D`un musée à l`autre : l`évolution du Guggenheim

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Histoire de l'humanité
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depuis ses origines jusqu'au m o n d e actuel
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INTERNATIONAL
MAI 2003
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LE NOUVEL ERMITAGE ET LA
PRÉSENTATION DES CULTURES
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EDITORIAL
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INTRODUCTION
LErmitage à travers les siècles
Mikhail Piotrovsky, directeur du musée d'État de l'Ermitage | 9
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LE LEGS DU PASSE ET LES NOUVELLES MISSIONS
LErmitage. « vaste et varié... »
George Vilinbakhov | 12
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LErmitage et le c h a n g e m e n t institutionnel .-
íREDACTRICíENSIEBí
un saut d a n s le xxie siècle
Stuart Gibson | 20
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LErmitage et les technologies : de nouvelles perspectives
Aleksei Bogdanov | 27
REDACTEUREl
Le G r a n d Ermitage : u n avenir brillant
Maria Haltunen | 33
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Transformer des bâtiments historiques en m u s é e s viables
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le choix d ' u n e politique de conservation
Valerii Lukin | 39
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A U - D E L À D E S FRONTIÈRES
D'un m u s é e à l'autre : l'évolution du Guggenheim
Lisa Dennison | 48
Le musée d'État de l'Ermitage et le Kunsthistorisches M u s e u m :
la coopération entre deux grandes institutions
Franz Pichorner | 56
Le Louvre : un musée national dans un palais royal
Geneviève Bresc-Bautier | 61
LERMITAGE ET LES É C H A N G E S CULTURELS
LErmitage et ses liens avec les régions russes
Vladimir Matveev | 68
Le merchandising et le marketing international à l'Ermitage
Anatoly Soldatenko | 75
LErmitage dans le contexte de la ville
Mikhail Piotrovsky | 79
À LIRE
I
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U
N E revue scientifique se plie rarement aux exercices de commémoration, si ce n'est
pour reconnaître le caractère exceptionnel d u sujet c o m m é m o r é . Tel est bien le cas
pour ce numéro spécial de Museum
International, consacré au musée d'État de
l'Ermitage, à l'occasion de la célébration du 300 e anniversaire de la fondation de la ville de
Saint-Pétersbourg.
Baptisée en juin 1703 et aménagée par les meilleurs architectes et urbanistes, la ville
de Saint-Pétersbourg marque l'aboutissement d u rêve de Pierre le Grand (1672-1725), à
savoir « monter en bateau sur les rives de la Moskova et descendre aux bords de la Neva sans
avoir mis pied à terre1 ». Palais devenu musée afin d'abriter les témoignages artistiques des
cultures, l'Ermitage incarne, dans la m ê m e mesure que la ville, l'idéal universaliste des plus
prestigieuses institutions museales construites au fil des siècles depuis le xvm e .
EErmitage, c o m m e la plupart des musées d'importance comparable, est le résultat de
plusieurs histoires. D e l'histoire politique tout d'abord, de l'Empire russe, de l'Union
soviétique puis de la Fédération de Russie, une histoire qui donne aujourd'hui aux collections
du musée leur statut national ; de l'histoire de l'art et des sciences ensuite, dont la naissance et
l'épanouissement au xixe siècle ont permis de compléter les transferts des grandes collections
impériales et aristocratiques par une politique d'achat d'œuvres dans toute l'Europe et de
fouilles archéologiques dans de nombreuses régions de l'Eurasie ; de l'histoire de la ville de
Saint-Pétersbourg/Leningrad enfin, dont les baptêmes successifs scandent les étapes
d'extension et d'aménagement de l'espace urbain bien au-delà d u centre historique où se loge
le musée. Aujourd'hui, ces histoires s'entrecroisent dans u n projet de développement d u
musée et de son cadre historique urbain. Ce projet s'amorce à l'heure où des questions
importantes sont posées sur le sens de la présentation muséographique des cultures, sur les
modes de financement des opérations de restauration, sur les équilibres entre les voies
traditionnelles de diffusion des connaissances et l'utilisation des technologies de la
communication et, enfin, sur les stratégies de partenariat des institutions museales.
Dans ce contexte de réflexion sur les pratiques de conservation du patrimoine, et
au-delà de la célébration des témoignages exceptionnels d'architecture et d'art que sont la ville
de Saint-Pétersbourg et le musée de l'Ermitage, les contributions des auteurs de ce numéro
nXISeiJTl
ISSN 0304-3002, n° 217 (vol. 55. n° 1. 2003) © UNESCO 2003
I Editorial
special de Museum
International permettent de mettre en relief deux tendances actuelles.
La première concerne les politiques muséographiques des musées des beaux-arts à
l'heure de la reconnaissance de la diversité culturelle ; la seconde concerne le rôle du musée
dans u n centre historique urbain.
Les grands musées des beaux-arts ont, dans les dernières décennies, profondément
renouvelé leurs politiques muséographiques et se sont ouverts à des problématiques dépassant
le c h a m p de l'histoire de l'art et de l'archéologie stricto sensu. Cette orientation est soutenue
par la nature encyclopédique des collections impériales et aristocratiques, à l'origine des
musées nationaux des beaux-arts, qui encourage le traitement muséographique selon des
critères de dialogue des cultures, en résonance avec les sociétés multiculturelles
contemporaines. Nul ne doute plus aujourd'hui que le sens qui ressort de la lecture des
œuvres dans u n musée est étroitement lié aux missions qu'il se donne et aux conditions
sociales, économiques et politiques dans lesquelles il les m è n e à bien. Dans la mise en œuvre
de ces missions, la notion de service au public a prévalu au réaménagement des espaces
muséographiques pour des institutions de premier plan telles que le Louvre. Dans cet esprit,
la multiplication des services des musées, parfois perçue c o m m e une commercialisation de la
culture, est en premier lieu destinée à satisfaire les attentes de tous les publics.
La notion d'échange à différentes échelles, régionale et internationale, est également
u n élément de renouvellement des programmes muséographiques des musées des beaux-arts
et de leurs modalités de mise en œuvre. Laccord conclu entre le musée de l'Ermitage, le
Kunsthistorisches M u s e u m de Vienne et le musée Guggenheim marque une étape dans
l'engagement des institutions à confronter leurs méthodes d'interprétation et à s'ouvrir à des
thématiques transculturelles et transnationales. Seule la collaboration interinstitutionnelle
peut en effet répondre à l'exigence de qualité des publics des grands musées nationaux, et
permettre, dans le m ê m e temps, de multiplier les possibilités de présentation à partir de
collections certes représentatives mais forcément limitées. Trois musées exposent dans ce
numéro l'histoire de leur constitution et leurs orientations pour l'avenir, et présentent leurs
spécificités. Deux d'entre eux sont engagés dans u n partenariat avec l'Ermitage et développent
les points c o m m u n s qui les relient à ce musée.
O n constate que trois des plus importants musées des beaux-arts d u m o n d e (British
M u s e u m - Metropolitan M u s e u m - musée d u Louvre) ont fait récemment l'objet de profonds
réaménagements architecturaux et muséographiques. Le projet de réaménagement et
d'extension du musée de l'Ermitage présente de nouveaux défis et de nouvelles possibilités à
explorer pour ce type d'institution. D u reste, l'excellence et le caractère novateur des
initiatives du musée ont été confirmés par l'attribution du Web'Art de Bronze décerné au site
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, S S N 0304-3002. n° 217 (vol.
55. n° 1. 2003) |
5
I Editorial
Internet d u musée (www.hermitagemuseum.org) lors de l'édition 2002 d u Festival audiovisuel
international musées et patrimoine organisé par A V I C O M 2 . Cette distinction contribuera sans
nul doute à promouvoir le rôle moteur que l'Ermitage est amené à jouer aux niveaux régional
et international, en complément de son rayonnement académique international.
La seconde tendance actuelle concerne le musée situé au centre d'un espace
historique urbain qui est devenu une composante essentielle des programmes de planification
urbaine dans tous leurs aspects : architectural, social, économique et culturel.
Lieu de découverte du patrimoine, le musée situé dans u n centre historique est luim ê m e patrimoine. C'est le plus souvent u n édifice d'origine palatial. La compréhension des
interactions entre le musée, son environnement immédiat et les autres espaces urbains3 est à
l'origine des politiques d'expansion des musées et de restauration et de revitalisation des
centres historiques. Dans le cas de l'Ermitage et de Saint-Pétersbourg, ce programme est
appuyé par diverses organisations internationales. Le centre historique de Saint-Pétersbourg
fait l'objet depuis 1997 d'un projet de réhabilitation qui bénéficie du soutien financier et
technique de la Banque mondiale. Son objectif est de sauvegarder et de restaurer les bâtiments
historiques dégradés, mais également de générer des ressources grâce au développement du
tourisme et du commerce, en appliquant u n cadre législatif et financier propre aux pays en
transition économique 4 .
L U N E S C O , quant à elle, poursuit avec la Fédération de Russie5 une très ancienne
collaboration par le biais de deux programmes, l'un concernant le théâtre d u Bolchoï à
Moscou, le second concernant le musée de l'Ermitage de Saint-Pétersbourg. L U N E S C O dirige
la mission d'expertise des bâtiments historiques d u théâtre du Bolchoï, mission préliminaire à
la modernisation de l'institution. Pour le musée de l'Ermitage, l'action de l ' U N E S C O s'inscrit
dans la stratégie établie par les responsables du musée visant, d'une part, à mettre en place u n
plan d'échange d'expertise et d'expérience entre les institutions de m ê m e nature au niveau
international et, d'autre part, à transformer le musée en centre de ressources régionales pour
le développement des infrastructures et des services des musées en Europe orientale. U n
premier projet se consacrera aux stratégies de développement des marchés culturels pour les
produits et services des musées 6 .
Plus précisément, la collaboration dans le cadre d u projet Ermitage de l ' U N E S C O
comporte des volets de conseil, de soutien à la formation et de coordination de la coopération
internationale. La place accordée à l ' U N E S C O par les autorités russes dans les projets relatifs
au patrimoine culturel de Saint-Pétersbourg est exemplaire à bien des égards. C'est à la fois
une reconnaissance de l'expertise acquise dans ce domaine et une opportunité : celle
6
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ISSN 0304-3002, n° 217 (vol.
55. n° 1. 2003) © UNESCO 2003
I Editorial
d'accompagner et d'orienter la transformation d'un des plus importants musées des beaux-arts
d'État par la maîtrise des problématiques débattues au niveau international et des choix faits
en vue d u développement culturel durable. D e mémoire d'auteur, c'est la première fois que
l ' U N E S C O est étroitement associée à la restructuration d'une institution muséale aussi
prestigieuse.
Museum International souhaite exprimer sa reconnaissance au professeur Piotrovski,
directeur du musée d'État de l'Ermitage à Saint-Pétersbourg, qui s'est personnellement engagé
dans la préparation de ce numéro spécial. Notre gratitude se porte également vers Stuart
Gibson, consultant d u projet Ermitage de l ' U N E S C O , qui n'a ménagé aucun effort pour en
assurer la réussite. N o u s espérons que ce numéro, publié à l'occasion d'une célébration
mondiale, servira de jalon dans l'appréciation, la connaissance et le futur du musée de
l'Ermitage de Saint-Pétersbourg.
Isabelle Vinson
I NOTES
1. Cité par V. Klioutcheski dans ['Encyclopaedia Universalis. 1985. article «Pierre Ier le Grand».
2. AVICOM est le comité pour l'audiovisuel et les nouvelles technologies du Conseil international des m u s é e s . On peut à cet
égard consulter la page W e b : http://icom.museum/internationals.html#avicom
3. Voir l'article de Blair A . Ruble. «Saint Petersburg's pasts compete for its future», dans: Ismail Serageldin. Ephim Shluger et
Joan Martin-Brown. Historic cities and sacred sites - Cultural roots for urban futures. La Banque mondiale. 2001.
4. Voir http://www.worldbank.org.ru/eng/projects
5. Le m u s é e de l'Ermitage ainsi que l'ensemble historique de Saint-Pétersbourg ont fait l'objet d'articles publiés dans la
revue Museum
International dès sa création. Ces articles sont disponibles sur le site de Museum
International (archives).
Voir http://www.unesco.org/culture/museum
6. Les partenaires potentiels du projet sont le Musée national de Hongrie, à Budapest, le Musée des arts et métiers de Zagreb,
en Croatie, le Musée national d'art de Bucarest, en Roumanie, le Musée national de Slovénie, à Ljubljana, le Musée national
slovaque, à Bratislava, et le M u s é e national de Varsovie, en Pologne.
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ISSN 0304-3002. n° 217 (vol. 55. nD 1, 2003)
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7
INTRODUCTION
© UNESCO/Winnie Denker/Patrimoine 2001
1 - Le palais d'Hiver était la résidence des tsars russes durant l'hiver. Il fut construit entre 1754 et 1762
dans le style baroque russe par Francesco Bartolomeo Rastrelli. À l'exception des façades, il fut entièrement
détruit dans un immense incendie, en 1837, et fut reconstruit par Vassili Stassov et Alexandre Brullov.
8
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I LErmitage à travers les siècles
Par Mikhail Piotrovshy, directeur du musée d'État
de l'Ermitage à Saint-Pétersbourg
Le musée d'État de l'Ermitage est l'un des musées les plus conservateurs qui soient ; il a, en
effet, merveilleusement préservé l'esprit et le symbolisme des xvm e et xixe siècles russes. E n cela,
il fait figure de mémorial pour cette période d u passé. EEmpire russe a vu se dérouler une partie
de son histoire entre les murs m ê m e s d u palais d'Hiver, et c'est également en ces lieux qu'il a
connu sa fin. C'est là que le tsar Pierre 1er mourut ; c'est là que se trouvent le bureau dans lequel
Alexandre II, mortellement blessé, rendit son dernier soupir, les salons où recevait Catherine
la Grande, la salle d u Trône où fut proclamée la première D o u m a russe (le Parlement), la salle
où le gouvernement provisoire capitula et la galerie 1812 qui fut créée afin de célébrer la
victoire des Russes sur Napoléon. Mais le caractère exceptionnel de l'Ermitage est peut-être d û
davantage encore à ses splendides collections, qui reflètent la pluralité des peuples et des
cultures et qui s'accordent parfaitement à l'architecture et aux somptueux intérieurs de l'édifice.
Le musée détient des collections d'oeuvres exceptionnelles de Rembrandt, Léonard de Vinci,
Matisse, Rubens, des pièces d'orfèvrerie scythes et grecques, des fresques bouddhiques, des
objets islamiques et orientaux, ainsi que des antiquités grecques et romaines.
LErmitage symbolise également l'attitude de la Russie envers l'art et la culture, son
esprit d'ouverture et son excellence dans le domaine culturel. Pour les Russes, l'Ermitage
représente bien plus qu'un simple musée, ce qui s'est vérifié de façon particulièrement
poignante lors du siège de Leningrad durant la seconde guerre mondiale, lorsque le musée
devint u n symbole de la victoire de la culture.
Pendant la période soviétique, l'Ermitage parvint à préserver ses traditions et sa
passion pour l'histoire et la recherche, en dépit de la volonté de l'État d'imposer son idéologie.
C'est ainsi qu'à la fin d u XX e siècle l'Ermitage était encore une source d'information
prodigieuse pour l'interprétation historique du passé russe. Le musée a toujours influencé le
goût des artistes et d u public. Ce fut particulièrement le cas au xxe siècle. C'est en ces lieux
que dans les années 1960 les œuvres de peintres majeurs c o m m e Gauguin, Picasso et Matisse
furent présentées à la jeunesse russe et que put se créer u n lien ténu avec la culture mondiale
contemporaine, générant une source de lumière pour le pays durant les années les plus
sombres du régime soviétique. D e nos jours encore, l'Ermitage poursuit la tradition initiée par
Catherine la Grande en formant les artistes et le public à l'art contemporain à travers des
expositions d'œuvres d'Andy Warhol, de Louise Bourgeois ou de George Segal. LErmitage a
museim
ISSN 1350-0775. NO. 217 (voi. 55. NO. 1.2003) ¡
9
toujours été emblématique du goût du peuple russe pour la diversité culturelle et les liens
avec d'autres cultures.
EErmitage a prouvé, à maintes reprises, sa capacité à surmonter les situations les plus
difficiles. Il a survécu à l'incendie de 1837 qui a ravagé les bâtiments ainsi qu'à deux guerres
mondiales et à une guerre civile. Avec la chute de l'Union soviétique, le musée affrontait de
nouveaux défis, le plus important d'entre eux étant la nécessité de se restructurer afin de
mieux répondre aux changements politiques et économiques qui survenaient alors dans la
Russie des années 1990. Fort heureusement, la communauté internationale lui a apporté son
soutien. Eune des premières organisations à s'impliquer a été l ' U N E S C O . Dans le cadre de son
projet Ermitage, l'Organisation a offert son expérience et son expertise et a aidé le musée à
poser les bases du futur. Tirant parti de son statut international, l ' U N E S C O a mis en place u n
Conseil consultatif international qui, ces huit dernières années, a amené l'Ermitage à adopter
des mesures conformes aux critères internationaux les plus élevés. Ayant conscience qu'il était
crucial de développer une politique fiscale solide, l'Organisation a joué u n rôle prépondérant
dans la restructuration des procédures financières et budgétaires du musée. Très vite, il fut
évident que, pour surmonter la tourmente économique du début des années 1990, le musée
serait contraint de compléter le financement gouvernemental. C'était pour l'institution une
démarche absolument nouvelle. E U N E S C O a collaboré étroitement avec le musée et a
introduit des stratégies de collecte de fonds qui ont abouti à la création d'un département du
développement et d'un réseau international d'organisations bienfaitrices. E U N E S C O a
coordonné des séminaires, des ateliers et des programmes d'échange au cours desquels le
personnel de l'Ermitage a p u être formé aux nouvelles méthodes de marketing, de
merchandising, de gestion, de conservation et de préservation des collections. EOrganisation a
encouragé le musée à engager de nouveaux partenaires internationaux et à développer les
nouvelles technologies. E n conséquence, l'Ermitage possède aujourd'hui l'un des sites W e b de
musée les plus remarquables au m o n d e et, poursuivant l'une des tâches engagées
conjointement avec l ' U N E S C O , il a entrepris de numériser ses collections. E U N E S C O a
encouragé le musée à concevoir une stratégie de développement global, dont la première
illustration a été le projet Grand Ermitage, u n projet ambitieux qui vise à agrandir le bâtiment
de l'ancien État-major général et la place d u Palais et, ainsi, à transformer l'Ermitage en u n
véritable musée du xxie siècle. A u cours des dix dernières années, l'Ermitage a travaillé avec de
nombreux partenaires ; aucun, cependant, n'a eu u n impact aussi capital sur le musée que
l'UNESCO.
Tout en continuant à explorer de nouvelles pistes pour la poursuite de son
développement, l'Ermitage reconnaît à présent qu'il est de sa responsabilité de partager la
s o m m e d'expérience acquise au cours de la dernière décennie avec les autres musées de Russie
ITIUSeUT)
ISSN 0304-3002. n° 217 (vol. 55. n° 1. 2003) © UNESCO 2003
I L E r m i t a g e à travers les siècles
Mikhail Piotrovsky
et des anciennes républiques soviétiques. Bénéficiant toujours d u soutien et de l'assistance de
l ' U N E S C O , le musée étend actuellement son département éducatif pour y inclure des
programmes novateurs centrés sur les politiques et les techniques de gestion spécialement
adaptés pour les musées de l'ex-Union soviétique.
KErmitage a conscience également qu'il constitue u n musée de la culture mondiale ;
en tant que tel, il doit pouvoir garantir l'accès de ses collections au grand public, aux
spécialistes et aux chercheurs. C'est pourquoi le musée continue à accroître sa surface
d'exposition, en particulier au sein de l'État-major général dans le cadre d u projet d u Grand
Ermitage. En outre, le musée a entrepris de réorganiser la gestion des dépôts. Les nouvelles
possibilités de stockage en libre accès permettront aux spécialistes et aux chercheurs d'accéder
aux collections qui ne sont pas exposées. Le musée a instauré une nouvelle mesure qui
implique que certains éléments des expositions permanentes soient remplacés
périodiquement par des pièces des réserves. D e plus, l'Ermitage continue de contribuer à des
expositions à l'étranger par le biais de sa collaboration avec des musées dans le m o n d e entier.
Enfin, c o m m e il a été signalé, le site W e b d u musée, conçu avec la participation d'IBM, offre
aux « visiteurs » d u m o n d e entier u n accès aux collections, aux expositions, aux travaux de
recherche et aux publications de l'Ermitage.
A u cours de la dernière décennie, l'Ermitage a réussi à créer quelque chose
d'entièrement nouveau tout en restant totalement fidèle à ses traditions. C'est l'histoire russe
vue à travers la culture mondiale. Le musée s'est toujours projeté, et continue de se projeter,
vers les autres cultures dans son désir de sonder sa propre identité. A u mois de mai de cette
année, l'Ermitage ainsi que toute la ville de Saint-Pétersbourg ont célébré le 300 e anniversaire
de la fondation de notre ville unique. À l'occasion de cette commémoration, il est important
de reconnaître le rôle clé qu'a joué l ' U N E S C O dans la préservation, la protection et la
transformation de l'Ermitage et, par voie de conséquence, des institutions culturelles de la
Russie tout entière. C'est avec grand plaisir que nous envisageons la poursuite de la
collaboration avec l ' U N E S C O , dans ce désir qui est le nôtre d'embrasser la diversité culturelle
afin d'enrichir sans cesse notre propre identité.
museim
ISSN 1350-0775. NO. 217 tvoi. 55. NO. 1.2003) ¡
11
LErmitage, «vaste et varié... »
Par George Vilinbakhov
George Vilinbakhov a soutenu son doctorat d'histoire à l'Université d'État de Leningrad. Ancien
responsable du département d'histoire russe au musée d'État de l'Ermitage, il en est à présent le
directeur adjoint. Il est aussi le président de la Fédération nationale d'Héraldique pour la Fédération
de Russie. Il est en outre membre
du comité exécutif de l'Association internationale des musées
d'armes et d'histoire militaire, et de l'Académie internationale d'héraldique.
A u cours d u règne de Pierre le Grand, la Russie connut
de nombreuses réformes qui eurent des répercussions
sociales importantes et durables. U n nouvel alphabet
et u n nouveau calendrier furent adoptés ; la tenue
vestimentaire dans l'armée et dans la cour fut modifiée
pour se conformer au style occidental ; o n obligea les
h o m m e s à se couper la barbe ; la capitale fut transférée
de Moscou à Saint-Pétersbourg ; et les « visites
royales » à l'étranger (les ambassades, une nouveauté à
l'époque) acquirent une importance symbolique
accrue. Les palais, alors en vogue en Europe
occidentale, étaient presque inconnus en Russie.
Toutefois, étant donné la fascination de Pierre le Grand
pour l'Occident, ce nouveau type d'édifice public ne
tarda pas à faire son apparition dans Saint-Pétersbourg.
D u temps de Pierre Ier, le palais impérial comprenait
des appartements privés pour le tsar et sa famille, de
grandes salles d'apparat pour les réceptions officielles
et les cérémonies diplomatiques, ainsi que des galeries
pour les peintures et les objets d'art.
Histoire de l'Ermitage
En 1741, Elisabeth, fille de Pierre le Grand, devint
impératrice à la suite d'une révolution de palais. Peu
après son accession au trône, elle fit construire u n
grand palais à Saint-Pétersbourg, au bord de la Neva.
nXBeUTl
ISSN 03CW-3a02, r¡° 217 (vol.
55. n° 1. 2003) © UNESCO 2003
i L E r m i t a g e . «vaste et varié...»
George Vilinbakhov
Elle estimait, en effet, qu'un palais impérial
ferveur peintures, dessins, sculptures, camées,
rehausserait et refléterait le prestige de son pays, tant
antiquités et livres, et les expédiaient à Saint-
en Russie qu'à l'étranger. Son nouveau palais d'Hiver
Pétersbourg. Afin d'accueillir ces nouvelles
fut conçu par l'architecte italien Rastrelli. Il fut achevé
acquisitions, deux galeries supplémentaires furent
en 1762, peu après la mort d'Elisabeth. Son neveu,
construites à côté du jardin suspendu. Bientôt,
l'empereur Pierre III, lui succéda sur le trône ; il ne
l'Ermitage ne fut plus capable d'abriter les collections
régna pas longtemps cependant : en 1764, son épouse,
toujours plus nombreuses, et de nouveaux bâtiments
Catherine, organisa u n coup d'État au cours duquel
furent érigés près du palais d'Hiver au bord de la
Pierre III fut assassiné. Catherine II, désormais
Neva. E n 1787, l'architecte Veiten supervisa la
impératrice, voulut immédiatement occuper le tout
construction d'un édifice classique monumental qui,
nouveau palais, alors que la construction et les
dès le xixe siècle, fut connu sous le n o m de Vieil
intérieurs n'étaient pas achevés. Les appartements de
Ermitage. À peu près à la m ê m e époque, l'architecte
l'impératrice étaient situés au sud-ouest d u palais. U n
Quarenghi bâtit u n théâtre à l'emplacement d u palais
escalier menait de ses chambres privées aux entresols,
d'Hiver de Pierre le Grand. U n e passerelle voûtée qui
où se trouvait u n ensemble de petites pièces privées
surplombait le canal d'Hiver le reliait au Vieil Ermitage
d é n o m m é e s les « salons chinois ». Catherine appelait
de Veiten. Les invités entraient par le Vieil Ermitage
cet endroit du palais son « ermitage », utilisant ce m o t
depuis le quai qui longe le canal et se rendaient
français qui désigne l'habitation d'un ermite ou u n lieu
ensuite au second pour admirer les collections
e
paisible. A u xvm siècle, la m o d e voulait que l'on
impériales.
aménage dans l'enceinte d'un palais de petits bâtiments
où l'on pouvait recevoir en privé ses amis proches. E n
Catherine la Grande donnait également le
1762, l'architecte français Vallin de la Mothe fut
n o m d'« ermitages » aux réceptions qu'elle organisait
commissionné par Catherine en vue de la construction
pour la cour et la noblesse. Soixante à quatre-vingts
d'une petite structure le long de la façade est du palais
personnes pouvaient être conviées à ces « petits
d'Hiver. Eédifice devait comporter deux pavillons,
ermitages ». Le plus souvent, le programme de la soirée
reliés par u n jardin suspendu. Catherine II appela ce
incluait des représentations, dans le théâtre de
bâtiment l'Ermitage (de nos jours, il s'agit du Petit
l'Ermitage, de pièces écrites par une personne de
Ermitage).
l'entourage de l'impératrice ou par l'impératrice ellem ê m e . Selon les propres termes de Florian Gilles
Ehistoire de l'Ermitage en tant que musée
remonte à l'année 1764, date à laquelle une collection
(1801-1864, chef de la première section de l'Ermitage
impérial) « l'impératrice prenait place dans le
de tableaux hollandais et flamands fut acquise à Berlin
deuxième gradin d u théâtre, tandis qu'une poignée de
auprès d u marchand Gotzkowski. Les tableaux vinrent
privilégiés s'asseyaient devant elle sur le premier
décorer de façon somptueuse les m u r s de l'Ermitage ;
gradin ». À l'issue d u spectacle, les invités dînaient
quatre-vingt-douze d'entre eux ornaient la seule salle à
« dans la galerie en arche » de la passerelle au-dessus
manger. A u fur et à mesure que les contacts entre la
du canal d'Hiver, qui constituait le foyer d u théâtre. Ils
Russie et l'Europe occidentale se développaient, les
dansaient ensuite dans la grande salle du Pavillon de
agents et les diplomates de Catherine amassaient avec
l'Ermitage puis allaient se promener dans le Vieil
nxEeim
ISSN 1350-0775, NO. 217 <voi. 55. NO. 1.2003) |
13
LE LEGS DU PASSÉ ET LES NOUVELLES MISSIONS
Ermitage de Veiten pour y admirer les peintures
que détenait l'Ermitage. Avant la guerre de 1812, il
exposées. « O n restait assez souvent en ces lieux à
s'était rendu fréquemment en France afin d'acheter
regarder les peintures ; une table de billard s'y trouvait
des tableaux pour les collections impériales. Durant la
aussi, et des amateurs y jouaient - souvent des
guerre, il supervisa sans doute l'évacuation des
femmes. » Catherine organisait également des soirées
collections du musée tandis que les armées de
appelées « grands ermitages ». Il pouvait y avoir jusqu'à
Napoléon envahissaient la Russie. En 1814, à la suite
deux cents invités, parmi lesquels le tsarévitch Pavel
de la victoire d'Alexandre Ier sur Napoléon, la
Petrovitch (le futur Paul Ier), les grandes-duchesses, les
collection du château de Malmaison, qu'Alexandre Ier
chambellans, les cadets et les officiers de la garde. Pour
avait acquise auprès de l'épouse de Napoléon,
la fête du 1er janvier, trente mille invitations étaient
Joséphine, et de la duchesse de Saint-Leu, fut ajoutée
envoyées. Si la plupart des réceptions à l'Ermitage
aux collections existantes. U n autre achat important
concernaient uniquement la cour, les célébrations du
d'Alexandre Ier fut la collection du banquier Coesvelt,
er
1 janvier étaient également destinées aux
acquise à Amsterdam.
