PRÉ-ACTES au 22 juin 2014 Université Panthéon-Sorbonne et Centre Malher SOMMAIRE DES PRÉ-ACTES DU COLLOQUE Ateliers................................................................................................................. 4 Matt Swagler. Qui définit « la jeunesse »? Les étudiants et la politique des organisations de jeunesse au Congo-Brazzaville, 1963 à 1968 ........................................................................................................................ 64 Liste des 27 communications par liste alphabétique ......................... 7 Malika Rahal. 1968-1971 en Algérie. Contestation étudiante, parti unique et enthousiasme révolutionnaire ................................................... 73 Comité scientifique et d’organisation....................................................... 8 Atelier 3 : Connexions, circulations .......................................................... 74 JEUDI 3 JUILLET ................................................................................................ 9 Nicolas Bancel et Thomas Riot. Une étude comparée de la mobilisation des jeunesses catholiques scolarisées dans les décolonisations africaines : les cas du Rwanda et de l’ancienne AOF entre 1945 et 1970 .............................................................................................. 74 I – ANNÉES 1960-1980 : LE TEMPS DES RÉVOLUTIONS ? ................... 9 Atelier 1 : Les années 68 au prisme des étudiants africains. Subjectivation et transformations sociales .............................................. 9 Burleigh Hendrickson. Student Activism and the Birth of the Tunisian Human Rights Movement ................................................................. 9 Ophélie Rillon. Révolution dans le genre au Mali. L’émergence de la figure de l’étudiante contestataire dans les mouvements de la fin des années 1970 .................................................................................................... 21 Didier Monciaud. Les étudiants sont revenus ( »)رجعوا ال ت المذة: le “68” égyptien, année de protestation et de rupture ............................... 32 Irène Rabenoro. De l’espoir d’une “Ecole nouvelle” en Mai-1972 à Madagascar au désespoir actuel des étudiants ........................................ 33 Morgan Corriou. Cinéphilie et engagement estudiantin en Tunisie sous Bourguiba ...................................................................................................... 50 Klaas van Walraven. The Struggle of Sawaba in Niger and its Students in Eastern Europe, 1958-1969..................................................... 81 Françoise Blum. De la FEANF et du mouvement étudiant en diaspora .................................................................................................................... 82 Pedro Monaville. Lumumba, Mobutu, et Mao: Une “histoire globale” du mouvement étudiant congolais ................................................................ 91 VENDREDI 4 JUILLET.................................................................................... 93 Atelier 4 : Les voies de la radicalisation ................................................. 93 Pierre Guidi. « Éradiquons les voleurs ! » : les élèves de l'école secondaire du Wolaita contre les élites locales (Éthiopie, 1970)..... 93 Bibliographie .......................................................................................................... 51 Pauline Bernard. De l'université au maquis : les militants étudiants engagés dans la guérilla pendant la guerre civile de 1981-1986 en Ouganda.................................................................................................................... 95 Atelier 2 : Autonomisation des mouvements étudiants ? Entre engagement syndical et partisan ............................................................. 52 Mohamed Dhifallah. Radicalisation du mouvement étudiant tunisien : Du gauchisme à l’islamisme (1963-1980) .......................... 107 Héloïse Kiriakou. L’engagement politique des jeunes congolais à l’aube de la révolution d’août 1963............................................................... 52 Sofiane Boudhiba. De l’universite a la rue : le rôle des étudiants tunisiens dans la révolution du jasmin ..................................................... 116 Hughes Morell Meliki. Registres contestataires estudiantins et inflexion du socle politique post-autoritaire au Cameroun ............. 206 Atelier 5 : Le syndicalisme étudiant comme outil de légitimation ...........................................................................................................................123 Tatiana Smirnova. Idées de la “nouvelle gestion publique” dans l’enseignement supérieur au Niger : entre la promotion des valeurs “démocratiques” et héritage du mode opératoire des régimes autoritaires........................................................................................................... 219 Assani Adjagbe, Abdoulaye Bamba et André Dominique Yapi Yapi. La Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI) : laboratoire d’une élite politique 1990-2010? ........................................ 124 Anna Deutschmann. From mobilization to institutionalization? Students’ political activism in Mali and Kenya ...................................... 135 Olivier Provini. L’étude des mouvements étudiants comme grille de lecture de l’action publique : appréhender le non-changement par l’action collective. Le cas des mouvements étudiants des universités du Burundi et de Dar es Salaam .................................................................. 220 Joseph Koffi Nutefé Tsigbe. Les contestations étudiantes à l’université de Lomé : entre politisation, radicalisation et négociation (1990-2010) ............................................................................... 144 En guise de conclusion. ............................................................................ 241 Atelier 6 : Que faire ? Désillusions, basculements et adaptations du syndicalisme étudiant ................................................................................165 Pascal Bianchini. Les trois âges du mouvement étudiant dans les pays d’Afrique subsaharienne francophone........................................... 241 Jacinthe Mazzochetti. Les étudiants burkinabè au tournant du XXIe siècle. Entre luttes et compromissions, réussir sa vie ........................ 165 Table des matières .................................................................................... 266 Hanna Cleaver. ‘Becoming a True Activist’ Student Activism in Burkina Faso ........................................................................................................ 167 Claude Mbowou. Dans la boîte noire d’un mouvement étudiant en contexte autoritaire. L’apprentissage contestataire au sein d’un mouvement étudiant au Cameroun............................................................ 183 Mamadou Dimé. Entre syndicalisme alimentaire et stratégie protestataire. Abdoulaye Wade et les étudiants : du héros adulé au patriarche déchu ................................................................................................ 185 SAMEDI 5 JUILLET .......................................................................................206 Atelier 7 : Contributions des étudiants aux reconfigurations de l’action publique...........................................................................................206 Les Afriques dans le Monde, ......................................................................... 220 Ateliers JEUDI 3 JUILLET I – ANNÉES 1960-1980 : LE TEMPS DES RÉVOLUTIONS ? Après-midi sous la Présidence de Françoise Raison Matinée sous la Présidence de Klaas van Walraven et Sylvie Thénault Atelier 2 : Autonomisation des mouvements étudiants ? Entre engagement syndical et partisan 14h00-15h00 : Histoire des luttes étudiantes au Congo-Brazzaville (1955-1974) : Héloïse Kiriakou Qui définit la jeunesse ? Les étudiants et la politique des organisations de jeunesse au Congo-Brazzaville : Matt Swagler 1968 en Algérie. Contestation étudiante, parti unique et enthousiasme révolutionnaire : Malika Rahal Atelier 1 : Les années 68 au prisme des étudiants africains. Subjectivation et transformations sociales 9h30-10h30 : Student activism and the Birth of The Tunisian Human Rights Movement: Burleigh Hendrickson Révolution dans le genre au Mali : émergence de la figure de l’étudiante contestataire dans les mouvements de la fin des années 1970 : Ophélie Rillon Les étudiants sont revenus : le “68” égyptien, année de protestation et de rupture : Didier Monciaud 10h45-11h30 : De l’espoir d’une « école nouvelle » en mai 72 à Madagascar: Irène Rabenoro Cinéphilie et engagement estudiantin en Tunisie sous Bourguiba : Morgan Corriou Atelier 3 : Connexions, circulations 15h45-17h : Une étude comparée de la mobilisation des jeunesses catholiques scolarisées dans les décolonisations africaines : le cas du Rwanda et de l’ancienne AOF entre 1945 et 1970 : Nicolas Bancel et Thomas Riot The Struggle of Sawaba in Niger and its Students in Eastern Europe, 1958-1969: Klaas Van Walraven De la FEANF et des mouvements étudiants en diaspora : Françoise Blum Lumumba, Mobutu et Mao : une « histoire globale » du mouvement congolais : Pedro Monaville VENDREDI 4 JUILLET II – ANNÉES 1990 2010 : LE TEMPS DES AJUSTEMENTS Matinée sous la Présidence de Souleymane Bachir Diagne et Malika Rahal Atelier 4 : Les voies de la radicalisation 9h30-10h15 : « Éradiquons les voleurs » : les élèves de l’école secondaire du Wolaita contre les élites locales (Éthiopie, 1970) : Pierre Guidi De l’université au maquis : trajectoires militantes d’étudiants pendant la guerre civile ougandaise de 1981-1986 : Pauline Bernard Après-midi sous la Présidence de Richard Banégas et Pierre Boilley 10h30-11h15 : Radicalisation du mouvement étudiant 1968-1972 : Mohammed Dhifallah De l’université à la rue : le rôle des étudiants tunisiens dans la révolution de Jasmin : Sofiane Boudhiba Atelier 5 : Le syndicalisme étudiant comme outil de légitimation 14h-14h45 : La Fédération étudiante et scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI) : Assani Adjagbe, Abdoulaye Bamba et André Dominique Yapi Yapi From Mobilization to institutionalization? Students political activism in Mali and Kenya: Anna Deutschmann Les contestations estudiantines à l’Université de Lomé, de la radicalisation à la négociation : enjeux et conséquence (2004-2011) : Joseph Koffi Nutefé Tsigbe Atelier 6 : Que faire ? Désillusions, basculements et adaptations du syndicalisme étudiant 15h30-16h30 : Les étudiants burkinabè au tournant du XXIe siècle. Entre luttes et compromissions, réussir sa vie : Jacinthe Mazzochetti Becoming a true Activist: Student- Activism in Burkina Faso : Hanna Cleaver Dans la boîte noire d’un mouvement contestataire : Claude Mbowou Entre syndicalisme alimentaire et stratégie protestataire. Abdoulaye Wade et les étudiants sénégalais : Mamadou Dimé SAMEDI 5 JUILLET Matinée sous la Présidence de Mamadou Diouf Atelier 7 : Contributions des étudiants aux reconfigurations de l’action publique 9h30-10h30 : Registres contestataires estudiantins et inflexion du socle politique post-autoritaire au Cameroun : Hughes Morell Meliki Comment la contestation des élèves et des étudiants au Niger alimente l’agenda de l’enseignement supérieur : entre promotion des valeurs « démocratiques » et héritages des régimes autoritaires : Tatiana Smirnova L’étude des mouvements étudiants comme grille de l’action publique : le cas des mouvements étudiants de l’université du Burundi mis en comparaison avec les universités de Daar-Es-Salaam et de Nairobi : Olivier Provini 11h15-11h45 : En guise de conclusion par Pascal Bianchini : Les Trois âges du mouvement étudiant Liste des 27 communications par liste alphabétique Jacinthe Mazzochetti (Université de Louvain) Assani Adjagbe (Université Paris 1), Abdoulaye Bamba (Université Félix Houphouët-Boigny) et André Dominique Yapi Yapi (Université Félix Houphouët-Boigny) Claude Mbowou (Université Paris 1) Nicolas Bancel (Université de Lausanne) et Thomas Riot (Université de Strasbourg) Pedro Monaville (Michigan University) Pauline Bernard (Institut des Mondes Africains, IFRA-Nairobi, Université Aix-Marseille) Olivier Provini (Les Afriques dans le Monde, Université de Pau et des Pays de l'Adour) Pascal Bianchini (CESSMA, Université Paris7)* Irène Rabenoro (Université d’Antanarivo) Françoise Blum (Centre d’Histoire Sociale du XXe siècle, CNRS)* Malika Rahal (Institut d’Histoire du Temps Présent, CNRS) Sofiane Boudhiba (Université de Tunis) Ophélie Rillon (Institut des Mondes africains, Université Paris1)* Hanna Cleaver (University of Copenhagen) Tatiana Smirnova (Centre Norbert Elias/Ehess-Marseille)* Morgan Corriou (Bibliothèque nationale de France) Matt Swagler (Columbia University) Anna Deutschmann (Bayreuth International Graduate School of African Studies) Joseph Koffi Nutefé Tsigbe (Université de Lomé) Mohamed Dhifallah (Université de Tunis) Mamadou Dimé (Université Gaston Berger) Pierre Guidi (Institut des Mondes Africains, Université Paris 1)* Burleigh Hendrickson (Northeastern University) Héloïse Kiriakou (Institut des Mondes Africains, Université Paris1) Hughes Morell Meliki (Université Yaoundé I) Didier Monciaud (Gremamo, Université Paris7) Klaas van Walraven (African Studies Center, Leiden University) Comité scientifique et d’organisation (* désigne les membres du comité d’organisation) Richard Banégas (CERI-Sciences Po) Pascal Bianchini (CESSMA/Université Paris7) Françoise Blum (CHS/CNRS)* Pierre Boilley (Imaf/Paris1) Jean-Pierre Chrétien (Imaf/Université Paris 1) Lila Chouli (Chaire sud-africaine d’études sur les changements sociaux/UJ)* Souleymane Bachir Diagne (Columbia University) Mamadou Diouf (Columbia University) Omar Gueye (Université Cheikh Anta Diop, Dakar) Pierre Guidi (Imaf)* Jean-Philippe Legois (Cité des mémoires étudiantes)* Marina Marchal (Cité des mémoires étudiantes)* Elikia M’Bokolo (Ceaf/EHESS) Robi Morder (Germe) Cindy Morillas (LAM/Sciences Po Bordeaux)* Michel Pigenet (CHS) Malika Rahal (IHTP) Faranirina Rajaonah (CESSMA/Paris7) Françoise Raison (CESSMA/Paris7) Ophélie Rillon (Imaf)* Tatiana Smirnova (Centre Norbert Elias/Ehess-Marseille)* Klaas van Walraven (African Studies Centre Leiden) Patrice Yengo (Université Marien N’Gouabi Brazzaville) Leo Zeilig (Chaire sud-africaine d’études sur les changements sociaux/UJ) JEUDI 3 JUILLET I – ANNÉES 1960-1980 : LE TEMPS DES RÉVOLUTIONS ? Matinée sous la Présidence de Klaas van Walraven et Sylvie Thénault (Centre d’histoire sociale du XXe siècle, CNRS) Atelier 1 : Les années 68 au prisme des étudiants africains. Subjectivation et transformations sociales 9h30-10h30 : Student activism and the Birth of The Tunisian Human Rights Movement: Burleigh Hendrickson Révolution dans le genre au Mali : émergence de la figure de l’étudiante contestataire dans les mouvements de la fin des années 1970 : Ophélie Rillon Les étudiants sont revenus : le “68” égyptien, année de protestation et de rupture : Didier Monciaud 10h45-11h30 : De l’espoir d’une « école nouvelle » en mai 72 à Madagascar: Irène Rabenoro Cinéphilie et engagement estudiantin en Tunisie sous Bourguiba : Morgan Corriou BURLEIGH HENDRICKSON. STUDENT ACTIVISM AND THE BIRTH OF THE TUNISIAN HUMAN RIGHTS MOVEMENT Northeastern University, Post-doctoral Fellow, Department of History, Boston College Before France's Mai 68, Tunisians held their own series of lesser-known protests at the University of Tunis. Though the movement was rooted in a local context, centered on the goal of liberating imprisoned student leaders, it held several international dimensions and developed into a transnational movement. In June 1967, a group of Tunisian students organized a protest against Tunisia's failure to denounce the West's pro-Israel stance in the ArabIsraeli conflict, and student leader Mohamed Ben Jennet was scapegoated with 20 years of hard labor. His harsh sentencing set off university protests and elicited even stronger state responses and new demands by students for increased human rights. I trace the genealogy of the Tunisian human rights movement that developed directly out of the Tunisian student movement of the late 1960s, and argue that this played a critical role during intense moments of student and worker activism throughout the 1970s. This period of heightened youth activism and state brutality is particularly important to recall in the wake of recent hagiographic recollections of Bourguiba when compared to the ousted Ben Ali. The history of student movements is also a history of statesociety relations, one in which this dialectic transformed the nature of student movements and, in turn, of national politics. Perhaps no case of transformative state-society relations was more evident than in Tunisia. For the first time since Tunisian national independence in 1956, students in 1968 articulated alternative goals for the nation outside of the dominant Bourguibist narrative. When Tunisian authorities arrested key activist Simone Lellouche Othmani in February 1972, students reactivated the 1968 movement and demanded her release, along with a number of additional human rights claims. This second wave of student activism in February 1972 constituted what many Tunisian participants refer to as "Tunisia's Mai 68" in the sense that it was the most widespread student protest in Tunisia's young history. While Tunisian workers' unions often criticized these early anti-authoritarian student movements and sided with the Bourguiba administration, they eventually drew on many of the same slogans in their own movement in 1978. And though not as far-reaching as the Mai 68 of France or Senegal, the Tunisian student movements of the 1960s and early 1970s gave way to important transnational human rights activism targeting injustices committed by the Bourguiba regime, and ultimately led to the creation of the first Tunisian-based human rights organization in 1976 and the first Amnesty International section in the region in 1981. TUNISIAN STUDENT ACTIVISM Tunisian university students have a strong history of activism dating to the independence movement of the 1930s. Indeed, early in his political career, Habib Bourguiba recognized the importance of students in politics. He reached out to the Association of Muslim North African Students (AEMNA) in France in 1937 to ask for support in Tunisia's battle against French colonial power.1 Mohamed Dhifallah has argued that students remained an important ally to the Bourguiba regime after independence in 1956, and that Bourguiba continued to make significant efforts to reach out to Tunisian university students, particularly after the creation of the University of Tunis in 1960.2 It was not until the early 1960s, when Bourguiba dissolved the Tunisian Communist Party and seized its journal, that he faced his first real challenge from student groups. In large part a response to this attack on Tunisian communists, a Paris-based group of Tunisian intellectuals and students formed to comment on national issues such as agricultural reform, the tourism industry, and Tunisian foreign policy. The Groupe d’études et d’action socialiste (GEAST), created in 1963, initially centered its activity on its underground publication, Perspectives tunisiennes, and group members were eventually referred to as "Perspectives." In 1964, Perspectives relocated its headquarters from Paris to Tunis and, by 1967, the journal had transformed into a political organ challenging government positions. Its famed “La Question Palestinienne” became known widely in Tunisian university circles as the brochure jaune, which advocated a two-state solution and attacked the Bourguiba regime for failing to denounce what it deemed as Israeli aggression.3 Perspectives took its criticism to the streets during the Arab-Israeli war of June 1967 when it organized protests outside of the British and American embassies in Tunis. Despite Perspectives' non-violent stance, the protests drew large crowds from neighboring areas of the city and ended with vandalism targeted at Synagogues and Jewish-owned shops. In the aftermath of this volatile situation, the Mohamed Dhifallah, “Bourguiba et les étudiants: Stratégie en mutation (1956– 1971),” in Habib Bourguiba: La trace et l’héritage, ed. Michel Camau and Vincent Geisser (Paris: Éditions Karthala, 2004), 313-324. 3 “La question palestinienne dans ses rapports avec le développement de la lutte révolutionnaire en Tunisie,” Perspectives Tunisiennes, brochure no. 2 (February 1968). 2 Habib Belaïd, "Bourguiba et la vie associative pendant la période coloniale et après l'indépendance," in Habib Bourguiba: La trace et l’héritage, ed. by Michel Camau and Vincent Geisser (Paris: Editions Karthala, 2004), 330. 1 Bourguiba regime selected Tunisian university student and Perspectives' member Mohamed Ben Jennet as scapegoat for the destruction.4 The pronouncement of his sentencing to 20 years of hard labor in March 1968 elicited a series of university-wide student strikes that pushed the regime to close the campus in Tunis and dole out equally harsh punishments to March 1968 protestors. Indeed Bourguiba created a Special Court to try the over 134 detained in relation to the March events, and ultimately convicted over 80 protesters for crimes against the state in September 1968.5 Among the detained was Perspectivist Ahmed Ben Othmani, who had studied in Paris in the 1960s and established a relationship with Michel Foucault while he was a visiting Professor in the Philosophy Department at the University of Tunis from 1966 to 1968. Foucault even allowed Othmani to hide out in his Sidi Bou Saïd residence when Othmani was evading police in 1967.6 In spite of his relationship with prominent intellectuals like Foucault, Othmani nonetheless received a prison sentence of 16 years, while his partner and future wife, Simone Lellouche Othmani, was exiled to France after Ben Jennet was a theology student at the Zitouna University at the time of his arrest. According to Sophie Bessis, it is highly unlikely that Ben Jennet or other Perspectives members advocated the anti-Semitic violence, especially since a substantial number of Jews belonged to the group. Some have even charged that this was conducted by militia forces under the direction of the regime itself to create a pretext for repressing oppositional groups like Perspectives. See Bessis, “‘Perspectives’: l’effervescence tunisienne des années 1960,” in 1968: Une histoire collective, ed. Philippe Artières and Michelle Zancarini-Fournel (Paris: La Découverte, 2008), 122; and Interview with Simone Lellouche Othmani, Paris, 2011. For an overview of Tunisian radical left politics during this period, see also Abd al-Jalil Buqura, Harakat Afaq min Tarikh alYasar al-Tunisi (Tunis: CERES, 1993). 5 See Dhifallah, “Bourguiba et les étudiants," 321. 6 Ahmed Othmani with Sophie Bessis, Beyond Prison: The Fight to Reform Prison Systems around the World, trans. Marguerite Garling (New York: Berghahn Books, 2008), 8. the March events. Perspectives was not the only group to face the wrath of the Tunisian authorities, as Communists and Ba'athists were also cited as threats to the state and the nation in propaganda published by the lone officially recognized Socialist Destourian Party (PSD).7 This muscular reaction by the Bourguiba administration may have temporarily crushed the student movement, but it also gave birth to a robust and transnational human rights movement that Tunisian activists launched from Paris.8 After a contentious period between students and administration following the March strikes, the University of Tunis erupted again in February 1972 shortly after activist Simone Lellouche Othmani was arrested upon her return from exile in Paris. Authorities informed her that she had been convicted in absentia for crimes perpetrated during the March 1968 events. However, she was allowed her to return in 1970 to marry fellow activist Ahmed Othmani without incident, and detained and released in April 1971 with no indication of the pending sentence.9 Lellouche Othmani's release coincided with a crisis at the Congress of the lone government-recognized national student union (UGET), when the regime intervened in August 1971 to 4 Parti Socialiste Destourien, La vérité sur la subversion à l’université de Tunis (Tunis: Parti Socialiste Destourien, 1968). 8 I treat the transnational connections between Tunis and Paris at length in "March 1968: Practicing Transnational Activism from Tunis to Paris," International Journal of Middle East Studies 44:04 (2012): 755-774. 9 Lellouche wrote to the ambassador of France describing her consternation upon hearing through the press the news of her prison sentence of five and a half years, after having been expelled by the Tunisian police in April 1968. Letter from Simone Lellouche to the Ambassador of France in Tunisia, undated, in Fonds Simone Lellouche et Ahmed Othmani, SOL 28; BDIC, Nanterre. For a detailed discussion of the events surrounding February 1972, see Burleigh Hendrickson, "Imperial Fragments and Transnational Activism: 1968(s) in Tunisia, France, and Senegal," (PhD diss., Northeastern University, 2014): 193-226. 7 prevent a coalition of Progressives from taking leadership from Bourguiba's supporters in the PSD.10 The PSD's increased interference in the national student union led many students to demand autonomy and the creation of alternate extra-legal organizations, and to petition for the removal of the single-party state in university affairs. After the repression of 1968, the PSD's influence in UGET waned significantly, and Bourguiba supporters were on the verge of losing control of UGET executive offices. When it became clear that Progressives held the majority at the Korba Congress, the PSD helped to orchestrate a coup of the elections to place its own partisans in positions of student leadership. Lellouche Othmani was put on trial on 1 February 1972 and received a suspended sentence of two years. This proved to be the last straw for students after the Korba crisis. The massive protests that followed the announcement of her verdict led to what she later deemed, “the first democratic movement in Tunisia on a national level,” albeit with “the university as its point of departure and a provisional student organization that was only established for the student masses, and whose existence was constantly contested by the authorities.”11 News of her verdict sparked protests in which over 4,000 students at various colleges at the University of Tunis went on strike. The February movement—viewed by many Tunisian activists as Tunisia’s equivalent to France’s May 1968—included larger Destourians within the national student union staged a coup at the Korba Congress of 1971 once they realized they had lost elections. Participants recalled the details of the February movement and the Korba Congress at a conference hosted by the Tunisian National Archives: Le Congrès extraordinaire de l’UGET de février 1972, quarante année après, Tunis 6-7 February 2012. See also interview with Simone Lellouche Othmani, Paris, 2011. 11 Letter from Simone Lellouche Othmani to M. Claude Jullien of Monde Diplomatique, dated Paris 3 December 1977, in Fonds Othmani, SOL 29; BDIC, Nanterre. 10 numbers than Tunisia’s March 1968 as it quickly spread to high schools and even beyond Tunis, again leading the regime to close down the University.12 This time, students called for the liberation of Simone and Ahmed Ben Othmani, and held their own extraordinary Congress during the February 1972 strikes to demand a more democratic student union.13 As with Ben Jennet before, a Committee For the Liberation of Ahmed Ben Othmani was created, and students called for his release throughout the February movement. Compared to March 1968, students made fewer references to Palestine or Vietnam, and focused mainly on Ben Othmani’s liberation, for freely elected student representation, and for freedom of expression.14 It is worth noting that student wing of the defunct Tunisian Communist Party did not participate in or denounce the university strikes. Where the March movement began as a general anti-imperialist protest and ended with narrower goals of liberating Ben Jennet and company, February 1972 took the reverse order in that it was set off as a liberation movement and grew to a national democratic one. Much of For a comparison of Tunisia’s February 1972 to France’s May 1968, see “Une Tunisiene citoyenne des deux rives,” 47. Here Lellouche Othmani describes both as “spontaneous” movements “that completely transcended the realm of political parties and organizations, whether recognized or clandestine.” The Tunisian minister of National Education, Mohamed Mzali, announced closures of the universities of Tunis until September 1972 through the press. L’Action, February 8, 1972. 13 Simone was expelled to France for a second time on 5 February 1972. Ahmed Ben Othmani was re-arrested in April 1971 for allegedly having edited works published in a Perspectives journal, El Amel Tounsi (The Tunisian Worker), and remained in prison without trial at the time of Simone’s expulsion. Some editions were also published in French as Le Travailleur tunisien. Amel Tounsi later became the name of a Perspectives splinter group also known as the Organisation du travailleur tunisien in 1973, which created a new series of El Amel Tounsi, and gave birth to the current Parti ouvrier des communistes de Tunisie (POCT, or Tunsian Communist Workers’ Party), headed by former Perspectives member Hamma Hammami. 14 See “Tunisie: une université en grève et...un ministre raciste,” Politique-Hebdo 15 (10 February 1972). 12 the global anti-imperialism that accompanied calls to liberate Ben Jennet in 1968 had been replaced, by 1972, with more circumspect objectives on the national level. HUMAN RIGHTS AS A RESPONSE TO REPRESSION While the 1968 and 1972 student movements resulted in relatively few gains in comparison to similar activity in places like France and Senegal, they did lead to the birth of the Tunisian human rights movement. Following the heavy-handed verdicts of the September trials, the 1968 Committee to liberate Ben Jennet morphed into a broader International Committee for the Protection of Human Rights (CISDHT), a Franco-Tunisian group based in Paris advocating for incarcerated and detained Tunisian political activists. Consisting of such prominent figures as attorney Marcel Manville, CISDHT undertook a series of efforts to alert the international public to the situation in Tunis, advocated for the rights of prisoners and assisted in providing legal support. When reports of torture surfaced, it was CISDHT that reached out to French media outlets to put international pressure on the Bourguiba regime regarding prisoners' rights.15 Though their efforts to obtain short-term goals such as due process only saw limited success, CISDHT members created an infrastructure for transnational human rights activism that would be mobilized in future movements. The media campaign led to collaboration with the Paris-based and first international human rights organization, the International Federation for Human Rights (FIDH), which wrote a letter to Bourguiba in September 1968 denouncing the torture of prisoners. “Lettre ouverte de la Fédération Internationale des Drois de l’Homme au Président Bourguiba,” signed and dated by General Secretary Suzanne Collette-Kahn, Paris, 13 September 1968, published in Tribune Progressiste 5 (December 1968). 15 With its original purpose to defend those convicted in 1968, CISDHT was forced to evaluate if it had the means and desire to also defend prisoners arrested following the protests of February 1972. Simone Lellouche Othmani noted that CISDHT’s role was no longer clear following the release of many of the prisoners. “We were seeking liberation [and] it was not a question of overthrowing the government. It was not a question of engaging directly in politics.”16 As another CISDHT member put it, “[i]n the absence of a clear political line for defending victims, we have oscillated between opportunism, dogmatism, and sectarianism. This has often led us to a halt in action within the committee. All of the difficulties we’ve faced came from confusion between defense of democracy and a political program. ”17 When Bourguiba's February 1972 crackdown created another need for the protection of Tunisian activists, a new Paris-based group, the Tunisian Committee of Information and Defense of the Victims of Repression (Comité tunisien d’information et de défense des victimes de la répression [CTIDVR]), surfaced. Made up exclusively of Tunisians, some CTIDVR members were holdovers from CISDHT. They joined CTIDVR to narrow (i.e., nationalize) the group to Tunisian efforts for Tunisian human rights causes. CISDHT was further divided regarding the polarizing PSD minister Ahmed Ben Salah, whose failed collectivization policies divided his supporters in the Tunisian Communist Party and the more critical radical left. Ben Salah eventually met a similar fate to the student militants of 1968 when he was ousted from the economic planning ministry in September 1969 and convicted of 10 years of Interview with Simone Othmani, Paris 2011. See “Rapport auto-critique,” undated, CISDHT, in Fonds Othmani, SOL 28; BDIC, Nanterre. 16 17 forced labor in 1970.18 CISDHT members remained split between those who denounced Ben Salah as a member of the corrupt Bourguiba administration and architect of a completely failed agricultural collectivization project on the one hand, and reformers who viewed Ben Salah as an oppositional socialist unfairly blamed for economic factors outside his control on the other. To facilitate the creation of CTIDVR, former French coopérant and CISDHT member Jean Gattégno acted as the primary contact for the association, though the organization was run by and made up of Tunisians.19 As a French citizen, Gattégno acted as a convenient front man for the organization and eased the process of receiving mail, creating a bank account and obtaining publication and distribution authorizations.20 CTIDVR's main goals were to inform the public of events in Tunisia and provide legal, moral and material support to victims of repression, much like CISDHT before its political strife. CTIDVR engaged in a media campaign by sending "information letters" to various press agencies. After sustained efforts from 1972 to 1974, it contributed to the appearance of articles on Tunisian repression in French press agencies such as Le Monde, Libération, L’Humanité, Politique-Hebdo and Afrique-Asie, as well as foreign publications El Bayane (Morocco), El Hadef and El Balgh (Beirut), and “Tentative de Bilan sur les problèmes de la défense,” undated, CTIDVR, in Fonds Othmani, SOL 29; BDIC, Nanterre. 19 Simone Othmani provided similar cover for the Perspectives’ publication El Amal Tounsi, providing her address and opening a bank account in her name. See interview with Simone Othmani, Paris 2011. 20 Rights of association were not granted in full to foreigners until the arrival of Mitterand’s Socialist government and the law of 10 October 1981. See Rémy Leveau and Catherine Wihtol de Wenden, “Évolution des attitudes politiques des immigrés Maghrébins,” Vingtième Siècle. Revue d’histoire, no. 7, numéro special : Étrangers, immigrés, Français (Jul. - Sep., 1985), 79. 18 obtained German television and radio interviews with Tunisian hunger strikers and Tunisian Communist Party activists.21 Members worked closely with Paris-based Tunisian student groups to organize a hunger strike at the Maison de Tunisie in Paris in February and December 1972. They also communicated regularly with Amnesty International, and assisted in setting up Amnesty's “adoption” of a number of prisoners. CTIDVR reported on events in both Tunisia and France, noting in a communiqué of November 1973 that 25 students at the University of Tunis were forced to enroll in military service as a result of political activity, and that Tunisian immigrant workers in St. Etienne and Lyon had been expelled by the Tunisian Consulate.22 This shift toward the plight of Tunisian workers was further emphasized by efforts at working with the Paris-based Arab Workers’ Movement (Mouvement des travailleurs arabes [MTA]) during the same period.23 Their goals thus centered on the defense against repression occurring on both sides of the Mediterranean while they advocated for both students and immigrant workers. In spite of certain successes in the defense of victims, CTIDVR was not immune to internal strife. Friction dated to the accord reached between Perspectives and the PCT in the formation of the Committee for the liberation of Ben Jennet in 1967 in Tunis. The Committee’s ability to reach consensus was jeopardized by Perspectives’ domination of the Paris section and their efforts to push the political “Bilan Novembre 73-Juin 74,” undated, in Fonds Othmani, SOL 29; BDIC, Nanterre. “Communiqué de Novembre 1973,” undated, in ibid. 23 For more on the MTA, see Rabah Assaoui, Immigration and National Identity: North African Political Movements in Colonial and Postcolonial France (New York: Palgrave Macmillan, 2009), 153-217 and "Le Discours du Mouvement des travailleurs arabes (MTA) aux années 1970 en France: Mobilisation et mémoire du combat anticolonial," in Hommes et Migration 1263 (Oct.-Nov., 2006), 105-119. 21 22 agenda beyond Ben Jennet's liberation. Perspectives sent representatives to Paris specifically to carry out orders from Tunis. Hachemi Ben Fredj led the Paris section of Perspectives—in part to keep watch on rogue members like Khémaïs Chammari, who frequently disobeyed orders regarding publication—while Chérif Ferjani replaced Simone Lellouche Othmani as the voice of Perspectives within the CTIDVR after she proclaimed her independent position.24 By late 1972, radical factions of the CTIDVR sent representatives to committee meetings in an effort to impose the participation of political organizations and expand the goals of the group.25 Older members, such as Khémaïs Chammari and Simone Lellouche Othmani, resisted such initiatives, but the democratic nature of group meetings often led to domination by factions who organized larger numbers of participants. By the mid-1970s, CTIDVR had been weakened with many of its leading members imprisoned when they returned to Tunisia.26 As a result, Chammari eventually shifted Interview with Simone Othmani, Paris 2011. Unlike her husband, Lellouche Othmani was never an official member of Perspectives, though she maintained regular contact with many of its members. In addition to her active role at different points in CISDHT and CTIDVR, Lellouche Othmani also assisted imprisoned Tunisian activists in enrolling at the University of Paris VIII in various programs. She first had to obtain the accord of sympathetic university administrators and professors in Paris to take on the imprisoned students who in many cases were blocked by Tunisian authorities from receiving books and other related materials. In some cases, the prisoners had been forbidden from ever taking another university course at the University of Tunis. In many ways, French universities provided the most plausible alternative, especially considering the status of diploma equivalency between French and Tunisian universities. 25 “Tentative de Bilan sur les problèmes de la défense,” undated, CTIDVR, in Fonds Othmani, SOL 29; BDIC, Nanterre. 26 For example, Chérif Ferjani returned to Tunis in 1975 only to be imprisoned for illegal distribution of activist literature. Interview with Chérif Ferjani, Lyon 2010. 24 allegiance and was instrumental in developing the Tunis-Based Tunisian League for Human Rights (Ligue tunisienne des droits de l’homme, or LTDH). Though not in concert, both groups worked actively for the release of political prisoners following yet another regime crackdown in January 1978. This time, the once PSD-friendly national workers' union led the strike and brought in far larger numbers than the students in 1968 or 1972. So while international action was essential to reaching a public audience and providing support to detainees, the political differences of various organizations on the left were also reflected within groups like CTIDVR that attempted to organize activists under a larger umbrella. And although CTIDVR was created in many ways as a reaction to CISDHT’s fracturing, it eventually succumbed to similar internal disputes. 27 "BLACK THURSDAY": JANUARY 1978 MOVEMENT AND THE WORKERS While the student protests of 1968 in both Senegal and France sparked general strikes with the participation of flagship national labor unions, workers did not participate en masse in Tunisia until January 1978. Labor unions were an integral part of the Tunisian independence movement, and the national labor union, the UGTT, had been allied with Bourguiba's Neo-Destour since 1946.28 These ties between labor and the state persisted into the independence era, and labor leaders backed the regime in its suppression of the student movements in 1968 and 1972. UGTT secretary general Habib Achour publicly stated of Simone Lellouche Othmani in February 1972 that "[UGTT] will never tolerate a strike in favor of a zionist woman...I “CISDHT - La lutte contre la répression: information, assistance juridique, soutien des prisonniers,” undated, in Fonds Othmani, SOL 28; BDIC, Nanterre. 28 The Neo-Destour, created in 1934 and led by Bourguiba, was renamed the Parti Socialiste Destourien in 1964 following Tunisian independence. 27 affirm that the 'Red Guard' of the Party is the UGTT, which will always assume full responsibility for the defense and safeguarding of the fruits of the nation."29 This reference to Mao's Red Guard—the paramilitary group deployed in 1966 to protect the Cultural Revolution—was rather ironic given that Achour actively mobilized workers to suppress communist and Maoist students. Yet state-labor relations eventually soured as the PSD encroached upon workers' rights. At the moment of Tunisian independence in 1956, the workers numbered between 150,000 and 200,000, and were often divided by nationality. By the 1970s, the working class was much more homogeneous and ballooned to approximately 500,000 by 1974, almost 1/3 of the active population.30 This rising class became more demanding in the mid-1970s. Tunisia's nationalized transportation industries were vulnerable to the power of a strong national labor union that often had monopolies on the commodity of labor. From 1970-74, salaries increased 35% thanks to worker strikes, but the state put in place a repressive law in 1974 allowing the requisition to cease even legal strikes and up to one-year prison sentences for strikers who refused to adhere to state's orders.31 The tensions between labor and the state were temporarily mitigated in a 19 January 1977 labor agreement (termed "the Social Pact") that was designed to increase wages in exchange for the state's L'Action, 11 February 1972. Mahmoud Ben Romdhane, “Mutations économiques et sociales et mouvement ouvrier en Tunisie de 1956 à 1980,” in Le mouvement ouvrier maghrébin, ed. Noureddine Sraïeb and the Centre de recherches et d’études sur les sociétés méditerranéennes (Paris: Éditions du Centre national de la recherche scientifique, 1985), 279. 31 Ibid, 280. 29 authority to withhold the workers' right to strike. Yet already by September 1977, authorities had seized the UGTT's organ Ech-Chaâb (The People), which had become increasingly critical of the regime. Meanwhile, labor leader Achour faced death threats in November 1977, allegedly from PSD henchmen.32 Achour distanced himself from the Bourguiba regime when, in a symbolic act demonstrating his desire for syndical autonomy, he resigned from the PSD at UGTT's national council meeting of 8-10 January 1978. Authorities retaliated by arresting a prominent UGTT labor leader and agitator from Sfax, Abderrazak Ghorbal on 24 January. Achour finally broke ties with the regime in a call for a general workers' strike set for 26 January 1978, the first of its kind since Tunisian independence. He borrowed a slogan from the student movement by exclaiming before a crowd of union members gathered in Tunis, "the only supreme combatant is the people."33 The violent state response led to the first instance in which students and labor leaders agitated for similar causes in Tunisia. In addition, it also mobilized transnational human rights activist networks on behalf of detained labor leaders that had been forged during the 1968 and 1972 student movements. The regime's oppressive reaction to striking workers on 26 January came to be known as "Black Thursday." As early as 25 January, authorities encircled UGTT headquarters, effectively blocking in 200 of its leaders who had ordered striking workers to stay home to avoid provocations by authorities. Upon the arrest of their leaders, thousands of workers took to the streets and clashed with police, 30 See Newsletter no. 02381 of the Collectif Tunisien 26 janvier, undated, in Fonds Othmani, SOL 34, BDIC, Nanterre. 33 Quoted in Marguerite Rollinde, "Les émeutes en Tunisie: un défi à l'état?" in Émeutes et mouvements sociaux au Maghreb: Perspective comparée, ed. Didier Le Saout and Margureite Rollinde (Paris: Karthala, 1999), 113. 32 military, and PSD militia forces. It was the first time in Tunisian history that the PSD acknowledged having recruited and deployed militia forces. PSD director and former Information Minister Mohamed Sayah—who was also accused by activists of creating student militias to spy on Tunisians in France in the 1960s and of ordering the torture of students after February 1972—publicly acknowledged the existence of the militias in March 1978.34 He claimed to have recruited about 500 members to provide support to police, though unofficial sources put the figure at over 2,500. 35 According to Afrique-Asie, the Black Thursday clashes resulted in 250 dead, 1,000 injured, and 2,000 arrested or brought in for interrogation at a detention camp in Oued Ellil near Tunis. Authorities also apprehended 500-600 union members, many of whom cited the use of torture during their captivity.36 The regime declared a nation-wide state of emergency that was not lifted until 25 February, and imposed a curfew in Tunis through 20 March. A number of labor leaders were brought before the Special Court that was created in 1968 to prosecute student protestors for crimes against the state. In October 1978 the court sentenced Achour and Ghorbal to 10 years of forced labor with 13 other labor leaders receiving heavy Interview with Simone Lellouche Othmani, Paris, 2011; “Le rôle politique et culturel de Perspectives et des Perspectivistes dans la Tunisie indépendante,” in Mouvements nationaux tunisiens et maghrébins, series 3, 17 (2008): 144; and "Interview - Dr. Saadedine Zmerli, ex-président de la Ligue Tunisienne des Droits de l'homme," Le Temps, 16 February 2011. 35 See Nigel Disney, “The Working Revolt in Tunisia,” MERIP Reports, No. 67 (May, 1978), 12-14. 36 "Le massacre du 26 janvier," Afrique-Asie 154 (February 1978). After political claims against previous regimes were liberalized following the Tunisian Revolution of January 2011, UGTT leaders called for an investigation into acts of torture by the Bourguiba regime associated with the events of Black Thursday. sentences.37 Thirty union members were charged before the court with article 72 of the Tunisian Penal Code, for which the death penalty could be applied: “Aggression aimed at changing the government; inciting citizens to kill each other; inciting disorder, murder, and pillaging; distribution of arms and groups seeking to destroy the property of others."38 At least 92 UGTT members were imprisoned for crimes related to the 26 January events. The majority of those charged would be released by summer 1979 thanks to the efforts of human rights watch groups.39 Though political opposition to Bourguiba experienced tensions throughout the post-independence era, many found common ground in seeking political rights for Tunisian citizens and more humane prison conditions. [Also need to mention TUnisian Collective of 26 January, By 1973, Perspectives had been paralyzed by prison sentences of its intellectual core and splintered when a new generation on the left created the populist group Amel Tounsi (The Tunisian Worker). Original Perspectives members like Ahmed Othmani and Gilbert Naccache criticized Amel Tounsi for its naive support of global communism and for sacrificing the intellectual origins of Perspectives in its quest for populist support.40 Othmani explained the political and generational split within the left: 34 " Marguerite Rollinde, "Les émeutes en Tunisie: un défi à l'état?" 114. “Procès des libertés démocratiques et syndicales en Tunisie,” Bulletin spécial no. 27 (Sept. 1978), CTIDVR, Paris, in Fonds Othmani, SOL 32; BDIC, Nanterre. 39 See the International Labor Organization, "Interim Report No. 197," Case No. 899 (Tunisia), November 1979, at http://www.ilo.org/dyn/normlex/en/f?p=1000:50002:0::NO::P50002_COMPLAINT_T EXT_ID:2900103#1 40 Perspectives began as an intellectual journal addressing the national problems of Tunisian development through theoretical engagement. 37 38 They were 100 per-cent pro-Albanian communists, whereas we—the old guard—had finished with all that long ago. It was then that I decided never again to work in politics with a capital P, but instead to fight for the defence of human rights. After the political and ideological break with Amel Tounsi, the first generation of Perspectives was thus intellectually ready to join the human rights movement from the mid-1970s on. This evolution illustrates the capacity of the various components of the Tunisian opposition to come together again, no longer around a political programme, but in the wider defence of human rights. The Tunisian Human Rights League was founded in 1977 as a front uniting the political strands, no longer through partisan interest, but around the common denominator of the rights of the individual.41 On the eve of Black Thursday, the networks and infrastructure created during previous movements were in place. The last piece of ideological common ground crystallized with the creation of a homegrown, legally recognized Tunisian Human Rights League in 1977 that had support systems and information dissemination groups located abroad. Paris again proved to be a center of activism and coordination with Tunis when human rights groups took action after the atrocities of 26 January 1978. As they had done since 1968, activists across the Mediterranean responded to the state-sponsored violence of Black Thursday and actively sought the liberation of political prisoners. Paris was home to advocates of political prisoners in organizations like the "Tunisian Collective of 26 January" and the Ahmed Othmani with Sophie Bessis, Beyond Prison: The Fight to Reform Prison Systems around the World, trans. Marguerite Garling (New York: Berghahn Books, 2008 [2002]), 21-22. CTIDVR, while the Tunisian Human Rights League led efforts in Tunisia to liberate Black Thursday activists. The PSD media outlets sought to frame the events as a government response to a traitorous plot to overthrow the regime by a UGTT minority, whereas human rights organizations focused on state repression and published alternative news reports. Much of their activities were devoted to information production and dissemination to communities in Tunisia and France. For its part, the PSD engaged in its own media campaign and narrative construction around the events of Black Thursday with the aid of a national radio station (Radio Tunis) and the regimefriendly daily, L'Action, as well as a livre blanc entitled La politique contractuelle et les événements de janvier 1978 (Contract Politics and the Events of January 1978). The Tunisian Collective of 26 January was created in Paris to "undertake the largest possible information and solidarity campaign with all those who wish to come to the aid of the working class and of the UGTT to actively and effectively express solidarity and to sensitize international opinion on the bloody repression in Tunisia."42 The organization released Newsletters and "Information Flashes" that acted as correctives to official Tunisian sources. Given the lack of faith in state-controlled sources of information, the major goal of the collective was to act as a check on the state's discursive power. The Collective also worked closely with Amnesty International, which released a report on 20 March 1979, the 23rd anniversary of Tunisian independence. The report denounced human rights violations in Tunisia regarding the use of torture on prisoners including cigarette burns and beatings by club, which resulted in the poor health of 41 See "Plateforme du Collectif," in Newsletter of Collectif Tunisien du 26 janvier, undated, in Fonds Othmani, SOL 34; BDIC, Nanterre. 42 prisoners such as Achour.43 The collective's reporting aided in obtaining the support of French organizations like the French Socialist and Communist Parties, as well as the French labor unions CFDT and the CGT.44 The Tunisian Human Rights League launched an investigation into the death of activist and UGTT member Houcine el Kouki, whom many believed to have resulted from the use of torture.45 The collective also published prisoners' personal accounts of prison conditions and torture. In a letter signed by 32 UGTT members detained at the Sousse civil prison, one prisoner described his experience: In effect we were encircled by members of the BOP security services, the firefighters corps, the army and the Destourian militia, which ordered us to lift our arms and began to beat us, slap and kick us, along with blows on all parts of the body... lasted until the morning in an atmosphere of terror and fear, in front of agents armed to the hilt and led by A...A and M...H.46 These descriptions used only the first letter of the first and last names of the violent perpetrators who remained unidentified in the report. Prisoners received only one piece of harissa-dipped bread per day, and access only to contaminated water twice per day. Thanks in large part to the efforts of groups like the Tunisian Human Rights League, the CTIDVR, and the Collective of 26 January, Achour and several others received presidential pardons on 3 August 1979, well before their tenyear sentences had been served.47 Their joint efforts led to the comparatively swift release of UGTT activists in 1979, the same year long-term political prisoners like Ahmed Othmani and Gilbert Naccache were released. Other trade union members were thrown on the ground, against walls and windows, then stomped. To the point that one comrade suffered a broken vein and has problems with his arm today...The most odious was inflicted upon 10 women who were arrested with us. Their female dignity was besmirched with a rare cruelty. They were insulted, ridiculed, knocked down, and humiliated with degrading gestures and savagely beaten. This See “L’Action d’Amnesty International,” in Flash Info of the Collectif Tunisien du 26 Janvier, March 1979, in Fonds Othmani, SOL 34; BDIC, Nanterre; and Amnesty International: rapport 1979 (Paris: Éditions Mazarine, 1980), 210-214. 44 See Le Monde, 3 February 1978 and 5-6 February 1978. 45 See Bulletin no. 4 of the Collectif Tunisien du 26 Janvier, undated, in Fonds Othmani, SOL 34; BDIC, Nanterre. 43 Flash d'information "Témoignages de l'intérieur de la prison de Sousse sur la torture," undated, in Fonds Othmani, SOL 34; BDIC, Nanterre. 47 See the International Labor Organization, "Interim Report No. 197," Case No. 899 (Tunisia), November 1979, at http://www.ilo.org/dyn/normlex/en/f?p=1000:50002:0::NO::P50002_COMPLAINT_T EXT_ID:2900103#1 46 CONCLUSION The student movement in Tunisia has been, since national independence, inseparable from its human rights movement. After the initial June 1967 protest, students' pronouncements of anticolonialism shifted to calls for freedom of expression, rights of assembly, and due process before the law. Because of the Tunisian state's particularly draconian responses to June 1967 and March 1968, the course of the student movement rerouted to meet the immediate demands of liberating their detained colleagues. Some activists, such as Ahmed Ben Othmani, spent the majority of the 1970s behind bars, and faced periodic torture and limited contact with attorneys and family members. With heavy risks of imprisonment, state-imposed violence, and fear of bodily harm, this new human rights movement went transnational and employed old postcolonial networks of activists residing in France. Based largely in Paris and Tunis, these activist groups sought to garner French and international public opinion in favor of repressed student activists, advocated for penal reform, and produced alternative versions of events to counteract state-controlled media. Radical elements of 1960s Tunisian youth articulated a postcolonial nationalism that reflected different views on the direction of the Tunisian nation, and an alternative vision for Tunisia absent the political repression of Bourguism. 1968 activism led to creation of human rights organizations in support of Tunisian causes. These were initially launched in Paris in large part due to the post-colonial relationships linking Tunisia and France through education and industry. Paris provided relative safety from which to levy criticisms the Bourguiba regime and the Socialist Destourian Party. Yet these were very much concerned with Tunisian national causes. While these organizations struggled to outline clear and collective political goals, which led to internal strife and the creation of splinter or alternative organizations, they eventually resulted in the creation of the Tunis-based Tunisian Human Rights League. This was the first of its kind in Africa or the Arab world and remains active today. By 1978, infrastructure was in place to carry out effective national and international campaigns for the successful release of a number of striking workers and other activist intellectuals. While this was likely also in part due to the high profile of the imprisoned—many were former lead officials in the national workers' union with deep roots in the PSD—the human rights efforts of previous student-dominated movements provided organized networks of political pressure that were reactivated in 1978. In addition to the human rights networks, student agitators also provided a language of resistance upon which labor leaders like Achour and Ghorbal drew extensively. OPHÉLIE RILLON. RÉVOLUTION DANS LE GENRE AU MALI. L’ÉMERGENCE DE LA FIGURE DE L’ÉTUDIANTE CONTESTATAIRE DANS LES MOUVEMENTS DE LA FIN DES ANNÉES 1970 Institut des Mondes africains, Université Paris1 « Auparavant, le fils devait suivre les traces de son père. Auparavant, les pères donnaient l’exemple : courage, dignité, foi. Aujourd’hui, l’ordre du monde est inversé : Les fils se battent Les fils meurent la tête haute Les pères restent au foyer Ils consolent les femmes en pleurs Ils donnent l’exemple de leur couardise »48. Les mouvements de contestation qui avaient émergé dans le milieu scolaire, au lendemain du coup d’État de 1968 au Mali, prirent une forme inédite à la fin de la décennie 1970. Durant trois ans, de 1977 à 1980, les élèves et les étudiants ont multiplié les grèves et les manifestations, défiant ainsi le régime militaire de Moussa Traoré. Parties de revendications catégorielles (opposition à la mise en place d’une sélection à l’entrée du supérieur49), leurs mobilisations ont plongé le Mali dans une crise politique sans précédent avant de s’estomper, à partir du printemps 1980, sous les coups d’une violente répression et de l’assassinat du leader estudiantin Abdoul Karim Camara dit « Cabral ». Ce premier mouvement social de grande Chant de femmes cité par DIARRAH Cheick Oumar, Mali : bilan d’une gestion désastreuse, Paris, L’Harmattan, 1990, p. 43. 49 Au fil des ans, les revendications se sont élargies : libération des élèves arrêtes, suppression de l’instauration d’un concours d’entrée dans la fonction publique et du tronc commun dans le secondaire, amélioration des conditions matérielles (cantines, bourses) et arrêt de l’exclusion des filles-mères des établissement scolaires. ampleur dans le Mali indépendant fit surgir une nouvelle catégorie contestataire dans l’espace public : les jeunes scolarisés qui disposaient, désormais, d’une organisation autonome vis-à-vis du pouvoir politique et des aînés : l’Union Nationale des Elèves et Etudiants du Mali (UNEEM), créée en 1975 au sein de l’Ecole Normale supérieure (ENSup). A l’instar de nombreux pays d’Afrique francophone, le Mali ne disposait pas d’université à cette période50. Les « mouvements étudiants » analysés dans cette communication émanent donc des Ecoles supérieures de formation des cadres et des Ecoles secondaires au sein desquelles se trouvaient les plus grandes cohortes d’élèves. Leur irruption spectaculaire résultait d’un processus long et discontinu de « politisation des jeunes générations issues du creuset scolaire colonial » initié à partir de 194551, suivi dans les années 1960 et surtout 1968, d’une tentative d’affranchissement de la posture subalterne et déférente que les dirigeants politiques attendaient d’elles. Dix ans plus tard, les scolaires portaient une parole qui leur était propre et s’affirmaient comme une force politique singulière. A entendre le chant de femmes cité en exergue et composé dans le contexte des grèves étudiantes, les hiérarchies sociales furent bouleversées, « l’ordre du monde [fut] inversé » : les pères avaient démissionné de leurs obligations d’aînés et s’étaient repliés dans l’espace féminin du foyer, tandis que les fils s’étaient emparés des attributs virils (courage et combativité) qui forgeaient l’autorité des chefs. Quant aux femmes, essentialisées comme mères et épouses, elles 48 L’université de Bamako date de 1996. NEDELEC Serge, « Le Festival de la Jeunesse africaine de Bamako 1958 », in ALMEIDA-TOPOR Hélène d’, GOERG Odile, COQUERY-VIDROVITCH Catherine, GUITART Françoise (dir.), Les Jeunes en Afrique, Paris, L’Harmattan, tome 2, 1992, p. 204. 50 51 pleuraient les morts et chantaient les louanges des nouveaux héros. Suivant cette distribution des rôles, les jeunes filles n’avaient pas leur place dans l’histoire : l’affrontement, qui opposait les étudiants aux militaires était masculin ; la dévotion était maternelle. L’hégémonie masculine de la lutte chantée par ces femmes était indéniable. Pourtant, dans ces mondes d’hommes qu’étaient l’école, les mouvements sociaux et le pouvoir politique, ont émergé des figures féminines moins immédiatement saisissables. Habituellement exclues de l’histoire politique, les jeunes filles n’étaient évoquées jusqu’à cette période que dans des sources relatives aux mœurs, au mariage, à la scolarisation. Or dans le contexte où on les attendait le moins, de crise politique et de violences, ont émergé des individualités féminines. Étrange paradoxe que cette visibilité – certes relative, mais néanmoins nouvelle – d’individus qui cumulaient un double statut de mineures : jeunes et femmes à la fois. Les lycéennes et les étudiantes qui ont participé au mouvement social de 1977-1980 n’étaient cependant pas n’importe quelles filles : scolarisées car issues d’un milieu aisé d’intellectuels, elles appartenaient à une élite sociale. Elles pouvaient jouir de cette période transitoire qui s’étire de l’enfance à l’âge adulte (symbolisé par le mariage), au même titre que certains garçons, bien plus nombreux52. Ces jeunes filles « bourgeoises », « intellectuelles » et « engagées » étaient donc des marginales qui, bien que fréquentant En 1976, l’âge moyen d’entrée au mariage en milieu urbain était évalué à 29 ans pour les hommes et 19 ans pour les femmes. D’autre part, 24 % des urbaines de 20-24 ans étaient célibataires (contre seulement 9 % des femmes rurales). Du côté des hommes, 61 % des 25-29 ans étaient célibataire en zone urbaine (contre 44 % en zone rurale). Ainsi, il semble que pour les femmes, la scolarité repoussait l’entrée en union alors que pour les hommes, le facteur économique était la principale cause d’un célibat prolongé. MARCOUX Richard, GUEYE Mouhamadou, KONATE Mamadou Kani, « La nuptialité : entrée en union et type de célébration à Bamako », in OUEDRAOGO Dieudonné, PICHE Victor (dir.), L’insertion urbaine à Bamako, Paris, Karthala, 1995, p. 123. 52 pour la plupart des établissements non-mixtes, bénéficiaient d’un modèle d’éducation pensé pour les garçons. Elles n’en demeurent pas moins des figures évanescentes qui ne laissèrent que peu de traces dans le « panthéon » masculin de la lutte. L’ÉTUDIANTE CONTESTATAIRE : UNE NOUVELLE FIGURE DE LA LUTTE Si les femmes étaient peu nombreuses dans les lycées et les établissements du supérieur, nombre de militantes politiques et syndicales ont fait leurs premières armes au sein des luttes estudiantines des années 1977-1980. Les plus âgées d’entre elles participèrent à la révolte des étudiants de l’École Normale Supérieure (ENSup) contre le coup d’État militaire de 1968 qui renversa le régime socialiste de Modibo Keita. Le second événement fondateur pour cette génération militante a été l’enterrement de Modibo Keita en 1977. AM, alors au Lycée des jeunes filles de Bamako, se souvient avoir suivi le mot d’ordre de l’UNEEM à venir manifester en faveur de la mémoire de l’ancien président « parce que beaucoup d’étudiants à l’époque se reconnaissaient en lui »53. Dans les archives de la presse, de l’Ambassade de France, et du Ministère de l’Intérieur du Mali, ces jeunes filles demeurent cependant invisibles en tant qu’individus : aucun nom, aucune figure n’apparaît dans le mouvement de 1977. Comme l’écrivait Alexandra Boudet-Brugal, au sujet de l’engagement des étudiantes américaines contre la guerre du Vietnam, « elles semblent former une masse de participants anonymes, venant grossir les rangs lors de manifestations, se fondant dans le flot bouillonnant Entretien AM, élève au Lycée des Jeunes Filles en 1977 et étudiante en Lettres à l’ENSup en 1979-1980. Bamako Coura, 18 février 2010. 53 de l’opposition »54. Bien que les lycéennes se rendaient dans les manifestations en partant de leur établissement et formaient ainsi des groupes de filles, elles se fondaient ensuite dans les cortèges de lycéens ou d’étudiants et défilaient aux côtés de leurs camarades masculins. « Les filles agissaient en même temps que nous, elles nous accompagnaient »55 se souvient un ancien étudiant, signifiant par là l’indistinction des jeunes filles dans le mouvement et leur adoption des codes dominants de lutte. L’UNEEM avait pourtant cherché à les rendre plus visibles en imposant qu’une représentante du Lycée des Jeunes Filles ou du Lycée Notre-Dame du Niger siège dans le bureau exécutif de l’organisation. Elles bénéficiaient donc d’un traitement spécifique qui visait à promouvoir leur insertion dans le mouvement. La massification du mouvement et la prise en compte de sa composante féminine par l’UNEEM ont favorisé l’émergence de figures féminines contestataires au fil des grèves. RD, lycéenne en 1980, évalue à cinq ou six le nombre de jeunes filles qui avaient alors des responsabilités au sein de l’UNEEM : « Il n’y avait pas beaucoup de filles pour la simple raison qu’il n’y avait pas beaucoup de filles scolarisées […] Je crois que nous étions cinq à six à être dans le mouvement. Il y avait le Comité du Lycée des Filles, il y avait le Comité du Lycée Notre Dame du Niger qui étaient des Comités exclusivement féminins parce qu’il n’y avait pas de mixité dans ces lycées. Mais dans les lycées mixtes, il y avait très peu de filles BOUDET-BRUGAL Alexandra, « Etudiantes américaines, militantisme et guerre du Vietnam : guerre, paix et ‘‘genre’’ dans les années 1960 », Amnis, n° 8, 2008, consulté le 27 mai 2013. URL : http://amnis.revues.org/653. 55 Entretien MT, étudiant en histoire-géographie à l’ENSup de 1975 à 1983, Sévaré, 23 février 2010. 54 dans les Bureaux. Moi, j’étais dans un lycée mixte, au lycée de Badalabougou, j’étais Secrétaire à l’Information du Bureau »56. Parmi ces rares responsables, on retrouve Bintou Maïga, dite « Winnie Mandela »57, qui milita dans les comités scolaires, dès son plus jeune âge, à l’École Fondamentale58. Elle exerça de nombreuses responsabilités à l’UNEEM, à compter de 1975, et joua un rôle actif dans les différents mouvements de scolaires de la fin de la décennie 1970. Elle fut la seule femme du bureau de coordination de l’organisation étudiante où elle occupa le poste de Secrétaire aux Arts en 1978. Comme quatre de ses camarades de l’organisation étudiante, elle parvint à se faire élire, dans le premier bureau de l’UNJM au poste de secrétaire aux affaires féminines en 1979. Agée de 27 ans, elle était diplômée du secondaire depuis un an et exerçait la profession de greffière dans un tribunal de Bamako. Elle connut les arrestations, la torture en 1977 et fut accusée d’être la complice de Cabral en 1980, par les forces de l’ordre qui étaient à la recherche du leader estudiantin. Tout comme Rokya Kouyaté, secrétaire générale du Lycée de Jeunes Filles en 1980, qui devint l’icône féminine du mouvement et fut incarcérée à la Poudrière avec Cabral, mais qui contrairement à lui, Entretien RD, élève en 1979-1980 au Lycée de Badalabougou. Bamako, 30 mars 2010. 