, on retrouve les personnages de Béatrice et de
Bénédict, orgueilleux célibataires, qui seront pris au piège par leurs amis, qui complotent pour les
faire tomber amoureux. Ils résisteront jusqu’à la toute fin, puis finiront par se marier après une
ultime dispute.
Bénédict
Hé ! Frère, pas si vite. Laquelle est Béatrice ?
Béatrice
Je réponds à ce nom. Quel est votre désir ?
Bénédict
Est-ce que vous ne m’aimez pas ?
Béatrice
Ma foi, non, pas plus que de raison.
Bénédict
Alors c’est que votre oncle, et le Prince, et Claudio
Furent abusés… Ils juraient que si.
Béatrice
Est-ce que vous ne m’aimez pas ?
Bénédict
Ma foi, non, pas plus que de raison.
Béatrice
Alors c’est que ma cousine, Margaret, et Ursula
Sont fort abusées, car elles juraient que si.
Bénédict
Ils juraient que vous étiez malade d’amour pour moi.
Béatrice
Elles juraient que vous étiez quasi mort d’amour pour moi.
Bénédict
Il n’en est rien. Alors vous ne m’aimez pas ?
Béatrice
En vérité, non, sinon par retour d’amitié.
Léonato
Allons, cousine, je suis sûr que vous aimez ce gentilhomme.
Claudio
Et moi je suis prêt à jurer que lui l’aime,
Car voici un billet écrit de sa main,
Un sonnet bancal né de son pur cerveau
En l’honneur de Béatrice.
Héro
Et en voici un autre,
Écrit de la main de ma cousine, volé dans sa poche,
Qui exprime son affection pour Bénédict.
Bénédict
Un miracle ! Nos mains témoignent contre nos cœurs. Allons, je veux bien de toi, mais par la lumière du jour, c’est
par pitié que je te prends.
Béatrice
Je ne voudrais pas vous refuser, mais par ce grand jour je ne cède qu’à la persuasion, et c’est un peu pour vous
sauver la vie car on m’a dit que vous dépérissiez.
Bénédict
Paix ! Je vais vous fermer la bouche.
Il l’embrasse.
Dossier d’accompagnement scolaire – Othello
15
Les tragédies
Les grandes tragédies de Shakespeare mettent en scènes des personnages aux prises avec leur
destin qui s’impose à eux sous une forme souvent ambiguë. Shakespeare confronte les forces
vives de la nature humaine, que ce soit la soif d’amour, la soif de vengeance ou la soif de
pouvoir. Si dans les comédies, Shakespeare arrête l’hémorragie avant qu’il ne soit trop tard et
recoud les blessures, dans les tragédies, il laisse le sang couler. Les tragédies amènent le héros
jusqu'au point de non-retour et, par le fait même, détruit les individus, les familles et l’ordre
social. Alors que dans les comédies l’ordre social est plus flexible, dans les tragédies, il est plus
rigide et ne réussit pas à répondre aux désirs individuels du héros.
•
Titus Andronicus – 1593
•
Roméo et Juliette – 1594 – (Romeo and Juliet)
•
Jules César – 1599 – (Julius Caesar)
•
Hamlet – 1601
•
Troïlus et Cressida – 1602 – (Troilus and Cressida)
•
Othello – 1604
•
Le Roi Lear – 1605 – (King Lear)
•
Macbeth – 1605
•
Antoine et Cléopâtre – 1606 – (Antony and Cleopatra)
•
Coriolan – 1607
•
Timon d’Athènes – 1607 – (Timon of Athens)
Les quatre tragédies légendaires que sont
Hamlet, Macbeth, Le Roi Lear et Othello
contiennent
toutes
des
morceaux
d’anthologie.
Nous avons choisi de vous
présenter un extrait du fameux monologue
d’Hamlet, alors qu’il s’interroge sur la
nécessité de passer à l’action, dans la
première scène de l’acte III. Il doit venger
son père, mais sa mélancolie l’empêche
Hamlet
Être, ou ne pas être, telle est la question.
Est-il plus noble pour l’esprit de souffrir
Les coups et les flèches d’une injurieuse fortune,
Ou de prendre les armes contre une mer de tourments,
Et, en les affrontant, y mettre fin ? Mourir, dormir,
Rien de plus, et par un sommeil dire : nous mettons fin
Aux souffrances du cœur et aux mille chocs naturels
Dont hérite la chair ; c’est une dissolution
Ardemment désirable. Mourir, dormir,
Dormir, rêver peut-être, ah ! c’est là l’écueil.
Car dans ce sommeil de la mort les rêves qui peuvent surgir,
Quand nous aurons quitté le tourbillon de vivre,
Arrêtent notre élan. C’est là la pensée
Qui donne au malheur une si longue vie.
d’agir.
Dossier d’accompagnement scolaire – Othello
16
Les romances
Dans ses œuvres tardives, Shakespeare fusionne le tragique, le burlesque et le merveilleux. Il
combine la tragédie et la comédie, car si le dénouement est heureux, le cœur de la pièce est
tragique.
Ses dernières pièces sont plus métaphysiques, la mort menace, les peurs se
matérialisent, et les souffrances endurées par les protagonistes, contrairement aux comédies, ne
sont pas balayées par le dénouement heureux.
•
Périclès, prince de Tyr – 1608 – (Pericles, Prince of Tyre)
•
Cymbeline – 1609
•
Le Conte d’hiver – 1610 – (The Winter's Tale)
•
La Tempête – 1611 – (The Tempest)
Plusieurs auraient voulu voir dans La Tempête le
testament théâtral de Shakespeare. Il s’agit en fait de
son avant-dernière pièce, qui met en scène Prospéro,
ancien duc de Milan dont on a usurpé le trône. Il vit
seul avec sa fille sur une île déserte et la providence –
ou la magie – amène sur l’île ceux qui lui ont fait du
tort.
Avec l’aide d’Ariel, un esprit aérien, il
organisera sa vengeance pour finalement rétablir
l’harmonie. De manière métaphorique, vers la fin de
la pièce, Prospéro s’adresse au futur époux de sa fille,
et lui parle de la vie, de la mort et du sens de notre
passage sur terre, et compare, encore une fois, la vie à
un théâtre.
Dossier d’accompagnement scolaire – Othello
Prospéro
Mon fils,
Votre regard est plein de désarroi,
Vous me semblez changé : non, de l’entrain.
Nos jeux sont terminés. Eux, nos acteurs,
Je vous l’ai dit, sont des esprits, et ils
Se sont fondus dans l’air, dans l’air sans poids,
Et, comme la structure sans matière
De ces visions, les remparts crénelés
Par les nuages, les palais splendides,
Les temples solennels, et ce grand globe
Lui-même, et ceux qui en héritent, oui,
Se dissoudra, et, comme ce spectacle
Qui, sans substance, s’est évaporé,
Ne laissera de trace dans le ciel
Qu’une vapeur : nous sommes de l’étoffe
Dont les rêves sont faits, et notre vie
Infime est entourée par un sommeil :
Je suis inquiet, pardonnez ma faiblesse,
Mon vieil esprit se trouble : que mon mal
Ne vous dérange pas. Je vous en prie,
Retirez-vous dans ma cellule, et, là,
Reposez-vous. Pendant une heure ou deux,
Je marcherai, pour apaiser mon âme
Toujours en feu.
17
Othello
Personnages
Othello, le Maure de Venise
Brabantio, sénateur, père de Desdémone
Cassio, lieutenant d’Othello
Iago, sous-officier d’Othello
Roderigo, jeune Vénitien
Le Doge de Venise
Montano, gouverneur de Chypre
Lodovico, ambassadeur du Doge
Desdémone, fille de Brabantio,
d’Othello
Émilia, femme de Iago
Bianca, maîtresse de Cassio
femme
Sénateurs, matelots, messagers, citadins,
vénitiens, citadins, chypriotes, musiciens,
officiers, serviteurs.
