L’ECHO DE L’AFMD 49 « Si l’écho de leurs voix faiblit, nous périrons » Paul ELUARD Bulletin de la délégation AFMD 49. N°39, Août 2012 Association des Amis de la Fondation Pour la Mémoire de la Déportation (49) LE MOT DE LA VICE-PRÉSIDENTE Le temps passe, les évènements s’éloignent. Il devient de plus en plus difficile de convaincre des enseignants à participer au Concours de la Résistance et de la Déportation. Ceux qui ont déjà engagé leurs élèves le font encore volontiers parce qu’il sont convaincus de l’importance de la Seconde guerre mondiale dans l’évolution des mœurs, la construction de l’Europe et le gouvernement des nations. Mais les jeunes professeurs qui entament une carrière considèrent cette période comme une autre, ni plus ni moins importante. Le drame épouvantable de la Shoah, pourtant, ne perd rien de sa force. Comment pourrait-il en être autrement ? Il fut sans précédent et si abominable que le vocabulaire de l’époque ne suffisait pas. Il a fallu inventer un mot pour traduire l’étendue du cataclysme. La Résistance par contre devient de plus en plus banale dans l’esprit des gens. Est-ce parce que les témoins directs disparaissent ou parce que la communication passe mal entre les instances académiques et les enseignants ? Est-ce le rôle des associations mémorielles de sensibiliser les professeurs et avec quels moyens ? La question se pose, il semble urgent d’y répondre si nous ne voulons pas que la Résistance tombe dans l’oubli et que le sacrifice de ceux qui sont morts pour notre Liberté passe à la trappe. AVEU Accablé de soucis tourmenté de solitude je sais par un chant de joie me forger un courage m’endurcir et l’esprit et le cœur J’ouvre grand la fenêtre Je chasse les mauvais esprits Je rassemble mes forces Je m’imagine dans le plus beau des lieux Et soudain c’est comme si les murs étaient impuissants à m’arrêter Soudain je peux agir, oublier Je peux régner en homme libre et avec courage Entonner des chants d’avenir Vous ne pourrez me contraindre. Wolfgang SZEPANSKY Poème écrit à Sachsenhausen, 1942 SOMMAIRE Une veillée aux flambeaux à Belle-Beille..p. 2-6 L’inauguration d’une plaque en souvenir de Marius BRIANT………………………p. 7-11 Notre dernière publication……………….. p. 12 Le Collège St-Benoît de Champtoceaux a honoré Clément QUENTIN……………p. 13-17 Maurice DUVEAU, par Claude GRIMAL………………………………...p. 18-19 Maïdanek, par Alain LIEUTAUD……….p. 19-20 Hélène CABRILLAC 1 Hélène CABRILLAC Le 26 avril Une veillée aux flambeaux sur le site de Belle-Beille En introduction de la veillée, des documents sonores sont diffusés par des haut-parleurs placés de part et d’autre du monument aux fusillés : discours d’Hitler, bruits de bombardements, voix de Pétain, de Churchill et du général de Gaulle, messages de la BBC, etc.. Puis Hélène CABRILLAC prend la parole pour présenter le déroulement de la manifestation. Nous sommes cinq générations rassemblées, dans ce lieu très particulier, pour nous souvenir ensemble de ce que fut la Seconde guerre mondiale. Cette veillée aux flambeaux a été conçue par l’AFMD avec la participation d’écoliers et de collégiens parce que c’est à eux que nous devons transmettre la mémoire de ce que fut la plus grande tragédie du XXème siècle, c’est sur eux que repose l’avenir du monde. Commémorer signifie se souvenir ensemble. Chacun d’entre nous, ce soir, aura l’opportunité de se souvenir, de se recueillir, et de réfléchir à cette monstrueuse dérive de l’idée de grandeur, qui a fait basculer tout un peuple dans une folle idéologie raciste. Des évocations sonores, des voix inoubliables, des poèmes et des chants vont nous replonger dans l’ambiance de cette tragédie. La partie musicale sera réalisée par la chorale Baugissimo, dirigée par Monsieur Daniel BERTHOULOUX, principal du collège Portes d’Anjou à Noyant. Elle a dans son répertoire les chants de la Résistance et de la Déportation, depuis la Semaine de l’Impossible Oubli à Baugé, en avril 2009, et vous transmettra l’émotion des évènements et celle des mélodies. Les textes écrits dans les camps nazis seront lus par des élèves du Cours Moyen des écoles primaires Robert Desnos et Aldo Ferraro. Rappelons que Robert DESNOS est mort le 9 mai 