fonctionnaires et aux militaires de haut grade. Il n'était
pas rare que des dîners pour six cents personnes aient
Lempereur Nicolas Ier inaugura l'étape
lieu dans le théâtre de l'Ermitage. U n plancher artificiel
suivante dans l'évolution du musée de l'Ermitage.
temporaire reliant la scène au reste du théâtre était
Fidèle à la tradition de sa grand-mère, l'impératrice
installé en ces occasions, afin de pouvoir accueillir un
Catherine II, il renouvela les acquisitions sur une
aussi grand nombre de convives.
grande échelle. E n 1850, il acquit des peintures
provenant du palais Barbarigo à Venise et la
La constitution des collections
collection de Guillaume II, roi des Pays-Bas. À cette
époque, la galerie de l'Ermitage se trouvait sous la
Lorsqu'il accéda au trône en 1796, l'empereur Paul Ier
direction de E Bruni qui, de fait, supervisa ces achats.
n o m m a le prince N . Ioussoupov, qui l'avait
En 1852, u n certain n o m b r e de peintures espagnoles
accompagné lors de ses voyages en Europe en 1782, à
de la collection du maréchal Soult furent achetées à
la tête de l'Ermitage et du théâtre. Le prince
Paris. Alors que les collections s'accumulaient, la
Ioussoupov était un aristocrate extrêmement raffiné et
maison impériale entreprit de permuter des pièces
cultivé, issu d'une des familles russes les plus
d'art entre le palais d'Hiver et les résidences
fortunées et les plus prestigieuses. C'était également
impériales de Peterhof et du palais de Catherine à
u n collectionneur passionné qui possédait une galerie,
Tsarskoïe Selo. Le tsar Nicolas Ier était lui-même un
une bibliothèque et un théâtre privés. E n
artiste amateur qui dessinait principalement des
1797,
E Labenski, fin connaisseur en art et musicien
soldats, des m a n œ u v r e s et des scènes de batailles. Il
amateur, fut n o m m é directeur des collections de
accordait u n intérêt tout particulier aux collections
l'Ermitage. Il occupa ce poste pendant cinquante-deux
du musée, intérêt qui reflétait ses vues politiques,
ans. Labenski était lui-même un artiste qui travaillait
sociales et artistiques, et qui eut souvent des
pour l'architecte Brenna au palais de Gatchina, à
conséquences malheureuses. Il chercha à se défaire
l'extérieur de Saint-Pétersbourg. E n 1838, Labenski
de la statue de Voltaire par H o u d o n , ordonnant
publia un catalogue en français de toutes les peintures
qu'« on élimine ce vieux singe ». Par chance, la statue
u
nTJSejJT)
issN 0304-3002, n° 217 (vol. 55. n° 1. 2003) © UNESCO 2003
[ Œ r m i t a g e , «vaste et varié... »
George Vilinbakhov
fut seulement entreposée dans une réserve et est
Le tout nouveau musée contenait
actuellement de nouveau exposée à l'Ermitage. Il
essentiellement des antiquités, des pièces d'art
donna l'ordre de « détruire et brûler les portraits, les
d'Europe occidentale et un ensemble d'oeuvres russes
peintures et les objets polonais » qui avaient été
que l'on avait c o m m e n c é à assembler en 1801. Située
achetés à Varsovie en 1832 et 1834 ; trente-sept
dans une galerie au second étage du Nouvel Ermitage,
caisses d'objets au total furent perdues... E n
la collection russe comprenait des œuvres signées par
1854,
l'empereur céda aux enchères 1 200 peintures des
A . Losenko, 0 . Kiprenski, A . Ivanov, A . Yegorov,
collections impériales, arguant qu'« elles ne valaient
V Shebuyev, K . Brullov, E Bruni, parmi bien d'autres.
rien ». Malheureusement, plusieurs véritables chefsd'œuvre en faisaient partie. Certains d'entre eux
En 1861, le département des antiquités fut
purent, par la suite, être rachetés par la famille
considérablement enrichi par l'achat d'une partie
impériale, mais à u n prix bien plus élevé que celui
importante de la collection du marquis de C a m p a n a ,
d'origine. Lors d'un voyage à Munich, Nicolas Ier prit
qui comprenait des statues de Jupiter et d'Athéna, des
connaissance d u travail de l'architecte allemand Leo
sarcophages et des bas-reliefs. À la m ê m e époque,
von Klenze, qui venait de terminer la Glyptothèque
l'Ermitage c o m m e n ç a à recevoir régulièrement des
et l'Ancienne Pinacothèque à M u n i c h pour Louis Ier
objets remarquables de la toreutique ancienne,
de Bavière. Nicolas engagea Klenze pour exécuter u n
découverts lors de fouilles près de la mer Noire. La
musée spécial, qui fut achevé en 1851. Situé derrière
Commission archéologique impériale, fondée en 1859,
le Vieil Ermitage, le bâtiment fut n o m m é le Nouvel
remettait à l'Ermitage ses trouvailles spectaculaires des
Ermitage ou « le musée ». U n e partie des collections
cultures scythes, sarmatiennes et d'autres cultures
qui se trouvaient déjà dans l'Ermitage et les nouvelles
anciennes. Afin de compléter ces pièces, la célèbre
acquisitions prirent place dans ce nouveau bâtiment.
collection sibérienne de Pierre le Grand fut transférée à
l'Ermitage depuis la Kunstkamera, le tout premier
Lacees aux collections
musée russe, fondé par Pierre Ier, situé sur la rive
opposée de la Neva.
Avant la construction du Nouvel Ermitage, l'accès aux
collections impériales était très restreint, réservé
D'autres collections se constituèrent ainsi au fil
généralement aux membres de la cour et à une poignée
des ans. Le département oriental de l'Ermitage fut
d'invités. Le 5 février 1852, le Nouvel Ermitage fut
formé petit à petit grâce aux découvertes des fouilles
proclamé musée public. O n pouvait solliciter un droit
qui avaient lieu dans tout l'Empire russe et grâce à
de visite auprès de la chancellerie. Lorsqu'on se
quelques acquisitions personnelles qui vinrent combler
présentait à l'entrée, il fallait consigner son n o m dans
des vides dans la collection. D e surcroît, le musée
un livre des visiteurs et, au m o m e n t de sortir, on devait
acquit plusieurs objets égyptiens exceptionnels qui
rendre son ticket d'entrée. Les visites du musée étaient
furent découverts lors d'expéditions menées par
étroitement surveillées. La réglementation était stipulée
V G . Bock, l'un des membres de l'Ermitage. E n
très précisément dans Les instructions sur
les collections de l'Ermitage se diversifièrent encore
l'administration de l'Ermitage impérial (1851) et Les
davantage lorsque la collection d'armes de Tsarskoïe
règlements (1853).
Selo fut transférée dans le musée, en m ê m e temps que
1885,
museun ISSN 1350-0775. NO. 217 (Vol. 55. NO. 1.2003) |
15
LE LEGS DU PASSÉ ET LES NOUVELLES MISSIONS
la collection d'A. Basilewski. À la suite de ces ajouts,
entièrement différent, u n m o n d e qui allait avoir une
l'Ermitage put se vanter à juste titre de détenir une
influence prépondérante sur le musée et sa structure. À
remarquable collection d'art byzantin, d'art m u s u l m a n
la suite de la révolution de 1917, le musée fut
et d'art médiéval européen. Afin de souligner
entièrement réorganisé. E n 1918, le responsable de la
l'importance de ces collections, un nouveau
galerie du Trésor, S. Troinitski, en devint le directeur.
département fut créé : le département du M o y e n Âge
C'était u n expert reconnu dans les domaines des arts
et de la Renaissance.
appliqués et de l'héraldique. La réorganisation du
musée toucha le personnel ainsi que la structure et la
A u fur et à mesure que les collections du
politique d'exposition. À l'automne 1919, le musée fut
musée s'étendaient, l'Ermitage, très naturellement,
réaménagé en quatre départements : les antiquités, les
renforça ses liens avec les institutions scientifiques
arts appliqués, la peinture et la numismatique. Durant
russes, et notamment avec l'Académie impériale des
les années qui suivirent immédiatement la révolution,
sciences. Des travaux c o m m u n s de recherche
les collections du musée s'étendirent quantitativement
archéologiques et scientifiques , centrés initialement
et qualitivement. D'anciennes collections privées, ainsi
sur l'art oriental, les antiquités et la numismatique, se
que des pièces de la Société d'encouragement des arts,
développèrent. Des chercheurs tels que l'académicien
du musée de l'Académie des beaux-arts et du musée de
G . Keler (membre de l'Académie des sciences de Saint-
l'Institut des arts industriels du baron Stieglitz furent
Pétersbourg), E Grefe, L. Stephani, M . Brosset, F. Krug,
transférées à l'Ermitage. Par la suite, des vides furent
A . Kunik, Ja. Smirnov, pour n'en citer que quelques-
comblés dans les collections, d'autres collections furent
uns, contribuèrent grandement au développement du
ajoutées et de nouveaux départements tels que le
savoir et de la recherche scientifique en Russie et à
département oriental (1920), le département des
l'étranger.
cultures primitives (1931) et le département de la
culture russe (1941) furent créés pour abriter les
Grâce aux efforts de S. Gedeonov, le premier
possessions toujours plus importantes et diversifiées
directeur officiel du musée, l'Ermitage ouvrit ses portes
du musée. C e faisant, il continuait à accueillir des
au public en 1866. Gedeonov était aussi responsable
objets provenant des missions archéologiques, des
de l'acquisition, à R o m e , en 1861, de la collection de
dons et des achats faits à travers la commission d'achat
sculptures antiques du marquis de C a m p a n a . C'était
de l'Ermitage.
u n chercheur très respecté et u n expert en histoire
russe. E n 1863, il fut élu m e m b r e émérite de
Parmi les acquisitions remarquables datant de
l'Académie de sciences de Saint-Pétersbourg.
cette époque figurent, entre autres, des objets précieux
découverts lors de fouilles dans les tumulus de
Dès l'origine, l'évolution des collections de
Pazyrik, dans l'Altaï, le buste en bronze du Prince
l'Ermitage a été dictée par les acquisitions impériales et
Menchikov par Rastrelli, le Portrait d Antonia Zarate
les fouilles menées à travers l'Empire russe.
par Goya et des oeuvres de Matisse dont la secrétaire et
Parallèlement, la structure du musée était imposée par
assistante, L. Delectorskaya, fit don à l'Ermitage. Les
la taille et les types de collections. À l'aube du
collections du musée, cependant, subirent également
XX e siècle, le musée se trouva confronté à un m o n d e
des pertes. Certaines des possessions furent transférées
16
ITÏJ9SUT1
ISSN 0304-3002, n° 217 (vol. 55. n° 1. 2003) © UNESCO 2003
LErmitage. «vaste et varié... »
George Vilinbakhov
dans d'autres musées de l'Union soviétique ; plus
Falconet, d'Houdon, de Canova, de Rodin, et de bien
tragique fut la vente, entre 1928 et 1932, par le
d'autres artistes de renom. Le musée est également
gouvernement soviétique, de certaines des pièces les
célèbre pour sa collection de gravures et d'art
plus importantes du musée, parmi lesquelles des
graphique. De m ê m e , sa section d'arts appliqués est
tableaux de maître qui furent achetés par l'Américain
l'une des plus importantes au m o n d e . Les collections
Andrew Mellon et qui, plus tard, devinrent le noyau de
ayant trait à la numismatique et à l'héraldique, ainsi
la National Gallery, à Washington, D . C .
qu'aux armes et aux armures, qu'elles proviennent
d'Europe occidentale, d'Orient ou de Russie, sont
Il ne fut pas aisé de transformer u n musée de
collections impériales, accessible seulement à une
connues dans le m o n d e entier tant par les spécialistes
que par le grand public.
poignée de privilégiés, en u n musée public qui compte
parmi les plus grands du m o n d e . Aujourd'hui, le
musée d'État de l'Ermitage est u n des musées les plus
Un programme de recherche fondé
sur la diversité
éclectiques qui soient, avec plus de trois millions de
pièces. C'est u n complexe immense constitué par cinq
Les missions archéologiques que l'Ermitage organisa au
bâtiments de musée, ainsi que par le palais de
xxe siècle furent très fructueuses. Les fouilles du
Menchikov, l'État-major général et u n système unique
tumulus de Karmir-Blour près d'Erevan ont eu une
de réserves en libre accès. Ses collections couvrent une
importance cruciale pour l'étude de l'histoire et de la
grande variété de domaines culturels : l'archéologie,
culture de l'ancien Ourartou. Des fouilles près de
l'art oriental, l'Antiquité classique, l'art de l'Europe
Samarkand révélèrent des peintures murales et une
occidentale, l'art russe, la numismatique et les armures.
sculpture en lœss datant de la Pendjikent médiévale.
Ces collections représentent de nombreuses cultures.
Les fouilles entreprises au site de Davmont apportèrent
Des chefs-d'œuvre de l'art scythe évoquent les
de riches renseignements sur l'histoire médiévale de
prémices de la civilisation russe. La collection orientale
Pskov. LErmitage continue à mener des missions
du musée est l'une des plus importantes au m o n d e ;
archéologiques annuelles dans la Sarmatie slave, dans
elle représente la culture et l'art du Proche, du M o y e n
le Saïan et l'Altaï, dans la Russie du Nord-Ouest, à
et de l'Extrême-Orient. Le berceau de la civilisation
Kelermes, dans la région de Touva, en Asie centrale, à
européenne est représenté, quant à lui, à travers des
Ouglitch, à Berezan, à Nimphey, dans le sud de Taman,
œuvres de la Grèce et de la R o m e anciennes qui furent
à Pendjikent, en Crimée du Sud, à Boukhara et à
découvertes dans les cités grecques au nord de la mer
Mirmekey.
Noire. Les collections de l'art d'Europe occidentale
s'étendent d u x m e au xxe siècle et comportent des
La bibliothèque centrale, les bibliothèques de
œuvres signées par Léonard de Vinci, Raphaël, Titien,
département et les archives du musée constituent des
le Greco, Velasquez, Goya, Rubens, Van Dyck,
ressources précieuses pour les recherches menées au
Rembrandt, des tableaux impressionnistes et post-
sein du musée. Le service editorial d u musée publie
impressionnistes, ainsi que des œuvres de Kandinsky
régulièrement des monographies, des ouvrages de
et de Malevitch. La sculpture européenne est
recherche scientifique, des catalogues, des périodiques
représentée à travers des œuvres de Michel-Ange, de
et des lettres d'information. Le musée a toujours
ITlUSeUTl
ISSN 1350-0775, No. 217 (Vol. 55, No. 1,2003) |
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LE LEGS DU PASSÉ ET LES NOUVELLES MISSIONS
considéré ses bibliothèques et ses publications c o m m e
EErmitage est une institution phare dans le domaine
une composante essentielle de ses activités
des sciences et de la recherche, n o n seulement en
scientifiques.
Russie mais aussi dans le m o n d e entier. Les savants, les
chercheurs et les spécialistes d u musée participent
e
Dès le xix siècle, la variété et la richesse des
souvent à des conférences internationales. EErmitage
collections d u musée ont déterminé son approche à
organise également de nombreux séminaires,
l'égard d u savoir et de la recherche scientifique.
notamment des séminaires sur l'héraldique,
S'appuyant sur ses collections provenant d'Europe
l'archéologie et l'architecture, ou encore la joaillerie.
occidentale, de Russie, du Moyen-Orient, de la Chine,
Les résultats des recherches sont régulièrement publiés
du Japon et de la péninsule arabique, le musée a
par le musée et paraissent également dans d'autres
toujours encouragé la recherche multiculturelle. C'est
publications. Les savants et les spécialistes d u musée
pourquoi l'Ermitage occupe depuis toujours une place
s'impliquent activement dans l'organisation
unique au sein des musées et de la c o m m u n a u t é
d'expositions permanentes et temporaires, la
scientifique. Ses collections éclectiques offrent aux
composition de livrets de visite et de catalogues.
chercheurs l'occasion de comparer différentes cultures
selon des perspectives variées, géographiques ou
EErmitage constitue u n microcosme de la
chronologiques. Il n'est donc guère surprenant que les
diversité culturelle. C'est u n ensemble unique qui mêle
directeurs de l'Ermitage aient été, traditionnellement,
l'architecture, les intérieurs de palais, des chefs-
des chercheurs et des savants, notamment I. Orbeli,
d'œuvre de l'art européen, asiatique, arabe, romain et
M . Artamonov, B . Piotrovski et l'actuel directeur et
grec, l'archéologie, les arts décoratifs et les icônes
m e m b r e de l'Académie des sciences, M . Piotrovsky.
byzantines et russes - chacune de ces cultures éclairant
l'autre.
Les travaux de recherche du musée n'ont cessé
de faire de l'étude scientifique le lien qui relie entre
Ainsi, en ce début de xxie siècle, le musée
elles les cultures de régions o u de périodes historiques
d'État de l'Ermitage demeure toujours aussi « vaste
différentes, illustrées par des formes artistiques variées.
et varié... ».
18
nTuseirn L
ISSN
0304-3002. n° 217 <voi. 55. n° 1.2003) ©
UNESCO
2003
I LErmitage, «vaste et varié...»
George Vilinbakhov
2 - La collection de sculptures européennes des xvm e et xixe siècles du m u s é e de l'Ermitage est célèbre
dans le m o n d e entier. Située à l'intérieur et autour de la galerie d'Histoire de la peinture antique, elle
comporte notamment des œuvres de Canova, de Thorvaldsen et de Falconet.
musam
ISSN 1350-0775. No. 217 (VOL.55.NO. 1,2003) i
19
LErmitage et le changement
institutionnel : un saut dans
le xxie siècle
Par Stuart Gibson
Stuart Gibson est consultant international, spécialisé dans le secteur de la culture pour l'ex-Union
soviétique. Il a conseillé de nombreuses organisations culturelles et de nombreux
gouvernements.
En collaboration avec ¡'UNESCO, le Conseil de l'Europe et l'Union européenne, il a également
coordonné plusieurs conférences intergouvemementales
centrées sur le financement du secteur
culturel dans l'ex-Union soviétique. Depuis 1995, il est le coordinateur du projet Ermitage de
¡'UNESCO au musée d'État de l'Ermitage. Stuart Gibson est également vice-président du conseil
d'administration des Amis américains du musée de l'Ermitage.
Le musée d'État de l'Ermitage est l'un des plus grands
musées du m o n d e , avec une collection de plus de trois
millions de pièces et u n effectif de plus de deux mille
personnes. Lors de la chute finale de l'Union
soviétique au début des années 1990, le musée a été
confronté à une situation entièrement nouvelle. Après
avoir été assuré largement pendant l'ère soviétique, le
financement par l'État fut considérablement réduit. E n
conséquence, le musée dut faire face à u n ensemble de
problèmes imprévus. Le climat politique et
économique en Russie était très instable, ce qui ne fut
pas sans répercussions sur l'Ermitage, sur la perception
de son rôle et sur son avenir. LErmitage était, et
demeure, l'un des musées les plus reconnus dans l'exUnion soviétique et dans le m o n d e . Il peut avec raison
être fier de ses réalisations passées, et c'est dans le
respect de ses traditions qu'il a entrepris prudemment
u n lent travail de réorganisation afin de relever les
nouveaux défis.
Une nouvelle gestion
A u c u n modèle de gestion ou d'organisation existant
ne correspondait à la situation de l'Ermitage et à
mUSeUTl
ISSN 0304-3002. n° 217 (vol. 55. n° 1. 2003) © UNESCO 2003
I LErmitage et le c h a n g e m e n t institutionnel
Stuart Gibson
l'environnement politique et économique dans lequel il
musée invoqua la nécessité d'accroître les effectifs dans
tentait d'évoluer. Par ailleurs, étant donné que la
des secteurs tels que la finance, les services juridiques
situation politique et économique ne cessait de
et les technologies de l'information. Il lui faudrait donc
fluctuer, il était très difficile pour le musée de
en définitive engager de nouvelles personnes et trouver
développer une quelconque stratégie à m o y e n ou à
le financement supplémentaire pour les payer.
long terme. D e plus, il existait une méfiance à l'égard
des politiques ou des stratégies et, à u n moindre degré,
Jusqu'au début des années 1990, l'Ermitage,
des séminaires ayant trait à l'optimisation d u
c o m m e beaucoup d'institutions culturelles de l'ex-
rendement, qui étaient considérés c o m m e bien trop
Union soviétique, était dirigé presque exclusivement
théoriques. Le musée cherchait des résultats
par des chercheurs. Dans le système soviétique, les
immédiats, et le fossé entre la théorisation et la
compétences en gestion telles qu'on les conçoit
pratique paraissait souvent très difficile à combler.
aujourd'hui étaient jugées superflues. C o m m e de
nombreuses organisations issues d u régime soviétique,
Veillant par-dessus tout à ce que soient
l'Ermitage se sentit menacé par certaines notions de
préservés les collections d u musée, les bâtiments
gestion occidentales, notamment le partage des
historiques qui les abritaient et l'emploi de son
responsabilités au sein de l'organisation, la prise de
personnel, le musée c o m m e n ç a à appliquer
risque, la prise de décision au niveau local et la
ponctuellement de nouvelles mesures et procédures.
formalisation de la communication dans l'organisation.
Certaines d'entre elles qui s'inspiraient d'autres
Néanmoins, la direction d u musée prit conscience que
institutions étaient modifiées de manière à s'adapter à
certains de ces outils de gestion seraient indispensables
la situation précise de l'Ermitage. Initialement, la
pour la réussite des changements organisationnels
plupart des changements découlaient d'une volonté de
qu'elle allait mettre en place. Elle avait également
restructurer le musée selon les critères de musées
conscience qu'il allait être difficile de les introduire à
occidentaux reconnus. Toutefois, si ces idées, pour
tous les niveaux de gestion car cela signifiait u n
beaucoup, étaient intéressantes, elles ne coïncidaient
changement total dans la culture m ê m e d u musée.
pas toujours avec le cadre culturel et économique et les
traditions de l'Ermitage. Par exemple, sous le régime
soviétique, le musée avait tendance à être en sureffectif,
Le rétablissement des liens avec
la c o m m u n a u t é internationale des m u s é e s
et le nombre de conservateurs y était bien plus élevé
que dans des musées comparables en Europe. Certains
Lentretien d u musée était le sujet de préoccupation
conseillers étrangers recommandèrent de réduire le
majeur de l'Ermitage ; cependant, sa direction était tout
personnel afin de diminuer les frais. La direction d u
à fait disposée à tirer parti de la nouvelle ouverture
musée refusa en invoquant ses obligations morales
politique pour rétablir les liens avec la c o m m u n a u t é
envers le personnel : on ne pouvait songer à licencier
internationale des musées. Les premiers contacts se
des employés en pleine récession économique, en
firent sous la forme d'échanges d'expertise et de
particulier dans ce contexte de mutation radicale de
développement des ressouces, notamment dans le
l'ordre économique et social. Le personnel du musée se
domaine de la gestion dse expositions, de la
réduirait de lui-même dans le temps. Parallèlement, le
conservation et de la préservation. LErmitage s'est
museim ISSN 1350-0775, NO. 217 <voi. 55. NO. 1.2003) |
21
LE LEGS DU PASSÉ ET LES NOUVELLES MISSIONS
forgé en effet depuis le xixe siècle une réputation
nouveaux donateurs - deux missions qui paraissaient
internationale pour ses compétences en matière de
insurmontables. Pour commencer, le musée créa u n
conservation, de préservation, d'éducation et de
département du développement dont la fonction était
recherche. Avec l'ouverture de la Russie dans les
très vaste : obtenir des moyens financiers de diverses
années 1990, le musée s'engagea dans u n ambitieux
sources nationales et internationales. E n raison du
programme d'échanges de connaissances et
caractère général de son mandat, ce service devint le
d'expositions dans l'intention de rendre les collections
siège de la plupart des activités jugées désormais
et le personnel du musée plus accessibles à la
nécessaires mais qu'on ne savait où placer. O n lui
communauté internationale. Ces domaines
confia souvent des tâches qui n'étaient pas directement
requéraient, il est vrai, très peu de changements d'un
liées à la collecte de fonds. Peu à peu, ces fonctions
point de vue organisationnel, mais le musée développa
annexes furent transférées dans d'autres départements,
tout de m ê m e ces secteurs afin de répondre aux
au fur et à mesure que ceux-ci étaient restructurés, et
demandes croissantes faites à leur sujet.
le département du développement se recentra sur sa
tâche principale. O n put toutefois tirer une leçon de
Les défis d'une nouvelle organisation
cette expérience : afin de fonctionner de manière
efficace, les différents départements ne pouvaient pas
Très tôt, il apparut que les vrais défis liés à
être considérés isolément ; une coopération à tous les
l'organisation résidaient ailleurs. Pour que le musée
niveaux était nécessaire. Par exemple, les propositions
soit en mesure d'exploiter au m a x i m u m ses collections,
précises de collecte de fonds, les estimations de prix de
il était impératif qu'il apprenne à mieux gérer des
revient, les stratégies d'exécution et les rapports de
ressources réduites et qu'il cherche des sources de
gestion ne dépendaient pas du département du
revenu complémentaires. Pour cela, 'il lui fallait
développement seul ; ils requéraient la coopération des
acquérir de nouvelles compétences et une attitude
départements bénéficiaires des financements. Ainsi, le
différente à l'égard de la notion de rendement. Le
service d u développement devait faire connaître sa
musée identifia quatre domaines principaux à
mission auprès des autres départements pour que ses
développer : la collecte de fonds, le marketing et le
fonctions exactes soient comprises de tous. Des
merchandising, la gestion financière, et les
groupes de travail entre les départements et des
technologies de l'information. Il était évident qu'aucun
séminaires furent organisés pour définir des
de ces domaines ne devait être considéré de manière
procédures et améliorer la circulation de l'information
isolée ; au contraire, ils agiraient c o m m e des éléments
à travers le musée. Par la suite, d'autres regroupements
interdépendants dans une ensemble plus performant.
entre les départements furent constitués afin d'aborder
de nouvelles questions d'organisation.
La collecte de fonds représentait au début u n
concept quelque peu exotique pour le musée, une
sorte de panacée censée remédier à tous ses m a u x
La question du financement
et le projet du Grand Ermitage
financiers. Ainsi, le musée fut confronté initialement à
deux défis majeurs : introduire la collecte de fonds
Étant donné la fragilité de l'économie russe au tout
parmi les pratiques du musée, et faire appel à de
début des années 1990, il s'avéra difficile de trouver de
22
nXKirn
ISSN O3O4-3OO2, n° 217 (vol. 55. n° 1. 2003) © UNESCO 2003
LErmitage et le c h a n g e m e n t institutionnel
Stuart Gibson
nouveaux donateurs. Les difficultés d'adaptation
du Grand Ermitage. C'est ainsi que la politique de
touchaient tant l'Ermitage que les éventuels mécènes.
recours à l'appel d'offres fut introduite petit à petit
E n effet, la notion de philanthropie faisait tout juste
dans le musée.
son apparition en Russie et la plupart des entreprises
russes ne souhaitaient pas, ou ne pouvaient pas encore,
Afin de solliciter des aides supplémentaires et
apporter une aide financière au musée. Par
de tirer parti de la bienveillance générale à son égard,
conséquent, l'Ermitage se tourna vers les entreprises
l'Ermitage constitua u n réseau d'Amis du musée à
étrangères implantées en Russie. Celles-ci
travers le m o n d e . D ' u n point de vue historique, l'appui
reconnaissaient en général l'importance d'un certain
le plus solide d'un musée est le plus souvent sa
devoir citoyen dans le pays, et les avantages qu'il y
population locale ; cependant, la plupart des individus
avait à s'associer avec une institution aussi prestigieuse
et des entreprises russes n'étaient pas en mesure
que l'Ermitage. Toutefois, il fut vite évident qu'il ne
d'apporter u n soutien financier conséquent à
suffisait pas de solliciter des aides pour les obtenir. Les
l'Ermitage. Le musée inversa donc cette tendance et
éventuels donateurs exigeaient des propositions
entreprit de constituer des sociétés d'Amis à travers le
détaillées, des estimations de prix de revient, des
m o n d e . Aujourd'hui, on en trouve en Europe, aux
reconnaissances de dons, puis des rapports, choses
États-Unis d'Amérique et au Japon. Dans u n effort
qu'il n'était pas aisé de fournir. LErmitage possédait
pour rationaliser et mieux coordonner ces initiatives
une politique budgétaire héritée du système soviétique.
internationales, le musée a tenu récemment à
La plupart du temps, les coûts réels n'étaient pas pris
l'Ermitage la première conférence internationale des
en compte. À ce problème venait s'ajouter le fait que
Amis du musée. Il a également créé u n cercle
l'instance du gouvernement responsable des bâtiments
international d'Amis du musée à l'Ermitage afin
historiques - l'Ermitage étant l'un des bâtiments
d'obtenir des aides ponctuelles des visiteurs russes et
historiques les plus importants de Saint-Pétersbourg -
étrangers. Le but le plus évident de ces associations est,
exigeait que le calcul du coût de revient des projets de
bien entendu, de générer des revenus, mais tout aussi
restauration se conforme à la politique soviétique en
importante est la volonté de faire connaître le musée et
place. Ainsi, l'Ermitage instaura une double procédure
ses collections à travers le m o n d e . Le personnel du
dans ce domaine, l'une qui se pliait aux exigences d u
musée a compris que la recherche de financements
gouvernement et l'autre à celles des donateurs. Le
allait de pair avec u n travail de sensibilisation de la
musée connut u n dilemme similaire pour les grands
c o m m u n a u t é internationale aux besoins du musée et
projets de restauration, lorsque le donateur exigea une
au caractère unique de ses collections.
soumission à u n appel d'offres. Il s'agissait là d'une
approche résolument nouvelle pour le musée.