Image issue du livre Tales from Shakespeare, de Charles and Mary Lamb, publié par la Henry Altemus
Company, en 1901.
Résumé de l’action
Acte I – Colère et mariage secret
Lieux : Rues de Venise et le Sénat
Iago, un sous-officier d’Othello, est furieux d’avoir vu une promotion lui échapper au profit de
Cassio, qu’il considère inférieur. Désireux de se venger, il incite le jeune Roderigo à dénoncer à
Brabantio le secret mariage de sa fille Desdémone et d’Othello.
Le Doge de Venise fait appeler Othello au Sénat.
Il s’y rend en même temps que
Brabantio, qui souhaite faire annuler le mariage sous prétexte qu’Othello a usé de
sorcellerie pour séduire sa fille. Face au Doge et à Brabantio, Othello raconte comment il a
simplement conquis le cœur de Desdémone en lui racontant sa vie, et cette dernière est
amenée au Sénat pour corroborer ses dires. Brabantio admet sa défaite, non sans renier sa
fille et sans souhaiter au couple tout le malheur du monde.
Dossier d’accompagnement scolaire – Othello
18
Le Doge envoie Othello défendre les intérêts de Venise à Chypre, menacée par les Turcs.
Desdémone veut l’accompagner, mais elle partira séparément, escortée par Iago. Pendant les
préparatifs de départ, Iago retrouve Roderigo, suicidaire, qui voudrait posséder Desdémone pour
lui-même. Iago incite son complice à l’accompagner à Chypre, afin de prêter ses finances et ses
forces à une revanche contre Othello.
Acte II – Cassio manipulé
Lieux : Sur l’île de Chypre, la côte et la citadelle
Cassio, le lieutenant d’Othello, arrive à Chypre, rapidement suivi par Iago et Desdémone. Une
tempête a anéanti la flotte turque, la guerre est donc écartée, mais le navire d’Othello est toujours
en mer. Othello arrive sain et sauf et annonce que la soirée sera consacrée aux célébrations pour
souligner son mariage et la disparition de la menace turque.
Iago veut profiter de la fête pour mettre son plan à exécution. Il veut faire croire à Othello
que Desdémone et Cassio sont amoureux. Durant leur tour de garde, à la citadelle, Iago
incite Cassio, d’abord réticent, a boire quelques verres. Puis, il pousse Roderigo à se battre
avec Cassio. Cassio, ivre, s’emporte, se bat avec Roderigo et attaque également Montano,
le gouverneur de Chypre, ce qui provoque une alerte générale. Othello rejoint ses hommes,
se fait expliquer l’incident par Iago et, sans hésiter, retire son grade à Cassio.
Resté seul avec un Cassio honteux, Iago lui suggère de demander à Desdémone de plaider en sa
faveur auprès d’Othello. Cassio approuve cette idée et quitte Iago, qui est ravi que son plan
fonctionne. Lorsqu’il aura laissé entendre à Othello que Cassio et Desdémone ont une liaison,
chaque intervention de cette dernière pour sauver Cassio apparaîtra comme une preuve de sa
culpabilité.
Acte III – Le mouchoir
Lieux : Chypre, dans les rues et à la citadelle.
Cassio demande à la femme de Iago, Émilia, de lui organiser un rendez-vous avec Desdémone.
Durant cette rencontre, Desdémone promet à Cassio de faire tout ce qui est en son pouvoir pour
l’aider. Cassio met abruptement fin à leur discussion lorsqu’il voit Iago et Othello apparaître, ce
qui permet à Iago d’insinuer qu’il est coupable. Desdémone plaide en la faveur de Cassio auprès
Dossier d’accompagnement scolaire – Othello
19
de son mari, qui ne peut rien lui refuser et lui promet de reprendre Cassio plus tard dans la
journée.
Resté seul avec Othello, Iago, sous des dehors d’honnêteté, fait part de ses soupçons à
Othello. Othello, troublé, lui demande de continuer sa surveillance. Desdémone vient
rejoindre son époux et essaie de calmer ses esprits en lui appliquant son précieux mouchoir,
premier cadeau d’Othello, sur le front. Mais Othello, égaré, jette le mouchoir par terre.
Émilia ramasse le mouchoir et le remet à son mari Iago, comme il le lui a demandé.
La jalousie d’Othello s’accroît, et il demande à Iago de lui apporter des preuves de ce qu’il
avance. Iago commence par lui raconter que durant la nuit, alors qu’il rêvait, Cassio a empoigné
son corps en prononçant le nom de Desdémone. Ensuite, il laisse sous-entendre que Desdémone
a donné à Cassio le fameux mouchoir brodé. Othello, enragé, demande à Iago de tuer Cassio.
Othello rejoint Desdémone. Alors qu’elle le presse encore de reprendre Cassio, il lui
demande de lui montrer le fameux mouchoir. Prise de panique, elle ne veut pas lui avouer
qu’elle l’a perdu. Othello lui raconte son attachement à ce mouchoir qui lui vient de sa
mère et l’enjoint violemment d’aller le chercher avant de la quitter. Pendant ce temps,
Cassio rencontre Bianca, sa maîtresse, et lui demande de faire une copie de ce joli
mouchoir qu’il a trouvé chez lui et qu’on va sans doute lui réclamer.
Acte IV – Les accusations d’Othello
Lieux : Chypre, dans les rues et à la citadelle
Iago s’organise pour qu’Othello entende une conversation entre lui et Cassio, parlant légèrement
de la maîtresse de Cassio, Bianca, mais en s’organisant pour qu’Othello croit qu’ils parlent de
Desdémone. Bianca rejoint Cassio et lui redonne le mouchoir qu’il lui avait demandé de copier.
Othello est enragé et rappelle à Iago sa promesse de tuer Cassio, et ce dernier suggère aussi au
Maure de tuer sa femme.
Lodovico, ambassadeur de Venise, vient porter à Othello une lettre lui ordonnant de rentrer à
Venise, puisque la guerre avec les Turcs est évitée, et nomme Cassio à sa place. Desdémone en
profite pour reparler de Cassio, alors Othello la frappe, à la grande consternation de Lodovico.
Dossier d’accompagnement scolaire – Othello
20
Othello interroge Émilia à propos de la fidélité de sa femme, et cette dernière lui assure que
Desdémone est parfaitement vertueuse. Othello, incrédule, accuse ensuite directement sa femme
d’être une putain. Complètement bouleversée, Desdémone se tourne vers Iago pour obtenir des
conseils. Émilia et Desdémone sont convaincues qu’un traître a glissé ces idées dans l’esprit
d’Othello alors que Iago suggère que ce sont simplement les affaires de l’État qui influencent son
humeur.
Iago retrouve Roderigo, et lui fait comprendre que la mort de Cassio empêcherait Othello et
Desdémone de quitter Chypre. Ils conviennent tous les deux de lui tendre un piège à sa
sortie de chez sa maîtresse, cette nuit.
Pleine de tristesse, Desdémone se prépare pour la nuit avec l’aide d’Émilie. Elle se rappelle une
vieille servante de sa mère, qui chantait au moment de sa mort une chanson sur son amant qui
l’avait abandonné. Desdémone ne comprend pas les accusations d’Othello et avoue à Émilia
qu’elle ne trahirait pas son mari, même pour tous les trésors du monde.
