LA BIODIVERSITÉ DES PLANTES CULTIVÉES Les cas des plantes légumières Mathilde BRIARD INH Angers INTRODUCTION La biodiversité des espèces cultivées varie dans le temps et l’espace. Réduite à sa plus simple expression aux débuts de l’agriculture, elle s’est amplifiée au cours des siècles à la faveur, notamment, des actions humaines. Cet enrichissement dépend fortement des propriétés intrinsèques de l’espèce (aptitudes morphologiques, physiologiques et donc génétiques à évoluer) mais aussi des actions de l’homme qui, en fonction de son activité, va faire des choix dans la diversité qui s’offre à lui, la modeler et la déplacer. LES CENTRES DE DIVERSITÉ Vavilov (1926), en s’appuyant sur ses très nombreuses expéditions de collectes partout dans le monde et sur ses observations de la variabilité génétique des espèces, développe une théorie selon laquelle quelques régions du globe possèdent une concentration de la variation de certaines plantes cultivées. Un centre d’origine est caractérisé par une richesse en variétés d’une espèce cultivée qui diminue en s’éloignant de lui (fig.1). Deux centres, le centre proche-oriental et le centre méso-américain, ont particulièrement contribué à la diversité des espèces légumières aujourd’hui cultivées en France. Cependant, dans cette approche, nombreuses sont les espèces légumières qui n’ont pas de centre d’origine. De plus, il paraît surprenant qu’un centre méditerranéen pas plus qu’un centre européen n’ait pas été défini. Au cours du XXesiècle, la représentation de l’origine des plantes a évolué. La notion de centres de diversification secondaires où la diversité s’est enrichie, notion introduite par Zhukovsky en 1968, est désormais admise. Pour la carotte, par exemple, la zone d’origine Fig. 1 : Les huit centres d’origine définis par Vavilov (1926) 1. Chine; 2. Inde et Bangladesh; 3. Vallée de l’Indus ; 4. Iran et Anatolie; 5. Proche-Orient, Europe et Afrique du nord; 6. Région des grands lacs africains; 7. Mexique; 8. Trois foyers en Amérique du sud, sur la côte occidentale et au Brésil. WWW.SNHF.ORG est l’Afghanistan mais le berceau de diversification variétale est la Hollande et la France (Banga, 1963). Ces deux pays sont considérés comme des zones secondaires où quelques variétés ont vu le jour et ont été sélectionnées et multipliées par l’homme. LES QUATRE PHASES DE LA DOMESTICATION DES PLANTES ET LEURS IMPACTS SUR LA DIVERSITÉ ACTUELLE Demarly et Saint-Pierre (1989) déclinent le processus de domestication en quatre phases : La phase de domestication inconsciente (-100 000 ans) où l'homme fait simplement le choix de consommer, de cueillir et de transporter les organes consommables de certains végétaux. Les graines peuvent alors germer dans les détritus et les déjections à proximité des habitations. L’homme contribue ainsi de façon inconsciente à une première dissémination / extension de certaines espèces. Cette migration reste cependant assez limitée, à l’image du chemin parcouru par les peuples. La phase d'appropriation ou adaptation volontaire (-10 000 ans), où l'homme, dans un rapport souhaité de proximité, va planter ou transplanter une espèce élue. Il va chercher à comprendre son développement et à la protéger. Ce sont les premiers pas du jardinage, des mises en collection de semences, des transports de plantes ou d’organes végétaux et de sélection. L’empirisme paysan permet déjà de sélectionner les meilleures formes. Les espèces sortent très largement de leur berceau d’origine à la faveur des grands déplacements humains (croisades, explorations, découvertes de mondes nouveaux, colonisations,…) . Les botanistes et agronomes qui participent aux expéditions ou réceptionnent les plantes à leur arrivée contribuent fortement à leur développement. Si les flux des pays découverts vers l’Europe ont d’abord dominé, les trajets inverses au profit des colons puis des indigènes n’ont pas non plus tardé à se développer. Pitrat et Foury dans leur Histoire des légumes (2003) citent notamment l’expédition de Félix de Lahai qui emporte 120 « espèces » de légumes, parmi lesquelles la pomme de terre, la Tasmanie. La phase de sélection (- 140 ans) sur des descendants plus ou moins directs de la plante-mère correspondant le mieux