texte MJ Mattlinger

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Communication non verbale avec des personnes
polyhandicapées ou autistes
Marie-Jeanne Mattlinger, membre du Bureau national PPH, phoniatre puis psychiatre, a surtout
travaillé auprès de personnes porteuses de handicaps divers, en particulier polyhandicap et autisme.
I- Introduction
Nous connaissons tous le grand malaise que nous pouvons éprouver lorsque nous
nous trouvons en présence d’une personne qui ne peut pas communiquer
verbalement. Même si, comme nous le démontre bien l’exposé d’Anne Herbinet, la
communication verbale ce n’est pas si clair et simple qu’il y paraît, le langage tout de
même cela aide à se comprendre !
Alors, comment communiquer avec une personne sans langage et comment lui
permettre de communiquer avec nous ?
Lorsque le handicap mental est profond ou lorsque la communication verbale est
rendue impossible ou extrêmement limitée – du fait du polyhandicap ou de troubles
autistiques - la personne se trouve dans des difficultés majeures pour comprendre le
langage et se faire comprendre. Mais ce n’est pas une raison pour renoncer à tout
échange !
La première question qui se pose alors c’est bien : de quels moyens dispose cette
personne pour communiquer ?
D’abord qu’est-ce qu’elle comprend de mes mots, de mes phrases ; mais aussi de
mon regard, des expressions de mon visage, de mes intonations, de mes gestes ;
mais encore de ce qu’elle peut percevoir et qui constitue un indice (ex : j’ai apporté
son manteau et je lui propose de sortir).
Ensuite quels moyens a-t-elle pour pouvoir d’abord attirer mon attention, puis pour
me demander quelque chose, mais aussi pour refuser ; pour me poser une question
ou me donner une information ; pour manifester une douleur (douleurs si facilement
méconnues !) ou ce qu’elle ressent, pour faire ses commentaires, pour exprimer ses
sentiments à mon égard ou à l’égard d’autres personnes ; enfin pour me faire
comprendre ce qu’elle pense, me donner son point de vue. Bref pour tout ce qui fait
que nous avons besoin et que nous aimons communiquer. L’être humain n’est-il pas
avant tout un être de relation ?
Ces « outils » pour communiquer, là aussi cela peut être : son regard, ses mimiques,
ses gestes ou encore quelque chose qu’elle va montrer ou donner, selon ses
possibilités (objet, photo, dessin, voire même mot écrit…).
Dans un premier temps ce matin nous essayons de poser quelques repères pour
comprendre les difficultés, les fonctionnements et les possibilités de ces personnes.
1
Mais c’est cet après-midi que Christiane Cirasse et Edouard Catrice nous parleront
de façon beaucoup plus concrète du « comment communiquer autrement ».
Et c’est par le plus difficile et le plus déroutant que nous commençons : le
polyhandicap et l’autisme.
En sachant que quand on a appris à mieux communiquer avec ces personnes, on
sait mieux le faire avec toutes les autres personnes en difficulté de communication.
II- Autisme et autres « T.E.D. »
Comment communiquer avec des personnes autistes, c’est-à-dire aussi comment
peuvent-elles communiquer ? Lorsqu’il y a troubles autistiques, c’est sans doute la
situation la plus complexe et la plus déroutante.
A-Définition
L’autisme est donc le principal des « troubles envahissants du développement »
(T.E.D.). Il s’agit en effet d’un trouble du développement neuropsychologique et ce
trouble est envahissant au sens où il affecte de nombreux domaines, mais
principalement, selon les critères de diagnostic internationaux :
La relation avec l’autre, avec de grandes difficultés à entrer dans toute
relation, des interactions sociales « anormales » c’est-à-dire pauvres mais
surtout particulières, déroutantes ; dès la petite enfance l’échange par le
regard est très limité, l’enfant ne montre pas et ne regarde pas ce qui lui est
montré, il joue seul de façon répétitive, surtout avec son corps ou des objets
qui ne sont pas des jouets (une queue de casserole, une ficelle…), il ne joue
pas à faire semblant, il aligne les personnages au lieu de leur donner vie ; plus
tard ce sont les difficultés à se faire des amis, à se mettre à la place de l’autre,
à se trouver bien dans un groupe, et toute cette « indifférence » qui n’est
qu’apparente.