Acte V – Mort et révélation
Lieux : Chypre, dans les rues et dans la chambre de Desdémone
Durant le guet-apens, Roderigo blesse Cassio et est blessé par lui. Othello, qui entend des cris,
est convaincu que Iago a tenu promesse et tué Cassio. Iago tue Roderigo afin qu’il ne puisse
révéler leur trahison, mais avant que Iago ne puisse intervenir et achever Cassio, ce dernier est
secouru par Lodovico et Montano. Iago essaie d’imputer la responsabilité de ces crimes à
Bianca, la maîtresse de Cassio.
Othello observe Desdémone endormie. Elle se réveille et il lui demande de confesser ses
crimes, mais elle plaide l’innocence. Othello l’étrangle et Émilia, venue pour parler au
Maure, entend les derniers mots de sa maîtresse. Othello avoue sans difficulté son meurtre
et explique à Émilia que Iago lui a fait comprendre que Desdémone le trompait avec
Cassio. Émilia, persuadée que Iago a menti, crie pour dénoncer le meurtre.
Dossier d’accompagnement scolaire – Othello
21
Iago, Lodovico et Montano entrent dans la chambre. Réalisant que les certitudes d’Othello sont
basées sur le mouchoir que Desdémone aurait supposément donné à Cassio, Émilia révèle que
c’est elle qui a trouvé le mouchoir et qu’elle l’a donné à son mari, comme il le lui avait demandé.
Avant qu’elle ne puisse continuer, Iago la poignarde à mort.
Iago s’enfuit mais est rapidement rattrapé. Des lettres retrouvées sur le corps de Roderigo
prouvent que c’est lui qui a orchestré toutes ces machinations. Othello, réalisant l’horreur de sa
méprise, tente de tuer Iago, puis se poignarde et meurt dans le lit de Desdémone. Lodovico
annonce que Iago sera jugé pour ses crimes et confie le gouvernement de Chypre à Cassio.
Personnages et thèmes
véhicule
Othello
plusieurs
thèmes
appréciés du public de l’époque de
Shakespeare : le racisme, les conquêtes
militaires,
la
violence
domestique,
l’abus d’alcool et les conflits de
génération, tout en mettant en scène une
grande histoire d’amour tragique. Les
intérêts du public ont évolué depuis
quatre
siècles,
et
outre
l’histoire
d’amour qui bouleverse toujours autant,
plusieurs idées amenées par Shakespeare trouvent un écho chez les spectateurs d’aujourd’hui.
Avec Hamlet, Macbeth et Le Roi Lear, Othello fait partie des quatre tragédies les plus estimées
de Shakespeare.
Image issue du livre Tales from Shakespeare, de Charles and Mary Lamb, publié par la Henry Altemus
Company, en 1901.
Dossier d’accompagnement scolaire – Othello
22
Personnages
Comme dans toutes les grandes pièces de Shakespeare, les
personnages sont d’une incroyable vérité théâtrale. À la fois
archétypaux et réalistes, ils nous questionnent et nous touchent, et en
révèlent beaucoup sur la condition humaine. Othello possède le
monstre le plus fameux de la littérature théâtrale : Iago.
Conventionnellement, on associe le diable à la couleur noire, mais
Iago
Déjà mon plan conçu de la sorte ?
Que la Nuit fécondée par l’Enfer
Accouche de ce monstre,
Que je veux voir dévoiler à la face
du monde.
(Acte I, scène 3)
aucun personnage n’est plus diabolique que le blanc Iago. Il incarne
le mal, comme il le dit lui-même, dévoilé à la face du monde.
Pourquoi Iago hait-il autant Othello ?
Quelques
prétextes sont évoqués dans la pièce, comme sa crainte
d’avoir été fait cocu par Othello, le désir que lui inspire
Desdémone, un besoin de vengeance à propos de la
promotion de Cassio. Mais l’énigme des causes de la
haine de Iago ne sera jamais élucidée. Il est méchant
sans raison, en quête de raisons d’être méchant. Et dès
lors qu’il met son plan à exécution, il se laisse emporter
par la spirale du mal.
Iago
Je hais le Maure.
D'autant plus qu'aux fins de sa propre jouissance,
Il aurait dit-on baisé ma femme en mon absence ?
Et dans mes propres draps ?
Est-ce vrai ? Est-ce faux ? Que m'importe !
Je ferai comme s’il y avait certitude.
(Acte I, scène 3)
Iago
Les pensées dangereuses
Inspirent d’abord un goût amer
Puis elles s’étalent dans les veines
Comme la coulée des volcans.
(Acte III, scène 3)
Iago occupe le centre de la pièce. En terme de quantité de texte,
c’est lui le personnage principal. Il apparaît comme un double
monstrueux de l’auteur ou comme à la fois le metteur en scène et
un personnage de cette tragédie dont il est à l’origine. C’est
souvent à travers ses yeux que sont vus Desdémone et Othello,
des victimes un peu pitoyables de leur amour. Il est cynique,
selon lui seuls les imbéciles croient à l’amour, à l’honneur. Lui
ne croit qu’à l’égoïsme et au désir.
Par comparaison avec
Othello, il apparaît comme maître de soi, pessimiste mais lucide.
Dossier d’accompagnement scolaire – Othello
Iago
Si moi j’étais le Maure,
Je ne voudrais pas être Iago.
Car le jour où mes
agissements
Feraient toute la lumière
Sur les véritables intentions
Qui flambent dans mon cœur,
Je voudrais pour moi-même
Un châtiment plus horrible
Que les tourments de l’enfer.
Je ne suis pas ce que je suis
(Acte I, scène 1)
23
Surnommé le Maure de Venise, Othello est un
ancien esclave noir, qui par sa valeur, a pu racheter
sa liberté, devenir un valeureux guerrier et ainsi
gagner l’estime des Vénitiens. Othello amène une
toute autre vision du monde que celle de Iago. Pour
cet homme honnête, l’amour et le fidélité existent,
tandis que pour Iago, la terre et chaque homme qui
l’habite est méprisable. Il est totalement convaincu
de l'intégrité du fourbe Iago.
Iago
Mon seigneur,
Vous savez que je vous aime.
Othello
Je le crois.
Et parce que je connais ta loyauté
Et parce que tu connais le poids
De chaque parole avant de la dire,
Ton silence m’inquiète plus encore.
Ces hésitations sont des manœuvres
Qu’utilisent les fourbes,
Mais chez toi, l’homme juste,
Ce sont des émois qui sortent,
Maladroits, de ton cœur.
(Acte III, scène 3)
C’est un homme libre, qui a voyagé, qui s’est battu et qui a pu
obtenir une place au sein d’un univers qui lui était originellement
fermé. Grandiose, majestueux, il a dans la pièce des envolées qui
traduisent sa fougue et sa rage.
Sa bravoure, sa renommée et sa gloire sont établis. C’est
un homme qui adhère à des principes solides, et sa
transformation en tyran violent et jaloux provoque la
stupeur chez ceux qui le connaissent.
Othello
Lui! Je voudrais qu’il ait
Quatre fois dix mille vies!
Une seule est trop peu
Pour mon désir
De la lui ôter.
(Acte III, scène 3)
Lodovico
Est-ce bien le valeureux Maure
Dont le Sénat proclamait le talent?
Est-ce bien l'homme dont on dit
Que ni le caractère ni la passion
Ne peuvent altérer sa vertu,
Pas plus que les flèches du sort
Et les traits du hasard ?
(Acte IV, scène 1)
Desdémone est une des figures les plus érotiques de
Shakespeare. Plus femme que la Juliette de Roméo et
Juliette ou l’Ophélie d’Hamlet, elle est aussi plus
obstinée. Son père la croit douce, encore une enfant,
alors qu’elle est déjà violemment tombée amoureuse
Brabantio
Une enfant sans expérience
Habituée à la douceur de son nid
Et que le moindre frémissement
Rend folle de terreur.
(Acte 1, scène 3)
d’Othello.