Dans son souci de consolider la présence du
Limportance de cette procédure fut cependant vite
musée sur la scène internationale, l'Ermitage a
admise, en particulier pour le grand projet de
également renforcé son service de presse. Le personnel
restauration et de reconstruction centré autour de
inclut à présent des anglophones ; la procédure des
l'État-major général (projet du Grand Ermitage). Le
conférences de presse, les publications en langue
musée constitua donc u n conseil international pour
étrangère et les visites de chaînes de télévision ont été
superviser l'émission d'un appel d'offres pour le projet
développées ; les employés du musée occupant des
nxœcrn L ISSN 1350-0775. NO. 217 <voi. 55. NO. 1.2003) |
23
LE LEGS DU PASSÉ ET LES NOUVELLES MISSIONS
postes clés ont été encouragés à rencontrer la presse
publier u n rapport annuel en russe et en anglais.
internationale et la presse russe ; et la présence du
EErmitage l'élabora selon ses besoins propres et ses
musée lors d'événements médiatiques à l'étranger
traditions. Tout en détaillant les activités et la situation
s'est accrue.
financière d u musée, le rapport réserve aussi une place
importante aux travaux des chercheurs, aux différentes
La conformité du musée
aux critères internationaux
Dès le début des années 1990, l'Ermitage prit
réalisations d u personnel et aux expéditions menées
par le musée au cours de l'année.
La plupart des grands musées du m o n d e sont
conscience que la gestion des finances d u musée
régis par un conseil de surveillance, sorte de conseil
représentait u n défi majeur. Le musée, c o m m e toutes
d'administration, auprès duquel la direction du musée
les institutions financées par le gouvernement en
doit rendre compte de ses activités. U n e telle procédure
Russie, s'appuyait alors sur une structure financière
légale n'existe pas dans la Fédération de Russie, et
héritée d u régime soviétique. Les autorités
l'Ermitage dépend, en réalité, des autorités fédérales. D u
gouvernementales, d u reste, requièrent toujours du
fait des changements radicaux qui étaient alors en cours
musée une comptabilité fidèle à des pratiques
à l'Ermitage et de son retour sur la scène internationale,
spécifiques russes. M ê m e si la procédure en est très
la direction du musée considéra opportun de constituer
détaillée, les donateurs étrangers, eux, exigeaient
u n Conseil consultatif international, ce qu'il fit sous
désormais une transparence relevant des normes G A A P
l'égide de l ' U N E S C O , en faisant appel à des directeurs
(normes comptables américaines) et des normes qui
de musée et à des spécialistes de renommée mondiale.
commençaient à entrer en vigueur alors dans l'Union
M ê m e si cette commission n'a aucun statut légal dans la
européenne. Afin de redresser cette situation,
Fédération de Russie, depuis huit ans elle joue u n rôle
l'Ermitage, avec l'assistance de l ' U N E S C O et de la
consultatif auprès de la direction d u musée, avalise les
firme internationale K P M G (un groupe mondial de
politiques et les stratégies de développement et, par là
compagnies de services professionnels fournissant des
m ê m e , donne officieusement une crédibilité
conseils en finance, des certifications, des services
internationale au musée. E n outre, elle offre à la
fiscaux et légaux), prit une décision audacieuse et
direction et au personnel du musée l'assurance que les
engagea u n remaniement radical des opérations
opérations d u musée sont conformes aux critères
financières du musée. Des logiciels sur mesure destinés
internationaux les plus exigeants.
à la comptabilité russe et à celle des normes G A A P
ainsi qu'aux prévisions budgétaires de chaque
O n s'aperçut très tôt que le musée détenait des
département furent mis en place. Le musée fut
qualités naturelles dont il pouvait tirer grandement
également équipé d'un système informatisé de
avantage. Ainsi, n'allait-il pas seulement s'améliorer,
comptage des tickets, ce qui garantissait une
mais faire u n saut qualitatif. Lune des conséquences de
comptabilité précise pour les revenus générés par les
cette réflexion fut le développement des technologies
visites. Afin d'accroître encore davantage la
de l'information. EErmitage fut l'un des premiers
transparence et la responsabilité financière, le musée
musées à reconnaître que les technologies de
fut m ê m e la première institution culturelle en Russie à
l'information pouvaient être u n m o y e n très efficace
24
ITjUBGUT^
1SSN
0304.3002. n° 217 (vol.
55. n° 1. 2003) © UNESCO 2003
UErmitage et le c h a n g e m e n t institutionnel
Stuart Gibson
d'améliorer son fonctionnement et d'ouvrir ses
mémoire les difficultés qu'il a rencontrées au fur et à
collections au m o n d e . Avec l'assistance d ' I B M , il a
mesure que les problèmes se présentaient. Le musée a
élaboré l'un des sites W e b de musée les plus
souvent été pressé par la communauté internationale
sophistiqués au m o n d e . Son personnel compte les
d'introduire des changements qu'il préférait
employés parmi les mieux initiés à l'informatique dans
entreprendre progressivement, ou m ê m e reporter.
la c o m m u n a u t é des musées. Les effets de cette
Ladministration de l'Ermitage commençait tout juste à
politique se font sentir bien au-delà de l'Ermitage. Ses
saisir_la notion de risque. Le musée était disposé à
collections sont accessibles à présent dans le m o n d e
écouter les conseils qu'on lui donnait, mais se réservait
entier et le musée a entrepris la numérisation de ses
u n droit exclusif au m o m e n t de prendre des décisions
collections. Le logiciel qu'il élabore en collaboration
concernant la gestion et l'organisation : il était bien
avec le Ministère de la culture deviendra u n modèle
conscient que lui seul en assumerait la responsabilité
pour tous les musées russes. Dans le cadre de son
en dernier ressort. U n e curieuse situation de
programme de merchandising international, le musée a
compromis s'instaura en certaines occasions, avec,
créé une boutique en ligne qui propose des produits
d'une part, les consultants internationaux qui
uniques, rapprochant ainsi davantage les activités de
cherchaient à accélérer des changements qu'ils
commerce d u musée d u public international.
jugeaient nécessaires et, d'autre part, l'Ermitage qui
freinait, tout en s'efforçant d'assimiler de nouveaux
Lun des changements les plus profonds qui
concepts et de nouveaux modes de pensée. La
soient intervenus ces dernières années à l'Ermitage est
direction de l'Ermitage a prouvé sa très forte
l'attitude de la direction qui encourage vivement son
détermination en résistant aux changements jusqu'à ce
personnel à être créatif. Tout ce qui a été accompli par le
qu'elle en ait saisi toutes les implications ainsi que les
biais des technologies de l'information aurait sans doute
contraintes inhérentes au résultat attendu.
été impensable sans ces encouragements. Le
département éducatif du musée a pris l'initiative de
U n e organisation ne se dissocie pas d u
développer des programmes spécifiques pour les
contexte culturel dans lequel elle évolue. Les modèles
enfants, les parents, les professeurs et les écoles. Le
organisationnels demeurent des notions abstraites tant
musée s'attache aussi à améliorer le rendement des
qu'ils ne sont pas introduits dans une situation réelle.
autres musées en Russie et dans l'ex-Union soviétique.
S'il est exagéré de dire que l'Ermitage comprit cela dès
La plupart de ces programmes ont été inventés par le
le début, o n peut toutefois affirmer qu'il le saisit de
personnel de l'Ermitage lui-même. Le musée s'est rendu
manière intuitive. 11 savait qu'il devait évoluer au sein
compte très tôt que pour conserver un personnel
d'une organisation qui répondait à ses besoins, et en
inventif et motivé, il devait lui permettre de relever des
ses propres termes culturels. Il fallut beaucoup de
défis et le laisser libre d'élaborer des projets. Cette
créativité, de patience, de détermination, et le courage
politique visionnaire c o m m e n c e à porter ses fruits.
de faire des erreurs. Fort heureusement, la direction d u
musée possédait toutes ces qualités... Si les succès d u
A posteriori, il serait facile de ne considérer
passé donnent la moindre indication d u potentiel d u
que les succès du musée, qui sont certes très
musée, le musée d'État de l'Ermitage a u n brillant
nombreux. Mais il est également instructif de garder en
avenir devant lui.
museum ISSN 1350-0775. NO. 217 (Vot. 55. NO. 1.2003) |
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LE LEGS DU PASSÉ ET LES NOUVELLES MISSIONS
Winnie Denker / Patrimoine 2001 / Fondation La Caixa
3 - Cent restaurateurs travaillent dans dix ateliers spécialisés à l'Ermitage. Le plus
ancien fut fondé en 1743 pour la restauration des peintures à l'huile.
> U N E S C O /Anne Lemaistre
4 - Le café Internet de l'Ermitage a été créé il y a deux ans afin de développer les ressources
des nouvelles technologies.
26
HTLKíLrn^
ISSN O3O4-3OO2, n° 217 (vol. 55. n° 1. 2003) © UNESCO 2003
LErmitage et les technologies :
de nouvelles perspectives
Par Aleksei Bogdanov
Aleksei Bogdanov est directeur adjoint chargé de la maintenance et ingénieur en chef dans le
service de maintenance du musée de l'Ermitage. Il est responsable de l'élaboration et de la mise
en œuvre de tous les programmes
liés aux nouvelles technologies. Il est également le président
du comité russe du Comité international de l'ICOM sur la sécurité.
LErmitage a toujours été l'un des musées les plus à la
pointe du progrès dans le m o n d e . C'est dans le palais
d'Hiver, alors résidence impériale, à présent musée de
l'Ermitage, que de nombreuses innovations techniques
firent leur première apparition en Russie, notamment
le télégraphe, l'électricité, u n ascenseur mécanique, u n
régulateur de température, u n système téléphonique et
u n chauffage à air puisé. Aujourd'hui, paradoxalement,
cette tradition fait peser une certaine responsabilité sur
le département des services techniques de l'Ermitage.
Le musée prépare actuellement une exposition spéciale
qui se tiendra dans les combles d u palais d'Hiver,
centrée sur l'histoire des technologies introduites dans
le palais d'Hiver au cours d u siècle passé. Le musée
continue aussi de moderniser ses services techniques
en utilisant des équipements novateurs et des
technologies modernes, notamment celles de
l'information.
Des moyens adaptés en vue
du développement technologique
Laccessibilité et la diffusion des collections reste une
des priorités d u musée ; u n principe renforcé ici par le
fait que les collections de l'Ermitage reflètent la
diversité des cultures et que, depuis la fin d u régime
soviétique, les chercheurs et les passionnés d u m o n d e
entier peuvent le visiter beaucoup plus facilement.
rnjEsurn
ISSN 0304-3002, n° 217 ivoi. 55. n° 1,2003) 1 27
LE LEGS DU PASSÉ ET LES NOUVELLES MISSIONS
Grâce aux technologies contemporaines de
chercheurs et tous les passionnés du m o n d e entier
l'information, l'Ermitage sera bientôt en mesure de
pouvaient alors accéder virtuellement aux trésors de
garantir un accès universel à toutes ses collections.
l'Ermitage.
Lune des technologies les plus répandues actuellement
est l'Internet, qui permet au musée de présenter ses
Le site W e b de l'Ermitage
collections au public sous la forme numérique.
LErmitage a consacré plus de sept ans au
Le site de l'Ermitage (www.heritagemuseum.org) est
développement d'un site W e b extrêmement
divisé en deux grandes sections. La première
perfectionné et est constamment en train de l'améliorer
correspond au site de base composé de pages qui
par de nouveaux équipements et logiciels. La
décrivent les collections et leur histoire. La seconde est
compagnie I B M , l'une des compagnies de technologie
une bibliothèque numérique, c'est-à-dire une base de
informatique les plus importantes et les plus reconnues
données intégrée, constituée de pages dynamiques qui,
au m o n d e , est l'un des partenaires principaux de
à la d e m a n d e de l'utilisateur, présentent des pièces
l'Ermitage dans ce domaine. Cette étroite collaboration
particulières du musée. Les deux sections sont reliées
a été très bénéfique à l'Ermitage et, par là m ê m e , à tous
par une seule page de présentation qui rend la
les utilisateurs - très nombreux - du site W e b . Le
navigation à travers le site relativement simple.
partenariat avec I B M a notamment permis à l'Ermitage
d'être en contact avec certains des meilleurs
techniciens, consultants en informatique, analystes et
Avec le développement du site W e b , de
nouvelles possibilités ont émergé pour le musée. Les
spécialistes en conception de systèmes informatiques
collections de l'Ermitage comportent presque trois
ou en technologies avancées disponibles actuellement.
millions de pièces ; cependant, à peine plus de cinq
La collaboration a également eu d'autres retombées
mille d'entre elles sont disponibles actuellement dans
positives. Le musée a travaillé avec une équipe
la bibliothèque numérique d u site. La numérisation
internationale très créative qui a introduit de nouvelles
des collections se poursuit donc : pour commencer, le
manières de penser. Ceci a donné naissance à une
musée donne la priorité aux objets les plus importants
génération nouvelle d'adeptes de la technologie dans le
et les plus intéressants. Toutes les images de la
musée : les effets s'en font sentir bien au-delà de la
bibliothèque numérique sont produites à partir de
création du site W e b .
diapositives de qualité professionnelle, à l'aide d'un
scanner très sophistiqué conçu expressément par I B M
À la suite de discussions entre I B M et la
pour la publication électronique. Les technologies
direction du musée, en 1996 la compagnie a proposé
d'IBM permettent au musée d'offrir aux visiteurs du
d'octroyer une subvention de 2 millions de dollars à
site des images d'une extrême précision, que ce soit
l'Ermitage en vue de l'élaboration et de l'exécution
pour des plans d'ensemble des objets ou pour des
immédiates de quatre projets : u n studio pour la
zooms sur certaines parties. LErmitage est conscient
production d'images, u n système d'information du
que les images de ses collections représentent u n atout
musée, u n centre d'études des technologies de
majeur pour le musée et reste par conséquent très
l'information, et u n site W e b . Deux ans et demi plus
attentif aux questions de protection des droits d'auteur
tard, ces projets s'étaient concrétisés et tous les
ou d'usage légal. A u cours de la numérisation, des
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nXBÖJTI
| S S N 0304-3002. n° 217 (vol. 55, n° 1. 2003) © UNESCO 2003
I LErmitage et les technologies
Aleksei Bogdanov
marquages invisibles sont insérés dans les images, afin
le site W e b . Eélaboration et la mise au point de la
de déterminer l'origine des images qui seraient copiées
boutique en ligne n'ont représenté qu'une toute petite
à partir du site W e b de l'Ermitage.
partie de leur travail c o m m u n . Lorganisation des
activités auxiliaires, notamment le stockage des
LErmitage, en plus d'être une immense réserve
marchandises et la livraison des c o m m a n d e s , s'est
d'œuvres d'art, est également un grand complexe de
avérée infiniment plus compliquée. Eexpérience
six bâtiments qui, il y a quatre-vingt-cinq ans, était
d'autres musées de premier plan, tels que le Louvre, le
encore la résidence impériale des tsars de Russie.
Metropolitan M u s e u m ou le musée Guggenheim, a été
Laménagement des pièces et l'architecture rivalisent à
d'une aide inestimable lorsque l'Ermitage a c o m m e n c é
bien des égards avec les chefs-d'œuvre exposés. Le site
à développer ses activités de commerce électronique.
W e b d u musée comporte une série de « visites
Des études préliminaires indiquaient que la demande
virtuelles » consacrées à l'histoire de la résidence
la plus forte pour ce type d'achat provenait des États-
impériale et à son architecture. Les visiteurs du site
Unis d'Amérique. Il allait être difficile de livrer les
peuvent visionner les grandes salles, se familiariser
c o m m a n d e s depuis la Russie, étant donné que les
avec le décor, et apprendre l'histoire d u palais et de ses
consommateurs américains comptent sur u n service
anciens occupants.
rapide ; or, l'expédition et les douanes poaient
problème en Russie. Il a donc été décidé que toutes les
Chaque année, le musée ajoute au site de
c o m m a n d e s seraient traitées depuis les États-Unis, par
nouvelles « expositions virtuelles »conçues à partir de
le biais d'un fournisseur implanté en Californie. Afin
ses collections , y compris celles qui ne figurent pas
que la boutique en ligne soit viable d'un point de vue
parmi les expositions permanentes. Ces trois dernières
commercial, il était évident que sa présentation
années, le musée a élaboré des images d'objets en
visuelledevait être attrayante et qu'elle devait
ayant recours à la photographie panoramique et
comporter une vaste g a m m e de produits de qualité. Le
tridimensionnelle et créé des modèles en 3 D de
personnel d u musée, en collaboration avec I B M , a
certains éléments des collections au m o y e n de
élaboré u n site très attractif et d'utilisation facile et, en
mécanismes exceptionnels. La plupart de ces images
collaboration avec la Commission internationale pour
sont intégrées ensuite dans les expositions virtuelles
le merchandising de l'Ermitage, a conçu une ligne de
du site.
produits de qualité. La boutique a ouvert l'an dernier
et, petit à petit, elle se fait connaître c o m m e u n m o y e n
La longue collaboration de l'Ermitage avec
I B M et la formation spécialisée que le personnel du
de faire parvenir un peu partout dans le m o n d e u n
aperçu de l'Ermitage.
musée a reçue à cette occasion ont jeté les bases d'un
partenariat continu dès lors que les premiers objectifs
des projets ont été atteints. Après l'inauguration en
La mission d'information et d'éducation
de l'Ermitage
1999 de la version remaniée d u site W e b de l'Ermitage,
le musée et I B M se sont associés à nouveau pour
U n e des caractéristiques essentielles du site W e b est sa
développer les activités commerciales électroniques d u
fonction informative, que ce soit au travers des images
musée, parmi lesquelles l'ouverture d'une boutique sur
ou des textes. U n e grande attention est portée à la
museum ISSN 1350-0775. NO. 217 tvoi. 55. NO. 1.2003) \
29
LE LEGS DU PASSÉ ET LES NOUVELLES MISSIONS
qualité de l'information dans tous les domaines. A u
élabore à l'intention des enfants, et plus
m o m e n t de concevoir le site, l'Ermitage a choisi de
particulièrement de ceux qui ont des difficultés
viser u n large public, en se concentrant
d'apprentissage, et des professeurs. Parmi les activités
particulièrement sur les personnes qui ne faisaient pas
principales d u centre figurent l'aide à l'apprentissage
partie de la catégorie des chercheurs, sans pour autant
par ordinateur et l'introduction de concepts
que ces derniers soient exclus. Chaque année le musée
d'appréciation de l'art et d'histoire de l'art pour les
réactualise le site, de nouveaux contenus sont ajoutés
enfants. Le musée organise aussi chaque année une
et les documents existants sont mis à jour. O n procède
exposition d'oeuvres d'art générées par ordinateur,
tout d'abord à l'analyse des données statistiques, en
créées par les élèves d u centre éducatif.
particulier celles concernant le nombre de visites pour
chaque section d u site. Les courriers électroniques
Convaincu et stimulé par l'idée d'interaction
envoyés par les visiteurs d u site sont également
informatique, le musée a ouvert l'année dernière u n
contrôlés. E n moyenne, six à sept mille visiteurs
café Internet dans la galerie Rastrelli du palais d'Hiver.
consultent le site chaque jour. Les sections les plus
Tout en se restaurant d'un sandwich et d'un expresso,
populaires sont les collections majeures, la
les visiteurs ont la possibilité d'accéder au site W e b du
bibliothèque numérique et les sections consacrées aux
musée, d'envoyer des courriers électroniques
visites virtuelles ou aux expositions qui utilisent
accompagnés d'images extraites des collections d u
l'imagerie tridimensionnelle. Les sections centrées sur
musée et des photos d ' e u x - m ê m e s , et d'accéder aux
l'histoire de l'Ermitage et sur l'éducation sont
sites d'autres musées à travers le m o n d e . Le café
également très appréciées.
Internet s'est avéré être une halte de repos high-tech
très appréciée. LErmitage a également installé des
Toutes les informations se rapportant au
kiosques avec des ordinateurs dans l'entrée d u musée
musée et à ses collections sont revues par les
pour permettre la consultation d u site. Ainsi, les
conservateurs d u musée. C o m m e ils savent identifier
visiteurs peuvent chercher des informations précises
les objets les plus intéressants au sein des collections
avant m ê m e d'entamer leur visite. Ils peuvent aussi
dont ils ont la charge, ils travaillent en étroite
élaborer des itinéraires personnalisés selon des critères
collaboration avec le département des technologies de
prédéterminés.
l'information dans toutes les phases de développement
du site. D e son côté, ce département est toujours en
quête de nouvelles façons de présenter les collections
Les nouvelles technologies au service
de la recherche
sur le site.
La conservation des collections d u musée a toujours été
La plupart des images panoramiques et des
d'une importance capitale pour l'Ermitage. Avec
modèles créés ou adaptés pour le site W e b sont utilisés
l'introduction des nouvelles technologies, cette priorité
ensuite par le centre éducatif du musée. E n place
est encore plus évidente. Linventaire des collections est
depuis plus de quatre-vingts ans, le centre éducatif de
en train de s'informatiser. Il s'agit d'une tâche colossale
l'Ermitage s'appuie de plus en plus sur la technologie
pour tout musée ; mais, dans le cas de l'Ermitage, étant
informatique pour les programmes spécialisés qu'il
donné l'ampleur des collections, c'est une véritable
30
rïTJBGUYl
ISSN 0304-3002. n° 217 (vol. 55. n° 1. 2003) © UNESCO 2003
I LErmitage et les technologies
Aleksei Bogdanov
gageure. Le département des inventaires du musée a
musée continue à publier ces travaux. Toutefois, il peut
installé une série d'ordinateurs et forme actuellement le
à présent compter sur les technologies de l'information
personnel sur la façon d'entrer les données,
pour accroître le lectorat potentiel des publications afin
^enregistrement des pièces de musée en Russie étant
d'en réduire le coût. U n e seule édition papier paraîtra
contrôlé par le Ministère de la culture, u n logiciel
désormais pour chaque publication ; u n e « édition
spécialement adapté a d û être élaboré afin de garantir
virtuelle » sera diffusée sur le site W e b d u musée et les
que la procédure et les données recueillies
auteurs seront chargés d'actualiser régulièrement ces
correspondent aux directives du gouvernement, alors
versions en intégrant de nouveaux matériaux, des
en cours de révision. Ayant procédé à une analyse
corrections ou des références. Les chercheurs qui le
comparative des modèles d'inventaires informatisés
souhaitent pourront avoir accès à l'édition virtuelle la
dans les autres pays, et tout en collaborant étroitement
plus récente et le musée, ainsi, évitera les coûts induits
avec des organismes d u gouvernement, l'Ermitage a
par la production de plusieurs éditions papier. Il est
établi u n ensemble complet de paramètres
probable aussi que la diffusion des travaux sur le site
d'enregistrement. Le logiciel conçu à cet effet est
produira une demande accrue de la première édition
programmé de sorte à protéger l'intégrité des données ;
papier.
ainsi, les chercheurs extérieurs pourront avoir accès aux
données, mais ils ne seront pas autorisés à les modifier
LErmitage a toujours considéré la technologie
de quelque manière que ce soit, ce droit étant
c o m m e u n outil indispensable et il l'exploite très
exclusivement réservé aux conservateurs d u musée. Par
activement. A u début des années 1990, lorsque le
la suite, l'Ermitage a engagé u n programmeur afin qu'il
musée s'est rendu compte qu'il devait moderniser ses
incorpore les nouveaux paramètres dans u n programme
systèmes d'information, la tentation initiale a été
d'enregistrement existant et qu'il élabore sur cette base
d'introduire de nouveaux équipements et des
un programme de logiciel en russe. Le programme sera
technologies de façon graduelle, u n département après
mis à la disposition de tous les musées russes,
l'autre. Cependant, l'on a vite compris qu'il s'agissait
garantissant par là une procédure d'enregistrement
d'une occasion exceptionnelle pour introduire les
informatisée uniforme dans toute la Russie.
technologies les plus avancées dans l'ensemble d u
musée. U n e nouvelle manière de penser et de
LErmitage est connu, depuis très longtemps,
nouvelles ressources étaient requises. Avec l'assistance
pour ses nombreuses publications de travaux de
de ses partenaires, le musée a su transformer les
recherche. La plupart d'entre elles ont u n public
technologies de l'information en une nouvelle
restreint de chercheurs et de spécialistes et elles ont
dimension tout à fait stimulante de son travail et de sa
par conséquent u n tirage extrêmement limité. Avec la
mission. Ainsi ont été générés de nouvelles possibilités
fin de l'Union soviétique, le coût de production de ces
et de réels bienfaits pour le musée de l'Ermitage et
publications s'est considérablement accru. Ayant
pour toute la c o m m u n a u t é muséale russe.
conscience, toutefois, que la diffusion de la
connaissance fait partie intégrante de son mandat, le
museum
ISSN 1350-0775, NO. 217 (Voi. 55. NO. 1.2003) |
31
LE LEGS DU PASSE ET LES NOUVELLES MISSIONS
•;© U N E S C O / Winnie Denker/ Patrimoine 2001
5 - La place du Palais fut conçue par l'architecte italien Carlo Rossi (1775-1849), l'un des architectes qui
a le plus contribué à l'urbanisme du xixe siècle. La colonne située au centre de la place fut érigée en 1829.
32
nXœUTI
ISSN 0304-3002; n° 217 (vol 55. n° 1. 2003) © UNESCO 2003
Le Grand Ermitage : un avenir
brillant
Par María Haltunen
Maria Haltunen est l'assistante spéciale du directeur de l'Ermitage ; elle est également membre de
la Commission internationale pour le merchandising de l'Ermitage ainsi que du comité de gestion
du Grand Ermitage.
Lorsque l'architecte français Le Blond conçut la
nouvelle capitale de l'empire russe, Saint-Pétersbourg,
il lui parut naturel que la ville rayonne depuis le point
central de la place d u Palais. Le Blond ne pouvait
anticiper l'apparence que prendrait la place au fil des
ans, mais il ne doutait pas qu'elle serait parfaite. Et
parfaite elle l'est, flanquée d'un côté par le majestueux
palais d'Hiver baroque, la plus grande œuvre de
Rastrelli en Europe, et de l'autre côté par u n chefd'œuvre d u néoclassicisme tardif, l'imposant Étatmajor général de Carlo Rossi.
M ê m e si ces deux bâtiments relèvent de styles
très différents, ils ne sont nullement discordants ; au
contraire, l'impression d'ensemble est harmonieuse.
Les divisions élégantes et régulières de la façade du
palais d'Hiver, créées par des proportions
soigneusement mesurées, par les pilastres, les colonnes
et les surfaces planes, sont mises en valeur par la
forme semi-circulaire très prononcée de la façade de
l'État-major général de l'autre côté de la place. Les
nombreuses statues situées sur le toit d u palais d'Hiver
ont une certaine affinité avec l'arc central de l'Étatmajor général et le char de la gloire qui le surmonte.
