I/ INTRODUCTION : DES éCOSYSTEMES CÔTIERS SOUS

publicité
Dans un contexte de crise d’épuisement des ressources naturelles, de crise environnementale et socio-économique se pose la nécessaire question de la durabilité
écologique et économique des méthodes de gestion. Les gestionnaires d’espaces
protégés doivent se positionner entre deux options : (1) le principe de naturalité
qui invite à laisser les milieux à leur évolution «naturelle» et (2) le principe d’une
intervention active visant à piloter les trajectoires évolutives des milieux et à les
gérer pour maintenir voire enrichir la biodiversité en développant des programmes de
restauration et d’ingénierie écologique. Face aux nouveaux défis de l’élévation du
niveau de la mer, des espèces envahissantes, de la sur-fréquentation du littoral, de
la surexploitation des ressources jusqu’à la l’érosion de la biodiversité, vers quels
modes de gestion doivent désormais s’orienter les Agences littoral d’Europe et de
Méditerranée ? Quelles sont les luttes perdues d’avances et celles sur lesquelles il
faudrait se focaliser? Faut-il continuer à intervenir activement et de quelle manière,
et si oui, quelles seraient les priorités à identifier pour nos sites naturels littoraux?
I/ INTRODUCTION : DES éCOSYSTEMES
CÔTIERS SOUS PRESSION, AUX PREMIèRES
LOGES DES CHANGEMENTS GLOBAUX
Le littoral est un milieu naturellement mouvant, soumis aux forces considérables
de la mer, du vent et des fleuves côtiers. Au fil des siècles, l’Homme a cherché
à maîtriser ces évolutions naturelles pour mieux valoriser et sécuriser ses
activités. Plus récemment, il a pris conscience de la richesse écologique du
patrimoine naturel littoral et marin et a défini des aires protégées - ou à protéger
- dont le but est de maintenir ou restaurer en l’état les éléments identifiés de
ce patrimoine. Ainsi, le littoral du début du XXIème siècle est pratiquement figé
dans ces vocations, les seuls changements qui peuvent intervenir sont ceux
réduisant encore la part de nature restante (urbanisation, artificialisation) ou
ceux provoqués par les catastrophes naturelles majeures.Le contexte mondial
de forte démographie littorale, amplifié par l’urbanisation et le tropisme littoral,
menace les rivages naturels qui s’artificialisent et perdent leur rôle de tampon
dynamique entre terre et mer. La biodiversité terrestre est de plus en plus
fragmentée, cloisonnée dans des espaces confinés et isolés. On estime ainsi que
5 à 10 km de littoral sont touchés tous les jours par le développement anthropique (Beoutis, Jean, et Colas 2004).
NOTE DE CADRAGE
ATELIER Gestion durable de la biodiversité : du jardinage de la Nature à la naturalité
Les littoraux sont par ailleurs des interfaces géographiques particulièrement
fragiles. Le patrimoine naturel littoral et marin est constitué d’écosystèmes,
exploités ou non, ainsi que de paysages terrestres et sous-marins. La grande
variété de profils de côtes offre une grande diversité d’habitats naturels permettant l’accueil de très nombreuses espèces, véritable mosaïque écologique essentielle aux équilibres et à l’intégrité des territoires (Henocque et Bersani 2008).
Lieux de rencontre par excellence de la mer avec la terre, les zones humides et
les petites îles (entre 15.000 et 20.000 îles et îlots en Méditerranée) constituent
des territoires très vulnérables dans lesquels se sont réfugiées de nombreuses
espèces menacées et qui y sont inféodées (Mabille et Piante 2008).
Or, les dernières prévisions du GIEC relatives à l’élévation future du niveau de la mer
revoient à la hausse les précédentes estimations, ce qui aura des conséquences
importantes sur de nombreux secteurs littoraux, notamment les zones basses, les
milieux humides et les formations sableuses (GIEC, 2014. 5ème rapport).
Les littoraux se trouvent donc aux premières loges des changements globaux
annoncés, et très concernés par la réflexion sur la fixité ou au contraire la mobilité
des espaces, des patrimoines et des activités.
