Dans un contexte de crise d’épuisement des ressources naturelles, de crise environnementale et socio-économique se pose la nécessaire question de la durabilité écologique et économique des méthodes de gestion. Les gestionnaires d’espaces protégés doivent se positionner entre deux options : (1) le principe de naturalité qui invite à laisser les milieux à leur évolution «naturelle» et (2) le principe d’une intervention active visant à piloter les trajectoires évolutives des milieux et à les gérer pour maintenir voire enrichir la biodiversité en développant des programmes de restauration et d’ingénierie écologique. Face aux nouveaux défis de l’élévation du niveau de la mer, des espèces envahissantes, de la sur-fréquentation du littoral, de la surexploitation des ressources jusqu’à la l’érosion de la biodiversité, vers quels modes de gestion doivent désormais s’orienter les Agences littoral d’Europe et de Méditerranée ? Quelles sont les luttes perdues d’avances et celles sur lesquelles il faudrait se focaliser? Faut-il continuer à intervenir activement et de quelle manière, et si oui, quelles seraient les priorités à identifier pour nos sites naturels littoraux? I/ INTRODUCTION : DES éCOSYSTEMES CÔTIERS SOUS PRESSION, AUX PREMIèRES LOGES DES CHANGEMENTS GLOBAUX Le littoral est un milieu naturellement mouvant, soumis aux forces considérables de la mer, du vent et des fleuves côtiers. Au fil des siècles, l’Homme a cherché à maîtriser ces évolutions naturelles pour mieux valoriser et sécuriser ses activités. Plus récemment, il a pris conscience de la richesse écologique du patrimoine naturel littoral et marin et a défini des aires protégées - ou à protéger - dont le but est de maintenir ou restaurer en l’état les éléments identifiés de ce patrimoine. Ainsi, le littoral du début du XXIème siècle est pratiquement figé dans ces vocations, les seuls changements qui peuvent intervenir sont ceux réduisant encore la part de nature restante (urbanisation, artificialisation) ou ceux provoqués par les catastrophes naturelles majeures.Le contexte mondial de forte démographie littorale, amplifié par l’urbanisation et le tropisme littoral, menace les rivages naturels qui s’artificialisent et perdent leur rôle de tampon dynamique entre terre et mer. La biodiversité terrestre est de plus en plus fragmentée, cloisonnée dans des espaces confinés et isolés. On estime ainsi que 5 à 10 km de littoral sont touchés tous les jours par le développement anthropique (Beoutis, Jean, et Colas 2004). NOTE DE CADRAGE ATELIER Gestion durable de la biodiversité : du jardinage de la Nature à la naturalité Les littoraux sont par ailleurs des interfaces géographiques particulièrement fragiles. Le patrimoine naturel littoral et marin est constitué d’écosystèmes, exploités ou non, ainsi que de paysages terrestres et sous-marins. La grande variété de profils de côtes offre une grande diversité d’habitats naturels permettant l’accueil de très nombreuses espèces, véritable mosaïque écologique essentielle aux équilibres et à l’intégrité des territoires (Henocque et Bersani 2008). Lieux de rencontre par excellence de la mer avec la terre, les zones humides et les petites îles (entre 15.000 et 20.000 îles et îlots en Méditerranée) constituent des territoires très vulnérables dans lesquels se sont réfugiées de nombreuses espèces menacées et qui y sont inféodées (Mabille et Piante 2008). Or, les dernières prévisions du GIEC relatives à l’élévation future du niveau de la mer revoient à la hausse les précédentes estimations, ce qui aura des conséquences importantes sur de nombreux secteurs littoraux, notamment les zones basses, les milieux humides et les formations sableuses (GIEC, 2014. 5ème rapport). Les littoraux se trouvent donc aux premières loges des changements globaux annoncés, et très concernés par la réflexion sur la fixité ou au contraire la mobilité des espaces, des patrimoines et des activités. II/ L'EUROPE ET LA MEDITERRANéE AU CŒUR DES POLITIQUES DE PROTECTION DES ESPACES COTIERS Le 3 mai 2011, la Commission européenne a adopté une nouvelle stratégie pour enrayer la perte de biodiversité et améliorer l’état des espèces, habitats et écosystèmes de l’UE ainsi que les services écosystémiques rendus. Six objectifs (1.la pleine application de la législation de l’UE en matière de protection de la nature, 2. une meilleure