57 A la fin des années 1970, Winnie Mandela incarnait la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud, alors que son mari Nelson Mandela était emprisonné depuis 1964. Elle fut condamnée en 1976 comme « instigatrice » des émeutes de Soweto. Militante radicale, elle était devenue une icône pour nombre de jeunes des townships et à l’international. 58 Bintou Maïga est née en 1952 d’un père cheminot et syndicaliste et d’une mère ménagère. Elle obtient son DEF en 1973 et entre ensuite à l’École secondaire (section Justice Travail) dont elle sort diplômée en 1978. C’est à cette période qu’elle entre à l’UNEEM. KONARE Adam Ba, Dictionnaires des femmes célèbres du Mali, Bamako, Edition Jamana, 1993, pp. 400-401. 56 en ressortit vivante59. Quelques rares autres noms émergent des archives et des entretiens comme ceux de Madina Sylla60 ou de Kadidia Bocoum qui a eu des responsabilités au sein de l’UNEEM, dès son entrée au lycée des jeunes filles (vers 1973) et ensuite à l’ENSup lors du dernier mouvement étudiant61. Souleymane Cissé, dans son film Fynié62, rendit hommage aux étudiantes contestataires de la fin des années 1970, au travers du portrait de Batra, jeune fille émancipée qui s’affronte à l’autoritarisme politique et familial symbolisé par son père gouverneur. Au contraire des grèves de 1977 où les filles étaient peu visibles, le mouvement de 1979-1980 apparaît comme une lutte mixte : des lycéennes avaient gravi les échelons de l’organisation estudiantine, l’Ambassade de France s’inquiétait de l’arrestation et de l’incorporation forcée dans l’armée d’étudiants des deux sexes et les responsables politiques, eux mêmes, reconnaissaient à demi-mots que les jeunes filles pouvaient être des éléments dissidents : « faisons en sorte que nos fils et filles ne grossissent pas les rangs des délinquants » déclarait le Lieutenant Colonel Sékou Ly au lendemain de violents affrontements entre les jeunes manifestants et les forces de l’ordre63. Cette reconnaissance de l’activisme féminin prenait la forme d’une véritable héroïsation dans certains tracts étudiants : « les scolaires, filles en tête, rompent les cordons des forces de répression armées jusqu’aux dents […] qui tirent sur une fille de 13 ans » MARIKO B. « Comment est mort Abdoul K. Camara dit « Cabral », Les Echos, n° 63, du 13 au 29 mars 1991. 60 Entretien RD, élève en 1979-1980 au Lycée de Badalabougou. Bamako, 30 mars 2010. 61 « Oraison funèbre de l’AMS-UNEEM. En hommage à Mme Dramé Kadidia Bocoum », Le Républicain, 13 août 2004, http://www.malikounda.com/Societe/Oraison-funèbrede-l-AMS-UNEEM.html, consulté le 7 juillet 2012. 62 CISSE Souleymane, Finyé, Bamako, Les Films Cissé, 1982, 105’. 63 CADN, Carton 62, Ambassade de France au Mali, Dossier « grèves étudiantes » 19771980, « Nous sentir encore plus responsables de nos enfants. Une allocution du Lieutenant-Colonel Sékou Ly », L ‘Essor, 17 décembre 1979, p. 6. clamaient l’AESMF64. De victimes passives elles étaient devenues des passionarias à la fin du mouvement, dont l’évocation servait à légitimer la contestation et à dénoncer la brutalité de la répression (viols des jeunes femmes dans les dortoirs scolaires, les commissariats et les camps de militaires65). Néanmoins, ces discours politiques et médiatiques s’ils peuvent contribuer à rendre visibles des figures féminines dans l’espace protestataire, s’avèrent une source limitée pour comprendre les parcours biographiques de ces jeunes militantes. 59 « Communiqué : une nouvelle offensive des scolaires au Mali », Peuples Noirs Peuples Africains, n°13, 1980, pp. 119-122 (Communiqué daté du 10 décembre 1979, Paris, Association des Etudiants et Stagiaires Maliens en France et Fédération des Etudiants d’Afrique Noire en France). 65 CADN, Carton 62, Ambassade de France au Mali, Dossier « grèves étudiantes » 19771980, Télégramme diplomatique n° 80, Agitations estudiantines, photocopie d’un tract ayant circulé dans les milieux scolaires et universitaires de Bamako, Professeur DONKADIAN ASEBALITE (pseudonyme) « l’épreuve de force continue Bamako », 20 mars 1980, 2 p. 64 DEVENIR UNE MILITANTE : TRAJECTOIRES PERSONNELLES , EXPÉRIENCES COLLECTIVES Comprendre ce qui poussa un certain nombre de jeunes femmes à s’investir dans les mouvements de scolaires de la fin des années 1970 nécessite de se pencher sur leurs trajectoires personnelles. Comme le soulignent Frédéric Sawicki et Johanna Siméant, l’engagement « se situe au confluent de l’histoire globale et individuelle »66. Il est le fruit d’interactions, d’expériences collectives, d’imprégnations et de conjonctures historiques. Il s’agit donc de retracer ce que les sociologues des mobilisations nomment les « carrières militantes »67 de trois jeunes femmes qui participèrent, chacune à leur façon, aux luttes de scolaires. De ces expériences singulières, il ressort que l’engagement est un processus au long court qui ne saurait, pour autant, se limiter à une socialisation linéaire. RD68 est née en 1961 à Kayes mais a vécu à Bamako dès son plus jeune âge. Elle entra à l’école fondamentale en 1968 et intégra le mouvement des Pionniers car elle était bonne élève. Le jour du coup d’État de 1968, elle se souvient être « en train de chanter ‘’22 Août’’ à l’école […] quand on est venu dire que la permanence du Parti était fermée. On ne comprenait pas ce que ça voulait dire … la permanence du Parti, on s’en fout ! Mais on était très triste parce que c’était quelques jours après une visite du Président Modibo […] En tant que pionnier, on SAWICKI Frédéric, SIMEANT Johanna, « Décloisonner la sociologie de l’engagement militant. Note critique sur quelques tendances récentes des travaux français », Sociologie du travail, vol. 51, n°1, 2009, p. 107. 67 FILLIEULE Olivier, « Carrière militante », in FILLIEULE Olivier, MATHIEU Lilian, PECHU Cécile (dir.), Dictionnaire des mouvements sociaux, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2009, pp. 86-87. 68 Entretien RD, élève en 1979-1980 au Lycée de Badalabougou. Bamako, 30 mars 2010. 66 avait été lui remettre des fleurs et tout […] un type sympa était venu, il était très gentil avec nous, les petits enfants. On lui a remis des fleurs et lui nous a remis des bonbons, on était contents, c’était des quantités énormes de bonbons ! ». Poussée par sa mère, la jeune fille poursuivit des études secondaires et avec ses camarades de classe, elle tenta de se rendre à l’enterrement de Modibo Keita en 1977. Elle avait alors 16 ans et n’était pas impliquée dans les réseaux politiques ou syndicaux de scolaires. En 1979, en entrant au lycée de Badalabougou où elle intégra une filière scientifique, elle commença à militer à l’UNEEM. Bien qu’étant l’une des rares filles d’un lycée mixte, elle occupa le poste de Secrétaire à l’Information du bureau de son établissement, lors de la grève de 1979-1980. « A l’époque, c’était une grande responsabilité parce que le pouvoir avait déjà dissous le mouvement étudiant. Donc, on était dans la clandestinité ». AM69 est née en 1957 à Gao. Sous le régime socialiste, la politique était une affaire de famille chez les M. et correspondait aux codes de la division sexuée et générationnelle du travail militant. Son père, « très engagé politiquement avec Modibo […] était au bureau politique à Gao, il était ‘‘chef de bande’’ » se souvient-elle, sans trop savoir « ce que ça veut dire ‘‘chef de bande’’ ». Il fut arrêté et emprisonné au lendemain du coup d’État, alors que sa mère, en temps que « bonne ménagère », fut épargnée. Au contraire de ses grands frères, la petite fille n’intégra pas le mouvement des Pionniers. Ce qui ne l’empêcha pas d’aider son père dans ses tâches militantes et de participer à la distribution quotidienne des cartes de l’US-RDA à Gao : « chaque matin, on avait comme corvée d’aller distribuer les cartes de membres … On allait dans les familles pour distribuer ». Scolarisée à l’école fondamentale Entretien AM, élève au Lycée des Jeunes Filles en 1977 et étudiante en Lettres à l’ENSup en 1979-1980. Bamako Coura, 18 février 2010. 69 de Gao, elle fut envoyée à Bamako après le DEF en 1975 pour faire ses études secondaires au Lycée des Jeunes Filles. C’est comme lycéenne qu’elle répondit à l’appel de l’UNEEM et se rendit avec ses camarades de classe à l’enterrement de Modibo Keita en 1977. Elle intégra ensuite l’ENSup en 1979 pour suivre un cursus d’anglais qu’elle termina en 1985. Durant la grève de 1979-1980, elle louait une chambre universitaire dans les locaux de l’établissement qu’elle dut quitter suite à la fermeture des écoles par les militaires. Au contraire de nombreux étudiants qui se virent forcés de retourner dans leur famille en région, la jeune femme put rester à Bamako car elle fut hébergée à deux carrés de l’ENSup. La position géographique de ses logeurs et la sociabilité estudiantine qui régnait dans la concession où elle se trouvait favorisèrent son insertion dans les réseaux militants. AM n’eut cependant aucune responsabilité syndicale au sein de l’UNEEM, elle n’écrivait pas de tracts et ne prenait jamais la parole dans les assemblées générales. Elle se considère comme une militante « de base » : « je n’avais pas de poste. Je ne faisais pas partie du Bureau. Nous, on était les ‘‘militantes’’ […] au quotidien, chaque fois, on participait aux meetings, on participait aux marches ». SKS70 est née en 1955 à Nioro du Sahel où elle fut élevée par sa grandmère jusqu’à l’âge de 6 ans. Elle entra à l’école fondamentale à Bamako en 1961, grâce à l’intervention de son père, inspecteur des postes et militant « très actif » à l’US-RDA, qui souhaitait que tous ses enfants soient scolarisés : « mon père est venu me chercher au village pour m’inscrire à l’école […] en dehors de moi, il n’y avait pas d’enfants dans le village qui allait à l’école ». Influencée par son père, la jeune fille s’intéresse de plus en plus à la politique et elle se passionne pour ses Entretien SKS, étudiante en Lettres et en Droit à Nice de 1974 à 1979, Bamako, 14 février 2006. 70 cours de philosophie au Lycée Notre-Dame du Niger qui ont « ouvert un peu mon esprit sur les questions de lutte de classes, les injustices … ». Après avoir obtenu son baccalauréat en philosophie et langues en 1974, elle poursuivit ses études universitaires de Lettres et de Droit à Nice. Elle soutint une maîtrise de Lettres en 1978 puis se rendit à Paris pour suivre des cours à l’Institut d’Administration des Entreprises. Durant son séjour en France entre 1974 et 1979, elle milita à la FEANF et à l’AESMF dont elle fut Secrétaire Générale en 1976. Cette même année, elle épousait un militant actif de ces organisations étudiantes. Elle intégra une troupe théâtrale d’étudiants africains, à Nice, et dispensa des cours d’alphabétisation à des travailleurs immigrés dans des foyers parisiens. L’expérience militante acquise par les étudiantes maliennes en France se distinguait de celle de leurs compatriotes. Le contexte de migration favorisa leur insertion dans les réseaux politiques et syndicaux d’hommes plus âgés (exilés politiques ou migrants de travail) au service desquels elles pouvaient mettre leurs compétences scolaires. Elles rédigeaient des tracts et des brochures diffusés sous le manteau au Mali71 ; elles animaient des réunions avec des organisations françaises pour la libération des prisonniers politiques maliens72 ; elles récoltaient des fonds et organisaient des activités socio-culturelles pour leurs « frères » des foyers73. Dans le contexte démocratique français, elles pouvaient jouir d’une relative 71Le Bulletin du Peuple organe du Comité de Défense des Libertés Démocratiques au Mali (CDLDM), Le Bulletin du CIDOA le Comité International de Défense des Ouvriers Africains. 72 Avec Amnesty International, le Parti Communiste Français, la Confédération Française Démocratique du Travail, la Confédération Générale du Travail. 73 Dans les années 1970, les foyers Sonacotra où étaient logés un certain nombre d’étudiants et de travailleurs maliens, connurent d’importants mouvements de contestation (dits « grève des loyers »). Si les étudiantes ne vivaient pas dans ces espaces de migrants masculins, elles les fréquentaient assidûment. Articulant activités sociales et engagement politique, certaines ont probablement pris une part active à ces mobilisations. liberté de parole et les contacts tissés avec les groupes d’extrêmegauche (communistes, maoïstes et trotskistes) favorisèrent leur radicalisation idéologique et leur emploi de modes d’action directe : « Celles qui ont milité en France, elles ont bénéficié d’un système de formation, parce que les étudiants qui étaient là [en France] se faisaient un devoir de capter et de former les nouveaux et les nouvelles qui venaient. On les formait aux méthodes d’analyse communiste, aux méthodes de mobilisation. Elles faisaient des marches, chaque fois qu’il y avait un pétard à Bamako, elles marchaient sur l’ambassade du Mali. Puis il y avait la police française qui venait les chasser mais on ne les bastonnait pas, on ne les violentait pas. Donc, elles ont cette façon de militer, de revenir, d’insister. Il n’y a pas eu cette formation sur le plan local. Donc, elles étaient plus aguerries, plus expérimentées et moins peureuses. Parce que quand on dit que la police va venir, elles, elles savaient très bien ce que cela veut dire alors qu’elles n’ont jamais été bastonnées par la police en France. Mais elles savaient qu’il fallait tenir tête à la police ! »74. Bien que ces trois militantes aient eu des parcours et des engagements très différents, leurs trajectoires individuelles comportaient de nombreuses similitudes. Leur socialisation politique primaire débuta dès leur enfance sous le régime socialiste. La famille, pour deux d’entre elles, et les organisations de jeunesse pour RD ont constitué le cadre premier de transmission d’un savoir-faire politique, tant idéologique que technique. Cet apprentissage n’échappait pas à des logiques genrées et reproduisait la division et la hiérarchisation des rôles dans la vie sociale : participer aux animations folkloriques, offrir des fleurs, Entretien BS, entrée au Lycée des Jeunes Filles en 1962, étudiante en thèse d’histoire à Paris de 1977 à 1982. Paris, 28 janvier 2013. 74 distribuer les cartes du Parti, apprendre des chants, telles étaient les tâches attribuées aux petites filles. Les compétences qu’elles ont acquises, quoique inhérentes au bon fonctionnement du parti de masse, n’octroyaient aucune reconnaissance sociale et prolongeaient les rôles invisibles habituellement attribués aux femmes : gérer et organiser au quotidien la vie collective. Pour toutes, la politique était incarnée par des figures masculines qu’elles admiraient - leurs pères ou le Président socialiste - dont l’engagement était associé à des valeurs de conflictualité et de pouvoir. Ces hommes avaient eu accès à de hautes responsabilités au sein du Parti et de la fonction publique ils étaient « chefs de bande » pour reprendre l’expression d’AM - mais leurs engagements comportaient aussi des risques que les jeunes filles n’ignoraient pas (emprisonnement, assassinat, perte de leur statut social). Elles légitimaient, par ces figures tutélaires, leur attrait pour des activités considérées comme non féminines qui n’avaient pas été transmises par leurs mères. A l’inverse, les hommes interrogés projettent leur militantisme comme une construction individuelle déconnectée de l’histoire familiale75. Ils puisent dans un répertoire d’icônes internationales (Sékou Touré, Mao Zedong, etc.) et intellectualisent leur démarche militante, la détachant de tout lien affectif. Pour garçons et filles néanmoins, l’entrée dans les écoles secondaires puis dans le supérieur favorisa leur passage à l’acte et les Cette différence d’identification s’explique aussi par la différence de milieux sociaux : les filles scolarisées jusque dans le secondaire appartenaient à des familles « bourgeoises » ; leurs pères (au contraire de leurs mères) avaient été à l’école coloniale et étaient devenus des fonctionnaires – cadres de l’US-RDA à l’Indépendance. Les garçons interrogés étaient issus de milieux plus « populaires » : leurs deux parents n’étaient pas allés à l’école pour la plupart ; ils étaient agriculteurs ou commerçants et ne militaient pas à l’US-RDA. Néanmoins, l’absence de référent familial se retrouve aussi chez les leaders interrogés par Ambroise Vedrines qui cherchent tous à « populariser » leurs origines et il est assez peu connu que le père de Cabral était lui même un militant syndical. 75 poussa à s’engager dans l’organisation étudiante. Au contact de leurs enseignants marxistes, les jeunes filles aiguisèrent leur esprit critique ; avec leurs camarades de classe elles se rendirent dans les manifestations. Militer constituait alors l’un des rouages de la sociabilité des élèves et renforçait le sentiment d’appartenance au groupe. Comme l’a montré Antoine Prost, dans un contexte cependant bien différent, l’engagement était « une pratique régulière, une attitude normale, une façon de vivre » sa scolarité76. La sortie de l’enfance correspondait à une réorganisation des liens de sociabilités favorisés, pour nombre d’élèves, par l’éloignement du domicile parental lorsqu’ils ou elles poursuivaient leur cursus dans les écoles secondaires et supérieures de Bamako. Une nouvelle camaraderie se créait en dehors des cercles familiaux et des réseaux de voisinage. « L’école est le second foyer de l’élève » notait l’UNEEM qui réclamait en conséquence que les élèves aient le droit de créer des sections syndicales dès le cycle fondamental77. Les idéaux et les expériences partagés forgeaient alors l’identité des scolaires et ont produit un vécu commun structurant une « communauté d’empreinte »78 propre à une génération. Pour autant, l’ensemble des jeunes filles et des jeunes garçons scolarisé-e-s de cette génération ne s’engagea certainement pas dans les mouvements sociaux de cette période. Comme en témoignent les trois parcours reconstitués, des dispositions individuelles venaient favoriser le passage à l’acte et le degré d’implication dans la lutte. Il analyse la transformation du rapport à l’engagement et sa libéralisation dans le contexte d’instauration de la République en France à la fin du XIXème siècle. PROST Antoine, « Changer le siècle », Vingtième Siècle. Revue d'histoire. n°60, 1998, p. 15. 77 « Résolution finale de la réunion de l’UNEEM. Adhésion aux idéaux de l’UNJM mais autonomie pour les problèmes scolaires », L’Essor, 28-29 janvier 1978, p. 4. 78 BLOCH Marc, Apologie pour l’histoire, Paris, A. Colin, 1961, p.94. 76 LA TIMIDE ÉMERGENCE D ’UNE IDENTITÉ COLLECTIVE FÉMININE L’expérience militante acquise par ces étudiantes se distinguait fortement de celle des élites féminines de la lutte d’indépendance. Leurs aînées s’étaient engagées dans des partis et des syndicats en tant qu’adultes, dans le cadre de leur vie professionnelle. Tout en s’investissant dans des organisations mixtes, elles s’étaient aménagés des espaces d’autonomie par le biais des associations féminines79. A l’inverse, les lycéennes et les étudiantes des années 1970 s’engagèrent dans un mouvement clandestin à dominante masculine. Y faire leur place en tant que femmes nécessitait de transgresser les assignations de genre (prise de parole en public, réunions nocturnes, fréquentation d’un monde d’hommes). Leur statut de jeunes filles – encore non mariées et non mères – leur a certainement offert la marge de manœuvre nécessaire pour adhérer à une culture et à des pratiques militantes considérées comme viriles, car violentes et provocantes. Il n’est d’ailleurs pas surprenant que la majorité des filles qui obtinrent des responsabilités au sein de l’UNEEM, et qui en furent les porteparoles officielles, soient des lycéennes (et non des étudiantes comme nombre de meneurs masculins). Pour les femmes, les contraintes de D’après les travaux de Pascale Barthélémy et Jean Hervé Jézéquel, les écoles coloniales n’étaient pas des espaces de politisation, où s’élaboraient et se vivaient au quotidien les premières expériences militantes. Si les « désordres, transgressions et indisciplines » contre la rigidité de la vie quotidienne se sont multipliés après 1945 dans les écoles de filles, ces contestations ne s’accompagnaient que marginalement de revendications collectives. Même du côté des Pontins, pourtant plus enclins à la contestation et mieux organisés, les revendications se limitaient aux questions matérielles (nourriture, habillement, liberté de mouvement). Il n’y eut pas de grève longue qui fédéra différents établissements contre l’administration coloniale dans le milieu scolaire. BARTHELEMY Pascale, Femmes, africaines et diplômées : une élite auxiliaire à l’époque coloniale. Sages-femmes et institutrices en Afrique occidentale française (1918-1957), thèse d’histoire, sous la direction de COQUERY-VIDROVITCH Catherine, Université Paris 7, 2004, p. 403. 79 genre se renforçaient avec l’âge et les benjamines parvenaient plus aisément à s’accommoder des prescriptions liées à leur sexe. Cerner la teneur de l’engagement de ces jeunes femmes s’avèrent cependant particulièrement délicat, tant elles minimisent - à posteriori - leur rôle dans la lutte : « ça n’était qu’un mouvement d’étudiants, un mouvement de jeunes ‘‘ados’’ »80 selon RD ; « on ne savait même pas ce qui se passait en vérité » soutient AM. Marque de pudeur ou preuve de sincérité, la réserve qui revient régulièrement dans les témoignages féminins tranche singulièrement avec l’emphase masculine. Le jeune frère d’AM n’hésite pas à présenter son aînée comme une militante « très active à l’UNEEM quand elle était à l’ENSup. Elle faisait anglais là-bas. Elle était très active dans les mouvements associatifs »81. Ainsi, les témoignages recueillis trois décennies après ce mouvement social, informent tout autant sur les modalités de l’engagement, qu’elles dévoilent les projections, les fantasmes et les contraintes de genre dans la lutte. Se raconter devient une manière d’endosser des rôles militants. Si les garçons se plaisent à relater leurs faits d’arme (cocktails molotov, barricades, arrestations) et insistent sur le climat de violence de la période, ils occultent largement la banalité de la grève, faite de « meetings d’information », de « marches » et de « sitin » non violents : « A la maison du Peuple, il y avait le bureau de Moussa le Président. On venait y faire les sit-in de 8h à midi. Avant le travail, c’était de 8h à midi et de 14h30 à 18h. Donc […] on venait s’asseoir là […] tous les jours. On a fait plus de deux semaines là-bas. On n’a pas eu d’interlocuteur. [Les militaires] chassaient les gens et les gens Entretien RD, élève en 1979-1980 au Lycée de Badalabougou. Bamako, 30 mars 2010. 81 Entretien TM, élève à l’école fondamentale puis au lycée de Gao durant les mouvements de scolaire, Bamako, 11 février 2010. revenaient mais il n’y a pas eu de provocations, pendant les sit-in, ils n’ont pas agressé les gens ». Seules les femmes s’attardent, en entretien, sur ces actions collectives répétitives et réglées qui n’avaient rien d’épique, mais qui appartenaient au répertoire ordinaire des mobilisations étudiantes. Elles évoquent les ruses, les stratégies de contournement des contrôles de police, l’ambiance des cortèges et surtout les combines pour adapter leur vie quotidienne au contexte de crise politique82. Se loger, se nourrir, se déplacer demeuraient des interrogations qui n’avaient pas disparu à la faveur du mouvement social. Si les pratiques militantes des filles et des garçons étaient certainement peu différentes dans l’action (exception faite pour les meneurs qui avaient le monopole de la parole, de l’écrit et des décisions), les discours de lutte et les manières de dire l’engagement s’avéraient – et demeurent profondément sexués. Faire émerger une parole féminine dans le contexte d’un mouvement à hégémonie masculine constituait un véritable défi. Si les étudiantes disposaient de leurs propres espaces informels de discussion comme les grins, si la non-mixité dans deux lycées de la capitale a pu favoriser l’émergence de doléances spécifiques portées par des déléguéesfemmes, rien n’augurait que l’UNEEM ne se préoccupe des revendications d’une minorité féminine. Pourtant, dès son congrès constitutif de janvier 1978, l’organisation étudiante plaida en faveur de la réintégration dans les classes des élèves exclues pour cause de grossesse : « Le Congrès insiste que les filles-mères qui viennent d’être 80 Entretien AM, élève au Lycée des Jeunes Filles en 1977 et étudiante en Lettres à l’ENSup en 1979-1980. Bamako Coura, 18 février 2010. 82 exclues, soient immédiatement reprises »83. Deux décennies après l’indépendance du pays, cette réglementation héritée des écoles coloniales était ouvertement contestée par les étudiants. Ils n’étaient pas les seuls à se soucier de la discrimination dont étaient victimes les « filles-mères ». A la même période, l’UNFM tentait de modifier les représentations accolées aux mères célibataires et plaidait en faveur d’une prise en charge collective des enfants nés hors mariage. Promouvant la diffusion de l’éducation sexuelle dans les écoles, l’organisation féminine s’était positionnée en faveur d’une gestion préventive des grossesses précoces. Elle ne s’était cependant jamais risquée à réclamer le maintien des élèves enceintes dans les établissements scolaires, probablement par crainte de voir s’accroître les résistances parentales à l’égard de la scolarisation des filles. L’UNEEM optait donc pour une posture radicale qui ne s’embarrassait guère des griefs ni des préjugés dont elle pouvait être la cible, en prenant la défense d’une catégorie de femmes stigmatisées. L’organisation étudiante agissait en syndicat qui prenait la défense des intérêts moraux et matériels de l’ensemble des scolaires. Comment cette revendication a-t-elle émergé au sein de l’organisation ? Par qui fut-elle portée ? Fut-elle débattue ? Les données manquent pour répondre à ces interrogations84. Néanmoins, ce ne fut certainement « Résolution finale de la réunion de l’UNEEM. Adhésion aux idéaux de l’UNJM mais autonomie pour les problèmes scolaires », L’Essor, 28-29 janvier 1978, p. 4. Je remercie Ambroise Vedrines d’avoir eu l’amabilité de me transmettre les deux articles de presse de L’Essor portant que les « filles-mères » qu’il évoquait dans son Master. VEDRINES Ambroise, L’Union Nationale des Elèves et Etudiants du Mali. Origines, vie et mémoire d’une organisation de jeunesse (1960-2012), Mémoire de Master 2 en histoire de l’Afrique contemporaine, sous la direction de Pierre Boilley, Université Paris 1, 2012, p. 82 84 Dans les entretiens menés avec les militantes de cette période, aucune ne mentionne cette revendication de réintégration des filles-mères. Ont-elles oublié avec le temps ? Considéraient-elles qu’il s’agissait d’une doléance mineure ? Est-ce le signe que cette revendication ne fut pas portée par la base des élèves ? Plus largement, seule RD 83 pas un hasard qu’une revendication féminine ait été inscrite sur la plate forme étudiante au moment même où Bintou Maïga accédait au bureau de coordination de l’organisation étudiante, instance exclusivement masculine jusque-là. Interpellé sur cette question à de multiples reprises par les élèves, le gouvernement se vit obligé de prendre publiquement position. Dans une interview accordée à L’Essor, le Lieutenant Colonel Yousouf Traoré, alors Ministre de l’Education Nationale affirma qu’il s’agissait d’un phénomène minoritaire et avança, pour se justifier, une pléthore de chiffres invérifiables85, que venaient contredire les rapports produits à la même période par des organismes de développement86. Tout en reconnaissant qu’il s’agissait d’une question « très sérieuse et délicate qui mérite une attention particulière », le Ministre balayait la revendication de la réintégration des jeunes filles concernées en promouvant la « prévention ». Il proposait d’introduire dans les programmes scolaires, l’éducation sexuelle « afin que les jeunes filles soient mieux informées ». A ses yeux, les garçons n’étaient pas concernés : ce problème était lié à l’ignorance, voire au libertinage, des jeunes filles. La vision moraliste de la sexualité hors-mariage qui visait à prémunir les filles et les femmes contre la corruption sexuelle se situait à l’antipode de celle de l’organisation étudiante. Celle-ci pointait du doigt l’inégalité de traitement dont étaient « victimes » les jeunes souligne que l’UNEEM s’intéressait à la condition des filles : « Les gens parlaient déjà d’accès des filles aux filières scientifiques, d’accès des filles à l’éducation, on le disait déjà. Mais à l’époque, c’était peut-être moins aigu que maintenant ». Entretien RD, élève en 1979-1980 au Lycée de Badalabougou. Bamako, 30 mars 2010. 85 « L’éducation au Mali. Le campus, les filles-mères, l’UNEEM et les mouvements estudiantins. Une interview du Lt-Colonel Youssouf Traoré », L’Essor, 13-14 mai, p. 4. 86 « Chaque année, une proportion non négligeable d'étudiantes au niveau du baccalauréat doit abandonner l'école et renoncer aux avantages acquis par des années d'effort ». LAPLANTE André, SAMAKE Faran, BROWN George F., Family Planning in Mali, Ottawa, International Development Research Center, 1975, p. 10 filles enceintes et réclamait « que soient cherchés des moyens adéquats en vue de trouver une solution à ce fléau social dont la plupart de nos sœurs sont victimes alors que les mauvais garçons qui sont coupables demeurent impunis »87. L’UNEEM appelait ainsi les élèves et les étudiants masculins à assumer leur responsabilité de filspères et demeurait intraitable sur la réintégration des élèves exclues. Refusant que la maternité ne soit un frein supplémentaire à la scolarisation des jeunes filles, l’organisation maintenait cette revendication dans la plate-forme défendue par les étudiants au cours de l’été 1979. L’apparition de cette nouvelle figure de l’étudiante contestataire alla-telle de pair avec la constitution d’un sujet social femmes dans la lutte ? La réponse à cette question s’avère loin d’être univoque tant les jeunes filles qui s’engagèrent avec et parfois comme leurs camarades masculins adoptèrent des comportements différents. Bien que le catéchisme militant n’ait pas attribué de fonction spécifique aux jeunes femmes, certaines ont évolué dans des espaces de sociabilité qui leur étaient propres : elles sont allées dans les manifestation entre filles, elles ont débattu des revendications et modes d’action dans des comités scolaires exclusivement féminins, elles ont élu leurs déléguées et l’UNEEM a promu des responsables féminins pour refléter au mieux les différentes composantes du mouvement. Enfin, l’organisation a inscrit dans sa plate-forme une revendication qui les concernait spécifiquement. Elles ont donc acquis une visibilité en tant que « filles », en même temps qu’elles ont intégré un mouvement mixte et se sont fondues dans un collectif viril. Nombre d’entre elles se sont « Résolution finale de la réunion de l’UNEEM. Adhésion aux idéaux de l’UNJM mais autonomie pour les problèmes scolaires », L’Essor, 28-29 janvier 1978, p. 4 87 accommodées du modèle dominant du militantisme et en adoptèrent toutes les caractéristiques, quel qu’en fut le coût (répression). Si leurs engagements ont pu brouiller à certain moment les frontières de genre, c’est que leur statut social n’était pas figé. Les lycéennes et les étudiantes, dans une moindre mesure, pouvaient jouer d’identités multiples - jeunes, femmes, scolaires, militantes - pour s’insérer et se mouvoir dans l’espace des mobilisations. DIDIER MONCIAUD. LES ÉTUDIANTS SONT REVENUS (ال ت المذة »)رجعوا88 : LE “68” ÉGYPTIEN, ANNÉE DE PROTESTATION ET DE RUPTURE89 Cahiers d’Histoire, revue d’histoire critique, associé au Gremamo, Université Paris7, Proposition de communication En Egypte, l’éruption d’une protestation estudiantine d’ampleur inaugure une vague de protestation qui va se perdurer jusqu’au milieu des années 1970. Trop souvent, elle est circonscrite à son aspect régional, conséquence du conflit israélo-arabe et de la guerre de 1967. Il n’est pas exagéré de considérer qu’elle reste sous-estimée malgré de riches monographies et n’est pas pleinement intégrée dans le « 68 international »… Et pourtant, le « 68 » égyptien représente une véritable brèche dans la vie politique, sociale et culturelle contemporaine du pays. Il signifie l’ouverture d’une nouvelle ère dont les caractéristiques principales sont le rejet du régime, l’espoir et la volonté d’un changement. Après le désastre militaire de juin 1967, le régime nassérien doit faire face à une crise politique d’ampleur. L’expression d’une inquiétude, d’une colère et d’un mécontentement s’exprime avec d’imposantes manifestations estudiantine mais aussi ouvrière dès juin 1967. La dernière semaine de février 1968, les étudiants protestent contre la légèreté des sentences frappant les généraux considérés comme Selon la chanson de Chaykh Imam écrite par Ahmed Fou’ad Negm pendant le soulèvement estudiantin de 1972. Voir http://www.youtube.com/watch?v=AlhNKSbnlfw 89 Ce projet de recherche doit beaucoup à la personnalité généreuse du’Ahmed Abdallah (1950-2006), dirigeant du mouvement étudiant de 1972. Ce chercheur indépendant et intègre, de sensibilité nationaliste de gauche, reste le spécialiste incontournable du mouvement étudiant en Egypte. responsables de la défaite. Le pouvoir doit lâcher du lest et rejuger les inculpés. Des manifestations éclatent le 21 novembre 1968 et dégénèrent en véritables émeutes. Le régime réagit par la répression, la suspension des cours mais aussi des mesures de clémence. Dès lors, la politisation et l’intervention active des étudiants atteignent un niveau jamais connu depuis 1952. Notre communication cherchera à montrer comment ce « moment 68 » représente une rupture et ouvre une nouvelle période qui favorise des mobilisations importantes et l’affirmation de sensibilités politiques radicales de gauche, principalement nationaliste et marxiste90. La jeunesse rebelle égyptienne s’engage pour changer l’ordre politique et social en place. Le mouvement n’est donc pas qu’un simple mouvement régional même si le conflit israélo-arabe et la question palestinienne restent un thème important. Les questions politiques et sociales « égyptiennes » s’avèrent décisives pour appréhender cette contestation. Notre étude s’intéressera aux étapes et dynamiques du « moment 68 » égyptien, à ses répertoires d’action et son héritage. Notre travail repose sur les sources suivantes : études, documents judiciaires, presse de l’époque, mémoires, entretiens, chansons, poèmes… 88 Elle marque aussi de manière plus « discrète » la reprise de la veine intégriste islamique, que cela soit de l’école de Frères Musulmans ou de la sensibilité plus radicale influencés par Sayed Qotb. 90 BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE Abdallah, Ahmed, The Student Movement and National Politics in Egypt, 1923-1973, Londres, Al Saqi Books, 1985. al-Desūqī, ‘Asem (dir), ʻUmmāl wa-tullāb fī al-hạraka al-watạnīya alMisṛīya : nadwa ʻan shahādāt wa-ruá abtạl hạrakat al-ʻummāl wa-al-tạlaba 1946-1977, Le Caire, Dār al-Mahṛūsa, 1998. Erlich, Ḥagai, Students and university in 20th century Egyptian politics, Londres, F. Cass, 1989. Rammā, As’âd, Sutûr min yawmīyāt al-hạraka al-tụllābīya al-Misṛīya, 1968-1973, Le Caire, al-Dār lil-Nachr wa-al-Tawzīʻ, 1987 Shaʻbān, Aḥmad Bahāʼ al-Dīn, Inhạztu lil-watạn : shahāda min jīl alghadạb : sạfahạt min tārīkh al-hạraka al-watạnīya al-dīmuqrāt ya li-tụllāb Misṛ, 1967-1977, Le Caire, Markaz al-Mahṛūsa lil-Buhụth wa-al-Tadrīb wa-al-Nashr, 1998. IRÈNE RABENORO. DE L’ESPOIR D’UNE “ECOLE NOUVELLE” EN MAI-1972 À MADAGASCAR AU DÉSESPOIR ACTUEL DES ÉTUDIANTS Université d’Antanarivo “Sekoly vaovao”91, Ecole nouvelle - des mots porteurs d’espoir pour les jeunes malgaches en 1972. L’enthousiasme était au rendezvous et pour cause : on allait construire une école nouvelle, voire une société nouvelle92 et un système politique nouveau93. Depuis, les jeunes comme l’ensemble de la population sont allés de déboires en désillusions: l’école postérieure à 1972 est loin d’avoir réduit les inégalités qu’ils combattaient, elle semble même plus discriminatoire encore qu’avant. Actuellement, la moitié des jeunes scolarisés aussi bien que non instruits est semble-t-il en butte au chômage et au sousemploi94 et devient la proie de maintes dérives outrepassant la légalité et de gens peu scrupuleux95. A signaler l’emprunt à l’anglais « school » du mot malgache pour «école», dû à l’introduction de l’école à Madagascar par les missionnaires protestants britanniques au début du 19e siècle, en même temps que celle de la Bible. 92 Cf. infra p.17 93 Cf. infra tract 26. 94 Lors du Salon regional de l’emploi et de la jeunesse organisé à Toamasina (premier port de Madagascar) du 29 au 30 avril 2014, le ministre de l’Emploi, de l’Enseignement technique et de la Formation professionnelle, Gatien Horace, “et les autorités régionales et communales ont mesuré davantage l’intérêt de développer des actions rapides en faveur des jeunes du pays dont la moitié fait face aujourd’hui à la gravité du chômage et du sous-emploi.” http://www.ilo.org/public/french/region/afpro/antananarivo/ téléchargé le 3 mai 2014. 95 Par exemple, “La situation précaire des jeunes filles peu éduquées ou analphabètes vivant en milieu urbain fait d’elles une proie facile des agences de recrutement et des employeurs impliqués dans la traite des êtres humains. Le tourisme sexuel infantile existe notamment dans les villes cotières et est exarcerbé par la pauvreté des familles.”, Document UNESCO de programmation pays – Madagascar 2012-2013, janvier 91 L’objectif que nous proposons d’atteindre est de voir si, parmi les idées émises à propos de la réforme de l’enseignement en 1972, on peut déceler des indices pouvant éclairer sur l’attitude de la majorité des étudiants actuels et plus généralement, sur la situation actuelle des universités publiques malgaches. Une limite spatiale sera observée: il s’agira en particulier de l’Université d’Antananarivo, celle dont ont émané les cinq autres universités. Notre corpus d’étude sera constitué de tracts diffusés à l’époque qui auront été sélectionnés en fonction de notre objectif. Nous y reviendrons, après avoir donné un aperçu des contours de la question qui nous intéresse. LA TOILE DE FOND DE L ’OBJET Il est de bon ton de rendre compte des évènements de mai 1972 en affirmant que «(…) toute la politique de l’éducation était calquée sur celle de l’ancienne métropole. Et c’est justement cette inexistence de rupture avec les pratiques coloniales qui porta le nationalisme malgache à la révolution de mai 1972.” 96 S’ensuit alors le discours habituel et qui a toujours cours: “C’est alors la mise en place d’un système éducatif répondant à la politique et à l’idéologie socialiste. Avec la décentralisation et la malgachisation de l’enseignement, la IIème république ne fera que réaliser l’aspiration populaire anti-néocoloniale. Mais ces politiques décevront autant qu’elles sacrifieront toute une génération de Malgaches.”97 Si de tels 2012, p.7-8. http://unesdoc.unesco.org/images/0021/002153/215326f.pdf téléchargé le 4 mai 2014. 96 Andrianintsilavo Masoandro Rakotoarimanana, Stephano Carly Rakotozafiniaina, Tatiana Eddie Razafindravao, Ludonie Velontrasina, L’éducation à Madagascar. Repenser le système éducatif pour un meilleur devenir, Policy Paper 3, Friedrich Ebert Stiftung, novembre 2012, non paginé. http://www.mg.undp.org/content/madagascar/fr/home/presscenter/articles/ téléchargé le 4 mai 2014. 97 Ibid. propos concernant les effets désastreux de la décentralisation et la malgachisation de l’enseignement sont sujets à caution98, il est un fait que l’enthousiasme des années 1970 a fait place au désespoir: les jeunes, désabusés pour la plupart, figurent parmi les groupes sociaux les plus touchés99 par la situation de crise actuelle que nous qualifions de “totale”100. Elle touche en effet tous les aspects de la vie: crise de société, crise morale, économique, politique, culturelle… Malgré l’élection d’un nouveau président de la République101 au terme d’un régime de transition qui aura duré 5 ans, la crise totale est trop profonde pour être résolue en quelques mois. D’ailleurs – mais il s’agit d’une hypothèse qui reste à vérifier –, le coup d’Etat de 2009 également appelé “changement anti-constitutionnel” et la crise En l’absence de toute évaluation, il est difficile d’affirmer quoi que ce soit. “Des mesures de redressement urgentes en termes de politique de l’emploi (...) s’imposent pour éviter une génération perdue voire une explosion sociale à Madagascar”, intervention de Clara Ramaromanana (Bureau de l’OIT à Antananarivo) à la conférence débat sur la « Situation socio-économique à Madagascar: diagnostic et piste de solutions”, organisée par la Vice-primature chargée de l’Economie et de l’Industrie, Antananarivo, 28 août 2013. http://www.ilo.org/public/french/region/afpro/antananarivo/ consulté le 3 mai 2014. 100 Dans une intervention intitulée « L’éducation au service de la nation », nous avons relaté une anecdote qui donne une idée de l’ampleur du phénomène de perte de repères: un jeune homme « bien » habillé, qui ne prend pas la peine de garer sa voiture, qui en descend et fait ses besoins sur le trottoir, en pleine ville, dans la capitale, en début de soirée. Le plus intéressant à noter est que bien peu de gens s’émeuvent de tels faits – tsy maninona (qu’importe)!. Atelier organisé par le CRECI, Faculté des Lettres et Sciences humaines, Université d’Antananarivo, sur le thème « La nation malgache : construction, déconstruction, reconstruction », 29-30 novembre et 1er décembre 2012, Université d’Antananarivo. 101 Le nouveau président de la République, Hery Rajaonarimampianina, ancien ministre des Finances du gouvernement de transition, a prêté serment le 25 janvier 2014. 98 99 politique de 5 ans qui s’ensuivit n’auraient pas eu lieu si les fondements de la société malgache n’étaient pas déjà fragiles102. C’est dans ce contexte de crise totale que nous tenterons une approche des idées qui ont mû les étudiants de l’Ecole de médecine de Befelatanana d’abord, puis de l’Université de Madagascar et leurs jeunes camarades du secondaire en 1972, tout en portant un regard furtif sur leurs congénères d’aujourd’hui, 42 ans plus tard. Furtif ce regard l’est, car ne reposant sur une quelconque recherche sur le sujet. Cependant, nous sommes d’avis que même en l’absence d’une véritable étude sur les raisons du désespoir des étudiants actuels, censés être privilégiés par rapport aux autres jeunes, il est possible d’essayer d’y apporter quelque explication. organisés104 s’opposent-ils de temps à autre aux forces de l’ordre pour réclamer le paiement de leurs bourses d’études. Il est toutefois intéressant de noter que ces derniers temps, il est arrivé que des étudiants, las d’attendre six mois durant le début des cours105, aient manifesté. Ils signalent ainsi leur existence en tant qu’étudiants et c’est là sinon un signe d’intérêt pour les études, du moins une réaction à l’oisiveté. A remarquer que dès le deuxième jour de grève le 25 avril 1972, le tract 3 appelait les jeunes manifestants à prendre leur avenir en main et à revendiquer leurs droits, réagissant ainsi à l’Etat accusé de les infantiliser et qualifié dans le tract de “paternaliste”. Ce pour quoi les jeunes luttaient il y a 42 ans est donc encore bien d’actualité. Les responsabilités des uns et des autres étant mises à part103, nous tenterons d’apporter un éclairage sur la situation actuelle où ceux censés bénéficier de l’éducation, en particulier les jeunes, sont presque sans voix. Tout au plus de petits groupes éphémères et non Quant au syndicat des enseignants et chercheurs de l’enseignement supérieur public, le “fameux” SECES qui avait été un des signataires du tract106 qui a déclenché une vive réaction Nous avons pris comme exemple de déliquescence de la société malgache les vols de sépultures dans les tombes, « qui faisai(en)t scandale à ses débuts et qui, comme bien d’autres phénomènes, n’étonne(nt) guère plus.” Il est fort étonnant que depuis l’existence de ces vols des «ancêtres” (les ossements sont le symbole des ancêtres), ils n’aient fait l’objet d’aucune enquête sérieuse de la part des pouvoirs publics ni d’interpellations soutenues de la part des parlementaires et de la société civile. Irène Rabenoro, “Les enseignants-chercheurs au coeur d’un enseignement supérieur porteur d’espoir pour Madagascar », communication présentée lors de la conférencedébat sur L’enseignement supérieur à Madagascar, Département d’Etudes anglophones/Organization for Social Science Research in Eastern and Southern Africa (OSSREA), Madagascar Chapter, Université d’Antananarivo, 19 septembre 2013, à paraître. 103 Qui est responsable de quoi, telle est la question qui se pose dans ce contexte de crise où l’Etat tente de renaître et où les responsabilités se diluent. La classe politique figure à n’en pas douter parmi les premiers responsables de la situation actuelle. 104 102 chez les tenants du pouvoir en 1972107, il est désormais peu écouté. Malgré la fréquence très élevée des grèves qu’il mène108, il ne fait pas Il y a bien des associations d’étudiants au niveau des facultés et écoles ainsi que des associations par région d’origine des ètudiants mais ni les unes ni les autres ne sont très visibles ni très appreciées de l’étudiant moyen. La grande majorité des étudiants est tellement silencieuse que cela en est inquiétant pour des jeunes. 105 Il s’agit des cours de l’année universitaire 2013-2014 qui, en avril 2014, n’avaient pour la plupart pas encore commencé. 106 Cf. infra tract 15. 107 Ce tract, distribué le 12 mai 1972, s’intitule “Ho anareo mpiasa rehetra eto Antananarivo” (A vous tous travailleurs à Antananarivo). Il est signé par le SEMPA (syndicat des enseignants de secondaire public), l’AEOM (Association des étudiants d’origine malgache regroupant les étudiants malgaches en France), le SECES (syndicat des enseignants et chercheurs de l’enseignement supérieur) et la FAEM (Fédération des associations des étudiants de Madagascar). Il lance un appel aux travailleurs pour qu’ils rejoignent les étudiants devant l’hôtel de ville le lendemain, le samedi 13 mai, semant ainsi la panique au sein des autorités gouvernementales. Ce tract a l’objet d’une quelconque répression. Au contraire, les autorités offrent aux dirigeants du syndicat des postes de direction au sein du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, ce qui a pour effet de mettre un arrêt, il est vrai temporaire109, aux grèves. Par contre, les enseignants du primaire et du secondaire regroupés autour du SEMPAMA110 ont subi une série de répressions suite aux grèves répétées qu’ils ont menées en 2012-2013 mais auxquelles les gouvernants sont restés sourds. C’est peut-être la première fois dans l’histoire des grèves d’enseignants que ceux qui exercent en dehors de la capitale semblent avoir été les plus motivés pour réclamer de meilleures conditions de vie, notamment une hausse de salaires111. A croire que la vie est dure, comme l’attestent les chiffres du PNUD: probablement motivé l’arrestation de ceux qu’on croyait être les meneurs du mouvement et leur envoi sur l’île de Nosy Lava, qui sert de bagne aux criminels, dans la nuit du 12 mai. 108 Cette fréquence des grèves, qui ont généralement pour motifs des revendications corporatistes, est telle qu’il est parfois difficile de savoir quand une grève commence et quand elle s’arrête. 109 Il faut dire que les responsabilités confiées aux leaders du syndicat sont tout aussi temporaires. 110 Ce syndicat des enseignants de l’enseignement public est dirigé par Claude Raharovoatra, bête noire des anciens responsables du ministère de l’Education nationale. 111 A ce sujet, dans un article en cours de publication, nous avons souligné le fait que « Ces derniers temps, jamais Madagascar n’aura connu autant de grèves d’enseignants de tous les niveaux, jamais les enseignants en dehors de la capitale ne se sont autant mobilisés, jamais les enseignants en grève n’ont subi autant de mépris et n’ont été aussi ignorés des autorités. », in « Les enseignants-chercheurs au cœur d’un enseignement supérieur porteur d’espoir pour Madagascar », communication présentée le 19 septembre 2013, conférence-débat sur L’enseignement supérieur à Madagascar, organisée par le « Organization for Social Science Research in Eastern and Southern Africa » (OSSREA) Madagascar, Université d’Antananarivo. Madagascar, avec une population estimée à 21,3 millions, enregistre un taux de pauvreté de 76,5%112. Cet aperçu aura permis d’avoir une idée, si succincte soit-elle, du contexte dans lequel la présente étude est menée. DU CORPUS ET DE LA DÉMARCHE MÉTHODOLOGIQUE Alors que le travail de recherche que nous avons mené à propos de mai 1972113 s’était appuyé à la fois sur les tracts et les résolutions du congrès national qui a clôturé les évènements114, il nous semble plus pertinent de s’attacher à examiner les tracts. Etant donné notre intention de nous pencher sur la question éducative, il nous semble que ce sont eux qui véhiculent le plus fidèlement les idées des élèves et étudiants de Mai-1972 à ce sujet. Les premiers tracts qui les ont mobilisés tournaient quasiment tous autour de ce qui les préoccupait: l’enseignement, leur statut d’apprenant et la façon dont les autorités les considéraient. Le congrès national en effet, d’après le KIM115, Ce chiffre date du jour où l’information a été téléchargée du site du PNUD, le 11 mai 2014: http://www.mg.undp.org/content/madagascar/fr/home.html . L’Agence ECOFIN, citant la Banque Mondiale, affirme en juillet 2013 que 92% de la population vit sous le seuil de la pauvreté. http://www.agenceecofin.com/politique/0707-12246-madagascar-92-de-lapopulation-sous-le-seuil-de-pauvrete téléchargé le 11 mai 2014. 113 Irène Rabenoro, Le vocabulaire politique malgache pendant les évènements de Mai 1972, thèse de doctorat d’Etat ès-Lettres et Sciences humaines, Université Paris 7Denis Diderot, décembre 1995. 114 Le congrès national s’est tenu dans la capitale du 4 au 19 septembre 1972. Dès le début de la grève fin avril, le tract 41 avait évoqué la tenue d’un congrès national considéré comme l’aboutissement des séminaires. 115 KIM: Komity Iombonan’ny Mpitolona = Comité commun de lutte au sein duquel le groupe dominant était celui des travailleurs, dont des enseignants de tous les niveaux du système éducatif. C’est dans un tract intitulé “Fantatrao ve fa naongan’ny mpitokona ny sarivongan’i Tsiranana ...” (“Savez-vous que les grévistes ont déboulonné le buste de Tsiranana ...”) que ces objectifs du congrès national sont mentionnés. 112 organe suprême du mouvement, avait d’autres tâches : l’élaboration d’une nouvelle constitution en vue de la mise en place d’un nouveau système politique et de la tenue d’élections libres. On notera cependant que le mot malgache pour “école” (sekoly) occupe sensiblement le même rang dans les tracts et dans les résolutions du congrès national : il se trouve au 6e rang dans ces dernières et occupe le 5e rang dans les Tracts116. L’école est donc demeurée un thème relativement majeur vers la fin du mouvement, environ 4 mois après les temps forts. La constitution du corpus s’est effectuée sur la base du contenu des tracts: les tracts retenus sont ceux qui, à la lecture, traitent un tant soit peu de l’école, qui que soient leurs rédacteurs. Le résultat est un corpus composé de 43 tracts qui, pour 39 d’entre eux, ont déjà servi à la poursuite d’autres objectifs de recherche117. Notre objectif étant d’essayer de cerner les idées sur le système éducatif et non d’observer la langue utilisée, la langue de rédaction des tracts importe peu: aussi aux 39 tracts en malgache ont été ajoutés 4 tracts rédigés en français. A signaler que les tracts sont présentés ici dans l’ordre chronologique de leur diffusion, que leur date soit précise ou approximative.118 Ceci nous permet dès l’abord de constater que leur nombre décroît au fil des mois: 29 tracts du 24 avril au 31 mai dont 4 en français, 9 en juin, 4 en juillet et un seul en août-septembre. Ces Il s’agit ici des 99 tracts que nous avons retenus suivant des critères précis pour le sous-corpus Tracts de notre thèse. A noter que la lettre initiale du mot “tract” est mise en majuscule quand ce terme renvoie à ce sous-corpus, et non à un de ces éléments. 117 Il s’agit des objectifs de notre thèse de sociolinguistique citée plus haut. Les 39 tracts retenus pour le présent corpus constituent 38,61% de la totalité du sous-corpus Tracts de notre thèse. 118 Rares sont les tracts portant une date. Aussi ont-ils été datés en fonction de l’évolution des évènements, pour certains de leur apparition dans des journaux, ou aussi de leur contenu. 116 chiffres donnent une idée de l’essoufflement du mouvement avec le temps d’une part et d’autre part de la réduction progressive de la part accordée au thème de l’enseignement. Par ailleurs, il convient de souligner que sur les 43 tracts retenus, 34 ont été produits par le comité de grève estudiantin, soit 79,06%, ce qui nous conforte encore advantage dans le choix que nous avons opéré de travailler sur les tracts. Au cours de l’analyse, afin de permettre une référence plus aisée à l’un ou à l’autre, les tracts seront suivis du numéro d’ordre qui leur est attribué ici. Ci-après les éléments du corpus retenus pour avoir traité plus ou moins de questions liées à l’enseignement. Tracts du 24 avril au 31 mai 1972 Titre 1 Date Emetteur(s) Miady na ho faty (Lutte ou 24 crève) avril Ny Komitin’ny Grevy 2 Henoy! (Ecoutez!) 24 avril Ny Komitin’ny Grevy 3 “Nitaky i Befelatanana” 25 (Befelatanana a fait des avril revendications) Ny Komitin’ny Grevy (le comité de grève) 4 Sekoly ho an’olom-bitsy. 28 “Raha 1000 no miditra ... ” avril (Ecole pour une minorité/élitiste. “Si 1000 entrent ...) Komitin’ny Mpitokona (comité des grévistes) 11 Ho an’ny mpianatra 05 ivelan’Antananarivo (Pour mai les élèves en dehors d’Antananarivo) Ny mpianatra namanareo eto Antananarivo (vos camarades étudiants à Antananarivo) 5 Sekoly ho an’olom-bitsy. 28 “50% ny zaza malagasy ...” avril (Ecole pour une minorité/élitiste. “50% des enfants malgaches ...”. Comité de grève 12 Isika mpitokona no 08 misafidy (C’est à nous, mai grévistes, de choisir) Ny Komitin’ny Mpitokona (le comité des grévistes) 13 Tsy maintsy mandresy ny 09 mpitokona! (La grève mai vaincra!) Ny Komitin’ny Mpitokona (le comité des grévistes) 6 Sekoly tsy fitoviana (Ecole 02 inégalitaire) mai Ny Komitin’ny Mpitokona (le comité des grévistes) 14 Ho an’ny mpiasa rehetra 11 eto Antananarivo (A tous mai les travailleurs d’Antananarivo) SNIPUMA: Ratsimba, Filoha nasionaly (Président national). 7 Sekoly miangatra (Ecole 02 discriminatoire) mai Ny Komitin’ny Fitokonana (le comité de grève) 8 Mitohy ny fitokonana! (La 03 grève continue!) mai Le Comité de grève SEMPA: Andriamanisa, Viceprésident, Relations extérieures. 9 Sekoly mihinam-bolam- 03 bahoaka (L’argent du mai peuple dilapidé pour une école qui n’est pas la sienne) Ny Komitin’ny Mpitokona (le comité des grévistes) SECES: Ignace R., Sekretera jeneraly (secrétaire général). 10 Fianarana tsy mahavita 04 azy (Enseignement “nul” / mai qui ne vaut rien) Komitin’ny Mpitokona (comité des grévistes) FAEM: Jérôme R., Sekretera jeneraly (secrétaire général). AEOM: Ranaivosoa. Tampon: Comité de grève estudiantin. 15 Ho anareo mpiasa rehetra 12 eto Antananarivo (A vous mai tous travailleurs à Antananarivo) SEMPA: Andriamanisa, Viceprésident, Relations extérieures. AEOM: Ranaivosoa. SECES: Ignace R., Sekretera jeneraly. (secrétaire général). FAEM: Jérôme R., Sekretera jeneraly (secrétaire général). 16 Ho an’ny mpianatra sy ny 15 mpiasa (Aux étudiants et mai travailleurs) 17 Fomba hitondrantsika ny loa bary an-dasy (Comment nous organiser pour les séminaires) Ny Komity Vonjy Maika (le comité provisoire) 2e Ny Komitin’ny Fitokonana (le quinz comité de grève) . mai 119 18 Mahereza ry mpitolona 2e Ny Komitin’ny Fitokonana (le (Courage, camarades quinz comité de grève) militants) . mai 119 “Quinz.” est l’abréviation de « quinzaine ». 19 Inona ny hevitrao 2e Ny Komity ny Mpitokona (le momban’ny fielin’ny quinz comité des grévistes) sekoly eto? (Que pensez- . mai vous de la répartition géographique des écoles?) 20 Inona no mari- 2e Ny Komitin’ny Fitokonana (le pandresen’ny mpianatra? quinz comité de grève) (Quels signes de victoire . mai pour les étudiants?) 21 Ho vonona lalandava 2e Ny Komitin’ny Fitokonana (le hiaro ny kongresintsika quinz comité de grève) isika (Soyons toujours . mai prêts à défendre notre congrès) 22 Sekolin’ny 2e Ny Komitin’ny Fitokonana (le mpangorongarena vahiny quinz comité de grève) (Le capitalisme étranger . mai derrière l’école) 23 Tantaran’ny 2e Komitin’ny Fitokonana fampianarana teto Ma- quinz (comité de grève) dagasikara (Historique de . mai l’enseignement à Madagascar) 24 Sekoly fanompoana ny 2e Ny Komitin’ny Mpitokona (le mpangoron-karena (Ecole quinz comité des grévistes) au service du capitalisme) . mai 25 Tolon’iza (La lutte pour 2e Ny Komitin’ny ZOAM qui?) quinz . mai Tracts de juin 1972 Titre Date Emetteur(s) 26 “Sekoly vaovao no 1ère Komitin’ny Fitokonana takiantsika atsangana ...” quinz (comité de grève) (C’est une école nouvelle . juin que nous revendiquons) 27 Fanjakan’ny madinika. 1ère Ny Komitin’ny Fitokonana (le “Notsikeraintsika quinz comité de grève) hatramin’izay ...” (Pouvoir . juin du petit peuple. “Nous avons analysé jusqu’ici ...”) 28 Famintinana sy soso- 1ère Ny Komitin’ny Fitokonana (le kevitra (Synthèse et quinz comité de grève) propositions) . juin 29 Fampahatsiarovana (Rappel) 1ère Ny Komitin’ny Fitokonana (le quinz comité de grève) . juin 30 Olana apetraky ny 1ère Ny Komitin’ny Fitokonana (le fanagasiana ny quinz comité de grève) fampianarana (Problèmes . juin posés par la malgachisation de l’enseignement) 31 Antso avo ho an’ny 1ère Ny Komitin’ny Tolon’ ny tantsaha (Appel aux quinz Mpiasa (le comité des paysans) . juin travailleurs en lutte) 32 Tolon’ny ZOAM (Lutte des 1ère Ny Komitin’ny ZOAM ZOAM) quinz comité des ZOAM) . juin (le 33 Miady ho an’iza moa isika 1ère Ny Komitin’ny ZOAM ZOAM? (ZOAM, pour qui quinz comité des ZOAM) luttons-nous?) . juin (le 34 Mifohaza ry tantsaha 2ème Komitin’ny ZOAM (comité des havako ka andeha hijoro quinz ZOAM) fa androm-pivoarana izao. . juin (Amis paysans, réveillezvous, et levons-nous, l’heure est au progrès) Tracts de juillet 1972 Titre Date Emetteur(s) 35 Sekoly vaovao. “Votoatin- 10 Ny Komitin’ny Fitokonana kevitra ...” (Ecole nouvelle. juillet “Idées essentielles...) 36 Hevitra niseho tamin’ny loabary an-dasy momba ny sekoly vaovao (Les idées dégagées des séminaires à propos de l’école nouvelle) 1ère Komitin’ny Fitokonana quinz (comité de grève) . juillet 37 Teny fanolorana ho amin’ny sekoly vaovao (Préambule du projet “Ecole nouvelle”) 1ère Ny Komitin’ny Fitokonana quinz (Le comité de grève) . juillet 38 Hevitra hanorenana ny vaovao (Principes création de nouvelle) 2ème Komitin’ny Fitokonana quinz (comité de grève) . juillet fototra sekoly pour la l’école Tracts d’août-septembre 1972 Titre 39 Tolom-bahoaka 1972 (Lutte de 1972) Date Emetteur(s) 1ère quinz. Komitin’ny ZOAM d’août Tracts en français diffusés en avril-mai 1972 Titre Date Emetteur(s) 40 Lutte ou crève Comité de grève 41 La grève continue Le Comité de Grève 42 Primaires, secondaires, universitaires Comité de grève 43 Ecoute!!! Non signé mais produit probablement par le Comité de grève Relevons que deux des quatre tracts rédigés en français sont la traduction de tracts en malgache, ou inversement car on ne sait lesquels sont les originaux. Il s’agit des tracts 40 et 43 sont respectivement la version française du tract 1 Miady na ho faty (Lutte ou crève) et du tract 2 Henoy! (Ecoutez!). Le traitement qui sera fait des éléments du corpus ne fait appel à aucune procédure particulière: il s’agira d’une analyse en contexte des mots ou des énoncés qui intéressent notre question de recherche. Toutefois, il nous faut prendre des précautions avant d’entamer l’analyse. Ainsi, on gardera à l’esprit un certain nombre de points. Le premier a trait à l’objet à analyser: le tract. En 1972, le tract n’est en effet « (…) pas seulement cet objet qui vise à “frapper, instruire, faire agir dans de brefs délais”, mais aussi un document à caractère informatif et didactique, parfois polémique, qui sert de point de départ aux débats tenus lors de ce qu’on appelaient des “séminaires”. Au moins un tract était distribué le matin aux séminaristes, et cet objet a fini par créer des habitudes, des attentes, et entretenir un certain climat: l’on imaginait mal qu’il puisse y avoir un jour sans tracts. Les élèves et les étudiants en particulier, entre fin Avril et Juin 1972, avaient l’habitude de les avoir entre les mains, de se les passer, de les lire et de les commenter.”120 Les réponses et réactions à un tel type de support ne peuvent relever de réflexions approfondies. Pour la plupart des acteurs du mouvement, les réactions ont des chances d’être spontanées, de venir du coeur121 plutôt que de l’esprit. Seuls les membres de syndicats, de partis politiques ou d’associations auraient pu donner des réponses réfléchies à des questions dont ils auraient pu avoir débattu par ailleurs. Il est un autre point que l’on aura à l’esprit au cours de notre étude: il s’agit des conditions de production des tracts sur lesquelles nous nous pencherons brièvement. Le discours contenu dans les tracts a été produit, au plan national, un an après le soulèvement des paysans dans le Sud sous la Irène Rabenoro, 1995, op. cit., p.43. Dans ibid. p.292, nous avons relevé dans notre corpus 12 mots composés avec le substantif “fo” (coeur). Nous faisions alors remarquer que les Malgaches passaient pour être des gens de coeur. 120 121 direction du parti MONIMA de Monja Jaona, et deux mois après la réélection avec un score peu plausible de 99,9% des voix122 du premier président de Madagascar après qu’il a recouvré son indépendance, Philibert Tsiranana. La présence française est encore forte, ainsi que le souligne Françoise Blum: “(Les accords de coopération) impliquent la présence d’assistants techniques à tous les échelons du pouvoir, qui occupent la plupart des postes clés.”123 Cette visibilité excessive de la France, ne serait-ce qu’aux postes de direction de l’Université de Madagascar et des lycées, y ait certainement pour quelque chose dans la mobilisation des participants au mouvement. Au plan international et notamment par rapport à l’ancien pays colonisateur, Mai-1972 a eu lieu 4 ans après Mai-68 en France. Il est probable que Mai 68 ait été une source d’inspiration pour les dirigeants de mai 1972. Le marxisme était en vogue, de même que la liberté de parole. Bien d’autres paramètres124 sont à prendre en compte mais ces quelques éléments d’information pourraient suffire à l’approche de notre objet. L’ÉCOLE : DÉTRUIRE ET CONSTRUIRE Dans un contexte où l’amitié et la solidarité sont réelles, l’âge, le niveau d’instruction et le milieu social dont émanent les ”séminaristes” importent peu. Chacun a le droit de s’exprimer, de dire ce qu’il pense. Mais il est évident que compte tenu des conditions dans lesquelles les tracts ont été produits, les idées qu’ils renferment sont pour la plupart Anne-Marie Goguel, Aux origines du mai malgache. Désir d’école et compétition sociale 1951-1972, Paris: Karthala, 2006, p.317. 123 Françoise Blum, « Madagascar 1972 : l’autre indépendance. Une révolution contre les accords de coopération”, Le Mouvement Social, juillet-septembre 2011, p.64. Ces accords ont été signés au moment de l’indépendance en juin 1960. 124 Voir entre autres Anne-Marie Goguel, op.cit., p.317-359. Voir également notre thèse, op.cit. 122 plutôt vagues: leurs auteurs ne sont pas, sauf peut-être exception, des spécialistes de l’éducation. Soulignons que le mot “école” est ici en quelque sorte un mot générique et renvoie donc aussi bien à l’enseignement primaire qu’au secondaire et à l’université. D’après les tracts, pourquoi détruire l’école et en construire une nouvelle? Une des raisons évoquées de manière répétitive est le caractère inégalitaire et discriminatoire de l’école. L’école est réservée à une minorité: n’y a pas accès la moitié des enfants en âge d’aller à l’école (cf. tract 5). Elle est aussi sélective dans la mesure où ce sont les enfants de fonctionnaires, de grands possédants125 et de riches agriculteurs qui y ont accès alors que tous les contribuables en assurent le fonctionnement (ibid.). Il s’agit de l’école publique, bien équipée, qui coûte chère et qui est de qualité contrairement aux écoles privées et confessionnelles de qualité médiocre (cf. tract 9). Dans ce même tract, le coût élevé d’un étudiant diplômé est indiqué et d’autres statistiques dans ce domaine fournies pour aboutir à la conclusion que le peuple ne mange pas à force de payer des impôts pour une école chère et inégalitaire. Les capitalistes, dont il est dit qu’ils ont besoin de former des jeunes qui seront à leur service, sont donnés pour causes de cette école injuste et discriminatoire (cf. tract 24), de la pauvreté et de l’impossibilité à accéder à l’emploi (cf. tract 20). Un lien est donc établi entre l’enseignement et l’économie, entre l’école inégalitaire et discriminatoire et la catégorisation des travailleurs par les capitalistes suivant qu’ils ont un emploi requérant de la force physique ou des compétences liées aux études effectuées. Sont la cible des tracts les 125 C’est ainsi qu’a été traduit le mot malgache tremalahy. capitalistes français en particulier, à cause de qui on est obligé d’apprendre le français (cf. tract 22). Mais les accords de coopération avec la France126, qualifiés d’accords d’esclavage (cf. tract 6), sont aussi accusés d’être à l’origine des inégalités par rapport à l’école et à l’emploi. Le tract 6 quant à lui s’attaque aux enseignants, considérés comme des espions des capitalistes, en ce qu’ils classent les élèves en bons et mauvais, et seuls les bons obtiennent le diplôme qui ouvre la porte à l’emploi. Par contre, le tract 35 préconise une collaboration entre élèves et enseignants dans la mise en oeuvre de l’école nouvelle. Quant au tract 20, il estime que la lutte des étudiants est intimement liée à celle des travailleurs et des indigents (en malgache mpitrongy vao homana). Sont en revanche considérés comme ennemis des étudiants ceux qui empêchent la tenue du congrès en envoyant des gens en exil et en tuant ou qui veulent perturber le congrès populaire. Ce sont en effet les participants au congrès, notamment les étudiants et le peuple, qui devraient avoir pouvoir de décision quant à la création de l’école nouvelle. Face à ces idées parfois peu réalistes, certains adoptent un point de vue plus pragmatique comme l’atteste le tract 30 consacré aux problèmes que pose la malgachisation de l’enseignement. On s’y interroge sur les conditions nécessaires à la mise en œuvre de la malgachisation: la langue malgache ferait-elle l’affaire en tant que langue d’enseignement? Par cette question, il n’est pas impossible que les auteurs de ce tract veuillent inciter les participants à réfléchir à la possibilité d’adopter un enseignement bilingue (malgache-français). Toujours dans ce tract 30, il est suggéré que la langue malgache soit 126 Voir l’article de Françoise Blum, op. cit., très instructif à ce sujet. développée127, ce qui à nos yeux serait tout à fait utile si elle devait servir d’outil de communication didactique à tous les niveaux du système éducatif. Toujours à propos de la langue malgache mais dans un autre tract (tract 36), il peut paraître surprenant qu’il soit question de l’école nouvelle devant avoir pour objectif d’apprendre à l’ensemble de la population à parler malgache. Cette proposition trouve peut-être son explication dans ce qui s’est passe en 1963: «Le rapport de la Mission UNESCO resta confidentiel, probablement parce qu’il prenait fermement et ouvertement parti pour une « malgachisation intégrale, facteur d’unité pour la planification, et d’union pour la nation”, prise de position qui, étant donné le caractère politique de ce débat, aurait pu en faire une arme entre les mains de l’opposition”.128 Pour en revenir au français, notons que les compétences dans cette langue sont dites constituer le principal critère d’évaluation des connaissances (cf. tract 22). Ces compétences linguistiques sont aussi sources d’inégalités entre étudiants. On affirme dans le tract 22 que ce sont ceux qui sont bons en français qui obtiennent un emploi et dominent les petits agriculteurs et éleveurs ainsi que les petits A considérer que les auteurs de ce tract 30 partagent notre point de vue, développer une langue, en l’occurrence le malgache, signifie la standardiser et la doter d’éléments, notamment lexicaux, dont ses utilisateurs ont besoin quelle que soit la situation dans laquelle ils s’en servent. 