Dossier d’accompagnement scolaire – Othello
24
Les intrigues de Iago sont incapables d’expliquer totalement le revirement
d’Othello. Quelques indices dans le texte nous portent à croire que la passion
dont Desdémone fait preuve envers Othello témoignent d’une nature
équivoque et inquiétante. Après leur nuit de noces, c’est comme si Othello
Othello
Et pourtant,
On dirait parfois
Que sa nature est
étrange.
(Acte III, scène 3)
commençait à avoir peur de Desdémone, peur de cette jeune fille innocente
qui se transforme en femme, en amante. Plus elle est passionnée d’amour,
plus il croit qu’elle possède ce qu’il faut en elle pour le trahir.
Au premier acte, les mesquins avertissements de
Brabantio, le père de Desdémone, laissent présager
le pire, et Iago en rajoute à l’acte III.
Brabantio
Maure : ne la perd pas de vue.
Elle a trahi son père
Elle pourrait te trahir
(Acte I, scène 3)
Iago
Elle a trompé son père en vous épousant.
Et malgré la frayeur
Qu’elle semblait éprouver à votre vue,
Ce qui la faisait trembler, disait-elle,
Était ce qu’elle aimait le plus en vous.
(Acte III, scène 3)
Pourtant, Desdémone n’est coupable que d’aimer et de désirer son mari. Son intelligence, son
influence sur Othello et sa passion révèlent sa nature charnelle et son esprit d’indépendance, qui
ont longtemps été condamnés chez la femme.
Othello, Iago et Desdémone sont parmi les plus imposants personnages de Shakespeare, mais
Cassio, Roderigo et Émilia offrent aussi de beaux défis pour les acteurs.
La jalousie
Dans Othello, tout le monde est jaloux. Iago de Cassio, Roderigo de
Othello, Brabantio est jaloux des soupirants de sa fille, Bianca, la
maîtresse de Cassio, est possessive et jalouse. La jalousie, l’envie et
le désir ne sont pourtant pas des thèmes qui honorent le héros tragique
qu’est Othello. Comme personnage, le Maure est diminué par sa
Émilia
Peu importe au jaloux
Qu’il y ait une cause.
La jalousie est un monstre
Qui s’engendre et qui naît de luimême.
(Acte III, scène 4)
jalousie, alors que Hamlet est respecté pour son doute existentiel, tout
comme l’est Macbeth pour son ambition et même le roi Lear pour sa
folie.
Dossier d’accompagnement scolaire – Othello
25
Othello demande qu’on se souvienne de lui comme d’un
amoureux égaré, mais son geste fatal à l’égard de Desdémone
apparaît incompréhensible aux yeux des observateurs extérieurs.
Othello
Souvenez-vous de moi
Comme d’un amoureux
Égaré à l’extrême.
(Acte V, scène 2)
Lodovico
Toi, Othello,
Qui étais si valeureux jadis,
Comment te nommer à présent ?
(Acte V, scène 2)
L’Amour – l’Autre
Othello est la tragédie de l’amour détruit de l’intérieur, l’amour vaincu
par sa propre perversion : la jalousie. Dans la première partie de la
pièce, rien de l’extérieur ne semble pouvoir séparer les nouveaux
mariés. Ni l’hostilité sociale, ni la guerre, ni la tempête qui menace
d’engloutir le navire d’Othello. Leur amour semble indestructible, et
Émilia
C’est d’une invraisemblance
Qui m’assure en effet
Que le Maure est sous
l’influence
D’un scélérat.
(Acte IV, scène 2)
le brusque changement d’attitude d’Othello est trop contre-nature pour
échapper à la perspicace Émilia.
Othello est aussi une pièce sur l’idée de l’étranger, sur l’autre,
sur les différences qui nous attirent chez l’autre, mais qui
peuvent aussi devenir menaçantes.
À travers deux mondes
opposés, le couple Othello-Desdémone symbolise l’étrangeté de
l’amour.
Physiquement, il y a la couleur de peau, et
spirituellement, leurs natures si différentes.
En plus d’opposer
le blanc et le noir qui frappent l’imaginaire du spectateur,
Shakespeare oppose la jeunesse et l’âge mûr, l’innocence et
Iago
À l’instant où je vous parle,
Un vieux bouc aux pattes noires
Se démène par-dessus
Votre brebis toute blanche.
(Acte I, scène 1)
Othello
Ainsi je compris qu’elle m’aimait
Pour les dangers que j’avais traversés
Et que mon cœur était épris d’elle
Pour les larmes qu’elle y avait versées.
(Acte 1, scène 3)
l’expérience, le féminin et le masculin.
Le réel
Une des idées maîtresses qui traverse Othello, et qui témoigne de la sensibilité de Shakespeare
aux grands changements de son époque, est l’opposition entre croire et voir.
L’époque
élisabéthaine fait partie de ce qu’on appelle la Renaissance, mouvement occidental caractérisé par
une grande diffusion de connaissances au niveau de la géographie, de la science, des arts et la
Dossier d’accompagnement scolaire – Othello
26
redécouverte des textes philosophiques et littéraires de l’Antiquité. La pensée du Moyen Âge,
période d’environ 1000 ans qui précède la Renaissance, est basée sur la foi. La pensée de la
Renaissance est basée sur le savoir.
Othello est issu du monde de la chevalerie, un monde rassurant aux valeurs bien définies,
auxquelles on croit sans se poser de question. Iago appartient à un monde nouveau, inquiétant,
dans lequel le doute et les questionnement viennent ébranler les certitudes. Il ne faut plus
seulement croire, il faut savoir, obtenir des preuves et apprendre à saisir la réalité dans son
ensemble. Pour Othello, quelqu’un qui a l’air honnête est honnête, alors que le comportement
même de Iago nous prouve que le contraire est possible. Dans la pièce, Iago change la perception
du monde chez Othello, de manière concrète, en le convainquant que Desdémone lui est infidèle.
Il modifie aussi de manière abstraite sa perception du monde, en l’amenant à comprendre qu’il
aurait dû vérifier par lui-même au lieu de croire ce qu’on lui racontait.
Cette idée amenée par Shakespeare préfigure
le rationalisme de Descartes, qui publie son
Discours de la méthode un peu plus de trente
ans après Othello.
valeurs,
Othello
En cohérence avec ses
tue
Desdémone
pour
sauvegarder le sens de sa propre vie, et peutêtre aussi l’ordre du monde. Mais il est trop
tard, Iago a provoqué un tremblement de terre
et instauré un monde sans cohésion, dans
lequel l’homme et la raison ont remplacé Dieu
et la foi.
Dossier d’accompagnement scolaire – Othello
Iago
Quelle vertu ? Le fait d’être qui nous sommes ne dépend que de
nous. Le corps est un jardin que la volonté cultive. Quelle que soit
la plante qu'on y arrose, de l’ortie ou de la laitue, de l’hysope ou
du thym, notre capacité de le rendre aride ou fertile réside au fond
de nous-mêmes. Nous avons la raison pour apaiser nos désirs
effrénés, et ce que vous, piètres jardiniers, vous appelez de
l’amour, ce n’est pour moi qu’un parasite qui menace la fleur.
(Acte I, scène 3)
Othello
Mais qu’il faille déserter
Le jardin de mon cœur
Qui laissait entrevoir
Comme un torrent vivace
La splendeur de mes rêves
Et de ma descendance,
C’est condamner mes jours
À n’y voir qu’un bourbier
Remplis de noirs excréments
(Acte IV, scène 2)
27
L’instant Shakespearien
En terminant, quelques mots sur ce que les spécialistes ont appelé le problème de la double
temporalité dans Othello. L’acte I, qui se déroule à Venise, ne cause pas de problème. Mais les
actes II à V, qui se déroulent à Chypre, contiennent des éléments qui se déroulent en une seule
journée, d’autres en plusieurs jours, voire plusieurs semaines. L’action principale de la pièce se
déroule à Chypre en 24 heures, ce qui est totalement incompatible avec le fait, par exemple, que
Bianca soit la maîtresse de Cassio depuis plusieurs jours, ou que la nouvelle de l’anéantissement
de la flotte turque soit parvenue à Venise, qui a renvoyé un ambassadeur pour rappeler Othello.