Entre les deux bâtiments, c o m m e figée au centre de la
place, se dresse la colonne Alexandre, couronnée de
son ange qui bénit la place d u Palais et, au-delà, la
ville entière de Saint-Pétersbourg.
mLEËUTI
ISSN 0304-3002. n° 217 (vol. 55. n° 1. 2003) I
33
LE LEGS DU PASSÉ ET LES NOUVELLES MISSIONS
Le centre de la ville se présente ainsi : d'un
1993, les autorités fédérales ont attribué l'aile est de
côté, une résidence impériale et, de l'autre, u n
l'ancien État-major général à l'Ermitage, ce qui a été le
bâtiment qui abrita autrefois les Ministères des affaires
point de départ d u projet. Avec cette nouvelle
étrangères, des finances et de la guerre. Ils furent
acquisition, l'Ermitage allait être confronté à une tâche
témoins l'un c o m m e l'autre de certains des événements
peu ordinaire et très complexe. LÉtat-major général
les plus importants des trois derniers siècles. Des
possède sa propre cohérence historique. Il fut conçu
décisions de la plus grande importance historique
par le célèbre architecte italien Carlo Rossi pour
furent prises en ces lieux ; d'illustres personnages, dont
accueillir une partie de l'administration russe d u
l'esprit est encore présent, empruntèrent les corridors
xixe siècle ; il ne s'agissait en aucun cas d'un musée. D e
de ces deux chefs-d'œuvre de l'architecture. Sans
nombreuses cours furent créées afin d'assurer
passé, il n'y aurait pas de présent, et le présent dicte à
d'importantes sources de lumière pour les bureaux, et
son tour le futur. Compte tenu de son origine, il n'est
des passages couverts et des arches reliaient les cours
pas surprenant que l'Ermitage soit devenu l'un des
entre elles. Par chance, l'agencement général, constitué
musées les plus importants d u m o n d e . LÉtat-major
d'une suite de pièces et de couloirs, se prêtait bien à la
général a, pour sa part, inspiré u n plan très novateur
constitution d'un musée. La structure d'ensemble
en vue de la création d'un musée du nouveau
facilite la circulation des visiteurs et l'accès aux
millénaire, dans le cadre d'un projet connu sous le
diverses salles qui se situent sur u n seul axe. O n peut
n o m de « Grand Ermitage ».
le vérifier dans les salles fraîchement restaurées qui
abritent l'exposition d'art permanente sur la période de
La rénovation et la restauration du musée :
le projet du Grand Ermitage
Le projet d u Grand Ermitage découle des programmes
l'Empire et dans la suite de pièces restaurées qui sont
réservées actuellement aux expositions temporaires.
LÉtat-major général comporte cinq étages et
de restauration et de reconstruction à long terme des
cinq cours intérieures, totalisant une surface d'environ
bâtiments historiques d u m u s é e , et de la place
3 8 200 mètres carrés. Jusqu'à une date récente,
qu'occupe l'Ermitage dans le développement urbain
plusieurs organisations, en plus de l'Ermitage,
du centre historique de Saint-Pétersbourg. Ses
occupaient les lieux, chacune ayant au fil des ans
principaux objectifs sont d'améliorer l'accès aux
adapté le bâtiment à ses besoins spécifiques. E n
collections d u musée, de créer les conditions
conséquence, la qualité des installations électriques et
nécessaires à leur parfaite conservation et de
de la plomberie variait considérablement à travers le
développer les services à l'intention des visiteurs afin
bâtiment. U n e grande partie de la toiture en métal
que ceux-ci puissent tirer le plus grand profit de leur
(7 025 mètres carrés) dut être remplacée. Soixante-
expérience dans le musée et dans la ville. Le Grand
deux salles au quatrième étage furent jugées trop
Ermitage est une entreprise complexe qui se réalisera
dangereuses pour être occupées. La plupart des
en plusieurs étapes.
poutres des combles demandaient à être remplacées.
E n bref, presque tout le bâtiment se trouvait dans u n
Parti d'une simple idée, le projet d u Grand
Ermitage s'est rapidement transformé en réalité. E n
34
état de vétusté très avancé et u n travail considérable fut
nécessaire afin qu'il soit mis aux normes.
ITIUSeUTl
ISSN 0304-3002. n° 217 (vol. 55, n° t. 2003) © UNESCO 2003
| Le Grand Ermitage
Maria Haltunen
Les nombreux sous-locataires, parmi lesquels
La réhabilitation de l'État-major général
une imprimerie et une clinique médicale, n'avaient
absolument pas les moyens financiers de redonner au
E n 1998, l'Ermitage publia u n appel d'offres, ouvrant
bâtiment son apparence d'origine. D u reste, l'État-
la compétition et sollicitant des propositions créatives
major général avait été classé m o n u m e n t historique et,
pour la réhabilitation de l'État-major général. Le
fort heureusement, les sous-locataires ne furent pas
département d'architecture du musée et des
autorisés à effectuer des transformations radicales.
spécialistes extérieurs élaborèrent u n dossier qui
Ainsi, des cloisons temporaires furent érigées afin de
détaillait les objectifs et tous les paramètres nécessaires
compartimenter l'espace, et l'élégant parquet fut
pour la rénovation de l'édifice. Lobjectif principal était
recouvert presque partout par du linoléum afin d'être
de créer, pour la première fois à Saint-Pétersbourg, u n
préservé. Tandis que les derniers locataires évacuent
complexe polyvalent harmonieux composé de salles
petit à petit le bâtiment, le travail de restauration
d'exposition et d'espaces destinés aux activités
s'effectue, étape par étape. Les locataires ne quittent les
éducatives, culturelles, commerciales et récréatives.
lieux que lorsque les pièces qu'ils occupent doivent
LErmitage toutefois souhaitait donner la priorité aux
être restaurées. Lexpérience a montré, en effet, qu'à
activités en rapport avec le musée et n'envisageait des
partir du m o m e n t où les pièces sont inoccupées, les
activités commerciales que si elles cadraient avec la
dégâts matériels sont plus importants encore.
mission éducative d u musée. Idéalement, l'aile est de
l'État-major général regrouperait des espaces culturels,
Avant que l'Ermitage n'entreprenne la
des salles d'exposition, des ateliers - dont certains
restauration, le bâtiment a été étudié en détail, pièce
pourraient être ouverts au public - , des salles de
par pièce, et chaque élément a été vérifié, que ce soit
conférences et des cinémas. À la suite des résultats de
les m u r s ou les sols, les voûtes ou les poutres.
l'appel d'offres, l'Ermitage continua à construire son
LErmitage prit conscience très tôt que le musée ne
projet. Le musée travaille actuellement en partenariat
possédait pas l'expertise nécessaire afin d'élaborer et de
avec les autorités de la ville, la Banque mondiale et des
réaliser une stratégie de restauration pour l'ensemble
consultants internationaux afin de finaliser u n plan
du bâtiment. Des spécialistes extérieurs furent donc
concret pour la restauration, l'usage et la maintenance
engagés afin de travailler avec le personnel du musée.
du bâtiment. C e plan devrait être achevé à la fin de
Plusieurs idées intéressantes furent proposées, mais
l'année 2003 et le musée s'engagera alors dans une
elles furent souvent rejetées pour des raisons de
campagne de recherche de financement.
cohérence architecturale ou de sécurité. Par exemple,
on rejeta l'idée d'un passage souterrain reliant l'État-
Entre-temps, le musée a entrepris certains
major général au palais d'Hiver sous la place d u Palais.
travaux de restauration conciliables avec le projet
La proximité d u canal Moïka et la présence de la
d'ensemble. Aujourd'hui, toute la façade de l'État-
colonne Alexandre de 700 tonnes au centre de la place
major général a retrouvé sa splendeur d'origine. La
faisaient encourir trop de risques.
restauration de l'arc, qui relie les ailes est et ouest, et la
sculpture du char de la gloire qui le surmonte sont
également presque achevés. Cette dernière entreprise a
été financée par la société russe Interros, dirigée par
mUSeUT]
ISSN 1350-0775, No. 217 (Vol. 55. No. 1.2003) |
3 5
LE LEGS DU PASSÉ ET LES NOUVELLES MISSIONS
Vladimir Potanin, qui est également le président de la
Palais. La collection des arts décoratifs figure parmi les
Fondation Ermitage-Guggenheim, qui fut fondée en
collections les moins visitées, car elle attire
2002 pour parrainer la restauration et la réhabilitation
principalement les spécialistes. E n revanche, les
de l'État-major général.
remarquables collections de tableaux impressionnistes
et d'art moderne sont parmi les plus appréciées de
Les salons officiels et les appartements privés
l'Ermitage. Si o n les transférait dans l'État-major
du Ministre des affaires étrangères Knesselrode, avec
général, les visiteurs seraient amenés à s'y rendre et à
leurs proportions néoclassiques strictes et leurs
profiter par la m ê m e occasion des autres collections et
peintures murales, ont été soigneusement restaurés et
des autres activités. E n outre, les espaces rénovés de
abritent désormais une exposition permanente, « Sous
l'État-major général seraient plus appropriés pour les
le signe de l'aigle. Lart de l'Empire ». Cette exposition
collections que les salles actuelles d u palais d'Hiver. Il
s'accorde parfaitement avec les lieux et reflète l'histoire
fut donc décidé que les collections de tableaux
européenne qui s'y est déroulée. D e plus, les pièces
impressionnistes et d'art moderne seraient transférées
adjacentes plus modestes abritent à présent une
progressivement, au fur et à mesure de la restauration
exposition permanente de gravures et de dessins issus
de l'édifice.
du département de la culture russe.
Lune des premières expositions d'art moderne
De nouvelles salles d'exposition
qui fut installée dans l'État-major général provenait des
archives d u musée. U n e série de panneaux superbes de
Le projet initial d u musée, datant du milieu des
Pierre Bonnard et de Maurice Denis avait été
années 1980, prévoyait d'installer u n musée d'arts
entreposée pendant des décennies dans le musée. Avec
appliqués dans l'État-major général. LErmitage détient
la restauration d'une suite de pièces lumineuses au
l'une des plus importantes collections d'arts appliqués
plafond très haut donnant sur la place d u Palais, o n
qui existent au m o n d e , mais très peu de pièces
put enfin les rendre accessibles au public. D'autres
peuvent être exposées de façon permanente. A u fur et
salles restaurées sont également prêtes désormais pour
à mesure que le Grand Ermitage s'élaborait dans le
accueillir des expositions. Durant l'été 2002, une
courant des années 1990, la direction d u musée et son
rétrospective de l'œuvre de Claude Monnet, élaborée à
personnel, en accord avec le Conseil consultatif
partir des collections de l'Ermitage ainsi que des prêts
international de l'Ermitage, ont intégré les différents
de douze autres musées dans le m o n d e , fut organisée
projets concernant l'État-major général dans le projet
dans le bâtiment. Pendant toute la durée de
général du Grand Ermitage qui requérait, entre autres,
l'exposition, la file d'attente devant les guichets s'étirait
l'aménagement de nouvelles surfaces d'exposition.
jusqu'au milieu de la place d u Palais. Ce succès
LErmitage est déjà u n très vaste musée. Étant donné
apparut c o m m e une justification de la décision du
l'étendue des surfaces d'exposition présentes dans le
musée de transférer les collections impressionnistes et
palais d'Hiver et dans les bâtiments adjacents, il fut
modernes dans l'État-major général. Par la suite, une
décidé d'installer des expositions permanentes (et
exposition temporaire de George Segal dans les salles
temporaires) dans l'État-major général qui attireraient
Guggenheim, qui furent créées dans le cadre de
les visiteurs d u musée de l'autre côté de la place d u
l'accord de coopération entre l'Ermitage et le musée
36
mUSeUT)
ISSN 0304-3002. n° 217 (vol.
55. n° 1. 2003) © UNESCO 2003
I Le Grand Ermitage
Maria Haltunen
Guggenheim, démontra que le style néoclassique strict
sur la place d u Palais. Le Grand Ermitage répond à une
des intérieurs de l'État-major général, loin de choquer,
vision holistique destinée à rajeunir le cœur m ê m e d u
s'accordait au contraire très bien avec l'art moderne. Le
centre historique de Saint-Pétersbourg et à propulser
musée continue à utiliser l'État-major général pour son
l'Ermitage dans le xxie siècle.
tout récent département de l'art du xxc siècle ainsi que
pour des expositions temporaires d'art contemporain.
Les services a u public
Le c o m p l e x e d u palais d'Hiver
La restauration d u palais d'Hiver est également en
cours de réalisation depuis quelque temps. La
Grâce aux travaux de restauration de l'État-major
galerie 1812 dédiée à la victoire russe sur Napoléon en
général, l'Ermitage a eu la possibilité de changer
est u n exemple. Cette galerie fut délibérément placée
l'emplacement de son amphithéâtre. Les programmes
au centre des salons officiels dans le palais. Son
de conférence sur l'histoire de l'art et sur les
emplacement a une profonde signification, située
expositions temporaires d u musée ont toujours
c o m m e elle est entre la salle des Armoiries et la salle
remporté une forte adhésion auprès d u public. Le
du Trône. Toute personne se rendant à la salle d u
nouvel amphithéâtre dans l'État-major général a
Trône pour une audience avec l'empereur devait passer
permis au musée d'élargir son club d'étudiants et, de
par ce mémorial de l'histoire militaire russe. Les murs
ce fait, au département éducatif de se développer à son
et les lucarnes ont été restaurés ainsi que plus de trois
tour et d'offrir des programmes pour u n public bien
cents peintures qui décorent les murs de la galeriere et
plus varié, composé à la fois d'adultes et d'enfants.
qui présentent les officiers ayant participé aux
C'est u n point particulièrement important de nos
campagnes contre Napoléon. La salle du Trône (la
jours, dans la mesure où le musée propose de
grande salle Saint-Georges) est le cœur d u palais
nouvelles expositions temporaires très stimulantes ;
d'Hiver. La restauration d u trône, d u dais et de la
elles nécessitent souvent d'être replacées dans u n
tenture située derrière le trône est achevée et la salle
contexte historique et intellectuel afin d'être appréciées
accueille à nouveau de nombreuses cérémonies qui
à leur juste valeur.
c o m m é m o r e n t le passé et le présent russes.
Le Grand Ermitage comprend n o n seulement
la restauration de l'État-major général mais aussi, plus
Jusqu'à ce jour, l'élément le plus ambitieux d u
Grand Ermitage est peut-être l'aménagement de la
largement, la création d'un vaste complexe muséal tout
nouvelle entrée d u complexe d u palais d'Hiver.
autour de la place d u Palais, qui comprendra à la fois
Actuellement, les visiteurs pénètrent dans le musée par
des salles d'exposition et des services pour les visiteurs.
l'entrée située sur la rive de la Neva. Elle se trouve sur
Parmi les plus grandes transformations, o n compte la
une rue très passante qui réserve très peu de place aux
restauration des salons officiels et des galeries dans
piétons. La nette augmentation d u nombre de visiteurs
l'Ermitage, le transfert des laboratoires de restauration
et l'encombrement qui en résulte créent des problèmes
et de conservation au nouveau centre de dépôt en libre
de circulation et de sécurité. LErmitage a donc décidé
accès et, u n projet tout aussi ambitieux, la création
de transférer l'entrée d u côté de la place d u Palais, qui
d'une nouvelle entrée dans la cour du palais d'Hiver
est une vaste zone piétonne et u n point de rencontre
nxseun ISSN 1350-0775, NO. 217 <voi. 55. NO. 1,2003) |
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LE LEGS DU PASSÉ ET LES NOUVELLES MISSIONS
logique pour les visiteurs. Ils pénétreront dans
Laménagement du nouveau centre de dépôt du musée
l'Ermitage par le grand portail du palais d'Hiver, puis
à la périphérie de Saint-Pétersbourg est également d'un
traverseront la Grande Cour pour atteindre à l'autre
intérêt majeur. U n e partie d u centre a déjà ouvert et le
bout le vestibule d u palais d'Hiver. Le musée a achevé
musée a c o m m e n c é à transférer des objets qui, jusqu'à
la restauration des murs de la cour, a installé u n
présent, étaient conservés à l'Ermitage. Le musée finira
nouveau système d'écoulement des eaux et finalise
par y transférer aussi certains de ses laboratoires de
actuellement la restauration du portail et la
conservation et de préservation. Actuellement six pour
réinstallation des aigles impériaux au-dessus. Il a
cent seulement des possessions du musée sont exposés
également élaboré u n projet pour la restauration des
de façon permanente. A u fur et à mesure que les objets
jardins et de la fontaine dans la cour. Pour la première
et les laboratoires seront transférés dans ce nouveau
fois depuis 1917, la Grande Cour a été temporairement
centre, le musée rénovera l'espace libéré à l'Ermitage
ouverte au public en juin 2001, lorsque l'Ermitage a
pour les expositions.
organisé une série de concerts de musique classique.
La cour et la nouvelle entrée ouvriront officiellement
Dans le cadre du Grand Ermitage, de
en 2003 lors de la célébration du 300 e anniversaire de
nombreuses réalisations ont déjà été accomplies en peu
la fondation de Saint-Pétersbourg.
de temps. D e nouvelles salles d'exposition ont été
ouvertes, les expositions permanentes se sont
Le
M u s é e de la garde et la bibliothèque d'art
étendues, des études planifiant l'avenir d u musée ont
été entreprises, et certains des bâtiments les plus
Les desseins à long terme du Grand Ermitage prévoient
importants de Saint-Pétersbourg ont été restaurés. Plus
également u n Musée de la garde et une bibliothèque
important encore, le Grand Ermitage démontre sans
d'art. Le quartier général de la garde est situé sur le
cesse que l'Ermitage est une institution moderne,
côté est de la place du Palais, entre l'Ermitage et l'État-
capable de s'adapter à u n m o n d e changeant tout en
major général, et son histoire est étroitement liée à ces
restant toujours fidèle aux principes éducatifs et à
deux bâtiments. La bibliothèque d'art sera constituée à
l'héritage historique qui le définissent. Le Grand
partir de la bibliothèque de recherche de l'Ermitage. Il
Ermitage a prouvé également au musée que les
s'agit de l'une des meilleures bibliothèques d'Europe,
obstacles ne sont en définitive que de simples prétextes
mais elle est actuellement fermée au grand public.
pour le développement créatif du musée.
Conformément à la mission éducative de l'Ermitage,
une bibliothèque d'art publique rendrait les collections
du musée encore plus accessibles au grand public.
38
rnu^uni
ISSN 0304-3002. n° 217 ivoi, 55. n° 1.2003) © UNESCO 2003
Transformer des bâtiments
historiques en m u s é e s viables
le choix d'une politique de
conservation
Par Valerii Lukin
Valerii Lukin est l'architecte en chef du musée d'État de l'Ermitage.
Saint-Pétersbourg n'est certainement pas la première
ville à se trouver confrontée aux innombrables défis
liés à la rénovation de ses bâtiments historiques. Mais
sa situation est bel et bien unique si l'on considère le
n o m b r e de bâtiments qui ont besoin d'être restaurés
aujourd'hui, la variété des nouvelles fonctions prévues
pour ces bâtiments, et la multiplicité des styles
architecturaux représentés dans le centre historique de
la ville. E n outre, les mesures politiques qui ont été
appliquées immédiatement après la révolution de
1917 ont eu des conséquences décisives et durables
sur la réutilisation de nombreux édifices de la ville ; de
fait, le débat public concernant la rénovation et la
réutilisation des bâtiments historiques ne s'est
sérieusement développé qu'au cours des dix dernières
années, depuis la fin de l'Union soviétique.
La décision que prit Lénine de transférer la
capitale de Russie de Petrograd (Saint-Pétersbourg) à
M o s c o u après la révolution de 1917 sauva
paradoxalement l'architecture exceptionnelle de la
ville. Lénine considérait la ville c o m m e u n foyer
d'agitation intellectuelle (il était lui-même de SaintPétersbourg) et préférait que la ville demeure quelque
peu isolée dans le coin nord-ouest de l'empire. Staline
n o n plus n'aimait pas cette ville et se méfiait également
de son activité intellectuelle. Lère stalinienne vit à
M o s c o u la destruction de nombreux édifices des
mUSSUTl
¡SSN 0304-3002. n° 217 (vol.
55. n° 1. 2003) I
39
LE LEGS DU PASSÉ ET LES NOUVELLES MISSIONS
xvm e et xixe siècles qui furent remplacés par des
d'acquérir, mais il ne fut pas conçu précisément
versions néoclassiques staliniennes monumentales ; u n
c o m m e un musée public. Le palais d'Hiver, le c œ u r du
destin qui fut heureusement épargné au centre
musée actuel de l'Ermitage, fut toujours considéré
historique de Saint-Pétersbourg. À la chute de
c o m m e un palais, et les grandes salles d'apparat
Ï'« Empire » soviétique, l'architecture de Saint-
n'étaient pas destinées initialement à servir de galeries
Pétersbourg se révéla presque intacte, bien que dans
publiques. Après la révolution de 1917, le palais
un état très délabré.
d'Hiver et les bâtiments adjacents constituèrent le
musée de l'Ermitage, mais c'est progressivement que le
Avec la fin de l'Empire russe en 1917 et
palais d'Hiver se transforma en musée. Les nouvelles
l'avènement de l'État soviétique, la plupart des palais
collections très étendues que recevait alors le m u s é e
privés de Saint-Pétersbourg furent convertis en
requéraient une large surface d'exposition ; la plupart
musées. À l'origine, on attribua à l'Ermitage le palais
des grandes salles du palais convenaient parfaitement
Stroganov et l'Institut des arts industriels de Stieglitz,
pour cet usage, et souvent l'architecture des lieux vint
qui comportaient tous deux d'importantes collections.
compléter les collections qui y étaient exposées.
Cependant, dans les années qui suivirent, la
Malheureusement, le musée avait également besoin
bureaucratie soviétique en pleine expansion exigea de
d'espace pour entreposer les objets et créer des
plus en plus d'espace pour ses bureaux. Les autorités
bureaux à l'intention des employés. Certaines salles
soviétiques réattribuèrent certains de ces tout
furent donc réservées aux collections et d'autres
nouveaux musées. Le palais Stroganov accueillit donc
attribuées aux bureaux et aux laboratoires. Le musée
divers bureaux de l'administration, et ses collections
s'est toujours trouvé dans l'obligation d'effectuer u n
furent divisées entre le musée de l'Ermitage et le Musée
choix entre ces deux besoins souvent opposés. La
russe. Le m ê m e sort fut réservé à de nombreux autres
stratégie du musée à long terme est de transférer
palais, c o m m e au palais Ioussoupov, qui fut cédé au
progressivement la section des dépôts et les
syndicat des professeurs soviétiques ; ses collections
laboratoires dans le nouveau centre de stockage situé
furent réparties entre diverses institutions à travers
aux abords du centre-ville. La surface d'exposition s'en
l'Union soviétique.
trouvera ainsi nettement accrue.
Lhistoire du musée de l'Ermitage tel qu'on le
La recherche d'un éclairage approprié
e
connaît actuellement remonte au xvm siècle.
Uensemble des cinq bâtiments situés sur la rive de la
LErmitage a toujours adopté une attitude conservatrice
Neva et l'État-major général, de l'autre côté de la place
vis-à-vis de la restauration des intérieurs historiques du
du Palais, qui constituent aujourd'hui le musée, furent
musée. Ce travail de restauration implique que l'on
conçus à l'origine pour de tout autres fonctions, la
porte la plus grande attention aux collections exposées,
seule exception étant le Nouvel Ermitage qui fut
tout en ayant le souci de préserver l'intégrité de
e
construit au milieu du XIX siècle afin d'abriter les
l'architecture intérieure et l'usage d'origine des galeries.
collections impériales. Le Petit Ermitage, quant à lui,
Lappréciation de cet ensemble d e m a n d e un éclairage
fut construit par Catherine la Grande en 1764 afin
bien conçu tant pour les collections que pour les
d'accueillir une partie des collections qu'elle venait
intérieurs. À une telle latitude, les mois d'hiver offrent
40
iriuseurri ISSN 0304-3002. n° 217 ivoi. 55, n° 1.2003) © UNESCO 2003
j Transformer des bâtiments historiques
Valerii Lukin
très peu de lumière naturelle et, durant les mois d'été,
système gênant compte tenu d u décor du plafond ; de
l'intense lumière d u soleil est saturée de rayons
fait, d'un point de vue esthétique, l'on ne pouvait
ultraviolets qui sont néfastes pour les collections. N e
envisager de placer l'éclairage sous le plafond. E n
souhaitant pas éliminer entièrement la lumière
conséquence, le musée adopta une nouvelle approche
naturelle, étant d o n n é qu'elle apporte une touche
qui nécessitait de changer la disposition de toute la
supplémentaire au spectacle des collections, le musée a
collection, mais qui respectait les intérieurs historiques
installé ces dernières années u n film protecteur sur les
tout en permettant aux visiteurs d'apprécier à leur
fenêtres, qui permet d'arrêter les ultraviolets, et u n
juste valeur les collections et l'architecture.
système d'éclairage qui se met automatiquement en
marche dès que cela est nécessaire.
Les n o u v e a u x projets de circulation
à l'intérieur du m u s é e
Avec l'aide de nombreuses sociétés d'Amis de
l'Ermitage ainsi que de l ' U N E S C O , le musée a mis en
A u tout début des années 1990, le musée décida de
place u n nouvel éclairage dans la plupart des galeries
transférer l'entrée principale, qui se situait alors sur la
du Nouvel Ermitage et du Vieil Ermitage. Il est
rive très encombrée de la Neva, dans l'aile sud du
intéressant de remarquer qu'en ce début de XXIe siècle,
palais d'Hiver, sur la place d u Palais. LErmitage se
les visiteurs ont été habitués à u n éclairage artificiel
trouva alors confronté à plusieurs défis majeurs.
intense et à des couleurs vives. O n peut donc être tenté
Lintégrité architecturale du palais d'Hiver devait être
d'inonder les galeries de lumière afin de les rendre plus
préservée, maist certaines modifications étaient
attrayantes. Lapproche conservatrice de l'Ermitage lui
indispensables si l'on voulait pouvoir accueillir les
fit au contraire rejeter le recours à des spots puissants
deux millions de visiteurs qui emprunteraient la cour
en faveur d'un éclairage plus diffus disposé sur toutes
chaque année. LErmitage maintint don approche
les cloisons, sans pour autant que soit sacrifié le degré
conservatrice et n'accepta d'envisager des
de luminosité requis pour les collections. Il est dans la
transformations de la structure existante qu'en cas
tradition du m u s é e d'exposer souvent dans une
d'absolue nécessité : toute transformation projetée
même
galerie des tableaux, des tapisseries, des poteries et des
devait respecter l'intégrité historique de l'édifice et de
étoffes. U n éclairage relativement uniforme garantit
la cour. L u n des premiers éléments à être restauré fut le
qu'aucun objet ne soit exposé à une lumière excessive
vestibule du palais d'Hiver. Dès le début, il fut décidé
et préserve l'atmosphère des intérieurs historiques.
que la restauration serait fidèle au plan d'origine. Les
sols, les m u r s , les plafonds et le lustre furent restaurés
Lors de la restauration de la salle Rembrandt,
ou recréés. Le musée mit à profit cette entreprise de
u n nouvel éclairage au plafond fut installé et les
restauration pour moderniser l'installation électrique et
fenêtres subirent u n traitement particulier. Les
pour mettre en place un système très sophistiqué de
plafonds assez élevés exigeaient un système d'éclairage
sécurité, notamment contre les incendies, ainsi qu'un
spécial, à la fois discret et puissant. Ailleurs, c o m m e
nouveau système d'éclairage destiné à mettre en valeur
dans les salles Rubens et Snyders, le projet initial du
le décor du plafond. Les visiteurs devaient entrer par
m u s é e qui prévoyait un éclairage sur mesure au-dessus
deux larges portes en bois de chaque côté du vestibule.
du plafond dut être abandonné, car l'on jugea le
Cette option présentait, néanmoins, des problèmes de
museim ISSN 1350-0775. NO. 217 ivoi. 55. NO. 1.2003» |
41
LE LEGS DU PASSÉ ET LES NOUVELLES MISSIONS
sécurité et devenait peu pratique l'hiver, lorsque les
présentait l'avantage d'ouvrir l'espace de la cour et
portes doivent rester fermées afin de conserver la
d'offrir une vue spectaculaire sur le palais d'Hiver,
chaleur d u palais. Des portes à tambour avec une
l'architecture baroque de Rastrelli venant se refléter
insufflation d'air chaud paraissaient la solution la plus
dans les bassins. Ces bassins pouvaient également être
pratique, mais elle remettait en cause l'intégrité de
vidés afin d'accueillir des sièges lors de concerts ou
l'architecture d u bâtiment. La solution finalement
d'autres événements qui auraient lieu dans la cour.
retenue par le musée consista à introduire une
Mais l'Ermitage s'opposa à ce qu'il considérait c o m m e
structure vitrée à l'intérieur de laquelle les portes à
une complète transformation par rapport à l'usage et
tambour se trouvaient immédiatement derrière les
au dessin d'origine. Léquipe de consultants
portes en bois. Celles-ci sont ouvertes chaque jour et
considérait, quant à elle, que le jardin d u XIXe était
les visiteurs entrent directement par les portes à
étranger au plan d'origine de Rastrelli et que la
tambour. Ainsi il n'y a pas de déperdition de chaleur et
nouvelle proposition comportait des éléments (le
l'intégrité historique de l'édifice est préservée.