La communication sous tous ses aspects, qu’elle soit verbale ou non verbale,
qu’il s’agisse de compréhension ou d’expression ; ces difficultés majeures à
comprendre et se faire comprendre entraînent une grande souffrance, qui peut
se traduire par des comportements agressifs, auto-agressifs ou violents dont
nous avons toujours à chercher à comprendre ce qu’ils manifestent.
La capacité à s’adapter aux changements, avec des « intérêts et activités
restreints et répétitifs » des stéréotypies (balancements, jeux de doigts devant
les yeux), des comportements bizarres qui déroutent et perturbent, des rituels
(ex : ne pas pouvoir sortir sans avoir touché le mur et léché la porte).
B- Difficultés et fonctionnements
Voyons les difficultés qui affectent la communication et ses aspects particuliers
1- Les troubles spécifiques de la communication sont au premier plan. Il s’agit de
troubles « qualitatifs » c’est-à-dire que ce n’est pas seulement un déficit de
communication. Et ces troubles n’affectent pas seulement le langage mais aussi – à
2
un degré moindre – la communication non verbale. Le premier problème de ces
personnes est d’accéder au « sens de la communication », de percevoir à quoi elle
sert. Ainsi Jim Sinclair1, autiste de haut niveau, ayant accédé au langage, explique à
l’âge adulte « Je n’ai pas employé le langage afin de communiquer avant l’âge de
douze ans…Ce n’est pas parce que je n’en étais pas capable, mais simplement je ne
savais pas à quoi il servait. Pour apprendre à parler, il faut au préalable savoir
pourquoi on parle».
1a- La communication non verbale est donc altérée, et elle l’est sous ses deux
« versants ».
La compréhension de tout ce qui est non verbal est habituellement limitée. Déjà le
contact par le regard se fait très difficilement mais la personne autiste comprend
aussi très peu le sens du regard, celui du sourire et des expressions du visage, des
larmes (un enfant rit parce que c’est drôle de voir de l’eau couler sur les joues) ; mais
elle comprend difficilement aussi les gestes et seulement si ils sont très concrets
(c’est pourquoi la « langue des signes » des sourds, très complexe et pour une
grande part abstraite, ne peut être utilisée). Les repères visuels (objets, photos,
images) et le contexte peuvent être une aide précieuse dans la mesure où ils sont
visuels, concrets et stables. Les aspects non verbaux du langage, l’intonation et tous
ces signaux auxquels nous ne prêtons pas attention mais qui règlent l’échange ne
sont pas bien perçus non plus. Sean Baron2 évoque ses difficultés : « « Je me suis
rendu compte que les gens utilisaient la langue pour communiquer les uns avec les
autres. Mais je ne savais pas comment ils faisaient… Je ne comprenais pas les
signaux qui réglaient les discussions des gens…Je me sentais étranger aux autres,
tel un extraterrestre : je ne comprenais pas plus la communication entre les hommes
qu’une créature d’une autre planète… ».
Mais par ailleurs on s’aperçoit chez ces personnes que grâce à leur sensibilité
habituelle à tout ce qui est musical, la compréhension du langage peut être meilleure
lorsque l’intonation est accentuée, voire « chantée »
L’utilisation du non verbal est également altérée, mais elle peut en partie suppléer
à l’absence de langage, qu’il s’agisse du regard, de la mimique, des gestes, de sons
vocaux, ou plus facilement d’objets, images, etc. Mais bien souvent c’est le
comportement qui reste le seul moyen de se faire comprendre, avec tous les
malentendus que peuvent entraîner les gestes violents, les cris...