protection et un meilleur rétablissement des écosystèmes et des services écosystémiques, ainsi qu’une utilisation accrue de l’infrastructure verte, 3. une plus grande durabilité des activités agricoles et forestières, 4. une meilleure gestion des stocks de poisson de l’UE et des pêches plus durables, 5. un resserrement des contrôles concernant les espèces allogènes envahissantes et 6. une contribution accrue de l’UE à l’action menée pour enrayer la perte de biodiversité au niveau mondial) couvrent les principales pressions pesant sur la nature et fixent les bases des politiques sur lesquelles l’action de l’UE reposera pour les dix prochaines années (Commission européenne 2011). A travers les directives « Habitats » et « Oiseaux » ainsi que la directive cadre sur l’eau et celle sur le NOTE DE CADRAGE ATELIER Gestion durable de la biodiversité : du jardinage de la Nature à la naturalité milieu marin, l’Union européenne fixe des objectifs stricts en matière de maintien de la qualité des espaces naturels. Par ailleurs, depuis 2009, l’adoption de la « résolution du parlement européen sur la nature vierge en Europe » insiste sur la nécessite d’intégrer au mieux le concept d’espace à haute naturalité notamment dans le réseau N2000. Sur 27 000 sites Natura 2000 en Europe, 384 figurent ainsi dans l’inventaire de la wilderness (espaces à haute naturalité) (Génot 2014). La Méditerranée bénéficie d’une convention cadre de coopération en matière de protection des mers régionales, depuis 1976 sous l’égide de la convention de Barcelone et du Plan d’action pour la Méditerranée avec un protocole relatif aux Aires spécialement protégées et à la biodiversité. En 2003, un programme d’action stratégique pour la conservation de la diversité biologique (PAS-BIO) a permis de renforcer la mise en œuvre du protocole. Tandis que le Protocole ASP/DB s’attache à préserver les espèces et les espaces les plus remarquables, en mer et sur la zone côtière, le Protocole GIZC, entré en vigueur en 2011, vise à préserver l’ensemble des éléments de la zone côtière (écosystèmes, ressources naturelles, paysages…) en facilitant leur développement et l’utilisation durables de ses ressources. III/ LA GESTION DES éCOSYSTEMES CÔTIERS La relation que l’homme a entretenue avec les espaces côtiers a fluctué au cours des siècles. L’homme tente depuis l’antiquité de maitriser ces milieux naturels afin de les rendre productifs (d’abord pour les salines, puis la poldérisation agricole), mais jusqu’au XVIIIe siècle, les côtes considérées comme dangereuses sont peu habitées par l’homme. Au XIXe siècle, la poldérisation continue et s’accompagne de grands travaux de stabilisation des dunes, de plantations de pins, d’assainissement hydraulique, … L’essor du tourisme balnéaire accentue l’exploitation du littoral pour la construction, avec une densification au cours du XXe siècle (lotissements, immeubles, travaux de «défense contre la mer»…), parallèlement des complexes industrialo-portuaires voient le jour, transformant les rivages en ressource spatiale convoitée de même qu’avec l’agriculture. Ce n’est que dans les années 1970 que l’exploitation de la nature par l’homme est dénoncée et les notions de fragilité des milieux, d’espèces en danger et de capital écologique sont soulevées. Aujourd’hui, l’exploitation des espaces naturels pour le développement économique est limitée par des réglementations et la protection de la nature dans les pays occidentaux une cause médiatisée, politiquement adoptée et utilisée au profit du concept de durabilité (Meur-Férec 2007). Ainsi, pour conserver les écosystèmes (au sens fonctionnel), les habitats et les espèces, plusieurs approches sont utilisées, indépendamment ou de façon concomitante : 1) DU JARDI NAGE DE LA NATURE.... - Atténuer l’urbanisation et la littoralisation (article 8 du protocole GIZC pour la Méditerranée) : limiter l’urbanisation linéaire continue, en instaurant des coupures vertes et en privilégiant des accès routiers à la mer en barreaux, réorienter une partie des flux touristiques du littoral vers les espaces intérieurs, réguler le développement touristique, avec des outils économiques permettant la contribution du secteur à l’entretien de l’environnement, la définition de capacités d’accueil, la recherche de synergies avec les activités traditionnelles (agriculture, pêche, BTP...) avec