II/ L'EUROPE ET LA MEDITERRANéE AU
CŒUR DES POLITIQUES DE PROTECTION
DES ESPACES COTIERS
Le 3 mai 2011, la Commission européenne a adopté une nouvelle stratégie pour
enrayer la perte de biodiversité et améliorer l’état des espèces, habitats et écosystèmes de l’UE ainsi que les services écosystémiques rendus. Six objectifs (1.la
pleine application de la législation de l’UE en matière de protection de la nature,
2. une meilleure protection et un meilleur rétablissement des écosystèmes et
des services écosystémiques, ainsi qu’une utilisation accrue de l’infrastructure
verte, 3. une plus grande durabilité des activités agricoles et forestières, 4. une
meilleure gestion des stocks de poisson de l’UE et des pêches plus durables, 5. un
resserrement des contrôles concernant les espèces allogènes envahissantes et 6.
une contribution accrue de l’UE à l’action menée pour enrayer la perte de biodiversité au niveau mondial) couvrent les principales pressions pesant sur la nature
et fixent les bases des politiques sur lesquelles l’action de l’UE reposera pour les
dix prochaines années (Commission européenne 2011). A travers les directives
« Habitats » et « Oiseaux » ainsi que la directive cadre sur l’eau et celle sur le
NOTE DE CADRAGE
ATELIER Gestion durable de la biodiversité : du jardinage de la Nature à la naturalité
milieu marin, l’Union européenne fixe des objectifs stricts en matière de
maintien de la qualité des espaces naturels. Par ailleurs, depuis 2009, l’adoption
de la « résolution du parlement européen sur la nature vierge en Europe » insiste
sur la nécessite d’intégrer au mieux le concept d’espace à haute naturalité notamment dans le réseau N2000. Sur 27 000 sites Natura 2000 en Europe, 384 figurent
ainsi dans l’inventaire de la wilderness (espaces à haute naturalité) (Génot 2014).
La Méditerranée bénéficie d’une convention cadre de coopération en matière
de protection des mers régionales, depuis 1976 sous l’égide de la convention
de Barcelone et du Plan d’action pour la Méditerranée avec un protocole relatif
aux Aires spécialement protégées et à la biodiversité. En 2003, un programme
d’action stratégique pour la conservation de la diversité biologique (PAS-BIO)
a permis de renforcer la mise en œuvre du protocole. Tandis que le Protocole
ASP/DB s’attache à préserver les espèces et les espaces les plus remarquables,
en mer et sur la zone côtière, le Protocole GIZC, entré en vigueur en 2011, vise à
préserver l’ensemble des éléments de la zone côtière (écosystèmes, ressources
naturelles, paysages…) en facilitant leur développement et l’utilisation durables
de ses ressources.
III/ LA GESTION DES
éCOSYSTEMES CÔTIERS
La relation que l’homme a entretenue avec les espaces côtiers a fluctué au cours
des siècles. L’homme tente depuis l’antiquité de maitriser ces milieux naturels
afin de les rendre productifs (d’abord pour les salines, puis la poldérisation
agricole), mais jusqu’au XVIIIe siècle, les côtes considérées comme dangereuses
sont peu habitées par l’homme. Au XIXe siècle, la poldérisation continue et
s’accompagne de grands travaux de stabilisation des dunes, de plantations de
pins, d’assainissement hydraulique, … L’essor du tourisme balnéaire accentue
l’exploitation du littoral pour la construction, avec une densification au cours
du XXe siècle (lotissements, immeubles, travaux de «défense contre la mer»…),
parallèlement des complexes industrialo-portuaires voient le jour, transformant
les rivages en ressource spatiale convoitée de même qu’avec l’agriculture. Ce
n’est que dans les années 1970 que l’exploitation de la nature par l’homme est
dénoncée et les notions de fragilité des milieux, d’espèces en danger et de capital
écologique sont soulevées. Aujourd’hui, l’exploitation des espaces naturels pour
le développement économique est limitée par des réglementations et la protection de la nature dans les pays occidentaux une cause médiatisée, politiquement
adoptée et utilisée au profit du concept de durabilité (Meur-Férec 2007).
Ainsi, pour conserver les écosystèmes (au sens fonctionnel), les habitats et les
espèces, plusieurs approches sont utilisées, indépendamment ou de façon
concomitante :
1) DU JARDI NAGE DE LA NATURE....
- Atténuer l’urbanisation et la littoralisation (article 8 du protocole GIZC pour
la Méditerranée) : limiter l’urbanisation linéaire continue, en instaurant des
coupures vertes et en privilégiant des accès routiers à la mer en barreaux,
réorienter une partie des flux touristiques du littoral vers les espaces intérieurs,
réguler le développement touristique, avec des outils économiques permettant la contribution du secteur à l’entretien de l’environnement, la définition de
capacités d’accueil, la recherche de synergies avec les activités traditionnelles
(agriculture, pêche, BTP...) avec la mise en œuvre du volet « mer » des schémas
de cohérence territoriale (Thibault, Laria, et Coudert 2005), ne pas dégrader notamment par l’organisation des mouillages pour protéger les habitats
sous-marins (Boissery 2014) ; atténuer l’impact des constructions : réduction
de la consommation d’eau et d’énergie, recours aux énergies renouvelables,
réduction et recyclage des déchets, épuration des eaux usées.