1b- La communication par le langage
Elle est encore plus touchée que le non verbal et cela sur ses deux « versants ».
La compréhension du langage oral est toujours altérée, mais de façon variable. Au
maximum il peut y avoir « surdité verbale » c’est-à-dire que le cerveau – en raison
d’anomalies touchant les régions et circuits concernés – ne reconnaît pas parmi tous
les sons perçus ceux qui appartiennent au langage. Au mieux une certaine
compréhension est préservée, mais elle reste toujours littérale (comme dans le stade
de « pensée concrète » évoqué par Anne), au « premier degré ». C’est l’enfant à qui
on demande « d’ essuyer ses pieds » sur le paillasson et qui retire donc ses
chaussures ; ou celui qui entend « la nuit va tomber » et se précipite pour ranger son
1
2
Jim Sinclair « Don’t mourn for us » The Edmonds Institute 1993
Judy Baron et Sean Baron « Moi l’Enfant Autiste » Ed. Plon 1993
3
vélo de peur qu’elle ne tombe dessus. Ou cet ado pour qui le « sommet de chefs
d’état » se passe forcément sur une montagne. Des problèmes donc avec tout ce qui
est expressions figurées, métaphores, mots abstraits, mots à double sens, nuances,
humour…
Mais ces personnes sont également en difficulté pour accéder à une signification
générale (un « verre » c’est seulement ce gobelet bleu que je connais) ; pour
percevoir l’intention sous-entendue dans un message (« tu peux me passer le sel ?
Oui ! » Ou au téléphone « Pierre est là ? Oui ! » Ou encore dans Rain Man cet
autiste qui reçoit un baiser de la fiancée de son frère (« C’était comment ? Mouillé !).
Difficulté aussi pour intégrer une série d’informations, comme l’évoque Temple
Grandin3, spécialiste de haut niveau dans le domaine des centres d’élevage.
« Encore maintenant, j’ai des difficultés à appréhender de longues séries
d’informations verbales. S’il y a plus de trois opérations consécutives à exécuter,
comme par exemple dans une station service, je suis obligée de les écrire. Beaucoup
de personnes atteintes d’autisme éprouvent des difficultés à se souvenir de l’ordre
d’une série d’instructions. »
La compréhension du langage écrit
De façon inattendue elle peut être meilleure que celle du langage oral, notamment
grâce aux capacités de mémorisation visuelle qui permettent à certains de
« photographier » et mémoriser globalement des mots – même en l’absence d’accès
au langage oral – et de les associer à leur signification. Le langage écrit est moins
difficile d’accès dans la mesure où il fait appel à la perception visuelle et constitue un
support permanent auquel on peut se référer (et non une donnée fugitive comme la
parole). Therese Joliffe4 cite aussi un autiste qui explique « Il a fallu longtemps avant
que je ne sois conscient que les personnes qui me parlaient réclamaient mon
attention… Le langage parlé me frustrait. Je comprenais mieux les mots quand ils se
trouvaient couchés sur du papier que lorsqu’ils étaient prononcés… Les premiers
mots que j’ai compris étaient ceux que j’ai vus imprimés sur du papier. » et Temple
Grandin le confirme « Les enfants atteints d’autisme arrivent à mieux exécuter des
tâches lorsqu’ils peuvent employer des instructions écrites, à la place d’instructions
orales »…
L’utilisation du langage oral est l’aspect le plus difficile de la communication
lorsqu’il y a autisme. A l’âge adulte 50 % des autistes sont sans langage (on dit
« non verbaux »). Mais lorsqu’il existe un langage, son utilisation est toujours altérée,
là aussi de façon variable.
Les mots et phrases sont utilisés de façon inappropriée ; ce sont ces enfants
qui disent « bravo » ou « au revoir » pour manifester que c’est fini et qu’ils
veulent partir, ou cet enfant qui disait « géode » lorsqu’il voulait monter à l’avant
de la voiture (où il pourrait bien voir partout comme au cinéma sphérique « La
Géode »), ou cet autre qui lorsque sa mère était en colère s’écriait « ne jette
pas le chien du balcon » parce qu’il associait cette colère à une situation où en
effet il avait provoqué la colère de sa mère.