128 Anne-Marie Goguel, op. cit., p.258. Cette position de la Mission de l’UNESCO en 1963, date de parution du Rapport, se comprend quand on sait que l’UNESCO préconise depuis 1953 la langue maternelle comme médium d’instruction. Un tel fait nous rappelle un autre rapport mais datant de 1993, qui soutient que pour améliorer le système éducatif, il faut adopter la langue malgache comme médium d’instruction. Il s’agit du rapport de mission de Marcel Crahay pour la Banque Mondiale, Comment améliorer le système d'éducation en République de Madagascar?, 1993, que le ministère chargé de l’éducation de l’époque s’est efforcé de cacher et qui continue de faire l’objet de cachotteries. 127 salariés. On observera que l’accent est mis ici sur le caractère politique et social de la langue. particulièrement aigu pour le recrutement des enseignants des lycées (…).”129 Dans le tract 30 que nous avons commencé à observer, le doute est perceptible à travers la question posée: un enseignement des traditions serait-il bénéfique aux “petits”, au petit peuple? Ce tract 30 s’interroge également sur le problème de remplacement des assistants techniques étrangers. Ainsi que nous l’avons souligné plus haut, la présence des Français est trop voyante pour continuer à être acceptée. Il n’en reste pas moins que leur départ à partir de 1972-1973, sans solution de rechange, ne pouvait qu’avoir des conséquences catastrophiques sur l’enseignement, l’économie et plus généralement sur tout secteur nécessitant certaines compétences. Le tract 11 fait remarquer que le système éducatif et le contenu de l’enseignement, semblables à ceux de la France, ne conviennent ni à la société malgache, ni aux besoins de développement du pays, ni à son économie. Les auteurs de ce tract font preuve de réalisme en soulignant qu’il ne faut pas se contenter de contrer, qu’il faut concevoir un nouveau système. Cependant, moins réaliste était l’idée du tract 35 selon laquelle toutes les écoles privées doivent être prises en main par l’Etat pour qu’aucun élève n’ait à payer des frais de scolarité. Ces questions nous semblent pertinentes, indépendamment des réponses qui ont pu y être apportées. Si elle avait été planifiée, la malgachisation, en l’occurrence l’adoption du malgache comme médium d’instruction, n’aurait peut-être pas eu les effets négatifs qui ont traumatisé plus d’un et continuent à effrayer bien des citadins. De même, une planification du remplacement des assistants techniques étrangers par des nationaux aurait peut-être permis d’éviter la grave carence en compétences depuis des dizaines d’années, notamment en enseignants, dans la perspective de la décentralisation et de la démocratisation de l’enseignement. A cet égard, il nous faut remarquer que certains rédacteurs des tracts étaient probablement au courant de cette question qui avait préoccupé sérieusement les autorités éducatives à partir de 1967 : « l’effectif des assistants techniques cessera d’augmenter et le problème se posera de plus en plus de la nécessité de les relayer par des cadres nationaux, problème Le tract 5 dénonce la concentration des écoles de qualité dans la capitale et dans les chefs-lieux de province, d’où la proposition de démocratiser l’enseignement dans le sens où elle serait ouverte à tous. Dans le même ordre d’idées, des questions sont posées aux acteurs de 1972 (cf. tract 19): que pensez-vous de la répartition géographique des écoles, sont-elles de qualité égale? Quelles sont les provinces qui ont le plus d’enfants exclus de l’école et à quelle catégorie sociale ces enfants appartiennent-ils? Nous sommes d’avis qu’il est important que ces questions aient été abordées, même de manière superficielle, car dans “les régions christianisées”, dont la capitale et ses environs, “les élites traditionnelles avaient été scolarisées dès le début du XIXe siècle.»130 Elles ont ainsi une longueur d’avance en matière d’éducation sur le reste du pays. Les inégalités nées de ces faits historiques demeurent à ce jour, quoique la décentralisation de l’Université de Madagascar et la 129 130 Anne-Marie Goguel, op. cit., p.250. Ibid., p.24. création des universités de province131 aient contribué à les réduire, tout en favorisant les contacts entre étudiants d’origines socioculturelles différentes. Une telle mobilité géographique des jeunes au niveau national est, faut-il le souligner, un des aspects positifs de la décentralisation et de la démocratisation de l’enseignement. La promotion de la formation professionnelle (cf. tract 28) est vue comme pouvant satisfaire les besoins du peuple et comme contribuant à la croissance économique. Les jeunes chômeurs (les ZOAM) en particulier souhaitent bénéficier d’une formation professionnelle (cf. tract 25). Notons qu’il est assez surprenant que dans ce tract 28, sans qu’il y ait transition aucune, de la formation professionnelle on passe à l’évocation de la mise en place du socialisme et de l’égalité des classes sociales. Pour ce qui est des examens, alors que certains veulent leur suppression, d’autres sont plus nuancés. Bien que ces derniers n’apprécient pas non plus le système d’évaluation de connaissances en vigueur en ce qu’il favorise l’apprentissage par coeur (tract 35), ils proposent que les contrôles continus remplacent les examens. Quand on pense que ce n’est que maintenant, avec la préparation de la migration des universités vers le système LMD132 que de tels points de vue sur les méfaits et l’inefficacité du par coeur et l’adoption systématique du contrôle continu refont surface, il n’est peut-être pas C’est à partir de 1977 que des ramifications de l’Université de Madagascar ont commencé à être mises en place mais la véritable création des 5 universités de province s’est faite en 1988. 132 LMD: licence-master-doctorat, également connu sous l’appellation “processus de Bologne”. hasardeux de dire que du moins les scripteurs des tracts étaient en avance sur leur temps. Concernant l’emploi, tout ce qui requiert de la force physique est considéré comme dégradant, comme ne convenant qu’aux voyous, comme peu respectable (cf. tract 7). Dans ce sens, l’école est la solution permettant d’éviter les “bas” emplois, de sortir de l’ignorance et de ne pas se faire avoir (cf.tract 36). Elle doit être ouverte aux adultes qui souhaitent étudier et à ceux qui veulent servir le pays (?). On y dit des handicapés qu’ils ne seront pas en reste mais sans plus. Ce tract 36, intitulé Hevitra niseho tamin’ny loabary an-dasy (Les idées dégagées des séminaires à propos de l’école nouvelle), donne une idée assez précise des points de vue des participants aux séminaires. Il aborde la question de savoir à quoi sert l’école, milite en faveur d’une école qui forme les gens à avoir un esprit curieux, à avoir les compétences nécessaires à la production (agriculture, artisanat, commerce…). L’école devrait également apprendre à connaître les droits de chacun et à connaître la culture (dont la sagesse) et les réalités malgaches. Par ailleurs, l’école est vue comme devant forger la personnalité des jeunes pour qu’ils puissent vivre en société en ayant une maturité d’esprit, un esprit patriote, une forte personnalité, le sens de la responsabilité et le goût pour la recherche et la création133. Sur un plan plus général, d’après ce tract 36, l’école doit aussi permettre de former les futurs dirigeants du pays, de se libérer du joug des capitalistes, d’acquérir des connaissances dans le domaine de la santé, la propreté, les aliments. En ce qu’elle forme des citoyens, l’école doit enseigner l’instruction civique et la sociologie. Pour les enfants malgaches 131 Il est intéressant de noter que la créativité, le goût pour la création est une qualité que de grandes organisations ou de grandes concertations internationales, tel le Forum mondial sur l’éducation à Dakar en 2000, voudraient bien voir développée dans le cadre du système éducatif. 133 souhaitant travailler dans le domaine de l’agriculture, l’école doit les initier aux techniques agricoles, aux sciences physiques, à la technologie, à l’économie, à la gestion et à la comptabilité. L’école doit être ouverte à tous ceux qui aspirent à une ascension sociale, et doit permettre d’être au même niveau de connaissances que tous les autres pays du monde, Toutefois, l’obtention de diplômes ne devrait pas être l’objectif de la scolarisation. La durée des études est remise en question dans le tract 35: bien que la spécialisation y soit préconisée comme devant intervenir assez tôt, l’enseignement général est tout de même considéré comme nécessaire mais il doit être abrégé. Que tirer de ce survol des idées sur l’enseignement ou plus exactement, sur le système éducatif? Comme dans tout mouvement sans direction bien assise, Mai1972 a vu la participation de gens de divers horizons, d’âges différents, de motivations différentes et de milieux socioculturels différents: les uns rêvent et les autres ont les pieds sur terre. Pour ceux des participants qui ont été assidus aux séminaires, la vie s’est en quelque sorte arrêtée après le congrès national. Ils ont été abandonnés à euxmêmes, la tête pleine d’idées plus ou moins convergentes ou contradictoires. La reprise d’une vie « normale » fut sans doute dure pour beaucoup : se taire face à des adultes alors qu’on avait pris l’habitude de prendre la parole et de parler librement, parler de tous les sujets sans craindre de se faire blâmer, discuter de sujets que seuls des spécialistes ou des hommes politiques étaient habilités à aborder, faire appel à ses facultés de pensée en dehors du contexte scolaire, se considérer et se comporter comme des adultes responsables, ne pas être considérés comme des enfants, apprendre à prendre des initiatives… Dans l’ensemble, les étudiants des universités actuels ne savent rien de tout cela. Ils n’étaient pas nés en 1972 et l’école ne leur apprend pas grand-chose de l’histoire récente de leur pays. Tout au plus ont-ils appris que Mai-1972 a vu la chute du régime Tsiranana. Ils ne connaissent que le mépris ou les brimades des enseignants et des employeurs pour leur manque de compétence en français. Plus que jamais, la langue française est le principal outil de mobilité sociale. Bien qu’ayant du moins confusément conscience que les diplômes n’ouvrent pas toujours la porte à l’emploi souhaité ni à une vie meilleure, certains essaient « à tout prix d’obtenir un diplôme, quoiqu’il en coûte et donc parfois par des voies illégales”, poursuivant “le rêve d’occuper un poste dans les sphères du pouvoir politique, l’important (…) étant de devenir riche très vite, sans avoir à fournir d’efforts. »134 En l’absence d’autres perspectives, d’autres tendent à continuer leurs études sans conviction et sans savoir où elles peuvent les mener. Une des rares choses qui intéresse beaucoup d’étudiants est peut-être l’argent, dont il manque énormément dans la vie de tous les jours. Alors qu’avant la crise politique de 2009, les jeunes se tournaient vers la religion entre autres pour se doter de valeurs morales et “s’accrocher à quelque chose»135, les positions nettement opposées des chefs des églises catholique et protestante face au coup d’Etat les ont conduits à être discrets sur leur option religieuse et Irène Rabenoro, 2013, op.cit., p.3. En témoigne la page des remerciements des mémoires de Maîtrise ès-Lettres où à quelques exceptions près, Dieu et plus rarement Allah, est le premier à faire l’objet de remerciements. 134 135 politique. Souvent, ils n’ont ni parents vers qui se tourner car ces derniers sont trop occupés à essayer de joindre les deux bouts, ni enseignants à l’oreille bienveillante, disposée à les écouter et à les éclairer. Les enseignants eux-mêmes, nous y avons déjà fait allusion, ont du mal à exister et à se faire respecter. La conjugaison de divers paramètres a rendu les jeunes quasiment muets: mentionnons en particulier l’usage qui veut que les cadets et les femmes n’aient pas droit à la parole tant qu’un homme et/ou une personne plus âgée est présente d’une part et d’autre part l’attitude des enseignants qui, en général, ne favorise guère la prise de parole des étudiants. Le droit à la parole, la libération de la parole en 1972 ne sont plus que de doux souvenirs pour ceux qui les ont connus. Les dirigeants du mouvement de 1972 ou tout au moins les rédacteurs du tract 3 avaient vu juste: pour la liberté d’expression, contre l’Etat paternaliste qui infantilise les élèves et étudiants en grève, pour une prise en main de leur avenir par les jeunes scolarisés, pour une revendication de leurs droits. Pour en revenir à la question strictement éducative, on peut se poser la question de savoir si l’apport d’Internet, dont l’usage ne pourra que se répandre et les utilisations se diversifier, et l’entrée des universités malgaches dans le système LMD apporteront une revitalisation du système éducatif et une redynamisation de ces acteurs et bénéficiaires. Le statut même des enseignants et des apprenants est appelé à changer si tant est que le système LMD sera effectif. Ceci dit, comment les enseignants, réduits depuis des dizaines d’années à revendiquer la mise en œuvre de mesures leur permettant de mener une vie matérielle décente, peuvent-ils relever les multiples défis136 liés à leur métier dans la perpective du redressement du pays? A une population composée pour moitié de jeunes de moins de 20 ans137, il faut des modèles en matière d’éthique, de courage, de détermination, de patience, de persévérance, de liberté d’expression, de sens de la responsabilité, de dur labeur, de conscience citoyenne, de tolérance, d’ouverture d’esprit... Les enseignants figurent parmi les premiers à pouvoir et à devoir jouer ce rôle mais encore faut-il les aider. Comment, dans une société dont beaucoup de membres sont déboussolés, où l’éthique a du mal à se rappeler à la mémoire des uns et des autres, espérer que les étudiants puissent se positionner comme apprenants autonomes et créatifs et devenir des citoyens ouverts et responsables? Comment des jeunes – et des moins jeunes - qui utilisent sans arrêt l’expression tsy maninona (qu’importe, peu importe) peuvent-ils du jour au lendemain se prendre en main? Cette expression devenue d’usage courant, utilisée à propos de tout et de n’importe quoi, veut dire tout et son contraire: à la fois “je m’en moque”, “d’accord” et “merci”138. Est-ce un signe d’impuissance, de démission face à un défi insurmountable, de désinvolture, de passivité, Parmi ces défis, on citera celui en rapport avec l’approche pédagogique à adopter à tous les niveaux du système éducatif, en l’occurrence l’approche participative, la pédagogie centrée sur l’apprenant. Suivant cette approche, l’enseignant doit éviter de monopoliser la parole et de laisser les apprenants s’exprimer – ce qui est un exercice ardu pour qui a l’habitude de ne pas être contesté. 137 http://www.mg.undp.org/content/madagascar/fr/home/countryinfo/ consulté le 3 mai 2014. 138 Nous avons déjà fait allusion à cette expression en ce qu’elle est un signe de l’autodestruction de la société malgache actuelle, face à quoi il faut réagir. Irène Rabenoro, «L’éducation au service de la nation », intervention à l’atelier organisé par le CRECI, Faculté des Lettres et Sciences humaines, Université d’Antananarivo, sur le thème « La nation malgache: construction, déconstruction, reconstruction », 29-30 novembre et 1er décembre 2012, Université d’Antananarivo. 136 d’un désintérêt plus ou moins réel ou plus ou moins feint pour tout, ou peut-être d’une résilience et d’un pacifisme peu communs? Goguel, Anne-Marie, Aux origines du mai malgache : désirs d’école et compétition sociale 1951-1972, Paris, Karthala, 2006. BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE Organisation internationale du Travail (OIT) Antananarivo, statistiques relatives au chômage et au sous-emploi des jeunes : http://www.ilo.org/public/french/region/afpro/antananarivo/ consulté le 3 mai 2014. Agence ECOFIN, statistiques sur la pauvreté à Madagascar, http://www.agenceecofin.com/politique/0707-12246-madagascar92-de-la-population-sous-le-seuil-de-pauvrete consulté le 11 mai 2014. 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CINÉPHILIE ET ENGAGEMENT ESTUDIANTIN EN TUNISIE SOUS BOURGUIBA Bibliothèque nationale de France, Département des Arts du spectacle [email protected] / [email protected] Proposition de communication La cinéphilie ne peut être détachée d’une certaine sociabilité étudiante dans la Tunisie de la deuxième moitié du XXe siècle. Les études universitaires constituent, en effet, un temps privilégié de l’investissement associatif – entre l’adolescence et l’entrée dans la vie adulte. Le ciné-club est alors l’un des rares lieux mixtes où les jeunes Tunisiens peuvent se retrouver et occuper leurs loisirs, loin du foyer parental. Ainsi, la cinéphilie apparaît comme un élément essentiel de la culture étudiante et les étudiants conquièrent peu à peu le premier rôle dans les structures de la Fédération tunisienne des ciné-clubs (FTCC) et de la Fédération tunisienne des cinéastes amateurs (FTCA). Cette passion pour le cinéma est souvent synonyme de combats politiques : nombre d’anciens des ciné-clubs lient encore cinéphilie et contestation de l’autoritarisme bourguibien. Il importe, néanmoins, de dépasser la légende qu’entretient une nostalgie pour ce qui aurait été l’âge d’or des ciné-clubs et d’interroger plus précisément les modalités d’engagement des étudiants tunisiens à travers la cinéphilie. Si les archives de la période postindépendance restent encore difficilement accessibles, l’étude des revues publiées par les divers cercles cinéphiles ainsi que les entretiens oraux que nous avons menés avec d’anciens membres des ciné-clubs permettent de renseigner les pratiques cinéphiliques au temps de Bourguiba. Souvent issus de milieux privilégiés, les étudiants tunisiens témoignent d’un désir anxieux de s’investir dans les mouvements d’éducation populaire. Ils croient trouver dans le cinéma le média par excellence pour aller à la rencontre de leurs concitoyens, pour une partie encore analphabètes. Tahar Cheriaa, pionnier de la FTCC qu’il a longtemps présidée et premier directeur du cinéma au secrétariat d’État aux Affaires culturelles et à l’Information, parle lui-même du « moyen de culture et de promotion sociale et intellectuelle […] le plus aisément accessible aux masses des pays en voie de développement ». Nous nous intéresserons donc aux efforts des étudiants pour s’adresser au « peuple » par le film, que ce soit à travers l’arabisation des débats, les inflexions de la programmation (au risque de heurter certains préjugés cinéphiles), ou encore les campagnes de projection dans les usines et les quartiers populaires. Cet impératif pédagogique explique que la FTCC et la FTCA attirent un public déjà largement politisé. Mais elles nourrissent à leur tour cette politisation, en initiant notamment les étudiants à l’action militante : on apprend à tenir une assemblée générale, à coller des affiches et, surtout, on se forme à la critique et à la prise de parole. Dans cette perspective, nous interrogerons la porosité entre les mouvements étudiants et les cercles cinéphiles et nous examinerons le rôle de ces jeunes passionnés de cinéma dans la contestation du pouvoir bourguibien, à un moment où la FTCC tend à devenir le dernier espace démocratique du pays. Il serait, toutefois, réducteur de s’arrêter aux programmes qui se transforment en tracts, aux séances qui se terminent en meetings, aux débats qui débordent en pugilats. Nous nous intéresserons également à la manière dont la critique cinématographique a pu être mise au service de l’action politique. Pour cela, il importe d’étudier le panthéon cinématographique promu par les ciné-clubs, les liens qui se nouent avec d’autres mouvements arabes et africains au sein de cette véritable Internationale de la cinéphilie et l’impact des nouveaux cinémas du « Tiers Monde » dans la culture étudiante. BIBLIOGRAPHIE Charit Cinéma, Tunis, FTCC : FTCA, 1972-1973 ?. CHERIAA (Tahar), « Des ciné-clubs aux Journées cinématographiques de Carthage. Entretien avec Morgan Corriou », Maghreb et sciences sociales 2009-2010, 2010, p. 163-174. CHIKHAOUI (Tahar), « De la cinéphilie à l’action culturelle. Entretien avec Kmar Bendana », Maghreb et sciences sociales 2009-2010, 2010, p. 175184. DRIDI (Daikha), SALTI (Rasha) [dir.], “In the Clement Society of Cinema”, ArteEast Quarterly [en ligne], printemps 2008. Disponible sur : http://www.arteeast.org/pages/artenews/cineclub-feature/ [consulté le 16 novembre 2010]. KHÉLIL (Hédi), Le parcours et la trace : témoignages et documents sur le cinéma tunisien, Tunis, Éditions Médiacom, 2002, 493 p. Nawadi Cinéma, Tunis, FTCC, 1959-1971 ?. Après-midi sous la Présidence de Françoise Raison. Atelier 2 : Autonomisation des mouvements étudiants ? Entre engagement syndical et partisan 14h00-15h00 : Histoire des luttes étudiantes au Congo-Brazzaville (1955-1974) : Héloïse Kiriakou Qui définit la jeunesse ? Les étudiants et la politique des organisations de jeunesse au Congo-Brazzaville : Matt Swagler 1968 en Algérie. Contestation étudiante, parti unique et enthousiasme révolutionnaire : Malika Rahal HÉLOÏSE KIRIAKOU. L’ENGAGEMENT POLITIQUE DES JEUNES CONGOLAIS À L’AUBE DE LA RÉVOLUTION D’AOÛT 1963 Institut des Mondes Africains, Université Paris 1 L’opposition des jeunes au système colonial a été récurrente durant toute la colonisation. Mais la décennie 1950 marque un tournant dans leur engagement avec la création de deux mouvements politiques propre aux jeunes. L’AEC (Association des Etudiants Congolais) a été fondée à Paris en 1952 par des étudiants congolais et l’UJC (Union de la Jeunesse Congolaise) a été créé en 1956 au Congo par un petit groupe de jeunes syndicalistes. Ces mouvements avaient en commun de porter, à la fois, les revendications des jeunes (conditions d’apprentissage, problème du chômage) mais aussi un message politique au niveau national comme l’indépendance immédiate. La plupart des cadres de l’UJC étaient des membres de la CGAT (Confédération Générale Africaine des Travailleurs, affiliée à la CGT). Quant à l’AEC, c’était l’antenne congolaise de la FEANF (Fédération des Etudiants d’Afrique Noire en France). Les activités de ces organisations naissantes reposaient sur l’engagement d’un petit nombre de militants, très liés entre eux et connectés à des associations internationales (souvent procommunistes). Mais ces jeunes ont dû mener leurs actions dans un contexte national très tendu. Les trois partis politiques officiels, l’UDDIA, le MSA et le PPC139, s’étaient engagés dans une lutte acharnée pour le contrôle du pouvoir. Les élections étaient souvent accompagnées de violences (les massacres de 1959 à Brazzaville en sont le paroxysme). C’est dans ce climat politique, aggravé par le marasme économique et le problème du chômage, que l’abbé Fulbert Youlou (UDDIA) est devenu le premier président du Congo en novembre 1959. Pour consolider son pouvoir, il a tenté de réprimer les actions subversives des organisations qu’il considérait comme « procommunistes ». L’UJC a donc été dissoute en mai 1960 mais ça n’a pas empêché ses membres de s’organiser dans la clandestinité. Ils ont contourné l’interdiction en organisant des réunions politiques dans les locaux de la CGAT et en multipliant les voyages dans le bloc communiste. La visite officielle de Sékou Touré en juin 1963 à Brazzaville (et son discours très antifrançais) a renforcé la résistance des jeunes au pouvoir en place. Youlou a été hué pendant son discours et Sékou Touré a été acclamé au nom de « vive le président de l’Afrique140 ». A la veille du 3ème anniversaire de l’indépendance en août 1963, la défiance des jeunes était à son comble. Le PPC (Parti Progressiste Congolais) a été fondé par Jean-Félix Tchicaya ; le MSA (Mouvement Socialiste Africain) a été fondé par Jacques Opangault et l’UDDIA (Union démocratique de défense des intérêts africains) par Fulbert Youlou. 140 Bernault F., Démocraties ambigües en Afrique centrale, Paris, Karthala, 1996 : 25. 139 Il s’agira d’analyser l’hétérogénéité des formes de résistance des jeunes à l’ordre colonial et au pouvoir congolais avant la révolution. Les jeunes se sont organisés au sein de l’AEC et de l’UJC mais ces associations étaient de petite envergure (il y avait peu de militants). A mon sens, les jeunes ont aussi manifesté leurs mécontentements à travers le choix de leurs loisirs, du type de musique (surtout les chansons à texte) et de leur style vestimentaire ; mais aussi au sein des associations confessionnelles apolitiques comme la JEC (Jeunesse Etudiante Chrétienne) et la JOC (Jeunesse Ouvrière Chrétienne). Ils y ont développé un discours progressiste, basé sur la morale chrétienne, qui s’est avéré être très anti-Youlou. C’est seulement durant la révolution qu’il y a eu la formation d’un mouvement contestataire unitaire qui a conduit à la démission du président Youlou. Pour cette étude, j’ai principalement utilisé l’ouvrage de Florence Bernault, démocraties ambigües en Afrique centrale (1996), pour comprendre le contexte politique de l’époque. Elle analyse de façon très problématisée l’organisation de la vie politique, le rôle des partis, des syndicats, le découpage électoral et la modification du jeu politique après l’indépendance. Mais je me suis aussi appuyée sur le livre de Rémy Bazenguissa-Ganga, les voies du politique au Congo (1997), pour comprendre l’émergence des jeunes dans le jeu politique, et sur le livre de Phyllis Martin, qui a fait un travail remarquable sur l’organisation des loisirs pendant la période coloniale141. Concernant les sources, je me suis appuyée sur les archives nationales d’outre-mer à Aix-en-Provence qui regroupent les rapports des services français au Congo. Un carton entier est consacré à Martin P.M. (traduction de Christiane Mégy), Loisirs et société à Brazzaville pendant l’ère coloniale, Paris, Karthala, 2006. 141 l’activité de l’AEC en France, ce qui m’a permis de lire l’ensemble des numéros du mensuel de l’association pour comprendre quelles étaient leurs revendications. Ces archives m’ont permis aussi de retracer le parcours de certains militants syndicaux comme Aimé Matsika, leader de l’UJC et Julien Bouckambou, membre de l’UJC et cadre de la CGAT. Les rapports sont très exhaustifs sur les liens entre l’UJC et le bloc communiste mais il y a peu d’informations sur la réalité de leurs activités sur le terrain. Quant aux archives nationales du Congo (à Brazzaville), elles m’ont permis de comprendre l’importance des organisations confessionnelles et de la CATC (la Confédération Africaine des Travailleurs Croyants) ainsi que le problème du chômage et du « vagabondage » des jeunes. Ma démonstration s’articulera en trois temps, il s’agira d’abord de comprendre l’organisation de l’UJC, de l’AEC et de l’ASCO (l’Association Scolaire du Congo, créée en 1959) ; puis de montrer qu’il y a eu d’autres formes de résistance à l’autorité coloniale et au pouvoir de Youlou et enfin d’analyser l’engagement des jeunes durant la révolution. I. LES ORGANISATIONS POLITIQUES DES JEUNES : EMBRYONNAIRES MAIS PORTÉES PAR UNE POIGNÉE DE MILITANTS CONNECTÉS À L ’INTERNATIONAL Jusqu’à la révolution, les organisations politiques des jeunes ont eu un rôle limité par rapport aux syndicats de travailleurs comme la CATC (le syndicat des travailleurs croyants). Elles n’ont pas pu se déployer sur l’ensemble du territoire et rassembler au-delà d’un petit nombre de militants instruits. Il s’agira de comprendre leur fonctionnement (avant et pendant la clandestinité), leurs moyens d’action, la manière dont ces jeunes ont su créer des réseaux à l’international et aussi d’analyser l’évolution de leur rôle. A. Des organisations contestataires embryonnaires mais fortement L’UJC a été fondée en 1956 mais ses activités politiques débutent réellement en 1958 au moment du référendum sur l’entrée du Congo dans la Communauté française. L’UJC a été une des seules organisations politiques à s’opposer ouvertement à la communauté du Général de Gaulle et à réclamer l’indépendance immédiate du pays. A cette époque, des comités sont crées dans plusieurs quartiers de Brazzaville, Pointe Noire et Dolisie pour relayer les idées politiques de l’association auprès des jeunes. Des débats et des cours d’alphabétisation pour les jeunes travailleurs sont organisés ainsi que des formations idéologiques procommunistes. Les comités étaient assez autonomes et les activités variaient en fonction des militants. Le comité de Moungali (quartier nord de Brazzaville), par exemple, était un des plus dynamiques, c’était une sorte de « maison des jeunes », un lieu de rencontre avec des débats, des concerts et des activités sportives142. Mais jusqu’en 1960, l’UJC fonctionnait surtout grâce aux activités d’un petit groupuscule de militants communistes (une dizaine tout au plus) qui menaient la plupart de leurs combats au sein de la CGAT, dont la plupart étaient encore des membres actifs. Le développement limité de l’UJC durant les premières années est, en partie, lié au manque de moyens et aux persécutions répétées du pouvoir en place. Quant aux étudiants de l’AEC, ils ont aussi été très isolés jusqu’en 1960 mais pour d’autres raisons. Ils faisaient partie d’une minorité de Congolais qui avait eu accès à l’enseignement secondaire à Brazzaville (dans les deux seuls lycées du pays jusqu’en 1960), qui avait eu son baccalauréat et qui avait ainsi pu suivre une formation universitaire en France. Ils étaient une cinquantaine environ en 1955, répartis dans plusieurs villes de France (notamment Toulouse, Paris, Nantes et Besançon). La plupart des fondateurs de l’AEC militaient déjà à la FEANF (Fédération des Etudiants Africains en France) où ils avaient acquis une véritable expérience politique, à la fois théorique et militante. Un rapport des services de renseignement français, datant d’octobre 1958, mentionne l’arrestation de plusieurs étudiants congolais lors d’une manifestation pour le non au référendum sur la communauté française, organisée par la FEANF devant le ministère des colonies143. L’AEC s’est peu à peu radicalisée, surtout au moment où Lazare Matsokota, un étudiant en droit procommuniste, est entré au comité de rédaction du bulletin mensuel de l’association. Il en a fait une arme redoutable contre la présence française au Congo (il a notamment publié des articles de Pascal Lissouba, futur premier ministre, sur les inégalités du système social français dans les colonies144). Les revendications de l’AEC ont été connues au Congo grâce à la diffusion du bulletin mensuel par des étudiants revenus au pays pour les vacances. Ça a été un véritable catalyseur des idées progressistes (anticoloniales, indépendantistes) auprès d’un public (politisé ou non) de jeunes urbains instruits. Mais de nombreux articles du bulletin évoquent les difficultés de l’AEC à mobiliser au niveau local. Jusqu’en 1960, l’AEC a été, à mon sens, une association qui militait principalement en France et qui était assez éloignée des revendications quotidiennes des jeunes congolais et du contexte national. 143 142 Swagler M., thèse de doctorat (chapitre 3 en cours de rédaction) : 27. 144 Carton 5D 280, archives nationales d’outre-mer à Aix en Provence. Carton 5D 280, archives nationales d’outre-mer à Aix en Provence. Mais ces deux organisations politiques de jeunes ont su développer des réseaux à l’international pour pouvoir mener leurs combats politiques. Il s’agira de comprendre quels types de réseaux ont été développés, quel type de militants ont été concernés, est ce qu’il y a eu des liens entre les militants de l’AEC et de l’UJC à l’international et enfin quels impacts ont eu ces réseaux sur le développement de ces deux organisations ? B. Des organisations connectées grâce à quelques individualités L’UJC et l’AEC ont été portées à bout de bras par un petit groupe de militants très connectés à l’international. A cette époque, toutes les organisations même locales avaient des relations et des liens avec des organisations métropolitaines et internationales. Ce n’était pas une exception des associations communistes. L’UJC était affiliée à la FMJD (la Fédération Mondiale de la Jeunesse Démocratique, communiste) et l’AEC était également affiliée à la FMJD, au RDA et au parti communiste français. Ce qui permettait à leurs membres de participer à toutes les célébrations, les rencontres et les colloques organisés par ces associations. C’était des moments privilégiés pour rencontrer d’autres jeunes africains, asiatiques et européens. Aimé Matsika s’est, par exemple, rendu durant l’été 1957 au 6ème festival mondial de la jeunesse à Moscou avec Pascal Kakou et Dominique Sombo Dibele145. On a peu d’éléments sur leurs impressions et leurs conditions de séjour mais ils ont décidé d’organiser, dès leur retour, un grand meeting sur « la lutte anticoloniale » à Brazzaville. Néanmoins, les membres de ces différentes organisations n’entretenaient pas, ou très peu, de liens en dehors de ces rencontres. Les services de renseignement français s’imaginaient qu’il y avait des réseaux clandestins de militants communistes qui sillonnaient l’Afrique pour convertir les populations. A ce titre, un rapport mentionne la création en URSS d’un programme pour encadrer « l’action anti-impérialiste dans les colonies146 ». Ce programme était censé contenir, entres autres, des cours d’information, de propagande, d’agitation, de camouflage, d’idéologie communiste et des cours sur l’évolution des syndicats révolutionnaires. Il est difficile de savoir combien de militants congolais ont participé à ces formations. On sait, par exemple, que Firmin Matingou, un militant de la CGAT, s’est rendu en Tchécoslovaque pour y faire un stage durant l’année 1962. Mais jusqu’en 1963, ils ont été, à mon sens, très peu nombreux à bénéficier de ce type de formation. Ces réseaux ont surtout permis de révéler quelques individualités qui ont su profiter de l’avantage symbolique que leur conférait ces voyages et ces relations avec l’étranger. En effet, Aimé Matsika et Julien Bouckambou étaient les deux principaux leaders de l’UJC et ils ont effectué de nombreux séjours à l’étranger depuis le milieu des années 1950. Ils étaient très admirés par les Congolais de leur génération (Aimé Matsika avait 26 ans en 1960) qui les appelaient les « aventuriers ». Il était si rare de quitter le territoire que ceux qui avait pu se rendre à l’étranger étaient considérés quasiment comme des demi-dieux. C’est grâce à ce prestige que ces deux jeunes syndicalistes ont pu mobiliser dans les quartiers populaires de Brazzaville, qu’ils ont pu bénéficier du soutien des autres syndicats et d’une certaine sympathie de la part de la population en général. Rapport des services secrets français sur le développement de réseaux communistes en Afrique datant du 1er juin 1953, carton 5D 250, archives nationales d’outre-mer d’Aix en Provence. 146 Note du 4 octobre 1957, carton GR 10 T 646, deuxième bureau, armée de terre, archives militaires. 145 Les relations que l’UJC et l’AEC ont entretenues avec des organisations étrangères leur ont aussi permis d’obtenir de petites aides financières pour organiser des meetings, imprimer des tracts et des brochures ainsi que pour financer le séjour de quelques membres actifs. L’ambassade de l’URSS à Léopoldville a joué le rôle de relais, Aimé Matsika s’y est rendu à plusieurs reprises pour participer à des réunions avec des Congolais de l’autre rive et pour récupérer des ouvrages interdits au Congo. Ces échanges ont aussi favorisé la circulation des pratiques militantes. Aimé Matsika et Julien Bouckambou se sont inspirés des cours qu’ils ont eus à l’étranger pour organiser des débats (gérer le temps de parole, le rôle des orateurs), des manifestations, pour diffuser des tracts, pour organiser la vie des comités et encourager les jeunes à participer aux activités. Mais, à partir de novembre 1959 avec l’accession de Youlou au poste de président, le rôle de l’UJC et de l’AEC s’est renforcé. Il s’agira de comprendre quelles ont été les raisons de cet essor et la manière dont le gouvernement a réagi. C. Evolution des pratiques et des revendications après l’indépendance A partir de 1959, ça a été le retour au Congo de la première génération des étudiants de l’AEC. Leur retour au pays a permis de redynamiser les mouvements d’opposition. Pascal Lissouba, par exemple, a continué à avoir des activités politiques. Il a participé aux réunions du réseau clandestin Basali ba Congo, littéralement « travailleurs du Congo », une branche locale de l’AEC147. Lissouba était Vlum Le coat J.Y., Une migration entre consécration et disqualification sociales. Relations franco-congolaises (Congo-Brazzaville) et trajectoires des migrants pour études en France (1960-2005), thèse de doctorat, dir. Catherine Quiminal, Paris 7, 2011 : 180 147 connu des services de renseignement mais il avait l’avantage d’avoir un statut social qui lui permettait de ne pas être inquiété. Il était docteur en science (spécialisé en agronomie et en génétique) et avait obtenu le poste de directeur général des services agricoles de retour au pays en 1962. En parallèle, l’UJC avait développé ses activités en créant deux sections féminines en 1959. C’était un moyen d’intégrer les femmes à leur combat. Véronique Bouesso est devenue présidente de la section de Bakongo à 23 ans et Marie José Goueta, de la section de Poto-Poto à 21 ans. Véronique Bouesso (sans profession), était déjà responsable de la cellule congolaise de l’union des femmes africaines (UFA) et, dans ce cadre, elle avait assisté à un congrès international de la FDIF (Fédération Démocratique Internationale des Femmes) à Lausanne148. Les activités de ces deux sections étaient surtout folkloriques (organisation de spectacles de danse traditionnelle et de défilés). Il y a pas eu de réel débat sur la condition des femmes, leur statut, leur intégration politique et sur la question de leur instruction. Malgré tout, l’UJC était la seule organisation politique à compter quelques femmes dans son comité de direction. Ça a été le cas d’Alice Badiangana, une jeune fille de 21 ans (en 1960) très engagée politiquement, qui sera la première femme à siéger au comité centrale du parti unique après la révolution. Mais Youlou a décidé, dès 1959, de prendre des mesures radicales pour réprimer les actions de l’UJC et de l’AEC. En avril 1959, il a fait passer une ordonnance qui interdit l’éligibilité aux personnes résidant depuis moins de deux ans au Congo, ce qui élimine tous les étudiants congolais rentrés au pays après leurs études (Lissouba, 148Note du 11 février 1959, carton 5D 159, archives nationales d’outre-mer d’Aix en Provence. entres autres). Puis en mars 1960, il a complété son dispositif en mettant en place une série de lois restreignant les libertés publiques (interdiction de se réunir, de créer une association sans autorisation). Son objectif était de limiter les activités de l’UJC et de la CGAT mais c’était sans compter sur l’activisme de certains militants. C’est ce qui l’a poussé à dissoudre l’UJC le 9 mai 1960 et à condamner, dans le même temps, Aimé Matsika, Julien Boukambou et Simon Kikounga N’Got à des peines de prison allant de 6 mois à 5 ans sous prétexte d’un « complot communiste ». Toutes ces mesures ont beaucoup affaibli l’UJC mais l’ambassade de France estime le nombre de ses membres et de ses sympathisants à environ 800 en 1962149. Ce dispositif répressif n’a pas dissuadé un groupe de jeunes du lycée Savorgnan de Brazza de créer l’ASCO (l’Association Scolaire du Congo), la première association de lycéens en 1959. D’après Mbéri Martin, un cadre de l’ASCO, les lycéens avaient des relations très étroites avec les membres de l’UJC et de la CGAT. Pierre Nzé, par exemple, lycéen à Chaminade (lycée catholique) a été exclu de l’établissement pour avoir proféré des propos virulents contre l’église et il a été accueilli dans les locaux de la section de l’UJC à Ouenzé150. Les revendications concernaient principalement l’enseignement (lutte contre la prééminence des enseignants, administratifs et directeurs français, lutte contre les discriminations que subissaient les étudiants congolais) mais elles étaient aussi plus générales. Les lycéens de l’ASCO ont manifesté plusieurs jours devant le lycée Savorgnan de Brazza après la mort de Patrice Lumumba le 21 janvier 1961 pour condamner les ingérences extérieures. 149 150 Swagler M., thèse de doctorat (chapitre 3 en cours de rédaction) : 40. Swagler M., thèse de doctorat (chapitre 3 en cours de rédaction) : 42. Les jeunes congolais ont réussi à s’organiser avant la révolution malgré les persécutions systématique de la part du gouvernement de Youlou. Ils ont su développer des liens avec l’étranger et tisser des relations avec les autres organisations politiques. Mais l’UJC, l’AEC et l’ASCO étaient des associations de petite envergure, avec peu de militants et de moyens. Est-ce qu’il y a eu d’autres formes d’opposition au système colonial et au gouvernement Youlou propre à l’ensemble de la jeunesse ? II. DES LOISIRS AUX ORGANISATIONS CONFESSIONNELLES FORMES D ’OPPOSITION ALTERNATIVES : DES ? Environ 45% de la population du Congo avait moins de 15 ans au milieu des années 1950. La plupart des jeunes ne militaient pas dans des associations politiques comme l’UJC, l’AEC ou l’ASCO. Mais ils ont adopté des formes de contestation différentes, à la fois vestimentaire, dans le type de loisirs, au sein des organisations religieuses car ils étaient les premiers touchés par le chômage et l’exclusion sociale. A. Le rôle des loisirs dans l’émergence de revendications chez les jeunes Les loisirs faisaient partie du quotidien de la plupart des Congolais (surtout des hommes), de tout niveau social. Ils étaient des révélateurs du rapport que les Congolais entretenaient avec la colonisation et avec la culture européenne (musique, style vestimentaire) et de leur manière de gérer leur temps libre dans un système colonial très restrictif. Mais les loisirs étaient aussi des moments de mise à distance voir d’opposition au système. A partir des années 1920-30, il y a eu un engouement pour la maringa, un style de danse très prisé par les classes populaires qui trouvaient dans cette danse très festive une manière de se divertir et de rompre avec les difficultés du quotidien. La maringa était une danse très saccadée qui accompagnait les rythmes à contre temps du patenge, un tam-tam recouvert de peau. C’était un style très éloigné des rythmes européens et les missionnaires ont écrit plusieurs rapports pour dénoncer « cette danse malhonnête151 » et les troubles qu’elle pouvait engendrer (alcoolisme, badinage). Cette danse était, à mon sens, une riposte à la culture officielle152. On a même retrouvé des danseurs dans des villages très reculés en brousse vers 1935. Mais l’opposition au système colonial a surtout touché la musique. Plusieurs rapports des services français évoquent les difficultés du comité de censure à gérer l’afflux illégal de disques venus des Antilles, d’Afrique de l’Ouest, d’Afrique du sud et d’Europe153. Les jeunes étaient les principaux amateurs de musique étrangère. C’était une manière de se distinguer de leurs ainés qui continuaient à écouter de la musique du village et de refuser les restrictions de la censure. Mais comme le dit Phyllis M. Martin, se sont « les chansons populaires qui ont été un véhicule d’expression des frustrations de la vie quotidienne et des rêves d’avenir154 ». André Nkouka, un jeune chanteur-compositeur, était l’auteur de la chanson « viens à Brazzaville pour voir » (dédiée à sa petite amie pour l’avertir des problèmes de la vie urbaine)155. Il y dénonçait le chômage, la pauvreté et son incapacité à se marier. Ces paroles reflétaient la réalité quotidienne de milliers de jeunes urbains désœuvrés. Ces chanteurs vedettes portaient les revendications et le malaise de toute une Martin, 2006 : 179. Scott J.C., La Domination et les arts de la résistance, fragments du discours subalterne, édition Amsterdam, 2008 : 174. 153 Carton 5D159, archives nationales d’outre-mer d’Aix en Provence. 154 Martin, 2006 : 201. 155 Martin, 2006 : 202. 151 152 génération consciente d’être totalement sacrifiée par le pouvoir en place. A partir de l’indépendance, la résistance au nouveau régime a pris un sens plus politique. George Balandier note qu’en 1960, beaucoup de jeunes de Brazzaville portaient une barbe à la Patrice Lumumba suite au discours qu’il avait prononcé le jour de l’indépendance le 30 juin 1960 devant le roi Baudouin156. C’était une forme de ralliement à ce jeune premier ministre qui avait su s’attaquer frontalement à l’autorité coloniale. Lors de la visite officielle de Sékou Touré à Brazzaville en juin 1963, les jeunes sont venus en masse écouter son discours au stade Eboué. Il a été acclamé au non de « vive le président de l’Afrique » et « à bas Fulbert Youlou ». Ce dernier a même été sifflé pendant son intervention. C’était une forme de défiance, une manière de lui montrer leur exaspération. La majorité des jeunes avait ainsi adopté depuis longtemps des formes de résistance à l’autorité coloniale. C’est tout ce répertoire d’action qui leur a permis de s’engager massivement durant la révolution. Mais c’est aussi au sein des associations religieuses, la JEC (Jeunesse Etudiante Chrétienne) et la JOC (Jeunesse Ouvrière Chrétienne), que s’est forgée une conscience humaniste chez les jeunes croyants. B. Les jeunesses chrétiennes (JEC, JOC): haut-lieu de formation d’une pensée humaniste Durant la colonisation, les missionnaires catholiques et protestants ont développé un réseau d’école sur tout le territoire. L’enseignement était destiné principalement aux enfants du primaire, 156 Balandier G., Sociologie des Brazzavilles noires, Paris, Armand Colin, 1955. mais à partir des années 1950, plusieurs centres de formation et un lycée (le lycée Chaminade) ont été ouverts à Brazzaville. En 1940, une centrale de la fédération autonome des éclaireurs d’Afrique française a été créée au Congo ; ainsi que d’autres mouvements de jeunesse comme les scouts, les guides, les cœurs vaillants (groupe de jeunes dont les activités étaient principalement centrées autour de la paroisse) et les croisées. L’objectif des missionnaires était d’intégrer une grande partie des jeunes congolais dans ces organisations pour encadrer leur éducation et leurs loisirs. D’après Denise Bassoueka, « le développement de l’enseignement confessionnel au Congo a donné naissance aux principaux mouvements de militantisme catholique ou protestant entre lesquels se partage la jeunesse congolaise dans sa majorité depuis les années 1950157 ». C’est dans ce contexte qu’ont été créées les antennes de la JOC et de la JEC au Congo. Ces deux organisations ont été le lieu d’apprentissage et de mise en pratique des valeurs chrétiennes pour une grande partie de la jeunesse congolaise. Ces mouvements étaient apolitiques mais ils étaient basés sur des valeurs comme la justice sociale, l’égalité, la solidarité et le respect de la dignité de chaque personne. C’est ce qui a favorisé leur prise de conscience des inégalités du système colonial. En effet, leurs convictions religieuses allaient à l’encontre des agissements d’une partie de l’église et des Français au Congo. La JEC s’est principalement développée dans les milieux scolaires et urbains. A Bakongo, par exemple, il y avait le centre Eugène Kakou où des groupes de jeunes chrétiens radicaux se réunissaient pour discuter et écouter les enseignements du père de la Bassoueka D., Le Mouvement populaire des 13, 14, 15 août 1963 au CongoBrazzaville, thèse de doctorat, dir. C. Coquery-Vidrovitch et J. Devisse, Paris VII, 1979 : 104. paroisse sur le marxisme léninisme158. Entres autres, le jeune Ange Diawara, futur cadre du parti unique durant la période socialiste, a suivi les séminaires du centre Eugène Kakou. Quant à la JOC, elle a su s’appuyer sur la CATC pour s’implanter dans les milieux ouvriers. C’est ainsi que de nombreux jeunes de la CATC et de l’UJC ont aussi fait partie de la JOC. En 1959, des jeunes chrétiens du lycée Savorgnan de Brazza ont créé l’ASCO pour donner une voix plus politique à la contestation chrétienne. Ils étaient très proches des idées de l’UJC et de la CGAT mais c’est surtout leur engagement dans les organisations confessionnelles qui a développé chez eux un sentiment très critique à l’égard des abus du gouvernement de Youlou. En dehors de la culture et des associations religieuses, est ce qu’on peut analyser le « vagabondage » et « l’oisiveté » (d’après la terminologie coloniale) d’une certaine partie de la jeunesse comme une forme d’opposition alternative ? C. Le « vagabondage » : un problème politique ? Le « vagabondage » était une des principales préoccupations des Français durant la période coloniale. Il existe de multiples rapports sur les formes d’oisiveté, les types de personnes concernées et les villes d’AEF les plus touchées par ce phénomène. A partir des années 1950, l’enjeu n’était pas de chasser tous les chômeurs des centres urbains mais d’enrayer le phénomène car l’accroissement naturel et le développement économique des villes avaient provoqué un afflux massif de jeunes ruraux. Denise Bassoueka estime qu’il y avait environ 9 000 personnes au chômage à Brazzaville en 1961, soit 157 Il m’a été impossible de trouver le nom du père de la paroisse pour l’instant mais plusieurs rapports mentionnent qu’il était un fervent communiste. 158 25% de la population active de sexe masculin (dont quasiment la moitié n’avait jamais travaillé)159. Pour les milieux coloniaux, l’oisiveté de ces jeunes était considérée comme la cause du développement de la criminalité (trafics, vols). Est-ce que le développement de moyens de subsistance parallèles et parfois illégaux était une forme de résistance au système colonial puis au gouvernement de Youlou, incapables de régler le problème du chômage ? À partir de 1959, le « vagabondage » était devenu un enjeu électoral pour les hommes politiques congolais. En octobre (quelques mois avant son élection au poste de président), Youlou a décidé de mettre en place un service civique obligatoire pour les jeunes sans emploi de 18 à 23 ans qui résidaient en ville depuis plus de six mois. Selon Florence Bernault, les jeunes concernés par cette mesure étaient environ 4500 à Brazzaville160. Ils étaient affectés soit à un centre de fixation rurale, soit à des travaux d’intérêt général (nettoyage des rues, des rivières, ramassage des déchets). Le service civique a eu un énorme succès, bien au-delà des prévisions de Youlou. Ce qui montre que c’était la seule proposition d’emploi pour la plupart de ces jeunes, prêts à prendre n’importe quoi pour subvenir à leurs besoins. Mais le service civique s’est rapidement avéré inefficace. Le principe des centres de fixation rurale était de donner (ou de redonner) envie aux jeunes de vivre à la campagne pour cultiver. Cependant, les moyens étaient dérisoires, les jeunes ne pouvaient pas cultiver sans argent, sans formation, sans outils et sans moyens pour commercialiser leurs produits. Puis la vie à la campagne, difficile et isolée, n’intéressait pas les jeunes. C’était la vie à l’usine qui les faisait rêver. Il y a donc eu beaucoup de désertions durant les deux premières années. Ce qui a Bassoueka, 1979 : 119. 160 Bernault, 1996 : 306. 159 poussé l’administration a réorganisé le service civique en juin 1963 mais sans prendre en compte les suggestions et les attentes des jeunes. Le « vagabondage » est devenu réellement problématique à la veille du 3ème anniversaire de l’indépendance le 15 août 1963. Youlou devait faire face, simultanément, aux jeunes syndiqués, aux lycéens, aux associations chrétiennes et aux jeunes marginaux, tous mécontents de la politique du gouvernement. Il a donc décidé, comme mesure de dernière chance, d’employer (à ses frais ou presque) les jeunes marginaux de Brazzaville à la préparation des festivités (nettoyage des rues, mise en place des gradins et des banderoles). Mais ça aussi, il en a été incapable. Les jeunes se sont retrouvés, durant deux semaines (du 1er au 13 août), à jouer aux cartes car il n’y avait pas suffisamment de choses à faire. La grève générale du 13 août, lancée par les syndicats de travailleurs, a eu lieu dans ce contexte où l’exaspération des jeunes était à son comble. C’est ce qui explique, en partie, que les jeunes aient massivement participé à l’insurrection du 13, 14 et 15 août 1963. Les syndicats de travailleurs, organisés dans un comité de fusion dominé par la CATC, avaient décidé de faire une grève générale pour protester contre la volonté de Youlou de créer un parti unique. Il s’agira de comprendre, dans une troisième partie, quel a été le rôle des syndicalistes jeunes et des simples manifestants dans le basculement de la grève générale en révolution. III. L’ÉCLOSION D ’UN MOUVEMENT CONTESTATAIRE UNITAIRE PENDANT LA RÉVOLUTION Les jeunes ont été très présents durant les trois jours d’insurrection. Les manifestants étaient majoritairement jeunes et les meneurs étaient des membres de l’UJC, de l’ASCO et de l’AEC. A mon sens, les leaders syndicaux de la CATC (notamment Pascal OckyembaMorlende et Gilbert Pongault) ont eu un rôle de médiateur auprès des militaires français, des militaires congolais et de Youlou, et ils ont laissé la gestion du terrain aux jeunes. A. Les jeunes : soutien incontesté des leaders syndicaux étudiants Les militaires français ont mentionné dans leurs rapports qu’il y a eu plusieurs rassemblements à Poto-Poto et à Bacongo le 13 août dès 6h30. Les manifestants étaient majoritairement des jeunes et ils étaient « harangués par un orateur161 ». C’était surement un membre de l’UJC ou de la CGAT qui les encourageait à se joindre aux syndicats de travailleurs. A 8h, les manifestants étaient environ 3000 sur le terre-plein de la gare centrale. Il y avait, de nouveau, des meneurs qui lançaient des slogans contre Youlou pour maintenir la pression sur la foule. Vers 10h, un premier mouvement est lancé vers le palais présidentiel mais en route, un petit groupe de manifestants, décide de dévier le mouvement vers la prison centrale. Ça a été, à proprement parlé, le début de l’insurrection. Des coups sont échangés entre les gendarmes et les manifestants et deux jeunes sont grièvement blessés. Dans la confusion générale, la foule reprend le chemin du palais. Mais un petit groupe, voyant les gendarmes se replier dans leurs casernements, décide de mener une dernière incursion. En quelques minutes, ils parviennent à entrer dans la prison et à libérer tous les prisonniers. Ça a été la première victoire du mouvement. Dès les premières heures, on a l’impression qu’il y a eu une stratégie, une organisation bien précise derrière chacune de ces actions. Le calibrage Synthèse concernant la crise au Congo, carton GR 10 T 646, deuxième bureau, armée de terre, archives militaires. 161 du temps leur a permis l’exploit de prendre la prison sans armes et sans trop de pertes. Vers 11h30, les manifestants décident de se séparer en deux groupes (là encore il est difficile de savoir de qui vient cette initiative). L’un d’eux, composé d’environ 500 personnes, descend vers le rondpoint de l’allée du Chaillu, puis après un temps d’arrêt, prend la direction du Plateau. A ce moment là, les militaires français se rendent compte que les deux groupes sont en train de converger par des chemins détournés vers la radio-Congo. Ce n’est pas anodin si les manifestants ont décidé de prendre la radio comme deuxième objectif. C’était un point stratégique qui leur permettait de communiquer avec le reste du pays et d’arrêter la propagande gouvernementale. C’était aussi important que de prendre l’aéroport ou le palais présidentiel et ils en avaient beaucoup plus les moyens. Est-ce qu’on peut penser que ces actions reflètent l’utilisation de méthodes d’agitation révolutionnaires acquises à l’étranger ? Il est difficile de l’affirmer mais, dans tous les cas, leurs méthodes ont suffisamment bien fonctionné pour faire tomber Youlou en trois jours (une première en Afrique à cette époque). Cette première journée de révolution ainsi que les suivantes ont montré que la situation était totalement sous le contrôle des leaders syndicaux. Finalement les manifestants ont suivi exactement les directives des syndicalistes, ils ont respecté les parcours, les temps d’arrêts et le couvre-feu. Le déroulement de l’insurrection a fait l’unanimité auprès de tous les leaders syndicaux (même les plus modérés de la CATC) car il n’y a quasiment pas eu d’incidents. L’unité des leaders syndicaux a surement joué en la faveur du mouvement auprès des militaires français et congolais qui ont décidé de ne pas intervenir et de soutenir la destitution de Youlou le 15 août. Mais il y a aussi eu un certain nombre d’initiatives plus radicales et spontanées qui ont influencé le cours des évènements. B. Les jeunes : acteurs et initiateurs d’un mouvement plus radical Les jeunes ont, pour la plupart, suivi les instructions des syndicalistes mais plusieurs incidents sont venus ponctuer la première journée. Après le meeting au stade Marchand (organisé le 13 août à 14h par des militants UJC), les manifestants ont été encouragés à rentrer chez eux. Mais à 15h30, les maisons du garde des sceaux, Dominique N’Zalakanda et du président de l’Assemblée nationale, Marcel Ibalico, étaient incendiées en même temps que le domicile d’une maitresse de Youlou. Les forces de l’ordre se sont décidées à intervenir au moment où la maison du directeur de cabinet de Youlou était aussi menacée. C’était les jeunes défavorisés de Bakongo et de Poto-Poto qui avaient décidé d’incendier les maisons des ministres corrompus. C’était leur manière de dénoncer la corruption du régime, symbolisée par ces maisons luxueuses construites au milieu des quartiers populaires. Ces maisons marquaient aussi une distance intolérable entre ces ministres privilégiés et leur précarité. Leurs maisons ont été brûlées mais d’abord vidées puis pillées. L’intérêt était de démontrer par la preuve leur enrichissement illégal, de montrer à la population leurs beaux meubles français et leurs habits de luxe. En parallèle, il y a eu un certain nombre d’incidents après le couvre-feu mis en place à Brazzaville à partir de 18h. Des jeunes ont dressés des barricades au milieu du quartier de Poto-Poto, peut être pour se préparer à une éventuelle attaque de l’armée le lendemain. Puis il y a eu quelques bars célèbres de Poto-Poto qui se sont fait attaquer durant la nuit. L’un d’eux était tenu par un Portugais, très critiqué par les habitants du quartier pour son comportement injuste (voir raciste) vis-à-vis des habitants162. Ces incidents montrent clairement que les jeunes ont manifesté de façon spontanée leur mécontentement vis-à-vis du gouvernement de Youlou. Ils ont certes participé aux manifestations durant la journée mais ils ont aussi réglé leurs comptes, à leur manière, avec ceux qu’ils considéraient comme les responsables de leur misère quotidienne. Mais les trois jours de révolution ont aussi révélé une scission au sein de l’UJC. A mon sens, les leaders de l’UJC étaient les meneurs des manifestations, c’est eux qui ont poussé les manifestants à se diriger vers le palais pour demander la démission de Youlou (le deuxième jour). Mais les militaires français mentionnent l’existence d’un trafic d’armes pour des membres de l’UJC à Poto-Poto. Ces armes ont même été retrouvées le 16 août, soit un jour après la chute de Youlou, par le nouveau gouvernement qui voulait montrer qu’un complot était organisé par l’UJC. Cela signifie que certains membres de l’UJC souhaitaient peut être une issue plus radicale à la révolution. Peut être qu’ils envisageaient, dès ce moment-là, de mettre en place un régime socialiste. Il a donc existé plusieurs formes de luttes contre Youlou (officielles, autonomes et clandestines), qui ont toutes permis le renversement du régime. Mais la révolution a aussi transformé le regard des Congolais sur les jeunes qui sont devenus les symboles et l’incarnation du mouvement. C. La construction d’une nouvelle identité jeune pendant la révolution Les jeunes ont eu un rôle politique de premier plan durant les trois jours, bien au-delà de la place qui leur était dévolue Synthèse concernant la crise au Congo, carton GR 10 T 646, deuxième bureau, armée de terre, archives militaires. 162 précédemment. Ils se sont avérés être de vrais atouts pour les syndicalistes qui n’imaginaient pas que le mouvement puisse prendre autant d’ampleur. Le « moment » révolutionnaire a été une expérience à part, où les rôles étaient inversés, les habitudes chamboulées, même le temps était différent. Pendant trois jours, les Congolais ont vécu au rythme des manifestations, des longs moments d’attente devant le palais et du couvre-feu. D’après Arlette Farge, ce type « d’événement est créateur car il déplace des représentations acquises163 ». Cette expérience a été très positive pour les jeunes car ils n’étaient plus perçus comme des adultes en devenir, des cadets-sociaux, ils incarnaient le courage et le changement pour toute la société congolaise. Pour reprendre la formulation de ma problématique, je trouve que les jeunes ont su développer des formes de résistance originales avant la révolution. La musique, le sport et les autres types de loisirs ont été des exutoires aux frustrations de la vie quotidienne. Les jeunes ont aussi trouvé dans les associations confessionnelles des espaces pour réfléchir à une société idéale et pour mettre en pratique cette pensée humaniste basée sur la morale chrétienne. La JEC et la JOC ont été les principaux réservoirs de militants pour les associations politiques comme l’UJC, l’AEC et l’ASCO. Ces trois organisations ont eu un rôle croissant à partir de l’indépendance mais elles sont restées limiter à un petit nombre de militants, en général instruits et formés à l’étranger. Ce changement s’est confirmé le 18 août 1963, soit trois jours après la démission de Youlou, au moment des obsèques nationales des trois martyrs de la révolution. Selon Rémy Bazenguissa-Ganga, « la figure du martyr a émergé dans ce contexte révolutionnaire privilégiant la jeunesse 164». Les trois martyrs étaient des jeunes manifestants, les deux premiers étaient morts lors de la prise de la prison centrale et le dernier lors d’une manifestation. Il y a eu quatre enterrements ce jour-là mais seuls trois ont été érigés au rang de martyr. Ça a été un acte symbolique pour valoriser le rôle des jeunes pendant le mouvement et pour rompre définitivement avec la période précédente. L’engagement des jeunes s’est fait dans différents lieux (au Congo et en France) avec une forme et une intensité très variable selon les gens et les moments. Mais pendant l’insurrection, la condamnation des abus du régime de Youlou a été l’élément fédérateur de tous les jeunes congolais. Les travailleurs, les étudiants, les lycéens et les marginaux se sont retrouvés pour protester contre les injustices du gouvernement. La révolution a été le point culminant de la contestation des jeunes au Congo. Elle a révélé, à mon sens, l’étendue de l’activité militante (souvent clandestine et apolitique) qui existait depuis les années 1950. CONCLUSION Farge A., « Penser et définir l’événement en histoire. Approche des situations et des acteurs », Terrain, numéro 38, 2002 : 3. 164 Bazenguissa-Ganga R., Les Voies du politique au Congo : essai de sociologie historique, Paris, Kartala, 1997 : 92. 163 MATT SWAGLER. QUI DÉFINIT « LA JEUNESSE »? LES ÉTUDIANTS ET LA POLITIQUE DES ORGANISATIONS DE JEUNESSE AU CONGO-BRAZZAVILLE, 1963 À 1968 Columbia University, [email protected] Note: Je fais cette communication en lien avec celle d’Héloïse Kiriakou sur l’histoire des luttes étudiantes et jeunes au Congo entre 1955 et 1963. Je présenterai en français au colloque, mais le texte que vous trouver ici est en anglais. Who Defines the "Youth"? Students and the Politics of Youth Organization in Congo-Brazzaville, 1963-1968. I. INTRODUCTION: STUDENTS AND THE "YOUTH " In post-independence Africa, the first generation of African national leaders redefined “youth” as a gendered, political identity. As Mamadou Diouf has pointed out, young men were to propel the national economic development programs of new states, while respecting "the frontier between elders and juniors that characterized traditional African values.”165 In places like Guinea, Mali, Zanzibar, and Tanzania, ruling parties sought to bind young people to party-led youth organizations. Youth organizations were often a source of labor and social policing that allowed early post-independence political leaders to assert their political dominance.166 See, Mamadou Diouf, "Engaging Postcolonial Cultures: African Youth and Public Space," African Studies Review 46, no. 2 (2003), 3-4; See also Rémy Bazenguissa-Ganga, Les Voies du politique au Congo: Essai de sociologie historique (Paris: Karthala, 1997), 60-97. 166 Cf. Jay Straker, Youth, Nationalism, and the Guinean Revolution (Bloomington: Indiana University Press, 2009); James R. Brennan, "Youth, the Tanu Youth League and Managed Vigilantism in Dar Es Salaam, Tanzania, 1925-73," Africa: Journal of the 165 Students held an ambiguous relationship to this definition of "youth." On the one hand, they were part of the national development project, being trained to become the technical and administrative cadres of the new state. But as a relatively small and select group, they were more confident to expound their own ideas about development and governance, which often differed from post-independence administrations. Thus, student organizations in the 1960s, usually led by lycéens or university students, were often the sharpest critics of postcolonial governments in Francophone Africa - and their actions could unleash broader social discontent, as in Senegal in 1968. However, students often moved within the confines of student spaces and networks. Thus, when they tried to challenge post-independence governments, they often found themselves isolated - thrown into prison and/or co-opted into the governments that they had formerly opposed. In this paper, I explore how students and recent graduates in Congo-Brazzaville broke out of their isolation by taking control of the project of defining "youth" after the downfall of the first Congolese government in 1963. They made two mutually reinforcing moves: First, they acted quickly to project young people as the vanguard of a liberatory socialist revolution. Second, they gave this definition of "youth" an organized form. International African Institute 76, no. 2 (2006), 221-46; G. Thomas Burgess, "To Differentiate Rice from Grass: Youth Labor Camps in Revolutionary Zanzibar," in Generations Past: Youth in East African History, eds. by Andrew Burton and Hélène Charton-Bigot (Athens, OH: Ohio University Press, 2010), 221-36; Andrew Ivaska, Cultured States: Youth, Gender, and Modern Style in 1960s Dar Es Salaam (Durham N.C.: Duke University Press, 2011). Prior to 1963, some of the students had been involved in the Union de la jeunesse congolaise (UJC), as discussed by Héloïse Kiriakou in her paper. The UJC had already offered a model of an organization that integrated student radicals and non-student youth. But now student radicals saw the opportunity to bring their political ideas out of the margins. Their ability to control the definition of who was and who was not “youth” allowed them to exert an unprecedented influence on the direction of the Congolese government between 1963 and 1968. the time of Youlou’s fall, who returned after the “revolution.” Third, there were the domestic student activists, mostly lycéens, who had participated in the protests against Youlou.168 II. THE STUDENT RADICALS Born within a decade of each other, the main student leaders ranged in age from twenty-two to thirty-three years old.170 The students and recent graduates were part of a small and rather select group - a few dozen Congolese per year - who had completed schooling at a lycée in Congo or France, and saw themselves as natural leaders in the post-independence nation.171 The fall of Youlou's regime allowed them to come together, across age and geographic space, in a way that had not been previously possible. They gathered in a new formation, the Groupe de Mpila, which began as a place for political discussion and evolved into a strategic body to intervene in the new political situation. Long harassed because of their proclivity for As Héloïse Kiriakou has just discussed, the protests of August 1963 not only cast aside the Congo's first president, Fulbert Youlou, but nearly the entire existing Congolese political establishment. The new provisional government, led by Alphonse Massamba-Débat, was composed of young technocrats who embraced the term “revolution” from the outset.167 But the goals and political orientation of this “revolutionary” government were still to be determined. A group of students, university dropouts, and recent graduates began meet and actively assert themselves in this political vacuum. First, there were the students who had studied in France at the end of the 1950s, and returned to the Congo at the time of independence, only to find their job opportunities limited by the high number of European administrators and technicians in both the private and public sectors. Second, there was a slightly younger group of students who were still studying in France and the Soviet Union at Students returning from abroad brought the intellectual authority to promote Marxist ideas, because of the international connections they had developed with Communist and new Third World networks.169 The domestic student activists brought their intimate knowledge of the opposition networks on the ground in the Congo. Most came from the Association Scolaire du Congo (ASCO) and the Union de la Jeunesse Congolaise (UJC), discussed in Héloïse Kiriakou's paper. 