La restauration écologique répond au constat d’une dégradation sur des enjeux de
faune, de flore et d’habitats ou de fonctionalité écologique. Concernant le milieu marin,
la restauration écologique ne prend pas en compte la qualité de l’eau, mais celle-ci est
bien évidemment un préalable nécessaire à la restauration effective, tout comme le
fait que les pressions responsables de la dégradation soient gérées voire supprimées en
amont lorsque cela est possible. « Un milieu qui n’est pas abimé n’a pas besoin d’être
restauré ». Ainsi, la restauration écologique est une action visant à améliorer l’état
écologique ou à retrouver un fonctionnement écologique meilleur (retour d’espèces
indicatrices…) (Boissery 2014), elle ne s’impose pas d’emblée.
- Conserver les sites littoraux remarquables (parcs, réserves, paysages classés…),
préserver l’intégrité de certains espaces (bande des 100 mètres, 50 pas
géométriques, Zones humides, zones vulnérables, plages et dunes…), les espèces
menacées (liste UICN, directives européennes, listes rouges nationales, arrêtés
nationaux …),
Faisabilité technique
Facile
Difficile
Outils à disposition
Réglementation,
incitation
Solution technique
innovante
Coût
Peu coûteux
Coûteux
Resultats
Court terme
Moyen à long terme
- Reconnecter les espaces entre eux via des corridors écologiques : prendre
en compte les flux de gènes, d’énergie et de matières, connecter des écosystèmes bien conservés mais isolés dans des matrices paysagères peu propices
aux échanges (Gauthier-Clerc, Mesléard, et Blondel 2014). Les politiques locales
doivent être coordonnées avec l’ensemble des politiques régionales dans le
cadre de stratégies internationales en mettant en réseau l’ensemble des acteurs
et leur gouvernance (Mabille et Piante 2008) (réseau N2000, trame verte et
bleue, réseau MedPAN d’aires marines protégées, …)
- Restaurer/ réhabiliter/optimiser l’expression des milieux côtiers à l’aide du
génie écologique : « La restauration écologique tend à faire revenir un écosystème
dégradé, endommagé ou détruit à son état antérieur » (Gauthier-Clerc,
Mesléard, et Blondel 2014)
- Limiter les interventions humaines en faisant confiance aux processus naturels
et aux nouveaux équilibres mis en place : laisser en libre évolution les milieux
naturels (Madelin, Pierre, et Daniel Vallauri. 2012).
NOTE DE CADRAGE
ATELIER Gestion durable de la biodiversité : du jardinage de la Nature à la naturalité
Non-degradation
Restoration
Comparaison entre non-dégradation et restauration (d’après Boissery 2014)
« En terme de coût : une opération portant sur l’organisation des usages peut être
réalisée en quelques mois pour un budget de 150k€, une opération de restauration
écologique de type récifs Prado a demandé plus de 10 ans de travail avant l’immersion
des premiers récifs et un peu moins de 10 M€. Au regard des dépenses liées à l’assainissement sur l’agglomération de Marseille, cela a représenté moins de 1% du montant
des dépenses dédiées à la lutte contre la pollution dans le secteur. La destruction d’un
port de plusieurs centaines d’anneaux a été chiffrée à quelques millions d’euros. Par
comparaison l’équipement d’un port en habitats artificiels permettant de retrouver une
partie de la fonctionnalité écologique « nurserie » est estimé à moins de 100 k€. La non
dégradation reste la solution préférable, que cela soit en termes d’efficacité, de coût ou
de calendrier » (Boissery 2014).