pavage de la cour, les tilleuls, les réverbères) qui
s'inspiraient d u palais d'Hiver et d'autres sites
La restauration de la cour d u palais d'Hiver
présentait un défi plus important encore. La cour fut
e
conçue par Rastrelli au milieu d u xvm siècle ; elle fut
e
historiques de Saint-Pétersbourg. D e plus, étant donné
que l'état du jardin ne reproduisait pas le plan
d'origine, o n pouvait argumenter que cela constituait
modifiée vers la fin du xix siècle et, selon la m o d e en
un précédent autorisant une nouvelle approche,
cours, une fontaine et un jardin victoriens furent alors
justifiée en outre par la future fonction de la cour.
ajoutés. Le jardin est demeuré en l'état depuis, bien
Enfin, la restauration de la cour offrait une occasion
qu'il soit tombé en désuétude car la cour servait
exceptionnelle de création qui ne se présenterait
jusqu'à une date récente de lieu de dépôt. La première
certainement pas avant plusieurs années.
idée, quand il fut question de réaménager la cour, fut
de restaurer le jardin et la fontaine pour leur redonner
LErmitage est une institution conservatrice par
leur aspect du xixe siècle. Toutefois, étant donné que la
traditionqui, à l'égard de ses collections et de ses
cour allait avoir une fonction radicalement différente,
bâtiments historiques, met principalement l'accent sur
le musée saisit l'occasion de créer un nouvel espace,
la restauration et la préservation plutôt que sur la
plus approprié à sa future fonction. U n e équipe de
reconstruction et la rénovation. Le projet de plan d'eau
consultants extérieurs encouragea l'Ermitage à adopter
présentait des avantages mais le musée s'aperçut que
une approche entièrement novatrice. À la suite d'une
l'opinion d u public devait également jouer u n rôle
étude, deux propositions furent soumises à l'Ermitage.
essentiel dans le processus de décision. Le musée n'est
La première envisageait la restauration du jardin et de
que le dépositaire de l'Ermitage, qui appartient avant
la fontaine accompagnée de quelques modifications
tout au peuple russe. Le musée eut des doutes sur
mineures dans la structure d'ensemble. La seconde
l'adhésion d u public à u n tel projet et opta donc pour
proposition préconisait de créer un miroir d'eau qui
le plan d'origine et la restauration du jardin et de la
longerait la cour, de repositionner la fontaine en face
fontaine d u xixe siècle. Toute cette démarche,
du vestibule, de planter des tilleuls, et d'installer des
cependant, ne fut pas inutile. Le musée eut ainsi la
réverbères tout le long du plan d'eau. Cette solution
possibilité de prendre conscience de la résistance
42
nTUBSJjnrii
ISSN O304-3OO2, n° 217 (vol. 55. n° 1, 2003) © UNESCO 2003
Transformer des bâtiments historiques
Valerii Lukin
« naturelle » de l'Ermitage au changement et de la
xixe afin d'accueillir divers services impériaux, le
difficile dialectique entre le maintien absolu de
bâtiment fut édifié sur le site de plusieurs bâtiments
l'intégrité historique et la force ou la nécessité de
antérieurs. D e longues suites de pièces en constituent
renouvellement.
l'intérieur. La plupart d'entre elles comportent des
fenêtres qui offrent une vue magnifique sur la place d u
La recherche d'une stratégie
pour l'agrandissement du m u s é e
Palais et le canal de la Moïka. Le bâtiment possède
également cinq vastes cours intérieures ouvertes. Rossi
La reconstruction de l'aile est d u bâtiment de l'ancien
l'État-major général est u n projet ambitieux qui
6 - Appelé également l'escalier des
implique la conversion d'un édifice historique en u n
Ambassadeurs, l'escalier du Jourdain dans le
nouveau complexe polyvalent. E n effet, le bâtiment va
palais d'Hiver fut construit par l'architecte
abriter des salles d'exposition, des boutiques, des
Francesco Bartolomeo Rastrelli ; il fut
restaurants, u n centre éducatif, des salles de conférence
entièrement détruit lors de l'incendie de 1837 et
et des cinémas. Conçu par Carlo Rossi au début du
reconstruit parVassili Stassov.
pipp» 1 »'
© Winnie Denker/ Patrimoine 2001 / Fondation La Caixa
mLfôim
ISSN 1350-0775. No. 217 (Vol. 55. N o . 1.2003) |
4 3
LE LEGS DU PASSÉ ET LES NOUVELLES MISSIONS
est considéré c o m m e l'un des plus grands architectes
existants. Bien que souscrivant au raisonnement à
néoclassiques de Saint-Pétersbourg et ses édifices
l'origine de cette proposition, le musée la trouva tout
interdisent toute restructuration radicale.
de m ê m e inopportune et finalement inappropriée en
raison d u caractère inviolable de l'édifice. LErmitage
Le musée a passé de nombreuses années à
travaille à présent en étroite collaboration avec la
explorer différentes options en vue de la restauration et
société russe Studio 4 4 , le musée Guggenheim, le
de la rénovation de l'État-major général. Il a demandé
Studio O M A de R e m Koolhaas et l ' U N E S C O afin
conseil auprès de nombreux architectes, promoteurs
d'élaborer une stratégie acceptable concernant ce
immobiliers, consultants internationaux, ainsi
bâtiment. Studio 4 4 a proposé u n certain nombre de
qu'auprès de l ' U N E S C O . Il a invité les promoteurs à
solutions qui prennent en compte à la fois l'aspect
émettre des propositions pour la restauration,
historique de l'État-major général et les usages futurs
l'utilisation et la maintenance d u bâtiment. Sa
d u bâtiment, notamment l'aménagement de plusieurs
rénovation, en effet, n'est pas sans présenter des
cours de dimensions variées agrémentées de jardins
difficultés. La plupart des pièces sont petites et ne se
qui rappelleraient les jardins suspendus d u Petit
prêtent pas à la transformation en salles d'exposition ;
Ermitage.
cependant, étant donné la signification historique de
l'édifice, elles ne peuvent pas n o n plus être
Les expériences récentes de l'Ermitage
entièrement modifiées. E n outre, les vastes cours
concernant la transformation des bâtiments historiques
intérieures, qui, elles, offrent une plus grande surface
l'ont conforté dans son opinion qu'il n'existe pas de
d'exposition et d'espace public, interdisent également
solution universelle. Le musée doit se montrer
toute transformation radicale. Le musée fut confronté à
soucieux de préserver l'héritage historique des
u n dilemme : la rénovation d u bâtiment devait-elle
bâtiments qu'il occupe, mais il ne doit pas pour autant
suivre une logique utilitaire et esthétique dictée par ses
être paralysé face à des idées nouvelles. Larchitecture
nouvelles fonctions, ou devait-elle parachever
historique entretient u n dialogue avec l'histoire, et
l'évolution historique de l'édifice en se basant sur
l'histoire se trouve dévalorisée lorsqu'on lui oppose
l'architecture et l'agencement d'origine ? Pour certains,
systématiquement tout ce qui est nouveau et
l'on pouvait introduire u n élément créatif et innovant
expérimental. LErmitage conçoit le travail de
sans porter atteinte à la dimension historique d u
restauration à la fois c o m m e une responsabilité et
bâtiment ; le musée n'avait rien à gagner à cultiver une
c o m m e une opportunité : la responsabilité de
sentimentalité conservatrice. Lune des premières
préserver l'intégrité et l'héritage historique des
propositions qui fut faite consistait à introduire dans
bâtiments dont il a la charge et l'opportunité de
les cours intérieures une nouvelle structure qui serait
remettre en question le passé par des idées tournées
reliée à la structure existante. Les façades d'époque ne
résolument vers l'avenir.
seraient pas altérées et la nouvelle structure serait
« cachée ». Le musée aurait toute liberté pour
concevoir une structure qui réponde aux nouvelles
fonctions d u bâtiment sans subir les contraintes qui
sont inévitables lors de la transformation de lieux
44
ITUEUTI
ISSN 0304-3002. n° 217 (vol.
55. n° 1, 2003) © UNESCO 2003
Transformer des bâtiments historiques
Valerü Lukin
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© U N E S C O / Anne Lemaistre
7 - Saint-Pétersbourg : la Neva et l'édifice de l'Amirauté.
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ISSN 0304-3002. n° 217 (vol. 55. n° 1.2003) |
4 5
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PLAN DU MUSEE DE L'ERMITAGE
DANS LE CENTRE HISTORIQUE
DE SAINT-PÉTERSBOURG
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ISSN 0304-3002, n° 217 <voi. 55, n° 1.2003) i
4 7
D'un musée à l'autre :
l'évolution du Guggenheim
Par Lisa Dennison
Lisa Dennison est directrice adjointe et conservatrice en chef au musée
Guggenheim
de New York.
Tout au long de ses soixante-six ans d'existence, la
Fondation Solomon R. Guggenheim, basée à
N e w York, a exploré différentes voies afin d'accomplir
sa mission de coopération culturelle internationale : au
m o y e n d'expositions itinérantes envoyées en Europe,
en Asie et en Australie ; au m o y e n de prêts
d'expositions majeures qui ont apporté à N e w York
des trésors artistiques d'Europe, d'Asie, d'Afrique et
d'Amérique du Sud ; et par la création de nouveaux
musées Guggenheim dans d'autres pays. C'est cette
dernière caractéristique qui distingue réellement la
Fondation Guggenheim de toutes les autres
institutions artistiques. Avec des musées en Italie, en
Allemagne et en Espagne, en plus de ceux qui se
trouvent aux États-Unis d'Amérique, le Guggenheim a
fait de la coopération internationale sa plus grande
priorité.
U n e stratégie de visibilité internationale accrue
E n juin 2000, le Guggenheim s'est associé avec le
musée d'État de l'Ermitage à Saint-Pétersbourg,
illustrant une fois de plus la notion de musée sans
frontières. Par le biais d'un accord de collaboration à
long terme signé par T h o m a s Krent, le directeur du
Guggenheim, Mikhail Piotrovski, le directeur de
l'Ermitage, et Mikhail Shwydkoi, le Ministre de la
culture de la Fédération russe, les deux institutions ont
accepté d'oeuvrer ensemble à la réalisation des objectifs
suivants : a) développer les relations culturelles
internationales ; b) rendre les collections des deux
musées accessibles à u n public plus vaste ;
rïTUSeUTI
ISSN 0304-3002, n° 217 (vol. 55. n° 1, 2003) © UNESCO 2003
! D'un m u s é e à l'autre : l'évolution du Guggenheim
Lisa Dennison
c) encourager le partage des collections afin de
place d'une étude de faisabilité à propos d u projet de
compléter les possessions de chaque institution ; et
rénovation de l'État-major général.
d) organiser des activités c o m m u n e s d'expositions, de
publication d'ouvrages, d'éducation et de vente.
E n janvier 2001, l'Ermitage et le Guggenheim
accueillirent une autre institution majeure au sein de
U n des fondements de cette collaboration est
leur partenariat : le Kunsthistorisches M u s e u m de
la volonté de favoriser l'expansion des musées et de
Vienne. Cette alliance tripartite conserve les objectifs
créer l'occasion d'un développement culturel dans
stratégiques établis entre le Guggenheim et l'Ermitage.
d'autres lieux à travers le m o n d e . Le premier projet à
Les trois institutions ont depuis organisé ensemble
se matérialiser fut, en octobre 2001, l'ouverture d u
plusieurs expositions, la plus récente étant « Lart à
musée Guggenheim-Ermitage à Las Vegas (Nevada).
travers les siècles : les chefs-d'œuvre de la peinture, de
C o n ç u par l'architecte lauréat d u prix Pritzker R e m
Titien à Picasso », présentéeau début de l'année 2003
Koolhaas, le « coffret à bijoux », c o m m e o n le
au musée Guggenheim-Ermitage de Las Vegas.
s u r n o m m e , est une galerie intime destinée
Lexposition est exeptionnelle : elle retrace six siècles de
principalement à l'exposition d'oeuvres provenant des
peinture, depuis l'art de la Renaissance d u xve siècle
collections de l'Ermitage et d u Guggenheim. Son
jusqu'à l'art d u XX e siècle, et est constituée à partir des
exposition inaugurale, « Chefs-d'œuvre et grands
collections permanentes des trois grandes institutions
collectionneurs : la peinture impressionniste et le
que sont le Guggenheim, l'Ermitage et le
début de la peinture moderne, dans les collections d u
Kunsthistorisches. Au-delà d u sujet traité, l'exposition
musée de l'Ermitage et d u Guggenheim », mettait en
illustre u n niveau de coopération internationale
évidence le lien qui unit certaines œuvres aux
nouveau entre des institutions culturelles. La réunion
collectionneurs dont l'expertise fut essentielle pour la
des ressources de ces trois musées représentent peut-
formation des deux institutions.
être la plus grande concentration d'objets culturels au
m o n d e ; les initiatives qui visent au partage des
Le Guggenheim s'est également associé à
collections sont donc à m ê m e de générer u n éventail
l'Ermitage pour la réhabilitation de l'aile est de l'ancien
complet d'expositions et de travaux de recherche allant
État-major général, une structure de près de
des temps préhistoriques jusqu'à la période
4 0 000 mètres carrés située près d u Palais d'hiver, à
contemporaine.
Saint-Pétersbourg, qui fut construite au début d u
xixe siècle d'après les plans conçus par l'architecte
LErmitage et le Kunsthistorisches M u s e u m ont
italien Carlo Rossi. Afin de faciliter l'entreprise mais
une réelle capacité encyclopédique. Pour le
aussi d'encourager et de soutenir d'autres projets
Guggenheim, en revanche, l'accès à des collections
c o m m u n s de l'Ermitage et du Guggenheim dans les
d'une telle ampleur reflète une évolution considérable,
domaines de l'art, de l'architecture, d u design et de
une évolution qui se concentre sur six décennies.
l'éducation, la Fondation Ermitage-Guggenheim fut
Lorsque, en 1959, le musée Solomon R. Guggenheim
créée en 2002. Lune des premières initiatives de la
inaugura son célèbre bâtiment construit par Frank
nouvelle fondation, qui est basée aux États-Unis
Lloyd Wright, la fondation elle-même avait déjà vingt
d'Amérique, fut d'apporter son soutien à la mise en
ans et cela faisait environ trente ans que la collection se
mUSeUTl
ISSN 1350-0775. No. 217 (Vol. 55. No. 1.2003)|
49
AU-DELÀ DES FRONTIÈRES
constituait peu à peu. Contrairement à d'autres musées
non-objectivité, appréhendée c o m m e une pure
qui furent fondés à N e w York à peu près à la m ê m e
invention artistique, Rebay se consacra à la dernière
époque - le musée Whitney d'art américain, défini par
qu'elle pensait pénétrée d'un souffle mystique. Le
son caractère national, et le Musée d'art moderne,
terme « non objectif» est la traduction de Rebay du
remarquable pour son approche encyclopédique de
mot allemand gegenstandlos, qui, littéralement, signifie
l'histoire de la culture moderniste - , le Guggenheim,
« sans objet ». Employé dans les écrits théoriques de
lui, s'est dédié à une approche esthétique très
Kandinsky, le terme en vint à signifier pour Rebay une
spécifique : la non-objectivité dans l'art. Mise en œuvre
union des principes esthétiques et spirituels les plus
par le premier directeur du musée, Hella Rebay,
élevés. «Jamais auparavant dans l'histoire », écrivit
illustrée par les peintures de Wassily Kandinsky et
Rebay, des années après avoir formulé pour la première
appuyée par Solomon R. Guggenheim, cette approche
fois sa mission artistique, « n'avait été accomplie une
partagée d'abstraction picturale pure permit de
avancée aussi considérable depuis le m o n d e
rassembler un ensemble extraordinaire, quoique
matérialiste jusqu'à la sphère spirituelle que celle qui
circonscrit, d'œuvres d'art.
se produisit de l'objectivité à la non-objectivité en
peinture. Il est dans notre destinée d'être créatif et de
La naissance du musée Guggenheim
tendre à la spiritualité ; l'humanité en viendra donc à
développer et apprécier une plus grande faculté
Le fondateur du musée qui porte son n o m , Solomon
d'intuition au m o y e n des grandes créations artistiques
R. Guggenheim, était issu d'une grande famille
que sont les brillants chefs-d'œuvre de la non-
d'origine suisse qui avait fait fortune aux États-Unis
objectivité. »
d'Amérique dans l'exploitation minière au cours du
xixe siècle. C o m m e la plupart des membres de l'élite
Impressionné par l'engagement passionné de
cultivée et prospère, Guggenheim et sa femme, Irene
Rebay et séduit par l'idée d'être l'un des premiers à se
Rothschild, furent élevés dans une tradition de
lancer dans u n domaine de collection encore
philanthropie et d'amour de l'art, et ils devinrent de
relativement nouveau, Guggenheim c o m m e n ç a en
fervents mécènes, constituant peu à peu une collection
1929 à acheter systématiquement des œuvres signées
personnelle de tableaux de maîtres. Le sens du
par des artistes non objectifs. Parmi ses premières
mécénat de Guggenheim changea radicalement en
acquisitions, on compte des œuvres de Robert
1927, lorsqu'il rencontra la jeune baronne allemande
Delaunay de Wassily Kandinsky, de Fernand Léger et
Hilla Rebay von Ehrenwiesen qui lui fit connaître les
de Lászlo Moholy-Nagy. Le peintre d'origine russe
tendances expérimentales de la peinture
Kandinsky est associé à la. première expression de la
contemporaine en Europe.
peinture non mimétique pure, et ce fut son œuvre
qui, par la suite, détermina la nature de la collection.
Hilla Rebay considérait l'idée de non-
Ses toiles extrêmement colorées aux formes
objectivité dans l'art à la fois en tant que style et en
dynamiques convergentes et contrastées démontrent
tant que philosophie esthétique. Distinguant entre
sa philosophie de l'abstraction, telle qu'elle est
l'abstraction, conçue c o m m e une dérivation esthétique
énoncée dans ses écrits théoriques les plus connus :
de formes trouvées dans le m o n d e empirique, et la
Du spirituel dans l'art [Über das Geistige in der Kunst,
50
nnUSeUTI
| S S N 0304-3OO2. n° 217 (vol. 55, ri° 1. 2003) © UNESCO 2003
| Lévolution du G u g g e n h e i m
Lisa Dennison
1911] et Point et ligne par rapport à la surface [Punkt
E n 1943, afin de répondre aux besoins du
und Linie zu Fläche, 1926]. Comparant les couleurs à
musée qui était en pleine croissance, Rebay entama des
des sonorités musicales et les formes à des états
démarches en vue de la construction d'une structure
émotionnels précis, il inventa u n vocabulaire formel
permanente qui abriterait la collection Guggenheim et
rendant compte de ce qu'il appelait la « nécessité
les activités de la fondation. Elle choisit le célèbre
intérieure » de l'artiste.
architecte américain Frank Lloyd Wright, dont les
idées sur l'architecture organique rejoignaient ses
Bientôt, les murs de la suite de Guggenheim à
théories à propos de la non-objectivité qu'elle
l'hôtel Plaza furent entièrement recouverts par la
présentait c o m m e u n art régénérateur chargé
nouvelle collection. Inévitablement, il envisagea la
d'implications morales et utopiques devenant
possibilité d'exposer publiquement les œuvres et en
l'expression directe de l'âme du créateur. Le plan initial
1937, établit la Fondation Solomon R. Guggenheim
de Wright pour le nouveau musée fut révélé à la presse
pour « la promotion, l'encouragement, l'éducation
en 1946, mais la construction ne s'acheva que treize
artistique et l'édification du public ». U n e fois la
ans plus tard en raison d'un certain nombre
fondation créée, Guggenheim commença à prévoir la
d'obstacles, parmi lesquels l'inflation de l'après-guerre,
construction d'un musée destiné à abriter la collection
d'importantes modifications au plan d'origine, des
qui ne cessait de s'enrichir. Saisissant l'opportunité,
transformations sur le site lui-même et, en 1949, la
Rebay c o m m e n ç a à réfléchir à la meilleure façon de
mort de Guggenheim. E n 1952, le n o m de l'institution
réaliser leur rêve. Sa correspondance des années 1930
devint officiellement « Solomon R. Guggenheim » en
est remplie de propositions pour la construction d'un
h o m m a g e à son fondateur.
« temple-musée » de l'art non objectif.
Lenrichissement de la collection
E n 1939, Guggenheim loua u n ancien
magasin d'automobiles situé à Manhattan sur la
e
La modification d u n o m du musée, de Musée de la
54 Rue Est, que Rebay transforma, avec l'assistance de
peinture non objective, associé à u n domaine artistique
l'architecte William Muschenheim, en u n hall
très restreint, à musée Solomon R. Guggenheim, n o m
d'exposition temporaire qui prit le n o m de Musée de la
commémoratif mais plus neutre, reflète une certaine
peinture non objective. Seuls les exemples les plus
évolution institutionnelle qui coïncida plus ou moins
purs de l'art non objectif furent exposés dans le
avec la mort de son bienfaiteur. E n 1948, le musée
nouveau musée ; des œuvres abstraites ou figuratives
acheta toutes les possessions de Karl Nierendorf, u n
signées par des artistes considérés c o m m e des
marchand de tableaux new-yorkais qui s'était spécialisé
précurseurs, tels que Marc Chagall - qui avait rejoint
dans la peinture allemande. Cette acquisition enrichit
alors la collection - , demeurèrent dans la suite de
la collection d'environ 730 pièces, parmi lesquelles
Guggenheim au Plaza. Le musée remporta u n énorme
on compte 18 Wassily Kandinsky 110 Paul Klee,
succès et Rebay, endossant le rôle de premier directeur
6 Marc Chagall, et 24 Lyonel Feininger. Les
du musée, accueillit et encouragea de nombreux
possessions de Nierendorf vinrent élargir le domaine
jeunes peintres américains abstraits, dont elle exposa
de spécialisation du musée et furent déterminants pour
les œuvres par la suite.
son avenir, notamment en raison de la présence de
museim ISSN 1350-0775. NO. 217 <voi. 55. NO. 1.2003) |
51
AU-DELÀ DES FRONTIÈRES
plusieurs œuvres expressionnistes et surréalistes
admirer l'œuvre architecturale et l'impressionnante
majeures.
exposition inaugurale constituée par les œuvres les plus
marquantes de la collection. A u fil d u temps, les artistes
et les conservateurs ont trouvé dans la création de
A u cours des années 1950, le musée fut
vivement critiqué en raison de la nature trop
Wright un lieu d'exposition extrêmement stimulant.
circonscrite de son contenu. M ê m e si Rebay, très
C o m m e le souhaitait l'architecte, la structure d u musée
réceptive, avait toujours encouragé les jeunes artistes,
fermé sur lui-même, composée de pures lignes
son critère de non-objectivité était considéré c o m m e
incurvées, a offert de nouvelles possibilités pour
trop personnel et trop restrictif. Conscient que la
les installations, les expositions et la contemplation
politique d u musée ne pourrait réellement changer tant
de l'art.
que Rebay resterait à sa tète, le conseil d'administration
demanda sa démission, qu'il obtint en mars 1952. Sept
Peu après l'ouverture du musée, Sweeney
mois plus tard, James Johnson Sweeney acceptait le
donna sa démission. En 1961, T h o m a s M . Messer lui
poste vacant. Ancien directeur du département de
succéda et, plus encore que Sweeney, il s'efforça de
peinture et de sculpture au Musée d'art moderne,
moderniser et de professionnaliser le personnel du
Sweeney aborda sa nouvelle fonction de directeur et de
musée ainsi que sa structure administrative. A u cours
conservateur avec une sensibilité plus large que celle de
des vingt-sept ans où il resta en fonction, Messer lança
Rebay, et il compléta la collection par des œuvres
un programme ambitieux de publications, centré non
représentatives de tous les développements de l'art
seulement sur les expositions temporaires mais aussi sur
moderne, sans se limiter au courant non objectif.
la collection qui continuait à s'enrichir et qui nécessitait
Souhaitant combler de sérieux vides au sein de la
un sérieux travail de catalogage ainsi que l'élaboration
collection - c o m m e l'absence presque totale de
de projets de recherche approfondis. Sous Messer,
sculptures dont se détournait Rebay en raison de leur
l'équipe de conservateurs et de techniciens se renforça
corporalité - , il se lança dans un programme
afin de répondre à l'augmentation des activités liées aux
d'acquisition intensif. A u m o m e n t de la démission de
expositions et à la publication. Les nouvelles
Sweeney en 1960, on pouvait compter 11 Constantin
acquisitions restèrent dans la veine définie par
Brancusi, 3 Alexandre Archipenko, 7 Alexander Calder,
Sweeney : des œuvres de Constantin Brancusi,
des bronzes de M a x Ernst et d'Alberto Giacometti, ainsi
d'Alexander Calder, d'Alberto Giacometti, de Paul Klee,
que d'autres œuvres majeures telles que Ehomme
de Frantisek Kupka, de Fernand Léger, de Joan Miró et
aux
bras croisés de Paul Cézanne et des peintures
d'Egon Schiele rejoignirent la collection pour illustrer
fondamentales de l'expressionnisme abstrait de Willem
toutes les facettes de l'art moderne. Pour l'art
De Kooning, Franz Kline et Jackson Pollock. E n plus de
contemporain, Messer fitl'acquisition de plusieurs
ces achats, le musée avait reçu un legs provenant de
peintures de l'un de ses artistes favoris, Jean Dubuffet,
Katherine S. Dreier qui, aux côtés de Marcel D u c h a m p ,
ainsi que d'œuvres de Francis Bacon, d'Anselm Kiefer,
avait fondé la Société Anonyme.
de Robert Rauschenberg et de David Smith. Fervent
adepte de l'avant-garde internationale, Messer acquit
Lorsque le bâtiment de Wright ouvrit le
21 octobre 1959, de longues files se pressèrent pour
52
également des œuvres signées par des artistes
d'Amérique latine et d'Europe de l'Est.
nnuBSurri^ ISSN 0304-3002. n° 217 (VDI. 55. n° 1.2003) © UNESCO 2003
Lévolution du G u g g e n h e i m
Lisa Dennison
La collection se trouva considérablement
sa collection d'art et le palais qui l'abrite à l'institution
enrichie en 1963, lorsque la fondation reçut en prêt
de N e w York. La collection présentée dans le Palazzo
une partie de la collection très prisée de Justin
Venier dei Leoni sur le Grand Canal est devenue l'une
K . Thannhauser, composée de chefs-d'œuvre de
des attractions culturelles les plus admirées et les plus
l'impressionnisme, du post-impressionnisme et du
visitées de Venise. La sensibilité de Peggy Guggenheim
modernisme français. Ces peintures et sculptures firent
à l'égard de courants artistiques négligés par son oncle
officiellement partie de la collection du musée en
Solomon, notamment le surréalisme et le début de la
1978, deux ans après la mort de Thannhauser. Le legs
peinture gestuelle américaine de l'après-guerre, généra
couvrait toute la période artistique précédant
une collection de plus de trois cents œuvres qui offrent
immédiatement celle qui était représentée initialement
une diversité de genres absents, pour la plupart, des
dans les possessions de Guggenheim, mais complétait
collections du musée de N e w York. Considérées
aussi la collection d'origine par des œuvres de Pablo
conjointement, et bien qu'à cheval sur deux
Picasso et d'artistes de l'École de Paris. Montagnes à
continents, ces deux collections forment une seule
Saint-Rémy de Vincent Van G o g h et La repasseuse de
entité qui retrace l'histoire complexe et riche de l'art du
Picasso comptent parmi les chefs d'œuvre qui
xxe siècle. Leur union a donné l'impulsion à
figuraient dans la donation de Thannhauser. E n 1981,
l'orientation internationale de l'institution.
Hilde Thannhauser, la veuve de Justin Thannhauser,
augmenta la donation de trois peintures
supplémentaires signées par Georges Braque, Picasso et
U n e stratégie d'expansion :
les orientations récentes
Van Gogh. À la mort de Hilde, en 1991, le musée reçut
u n legs de dix œuvres majeures de Paul Cézanne, Paul
Sous la direction de T h o m a s Krens, en poste depuis
Klee, Edouard Manet, Julius Pascin, Pablo Picasso et,
1988, le Guggenheim a élargi l'étendue de ses
pour la première fois dans ce musée, un tableau de
opérations et a poursuivi u n programme d'acquisitions
Claude Monet. À la suite de l'acquisition en 1963 des
intensif, cherchant en particulier à accroître sa
tableaux et sculptures de Thannhauser, on jugea
collection de photographies et d'art contemporain. E n
nécessaire d'accroître la surface d'exposition du musée
1992, l'édifice de Frank Lloyd Wright a été restauré et
afin de les présenter de manière adéquate. Laile Justin
augmenté d'une tour, ce qui a notablement agrandi la
K . Thannhauser fut donc créée au second étage du
surface d'exposition tout en permettant d'apprécier
Monitor Building en 1965 (le Monitor fut rebaptisé
visuellement l'immense rotonde de Wright et les
Thannhauser en 1989).
galeries Thannhauser. À la m ê m e époque, le musée
Guggenheim S o H o ouvrait ses portes dans le centre de
À la liste de collectionneurs visionnaires qui
Manhattan, avec une surface d'environ 3 000 mètres
ont aidé à constituer la collection du musée doit être
carrés pour l'exposition d'œuvres d'art multimédia
rajouté le n o m de Peggy Guggenheim. Tout en étant u n
contemporaines.