Deux choses sont à considérer à ce sujet. D’une part, Shakespeare avait besoin d’un temps plus
court, pour intensifier l’expérience dramatique, et d’un temps plus long, pour rendre plausible
l’idée de l’adultère. D’autre part, Shakespeare avait une formidable connaissance instinctive de
ce qui est important au théâtre et de ce qui ne l’est pas.
Aucune des invraisemblances
temporelles, même si elles peuvent être remarquées à la lecture, ne gêne vraiment l’écoute et la
compréhension. Ce n’était pas les premières (ni les dernières) improbabilités ou contradictions
produites par Shakespeare, qui n’hésitait pas à sacrifier le réalisme pour servir son œuvre.
Dossier d’accompagnement scolaire – Othello
28
Entretien avec les acteurs Éliane Préfontaine et
Ruddy Sylaire
Éliane Préfontaine est Québécoise, dans la jeune vingtaine, et
elle incarne la pure et dévouée Desdémone dans Othello. Ruddy
Sylaire, dans la jeune quarantaine, est d’origine haïtienne, il vit
en Martinique, et il incarne le fougueux et tourmenté Othello.
Nous les avons rencontrés tous les deux à mi-parcours des
répétitions, quelques semaines avant la première de la pièce au
Théâtre français du Centre national des arts.
À droite, Éliane Préfontaine et Pierre Lebeau dans La
Fin de Casanova et à gauche, Ruddy Sylaire et Nicole
Dogué dans Nous étions assis sur le rivage du monde.
Le public du CNA vous a vu, Éliane, dans La Fin de Casanova et Ruddy dans Nous
étions assis sur le rivage du monde…, deux pièces mises en scène par Denis
Marleau.
Ils vont vous revoir dans Othello.
Pour commencer, pourriez-vous
simplement nous parler de vous et de ce qui vous a amené à travailler avec
Denis Marleau et UBU ?
Éliane : J’ai étudié à l’école FACE, une école alternative primaire et secondaire du
centre-ville de Montréal, axée sur les arts. Ma rencontre avec Denis Marleau tient
d’un tour de force étrange. En gros, j’étais amie avec Catherine Asselin, la fille de
Jean Asselin4.
Un fax d’UBU s’est retrouvé dans le bureau de notre professeur
d’anglais à FACE, qui l’a donné à Catherine, peut-être parce que son père faisait du
théâtre ?
Enfin, c’était une offre d’audition pour le spectacle Intérieur que Denis
4
Jean Asselin est le cofondateur et le directeur artistique de Omnibus, une compagnie de théâtre de Montréal axée
sur le mime.
Dossier d’accompagnement scolaire – Othello
29
Marleau montait au Théâtre du Rideau Vert en 2001. Il recherchait deux jeunes
comédiennes pour jouer des sœurs. Nous avons fait l’audition et nous avons eu le
rôle. C’est ainsi que j’ai rencontré Denis. J’ai terminé mon secondaire en 2002,
ensuite, j’ai poursuivi mes études au Collège Brébeuf en Arts et Lettres. À la fin du
cégep, j’ai entrepris un voyage de quelques semaines et le jour où je suis revenue, j’ai
reçu un téléphone de Denis Marleau qui me proposait de passer une audition pour le
rôle de Francisca dans La Fin de Casanova. Je ne sais pas ce que me réserve l’avenir,
j’avais l’intention d’étudier dans une école de théâtre au Québec, mais j’ai maintenant
changé d’avis. Je me suis impliquée à fond dans La Fin de Casanova et maintenant
dans Othello. Je vis le moment présent, mais je sais que j’aimerais aller étudier à
l’extérieur du pays et je suis aussi très attirée par la musique, je joue du piano et de la
guitare.
Ruddy : Je suis médecin de formation et d’origine haïtienne. J’ai commencé à faire
du théâtre en 1990 en Haïti, avec la compagnie Hervé Denis. Il n’y a pas tellement de
différence entre la médecine et le théâtre, puisque le sujet est toujours l’homme. Avec
la médecine, on fait de l’argent avec la douleur des hommes, et au théâtre, on travaille
pour le loisir des hommes. Avec Hervé Denis, nous avons joué plusieurs auteurs du
répertoire, Beckett, Brecht, Aimé Césaire, Molière. À partir du coup d’état de 1991
(contre le président Jean-Bertrand Aristide, le 30 septembre 1991), il est devenu de
plus en plus difficile de jouer, de faire du théâtre en Haïti.
Je me suis alors installé en Martinique, où j’ai continué à jouer et à faire de la mise en
scène, toujours avec les mêmes auteurs, comme Genet et Césaire, et des projets plus
particuliers, comme une traduction d’En attendant Godot de Samuel Beckett en créole.
Je connaissais le dramaturge José Pliya, et j’avais déjà travaillé sur quelques uns de
ses textes. C’est lui qui m’a proposé de rencontrer un metteur en scène canadien qui
s’apprêtait à monter sa pièce Nous étions assis sur le rivage du monde…. Je tombe sur
Denis Marleau, qui était en prospection pour trouver des acteurs noirs.
Il m’a
rencontré en fin de course, et j’ai beaucoup aimé notre première rencontre; c’était une
vraie rencontre entre un metteur en scène et un acteur. J’aime beaucoup travailler avec
Denis, il effectue une véritable spéléologie du texte, une profonde exploration
physique, qui amène toujours plusieurs niveaux de significations.
Dossier d’accompagnement scolaire – Othello
30
On dit d’Othello que c’est l’histoire de quelqu’un qui apprend – durement – à
voir le monde tel qu’il est.
Qu’en pensez-vous ?
Ruddy : Othello est un militaire, un guerrier, il y a tout un pan de la vie qu’il ne connaît pas.
Il a vu le monde en guerre, mais il est en train de découvrir une autre réalité du monde, il est
en train de découvrir l’amour, qui l’aveugle. Au point de le rendre sensible à des ragots,
aveugle à toute prise de recul.
Éliane : Il aurait dû davantage faire confiance à Desdémone. Il ne vérifie pas, et il la tue !
Ruddy : Il écoute davantage les gens de son entourage que la femme qu’il aime. Combien
de gens sont comme ça ?
Même si Othello est peut-être une des pièces les plus intimistes de
Shakespeare, elle demeure tout de même très théâtrale.
Est-ce qu’on aborde
son personnage dans Othello avec des questionnements sur la psychologie ou par
un autre chemin ?
Ruddy : Nous avons fait un mois de travail de table, comme on dit, une vraie
recherche au niveau du texte, de ses strates, de sa signification en profondeur.
Beaucoup de choses sont apparues, en dehors des thèmes du racisme et du cocu.
Comment se dissimule la part monstrueuse de tout un chacun ? Quels sont les mobiles
qui font que les gens changent ? Les motivations des gens ne tiennent parfois pas à
grand chose. Et alors cette part monstrueuse s’ouvre…
Éliane : L’aspect psychologique passe par le personnage de Iago, qui engendre le
monstre, qui fait en sorte que tous les personnages sont emportés dans son mensonge.