Outre le coût parfois élevé de la restauration des fonctionnalités ou des expressions
écologiques, certaines actions peuvent être considérées comme lourdes et impactantes sur les milieux naturels en réponse à des enjeux variés :
• Protection d’espèces indigènes ou endémiques : lutte contre les espèces envahissantes notamment dans les îles via le contrôle manuel et mécanique (arrachage,
capture), le contrôle ou la lutte chimique (herbicides, empoisonnement), biologique
(introduction de prédateurs ou pathogènes spécifiques), écologique (restauration des
milieux et modifications des perturbations naturelles ou anthropiques), sur la reproduction (immuno-contraception)/réintroduction ou translocation d’espèces indigènes/
mise en place de récifs articificiels, de nichoirs artificiels …
ExEMPLE : Eradication des griffes de sorcière sur l’île de Bagaux = 100 000 euros pour un
hectare en situation de falaise/ Eradication des rongeurs : distribution d’appât chimique
par hélicoptère assisté par cartographie GPS / Island Conservation : organisme dédié à
la lutte contre les espèces invasives notamment les rats sur les îles afin de prévenir
l’extinction d’espèces (intervention dans le Pacifique, les Caraibes, en Californie,
Mexique et dans le Sud de l’Amérique).
• Protection d’habitats/ de paysages : maintien des milieux ouverts (coupe, fauche,
brulis dirigé, pâturage …), reforestation, stabilisation des berges, restauration et
entretien de mare, plans d’eau...
ExEMPLE : mesures agro-environnementales territorialisées : contractualisation avec un
agriculteur pour qu’il maintienne des paysages ouverts
• Rendre accessible à tous les milieux naturels, sensibiliser le public à leur fragilité :
aménagements des sites naturels (tables, poubelles, parking, cheminements, signalétique,
asserelle, plateforme d’observation…).
La gestion active, un modèle en fin de course ou seul rempart encore
efficace ?
Les actions de conservation de la nature effectivement menées relèvent néanmoins souvent
du génie écologique et de la restauration active, du simple fait que les milieux naturels ont subi de
lourdes dégradations et que la subsistance du patrimoine naturel remarquable en dépend. Le dispositif
de protection de la nature, aux plans juridique, institutionnel et scientifique, est essentiellement tourné
vers la conservation de ces éléments remarquables (ou, pourrait-on dire, remarqués) de la biodiversité.
Ces mesures, prises dans un contexte d’urgence, ont permis de préserver des espaces et des espèces
menacées, même sur des espaces réduits, et de mobiliser des moyens pour leur suivi. Aujourd’hui,
les politiques de préservation de la nature sont réinterrogées : ne se livre-t-on pas parfois à une sorte
d’écharnement thérapeutique coûteux et illusoire? La biodiversité ne doit-elle pas «sortir de sa réserve»
et investir l’ensemble du territoire ? Les espaces «sauvages», «vierges», à «haute naturalité» ne sont-ils
pas une solution plus globale à la protection de la biodiversité ?
NOTE DE CADRAGE
ATELIER Gestion durable de la biodiversité : du jardinage de la Nature à la naturalité
2) ... VERS LE CONCEPT DE NATURALITE
(Gauthier-Clerc, Mesléard, et Blondel 2014)
« La naturalité caractérise l’état naturel ou spontané. Le terme est opposé à ce qui est cultivé,
domestiqué et plus généralement à l’artificialité, à savoir ce qui est produit par la technique. La
naturalité est synonyme de processus dynamique non contrarié par l’homme, pour tout milieu
quel que soit son état de départ. Ainsi, deux aspects novateurs émergent du concept de naturalité : l’acceptation de trajectoires nouvelles proposées par la nature seule, sans implication
de l’homme autre que l’observation, et la volonté de protéger une nature du futur, autant que
celle du présent et du passé. L’application du concept de naturalité peut conduire à ne pas accorder plus de valeur à l’espèce rare qu’à l’espèce commune et à l’espèce autochtone qu’à l’espèce
exotique qui fait désormais partie des héritages anthropiques » (Gauthier-Clerc, Mesléard, et
Blondel 2014).
Ainsi, on peut appliquer le concept de naturalité à la biologie de la conservation :
- La non intervention (vaste réseau d’écosystèmes en libre évolution) : de très nombreux milieux
naturels ou semi-naturels peuvent être laissés en libre évolution, rochers, falaises, ébouilis, cours
d’eau, étangs, mares, pelouses, prairies, cultures, mégaphorbiaies, fruticés, landes, maquis,
garrigues car laisser la nature ne coûte rien en entretien à la collectivité et peut apporter beaucoup
par l’observation et le suivi continu de la nature de demain. Certains de ces milieux sont plus
dynamiques que d’autres, notamment sur le littoral : les notions de successions écologiques et
d’instabilité doivent être intégrées dans ces démarches.