169 Students abroad developed these connections mainly through their involvement with the Association des Etudiants Congolais (AEC) (the organization of Congolese students in France), and its umbrella organization, the Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF). 170 The youngest was probably Ange Diawara, 22, and the oldest, and Pascal Lissouba, 33, who became 168 the first Prime Minister of the new government. 167 The provisional government was formed with an almost entirely new set of ministers, mostly young intellectuals and 171 At independence, only four high schools existed in the Congo, one of which was a Lycée technique. All had been created (or technicians with some experience in their respective ministries. Trade unionists and other oppositionists who had led the "upgraded" to lycées) just in the previous decade. Many of movement against Youlou initially declined posts in the government, and instead led an advisory body, the Conseil national AEF or the children of European parents who continued to reside and work in the Congo. Congolese la révolution (CNR). de a small minority. the students were still foreign-born - from across the former graduates were Marxist ideas and suspected connections to Communist states, they now found an open terrain on which to expound and refine their views publically and in practice. III. ORGANIZING THE YOUTH The student radicals believed they were the natural representatives of the young, mostly unemployed men who had led the protests against Youlou.172 Young people were a massive potential base of support: over half of the country's population was under twenty years old. As young immigrants in from rural areas arrived in cities in search for wage labor, unemployment skyrocketed, and the Congo became the most urbanized of the former French Sub-Saharan colonies, equaled only by Senegal. The student radicals saw their first task as organizing men and women under the age of thirty in defense of the new government and the "revolution."173 In doing so, they sought to universalize a certain definition of "youth": as the vanguard of a revolutionary process that would liberate all oppressed segments of society. Fears abounded that Youlou’s supporters would try to reestablish him as president, and were using Léopoldville as a base for organizing an armed attack on the new government.174 In response, vigilance committees, called the quartiers jeunesses, were created.175 Initially unarmed, these groups of young men and women patrolled urban neighborhoods and the banks of the Congo river in the evenings. They would look for “suspicious” behavior, intercept pirogues crossing the river, or listen in on conversations in bars among pro-Youlou partisans. The quartiers jeunesses was a defensive measure that quickly became an offensive structure that asserted the visible public authority of a certain type of "revolutionary" young person. Student radicals simultaneously initiated programs that affixed young people to state-development projects. The main creation of this type was Opération retroussons les manches, which began as a means of cleaning up public space in Brazzaville, and then expanded to building schools and dispensaires in rural areas, and repairing roads in the wake of rainy seasons. 176177 Hoping to consolidate the success of their initiatives, student radicals created the Conseil national de la jeunesse (CNJ), which they claimed to be an umbrella organization for all youth groups in the country. The CNJ, like the vigilance patrols and Opération retroussons les manches, acted in support of the new government, but was organized outside of official government 175 According to interviews with Mberi Martin and Paul Nzete, these vigilance committees were organized by Ange Diawara, Andre Hombessa, and others who had come out of the ASCO and the UJC. They initially operated under no particular umbrella organization, but were likely formed on the basis of UJC neighborhood When police had shot down three of these protesters, they became the martyrs of les Trois Glorieuses, thus linking the "revolution" to "youth" from the outset. committees. 173 As Jérôme Ollandet writes, in this context, the idea of organizing and harnessing the “youth” was to both “donner une rivière in Brazzaville. For some in the Groupe de Mpila the project was about instilling a strong work ethic in young people that Jérôme Ollandet, L'Expérience congolaise du socialisme de Massamba-Débat à Marien N'gouabi (Paris: Harmattan, 2012), 81. could be carried over into national development projects. 174 Right after the revolution, Marcel Ibalico, the former head of the National Assembly under Youlou, gained refuge in to 1968. It also became integrated into the “les Samedis Socialistes” - Saturday afternoon programs of labor and popular Léopoldville. Youlou did actually escape to Léopoldville in 64, and commando attacks were launched from Léopoldville, all of education that attempted to engage other sections of the population beyond “youth .” However, the problem of voluntary labor which reinforced the fears of young radicals. Furthermore, many youth leaders feared that Youlou’s supporters were organizing projects such as these quickly became evident, as initial clean up, construction, and maintenance required regular follow up, and in neighborhoods in Brazzaville, especially Bacongo, where many residents shared Youlou’s ethnic and linguistic background . Opération retroussons les manches could not take the place of actual hired public workers. 172 dynamique nouvelle au pays” but also to become a “caution populaire” to the new government. 176 The first mobilization took place on September 3rd, 1963, with a reported 200 “jeunes” cleaning up the Madoukou-Tsékélé Based on discussions in the newspaper Dipanda, and reports in folder PR9 and Series B of the Congolese national archives, Opération retroussons les manches seems to have continued up 177 structures. The struggle to universalize "youth" as the embodiment of a particular conception of revolutionary politics faced a multitude of challenges, first from young supporters of the former president. Tensions came to a head February 1964, when a group of young men in Brazzaville gathered and began marching toward where Youlou was being held under house arrest, calling for him to be freed and restored to power. With police forces overwhelmed, government ministers began to panic. But young people organized around the quartiers jeunesses and the CNJ arrived en masse, just in time to turn back the crowd, effectively saving the new government.178 This display of numbers and force decisively asserted the dominance of the youth led by the student radicals, not simply in relation to other formations of young people, but also vis-à-vis the shaky provisional government itself. The student radicals had now become youth leaders, and were propelled into positions in the new government. They now pushed for the creation of a single-party in the Congo, where they hoped their vision of the "revolution" could central to state policy. Just months earlier many of the new youth leaders had engaged in a bitter struggle against Youlou's proposal for a single party state. But they had not opposed the form of the single-party, rather the political content such a party would have taken under the Youlou-led government. With the country adopting a new political direction, a single, mass party was now seen as the most effective means drawing the entire population into the project of creating a socialist nation. Thus, due to the efforts of the new youth leaders, in July 1964, the new party was created, the Mouvement National de la Révolution (MNR), along with a youth section the Jeunesse du Mouvement Nationale de la Révolution (JMNR).179 But young people in the Congo were in no way uniform in their interests or political convictions, and Catholic youth and trade union representatives opposed the singleparty project. At the JMNR congress, and over the course of the following year, Catholic youth leaders accused the new party militants of promoting communism and stifling their autonomy. In response, JMNR leaders used the formations they had organized --the vigilance patrols and local JMNR sections-- to actively harass, disorganize and exclude Catholic leaders from the political realm.180 The polarized nature of the conflict allowed the JMNR leaders to define one section of the youth as "revolutionary" and another as "counterrevolutionary."181 To be deemed counter-revolutionary was to essentially lose one's position as a representative of the youth -regardless of one's age.182 The creation of a single party with a youth section took place in many post-independence African states. What makes the Congo's history so particular is that the youth section, in embryo as the CNJ, led 179 Even before the youth section was formed, the Groupe de Mpila and the CNJ leaders remained visible at MNR congress: the Secretary of the proceedings was Andre Hombessa, and the first secretary of the party, behind the Massamba-Débat, was Amboise Noumazalay, one of the editors of the independent youth newspaper, Dipanda. 180 Most dramatically, a vigilance team captured Catholic trade union leader Fulgence Biayouala, dressed as a woman, trying to flee Brazzaville. It not only validated the JMNR leaders fears about a Catholic plot to restore Youlou to power, but it also served as a point of pride for youth radicals and a photo of Biayoula trying to pass as a woman was splashed all over the cover of Dipanda. 181 Within the student milieu, the same was done with the new student union, the Union générale des élèves et étudiants congolais (UGEEC). The UGEEC worked in tight collaboration with the JMNR and the AEC to assert the supremacy of certain conceptions of "youth" among students - though the group insisted on maintaining its autonomy from the JMNR, an important factor a few years later. Massamba-Débat seemed to recognize this, as three days later, he appointed Andre one of founders of the quartiers jeunesses, and the new president of the ASCO, as the High Commissioner for Youth and Sports. "youth" defined by one's political affiliations, Remy Bazenguissa-Ganga points out, and archival See: Bazenguissa-Ganga, Les Voies du politique au Congo. 178 182 With Hombessa, a leader of the Protestant youth and student organization (JEP), records confirm, it was not uncommon for "youth" leaders associated with the JMNR to be over thirty years old. the push for the creation of the national party (when the "elders" were faltering), and then played the predominate role in setting the political direction of the party. As one former JMNR leader told me, he never saw the need to aspire to a position in the party itself, since all decisions of importance had to be cleared by the youth leaders first.183 IV. DEFINING YOUTH POLITICS As the new youth leaders built organizations, they simultaneously spread their political ideas via three new initiatives: an independent weekly newspaper (Dipanda), a series of radio programs run by one of the student radicals, and mass political education meetings that took place every Sunday morning (in direct competition with church services.)184 Using these platforms, the new youth leaders outlined their main principles. First, they felt that formal independence had done little to alter the structures of colonial rule, and called for "indépendance veritable" or "indépendance réelle."185 The presence of French troops on Congolese soil was the most worrisome. 186 Thus, in April 1965, youth leaders pushed through a bill in the National Assembly to remove all French troops and bases from the Congo.187 The move prompted a bitter response from French military officials, who destroyed supplies and equipment, or dumped them into rivers including unexploded munitions that later maimed people.188 The same year, youth leaders argued that that control of the national educational system needed to be removed from the hands of the foreign administrators and Christian missionaries who ran it. After a raucous debate in 1965, the representatives of the "youth" in the National Assembly pushed though a law to quickly nationalize the entire education system.189 Simultaneously they launched a government-sponsored program of Education populaire, mobilizing students and young activists to provide basic courses, especially French language instruction, to adults.190 Second, youth leaders argued that indépendance réelle was not possible so long as other parts of the world remained under colonial or neocolonial control. The Congo's foreign relations were as important, if not more important to youth leaders attempts to define the "revolutionary" youth. They saw themselves surrounded by threats: a violent Portuguese occupation in Angola, neocolonial regimes in Gabon, Cameroon, and the Central African Republic, and most 187 The bill, however, did not end agreements for ongoing cooperation in the provision of arms, equipment, and training from Interviews with Mberi Martin, 15 October 2012, 19 November 2012. 184 Like the vigilance brigades and Opération retroussons les manches, all of these initiatives were first taken with tacit or explicit state approval, but operated independently of government supervision.184 Dipanda's editors, for example, first set up shop in a government ministry, but used the international connections they had developed while studying abroad to secure funding for the paper from China and North Korea. 183 185 Youth activists described this overall situation as neocolonialism, defined by one writer in Dipanda as, “the continuation of colonialism through intermediary national servants. Youth activists had regularly referred to Youlou as a “servant” (valet) and “puppet” (fantoche) of foreign governments and foreign capital. 186 When the French embassy aided Youlou in escaping to Léopoldville, and when the French military restored Léon M'Ba to power in Gabon in 1964, they felt that their fears were well grounded. France to the Congolese army. 188 See, Ollandet, 163-164. 189 In protest, mission teachers began to dessert their schools, rather than be integrated into the new system, as had been hoped. The 1965-1966 school year was virtually sabotaged by this mass exodus, but the JMNR and the government held firm to the need to weather the disruption and train new teachers. Though nationalizated and popular education programs both faltered from a lack of resources, the Congo still saw a increase in education rates during the 1960s. By the end of the decade 90% of children were attending primary or secondary school, with a higher proportion of young girls participating than in any other Francophone African country. See: Marchés Tropicaux & Méditerranéens, “Scolarisation en Congo-Brazza,” April 12, 1969. See also, Jeune Afrique, December 15, 1970. On the initial surge and then collapse of Education populaire, see folders PR9 and Series B from the Congolese National Archives. 190 importantly, a hostile government in Léopoldville. The assassination of Patrice Lumumba at the hands of Moïse Tshombe, and backed by the US and Belgian governments, was still a fresh wound for many Congolese youth leaders. Thus, when Tshombe became the Prime Minister of Congo-Léopoldville in 1964, the regime across the river was seen as a genuine threat to the "revolutionary" government in Brazzaville. Multiple covers of Dipanda portrayed Tshombe with fangs and clawed hands, working in collaboration with the United States to steal the wealth of Congo-Brazzaville.191 During this time, Congo became a hub for leftist refugees from the region. The youth leaders organized volunteer fighters to go to Angola, and pushed the government to allow the Movimento Popular de Libertação de Angola (MPLA) to set up their headquarters in Brazzaville.192 Congo also became a refuge for militants from the Union des Populations du Cameroun (UPC) and the Conseil National de Libération Congo-Léopoldville (CNL), often to the chagrin of the Congolese diplomats trying to work in these countries. As exiles fled to Brazzaville, many then played a role in providing political education to JMNR militants.193 JMNR militants supported the Vietnamese fighting the US military and regularly discussed reports of Afro-American activists challenging racism in the US.194 As JMNR militants became more vocal in their criticism of the United States, the United States ended diplomatic relations with the Congolese government on the second anniversary of les Trois Glorieuses.195 In February 1964, the Congolese government recognized Mao's China; an embassy and many free copies of Mao's "Little Red Book" quickly followed. Military and political cooperation was established not only with China and the USSR, but by the end of 1965 also with Cuba, North Korea, Egypt, Algeria, Vietnam, and Eastern Bloc countries, including Yugoslavia, Czechoslovakia, and Bulgaria. As writers in Dipanda were quick to point out, the goal was not to break all ties with "western" countries -notably France-- but to equalize alliances with a number of different countries that would provide support for new national development projects. Third, for youth leaders, moving away from capitalism was a key element of achieving indépendance réelle. Martin Mberi, a JMNR leader, explained to me how an anti-capitalist position seemed logical to students like himself in the early 1960s: “…capitalism was the origin of colonial exploitation. The capitalist could not liberate us.”196 Many of the new youth leaders who had studied abroad had been introduced to a Stalinized version of Marxism through the influence of Communist parties, but as youth leaders were quick to assert, they did not advocate communism.197 Instead they called for socialisme scientifique, a form of developmentalist nationalism, rooted in an economy that would be planned and run by the government, using revenues to 191 See Dipanda, A few months later, the US backed the Joseph Mobutu's coup across the river, solidifying the animosity of JMNR leaders. Diplomatic relations between the US and Congo did not resume until 1977. 196 Interview with Mberi Martin, 15 October 2012. Such a position was clear from the first issue of Dipanda, which, in 192 calling for nationalization of foreign companies, clearly linked market economies to colonialism. 5 September 1964 and 12 December 1964. The program of sending volunteers to Angola was described to be in an interview with Claude Ndalla, who helped coordinate the program. 193 Most importantly Abdoulaye Yerodia from Congo-Léopoldville and Osendé Afana from the UPC. 194 See, for example, Dipanda, 12 September 1964, which ran photos of police brutality against Afro-Americans in the US and an interview with Malcolm X. 195 Dipanda very carefully chose not to advocate "communism" throughout its entire print run. As one Congolese youth leader wrote in Dipanda in 1967, “Everyone knows that it is utopian to want to advocate a single socialism in Moscow, in Belgrade, in Beijing, or in Brazzaville, for the simple reason that these are distinct capitals with their own culture and economic situation." 197 Editors for introduce increasingly advanced means of production.198 To this end, youth leaders' pushed for the nationalization of foreign owned businesses and utilities, and in June 1967, the government nationalized the utility companies that held a monopoly over the distribution of water and electricity. The move opened up the possibility for additional large-scale nationalizations, which took place over the course of the following decade. Youth leaders also advocated and tried to implement equitable salaries, free education, the creation of state farms and cooperatives for peasants and artisans, and the advancing of interest-free credit for peasants and artisans to buy equipment. Political debates over how to apply Marxism in the Congo flourished during this time within the JMNR, as copies of French leftist literature and French translations of Marx, Engels, Lenin, Stalin, Mao, and Trotsky were circulated among youth militants. The political changes pushed by youth leaders were neither uniformly successfully nor always well received. When initiatives faltered, youth leaders were quick to place blame on those in the government who they regarded as insufficiently trained in, or committed to, the revolutionary ideals of socialisme scientifique. Having established the revolutionary youth of the JMNR as a political vanguard, all political actors could be judged against this standard not just other youth activists, but also their elders. V. T HE MILITARIZATION OF THE YOUTH The strength of the "youth" in the Congo initially rested on multiple bases: their demographic majority, their high level of organization, and the relative clarity of their political ideas in the 198 This was an echo of Soviet and Chinese models of "catching up" to the major world economies through state investment, which student radicals differentiated from Massamba-Débat's embrace of what he called a communal philosophie Bantu. midst of much confusion after the fall of Youlou. But most of the rankand-file of the new youth organizations were students or unemployed men and women who held little to no economic or political power. As Pierre Bonnafé observed just after the formation of the JMNR, what gave the "youth" its influence in the final instance was the possibility of the use of force. From the outset, vigilance brigades behaved as morality police in urban neighborhoods, claiming the prerogative to set up checkpoints, and apprehend late night inebriates, suspected prostitutes, and abusive spouses. Fines were often exacted -sometimes through threats of violence-- as a way for the young vigilantes to piece together a living.199 Afraid of an armed rebellion of from the Congolese military, Léopoldville and/or Youlou's supporters, youth leaders moved beyond unarmed patrols and created the armed milices populaires.200 The proliferation of autonomous armed groupings operating in urban and rural spaces became deadly in February 1965, when three members of the government were assassinated.201 Though the assassinations were not traced back to the JMNR leaders, the crisis prompted an attempt to reign in vigilantism. A suspect might spend a night in a school classroom or other space claimed by the quartiers jeunesses as their headquarters (later, these became the JMNR's état-major), subject to verbal taunting or physical abuse, including one account of a rape. Patrols became more regulated as they were absorbed by the JMNR and party's women’s section (the URFC, which organized patrols of women), but accounts of abuse continued. 200 At first, groups of young militants were provided arms and basic training from the Congolese military itself, (perhaps hoping to integrate them into the Congolese Army's command). Weapons came initially from Algeria and Egypt, then Czechoslovakia. 201 The Attorney General, the head of the Supreme Court, and the directory of the Congolese Information Agency were assassinated. Mystery still shrouds the killings, but accusations have most often been made against a "Groupe Choc" organized by allies of the president and Prime Minister Pascal Lissouba. 199 Cuban military trainers were brought in to help create a single armed youth force, the Corps national de la défense civile (CNDC), in October 1965. The Défense civile was granted physical encampments to conduct military and political training, in order to keep the young miliciens out of public spaces.202 What made the Défense civile so important was that it operated under a command structure that was entirely separate from the Congolese military.203 It was funded by the party, and commanded by a group of young men from the JMNR leadership, notably Ange Diawara, who had been a domestic student leader at the time of les Trois Glorieuses. With 1345 militants in the Défense Civile battalions by 1968 and up to two thousand more remaining in the milices populaires, youth leaders had created a military force that rivaled the size and equipment of the Congolese army.204 Created as a counterbalance against a possible military coup, the Défense civile was now the cause of greater conflict between the government and military commanders. Youth leaders, as their influence grew, were themselves increasingly at odds with government ministers, MNR leaders, and sometimes each other over the pace of political reforms, and out of This attempt to control armed "youth" was also a means of canalizing foreign military aid and training toward the creation of a counter-balancing force against the military - a project that President Massamba-Débat initially saw as important to the preservation of his government. 203 Military officers demanded the integration of the CNDC into the army, but an attempt to merely involve a Congolese Army officer in the running of the CNDC was rebuffed by CNDC leaders. 204 Funded directly from the general treasury of the MNR, the budget provision in 1967-1968 was decided upon by the former JMNR head, André Hombessa. For the breakdown of CNDC soldiers, see folder PR23, Congolese Natonal Archives. The CNDC was mirrored by the much smaller Brigades féminins, provided young women with political and paramilitary training. The CNDC and Brigades féminins was fed by the JMNR's organization for even younger people: the Pionniers. 202 this grew ideological and interpersonal quarrels. 205 Massamba-Débat found himself trying to bridge an internal polarization - unable to please either moderates disturbed by the radical overtures of youth leaders, nor the youth leaders themselves.206 In July of 1968, the new student union, the Union générale des élèves et étudiants congolais (UGEEC), met for a congress and, led by the demands of students studying abroad, became the first group to openly call for MassambaDébat to step down. Some students had experienced the upheavals of May and June 1968 in France firsthand, others followed the nearly simultaneous strikes in Dakar, and many hoped to see the "revolution" in the Congo renewed by similar mass social protests against the stagnation of the government. Once again, student leaders seemed poised to set the political direction of the country. But ultimately, it was a core of military officers, who coopted the definition of "youth" as a vanguard, and organized a military action to topple government in July of 1968. The officers were led by the thirty year-old Captain Marien Ngouabi, who presented himself as someone who could break through the conservatism of the government on behalf of "youth". As a result many of the youth leaders initially allied with him, and by the end of 1969, he had declared the Congo to be Africa’s first Marxist-Leninist state.207 These were not simple power struggles, but a reflection of real discontent bred by the government's inability to address unemployment and raise standards of living in either the city or the countryside. Multiple state enterprises faltered, dashing hopes for job creation and industrial growth. 206 Massamba-Débat initially responded by trying to take control of the JMNR, and eliminating the position of Prime Minister held by one of the student radicals from 1963, Ambroise Noumazalay. 207 The new party, the Parti Congolaise de Travail (PCT), purported to be a "vanguard" party. The founders blamed the failure on the MNR on its attempt to be a mass party of the whole nation, not one built around a committed revolutionary core. 205 However, youth organizations were forced into submission to the new regime: The JMNR was dissolved and the Défense civile was integrated into the national army.208 Students organized strikes, declaring the "Marxist-Leninist" government a sham, and former Défense civile militants led a failed military uprising.209 But by 1974, potential sources of autonomous resistance had been largely quashed, and the youth leaders of 1963 - 1968 had either been executed, politically marginalized, or brought into the new government under Ngouabi. VI. CONCLUSION I want conclude with an observation about the potential and the limitations of the definition of "youth" institutionalized by the student radicals of 1963 to 1968. Because youth organizations in the Congo guarded their autonomy, and maintained an insider-outsider status, they became the most in important independent political force in the Congo in the 1960s. However, most student leaders saw youth autonomy not a step toward socialist democracy, but as a means of bringing socialism through the enlightened dictates of the most "revolutionary" intellectuals.210 As a result, youth militants were increasing instrumentalized as a means for student leaders to ascend to new positions in the state or party. The JMNR was replaced by the Union de la jeunesse socialiste congolaise (UJSC). When the military action (known as M22) failed, a small core of the leaders fled to the countryside where they struggled to build a Cuban-style guerrilla maquis, until being rooted out and executed a year later. 210 As Ernest Wamba-dia-Wamba writes of the student radicals of 1963: "their understanding of the transformation of the state [was] driving 'non-socialists' out of the state apparatus. Struggles in the state were reduced to struggles by 'socialist elements' to occupy 'strategic' state places..." See: Wamba dia Wamba, Ernest. "The Experience of Struggle in the People's Republic of Congo." In Popular Struggles for Democracy in Africa, edited by Peter Anyang' Nyong'o, 96-110. London: Zed Books, 1987. But as the student radicals of 1963 were elevated into party and government positions, they often found themselves operating under constraints that forced them to temper or betray the demands they had raised as youth leaders.211 In the process, the next group of youth leaders behind them (whether in age or influence), critiqued their actions, and took control of the ongoing political redefinition of "youth" under increasingly radical terms. In large part, this was possible because student leaders put a great deal of effort into training JMNR rank-and-file members in the politics that they espoused, as they organized reading groups, debates, physical fitness, public works programs, literacy classes, and military training. Despite its limitations, the process of continually creating new young leaders and intellectuals with their own political perspectives is what made 19631968 one the most dynamic periods in the Congo's history. 208 209 For example, JMNR leaders and Dipanda writers expressed disappointment with the governments under both Lissouba and Noumazalay, Prime Ministers from 19641966 and 1966-1968 respectively, despite the major roles they played in the formation of the "youth" leadership in the Groupe de Mpila and Dipanda. 211 MALIKA RAHAL. 1968-1971 EN ALGÉRIE. CONTESTATION ÉTUDIANTE, PARTI UNIQUE ET ENTHOUSIASME RÉVOLUTIONNAIRE Institut d’Histoire du Temps Présent, CNRS, Chargée de recherches, [email protected] Proposition de communication Du point de vue de la mobilisation des étudiants algériens, la séquence 1968-1971 est particulièrement riche. Suite au coup d’état de 1965, qui porta au pouvoir le colonel Houari Boumediene, l’affirmation de l’autorité du régime de parti unique du FLN, se durcit. Il s’agit notamment de mettre en coupe réglée l’ensemble des organisations de masse : organisations syndicales, paysannes, de femmes, anciens combattants et mouvements de jeunesse. Dans ce contexte, l’UNEA (l’Union nationale des Étudiants algériens) est l’organisation qui résista le plus longtemps, en dépit les vagues d’arrestations successives et le passage obligé à la semi-clandestinité. La présente contribution émane d’une recherche en cours sur les partis communistes algériens (Parti communiste algérien jusqu’en 1966, puis Parti de l’Avant-garde socialiste), à partir d’entretiens biographiques avec d’anciens militants. Elle met en évidence l’importance du syndicalisme lycéen et étudiant dans les carrières politiques.212 Nombre de militants algérois du PCA puis du PAGS furent d’abord des militants lycéens et/ou étudiants ; une fois entrés dans le parti, ils conservèrent une action dans les organisations de masse, bien souvent dans le syndicat étudiant. Au sens de Howard Becker, qui permet d’analyser le modèle séquentiel à partir des répétitions d’un entretien à l’autre. Howard Saul Becker, Outsiders : Studies in the Sociology of Deviance (New York: Free Press, 1963). 212 Elle mettra en lumière comment la nature même d’un mouvement étudiant rendait complexe la transmission des savoir-faire d’une cohorte à l’autre, tout en assurant le renouvellement malgré la répression, les aînés emprisonnés (Djamal Labidi et Djelloul Nasser) devenant très vite des figures mythiques mais inconnues pour les cohortes suivantes. On verra se développer une gamme de pratiques politiques (grèves sur des revendications limitées, élections-flash des comités pédagogiques pour éviter l’arrestation, réunions très rapides durant les cours, les formes de mobilisation en semi-clandestinité, et même la clandestinité totale de la direction de l’UNEA) avec des références dans les entretiens aux pratiques des étudiants communistes sous le régime franquiste. Cette séquence 1968-1971 est marquée par le bouillonnement des mouvements de grève à partir de 1968, et une répression qui aboutit à la dissolution de l’UNEA en 1971. Le tournant de 1971 est d’importance : à partir de cette date, il n’y a plus en Algérie d’organisation étudiante, mais seulement des organisations de jeunesse (Union national de la jeunesse algérienne ou Jeunesse du FLN) sous la houlette du FLN. Les formes de mobilisations étudiantes se transforment, de même que l’intégration dans les organisations étudiantes internationales (UIE) qui passent par le maintien d’une UNEA à l’étranger (et principalement en France). Issue d’une recherche encore en cours – rendue complexe par les conditions de la clandestinité de l’époque, et par la disparition des archives –, cette intervention visera à en établir d’abord les éléments factuels. Elle ouvrira des pistes plus analytiques de réflexion concernant notamment les relations entre le mouvement étudiant et le parti unique : il semble en effet que la suppression du mouvement étudiant au profit d’un mouvement de jeunesse et de volontariat en 1971 ait été concomitante avec une orientation plus nettement socialiste (nationalisation des hydrocarbures et révolution agraire également en 1971) et une utilisation de la jeunesse par le président Boumediene et l’aile gauche du FLN pour appuyer les réformes. Au déjà de la jeunesse, c’est quasiment l’ensemble de la gauche qui est ainsi ralliée au régime dans ce qu’on a nommé parfois le « soutien critique ». Par ailleurs, on examinera l’entrée en politique de la première génération de l’indépendance, son imaginaire politique après la sortie de guerre, et notamment l’analogie entre engagement politique et engagement guerrier. Le corpus est constitué par les entretiens réalisés entre 2011 et 2013 avec des militants communistes de la génération de l’indépendance, nés entre 1943 et 1958. À ce corpus s’ajoutent quelques mémoires et autobiographies de militants. Du côté des documents écrits, des archives de l’UNEA sont conservées à l’association Génériques à Paris ; on peut y ajouter une poignée de documents retrouvés au cours du travail de terrain en Algérie : L’ensemble forme un corpus documentaire très disparate avec des tracts, quelques documents internes et des notes du le fonctionnement des organisations étudiantes puis de jeunesse. Bibliographie Abrous, Mansour. Contribution à l’histoire du mouvement étudiant algérien (1962-1982). Editions L’Harmattan, 2002. Mouffok, Houari. Parcours D’un Étudiant Algérien : De l’UGEMA À l’UNEA. Escales. Saint-Denis: Bouchène, 1999. Kheffache, Mohand A. Mémoires D’une Adolescence Volée : Algérie 19621963. Paris: L’Harmattan, 2007. Atelier 3 : Connexions, circulations 15h45-17h : Une étude comparée de la mobilisation des jeunesses catholiques scolarisées dans les décolonisations africaines : le cas du Rwanda et de l’ancienne AOF entre 1945 et 1970 : Nicolas Bancel et Thomas Riot The Struggle of Sawaba in Niger and its Students in Eastern Europe, 1958-1969: Klaas Van Walraven De la FEANF et des mouvements étudiants en diaspora : Françoise Blum Lumumba, Mobutu et Mao : une « histoire globale » du mouvement congolais : Pedro Monaville NICOLAS BANCEL ET THOMAS RIOT. UNE ÉTUDE COMPARÉE DE LA MOBILISATION DES JEUNESSES CATHOLIQUES SCOLARISÉES DANS LES DÉCOLONISATIONS AFRICAINES : LES CAS DU RWANDA ET DE L’ANCIENNE AOF ENTRE 1945 ET 1970 Nicolas Bancel (Université de Lausanne) et Thomas Riot (Faculté des Sciences sociales et politique, Université de Strasbourg) La contribution que nous présentons aujourd’hui s’inscrit dans un programme initié à l’université de Lausanne et qui débutera en septembre prochain. Ce programme vise à comprendre le rôle des mouvements de jeunesse et des activités physiques dans les processus de décolonisation du Rwanda, de l’Ouganda et de l’AOF, dans le contexte plus large des luttes politiques et des mutations sociales et institutionnelles qui caractérisent cette période (45-60), tout en envisageant les conséquences immédiatement postcoloniales de ce processus (jusqu’au début des années 70). La perspective est donc transnationale, et comparatiste. Sur ces bases, nous formons l’hypothèse que la période de la décolonisation a été marquée par la formation de nouvelles élites, et que cette formation est passé en particulier par des dispositifs corporels. Nous postulons que les luttes anticoloniales qui marquent cette période relèvent d’un processus profondément ambivalent, puisque les principaux opposants politiques à la colonisation au sein de ces nouvelles générations d’élites, se trouvent être les plus intensément soumis à une transformation de leur habitus et de leur hexis, dans le sillage de leur accès à des pratiques culturelles importées de la métropole. C’est sur les bases de cette hypothèse que nous souhaitons réexaminer l’histoire des décolonisations. Vous l’avez compris, ce programme est à venir. La communication que nous vous présentons aujourd’hui ne peut donc être qu’une ébauche. Entre 1945 et 1970, les anciens territoires coloniaux de l’Afrique occidentale française (AOF), comme ceux du Rwanda ou du Burundi, sont entrés dans une phase de transformations politiques rapides, marquées par la naissance ou l’action plus vigoureuse de partis politiques autonomistes ou indépendantistes – ce qui est bien connu – mais aussi par de fortes mobilisations de la jeunesse africaine scolarisée engagée dans les transformations sociales, culturelles et politiques des différentes zones – ce qui l’est moins. En Afrique occidentale française, la nouvelle politique impulsée à partir de 1946 par la mise en œuvre du plan décennal de développement orchestré par le FIDES (700 milliards de FCFA) comprend un volet « éducation » et étend significativement d’une part l’enseignement primaire en AOF (on passe de 4% à 12% de taux de scolarisation entre 1946 et 1959) ; d’autre part élabore un ambitieux programme doté de bourse pour des étudiants d’AOF accédant à l’enseignement supérieur. Au Rwanda, on assiste, sur une échelle plus réduite, à un phénomène relativement comparable. Alors que le plan décennal de 1951 entend promouvoir un développement rapide du territoire, les missions catholiques renforcent leur politique de scolarisation de la jeunesse issue des milieux ruraux de la population colonisée (qui font monter le taux de scolarisation de 7% à 12% entre 1951 et 1958). La possibilité quasi nulle d’accéder à des bourses de séjour universitaire à l’étranger (au Congo ou en Europe) est quelque peu compensée par les voyages en Belgique et à Rome qu’entreprennent quelques étudiants catholiques engagés dans l’encadrement de la jeunesse chrétienne (les futurs cadres politiques et culturels républicains, dont Grégoire Kayibanda). Les deux mouvements de jeunesse catholiques que nous nous proposons d’étudier aujourd’hui sont intimement liés au développement de la scolarisation, dans le primaire, le secondaire et le supérieur. On constate, en AOF comme au Rwanda, que les scolarisés ont représenté la grande majorité des participants à ces mouvements. Des mouvements étudiants africains ont également été liés à ces mouvements, fournissant l’essentiel de l’encadrement. Grâce à une comparaison entre le Rwanda et l’ancienne AOF, nous voudrions montrer que cette « association » de mouvements étudiants aux organisations de jeunesses catholiques a été, dans un cas, un moteur de la décolonisation (Rwanda), dans l’autre un mouvement politiquement conservateur qui n’a pas participé à la décolonisation. Mais dans les deux cas, la conjonction des dispositifs de la jeunesse chrétienne aux savoirs scolaires a formé l’une des conditions majeures des continuités existantes dans les deux territoires entre le temps colonial et la période postcoloniale. Dans ce cadre, nous posons l’hypothèse qu’un processus « d’hybridation asymétrique » des étudiants concernés a été un facteur essentiel de la réhabilitation – après l’indépendance – de quelques paradigmes culturels de la domination coloniale, et permet d’éclaire les raisons pour lesquelles les projets sociétaux mis en place après 1945 ont été généralement poursuivis après les indépendances, mais aussi de mieux comprendre pourquoi les Etats postcoloniaux dans les zones concernées ont fonctionné selon une forme de concurrence mimétique avec l’ancien dominant. Ainsi, l’« hybridation asymétrique », envisagée du colonial au postcolonial, permet d’appréhender le fait qu’une minorité issue des fractions scolarisées, après s’être emparée du pouvoir et malgré son opposition à la domination coloniale, a partagé avec l’ancien dominant un ensemble de référents sociaux et culturels l’amenant à poursuivre le projet colonial après l’indépendance. Dans le cadre de ce « work in progress », notre comparaison entre les deux zones s’est focalisée sur trois dimensions révélatrices du rôle joué ou non par les mouvements de la jeunesse catholique scolarisée dans les décolonisations africaines. Premièrement, il s’agira d’étudier le rôle (effectif ou pas) joué par ces dispositifs dans le combat politique pour l’indépendance. Secondement, nous mettrons en évidence l’importance de la forme (réinventée ou transplantée) des pratiques, normes et valeurs mobilisées par les mouvements et leurs effets sur les transformations socio-culturelles des groupes concernés. Enfin, nous interrogerons les effets d’une racialisation de cette dynamique d’acculturation sur les trajectoires postcoloniales des mouvements. Le corpus empirique que nous mobilisons se compose d’entretiens, d’archives administratives et missionnaires, de correspondances, d’archives privées. Une partie importante de ces archives reste à explorer et exploiter. SOCIOLOGIE DU RECRUTEMENT Au Rwanda, la politique de modernisation conservatrice menée par la Belgique et les missionnaires catholiques jusqu’à la fin des années 1940 a généré un développement tardif des formules européennes consistant à « parfaire » l’éducation sociale, corporelle et religieuse de la jeunesse scolarisée. La plus importante, née en 1952 à Bukavu (Congo belge) sous le nom de Xaveri, fut empruntée au scoutisme catholique européen. A la fin des années 1950, les centres scolaires et missionnaires du Rwanda comptaient environ 10.000 Xaveri (majoritairement issus des lignages hutu de la population colonisée) formés au mouvement à partir de la troisième année primaire, soit entre 5 et 10% de la population scolarisée (qui elle-même ne représentait pas plus de 10% d’une classe d’âge susceptible d’intégrer les rangs de l’école). A partir de 1957, la sociologie du recrutement des Xaveri est révélatrice d’un très net retournement de la politique coloniale en faveur de la mobilisation d’une jeunesse censée représenter les aspirations de la majorité (hutu) de la population colonisée. Après avoir privilégié la formation d’une minorité scolarisée issue du groupe racialisé des Tutsi, Belges et missionnaires encouragent le recrutement et la mobilisation – à partir de l’année 1954 – de jeunes fils d’agriculteurs, de moniteurs de l’enseignement et de fonctionnaires prélevés dans la catégorie hutu de la population. Recrutement qui favorise – à la fin des années 50 – l’association de ce groupe à l’idéologie et aux pratiques révolutionnaires menées par une élite hutu décidée à se débarrasser de ce qu’elle appelle le « féodalisme tutsi ». En AOF, le scoutisme catholique s’est implanté dès les années 1930, mais son recrutement est alors majoritairement européen. Il faut attendre les années 1940 pour que le recrutement d’africains prenne son essor, mais le mouvement conserve alors et conservera jusqu’en 1959 le principe d’une ségrégation des troupes (les jeunes africains sont séparés des jeunes européens). Il compte alors environ 3000 membres africains. Le scoutisme catholique recrute essentiellement autour des missions et surtout des écoles catholiques, qui bien que concurrencées rapidement par l’école coloniale publique, conserve une forte influence dans certains territoires (Dahomey et Côte d’Ivoire en particulier). La situation dans les colonies d’AOF est fondamentalement différente de celle du Rwanda. Tout d’abord parce que l’Etat français, nous l’avons vu, investit massivement dans le plan décennal animé par le FIDES et que, dans ce cadre, un effort important est consenti pour l’érection d’écoles primaires, dans toute l’AOF, faisant passer le taux de scolarisation, entre 1945 et 1959, de 4 à 12%. Contrairement à la Belgique, qui laisse de fait le monopole de l’éducation aux missionnaires, la France, conformément à une tradition postrévolutionnaire, étend le réseau des écoles publiques. Le scoutisme catholique est, de fait, marginalisé par cette évolution et dépassé bientôt par les Eclaireurs de France, laïcs, qui profitent de l’essor des écoles publiques coloniales. Le scoutisme catholique recrute dans des fractions sociales spécifiques : on dénombre – quoi que les statistiques soient incomplètes et fragiles – une majorité d’enfants issus des milieux proches de l’administration coloniale (commis, petits fonctionnaires), de l’économie monétarisée (planteurs, commerçants) ou de la chefferie. Dans cette période d’essor scolaire important, un nombre non négligeable d’enfants issus de la paysannerie pauvre (20% ?) profitent de l’ouverture d’écoles catholiques. TRAJECTOIRES POLITIQUES DES MOUVEMENTS Les trajectoires politiques du scoutisme catholique en AOF et du mouvement Xaveri au Rwanda sont dissymétriques. En AOF, le scoutisme catholique a d’une part été constamment contrôlé par le scoutisme français. Il faudra attendre 1959 pour qu’un début d’émancipation de cette tutelle se fasse jour (alors qu’elle est depuis longtemps consommé dans le cas du scoutisme laïc). Or, l’opposition à la colonisation fut très tardive dans le scoutisme catholique (entre 1958 et 1959), suivant en cela la prise de position tardive de l’Eglise. Mais ce tournant est largement minoré en AOF, car l’encadrement du scoutisme catholique continue d’être dominé par des Européens, dont une majorité est issue des fractions les plus conservatrices de la société coloniale européenne : militaires, commerçants, planteurs, forestiers. Plusieurs travaux montrent bien que l’indépendance de l’AOF a été, pour la majorité du colonat, une véritable surprise, et qu’une écrasante majorité ne la souhaitait pas. Par ailleurs, là où les mouvements étudiants africains, qui se développent très rapidement en France dans les années 1950, exercent une influence déterminante sur la radicalisation des mouvements de jeunes laïcs et en particulier sur le scoutisme laïc, les étudiants catholiques africains ne disposent que d’une seule association véritablement structurée (dirigée par Ki-Zerbo), mais qui n’exerce qu’une influence très marginale sur le scoutisme catholique aoéfien. L’effet d’entraînement de la radicalisation politique des mouvements étudiants africains en France (et de l’UGEAO à l’Université de Dakar) n’a donc pas joué. On doit aussi noter que l’idéologie véhiculée par les principales publications destinés aux scouts d’AOF sont, jusqu’aux indépendances, marquées par le souci de préserver l’ordre colonial. Les scouts d’AOF restent donc fidèles à leur généalogie : construire une élite destinée à « préserver » l’ordre social. Mais les normes, valeurs et techniques du mouvement ont grandement participé d’un processus d’incorporation de la dépendance de ces jeunes, à la fois à l’ordre colonial et aux idiomes et pratiques de la chrétienté universelle. Les pratiques des scouts catholiques ont conservé leur origine en partie militaire. L’obéissance, le sens de la hiérarchie, le respect de l’ordre sont constamment rappelés dans les rituels. La pratiques impliquant la mise en œuvre de la justice ou de charité, bien que très performatives sur le plan des transformations socio-culturelles du groupe et pouvant déboucher, dans d’autres cas, sur la contestation anticoloniale – comme au Rwanda –, n’a pas recouvert ici cette dimension. Pour autant, l’ensemble des pratiques physiques d’origine occidentale – le plein air, les jeux et le sport –, ont contribué décisivement à la transformation culturelle et psychique des jeunes scouts, ouvrant sur un répertoire normatif très nouveau, fondé sur la construction métaphorique d’un champ mérito-démocratique impliquant la progression dans la hiérarchie scoute, l’imprégnation du sens de la compétition interindividuelle, l’incorporation de la valeur du progrès technique. En ce sens, les scouts catholiques participent d’un mouvement beaucoup plus vaste, qui les apparient ici au scoutisme laïc. Nous reviendrons sur ce point. Là encore, la situation rwandaise est différente. Si l’on observe les transferts politiques de ces mouvements vers la lutte pour l’émancipation, le Rwanda offre un exemple de gestation d’une idéologie de la révolution menée par une élite hutu formée aux idiomes et aux pratiques de la démocratie chrétienne. Le mouvement Xaveri, puissant vecteur de schèmes émancipateurs articulés aux notions de justice sociale et de charité, a été l’un des médiateurs du phénomène. En plus des savoirs scolaires et religieux associés à l’idée de l’éveil du « peuple hutu » face à ses oppresseurs (identifiés à l’élite tutsi), les dispositifs culturels et corporels de l’organisation participent de la formation des futurs dirigeants de la première République (gouvernée par les ministres, préfets et bourgmestres du Parmehutu de Grégoire Kayibanda, transformé en Mouvement démocratique républicain MDR). Alors que bon nombre d’entre eux avaient participé à l’orchestration des premières tueries ayant visé les « évolués » et chefs tutsi au moment du renversement de la monarchie (entre 1959 et 1961), une grande partie de ce groupe était constitué d’anciens Xaveri devenus cadres du mouvement. PRATIQUES ET AFRICANISATION DES MOUVEMENTS Associées à leur formation scolaire, religieuse et apostolique, les pratiques culturelles des Xaveri du Rwanda, comme celles des scouts catholiques en AOF, contiennent des formes nettement européanisées (jeux collectifs, plain air, sport, gymnastique…) s’ajoutant aux activités locales réinventées par la culture coloniale (veillées collectives, danses et poésie guerrière…). En AOF, alors que l’organisation privilégie une transplantation quasi mimétique de techniques, normes et valeurs issue de la culture du colonisateur, les scouts catholiques composent une catégorie de scolaires engagée dans un procès de transformation du champ socio-culturel de formation des futurs cadres du mouvement. Alors qu’au Rwanda, l’africanisation des pratiques sert les stratégies d’extraversion de Xaveri engagés dans les mouvements nationalistes en présence (hutu et tutsi), les scouts catholiques aofiens, culturellement proches de leurs formateurs européens, ont pour principal projet politique de remplacer ces derniers dans le gouvernement du mouvement. RACIALISATION DE L ’ÉMANCIPATION Du point de vue des jeunes mouvements étudiants catholiques, la situation coloniale rwandaise offre un exemple de racialisation interne de la lutte pour l’émancipation. Identifié au combat d’une élite représentante des « serfs hutu » face à leurs anciens « seigneurs tutsi », le mouvement nationaliste hutu a eu pour ambition de se détacher de la tutelle raciale provoquée par quatre décennies de délégation de l’exploitation coloniale à la minorité tutsi de la population. Ce pan-hutuisme, comme certains l’ont appelé, a aussi procédé d’une appropriation des savoirs et techniques du groupe à combattre : l’élite tutsi. Composant l’immense majorité des cadres autochtones du mouvement Xaveri, la minorité tutsi du dispositif incarnait le modèle et l’adversaire vis-à-vis duquel des groupes politisés de jeunes xaveri hutu avaient des sentiments très ambigus. Après avoir participé à l’orchestration de l’élimination physique des opposants tutsi à leur projet, de jeunes sympathisants du Parmehutu adoptèrent une ligne de gouvernance du mouvement très proche de celle cultivée par leurs anciens chefs. En AOF, si le scoutisme catholique n’a pas été une matrice de l’émancipation politique, il est par contre frappant de constater que l’accès à ce mouvement a permis à de jeunes scolarisés de se familiariser avec la culture du dominant. Nombre d’entre-eux rejoindront les administrations coloniales et ont, par hypothèse, bénéficié de soutiens à l’intérieur des nouvelles bureaucraties d’Etat. C’est le cas en Côte d’Ivoire, et il faudra étendre les investigations pour savoir si d’autres territoires ont également participé de ce phénomène (Bénin ?). TRANSFERTS CULTURELS ET INDÉPENDANCE RELATIVE DES MEMBRES Dans le processus (non systématique) de politisation des mouvements de jeunesse catholique, le niveau d’africanisation des pratiques semble agir moins efficacement que le transfert (effectif ou pas) des savoirs, normes et valeurs constitutives des activités dans les espaces socioculturels de la contestation politique (se déclinant en demande d’émancipation, de renouveau social ou de révolution culturelle). A ce sujet, le jeune mouvement catholique de décolonisation du Rwanda constitue un exemple radical de politisation d’une ligne idéologique socio-chrétienne articulée à une racialisation des stratégies d’émancipation menée par une minorité de la jeunesse hutu face à ses dominants intérieurs (les élites tutsi). A ce niveau, le recours à la « tradition » (soit à l’africanisation des pratiques) n’a fait que renforcer la dimension interne (racialisée) de la lutte menée par les jeunes acteurs hutu de la « révolution sociale ». Dans le contexte de gestation du nationalisme chez les catégories scolarisées de la jeunesse aofienne, le scoutisme catholique a plutôt joué un rôle inverse sur le plan politique, la thématique raciale étant classiquement articulé sur une division – de moins en moins proclamée à partir du début des années 1950 – entre les Africains et les Européens. Il est très symptomatique de constater que les manuels destinés à l’encadrement continuent de soutenir des schémas qui ont disparu – ou qui sont combattus – dans les autres mouvements : l’Africain est fondamentalement perçu comme attardé, grand enfant auquel on s’attache mais qu’il s’agit de transformer pour le faire entrer dans l’âge adulte. Les allusions à la « nature » de l’Africain sont légion, renvoyant implicitement à une conception essentialisée de la race. Ces schémas se raréfieront avec l’africanisation du mouvement puis l’émancipation de la tutelle européenne. Mais le décalage est frappant avec les autres mouvements de jeunesse émancipés de la tutelle coloniale. Le mouvement scout aoéfien, dominé par le colonat européen conservateur, structurellement inféodé à son centre métropolitain, a instillé l’amour de l’ordre et la nécessité de sa préservation, admettant à mots couverts, et seulement à partir de 1957, les « abus » du colonialisme. Au Rwanda, contrairement à l’AOF, la race – et surtout les médiations socio-culturelles de son enracinement dans les corps et les consciences de cette jeunesse – est un idiome central du processus. Mais elle ne fait pas tout. Il est aussi question de mobiliser un tel transfert idéologique dans les arènes du combat politique face à l’occupant (étranger ou pris pour un oppresseur africain). CONCLUSION En commençant ce premier essai de comparaison entre le Rwanda et l’AOF, nous ne nous doutions pas faire face à deux processus aussi dissymétriques. Ce qui, il faut bien le dire, ne nous simplifie pas la tâche. Emanant d’une idéologie très proche, les mouvements scouts en AOF et Xaveri au Rwanda ont poursuivis des trajectoires politiques radicalement différentes. Ceci peut être éclairé hypothétiquement par plusieurs facteurs convergents. Premièrement, le mouvement Xaveri se trouve à l’épicentre du processus de décolonisation au Rwanda, en tant qu’il est une condition du retournement d’alliance fomenté par le colonisateur à la veille des indépendances, après avoir construit une théorie de la « libération » vis-à-vis de la domination tutsie, recelant une conflictualité potentielle particulièrement explosive. En AOF, si des conflits liés à l’appartenance ethnique ont émaillé à la marge l’histoire du mouvement scout, la doctrine de celui-ci est fondée sur la commune appartenance à l’humanité, les distinctions raciales en Africains et Européens visant à préserver l’ordre colonial (le « retard » des Africains nécessitant la « mission civilisatrice et chrétienne » de la France). La où le mouvement Xaveri participera d’une révolution raciale impliquant de nombreux progroms contre les tutsis, en AOF, les scouts catholiques accepterons de mauvaise grâce l’indépendance, tout en s’acclimatant fort bien des nouveaux dirigeants (sauf dans certains cas spécifiques, comme en Guinée), qui poursuivront finalement sans grands heurts les projets mis en place par le colonisateur. Ces données contextuelles du processus de décolonisation expliquent en partie ces divergences de trajectoires. Il s’agit pour nous de les articuler aux bases sociales du recrutement des jeunes. Au Rwanda, les responsables républicains du mouvement sont prélevés chez des moniteurs de l’enseignement et des anciens séminaristes fils d’agriculteurs hutu et bientôt nommés chefs politiques du parti présidentiel républicain. En AOF, le scoutisme catholique est dominé par le colonat au sein duquel on compte peu d’hommes impliqués dans l’administration coloniale et donc la gestion des colonies. Le colonat conservateur a-t-il freiné en AOF le changement de pied de l’Eglise catholique en France dans la seconde partie des années 1950, contrairement à ce qui a pu se passer au Rwanda, où l’Eglise, voyant lui échapper la nouvelle élite tutsi, a parié sur une « révolution hutu » ? Ces questions restent ouvertes. Mais il nous semble que ces processus sociopolitiques, pour importants et décisifs qu’ils soient, ne doivent pas nous masquer une convergence entre le Rwanda et l’AOF, qui se situe sur un autre plan. Le rôle joué par ces mouvements dans l’incorporation de la culture du dominant (occupant) est en effet déterminant. L’hybridation asymétrique des élites, au Rwanda comme en AOF, se manifeste par l’adhésion inconsciente à des répertoires culturels coloniaux qui participent de la formation des communautés politiques « indépendantes ». Cette incorporation passe par les corps, dans le jeu de leur mise en mouvement dans le cadre de pratiques d’origine européenne, tels les pratiques de plein air et le sport. Les valeurs véhiculées par ces pratiques impliquent une rupture fondamentale avec les sociétés paysannes qui regroupent alors l’essentiel des populations des deux zones. Ces valeurs sont celles de la concurrence interindividuelle, de la rupture avec les sociétés castées par la valorisation de la progression dans la hiérarchie sociale à l’aide des savoirs acquis à l’école et des nouveaux habitus construits au sein des mouvements de jeunesse, de la croyance dans le progrès technique et la modernisation. Si l’on s’extrait un moment des différences – encore une fois essentielles – des trajectoires politiques et « raciales » de l’AOF et du Rwanda, on constate cependant, dans l’un et l’autre cas, la prééminence postcoloniale des schémas coloniaux incorporés par ces jeunes élites. Dans l’un et l’autre cas, l’ombre portée du modèle européen est, en vérité, désirable. La concurrence mimétique qui s’instaure avec l’ancien colonisateur après les indépendances n’est-elle pas le produit de cette période politiquement haletante mais où se joue, aussi, la formation des futurs dirigeants des deux zones, qui, effectivement, prolongeront les projets coloniaux mis en place durant les années 1950, mais avec d’autres moyens et d’autres hommes, au nom, désormais, de la souveraineté ? KLAAS VAN WALRAVEN. THE STRUGGLE OF SAWABA IN NIGER AND ITS STUDENTS IN EASTERN EUROPE, 1958-1969 African Studies Center, Leiden University, [email protected] Proposition de communication After its fall from power in 1958, the Sawaba movement in Niger was pushed underground by the RDA regime, the country’s new Gaullistprotected government. Consigned to a clandestine existence and systematically persecuted, numerous Sawaba cadres fled abroad and the movement’s leadership began to prepare for a violent come-back. Its strategy to reconquer political power consisted of two prongs: training its own guerrilla force with the help of the Algerians, Ghanaians and Chinese, and, secondly, forming a pool of educated cadres with which to run Niger’s administration once the RDA regime had been toppled. Thus, the campaign to train its own government personnel, baptised ‘Opération formation des cadres’, was at the heart of Sawaba’s strategic challenge to Niger’s regime, the more so as the possibilities for higher education for young Nigériens were severely limited. In the course of ‘Opération formation des cadres’, Sawaba’s leadership dispatched party members, sympathisers and, more generally, youngsters who were not only loyal to the movement but, simply, aspiring to gain access to education, to Eastern Europe to enroll in institutions offering a variety of training (notably the Soviet Union, East Germany and, to a lesser extent, Bulgaria). This paper analyses the nature of this education, the way that ‘Sawaba students’ gained access to training, the itineraries pursued to reach Eastern Europe, and their relations with Sawaba’s guerrillas-in-training. It outlines the lives of the students in the Eastern Bloc and Sawaba’s student politics, their role in the movement’s struggle and the consequences of the movement’s defeat for students’ lives and professional careers, both in the short and longer-term. BIBLIOGRAPHY K. van Walraven, The Yearning for Relief: A History of the Sawaba Movement in Niger (Brill: Leiden and Boston, 2013). ---------------------, ‘From Tamanrasset: The Struggle of Sawaba and the Algerian, Connection (1957-1966)’, Journal of North African Studies, 10 (2005), 3-4, 507-527. ---------------------, ‘Decolonization by Referendum: The Anomaly of Niger and the Fall of Sawaba, 1958-1959’, Journal of African History, 50 (2009), 269-292. ---------------------, ‘Djibo Bakary’, in H.L. Gates & E.K. Akyeampong (eds), Dictionary of African Biography (Oxford University Press: Oxford, 2011), vol. 1, 355-357. ---------------------, ‘From Gao: Sawaba and the Politics of Decolonization and Insurrection in the Songhay Zone of Mali and Niger (1957-1964)’, in J.B. Gewald, A. Leliveld & I. Pesa (eds), Transforming Innovation in Africa: Explorative Studies on Appropriation in African Societies (Brill: Leiden and Boston, 2013), ch. 6. FRANÇOISE BLUM. DE LA FEANF ET DU MOUVEMENT ÉTUDIANT EN DIASPORA Centre d’Histoire Sociale du XXe siècle, CNRS En 1960-61, il y a environ 8000 étudiants africains en France, dont 44% de boursiers (Boursiers FAC ou boursiers des états). Parmi les boursiers, 69%, c’est-à-dire la grande majorité sont dans le supérieur, les autres étant, majoritairement dans le secondaire ou le technique. En Afrique francophone, l’augmentation des effectifs scolarisés de 1960 à 1975 s’est effectué à un rythme élevé, et les universités créées très tardivement dans l’empire français ne peuvent absorber tous les nouveaux bacheliers : L’université de Dakar a vu le jour en février 1957, et draine les étudiants de toute l’Afrique de l’Ouest ; celle de Tananarive est fondée en 1960. L’Afrique centrale - l’ancienne AEF devra attendre jusqu’en 1971, année qui voit Brazzaville et Libreville ouvrir les portes de leur université. Celle d’Abidjan est née en 1964, celle du Cameroun en 1961etc…Certaines filières n’existent pas et doivent donc être suivies en France ou dans les pays de l’Est, voir aux Etats-Unis. Enfin, les diplômes délivrés en Afrique jouissent d’une « validité de plein droit » sur le territoire français. Ce qui revient à dire que les programmes et les exigences sont les mêmes. Tout au long des années 60, de 60 à 75, années sur lesquelles portera notre propos, le nombre des étudiants va augmenter d’autant plus qu’aux originaires des anciennes colonies françaises vont s’adjoindre des ressortissants de l’Ethiopie ainsi que des ex-colonies belges (Congo, Burundi), ou anglaises. Faute de source fiable pour les années 75-80 (date de la dissolution par le gouvernement de Valéry Giscard d’Estaing) je m’arrêterais dans ce qui ne saura être qu’un profilage à grand trait de la FEANF, à 19741975. La FEANF est incontestablement, depuis ses origines en 1950, l’association la plus représentative des étudiants africains, les Malgaches ayant quant à eux leur propre structure, l’AEOM. Il existe bien quelques autres associations comme l’UECA, mais dont l’audience est incontestablement moindre et qui d’ailleurs en est adhérente , et saura parfois y apporter sa touche. Il y a aussi une autre raison pour ne considérer la FEANF que jusqu’en 1975, et non 1980 : c’est le changement de législation en matière d’émigration et d’une certaine façon la fin de ce no man’s land temporel où ce n’était plus l’Empire certes mais où persistait une situation de transition qui permettait par exemple aux étudiants résidant sur le sol français d’obtenir la nationalité française par simple déclaration , qui faisait qu’aucune carte de séjour n’était nécessaire, ni aucun visa, toutes choses qui changeront à partir de 1973-74. Les étudiants, comme d’ailleurs les travailleurs –et la frontière est parfois poreuse entre les deux catégories - ont, dans les années 60, liberté entière et de circuler et de s’établir sur le sol français, du fait des accords de coopération signés entre ce qui est devenu leur pays d’origine et la France. Outre des accords sur l’enseignement, sur la défense etc, ce corpus de textes qui varient peu d’un pays à l’autre comprend une convention d’établissement qui permet aux nationaux de s’établir en France et réciproquement. Par décision du 10 mars 1961du Ministère des Affaires étrangères, ce régime juridique privilégié est étendu à l’ensemble des états francophones, exception faite de la Guinée. Cela ne va pas sans appréhension de la part des nouveaux états qui craignent alors une fuite des cerveaux et réclament des mesures pour obliger leurs ressortissants