Comment deux gènes orphelins du bactériophage T4 inhibent la croissance bactérienne ? Une approche phénomique. Bony Juliette, Gymnase d’Yverdon-les-Bains. Supervision : Garama Yonathan, Unige. Responsable du laboratoire : Professeur Dominique Belin. 1 Résumé : Ce projet avait pour but d’identifier certains ORFans dont l’expression inhibe la croissance bactérienne et de déterminer leurs cibles moléculaires. Différents tests ont été faits : la sensibilité aux antibiotiques, la sensibilité aux dommages à l’ADN, la sensibilité aux UV-C et la capacité à pousser en milieu minimum, Mac Conkey et à différentes températures. L’expression des gènes nrdC.11 (YG2) et 30.2 (YG3) à un niveau non toxique affecte le métabolisme de la bactérie. L’expression de ces deux gène est toxique à haut niveau, par contre, YG3 est plus sensible à la température. Ces tests permettent de mieux appréhender le fonctionnement de la toxicité de ces gènes. Ainsi, il serait possible de développer de nouveaux agents antibactériens. Introduction : Alors que le nombre des génomes séquencés augmente, il est frappant que de nombreux gènes prédits bioinformatiquement codent pour des protéines sans homologie avec les protéines connue. Ces gènes orphelins, appelés ORFans, sont particulièrement abondants dans les génomes des phages, les virus qui infectent des bactéries. Les phages sont les organismes les plus abondants sur terre, leurs ORFans représente donc un gigantesque réservoir de matériel génétique ni décrit, ni exploité que l’on a appelé la “matière noire du vivant”. Le phage T4 est l’archétype d’une large famille de phages caractérisée par une morphologie commune et par un ensemble conservé de gènes structuraux et de réplication. En plus de ces gènes « centraux », les génomes des phages de la famille de T4 contiennent de nombreux ORFans qui sont souvent conservés. En utilisant 2 ORFans, connus pour être partiellement toxiques pour les bactéries, nous cherchons une hypersensibilité à différents antibiotiques et agents endommageant l’ADN, ainsi qu’à des conditions peu favorables à la croissance, afin d’identifier quelle voie métabolique de la bactérie est potentiellement touchée par l’expression de l’ORFan. Matériel et méthodes : Les souches de bactéries utilisées sont des Escherichia coli BW25113 dans lesquelles a été transformé un plasmide nommé pBAD101 contenant ou non les gènes orphelins nrdC.11 (YG2) ou 30.2 (YG3). La surexpression des gènes a ensuite été induite grâce à l’arabinose, un sucre qui favorise la transcription depuis le promoteur PBAD du plasmide. Fig.1: Plasmide pBAD101 contenant le gène nrdC.11 • Sensibilité aux antibiotiques et aux dommages à l’ADN: 12,5 µl de bactéries ont été mélangés à un top LB (0,75% agar + arabinose + antibiotique) puis coulés sur une boîte LB agar (1.5% agar + arabinose + antibiotique). Des pastilles contenant les différents antibiotiques à tester et agents nocifs ont ensuite été déposés sur le top et les boîtes ont été mises à 37°C. La zone d’inhibition (de la croissance bactérienne) a été [1] mesurée après 5 heures et après 16 heures. Fig.2: sensibilité aux antibiotiques 2 • Sensibilité aux UV-C: 40 µl de bactéries diluées ont été déposé en ligne droite sur des boîtes de LB agar. Ces boîtes ont été exposées à 90, 60, 30, 20, 10 et 5 secondes aux UV-C. Ce travail a été effectué dans la pénombre pour éviter le déclanchement d’autres mécanismes de [1] réparation dépendant de la lumière visible. Les boîtes ont été incubées toute la nuit à 37°C. • Capacité à pousser en milieu minimum, Mac Conkey et à différentes températures: des spots de 4 µl de bactéries à différentes dilutions ont été faits sur des boîtes de milieu minimum (avec le minimum de nutriments essentiel pour le développement des bactéries + différents sucres + antibiotique), LB (milieu riche) et Mac Conkey (contient sels biliaires). Puis les boîtes ont été incubées toute la nuit à différentes températures (25°C, 30°C, 37°C, 42°C et [1] 44°C). Résultats : La figure 3 représente des spots placés à différentes températures pendant plusieurs heures. Nous pouvons voir que YG3 pousse moins bien que YG2 qui lui-même ne pousse pas beaucoup à 44°C, ils sont donc