élément autonome, séparé géographiquement, la
Collection Peggy Guggenheim à Venise fait partie
E n 1997, l'institution a renforcé sa présence
intégrante de la Fondation Solomon R. Guggenheim
internationale avec l'ouverture du musée Guggenheim
depuis 1976, date à laquelle Peggy Guggenheim légua
de Bilbao et du Deutsche Guggenheim Berlin.
museum ISSN 1350-0775. NO. 217 <voi. 55. NO. 1.2003) |
53
AU-DELÀ DES FRONTIÈRES
Construit par le Gouvernement basque et géré par le
portes à Las Vegas : le Guggenheim de Las Vegas, u n
Guggenheim, le musée Guggenheim Bilbao s'intègre
vaste lieu destiné à des expositions spéciales, tant dans
dans un vaste projet visant à faire de Bilbao u n grand
le domaine de l'art contemporain que de l'architecture
centre métropolitain. Lédifice, conçu par Frank
et d u design, et le musée Guggenheim-Ermitage. Tout
O . Gehry, a été qualifié dans le m o n d e entier de chef-
c o m m e le musée Guggenheim Bilbao, les nouveaux
d'œuvre architectural. Le musée a considérablement
musées de Las Vegas renouvellent l'alliance entre le
augmenté la capacité du Guggenheim à réaliser ses
grand art et l'architecture spectaculaire qui se
objectifs fondamentaux concernant la collection et la
manifesta lorsque Frank Lloyd Wright collabora avec
présentation de l'art de notre temps. Grâce à des
Hilla Rebay et Solomon Guggenheim. Les
acquisitions d'œuvres d'Eduardo Chillida, de Willem
collaborations du Guggenheim avec Frank O . Gehry à
D e Kooning, de Jenny Holzer, d'Anselm Kiefer, de
Bilbao et R e m Koolhaas à Las Vegas ont recréé la m ê m e
Robert Rauschenberg, de Mark Rothko, de Richard
synergie et ont produit, à nouveau, une architecture
Serra et d'Antonio Tapies, entre autres, la collecte
qui offre au m o n d e des lieux d'exception pour la
récente d u musée Guggenheim Bilbao vient compléter
contemplation de l'art de notre temps.
et enrichir les possessions d u Guggenheim. La
proportion généreuse des galeries conçues par Gehry,
Grâce à cette nouvelle constellation de lieux
qui défient toutes les galeries conventionnelles,
dédiés à l'art - chacun d'entre eux émettant son propre
s'accorde parfaitement à la présentation d'œuvres d'art
rayonnement - , le Guggenheim touche désormais u n
de la seconde moitié du xxe siècle. E n outre, certaines
public mondial tout en poursuivant une recherche de
galeries étant dédiées entièrement aux œuvres d'artistes
qualité éducative, artistique et architecturale. Pris dans
basques ou espagnols contemporains, le musée
leur globalité, ces différents lieux permettent à la
Guggenheim de Bilbao permet à la fondation
fondation d'accomplir sa mission, à savoir
Guggenheim d'entretenir une relation particulière avec
collectionner et présenter des œuvres d'art de la plus
l'art de cette région.
haute qualité à la plus vaste audience possible.
Lengagement du Guggenheim dans ces projets
Le Deutsche Guggenheim Berlin, né d'un
internationaux reflète son histoire, ses traditions,
partenariat entre le Guggenheim et la Deutsche Bank,
l'étendue de ses collections et son attachement à
est un lieu d'exposition intime situé sur l'illustre
l'excellence culturelle.
avenue de Berlin Unter den Linden. Le programme
d'expositions de cet espace Guggenheim varie entre
des expositions à la thématique très précise et des
commandes spécifiques d'œuvres auprès d'artistes
reconnus internationalement, tels que Jeff Koons,
James Rosenquist et Rachel Whiteread.
E n 2001, la constellation Guggenheim s'est
déployée jusque dans l'ouest des États-Unis lorsque
deux sites conçus par R e m Koolhaas ont ouvert leurs
54
nTUSeUTI.
ISSN 0304-3002, n° 217 (vol. 55. n° 1. 2003) © UNESCO 2003
Lévolution du Guggenheim
Lisa Dennison
8 - En juin 1943, S o l o m o n R. G u g g e n h e i m d e m a n d a au célèbre architecte Frank Lloyd
Wright d e concevoir un bâtiment destiné à abriter sa collection d'art m o d e r n e , à
N e w York. Wright imagina une forme complexe influencée par des structures
organiques. Le m u s é e a l'apparence d ' u n e ziggourat inversée (temple en forme de
pyramide d'origine babylonienne) et comporte u n e série de galeries reliées entre elles.
—
'"•"'•
j^Sf
9 - Cette section du Kunsthistorisches M u s e u m d e V i e n n e fut c o n ç u e par les
architectes Gottfried S e m p e r (1803-1879) et Karl von H a s e n a u e r ( 1 8 3 3 - 1 8 9 4 )
d a n s le style d e la Renaissance italienne, afin d'abriter les collections
impériales d e s H a b s b o u r g . L e m u s é e ouvrit en 1 8 9 1 .
irißeirn
ISSN 0304-3002, n° 217 (voi. 55. n°i. 2003) 1 5 5
Le m u s é e d'État de l'Ermitage
et le Kunsthistorisches M u s e u m :
la coopération entre deux grandes
institutions
Par Franz Pichorner
Franz Pichorner est né en i960 à Villach, en Autriche. Après des études en histoire, histoire de
l'art, philologie et littérature allemandes, il a obtenu un doctorat en philosophie en 1988. Il a
occupé un poste de chercheur au département d'histoire de l'Université de Vienne de 1987
à 1995, a été chargé de cours à l'Université d'Innsbruck de 1994 à 1995 et a été l'assistant du
commissaire européen Franz Fischler au bureau de liaison de Vienne de 1995 à 1998.
Le 1" mai 1998, il a été n o m m é assistant du directeur général du Kunsthistorisches Museum
dont il est depuis 2000 le directeur adjoint.
Le Kunsthistorisches M u s e u m de Vienne et le musée
d'État de l'Ermitage de Saint-Pétersbourg comptent
parmi les musées les plus importants au m o n d e . Tous
deux possèdent de prestigieuses collections qui
couvrent plusieurs siècles, Lérudition et l'amour de
Fart des monarques de Vienne et de Saint-Pétersbourg
se manifestent tant dans certaines œuvres
remarquables que dans les collections prises
globalement.
Lhistoire du m u s é e
La dynastie des Habsbourg c o m m e n ç a à collectionner
des œuvres d'art à partir d u xvie siècle. Les collections
étaient dispersées dans tout l'empire, à Vienne, Prague,
Graz et Innsbruck (château d'Ambras). Elles furent
fréquemment déplacées d'un lieu à l'autre, en raison
des changements politiques et dynastiques, puis elles
finirent par être réunies à Vienne, capitale et résidence
impériale. À la fin du xixe siècle, les collections
s'enrichirent plus encore, en grande partie grâce à
l'empereur Franz Josef Ier. Le superbe édifice d u
ITTLEeim
ISSN 0304-3002. n° 217 (vol, 55, n° 1. 2003) © UNESCO 2003
I L e m u s é e d' !tat de l'Ermitage et le Kunsthistorisches M u s e u m
Franz Pichorner
Kunsthistorisches M u s e u m , conçu à l'origine pour
des collections de tapisseries, d'uniformes de la cour,
s'intégrer dans u n « Kaiserforum », fut construit dans le
de voitures de maître d u château de Schönbrunn et des
cadre du projet Ringstrasse et est dans le m ê m e style
collections du château d'Ambras, près d'innsbruck.
que le Naturhistorisches M u s e u m , situé en face. Le
17 octobre 1891, la nouvelle demeure des collections
E n 1999, le Kunsthistorisches M u s e u m , qui
d'art impériales fut officiellement inaugurée par
jusque-là était un département annexe du Ministère
l'empereur.
fédéral de l'éducation, de la science et de la culture, a
accédé au statut d'« institution culturelle
Lors de la réorganisation des possessions
indépendante » et, de ce fait, a été investi de l'autorité
impériales, diverses collections de peintures furent
nécessaire pour s'autogérer. La mission du musée
réunies afin de former la galerie des peintures,
consiste à préserver, enrichir, présenter et gérer les
constituée d'oeuvres datant d'une période comprise
collections, et à encourager les travaux de recherche
e
e
entre les XV et x v m siècles. Dans le cabinet des
sur celles-ci. Le Musée d'ethnologie et le Musée du
monnaies, on rassembla des collections de monnaies et
théâtre autrichien ont été associés au Kunsthistorisches
de médailles qui couvraient une période allant de
le 1er janvier 2001. La qualité exceptionnelle des objets
l'Antiquité jusqu'au xixe siècle, tandis que la collection
qui constituent ses collections et son programme très
d'armes et d'armures réunissait des pièces datant des
étendu d'expositions temporaires font du musée l'une
XV e , xvie et xvn e siècles. La spécialisation croissante
des plus grandes attractions culturelles en Autriche
dans les disciplines artistiques et scientifiques m e n a à
pour les visiteurs du m o n d e entier.
la création de la Kunstkammer - une collection d'art et
de curiosités - , à l'instauration d'un département
Dans les années 1970, un accord culturel
consacré à l'Egypte et au Proche-Orient et d'un
entre l'Autriche et l'Union soviétique a instauré des
département d'antiquités grecques et romaines. Par la
échanges d'expositions entre les deux pays. À
suite, des objets d'art décoratif post-classiques, qui
l'automne 1980, le Kunsthistorisches M u s e u m a
constituaient le noyau de la Kunstkammer, formèrent
présenté à Saint-Pétersbourg et à Moscou une
le département de sculpture et des arts décoratifs.
exposition de chefs-d'œuvre extraits de sa galerie de
Enfin, des objets de la Kunstkammer et de la collection
peintures, couvrant une période comprise entre les
d'Esté furent assemblés afin de former le département
xvie et x v m e siècles. D u mois de mai au mois
des instruments de musique anciens.
d'août 1981, des peintures du xviie siècle du musée de
l'Ermitage et du musée Pouchkine ont été présentées
À la suite du démantèlement de l'Empire
au Kunsthistorisches. D e nombreuses considérations
austro-hongrois en 1918, un certain nombre de
entrent enjeu au m o m e n t de monter de telles
collections impériales qui n'étaient pas exposées dans
expositions. O n peut choisir de réunir u n certain
le bâtiment principal sur le Ring furent confiées au
nombre de chefs-d'œuvre de diverses époques et de
Kunsthistorisches M u s e u m . Il s'agissait des trésors
différents pays afin d'offrir une variété artistique
ecclésiastique et séculier, dans lesquels étaient
attrayante ; ou bien l'on peut choisir au contraire un
conservés les emblèmes de l'Empire romain chrétien et
assortiment d'œuvres qui reflètent un lieu ou une
de l'Empire austro-hongrois ainsi que des objets sacrés,
époque déterminés. E n 1981, en l'occurrence, le choix
museum ISSN 1350-0775. NO. 217 <voi. 55. NO. 1.2003) |
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AU-DELÀ DES FRONTIÈRES
concernant les collections de l'Ermitage s'est porté
d'importantes collections de peintures. Elle entretenait
exclusivement sur des peintures françaises d u
une liaison étroite avec Paris et elle fut elle-même très
e
xvn siècle. Ces œuvres étaient censées compléter, par
influencée par la philosophie des Lumières. La
un jeu de contraste, les peintures d'autres pays
prédilection russe pour la culture française se perpétua
européens de la m ê m e période - Italie, Espagne,
pendant tout le xixe siècle, c o m m e en témoignent les
Flandre, Hollande et Allemagne - déjà présentes dans
vastes collections de tableaux de peintres français :
les collections du Kunsthistorisches.
Nicolas Poussin, Claude Lorrain, Antoine Watteau,
François Boucher, ainsi que les impressionnistes et les
La peinture française est très peu représentée
artistes ultérieurs. Il semblait donc naturel que le
au Kunsthistorisches M u s e u m . C'est une conséquence
Kunsthistorisches M u s e u m souhaite emprunter des
des relations entre la maison royale française et les
tableaux français de l'Ermitage.
lignées tant espagnole qu'autrichienne de la dynastie
des Habsbourg qui, pendant des siècles, ont été
Le Kunsthistorisches a par la suite fait appel à
marquées par la tension et la rivalité. C'est ainsi qu'on
plusieurs reprises aux collections de l'Ermitage pour
peut expliquer l'influence limitée de la culture
d'importantes expositions, que ce soit « Isabelle
française dans les provinces autrichiennes. Le mariage
d'Esté » en 1994, ou « Nicolas Poussin » en 2001, ou
de Marie-Thérèse de Habsbourg avec le duc François
encore « Natures mortes flamandes » en 2002. Ces
Etienne de Lorraine en 1736 ne changea pas
expositions sont très utiles pour renforcer les relations
véritablement la situation.
entre les conservateurs des deux pays et pour les
amener à une compréhension réciproque.
Larchiduc Leopold Wilhem, gouverneur des
Pays-Bas espagnols et fondateur de la galerie de
peinture impériale à Vienne, possédait u n grand
L'émergence du panorama muséal
du xxie siècle
nombre d'oeuvres flamandes couvrant la période d u
XVe au xviF siècle, ainsi que des peintures italiennes,
Le 15 janvier 2001, la coopération entre les deux
essentiellement vénitiennes, de la m ê m e période. La
musées est entrée dans une nouvelle phase, avec la
peinture française, cependant, était totalement absente
signature à Vienne d'un accord de partenariat entre le
de sa collection. Les différences de goût peuvent être
Kunsthistorisches M u s e u m (les Musées d'ethnologie et
invoquées. La peinture française ne correspondait pas
du théâtre autrichien compris), le musée Guggenheim
aux affinités esthétiques de la cour viennoise,
de N e w York et le musée de l'Ermitage. Cet accord
profondément marquée par l'art italien et par celui des
représente u n cas unique de collaboration entre trois
pays d u Nord.
des plus grands musées d u m o n d e et la nature de la
coopération envisagée est sans précédent.
Les collections de l'Ermitage se sont
constituées d'une tout autre façon : elles sont nées des
Le partenariat entre les trois musées se fonde
efforts de Catherine la Grande et ne remontent qu'au
sur la-conscience de la spécificité de chaque
xvm e siècle. Avec l'aide de diplomates russes établis en
institution, de son évolution historique et de ses
Europe de l'Ouest, la tsarine eut la possibilité d'acheter
collections. Il découle aussi de la volonté de s'inscrire
58
museirri
!SSN
0304-3002. n° 217 <voi. 55. n° 1.2003) ©
UNESCD
2003
I Le musée d [tat de l'Ermitage et le Kunsthistorisches M u s e u m
Franz Pichomer
dans u n m o n d e changeant, u n m o n d e où « la réalité
trois musées sont restées inchangées. La redéfinition de
virtuelle » occupe une place grandissante et où les
leur position au sein du marché international, induite
frontières politiques, géographiques et culturelles
par cette coopération à long terme, ne doit en aucun
s'ouvrent et s'effacent peu à peu ou disparaissent tout à
cas être interprétée c o m m e u n stratagème commercial
fait. Les œuvres d'art du passé et du présent qui nous
ou c o m m e une mesure axée sur le profit, dictée par les
sont léguées et qui constituent notre patrimoine
contraintes de la mondialisation et n o n par la
culturel c o m m u n doivent non seulement être
compréhension qu'ont les musées de leur mission.
préservées et étudiées, elles doivent aussi nous servir à
comprendre le m o n d e qui nous entoure. Les trois
Un vaste p r o g r a m m e de coopération
musées se sont engagés à poursuivre ces objectifs par
et de collaboration
le biais de programmes de collaboration adaptés.
Laccord scelle l'engagement des trois institutions en
Les stratégies mises en œuvre conjointement
vue de l'élaboration de programmes c o m m u n s à long
par l'Ermitage, la Fondation Solomon R. Guggenheim
terme. Lobjectif principal est d'encourager u n soutien
et le Kunsthistorisches, la richesse incomparable de
réciproque entre les musées dans le cadre de leurs
leurs collections, qui vont des objets de l'Egypte
expositions, à travers le prêt et l'échange d'œuvres
e
ancienne et d'Orient jusqu'aux trésors du xx siècle,
d'art. E n élaborant des projets d'exposition c o m m u n s
ainsi que l'architecture historique remarquable des trois
d'une qualité exceptionnelle, les trois musées feront le
musées sont autant d'éléments qui concourent à créer
meilleur usage de leur expertise en matière de
une dynamique propre à déployer le panorama muséal
conservation, de leur expérience et des atouts
du xxie siècle. Les millions de visiteurs qui fréquentent
spécifiques de leurs collections. Les trois partenaires
chaque année les expositions temporaires et
ont aussi accepté de monter des expositions
permanentes des trois institutions représentent u n
c o m m u n e s dans des pays tiers afin de présenter
public d'une ampleur inégalable par une institution
l'importance et la richesse de leurs collections à u n
unique. La diversité et la qualité des collections
large public international.
permettent aux visiteurs de se confronter à des œuvres
d'art issues de tous les continents. Les trois institutions
Les musées ont également convenu
sont convaincues que les lieux dans lesquels elles sont
d'envisager la possibilité de participer à des projets de
actuellement présentes - notamment Saint-Pétersbourg,
développement internationaux qui cadreraient avec
Vienne, Innsbruck, N e w York, Venise, Bilbao, Berlin,
leurs objectifs et leurs moyens. Le musée Guggenheim
Amsterdam et Londres - offrent les conditions idéales
de Bilbao représenterait un modèle pour de tels
pour des échanges culturels permanents.
projets. Dans ce cas précis, le financement a été assuré
par u n organisme extérieur tandis que la Fondation
Les stratégies adoptées par les musées afin de
s'adapter aux forces du marché sont souvent analysées
Guggenheim a endossé les responsabilités de
programmation et de gestion.
par les critiques d'art c o m m e une subversion de
l'identité culturelle du musée ; il faut donc souligner à
ce sujet que l'identité, la mission et la structure des
Les trois musées ont démontré que leurs
collections, ainsi présentées, étudiées et réunies dans
mUSeUTl
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AU-DELÀ DES FRONTIÈRES
des expositions spéciales, n o n seulement suscitent
a également mis en évidence les atouts de chaque
l'intérêt du grand public mais également répondent
institution. Ainsi, u n dialogue a p u s'instaurer entre
aux besoins des chercheurs et des spécialistes. Eaccord
les trois œuvres très différentes présentées dans
renforce ainsi les relations culturelles internationales
chaque musée et entre les neuf peintures sélectionnées
tout en soulignant l'extraordinaire valeur pédagogique
pour le projet d'ensemble.
des collections.
Eexposition « Les trésors de la Horde d'or »,
Les musées partenaires vont également
constituée à partir d'objets prêtés par l'Ermitage, a été
s'associer pour la publication de travaux de recherche
présentée du printemps à l'automne 2002 à la
ou de documents éducatifs et prévoient d'élaborer des
Kunsthalle Leoben, dans la province autrichienne de
programmes à long terme, notamment en ce qui
Styrie. Cette exposition, centrée sur la culture n o m a d e
concerne les produits manufacturés dérivés des musées
de la Horde d'or, empire qui succéda à celui de Gengis
et leur commercialisation par le biais de l'Internet. D e
K h â n , comportait des objets qui étaient exposés pour
plus, ils prévoient de mettre en place des programmes
la première fois hors de Russie. Le Kunsthistorisches
éducatifs c o m m u n s , en particulier à l'intention des
M u s e u m , qui joue u n rôle consultatif dans la ville de
enfants, et de recourir aux nouvelles technologies de
Leoben, a eu la possibilité de faire venir ces trésors
l'information pour atteindre ces objectifs.
artistiques en Autriche grâce à sa relation privilégiée
avec l'Ermitage.
La coopération va se manifester aussi par
l'instauration de programmes de formation destinés
Eexposition « Eart à travers les siècles : les
aux personnels des musées, aux spécialistes et aux
chefs-d'œuvre de la peinture, de Titien à Picasso » a été
chercheurs, dans les domaines de la muséologie, d u
inaugurée le 30 août 2002 au musée Guggenheim-
catalogage, de la restauration et de la conservation, de
Ermitage de Las Vegas, le « coffret à bijoux » conçu par
la publication, d u marketing et des nouvelles
R e m Koolhaas. Cette importante exposition qui
technologies. U n échange permanent va se développer
comportait quarante chefs-d'œuvre de la peinture
dans ces secteurs.
européenne et américaine entre la Renaissance et
le XX e siècle était destinée à refléter la richesse
Bilan et perspectives
exceptionnelle des collections des trois musées. Cette
exposition de tableaux de maîtres anciens et modernes
Les réalisations de ces derniers mois sont très
était sans précédent dans la région et présentait à u n
satisfaisantes. Eexposition « Connecting M u s e u m s »
public nouveau une grande diversité d'œuvres de
(Rencontres intermusées, d u 18 juin au 2 0 octobre
différentes provenances.
2002) a été organisée afin d'inaugurer la coopération.
Elle s'est déroulée à N e w York, à Saint-Pétersbourg et
D'autres expositions programmées par le
à Vienne et présentait dans ces trois lieux trois
Kunsthistorisches M u s e u m , l'Ermitage et le
peintures provenant de chacun des musées
Guggenheim témoignerontà l'avenir des potentialités
partenaires. Malgré sa modeste envergure, l'exposition
exceptionnelles générées par la coopération entre trois
fut imprégnée d'un profond symbolisme. Eexposition
des plus grandes institutions artistiques du m o n d e .
60
nnuseurr^ ¡SSN 0304-3002. n° 217 (voi. 55, n° 1.2003) © UNESCO 2003
Le Louvre : un musée national
dans un palais royal
Par Geneviève Bresc-Bautier
Conservateur général du patrimoine, Geneviève Bresc-Bautier est depuis igj6 responsable au
musée du Louvre des collections de sculptures françaises des XVIe et xvue siècles, domaine
lequel elle a publié de nombreux
dans
articles et catalogues. En outre, depuis 1989, elle a en charge
l'histoire du Louvre et assure la gestion scientifique des salles conservant des peintures et des
sculptures qui proviennent du décor du Louvre, qui ont servi de modèles pour son décor, ou
encore qui représentent le palais ou les salles du musée.
Le Louvre est depuis son origine u n château où se sont
déroulés huit siècles d'histoire. Sa conversion en
musée et son ouverture au public remontent à 1793,
mais le musée n'a pris possession de l'intégralité du
palais qu'en 1993. C'est donc au terme d'un long
processus de transformation que l'art et la culture ont
peu à peu pris le pas sur le politique. Il a fallu
composer avec des siècles d'histoire, de
transformations architecturales, d'usages
immémoriaux des lieux pour constituer u n musée
moderne, qui offre au regard d u public des collections
dont la qualité est internationalement reconnue, et qui
sont restaurées et présentées selon des normes
rigoureuses. C e musée moderne donne aussi aux
visiteurs, dont le nombre ne cesse de croître - plus de
5 700 0 0 0 en 2002 - , toutes les commodités qu'ils en
attendent : escaliers roulants et ascenseurs pour
atteindre confortablement les étages, restaurants et
cafétérias pour se reposer, visites guidées, ateliers,
publications, audioguides pour s'orienter, pour
comprendre et pour aller plus loin dans la découverte
des civilisations, de l'art et des cultures d u m o n d e .
ITLGGim
ISSN 0304-3002. nQ 217 (vol. 55. n° 1. 2003) I
61
A U - D E L À DES FRONTIÈRES
Lhistoire du palais
charge d'édifier la nouvelle aile, bientôt complétée d'un
grand pavillon pour abriter l'appartement du roi, puis
Le Louvre est à l'origine une forteresse légèrement
d'une autre aile pour les appartements de la reine.
extérieure à la cité ; c'est u n donjon entouré d'une
C'est à cette époque que s'élabore u n certain type
robuste enceinte cantonnée de tours, u n lieu défensif
d'architecture et de décor qui servira de référence à
qui permet de mettre à l'abri le Trésor royal ou les
tous les architectes qui suivront. Les artistes classiques
prisonniers de prestige en cas de nécessité. Édifié pour
du règne de Louis XIII et de Louis XIV, les
défendre Paris alors que le roi Philippe Auguste part
néoclassiques sous Napoléon Ier, puis les éclectiques
pour la croisade à la fin d u XIIe siècle, le château
sous Napoléon III s'inspireront volontairement des
connaît vers 1360 sous Charles V une première
compositions de la Renaissance, assurant ainsi à travers
transformation en résidence royale. Devenu l'une des
les mutations du goût une continuité formelle unique
résidences d'une monarchie en perpétuel déplacement,
au m o n d e et donnant une unité à u n chantier qui va
le Louvre abrite ce qu'on peut considérer c o m m e le
s'étendre sur quatre siècles, de 1546 à 1875.
point de départ de sa vocation future : une
bibliothèque de manuscrits, que le roi, qualifié de
Sage, vient consulter dans sa « tour de la Librairie ».
Les souverains n'habitèrent réellement le
Louvre qu'à des périodes déterminées : sous les Valois,
à la fin d u xvie siècle ; sous Henri IV et Louis XIII ;
Dans l'histoire d u Louvre, ce château médiéval
pendant la jeunesse de Louis XIV, avant que Versailles
a été longtemps connu seulement par des enluminures
ne devînt le centre du pouvoir. Le château des Tuileries
et des tableaux, et par une reconnaissance
voisin fut, à partir de la fin du xvm e siècle, la résidence
archéologique effectuée en 1860. Détruit partiellement
e
royale : Louis XVI y vécut les dernières heures de la
en 1528, puis totalement au milieu du xvn siècle, il a
monarchie, remplacée par le gouvernement
été ressuscité en 1984-1985 par les fouilles entreprises
révolutionnaire. Le Louvre fut, dans la capitale, la
alors que le musée entamait sa modernisation.
résidence des derniers souverains, Napoléon Ier,
Aujourd'hui dégagés, les fossés et les robustes
Louis XVIII, Charles X , Louis-Philippe et Napoléon III.
murailles, la base du donjon et la salle basse voûtée en
ogives forment le circuit d u « Louvre médiéval » qui
Le Louvre est en fait u n gigantesque complexe
permet de présenter divers objets trouvés à l'occasion
royal. Le château des Tuileries, placé à l'ouest et
des fouilles.
aujourd'hui disparu, fut édifié par la reine mère
Catherine de Médicis à partir de 1564 et relié au
La Renaissance fut le deuxième temps fort de
Louvre dès 1566 par u n couloir d'accès. Henri IV, qui
son histoire. François Ier décida de réaliser dans sa
voulait faire de la réunion du Louvre aux Tuileries par
capitale u n palais d'un style nouveau. S'il ne put faire
une succession de bâtiments et de cours u n « Grand
aboutir le projet, confié à l'architecte Serlio, d'un
Dessein » royal, transforma ce long couloir en une
bâtiment totalement nouveau, il fit cependant abattre
« Grande Galerie » le long de la Seine. Chaque
le donjon et une aile de l'ancien quadrilatère. Sous le
souverain chercha par la suite à mener à bien ce
règne de son fils, Henri II, c'est à l'architecte Pierre
« Grand Dessein », jusqu'à l'achèvement en 1857 du
Lescot, assisté d u sculpteur Jean Goujon, que revint la
chantier d u Nouveau Louvre sous Napoléon III.
62
nnUSeUTl
ISSN 0304-3002. n° 217 (vol.