à rentrer. De même, les associations d’étudiants d’Afrique sub-saharienne bénéficient encore d’un régime d’assimilation au national et ne sont donc pas soumises aux restrictions en vigueur pour les associations d’étrangers. Cela donne une grande liberté de parole et d’action que ne manqueront pas de déplorer les différents gouvernements africains. La situation va changer dans les années 70 avec la révision générale des accords de coopération - réclamée par bien des oppositions - , et une nouvelle codification entre la France et ses anciennes colonies africaines. Des conventions de circulation plus restrictives sont signées, la circulaire n° 74-628 du 30 novembre 1974 par exemple définit les modalités d’application de la nouvelle situation juridique des étudiants, et les conditions dans lesquelles obtenir des cartes de séjour, dont l’attribution est soumise à l’inscription dans un établissement d’enseignement. Parallèlement, la surveillance des frontières entre France et Afrique s’est faite tatillonne et rigoureuse. Enfin, une circulaire du 22 juillet 1976 émanant du Ministère de l’intérieur met également fin à la liberté d’association. Les années 60-75 sont bien à cet égard une sorte de no man’s land où il n’y a plus tout-à-fait d’empire mais où les continuités entre l’avant et l’après-60 l’emportent largement sur les ruptures. On change certaines dénominations - nous allons le voir - on s’interroge sur le rôle que doivent jouer les nouveaux états mais tout ceci se fait dans le tâtonnement et l’improvisation. Bien qu’il y ait une date butoir, à l’énorme charge symbolique, celle de l’indépendance, c’est un processus qui est en marche et non un brutal changement. C’est l’histoire de la fin d’un Empire mais c’est aussi l’histoire de la constitution en immigration des personnes qui étaient jusque là sur le territoire français en toute liberté. Dès 1950-51, les étudiants africains en France avaient fondé une association loi de 1901, la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF) pour les représenter et défendre leurs intérêts, en matière de logement, de bourses etc. Mais outre ce rôle d’ordre syndical la FEANF a fonctionné dès ses origines comme un véritable Think tank , lieu d’élaboration d’une pensée théorique de libération de la tutelle coloniale, en lien avec d’autres pôles attractifs pour les étudiants comme Présence africaine, qui publia notamment , conçue par la Fédération un numéro intitulé « Les Etudiants noirs parlent » et une brochure tôt interdite contre la guerre d’Algérie, dont le maître d’œuvre était Jacques Vergès : le sang de Bandoeng. La FEANF exprima, à travers ses congrès et son organe de presse L’Etudiant d’Afrique noire son opposition à l’Union française, à la loi-cadre de 1956, pensée comme l’instrument de la balkanisation de l’Afrique. Elle fut tôt indépendantiste, et appela à voter non au referendum de 1958. Elle mérite sans doute à ces titres de figurer pour l’histoire au rang des mouvements de libération nationale. Ses actions s’exerçaient selon un triple axe : syndical et/ ou corporatiste, culturel et/ou festif (avec notamment l’organisation des Nuits de l’Afrique), et politique. Son syndicalisme se voulait révolutionnaire. Elle était organisée en sections académiques (lieu d’étude des étudiants) et sections territoriales (origine des étudiants), devenues après les indépendances sections nationales. Les sections académiques sont en 60 au nombre de 14, les sections nationales au nombre de 21. Plutôt modérée à ses tout débuts, la FEANF se radicalisa ou plutôt se « communisa » avec la prééminence en son sein, d’abord des étudiants du RDA, qui refusaient d’accepter le « repli stratégique » et désapparentement de l’organisation-mère , puis, à partir de 1957 et de la création de ce parti par un étudiant de la FEANF, Majmout Diop, d’éléments appartenant au marxiste PAI, fondé à Thies. Ce que nous allons aborder ici, c’est non point tant l’histoire de la FEANF que la situation engendrée par l’accession des colonies africaines de la France à leur indépendance, en 1960 et la manière dont les étudiants africains en France vont, via la FEANF et ses différentes structures se positionner par rapport aux nouveaux états, la manière aussi dont la FEANF va pouvoir jouer un rôle de soupape de sécurité face à des régimes dont l’autoritarisme s’exerce aussi contre les étudiants, regroupant en son sein ce qui devient quelque fois avec le temps une véritable émigration politique. Si l’on pense en termes de mouvement , pour se conformer à l’objet de ce colloque, on peut lire l’histoire de la FEANF selon plusieurs préoccupations, on peut la penser de plusieurs manières : comme un creuset de formation politique par lequel sont passés bien des leaders de futurs mouvements sociaux dans leur propre pays, mais aussi bien des futures élites , comme une structure organisatrice de manifestations (politiques ou culturelles), comme une sorte d’avantgarde idéologique connectée aux mouvements de gauche et d’Extrême-gauche qui se mondialisent alors. En 1960, la FEANF perd ce qui en faisait l’alpha et l’oméga, le projet indépendantiste. Elle perd aussi son pouvoir corporatiste en perdant son siège à l’OCAU, qui gère les dossiers des étudiants africains. Elle n’a donc plus de pouvoir en matière d’attribution de bourses ou de logement. Il va lui falloir 2 ans pour se retrouver une véritable raison d’être, c’est-à-dire d’abord des mots d’ordre structurants pour, sinon l’ensemble, du moins la majorité des étudiants africains poursuivant leurs études sur le sol français. Ce sera encore et toujours la lutte pour l’indépendance, mais cette fois une « indépendance réelle », selon la terminologie usuelle, opposée aux indépendances dites nominales octroyées en 1960. L’ Indépendance réelle va, bien entendu de pair avec la dénonciation du néo-colonialisme et/ou de l’impérialisme (ce qui n’a pas tout-à-fait le même sens : le néo-colonialisme désignant la présence et la prégnance toujours effective et efficiente de l’ancienne puissance coloniale et l’impérialisme désignant plutôt le pouvoir croissant de la super-puissance américaine). Le troisième pilier idéologique, tout aussi structurant est « l’unité africaine » prolongement du vieux rêve panafricain mais toujours soumise à un futur débarrassé des séquelles bourgeoises et coloniales du présent. L’unité africaine, dans les congrès de la FEANF et surtout après la chute de N’krumah, en 1966, fait, plus encore que les autres mots d’ordre, figure de mythe et d’horizon d’attente alors même que les troubles qui secouent l’Afrique peuvent faire penser, avant bien sur , les déceptions qu’ils engendrent toujours, une révolution possible dans le court terme, peuvent faire penser que rien n’est encore joué. En matière d’unité toujours, le problème immédiat qui se pose après les indépendances est pour la FEANF, de ne pas succomber aux tendances centripètes émanant de ses associations nationales. Pour ce faire va être créée une conférence des présidents des sections nationales, qui ne jouera malgré tout qu’un rôle mineur, et qui n’empêchera pas, de toutes façons, l’essor des divers nationalismes, ou, plus exactement la prééminence croissante, et logique, que prennent les questions nationales. Pour mieux saisir les évolutions de la FEANF, de même que pour mieux comprendre ce qu’elle a représenté pour les étudiants africains en général, il faut à mon avis effectuer deux opérations distinctes. D’une part, comprendre que malgré le caractère souvent très minoritaire des positions prises par son état-major, elle ait pu garder une aura symbolique majeure, qui fait qu’on est encore de nos jours fier de lui avoir appartenu , et que les anciens de la Feanf sont toujours membres d’un réseau informel qu’ils ne désavouent pas. Comme le signale un rapport des RG, non sans une certaine admiration, ce sont les meilleurs et les plus talentueux des étudiants qui en forment les cadres – comité directeur, CA et bureaux des sections. Il faut aussi périodiser en essayant de saisir la dialectique qui préside aux rapports des étudiants en exil sur le sol français avec leurs gouvernements respectifs, ou, pour mieux dire avec les élites locales. Si les mots d’ordre émanant de la FEANF ont eu un caractère si dogmatique et rigide –ce qu’ils avaient par ailleurs largement en partage avec les mots d’ordre d’un gauchisme multinational- c’était dans ce cas aussi parce qu’il fallait qu’ils soient valables pour tous les étudiants africains au-delà des situations propres à chaque pays. Et la FEANF n’était évidemment pas imperméable à la conjoncture mondiale, que l’on pourrait qualifier pour faire simple et de façon un peu trop francocentrée, « d’esprit de 68 ». Donc trois piliers idéologiques unifiant, réaffirmés de congrès en congrès : Indépendance réelle, anti-néo-colonialisme et/ou antiimpérialisme, unité africaine. Mais il faut aussi distinguer des étapes dans la vie de la FEANF et des associations nationales et sections académiques, étapes dans les dominantes idéologiques, étapes dans les méthodes d’action, étapes dans les rapports avec les états-nations africains, étapes aussi quoique de façon plus marginale dans les rapports avec le gouvernement français. REDÉFINITIONS IDÉOLOGIQUES Donc 60-75 : Une première phase, nous l’avons dit, de redéfinition idéologique où la FEANF doit en quelque sorte se repenser, et retrouver d’autres marqueurs. Elle y réussit au prix sans doute d’une standardisation de ses mots d’ordre, martelés sans nuance majeure de congrès en congrès. Néanmoins, on peut noter quelques évolutions. La vindicte à l’égard de l’ancienne puissance coloniale se fait plus modérée, alors même qu’un autre ennemi principal est désigné, l’impérialisme américain, guerre du Vietnam et avancées économiques sur le continent africain obligent. Cela correspond sans doute aussi à une forme de prudence, qui fait que les représentants indépendantistes des DOM ne seront pas admis – bien qu’on les soutienne théoriquement et les invite aux congrès- au sein de la fédération. Mais, derrière la façade unanimiste, les luttes de tendance se font violentes. La FEANF, adhérente de l’Union internationale étudiante communiste de Prague, -l’UIE- était en 1960, nous l’avons dit dominée, par les membres, et en particulier les membres sénégalais du PAI, et, d’après les renseignements généraux, soutenu matériellement et financièrement par le Parti communiste et la CGT. Malgré le refus exprimé de prendre partie dans la querelle sino-soviétique, les luttes entre « révisionnistes » et pro-chinois ou pro-albanais voire castristes –la lettre d’adieu du Che a un écho formidable au sein de la FEANFvont aller s’amplifiant, menaçant l’existence même de la fédération. En 1965, le comité directeur de la FEANF est majoritairement pro-chinois, ce qui implique des tensions avec l’UIE. L’organisation internationale cesse alors de faire de la FEANF son relais pour les bourses vers l’Europe de l’Est, ce qui, après la perte de son siège à l’OCAU, met définitivement fin à son pouvoir de gestion. Mais ce triomphe des maoïstes ne sera que de courte durée, les « moscoutaires » comme disent les RG, reprenant une position dominante dès 1970. Ce qu’il faut néanmoins noter, c’est que les sections nationales connaissent les mêmes divisions, entre communistes orthodoxes et diverses formes de gauchisme qui peuvent aller jusqu’à la scission, comme c’est le cas par exemple pour l’UNEK, ou pour les étudiants guinéens, par ailleurs dans une situation tout-à-fait particulière et souvent douloureuse du fait de la spécificité des rapports entre la Guinée et la France, pour ne rien dire de la versatilité politique de Sékou Touré. Il semble par ailleurs que son obédience maoïste n’ait apporté aucun avantage matériel à la FEANF, contrairement à l’obédience communiste orthodoxe, les chinois se montrant plutôt méfiant. Il faut néanmoins comptabiliser dans l’aide apportée par la Chine ou l’Albanie –qui est loin d’être en reste – les très nombreux voyages, stages et invitations diverses effectués sans aucun doute à titre gratuit par les dirigeants de la FEANF dans ces pays du communisme réel. Toujours est-il que la FEANF se retrouve généralement dans une situation financière difficile, vivant des cotisations de ses membres ou de l’argent recueilli lors de l’organisation des soirées africaines, dont les différentes sections se font une spécialité, reversant les gains ainsi acquis. Ces soirées et/ou événements culturels sont d’ailleurs très attractifs, et suscitent sans doute plus l’adhésion de la majorité des étudiants que les prises de position, débats, meetings et actions politiques diverses. REDÉFINITIONS STRATÉGIQUES En matière d’action politique, justement, on peut aussi constater des redéfinitions d’ordre stratégique. En 1960 et 1961 la FEANF appelle encore à de grandes manifestations sur le sol français : telle celle du 11 février 1960 contre l’explosion de la bombe A dans le Sahara et celle du 15 février 1961en réaction à l’assassinat de Patrice Lumumba, manifestations où le PCF joue aussi un grand rôle. Mais pour les étudiants africains, cela va se solder par de très nombreuses arrestations et expulsions du territoire français, qui font s’il en était besoin prendre conscience du danger de manifester sur la voie publique. Dès 1962, la FEANF va donc interdire à ses membres les manifestations publiques et chercher, par conséquent, d’autres moyens d’action. Ses territoires vont d’abord se restreindre aux résidences universitaires telle la Maison de la FOM à la cité du boulevard Jourdan ou la maison de l’Afrique de l’Ouest du 69 boulevard Poniatowski. C’est là que sont tenus meetings et AG, voir une partie des commissions des congrès. Mais c’est aussi là –et cela ne date pas de 60- que l’on impose un comité des résidents, que l’ont fait les grèves de loyer, les occupations de locaux, voir la séquestration du personnel retrouvant ainsi des activités à mi-chemin entre le corporatiste (mieux être matériel) et le politique (manifestation contre les incuries des divers gouvernements). Il n’est guère de doute qu’il y ait eu là un sentiment d’avoir des territoires à soi, en particulier en région parisienne, où l’on peut manifester, et ce d’autant plus que la Maison de la FOM, le boulevard Poniatowski et divers foyers sont des propriétés ou co-propriétés des Etats Africains. Une stratégie qui se met en place en 68 est encore plus significative de ce fait : ce sont les occupations d’ambassades dont la liste serait trop longue si elle était exhaustive : 31 mai 68 : occupation de l’ambassade du Sénégal, 27 novembre 1968, occupation de l’ambassade de Haute-Volta ; 13 février 1969, Sénégal ; 3 et 29 avril 69 : Sénégal ; 10 mai 69, Mali ; 22 mai 69, Dahomey ; 3 novembre 69 : Tchad ; 7 juillet 70 : Mali ; 29 janvier 71, Sénégal ; 2 février 71 , Mauritanie ; 9 novembre 1973 : Niger Etc. Il s’agit bien là d’occupations d’un morceau du territoire national, en opposition aux actes liberticides de « gouvernements fantoches », valets de l’impérialisme. Il y a sans doute là aussi un effet mimétique, alors même qu’ en 68 la France entière est occupée, dans ses universités et dans ses usines. Les étudiants africains eux aussi occupent, la plupart du temps en réaction à un événement intervenu dans leur pays d’origine. Par exemple : « la manifestation du 7 avril 1971 dans le Hall de la Maison intenationale de la Cité universitaire, 21 boulevard Jourdan à Paris pour protester contre la dissolution d’association d’étudiants à Dakar ; Le manifestation du 28 juin 1971 devant l’ambassade du Cameroun pour exiger la libération des leaders de l’UNEK, Jean-Jacques Ekindi et Henri Njomgang ; L’occupation le 29 novembre 1971 des locaux de l’ambassade du Congo à Paris pour protester contre la fermeture d’établissements scolaires à Brazzaville ; L’occupation le 13 décembre des locaux de l’ambassade du Tchad à Paris pour demander la « démission du chef de l’état tchadien , le retrait des troupes françaises du Tchad et la réintégration des élèves renvoyés du lycée de Fort-Lamy ; L’occupation le 31 décembre 1971 des locaux de l’ambassade de Mauritanie à Paris pour protester contre la décision du gouvernement de Nouakchott de rapatrier vingt-six de leurs camarades effectuant leurs études à Alger ; L’occupation le 12 février 1972 des locaux de l’ambassade du Niger à Paris pour protester contre le renvoi d’élèves des lycées de Niamey qui avaient refusé de reprendre les cours au moment du voyage du Président Pompidou au Niger ; L’occupation le 15 mai 1972 des locaux du consulat de Madagascar à Marseille, par les membres de la section locale de l’AEOM, renforcés par des étudiants de la FEANF ; » REDÉFINITIONS DES RAPPORTS AVEC LES ÉTATS AFRICAINS D’une manière générale, les gouvernements africains sont considérés comme les valets , ou les fantoches , les laquais du néo-colonialisme et de l’impérialisme. Il y a bien sur quelques exceptions qui changent avec les régimes : le Mali de Modibo Keita un temps, le CongoBrazzaville de la JMNR. Mais la chute de Modibo comme l’accession au pouvoir de Marien N’Gouabi change la donne. La FEANF paye très cher, au sens propre, son opposition aux gouvernements en place. Elle n’a plus de subventions des Etats. Ceux-ci sont très soucieux de leurs étudiants, futures élites et vont utiliser toute une série d’armes plus ou moins efficaces pour les mettre au pas. Ce sera d’abord les demandes d’expulsion, largement accordées au début des années 60, en particulier à Houphouët-Boigny, mais, semble-t-il de plus en plus souvent refusé par le gouvernement français . Il tempère l’ardeur du gouvernement Ahidjo en 1963, et résiste aux sollicitations de Marien N’Gouabi en 1970 et d’Eyadema en 1976. Si la création du MEOCAM , en 1967, comme contre-pouvoir se traduit également par un échec , il est d’autres mesures prises par les Etats qui se révéleront plus efficaces pour venir à bout des résistances étudiantes. C’est notamment la création d’associations maison comme l’UNECI pour faire pièce à la très contestatrice AECIF, ou l’Association des étudiants et élèves du Gabon pour faire pièce à l’AGEG.L’adhésion y est obligatoire sous peine de retrait de bourses. Et c’est là l’arme suprême des états africains contre leurs étudiants : la suppression des bourses, effectives dans bien des cas. Tout cela va signifier un véritable jeu du chat et de la souris entre les Etats et leurs étudiants. Quand une association étudiante est dissoute sur le territoire africain, la section étudiante en France va fonctionner comme la poche de résistance, et l’organe étudiant d’opposition à l’autoritarisme du régime. Avec constance, la FEANF s’est toujours élevée contre les régimes de Parti unique « anti-démocratiques », contre une certaine conception de la construction nationale - et a plaidé pour l’autonomie des organisations de travailleurs, de jeunes et de femmes, se révélant en cela quelque peu en contradiction avec ses options marxistes-léninistes. Les étudiants africains font sur le sol français sur lequel ils restent parfois longtemps l’apprentissage d’une démocratie qu’ils souhaitent d’une manière ou d’une autre transposer à l’Afrique. Ils y font, aussi rigides que soient leurs mots d’ordre, l’expérience du pluralisme. Expérience d’autant plus contradictoire que le rôle de la France en Afrique – pour ne pas parler de l’intervention qui a sauvé Léon M’Ba - va évidemment dans le sens du soutien aux régimes dictatoriaux qu’ils dénoncent. Cela induit, sans aucun doute, des formes de schizophrénie, dont le cas le plus extrême est celui des étudiants camerounais, qui disposent d’une relative liberté sur le sol métropolitain alors même que la guerre coloniale qu’ils dénoncent a été menée – et est toujours menée avec l’aide de cette même métropole. Le résultat de ces mesures de rétorsion , dont la plus commune est donc la suppression de bourse et la plus radicale, l’interdiction d’exercer toute profession sur le sol national, voire même dans le cas de la Guinée, des menaces sur la famille de l’étudiant, a pu avoir trois résultats distincts : la mise au pas, la ruse, ou la constitution d’une émigration politique. La mise au pas, il n’y a pas grand’chose à en dire. L’étudiant-e s’éloigne de la FEANF et de la section territoriale d’appartenance. Cela explique, entre autre raison que la FEANF perde des adhérents ; la ruse : c’est le cas par exemple des étudiants guinéens qui ne renouvellent pas le bureau de leur association nationale, et fonctionnent ainsi dans une quasi-clandestinité. C’est aussi le cas des étudiants ivoiriens qui acceptent l’association créée par le gouvernement d’HouphouetBoigny, après dissolution de la leur mais tentent de la noyauter. L’émigration politique : c’est le cas d’étudiants guinéens par exemple, privés de bourse , interdits de rentrer exercer dans leur pays et qui vivotent sur le sol français, tentant tant bien que mal de poursuivre leurs études avec l’aide de leurs camarades. Je ne sais par ailleurs si le fonds de solidarité annoncé à plusieurs reprises par la FEANF a effectivement ou non vu le jour. Néanmoins, diverses formes de solidarité sont attestées, dont la plus commune est le partage de logement. Poniatowski et la Cité du boulevard Jourdan sont surpeuplés, ce qui justifiera aux yeux de l’administration l’intervention des CRS dans cette dernière en 1972, pour en expulser tous les habitants. Ainsi tout au long des années 60 et 70, les étudiants vivent au rythme de politiques menées à des milliers de kilomètres et auxquelles ils sont généralement hostiles. Ils restent ainsi étroitement connectées à leurs nations en construction tout en en rêvant une meilleure : une nation égalitaire et socialiste, dont le vivre-ensemble reste à inventer, qui pourrait s’inspirer des modèles soviétiques, chinois, cubains ou algériens mais trouverait aussi ses propres solutions, son mode d’être africain. Leur communauté imaginée se situe quelque part entre leur utopie nationale et leur vie d’opposants politiques. Et c’est le droit de dire non qui fonde leur identité citoyenne, leur appartenance à cette communauté imaginée que leur séjour en un pays démocratique rend aussi possible, alors même que leurs camarades sont arrêtés ou pour le moins baîllonnés : Communauté imaginée qui mêle dans un même rêve re-fondateur, marxisme, droits de l’homme et panafricanisme. Se fabriquer comme citoyen d’un état en fabrication, dont l’existence ellemême n’a tenu qu’au pouvoir de dire non, et ce dans l’exil, sur un sol démocratique où les voix des étudiants sonnent puissamment en ces années 60 et 70, est-ce que cela pouvait se faire autrement qu’en redisant non ? Aurait-on pu vraiment, de loin, participer à la construction de la nation autrement qu’en s’ opposant? Cela explique peut-être aussi les très rapides reconversions et volte-face politiques de certains contestataires, outre bien sur la realpolitik. Quand ils rentrent sur leur territoire, ils n’ont plus besoin de s’opposer pour exercer leur citoyenneté. D’une certaine façon, on peut dire que les étudiants africains en France avaient deux fois des raisons de dire non. La même raison que celle de toute une génération contestatrice et mondialisée, et une seconde, complexe et aux multiples facettes, s’affirmer comme citoyen d’un nouvel ordre politique. Quelle fut l’influence de la FEANF ? En France même et surtout en Afrique. L’influence est un concept difficile à utiliser et pour lequel il n’existe aucun indicateur, sinon un chiffre d’adhésion qui ne dit pas tout. En 1962, les RG donnent le chiffre de « 2500 adhérents dont 600 actifs ». Les congrès du début des années 60 réunissent jusqu’à 600 personnes mais celui de 1972 seulement 150. Mais l’ aura de la FEANF allait bien au-delà des seuls cotisants, et son action bien au-delà du politique . Elle fonctionnait comme une forme de gouvernement panafricain en exil, comme un centre qui attirait les isolés et les faisait se sentir moins seuls, cristallisant les affects, que ceux-ci soit d’ordre nationaliste ou identitaire, étant à la fois syndicat, parti, creuset culturel , club de rencontre , en un mot mouvement. Et ce mouvement aida des exilés, qui n’avaient pour certains jamais mis les pieds dans leur pays devenu indépendant à se nationaliser. Il est certain aussi que dans la plupart des mouvements étudiants qui eurent lieu sur le continent africain dans les années 60-70, les mots d’ordre et revendications furent les mêmes que ceux de la FEANF : soit outre l’établissement des libertés démocratiques , la rupture des liens institutionnels et organiques avec les anciennes puissances coloniales, la dénonciation des accords de coopération, la liquidation de toutes les bases militaires étrangères sur les territoires africains…., l’africanisation de l’enseignement, etc . Il est certain aussi que d’anciens de la FEANf jouèrent un rôle majeur dans certaines révolutions. C’est le cas par exemple au Congo-Brazzaville d’Ambroise Noumazalaye ou de Pascal Lissouba. Mais il est tout aussi certain que d’anciens de la FEANF également, tel Ousmane Camara purent rallier le pouvoir en place dès leur retour, ou dans ce même CongoBrazzaville Lazare Matsocota auquel son ralliement à Youlou couta d’ailleurs la vie. Au-delà des cas individuels, la FEANF sut organiser des Universités populaires, des cours de soutien pendant les périodes de vacances, tout au moins au début des années 60, qui lui gagnèrent sans doute les cœurs. Et, dans la mesure où le marxisme y faisait généralement la loi, ses membres surent être des passeurs d’idéologie, de livres, voire même de méthodes de guérilla, ou d’organisation. BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE Charles Diané, Les grandes heures de la FEANF, Paris, Chaka, 1990, 190 p Amady Ali Dieng, Les premiers pas de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (1950-1955) : des origines à Bandung, Paris , L’Harmattan, 2003 Amady Ali Dieng, Les grands combats de la fédération des étudiants d’Afrique noire : de Bandung aux Indépendances, 1955-1960, Paris, L’Harmattan, 2009, 267 p. ; Fabienne Guimont, Les étudiants africains en France, 1950-1965, L’Harmattan, 1997 Amadou Booker Sadji, Le rôle de la génération charnière Ouestafricaine : indépendance et développement, Paris, L’Harmattan, 2006, 425 p Sékou Traoré, La Fédération des étudiants d’Afrique noire en France, FEANF, L’Harmattan, 1985, 102 p. Il y a aussi des témoignages d’anciens militants mais qui n’abordent que peu l’après indépendance : par exemple : Ousmane Camara, Mémoires d’un juge africain, Paris, Karthala, 2010, 306 p. ou JeanMartin Tchaptchet, Quand les jeunes africains créaient l’histoire : récit autobiographique, T.2, Paris, L’Harmattan, 2006, 359 p. QUELQUES SOURCES Archives nationales : Sur les étudiants AN-CAC – DOSSIER 960134/17-18 AN-CAC-OCAU – DOSSIER 19780596/42-51 Sur la Maison de la FOM – Résidence Lucien Paye AN-CAC – DOSSIER 960134 – Occupation de la Résidence Lucien Paye et DOSSIER 960134/18- sous-dossier Incidents à la Résidence Lucien Paye AN-CAC - DOSSIER 19960134/17. Sous-dossier Expulsions à la Résidence Lucien Paye 1 AN-CAC - DOSSIER 19960134/17. 8 mai 1974, Le directeur de la Résidence Lucien Paye ….et tout le personnel de l’établissement ont été séquestrés…. 1 Archives de la préfecture de police de Paris APP- A7, A10 BDIC Ministère de l’intérieur – Direction des renseignements généraux – Les étudiants de Madagascar et d’Afrique noire en France, 1961-1967, 1972 PEDRO MONAVILLE. LUMUMBA, MOBUTU, ET MAO: UNE “HISTOIRE GLOBALE” DU MOUVEMENT ÉTUDIANT CONGOLAIS Michigan University, Visiting Assistant Professor, Williams College Proposition de communication Cette contribution propose une relecture des années soixante au Congo: une décennie charnière, qui s’ouvrit avec la douloureuse accession du pays à l’indépendance et se ferma avec le recours à l’authenticité et la zaïrianisation. Cette période fut celle d’une longue lutte pour le pouvoir, marquée par l’invention de nouvelles formes politiques. L’objet de ma contribution est de montrer la place centrale des jeunes intellectuels et étudiants dans ce processus. L’enjeu est d’historiciser la postcolonie au Congo/Zaïre. Elle fut moins la simple expression des lubies et désirs du despote, que le résultat de négociations, d’emprunts, et de conflits entre différents acteurs politiques. Par leurs aspirations cosmopolites et leur habilité à voyager à l’étranger, les étudiants ont joué un rôle important dans l’internationalisation de la politique congolaise au moment de la décolonisation. J’ai abordé les différentes dimensions de l’activisme étudiant congolais des années soixante dans la thèse de doctorat que j’ai récemment défendue à l’Université du Michigan (« Decolonizing the University: Postal Politics, the Student Movement, and Global 1968 in the Congo »). Au colloque de juillet à Paris, j’aimerais partager certaines conclusions de ma thèse, et du long travail d’interviews et de recherches en archives que j’ai conduit au Congo, aux Etats-Unis et dans plusieurs pays européens. Ma contribution s’articulera sur les relations des étudiants congolais aux trois figures centrales de Patrice Lumumba, Joseph-Désiré Mobutu, et Mao Tse Toung. Ma présentation abordera le rôle des jeunes universitaires congolais dans la « neutralisation » politique puis physique de Patrice Lumumba au lendemain de l’indépendance. J’expliquerai comment la mort de Lumumba et son accession au statut de héros anticolonial et panafricain transformèrent ensuite profondément les étudiants congolais, en radicalisant leur mouvement. J’évoquerai ensuite les rapports compliqués des étudiants à la figure de Mobutu, tour à tour grand frère bienveillant et bourreau de la jeunesse intellectuelle. Finalement, à travers la figure de Mao, j’aborderai le rapport des intellectuels congolais aux avant-gardes politiques de l’époque. Pour conclure, j’insisterai sur le rôle du mouvement étudiant dans le processus d’invention de la postcolonie et de médiation entre les champs politiques nationaux et internationaux. ÉLÉMENTS BIBLIOGRAPHIQUES Achille Mbembe. De la postcolonie: Essai sur l’imagination politique dans l’Afrique contemporaine. Paris: Karthala, 2000. Pedro Monaville. « The Destruction of the University : Violence, Political Imagination, and the Student Movement in Congo-Zaire, 1969-1971. » In The Third World in the Global 1960s, edited by Samantha Christiansen and Zachary A. Scarlett. New York: Berghahn Books, 2013, p.159-170. Isidore Ndaywel è Nziem (ed.). L’Université dans le devenir de l’Afrique: Un demi-siècle de présence au Congo-Zaïre. Paris: L’Harmattan, 2007. ________________________. Les années Lovanium: La première université francophone d’Afrique subsaharienne. Paris: L’Harmattan, 2010. VENDREDI 4 JUILLET Matinée sous la Présidence de Souleymane Bachir Diagne et Malika Rahal Atelier 4 : Les voies de la radicalisation 9h30-10h15 : « Éradiquons les voleurs » : les élèves de l’école secondaire du Wolaita contre les élites locales (Éthiopie, 1970) : Pierre Guidi De l’université au maquis : trajectoires militantes d’étudiants pendant la guerre civile ougandaise de 1981-1986 : Pauline Bernard 10h30-11h15 : Radicalisation du mouvement étudiant 1968-1972 : Mohamed Dhifallah De l’université à la rue : le rôle des étudiants tunisiens dans la révolution de Jasmin : Sofiane Boudhiba PIERRE GUIDI. « ÉRADIQUONS LES VOLEURS ! » : LES ÉLÈVES DE L'ÉCOLE SECONDAIRE DU WOLAITA CONTRE LES ÉLITES LOCALES (ÉTHIOPIE, 1970) Institut des Mondes [email protected] Africains, Université Paris 1, Proposition de communication « Pourquoi alors que tous les autres chez eux se battaient pour leur pays, nous ne le faisions pas dans le Wolaita ? Le voleur, le pilleur, le juge, l'administrateur, pourquoi il maltraite ? Pourquoi ils maltraitent nos pères ? Pourquoi ils oppriment ? C'est en pensant cela que cela s'est réveillé213». Entre les mois de février et d'avril 1970, une centaine d'élèves de l'école secondaire de la province du Wolaita, dans le Sud éthiopien, a organisé une campagne visant, selon leurs propres termes, à « éradiquer les voleurs ». Dans les premiers jours d'avril, 12 personnes ont été tuées, 42 grièvement blessées et plus de 80 maisons incendiées. Il s'agissait, plus précisément, de détruire un système d'extorsion organisé par des notables locaux, leur clientèle, des membres de la police et de la justice. Les paysans se voyaient régulièrement détroussés de leur bétail au bénéfice des « voleurs », c'est-à-dire de pillards, de policiers, de juges et de membres corrompus de l'administration. 213 Saol Aqamo, membre du comité d'organisation de la « campagne d'éradication des voleurs », condamné à la prison à perpétuité et libéré par le Därg, entretien, novembre 2010, Boditi, Wolaita. Cette pratique venait se greffer sur un système légal de domination déjà particulièrement oppressif. Intégré en 1894 lors de l'expansion qui a donné au pays sa forme actuelle, le Wolaita est une région semi-périphérique dans l'ensemble éthiopien. Selon John Markakis : « dépossession de pouvoir, exploitation économique et discrimination culturelle s'additionnent pour aboutir une forme sévère de marginalisation, qui caractérise la périphérie214 ». Cette réalité a été indéniablement celle du Wolaita jusqu'à la chute de Haylä Sellassé en 1974. En revanche, un semis scolaire relativement bien développé le rapprochait du centre. Les élèves qui ont organisé la « campagne d'éradication des voleurs » se situaient dans une position médiane. Enfants de paysans marginalisés et exploités, leur scolarisation les destinait à être les futurs exécutants d'un pouvoir central qui se disait progressiste, les futurs meneurs de la nation. La « campagne d'éradication des voleurs » visait directement la classe dirigeante locale et ses pratiques de pouvoir arbitraires et corrompues. Mais elle ne peut se comprendre sans être mise en relation avec le mouvement étudiant éthiopien contre le régime de Haylä Sellasé – alors en pleine phase de radicalisation – et avec les luttes internationales. Cette communication vise à montrer la manière dont les jeunes Wolaita ont mené leur campagne à l'articulation d'espaces politiques pensés ensemble sous forme de cercles concentriques. D'une part, les rapports de pouvoirs directement expérimentés dans leur région étaient projetés à l'échelle de la nation. D'autre part, les élèves ont 214 « Powerlessness, economic exploitation and cultural discrimination add up to a severe form of marginalisation, the defining feature of the periphery » ; John Markakis, Ethiopia : The Last Two Frontiers, London, James Currey, 2011, p. 7. clairement ciblés leurs ennemis – ceux qui maltraitaient leurs familles – tout en étant animés par la conscience confuse de participer à un mouvement qui dépassait les frontières de l’Éthiopie. RÉFÉRENCES BAHRU ZEWDE (eds.), Documenting the Ethiopian Student Movement : An Exercise in Oral History, Addis Ababa, Forum for Social Studies, 2010, 162 p. BALSVIK, RANDI RØNNING, Haile Sellasie's Students : The Intellectual and Social Background to Revolution, 1952-1977, African Studies Center, Michigan State University, 1985, 363 p. WANNA WAGÄSHO, የ ወ ላ ይ ታ ሕዝ ብ ታሪ ክ , (Histoire du peuple Wolaita), Addis Abäba, Berhanenna Sälam Printing Press, 2003, 257 p. PAULINE BERNARD. DE L'UNIVERSITÉ AU MAQUIS : LES MILITANTS ÉTUDIANTS ENGAGÉS DANS LA GUÉRILLA PENDANT LA GUERRE CIVILE DE 1981-1986 EN OUGANDA Institut des Mondes Africains, IFRA-Nairobi, IMAF-Université AixMarseille, doctorante contractuelle InSHS/CNRS, [email protected] Au début des années 1980, en Ouganda, éclatait la « bush war », guerre civile qui opposa le gouvernement central à différents mouvements armés d'opposition : en janvier 1981, après les élections contestées de décembre 1980 qui portèrent au pouvoir Milton Obote et son parti l'Uganda People Congress (UPC) dans des circonstances frauduleuses, certains militants politiques radicaux des partis perdants des élections (l'UPM et le DP), prirent les armes contre le gouvernement et établirent des maquis à proximité de la capitale. Sur le campus de Makerere, la seule université du pays, les militants étudiants membres ou proches de ces partis d'opposition subirent une répression féroce : meurtres, disparitions, arrestations, harcèlement. La lutte politique sur le campus étant rendue impossible, des militants étudiants choisissèrent alors de passer à la lutte armée, et rejoignirent les maquis de la guérilla. Nous avons tenté de retracer ces trajectoires de radicalisation, de la lutte politique vers la lutte armée, et nous sommes intéressé à leurs expériences et aux relations de pouvoir internes au sein du maquis. Parmi les militants étudiants qui ont rejoins la guérilla de la NRA, la majorité sont aujourd'hui décédés, et les survivants occupent des fonctions politiques ou militaires importantes, ce qui a rendu difficile la réalisation d'entretiens oraux. Un seul d'entre eux, John Kazoora, a écrit ses mémoires, qui ont l'avantage d'être sans révérence particulière vis à vis du NRM actuellement au pouvoir (contrairement à d'autres mémoires et biographies des cadres du régime qui participent à la construction d'un mythe officiel sur l'histoire de la guérilla), car l'auteur est passé à l'opposition à partir des années 1990. D'autres témoignages existent sous forme d'entretiens publiés. Nous avons donc utilisé les sources disponibles émanant de ces étudiants maquisards que nous avons confronté aux sources (mémoires et entretiens oraux) émanant des acteurs antagonistes qui les ont fréquenté, à l'université ou dans le maquis: les militants étudiants qui ont choisi l'exil, les combattants du maquis d'origine paysanne, et les combattants du maquis issu des forces armées. Nous avons aussi utiliser des archives de presse, archives internes des mouvements armés, des pamphlets et des archives privées d'organisations internationales. ÊTRE ÉTUDIANT MILITANT À M AKERERE AU SORTIR DU RÉGIME AUTORITAIRE D 'IDI AMIN La mémoire militante étudiante de la dictature d'Amin Si la vie politique estudiantine des années 1960, les « années glorieuses » de l'université de Makerere, avait été marquée par les débats d'idées sur le socialisme africain et le panafricanisme215 ; pendant le régime militaire d'Amin (1971-1979), les étudiants militants de Makerere étaient davantage préoccupés par leur propre survie que par leurs positionnements idéologiques et identités politiques. Avec la militarisation de l'état, un réseau d'agents des services secrets s'était infiltré à Makerere pour traquer l'opposition. Les arrestations arbitraires et les meurtres brutaux des leaders étudiants perçus comme des opposants était chose commune sur le campus. Les activistes radicaux, menacés d'arrestation, n'avaient pas d'autres choix que de s'enfuir en exil : « With Amin it was not prison or 215 Carol SICHERMAN, Becoming an African university : Makerere, 19222000, Trenton N.J. : Africa World Press, 2005, 416 p. probably going to answer before the court ; it would mean the end of your life, they would make you disappear (¡K) Yes everybody feared for his life » (G. Rubarema, étudiant à Makerere dans les années 1970)216. Les étudiants ayant étudié à Makerere pendant cette période ont gardé en mémoire la répression tragique des mobilisations de l'année 1976 : celle du « mardi noir » (black tuesday) d'août 1976. L'année 1976 avait été ponctuée de manifestations et boycotts à Makerere, organisés par des réseaux militants clandestins puisque les organisations politiques étudiantes avait été interdites sous Amin217. Ces manifestations exprimaient l'exaspération des étudiants vis à vis du régime et de la terreur que faisait régner sur le campus les forces de sécurités gouvernementales depuis plusieurs années. Le vicechancelier de l'université, accusé d'être un agent de l'opposition, avait été assassiné en 1972, et le président de la république Idi Amin se nomma lui-même Chancelier de l'université. La National Union of Students of Uganda (NUSU) puis la Guild, principales organisations politiques étudiantes218, avait été interdites en 1972 et 1973 (leurs présidents respectifs avaient dû fuir en exil), la bourse de subsistance, surnommée « boom » avait été supprimé, et des assassinats et enlèvements d'étudiants sur le campus avaient été commis par les 216 Gaetano Rubarema, étudiant dans les années 1970, cité par Frederick Kamuhanda BYARUHANGA, Student power in Africa's higher education : a case of Makerere University, New York : Routledge, 2006, 180 p. 217 Interdiction du National Union of Students of Uganda en 1972 puis de la Guild en 1973. 218 La NUSU créé sous le premier régime d'Obote (1962-1971), ciblait les élèves et étudiants de l'enseignement secondaire et supérieur. forces de sécurité du régime219. C'est le meurtre brutale d'une étudiante en 1976 par le tristement célèbre State Research Bureau (les services de renseignement d'Amin) qui fût la goutte d'eau faisant exploser l’exaspération contenue des étudiants depuis plusieurs années. L' ouvrage du chercheur ougandais F. K. Byaruhanga220, très bien documenté, nous apporte un récit des événements : Après l'enterrement de la jeune femme, quelques étudiants du Lumumba Hall, soutenus par des exilés politiques en Tanzanie et galvanisés par le contexte politique de mécontentement général vis à vis du régime, commencèrent à planifier une révolte populaire massive contre le gouvernement militaire dont les étudiants de Makerere auraient dû être l'avant-garde. Ils organisèrent un réseau clandestin de résistance et fixèrent la date du début de la révolte populaire au 3 août 1976. La veille, furent distribué des tracs aux étudiants appelant à la grève générale, à un nouveau gouvernement pour l’Ouganda : « everybody is behind us ; the civilians, the police, the air force and non-kakwa soldiers. All these people are waiting for us to strike », avec un rendezvous donné sur la place centrale de l'université Freedom Square. Le jour dit, les étudiants se rassemblèrent sur Freedom Square en chantant des slogans anti-Amin. Le campus fut alors assiégé par les militaires221. Les troupes chargèrent les étudiants par des tirs de sommation, et procédèrent a des arrestations massives, emprisonnant les étudiants dans des casernes militaires222 ou ils furent torturés. 219 Une étudiante kenyanne, Ms. Nanziri, avait été enlevée par le State Research Bureau et assassinée, puis, un mois après, un étudiant en Droit, Paul Sserwanga fut tué par balle alors qu'il rentrait la nuit au campus, après une soirée avec ses amis. 220 Frederick Kamuhanda BYARUHANGA, Student power in Africa's higher education : a case of Makerere University, New York : Routledge, 2006, 180 p. 221 Des troupes sélectionnées parmi les casernes militaires et les unités spéciales aux plus tristes réputations : les casernes du lubiri, de Makindye, la Public Safety Unit, les marines et le State Research Bureau. 222 Dans les casernes du Lubiri, Makindye, Bugolobi, Mbuya et Nagulu. L'armée retourna le soir même sur le campus, et envahit la résidence universitaire Lumumba en y arrêtant les étudiants accusés d'être des « guérilleros et des agents d’Israël223 ». De nombreux viols furent ensuite commis par les militaires dans la résidence des étudiantes adjacente à celle de Lumumba224. De nombreux étudiant(e)s furent blessé(e)s, traumatisé(e)s par les tortures et les viols, et d'autres avaient fui en exil. Cet épisode traumatisant fût, selon un étudiant de cette période : « the only strike during Amin's regime, and actually not just in the university, but also country-wide. People were too much scared to rise again225 ». L'espoir et les aspirations déçues des étudiants après la chute d'Amin : Les élections frauduleuses de 1980 223 En référence au raid d'Entebbe par les israéliens qui venait d'avoir lieu (3-4 juillet 1976). 224 Les étudiantes de Mary Stuart Hall s'étaient d'abord barricadées et chantaient aux balcons « Lumumba oye ! Amin zee !». (Vive Lumumba ! À bas Amin ! ) Les soldats envahirent la résidence Mary Stuart et s'adonnèrent à des viols sur les étudiantes. 225 Frank Byamugisha, un étudiant des années 1970 cité par F. K. Byaruhanga (2006). 226 Succession de deux président puis d'une commission militaire 227 Le très populaire professeur de sciences politiques Joshua Baitwa Mugenyi, très populaire au sein des étudiants fît de la propagande pour l'UPM, parlant du besoin d'une « troisième force », et que les anciens partis étaient sectaires, basés sur la religion ou l'ethnicité (il devint ensuite le secrétaire de la jeunesse de l'UPM). C'est lui qui a motivé les jeunes à Makerere à rejoindre l'UPM. 228 John KAZOORA, Betrayed by my leader : the memoirs of Kohn Kazoora, s.n., 2012, p. 33. Au vu de la dépression morale et politique des étudiants pendant les dernières années du régime d'Amin, la chute du dictateur, le 12 avril 1979 (après l'invasion de la coalition des forces des exilés ougandais et de l'armée tanzanienne) provoqua sur le campus un sentiment de soulagement, et de grands espoirs chez les étudiants. Les étudiants s'imaginaient des opportunités de jouer un rôle dans la transformation du pays. La politique redevenait le centre des discussions sur le campus. Après une période de transition politique instable226, s'organisait en 1980 la campagne électorale pour choisir le nouveau président ougandais. Elle opposa les deux principaux partis historiques : le Democratic Party et l'Uganda People Congress de Milton Obote. Le 4 juin 1980, un nouveau parti radical et progressiste se formait, le Uganda Popular Movement (UPM), dirigé par le jeune Yoweri Museveni. Sur le campus, la campagne battait son plein : tous les partis en campagne organisaient des rassemblements à l'université. Certains professeurs donnèrent des conférences politiques227 de soutien à tel ou tel parti. Le jeune leader de l'UPM, Museveni, organisa des meetings sur le campus de Makerere le 12 juin et 17 août 1980 : « il était charismatique et populaire auprès des filles car sur les affiches on pouvait voir qu'il était jeune228 » raconte J. Kazoora, étudiant à Makerere séduit par l'UPM à l'époque. Ce nouveau parti aux jeunes leaders progressiste était le plus radical sur la scène politique, et rencontra une popularité auprès des étudiants de Makerere. Museveni, pendant la campagne électorale, menaçait, dans ses discours, de prendre le maquis si les élections étaient truquées, « le genre de politique que les étudiants « enjoy » »229, fait remarquer J. Kazoora. Juste avant les élections nationales eurent lieu les élections des représentants étudiants, pour lesquelles la configuration politique nationale se reproduisait sur le campus. La vie politique (organisationnelle) étudiante à Makerere n'etait pas organisée autour de syndicats étudiants, comme dans les universités africaines francophones, mais autour de la Guild, l'organisation politique de représentation des étudiants, dont le « président » était élu annuellement par l'ensemble de la communauté estudiantine. En 1980, il y avait huit résidences universitaires à l’intérieur du campus (dont deux résidences de femmes), chacune portant un nom et une identité bien particulière230. Les étudiants de chaque résidence élisaient leur représentant (chairman) de résidence. Les candidats portaient les étiquettes des partis nationaux231, la politique étudiante etait donc très dépendante de la politique nationale : se reproduisait alors sur le campus une vie politique nationale « miniature ». Les campagnes électorales étudiantes rythmaient les années universitaires, les étudiants participant massivement aux élections de leur représentants. Un certain nombre d’étudiants firent une campagne active pour les partis d'opposition, l'UPM et le DP, et se présentèrent aux élections étudiantes sous les étiquettes de ces partis : J. Kazoora, par exemple, ayant été séduit par l'UPM, s'engage pour ce 229 idem 230 Linvingstone, Lumumba, Mitchell, Nkrumah, Northcote, University halls et les deux résidences de femmes Africa et Mary stuart halls. 231 Des candidats indépendants peuvent néanmoins se présenter. parti et se fait élire chairman UPM de sa résidence universitaire « Nkrumah ». Les étudiants membres du DP et de l'UPM firent une alliance et gagnèrent les élections de la Guild et des résidences universitaires. Mais au niveau national, ce fût l'UPC d'Obote qui remporta les élections le 15 décembre 1980, par des manœuvres politiques et électorales frauduleuses. Quand les étudiants reçurent les résultats des élections nationales, la Guild des étudiants publia une déclaration accusant l'UPC d'avoir truqué les élections, déclarant que les étudiants refusaient les résultats électoraux et ne reconnaissaient pas Obote comme président de l'Ouganda232. Cette déclaration signait l'arrêt de mort de la Guild et de son président. Quelques semaines plus tard, Museveni, comme promis, pris le maquis et lança sa guérilla en attaquant le 6 février 1981 la caserne militaire de Kabamba, au Luwero. Cette région rurale peuplée de paysans baganda avait voté massivement pour le parti d'opposition, le DP. Évoquant le gouvernement de l'UPC qui a truqué les élections, l'expression : « They may have the votes but we have the guns »233 en révélait l'état d'esprit. La guerre civile : Répression, meurtres, enlèvements et harcèlements des militants sur le campus L'armée ougandaise a d'abord riposté aux attaques des guérillas en février-mars 1981 « en arrêtant des centaines de membres 232 Entretien avec Oloya cité par F. K. Byaruhanga (2006). 233 Dr. Akiiki B. Mujaju, The conquest Syndrome and constitutional Development in Uganda, paper prepared for a conference on « constitutionalism and political stability in eastern africa », held in Nairobi, Kenya, January 5-7, 1987 and organised by African Association of Political Sciences (AAPS). de partis politiques d'opposition »234 et d'autres personnes suspectées de soutenir les groupes de guérilla, et en tuant arbitrairement des habitants des régions où avaient lieu les attaques des guérillas. Sur le campus de Makerere, des étudiants furent aussi arrêtés et emprisonnés235. Amnesty International évaluait qu'au total, des milliers de personnes (civiles ou politiques) avaient été arrêtées et détenues en 1981, et considérait que beaucoup d'arrestations frappaient « arbitrairement des opposants politiques au régime236». Il y avait beaucoup de cas de « disparus » : des personnes qui disparaissaient purement et simplement après avoir été arrêtées par des soldats, dont on supposait généralement qu'elles avaient été tuées en détention. La torture était couramment employée dans les casernes de l'armée237. Sur le campus, depuis l'attaque du 6 février 1981, qui lançait le début de la guérilla, les militants UPM étaient harcelés par les mouvements de jeunesse du parti présidentiel, les « UPC Youth Wingers ». Le commissaire de district de Kampala organisa une campagne « panda gari » (« saute dans la camion » en kiswahili), une façon notoire d'identifier les présumés « guérilleros » : Comme les 234 Pendant l'année 1981, une centaine de membres de partis politiques d'oppostion ont éét arrêtés et fait prosonniers, la plupart du temps sans inculpation ni jugements : Arrestations en février-mars 1981 de membres de l'UPM (le secrétaire général du parti Bidandi-Ssali, Rhoda Kalema et Christopher Ojoth début février après l'attaque de Kabamba, puis de Bakulu-Mpagi Wamala en mars et de dirigeants du DP dont trois députés (Pr. Yoweri Kyesimira, E. Muzira et Henry Bwamable). Puis en juin 1981 a eu lieu une nouvelle vague d'arrestation de parlementaires de l'opposition. Ceux qui étaient suspecté de collaborer avec les guérilleros ont souvent été torturé (comme par exemple Yafesi Sabiti accusé de faire passer des armes clandestinement à des guérilleros) Rapport Amnesty International 1981-1982 : pp. 85-86. 235 Rapport Amnesty International 1981-1982 : pp. 85-86. 236 Rapport Amnesty International 1981-1982 : pp. 87. 237 Dans les casernes militaires de Makindye et de Kireka, notamment, qui étaient tristement connues pour les tortures infligées aux civils qui y étaient détenus. Des centaines de prisonniers civils y ont été tués pendant l'année 1981. forces de sécurité ne savaient pas qui arrêter, et qui était membres des partis d’opposition, ils sélectionnaient des étudiants de façon hasardeuse, les forçaient à monter dans des camions et les emmenaient dans des « safes houses » de l'armée pour des interrogatoires ou un nombre d'entre eux disparurent, alors que d'autres revenaient meurtris et blessés par les actes de tortures238. En 1981, Beatrice Kyomugisha, enseignante à l'université de Makerere fut arrêtée par les soldats et disparu; Bakulu-Mpigi Wamala, un enseignant de Philosophie de Makerere fût aussi arrêté et emprisonné dans la « Cellule de la mort » (Death Cell) des casernes de Makyindye (il avait fuit le pays en 1976 pendant le régime d'Amin, et était revenu en 1979 après la chute du dictateur et avait participé à la création du nouveau parti de l'UPM. Emprisonné et torturé, il réussit à s'enfuir et publia ensuite un témoignage glaçant de son expérience) 239. En 1981, le gouvernement organisa la dissolution de la Guild en utilisant l'armée et les partisans UPC armés de la UPC Youth Wing. La manifestation, étudiante qui suivie fût réprimée militairement. Si la presse d'état relaie la propagande du gouvernement en parlant d'une dissolution de la présidence de la Guild par les étudiants eux-mêmes, d'autres sources émanant du parti d'opposition DP nous offre un récit plus proche de la réalité des évenements (Francis Bwengye, avocat, qui était alors secrétaire général du DP pendant cette période a très bien documenté ces événements dans un ouvrage pamphlétaire publié en 1985, The agony of Uganda, from Idi Amin to Obote : repressive rule 238 John KAZOORA, Betrayed by my leader : the memoirs of Kohn Kazoora, s.n., 2012, 241 p. 239 Témoignage republié par A.B.K KASOZI, The social origins of violence in Uganda, 1964-1985, Kampala : Fountain Publishers, 1994, 347 p., p. 209-223. and bloodshed240 ; et le président DP de la Guild, Opiyo-Oloya (qui s'échappa en exil au Kenya pendant les évenements) raconta aussi sa version dans un entretien publié par F. K. Byaruhanga241) : Le 20 février 1981, Obote invita les étudiants partisans de l'UPC de Makerere, dirigé par George Kihuguru et certains leaders étudiants, à le rencontrer à State House Entebbe. Cette rencontre avait pour but de renverser la Guild présidée par Opiyo-Oloya. Le lendemain, les étudiants UPC ont saccagé les bureaux de la Guild, et déclarèrent avoir renverser sa présidence. Le soir du même jour, le ministre de l’Éducation annonçait à la radio que les bureaux de gouvernement de la guilde avait été dissout. Une manifestation fût organisée par les leaders DP / UPM, à laquelle le gouvernement répondit en envoyant des troupes qui commencèrent à tirer sur les étudiants. Les étudiants partisans de l'UPC, armés, se sont livrés à la bastonnade des étudiants de l'opposition, en saccageant leur chambre et en pillant leur affaires. Cette répression violente des troupes gouvernementales appuyée par les partisans de l'UPC sur le campus provoqua la fuite de nombreux étudiants de l'opposition. Kazoora, le représentant UPC de la résidence universitaire de Nkrumah témoigne : Nous étions tellement harcelé que moi même et Karuhanga (le représentant de Northcote hall) se réfugièrent dans l'appartement de ma sœur à South street. Le président de la Guild Opiyo Oloya (DP) dû partir en exil alors que Mwalimu Musheshe notre ancien délégué de classe fut torturé et manqua un an d'études. Rita Musoke la représentante de la résidence universitaire Africa fut emmené à un endroit inconnu. Une professeur, Beatrice Bateyo Kemigisha fut capturée 240 Francis A. W. BWENGYE, The agony of Uganda, from Idi Amin to Obote : repressive rule and bloodshed : causes, effects, and the cure, London ; New York : Regency Press, 1985, pp. 138-139. 241 F. K. Byaruhanga (2006). et on ne l'a jamais revu. Joshua Mugenyi échappa de peu à son arrestation par des militaires venu assiéger son appartement sur le campus, et s’enfuit en exil à Nairobi »242. Les groupes de militants des partis d'opposition de l'UPM et du DP furent complètement désintégrés. Et c'est à partir de ce moment là que des étudiants décidèrent prendre le maquis : « And this was now the time when people were running to the bush, like Major General Mugisha-Muntu, and a number of people, like Brig Tumukunde, Col Biraro, myself and a number of other colleagues who died243 », témoigne J. Kazoora. LES « INTELLECTUELS » DANS LE MAQUIS Lorsque les trois militants étudiants J. Kazoora, Benon Biraro et Abel Karegyesa, fraîchement débarqués de la capitale, arrivèrent au sein de l'unité maquisarde à laquelle ils avaient été affectés, les paysans-combattants les reçurent avec excitation, en ne cessant de répéter : « They have brought us intellectuals ! »244. Au sein de la NRA, les étudiants diplômés de Makerere ayant rejoint le maquis étaient surnommés les « intellectuels », dans un sens à la fois admiratif et sarcastique. Dans le maquis, ils servirent d'abord d'instructeurs d'éducation politique. L'éducation politique était un des piliers du mouvement de résistance, et a joué un rôle fondamental pour le soutien populaire et la victoire du mouvement de guérilla. Mais l'arrivée de ces jeunes leaders urbains diplômés a aussi suscité des problèmes internes de rapports de pouvoir au sein du mouvement. 242 243 244 J. Kazoora (2012) : p. 38-39. idem J. Kazoora (2012), p. 51. Rejoindre le maquis : « C'est l'oppresseur qui définit la nature de la lutte » Pour les étudiants militants, la décision de rejoindre le maquis fût imposé par la répression. Le militant UPC à Makerere, chairman de la résidence universitaire « Nkrumah », raconte qu'« une des leçons que j'ai apprise de tout cet harcèlement de l'UPC, est que c'est l'oppresseur qui définit la nature de la lutte, et à la fin nous n'avions pas d'autres alternative que de se résigner à la résistance armée245 ». Mais concrètement, rejoindre le maquis n'était pas chose facile. Pour les étudiants qui rejoignirent le maquis de la guérilla, le ralliement fût un ralliement individuel ou par petit groupe. Il fallait déjà faire partie des milieux militants pour avoir les informations et les contacts, savoir où, comment et avec qui rejoindre le maquis. Le départ pour le maquis était tenu secret, pour éviter des fuites et dénonciations aux services secrets de l'UPC. A Kampala, la guérilla de la NRA avait mis en place un réseau de « safe houses », par lesquelles devaient séjourner les militants désireux de se rendre au maquis. Des routes étaient établies pour emmener ceux qui voulaient rejoindre la lutte dans les bases de la guérilla au Luwero246. J. Kazoora témoigne dans ses mémoires : Gradually some students left for the bush. Some had completed their studies while others had not. Thay would not tell you that they were going because there was a lot of mistrust ; you just heard that they were in the bush. (¡K) Aronda Nyakairima, a close friend and coursemate told 245 J. Kazoora (2012), p. 44. 246 Eriya Tukahirwa KATEGAYA, Impassioned for freedom, Wavah Books, 2006, 132 p. :Eriya Tukahirwa KATEGAYA, Impassioned for freedom, Wavah Books, 2006, 132 p. p.75. me he had got a job as teacher in Nairobi and we were shocked when we later found him in the bush. Some of us decided to take a low profile.247 Le départ au maquis des militants étudiants et amis Henri Tumukunde, Mugisha Muntu et Jet Mwebaze est renseigné dans la presse locale248: Militants dans l'opposition à Makerere (UPM), harcelés par les services de sécurité du gouvernement, ils décident de rejoindre la lutte armée de la NRA en mars 1981. Les services de sécurité d'Obote à l'époque furent renseignés sur leur départ imminent pour le maquis et attaquèrent la « safe house », maison de transit de la NRA, un magasin à Kampala. Les étudiants échappèrent de peu à leur arrestation (et à la torture et à la mort), en se faisant passer pour des commerçants249. John Kazoora, victime du harcèlement et des menaces de morts de la part des étudiants du mouvement de jeunesse du parti au pouvoir (UPC youth wing), décide de prendre le maquis et de rejoindre le mouvement de guérilla de la NRA en 1982. Il raconte la façon dont il a décidé de rejoindre le maquis : Il a fait un pacte avec deux autres étudiants et amis militants (Benon Biraro et Abel Karegyesa) se promettant rejoindre la lutte de libération, et que si l'un d'eux se défile ou trahit les autres, ceux qui survivrons s’occuperont de son cas par n'importe quel moyen250. Les « intellectuels » affectés à l’Éducation politique Au sein de la NRA, les étudiants de Makerere débarquant de la capitale pour rejoindre le maquis furent d'abord affectés à l'éducation politique de la branche politique du mouvement, en tant 247 J. Kazoora (2012) p. 41. 248 The citizen, 08/03/1981. (Le journal d'opposition The citizen, proche du DP, est censuré au cours du même mois) 249 Entretien avec Salongo Massengere, ancien combattant de la NRA, Kampala, 25 septembre 2011. 250 J. Kazoora (2012) : p. 45-49. qu'instructeurs (commissaires politiques) auprès des membres de la NRA des branches militaires et politiques. Pecos Kutesa, commandant de la NRA, explique la promotion des « intellectuels » au rang de cadres pour l'éducation politique : In order to introduce effective political education in the army, the CHC (le Chairman of High Command, Y. Museveni) introduced the rank of cadre. A cadre was a person who understood what that war was all about, why it was being fought, how it would be won, and was able to explain all this to anyone. A cadre was someone who understood the war strategy and tactics and was able to defend the cause with his own life. Hence, ideally a cadre had to be a good combatant with leadership potential. The group best suited for this rank, according to the CHC, were the intellectuals. The university students and graduates could easily articulate the cause to the masses. Most of the elite civilians were made cadres251. L'éducation politique était organisée à différentes échelles : il y avait d'une part l'éducation politique pour les combattants (majoritairement des paysans baganda), donnée au sein des camps d'entraînement. Cette éducation politique destinée aux combattants consistait principalement à enseigner la stratégie et les tactiques de la « Guerre Prolongée du Peuple » (Protracted people's war252 ), le type de guérilla défini par Mao Tse Tung, qui a été pratiqué à maintes reprises lors de guerres de libération nationale. Son contenu a été reproduit dans l'organe de propagande clandestin du NRM pendant la 251 Pecos KUTESA, Uganda's Revolution 1979-1986 : How I saw it, Kampala : Fountain Publishers, 2006, p. 122. 252 National Resistance Movement Secretariat, 1985, Selected articles on the Uganda Resistance war, NRM Publications, Kampala, 87 p. ; National Resistance Movement Secretariat, 1990, Mission to Freedom : Uganda Resistance News 1981-1985, Directorate of Information and Mass Mobilisation, NRM Publications,Kampala, 344 p. guerre civile, les Uganda Resistance News253 : dans le premier numéro d’août 1981, un article de Y. Museveni « The Progress of the People's War », sous forme de leçon, simplification directe des textes de Mao de mai 1936, De la guerre prolongée254 y expliquait la « stratégie » choisie pour la lutte. Museveni s'y révélait un instructeur méticuleux de la méthode maoïste : « La stratégie de l'Armée de Résistance Nationale (NRA) (¡K) est celle de la “guerre du peuple prolongée255” ». L'article de Museveni d'août 1981 est un calquage en bonne et due forme des textes de Mao256. Au cours de chaque phase de la guerre de 1981-1986, Museveni s'efforça d'ailleurs scrupuleusement de justifier toutes les évolutions pratiques de la guerre par rapport à la théorie maoïste257. Pecos Kutesa, qui était alors commandant dans l'armée de la guérilla, témoigne de cet apprentissage lors des cours d'éducation politique : Political education proved very valuable to us in the long run although some of us initially rejected it. It was during those political lessons that 253 Y. Museveni, août 1981, « The Progress of the People's War », Uganda Resistance News Vol. 1, N°1, reproduit dans : Y. Museveni, 1985, Selected Articles on the Uganda Resistance War, NRM Publications, pp. 8-23. 254 Mao, 1936, Problèmes stratégiques de la guerre révolutionnaire en Chine (Décembre 1936), in Chaliand G., 2002, Mao stratège révolutionnaire : Textes choisis, pp. 52-56. 255 « Protracted People's War » : on peut aussi traduire par « guerre de partisans prolongée ». 256 Mao l'avait divisée en trois phases : la guerre de guérilla, la guerre mobile, et la guerre conventionnelle. Dans le même article, Museveni justifie la stratégies choisie, la « guerre de peuple prolongée », dans la situation ougandaise : celle des « forces populaires » car « supportées par les masses » contre un pouvoir « impopulaire », « local », commençant « avec de faibles unités militaires en termes de nombre, armement et organisation ». Cette « guerre populaire prolongée » se fera en « trois phases » : la « guérilla », la « guerre mobile », et finalement la « guerre conventionnelle (ou régulière) ». 257 Passage de la « guerre de guérilla » à la « guerre mobile » lorsque la NRA perdit le contrôle du Luwero, puis passage à la « guerre régulière » quand ses troupes avançaient sur Kampala en 1986. we learned of a new phenomenon called the people's protracted war. This was very different from what we had been introduced to in our recruitment and the military academies we had attended. This was a war with no beginning and no end. It was a war which did not have communication lins and a logistical chain-war with no defined duration 258. En effet pour tous les anciens combattants que nous avons interrogés, issus des milieux paysans et de faible niveau scolaire, la stratégie de la « guerre du peuple prolongée » est un leitmotiv. D'autre part, il y a avait les séminaires d'éducation politique pour les cadres politiques de la NRA : ceux qui étaient en charge de mobiliser la population et d'organiser les conseils de résistances259 de civils dans les villages. Ces cadres politiques préalablement formés par les cadres instructeurs politiques (majoritairement des étudiants de Makerere) effectuaient la propagande politique destinée aux civils. Le commissaire politique de la NRA, E. Kategaya, responsable du travail de « politisation » explique que « l'éducation politique consistait à expliquer à la population les raisons de la lutte, et la stratégie choisie. Il s'agissait d'expliquer comment une armée hétéroclite faite de groupes disparates espérait attaquer une armée conventionnelle et se battre contre un gouvernement qui disposait d'une armée massive et de nombreuse ressources »260. 258 P. Kutesa (2006), p. 123. 259 Sur les conseils de résistance, voir la thèse de doctorat de Tidemand P. J. (1995), The resistance councils in Uganda: a study of rural politics and popular democracy in Africa, Université de Roskilde , Danemark, 258 p. 260 Eriya Tukahirwa KATEGAYA, Impassioned for freedom, Wavah Books, 2006, 132 p. Les étudiants de Makerere donc furent surtout affectés à la branche politique du NRM (le Conseil National de Résistance, était organisé en comités : comités des finances, du ravitaillement, politique, diplomatique, de la propagande). La fonction de « Commissaire politique » est un emprunt à la stratégie maoïste261. L’existence de ces cadres et leur comportement était très important pendant la lutte ; car d'eux dépendait le soutien des masses262. Les comités politiques étaient chargés, au niveau local, de « politiser les masses », et de recruter des volontaires. Eriya Kategaya (qui était commisaire politique de la NRA) explique en quoi consistait le travail de politisation au sein des comités politiques: Explaining the strategy of the war, the strength of our enemy, our strength, and so on. It was during this time that we started establishing political committees to support the army. (...) We (would) go and do political work, hold rallies, talk to wananchi (ordinary people) and convince them about our struggle.(...) Our meeting were like any other political rallies. We would have meetings and songs, followed by the traditional hospitality of meals263. 