Tous les personnages agissent pour la vérité. J’aborde mon personnage en me disant :
« Tout ce qu’elle dit, c’est vrai ». Elle est pure, mais en même temps, elle porte
quelque chose d’ambigu, elle porte la mort. Elle sait qu’elle ne comprend pas tout ce
qui se passe avec Othello, mais elle se laisse mourir pour l’amour, au nom de l’amour.
Elle fait confiance à Othello, et pour ma part, dans mon interprétation, c’est la vérité.
Elle n’a pas de malice.
Ruddy : L’espèce de fascination qu’a Desdémone pour quelqu’un qui a le double de
son âge possède un certain aspect morbide. Othello l’a séduite avec des récits de
guerre, de têtes coupées. Desdémone a besoin de sortir de chez son père, de quitter la
maison.
Dossier d’accompagnement scolaire – Othello
31
Éliane : Elle découvre le monde à travers les yeux d’Othello, elle est fascinée par
les récits de guerre, mais en même temps, elle est pleine de compassion, elle a envie
de le prendre sous son aile. Elle a un côté très maternel, réconfortant.
Comment travaillez-vous le
difficultés, les facilités ?
texte
de
Shakespeare
?
Quelles
sont
les
Éliane : Nous considérons à la base que le texte dit tout. Denis travaille beaucoup
avec le texte. Si tu dis le texte tel qu’il est, si tu te fies au point, à la virgule, ça coule
de soi. Ça permet de ne pas trop s’emballer, parce que Shakespeare, ça peut être
effrayant pour des acteurs.
Ruddy, C’est un texte très humain, et même particulièrement contemporain. La
forme linguistique elle-même est proche de nous, du langage d’aujourd’hui. Travailler
le texte, c’est comme éplucher un oignon de sentiments, couche après couche. De
cette façon, on repousse la barrière de la forme de la langue. Au final, c’est très
immédiat et plein de vérité. Et pour faire ce travail, l’avantage, c’est qu’on a un accès
immédiat au traducteur, on interroge le texte durant les répétitions, on va et vient, on
fait des modifications sur le plateau, on retourne même à Shakespeare !
Ruddy, vous avez fait de la danse, et Éliane, vous aviez un jeu très physique
dans La Fin de Casanova.
Comment travaille-t-on le corps dans Shakespeare,
particulièrement dans Othello, qu’on pourrait imaginer comme une tragédie
figée ?
Ruddy : Le travail se fait toujours à partir des impulsions du mental, très puissantes,
qui mettent le corps en mouvement. C’est une des bases du travail de Denis Marleau.
Quand on travaille avec lui, il y a comme un cha-cha à l’intérieur, c’est vivant ! À
l’opposé, ce qui tue le propos, c’est raconter Shakespeare engoncé dans une gaine en
métal. Othello, c’est tellement vivant et sensuel.
Éliane : Il y a beaucoup de tension physique entre Othello et Desdémone, qui sont
de jeunes mariés. Ce qui est bien, c’est qu’on bouge, mais ce n’est pas un jeu
naturaliste. La parole a la priorité, si elle entraîne le mouvement, on bouge, mais rien
de ce qu’on fait n’est décoratif.
Dossier d’accompagnement scolaire – Othello
32
La pièce a été écrite autour de 1600. Elle nous touche encore beaucoup, entre
autres à cause de la fascination qu’exerce le personnage de Iago, à cause
aussi de ce grand amour qui est détruit, à cause du génie théâtral de
Shakespeare. Mais lorsqu’on joue Shakespeare et d’autres auteurs anciens, on
est confronté à certaines idées qui n’ont plus cours à notre époque. Par
exemple, la notion d’innocence, chez la femme particulièrement, a évolué.
Comment traitez-vous ces idées, qui sont des traits fondamentaux de vos
personnages ?
Éliane : Au départ, je me questionnais à ce sujet, mais, finalement, je trouve que
Desdémone n’est pas vraiment soumise. Elle tient son homme très serré. C’est même
clairement énoncé dans la pièce que depuis leur mariage, ce n’est plus Othello qui
dirige, mais elle. Le rapport entre Émilia et Iago est très différent. Émilia est soumise
à Iago, mais on réalise que c’est parce que de toute façon, c’est un monstre, un tyran.
Ruddy : Je ne suis pas certain que les femmes étaient plus soumises à l’époque de
Shakespeare.
Elles étaient en situation de dépendance, mais elles n’étaient pas
toujours soumises.
Éliane : La question de l’honneur, même si elle s’exprime différemment
aujourd’hui, est aussi importante qu’à l’époque de Shakespeare.
Préserver notre
réputation nous préoccupe encore aujourd’hui.
Ruddy : Et nous sommes toujours aussi prisonniers du regard des autres !
En terminant, pouvez-vous me parler de la forme que va prendre le spectacle,
au niveau de la mise en scène. Comment Denis Marleau aborde-t-il la pièce, au
niveau de la scénographie, du rythme, de la tonalité ?
Éliane : Le décor sera composé de trois grands panneaux blancs, manipulés par les
acteurs, qui seront toujours sur la scène, d’une manière ou d’une autre. Ces panneaux
symbolisent la machine infernale que Iago met en marche.
Ruddy : Et comme c’est un drame intimiste, plus que la violence physique, la pièce
nous montre l’effet que le verbe d’une personne peut avoir sur une autre, comment une
langue qui fourche fait beaucoup plus de mal qu’une chute de trois étages. Au niveau
du rythme, c’est très sinueux, plus coulant qu’en dent de scie. Il y a des montées, des
flux et des reflux, avec des pauses pour laisser digérer. Ce n’est pas frénétique, ça
ressemble au rythme de la vie.
Dossier d’accompagnement scolaire – Othello
33
Shakespeare et le Théâtre élisabéthain
Élisabeth 1ère, telle que peinte par Nicholas Hilliars en 1575, dans le Phoenix portrait.
Shakespeare a vécu sous le règne de deux monarques,
Élisabeth 1ère et Jacques 1er. Le règne d’Élisabeth
s’est étendu sur quarante-cinq ans, de 1558 à 1603.
Elle a su développer une véritable mystique
monarchique et a encouragé l’Angleterre à prendre de
l’expansion et à révéler son plein potentiel.
Dans la première partie du seizième siècle, le théâtre
est amateur et itinérant, joué durant les carnavals et
les fêtes et il subit encore l’influence des pastorales
du Moyen Âge. Il est également beaucoup lié à la
morale et la religion.
L’arrivée au pouvoir
d’Élisabeth amène des troupes établies qui sont
protégées par des nobles et un public. C’est sous le
règne d’Élisabeth que les premiers lieux dédiés au théâtre sont construits, pour la plupart à
Londres. Mais comme Stratford était un carrefour important, Shakespeare y assiste à des fêtes et
à des spectacles pour les visiteurs de marque, dont la reine en 1587. Il a 23 ans.
Lorsque Shakespeare arrive à Londres, il met le pied dans quelque chose d’organisé. À partir du
moment où on retrouve sa trace, en 1992, Shakespeare ne quitte plus la troupe des Hommes du
Lord Chambellan, qui deviendra sous Jacques 1er les Hommes du Roi. Le fait d’appartenir à une
troupe fixe qui possède son propre théâtre consolide ses succès d’auteur.
Il y a un style, dans la littérature théâtrale, qu’on appelle le théâtre élisabéthain. On considère que
cette période a dépassé le règne de la souveraine et s’est étendue sur près de 80 ans. Il nous reste
environ 700 textes de cette époque. La première pièce attribuée à ce style est Gorboduc, écrite en
1561 par Thomas Norton et Thomas Sackville. Elle sera représentée devant Élisabeth en 1562.
Le drame élisabéthain a un caractère national et historique. On y traite du destin de la nation, on
y retrouve une ferveur, une glorification communautaire.