55, n° 1.2003) ©UNESCO 2003
| Le Louvre
Geneviève Bresc-Boutier
La présence de l'État au Louvre détermina
occupaient des logements dans de nombreuses parties
toute une série d'aménagements de prestige qui
d'un château encore inachevé et abandonné par la cour
constituent aujourd'hui autant de témoignages
au profit de Versailles.
artistiques et historiques intégrés au musée : la salle
des Caryatides, chef-d'œuvre de la Renaissance, les
A u siècle des Lumières, u n courant d'opinion
chambres royales revêtues de boiseries (xvie et
nourri par l'Encyclopédie, exigea l'ouverture des
XVIIe siècles), les appartements de la reine mère A n n e
collections royales au public et la transformation du
d'Autriche, ornés de fresques et de stucs en 1656-
Louvre en « m u s é u m ». Préparé par la royauté sous
1658, et la galerie d'Apollon, où le peintre Lebrun,
Louis XVI, ce projet se concrétise sous la Révolution et,
aidé par les meilleurs sculpteurs de son temps, réalisa
le 10 août 1793, le M u s é u m central des arts de la
u n somptueux décor de stucs et de tableaux. Sous
République est inauguré. Ce n'est alors qu'un grand
l'Empire, le décor des grands escaliers, sous la
musée de peinture qui occupe la très longue Grande
Restauration, celui des salles d u Conseil d'État, sous
Galerie. Ses tableaux proviennent des anciennes
Napoléon III, celui des appartements du ministre
collections royales de l'Académie et des collections
d'État furent autant de lieux destinés à magnifier la
confisquées à l'Église et aux émigrés. Les conquêtes
présence d u politique.
révolutionnaires puis napoléoniennes vont changer le
programme du musée d u fait du nombre d'œuvres
Les prémices du conservatoire d'art
d'art qu'il reçoit, entre autres, d'Italie. Il se complète
alors d'une galerie de sculptures antiques, puis
Avec Henri IV, l'art avait pris pied dans le château
accueille dessins et objets d'art.
royal. Le roi logeait les artistes de la cour, et des ateliers
de tapisserie et d'orfèvrerie s'abritaient sous la Grande
Mais l'histoire politique et militaire changea le
Galerie. Le roi avait, en parallèle, aménagé une « salle
cours de son évolution : appauvri par le retour vers
des antiques » pour présenter les collections royales de
leur pays d'origine des œuvres saisies en Europe, le
sculpture. Noyau d'un futur espace muséal, cette salle
musée s'ouvre alors à l'art universel, égyptien, puis
fut complétée sous Louis XIV - épisodiquement il est
assyrien, oriental enfin. Il établit également des galeries
vrai - par u n « cabinet des tableaux du Roi ». À partir
thématiques de sculpture moderne et d'objets d'art. C e
de 1692, l'Académie royale de peinture et de sculpture
musée tout neuf occupe en partie les anciens
vint occuper avec ses collections les meilleurs
appartements royaux qui sont remaniés et transformés
appartements du Louvre, où siégeaient aussi les autres
en galeries. Dans les autres espaces, on met en place
académies (Académie française, Académie des sciences,
une muséographie nouvelle, adaptée aux œuvres
Académie des inscriptions et belles-lettres). Le Louvre
présentées, c o m m e dans la galerie inaugurée par
s'est donc affirmé peu à peu c o m m e u n foyer de
Charles X en 1827, où plafonds peints et hautes
création : l'Académie dispensait un enseignement,
vitrines d'acajou servent d'écrin aux collections
organisait des conférences et tenait tous les deux ans
antiques et égyptiennes. Sous la IIe République, sous
l'exposition des travaux de ses membres - d é n o m m é e
le second Empire et jusqu'en 1900, une architecture
Salon, d u n o m de l'espace dans lequel avait lieu la
de musée, monumentale et décorative, s'affirme
manifestation. À cette époque, les artistes royaux
dans de vastes « salons » (salon Carré, salle des Sept
mUSeUTI
ISSN 1350-0775. No. 217 (Vol. 55. No. 1.2003) i
6 3
AU-DELÀ DES FRONTIÈRES
Cheminées, salon Denon) et dans de grandes galeries
puissent rejoindre relativement vite les points de visite
aux murs rouge (pour les tableaux ) ou revêtus de
les plus éloignés. Les ailes du palais jugées trop
marbre (pour les sculptures). Cependant, dans le
lointaines pour être atteintes à pied dans le circuit de
Louvre, le musée coexiste toujours avec d'autres
visite furent soustraites de la présentation des
institutions ; c'est lentement qu'il va en occuper, u n à
collections et réservées à des services. Le hall
un, tous les espaces.
Napoléon, construit en sous-sol, regroupe les services
d'information, d'orientation, les vestiaires,
Le projet du Grand Louvre
l'auditorium, les librairies et les restaurants.
Parallèlement, le creusement des sous-sols entre le
U n grand pas est franchi en 1926, date à laquelle u n
Louvre et les Tuileries fut enfin l'occasion de fournir au
plan d'envergure est élaboré. Interrompu par la
musée les structures nécessaires au fonctionnement
seconde guerre mondiale, il fut poursuivi à u n rythme
d'un grand musée urbain : parkings, aires de livraison
régulier jusqu'aux années 1970. La décision, prise en
accessibles aux camions, voies de desserte intérieure
1981, d'affecter l'ensemble d u palais au musée d u
équipées de monte-charges, ateliers, vestiaires,
Louvre et aux institutions éducatives et de recherche
réserves ; car jusqu'alors le Louvre était u n théâtre
qui s'y rattachent (l'École d u Louvre, le Centre de
sans coulisses...
recherche et de restauration des musées de France et le
Musée des arts décoratifs) changea considérablement
La deuxième phase consista, entre 1989 et
l'échelle d u programme de rénovation. Son principal
1993, en l'aménagement des espaces libérés par le
objectif était de rendre plus cohérents les circuits de
Ministère des finances. Les cours intérieures furent
présentation, d'offrir au public u n accueil agréable et
recouvertes d'un réseau de dalles de verre et dévolues
de faciliter la visite en tous points du musée aux
à la sculpture monumentale. Léclairage zénithal des
publics handicapés. À ceci s'ajoutait la nécessité de
cours permet une présentation optimale des vestiges
réunir dans les sous-sols tous les éléments nécessaires
du palais d u roi Sargon à Khorsabad (Iraq) et des
au fonctionnement du musée.
sculptures françaises de plein air des xviie, xvuie et
xixe siècles. D e nouvelles salles ont également été
Ce projet fut intitulé « Grand Louvre ».
aménagées dans les espaces libérés afin d'abriter les
Létablissement public constructeur (Établissement
antiquités islamiques, orientales, les sculptures, les
public d u Grand Louvre), une administration ad hoc
peintures et les objets d'art. Dans la m ê m e phase, o n
établie par l'État français, eut la charge de la
entreprit le renouvellement de la muséographie de la
programmation et des travaux. La composante la plus
totalité de l'ancien musée, et les secteurs rénovés
spectaculaire de ce vaste programme fut, en 1989, la
s'ouvrent depuis au rythme d'un ou plusieurs par an.
réalisation d u vaste hall d'accueil Napoléon, surmonté
À titre d'exemple, la rénovation totale d'un des
de sa pyramide de verre, oeuvre de I. M . Pei, dont
départements les plus visités, les antiquités
l'intégration au cœur d'un espace historique fut, après
égyptiennes, s'est achevée en 1997. Actuellement,
de vaines polémiques, reconnue c o m m e exemplaire. Il
l'ancienne salle des États, où est d'ordinaire exposée
s'agissait là d'offrir aux visiteurs u n accueil centralisé et
la Joconde, et la galerie d'Apollon, écrin des joyaux,
confortable, établi au cœur d u bâtiment, afin qu'ils
sont en cours de restructuration, de m ê m e qu'une
64
rnUSeUTl
ISSN O304-3OO2. n° 217 (vol. 55. n° 1, 2003) © UNESCO 2003
J Le Louvre
Geneviève Bresc-Boutier
série de salles consacrées à la Méditerranée orientale
à la fin de l'Antiquité.
^aménagement de l'ancien Ministère des
finances en espace muséographique, transfert
d'affectation difficilement acquis, ne posait pas de
problèmes déontologiques et structurels majeurs. O n
conserva intacts les appartements de prestige décorés
sous Napoléon III et les grands escaliers qui
constituaient des témoignages d'histoire et d'art. Par
contre, les espaces aménagés à des fins administratives
dans l'ancien Ministère des finances ne présentant
aucun caractère historique furent remodelés pour
permettre la création d'une infrastructure de
circulation : ascenseurs, escaliers roulants, gaines
d'alimentation. E n fonction des espaces et de leur état
(architecture et décor), les décisions de
réaménagement peuvent donc varier
considérablement. Si dans les années 1930-1950, les
architectes agirent sans trop d'états d ' â m e sur les
structures anciennes, la conception actuelle de l'état
historique d'un lieu et la perception qu'on en a ont
considérablement changé. Concilier les impératifs de
UNESCO / Isabelle Vinson
sécurité des personnes (issues de secours, trappes de
désenfumage, largeur de passage), de conservation des
œuvres (surveillance, climat, lumière) et d'agrément de
10 - Entrepris en 1981, le projet du Grand Louvre
la visite avec le respect des lieux historiques est un
était destiné à réorganiser le musée et à le faire
exercice souvent délicat. Le musée fait disparaître la
s'ouvrir vers la ville. Le projet a doublé la surface
fonction d'origine des lieux qu'il occupe, m ê m e s'il en
d'exposition, notamment en occupant l'espace de
préserve l'enveloppe et l'aspect. Les salles les plus
plusieurs cours, la cour Puget par exemple.
prestigieuses sur le plan artistique et les plus
symboliques sont restaurées sans hésitation et dédiées
à la visite. Mais les impératifs techniques obligent
parfois à sacrifier des espaces a priori secondaires
(caves, escaliers dérobés, greniers, couloirs). U n
musée-palais aujourd'hui est le résultat de l'ensemble
de ces choix successifs. Le musée d u Louvre a, depuis
son installation dans le palais, connu ces inévitables
remaniements qui font d'une demeure u n lieu public.
mUSeim
ISSN I35O-O775, N O . 2 1 7 ( V O L 5 5 . N O . 1.2003) |
6 5
A U - D E L À DES FRONTIÈRES
Développement des services et défis
pour le futur
parallèlement au succès touristique, à entraîner vers le
musée ceux qui ne sont pas habitués à fréquenter les
lieux de culture, en développant u n programme très
C e sont les besoins d'accueil et de service d u public
riche de visites-conférences, de nature générale ou
qui impliquent tout particulièrement de nouveaux
spécialisée, ainsi que des ateliers pour enfants et pour
m o d e s de fonctionnement. Le Louvre devient u n
adultes. La volonté d'intégrer également les publics
établissement public en 1993 afin de disposer d'une
handicapés s'est manifestée par la programmation de
plus grande autonomie de gestion. Son budget est
visites spéciales pour les malentendants et par la
alimenté par des subventions d'État et des ressources
réalisation d'une galerie tactile pour malvoyants. Loffre
propres provenant essentiellement d u droit d'entrée et
culturelle se complète d'une médiathèque, d'une
d'opérations de mécénat. Dans u n souci d'équilibre
politique d'édition scientifique et pédagogique, d'une
budgétaire, la direction du musée vient de signer avec
importante programmation audiovisuelle, d'un site
les ministères de tutelle u n contrat d'objectifs
Internet établi en collaboration avec l'Éducation
pluriannuels qui doit lui permettre d'assurer sur trois
nationale en complément de celui ouvert au public en
ans la maîtrise de ses besoins financiers. Le gigantisme
1995 (www.louvre.fr) et visité par 20 0 0 0 internautes
de l'ensemble et le déploiement technique augmentent
par jour. Lauditorium accueille des conférences, des
considérablement les besoins de maintenance. Pour y
colloques, des lectures et des concerts. D e plus, une
faire face, des services internes aux responsabilités
base des cartels, dont est pourvue chaque oeuvre
souvent nouvelles ont été établis : services d'éclairage,
exposée, vient d'être ouverte sur LInternet. Dans les
d'informatique, de signalétique et de muséographie ou
salles d'expositions des différents départements, des
ateliers spécialisés dans les activités de transport,
feuillets à la disposition d u public guident les visites et
d'emballage et de présentation des œuvres d'art
chaque conservation est dotée d'un service de
(peinture, marbrerie, metallene, montage d'objets,
documentation ouvert aux spécialistes.
menuiserie, tapisserie, montage de dessin et
encadrement...).
Le Grand Louvre figure désormais parmi
les exemples les plus réussis de conversion d'une
Lieu de savoir, le musée a pour tâche
architecture palatiale en centre d'éducation, de
principale de donner à voir. E n parallèle aux
recherche et de plaisir artistique, c'est-à-dire en musée
aménagements architecturaux, il fallait aussi donner au
du xxie siècle.
public l'accès à la compréhension des oeuvres en
Doit-on pour autant cacher les difficultés et les
tenant compte de sa diversité. Le Louvre est
efforts qu'il reste à fournir ? Lampleur de la
l'institution culturelle française la plus visitée. E n
fréquentation entraîne trop souvent de longues files
accord avec sa vocation de service public, il est ouvert
d'attente lors de la saison touristique des week-ends
gratuitement aux jeunes de moins de dix-huit ans et à
prolongés d u printemps et des mois de juillet et d'août.
tous le premier dimanche de chaque mois. Parce que la
Lentrée principale par la pyramide crée u n
fréquentation est très largement touristique, les
engorgement que l'ouverture d'une porte secondaire
visiteurs disposent d'un plan-guide édité dans neuf
n'a pas véritablement réduit. La surface d'exposition
langues. Le service des publics s'est attaché,
s'est considérablement augmentée et a obligé à
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nXKirn
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I Le Louvre
Geneviève Bresc-Boutier
renforcer très fortement le personnel de surveillance et
de maintenance. Mais, faute de moyens suffisants, le
musée est trop souvent contraint de fermer des salles
par roulement. Le défi est donc maintenant de
continuer l'amélioration des conditions d'accueil et,
dans u n musée neuf qui vieillit doucement, de
maintenir intacte la qualité de sa muséographie et
l'excellence de son niveau scientifique.
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LErmitage et ses liens avec
les régions russes
Par Vladimir Matveev
Vladimir Matveev travaille à l'Ermitage depuis 1970. Il est le conservateur de la collection
d'instruments scientifiques de Pierre Ier: Depuis 1990, en tant que directeur adjoint pour les
expositions et le développement, il a coordonné les activités de nombreux
musée, notamment
les services au public, le tourisme et les programmes
départements du
spéciaux, le bureau de
presse, le département du développement, le centre de documentation et le nouveau centre
« Staraïa Derevnïa » pour la restauration et la préservation.
De tout temps, l'Ermitage a été une source de fierté
pour le peuple russe. Depuis sa création, il constitue
un symbole pour l'État russe de sa prodigieuse richesse
culturelle. Si le musée a contribué de façon notable à
l'élaboration de la culture russe, il a joué également u n
rôle déterminant dans l'orientation de la politique
culturelle nationale. À bien des égards, le musée a
donc contribué à forger les valeurs culturelles des
grandes villes et des régions de Russie.
Actuellement, o n peut signaler deux
tendances au sein des activités de l'Ermitage : le
dialogue direct que le musée entretient avec les régions
et sa relation avec le public. Ces deux tendances se
sont développées à travers la coopération avec les
instituts, les galeries et les musées régionaux.
Une conscience culturelle accrue
La présence des médias, et en particulier de la
télévision, a été déterminante pour l'influence de
l'Ermitage sur la vie culturelle des régions. Eécran de
télévision est devenu, en Russie, une fenêtre ouverte
sur le m o n d e de la culture, et ce en dépit d u fait qu'il
existe encore relativement peu de programmes
museirn |SSN 0304-3002, n° 217 (voi. 55. n° 1.20031 © UNESCO 2003
LErmitage et ses liens avec les régions russes
Vladimir Matveev
éducatifs sur les chaînes hertziennes. Ce sont les
Dans le public de la chaîne « Culture » se
documentaires et les émissions d'information qui
trouve très certainement une grande proportion de
jouent u n rôle important dans la sensibilisation aux
gens qui ont grandi pendant les années où le premier
questions ou aux événements culturels d'actualité. A u
cycle d'émissions sur l'Ermitage était diffusé. Ces
début des années 1990, un journaliste respecté de la
téléspectateurs continuent à manifester avec la m ê m e
région de M o u r m a n s k écrivit u n article pour son
ferveur leur intérêt pour la culture, en grande partie
journal local à propos de l'Ermitage et l'intitula
grâce à l'Ermitage.
« LErmitage : u n vaisseau au cœur de la nuit russe »
(une allusion secrète à l'ouvrage d ' H . G . Wells La
Le musée créa une autre série de programmes,
Russie dans l'ombre). Le titre de l'ouvrage conférait au
« Les trésors de Saint-Pétersbourg », qui, diffusée sur la
palais d'Hiver, la résidence de l'Ermitage, l'image d'un
chaîne régionale de Saint-Pétersbourg, donnait u n
vaisseau, mais reflétait aussi l'essence m ê m e d u musée,
aperçu des expositions présentées à l'Ermitage. C'est
c'est-à-dire son détachement des contingences
dans le cadre de cette série que les téléspectateurs
matérielles et son penchant pour les grands projets
purent célébrer le retour mémorable au pays de
admirables.
plusieurs chefs-d'œuvre d u musée qui avaient été
vendus par le Gouvernement soviétique au
La chaîne nationale russe « Culture » a
philanthrope américain A n d r e w Mellon qui en fit don
grandement contribué à faire connaître les collections
plus tard à la National Gallery de Washington, D . C . E n
de l'Ermitage au grand public. Elle est impliquée
raison des liens étroits qui unissent l'Ermitage et les
depuis longtemps dans une collaboration très féconde
différentes régions russes, ce cycle de programmes a été
avec le musée pour une série de programmes intitulés
diffusé sur vingt-trois chaînes de télévision régionales,
« M o n Ermitage ». Ceux-ci sont élaborés par le
de Kaliningrad, à l'ouest, à Sakhaline, à l'est.
directeur d u musée, Mikhail Piotrovsky, et reprennent
le meilleur d'une série d'émissions créées il y a plus
Pour bien comprendre les liens qui unissent
d'un quart de siècle par l'académicien Boris Piotrovsky,
l'Ermitage aux régions russes et aux républiques
le père de l'actuel directeur. E n effet, Piotrovsky père
voisines, il est important de se rappeler que, durant
produisit une trentaine de programmes de télévision
des décennies, les archives d u musée ont servi
sans précédent dans le pays ; ils furent diffusés dans
(souvent contre la volonté d u musée) à constituer les
toute l'Union soviétique sur la « Première » chaîne et
collections d'art des musées d'État, des musées
reçurent u n accueil enthousiaste de la part des
régionaux et locaux de toute l'Union soviétique. Des
téléspectateurs. La diffusion de ce cycle de
relations se sont tissées, de ce fait, entre tous ces
programmes coincida avec le m o m e n t où la popularité
musées et l'Ermitage lui-même. Dans sa volonté de
du musée était forte, avec plus de trois millions de
promouvoir les contacts avec les régions, l'Ermitage a
visiteurs par an, la plupart citoyens de l'Union
instauré une « école d'automne » et tous les
soviétique. Par l'intermédiaire d u petit écran,
conservateurs des musées russes ont la possibilité d'y
l'Ermitage eut l'occasion d'accroître son influence et de
prendre part. Le programme annuel de l'école se
toucher u n nouveau public composé de millions de
concentre sur les questions relatives à la mise en
téléspectateurs.
réserve et à la préservation des œuvres d'art, et sur les
ITLEBUm
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LERMITAGE ET LES ÉCHANGES CULTURELS
recherches récentes menées sur des œuvres
la création de l'École de restauration de l'Ermitage au
particulières des musées à travers la Russie. LErmitage
centre de restauration du Musée d'histoire locale de
a contribué de maintes façons au développement de la
Sverdlovsk Oblast à Iekaterinbourg. Pendant plusieurs
conscience culturelle à travers les provinces : en
semestres, cette école a offert à des spécialistes des
accueillant des conservateurs issus des musées
régions de l'Oural, de la Volga et de Sibérie la
régionaux au sein de l'Ermitage, en les encourageant à
possibilité de suivre u n stage de formation intensif sous
participer à des conférences et à des colloques (dont la
la houlette de restaurateurs et de personnels
plupart sont devenus maintenant des activités
expérimentés de l'Ermitage.
régulières) et en facilitant l'échange des idées entre les
personnels des musées d u pays entier. Ces différentes
KErmitage intègre régulièrement dans ses
démarches se sont avérées efficaces pour renforcer le
programmes des candidats provenant des nombreux
potentiel scientifique et académique des musées
musées régionaux. La plupart de ces programmes sont
régionaux de Russie.
des travaux de recherche individuels, mais l'Ermitage a
mis en place également u n certain nombre de cours
Après la fin de l'Union soviétique, la réputation
collectifs. Le thème des « services au public », une
de l'Ermitage en tant que centre de recherche
activité relativement nouvelle pour les musées, figure
scientifique s'est accrue considérablement dans
parmi les multiples séminaires et tables rondes que
l'opinion des conservateurs de musée et des spécialistes
l'Ermitage organise à l'intention des personnels des
à travers la Russie, la C o m m u n a u t é des États
musées régionaux, dont ceux d'Arkhangelsk, de
indépendants et les autres anciennes républiques
Vologda, de Kaliningrad, de Leningrad, de
soviétiques. LErmitage a alors occupé une place à part
Mourmansk, de Novgorod, de Pskov, ceux des
dans la mesure où il comptait parmi les musées les plus
républiques de Carélie et des Komis ainsi que ceux de
importants du m o n d e , tout en restant perçu par les
Saint-Pétersbourg. Le programme « LErmitage - le
personnels de tous les musées russes c o m m e quelque
porte-drapeau des musées russes » a été inauguré en
chose qui leur appartenait en propre, quelque chose
2001 ; il comporte des séminaires et des master classes
d'intrinsèquement russe. Ces dernières décennies,
à l'intention de spécialistes provenant des musées
l'Ermitage s'est employé à accroître ses activités avec
régionaux mais aussi de participants étrangers
des institutions étrangères, à renforcer ses liens avec le
(présents à la fois en tant que mentors et étudiants).
grand public, à travailler avec les médias, à développer
les techniques de marketing et de merchandising du
LErmitage attache aussi beaucoup
musée, et à mettre l'accent sur tous les programmes
d'importance au travail avec les enfants. Le musée
de développement en général. Ces innovations au sein
accueille désormais u n centre scolaire qui organise des
de l'Ermitage ont lancé u n défi stimulant pour les
programmes d'éducation pour les familles, ainsi que
conservateurs des musées régionaux de toute la Russie.
des activités pour les enfants ayant des difficultés
La relation entre l'Ermitage et les musées régionaux
d'apprentissage, en s'appuyant sur des outils éducatifs
s'est donc radicalement modifiée. La collaboration est
multimédias. Ces actions ont généré u n fort intérêt
désormais établie sur des liens de partenariat et sur une
parmi les personnels de musée des régions,
base égalitairel. O n peut notamment citer l'exemple de
notamment dans les républiques de Bachkirie et
70
mUSeUT)
ISSN 0304-3002. n° 217 (vol.
55. n° 1, 2003) © UNESCO 2003
I LErmitage et ses tiens avec les régions russes
Vladimir Matveev
© Winnie Denker / Patrimoine 2001 / Fondation La Caixa
11 - Cet élément de bouclier scythe en forme de panthère fut découvert dans le tumulus I de Kelermes (dans
le Caucase du Nord) en 1903. Fin VIe siècle avant J . - C , or et émail, longueur 36,6 c m , hauteur 16,2 c m .
d'Oudmourtie, à Oufa et à Lipetsk et des projets
sans doute sa participation dans des expositions en
similaires y ont été élaborés en collaboration avec
dehors de Saint-Pétersbourg. Ces actions c o m m u n e s ,
l'Ermitage. Les conservateurs de l'Ermitage continuent
qui recouvrent toutes les phases de préparation et de
à travailler étroitement avec les musées régionaux
gestion de l'exposition, se sont révélées être des
afin de développer de nouveaux programmes dans
entreprises extrêmement stimulantes et gratifiantes.
ce domaine.
Ces expositions constituent la façon la plus efficace de
renforcer les capacités artistiques et éducatives des
Les programmes d'exposition en liaison
avec les musées régionaux
Mais l'aspect le plus passionnant et le plus varié de la
collaboration de l'Ermitage avec les autres musées est
musées régionaux ainsi que leur aptitude à toucher le
grand public.
Il faut se rappeler qu'au début des années 1990
l'Ermitage avait pratiquement arrêté d'organiser des
museum
ISSN 1350-0775. NO. 217 (Vol. 55. No. 1.2003) |
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LERMITAGE ET LES ÉCHANGES CULTURELS
expositions dans les villes russes. Plusieurs facteurs
l'organisation d'événements musicaux en rapport avec
étaient enjeu, dont le problème de la sécurité et des
des expositions à travers les régions : pour la première
garanties. Le directeur de l'Ermitage suspendit la
fois des techniciens spécialisés de l'Ermitage
participation d u musée dans les expositions en Russie,
collaboraient avec u n musée régional. Avec l'assistance
déclarant que l'Ermitage serait intransigeant en matière
et les conseils de l'Ermitage, le Musée des beaux-arts
de sécurité. Les pièces du musée constituant des objets
d'Iekaterinbourg, le Musée d'État des arts décoratifs de
inestimables d u patrimoine mondial, elles ne pouvaient
la république de Tatarie, le Musée d'histoire locale de
être prêtées sans une garantie satisfaisante de sécurité.
Lipetsk Oblast, ainsi que plusieurs autres musées, ont
Néanmoins, l'Ermitage resta à l'écoute des besoins des
conçu et mis en place u n programme visant à
musées régionaux et s'attacha à trouver des solutions,
améliorer la sécurité de leurs espaces. Les
c o m m e l'illustre l'exemple de l'exposition de 1995,
administrations régionales en sont venues à
intitulée « Le sauvetage de l'Ermitage ». Cette année-là,
reconnaître les avantages à long terme d'un
le Musée des beaux-arts d'Iekaterinbourg (Oural)
investissement dans leurs musées locaux.
suggéra que l'Ermitage accueille une exposition
d'ceuvres lui appartenant afin de célébrer la victoire de
E n 1996, l'une des expositions majeures
la Russie lors de la seconde guerre mondiale. E n effet,
organisées par l'Ermitage en Russie (intitulée « Vive la
en 1941, tandis que Leningrad était assiégée et encerclée
flotte russe ! ») fut consacrée au 300 e anniversaire de la
par les troupes ennemies, la ville de Sverdlovsk (appelée
création de la marine russe et fut présentée dans la
de nouveau Iekaterinbourg aujourd'hui) acueillit deux
galerie d'art de Kaliningrad. La ville abrite le quartier
trains d'objets en provenance de l'Ermitage afin de les
général de la flotte balte, créée par Pierre le Grand.
placer en sécurité. U n troisième train avait été préparé
Cette enclave occidentale de la Russie a une place
avec d'autres œuvres d'art, mais il ne put jamais quitter
importante dans les projets de collaboration organisés
Saint-Pétersbourg. Lexposition était dédiée aux
par l'Ermitage qui travaille avec la galerie d'art de
employés d u musée qui avaient pu miraculeusement
Kaliningrad, le Musée sur l'histoire et l'art de
acheminer ces pièces vers le front de l'Oural et à ceux
Kaliningrad Oblast, le Musée de l'ambre, le Musée
qui étaient demeurés dans la ville assiégée de Leningrad.
maritime, et la maison-musée d ' H e r m a n n Brakhert à
Elle s'est tenue finalement à Iekaterinbourg dans deux
Svetlogorsk. Kazan (république de Tatarie) a accueilli
bâtiments d u musée, dont l'un, la Bibliothèque des
également une série de projets de l'Ermitage
cartes, avait abrité durant la guerre de nombreux
extrêmement variés et intéressants. Le premier, une
tableaux de l'Ermitage. Lexposition fut u n événement
exposition qui eut lieu en 1997, intitulée « Les trésors
culturel de grande ampleur soutenu par le Ministère
de Kubrat Khan », fut organisé sous le patronage du
de la culture. Lors de la cérémonie d'ouverture,
Président de la République qui, par la suite, décida
la prestation de l'orchestre de chambre de Saint-
d'établir une relation durable entre l'Ermitage,
Pétersbourg fut remarquée ; il effectua ensuite une
l'administration de la république de Tatarie, le
tournée dans la région de l'Oural.
Ministère de la culture de la république, ses Académies
des sciences et d'histoire, ses musées, ses centres
Cette exposition particulièrement innovante à
Iekaterinbourg a constitué u n précédent pour
72
d'exposition et l'administration de la ville de Kazan.
U n e série d'expositions fut programmée pour coïncider
nxEeurn^ ISSN 0304-3002. n° 217 <voi. 55. n° 1.2003) © UNESCO 2003
I Œrmitage et ses liens avec les régions russes
Vladimir Matveev
avec les célébrations prévues pour le 300 e anniversaire
illustrent la politique de l'Ermitage vis-à-vis des centres
de la fondation de Saint-Pétersbourg et le
régionaux : offrir son soutien et permettre la création
100 e anniversaire de la fondation de Kazan.
d'un futur moderne et stimulant pour les musées et
Récemment, l'Ermitage a fait connaître son intention
le public.
de créer u n centre de l'Ermitage à Kazan.