- La restauration par la suppression des aménagements artificiels qui pénalisent la naturalité :
laisser un écosystème se rétablir seul sur le plan écologique. Une restauration en faveur de la
naturalité doit avoir un double objectif : augmenter de façon significative le degré de naturalité
de l’écosystème de départ et laisser la nature suivre son cours après la restauration.
Exemple
Réintroduction des grands prédateurs ; suppression de certains barrages ; fermeture et destruction
de certaines routes afin de préserver la tranquillité de certaines zones naturelles; élimination de
réseaux électriques ou téléphoniques, déconstruction de bâtiments pour effacer d’anciennes traces
d’occupation humaine, suppression du pâturage domestique dans des zones protégées comme les
zones centrales des parcs nationaux afin de favoriser les ongulés sauvages…
- Dans un monde marqué par le changement global (climatique, sociétal, économique, énergétique, et/ou d’usage), les écosystèmes considérés comme « dégradés » aujourd’hui ne vont ils
pas acquérir demain une forte valeur patrimoniale, fonctionnelle ou naturelle via leurs évolutions
spontanées ou des modifications dans les critères de conservation futurs ?
EXEMPLE
L’initiative Wild Europe créer en 2005 promeut une stratégie commune pour la
protection et la restauration des régions dites de wilderness (espace à haute
naturalité) et des grands habitats naturels sauvages à travers les différentes
organisations européennes de protection de la nature PAN Parks, EUROPARC, WWF, Birdlife International, IUCN, UNESCO, l’Institut Européen de
Politique Environnementale (IEEP – Institute for European Environmental
Policy), le Centre Européen pour la Conservation de la Nature (ECNC – European Center for Nature Conservation), Rewilding Europe – un projet auquel
ont pris part des membres de la Commission Européenne et du Conseil de
l’Europe (Madelin et Vallauri 2012). Wild Europe est en train d’étudier la possibilité de mettre en place 5% de zones terrestres dédiées à la wilderness
d’ici 2034. Cet objectif est étayé par la convention interna¬tionale pour
la diversité biologique (Global Biodiversity Out¬look 2010) qui a défini le
potentiel de réensauvagement à 200 000km2 de terre marginale dans toute
l’Europe. (Aykroyd 2014)
Sur le littoral, la logique s'inverse aujourd'hui: avec le changement climatique et l'élévation
progressive du niveau de la mer, la gestion des risques sur le littoral ne peut plus tout
miser sur la défense rigide du trait de côte. Elle doit redonner de l'espace aux phénomènes naturels, utiliser les milieux naturels comme tampon face aux événements et
éloigner autant que possible les enjeux des secteurs vulnérables.
L’évolution libre du trait de côte au sein d’une bande côtière d’une largeur suffisante
permet d’améliorer le bilan sédimentaire, d’absorber l’énergie des mers lors des épisodes
de surcote, et ce faisant de réduire les risques en retrait. Les zones naturelles du littoral
offrent des solutions efficaces, durables et économes pour assurer l’adaptation des
territoires littoraux au changement climatique. Les forêts littorales comme les mangroves
participent par ailleurs à l’atténuation des effets du changement climatique en piégeant
le carbone et en réduisant l’acidification de l’océan.
Cependant, il ne faut pas négliger les obstacles à la mise en œuvre du principe de naturalité :
- pour être fonctionnelle elle requiert la mobilisation de grandes surfaces d'un seul
tenant, qu'il est de plus en plus difficile de trouver sur les littoraux ;
- la non intervention est souvent associée à une image négative d'abandon, de friche,
voire de nature hostile ; il peut y avoir de fortes réticences sociales à sa mise en place ;
- la libre évolution des milieux naturels peut conduire à des évolutions défavorables pour
certains habitats ou espèces protégées légalement, et exposer le gestionnaire à rendre
des comptes à ce titre.
NOTE DE CADRAGE
ATELIER Gestion durable de la biodiversité : du jardinage de la Nature à la naturalité
Naturality, an ethical, ecological or economic choice?
« Sur le plan économique, laisser faire la nature ne coute rien, sinon un investissement pour le suivi
continu et l’observation. Sur le plan écologique, les milieux dédiés à la naturalité abritent les espèces
liées aux stades de maturation lente des écosystèmes et servent de zones témoins pour juger des
effets des changements globaux. Sur le plan éthique, la naturalité est source d’émotions et de valeurs
spirituelle et pédagogique, ce sont des lieux qui se prêtent à la contemplation, sources d’inspiration.
Attention toutefois de ne pas cautionnern’importe quelle activité humaine sous prétexte que la
« nature reprends toujours ses droits » ». (Gauthier-Clerc, Mesléard, et Blondel 2014).