261 La Chine révolutionnaire avait institué (à l’instar des bolcheviques) le corps des commissaires politiques, qui veillaient à ce que les rapports de force entre les forces armées et la population soient les plus harmonieux possible. Mais plus directement, l'organisation en comités, et les fonctions de commissaire politique sont d'abord une reproduction du modèle observé dans la guérilla du Frelimo mozambicain, au sein de laquelle avait été formé Museveni et le groupe du Fronasa, noyau de la NRA. Voir Munslow B., 1983, Mozambique: the revolution and its origins, Longman, Londres, 195 p. 262 Sur les commissaires politiques dans la stratégie maoïste, voir Chaliand G., 2002, Mao stratège révolutionnaire, Ed. Du Félin, Paris, 253 p. 263 Eriya Tukahirwa KATEGAYA, Impassioned for freedom, Wavah Books, 2006, 132 p. E., 2006, Impassioned For Freedom, Wawah Books Ltd, Kampala, 132 p. Sur l'éducation politique, le Capitaine Sula, qui était leader de la branche politique de la NRA en charge d'un conseil de résistance local de la région de Semuto et du « food and uniforms comitee » témoigne : « The first eduction seminar was in Bulumba in Kanyanda. I went there. It was not residential. We used to go there, spend a day, and come back. We got lectures. How to lead the people, the purpose of our struggle, how to be patient, etc.. It was only for the leaders, not the common fighters. [For the common fighter], military training and political education was from their camp ». much anyway »267. Car cela n'était pas la préoccupation principale pour les leaders de la NRA, pour qui les empreints aux théories progressistes, et particulièrement à Mao Tse Tung, représentaient plutôt une boite à outil de stratégie militaire, qu'un véritable objectif de construction d'un monde socialiste. Comme le révèle bien l'utilisation de l'expression de Museveni « the proof of the puding in in the eating268 », pour expliquer son choix de la guerre populaire maoïste : c'est l'aboutissement final, la victoire militaire et la prise du pouvoir, qui importait plus que les moyens pour y parvenir. Si l'éducation politique avait donc pour but principal d'apporter un cohésion tactique et idéologique à la guérilla et de mobiliser les masses populaires, les séminaires d'éducation politique comportaient aussi un niveau plus philosophique, sur la façon dont la société devrait être gouvernée264. Il y a eu des tentatives d'initiation aux théories marxistes de la part des instructeurs265, qui étaient des jeunes panafricanistes aux idéologies progressistes (un bagage idéologique syncrétique qui piochait parmi les lectures marxistes, maoïstes et nkrumahistes) mais elles n'ont pas eu grand écho auprès des paysans conservateurs et royalistes du Luwero266 comme en témoigne un paysan-combattant vétéran de Makulibita: « They would tell us communist ideas, but ¡K for exemple, land. For us, land which is kabaka's land (terre du roi), it's already for everybody so... (laughts) those things, we didn't really get convinced... But they did'nt insist Les « intellectuels » de Makerere eurent donc un rôle signifiant dans la réussite des activités de formation politique des combattants et de mobilisation des masses, mais leur position de cadres politiques suscita des conflits de pouvoir internes au mouvement. 264 Yoweri Kaguta MUSEVENI, Sowing the Mustard Seed : The Struggle for Freedom and Democracy in Uganda, London : Macmillan, 1997, 224 p. 265 Entretien avec, El Hadj Abdul Nadduli, ancien membre de l'aile politique de la NRA, Chairman NRM du district du Luwero et de la région du Buganda,Wobulenzi, Luwero, 24 septembre 2011. 266 Entretien avec Salongo Massengere, ancien combattant de la NRA, Kampala, 25 septembre 2011. 267 Entretien avec Robert Kibuyo, ancien combattant de la NRA, Makulubita, août 2011. 268 Yoweri Museveni à propos du choix de la stratégie maoïste de la « guerre du peuple prolongée », en août 1981 (Uganda Resistance News) : Proverbe anglais signifiant que la vraie valeur de quelque-chose peut être jugée uniquement à partir de l'expérience pratique ou des résultats et non pas à partir de l'apparence ou de la théorie (Museveni Y., 1985 : p. 22). Le conflit entre les paysans-combattants et les « intellectuels » au sein du maquis et l'idéologie de la NRA sur l' « intellectualisme » Il s'était développé au sein des combattants de l'armée rebelle une hostilité envers les diplômés de Makerere. Les combattants entraînés et expérimentés au combat voyaient d'un mauvais œil de devoir être formés par des jeunes étudiants débarquant de la capitale sans aucune expérience de combat sur le terrain : « The combattants who were already soldiers had a low opinion of these Makerere graduates. They thought that the graduate from Makerere (abasoma) could not fight but were just trying to take over leadership » (E. Kategaya, commissaire politique)269. Pecos Kutesa, qui était un cadre militaire de la NRA aborde le conflits entre les « intellectuels » et les « paysans-combattants » : The most disturbing group was the university students who has deserted the campus to join the bush fighters. Some former guild student leaders assumed that because of their academic superiority, they would automatically be the leaders of the rebel group. The intellectuals, as they were called, could not imagine how a peasant who even had no shoes on his feet could order them to fall in line. « We have led hundred of university students » they reasoned. « How can we take orders from people who cannot even write their own names ? » they wondered. The bush corporals and sergeants just told them off : « You have been leading people armed with plates and cups and at the worst books ! But here we are armed with guns and bullets and bombs, so your qualifications are imaterial 270. Les étudiants arrivés après ce conflit ont fait l'expérience de cette hostilité envers leur statut d'« intellectuels ». Des anecdotes racontées dans les mémoires de Kazoora sont révélatrices : les premiers jours de son arrivée dans le maquis, le commandant qui les accueille leur rétorque qu'il est très déçu des « intellectuels », car un « intellectuel » qui venait également de l'université de Makerere avait harcelé une fille du village. Le jour suivant, lorsque Paul Kagame (qui était agent de renseignement de la NRA) les appelle et leur prend leur carte d'identité, quand les étudiants demandent quand pourront-il les récupérer, il répond : « Why do you need ID ? Don't bring your 269 132 p. 270 Eriya Tukahirwa KATEGAYA, Impassioned for freedom, Wavah Books, 2006, P. Kutesa (2006) : p. 117. intellectualism here ». De son point de vue de commandant issu d'une formation militaire, Kutesa évoque également la « guerre froide » entre les « paysans entraînés » et les « intellectuels arrogants qui n'avait jamais tiré une balle et ne s'étaient jamais fait tiré dessus par l'ennemi »271 . Il faut souligner l'origine sociale des étudiants ayant rejoint le maquis. Les étudiants admis à Makerere, la seule et unique université de pays (en 1981/1982, Makerere avait admis 1967 nouveaux étudiants272), étaient ceux dont les familles avaient pu financer leur scolarité dans les meilleurs écoles secondaires du pays. Et parmi eux, la frange des militants prenant part aux activités politiques et élu comme représentants, étaient destinés à devenir les futures élites politiques du pays. Cette « arrogance » des diplômés de Makerere au sein du maquis, et leur sentiment d'appartenir à une classe supérieure n'était pas uniquement un fantasme, comme l'illustre une anecdote racontée par l'un d'entre eux, John Kazoora dans ses mémoires : « Nous étions insupporté par le régime alimentaire (dans le maquis). La nourriture était servie dans un bidon coupé en deux et tout le monde devait manger dedans (¡K) Donc un jour, Birari, Karegyesa, Gariyo et moi-même (tous issus de Makerere) décidèrent d'avoir notre propre bidon car nous ne voulions pas nous mélanger avec le « dirty people ». Nous avions toujours cette « Makerereness » en nous »273. Pour remédier à ce conflit qui minait la cohérence du mouvement, les cadres de la NRA décidèrent que quiconque rejoindrait le maquis devrait s'entraîner et apprendre comment combiner l'éducation 271 P. Kutesa (2006) : p. 122. 272 Carol SICHERMAN, Becoming an African university : Makerere, 19222000, Trenton N.J. : Africa World Press, 2005, 416 p. 273 J. Kazoora (2012), p. 53. politique et l'expérience du combat : « We explained the importance of political education. At the same time, the Makerere graduates started participating in the combat exercises »274. Pour les étudiants rejoignant le maquis à partir de l'année 1982, ils commençaient immédiatement à leur arrivée l'entraînement commun à tous les jeunes recrus de la guérilla indépendamment de leur origine sociale, et qui était composé d'exercices militaires tel que démontage et assemblage des fusils, les techniques de campagne, le maniement des armes, le tir, la carte et de la boussole, l'entraînement physique et des sessions politiques en swahili. Les « intellectuels » n'étaient plus nommés directement cadres ou commissaires politiques sans s'être entraînés ou avoir expérimenté le combat. Par exemple, dans les premiers temps de la guerre, Henri Tumukunde, qui était militant UPM à Makerere avant de rejoindre le maquis était un mitrailleur (machine gunner). Il est finalement devenu ensuite l'un des officiers supérieurs de l'armée rebelle. Le modèle à suivre pour les « intellectuels » de la NRA, emprunté au langage révolutionnaire de Samora Machel, leader du FRELIMO au Mozambique, était de commettre un « suicide intellectuel »275, qui consiste à perdre son « arrogance »276 en oubliant tout le confort passé et de vivre avec son peuple l'expérience de la faim, de la maladie et de la souffrance nécessaire à la libération du peuple277. Afin de « dés-intellectualiser » les diplômés de Makerere, on leur fait subir à leur arrivée des brimades, ou des petites humiliations, sorte de bizutage. Par exemple lorsque quatre étudiants débarqués au maquis (Benon Barreau, Abel Karegyesa, John Kazoora et Keeth Garoyo) rencontrent le Chairman of High Command Y. Museveni, après 274 E. Kategaya (2206), p. 90-91. 275 « commiting intellectual suicide » : P. Kutesa (2006), p. 122-123. 276 P. Kutesa (2006), p. 122-123. 277 J. Kazoora, pendant une session parlementaire en 2005, à propos de John Garang en même temps « fighter » et « intellectual ». un petit interrogatoire pour jauger de leur répartie, il ordonne à ses hommes de les « punir ». Ils se font enlever leur chemise, plaquer au sol, rouler dans la boue, asperger de cendres et d'eau, puis ordonner de se tenir au garde à vous dans le froid toute la nuit, l'un d'entre eux en concluant : « This was certainly part of initiation to remove the socalled intellectualism and face reallity especially obeying orders »278. Ce positionnement vis a vis de l' « intellectualisme », rappelle bien sûr le type maoïste de la guérilla, la NRA prônant comme modèle dominant la figure populiste du paysan en arme du « combattant de la liberté ». Mais cette attitude à moins favorisé une égalité réelle entre les combattants issus d'origine sociale différentes, que, finalement, l'affirmation de la primauté du militaire sur le politique. En 1989, répondant à un journaliste qui lui demandait s'il se considérait comme un soldat ou comme un politicien, Museveni répondait : « I'm a freedom fighter. I would feel insulted if you called me a politician. Politicians here in Africa do not have a good reputation279». Au sein du syncrétisme idéologique original qui constitue l' « idéologie du mouvement », domine un militarisme qui a perduré après la prise du pouvoir, passant du militarisme non conventionnel (de guérilla) au militarisme tout court. Après la prise du pouvoir de la National Resistance Army en 1986, après cinq années de guérilla, s'est opérée la formalisation des branches militaires et politiques du mouvement NRA/NRM en armée régulière et parti de gouvernement. Les « dîplomés de Makerere » survivants qui s'étaient engagés au service de la guérilla furent promus politiquement et militairement, connaissant une ascenscion de carrière fulgurante jusqu'à des postes de hauts-fonctionnaires au sein 278 279 J. Kazoora (2012) : p. 54-54. Interview à State House, Entebbe. Time Magazine, 7-14 octobre 1989. de l'état (ministres, généraux, représentants de l'armée au parlement, etc.)280. Cela aboutit à la situation paradoxale pour le chercheur en histoire sociale étudiant les mouvements étudiants (ou les rébellions armées) de se retrouver finalement à faire de l'histoire des élites étatiques. Pour contourner ce biais, ainsi que la difficulté d'accès aux sources (réaliser des entretiens oraux auprès de ces hautsfonctionnaires), s'intérresser à ces acteurs dans le cadre des rapports de pouvoir et antagonismes internes aux mouvements étudiants ou de guérilla, en prenant en compte les sources issues des témoins « subalternes » (les paysans, les vaincus « oubliés » de l'histoire officielle, les femmes) nous paraît être une alternative pertinente. MOHAMED DHIFALLAH. RADICALISATION DU MOUVEMENT ÉTUDIANT TUNISIEN : DU GAUCHISME À L’ISLAMISME (1963-1980) Université de la Manouba-Tunis, Institut Supérieur d’Histoire Contemporaine de la Tunisie La jeunesse a été considérée depuis toujours comme une tranche d’âge de la vie favorable aux excès et à la radicalisation (281), c’est le cas de la jeunesse estudiantine tunisienne qui, issue d’une société sous-développée, elle se croit capable de générer des idées avantgardistes. En Tunisie, le processus de radicalisation du mouvement étudiant s’est déclenché vers le début des années soixante, avec la création de la première organisation de la nouvelle gauche ; il n’a jamais fléchi au moins jusqu’à l’avènement, vers la fin des années soixante-dix, d’un nouveau courant radical : la mouvance islamiste. Entre temps, la nouvelle gauche estudiantine s’est transformée elle aussi en adoptant de nouvelles positions plus radicales. Ce papier se propose de répondre aux deux questions suivantes : Quels sont les facteurs à l’origine de la radicalisation du mouvement étudiant et de son évolution ? Y a-t-il continuité entre les radicaux de gauche qui ont dominé la scène estudiantine pendant les années soixante et soixantedix et leurs successeurs islamistes? NAISSANCE ET ÉVOLUTION DE LA RADICALISATION ESTUDIANTINE Le contexte historique ayant favorisé la naissance de la gauche estudiantine, se caractérisait par le désenchantement croissant de l’Etat National après seulement quelques années d’indépendance de la Tunisie (1956); le coup d’Etat avorté en 1962 en est la preuve : un 280 Sauf pour ceux qui sont passés à l'opposition dans les années 1990. (281) Anne Muxel, "La tentation des partis extrémistes chez les jeunes", Birgitta Orfali (Sous la dir.), in La banalisation de l’extrémisme à la veille de la présidentielle : Radicalisation ou dé-radicalisation ?, Paris : Ed. L’Harmattan, 2012, p. 23. groupe hétéroclite de chefs maquisards, de militants nationalistes de tous bords et de hauts gradés de l’armée, envisageait en effet le renversement du régime de Bourguiba. La découverte de cette tentative de coup d’Etat, puis le procès intenté contre les comploteurs, en janvier 1963, ont offert l’occasion au régime de serrer les rangs et à Bourguiba de retrouver sa popularité d’antan (282) ; mais au lieu de penser à une politique d’ouverture à l’élite et à l’opposition légale, le gouvernement a décidé d’en finir avec les derniers signes du pluralisme, procédant ainsi à la suppression de la presse et à l’interdiction du Parti communiste tunisien (PCT) (283). Parallèlement, le bureau exécutif de l’Union Générale des Etudiants de Tunisie (UGET) inféodé au Néo-Destour, devenu désormais parti unique, a décidé, en février 1963, de dissoudre la section de Paris dirigée par les étudiants progressistes, de falsifier les élections des délégués de Paris au 11e congrès de la centrale estudiantine et d’adopter une nouvelle charte de l’étudiant qui scelle le lien organique entre l’UGET et le parti au pouvoir (284). Cette série d’événements reflète les difficultés qu’a rencontrées le gouvernement quant à l’encadrement de ses étudiants des universités françaises et il ne lui reste, dorénavant, que l’exclusion des plus actifs. Le parti au pouvoir a du mal à les attirer ou même à les surveiller, vu leur nombre important. En 1963-1964 il y avait 2434 étudiants en France contre (282) Sur ce complot voir entre autres les mémoires de Moncef El Materi, lui-même condamné à mort puis gracié, sous le titre: De Saint-Cyr au peloton d’exécution de Bouguiba, T.1, Tunis : Arabesques 2014, pp. 45-194 (283) Sliman Ben Sliman, Souvenirs politiques, Tunis : Cérès Productions 1989, p.353 et suiv. (284) Mohamed Dhifallah, "Bourguiba et les étudiants : stratégie en mutation (19561971)", in, Michel Camau et Vincent Geisser (Dir.), Habib Bourguiba : La trace et l’héritage, Karthala, 2004, p. 319 ; Abdeljelil Bouguerra, Chapitres de l’histoire de la gauche tunisienne, Tunis : Dar Afaq-Perspectives de l’édition, 2012, pp. 198-199 (en arabe). 3884 à l’Université de Tunis (285). Outre le nombre, les étudiants tunisiens en France étaient au diapason des grands courants et des idées nouvelles ; ils suivaient avec admiration la vie politique française, alors que dans leur pays, on venait d’instaurer un régime à parti unique qui étouffe les libertés démocratiques, monopolise la vie politique et satellise les organisations de la société civile, y compris le syndicat étudiant. Après avoir été exclus de l’UGET, les étudiants progressistes décident de créer, en octobre 1963, à Paris, un nouvel espace de rencontre et de réflexion, appelé le Groupe d’Etudes et d’Action Socialiste Tunisien (GEAST), communément connu sous le nom de son journal Perspectives. Cette nouvelle organisation s’est fixé comme objectifs : "la lutte pour la démocratie interne au sein de l’UGET, la campagne de démystification des notions d’union nationale et d’intérêt général, [et] la rénovation des méthodes d’action syndicale" (286). Le champ d’action ne se limite plus à la scène estudiantine, il s’étend à la scène nationale. Il faut ajouter, qu’en dehors du fait que ses étudiants révoltés étaient sensibles à la détérioration des conditions sociales des masses populaires tunisiennes, ils ont été influencés par le contexte international des années soixante : la révolution cubaine, la lutte antiimpérialiste que ce soit en Afrique, en Amérique latine ou ailleurs, et la montée du tiers-mondisme. D’ailleurs, les fondateurs du GEAST étaient des lecteurs assidus des intellectuels et essayistes défenseurs du Tiersmonde. Noureddine Ben Khader, principal chef perspectiviste, par (285) Jean Perron, L’Enseignement en Tunisie, Paris : La Documentation Française, 1965, pp. 19-20. (286) Perspectives, n° 1, déc. 1963, "Où en est l’U.G.E.T.", p. 9. exemple, reconnaît que parmi ses lectures des intellectuels comme Jean-Paul Sartre, René Dumont, Tibor Mende, Jean Despois… (287). L’histoire de Perspectives pourrait être subdivisée en deux périodes : 1- 1963 - 1966 : Pendant cette période, le GEAST se présente en tant qu’avant-garde, c’est-à-dire qu’il met en valeur la dimension intellectuelle et élitiste mais aussi militante de leur action. Sur le plan idéologique, ce groupe réunit, au départ, des militants de tendances différentes, gauchistes indépendants, trotskystes et socialistes arabes d’obédience nassérienne. Cette diversité n’a pas duré longtemps, car il semble que les discussions internes avaient abouti à une certaine homogénéisation idéologique, ce qui a permis à Perspectives de noter en février 1966 que "la gauche tunisienne est fondamentalement unie quant à ce qui est de ses options idéologiques. Rares, pour ne pas dire personne, sont ceux qui mettent en cause leur adhésion au marxisme" (288). L’autre changement qu’a connu le GEAST, pendant cette même période, consiste à passer à l’activisme sous l’influence de nouvelles recrues parmi les étudiants de l’université de Tunis. En décembre 1966, une vague d’agitation frappe le campus universitaire et près de deux cents étudiants furent arrêtés puis libérés, sauf neuf militants perspectivistes qui ont été traduits devant la cour avant d’être enrôlés de force dans l’armée nationale (289). Ce procès annonce une nouvelle étape dans la radicalisation de Perspectives et du mouvement étudiant. (287) "Nouredddine Ben Khader, entretien", in, M. Camau et V. Geisser (Dir.), Habib Bourguiba..., op. cit., p. 538. (288) Perspectives, n° 8, février 1966, "Editorial", p. 5. (289) Comité International pour la sauvegarde des droits de l’Homme en Tunisie (CISDHT), Liberté pour les condamnés de Tunis, Paris : Maspero 1969, p. 16. 2-A partir de 1967 : En 1967, la ligne idéologique de Perspectives fut redéfinie et le GEAST fut réorganisé. Ainsi, les perspectivistes embrassèrent l’idéologie maoïste, sous l’influence bien entendu de la révolution culturelle chinoise. En même temps, ils franchirent un pas vers la construction d’un parti révolutionnaire (290); ils se considèrent désormais "comme les porteurs de l’idéologie prolétarienne, comme les défenseurs des intérêts généraux du prolétariat, presque l’embryon du futur Parti de Prolétariat" (291). C’est dans ce cadre qu’ils ne se contentaient plus de contester la politique du gouvernement mais se déclaraient, même, s’attaquer "au système bourgeois en tant que système" (292). A l’université, ils passent à la mobilisation en réclamant la libération de leur camarade Mohamed Ben Jennet condamné à vingt ans de travaux forcés pour avoir participé aux événements de juin 1967. L’apogée de ce mouvement contestataire fut enregistrée en mars 1968. S’ensuivent des dizaines parmi les étudiants traduits par la suite devant une cour d’exception, la cour de sûreté de l’Etat. Ce procès fut le prélude d’une série de procès politiques intentés tout au long des années soixante-dix contre la gauche étudiante. Cette répression continue finit par affermir le processus de radicalisation du mouvement étudiant, surtout en le faible impact de l’UGET, qui aurait pu jouer son rôle d’intermédiaire entre étudiants et responsables administratifs ou politiques. UGET : CONTINUITÉ ET RUPTURE (290) GEAST, Deux années de travail au sein de la classe ouvrière, un premier bilan, Pub. « Perspectives Tunisiennes » n° 7, 1972, p. 5. (291) GEAST, A la lumière du procès du GEAST : Les acquis et les perspectives de la lutte révolutionnaire en Tunisie, Publication Perspectives tunisiennes, n°4, juin 1969, p. 6 (en arabe). (292) Ibid, p. 6. Bien que les fondateurs de Perspectives aient été déjà exclus de l’UGET, avant même la fondation de leur nouvelle organisation, ils étaient restés attachés à ce syndicat ; ils s’engageaient de "mener, au sein de [leur] Centrale, pour y restaurer une vie et un bilan qui commencent à lui faire défaut" (293). Parmi les principes fondamentaux qu’ils ont tracés : "lutter pour réaliser l’autonomie effective du mouvement étudiant", et "défendre les intérêts matériels et moraux de tous les étudiants" (294). Mais compte tenu de leur nombre réduit par rapport aux étudiants destourien, ils n’ont jamais accédé aux instances dirigeantes de l’UGET dont la direction s’est toujours désolidarisée des militants perspectivistes objets à arrestations durant les années 1966, 1967 et 1968 ; il y a eu même des dirigeants qui collaborèrent étroitement avec la police pour arrêter leurs camarades (295). De ce fait, les relations conflictuelles entre la majorité destourienne et la minorité perspectiviste au sein de l’UGET, auraient incité cette minorité à créer ses propres structures de lutte. En effet, lors du mouvement de mars 1968, les étudiants tinrent au campus universitaire des assemblées dites "libres" pour discuter et désigner leurs représentants auprès de l’administration. L’UGET est ainsi largement dépassée par les événements, même si ces assemblées libres ne se transformèrent pas en structures permanentes. 18e Pendant le congrès de l’UGET tenu à Korba en août 1971, les étudiants opposants furent à deux pas de la direction de la centrale estudiantine, lorsque les étudiants destouriens décidèrent un coup de force leur permettant d’en garder la direction. Un comité d’information, de cinq étudiants, fut créé afin d’expliquer aux (293) Perspectives, n° 1, déc. 1963, "Où en est l’U.G.E.T.", p. 7. (294) Ibid, p. 10. (295) CISDHT, Liberté pour les condamnés…, op. cit, p. 16. étudiants et à l’opinion publique les péripéties dudit congrès revendiquant l’annulation des résultats et la tenue d’un congrès extraordinaire. En février 1972, un mouvement massif d’étudiants a tenté la tenue du 18e congrès extraordinaire, avant d’être réprimé et plusieurs étudiants ont été arrêtés (296). Depuis, l’UGET a perdu de sa crédibilité de structure représentative des étudiants, lesquels la qualifiaient de fantoche et sa direction destourienne illégitime. En janvier 1973, les étudiants opposants ont élaboré ce qu’on appelle le "programme de 1973" qui prévoit l’élection des structures syndicales provisoires (SSP), chargées de l’organisation du congrès extraordinaire de l’UGET (297). Dans un premier temps, le programme fut approuvé par le gouvernement, et les élections se sont déroulées avec l’aide de l’administration avant que le gouvernement ne revienne sur sa position (298). Et pourtant les SSP élues sont devenues le syndicat réel face à la structure syndicale légale, l’UGET, dont l’absence enregistrait des répercussions néfastes sur le mouvement étudiant. C’est dans ce contexte qu’est ainsi né le fameux slogan sur "la rupture organisationnelle et politique avec le régime". Ce slogan, forgé par les étudiants de l’extrême gauche, a été adopté par la suite par les étudiants de la mouvance Islamique. En effet, ce dernier arrivant sur la scène étudiant adoptait au départ les mêmes slogans et positions de l’extrême gauche (299). Mais après la révolution iranienne, il commença à forger sa propre personnalité, son propre label qui continuait à aller tout de même sur (296) GEAST, Mouvement de février 1972 en Tunisie : un nouveau bond dans le combat de la jeunesse intellectuelle, Pub. "Perspectives Tunisiennes", n°8, 1972, p. 15. (297) UGET, Comité de Section provisoire (Lyon), Documents du comité universitaire provisoire, tract en 7 pages, s.d, p. 3. (298) Ibid, p. 3. (299) Adel Thabti, L’Union générale tunisienne des étudiants, Tunis : Imp. MIP 2011, pp. 67-68 (en arabe). la voie de la radicalisation. En 1980, les étudiants islamistes manifestaient une position plus radicale en ce qui concerne la crise syndicale. Ils ont proposé une nouvelle lecture de l’histoire du mouvement étudiant, selon laquelle l’UGET n’était, depuis sa création à Paris en 1953, qu’une "cellule du Néo-Destour" dont l’objectif, pensaient-ils, était de contrecarrer la centrale estudiantine zitounienne, Sawt Ettalib, et de diviser le mouvement étudiant, ses motions qui faisaient l’éloge du régime bourguibien en étant la preuve ! Par conséquent, au lieu de s’attacher au 18e congrès extraordinaire de l’UGET, les étudiants islamistes réclament désormais la tenue d’un congrès constitutif d’une nouvelle organisation estudiantine libre (300). Ainsi, avec la montée des islamistes vers la fin des années soixante-dix et le début des années quatre-vingt, le témoin de la radicalisation passe de l’extrême gauche à l’islamisme. Le radicalisme n’est plus l’apanage de la gauche estudiantine, qui se trouve concurrencée dans le domaine par les étudiants islamistes, même si les objectifs n’étaient pas les mêmes. Par ailleurs, afin de mieux comprendre les changements qui sont survenus sur la scène estudiantine, il nous semble plus judicieux de creuser dans le social. Nous pensons que les origines sociales des étudiants pourraient éclairer la radicalisation accrue du monde étudiant pour plusieurs raisons. La première génération de Perspectives était issue pour la plupart de familles aisées (aristocratie terrienne, zitounienne…), lesquelles étaient capables d’envoyer leurs fils poursuivre leurs études dans des universités françaises. Puis, vers la fin des années soixante, avec l’extension de l’enseignement supérieur, vint une deuxième génération d’étudiants qui ont commencé leurs études primaires après l’indépendance et surtout (300) Ibid, p. 74. après l’application de la réforme de 1958 dont l’objectif était d’étendre et de propager l’enseignement dans tous les coins du pays. Ainsi, les nouvelles promotions qui ont gagné l’université à partir de la fin des années soixante étaient issues pour une grande partie des régions rurales. Déjà en 1963-1964, plus de 50% des étudiants de sexe masculin étaient nés en milieu rural, contre 40% seulement en 19621963 (301). Quant à leurs origines socio-économiques, 27.2% des étudiants, en 1963-1964, ont leurs pères agriculteurs ou pêcheurs (302); ceux-ci se sentirent laissés pour compte par le gouvernement après la mise en place de la politique des Coopératives. La troisième génération d’étudiants a rejoint l’université à partir du milieu des années soixante-dix : généralement, ils sont issus de milieux ruraux modestes, leurs parents sont analphabètes sinon arabophones, et généralement marginalisés par rapport aux notables locaux. Dans ces milieux, on s’attache à l’au-delà, et à la langue du coran, l’arabe, d’où la prédisposition de leurs enfants à rallier les rangs de l’islamisme et du nationalisme arabe. Notons également, que les étudiants issus de ces milieux, suivirent des filieres scientifiques et techniques, d’ou ce phenomene de tropisme des scientifiques pour l’islamisme phénomène déjà observé dans d’autres pays arabes tels que le Maroc et l’Egypte (303), alors que les facultés des lettres et de droit étaient généralement les fiefs des étudiants de gauche. Le conflit, qui opposera plus tard islamistes et gauchistes dans les années quatre-vingts, est donc à la fois d’ordre culturel et social. Un conflit qui présentait une (301) Lilia Ben Salem, "Démocratisation de l’enseignement en Tunisie : essai d’analyse du milieu d’origine des étudiants tunisiens", RTSS, n° 16, mars 1969, p. 102. (302) Ibid, p. 110. (303) Mohammed Boudarham, "Phénomène. Islamistes et scientifiques, pourquoi ils s’aiment… ", in, Tel quel, n° 414. Disponible au lien suivant (date de visite 10 avril 2014) : http://www.telquel-online.com/archives/414/actu_maroc1_414.shtml gauche encore plus radicale, suite à la discorde qu’a connue ses rangs entre nouvelle et ancienne gauche vers la fin des années soixante RÉVISIONNISTES ET RÉVOLUTIONNAIRES Au début, Perspectives était ouverte à tous les étudiants quelle que soit leur idéologie, y compris les communistes. D’ailleurs, elle entretenait des relations amicales avec eux, et la première grande réunion du groupe en Tunisie, tenue dans un hameau du Sahel (Chrahil) en août 1964, a été ménagée par un étudiant communiste de l’Ecole normale Supérieure de Tunis (304). En 1967 et 1968, les perspectivistes et les communistes siégeaient côte à côte dans le comité pour le soutien au Vietnam et le comité pour la libération de Mohamed Ben Jennet. Le changement commence avec l’adoption du maoïsme par les perspectivistes, en 1967 ; les premières critiques qui ont été exprimées concernaient jusqu’alors l’attitude du PCT pendant les dernières années du protectorat, "les représentants d’alors de la classe ouvrière, le Parti Communiste et le syndicat qu’il dominait, se sont avérés incapables de comprendre la nécessité de la lutte antiimpérialiste… ils se contentèrent de petites luttes revendicatives, et ne purent même songer à mobiliser la paysannerie" (305). Ces observations peuvent-être partagées par les communistes eux-mêmes. Les critiques les plus acerbes ont été formulées par la suite, notamment après le procès des deux groupes en septembre 1968, procès qui a "démasqué tous les ennemis, aussi bien les prétendus révolutionnaires que l’ennemi déclaré du prolétariat : la bourgeoisie (304) Sur cette réunion voir le témoignage d’Ahmed Ban Salah, in, Abdeljelil Temimi (Sous la dir.), Le rôle politique et culturel des Perspectives et des perspectivistes dans la Tunisie indépendante, Tunis : Pub. de la Fondation Temimi, 2008, pp. 62-69. (305) GEAST, Les caractéristiques de la période actuelle du développement de la Tunisie et les instruments de la révolution arabe, texte préparé pour le colloque d’Alger sur le socialisme dans le monde arabe (22 mai 1967), p.14. tunisienne" (306). En fait, les perspectivistes s’en prenaient désormais à ces deux "ennemis", la bourgeoisie et son "auxiliaire utile", le PCT, qui "n’a jamais mis en cause le pouvoir de la bourgeoisie, plus même depuis son interdiction il s’est docilement soumis" ; et d’ajouter que sa "fonction est de freiner la lutte révolutionnaire, de dénaturer le marxisme-léninisme, idéologie du prolétariat, et de servir ainsi objectivement les intérêts de la bourgeoisie"(307). Evidemment, ces critiques étaient teintées d’une lecture maoïste des visions et orientations idéologiques des communistes. En 1970, le journal Perspectives taxe, et c’est pour la première fois, le PCT de révisionniste et qu’il "n’est qu’un sous-produit du courant révisionniste qui se développe à l’échelle internationale, contre lequel, comme le montre la pratique révolutionnaire dans divers pays, il n’est pas possible de ne pas lutter" (308). En fait, on reconnait ici que l’attitude des Perspectivistes à l’égard des communistes reflète bien le conflit entre les deux puissances socialistes de l’époque, l’URSS et la Chine Populaire dont la rupture atteint, comme on le sait, son point culminant en 1969 avec des incidents frontaliers entre les deux pays (309). C’est à cette époque également que les perspectivistes publiaient une brochure dont le titre est fort significatif : "La voie vers le socialisme, réponse au révisionniste Harmel". Dans cette brochure, on accuse le secrétaire général du PCT de "dénonciateur" et d’"agent de la bourgeoisie" (310), et les communistes de révisionnistes dont il faut (306) GEAST, A la lumière du procès du GEAST … op. cit, p. 9-10. (307) Ibid, p. 9. (308) Perspectives tunisiennes, n° 22, janvier 1970, "La théorie du contenu de l’état des révisionnistes tunisiens", p. 7. (309) Gérard Hervouet, "Le conflit frontalier sino-soviétique de 1969", in, Études internationales, vol. 10, n° 1, 1979, pp. 53-89. (310) GEAST, La voie vers le socialisme, réponse au révisionniste Harmel, Maspero 1970, p. 38. montrer "en premier lieu leur trahison et leur abandon du marxisme" (311). Les communistes sont également critiqués pour leur "soutien critique" de la politique coopérativiste suivie par le gouvernement : "depuis le début de l’année 1969, les révisionnistes tunisiens entonnent un chant de gloire en l’honneur du gouvernement qui, par ses ‘réformes progressistes’, tendant à la généralisation des coopératives, va peut-être franchir une ‘étape irréversible dans la voie du développement non-capitaliste’" (312). Sur la scène estudiantine, ce discours condamnant tout avis favorable à la politique gouvernementale, ne passera sans effet. Parmi les mots d’ordre scandés ou figurant sur les murs des facultés on peut lire : (Parti "communiste" destourien) (sic) (313) ; les étudiants communistes étaient accusés d’avoir tenté de démobiliser les étudiants pendant le mouvement de février 1972 (314), et de plus en plus marginalisés, voire interdits d’intervenir dans les meetings. Les mêmes attitudes envers les communistes ont été reprises, par la suite par d’autres groupuscules de gauche, tel que Ech-Choola, créé en 1973 ; leur journal s’en prenait "aux opportunistes droitiers, révisionnistes et réformistes, qui croient que le mouvement étudiant doit défendre uniquement les intérêts matériels des étudiants" (315). On critiquait également leur attitude paisible envers le pouvoir, "ces opportunistes qui se prétendent ‘communistes’ (en fait révisionnistes et social-réformistes) ont déployé un zèle énorme au service du (311) Ibid, p. 4. (312) Ibid, p. 3. (313) GEAST, Mouvement de février 1972 en Tunisie … op. cit., p. 8. (314) Ibid, p. 9. (315) Ech-Choola, février 1976, "Mouvement de jeunes et mouvement étudiant", p. 13 (en arabe). pouvoir bourguibiste" (316). Ce discours très violent envers les communistes reflète en réalité le degré de radicalisation du mouvement étudiant envers le pouvoir. C’était l’époque où l’on scandait le slogan de "rupture organisationnelle et politique avec le régime". LE POUVOIR COMME CAUSE DE LA RADICALISATION En l’absence d’opposition politique légale et de presse libre en Tunisie, les étudiants tunisiens de Paris se sont chargés de combler le vide, sachant qu’ils ont été eux-mêmes exclus de la centrale estudiantine. Loin de tout contrôle, leur journal Perspectives, édité à Paris et diffusé même à Tunis, contribue par ses critiques acerbes contre le régime à la création d’un climat favorable à la radicalisation. Ce journal, publié jusqu’en 1972, a été relayé par d’autres journaux clandestins édités en France, par des groupuscules étudiants, tels que El-Amel Tounsi (Le travailleur tunisien), Ech-Choola (La flambée)… La politique d’exclusion et de marginalisation que le pouvoir a essayé d’imposer au pays, n’a abouti, en fin de compte, qu’à la radicalisation de la jeunesse estudiantine. Cette radicalisation va en recrudescence pour durer longtemps. Dès les débuts des années soixante et surtout pendant les années soixante-dix et jusqu’après, la scène estudiantine fut l’unique espace où l’on critiquait ouvertement le pouvoir, ses choix et ses orientations. D’une façon générale, les critiques formulées à l’encontre du pouvoir dans les années soixante n’étaient pas les mêmes que celles des années soixante-dix. Pendant la première période, les perspectivistes critiquèrent la politique économique coopérativiste (316) Ech-Choola, "Le mouvement de février, aube d’une ère nouvelle", ronéo, février 1974, 8 p. menée en Tunisie de 1961 jusqu’en 1969, pour démontrer qu’elle n’est pas socialiste, et que par conséquent ils étaient les seuls capables de représenter le vrai socialisme. Rappelons dans ce cadre qu’en octobre 1964, le parti au pouvoir, le Néo-Destour, changea de nom pour devenir le Parti Socialiste Destourien (PSD). Le socialisme destourien est désormais la doctrine officielle de l’Etat tunisien. Dans leurs écrits, les perspectivistes essayèrent de démontrer que ce socialisme n’est pas "authentique" parce qu’il "veut ‘socialiser les revenus de la terre, non la terre ellemême’" (317) qu’il "préconise une collaboration entre les diverses classes sociales…" (318), ce qui veut dire qu’il n’admet pas "la réalité des luttes de classes" : pour eux, le socialisme destourien se veut essentiellement empiriste (319). Quant aux coopératives ou unités de productions agricoles créées par l’Etat, elles s’insèrent "dans un contexte général de pseudocoopération" (320). Ils estiment que, "la coopérative agricole tunisienne se soucie peu des égalités des conditions" de ses adhérents, contrairement, disent-ils, à "la caractéristique fondamentale d’une coopérative socialiste (qui) réside dans le fait qu’elle regroupe au départ des adhérents de conditions sociales identiques" (321). On critique également la politique de planification suivie par l’Etat parce que "élaborée dans des bureaux, par des ‘technocrates’". Pour les perspectivistes, "la véritable et unique planification est la planification démocratique, la seule qui réponde aux aspirations et aux volontés des (317) Perspectives, n° 4, juillet 1964, "Editorial", p. 2. (318) Perspectives, n° 5, 1964, "L’U.G.T.T. : L’heure du choix", p. 7. (319) GEAST, Les caractéristiques de la période actuelle op. cit., p. 7. (320) Perspectives, n° 1, décembre 1963, " Les problèmes agraires en Tunisie", p. 12. (321) Perspectives, n° 3, avril 1964, "La coopération agraire en Tunisie (3)", p. 27. masses populaires" (322). Ces critiques d’ordre théorique et conceptuel vont disparaître après l’abandon de l’expérience coopérativiste en septembre 1969; les perspectivistes et les autres groupes de gauche estudiantine, ne sont plus obligés de polémiquer sur les orientations socialistes du pouvoir. Leurs critiques porteront désormais sur d’autres thèmes majeurs tels que la répression qui s’abat sur le mouvement étudiant, les conséquences négatives du libéralisme économique, les luttes sociales, les relations extérieures du régime…etc. Au niveau politique, le journal Perspectives consacrait des numéros entiers aux premiers procès intentés contre les membres du GEAST, respectivement en décembre 1966, juillet 1967 et septembre 1969. A chaque fois, il menait une campagne de solidarité pour la libération des condamnés, lesquels furent présentés comme des résistants qui ne firent aucune concession quant à leurs principes. Et en corollaire, on condamne la politique répressive du pouvoir, la situation dans les prisons tunisiennes, la torture, la police parallèle… Dans les journaux d’El-Amel Tounsi (1969-1980) et Ech-Choola (1974-1980), publiés en France et diffusés dans les milieux étudiants tunisiens, les principaux mots-chefs et slogans sont les suivants: « les grèves ouvrières, les luttes des travailleurs, la cherté de la vie, la lutte contre la bourgeoisie, la répression fasciste, la montée du fascisme en Tunisie, l’étouffement des syndicats et des organisations, le bourguibisme en crise, la résistance des prisonniers politiques, mobilisons-nous contre la répression, le fascisme dernière arme de la réaction pour sortir de sa crise, le mythe de l’unité nationale, Bourguiba valet de l’impérialisme… ». Ces titres montrent le niveau (322) Perspectives, n° 2, février 1964, "Pour la véritable conversion de la forêt du Sahel", p. 28. élevé de la radicalisation du discours étudiant. A cette époque, les étudiants n’étaient pas prêts à concevoir ou admettre une solution de la crise syndicale, ils n’avaient plus confiance au pouvoir dont la propagande ne cesse de provoquer et de compromettre les étudiants aux yeux de l’opinion publique. CONCLUSION Née dans le milieu étudiant, la nouvelle gauche restait pendant près de dix ans le mouvement d’opposition le plus important en Tunisie ; c’est pourquoi, elle a subi la répression la plus dure et une justice d’exception aux ordres du pouvoir. Mais si elle n’a pas réussi à devenir, comme elle espérait, un parti révolutionnaire de masse, c’est parce qu’elle restait accrochée au milieu étudiant, dirigée par des étudiants éternels, ce qui lui a permis, par ailleurs, de contribuer grandement à la radicalisation du mouvement étudiant. Tous les groupuscules de gauche, nationalistes ou même islamistes, nés dans les années soixante-dix, n’arrivaient pas à sortir de son sillage. Le mouvement étudiant était à l’époque le berceau du futur échiquier politique tunisien des décennies suivantes. SOFIANE BOUDHIBA. DE L’UNIVERSITE A LA RUE : LE RÔLE DES ÉTUDIANTS TUNISIENS DANS LA RÉVOLUTION DU JASMIN Université de Tunis INTRODUCTION Le 14 janvier 2011 fera certainement date dans l’histoire moderne du monde arabe et africain. Pour la première fois dans un pays arabe et africain, un « Président-dinosaure » est chassé par son propre peuple : c’est la Révolution du jasmin. Deux semaines plus tard, l’Egypte engagera avec le même succès son propre mouvement révolutionnaire. Depuis, de nombreux pays nord-africains ont été secoués par un intense mouvement de rébellions populaires. Cet article s’attache à explorer le rôle des étudiants dans ces mouvements populaires. Il s’intéressera plus particulièrement au cas de la Tunisie. La réflexion s’articulera autour de trois grandes parties. La première montre dans quelle mesure les étudiants, en s’appropriant la rue, ont effectivement largement contribué à initier, porter puis achever la révolution en Tunisie. Il s’agira ensuite de comprendre quelles étaient les besoins et les préoccupations majeurs des étudiants dans les mouvements de contestation : avaient-ils une idéologie, ou étaient-ils de simples « soixante-huitards » ? La troisième partie de l’article se propose d’examiner le rôle des étudiants dans la phase de transition démocratique et de construction d’un nouvel ordre politique dans le pays. Ce sera également l’occasion de voir dans quelle mesure les gouvernements de transition ont mis en place des mécanismes pour mieux intégrer les étudiants tunisiens dans la société postrévolutionnaire (changement des programmes à l’Université, stratégies d’emploi pour les jeunes diplômés, consultation des syndicats d’étudiants,…). 1. LES ÉTUDIANTS AU CŒUR DE LA RÉVOLUTION DU JASMIN Il faut reconnaître aujourd’hui que les jeunes ont été les premiers à descendre dans la rue, et ont de ce fait largement contribué à initier, porter puis achever la révolution en Tunisie. Parmi ces jeunes, on avait noté la présence de nombreux étudiants. Il est vrai que les mouvements de contestation ont toujours existé au sein des universités tunisiennes, dans lesquels les grèves étaient asses courantes, pour dénoncer les dérives du régime de Ben Ali. A. Les syndicats étudiants Les universités étaient ainsi considérées comme des creusets de contestation, les étudiants étant généralement affiliés à l’un des deux syndicats étudiants, si fortement politisés qu’ils étaient davantage assimilés à des partis politiques qu’à des syndicats : l’UGTE (Union Générale Tunisienne des Etudiants), de tendance islamique, ou l’UGET (Union Générale des Etudiants Tunisiens), de gauche. Certains étudiants, plus rares étaient de mouvance marxiste-léniniste. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle une police universitaire avait été créée dans les années 1990, et ne sera démantelée qu’aux lendemains de la révolution tunisienne. Cette police particulière était officiellement chargée de maintenir l’ordre et éviter les crimes à l’intérieur des enceintes universitaire. En réalité, cette force de police particulière avait pour mission de renseigner les mouvements hostiles au régime, et si besoin incarcérer les étudiants leaders des mouvements de contestation. B. Les étudiants dans la révolution Les étudiants tunisiens sont assez discrets pendant les premiers jours des troubles qui secouent le pays, car nous sommes en pleine période de vacances scolaires. Les universités sont alors fermées, et les étudiants dispersés dans leurs foyers respectifs. Mais alors que les affrontements se poursuivent à l’intérieur du pays, à Sidi Bouzid et Kasserine notamment, après deux semaines de vacances, la rentrée scolaire du 3 janvier va donner un nouveau souffle au mouvement de contestation populaire323. En effet, des milliers de lycéens et d’étudiants vont spontanément rejoindre les manifestants, dans les rues. Le dimanche précédent la rentrée, des appels à manifester sont relayés sur Facebook et Twitter auprès de la communauté des étudiants, afin qu’ils manifestent leur solidarité avec le mouvement de contestation. Des vidéos, des images et des témoignages sont partagés. Les étudiants, qui maitrisent bien les réseaux sociaux, sont ainsi mobilisés dès avant leur retour à l’université. Par ailleurs, une fois sur place, ils vont discuter directement et s’encourager mutuellement, créant un mouvement qui n’est pas sans rappeler mai 1968. Désormais, les étudiants sont systématiquement présents dans les manifestations qui secouent l’ensemble du pays. Leur présence est d’autant plus encouragée par le fait qu’ils sont en vacances, et que de plus les universités annoncent qu’elles n’ouvriront pas en ce débit de janvier, étant donnée la situation alarmante du pays. Dans certaines manifestations, ils sont même majoritaires, comme en ce 3 janvier 2011, lorsque 250 étudiants manifestent à Thala contre le chômage et la hausse du coût de la vie. Ils défilent en soutien aux manifestants de Sidi Bouzid, et sont violement dispersées par la police. Ils font ce Lecomte Romain, Révolution tunisienne et Internet : le rôle des médias sociaux, in L’année du Maghreb, VII, 2011 323 que personne d’autre n’vait osé faire auparavant : ils mettent le feu au bureau régional du RCD (Rassemblement Constitutionnel Démocratique), le parti unique au pouvoir. Le 10 janvier, les étudiants de l’Université El Manar à Tunis manifestent, et la police anti-émeute assiège l’université, où plusieurs centaines d'étudiants se sont retranchés. Les cours sont suspendus, les universités ferment leurs portes à peine ouvertes, et les examens du premier semestre sont ajournés. 2. LES PRÉOCCUPATIONS DES ÉTUDIANTS Après avoir constaté la forte implication des étudiants tunisiens dans la révolution, et notamment dans sa deuxième phase, nous allons tenter à présent de voir quels mobiles les poussaient à risquer leurs vies dans les rues. A. L’éducation Les 300 000 étudiants tunisiens constituent une souspopulation fortement éduquée. Paradoxalement, ce niveau d’éducation élevé va poser un sérieux problème au régime en place, et être à l’origine de leur mouvement de contestation. En effet, les étudiants sont capables d’émettre des raisonnements complexes, peuvent mener une analyse cohérente des discours politiques, et d’une manière général ont la capacité de comprendre que leurs dirigeants politiques ont engagé le pays sur la mauvaise voie. Alors qu’une population illettrée acclame le dictateur qui les affame, les intellectuels sont plus aptes à réagir. Par ailleurs, ce qui distingue l’étudiant des « anciens étudiants », c’est-à-dire ceux qui, après avoir fréquenté l’université, sont aujourd’hui employés, c’est précisément la fait qu’ils ont « envie de révolutionner le monde ». B. Internet En Tunisie, Internet a connu un énorme succès, et la plupart des foyers ont un accès direct ou indirect (via les cybercafés, très populaires) à Internet. Le tunisien est un grand amateur de Facebook, qui a joué un rôle central dans l’organisation des grands rassemblements. Les étudiants tunisiens, en particulier, sauront faire usage des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication) pour faire chuter le régime de Ben Ali. En effet, ils ont acquis - ou sont en train d’acquérir - une bonne connaissance des techniques informatiques, des réseaux sociaux, de la langue anglaise, autant de savoir-faire qui lui permettra de participer pleinement à la révolution tunisienne, que l’on a souvent qualifiée de « révolution 2.0 », pour le rôle majeur joué par Internet, et en particulier facebook et twitter. Or, les forces de police tunisiennes ont pris l’habitude de contrôler les petits rassemblements publics dans les cafés et les mosquées, avant qu’ils ne prennent de l’ampleur, mais ont eu apparemment de grandes difficultés à déjouer les « e-rendez-vous ». C. Les rassemblements Les étudiants constituent un groupe social particulièrement solidaire et cohérent, capable d’engager une action commune. A l’image de certains insectes, tels que les fourmis ou les abeilles, ils peuvent se concerter, prendre une décision commune, malgré la diversité des avis, et surtout ils sont capable d’agir en commun. Les étudiants tunisiens étaient donc un groupe qui avait le mérite de mobiliser. Par ailleurs, les étudiants sont par définition un groupe très nombreux, et c’est dans ce contexte qu’ils ont assuré le « deuxième souffle » de la révolution, à l’occasion de la rentrée universitaire. Le Président Ben Ali l’avait bien compris, en décrétant la fermeture de tous les établissements universitaires du pays. D. L’emploi Les étudiants ont été fortement mobilisés, car interpelés par le suicide spectaculaire de Mohamed Bouazizi, jeune diplômé au chômage. Il est vrai que, en 2009 le taux de chômage des diplômés de l’enseignement supérieur a dépassé 36% au Kef, à Siliana, Kairouan et Kasserine. Il a même atteint 42.4% à Jendouba, 44,4% à Sidi Bouzid, 44,8% à Gafsa et 47% à Kébili. En Tunisie, le taux de chômage est aujourd’hui supérieur à 15%, et pourrait dépasser la barre des 20% si l’on prend en compte les emplois précaires (femmes de ménage, ouvriers du bâtiment travaillant à la journée, vendeurs à la sauvette,…). Comparée aux autres pays du Sud, la Tunisie se distingue toutefois par un taux de chômage particulièrement élevé parmi les diplômés du supérieur. Les jeunes diplômés, qui viennent d’obtenir leur licence, sont ainsi tentés de poursuivre leurs études, et d’entamer un troisième cycle (Master recherche ou master professionnel), car ils n’ont pas trouvé d’emploi, et préfèrent occuper leurs jours à étudier plutôt que de ne rien faire. Une étude récente menée conjointement par la Banque Mondiale et le Ministère de l’emploi tunisien324, avait abouti à une conclusion alarmante : 46% des diplômés du supérieur en 2004 n’avaient toujours pas trouvé d’emploi, 18 mois après la fin de leurs études. Les taux de chômage chez les diplômés de l’université varient République Tunisienne, Dynamique de l’emploi et adéquation de la formation parmi les diplômés universitaire, vol.1: Rapport sur l’insertion des diplômés de l’année 2004, Banque Mondiale, Tunis, 2008 324 de 47.1% chez les licenciés en droit ou en économie, à 43.2% chez les diplômés en sciences sociales, avec des pics de 68% chez les juristes. En aval, l’emploi public a chuté de 25% à la fin des années 1980 à 21% en 2010. La Tunisie devrait atteindre un taux de croissance économique de 10% pour être en mesure d’offrir suffisamment d’emplois à ses jeunes et résorber la crise de l’emploi. Or, on sait que malgré son statut de « pays émergent », la Tunisie n’avait jamais dépassé le seuil de 5% de croissance annuelle du PIB, même dans ses plus belles années. Par ailleurs, l’émigration constituait autrefois une alternative pour les jeunes les plus qualifiés. Or, depuis la fermeture des frontières de l’Europe et les restrictions des accords Schengen, il y a eu une véritable explosion de la migration clandestine vers l’Europe du Sud, en particulier l’Italie et la France. Nous reviendrons infra vers ce point. Une telle situation, qui s’inscrit dans la durée, va finalement créer un sentiment de frustration chez les jeunes, mais également leurs familles qui ont effectué de gros sacrifices pour achever leur cycle universitaire. Cette déception va ainsi pousser les étudiants à grossir les rangs des contestataires et participer d’une manière particulièrement active à la révolution. Contrairement à d’autres groupes de demandeurs d’emploi, les étudiants tunisiens se caractérisent ainsi par des attentes exagérées, liées au niveau d’éducation. E. L’urbanisation 67% de la population tunisienne est urbanisée. Or, la particularité de la révolution du jasmin est, précisément, la concentration de tous les grands évènements dans les grandes places des villes. La plupart des évènements de la révolution du jasmin (immolation de Mohamed Bouazizi, incendie des postes de police, assaut du ministère de l’intérieur, sit-in devant le premier ministère,…), se sont produits devant les symboles du régime de Ben Ali, et en particulier les sièges de gouvernorat, les hôtels de ville, ou les sièges des entreprises du clan présidentiel. Il s’agit là d’espaces urbains. L’université est, précisément, un espace urbain, et en Tunisie les campus sont proches des centres des villes. De ce fait, les grands rassemblements estudiantins avaient lieu dans les facultés, puis dans un deuxième temps, les groupes d’étudiants se dirigeaient vers les grandes places des centres villes. L’avenue Habib Bourguiba, par exemple, où se trouve le ministère de l’intérieur, et où se concentraient les rassemblements populaires à veille de la fuite de Ben Ali, est à quelques minutes de marche de l’université de Tunis. F. L’émancipation des femmes Des décennies d’éducation, une forte ouverture du pays sur le monde extérieur, la mondialisation, sont autant de facteurs qui ont fortement contribué à l’émancipation de la femme tunisienne. Or, les femmes constituent environ 62% des étudiants. Les étudiants ont ainsi été très présentes dans les rangs des manifestants contre le régime. 3. LES ÉTUDIANTS APRÈS LA RÉVOLUTION Après avoir vérifié le rôle majeur joué par les étudiants dans la révolution tunisienne, essayons à présent de voir dans quelle mesure ils ont continué de participer à la vie post-révolutionnaire du pays. A. Les acquis Aujourd’hui, trois ans après l’avènement de la révolution, on peut dresser un premier bilan, relativement positif, au niveau des étudiants. a / La démocratisation de l’université Il est certain que l’acquis majeur de la révolution tunisienne a été la démocratisation de la société et la liberté. Au niveau de l’université tunisienne, les changements sont immédiats, tangibles : liberté de penser, liberté d’expression, désormais plus aucin sujet n’est tabou au sein de l’Université. De nombreux colloques ont ainsi été organisés sur des thèmes autrefois tabous : le pluralisme politique, les défaillances du gouvernement, la pauvreté, les inégaliutés sociales,... Pou rffectuer leus stages, les étudiants ont maintenant accès aux lieux les plus fermés: les prisons, les casernes, les centres de désintoxication,... b / La disparition de la police universitaire En février 2011, lorsque la rentrée scolaire et universitaire a enfin lieu, la police universitaire est supprimée. Cette unité de la police nationale représentait la main mise du pouvoir sur l’Université. Sa suppression signifie clairement que l’Université a gagné sa liberté, et qu’elle enfin devenue un espace d’échanges scientifiques, libre de toute ingérence extra-académique. B. Les problèmes persistants Malgré ces acquis, trois ans après la révolution, il faut reconnaitre que le bolan reste mitigé au niveau de l’université. En effet, les étudiants continuent de souffrir de nombreux maux. Voyons cela de plus près. a / Le chômage des diplômés Bien que l’emploi et l’accès à une vie décente aient été les principales revendications des étudiants tunisiens, bien peu de progrès ont été réalisés en ce sens. Ainsi, le taux de chômage est aujourd’hui supérieur à 17%325, et pourrait dépasser à terme la barre des 20% si les effets de la crise économique que traverse le pays depuis la révolution perdurent. On l’a bien vu, le chômage des diplômés et la précarité de l’emploi étaient à la base d’une partie des revendications de la jeunesse. Pourtant, contrairement aux attentes, la révolution n’a guère réglé la question de l’emploi en Tunisie. Elle aura, au contraire, rendu la situation encore plus difficile. Les taux de chômage ont ainsi explosé, passant de 15% en 2012 à plus de 20% aujourd’hui. Deux raisons majeures expliquent cela. D’abord, on se rend compte aujourd’hui que le gouvernement du Président Ben Ali manipulait les chiffres. En effet, la publication des statistiques de l’emploi par l’INS (Institut National de Statistiques) était sévèrement contrôlée par les autorités, et il n’était pas question de publier des chiffres qui nuiraient à l’image de marque du pays et ses dirigeants. On peut donc supposer qu’une partie de la hausse visible du chômage n’est en fait rien moins qu’un réajustement des statistiques, vers plus de réalisme. Il faut reconnaître toutefois que, malgré la nébuleuse des chiffres, la situation de l’emploi des jeunes diplômés s’est nettement dégradée depuis l’avènement de la révolution du jasmin. En effet, l’instabilité politique qui perdure encore à ce jour, la détérioration du 325 Ministère de l’emploi, Tunisie, 2012 système sécuritaire intérieur, les menaces de terrorisme extrémiste, ont découragé les investisseurs étrangers, et ont même poussé, dans certains cas, des firmes multinationales à quitter le pays, pour s’implanter vers des pays offrant des coûts de main d’œuvre similaires (le Maroc en particulier). Par ailleurs, la démocratisation brutale du pays a entraîné le renforcement du pouvoir syndical, ainsi que l’apparition de nouveaux comportements dans le monde du travail. C’est ainsi que les travailleurs ont pris conscience que, insatisfaits, ils pouvaient faire pression sur leur employeur, au travers de grèves, sit-in ou autres actions autrefois interdites. De telles pratiques nuisent toutefois à image du pays, et réduisent notamment l’attraction qu’exerçait le tissu économique tunisien sur les investisseurs européens. La régression des IDE (Investissements Directs Etrangers), la fermeture de centaines de manufactures, et le recul du secteur touristique ont donc aggravé le chômage dans le pays, au travers du gel des recrutements, des licenciements économiques, ainsi que du recul de l’entreprenariat326. Pour les mêmes raisons, de nombreux touristes ont décidé de passer leurs vacances ailleurs qu’en Tunisie. Beaucoup d’annulation sont été enregistrées au niveau des hôtels, ce qui a entraîné un effondrement du secteur touristique327 et un gel des recrutements des nombreux étudiants stagiaires des écoles de tourisme328. C’est ainsi que, alors qu’il faudrait créer 140 000 emplois chaque année pour répondre à la demande du marché, la Tunisie peine actuellement à créer 40 000 emplois par an. Ainsi, contrairement aux attentes, la révolution n’a guère réglé la question de l’emploi des jeunes diplômés en Tunisie. Pourtant, on l’a vu, le chômage et la précarité de l’emploi étaient à la base d’une partie des revendications des étudiants. Par ailleurs, comparée aux autres pays du Sud, la Tunisie se distingue par un taux de chômage particulièrement élevé parmi les diplômés du supérieur329. Certaines filières universitaires des sciences humaines et sociales sont désignées comme des « diplômes de chômeurs », et en particulier l’Arabe, la Philosophie ou la Sociologie. Seules quelques spécialités techniques semblent encore garantir à court terme un emploi stable, comme par exemple l’informatique ou le génie. Signalons toutefois que les taux de chômage de ces filières atteignent tout de même 25%330. En amont, cette situation dramatique semblerait due à une trop forte démographie estudiantine, elle-même causée par la démocratisation de l’enseignement supérieur. C’est ainsi que la quasi gratuité de l’inscription dans une université publique331, ainsi que le subventionnement des prestations para-universitaires (foyers universitaires, cantines,…) ont favorisé une éducation supérieur de masse. Aujourd’hui, on commence d’ailleurs à remettre en cause cette Rappelons que Mohamed Bouazizi était chômeur, bien que titulaire d’un diplôme universitaire 330 Banque Africaine de Développement, Révolution tunisienne : enjeux et perspectives économique, BAD, Tunis, March 2011, p.2 331 De 30 Dinars Tunisiens (DT) pour l’inscription en Licence à 100 DT pour le Doctorat, soit environ 15 à 50 Euros 329 La situation économique n’est pas favorable à la création de nouvelles PME 327 Il faut également prendre en compte les effets du mois de Ramadhan, qui a coïncidé ces dernières années avec la haute saison touristique de juillet-août 328 Les étudiants de l’école de tourisme de Sidi Dhrif, en particulier, ont souffert de la situation 326 assistance exagérée de l’étudiant tunisien, car on se rend compte qu’elle tire l’enseignement supérieur vers le bas. b / La mise a l’écart de la scène politique L’autre problème dont ont eu à pâtir les étudiants a été leur mise à l’écart systématique, peu de temps après la mise en place du nouveau gouvernement. Trop imprévisibles, jugés insuffisamment matures, et surtout n’ayant aucun expérience politique, les étudiants ont été tenus à l’écart des prises de décision, une fois le régime dictatorial tombé. CONCLUSION Difficiles à contrôler, impétueux, éduqués et formés aux nouvelles technologies de communication, les étudiants et étudiantes tunisiens ont, assurément joué un rôle de premier plan dans la Révolution du jasmin. Nous avons eu l’occasion de souligner que c’est dans une deuxième phase, correspondant à la rentrée scolaire et au retour massif des étudiants dans leurs universités respectives, que la révolution a pris un deuxième souffle et a pu être achevée, par la fuit du Président Ben Ali. Au seuil de cette analyse, il convient de réfléchir sur les lendemains de la révolution du jasmin, en ce qui concerne les étudiants. Il semblerait que, bien qu’ils aient été des acteurs de premier plan, peu de place leur a été réservée dans la Tunisie postrévolutionnaire. On déplore, par ailleurs, le fait que de nombreuses revendications n’ont toujours pas été satisfaites aujourd’hui, et en particulier ne ce qui concerne le chômage des jeunes diplômés du supérieur. Les étudiants tunisiens n’ont toutefois pas abandonné la lutte, puisqu’ils continuent de manifester leur insatisfaction, voir leur colère. C’est ainsi, par exemple, qu’une «Journée de la colère des jeunes» vient d’être décrétée à Tunis, au travers d’une grande manifestation organisée par l'Union Générale des Etudiants de Tunis (UGET) et de l'Union des Diplômés au Chômage (UDC), en collaboration avec le mouvement Tamarrod. Dans le cadre de cette journée, plusieurs centaines de jeunes étudiants, se sont d'abord rassemblés devant le théâtre municipal de Tunis. Tous ont fait le même constat : un échec cuisant des tentatives pour faire avancer le dialogue national entre les différentes parties politiques enfonçant davantage la Tunisie dans la crise. BIBLIOGRAPHIE II – ANNÉES 1990 2010 : LE TEMPS DES AJUSTEMENTS Banque Africaine de Développement, Révolution tunisienne : enjeux et perspectives économique, BAD, Tunis, March 2011 ; Bouhdiba Sofiane, Les dimensions sociodémographiques de la révolution du jasmin, in Actes du congrès de l’AIDELF, Ouagadougou, 2012 ; Les révolutions dans le monde arabe: un an après, Maghreb-Machreq n. 210, Winter 2011/2012, Paris ; Lecomte Romain, Révolution tunisienne et Internet : le rôle des médias sociaux, in L’année du Maghreb, VII, 2011 ; Après-midi sous la Présidence de Richard Banégas et Pierre Boilley Meddeb Abdelwaheb, Printemps de Tunis, la métamorphose de l`histoire, Albin Michel, Paris, 2011. Mokeddem Khedija, Le soulèvement tunisien, une révolte inattendue?, in Africa review of books, volume 8 number 1, Dakar, March 2012. Siino François, L’Université tunisienne banalisée. Mise à niveau libérale et dépolitisation, in Annuaire de l’Afrique du Nord, tome XL, CNRS, Paris, 2002 ; Atelier 5 : Le syndicalisme étudiant comme outil de légitimation 14h-14h45 : La Fédération étudiante et scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI) : Assani Adjagbe, Abdoulaye Bamba et André Dominique Yapi Yapi From Mobilization to institutionalization? Students political activism in Mali and Kenya: Anna Deutschmann Les contestations estudiantines à l’Université de Lomé, de la radicalisation à la négociation : enjeux et conséquence (2004-2011) : Joseph Koffi Nutefé Tsigbe ASSANI ADJAGBE, ABDOULAYE BAMBA ET ANDRÉ DOMINIQUE YAPI YAPI. LA FÉDÉRATION ESTUDIANTINE ET SCOLAIRE DE CÔTE D’IVOIRE (FESCI) : LABORATOIRE D’UNE ÉLITE POLITIQUE 1990-2010? BAMBA Abdoulaye, Enseignant-Chercheur, Département d’Histoire, Université Félix Houphouët Boigny (Côte d’Ivoire) ; YAPI YAPI André Dominique, Enseignant-Chercheur, Département d’Histoire, Université Félix Houphouët Boigny (Côte d’Ivoire) ; Assani ADJAGBE, Doctorant en Histoire, IMAF/ Université Paris 1/ Université Félix Houphouët Boigny de Cocody. RÉSUMÉ L’avènement des mouvements étudiants en Afrique et ailleurs dans le monde est très largement tributaire du contexte global de la période dans laquelle ceux-ci émergent. Le vent de la démocratie du début des années 90 atteint progressivement plusieurs pays africains dont la Côte d’Ivoire, doublé en cela par un contexte de crispation idéologique et politique exacerbée par les effets de la crise économique332. L’effervescence socio-politique naissante est portée essentiellement par des syndicats d’enseignants mais aussi d’étudiants. Pour bon nombre d’observateurs politiques, la naissance de la FESCI se présente comme un contrepoids à la toute-puissance des mouvements étudiants333 inféodés au parti au pouvoir d’alors, le PDCIRDA. Cette nouvelle organisation, créée le 21 avril 1990, va occuper le champ laissé libre par le MEECI. Konaté (Y), « Les enfants de la balle. De la FESCI aux mouvements patriotiques », Politique Africaine, 2003/1 ? n°89, p. 49-70. 333 Il s’agit du Mouvement des Elèves et Etudiants de Côte d’Ivoire (MEECI), créé en 1968. L’espace universitaire et scolaire devient un enjeu politique majeur, dont le contrôle se fait par la maitrise des syndicats des élèves et des étudiants. La FESCI, dans ce contexte devient le syndicat le plus puissant, et la principale référence en matière de défense des droits des élèves et des étudiants. Compte tenu de son influence dans les milieux scolaire et universitaire, elle va être l’objet de tentatives de récupération de la part de partis politiques334. Le Syndicat National de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur (SYNARES) qui a aidé à la création de la FESCI est naturellement bien vu par ce syndicat. Le SYNARES comptait alors en son sein des leaders de partis d’opposition nouvellement constitués, dont le Front Populaire Ivoirien (FPI). Dès lors la FESCI, avec cette alliance obtient un solide soutien qui est prêt à la défendre. Au bout de deux décennies, la FESCI génère plusieurs leaders dont Ahipeau Martial, Soro Guillaume, Jean Blé Guirao, Blé Goudé Charles, Damanas Pickass, Karamoko Yayoro qui vont se retrouver sur la scène politique ivoirienne et devenir des acteurs incontournables. La communication entend montrer le processus par lequel ces leaders de la FESCI ont progressivement glissé sur le terrain politique. Et dans quelle mesure ce syndicat peut être considéré comme le laboratoire d’une élite politique. 