LErmitage considère que cette politique
Le musée a également collaboré avec des
d'échanges régionaux fait partie intégrante de son
institutions appartenant à d'autres républiques,
mandat, qui consiste à préserver, exploiter et partager
notamment la république de Bachkirie. Des savants,
le patrimoine culturel dans toute sa diversité tel qu'il
des chercheurs et des restaurateurs de l'Ermitage
est représenté par l'Ermitage et par tous les musées à
travaillent depuis des années avec des m e m b r e s du
travers la Russie.
centre d'Oufa pour la recherche ethnologique de
l'Académie des sciences russe. Cette collaboration a
m e n é à la restauration puis à l'exposition d'une
collection unique d'objeets découverts dans les
tumulus de Filippovka. ^exposition itinérante,
intitulée « Le cerf doré d'Eurasie », a remporté u n vif
succès à N e w York où elle a été présentée au
Metropolitan M u s e u m of Art, à Milan au Palazzo Reale,
à Oufa au musée d'art Nesterov de l'État de Bachkirie
et à Moscou au Musée d'État d'histoire. Cet
extraordinaire cas de collaboration entre l'Ermitage et
les musées régionaux a permis au Musée d'art de l'État
de Bachkirie de mieux se faire connaître à l'échelle de
la Russie et du m o n d e entier.
Aujourd'hui, l'Ermitage continue très
activement à développer ses liens avec les régions. E n
décembre 2002, dans le cadre du programme annuel
du musée « les Journées de l'Ermitage », une table
ronde a été organisée sur le thème « l'Ermitage en
Russie ». Étaient présents les administrateurs et les
directeurs de tous les musées régionaux qui avaient
collaboré avec l'Ermitage l'année précédente : Veliki
Novgorod, Vyborg, Iekaterinbourg, Kazan,
Kaliningrad, Lipetsk, Staraïa Ladoga et Oufa. Cette
réunion a été l'occasion d'un riche échange d'idées et
de l'élaboration de projets c o m m u n s , des projets qui
museuri ISSN 1350-0775, NO. 217 (Vol. 55. NO. 1,2003) |
73
LERMITAGE ET LES ÉCHANGES CULTURELS
© Winnie Denker/Patrimoine 2001/ Hermitage Museum
12 - Le célèbre tableau de Matisse, La danse, peint en 1910, évoque la mythologie de l'Âge d'or.
Avec La musique, il fait partie des chefs-d'œuvre que détient l'Ermitage.
74
s:
mMMyhiéê^:«%. :-2ff. V Ã
55;»« -., mm} Û «NBSÇÇ 2003-
Le merchandising et le marketing
international à l'Ermitage
Par Anatoly Soldatenko
Anatoly Soldatenko est responsable du département du développement au musée de l'Ermitage
depuis sa création, en 1995. Il a fait ses études à l'Université d'État de Leningrad et à l'Institut
français de gestion de Varsovie. Il travaille à l'Ermitage depuis 1986.
Selon la loi fédérale de la Fédération de Russie qui
régit les organisations charitables et les musées, le
musée d'État de l'Ermitage détient l'exclusivité pour
l'exploitation de ses collections, de ses bâtiments, de
l'image de l'Ermitage lui-même, et d u n o m
« LErmitage ». Il détient également le droit exclusif de
reproduire les œuvres d'art de ses collections, les
intérieurs du musée, le droit d'exploiter les travaux de
recherche réalisés par son personnel, et est
propriétaire de l'ensemble des marques déposées
- toutes choses qui peuvent servir à promouvoir le
musée et ses activités. Le musée détient aussi le droit
exclusif d'octroyer une licence en vue de la fabrication
de produits inspirés de ses collections et de ses
bâtiments.
Le public a toujours témoigné u n vif intérêt
pour les produits conçus à partir des collections de
l'Ermitage. A u cours des dernières années, cet intérêt
s'est considérablement accru et a eu des retombées
croissantes sur les revenus du musée. La conception et
la production d'objets commercialisables inspirés des
collections de l'Ermitage constituent une part
importante de la stratégie de marketing d u musée et
une source de financement importante pour le
développement permanent du musée. Le
merchandising contribue à promouvoir l'image du
musée, soutient financièrement les activités éducatives
mUSGUTI
ISSN 0304-3002. n° 217 (vol. 55. n° 1, 2003) I
75
LERMITAGE ET LES ÉCHANGES CULTURELS
et la politique de développement du musée, et assure
personnel du musée ainsi que des experts en
la diffusion et la renommée des collections d u musée.
merchandising d u m o n d e entier, l'Ermitage et la
Foundation Hermitage aan de Amstel basée aux Pays-
Naissance et développement des activités
de merchandising
Bas ont fondé une compagnie néerlandaise n o m m é e
Hermitage International Merchandising B V (HIM).
EErmitage et les Pays-Bas ont noué au fil des ans des
Ces dernières années, l'Ermitage a conclu différents
relations très étroites. La Foundation Hermitage aan de
accords de merchandising avec plusieurs organisations.
Amstel met en place actuellement à Amsterdam u n
E u n des plus fructueux est celui qui a été passé avec le
centre éducatif et u n lieu d'exposition dédiés à la
Metropolitan M u s e u m of Art (New York). D'après les
promotion de l'Ermitage. Certains des membres de la
termes de cet accord, le Metropolitan détient la licence
fondation se trouvent également au sein de la
pour fabriquer des reproductions d'objets et de
Commission internationale pour le merchandising.
peintures faisant partie des collections de l'Ermitage.
Cette commission, en accord avec l'Ermitage, a affirmé
Eune des premières séries de reproductions qui furent
la nécessité de placer les activités de merchandising de
créées provient de la collection scythe d u musée : u n
l'Ermitage sous la tutelle d'une société particulière.
ensemble fabuleux de bijoux en or finement ciselés
C'est ainsi que H I M fut fondée. C'est une société
ainsi que d'autres objets datant d'une époque comprise
néerlandaise dans laquelle la Foundation Hermitage
e
e
entre les vii et 111 siècles avant J.-C. et qui sont une des
aan de Amstel est majoritaire. La direction de
merveilles de l'Ermitage. A u fil des ans, d'autres
l'Ermitage siège au conseil d'administration de la
partenariats tout aussi fructueux se sont développés,
fondation et peut, de la sorte, contrôler ses activités et,
dans le cadre desquels le musée a accordé des licences
par extension, celles de H I M . EErmitage a transmis le
pour la production et la distribution de nombreux
droit non exclusif à cette société d'accorder des
objets de ses collections.
licences dans le m o n d e entier pour la fabrication de
produits en rapport avec l'Ermitage, ses expositions et
Dès le début, la politique du musée a été de ne
ses collections. H I M assure également la coordination
pas concéder les droits exclusifs de production ou de
entre tous les concessionnaires de licences. Eune des
distribution à une seule entité. En outre, tous les
premières actions que la compagnie entreprit fut de
produits doivent être fabriqués sous le strict contrôle
déposer le logo de l'Ermitage, à savoir la lettre stylisée
du musée et sont protégés par les droits d'auteur du
« 3 » (qui correspond à la première lettre russe du
musée.
mot Ermitage), en caractères cyrillique et latin.
Travaillant tout à la fois avec la Commission
Avec l'expansion rapide de ses activités
internationale pour le merchandising du musée et de
commerciales et le nombre croissant de licences
façon indépendante, la société H I M consulte
vendues à travers le m o n d e , l'Ermitage a pris
régulièrement certains des spécialistes mondiaux les
conscience qu'il devait coordonner et rationaliser ses
plus en vue dans les domaines d u merchandising, du
activités mondiales de merchandising. Sous l'égide
droit d'auteur et des marques déposées tandis qu'elle
d'une Commission internationale pour le
continue à élaborer des stratégies pour les activités
merchandising qui comprend des m e m b r e s du
commerciales d u musée.
76
rrTUSeUTl
| S S N a304-3002. n° 217 (vol. 55. n° 1. 2OO3) © UNESCO 2003
j L e merchandising et le marketing international à l'Ermitage
Anatoly Soldatenko
Bien que Hermitage International
pour obtenir le droit de gérer l'entreprise (les
Merchandising B V soit en place depuis très peu de
c o m m a n d e s et la distribution) ; c'est M u s e u m on Line
temps, son travail s'est déjà avéré fort efficace. Tout en
(MoL) qui a finalement été retenue, une société créée
supervisant l'exploitation des licences actuelles d u
spécialement pour ce projet et basée aux États-Unis
musée, la société a aussi c o m m e n c é à élaborer une
d'Amérique. E n décembre 2000, la boutique en ligne
ligne de produits pour les expositions temporaires qui
de l'Ermitage a été ouverte au internautes.
ont lieu à travers le m o n d e , telle que par exemple
l'exposition « Linvitation au voyage » qui s'est tenue
récemment à Toronto et à Montréal.
Actuellement, la boutique d u site de
l'Ermitage propose à la vente les produits suivants :
des reproductions d'objets extraits des collections d u
Le défi du c o m m e r c e électronique
musée, des livres et des calendriers, des vidéos et des
produits multimédias, des souvenirs, des posters et des
Ces dernières années ont été également l'occasion pour
cartes postales, des bijoux, des articles ménagers,
l'Ermitage d'innover grandement dans le domaine d u
notamment des accessoires pour la table, des cadeaux
commerce électronique. Il est presque impossible de
pour les enfants et des meubles.
déterminer le nombre de boutiques en ligne sur le
World W i d e W e b de nos jours, encore moins la
Plus de la moitié des articles disponibles sur le
diversité des produits disponibles sur le W e b et
site W e b ont été fabriqués spécifiquement pour M o L et
l'étendue des activités qui s'y rapportent, telles que les
l'Ermitage. Le musée a encouragé la participation des
demandes de renseignement des clients et l'évaluation
conservateurs au projet en créant une section où ils
de leur satisfaction, nécessaires pour le b o n
peuvent recommander certains articles au public. Les
fonctionnement du commerce électronique. Les plus
c o m m a n d e s sont passées sur l'Internet, mais également
grands musées d u m o n d e élaborent depuis u n certain
par téléphone, par fax ou par courrier électronique.
temps des stratégies de merchandising ; il était
Lexécution des c o m m a n d e s depuis les États-Unis
inévitable que celles-ci prennent en compte le
d'Amérique garantit une livraison rapide, facteur très
commerce électronique en pleine expansion.
important compte tenu d u fait qu'un tiers des clients
EErmitage en a très tôt pris conscience et a souhaité
actuels vit aux États-Unis ou au Canada. M o L peut
également relever le défi.
aussi expédier et livrer rapidement les produits partout
dans le m o n d e en respectant des délais très brefs.
Eélaboration du site W e b de l'Ermitage
(www.hermitagemuseum.org) a m e n é naturellement à
En 2002, le musée a ouvert l'équivalent
l'organisation des activités commerciales électroniques.
« réel » de sa boutique « virtuelle » au troisième étage
E n 2000, la direction du musée a approuvé l'ouverture
du palais d'Hiver. M o L et l'Ermitage ont conçu ce
d'une boutique en ligne sur le site. Le développement
projet pour plusieurs raisons. Cette boutique offre
du commerce électronique a été réalisé en
avant tout aux visiteurs la possibilité d'évaluer les
collaboration étroite avec la compagnie I B M , qui a
produits qui sont disponibles sur l'Internet et de
facilité l'intégration de la boutique dans le site du
s'assurer de leur qualité. Ils peuvent ensuite choisir
musée. Quatre sociétés sont entrées en concurrence
d'acheter l'article directement sur place o u demander à
museum ISSN 1350-0775. NO. 217 (Vol. 55. NO. 1.2003) 1
77
LERMITAGE ET LES ÉCHANGES CULTURELS
M o L de l'expédier chez eux. Ils sont de la sorte
encouragés à acheter des articles qu'ils ont vus au
préalable sur le site. Afin de promouvoir l'utilisation
• l'Ermitage appose sa marque sur tous les produits et
en détient les droits exclusifs ;
• les organisations partenaires du musée sont
des services de commerce électronique du site, la
responsables de la fabrication et de la livraison de
boutique met à la disposition des clients plusieurs
tous les produits.
ordinateurs pour consulter le site et c o m m a n d e r des
produits qui sont ensuite expédiés chez eux.
Étant donné l'importance du merchandising, le musée
a élaboré très tôt une stratégie qui répondait à ses
M o L projette actuellement d'installer une
objectifs propres. Il a également tiré parti des
deuxième boutique, plus grande cette fois, dans la
expériences de différents musées et experts dans le
galerie Rastrelli du palais d'Hiver. La galerie Rastrelli
m o n d e , à la recherche d'une approche éprouvée qui ne
devient peu à peu l'endroit d u musée où se
compromette ni la qualité des produits ni les attentes
concentrent tous les services offerts aux visiteurs. O n y
des consommateurs. Le musée a vite compris que
trouve déjà u n magasin de souvenirs, un restaurant et
l'essentiel de sa clientèle se situerait hors des frontières
u n café Internet, ce dernier illustrant c o m m e n t
russes, du moins à court terme. Il était également
l'Ermitage utilise la technologie moderne pour
conscient des difficultés inévitables qui surgiraient si la
concevoir les services destinés au public.
gestion se faisait depuis la Russie. Le musée a donc
choisi de délocaliser la gestion du merchandising à
La stratégie de merchandising
du musée
l'étranger, tout en conservant u n contrôle exclusif sur
son image, ses droits et lefluxdes revenus. Cette
stratégie a déjà prouvé sa remarquable efficacité et
La stratégie de merchandising de l'Ermitage ne vise pas
confirme l'approche résolument créative du musée à
uniquement le marché extérieur du musée ; elle
l'égard du merchandising.
s'intéresse aussi aux nombreux visiteurs qui affluent
tous les jours à l'Ermitage. Aujourd'hui, le musée
accueille plusieurs organisations partenaires qui
vendent sur place des produits inspirés du musée.
Chaque partenariat est fondé sur un ensemble de
principes explicites :
• l'Ermitage n'accorde pas les droits exclusifs pour la
fabrication de produits ;
• les articles qui sont en vente dans le musée ou qui
portent la marque du musée sont choisis directement
par le musée ou en accord avec les partenaires
autorisés ;
• la distribution et la qualité des produits en vente sont
sous le strict contrôle du m u s é e ou d'un tiers qui agit
pour le compte de l'Ermitage ;
78
nXEeUTl
ISSN 0304-3002, n° 217 (vol, 55, n° 1. 2003) © UNESCO 2003
I LErmitage dans le contexte
de la ville
Par Mikhail Piotrovsky
Mikhail Borisovitch Piotrovski a obtenu un diplôme d'études arabes à la faculté orientale de
l'Université d'État de Leningrad en 1967 puis a intégré la section de Leningrad de l'Institut
d'études orientales en tant que chargé de recherches et a soutenu un doctorat en histoire. Il a
travaillé à l'Institut jusqu'en 1997, date à laquelle il a été engagé à l'Ermitage en tant que
directeur adjoint. En juillet 1992, il a été nommé
ministre. Mikhail Piotrovsky est membre
l'Académie des arts, et membre
directeur du musée par décret du Premier
correspondant de l'Académie des sciences et de
titulaire de l'Académie des sciences humaines. Il est également
professeur à l'Université d'État de Saint-Pétersbourg et siège au conseil d'administration du
Conseil du président pour l'art et la culture, de la Fondation pour la recherche en lettres et
sciences humaines, et du Comité d'experts des expositions du Conseil de l'Europe. Parmi ses
publications on peut citer : Le sud de l'Arabie au début du M o y e n  g e (1985), Islam : une
encyclopédie (1991), et Contes du Coran (1997/ // est le coauteur, avec Oleg Neverov, de
l'ouvrage : L'Ermitage : essais sur l'histoire de la collection (1997) ; il a également dirigé la
publication de l'ouvrage : Art terrestre - Beauté céleste. L'art de l'islam (2000).
Alors que Saint-Pétersbourg s'apprête à célébrer le
300 e anniversaire de sa fondation, la place primordiale
qu'occupe l'Ermitage dans la ville se trouve
singulièrement mise en évidence : elle en est le c œ u r
physique mais aussi le cœur culturel. Aujourd'hui, le
palais et le musée de l'Ermitage sont des lieux
incontestés de la culture mondiale.
Il a toujours existé u n musée d'importance
dans le centre de Saint-Pétersbourg. À l'époque de
Catherine la Grande, les collections de l'Ermitage
étaient exposées dans la résidence principale de
l'impératrice, le palais d'Hiver. Durant son règne, trois
nouveaux bâtiments furent érigés sur la rive de la
Neva, à côté d u palais d'Hiver, afin d'abriter les
collections d u musée : le Petit Ermitage (1764), le Vieil
Ermitage (1771-1787) et le Théâtre de l'Ermitage
(1783-1787). Le Nouvel Ermitage fut ajouté en 1852.
nnUSeUT^
ISSN 0304-3002. n° 217 (vol. 55. n° 1.2003) I
7 9
LERMITAGE ET LES ÉCHANGES CULTURELS
Ces bâtiments remplissaient une double
symbolique demeura. Elle fut la scène de nombreux,
fonction : non seulement ils servaient de logement et
événements historiques, à commencer par la prise du
de lieu de travail pour près de mille personnes, parmi
palais d'Hiver, ainsi que de festivals révolutionnaires
lesquelles la famille impériale, mais ils constituaient
ou de parades militaires. Durant la période soviétique,
également u n lieu d'exposition pour les trésors de la
ces rassemblements populaires devinrent plus formels.
Russie impériale, témoignant de sa splendeur et de sa
La place n'était plus perçue c o m m e le c œ u r de la ville
richesse culturelle. Des mascarades étaient organisées à
et Saint-Pétersbourg c o m m e n ç a à vivre à u n rythme
l'intention de la noblesse dans le palais d'Hiver, et les
ralenti. Dans le m ê m e temps, la nouvelle Leningrad,
grandes salles étaient utilisées lors de réceptions
qui s'agrandit considérablement dans les années 1930,
grandioses ou d'importantes cérémonies d'État.
reflétait des valeurs urbaines différentes et non
Catherine créa u n grand « complexe de l'Ermitage »
historiques. Mais, paradoxalement, l'abandon d u
pour les festivités, qui se tenaient à la fois dans le
centre historique de la ville s'avéra en fin de compte
palais, dans le théâtre et dans le musée lui-même.
positif pour le mythe culturel de Saint-Pétersbourg. À
Cette fusion entre la résidence impériale et le musée, et
la fin de l'ère soviétique, la place du Palais c o m m e n ç a à
ce dès son origine, explique que l'Ermitage demeure
revivre. Elle accueillit à nouveau de nombreux
e
encore en ce début de xxi siècle u n symbole et u n
événements, des festivals, des rassemblements
souvenir de l'époque impériale russe. Le palais fait
spontanés et m ê m e des concerts de rock.
désormais partie intégrante d u musée, c o m m e le
musée fait partie intégrante d u palais.
LErmitage et l'histoire de la ville
Étant donné le rôle déterminant que jouèrent
l'Ermitage et la place d u Palais dans cette longue
évolution urbaine, o n attribua au musée l'aile est de
Le palais d'Hiver est un élément essentiel de
l'État-major général situé sur la place d u Palais, en
l'ensemble architectural de la place du Palais, qui elle-
guise de reconnaissance de l'influence exercée par
m ê m e n'a pas d'équivalent dans Saint-Pétersbourg. La
l'Ermitage sur le caractère global de la place et, au-
place d u Palais constitue d'une certaine manière le
delà, sur la ville dans son ensemble. Il s'agissait
centre nerveux de la ville dans la mesure où elle relie
également d'un témoignage de l'estime croissante que
entre eux les bâtiments les plus importants et les plus
l'Ermitage suscitait tant en Russie qu'à l'étranger, et
intéressants d'un point de vue architectural. Elle est
d'un encouragement pour le développement d u musée
également proche des églises, des ministères et des
à long terme. Le bâtiment est actuellement en cours de
théâtres : en s o m m e , de tous les m o n u m e n t s
rénovation ; il abritera une partie des collections d u
principaux de Saint-Pétersbourg. Pour certains,
musée, des espaces destinés aux activités éducatives et
l'architecture monumentale de Saint-Pétersbourg
des salles de conférence.
compose l'espace urbain le mieux planifié d'Europe et
représente u n symbole d'élégance et d'humanité, de
Le nouveau complexe de l'Ermitage
m ê m e que le centre de la démocratie russe.
Lacquisition de l'aile est de l'État-major général
Après 1917, la place d u Palais ne constitua
plus le centre nerveux de la ville, mais sa valeur
80
modifia radicalement la structure d u complexe de
l'Ermitage. À présent, il gravite autour de la place d u
nTUSeUT1 L
| S S N 0304-3002, n° 217 (vol. 55, n° 1, 2003) © UNESCO 2003
LErmitage d a n s le contexte de la ville
Mikhail Piotrovsky
Palais, tout en l'enveloppant. Depuis la création de la
e
rendent dans les musées pour s'enrichir d'un point de
place au xix siècle, l'accès au palais d'Hiver se faisait
vue personnel, mais aussi pour se divertir. Léquilibre
principalement par ce côté. U n e habitude qui reste
entre les deux n'est pas toujours facile à trouver, et la
toujours valable aujourd'hui pour les visiteurs du
tentation peut être grande pour les musées de mettre
musée. Il paraissait donc naturel de transférer l'entrée
l'accent sur les aspects récréatifs, qui sont souvent les
principale du musée, alors située sur la rive de la Neva,
plus rentables. LErmitage fait son entrée dans le
à la place d u Palais, où elle se trouve désormais, d u
xxie siècle avec prudence. Toujours à l'écoute des
côté de la Grande Cour du palais d'Hiver. Depuis
besoins d u public, le musée s'est lancé dans des projets
l'inauguration de cette entrée en mai 2003, la place d u
commerciaux passionnants tels que l'ouverture d'un
Palais s'apparente donc à une somptueuse cour
restaurant, d'une boutique de cadeaux et de livres, la
d'entrée pour le musée à proprement parler. Ainsi,
création de petits cinémas et de cercles culturels.
l'esprit d u musée est désormais défini tout autant par
Ceux-ci seront situés dans l'aile est de l'État-major
la place que par ses intérieurs et ses collections. Cette
général. Tous ces nouveaux éléments sont conçus et
nouvelle union entre le musée et la place d u Palais se
intégrés dans le cadre global d u musée avec le souci de
reflète aussi sur la place elle-même. La culture et les
garantir une harmonie d'ensemble et de respecter les
traditions millénaires qui trouvent u n écho à l'intérieur
traditions éducatives et la mission culturelle d'un
de l'Ermitage s'étendent désormais à l'ensemble de la
musée, au c œ u r d'une ville historique, qui peut, à cet
place. D e plus en plus souvent des cérémonies
égard offrir des racines culturelles au futur de la cité.
militaires s'y déroulent et d'importants concerts de
musique classique y sont organisés ainsi que dans la
U n e présence renforcée d a n s la ville
Grande Cour adjacente d u palais d'Hiver.
Le musée s'investit également dans des projets de
La présence accrue d u musée dans la place de
développement qui concernent d'autres parties de la
la place d u Palais a eu pour conséquence d'intégrer
ville. Sur l'île de Vassilievski, le musée a recréé l'esprit
davantage l'Ermitage dans les plans d'urbanisation de
de la ville somptueuse de Pierre le Grand dans le palais
la ville, et les projets se multiplient. À l'est de
de Menchikov, la résidence d u premier gouverneur de
l'Ermitage, le complexe du Musée russe constitué de
Saint-Pétersbourg, qui est à présent rattaché au musée
palais et de parcs est en cours de réaménagement. À
de l'Ermitage. Le palais restauré a retrouvé sa
l'ouest d u musée ont lieu également d'importants
splendeur d'origine et abrite désormais des objets, des
réaménagements autour de la place des Théâtres
oeuvres d'art et des instruments de musique anciens
dominée par le théâtre Mariinski. Depuis quelques
qui témoignent des liens historiques qui unissent la
années, les abords de cette place, les rues, les jardins et
Russie et les Pays-Bas.
les boulevards, sont devenus très animés. La ville qui
vivait au ralenti c o m m e n c e à se réveiller, ranimant la
Plus loin sur la rive de la Neva, l'Ermitage
vie culturelle de Saint-Pétersbourg. LErmitage a donc
travaille en étroite collaboration avec la fabrique de
c o m m e n c é à revitaliser la place d u Palais, mais le
Lomonossov, en vue de la création d'un nouveau
succès de cette entreprise dépendra en dernier ressort
musée pour l'exceptionnelle collection de porcelaine
du public et de sa participation. Les visiteurs se
impériale datant d u règne de Catherine la Grande qui
museim ISSN 1350-0775. NO. 217 tvoi. 55. NO. 1.2003) |
81
© UNESCO/ Dominique Roger
e
13 - Le monastère Alexandre Nevski date du xin siècle. D e nos jours, c'est un élément important
du paysage historique urbain de Saint-Pétersbourg.
LErmitage dans le contexte de la ville
Mikhail Piotrovsky
appartient à la fabrique. Située dans une zone
Pétersbourg en tant que site du patrimoine mondial.
industrielle de la ville, la fabrique de Lomonossov est
Aujourd'hui, l'urbanisme de Saint-Pétersbourg réinscrit
devenu en peu de temps u n centre culturel
la ville historique au c œ u r de son développement.
indépendant qui attire autant les habitants de la ville
LErmitage se situe à l'épicentre de ce site d u
que les touristes étrangers.
patrimoine mondial et il continue de s'impliquer dans
des projets d'aménagement urbain à travers la ville. Le
A u nord du centre de la ville, près de Staraïa
projet de réhabilitation d u centre historique de la ville
Derevnia (Ancien Village), l'Ermitage construit
a produit les premiers signes visibles d'un nouvel
actuellement u n vaste complexe de réserves pour les
urbanisme. Ainsi, la destinée du musée est liée ajamáis
collections d u musée ; le premier bâtiment est déjà
à celle de la ville de Saint-Pétersbourg ; ils se
achevé. Lobjectif de cet ambitieux système en libre
définissent l'un l'autre. Ces dernières années ont été
accès est de permettre aux visiteurs d'examiner
déterminantes, mais il reste encore d'importants défis à
librement les objets en dépôt. Le complexe accueillera
relever et des décisions délicates à prendre. Toutefois, à
également des expositions et des conférences.
en juger par les années qui viennent de s'écouler,
LErmitage a aménagé une zone piétonne tout autour
Saint-Pétersbourg et l'Ermitage se montreront à la
des bâtiments. Le but final de cette opération est la
hauteur des enjeux.
création d'un autre centre culturel stimulant à m ê m e
de rayonner sur la ville entière. Le projet de
développement de l'Ermitage recourt donc à des
stratégies visant à intégrer le musée dans une structure
urbaine globale, au-delà de son environnement
immédiat ; l'Ermitage deviendra ainsi c o m m e u n pont
entre les différentes réalités urbaines de SaintPétersbourg et de l'ancienne Leningrad.
Le bouleversement économique consécutif à la
chute de l'Union soviétique a été, à bien des égards, à
l'origine de la renaissance culturelle de SaintPétersbourg. Confrontés à des problèmes qui parfois
leur semblaient insurmontables, les habitants de la
ville et les institutions culturelles ont tiré parti de la
nouvelle liberté politique et ont insufflé une nouvelle
vie au patrimoine culturel de la ville. Dès la fin des
années 1980, la question de la qualité de la vie urbaine
s'est peu à peu imposée dans les débats politiques
municipaux et la ville a adopté une nouvelle approche
créative pour ses projets architecturaux, tout en
veillant à préserver l'héritage historique de Saint-
rrnBeim ISSN 1350-0775. NO. 217 ivoi. 55. N O . 1.2003)
83
LERMITAGE ET LES ÉCHANGES CULTURELS
14 - Les couleurs vives des façades du m u s é e de l'Ermitage sont les symboles des interactions entre
la ville et ses trésors culturels.
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ISSN 0304-3002, n° 217 ivoi. 55, n° 1.2003) |
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INTERNATIONAL
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L'invitation au voyage L'avant-garde française de
75352 Paris 07 SP, France.
Tel : (+33.1) 45.68.43.39 / Fax : (+33.1) 45.68.55.91
Gauguin à Matisse de la collec-
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tion de l'Ermitage,
Blackwell Publishers
108 Cowley Road
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Royaume-Uni
catalogue de l'exposition.
Montréal, M B M / A G O / H a z a n , 2002.
Exemplaires d'articles parus dans M u s e u m
Rubens y su época, Tesoros del
museo Ermitage, Rusia,
catalogue de l'exposition,
Institute for Scientific Information
Att. of Publication Processing
3501 Market Street
Philadelphia, PA 19104
États-Unis d'Amérique
Bilbao, Merrell/Guggenheim Bilbao,
2002.
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et non pas nécessairement celle de l ' U N E S C O ou de la
rédactionLes appellations employées dans Museum international et la
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80 pages, 21 x 27 c m , photographies en couleurs
Éditions U N E S C O / Ediciones San Marcos
Publiée également en anglais et en espagnol
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