1945 à Terezin, au terme d’une impitoyable marche de la mort. Les collégiens du Conseil Général Junior porteront les flambeaux, symboles des Fusillés et la bannière de la Déportation. C’est dans cette clairière, devant le mur du champ de tir où se trouve la chorale, qu’ont été fusillés 45 Résistants, entre 1942 et 1944. Sous la dalle du monument, la terre angevine et celle des camps nazis ont été mêlées pour évoquer ceux et celles qui sont morts en déportation. Puisse le temps qui passe ne pas altérer le souvenir de ces hommes et femmes qui avaient choisi de résister. La Marseillaise, à elle seule symbolise la liberté. Elle fut chantée dans les prisons, dans les trains, dans les camps, par ceux et celles auxquels nous pensons ce soir. Et notre cérémonie se terminera par un thème de la Symphonie du Nouveau Monde de Dvorak, un hymne à la paix, Au Nom des enfants. Je vous invite donc à partager quelques instants de recueillement et de reconnaissance à la mémoire de ceux qui ont sacrifié leur vie et bouleversé celle des enfants pour la liberté que nous connaissons depuis bientôt 70 ans. 2 Entourée des élèves des écoles Robert Desnos et Aldo Ferraro, Hélène CABRILLAC présente le programme de la veillée La chorale Baugissimo dirigée par Daniel BERTHOULOUX entonne le Chant des Partisans Lecture de poèmes par des jeunes élèves 3 D’autres élèves prennent le relais Roger POITEVIN donne lecture du Serment de Buchenwald Des collégiens du Conseil Général junior portent les flambeaux vers la stèle des Fusillés 4 La bannière des Déportés est portée par d’autres jeunes du Conseil général junior Des élèves des écoles ont disposé des photophores de part et d’autre de la bannière des Déporté 5 Les flambeaux, symbolisant les quatre poteaux d’exécution, ont été placés devant le monument aux fusillés Durant tout le déroulé de la manifestation la chorale Baugissimo a interprété le Chant des Partisans, Nuit et Brouillard, le Chant des Marais, Shalom Haleisheim, la Marseillaise et Au nom des enfants sur la musique de la Symphonie du Nouveau Monde de Dvorak. En alternance des poèmes étaient lus par les enfants et Michel CABRILLAC : A ma mère, Mes camarades, Les cheveux, Fraternité, La plaine, Les gars de la terrasse, Le pire, Tziganes mes Amis. Roger POITEVIN a ensuite donné lecture du Serment de Buchenwald. En hommage aux Tziganes déportés, un extrait de jazz manouche a été diffusé. Outre des parents des élèves des écoles élémentaires publiques Aldo Ferraro et Robert Desnos, on remarquait dans l’assistance : Monsieur MONTBRUN, Inspecteur de l’Education nationale (circonscription d’Angers IV), Monsieur DAVY, responsable au sein du Conseil Général du Conseil Général Junior, Monsieur Alain JACOBZONE, historien, Mesdames SCAPIN et MARCHAND, chargées de l’animation du Conseil Général Junior, Madame PIÉTIN, chef de cabinet du Maire d’Angers et les délégués du quartier Belle-Beille au sein du Conseil Municipal, Monsieur René JOFFRÉS, président départemental des Combattants Volontaires de la Résistance. 6 Le 27 avril, à l’école élémentaire Victor Hugo, à Angers L’inauguration d’une plaque commémorative en souvenir de Marius BRIANT Le nom de Marius BRIANT, jeune instituteur arrêté pour faits de Résistance, déporté, puis décapité à Berlin en 1944, avait été donné à une école située à proximité de la Maison d’arrêt d’Angers. Une plaque commémorative avait été apposée sur l’un des murs. Par la suite, l’école avait été supprimée et les locaux remis à l’administration pénitentiaire pour les jeunes prisonniers. Le frère de Marius BRIANT, Roger, avait exprimé auprès de la ville d’Angers le souhait que cette plaque soit réinstallée sur les murs de l’école Victor Hugo où Marius avait enseigné. Or la plaque était devenue introuvable et, comme pour l’école René BROSSARD, la ville d’Angers a décidé d’en réaliser une nouvelle. Roger POITEVIN a contacté la municipalité et la direction de l’école pour que sa pose donne lieu à une cérémonie commémorative. Pour motiver les élèves de l’école Victor Hugo, il est intervenu auprès d’eux, accompagné par Jacques CHUPIN qui a témoigné de sa déportation. Une exposition réalisée par la FNDIRP a été prêtée, à