la mise en œuvre du volet « mer » des schémas de cohérence territoriale (Thibault, Laria, et Coudert 2005), ne pas dégrader notamment par l’organisation des mouillages pour protéger les habitats sous-marins (Boissery 2014) ; atténuer l’impact des constructions : réduction de la consommation d’eau et d’énergie, recours aux énergies renouvelables, réduction et recyclage des déchets, épuration des eaux usées. La restauration écologique répond au constat d’une dégradation sur des enjeux de faune, de flore et d’habitats ou de fonctionalité écologique. Concernant le milieu marin, la restauration écologique ne prend pas en compte la qualité de l’eau, mais celle-ci est bien évidemment un préalable nécessaire à la restauration effective, tout comme le fait que les pressions responsables de la dégradation soient gérées voire supprimées en amont lorsque cela est possible. « Un milieu qui n’est pas abimé n’a pas besoin d’être restauré ». Ainsi, la restauration écologique est une action visant à améliorer l’état écologique ou à retrouver un fonctionnement écologique meilleur (retour d’espèces indicatrices…) (Boissery 2014), elle ne s’impose pas d’emblée. - Conserver les sites littoraux remarquables (parcs, réserves, paysages classés…), préserver l’intégrité de certains espaces (bande des 100 mètres, 50 pas géométriques, Zones humides, zones vulnérables, plages et dunes…), les espèces menacées (liste UICN, directives européennes, listes rouges nationales, arrêtés nationaux …), Faisabilité technique Facile Difficile Outils à disposition Réglementation, incitation Solution technique innovante Coût Peu coûteux Coûteux Resultats Court terme Moyen à long terme - Reconnecter les espaces entre eux via des corridors écologiques : prendre en compte les flux de gènes, d’énergie et de matières, connecter des écosystèmes bien conservés mais isolés dans des matrices paysagères peu propices aux échanges (Gauthier-Clerc, Mesléard, et Blondel 2014). Les politiques locales doivent être coordonnées avec l’ensemble des politiques régionales dans le cadre de stratégies internationales en mettant en réseau l’ensemble des acteurs et leur gouvernance (Mabille et Piante 2008) (réseau N2000, trame verte et bleue, réseau MedPAN d’aires marines protégées, …) - Restaurer/ réhabiliter/optimiser l’expression des milieux côtiers à l’aide du génie écologique : « La restauration écologique tend à faire revenir un écosystème dégradé, endommagé ou détruit à son état antérieur » (Gauthier-Clerc, Mesléard, et Blondel 2014) - Limiter les interventions humaines en faisant confiance aux processus naturels et aux nouveaux équilibres mis en place : laisser en libre évolution les milieux naturels (Madelin, Pierre, et Daniel Vallauri. 2012). NOTE DE CADRAGE ATELIER Gestion durable de la biodiversité : du jardinage de la Nature à la naturalité Non-degradation Restoration Comparaison entre non-dégradation et restauration (d’après Boissery 2014) « En terme de coût : une opération portant sur l’organisation des usages peut être réalisée en quelques mois pour un budget de 150k€, une opération de restauration écologique de type récifs Prado a demandé plus de 10 ans de travail avant l’immersion des premiers récifs et un peu moins de 10 M€. Au regard des dépenses liées à l’assainissement sur l’agglomération de Marseille, cela a représenté moins de 1% du montant des dépenses dédiées à la lutte contre la pollution dans le secteur. La destruction d’un port de plusieurs centaines d’anneaux a été chiffrée à quelques millions d’euros. Par comparaison l’équipement d’un port en habitats artificiels permettant de retrouver une partie de la fonctionnalité écologique « nurserie » est estimé à moins de 100 k€. La non dégradation reste la solution préférable, que cela soit en termes d’efficacité, de coût ou de calendrier » (Boissery 2014). Outre le coût parfois élevé de la restauration des fonctionnalités ou des expressions écologiques, certaines actions peuvent être considérées comme lourdes et impactantes sur les milieux naturels en réponse à des enjeux variés : • Protection d’espèces indigènes ou endémiques : lutte contre les espèces envahissantes notamment dans les îles via le contrôle manuel et mécanique (arrachage, capture), le contrôle ou la lutte chimique (herbicides, empoisonnement), biologique (introduction de prédateurs ou pathogènes