3
4
Temple Grandin « Penser en images » Ed. Odile Jacob 1997.
Therese Joliffe « Autism : A personal account » Année 1990.
4
Les pronoms sont difficiles à utiliser correctement, le TU remplace souvent le
JE, toujours par association : on m’a dit « tu veux un bonbon » et j’en ai eu un,
donc ces mots sont « la clef » pour obtenir un bonbon.
Problèmes aussi avec tous les termes relatifs ( ex : plus grand, meilleur) les
notions d’espace et de temps (ex : devant, derrière, hier, demain) les contraires
(ex : donner, prendre).
Stéréotypies verbales parfois liées à des intérêts obsessionnels et qui peuvent
devenir envahissantes ; ainsi je me rappelle un enfant qui répétait
inlassablement derrière moi à son père – alors que j’arrivais en consultation –
« on s’est trompés de chemin » parce qu’ils n’avaient pas pris le chemin
habituel et alors que son père lui avait – bien sûr- donné toutes les explications
utiles.
Ou encore l’écholalie : la personne répète les derniers mots ou la phrase
qu’elle vient d’entendre, comme pour se rassurer et mieux comprendre, comme
le font les enfants ordinaires dans les débuts du langage.
L’utilisation du langage écrit
Là aussi elle peut pour certains être moins difficile que la parole, au moins sous
forme d’étiquettes – mots.
2- Le développement mental constitue la deuxième cause de restriction de la
communication.
En effet on estime que dans 70 % des cas les troubles autistiques sont
accompagnés d’une déficience mentale qui va nuire aux capacités de
communication. Cette déficience peut être de degré variable. Pour donner des
repères approximatifs on parlera de déficience légère (l’accès au langage oral et écrit
est préservé) ou moyenne (accès au langage oral) ou sévère (langage limité) ou
profonde (aucun langage ou extrêmement réduit).
Mais cette déficience est toujours « hétérogène » en cas de troubles autistiques. Les
domaines faisant appel à l’abstraction et au langage sont les plus touchés,
l’intelligence pratique est la mieux préservée.
Mais il existe aussi de nombreux troubles cognitifs très spécifiques à l’autisme et qui
nuisent à la communication, en particulier des difficultés majeures à comprendre les
manifestations émotionnelles et les règles sociales, à comprendre la complexité des
êtres humains.
Donc les personnes autistes ne sont pas seulement ces personnes très performantes
qui nous sont souvent montrées « mais qui nous aident à comprendre ceux –
beaucoup plus nombreux –qui ont une déficience mentale est plus ou moins sévère.
3- Les troubles sensoriels jouent aussi leur rôle dans les difficultés de
communication.
Il ne s’agit pas de déficiences (l’association par exemple d’une surdité est possible
mais rare): mais de perceptions perturbées, souvent pénibles. Et cela concerne
d’abord l’audition avec toutes les conséquences que l’on imagine sur la
communication verbale : ainsi Temple Grandin explique « Parfois, je comprenais et
5
entendais tout, mais à d’autres moments, les sons et les mots bouillonnaient dans
ma tête en faisant un bruit insupportable comparable à celui d’un train de
marchandise à vitesse de croisière. »
Mais cela concerne aussi tous les autres sens. Ainsi le contact de certaines matières
peut être insupportable, mais aussi le seul fait d’être touché par une autre personne
peut provoquer des sensations très désagréables et faire que la personne « refuse »
le contact corporel. De même le goût et la sensibilité aux textures peuvent être si
altérés que l’enfant n’accepte pendant longtemps que certains aliments très limités
(ex les « petits suisses »).