laquelle on a ajouté trois panneaux résumant la courte vie de Marius BRIANT. Enfin, une plaquette d’écrits de Marius BRIANT, éditée en 1950, a été complétée de textes et d’illustrations et rééditée par les soins de l’AFMD 49. C’est ainsi que le vendredi 27 avril, à l’initiative de la Municipalité d’Angers, de l’Inspection académique, de l’équipe pédagogique de l’école, des parents d’élèves et de l’AFMD 49, une cérémonie a rassemblé de nombreux participants à l’Ecole Victor Hugo d’Angers. La manifestation a débuté par le dévoilement de la nouvelle plaque. Elle porte le portait gravé de Marius BRIANT ainsi que le texte mentionné page suivante. La plaque est dévoilée par une jeune élève de l’école et par Roger BRIANT, frère de Marius 7 Le texte de la plaque Marius BRIANT 1922-1944 Instituteur à l’école Victor Hugo Arrêté pour faits de Résistance en 1943 Martyrisé à Angers par les nazis Déporté, puis décapité à Berlin en 1944 Hommage rendu le 27 avril 2012 par la communauté éducative Un poème est lu par une élève La première prise de parole est celle de Monsieur BAILLEUX, directeur de l’école, qui après avoir souligné l’héroïsme d’un groupe de Normaliens d’Angers dont faisait partie Marius BRIANT, retrace l’itinéraire de ce dernier en ces termes : 8 Né le 31 janvier 1922, à Sceaux d’Anjou, élève à l’Ecole publique de garçons de Champigné puis au Cours complémentaire de Segré de 1935 à 1939, il devient élève-maître à l’Ecole normale d’instituteurs d’Angers du 31 janvier 1940 au 30 septembre 1942. En mai 1942, il se brise une cheville en gare du Mans en allant à un stage, cheville brisée qui entraînera l’amputation de la jambe. Il est nommé instituteur intérimaire à Segré en octobre 1942, puis enseigne comme titulaire au groupe scolaire Victor Hugo à Angers Il prépare une licence de philosophie. Il songe à l’Ecole des Sciences politiques. Militant, il est recherché par la gendarmerie et la Gestapo, suite à l’affaire de Vern où, fin juin, le normalien MOINE, qui revendiqua toujours son geste, blessa un soldat d’une patrouille allemande.[…]. Il est arrêté à La Marinière le 17 juillet 1943 suite à une dénonciation. Son père et sa mère, pris en otages, sont relâchés à son arrivée. Il est condamné à mort le 1er décembre 1943 à Angers, puis déporté le 21 décembre, vers Karlsruhe, et transféré à Francfort, Coblence, etc., soit plus de 17 endroits. Pour la terrible suite, écoutons les mots si simples qu’il a écrits, son calvaire commence. Bafoué, sauvagement frappé, il n’a jamais trahi un seul secret. Il sera finalement décapité à Berlin le 29 mars 1944. Le directeur de l’école, Monsieur BAILLEUX, présente l’itinéraire de Marius BRIANT. A sa droite. Paul JANNETEAU, député. A sa gauche : Luc BELOT, adjoint du Maire à l’Education, Roger BRIANT et le Maire d’Angers, Frédéric BÉATSE 9 Les élèves de l’école entonnent La Marseillaise sous la direction e Monsieur BAILLEUX Prenant ensuite le micro, Roger BRIANT exprime la gratitude de la famille BRIANT et fait part de sa profonde émotion de voir la mémoire de son frère ainsi célébrée. Le dernier orateur est Frédéric BÉATSE, maire d’Angers, qui rappelle tout ce nous devons à l’héroïsme des résistants de pouvoir vivre dans un pays libre. Roger BRIANT évoque la personnalité de son frère. A ses côtés, le Maire d’Angers, M. BÉATSE et Vincent DULONG, adjoint délégué du quartier Saint-Serge et notre ami Jacques CHUPIN Monsieur BÉATSE, maire d’Angers, pendant son allocution 10 L’exposition installée dans les locaux de l’école Un des panneaux dédiés à Marius BRIANT Roger POITEVIN préposé à la vente du livre publié à cette occasion par l’AFMD 49 11 Notre dernière publication… Marius BRIANT. Textes choisis. Edité par l’AFMD 49 en mars 2012. 