aux qualités recherchées. Il s’agit de la mise en œuvre de méthodes d’amélioration basées sur les lois de Mendel : gestion des ressources génétiques, hybridations, exploitation de la vigueur hybride chez les allogames, fixation de lignées pures chez les autogames…Ce sont désormais des cultivars qui sont diffusés un peu partout dans le monde par les obtenteurs (Vilmorin, Clause, Tézier, Caillard et Quris, Rivoire, ….) La phase du phytogénéticien contemporain qui existe depuis environ vingt ans. Il y a véritablement un changement d’échelle des actions de l’homme : ce sont des caractères précis ou même seulement des gènes qui peuvent être « domestiqués » à partir du compartiment sauvage. Les exemples sont très nombreux, en particulier en ce qui concerne l’introgression de facteurs de résistance aux maladies (Bremia-laitue, Fusariumtomate, oïdium-carotte….). Cette phase de la domestication est caractérisée par des progrès remarquables dans le décodage des gènes, dans la régulation de leur expression et dans les technologies de clonage et de transfert de l’ADN. Un espace nouveau naît d’une conjugaison entre la sélection par des voies conventionnelles et les outils génétiques nouveaux tels que la culture in vitro, les vitrovariants, l’haplodisation, la fusion de protoplastes, les manipulations moléculaires et transferts de gènes. LE RÔLE DES DIFFÉRENTS ACTEURS DANS LE MAINTIEN OU L’ÉLARGISSEMENT DE LA DIVERSITÉ Depuis une vingtaine d’années, la recherche de produits de diversification connaît un nouvel essor. Les producteurs recherchent de nouvelles opportunités de commerce afin, d’une part, de pallier la saturation du marché des légumes de grande consommation et, d’autre part, de proposer aux consommateurs de nouvelles saveurs. Cependant, pour proposer ces nouveaux produits, des adaptations sont souvent nécessaires. Dans tous les cas, l’action à mener varie selon la plante considérée (sa biologie, sa physiologie, son mode de repro- duction,…) et les coutumes de la société qui l’adopte. Cela passe par l’exploitation de la valeur adaptative de la plante mais aussi, très souvent, par des mises au point technologiques et des démarches d’accompagnement marketing. Les sélectionneurs dans leur démarche de création, font appel à la diversité des espèces proches de l’espèce cultivée qu’ils travaillent. Ils constituent donc des acteurs majeurs dans le maintien de la diversité mais aussi dans son expansion. Des notions de pools primaires, secondaires et tertiaires sont définies en fonction des barrières génétiques existant entre les accessions. cales. Ed. AUPELF-UREF. John Libbey Eurotext. Paris. Chapitre 1: 1-3. Pitrat M., Foury C., 2003. Histoire des légumes. Ed. INRA, Paris. p. 67 Vavilov N.I., N.I 1926. Studies on the origin of cultivated plants. Bulletin of Applied Botany. 16 (2) Zhukovsky, P. M. 1968. New centres of origin and new gene centres of cultivated plants, including specifically endemic microcentres of species closely allied to cultivated species. Botanical Journal (Moscow) 53: 430- 460. Enfin, la diversité n’a d’intérêt que si l’on s’en sert ! Ainsi les jardiniers et surtout les consommateurs sont les garants finaux de l’exploitation de la diversité ! De leur désintéressement peut naître une réduction dangereuse du nombre d’espèces consommées et donc cultivées. CONCLUSION L'évolution de la diversité des plantes cultivées est un phénomène continu. Son exploitation nécessite une approche pluridisciplinaire : des travaux d’amélioration génétique sont menés de front avec la mise au point de techniques de culture adaptées (phytotechnie, culture in vitro, ...) voire de modes de conservation, de transformation ou de commercialisation du produit. Tous les acteurs qu’ils soient consommateurs, jardiniers, producteurs, sélectionneurs ou chercheurs, ont un rôle à jouer pour préserver ou enrichir cette diversité ! BIBLIOGRAPHIE Banga, O., O. 1963. Main types of Western carotene carrot and their origin. Tjeenk Willink, W.E.J., Zwolle, The Netherlands, pp. Demarly Y., St Pierre C.A., 1989. Les facettes multiples de la création végétale. Dans Plantes vivrières tropi- VIVE LA BIODIVERSITÉ DANS LES JARDINS Journée à thème de la SNHF Nantes, le 5 septembre 2008 WWW.SNHF.ORG