4- Les troubles de la motricité sont plus subtils puisqu’il n’y a pas de déficience ni
de trouble évident. Mais il y a souvent une forme de « dyspraxie bucco faciale »
c’est-à-dire une grande maladresse avec difficulté de contrôler les mouvements de la
bouche et du visage qui nuit à la production de la parole. Il peut même exister
comme « un énorme bégaiement » qui empêche toute émission de parole.
Enfin toutes les difficultés de relation avec les autres jouent aussi un rôle important
dans les difficultés de communication.
C- Les possibilités
Elles sont pourtant bien réelles, comme nous le montrera Christiane et reposent
surtout sur l’utilisation de supports visuels, tant les autistes sont des « penseurs
visuels » comme le décrit si bien Temple Grandin « Les personnes atteintes
d’autisme sont des penseurs visuels et apprennent mieux à partir du moment où l’on
emploie des méthodes visuelles : je n’ai pratiquement aucune pensée verbale.
Lorsque je pense à des concepts abstraits, tels que les relations humaines, j’emploie
des images visuelles (comme les portes tournantes en verre qu’il faut manipuler avec
beaucoup de précautions)… »
Ces personnes touchées par l’autisme ou d’autres T.E.D. sont donc en effet
« comme des extra terrestres ». Tout leur fonctionnement est différent des
« normotypiques » (comme nous dénomment les « autistes de haut niveau ») que
nous sommes. Elles n’ont pas les codes de la vie parmi les humains… et nous
n’avons pas non plus les codes pour les aborder, pour communiquer avec elles et
leur permettre de communiquer avec nous. Il nous faut les apprendre.
III- Polyhandicap
Comment communiquer maintenant avec des personnes polyhandicapées ; quels
moyens ont-elles, ou pouvons-nous leur donner ? Lorsqu’il y a polyhandicap c’est
peut-être moins déroutant, mais c’est bien difficile !
A- Définition
Le terme de polyhandicap est parfois utilisé (de façon erronée) lorsqu’il y a
association dans plusieurs handicaps (par exemple autisme et surdité). Mais au
sens plein du terme le polyhandicap est un handicap majeur et complexe, lié à une
atteinte précoce et grave de l’encéphale, qui touche à la fois :
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La motricité (impossibilité de station debout et de marche, les personnes sont
en fauteuil, voire même – pour les plus atteintes – allongées).
Le développement mental (déficience profonde)
Avec parfois l’association de troubles sensoriels (surdité, cécité) et /ou
autistiques.
Il en résulte un « haut niveau de dépendance » comme aiment à le dire les parents…
mais aussi de grandes difficultés de communication !
B- Difficultés et fonctionnements
Chacune des difficultés du polyhandicap
langage, ou y contribuer.
peut être à l’origine de l’absence de
1- La déficience mentale en premier lieu. Elle est profonde mais « homogène » (les
niveaux sont comparables dans les différents aspects du développement). Et les
capacités sont le plus souvent en-deçà d’une possibilité d’accéder au langage (ex : si
le niveau de développement correspond à 6-8 mois).
2- Les troubles de la motricité touchent la motricité globale (donc difficulté à
effectuer des gestes) mais aussi bucco-faciale (donc problème pour la parole mais
aussi pour les mimiques). Il s’agit de paralysies mais aussi de contractions et de
mouvements involontaires comme on en voit chez les I.M.C. (Infirmes Moteurs
Cérébraux) ; mais à la différence des personnes polyhandicapées, ceux-ci ont des
capacités mentales préservées. Ces troubles de la motricité constituent un
empêchement supplémentaire pour l’émission de la parole mais aussi pour toute la
communication non verbale.
3- Les troubles sensoriels ne sont pas rares.
Si il s’agit d’une surdité, la parole ne peut être perçue, l’intonation non plus, mais les
autres « canaux » (visuel, tactile…) fonctionnent.
Si il s’agit d’une cécité les repères visuels ne peuvent aider, les mimiques ne sont
pas perçues mais l’audition et le toucher permettent une forme de communication.