126 pages. Photos en noir et blanc. Prix : 10 Euros. En 1950, les éditions du Courrier de l’Ouest publiaient une plaquette, de présentation austère et compacte, dépourvue de photos, de Textes choisis de Marius BRIANT. A l’occasion de l’inauguration de la plaque apposée à l’école élémentaire Victor Hugo d’Angers, l’AFMD 49 a réédité ces textes sous la forme plus attrayante d’un livre comportant des photos, des reproductions de documents et agrémentée d’une préface de Roger BRIANT, frère de Marius. L’ouvrage comporte aussi une Introduction écrite en 1948 par Alain DEBROISE qui fut le professeur de Marius BRIANT à L’Ecole normale de garçons d’Angers. La première partie se compose de poèmes écrits d’octobre 1936 à août 1943 où se conjuguent différents thèmes : le sentiment de la nature, une certaine mélancolie, la douloureuse conscience des imperfections humaines et pour ceux rédigés après son arrestation, l’oscillation entre l’espoir et la crainte de la mort. Viennent ensuite des textes en prose divers – certains rédigés depuis la prison d’Angers où s’expriment son idéalisme souvent révolté par les faiblesses de l’esprit humain et un romantisme exacerbé qui est souvent la marque des garçons de 20 ans à son époque. La troisième partie rassemble un choix de lettres envoyées de sa cellule à ses parents ou à sa fiancée dans lesquelles il fait part de ses doutes, de sa peur de s’être engagé à mauvais escient, de la conscience de ses propres faiblesses, mais décrit aussi l’ordinaire de la vie carcérale. Après sa condamnation à mort, le ton devient plus dramatique. L’espoir se fait jour lorsqu’il croit savoir – à tort - qu’il a été grâcié. Jusqu’à ses deux lettres d’adieu, déchirantes, écrites à ses parents et à la femme aimée, depuis Berlin, juste avant qu’il soit guillotiné, le 29 mars 1944. Le livre est complété par des documents d’un grand intérêt : Un rapport dactylographié de son Inspecteur d’Académie, faisant part au Préfet de Maine et Loire de l’arrestation de Marius BRIANT et de deux autres de ses camarades instituteurs, René BROSSARD et Adrien TIGEOT ; tous qualifiés par le zélé fonctionnaire d’ « outlaws (sic !) qui vivent dans nos campagnes en marge de la Société et qui, entre autres méfaits, s’attaquent aux mairies pour se ravitailler ». Ou encore, la dernière lettre d’Adrien. Sur certaines photos tirées de l’album familial, on voit Marius BRIANT au milieu des camarades de sa promotion, avec sa famille et sa fiancée. D’autres clichés représentent le lieu de son martyr, un ancien hangar de la prison de Plötzensee, située dans le quartier de Charlottenburg à Berlin. Près de 3000 exécutions, par décapitation ou pendaison, y furent pratiquées. A.L. 12 Le 10 mai Le Collège Saint-Benoît de Champtoceaux a honoré Clément QUENTIN Notre ami Clément QUENTIN ayant témoigné de sa Résistance et de sa Déportation au collège Saint-Benoît de Champtoceaux, l’établissement a souhaité prolonger cette intervention par une manifestation en son honneur : elle a rassemblé un public nombreux dans le petit théâtre faisant face au collège. Outre celle de la directrice de l’établissement, Nathalie LEROY, des enseignants, des élèves et des représentants de l’AFMD 49, on note la présence d’Hervé de CHARETTE, ancien ministre, député et de Roger CHEVALIER, vice-président du Conseil généra, Jacques CHUPIN, ancien déportél. La cheville ouvrière de cet hommage était Sylvain FOLIOT, professeur d’Histoire, qui rend hommage à Clément en ces termes. Il y a 73 ans, éclatait en France, en Europe et un peu partout dans le monde, la Seconde Guerre Mondiale, la plus terrible guerre de l’Histoire de l’Humanité. Une guerre totale, industrielle, psychologique où chaque pays engagé a investi toute son énergie dans les combats qui opposaient les dictatures totalitaires aux démocraties. Dès l’année 1940, la l’Allemagne. Rares sont s’indignent et s’engagent QUENTIN, alors âgé de française. France s’incline et entre sur la voie de la collaboration avec les hommes et les femmes qui, comme le général de Gaulle, dans un mouvement de résistance à l’occupant. En 1942, Clément 22 ans, décide à son tour de grossir les rangs de la Résistance Etre résistant n’est pas un acte anodin ? Etre résistant, ce n’est pas simple, ce n’est pas facile. C’est se mettre en danger, et c’est mettre en danger sa famille. C’est se sacrifier pour la liberté des autres, c’est se sacrifier pour la France. Qui peut dire aujourd’hui « moi aussi, j’aurais été résistant si j’avais connu la guerre » ? Non ce n’est pas simple, pas simple du tout. Et c’est d’ailleurs pour cette raison que les résistants étaient fort peu nombreux, peut-être 