spécifiques), écologique (restauration des milieux et modifications des perturbations naturelles ou anthropiques), sur la reproduction (immuno-contraception)/réintroduction ou translocation d’espèces indigènes/ mise en place de récifs articificiels, de nichoirs artificiels … ExEMPLE : Eradication des griffes de sorcière sur l’île de Bagaux = 100 000 euros pour un hectare en situation de falaise/ Eradication des rongeurs : distribution d’appât chimique par hélicoptère assisté par cartographie GPS / Island Conservation : organisme dédié à la lutte contre les espèces invasives notamment les rats sur les îles afin de prévenir l’extinction d’espèces (intervention dans le Pacifique, les Caraibes, en Californie, Mexique et dans le Sud de l’Amérique). • Protection d’habitats/ de paysages : maintien des milieux ouverts (coupe, fauche, brulis dirigé, pâturage …), reforestation, stabilisation des berges, restauration et entretien de mare, plans d’eau... ExEMPLE : mesures agro-environnementales territorialisées : contractualisation avec un agriculteur pour qu’il maintienne des paysages ouverts • Rendre accessible à tous les milieux naturels, sensibiliser le public à leur fragilité : aménagements des sites naturels (tables, poubelles, parking, cheminements, signalétique, asserelle, plateforme d’observation…). La gestion active, un modèle en fin de course ou seul rempart encore efficace ? Les actions de conservation de la nature effectivement menées relèvent néanmoins souvent du génie écologique et de la restauration active, du simple fait que les milieux naturels ont subi de lourdes dégradations et que la subsistance du patrimoine naturel remarquable en dépend. Le dispositif de protection de la nature, aux plans juridique, institutionnel et scientifique, est essentiellement tourné vers la conservation de ces éléments remarquables (ou, pourrait-on dire, remarqués) de la biodiversité. Ces mesures, prises dans un contexte d’urgence, ont permis de préserver des espaces et des espèces menacées, même sur des espaces réduits, et de mobiliser des moyens pour leur suivi. Aujourd’hui, les politiques de préservation de la nature sont réinterrogées : ne se livre-t-on pas parfois à une sorte d’écharnement thérapeutique coûteux et illusoire? La biodiversité ne doit-elle pas «sortir de sa réserve» et investir l’ensemble du territoire ? Les espaces «sauvages», «vierges», à «haute naturalité» ne sont-ils pas une solution plus globale à la protection de la biodiversité ? NOTE DE CADRAGE ATELIER Gestion durable de la biodiversité : du jardinage de la Nature à la naturalité 2) ... VERS LE CONCEPT DE NATURALITE (Gauthier-Clerc, Mesléard, et Blondel 2014) « La naturalité caractérise l’état naturel ou spontané. Le terme est opposé à ce qui est cultivé, domestiqué et plus généralement à l’artificialité, à savoir ce qui est produit par la technique. La naturalité est synonyme de processus dynamique non contrarié par l’homme, pour tout milieu quel que soit son état de départ. Ainsi, deux aspects novateurs émergent du concept de naturalité : l’acceptation de trajectoires nouvelles proposées par la nature seule, sans implication de l’homme autre que l’observation, et la volonté de protéger une nature du futur, autant que celle du présent et du passé. L’application du concept de naturalité peut conduire à ne pas accorder plus de valeur à l’espèce rare qu’à l’espèce commune et à l’espèce autochtone qu’à l’espèce exotique qui fait désormais partie des héritages anthropiques » (Gauthier-Clerc, Mesléard, et Blondel 2014). Ainsi, on peut appliquer le concept de naturalité à la biologie de la conservation : - La non intervention (vaste réseau d’écosystèmes en libre évolution) : de très nombreux milieux naturels ou semi-naturels peuvent être laissés en libre évolution, rochers, falaises, ébouilis, cours d’eau, étangs, mares, pelouses, prairies, cultures, mégaphorbiaies, fruticés, landes, maquis, garrigues car laisser la nature ne coûte rien en entretien à la collectivité et peut apporter beaucoup par l’observation et le suivi continu de la nature de demain. Certains de ces milieux sont plus dynamiques que d’autres, notamment sur le littoral : les notions de successions écologiques et d’instabilité doivent être intégrées dans ces démarches. - La restauration par la suppression des aménagements artificiels qui pénalisent la