4- La communication n’est pas affectée comme dans l’autisme par des troubles
spécifiques ; les personnes polyhandicapées ont le « sens » de la communication –
sauf quand hélas le polyhandicap inclut des troubles autistiques – mais celle-ci n’en
est pas moins bien difficile.
4a- La communication non verbale est la moins touchée.
La compréhension du regard, du sourire, de la mimique, de l’intonation, des
gestes, mais aussi des repères visuels et du contexte est « bonne » c’est-àdire qu’elle correspond au niveau de développement ; c’est donc celle d’un
très jeune enfant, mais c’est déjà beaucoup !
L’utilisation de ces moyens non verbaux est également possible, mais souvent
limitée par les difficultés motrices qui affectent la mimique et les gestes.
Pourtant des sons vocaux, un regard expressif ou qui désigne un sourire ou
une expression du visage, un mouvement de tête pour « oui-non », des
7
gestes (demande, refus, désignation), une posture du corps, une détente ou
une contraction peuvent en dire long si l’on sait les décrypter.
4b- La communication par le langage est très affectée.
La compréhension correspond là aussi au niveau de développement, mais un
très jeune enfant comprend beaucoup mieux le langage qu’il ne peut
l’utiliser… sauf lorsqu’il y a « surdité verbale », possible là aussi.
L’utilisation du langage oral est le plus souvent impossible. Au mieux il peut y
avoir des mots isolés si la parole n’est pas totalement empêchée par les
difficultés motrices.
C- Les possibilités
Pourtant, nous venons de le voir, elles existent vraiment et Edouard qui les connaît
bien, nous en parlera. Voyons donc seulement quelques indications générales.
D’abord, il nous faut parler à ces personnes comme si elles comprenaient mais avec
un langage simple, avec douceur et respect et en sachant que même si elles ne
semblent pas réagir elles perçoivent au moins (par toute notre attitude, notre
intonation, nos gestes, notre regard) une partie de notre message, souvent
l’essentiel comme dans une sorte de « cœur à cœur » en direct.
Dominique Crunelle, au congrès 2008 du groupe Polyhandicap France, déclarait
notamment « tout être humain, même le plus démuni, communique et a droit à la
communication… C’est aux plus performants de s’adapter aux plus démunis… Les
canaux utilisés (par les personnes PH) sont souvent ceux réservés au tout jeune, et
nous les identifions d’autant plus mal lorsqu’ils sont utilisés par des adolescents ou
des adultes. Ils peuvent aussi être d’autant moins reconnaissables qu’ils sont
transformés du fait des troubles neuromoteurs (posture d’extension, hyper ou
hypotonie du visage rendu peu expressif). Cette communication passe (notamment) :
- par le respect de toute tentative de communication, si minime soit-elle. Ce
respect passe donc aussi par l’acceptation de voir et d’entendre ce qu’exprime
la personne, même si cela parfois nous dérange, même si le temps nous
manque. On est parfois tenté de ne pas entendre ce qui ne peut être
verbalisé !
- par une connaissance de la personne, des stratégies qu’elle utilise pour entrer
en interaction… (Il nous faut donc) repérer les compétences, les émergences,
donner les moyens nécessaires pour entamer la communication, en
respectant le temps utile à ces interactions, en n’oubliant jamais que le temps
de la personne polyhandicapée n’est pas le nôtre.
C’est donc la communication non verbale qui sera le canal privilégié avec ces
personnes. Des « outils » peuvent aider, que ce soit par exemple des photos ou
pictogrammes, un système d’appel (sonnette sur le bras du fauteuil), une synthèse
vocale très simple.
Si nous savons les accompagner, ces personnes polyhandicapées pourront vivre –
selon le très beau titre d’Emmanuel Belluteau (Cf. bibliographie) – comme « des
princes et des princesses à roulettes ».
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IV- Autres formes de handicap mental sans accès au langage
A- Déficience mentale profonde
Là non plus il n’y a pas de langage ou il est extrêmement limité.