2,5% de la population française. Les résistants étaient considérés comme des hors la loi, comme des terroristes, des criminels à arrêter et à exécuter ! Et nombreux sont les hommes et les femmes à avoir payé de leur vie leur engagement. A 22 ans Clément QUENTIN savait tout ça. Il avait mesuré tous ces risques. Mais l’appel du devoir fut le plus fort. Il m’a souvent dit en effet, avec simplicité et humilité, que son engagement dans la résistance n’avait rien d’extraordinaire, ni d’héroïque, car, je le cite « je n’ai fait que mon devoir ». Mais la personne qui, à la même époque, dénonçait son voisin à la milice ou à la gestapo, n’avait-elle pas la même sensation de « faire son devoir » ? Clément QUENTIN a eu le courage, la force et la farouche volonté de défendre les idéaux qui ont fait de la France un pays respecté dans le monde : la liberté, l’égalité et la solidarité. La liberté contre l’oppression du régime brutal nazi qui, parce qu’il avait peur que les gens réfléchissent par eux-mêmes, s’est mis à brûler des livres sur la place publique. L’égalité contre le racisme et l’antisémitisme du régime d’Adolf Hitler, qui a eu la folie de diviser les êtres humains en « race inférieure » et « race supérieure ». 13 Clément QUENTIN a fait preuve de discernement et de courage. Et ce qu’il considère de toute bonne foi comme allant de soi, est aujourd’hui perçu comme un acte héroïque. Et si, cher Clément, vous n’avez fait que votre devoir, le mien, et celui de tous les enseignants réunis ici, est de vous rendre hommage. Nous devons être des passeurs de mémoire et rappeler aux nouvelles générations, dont nous avons la charge, ici, au collège, que des femmes et des hommes comme vous, se sont battus pour que nous soyons tous libres aujourd’hui. Libres d’aller et venir, libres de voter, libres de s’exprimer, libres de vivre comme nous l’entendons. Cette liberté-là n’a pas de prix. Et nous y sommes tellement habitués que nous oublions à quel point cette liberté est sacrée. Je sais que vous n’êtes pas très à l’aise avec les compliments et votre modestie vous honore. Néanmoins, le temps de cette cérémonie, vous serez au centre des discours et de nos pensées, car aux yeux de beaucoup, vous êtes un modèle de vertu et de courage, car vous avez pris des décisions difficiles alors que le monde autour de vous tombait dans le chaos de la guerre, et que les gens souffraient des privations liées à l’Occupation. Mais votre histoire est d’autant plus forte que vous avez vécu ce qui pourrait ressembler aux yeux de nombreuses personnes à l’enfer. Les élèves ici présents le savent tous, vous avez eu l’occasion de longuement témoigner là-dessus en décembre dernier, vous avez été déporté dans un camp de concentration. Vous avez cru mourir à plusieurs reprises et pourtant vous êtes toujours là, devant nous, à tenir le même discours. Un discours de paix, de tolérance et de pardon. N’y a-t-il pas de plus beau message pour les adolescents ? Expliquer que la rancœur ne sert à rien et que le monde de demain pourra se construire sereinement sur des relations apaisées, des relations saines d’amitié et de respect mutuel est un discours qui doit être entendu, vous avez raison Clément. Tout à l’heure, nous irons planter un arbre de paix devant le collège, et chacun pourra voir en ce petit arbre un symbole de paix, de liberté et d’ouverture à l’autre. Cet arbre est chargé de symboles car nous sommes à l’heure où l’Europe continue de se construire et à l’heure où des travaux d’agrandissement du collège sont imminents. A mesure que l’arbre grandira dans la cour, ce seront vos idées, Clément, qui grandiront aussi dans le cœur des enfants et des adultes de cet établissement scolaire. Sylvain FOLIOT pendant son hommage à Clément QUENTIN 14 En conversation, de gauche à droite : Hervé de CHARETTE, ancien ministre, député, Nathalie LEROY, directrice du collège, Jean FRELAT, ancien FFI, membre du bureau de l’AFMD 49, Jacques CHUPIN, vice-président de l’AFMD 49, Clément QUENTIN et notre président Roger POITEVIN Sylvain FOLIOT interprète ensuite une chanson de sa composition en hommage à Clément QUENTIN. En voici les paroles. Monsieur QUENTIN Il fait