naturalité : laisser un écosystème se rétablir seul sur le plan écologique. Une restauration en faveur de la naturalité doit avoir un double objectif : augmenter de façon significative le degré de naturalité de l’écosystème de départ et laisser la nature suivre son cours après la restauration. Exemple Réintroduction des grands prédateurs ; suppression de certains barrages ; fermeture et destruction de certaines routes afin de préserver la tranquillité de certaines zones naturelles; élimination de réseaux électriques ou téléphoniques, déconstruction de bâtiments pour effacer d’anciennes traces d’occupation humaine, suppression du pâturage domestique dans des zones protégées comme les zones centrales des parcs nationaux afin de favoriser les ongulés sauvages… - Dans un monde marqué par le changement global (climatique, sociétal, économique, énergétique, et/ou d’usage), les écosystèmes considérés comme « dégradés » aujourd’hui ne vont ils pas acquérir demain une forte valeur patrimoniale, fonctionnelle ou naturelle via leurs évolutions spontanées ou des modifications dans les critères de conservation futurs ? EXEMPLE L’initiative Wild Europe créer en 2005 promeut une stratégie commune pour la protection et la restauration des régions dites de wilderness (espace à haute naturalité) et des grands habitats naturels sauvages à travers les différentes organisations européennes de protection de la nature PAN Parks, EUROPARC, WWF, Birdlife International, IUCN, UNESCO, l’Institut Européen de Politique Environnementale (IEEP – Institute for European Environmental Policy), le Centre Européen pour la Conservation de la Nature (ECNC – European Center for Nature Conservation), Rewilding Europe – un projet auquel ont pris part des membres de la Commission Européenne et du Conseil de l’Europe (Madelin et Vallauri 2012). Wild Europe est en train d’étudier la possibilité de mettre en place 5% de zones terrestres dédiées à la wilderness d’ici 2034. Cet objectif est étayé par la convention interna¬tionale pour la diversité biologique (Global Biodiversity Out¬look 2010) qui a défini le potentiel de réensauvagement à 200 000km2 de terre marginale dans toute l’Europe. (Aykroyd 2014) Sur le littoral, la logique s'inverse aujourd'hui: avec le changement climatique et l'élévation progressive du niveau de la mer, la gestion des risques sur le littoral ne peut plus tout miser sur la défense rigide du trait de côte. Elle doit redonner de l'espace aux phénomènes naturels, utiliser les milieux naturels comme tampon face aux événements et éloigner autant que possible les enjeux des secteurs vulnérables. L’évolution libre du trait de côte au sein d’une bande côtière d’une largeur suffisante permet d’améliorer le bilan sédimentaire, d’absorber l’énergie des mers lors des épisodes de surcote, et ce faisant de réduire les risques en retrait. Les zones naturelles du littoral offrent des solutions efficaces, durables et économes pour assurer l’adaptation des territoires littoraux au changement climatique. Les forêts littorales comme les mangroves participent par ailleurs à l’atténuation des effets du changement climatique en piégeant le carbone et en réduisant l’acidification de l’océan. Cependant, il ne faut pas négliger les obstacles à la mise en œuvre du principe de naturalité : - pour être fonctionnelle elle requiert la mobilisation de grandes surfaces d'un seul tenant, qu'il est de plus en plus difficile de trouver sur les littoraux ; - la non intervention est souvent associée à une image négative d'abandon, de friche, voire de nature hostile ; il peut y avoir de fortes réticences sociales à sa mise en place ; - la libre évolution des milieux naturels peut conduire à des évolutions défavorables pour certains habitats ou espèces protégées légalement, et exposer le gestionnaire à rendre des comptes à ce titre. NOTE DE CADRAGE ATELIER Gestion durable de la biodiversité : du jardinage de la Nature à la naturalité Naturality, an ethical, ecological or economic choice? « Sur le plan économique, laisser faire la nature ne coute rien, sinon un investissement pour le suivi continu et l’observation. Sur le plan écologique, les milieux dédiés à la naturalité abritent les espèces liées aux stades de maturation lente des écosystèmes et servent de zones témoins pour juger des effets des changements globaux. Sur le plan éthique, la