Dossier d’accompagnement scolaire – Othello
34
Il faut savoir que le règne d’Élisabeth correspond à une
époque florissante de l’Angleterre.
C’est le début des
grandes
la
conquêtes,
amorcées
par
destruction
de
l’Invincible Armada espagnole en 1588. Élisabeth ramène la
paix religieuse dans une Angleterre déchirée entre le
catholicisme et le protestantisme, elle restaure les finances de
l’État, favorise le commerce maritime, protège les arts et les
lettres. Les aventuriers anglais parcourent les mers à la solde
de leur souveraine, en Inde, et au Nouveau Monde.
L’Invincible Armada est le nom d’une
flotte espagnole remplie de soldats armés
prêts à conquérir l’Angleterre. La flotte
se composait de 130 navires, transportant
30 000 hommes
dont
environ
20 000 soldats. Elle fut vaincue par la
flotte anglaise en août 1588 et par la
suite, elle fut, en grande partie, détruite
sous la force des éléments, idée que l’on
retrouve d’ailleurs dans Othello, lorsque
la flotte turque est judicieusement
détruite par une tempête.
Sir
Walter Raleigh baptise la Virginie en honneur de la « Reine
Vierge ».
La construction et l’aménagement des théâtres
commencent vers 1570. Le gouvernement de la City
de Londres ne voit pas d’un très bon œil
l’implantation de ces lieux ouverts au public, mais
leur hostilité était contrebalancée par les penchants
de la reine pour les divertissements. À cause de cette
hostilité, les théâtres ont pris naissance dans les
banlieues, sur la rive sud de la Tamise. À l’époque
de Shakespeare, Londres compte neuf théâtres pour
une ville de 160 000 habitants.
L’Angleterre possède depuis le treizième
siècle un parlement qui a, au fil de sa
croissance, de plus en plus limité le pouvoir de
la monarchie. De plus, Londres a toujours été
une plaque tournante du commerce mondial, et
ce depuis la domination romaine.
La
monarchie anglaise a constamment dû compter
avec les bourgeois et les commerçants, qui lui
ont permis de financer les entreprises du
royaume. La City de Londres correspond au
cœur historique de la ville. C’est là que la ville
moderne est née et c’est le plus ancien quartier
de la capitale. À l’époque de Shakespeare, la
City était un centre d’échange et de commerce,
placé sous l’autorité de sa propre
administration. Aujourd’hui, la City possède
encore un statut particulier, et elle est le plus
grand centre financier d’Europe.
Les théâtres ne sont pas ouverts de façon permanente. Ils sont fermés
durant les épidémies et les intempéries, parce que les bâtiments sont à
ciel ouvert. Les théâtres de style élisabéthain étaient des bâtiments de
forme circulaire, comprenant une scène qui s’avançait dans la salle, un
parterre pour des spectateurs debout et une galerie également
circulaire, pour des spectateurs assis. La scène était en partie abritée
et comprenait souvent un balcon. Les théâtres sont des entreprises
commerciales. Il n’y a pas de chef de troupe, mais des sociétaires.
Comme il faut assurer un revenu pour tout le monde, les compagnies
Dossier d’accompagnement scolaire – Othello
35
tentent aussi de dénicher des lieux fermés où ils peuvent jouer durant l’hiver. Le plus connu
d’entre eux est le Blackfriars, un ancien monastère.
La troupe de Shakespeare l’a obtenu
probablement en 1608. Protégé du vent et des intempéries, il possède moins de places que les
théâtres à ciel ouvert de la rive sud, mais elles sont vendues beaucoup plus cher.
Mais le nom de Shakespeare est avant tout associé au Globe, un établissement typique de l’ère
élisabéthaine. James Burbage, père de Richard Burbage, un collègue de Shakespeare et acteur
reconnu de la troupe des Hommes du Lord Chambellan, possède un théâtre situé sur la rive nord,
simplement appelé The Theatre, où la compagnie présente ses pièces entre 1576 et 1598. Les
Burbage sont propriétaires du bâtiment, mais pas du terrain. À cause d’un sérieux problème de
renouvellement de bail, la compagnie est acculée au pied du mur et prend alors une décision
audacieuse. Ils démontent le bâtiment et le remontent sur la rive sud, dans le quartier des
théâtres, où il devient The Globe.
La devise soi-disant inscrite à l’entrée du Globe est
Totus mundus agit histrionem, « Le monde est un
théâtre ». À l’époque, c’est le plus grand et le plus chic
des théâtres londoniens.
Le Globe sera incendié en
1613, ironiquement au cours d’une représentation de la
dernière pièce de Shakespeare, Henri VIII, par un coup
de canon tiré qui a enflammé le toit de chaume. On
présume que cet incendie a provoqué la perte de
plusieurs manuscrits. Il est rapidement reconstruit et
définitivement détruit par les Puritains5 en 1642, qui ont
détruit l’ensemble des théâtres de Londres.
L’énergie de l’époque élisabéthaine, remplie de guerres et de conquêtes, se reflète dans les goûts
des spectateurs, qui veulent que la violence, la modernité et le progrès se traduisent dans les
pièces. Le public aime la passion, l’emphase et les tragédies de vengeance. Et il fallait plaire au
5
Entre 1642 et 1660, les Puritains, sous la gouverne d’Olivier Cromwell et avec l’aide du parlement anglais,
renversent le roi Charles 1er, successeur de Jacques 1er, et prennent le pouvoir jusqu’en 1660. En 1660, Charles II,
fils du roi destitué, est ramené sur le trône, événement qu’on a appelé la Restauration. Les Puritains étaient des
protestants radicaux qui considéraient que la religion anglaise, l’anglicanisme, était encore trop proche du
catholicisme.
Dossier d’accompagnement scolaire – Othello
36
public. Il fallait mêler le rire aux larmes, subjuguer et passionner des spectateurs bruyants et
indisciplinés, pour assurer la rentabilité du lieu. Il fallait se renouveler et écrire sans cesse de
nouvelles pièces, pour remplir des espaces qui pouvaient contenir pas moins de 1400 spectateurs,
dans le cas du Globe.
Au temps de Shakespeare, les compagnies sont exclusivement masculines, et comprennent des
hommes et des jeunes garçons qui jouent les rôles de femmes. Il y a peu de jeunes acteurs, c’est
pourquoi il y a si peu de personnages féminins. Chez Shakespeare, il y a environ 140 rôles de
femmes pour 900 personnages. À l’origine de cette interdiction, il y a la présomption que la
présence de femmes sur scène inciterait le public, majoritairement masculin, à ressentir des désirs
coupables et collectifs.
Mais cette ambiguïté des codes a probablement créé un climat
d’étrangeté, parce que les frontières entre les deux sexes se dissolvent et se brouillent. Les
distributions masculines créent aussi un climat plus distancié, moins sensuel. Dans les comédies
de Shakespeare, l’habit fait le sexe. Il n’est pas rare de voir un acteur masculin travesti en femme
se déguiser à nouveau pour faire semblant d’être ce qu’il est réellement ! L’interdiction de jouer
pour les femmes sera levée en 1660, lors de la Restauration.
Le drame élisabéthain compte quelques grands bâtisseurs avec Shakespeare. Les principaux sont
Thomas Kyd, Christopher Marlowe et Ben Jonson. Thomas Kyd (1558 – 1594) est l’auteur de
La Tragédie espagnole, un texte pittoresque et grandiose. Sa mort à l’âge de 36 ans ne lui laissa
pas le temps de construire une œuvre abondante. Christopher Marlowe (1564 – 1593) est mort
lui aussi très jeune, à l’âge de 29 ans, dans une bagarre de taverne. Poète libre et original, il a
donné corps à des héros démesurés comme Faust. Tous les deux ont composé des tragédies
fracassantes qui plaisaient au public de l’époque. Ben Jonson (1572 – 1637) est considéré
comme le principal rival de Shakespeare, même si on croit qu’ils étaient amis ou du moins se
respectaient. Auteur prolifique, il a composé des divertissements pour la cour de Jacques 1er,
mais c’est surtout pour ses comédies, qu’on considère des chefs-d’œuvre du théâtre élisabéthain,
qu’il est passé à la postérité. Les plus connues sont Volpone ou le Renard et La Foire de la SaintBarthélémy. Jonson a écrit deux poèmes en introduction au Folio de Shakespeare en 1623, dans
lesquels il lui rend hommage.