partie de ceux qui ont refusé Il fait partie de ceux qui ont eu honte, Défendre ton honneur et ma liberté A 22 ans, tu sais, peu s’en rendent compte. Il ne peut plus faire demi-tour, Méprisé, humilié, torturé, La mort lui sourit tous les jours, Résister c’est vivre encore une journée. Des hommes qui claquent les talons nom, Sont venus un matin le chercher. Arrêté, il est enfermé dans une prison, Son calvaire vient juste de commencer. digéré, Lui faire baisser la tête, lui retirer son Lui faire baisser la tête, lui retirer son nom, Monsieur Quentin leur a dit non Monsieur Quentin leur a dit non L’aigle l’a broyé, mais ne l’a pas Aujourd’hui morts sont les fossoyeurs Pour lui, son devoir est de témoigner, Et ses paroles touchent mon cœur. (Refrain) Puis un chœur constitué par les professeurs entonne la chanson Le Partisan de Leonard Cohen. Des collégiens leur succèdent sur scène pour lire des poèmes de Déportés : Ecoute Maman, Fraternité j’ai oublié ton nom, L’appel, La faim, Fin du voyage, Le froid, Mon Dieu. 15 Sylvain FOLIOT, accompagné par des enseignants, interprète Le Partisan de Léonard Cohen Des élèves de la classe de Monsieur GRÉMILLON présentent ensuite au public les travaux d’arts plastiques qu’ils ont confectionnés, avec la volonté de suggérer l’évolution de l’ombre vers la lumière. La présentation des oeuvres de la classe d’Arts plastiques Roger CHEVALIER monte à la tribune pour exprimer son émotion au souvenir des héros de la Résistance et Hervé de CHARETTE prononce à son tour quelques mots par lesquels il remercie notamment les professeurs d’aider les jeunes à réfléchir sur les enseignements d’une Histoire récente. En réponse, Clément QUENTIN se déclare très touché par l’hommage qui lui est rendu ce jour tout en demandant qu’on ne le considère pas comme un être d’exception, mais seulement comme un patriote que les circonstances ont amené à faire un choix. Il rend un hommage particulier aux Résistants qui, contrairement à lui, avaient à l’époque charge de famille et n’ont pourtant pas hésité à risquer leur vie. Comme il le fait chaque fois lorsqu’il s’adresse à des jeunes, il les incite à la vigilance devant « la bête qui peut se réveiller ». Hélène CABRILLAC, en sa qualité d’ancienne institutrice dans une petite école rurale, félicite chaudement les professeurs et les élèves du collège pour la qualité de la manifestation. 16 L’assistance se rend ensuite devant le collège où a lieu la plantation d’un arbre de la Paix, devant lequel une plaque d’ardoise est apposée. Un jeune du collège dépose la première pelletée de terre au pied de l’arbre de la paix. La plaque d’ardoise Une exposition dans le centre de documentation permet au public de mieux apprécier l’ingéniosité des œuvres d’art plastique réalisées par les collégiens. Hervé de CHARETTE, Clément QUENTIN et son fils admirent les travaux des élèves 17 Histoire d’un déporté angevin, Maurice DUVEAU, par Claude GRIMAL, camarade de promotion de Maurice DUVEAU Maurice Duveau avait été admis en juillet 1939 à l’Ecole Normale d’instituteurs d’Angers. Pour ce fils d’un modeste cultivateur du nord des DeuxSèvres, c’était une promotion sociale. Deux mois après sa réussite au concours, la guerre avec l’Allemagne était déclarée. Quand Maurice Duveau aborda sa deuxième année d’études en octobre 1940, les armées allemandes avaient envahi la France, la République avait été remplacée par un régime autoritaire « l’Etat Français » dont une des premières mesures fut la suppression des Ecoles normales d’instituteurs. La promotion de Maurice Duveau serait la dernière, sa scolarité finirait avec moins d’études générales et davantage de stages. Cette situation ne pouvait laisser indifférents les normaliens et dans la promotion de Duveau un petit groupe de six, auquel il appartenait, prit l’habitude de se réunir pour commenter les évènements et déterminer l’attitude à adopter. A la rentrée de 1942, tous furent affectés dans des écoles du Maine-etLoire ; Maurice Duveau fut nommé adjoint à l’école de Doué-la-Fontaine. Trois des six membres du groupe de réflexion avaient alors décidé de passer à l’action : impression de journaux clandestins, attaque de mairies pour