PISTES DE REFLEXION
Le mouvement vers davantage de naturalité semble nécessaire intellectuellement
et économiquement, mais il sera nécessairement progressif. Faire évoluer nos
pratiques en matière de gestion des milieux naturels littoraux requiert davantage
que des adaptations techniques : c'est tout le contexte culturel, administratif et
scientifique qui doit également intégrer ces nouvelles approches. Sans vouloir
changer brutalement de modèle, il s'agit probablement d'étudier et d'expérimenter
dans quelle mesure s’appuyer sur les capacités de résilience fonctionnelle
de la nature, tout en continuant à intervenir plus activement pour restaurer
certains écosystèmes dits «culturels», à forte valeur patrimoniale écologique.
Voici quelques pistes pouvant alimenter la réflexion des Agences littoral d'Europe
et de Méditerranée en la matière :
- La mobilité intrinsèque des écosystèmes littoraux, qui va s'accélérer
avec l'élévation du niveau de la mer, est une invitation à favoriser des
modes de gestion favorisant la naturalité. Dans quelle mesure? Dans
quels secteurs et dans quelles conditions?
- Dans les zones littorales basses, naturalité rime avec submersibilité, sur
les côtes sableuses avec érodabilité. Quelles interactions avec la gestion
des risques naturels?
- Espèces patrimoniales vs espèces invasives : doit on encore lutter?
Quelles sont les luttes perdues d’avances et celles sur lesquelles il
faudrait se focaliser?
- Quelles sont les limites juridiques, scientifiques et sociales à la mise
en œuvre du principe de naturalité dans la gestion des espaces naturels
littoraux? La mobilité, lorsqu'elle existe, est aujourd'hui le plus souvent
subie. Comment dépasser les blocages lorsqu'une solution basée sur la
nature paraît raisonnable?
- Le gestionnaire dispose t-il des connaissances préalables pour
évaluer l'impact à long terme de ses actions sur la biodiversité ou les
fonctionnalités écologiques ? Comment évaluer correctement la réussite
des opérations de restauration écologique quand elles concernent des
écosystèmes dont la composition, la richesse, la structure et la
dynamique sont le fruit de milliers d’années d'interactions entre les être
vivants, leurs milieux et les activités anthropiques?
BIBLIOGRAPHIE
Aykroyd, Toby. 2014. « Wild Europe : une initiative en faveur de la wilderness »,
Naturalité, la lettre de forêts sauvage, , no 14: 3‑4.
Beoutis, Adeline, Patricia Jean, et Sébastien Colas. 2004. « Démographie et économie du littoral. » Les dossiers de l’Observatoire du littoral. INSEE, SOeS Observatoire du littoral, IFEN, Ministère de l’Ecologie de l’Energie, du Développement
durable et de l’aménagement du territoire.
Boissery, Pierre. 2014. « Restauration du milieu marin méditerranéen, état des
travaux en cours et perspectives. » Rapport Agence de l’eau Rhône Méditerranée
Corse.
Comission européenne. 2011. « La stratégie de l’UE en matière de biodiversité à
l’horizon 2020. »
Gauthier-Clerc, Michel, François Mesléard, et Jacques Blondel. 2014. Sciences de
la conservation. De Boeck.
Génot, Jean-Claude. 2014. « Natura 2000 et la wilderness », Naturalité, la lettre
de forêts sauvage, , no 14: 5.
GIEC, 2014. 5ème rapport.
Henocque, Raphael, et Catherine Bersani. 2008. « Acteurs, réseaux et gouvernance. » In , 7. Nice.
Mabille, Sébastien, et Catherine Piante. 2008. « Espace littoral, aires protégées et
continuité écologique dans la GIZC. » In , 6. Nice.
Madelin, Pierre, et Daniel Vallauri. 2012. « Une définition provisoire des espaces
de nature sauvage en Europe. » Wild Europe.
Meur-Férec, Catherine. 2007. « Entre surfréquentation et sanctuarisation des
espaces littoraux de nature. » Cairn.info, 41‑50.
Thibault, Henri-Luc, Silvia Laria, et Elisabeth Coudert. 2005. « Protéger et valoriser le littoral méditerranéeen, bien commun menacé. » Les notes du Plan Bleu
- Environnement et développement en Méditerranée 6. Plan Bleu, PNUE, PAM.
NOTE DE CADRAGE
ATELIER Gestion durable de la biodiversité : du jardinage de la Nature à la naturalité
Téléchargement