332 334 Goin- Bi Zamblé (Th), "Déchaîner" les libertés académiques en Côte d’Ivoire, 11 p. INTRODUCTION Créée au début des années 90 dans le contexte du « vent de l’Est » qui a insufflé la voie multipartite dans les pays africains, la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire s’est assignée une mission : celle de contribuer à la chute du Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), parti unique au soir des indépendances. Dès cet instant, cette organisation syndicale fut de tous les combats politiques. Mais, l’un des faits marquants dans l’existence de ce syndicat, a été la propension de ses Secrétaires généraux à vouloir investir coûte que coûte le champ politique et à y laisser leurs empreintes. D’où la question de savoir, si la FESCI est un laboratoire de formation de la nouvelle élite politique de Côte d’Ivoire. Cet article se propose, à partir de sources croisées de revisiter l’histoire de ce syndicat en deux axes principaux : La lutte syndicale dans un contexte politique et social tendu (I), le terrain politique comme prolongement de la lutte syndicale (II). I. LUTTE SYNDICALE DANS UN CONTEXTE POLITIQUE TENDU L’histoire de la Côte d’Ivoire post-monopartite est particulièrement marquée par des luttes syndicales qui ont quelquefois eu des relents politiques. C’est dans cette atmosphère qu’évolue la FESCI tiraillée par les enjeux de la lutte sociale et les batailles que se livrent les partis politiques en Côte d’Ivoire. 1. Contexte politique de création la FESCI La FESCI est née dans un contexte politique tendu qui a contribué à forger son image de force qui joue le double rôle de syndicat et d’organisation para-politique. Cette naissance s’inscrit d’abord dans le vaste mouvement mondial et africain de changement de valeurs qu’il importe de rappeler pour comprendre l’orientation de la lutte sur le terrain. A ce titre, la dégradation du modèle du parti unique dans le monde à travers le « vent de l’Est », débuté avec la chute du mur de Berlin, le 9 novembre 1989, va influer sur le déclenchement et l’orientation des agitations sociopolitiques qui vont secouer certains pays de l’Afrique subsaharienne. Dans la majeure partie des cas, la contestation a pour point d’ancrage le milieu universitaire où étudiants et enseignants syndicalistes pour la plupart exposent leurs revendications dans une période économique jugée difficile. Elle s’étend, par la suite, à l’ensemble du monde du travail, puis à la population et en dernier ressort à des partis politiques clandestins qui voyaient en ces mouvements d’humeur l’occasion toute trouvée d’atteindre des objectifs inavoués. Ces mouvements, qui avaient lieu un peu partout en Afrique, ont édifié les étudiants ivoiriens sur l’efficacité des moyens et des méthodes utilisés par leurs homologues africains dans leur lutte contre les régimes à parti unique. A cette époque, malgré la censure orchestrée par les chaines de radio et télévision locales ainsi que par la presse écrite, la parade trouvée par les Ivoiriens était d’écouter les informations sur les chaines de radio étrangères Africa N°1, La Voix de l’Amérique, BBC et Radio France Internationale (RFI). Il suffisait, à cet effet, de se munir du plus banal des postes transistors pour capter ces chaines en ondes courtes. C’est ainsi qu’un événement qui se déroulait à des milliers de kilomètres d’Abidjan était déjà connu dans ses moindres détails quelques heures à peine après leur déclenchement. A ce contexte international fort instructif, vient s’ajouter une situation politique ivoirienne à rebondissements. Le régime politique ivoirien, le monopartisme, qui depuis 1959 avait imposé l’unanimisme comme mode de gestion au sein des associations avait commencé à s’affaiblir depuis le début des années 1980. Les journées nationales du dialogue de septembre 1989335 avaient donné l’occasion au Syndicat National de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur (SYNARES) d’inviter une énième fois le régime à instaurer le multipartisme et la démocratie dont le corollaire serait également la liberté syndicale. Les mouvements de contestation consécutifs aux mesures d’austérité décidées par le gouvernement ivoirien, en mars 1990, vont donner l’occasion aux forces de l’opposition au régime d’Houphouët-Boigny de s’engouffrer dans la brèche ouverte et réclamer, comme l’avait souhaité le SYNARES en 1989, la réinstauration du multipartisme. Dans ce vaste mouvement d’actions revendicatrices, on retrouve aussi bien des organisations syndicales telles que le SYNARES et le Syndicat National des Cadres Supérieurs de la Santé (SYNACASSCI) que des forces politiques en voie d’émergence telles que le Parti Républicain de Côte d’Ivoire (PRCI), le Front Populaire Ivoirien (FPI), le Parti Ouvrier Révolutionnaire de Côte d’Ivoire (PORCI) et le Parti Ivoirien des Travailleurs (PIT). Les mois de mars et avril 1990 sont donc marqués par la distribution de tracts et par l’organisation de manifestations publiques telles que les marches pour faire aboutir leurs revendications. Ce qui est perceptible au plan local, durant cette période, c’est également l’affaiblissement du Mouvement des Elèves et Etudiants de Côte d’Ivoire (MEECI) ou du moins la perte de crédit de ce mouvement Ces journées du dialogue, organisées par le gouvernement et présidées par le président Felix Houphouët Boigny, avaient pour objectif de libérer la parole et laisser ainsi toutes les couches socio-professionnelles se prononcer sur les questions d’actualité et les problèmes liés à leurs conditions de vie. 335 auprès des élèves et étudiants de Côte d’Ivoire. Depuis 1969, cette organisation dont le statut est difficile à cerner, parce que agissant tantôt en syndicat, tantôt en structure du genre des Komsomols en Union Soviétique, avait le monopole sur le terrain de l’organisation des élèves et étudiants. Il était devenu, en 1971, une section particulière du PDCI-RDA et beaucoup plus tard une sous-section du parti unique. Avec cette mutation, le MEECI passait du syndicalisme participatif à la politique pure. Vers la fin des années 1980, cette toute-puissance du MEECI va s’effriter progressivement. D’abord parce qu’elle n’est plus à même de canaliser une jeunesse de plus en plus inquiète de son avenir et engagée dans les manifestations de février-mars 1990 et, ensuite parce que l’Université nationale de Côte d’Ivoire et les différentes cités universitaires d’Abidjan sont envahies par une multitude de syndicats étudiants clandestins. Les signaux donnés par ces organisations clandestines à travers la distribution des tracts et la production d’organes d’information illégaux rompent avec le conformisme entretenu par le MEECI. L’une de ces organisations clandestines, l’Union Démocratique des Elèves et Etudiants de Côte d’Ivoire (UDEECI) dont la création remonte au 30 octobre 1988, avait à maintes reprises, à travers son support d’information, L’Etudiant, dénoncé la caporalisation de la vie politique et économique par le PDCI-RDA, la baisse de la qualité de l’enseignement, le manque d’infrastructures …. L’Etudiant s’en prenait également au MEECI dont il fustigeait le rôle dans le milieu étudiant en tant qu’ « instrument du PDCI » et qu’il considérait comme responsable dans la perversion de la jeunesse estudiantine, la tricherie, la malhonnêteté, le sens de l’irresponsabilité. Mais, surtout, ces rédacteurs dénonçaient l’inexistence de tout mouvement syndical autonome et combatif, etc336. Cette diatribe contre le MEECI était le signe annonciateur d’une prise de conscience réelle des étudiants par rapport aux changements qui se profilaient à l’horizon. C’est donc dans ce double contexte mondial et national favorables au changement que la FESCI voit le jour, le 21 avril 1990, dans une église dans le quartier de la Riviera II337 à Abidjan. Elle s’engage dès lors dans une lutte pour l’amélioration des conditions de vie et de travail des étudiants, avec le soutien bienveillant des partis de l’opposition, tous de gauche. 2. La lutte sociale et les soutiens politiques En tant qu’organisations ayant pour mission la défense des intérêts matériels et moraux de ses membres, les syndicats d’étudiants interviennent dans de nombreux domaines tels que le soutien aux étudiants en difficulté que ce soit pour des questions de logement, de bourses ou de conditions d’étude. En Côte d’Ivoire, la FESCI se présente à partir de 1990 comme la principale force à qui est dévolue ce rôle de défense des intérêts matériels et moraux des élèves et étudiants. Au départ, les revendications portent sur le surpeuplement des amphis, l’insuffisance des cités universitaires et les mauvaises conditions de vie dans ces enceintes, le nombre insuffisant de boursiers, etc. Mais au fil du temps, d’autres récriminations portant toujours sur le quotidien des élèves et étudiants viennent se greffer à ce vaste ensemble : la demande du retour des cars de transports d’étudiants lorsqu’ils sont supprimés en L’Etudiant, Journal des élèves et étudiants démocrates, n°7 de décembre 1988 & n°12 de janvier 1989. 337 La RIVIERA II est un sous-quartier chic de la commune de Cocody, un quartier huppé de la ville d’Abidjan. 336 1992 ou en guise d’alternative, un prix de la carte de bus conforme aux moyens des étudiants, la libération des étudiants emprisonnés dans les périodes de crise, la réhabilitation de la FESCI lorsqu’elle est déclarée dissoute en 1991, etc. On pourrait multiplier, à l’infini, le lot des revendications formulées par la FESCI depuis sa naissance. Mais l’un des faits marquants durant cette période, c’est le soutien dont elle a bénéficié de la part des partis de l’opposition non pas parce qu’ils sont forcément solidaires de la misère des étudiants ivoiriens, mais parce que cela leur permet de perturber et de contrarier un peu plus le pouvoir. Cette attitude s’est observée essentiellement de 1990 à 2000, période au cours de laquelle la gauche ivoirienne, représentée principalement par le FPI et le PIT, se trouve dans l’opposition au pouvoir PDCI. La période 2000-2010 est beaucoup plus une période de collaboration, la FESCI jouant plutôt un rôle de soutien au pouvoir de Laurent Gbagbo. A la vérité, cette proximité prend racine dans la décennie précédente. En effet, de 1990 à 2000, la FESCI et les partis de l’opposition avaient en partage le même destin : leurs activités étaient constamment réprimées par le pouvoir. Cette communauté de destin explique la logique d’entraide que les deux parties se sont imposées face au PDCI-RDA. Autant on retrouvait les syndicalistes de la FESCI dans les partis politiques de l’opposition, autant ces derniers s’imposaient un devoir de les secourir dans les moments difficiles. Dans la lutte engagée par ce syndicat pour l’amélioration des conditions de vie et d’étude des étudiants, hormis la distribution des tracts et des meetings organisés sur le campus de Cocody et dans les différentes cités universitaires, les canaux de diffusion des messages étaient essentiellement les journaux proches du FPI que sont Le Nouvel Horizon et La Voie devenue plus tard Notre Voie. Cette situation était dictée par l’inaccessibilité ou la censure des activités de ce syndicat imposée par la presse gouvernementale (RTI, Fraternité Matin). Mais, le soutien n’est pas que médiatique ; il prend également la forme de solidarité, même si derrière ces gestes se trouvent en réalité des visées politiques inavouées : affaiblir le régime. La crise politique consécutive à la répression des étudiants logés à la cité universitaire de Yopougon, le 17 mai 1991, en constitue l’exemple parfait. Ce soutien prend d’abord la forme d’une dénonciation des atrocités commises à la cité universitaire de Yopougon, et se poursuit, ensuite, par la demande de la mise en place d’une Commission d’enquête pour faire la lumière sur ces événements sanglants. Et lorsque le gouvernement ivoirien refuse de prendre des sanctions contre les fautifs clairement identifiés dans le rapport d’enquête et que par la même occasion le Secrétaire général de la FESCI, Martial Ahipeaud, se fait arrêter, le 11 février 1991, à la suite d’une marche de protestation, une coalition de groupements divers dans laquelle l’on retrouve la FESCI, des partis politiques de l’opposition et des organisations de défense des droits de l’homme se met en place. C’est à cette coalition que l’on doit l’organisation de la marche du 18 février 1992 qui prend une tournure dramatique avec l’arrestation de nombreuses personnalités de l’opposition telles que Laurent Gbagbo et son épouse Simone, le Président de Ligue ivoirienne des droits de l’homme (LIDHO) René Degni Ségui, etc. D’autres événements, par leurs caractères inédits, contribuent à lever le doute sur la connexion entre les deux parties : le soutien apporté par ces partis de gauche à la FESCI pour sa réhabilitation lorsqu’elle fut déclarée dissoute, le 21 juin 1991, après le meurtre de Thierry Zébié338 accusé par les étudiants d’être un loubard à la solde du pouvoir ; le soutien que Guillaume Soro, secrétaire général de la FESCI de 1996 à 1998, dit avoir reçu de Laurent Gbagbo lorsqu’il fut emprisonné en 1997339. Pour ce dernier cas, au-delà de l’esprit de solidarité et d’entraide entre la FESCI et les partis de l’opposition, la dimension sentimentale entre Guillaume Soro et Laurent Gbagbo n’est pas à ignorer ; elle en constitue est des ferrements. Les deux hommes se fréquentaient régulièrement, comme l’indique Guillaume Soro dans un témoignage sur son parcours syndical et politique : « J’ai rencontré M. Laurent Gbagbo en 1994. Il me trouvait très prometteur, j’avais un véritable respect pour lui. Pour nous, il incarnait à cette époque le changement. Nous étions très proches l’un de l’autre. Je crois qu’il m’avait en quelque sorte adopté. Je me rendais régulièrement chez lui, nous partagions le même repas »340. Leurs conversations n’avaient pas uniquement pour centre d’intérêt le système éducatif ivoirien, mais elles portaient également sur la politique ivoirienne et plus précisément le changement de régime que le leader de la FESCI et le Secrétaire général du FPI souhaitaient tous les deux. Mais, Laurent Gbagbo n’était pas le seul à exercer une influence sur les militants de la FESCI qui, comme le dit Guillaume Soro, étaient non seulement « très influencés par Thierry Zébié était un étudiant au physique impressionnant et qui était à la solde du pouvoir en place, le PDCI RDA. Il instaura avec ses amis, la terreur sur le campus et dans les cités universitaires. 339 Guillaume SORO, Pourquoi je suis devenu un rebelle. La Côte d’Ivoire au bord du gouffre, Paris, Hachette Littératures, 2005, 174 p ; p. 53. 340 Idem p.57. 338 l’émergence de la gauche » mais également par les « idées généreuses du socialisme ». Au rang des autres leaders politiques que l’on pourrait considérer comme les mentors et des « idéologues » de ce syndicat étudiant, se trouvent Zadi Zaourou de l’USD, Francis Wodié du PIT, Bamba Moriféré du PSI et l’ambassadeur Désiré Tanoé, un activiste de l’Union Nationale des Etudiants et Elèves de Côte d’Ivoire (UNEECI), adepte d’un syndicalisme politique, qui dans les années 1960 avait maille à partir avec le régime d’Houphouët-Boigny341. Les leaders du syndicalisme étudiant ont beaucoup appris de ces périodes de parrainage, de relations particulières et même de connivence avec l’opposition politique ivoirienne. Cela peut expliquer le parcours qui est le leur lorsqu’on les retrouve presque tous à faire leurs armes dans la politique quelques années après. enseignants principalement de l’Université de Cocody. Dès cette date, Ils s’instaurent des liens organiques et naturels entre la FESCI et ces partis politiques. La création du Rassemblement Des Républicains (RDR), en 1994, ne changera rien à cette donne, pas même après la naissance du Front républicain343. A sa création, la FESCI apparaissait comme un syndicat à la solde du parti de Laurent GBAGBO pour combattre le régime du PDCI RDA. Elle avait à la fois une position idéologique – discours panafricaniste, anti-impérialiste, de gauche, démocratique, etc. – et menait des interventions de plus en plus musclées qui ne laissaient aucun doute sur sa proximité avec le FPI. Au début des années 1990, au nom du principe de l’unité d’action contre le PDCI RDA, qui était alors l’adversaire à abattre, la FESCI devient l’alliée naturelle de l’opposition politique dont les quatre grands partis (FPI-USD-PIT-PSI)342 étaient dirigés par des A partir de 1998, quatre ans après la création du RDR, la division au sein du mouvement laisse apparaitre une autre configuration du syndicat. La rivalité politique entre Alassane Ouattara et Gbagbo Laurent déteint naturellement sur le mouvement et les questions idéologiques auront raison de sa cohésion. Laurent Gbagbo ayant une mainmise totale sur la FESCI rejettent les réformes démocratiques voulues par Soro pour accéder à la fonction de Secrétaire Général (SG) de la FESCI. Face à ce revers, Soro décide de changer de fusil d’épaule en 1998, année où il quitte la FESCI après un second mandat. En effet, à part une brève apparition aux côtés de Henriette Dagri Diabaté à Port-Bouët344, Secrétaire général du RDR, il réapparaitra de façon fort inattendue , en 2002, à la tête de la branche politique de la rébellion et plus tard aux côtés de Ouattara Alassane. Guillaume SORO, op.cit, p.52. 342 Le Front Populaire Ivoirien (FPI) dirigé par Laurent Gbagbo (Chercheur en Histoire), le Parti Ivoirien des Travailleurs (PIT) sous la direction de Francis Wodié ( Professeur de Droit ) , L’Union des Socio-Démocrates (USD) avec Zadi Zaourou ( professeur de stylistique), le Parti Socialiste Ivoirien (PSI) de Moriféré Bamba ( Doyen de la faculté de pharmacie). 343 Le Front Républicain était une alliance politique entre le FPI et le RDR. 344 Soro Guillaume a été colistier de Henriette D. Diabaté pour le compte du RDR aux élections législatives à Port-Bouet. II. LA POLITIQUE COMME PROLONGEMENT DE LA LUTTE SYNDICALE L’arène politique semble être la destination finale des principaux leaders syndicaux. Les partis politiques y puisent des militants qui, du reste, nourrissaient leurs propres ambitions politiques. 1. La FESCI vivier des partis politiques ? 341 D’autres leaders de ce mouvement tels que Konaté Sidiki, Doumbia Major, Karamoko Yayoro en font autant et se rangent dans le même camp confirmant ainsi leur connivence avec Alassane Ouattara. Tableau répartition des anciens membres du Bureau exécutif de la FESCI au lendemain du déclenchement de la crise militaropolitique en fonction de leur choix politique. En face, un autre bloc se forme autour de Blé Goudé. Avec lui, Jean-Yves Digbopieu, Serges Koffi, Kuyo Serges et Mian Augustin, férus de Gbagbo, ont été la branche des anciens « fescites »345 qui s’est ralliée au parti politique de Laurent Gbagbo346. Même le PDCI RDA qui avait longtemps combattu la FESCI ne put s’empêcher, une fois dans l’opposition, de chercher à recruter des anciens de ce mouvement. A ce titre, Louis Abounouan Kouakou, ancien syndicaliste et coordinateur pour le centre de la FESCI devient vice-président de la Jeunesse du PDCI RDA (JPDCI RDA). Lorsque la crise politico-militaire éclate en 2002, ce sont les mêmes leaders syndicaux qui se découpaient à la machette, qui sont à l’avant-garde tant du côté rebelle que du camp patriotique. En réalité, le syndicat était en proie à une cour assidue de certaines formations politiques qui se sont convaincus de son poids dans ce contexte de guerre. Durant cette période, deux camps d’anciens responsables ou militants de la FESCI inféodés aux partis ou groupements politiques et diamétralement opposés se font face et étalent leurs divergences politiques et idéologiques (voir tableau). Les choix politiques des leaders de ce syndicat répondaient aussi à des ambitions personnelles. Camp du parti de Laurent Gbagbo C’est un néologisme qui dérive du sigle FESCI. A ceux-là, on peut adjoindre Charles Groguhet et Moussa Touré dit Zeguen qui sont les fondateurs du Groupement des patriotes pour la paix (GPP). D’autres resteront à l’extérieur de la Côte d’Ivoire comme Appolos Dan Téhé qui a créé en Angleterre, le Mouvement pour la Liberté Totale de la Côte d’Ivoire (MTCI). Attéby William a été Député pour le compte du Parti Ivoirien des Travailleurs (PIT) et intègre par la suite le FPI de Laurent Gbagbo. Identité Poste occupé à la FESCI Charles BLE GOUDE Secrétaire à l’organisation puis Secrétaire général du syndicat (1998-2000) Jean-Yves Secrétaire général de la FESCI (2000-2002) DIBOPIEU Serges KUYO347 Secrétaire général de la FESCI (2003-2005) Serge KOFFI-BI Secrétaire général de la FESCI (2005-2008) Eugène DJUE Secrétaire général de la FESCI (1994-1995) Augustin MIAN Secrétaire général de la FESCI (depuis 2008) 345 346 Ce dernier a perdu la vie lors d’un accident de circulation en 2007 de retour d’une cérémonie à Bouaké. 347 RDR, Henriette Diabaté aux élections législatives de 2000, devient par 2. Itinéraires et ambitions politiques des leaders syndicaux Répondant à un journaliste à la veille de la fin de son mandat relativement à son avenir post syndicaliste, Kuyo Serge, Secrétaire de la FESCI en 2005, répond : « Je m’évertuerai à poursuivre mes études car, je n’ai pas eu le temps d’aller à l’école. Après, j’essaierai de m’insérer dans la vie active. Pour l’instant, pas de politique ».348 Voulait-il être l’exception de cette longue liste de Secrétaires généraux de la FESCI qui avaient basculé dans la politique ? Pas si sûr, car le terrain politique semblait en effet être la voie tracée pour la plupart des dirigeants de ce syndicat. Un survol rapide de l’itinéraire des principaux leaders invite à cette conclusion. Ahipeaud Martial, premier secrétaire de la fesci (1990-1993) après ses études en Londres, a d’abord été membre du secrétariat de l’UDPCI du Général Guéi Robert. Il créa par la suite son parti politique, l'Union pour le Développement et les Libertés (UDL) dont est le président depuis 2006. Son successeur, Eugène Djué (1994-1995), après avoir assuré la représentation du FPI en France, revient en Côte d’Ivoire pour créer l’alliance pour le sursaut national dès le début de la crise de 2002. Ensuite, vient Blé Guirao (1994-1995), intérimaire à la tête du syndicat après le départ de Martial Ahipeaud, qui a assuré jusqu’à une date récente la présidence de la jeunesse de l’UDPCI. Soro Guillaume (1995-1998), qui a été le colistier du Secrétaire général du Mayane Yapo, La FESCI, antichambre des partis politiques ? in fraternité matin du 11 mai 2005, p. 4. 348 Camp du parti d’Alassane Ouattara et de la coalition des Houphouetistes Identité Poste occupé à la FESCI Soro Guillaume Secrétaire général de la FESCI (19951998) Yayoro KARAMOKO Secrétaire adjoint de la Fesci (1995-1998) DOUMBIA Soumaïla Major Membre du Bureau Exécutif sous Soro Guillaume Siriki KONATE Membre de la section Fesci de la cité de Yopougon DRIGONE-BI Faya Membre du Bureeu exécutif sous Soro Guillaume Blé Guirao Secrétaire général-adjoint sous Eugène Djué la suite le leader de la rébellion armée. Il occupe successivement les postes de ministre de la Communication, de Premier ministre dès 2007 et devient Président de l’Assemblée Nationale après l’élection d’Alassane Ouattara en 2010. Son traditionnel ami et rival, Blé Goudé dirigea le mouvement de 1998-2000. Il part en Angleterre poursuivre ses études mais, en revient précipitamment à la suite du déclenchement de la crise militaro-politique. Il en profite pour créer l’Alliance des jeunes patriotes, un mouvement proche de Laurent GBAGBO et un peu plus tard, le Congrès de la jeunesse panafricaine et occupera le poste de ministre de la Jeunesse dans le gouvernement nommé par GBAGBO en pleine crise post-électorale. En 2001, Jean Yves Dibopieu assure la destinée de la FESCI jusqu’en 2003 et créa ensuite Solidarité Ouestafricaine (SOAF), proche de la mouvance patriotique. A ces principaux leaders, d’autres syndicalistes et non moins charismatiques n’ont pas résisté à l’appel des sirènes. Ce sont Damana Pikas, Doumbia Soumaïla Major349, Sidiki Konaté et Karamoko Yayoro. Le premier cité fut le deuxième Secrétaire général adjoint sous Blé Goudé et représentant de la Jeunesse du Front Populaire Ivoirien (JFPI) en France. Le second fut le porte-parole de la rébellion en France. Konaté Sidiki occupa, lui, le poste de porte-parole de la rébellion à Bouaké avant de devenir pendant plusieurs années ministres sous les régimes de Gbagbo et Ouattara. Enfin, Karamoko Yayoro a été l’adjoint de Soro Guillaume à la tête de la FESCI. Il devient le Secrétaire de la jeunesse du RDR et député à l’Assemblée Nationale pour le compte de ce parti depuis 2012. A la lecture de ce tableau qui révèle le parcours politique et de militant de tous ces leaders sur l’échiquier politique ivoirien, on ne peut s’empêcher de penser que la FESCI était un véritable laboratoire de formation d’une élite politique. Sur ce point, le premier Secrétaire de la FESCI, estime que la formation syndicale et toutes les exigences inhérentes à cette activité ont créé un terreau fertile à l’éclosion de cette élite politique. En effet pour lui, « Le combat que nous menions au quotidien nous mettait implicitement sur la scène politique. L’organisation jouait le rôle de parti politique, 95% de nos camarades ont été impliqués dans la chose politique. Ayant été habitués à la prise de parole, à la gestion des Ce dernier a créé, avec certains anciens de la FESCI, un parti politique en 2008 : Le Congrès panafricain pour le renouveau (CPR) dont il est le président. 349 informations, ils étaient approchés par les partis politiques. »350 Il estime que la formation syndicale ne diffère en rien de celle politique d’autant plus qu’elle donne l’occasion d’affronter les problèmes comme en politique, de gérer les hommes, de s’opposer au pouvoir politique. De sorte qu’on a l’impression que : « La politique est la continuité du travail syndical et le combat syndical te donne la carrure politique »351 Outre cette riche expérience syndicale, il ne faut pas occulter le fait que les partis politiques avaient chacun sa chapelle en milieu scolaire et universitaire. Ces jeunes dont la plupart n’ont pas de véritables diplômes ne pouvaient que répondre favorablement aux mains tendues de ces partis qui cherchaient à profiter de leur expérience afin de redynamiser la jeunesse de leur parti. Par ailleurs, l’insertion directe des ex-dirigeants de la FESCI dans la vie professionnelle était difficile pour plusieurs raisons : d’abord comme le reconnaît Serge Kuyo, la plupart n’ont pas eu le temps de faire de véritables études sanctionnées par des diplômes à l’Université de cocody. L’activisme syndical ne garantissait aucune perspective sur ce plan. Ahipeaud Martial, Soro Guillaume, Blé Goudé tous retournent à leurs études une fois leur mandat achevé. Des trois, seul Ahipeaud part de l’Université de Cocody avec une maîtrise en Histoire, il en revient avec un doctorat (PHD). Les deux autres se rendront par la suite hors du pays pour obtenir diplômes et 350 351 Entretien avec Ahipeaud martial, le 27 mars 2014 à Abidjan. Entretien avec Ahipeaud martial, le 27 mars 2014 à Abidjan. qualifications. Ici également, ils n’achèvent pas leurs parcours et reviennent au pays pour la même raison dans des camps différents. Ensuite, la deuxième raison est liée à la mauvaise réputation du mouvement dans l’opinion nationale. Les pratiques guerrières du mouvement ont contribué à le décrédibiliser auprès de la population. Les casses, les destructions de biens matériels, la violence sur les enseignants, les crises internes au mouvement avec pour corollaire des tueries, le ‘’machettage’’352, et autres pratiques barbares ont vite fait de créer un clivage entre ce mouvement et la société ivoirienne. Les « ex-fescites » sont conscients de leurs atouts politiques (de véritables mobilisateurs et leaders d’opinion) mais surtout de leurs handicaps professionnels. La politique est un débouché pour s’assurer un bien-être social, mais insuffisant jouer les premiers rôles dans la hiérarchie sociale. Soro Guillaume, recevant ses anciens amis de la FESCI en 2004 dira à propos : « Comprenez que nous jeunes des années 1990 n’avons pas les mêmes projets politiques que les GBAGBO, BEDIE, OUATTARA, rapprochons nous davantage pour nous aider les uns les autres. »353 Les ambitions politiques étaient réelles et manifestes. La convergence des intérêts des partis politiques et des ambitions individuelles des différents leaders de la FESCI expliquent que ces jeunes syndicalistes occupent plus tard des postes de responsabilité dans tous les partis politiques, du moins les plus représentatifs. Ils ont Yacouba KONATE, ‘’ Les enfants de la balle. De la FESCI aux mouvements patriotiques’’, politique africaine, n°89, mars 2003, p52. 353 Ahmed KOUADIO, ‘’Côte d’Ivoire, OPA de la FESCI’’, in jeune Afrique économique, n°353, p 77. 352 noyauté le landau politique de la Côte d’Ivoire. Même la presse n’échappe pas à cette mainmise354 où ils occupent des postes de direction à, l’effet de relayer leur vision politique. Ainsi la FESCI, telle une pieuvre, a déployé ses tentacules dans toute la Côte d’Ivoire et principalement dans toutes les officines politiques. CONCLUSION Le contexte politique et social qui prévaut en Côte d’Ivoire en 1990, au moment de la création de la FESCI, a fortement orienté les actions et prises de position de ce mouvement et par ricochet ses leaders. Si l’amélioration de conditions de vies et de travail des élèves et étudiants a été la ligne de conduite de ce syndicat dans sa trajectoire, son incursion dans la vie politique a été fortement remarquée. Sa connivence avec les partis politiques opposés au PDCI RDA, sa participation à de nombreuses activités de l’opposition ivoirienne et le rôle de « conseillers occultes » joués par les enseignants de l’Université auprès du Bureau exécutif de ce syndicat, sont le signe irréfutable de la dimension politique que la FESCI a revêtue. Le déclenchement de la crise militaro-politique en Côte d’Ivoire dès 2002 et ses prolongements a achevé de convaincre les plus sceptiques sur cette nouvelle destiné des leaders de la FESCI. Leur appartenance respective aux deux camps opposés durant la gestion de Méité Sindou a dirigé le journal, Le patriote pendant plusieurs années avant de fonder avec d’autres journalistes, transfuges de Le Patriote, un nouveau quotidien : Nord-Sud. Journal proche de RDR d’Alassane Ouattara, il est aujourd’hui Secrétaire National à la bonne gouvernance. Jean Marie Kouassi Ahoussou, fut Directeur de publication du quotidien l’inter, Sylvain konin est le directeur de publication de Le Courrier d’Abidjan, Assalé Alafé est le fondateur et ancien rédacteur en chef de l’Intelligent d’Abidjan. Ils sont tous des anciens de la FESCI. 354 cette crise doublée de leur activisme notoire démontre que le pas entre le syndicalisme et la politique a été bien franchie. Au total, après plusieurs années de vie syndicale marquée, les principaux leaders de la FESCI n’ont pu échapper au venin de la politique. Les relations avec les partis politiques et leurs expériences syndicales ont contribué à aiguiser leur appétit politique. Sur ce terrain, ils affichent une fois de plus leur détermination à jouer les premiers rôles. La conquête du pouvoir d’Etat dont chacun d’entre eux a goûté les délices reste désormais le défi à relever. Bibliographie Entretien avec Ahipeaud Martial, premier Secrétaire Général de la FESCI le 27 mars 2014 à Abidjan. GOIN- BI ZAMBLE (Th), "Déchaîner" les libertés académiques en Côte d’Ivoire, une responsabilité des universitaires, sl, sd, 11 p. GRAH MEL (F), Rencontre avec Félix Houphouët Boigny, Abidjan, Fraternité Matin éditions, 2005, 424 p. IBITOWA (Ph), Luttes syndicales étudiantes et pouvoir politique de 1990 à nos jours, Université de Cocody, 1999. KONATE (Y), « Les enfants de la balle. De la FESCI aux mouvements patriotiques », Politique africaine, 2003/1 N°89, p.49-70. KOUADIO (A) ‘’Côte d’Ivoire, OPA de la FESCI’’, Jeune Afrique économique, n°353, p. 77. L’Etudiant, journal des élèves et étudiants démocrates, n°7 de décembre 1988, n°12 de janvier 1989. LANOUE (E), « L’école à l’épreuve de la guerre ». Vers une territorialisation des politiques d’éducation en Côte d’Ivoire ?, Politique africaine, 2003/4 N°92, p. 129-143. LANOUE (E), « La société ivoirienne au fil des réformes scolaires : une politique d’éducation « intermédiaire » est-elle possible » ?, Autrepart, 2004/3, n°31, p. 93-108. POMPEY (F), Mieu (B), FESCI, syndicat ou mafia ? Jeune Afrique, n°2509, du 08au 14 février 2009 , pp28-30. ANNA DEUTSCHMANN. FROM MOBILIZATION TO INSTITUTIONALIZATION? STUDENTS’ POLITICAL ACTIVISM IN MALI AND KENYA PROTEAU (L), "La Reproduction en question". Ecole, université et mouvements sociaux en Côte d’Ivoire, CURAPP, Questions sensibles, Puf, 1999, p. 360-375. Bayreuth International Graduate School of African Studies Soro (G), Pourquoi je suis devenu un rebelle. La Côte d’Ivoire au bord du gouffre, Paris, Hachette Littératures, 2005, 174 p. Civil society agency appears to be having an impact in several Northern African countries in the context of social change. At the beginning of 2011 there were massive demonstrations and protests not only in Algeria and Tunisia, but also in various other African countries. Protests initially came from young people who went out onto the streets and organized mass demonstrations. A wave of protests motivated by poor living conditions arose and imposed pressure on the authoritarian regimes. VANGA (A. F) et al, « La violence à l’école en Côte d’Ivoire : quelle implication des syndicats d’étudiants et élèves ?, Colloque international Education, Violences, Conflits et Perspectives de Paix en Afrique, Yaoundé, 6 au 10 mars 2006, 12 p. VANGA (A. F), La violence scolaire et extra‐scolaire en Côte d’Ivoire, Education, violences, conflits et perspectives de paix en Afrique, ed (Azoh, Lanoue et Tchombé), Kartala, Paris, 2009, p. 99-112. YAPO (M), La FESCI, antichambre des partis politiques ?, Fraternité matin du 11 mai 2005, p.4. Draft. For students and young people especially the motivations stemmed from the particular precarious education and employment situation with gloomy future prospects. The unrests grew and were supported by other parts of the population and later by the international community. Protests often come from young mobilized people, and students in particular serve as an easily mobilized group. Students sometimes fixate on central social and political questions and the medium of protesting and mass demonstrations is an especially strong one for students seeking to place pressure on public figures, and governments must sometimes accord students relevant political influence (Altbach 1984). Many authoritarian regimes have acted repressively against students (e.g., in Togo, Benin, Zaire, and Kenya), but some political transformations, such as the Ethiopian revolution in 1974, did have student political activism as an important starting point (Marx 2004: 320). From 1989 onward Africa experienced a wave of liberalization (Wiedner 1997), and students were one force in the civil societies demanding democratic systems and political transformations. But students also comprise part of the (future) political elite (Lipset 1966). In the literature about the transformation and democratic process there is usually only a short remark referring to the importance of civil society and the influence of intellectuals, students and member of several associations and organizations. But there is little research about these groups and their impact in detail and especially about current transformations of those groups (there are some exceptions such as Altbach 1970,1998; Balsvik 1998; Zeilig/Ansell 2008) Students have been actively involved in the struggle for independence and have played a significant role in the liberalization and democratization of various African countries. But how do the movements themselves change after their goals have been achieved? How do the motives of student activists interact with the mobilization of student movements and their organizational structures? To answer these questions I will use empirical data from two selected complementary cases: Mali and Kenya. I will first provide a short overview of the theoretical benchmarks for the mobilization and organization of students’ political activism (1). I will outline the central historical issues, the context of mobilization of student activism, the organizational structures, and the motivations of student leaders using interviews with former and current student activists conducted between 2007 and 2013 in Mali (2) and Kenya (3). I will close the paper with the comparison of these two cases (4). 1. MOBILIZATION AND ORGANIZATION OF ACTIVISM The definitions of social movements are often open and sometimes vague. The core of most definitions is that a social movement or social movement organization (cf. Burstein1998:41) is a social actor aiming for social change. The degree of organization and other features are diverse. Dieter Rucht, for example, sees a social movement as “an effort by mobilized networks of groups or organizations to initiate, prevent or reverse social change” (Rucht 1994:22). Raschke (1985:76) defines it as a collective actor who influences social or political change. Tilly (1998:469) underlines that social movements involve collective claims on authorities and consist of a sustained challenge to power holders. Rammstedt describes social movements as representing a process supported by members of groups that do not have to be formally organized (1978:130). He classified the process into phases with the final stage marking the institutionalization and integration of the movement into the social structure (ebd.167ff.). This institutionalization is not necessarily the end of a social movement; it can also mean the stabilization of the social movement as an institution (Eder 1994: 49). Movements are initially very loosely organized, and the end or transformation of the movement can also mean its transformation into another civil society or political actor, such as interest groups, NGOs, or political parties. This depends on whether the movements are capable of being socially and politically integrated and on whether its aims have been achieved. The change of social or political structures can be reflected in modified organizational structures (such as the foundation of a political party) or in the disorganization, disappearance, or fragmentation of the movement. In order to understand the process of institutionalization it is important to consider the connection between the personal motives of the movement's actors and organizations, and of the social and political opportunity structures. Following McAdam and the theoretical approach of political opportunity structures in short, there are relevant dimensions for the rise and success of social movements, such as openness of political institutions, consensus of elites, existence of allies, and the degree of repression of the State (cf. Meyer 2004). The state and its relation to social movements, between state elites and the movement's actors, are central in this case (Amenta et al. 2002). In distinguishing between two types of success for social actors as challengers to the State, Amenta et al. refer to Gamson. First, to win new benefits and, second, to win some form of acceptance from the target of collective action (ibid.:69). Guigni (1998:383) refers to Amenta et al., defining three levels of success in an attempt to elaborate on Gamson's typology: cooptation of or recognition by opponents or the State, gains in policies that aid the group, and the transformation of challengers into members of the polity. Even though Amenta et al. distinguish between State and social movements as challengers, it might be helpful to distinguish between two parties to underline the interdependency between the social movement and the State. Mali and Kenya. These countries differ in terms of their political past, their geo-political situation, and their social structure. Both countries experienced democratization processes at the end of the 1980s and student movements took part as civil society actors promoting democratic rights. In both countries the first democratic elections took place in 1992. 2. M ALI Opportunity structures serve as the framework of the action of social movements, and the success and outcome of these movements depend on these structures (Tarrow 1994). Since the second wave of democratization (Huntington 1991) Mali has served as an important example of a relatively successful democratic process activated and supported by the civil society. Students have been an important political force since Mali’s liberation. Following independence in 1960 the first president, Modibo Keita, attempted to reorganize the subsistence-oriented country into a socialist community. A coup brought Moussa Traoré to power in 1968, and Mali was then ruled by a single-party authoritarian regime. In March 1991 mass pro-democracy rallies and nationwide strikes were held in both urban and rural communities. In the capital, Bamako, the military opened fire on participants in demonstrations organized by university students joined by trade unionists and others (cf. Marx 2004). In 1991 the regime was overthrown by a military coup d’état and the first democratic elections took place soon after. The transitional government of Moussa Touré was replaced following these elections. Until the military coup in March 2012 Mali served as an example of a successful democratic process in Africa (cf. Poulton/ag Youssouf 1998; Sissoko 2004). The interaction between political actors and social movements differs from case to case. How these processes of organization and institutionalization proceed in countries with different social and political structures will be described by the empirical case studies of The development of universities began relatively late in Mali and the university in its current form has existed since 1996 in the capital Bamako. Older educational institutions have been integrated into the university structure. Since the 1990s decentralization programs have aimed to change the centralistic political structure not only in the educational sector. because you cannot find employment. You feel as if you were not a part of the society. Excluded, in one word.ʺ The Union Nationale des Etudiants et des Elèves du Mali (UNEEM) was founded in 1979 as a student movement but was banned by the government. The student leader Abdul Karim Camara was imprisoned and died in custody (Imperato/Imperato 2008: 298). Oumar Mariko became the general secretary of the UNEEM organization, and in 1991 became the cofounder of the student organization of all pupils and students in Mali, the Association des Elèves et Etudiants du Mali (AEEM). In the transitional government students had an institutionalized voice until the first democratic elections in 1992. The activities and members of the AEEM as an advocacy group have been met with ambivalent responses (Smith 1997). Activists are sometimes described as troublemakers aiming to privilege themselves. One student in Bamako who was not a member of the AEEM remarked that, “there is no real student organization to represent the students' interests.” Instead the AEEM is “based on the personal interests” of their members. Former student activists (such as Oumar Mariko) function as role models for current AEEM members. The current AEEM is a nationwide student organization. On the university level there are representatives of all faculties. The AEEM also has a central office for nationwide coordination. Student strikes and protests sometimes lead to the closure of the university as well as to so-called années blanches: school years without instruction. The relation between state and students is contentious. Reasons for protest often relate to problems with public scholarships, a difficult educational situation, and precarious employment opportunities for graduates (Diakité 2000: 28f). Students often feel marginalized: “If I had a chance to live abroad I would like that. Yes, it is true, Mali is our country where we are born and raised. But there is no support for us, for the intellectuals. There are so many like me, educated, graduated, with the capacity to do so many things, to do research. But you graduate, you sit down and you are waiting, Current student activists see themselves as part of a tradition of influential student activism. The former role of students as civil society actors in Mali’s democratization process is an important benchmark for the perception of the socio-political meaning of the student organization and for the role of current activities. On a personal level active AEEM members underline social motives as reason for their engagement, as well as the aim to fight for a better education and social situation for students. When asked for their motivations for being engaged in the association they almost always first gave narratives about social and idealistic motivations: to fight for student rights, to solve social problems and to work for Mali’s development. One student answered: “To demand student rights! All the important men came though the AEEM. If you want to go into politics, you have to be in the AEEM. We, we’ve got one ambition, and it’s not in the AEEM, it’s in the future.” Or another activist described that the activities of the AEEM are essential. He said: “There’s too much injustice in this country, like in any African country. As student leaders we often have to confront certain situations.” Many members of the AEEM argued that their participation was first due to social motives such as “wanting to help others” and “developing the nation”. Such engagement also forms strong networks helpful in building a future career. There are multiple reasons for getting involved in student activism. Privileges such as receiving the best rooms in the dormitory (the AEEM is responsible for the administration of the halls of residence on campus) can also play a role. The political meaning of the student organization and the fact that many former student activists play a role in national politics is an important aspect for current student leaders. An AEEM-member describes the motivation for his participation in student political activism: “What motivated me is that I’m someone who’s always shared people’s problems. Someone else’s problem is my problem. That’s what made me join the AEEM. Apart from that: for political reasons. Because AEEM is really an important platform for getting a political career started. Look at our professional people, they all came through the AEEM. Even if at the beginning it wasn’t the same name, AEEM, they’re the people who came through the student association. So it’s preparation for the future, and what’s more, it’s to be useful and to serve.” Former student activists have been actively involved in the democratization process and some of the former activists still play a role in the civil society or in national politics. The motivation of current activists is multiple and influenced by the achievements of the former movement. Student leaders are politically active and they often intend to work on a future (political) career. This relates also to the opportunity structures. The organizational structure of mobilized students began with spontaneous meetings and then developed more institutionalized structures. Important objectives of the student movement such as the realization of a multi-party system and democratic elections were achieved in 1992. The AEEM as central student organization has established itself as an institutionalized structure to represent the student body. This structure can also be useful for members in terms of preparation for a future career. 3. KENYA Kenya became independent from Great Britain in 1963. Under Jomo Kenyatta the Kenya African Union (KANU) became the State party and Kenyatta extended the power of the presidential chair. Since 1967 Kenya was a de facto one-party state. But with the takeover through Moi after Kenyatta died in 1982, an article was legislated and Kenya became an one-party state de jure (Mair 1998: 239). Ethnic fragmentation and fundamental conflicts of interest in the context of land rights, as well as a clientelistic political culture, are key issues in Kenyan politics (Mair 1998: 245). An attempted coup in 1982 failed and the repression grew (Mair 1998: 247). Kenya has a relatively old and differentiated civil society structure shaped by numerous NGOs (Neubert 1994). In the middle of the 1980s civil society forces emerged, among them journalists, the law society, churches, and students. But external pressure also forced the government to reform. In 1992 the election legitimated the governing party KANU with Moi as president (Mair 1998: 239). The oldest university, the University of Nairobi, was founded in 1956 as part of the University of East Africa and became independent in 1970. Kenyatta was the first president355. There are presently universities and institutions for higher education in all parts of Kenya. Students in the 1960s benefited from public financial support and had positive career prospects. There has not been as much political activism. After 1970 political activism grew and led to confrontations with Moi’s government. The government closed the university for several months and brutally repressed any kind of demonstration (Amutabi 2002). Between the mid-1970s and mid-1990s there have occasionally been student protests that were accompanied by claims for democratic reforms. Students fought against structural adjustment programs (SAP), unemployment, and reductions in the public sector. “The students have also fought against corruption, tribalism, the grabbing of public land and police brutality. They have participated in popular protests, street demonstrations, rallies, and strikes to assert their position” (Amutabi 2002: 159). Kenyatta and Moi recognized the meaning of student political activism and attempted to control and weaken it through restrictive policy (Amutabi 2002: 159f.; Marx 2004: 320ff). interviews about their experience and about how activism influenced their life course. Some discontinued their studies and some never graduated from university. As in Mali student politics in Kenya is strongly formalized. Each university has a representation structure for students, such as the Students Organization of Nairobi (SONU)356. The structure of student politics is similar to the national parliament and there are professional election campaigns every year. Candidates and student representatives are often sponsored by national politicians. In return student leaders can be mobilized for the politician's election campaigns or for various political issues. Many students actively involved in student politics intend a future political career and name current politicians as role models and mentors who also began their political activism on campus. The campuses in Kenya (and in Mali as well) are used to develop personal skills and to build networks. One SONU-member explained, In the 1990s students of the University of Nairobi demonstrated and used different forms of civil resistance to bring Moi and the KANU under pressure (Amutabi 2002). External interventions such as those by the World Bank led to political and economic reforms (Mair 1998: 248). “…it’s good [to be a student leader] you can have opportunities to meet very influential people in the country, you know. For example when there is a workshop where they want student leaders to come for a government workshop on leadership trainings, you know you can have connections. You can get connections there that can help you in your career or maybe to get a job.” In the course of the protests students have been killed and activists have been arrested or have gone into exile. Former activists spoke in The possibility to create and develop networks is a central motivating factor for students and a reason to confront the difficulties on the way 355 Vgl. http://www.uonbi.ac.ke/ [24.04.2014] 356 Vgl. http://sonu.uonbi.ac.ke/?page_id=50 [24.4.2014] to becoming a student leader. Some students are sponsored by politicians, and clientelistic structures connect student and national politics. A former student leader explains that “Politicians want to have a foot in the university.” because “Student leaders are useful for mobilization.” It demonstrates that student activism is still an important factor. The structure of student activism has changed and student politics are formalized. The development of (student) mobilization and subsequent organization is related to national development. In Nairobi student politics emerged from a political movement against the repressive regime and changed over time into a professionalized and institutionalized structure of student politics. 4. FROM MOBILIZATION TO INSTITUTIONALIZATION Altbach ascribes students the role of a social and political barometer for their societies (1998:112). This is also true for Mali and Kenya. Phases of mobilization and organizational structures are influenced by national and international political processes. There are interconnections between national politics and student political activism in both cases. Political mobilization and organization is rooted in the political opportunity structure and connected to the motives of activists. Although the historical trajectories and social structures in Mali and Kenya are very different, in both countries the student movement has been mobilized out of political interests and to change the authoritarian political structures. They established student activism on campus and institutionalized representative structures in modified political opportunity structures. In Mali students were a strong civil society force and have been actively involved in the interim government. In Kenya students comprised one civil society actor among others, such as the law society and organized journalists. Cooperation with other civil society actors existed in both cases (with different organizations such as trade unions and churches). With political liberalization the movements institutionalized and student politics professionalized. Former student activists became politically involved on a national level and serve as role models for current student leaders. Relationships between students and the elite are an important part of student politics that offers many opportunities. Student leaders describe this relationship as one that introduces e.g. the possibility of affiliating oneself with political parties. Other options are the employment in NGOs or the foundation of NGOs as possible career options. The pursuit of representative and social objectives in addition to personal motives lead to engagement in student politics. An important part of Kenyan student politics is forming a network and attaining sponsorship by politicians. Patronage between student leaders and politicians is often influenced by ethnic structures. One student leader in Nairobi remarks “mostly it takes tribal lines you know, it is very hard to access leaders from other communities if you are not from their community.” But clientelistic structures exist in both countries. Networks between former and current student leaders also exist in Mali and social networks between the members of student organizations is one of the most important reasons for active members to participate. The movements in both countries have been transformed in terms of their social and political meaning and in terms of their organizational structure in the transforming opportunity structures. Organizational structures of the student movements have changed in the political democratization process that was influenced by civil society actors such as student movements. The movements have been institutionalized and professionalized and the entanglement of student and national politics enables possibilities for students but it can also lead to the instrumentalization of the structures. The influence and meaning of student activism has changed but is still an important aspect within the modified opportunity structures. 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Que ce soit aux Etats-Unis, en Europe, en Asie ou en Afrique, les citoyens choisissent de plus en plus les manifestations protestataires à caractère social, pour dénoncer la violation de leurs droits et surtout, pour obtenir de meilleures conditions de vie et de travail. C’est pour cette raison que Jean-Guy Vaillancourt (1991) définit un mouvement social comme étant une « action collective voulue et organisée à travers laquelle un acteur de classe, conscient de son identité et de ses intérêts propres, lutte avec un adversaire identifié et ciblé pour la direction sociale de l'historicité, dans une situation historique bien concrète ». Ces mouvements n’épargnent pas le monde universitaire qui, depuis les événements de mai 1968 en France, est rentré dans un cycle de contestations étudiantes que les pouvoirs publics résolvent soit par la répression, soit par la négociation. Au Togo, les étudiants ont bénéficié des bonnes grâces du pouvoir en place, de la création de l’Université du Bénin en 1970357 jusqu’en 1990. En effet, pendant cette période de parti unique358, les Depuis 2001, elle a changé de nom pour devenir Université de Lomé. Arrivé au pouvoir en avril 1967 à la faveur d’un coup d’Etat militaire, le président Eyadema a créé, en novembre 1969, un mouvement qui va devenir le parti unique : le 357 358 étudiants togolais étaient considérés comme les protégés du pouvoir aussi bien à Lomé qu’à l’intérieur du pays (Kpodo, 1993 : 77), étant donné que le président de la République d’alors faisait preuve de générosité à leur égard, en leur octroyant des dons en espèces, lors des congrès, séminaires et des marches de soutien (Batchana, 2013 : 2346). Mais l’explosion populaire dont Lomé a été témoin, le 5 octobre 1990 (Agboyibo, 1999), à la faveur des mutations intervenues dans la politique internationale au tournant des années 1980 (Eshetu et Jibrinn, 1995), n’a pas épargné le campus universitaire. Des étudiants togolais, regroupés dans des associations concurrentes au Mouvement national des étudiants et stagiaires du Togo (MONESTO) proche du pouvoir, réclamèrent par le biais de tracts, de graffitis, de grèves et de marches de protestations, la démocratie (Batchana, 2013 : 23-46). Depuis lors, les années académiques furent perturbées : cours interrompus par des étudiants en colère, affrontements entre apprenants ou entre eux et les forces de l’ordre, etc. Ces violences ont atteint leur paroxysme en 2004, année au cours de laquelle, plus que jamais auparavant, l’Université de Lomé s’est présentée comme un champ de tir dont la cible était les étudiants. On a assisté à la radicalisation aussi bien dans le rang des étudiants que dans celui des pouvoirs publics (Danioué, 2010 : 224). Mais à partir de 2005, avec le décès du président Eyadéma qui a opté pour la méthode forte vis-à-vis des étudiants, les nouvelles autorités ont choisi le dialogue, ce qui a conduit au retour de la sérénité sur le campus, jusqu’en 2010. Mais il Rassemblement du peuple togolais (RPT). Ce dernier a tenu en laisse les Togolais jusqu’en 1990, où il a été balayé par le vent de démocratisation qui a soufflé sur le Togo (lire Tsigbé, 2012 : 67-99). Pendant toute la période d’existence du parti unique, les seules manifestations ouvertes qu’on pouvait noter dans ce pays étaient des marches de soutien au pouvoir en place. Les associations estudiantines y ont joué un rôle de premier plan. C’est qui explique l’attention particulière que le pouvoir a porté à ces étudiants (Batchana, 2013 : 23-46). est évident que les étudiants togolais, tout comme ceux du Niger et du Burkina Faso (Sory, 2012 : 171-194) ont, malgré tout, payé un lourd tribut dans le bras de fer qui les a opposés au pouvoir. Au regard de cette réalité, il se pose la question suivante : en quoi peut-on dire que les mouvements étudiants à l’Université de Lomé ont allié, entre 1990 et 2010, politisation, radicalisation et négociation ? Quelles sont les raisons de la politisation du mouvement étudiant à l’Université de Lomé et comment s’est-elle manifestée ? Comment expliquer la radicalisation de la contestation étudiante en 2004? Comment est-on passé de la radicalisation à la négociation à partir de 2005? Quels sont les enjeux de ces mouvements pour les acteurs aussi bien du monde universitaire que de la sphère politique ? La présente contribution qui s’appuie sur les travaux scientifiques existants ainsi que sur la presse et les témoignages des acteurs de l’époque étudiée, a pour but d’analyser l’évolution des mouvements étudiants à l’Université de Lomé, de 1990 à 2010, afin de tirer les leçons qui s’imposent. 1. LES MOUVEMENTS ÉTUDIANTS À L ’UNIVERSITÉ 1990 À 2003 : QUELLE GRILLE DE LECTURE ? DE LOMÉ DE Pour mieux comprendre les raisons de la politisation du mouvement étudiant à l’Université de Lomé entre 1990 et 2003, il n’est pas superflu de présenter un bref aperçu historique de la situation ayant précédé les manifestations de l’ère de la démocratisation. 1.1. L’Université de Lomé et les mouvements étudiants avant 1990 Dans cette section, il sera question de présenter d’abord le cadre géographique et humain de l’étude avant de se pencher sur les mouvements étudiants proprement dits. 1.1.1. De l’Université du Bénin à l’Université de Lomé : les étudiants et leur cadre d’études Anciennement Université du Bénin, l’Université de Lomé (ainsi dénommée depuis 2001) est créée en 1970 par décret présidentiel n° 70-156/PR du 14 septembre 1970359. Il s’agit d’un établissement public à caractère scientifique et culturel, doté de la personnalité morale. Il dispense un enseignement laïc et indépendant de toute emprise politique. A son ouverture, l’établissement comptait cinq écoles. Il s’agit des écoles de lettres, droit, techniques économiques et de gestion, sciences et médecine. En 1988, ces écoles sont devenues des facultés et ont pris les dénominations suivantes : Faculté mixte de médecine et de pharmacie (actuellement Faculté des sciences de la santé) (FMMP devenue FSS depuis 2010), Faculté de droit (FDD), Faculté des sciences économiques et de gestion (FASEG), Faculté des lettres et sciences humaines (FLESH). L’Université de Lomé compte, par ailleurs, cinq écoles, à savoir, l'Ecole des assistants médicaux (EAM), l'Ecole supérieure d'agronomie (ESA), l'Ecole nationale supérieure d'ingénieurs (ENSI), l'Ecole supérieure de secrétariat de direction (ESSD), l'Ecole supérieure des techniques biologiques et alimentaires Lire les Textes fondamentaux de l’Université de Lomé, 3ème édition revue et augmentée, Lomé, Presses de l’UL, 2002. 359 (ESTBA). Elle dispose également de trois instituts : l'Institut national des sciences de l'éducation (INSE), l'Institut universitaire des technologies de gestion (IUT-Gestion), l'Institut des sciences de l'information, de la communication et des arts (ISICA). Enfin, elle compte un centre : le Centre informatique et de calcul (CIC)360. Carte montrant les structures de l’Université de Lomé D’une superficie totale actuelle de 270 ha, l’Université de Lomé, répartie sur deux campus (campus nord et campus sud), compte, en dehors des amphithéâtres et des salles de cours, des structures comme la bibliothèque universitaire, le restaurant, les aires de jeux, la ferme d’expérimentation agropastorale, le jardin botanique, etc. Elle loge, par ailleurs, d’autres structures de formation ne relevant pas de l’enseignement supérieur, notamment l’Ecole nationale de formation sociale (ENFS), la Direction des formations (DF), le Centre international de recherches et d’études de langue communément appelé (CIREL) Village du Bénin (VB). Enfin, on trouve sur le domaine de l’Université de Lomé, une mosquée, le Centre catholique universitaire (CCU), le Centre hospitalier universitaire (CHU) et certaines structures bancaires. La carte suivante présente toutes ces structures. Source : Tsigbé, 2014. Les structures pédagogiques représentées sur cette carte accueillent des étudiants dont le nombre ne cesse d’augmenter d’année en année. Campus Actualités, journal d’information de l’Université de Lomé, n° 012 de mai 2005, p. 3. 360 Lorsqu’elle ouvrait ses portes en 1970, l’Université de Lomé avait un effectif total de 845 étudiants. Au début des années 1980, le nombre d’inscrits est passé à 4 447. Au cours de l’année académique 1991-1992, l’effectif fut porté à 10 001. Dix ans plus tard, les inscrits ont atteint le chiffre de 14 711 étudiants361. A la rentrée universitaire 2013-2014, le nombre d’étudiants inscrits à l’Université de Lomé était estimé à 50 000. En se basant sur les chiffres de 2004-2005 et de 2011-2012, on se rend à l’évidence que l’accroissement annuel moyen des étudiants qu’accueille l’institution est de 18,01 %. Parmi les établissements d’accueil des étudiants, les Facultés sont les plus sollicitées, comme l’illustre le graphique suivant. Source : Tsigbé, à partir des données statistiques du rapport annuel 2011 de l’Université de Lomé. Selon les données de ce graphique qui présente, à titre illustratif, l’état des inscriptions enregistrées au cours de l’année académique 2010-2011, l’ordre de sollicitation des facultés est le suivant : FLESH (18 140 étudiants), FASEG (10 566), la FDD (5 464), la Les données statistiques utilisées dans cette partie sont tirées du rapport annuel 2011 de l’Université de Lomé. 361 FDS (5 189), FMMP (1042). La situation dans les autres établissements se présente comme suit : CIC : 122 inscrits ; EAM : 691 ; ENSI : 344 ; ESA : 647 ; ESSD : 259 ; ESTBA : 596 ; INSE : 566 ; ISICA : 271 ; IUTGestion : 190. La forte affluence des étudiants vers les facultés s’explique par le fait que les Facultés (excepté la FMMP) sont des établissements où les conditions d’accès ne sont pas aussi restrictives que ce qui est en vigueur dans les autres établissements. De ce fait, les problèmes de gestion des flux se posent avec plus d’acuité dans les Facultés que dans les Ecoles, Instituts et Centre. Comme on peut le constater, les effectifs des étudiants à encadrer ont atteint des proportions écrasantes. En conséquence, l’encadrement est loin d’être efficace. L’Université de Lomé est ainsi loin de remplir les normes internationales d’encadrement en vigueur. Car, selon les dispositions de l’Unesco pour les pays en voie de développement, le ratio jugé acceptable est de 30 étudiants par enseignant. Or, à l’Université de Lomé, en 2010-2011, ce ratio était de l’ordre de 92 étudiants par enseignant. Ce taux doit avoir franchi actuellement (2014) le cap de 100 étudiants par enseignant, au regard de l’évolution des effectifs. Ceux-ci, ont du mal à se loger dans les salles de cours qui leur sont attribuées. En effet, à sa création en 1970, quelques salles de cours ont été construites. Progressivement, des amphithéâtres ont été érigés pour gérer les grands groupes. C’est l’exemple des amphis 20 ans, 600, FDS, FMMP, 500 et, récemment, les amphis 1000, 1500 ainsi que l’amphi polyvalent en construction. En dehors de ces grands amphis, il en existe de petits (dans chaque établissement) ainsi que des salles de cours et quelques agoras362. Mais il est clair que ces infrastructures pédagogiques restent toujours insuffisantes ce qui pose le problème de programmation des cours et même des examens. Ce cadre de travail et les problèmes y afférents, ainsi que la massification dans l’enseignement supérieur vont amener les étudiants à s’organiser en associations et à faire des mouvements pour réclamer soit, les meilleures conditions de travail (rarement), soit les meilleures conditions de vie (le plus souvent). Ces mouvements étudiants ne datent pas d’aujourd’hui. 1.1.2. Bref aperçu historique des mouvements étudiants à l’Université de Lomé avant 1990 Les mouvements étudiants à l’Université de Lomé avant 1990 et même après, sont généralement portés par des associations estudiantines qui, pour avoir une existence légale, sont appelées à se déclarer, à l’instar de toutes autres associations, au ministère chargé de l’administration territoriale, selon les dispositions de la loi du 1er juillet 1901363. Après leur enregistrement auprès des pouvoirs publics, ces associations, pour opérer sur le campus, devront se déclarer auprès des autorités universitaires364. Au cours de la période allant de 1970 à 1990, le Togo ayant évolué sous le parti unique, des dispositions ont été prises pour dissuader toutes velléités de contestation étudiantes. Les autorités universitaires étaient mises en alerte par le régime en place pour 362Ce sont des espaces couverts (en forme d’apatam) servant de lieux d’enseignement Journal officiel de la République togolaise (JORT), du 16 avril 1946, p. 328. Il s’agit des titres I et II du décret n°46-432 du 13 mars 1946. 364 Il arrive souvent que des associations étudiantes non enregistrées auprès des pouvoirs publics opèrent contre sur le campus universitaire contre le gré des autorités universitaire. 