se procurer cachets, imprimés, tickets de rationnement, sabotages… Ils avaient rejoint le Front National, un organisme de résistance où les communistes étaient nombreux. Duveau ne les avait pas suivis mais il restait en relations étroites avec l’un d’eux Adrien Tigeot Quand la police française arrêta Adrien Tigeot le 7 juin 1943, elle trouva en perquisitionnant une lettre de Duveau et le 8 juin elle se rendit à l’école de Doué-laFontaine. Notons au passage le zèle de cette police où s’illustraient les inspecteurs Laurent, Cartier et Thomas. Les Allemands tenaient au calme en Anjou, car Angers, comme Dijon et Saint-Germain-en-Laye, abritait des services importants de l’armée d’occupation. La gestapo d’Angers contrôlait les départements du CentreOuest et il y avait des centres de commandement et de communications. Les Allemands comptaient sur la police française pour surveiller le département en collaboration avec la gestapo. Le Maine-etLoire était un département où la Résistance n’avait jamais rassemblé des effectifs considérables et cela pour des raisons géographiques, sociologiques et politiques, comme le montre Marc Bergère, un chercheur de l’Université de Rennes (Bulletin des Archives d’Anjou, année 2002). Donc le 8 juin, l’inspecteur Laurent arrête Maurice Duveau, fouille sa chambre où sont découverts des tracts du Front National : « Paysans patriotes », « Chassons les Boches » et la correspondance avec Tigeot. Le soir même commence l’interrogatoire et comme Front National et Parti communiste sont associés dans l’esprit des policiers, la première question sera « Etes-vous communiste » ? Réponse « Non ». Etes vous sympathisant du Parti communiste ? Nouvelle négation. On lui présente alors la correspondance avec Adrien Tigeot L’interrogatoire se poursuit jusqu’à 0 heures 15 (Archives de la Police, dossier 4216). Dans la nuit du 8 au 9 juin, Duveau est placé en garde à vue, 18 il sera incarcéré le 9 juin à la prison d’Angers. Dès ce mercredi 9 juin, l’intendant de police s’empresse de signaler au préfet de région « l’arrestation de Maurice Duveau, né le 6 avril 1922 à Pas de Jeu, Deux-Sèvres, pour menées communistes ». Le 3 juillet 1943, c’est au tour du commandant de la 9ème région de Gendarmerie résidant à Tours, de signaler dans un rapport « une cellule communiste serait en voie de constitution à Doué-laFontaine, un instituteur a été arrêté par la Section spéciale de la Police judiciaire le 8 juin ». Les dossiers des Renseignements Généraux mentionnent à la même époque l’arrestation de Duveau. La police française va livrer Duveau aux « collègues » allemands le 27 juin. Maurice Duveau est transféré au Frontstalag 122 à Compiègne. Le 1 er novembre 1943, il écrit à ses parents qu’il va être envoyé en Allemagne dans un camp mais il reste très optimiste car « il a de bons copains ». Il ira à Buchenwald puis Dora. Plus de nouvelles. En mai 1945, de passage à Angers, un déporté libéré dira « Duveau est mort ». Un témoin des derniers moments donnera des précisions : « Le 5 avril 1945, lors de l’évacuation de Dora, Maurice était en excellente (?) santé et avait un moral de fer. Nous fûmes entassés à raison de 100 par wagon dans un train de marchandises. Les deux premiers jours se passèrent sans incidents. Dans le Harz, nous dûmes quitter le train et nous avons fait alors un trajet de 40 kilomètres à pied. Le 10 avril, je vis sortir Maurice de son wagon soutenu par deux camarades. « Maurice a perdu la raison », me dit l’un d’eux. Dans la nuit du 10 au 11 avril, il fut abattu par les S.S. Son corps a été incinéré le 14 avril 1945 au camp de Ravensbrück ». Terrible épreuve que l’évacuation du camp commencée le 18 janvier 1945 par le départ de 38.000 déportés du camp d’Auschwitz ! En 2009, la traduction d’un livre de Daniel Blatman Les marches de la mort a été publiée par l’éditeur Fayard. L’auteur écrit « En comparaison l’Enfer de Dante était un paradis ». Une école de Doué-la-Fontaine et la rue qui y conduit portent le nom de Maurice Duveau. Les grands camps de concentration et d’extermination nazis 16. MAÏDANEK par Alain LIEUTAUD De même qu’Auschwitz, Maïdanek est un camp mixte, à la fois camp de concentration