sensibles à la température. La figure 4 représente également des spots sur milieu minimum (+glycérol /+glucose) ou Mac Conkey, mis à une température de 37°C pendant plusieurs heures. Nous voyons que YG2 et YG3 ne poussent pas en milieu minimum + glycérol, alors qu’ils poussent en milieu minimum + glucose. La figure 5 montre des O/N dilués à 1/500 étalés sur une boîte LB agar + arabinose, exposés aux UV-C pendant 0, 5, 10, 20, 30, 60 et 90 secondes. YG3 semble peut-être légèrement plus sensible aux UV-C (densité). Comme vu sur le schéma de la page 1, les UV-C provoquent des dommages à l’ADN : deux bases azotées (des pirimidines) vont se lier avec des liaisons covalentes au lieu de liaisons hydrogène. 3 La figure 6 présente les résultats de l’hypersensibilité aux dommages à l’ADN. Nous pouvons constater que YG2 et YG3 sont clairement plus sensibles à l’H 2O2 (eau oxygénée) et peut-être à l’HU (hydroxyurée). Alors que YG3 est peu sensible au HU et après 16 heures, il n’y a plus de zone sans bactéries. Toujours en référence à la page 1, l’eau oxygénée cause des dommages à l’ADN et l’hydroxyurée inhibe la synthèse des nucléotides. Les deux graphiques de la figure 7 ci-contre montrent les résultats de la sensibilité aux antibiotiques. Selon le graphique, YG2 est moins sensible au triméthoprime que le contrôle (pBAD101), mais pour YG3 c’est difficile de dire puisqu’à 5 heures il est plus sensible que pBAD101 mais à 16 heures, il l’est moins. Nous pouvons voir qu’après 16 heures toutes les aires du contrôle (pBAD101) sont plus grandes qu’après 5 heures sauf pour la kasugamicine. Cela montre que son effet est moins fort que les autres antibiotiques. Comme nous l’avons vu sur le schéma de la page 1, le triméthoprime inhibe la formation d’acide folinique à partir de l’acide folique. 4 Discussion : L’expression des gènes nrdc.11 et 30.2 est toxique à haut niveau. Une expression plus faible est non toxique mais elle rend les bactéries plus sensibles, à la chaleur (figure 3) et à l’eau oxygénée (figure 6), incapables de pousser sur milieu minimum (figure 4) mais aussi plus résistantes au triméthoprime (figure 7). Cela prouve que ce sont de bons moyens pour lutter contre les bactéries. L’expression des gènes nrdc.11 et 30.2 à un niveau non toxique affecte spécifiquement le phénotype d’Escherichia coli. C’est une indication qu’ils affectent le métabolisme de la bactérie. Une hypothèse possible serait qu’en combinant plusieurs facteurs cela améliorerait encore plus l’effet antibactérien (chaleur + eau oxygénée). Une autre hypothèse, pour explique les résultats de la figure 4, serait que la bactérie a plus besoin de glucose que de glycérol pour pouvoir pousser ce qui expliquerait que sur la figure 4 le milieu minimum + glucose soit intacte mais le milieu minimum + glycérol soit touché. Ces résultats permettront de mieux comprendre le mécanisme expliquant cette toxicité et potentiellement de découvrir de nouvelles cibles pour des agents antibactériens. Toutes les expériences seraient à refaire si on voulait des résultats plus précis et pour pouvoir vérifier les résultats obtenus. Références : [1] Mattenberger, Y., Mattson, S., Métrailler, J., Silvia, F. and Belin, D. (2011), 55.1, a gene of unknown function of phage T4, impacts on Escherichia coli folate metabolism and blocks DNA repair by the NER. Molecular Microbiology, 82: 1406-1412. doi:10.1111/j.1365-2958.2011.07897.x [2] Alert to biologists: Ribosomes can translate the ‘untranslated region’ of messenger RNA. phys.org [3] Eiserling, F.A., Black, L.W. (1994) Pathways in T4 Morphogenesis. In: Karam JD, editor. Molecular biology of bacteriophage T4. Washington, D. C.: ASM press. P. 209. Remerciements : Je remercie Yonathan Garama pour m’avoir laissé prendre part aux expériences et pour m’avoir bien suivit pendant toute la semaine ; Yves Mattenberger pour l’organisation de ce projet ainsi que pour son savoir et son aide lors des manipulations ; La Fondation Ernst et Lucie Schmidheiny ; Professeur Dominique Belin qui m’a accueilli dans son laboratoire ; le département de pathologie du CMU ; l’université de Genève et finalement « la science appelle les jeunes » pour avoir organisé ce projet. 5