naturalité est source d’émotions et de valeurs spirituelle et pédagogique, ce sont des lieux qui se prêtent à la contemplation, sources d’inspiration. Attention toutefois de ne pas cautionnern’importe quelle activité humaine sous prétexte que la « nature reprends toujours ses droits » ». (Gauthier-Clerc, Mesléard, et Blondel 2014). PISTES DE REFLEXION Le mouvement vers davantage de naturalité semble nécessaire intellectuellement et économiquement, mais il sera nécessairement progressif. Faire évoluer nos pratiques en matière de gestion des milieux naturels littoraux requiert davantage que des adaptations techniques : c'est tout le contexte culturel, administratif et scientifique qui doit également intégrer ces nouvelles approches. Sans vouloir changer brutalement de modèle, il s'agit probablement d'étudier et d'expérimenter dans quelle mesure s’appuyer sur les capacités de résilience fonctionnelle de la nature, tout en continuant à intervenir plus activement pour restaurer certains écosystèmes dits «culturels», à forte valeur patrimoniale écologique. Voici quelques pistes pouvant alimenter la réflexion des Agences littoral d'Europe et de Méditerranée en la matière : - La mobilité intrinsèque des écosystèmes littoraux, qui va s'accélérer avec l'élévation du niveau de la mer, est une invitation à favoriser des modes de gestion favorisant la naturalité. Dans quelle mesure? Dans quels secteurs et dans quelles conditions? - Dans les zones littorales basses, naturalité rime avec submersibilité, sur les côtes sableuses avec érodabilité. Quelles interactions avec la gestion des risques naturels? - Espèces patrimoniales vs espèces invasives : doit on encore lutter? Quelles sont les luttes perdues d’avances et celles sur lesquelles il faudrait se focaliser? - Quelles sont les limites juridiques, scientifiques et sociales à la mise en œuvre du principe de naturalité dans la gestion des espaces naturels littoraux? La mobilité, lorsqu'elle existe, est aujourd'hui le plus souvent subie. Comment dépasser les blocages lorsqu'une solution basée sur la nature paraît raisonnable? - Le gestionnaire dispose t-il des connaissances préalables pour évaluer l'impact à long terme de ses actions sur la biodiversité ou les fonctionnalités écologiques ? Comment évaluer correctement la réussite des opérations de restauration écologique quand elles concernent des écosystèmes dont la composition, la richesse, la structure et la dynamique sont le fruit de milliers d’années d'interactions entre les être vivants, leurs milieux et les activités anthropiques? BIBLIOGRAPHIE Aykroyd, Toby. 2014. « Wild Europe : une initiative en faveur de la wilderness », Naturalité, la lettre de forêts sauvage, , no 14: 3‑4. Beoutis, Adeline, Patricia Jean, et Sébastien Colas. 2004. « Démographie et économie du littoral. » Les dossiers de l’Observatoire du littoral. INSEE, SOeS Observatoire du littoral, IFEN, Ministère de l’Ecologie de l’Energie, du Développement durable et de l’aménagement du territoire. Boissery, Pierre. 2014. « Restauration du milieu marin méditerranéen, état des travaux en cours et perspectives. » Rapport Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse. Comission européenne. 2011. « La stratégie de l’UE en matière de biodiversité à l’horizon 2020. » Gauthier-Clerc, Michel, François Mesléard, et Jacques Blondel. 2014. Sciences de la conservation. De Boeck. Génot, Jean-Claude. 2014. « Natura 2000 et la wilderness », Naturalité, la lettre de forêts sauvage, , no 14: 5. GIEC, 2014. 5ème rapport. Henocque, Raphael, et Catherine Bersani. 2008. « Acteurs, réseaux et gouvernance. » In , 7. Nice. Mabille, Sébastien, et Catherine Piante. 2008. « Espace littoral, aires protégées et continuité écologique dans la GIZC. » In , 6. Nice. Madelin, Pierre, et Daniel Vallauri. 2012. « Une définition provisoire des espaces de nature sauvage en Europe. » Wild Europe. Meur-Férec, Catherine. 2007. « Entre surfréquentation et sanctuarisation des espaces littoraux de nature. » Cairn.info, 41‑50. Thibault, Henri-Luc, Silvia Laria, et Elisabeth Coudert. 2005. « Protéger et valoriser le littoral méditerranéeen, bien commun menacé. » Les notes du Plan Bleu - Environnement et développement en Méditerranée 6. Plan Bleu, PNUE, PAM. NOTE DE CADRAGE ATELIER Gestion durable de la biodiversité : du jardinage de la Nature à la naturalité