et d’extermination. Il se trouve près de la ville polonaise de Lublin. Non loin, au nord-est, se situent Sobibor, au sud-est, Belzec. A l’origine, les SS ont pour ambition d’édifier là un camp géant de plus de 500 Blocks dont le plan reprend celui de Dachau. La construction commence à l’hiver 1941 : des dizaines de milliers d’hommes y sont employés dans des conditions inhumaines, surtout des Polonais et des Juifs capturés pendant l’attaque allemande de 1939 contre la Pologne. Ils sont rejoints par la suite par des prisonniers de guerre et des civils russes, puis par des détenus politiques tchèques, polonais, slovaques. En mai 1942, le camp est en mesure d’accueillir 40.000 déportés et couvre une superficie de 273 hectares Il reçoit alors de nombreux juifs venus des ghettos de Lublin et des environs, puis des déportés arrivés de Tchécoslovaquie, 19 d’Allemagne, d’Ukraine, des Juifs du ghetto de Varsovie, des Français, des Italiens, des Hollandais, des Grecs, etc. Au total, des détenus venus de toute l’Europe occupée. La garnison est composée de SS et d’auxiliaires de la Kampfpolizei, équipés de 200 chiens-loups. On retrouve à Maïdanek la sélection destinée à faire le tri entre les personnes incapables de travailler, qui sont rapidement mises à mort, et celles dont la force de travail sera exploitée pour un temps. Les sévices sont innombrables. Tout d’abord, par la privation de la maigre pitance sous le moindre prétexte. La plupart des malheureux semblaient être des squelettes couverts de peau, ou encore étaient anormalement obèses par suite d’oedèmes et de gonflements provoqués par la faim, écrit un ancien détenu. Ensuite par l’utilisation de divers supplices, le plus fréquent consistant à suspendre les prisonniers par leurs mains attachées dans le dos. Il y a aussi l’exposition au froid pendant des heures, l’obligation faite à des hommes déjà épuisés d’effectuer des mouvements de gymnastique. Un des « amusements » favoris des SS est décrit par Constantin SIMONOV dans son livre « Maïdanek, un camp d’extermination » : l’amusement entraînait inévitablement la mort de celui aux dépens duquel on s’y livrait. Avant de le tuer, on l’amenait devant une essoreuse luisante de blancheur et on l’obligeait à glisser le bout des doigts entre les deux rouleaux de caoutchouc destinés à tordre le linge. Puis l’un des SS tournait la manivelle de l’essoreuse. Le bras de la victime était happé jusqu’au coude ou l’épaule par la machine. Les cris du supplicié étaient le principal plaisir des SS. Devenu inapte au travail, la victime était achevée. Des exterminations à grande échelle ont également été menées dans ce camp : pendaisons, fusillades de masse qui touchent notamment des prisonniers de guerre soviétiques ou polonais, des détenus du camp ou des civils venus de l’extérieur : en une seule journée, baptisée cyniquement par les SS « fête de la moisson », le 3 novembre 1943, plus de 18.000 personnes sont abattues. Le gazage est aussi un moyen d’élimination de milliers de déportés. Il s’effectue dans un fourgon ou dans les 6 chambres à gaz qui permettent de tuer près de 2000 personnes par jour. Le monoxyde de carbone et le Zyklon B sont utilisés. Les corps sont enfouis dans d’immenses fosses communes, puis exhumés pour être brûlés dans un vaste four à cinq fourneaux. Détail horrible : pour pouvoir placer davantage de corps dans chaque foyer, les membres des cadavres sont coupés à la hache. Les fours crématoires étant bientôt saturés, des bûchers sont installés dans une forêt voisine. Les cendres et les ossements, concassés sont enterrés dans des fosses ou mélangés à du fumier, constituant un « engrais ». En juillet 1944, les 17.000 déportés survivants sont évacués, principalement sur Auschwitz. L’Armée Rouge ne trouve sur place que quelques dizaines de Russes et de vastes entrepôts contenant les dépouilles des victimes : des milliers de valises, de vêtements, de chaussures, de lunettes, de peignes, de ciseaux, etc. Fautes de documents, il est impossible de chiffrer avec précision le nombre total de victimes de Maïdanek : les évaluations vont de 400.000 à 1.300.000, dont au moins 4000 Français. Dépôt légal : Août 2012 20