Mais la communication est plus facile dans la mesure où elle n’est pas affectée par
des troubles spécifiques et où la motricité préservée permet tout le jeu des mimiques,
des gestes, de tout le « non verbal ».
Nous sommes donc là auprès de personnes dont le développement mental est celui
d’un très jeune enfant. Mais n’oublions pas qu’il s’agit d’un véritable enfant,
adolescent ou adulte, qui a des goûts, des aspirations et des réactions beaucoup
plus proches de celles de son âge que de celles d’un très jeune enfant ; par exemple
un désir de relation privilégiée avec des amis, voire un désir sexuel, un désir de
couple et d’enfant, un désir d’autonomie par rapport aux parents. Lorsqu’il s’agit d’un
adulte ce n’est pas un enfant dans un corps d’adulte ! Et dans tous les cas c’est une
« vraie personne » avec ses grandes limites mais aussi toutes ses capacités et
richesses.
B- Personnes ayant « perdu » le langage
1- Maladie d’Alzheimer et troubles similaires.
Toutes les capacités mentales sont atteintes, le langage s’appauvrit et surtout la
communication verbale se réduit progressivement jusqu’à devenir impossible.
Mais la personne peut être rejointe par l’évocation des éléments de sa vie restés en
mémoire et par toute la communication non verbale.
2- L’aphasie est une situation très différente puisque dans ce cas – contrairement
parfois à l’impression que l’on peut en avoir – les capacités mentales sont
préservées (il n’y a donc pas là de « handicap mental ») mais tout ce qui touche au
langage peut être atteint : langage oral et langage écrit, compréhension et
expression. C’est alors le développement des « canaux » intacts qui permet la
communication.
V- En guise de conclusion
A- Ce que ces personnes nous apprennent
Je saurai surtout parler de ce que j’ai appris auprès d’elles au cours d’un long chemin
à leurs côtés.
Pour ce qui est des autistes, les premiers que j’ai rencontrés ça allait encore. Comme
phoniatre j’ai été amenée à faire des évaluations de langage auprès de quelques
enfants autistes. Mais ils n’étaient pas parmi les plus atteints puisqu’ils avaient un
petit accès au langage. Je pense en particulier à un jeune François-Xavier, un bel
enfant très étrange mais bien gentil.
Puis j’en ai rencontré d’autres qui me laissaient totalement démunie, soit du fait de
comportements incompréhensibles (cet enfant qui pourtant avait une ébauche de
langage mais qui hurlait pendant une réunion de parents et semblait totalement
inconsolable) ou du fait d’un handicap si profond que l’on ne voyait pas sur quoi
s’appuyer pour aider l’enfant à progresser (cet autre qui avait marché à 5 ans et dont
la première prouesse – après son arrivée dans l’IME spécialisé que nous avions
ouvert avec une association de parents – a été de pousser chez lui la porte de la
cuisine pour y entrer). Mais d’autres personnes – plus expérimentées que je ne
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l’étais alors – arrivaient à comprendre des comportements incompréhensibles et à
soulager la détresse, à déceler les plus petites ébauches de possibilités pour entrer
en relation, communiquer, aider à progresser.
Avec les personnes polyhandicapées, le premier contact ne s’oublie pas. Bien
qu’ayant travaillé auparavant auprès d’Infirmes Moteurs Cérébraux, j’ai été
terriblement impressionnée par l’ampleur de cette détresse physique et de ces
faiblesses de tout l’être. Un immense sentiment d’impuissance ! Et pourtant il y a ce
sourire, parfois même malicieux, ce regard parfois lumineux, ce geste ébauché ; et
aussitôt il est évident que derrière ce handicap il y a bien une vraie personne, avec
toute sa singularité, son caractère, ses peines et ses joies.
Avec certaines pourtant c’est encore plus difficile : ce sont celles dont le
polyhandicap comporte des troubles autistiques. Auprès de ceux-là, seuls les parents
et les professionnels qui sont au contact quotidien avec eux savent déceler les mini
ou les microsignes de souffrance ou de bien-être, de besoin de tranquillité ou
d’acceptation – voire de recherche – du contact, un visage qui s’apaise, un corps qui
se détend. Finalement, au premier abord c’est le handicap que l’on voit ; mais très
vite on découvre la personne et toutes ses richesses de cœur.