Dossier d’accompagnement scolaire – Othello
37
Lectures
Activités proposées
•
Pour lire Othello en français, l’idéal est la traduction de Jean-Michel Déprats publiée dans
la nouvelle édition bilingue des tragédies de Shakespeare dans la (très coûteuse) Pléiade.
•
La traduction d’Yves Bonnefoy, publiée dans la collection Folio, est excellente, à défaut
parfois de rendre toute l’âpreté de la langue de Shakespeare.
•
Pour le lire le texte original, on favorisera l’édition de Michael Neill publiée dans la
collection The Oxford Shakespeare/Oxford World’s Classics (Oxford University Press,
2006).
•
Règle générale, Yves Bonnefoy et Jean-Michel Déprats sont reconnus comme de bons
traducteurs contemporains de Shakespeare. Si vous désirez lire d’autres pièces,
recherchez sans hésiter leurs signatures.
•
Pour les acteurs en herbe qui souhaiteraient se mesurer à Shakespeare, nous vous
proposons l’inévitable et bouleversant Roméo et Juliette et le fantastique et amusant
Songe d’une nuit d’été.
•
Sur Shakespeare, un petit bouquin coloré, vivant et instructif, Shakespeare Comme il vous
plaira, est disponible dans la magnifique collection Découvertes Gallimard. On y
retrouve des éléments biographiques, historiques et des illustrations.
•
Les traductions de Shakespeare par Normand Chaurette – Othello est sa huitième – ne
sont pas éditées quoiqu’on puisse les emprunter au Centre des auteurs dramatiques :
o www.cead.qc.ca
ou à la bibliothèque de l’École nationale de théâtre du Canada :
o www.ent-nts.qc.ca/ent/bibliotheque.htm
Opéra
•
•
Normand Chaurette est aussi auteur de théâtre. Alors qu’il travaillait sur une traduction
de Richard III, (qu’il a par la suite délaissée), il se découvre une fascination pour les
quatre personnages de femmes présents dans la pièce. Il conserve ces personnages, en
ajoute deux autres et se fixe un défi : toucher le spectateur qui ne connaît rien à
Shakespeare. Sa pièce Les Reines n’est pas un hommage à Shakespeare, ni même un
pastiche. C’est un hommage aux lois du théâtre. Le texte a été publie en 1991 chez
Leméac – Actes Sud.
•
Deux compositeurs reconnus se sont attaqués à l’Othello de Shakespeare. D’abord le
prolifique Rossini présente son Otello en 1816, suivi par Verdi en 1887. La version de
Verdi est un chef d’œuvre de l’art lyrique.
Dossier d’accompagnement scolaire – Othello
38
Cinéma
Au cinéma, on compte plusieurs adaptations d’Othello, certaines étant passées à
l’histoire.
•
Il y a d’abord Orson Welles, qui réalise en 1952 une sombre adaptation
de The Tragedy of Othello: The Moor of Venice dans laquelle il incarne
lui-même le Maure. Son film remporte le Grand prix à Cannes et il est
à souligner que l’actrice qui incarne Desdémone est une canadiennefrançaise du nom de Suzanne Cloutier.
•
Grand acteur Shakespearien, le britannique Laurence Olivier a aussi
incarné le Maure sur scène et à l’écran, dans une adaptation d’Othello en 1965, qui lui vaut une
nomination aux Oscars. Sir Laurence Olivier a également pris part au cinéma à des adaptations de
Richard III, Comme il vous plaira, Hamlet et Le Marchand de Venise.
•
Dans les versions plus récentes, il faut souligner celle du britannique Kenneth Branagh, datant de
1995, dans laquelle il incarne Iago, Laurence Fishburne (The Matrix), Othello et Irene Jacob,
Desdémone. Kenneth Branagh a aussi réalisé un film à partir d’Hamlet en 1996 et de joyeuses
adaptations des comédies Beaucoup de bruit pour rien (Much Ado about nothing) en 1993 et
Peines d’amour perdues (Love’s Labour’s Lost) en 2000
et Comme il vous plaira (As you like it) en 2006.
•
D’autres adaptations des pièces de Shakespeare ont
connu du succès, comme La Mégère apprivoisée de
Franco Zeffirelli en 1966, avec Richard Burton et
Elisabeth Taylor, qui se sont retrouvés en 1972 dans
Antoine et Cléopâtre du réalisateur Joseph Mankiewicz.
•
Trois adaptations de Roméo et Juliette méritent qu’on s’y
attardent. D’abord celle de Franco Zeffirelli datant de
1968, ensuite celle bien connue du grand public avec
Leonardo di Caprio et Claire Danes datant de 1996 et situant l’action en Californie et finalement,
parce qu’elle a fait couler beaucoup d’encre, celle du québécois Yves Desgagnés, à partir d’un
scénario de Normand Chaurette, datant de décembre 2006.
•
Celle qui incarnait Juliette aux côtés de Leonardo Di Caprio a également joué dans un film
charmant, Stage beauty, sorti en 2004, qui se situe en 1660 à Londres, alors que le roi Charles II
lève l’interdiction empêchant les femmes de jouer au théâtre. Le vivifiant Shakespeare in love,
qui a valu a Gwyneth Paltrow l’Oscar de la meilleure actrice en 1998, nous offre un épisode
inventé de la vie du dramaturge.
À Londres, en 1997, on a ouvert une réplique du
Théâtre du Globe de Shakespeare. Il a été bâti à
l’identique de l’original, d’après des plans
élisabéthains. Le nouveau théâtre est à quelques
dizaines de mètres de l’emplacement historique.
Comme à l’époque, la scène et le public sont en plein
air, les spectacles ont lieu pendant l'été, et les places
les moins chères sont debout, au parterre, devant la
scène. Sur leur site Internet, dans la section Tour
and exibition, vous pouvez faire une visite virtuelle
du théâtre. http://www.shakespeares-globe.org/
Dossier d’accompagnement scolaire – Othello
39
Bibliographie
•
Chassaigne, Histoire de l’Angleterre, des origines à nos jours, Flammarion, 2001.
•
Dunton-Downer, Leslie et Riding, Alan, Essential Shakespeare Handbook, editions DK,
2004.
•
Laroque, François, Shakespeare Comme il vous plaira, Découvertes Gallimard, 1991.
•
Kott, Jan, Shakespeare, notre contemporain, Payot, 1993.
•
Shakespeare, William, Beaucoup de bruit pour rien, traduction de Jean-Michel Déprats,
éditions Théâtrales, 2004.
•
Shakespeare, William, La Nuit des Rois, traduction de Jean-Michel Déprats, éditions
Théâtrales, 1996
•
Shakespeare, William, La Tempête, traduction d’André Markowicz, Les Solitaires
Intempestifs, 2004.
•
Shakespeare, William, Œuvres complètes, volumes 1 et 2, traduction de Jean-Michel
Déprats, Pléiade, 2002.
•
Shakespeare, William, Othello, traduction de Normand Chaurette.
•
Suhamy, Henri, Shakespeare, Le Livre de Poche, 2001.
Dossier d’accompagnement scolaire – Othello
40
Téléchargement