Au fil du temps, les personnes handicapées m’ont beaucoup appris.
D’abord l’humilité : elles nous obligent et nous amènent à une extrême humilité ; car
comment comprendre ces handicaps si complexes ; par quel bout prendre le
problème ? Comment permettre à chacune de ces personnes si dépendantes
d’accéder malgré tout à une possibilité d’entrer en contact, de communiquer, de
choisir, d’être acteur de sa vie, d’être bien ou mieux dans sa relation avec l’autre,
dans la proximité avec les autres ? Comment soulager les souffrances physiques et
psychiques ?
Ensuite la disponibilité ; car on ne peut commencer à comprendre ces personnes et à
les aider qu’en se mettant en état de totale disponibilité, en étant en permanence « à
l’écoute » de tous les messages qu’elles nous adressent, aussi infimes soient-ils, ou
déroutants.
Enfin une forme d’authenticité car dans ce domaine elles nous surpassent
totalement ; il n’y a pas de calcul chez elles, rien de fabriqué, pas de faux-semblant…
Ce sont des cœurs purs !
B- Quelques « règles d’or »
Comme une transition avec les exposés de cet après-midi...
Marie-Thérèse Hellé, directrice de foyers pour personnes handicapées mentales
profondes, nous donne des lignes essentielles5 : « Nous devons nous adapter à leurs
moyens de communication, moyens uniques et singuliers pour chaque personne.
Nous pouvons dépasser les obstacles liés à la pauvreté de la parole en étant dans
une relation d’empathie, en étant ouvert et accueillant au niveau de tout notre être,
de tous nos sens… à l’écoute de l’autre dans toutes ses dimensions, ses sons, ses
mimiques, ses changements ».
Si nous voulons proposer quelques « règles d’or » cela pourrait être :
5
Revue « A.H. », n° spécial « Communiquer Autrement » (Cf. biblio)
10
- « N’ayons pas peur » d’aller à la rencontre de cette personne dont nous ne savons
pas si nous allons la comprendre, si elle va nous comprendre.
- « Prenons notre temps », respectons le « temps de latence » dont la personne a
besoin pour comprendre et manifester sa réponse, respectons sa lenteur. Gilles,
IMC, s’exprime par sa synthèse vocale6 : « Souvent je me demande si nous sommes
tous sur la même longueur d’onde, quand je vois les gens courir après le temps qui,
pour eux, passe trop vite et qui, pour moi, coule si lentement ! J’aurais envie de leur
crier « Ne courez pas si vite ; écoutez-moi ». Il me semble que s’il en était ainsi, tout
serait tellement plus simple ! ».
- « Adaptons notre langage », qu’il soit simple et clair.
- « Utilisons tous les moyens » non verbaux et les aides mises en œuvre par les
professionnels et les proches.
- « Evitons de faire les questions et les réponses » mais aussi de faire semblant de
comprendre, avec tous les malentendus que cela peut entraîner.
- « Attention aux illusions dangereuses » comme « je comprends tout » ou « il
comprend tout », là aussi sources de malentendus.
Marie-Thérèse Hellé conclut : « Les formations, les compétences, les techniques
d’approche sont certes indispensables pour mener à bien notre mission ; mais que
seraient-elles si elles n’étaient pas soutenues par cette croyance que chaque être
présent sur cette terre a sa raison d’être, son message à délivrer ? Qu’il a droit à tous
les égards et que nous devons le regarder comme un être unique ».
Finalement, la seule chose qui importe c’est bien que cette personne que nous
tentons de rejoindre et d’accompagner puisse comprendre l’essentiel de notre
message et nous faire comprendre le sien !
6
Cité dans le même numéro d’« A.H. »
11
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