363 étouffer tout mouvement étudiant. Ainsi, de 1970 à 1975, cette stratégie a fait que l’Université du Bénin n’a été le théâtre d’aucune manifestation étudiante. En 1976, le Mouvement national des étudiants et stagiaires togolais (MONESTO) fut créé. De mèche avec l’Association des étudiants togolais de l’Université du Bénin (AETB) qui, créé en 1970, était devenue son antenne locale en 1976, le MONESTO s’est arrangé à ne jamais organiser d’actions protestataires pour exiger les meilleures conditions de vie et de travail des étudiants, en dépit du fait qu’il avait pour objectif principal la défense des intérêts matériels et moraux de ses membres (Batchana, 2013 : 24). Les seuls mouvements qu’elle a pu organiser sont des marches de soutien au régime en place. En conséquence, même mécontents de leur sort, les étudiants de l’Université du Bénin n’ont pas réussi à mener, entre 1976 et 1990, des mouvements ouverts et violents comme ce fut le cas ailleurs en Afrique. Face à cette situation, ils ont dû recourir, de façon épisodique et clandestine, à la diffusion des tracts sur le campus et ailleurs365 (Danioué, 2010 : 205). Ainsi, le MONESTO et sa branche locale l’AETB, soutenus par d’autres structures étudiantes officielles (comme les amicales de Même cette forme de contestation n’est pas laissée impunie par les pouvoirs publics. En 1977, par exemple, dans une affaire de tract intitulé « Dix ans ça suffit » (faisant allusion aux dix ans de gouvernance du Togo par Gnassingbé Eyadema, depuis sa prise de pouvoir, en 1967, à la faveur d’un coup d’Etat) et en 1985 et 1986 dans une autre affaire dite « des professeurs égarés », des étudiants furent appréhendés pour « diffusion de tracts mensongers » (Agboyibo 1999 : 63). On peut citer, comme autre exemple, le cas de l’année 1988 où, dès janvier, des étudiants ont distribué des tracts pour dénoncer le retard accusé dans le paiement de leur bourse d’études. Par ces mêmes tracts, ils ont réclamé le paiement immédiat de leur bourse et la prise en compte de tous les étudiants nécessiteux par le programme d’aides scolaires (Danioué, 2010 : 207). 365 préfectures) ou non (allusion faite à l’Amicale des élèves et étudiants du nord-Togo –AMENTO-) ainsi que les autorités universitaires se sont organisés, de la création de l’Université du Bénin à 1990, à quadriller la population estudiantine afin de la mettre hors des agitations et des contestations, même pour des revendications légales. De même, sur le plan international, en vue de mieux surveiller les mouvements étudiants togolais de l’étranger, le MONESTO a dû créer des sections affiliées qui, en 1987, atteignirent le nombre de douze. Il s’agit de l’Association des étudiants et stagiaires du Togo au Mali (ASESTOMA), de l’Association des étudiants et stagiaires du Togo en Tunisie (AESTOT), de l’Union des étudiants et stagiaires du Togo en Algérie (UESTA), de l’Union des étudiants et stagiaires du Togo en URSS (UESTO-URSS), de l’Union des étudiants et stagiaires du Togo en Chine populaire (UESTOC), de l’Union des étudiants et stagiaires du Togo au Ghana (UESTOG), de l’Union des étudiants et stagiaires du Togo en France (UESTOF), de l’Association des étudiants et stagiaires du Togo en Côte d’Ivoire (AESTOCI), de l’Union des étudiants et stagiaires du Togo au Niger (UESTON), de l’Association des étudiants et stagiaires du Togo en Roumanie (AESTRO), de l’Association des étudiants et stagiaires du Togo au Canada (l’AESTOCA), de l’Union des étudiants et stagiaires du Togo au Sénégal (UESTS)366. Mais à partir de 1990, la situation va changer. 1.2. Les mouvements étudiants de 1990 à 2003 : de la politisation à la « normalisation » A la faveur des mutations intervenues sur la scène internationale au tournant des années 1980 ayant occasionné, au Togo, le mouvement du 5 octobre 1990, journée au cours de laquelle les Togolais ont osé critiquer vertement le régime en place et réclamer sa dissolution, le pouvoir, incarné par le parti unique (RPT), ainsi que le MONESTO et ses affiliés officiels ou non, furent publiquement désavoués par des étudiants. Très vite, ceux-ci ont créé des associations concurrentes au MONESTO. C’est le cas du Mouvement estudiantin de lutte pour la démocratie (MELD), dont les actions ont conduit au mouvement du 5 octobre 1990 sus-mentionnés367. Présidé par Têko D. Yovodevi, ce mouvement s’est assigné pour mission de militer pour l’avènement d’une démocratie multipartite et remettait publiquement en cause le caractère tribaliste des amicales préfectorales d’étudiants. Les actions du MELD étaient soutenues par d’autres mouvements estudiantins qui en étaient idéologiquement proches. Il s’agit, entre autres, du Groupe de réflexion et d’action des jeunes pour la démocratie (GRAD) présidé par Noviti Spéro Houmey, l’Organisation universitaire de lutte pour la démocratie (OULD) de Komla Aboli. Le 20 février 1991, ces trois associations se constituèrent en Collectif des mouvements de lutte pour la démocratie (Batchana, 2013 : 31). A travers sa dénomination, ce collectif s’est affiché clairement comme mouvement politique, ayant revendiqué son appartenance à la mouvance de l’opposition dite démocratique. Une fois constitué, le Le 23 août 1990, neuf étudiants sympathisants du MELD (Karakoro Bitchinidji, Ouyi Nabine, Djobo Adjae Baolé, Lossou Sassou, Ahadji Ablam, Yovodevi Têko Djolé, Alfa Boda Rehim, Efoui Kossi, Kalefe Kwadzo Ketomagna) et quatre autres personnes taxées de « fabriquer et de diffuser des tracts mensongers, diffamatoires incitant l’armée à la révolte » furent arrêtés (Lire Les Echos, n° 6 Août-septembre 1990). C’est le verdict du jugement des inculpés qui a conduit à l’explosion populaire du 5 octobre 1990 (Massina, 1997 : 14). 367 L’Etudiant togolais, n° spécial 10ème anniversaire du MONESTO, 1987, p. 4. A ces douze structures, on ajoute l’AETB, l’Union des étudiants de l’école nationale d’administration (UENA) et l’Association des étudiants de l’école nationale supérieure d’Atakpamé (AEENSA) qui sont des branches locales du MONESTO. Parmi ces trois structures, seule l’AETB exerçait sur le campus universitaire de Lomé. 366 collectif adressa une lettre ouverte au chef de l’Etat dans laquelle il précisa ses objectifs formulés en six points : i) une amnistie générale sans discrimination aucune et avec des garanties ; ii) la dissolution du RPT et l’annulation de son projet de constitution ; iii) l’autorisation immédiate de la création des partis politiques et des syndicats autonomes ; iv) la libéralisation des mass média officiels à tous les acteurs de la vie publique ; v) la convocation d’une Conférence nationale souveraine ; vi) des élections en présence d’observateurs des Nations-Unies, d’Amnesty International, de la Presse Internationale368. Le 12 mars 1991, considérant que le chef de l’Etat était resté sourd à leurs revendications contenues dans la lettre ouverte, le Collectif en a formulé d’autres composées de huit points. i) libération immédiate et sans condition de l’étudiant Nayone arrêté depuis le 27 avril 1990 pour ses supposées prises de position contre le régime en place ; ii) autonomie de l’Université du Bénin ; iii) amélioration des conditions de vie des enseignants (augmentation des salaires) ; iv) reconsidération des critères d’attribution des bourses et augmentation de celles-ci ; v) allocation d’une aide substantielle à tous les étudiants non boursiers ; vi) augmentation de l’aide scolaire annuelle des élèves bénéficiaires ; vii) équipement matériel des établissements scolaires de tous les degrés ; viii) allocation d’une indemnité de chômage à tous les diplômés sans emploi369. Pour amener les autorités gouvernementales à cesser de « les considérer comme "des moins que rien" en donnant satisfaction à leurs réclamations 370», le Collectif enjoint aux étudiants de boycotter les cours jusqu’à nouvel ordre. Les étudiants et des enseignants n’ayant pas respecté ce mot d’ordre de grève ont été amenés de force à évacuer les amphis (Batchana, 2013 : 35). Face à cet usage de la force pour déloger enseignants et étudiants non grévistes, les étudiants du MONESTO et de l’AETB ont déclenché ce qui fut appelé à l’époque, l’opération « tempête du trou371 » afin de « libérer le Koweit ». Voici comment le journal Atopani Express décrit les événements : « Les étudiants réfugiés à la bibliothèque [universitaire] et qui furent délogés par leurs assaillants reçurent l’ordre de se déshabiller. Ils furent ensuite gratifiés d’une première ration de bastonnade, furent contraints de passer entre une haie d’assaillants où, sous l’œil bienveillant du second groupe de militaires, ils furent encore copieusement passés à tabac avant d’atterrir en catastrophe dans un trou à l’entrée Est de la bibliothèque. Là, les tortionnaires continuaient de les battre à coup de ceinture militaires, de gourdins, de chaînes de vélo, les aspergeaient d’acide, leur lançaient des cailloux et leur versaient du sable dessus. Du sang coulait. Le rebord du trou en était couvert372 ». Ces manifestations violentes n’ont pas laissé le corps enseignant indifférent. En effet, le Syndicat des enseignants du supérieur du Togo (SEST), après avoir condamné fermement cette escalade de la violence sur le campus universitaire qu’il a attribuée aux deux groupes d’étudiants, a appelé à la suspension des cours373 jusqu’à Forum hebdo, n° 30 du 15 mars 1991, pp. 1-4. En référence à l’opération « tempête du désert » déclenchée par l’OTAN afin de libérer le Koweït envahi par les troupes irakiennes de Saddam Hussein. 372 Atopani express, n° 87 du 12 août 1991, p. 5. 373 L’Etincelle, n° 20 du 20 mars 1991, p. 5. 370 371 Forum Hebdo, n° 27 du 22 février 1991, p. 8. Lire aussi L’Etincelle, n° 17 du 27 février 1991, pp. 1-2. 369 Forum hebdo, n° 30 du 15 mars 1991, pp. 1-4. 368 ce que la sérénité ne revienne sur le campus. Malgré cet appel, l’affrontement inter-étudiant ne baissa pas d’intensité. Au contraire, il s’est étendu aux élèves du secondaire. D’ailleurs, le 14 mars 1991, le Collectif s’est consolidé en s’alliant à sept associations politiques pour créer le Front des associations pour le renouveau (FAR). C’est ce front qui, pendant cette période, portait toutes les revendications, même celles afférentes aux questions matérielles et académiques des étudiants. La situation était telle que le gouvernement ne pouvait rester inactif. Déjà, le 18 mars 1991, le président de la République a rencontré les responsables du FAR. Leurs discussions ont débouché sur la mise en place d’une commission mixte paritaire chargée d’étudier, entre autres, les revendications estudiantines. Présidée par Maître Joseph Kokou Koffigoh, alors président de la Ligue togolaise des droits de l’homme, cette commission se réunit le 31 mars suivant et fit les recommandations suivantes au chef de l’Etat : reconnaissance des associations d’étudiants et d’élèves ; dissolution et l’interdiction de toutes les amicales d’étudiants et d’élèves à caractère tribal et régional ; interdiction du port d’armes et d’instruments de violence sur le campus universitaire et dans les établissements scolaires ; respect de l’autonomie de l’Université vis-à-vis du pouvoir politique ; respect de l’autonomie administrative et financière de l’Université ; respect total des franchises universitaires ; obligation pour les agents de sécurité (policiers, gendarmes ou militaires) régulièrement inscrits à l’Université du Bénin d’aller au cours en uniforme afin de lever toutes équivoque et suspicion ; création, pour la sécurité interne des étudiants, d’un corps de vigils indépendant de tous autres corps de sécurité de l’Etat et placé sous les ordres et le contrôle exclusifs des autorités universitaires ; attribution des bourses d’études universitaires non sur la base de considérations régionales mais plutôt sur le fondement de critère ci-après : conditions socio-économiques, mérite, âge ; octroi des bourses de 3è cycle sur la seule base des critères de mérite et d’âge ; restructuration de la commission d’attribution des bourses de manière à y inclure des représentants élus des étudiants, des représentants élus des enseignants et des représentants de l’Assemblée nationale374. Malgré le fait que les recommandations demandent clairement la création d’un corps chargé de la sécurité qui échapperait totalement à son contrôle et la suppression des associations estudiantines comme l’AMENTO, le MONESTO, l’AETB, ce qui le priverait de son soutien sur le campus, le président de la République dit avoir accepté le principe dans l’intérêt de la paix et de la concorde de tous les fils de la nation375 ». D’autres recommandations furent faites concernant les conditions matérielles des étudiants. La synthèse de ces recommandations sont ainsi présentées par Batchana (2013 : 40) : « la suppression des 2 000 francs de prélèvement annuel obligatoire sur la bourse des étudiants pour le compte de l’AETB, l’accès au restaurant universitaire à tous les étudiants boursiers et non boursiers376, le renforcement du fond documentaire de la Bibliothèque centrale de l’UB, l’augmentation de la capacité du parc auto et la création de nouvelles lignes de desserte, l’encouragement de la construction de cités universitaires et de locaux pédagogiques, la formation pédagogique des enseignants, l’accélération de l’extension des Facultés de Médecine et des L’Etincelle, n° 22 du 3 avril 1991, pp. 1-3. La Nouvelle Marche, n°3465 du 9 avril 1991, pp. 1-3. 376 Les étudiants fonctionnaires pourront également accéder au restaurant universitaire sous réserve d’un tarif spécial (Kadanga, 2007 : 49). 374 375 Sciences, de l’ESA, de l’ENSI et la construction de la Faculté des Lettres, l’équipement de laboratoires et bibliothèques dans les Lycées et Collèges, etc. […] » Par ailleurs, il a été retenu « qu’une demi-bourse soit accordée aux étudiants nécessiteux et méritants de la 1ère année, que le taux de bourse de 21 600 soit maintenu pour les étudiants de la 2e année. Quant aux étudiants des 3e et 4e années, le relèvement de 50 % de la bourse, soit à 32 400 F CFA. L’aide aux étudiants non boursiers passerait de 40 000 F CFA à 80 000 F CFA377 , etc. ». Ces accords ont été dénoncés par certaines associations étudiantes, les qualifiant d’injustes vis-à-vis des 2 200 étudiants boursiers de 1ère année sur les 4 100 que comptait toute l’Université. En conséquence, elles réclamèrent 50 % d’augmentation pour tous les étudiants sans distinction aucune (Kadanga, 2007 : 49). Pour se faire entendre, elles exigèrent la suspension des cours jusqu’à nouvel ordre. Eu égard à l’ampleur de ce nouveau mouvement, le gouvernement décide, le 5 avril 1991, la fermeture de l’université et de tous les établissements d’enseignement public et privé sur toute l’étendue du territoire. La réouverture ne sera faite que le 6 mai suivant378. Cette mesure ne calma pas les ardeurs sur le campus universitaire, car en juin 1991, une nouvelle donne se présenta. Il s’agit du Conseil national extraordinaire tenu par le MONESTO à Lomé, le 5 juin 1991 sous le thème « Multipartisme et syndicalisme étudiant : L’Etincelle, n° 22 du 3 avril 1991, pp. 1-3. Komi M. Viagbo, Crise de la société et mouvements sociaux: étude des mouvements estudiantins à l'Université de Lomé, disponible sur http://www.memoireonline.com/11/07/668/m_crise-societe-mouvements-sociauxestudiantins-universite-lome1.html, consulté le 27 mai 2014 à 21h04 min. 377 378 la place du MONESTO dans le renouveau démocratique ». A ce congrès, les dissensions internes au sein du MONESTO sont apparues au grand jour. Celles-ci ont conduit à la création du Haut conseil de coordination des associations et mouvements estudiantins (HaCAME). Bien que s’étant déclaré apolitique, ce nouveau mouvement, conduit par des étudiants du nord-Togo comme Akadé, Bodjona, Bamnante, etc. (devenus plus tard des figures de proue du régime en place) se dit se réserver le droit de se prononcer sur les questions d’ordre politique379. Cette dernière précision montre clairement que cette structure n’était pas aussi apolitique que cela puisse paraître. D’ailleurs, elle s’est illustrée par ses prises de position en faveur du pouvoir et par la traque des « étudiants du Collectif » (Danioué, 2010). Le HaCAME devint ainsi le soutien du parti au pouvoir ayant contrecarré toutes les actions du Collectif et du FAR. Ce dernier, très politisé, a mené des actions ayant conduit à la tenue de la conférence nationale dite souveraine, du 26 juillet au 28 août 1991. La transition politique qui en a découlé à fini par faire régner une accalmie sur le campus de Lomé pour un temps. Les contestations n’ont repris qu’en 1999. En effet, de 1999 à 2003, les mouvements étudiants ont repris vie à l’Université de Lomé. La principale cause fut la non application d’un certain nombre de recommandations issues des accords de marsavril 1991. En 1999, des associations étudiantes entre temps restructurées, se proclamant désormais apolitiques et regroupées dans le Conseil de étudiants de l’Université du Bénin (CEUB) 379 Lire, l’article 2 des statuts du HaCAME, p. 2. s’organisèrent pour exiger du gouvernement l’application de toutes les recommandations sus-citées. Ils dénonçaient également l’accumulation des arriérés de bourse, le non-respect des franchises universitaires et le manque de structures adéquates. Confronté à la rupture de la coopération internationale intervenue depuis 1993 pour insuffisance démocratique, le gouvernement togolais, était resté sourd à l’appel des étudiants. Face à cette situation, ces derniers organisèrent des sit-in, des boycotts réguliers des cours et des manifestations de rue, souvent réprimées par les forces de l’ordre. Face au durcissement de ces mouvements, le président de la République s’est résolu à se rendre personnellement sur le campus en février 2001, afin d’inviter les étudiants à laisser de côté les agitations et à contribuer au déroulement paisible de l’année universitaire. Mais ce rendez-vous tourna mal puisque les étudiants ont réservé au chef de l’état le pire des accueils. Pour Danioué (2010 : 208), « les étudiants considérèrent cette visite comme une pure provocation d’autant que le chef de l’Etat ne fit aucune proposition tendant à l’amélioration des conditions de vie et d’études des étudiants. Le chef de l’Etat versa plutôt dans les récriminations, ne voyant dans le mouvement estudiantin qu’une simple manipulation politique […]. Furieux d’être chahuté par les étudiants, le chef de l’Etat répondit par des décisions très dures ». Ces mesures draconiennes ont consisté à la prise d’un décret invalidant l’année académique dans la plupart des facultés, étant donné que les étudiants ont décidé de boycotter les cours d’avril à août, au relèvement des frais d’inscription de 4 500 FCFA (environ 7 €) à 50 000 FCFA (76 €), à l’augmentation des frais de restauration de 90 FCFA (environ 0,14 €) à 500 FCFA (0,76 €) et à la réévaluation des frais de transport de 10 FCFA (1 centime) à 150 FCFA (0,22 €)380. Face à cette situation, des associations d’étudiants proches du pouvoir, ont décidé de mobiliser les étudiants pour aller demander « pardon » au président de la République. Après beaucoup d’hésitations les étudiants ont accepté de prendre part à une marche organisée par le HaCAME et ses affiliés ayant vu le jour au tournant des années 1990, notamment la Fédération des étudiants et scolaires du Togo (FESTO), la Ligue togolaise des étudiants et scolaires pour le soutien à l’éducation (LITESSE), l’Union des étudiants du Togo (UETO). A l’issue de cette marche tenue au quatrième trimestre 2001, tous les frais sus-cités ont été diminué de moitié. Ces acquis ont conduit, une fois encore, à une accalmie sur le campus universitaire en 2002 et en 2003. Mais à partir de l’année suivante, les mouvements vont encore reprendre vie avec une certaine ardeur. Comme on peut le constater, les mouvements étudiants à l’Université de Lomé entre 1990 et 2003 ont connu deux phases : l’une politique et l’autre sociale. La première qui s’inscrit dans le début du processus de démocratisation du Togo (1990-1992) a vu les étudiants s’affilier ouvertement à des partis politiques, soit de la mouvance présidentielle, soit de l’opposition. Ces partis ont servi de base arrière pour les mouvements étudiants et ont transplanté sur le terrain universitaire, les dissensions que connaissait la classe politique togolaise à l’époque. La conséquence a été l’exacerbation de la violence Komi M. Viagbo, Crise de la société et mouvements sociaux: étude des mouvements estudiantins à l'Université de Lomé, disponible sur http://www.memoireonline.com/11/07/668/m_crise-societe-mouvements-sociauxestudiantins-universite-lome1.html, consulté le 27 mai 2014 à 21h04 min. 380 sur le campus universitaire. Pour calmer le jeu, le pouvoir en place, après avoir usé la méthode forte surtout vis-à-vis des étudiants proches de l’opposition, a fait preuve d’une certaine ouverture en acceptant de négocier. Les recommandations issues de ces négociations ont été partiellement honorées, le reste, renvoyées aux calendes grecques, ce qui va être le ferment des mouvements à caractère social dans la seconde phase (1999-2003) 381. Pendant cette période, les étudiants étaient réellement confrontés à des problèmes existentiels que les gouvernants, à en croire les responsables d’associations étudiantes, n’avaient pas voulu prendre au sérieux. Ils ont alors décidé de recourir aux manifestations qui, cette fois, ont un caractère social. C’est ce que nous désignons par « normalisation » des mouvements étudiants. Mais doit-on conclure que le gouvernement avait refusé d’accéder aux demandes des étudiants par pure manque de volonté politique ? N’y a-t-il pas d’autres raisons qui expliqueraient cette attitude des pouvoirs publics ? En réalité, depuis les années 1980, le Togo a connu une récession économique ayant considérablement influé sur la production de la richesse nationale. A titre d’exemple, de 1980 à 1990, le Produit intérieur bruit (PIB) a chuté de 1136,30 à 762,36 millions de dollars. Au même moment, le budget national a décru de 254,14 millions de dollars à 99,50 millions de dollars (Vule 2010 : 130). En conséquence, l’Etat eut du mal à financer l’enseignement supérieur qui faisait partie des secteurs sociaux dont le FMI et la Banque mondiale ont recommandé la révision à la baisse des provisions étatiques. Ainsi, Kondi Gnandi, Délégué général des étudiants de l’Université de Lomé, 2001-2002, entretien du 22 avril 2001 à l’Université de Lomé. 381 de 1 755 millions à la rentrée 1981-1982, la subvention de l’Etat à l’Université du Bénin n’a pu être que de 2700 millions, dix ans après (1989-1990), alors que les effectifs doublèrent, passant de 4 447 étudiants en 1981, à 8 755 en 1990, soit une augmentation de 4308 étudiants en une décennie. C’est donc avec une certaine raison ( ?) que le taux de boursiers de l’Université du Bénin baissa : 89,49 % des étudiants togolais étaient boursiers en 1980-1981, contre 42,90% en 1987382. Cette situation se trouve aggravée par la rupture de la coopération entre le Togo et ses partenaires en développement en 1993 pour insuffisance démocratique et, l’année suivante, par la dévaluation à 100% du franc CFA. Ces réalités ont eu pour effet la détérioration des conditions de vie et d’études des étudiants : places assises à la bibliothèque universitaire de plus en plus insuffisantes, matériel roulant pour le transport des étudiants en désuétude, exiguïté et insuffisance des amphithéâtres, des salles de cours, des logements universitaires face à l’accroissement permanent de la population étudiante, dégradation de la qualité de la restauration, etc. (Batchana, 2013). Visiblement, le pouvoir était au bout du souffle, eu égard à la situation financière exsangue du pays. Il ne pouvait pas, en toute logique, se permettre d’accéder, sans conséquences sur le train de vie de l’Etat, aux exigences de la communauté universitaire. Mais en lieu et place de la méthode forte utilisée contre ces mouvements, le dialogue permanent entre les groupes d’acteurs aurait permis de diminuer la tension, ce qui n’a pas été le cas. Taxés d’être manipulés par Lire les données de la Direction générale de la planification de l’éducation, années 1980 à 1987. 382 l’opposition, les étudiants non proches du pouvoir ont dû raidir leur position ce qui plomba à nouveau l’accalmie observée sur le campus dès 2004. 2. DE LA RADICALISATION À LA NÉGOCIATION POUR QUELS RÉSULTATS : devant la communauté internationale et faire reprendre la coopération avec ses partenaires, le gouvernement togolais après moult discussions avec l’Union européenne (UE) a souscrit à 22 engagements, le 14 avril 2004, à Bruxelles. QUELS ENJEUX ? (2004-2010) Parler des mouvements étudiants à l’Université de Lomé pendant la période allant de 2004 à 2010 revient à aborder la question en deux périodes : 2004 et de 2005 à 2010. La présente section a pour but de rendre compte des particularités de chacune de ces périodes. 2.1. Les mouvements de 2004, une radicalisation sans résultat : pourquoi? Pour mieux comprendre l’ampleur de la radicalisation du mouvement étudiant au Togo en 2004, il est important de rappeler le contexte sociopolitique qui en a été le terreau. En effet, depuis 1993, le Togo, accusé de ne pas promouvoir la démocratie, a été mis au ban de la communauté internationale. Cette situation a été renforcée en 1998 où, suite aux élections présidentielles de juin dont les résultats ont été récusés par les observateurs étrangers, les partenaires en développement ont décidé de geler davantage leurs aides vis-à-vis de ce pays. On parlait alors de la seconde rupture de la coopération entre le Togo et ses partenaires traditionnels (Kodjo, 1999 : 63-76). Les élections législatives anticipées de 2002 boycottées et surtout, les présidentielles de 2003 ayant donné lieu à d’énormes violations des droits de l’homme n’ont fait qu’aggraver la situation383. Dans le souci de redorer son blason Des 22, l’engagement 3.3. portant « Libertés Publiques » dispose : « Engagement de garantir, sans délai, à tous les acteurs politiques et de la société civile et à tout citoyen, le droit à la libre expression, à participer aux réunions et aux manifestations pacifiques, en public et sur tout le territoire national, en l’absence de tout harcèlement, censure et intimidation. »384 La souscription à ces engagements par le gouvernement togolais était considérée non seulement par la classe politique, mais aussi par la société civile comme un acte de bonne foi devant conduire à la promotion de la démocratie et des libertés fondamentales au Togo. C’est dans cet ordre d’idée que les associations estudiantines, considérant la dégradation sans cesse grandissante de leurs conditions de vie et d’études ont voulu s’appuyer sur l’engagement 3.3. non seulement pour manifester leur mécontentements, mais aussi pour amener le gouvernement à les écouter. Pour le délégué général des étudiants d’alors Jean-Paul Oumolou, « l’heure est grave pour les étudiants et la période est plus que jamais propice pour se faire entendre »385. Lire Évaluation de l’application des 22 engagements pris par le Gouvernement par l’Union des forces du changement (UFC), publié le 7 juin 2004, disponible sur le site http://www.ufctogo.com. 384 Entretien du 1er mai 2004 à son domicile à Avenou (Lomé). En fait, il s’agit d’un camarade d’amphi (année de licence en Histoire). A ce titre, il n’hésitait pas à répondre aux questions que nous lui posions à l’époque. 385 Cf. Rapport d’Amnesty international sur le Togo, 2004, sur le site : http://web.amnesty.org/report2004/index-fra, consulté, le 30 mai 2014 à 15h30. 383 C’est donc fort de ce contexte, pour eux propice, que les étudiants ont décidé de faire des mouvements le mercredi 28 et le vendredi 30 avril 2004, sur le campus universitaire de Lomé. L’origine de ces mouvements remonte à la lettre que le collège des délégués de l’Université de Lomé coordonné par Jean-Paul Oumolou a adressée au ministre de l’enseignement supérieur de l’époque, le Professeur Charles Kondi Agba, réclamant de meilleures conditions de vie et d’études, dont, entre autres, le versement immédiatement de quatre tranches des aides accordées par l'Etat à tous les étudiants togolais, soit environ 300 millions de francs CFA (environ 457 000 euros) pour les 15 000 étudiants inscrits dans les deux universités publiques du Togo (Lomé et Kara au nord-Togo ouverte en cette année 2004). Dans cette lettre, les délégués des étudiants exigeaient la satisfaction de toutes les doléances énumérées dans un délai d’une semaine. Au soir du 27 avril 2004, date à laquelle arrivait à échéance l’ultimatum des responsables des étudiants, le ministre de l’enseignement supérieur fit une sortie sur les médias publics traitant de « réclamations fantaisistes »386 les revendications des étudiants, car, selon lui, tous les étudiants savent que le montant des aides dont ils parlent s’élève à 20 000 FCFA (environ 31 €) et qu’elles se payent en trois tranches au cours de l’année universitaire. Suite à cette intervention de leur ministre de tutelle considérée par les étudiants de méprisante à leur égard, synonyme du refus du dialogue, ils décidèrent de se mobiliser387. La tribune du peuple, n° 111, 2004, p. 4. Lorsque nous menions nos enquêtes le 28 avril 2004 sur le site de la manifestation, nous avions interrogé 5 étudiants dont les propos convergent vers cette conclusion. Il s’agit de : Apollinaire Amedodji, Segla Kodjo Toublou; Jérôme Tchandama, Ameyo Zozo et Abalo Panassa. Tous ces étudiants étaient à la FLESH. 386 387 Comme à l’accoutumée, le collège des délégués a convoqué les étudiants pour une Assemblée générale qui, selon les autorités universitaires était interdite. Malgré l’interdiction, la mobilisation a été grande devant l’Amphi 600 (cf. carte n°1), les étudiants réticents ayant été contraints à se joindre au mouvement, fredonnant leur fameux hymne : « Nous irons jusqu’au bout du monde, l’étudiant togolais ne fléchira pas ». Munis de cailloux, de bâtons et de tout autre objet de défense, les étudiants, mieux organisés que les fois précédentes et visiblement entraînés aux techniques de guérilla, ont réussi à renvoyer de leur campus, les contingents de policiers et gendarmes venus les réprimer (voir images 1&2). Ce fut pour eux une victoire historique. Mais très rapidement, des unités d’élite de l’armée (issues de la garde présidentielle) ont été mises à contribution. Ce n’est qu’avec leur concours que cette contestation étudiante a été maîtrisée. Images n°1&2 : vues partielles des policiers campés en faction devant les manifestants Le 2 mai, le gouvernement a déclaré la fermeture de l’UL jusqu’à nouvel ordre. De mai à décembre 2004, le pouvoir s’est inscrit dans la traque des responsables des associations étudiantes dont plusieurs furent arrêtés, jugés et condamnés à de lourdes peines de prison (Danioué, 2010 : 209). Ce n’est qu’avec l’intervention des organisations de défense des droits de l’homme qu’ils furent relâchés. Selon les observateurs de la situation, ce fut, de mémoire, la première fois que les mouvements étudiants ont pris une telle ampleur. Si cela a pu avoir cette intensité, c’est parce qu’il y avait eu, selon le président de l'Université de Lomé d’alors, Nicoué Lodjou Gayibor, « la présence d'individus manifestement étrangers au campus aux côtés des étudiants contestataires »388. Pour le gouvernement, ce sont les partis politiques de l’opposition dite radicale, notamment l’Union des force du changement (UFC), le Comité d’action pour le renouveau (CAR) et la Convention démocratique des peuples africains (CDPA) qui ont téléguidé ces mouvements en manipulant les étudiants, dans le seul but de faire échec aux négociations en cours entre l’UE et le Togo389. Toutes ces déclarations n’ont pas été acceptées ni par les étudiants, ni par les partis politiques cités. Toutefois, elles méritent analyse. Sources : photos Tsigbé, 2004. Les conséquences étaient lourdes : plusieurs blessés graves aussi bien du côté des étudiants que des policiers et gendarmes ; des arrestations et des dégâts matériels importants dont deux fourgonnettes de la gendarmerie incendiées par les étudiants. En effet, jusqu’à aujourd’hui, malgré les travaux de clôture du domaine de l’Université entamés depuis fort, toute l’entrée ouest Intervention reprise par le site http://www.icilome.com/nouvelles/news.asp, consulté le 30 mai 2014 à 16h10. 389 Considérées comme fantaisistes, ces accusations ont été rejetées par l’UFC dans une Déclaration qu’elle a publié sur son site sur les événements des 28 et 30 avril 2004 sur le campus de l’Université de Lomé (www.ufctogo.com), consulté le 30 mai 2014 à 16h15. 388 jouxtant les rails du centre (voir carte) reste à clôturer. Par ailleurs, le campus étant traversé par plusieurs voies, nombreux sont les individus étrangers au milieu universitaire qui s’y baladent ou qui le traversent. Aussi récemment, en 2013, la police universitaire a arrêté deux individus peu scrupuleux avec des sachets de cannabis dans un bosquet non loin des rails sur le domaine de l’université. Passés aux aveux, ces individus qui affirment s’y être installés depuis une décennie déjà, déclarent vendre la drogue aux jeunes de la ville et à certains étudiants, surtout lors des mouvements étudiants390. Si l’on s’en tient à ces réalités, on peut donner raison au président de l’UL lorsqu’il affirme qu’il y a eu la présence d’individus étrangers au milieu universitaire. Toutefois, on peu nuancer à partir du moment où les étudiants eux-mêmes, jugeant le contexte favorable, n’ont ménagé aucun effort pour que leur lutte aboutisse. Leur détermination peut donc justifier l’ampleur de la violence constatée en 2004. Mais cela n’exclut pas qu’ils aient bénéficié d’un soutien « extérieur », notamment des jeunes de la ville. S’agissant de la manipulation des étudiants par les politiques, plusieurs étudiants interrogés ont nié cette éventualité391. Mais a posteriori, lorsqu’on y voit de près, une fois libérés de prison, quelques-uns des leaders des mouvements étudiants de 2004 ont été soutenus par les partis politiques, notamment le CAR pour s’expatrier392. Dans ces conditions, il serait difficile d’affirmer que ces mouvements n’ont pas bénéficié d’une manière ou d’une autre, du Entretien du 22 août 2013 avec un agent de la police universitaire ayant requis l’anonymat. 391 Koffikuma Dotsè, un des meneurs a même qualifié ces déclarations d’affabulations. Entretien du 20 mai 2004 au quartier de Gbossimé, Lomé. 392 L’un des meneurs, Konan Binafame, est actuellement l’un des piliers du CAR. 390 soutien des partis politiques mis en cause, surtout quand on sait que ces partis s’activaient à montrer la mauvaise foi du parti au pouvoir par rapport aux engagements pris avec l’UE. Dans tous les cas, même si des responsables des mouvements étudiants de 2004 ont été soutenus par des politiques, tous ne l’ont pas été. En plus, ce soutien, s’il y en a eu, a été clandestin, contrairement à la donne des années 1990-1992, étant donné qu’officiellement, les revendications portées par ces responsables étaient purement sociales. Pendant cette période, les associations qui servaient de bras pour le régime en place sur le campus, bien que n’étant pas très actifs, ont tout de même travaillé de mèche avec les autorités universitaires et les forces de l’ordre dans la traque des étudiants contestataires. En cette année 2004, les revendications n’ont pas abouti, les responsables des mouvements étant expulsés de l’Université et traqués devant les tribunaux. La radicalisation retenue comme mode opératoire n’a donc pas permis aux étudiants d’avoir satisfactions à leurs revendications. Cette situation a rendues tendues les relations entre étudiants, autorités universitaires et gouvernants. C’est dans cette atmosphère que décède le président Eyadema. Dès lors va s’ouvrir une nouvelle phase dans les relations étudiants-pouvoirs publics. 2.2. Le père mort, vive le fils ou l’ère des négociations à l’Université de Lomé (2005-2010) Le 5 février 2005, le général Eyadema tire sa révérence. Son fils Faure Gnassingbé lui succède sur fond de crise sociopolitique suscitée par la tentative de son imposition au peuple par l’armée et son élection contestée. Cette double situation provoque de vives tensions sociales. A l’Université de Lomé, cette situation a été diversement appréciée. Pour certains, le Togo n’est pas une monarchie pour que la succession se fasse de père en fils. Cette catégorie d’étudiants s’est jointe aux acteurs politiques de l’opposition pour manifester contre ce qu’ils appelaient « la prise en otage du Togo par le clan Gnassingbé » qui, selon eux, va perpétuer la misère des Togolais en général et des étudiants en particulier393. Pour d’autres, visiblement neutres, « on attend de voir jusqu’où ira ce bras de fer entre l’opposition et le RPT394 ». Il existe une troisième catégorie d’étudiants, alliés traditionnels du parti au pouvoir (organisés autour du HaCAME), qui voyait dans l’avènement au pouvoir de Faure Gnassingbé, la pérennisation des bonnes grâces dont ils avaient bénéficié sous le père395. Enfin, la dernière catégorie nourrit un certain espoir quant au changement intervenu à la tête de l’exécutif togolais. En dehors des points de vue recueillis auprès de ces étudiants, l’expression de ces opinions s’est faite à l’époque, non par des mouvements ouverts, mais par ce que Toulabor (1986) appelle la contestation occulte. Celle-ci a consisté, pour les étudiants de l’Université de Lomé, à utiliser des graffitis sur les murs ou les tablesbancs des amphis pour rendre publiques leurs positions. Informations recueillies à Gbadago (Lomé), le 28 avril 2005 auprès de trois étudiants de la FASEG ayant requis l’anonymat. 394 Informations recueillies le 28 avril 2005 auprès d’un groupe d’étudiants composé de 10 personnes dont 2 de l’ESA, 4 de la FDD, deux de la FDS et 2 de la FLESH. Compte tenu de l’ambiance électrique qui prévalait à l’époque, tous ces étudiants ont requis l’anonymat. L’entretien a eu lieu à Bè-Klikamé, non loin du campus. 395 Entretien du 18 juin 2005 au siège du HaCAME à Lomé. Ces informations ont été livrés par deux responsables du HaCAME ayant requis l’anonymat. 393 Voici quelques exemples collectés sur les bancs de l’amphi 20 ans en juin 2005 : « Satan a tant aimé le Togo qu'il a envoyé son fils unique Gnass pour que les Togolais souffrent jusqu'au 05/02/05. Amen !!! ». Réplique : « Car Gnass a tant aimé la souffrance des Togolais qu'il a légué le Togo à son fils adoré FAURE afin que quiconque le votera souffre davantage. » « Gnassingbe I est parti, Gnassingbe II prend le trône ». Réplique : « Et alors où est le problème. Si tu ne cesses de parler de GNASS et de son fils sur cette table, tu regretteras pour ta vie. Un malheureux comme ça. » 2e réplique : « Imbécile. Toi aussi tu es manipulé. Repent toi vite ». « Nos Z 396? FAURE. Nous sommes tous jeunes. Ne sois pas comme ton père. Ok ! » Réplique : « tu as raison mon frère. Son père est un voleur qui a rendu riche les caciques du pouvoir ». Le premier graffiti et sa réplique s’inscrivent dans la logique du premier groupe d’étudiants pour qui, la misère des Togolais va se perpétuer sous Faure. Le deuxième et sa réplique illustrent respectivement la deuxième (les neutres) et la troisième catégorie d’étudiants (Fidèles à la pérennité des acquis obtenus sous le père). Le dernier graffiti et sa réplique expriment le point de vue de ceux qui espèrent que sous Faure Gnassingbé, les choses iraient mieux. Dans tous les cas, ce qu’on peut dire avec certitude est que les conditions de succession du fils au père ont fait que, voulant éviter un autre front social à l’Université (en dehors de ceux déjà ouverts par les politiques et la société civile) le nouveau président de la République a 396 Allusion faite aux aides scolaires. décidé de privilégier la négociation dans la résolution des crises sociopolitiques. C’est ainsi qu’au même moment que s’ouvrait le dialogue social en 2006, des recommandations ont été données aux autorités universitaires d’ouvrir le dialogue interuniversitaire pour écouter les étudiants et se pencher sur leurs problèmes réels. A ce dialogue, étaient représentées toutes les associations étudiantes, des membres du gouvernement ainsi que les acteurs du monde universitaire. L’objectif était d’étudier les problèmes des universités publiques du Togo et de proposer des solutions qui s’étendront sur le court, le moyen et le long terme. Les revendications des étudiants soumises aux autorités étaient plus sociales qu’académiques. Les discussions ont débouché sur la mise en place d’un cadre permanent de concertation pour la gestion des problèmes pédagogiques et académiques et sur la mise en place par le gouvernement et les autorités universitaires, d’un plan d’action. A cette occasion, les étudiants ont réussi à arracher au gouvernement, quelques promesses. En effet, il leur a été promis, par l’entremise des autorités universitaires, à compter de l’année 20062007, un fonds spécial de 911 100 738 FCFA (soit 1 390 993 €) et une dotation complémentaire de 275 millions (soit 419 847 €) devant servir à la rénovation de laboratoires. En conséquence, les étudiants purent ainsi bénéficier du relèvement du montant de leur aide qui passe de trois à quatre tranches, soit un total de 80 000 FCFA (122 €). A partir de 2008, les ils recevaient une dotation spéciale de 15 000 FCFA (environ 23 €) pour l’équipement, dans le cadre de la mise en œuvre du système LMD au Togo397. Ce montant était payé en même temps que la première tranche398. Par ailleurs, ils bénéficièrent, entre autres, du rétablissement des primes de soutenance, entre temps supprimées : 50 000 FCFA (environ 77 €) pour la maîtrise et le DUT, 100 000 FCFA (environ 153 €) pour le DEA et le DESS et 150 000 FCFA (environ 230 €) pour le doctorat. Aussi, ont-ils bénéficié de la réduction des frais de restauration qui passent de 500 FCFA (0,76 €) à 300 FCFA (0,45 €)399. Sur le plan matériel, cette dotation financière du gouvernement a permis la construction de blocs administratifs, pédagogiques, d’ateliers et de labos, la construction et la réhabilitation des amphis et salles de cours, de cités universitaires, de toilettes, de bacs avec eau courante aux abords de certains amphis, etc. Avec ces acquis, l’Université de Lomé a connu une sérénité ayant permis aux activités pédagogiques de se dérouler dans de meilleures conditions. Lorsque, les 2 et 3 avril 2008, s’est tenue une réunion pour faire un bilan à mi-parcours des recommandations du dialogue interuniversitaire de 2006, les étudiants n’ont pas hésité à avouer que les autorités universitaires et gouvernementales ont fait des avancées notoires par rapport au respect desdites recommandations. Toutefois, ils ont estimé que des efforts restent à Bien que commencée en 2005, la mise en œuvre du système LMD au Togo remonte officiellement à 2008. 398 Selon Maman Halourou, cette prime a été supprimée en 2012 avec l’arrivée du ministre Nicoué Broohm à la tête du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. Entretien du 1er juin 2014 à Lomé. 399 Komi M. Viagbo, Crise de la société et mouvements sociaux: étude des mouvements estudiantins à l'Université de Lomé, disponible sur http://www.memoireonline.com/11/07/668/m_crise-societe-mouvements-sociauxestudiantins-universite-lome1.html, consulté le 27 mai 2014 à 21h04 min. 397 faire en ce qui concerne leurs conditions sociales. Ils ont exhorté les autorités à s’y pencher pour éviter que la sérénité qui prévaut sur le campus jusque-là ne soit rompue. Comme on peut le constater, le dialogue et la concertation initiés par les autorités ont amené les étudiants à mettre en sourdine leurs mouvements, contrairement à la logique frontale et répressive qui a prévalu de 1991 à 2004. Mais ce nouveau climat paisible constaté sur le campus et qui a duré de 2006 à 2010 va être rompu en 2011 pour des raisons relatives aux problèmes académiques engendrés par l’application du système LMD pour lequel le gouvernement togolais a opté officiellement dans les universités publiques du Togo, à partir de 2008. Là encore, malgré l’intensité des manifestations, le dialogue a fini par prévaloir désamorçant ainsi la crise. Les réalités ci-dessus décrites permettent de questionner les enjeux des mouvements étudiants à l’université de Lomé. D’abord il est réel que les contestations étudiantes, lorsqu’elles ne sont pas politiques, s’intéressent a fortiori aux questions de survie, rarement aux questions académiques. C’est ainsi que pour la plupart des cas, les plateformes revendicatives des étudiants accordent une place importante au relèvement du montant de l’aide, à la diminution des frais de logement, de transport et de restauration, à l’amélioration des prestations de l’infirmerie et de la pharmacie du Centre de œuvres universitaires de Lomé (COUL), à la clôture du domaine universitaire, au respect des franchises universitaires, etc. Pour les rares fois où ils intègrent à leurs doléances des questions académiques, les étudiants réclament l’augmentation du nombre des enseignants de sorte que le ratio enseignant/étudiants respecte les normes internationales en vigueur, la vulgarisation des cours d’informatique dans tous les établissements, l’adaptation des programmes d’enseignement au marché du travail et de l’emploi, la construction et la réhabilitation des amphithéâtres surpeuplés comme le montre l’image suivante. Image n°3 : Des étudiants du département d’anglais débordant l’amphi 20 ans Source : www.letogolais.com, consulté le 1er mai 2014 à 22h30. Cette propension des mouvements étudiants vers les revendications sociales montre clairement que pour ces apprenants de l’Université de Lomé, les questions académiques sont secondaires. En 2004, par exemple, on a observé que malgré l’exiguïté des amphis face au nombre pléthorique d’étudiants, nulle part dans leur plateforme revendicative, les manifestants n’ont demandé la construction de nouvelles salles de classe, encore moins, le recrutement de nouveaux enseignants pour mieux les encadrer. Au regard de ces réalités, il est clair que pour les étudiants, les enjeux de leurs mouvements sont d’abord sociaux. Pour ces enjeux, ils sont prêts à perdre une année universitaire, comme ce fut le cas pour l’année 2000-2001 invalidée. C’est qu’en réalité, les étudiants considèrent l’aide de l’Etat comme un droit social. Car pour eux, à partir du moment où leurs parents payent des impôts et taxes diverses, il n’ ya pas de raison pour que l’Etat refuse de leur payer des allocations. Il ne s’agit là que d’une mauvaise lecture de l’aide sociale de l’Etat, surtout dans un pays en développement comme le Togo. Ensuite, les enjeux sont aussi politiques. De façon officielle ou non, le campus de Lomé se trouve divisé en deux grands groupes d’étudiants séparés par un groupe de neutres. L’un milite pour le régime en place qu’il informe de tout ce qui se trame sur le campus, l’autre, défendant les intérêts de l’opposition. Cette situation explique le fait que très souvent, les étudiants s’affrontent entre eux en s’accusant mutuellement de « vendus », de « corrompus », etc. Au-delà, ces prises de position ont contribué à l’émergence politique de certains anciens leaders des associations étudiantes proches du pouvoir. C’est l’exemple de Komi Sélom Klassou, Pascal Bodjona, pour ne citer que ceux-là. Ceux-ci sont devenus, par la suite, de grandes personnalités du régime en place. Ils sont considérés ainsi comme des références que beaucoup veulent imiter en étant très engagé dans la dénonciation, la traque et le sabotage des leaders des mouvements étudiants supposés proches de l’opposition. Ces derniers aussi ont bénéficié, pour certains, des bonnes grâces de ces partis d’opposition qui leur ont trouvé des bourses d’études à l’étranger ou les ont aidés à s’exiler pour se mettre à l’abri des poursuites du pouvoir en place. Mais comme ils ne sont pas sur place, il est difficile de les identifier et d’en faire un modèle. C’est donc avec raison que l’ancien président de l’Université de Lomé Nicoué Gayibor, dans un entretien à bâton rompu, nous a confié que les mouvements étudiants ont des dessins inavoués, surtout en ce qui concerne les meneurs400. Ces différents enjeux, qu’ils soient sociaux ou politiques plombent souvent les mouvements étudiants, surtout s’ils se radicalisent. En conséquence, les étudiants, pour la grande majorité, s’en sortent souvent perdants, même s’ils arrivent toujours à infliger des pertes à leurs « adversaires » que sont les forces de l’ordre. CONCLUSION Au terme de cette étude qui décrit et analyse la situation contestataire des étudiants à l’Université de Lomé, on peut tenir pour vrai, le fait que ces mouvements ont, de façon globale, rythmé avec l’évolution sociopolitique du Togo. De 1990 à 2003, l’actualité nationale ayant été dominée par des questions politiques, on a assisté à une certaine politisation du mouvement étudiant. Cette politisation a atteint son comble entre 1990-1992, avec le processus démocratique qu’amorçait le Togo à l’époque. Par la suite, la transition démocratique et ses conséquences ont rendu moins ardus et moins politisés ces mouvements. La radicalisation des mouvements constatée en 2004, rythme avec le refus du pouvoir de négocier avec l’opposition dite démocratique, alors même que le gouvernement avait pris, pendant cette période, 22 engagements pour favoriser une certaine ouverture démocratique. Enfin, le dégel observé à partir de 2005 dénote d’une certaine volonté de négocier, affichée par ceux qui sont au pouvoir. Au-delà des dégâts matériels et humains auxquels ont conduit ces manifestations, une chose est certaine, c’est que ni la politisation, Entretien du 24 mars 2014 à la salle des professeurs d’histoire de l’Université de Lomé. 400 ni la radicalisation, encore moins la répression aveugle n’ont pas pu régler les problèmes du monde étudiant. Seule la concertation et la négociation ont permis au campus universitaire de Lomé de trouver sa sérénité, ne fut-ce que pendant une durée relativement courte. Il est vrai que parfois, les étudiants préfèrent eux-mêmes la répression : « Les manifestations ne sont intéressantes que quand les forces de l’ordre viennent lancer contre nous, des gaz lacrymogène » a déclaré une étudiante. Mais étant donné les limites de la répression et de la radicalisation, les acteurs du monde universitaire gagneraient à privilégier la négociation, seul gage de la tranquillité sur le campus. Là encore, les autorités doivent apprendre à tenir leurs engagements visà-vis des étudiants après les concertations. SOURCES & BIBLIOGRAPHIE 1. Sources 1.1. Sources orales401 Amedodji Apollinaire, étudiant à l’Université de Lomé, FLESH, entretien du 28 avril 2004 à l’Université de Lomé. Dotsè Koffikuma, responsable des mouvements étudiants, 20032004, entretien du 20 mai 2004 au quartier de Gbossimé, Lomé. Gayibor Nicoué, ancien président de l’Université de Lomé, entretien du 24 mars 2014 à la salle des professeurs d’histoire de l’Université de Lomé. Gnandi Kondi, ancien délégué général des étudiants de l’Université de Lomé, 2001-2002, entretien du 22 avril 2001 à l’Université de Lomé. Maman Halourou, étudiant en Master 2 Histoire, entretien du 1er juin 2014 à Lomé. Oumolou Jean-Paul, ancien délégué général des étudiants de l’Université de Lomé, 2003-2004, entretien du 1er mai 2004 à son domicile à Avenou (Lomé). Panasa Abalo, étudiant à l’Université de Lomé, FLESH, entretien du 28 avril 2004 à l’Université de Lomé. Tchandama Abalo, étudiant à l’Université de Lomé, FLESH, entretien du 28 avril 2004 à l’Université de Lomé. Toublou Kodjo Segla, étudiant à l’Université de Lomé, FLESH, entretien du 28 avril 2004 à l’Université de Lomé. Zozo Ameyo Jeannette, étudiante à l’Université de Lomé, FLESH, entretien du 28 avril 2004 à l’Université de Lomé. 1.2. Sources écrites et périodiques Atopani express, n° 87 du 12 août 1991, p. 5. Campus Actualités, journal d’information de l’Université de Lomé, n° 012 de mai 2005. Forum Hebdo, n° 27 du 22 février 1991. Cette liste n’a pas pris en compte les étudiants qui n’ont pas voulu déclarer leur identité. 401 L’Etincelle, n° 28 du 27 février 1991. Forum hebdo, n° 30 du 15 mars 1991. Journal officiel de la République togolaise (JORT), du 16 avril 1946. L’Etincelle, n° 20 du 20 mars 1991. L’Etincelle, n° 22 du 3 avril 1991. La Nouvelle Marche, n°3465 du 9 avril 1991. La tribune du peuple, n° 111, 2004. Les Echos, n° 6 août-septembre 1990. Rapport annuel de l’Université de Lomé, 2011. Statistiques de la Direction générale de la planification de l’éducation, années 1980 à 1987. Textes fondamentaux de l’Université de Lomé, 3ème édition revue et augmentée, Lomé, Presses de l’UL, 2002. 1.3. Sources électroniques Statuts du HaCAME, sans date. Rapport d’Amnesty international sur le Togo, 2004, sur le site : http://web.amnesty.org/report2004/index-fra. Vaillancourt J-C., 1991, « Mouvement ouvrier et nouveaux mouvements sociaux : l'approche d'Alain Touraine », http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/classique_des_sciences_soci ales/contemporains/vaillancourt_jean_guy/mouvement_ouvrier/ mouvement_ouvrier.html Viagbo Komi M., Crise de la société et mouvements sociaux: étude des mouvements estudiantins à l'Université de Lomé, disponible sur http://www.memoireonline.com/11/07/668/m_crise-societemouvements-sociaux-estudiantins-universite-lome1.html. www.icilome.com/nouvelles/news.asp. www.ufctogo.com BIBLIOGRAPHIE Agboyibo Y., 1999, Combat pour un Togo démocratique, une méthode politique, Paris, Editions Karthala. Bako A., 2002, Essai d’analyse des mouvements sociaux au Niger ; cas du mouvement étudiant à l’Université de Niamey, Lomé, mémoire de maîtrise de sociologie, Université de Lomé. Batchana E., « Contestations estudiantines et violences sur le campus universitaire de Lomé (1990-1992) », in EDUCOM, n° 003 de décembre 2013, pp. 23-46. 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LES ÉTUDIANTS BURKINABÈ AU TOURNANT DU XXIE SIÈCLE. ENTRE LUTTES ET COMPROMISSIONS, RÉUSSIR SA VIE Jacinthe Mazzocchetti, Université avec la Tasséré Ouédraogo et de Xavier Ruelle Proposition de communication [email protected], de Louvain, collaboration de Prenant appui sur des enquêtes ethnographiques réalisées en milieu estudiantin ouagalais entre 1998 et 2007 (17 terrains, 25 mois passés sur place) et un terrain de mise à jour des données (janvier 2014), cette communication aura pour objet d’analyse l’interrelation entre espoirs et injonctions scolaires, contexte socio-économique et politique, et, types de luttes estudiantines. Au niveau du corpus, outre de nombreuses observations sur les campus, en cités universitaires, dans le quartier de Zogona…, j’ai récolté une trentaine de récits de leaders des mouvements syndicaux, mais aussi de partis politiques (cellules jeunesse) et d’associations, environ 150 récits d’étudiants (leurs parcours, leurs vécus et aspirations), environ 50 récits de jeunes diplômés, auxquels s’ajoute ma participation à de très nombreux débats lors de grins de thé, en cités, dans les maquis… Pour les étudiants et les diplômés de l’Université de Ouagadougou (UO), la période actuelle est celle d’une cristallisation des rancœurs du fait de la conscience de plus en plus claire des inégalités et des vécus de précarité (Abbink et Van Kessel, 2005). Cette période est celle d’une mise au ban des sphères de réussite économique et de pouvoir d’une grande partie d’entre eux en contraste de la persistance des espoirs d’ascensions sociales portés par le projet scolaire et de la constitution de « cultures globales de la jeunesse » (Comaroff, 2000 : 94). En outre, l’histoire sociopolitique singulière du Burkina Faso, interdépendante des mouvements économiques et politiques mondiaux, joue un rôle clef quant aux questions de réussite des étudiants et des diplômés de l’Université de Ouagadougou. Pour les jeunes avec lesquels j’ai travaillé, étudiants ou récemment sortis de l’université durant les années 1998-2007, quatre événements historiques étaient particulièrement mobilisés dans les récits : -La révolution sankariste (1984-1987). Bien que tous les étudiants et jeunes diplômés rencontrés, en fonction de leur âge et de leur lieu de provenance, notamment la Côte d’Ivoire, n’aient pas vécu cette période, la révolution sankariste est pour une part importante de la jeunesse universitaire au Burkina une sorte de « légende » des possibles, « temps mythique et déchu de la société du mérite ». -Tandis que les effectifs de l’Université de Ouagadougou passaient de 523 étudiants pour l’année 1974-75 (création de l’université) à 32.623 pour l’année 2008-2009, les Programmes d’Ajustement Structurel (1991) marquaient un tournant dans la vie des étudiants. Suite à l’application des PAS, les étudiants et les diplômés de l’Université de Ouagadougou ont connu une dégradation croissante de leurs conditions de vie et d’études. -Les luttes de 1998-2001 suite à l’assassinat du journaliste Norbert Zongo le 13 décembre 1998. -La démonstration de pouvoir du gouvernement en place dans la gestion de ces luttes (Mazzocchetti, 2010). Chouli analyse les réactions autoritaires du gouvernement burkinabè face aux manifestations étudiantes de 2008 comme le parachèvement de la « domestication des étudiants » entamée lors de la gestion de la crise des années 1997-2001 (Chouli, 2009). Dans cette communication, il s’agira, d’une part, de revenir sur la période charnière au Burkina des années 1997-2002, qui voit les luttes suite aux politiques d’ajustement structurels et à la réduction drastique des bourses des années 1991 prendre une ampleur singulière. En effet, c’est en cette fin de siècle que se croisent les premiers effectifs conséquents d’étudiants non boursiers, l’assassinat de Norbert Zongo et les mobilisations conséquentes de la société civile, la génération des anciens pionniers sur le campus, mais aussi le retour progressif et de plus en plus massif d’une jeunesse née en Côte d’Ivoire, désillusionnée et cherchant à trouver place au Burkina. Années de basculement surtout suite à l’échec de ces luttes avec effet de désespérance et de conversion à la société de consommation et au chacun pour soi, même si la colère gronde (Mazzocchetti, 2009). D’autre part, au vu du contexte de tension actuel, les élections présidentielles de 2015 approchant, il s’agira en guise d’ouverture d’entendre les types de revendications des étudiants actuellement sur le campus. Il s’agit en effet d’une tout autre cohorte (Sankara n’est cette fois réellement plus que mythe, la situation en Côte d’Ivoire reste problématique, mais nous ne sommes plus dans le contexte des violences de la période des années 2000…). Ces étudiants vivent une massification de l’enseignement universitaire en vis-à-vis des moyens alloués bien plus grande encore : ils sont « nés trouvés » un campus aux bourses presque absentes, aux amphis sur-bondés. Ils sont « nés trouvés » les portes de la fonction publique presque fermées, mais ils ont également grandis portés par les rêves de consumérisme et d’ostentation, avec un accès bien plus important aux médias, leur permettant d’entendre le monde, mais aussi peut-être de s’y faire entendre… ELÉMENTS BIBLIOGRAPHIQUES Abbink J., Van Kessel I. (eds.), 2005, Vanguard or Vandals, Youth, Politics and Conflict in Africa, Leiden, Brill. Chouli L., 2009, « La domestication des étudiants du campus de Ouagadougou : la crise de juin 2008 », JHEA/RESA, Vol. 7, No. 3, 2009, pp. 1–28 Comaroff J. et J., 2000, « Réflexions sur la jeunesse. Du passé à la postcolonie », Politique Africaine, n°80, pp. 90-110. Mazzocchetti J., 2009, Etre étudiant à Ouagadougou. Itinérances, imaginaire et précarité, Paris, Karthala, coll. « Hommes et sociétés ». Mazzocchetti J., 2010, « Entre espoirs et désillusions, représentations politiques des étudiants burkinabè » in Hilgers M. et Mazzocchetti J. (dir.), Révoltes et oppositions dans un régime semi-autoritaire. Le cas du Burkina Faso, Paris, Karthala, coll. « Hommes et sociétés », pp. 205222. HANNA CLEAVER. ‘BECOMING A TRUE ACTIVIST’ STUDENT ACTIVISM IN BURKINA FASO MSc Anthropology. Department of Anthropology, University of Copenhagen ABSTRACT This article investigates the social, political and personal struggles of university students in Burkina Faso’s largest student union. Drawing on ethnographic material from fieldwork among its activists, I show how they create small-scale spaces of autonomy by collectively establishing social and political alternatives to official structures. On this background, I argue, activists can enhance their social position and possibilities and embark on a process of becoming responsible and agentive youth, acting upon and against a system perceived as unjust. By combining the concept of social becoming with a focus on submission, I argue that students’ ability to carve out autonomous spaces is predicated upon an ability to submit to the union and become one with it. In this way, the case of Burkinabè student activism illuminates how processes of social becoming can encompass struggles to become autonomous and submissive simultaneously. All quotes are translated from French by the author. INTRODUCTION Students are the light of our nation. The intellectuals! But it has become so difficult to get a student grant. Look around you on campus: teachers are old! Who will replace them without grants? Right now, there are no possibilities. The quote above was uttered by 25-year old Martine402 when she was in her third year of economics at the University of Ouagadougou in Burkina Faso. Martine has been a dedicated activist in the country’s largest student union, the National Association of Burkinabè Students, ANEB403 since her first year of university. In her words, she was struck by overcrowded lecture halls, lack of resources and arrogant professors and university administration. In Martine’s view, their arrogance is symptomatic of Burkinabè society, which she believes is dominated by a small group of powerful elders that cling to power by ignoring young people’s voices and needs. As her statement above indicates, student activists struggle to obtain better conditions and possibilities in order to be able to assume the desired role of the nation’s bright future. In this article, I analyze ways in which Burkinabè student activists struggle to enhance their social positions and possibilities by collectively establishing small-scale spaces of autonomy that reduce their dependency on little trusted authorities. By combining the concepts of social becoming and submission, I analyze students’ desires to become true activists and submit fully to the union, arguing that their ability to create autonomous spaces is enabled by their ability to become one. All names used in this article are pseudonyms. The acronym ANEB is short for the French title ‘Association Nationale des Etudiants Burkinabé’. ANEB is the local Ouagadougou branch of a larger union, UGEB (in French ‘Union Générale des Etudiants Burkinabè’), comprising five national and two international branches in France and Senegal respectively. Since the vast majority of my empirical material is from the Ouagadougou branch, which is the biggest and most well-known, I use the title ANEB. 402 403 The analysis is based on 3 months of ethnographic fieldwork in Burkina Faso, primarily in the capital Ouagadougou, from February to May 2012. Research was centered on participant observation in activists’ daily lives on campus, homes, leisure clubs and more. In addition, I conducted 21 recorded interviews and focus groups with students, experts, university actors and former activists in Burkina Faso, Paris and Copenhagen404. Theoretical frame Young Africans have emerged demographically and politically as central actors, ambiguously portrayed as both the continent’s chief hope for a brighter future, marginal victims and criminal threats (Diouf, 2003: 4; Lamble, 2012). A prominent approach in scholarly literature on African youth has been to highlight their capacity to move within confining structures. Researchers have shown ways in which young Africans maneuver situations of marginality and dependence in innovative, flexible and opportunistic ways, contributing to a redefinition of social spaces often marked by generational, economic and societal inequalities (se Burgess, 2005; Diouf, 2003; Durham, 2000; Honwana and De Boeck, 2005). I inscribe my analysis within this literature, arguing that Burkinabè student activists actively renegotiate young people’s position and possibilities in society through collective practices. Many Nordic studies on youth in Africa revolve around the concept of social becoming, denoting the on-going processes in which people continuously attempt to shape, redefine and escape social positions (Christiansen et al., 2006: 12). While becoming refers to a social Besides staying in Ouagadougou, I spent one week in Burkina Faso’s third largest city, Koudougou, among members of ANEB’s Koudougou branch. The interviews in Paris and Copenhagen were conducted in August 2012 and May 2013 respectively. 404 process, the related concept of social being denotes the social positions that a group holds or aspires to hold (ibid.: 11). In an influential study, Danish anthropologist Henrik Vigh argues that youth is both a part of a social whole and a point of acquisition, continuation and reinterpretation of social norms. Youth is both being and becoming, as young people are positioned within generational categories and continuously position themselves in new ways (Vigh, 2006: 93). Below, I employ the concept of becoming to explore ways in which a group of urban, West African youth attempts to shape and reinterpret their social position within a socio-political landscape through collective efforts. Inspired by anthropologist Stine Krøijer, I use the concept of autonomy to describe activists’ ability to define and enact alternative structures and solutions independently of dominant social and political structures (Krøijer, 2011: 94-97). Finally, drawing on anthropologist Saba Mahmood’s ideas about agency and submission, I show that one way of realizing a desired social being can be by actively submitting to a socio-political community. My analysis of the young Burkinabè activists thus attempts to build on the literature on social becoming of African youth by combining the concept with a focus on submission and autonomy. Showing how active submission to a sociopolitical community can enable youth to negotiate autonomous spaces collectively, the case of Burkinabè activists illuminates how processes of social becoming can encompass struggles to become autonomous and submissive simultaneously. Burkinabè Students and ANEB Burkina Faso is a landlocked nation of 17 million inhabitants situated south of the Sahara desert in West Africa (World Bank, 2013). The country has officially been democratic since 1991 and has a longstanding national tradition of trade unions and active civil society organizations, including the student movement (Hagberg, 2001: 19). However, the political landscape is also characterized by generationally and socially asymmetric access to influence, resources and justice (Hilgers and Mazzocchetti, 2010). In a nation where more than three out of four adults are illiterate (UNDP, 2013), university students are in many ways part of a privileged, urban elite. Nonetheless, in line with general trends across Africa, the prestige and privilege of students in Burkina Faso’s public universities have deteriorated considerably following recent decades’ substantial reductions of state support to education (Mazzocchetti, 2009: 85-86). Study conditions are harsh with high dropout and unemployment rates (ibid.: 103-133). Although activists in ANEB come from a wide variety of backgrounds, many are among the less economically privileged (Korbéogo, 2009: 90-94). They see themselves as marginalized actors, ignored and neglected by authorities. The National Association of Burkinabè Students, ANEB, was founded inn 1960 just before national independence and has become the biggest national student union (Sory, 2012: 191). It officially welcomes all political affiliations though most members unite around a shared dissatisfaction with the government. The union is estimated at more than a thousand members, comprising students across all five national universities, disciplines and religious and ethnic backgrounds. This study has focused on ‘delegates’ who see themselves as the most committed representatives. ANEB’s purpose is defined as ‘the defense of students’ material and moral interests’, comprising everything from student housing, scholarships to basic rights to security and justice. The union is also defined as part of a larger ‘patriotic and revolutionary’ struggle for national justice, aiming to support popular movements across the country, raise general awareness and stage protests against power abuses. Across Africa, youth’s defiance to political, economic and social institutions has resulted in tense relations between state actors and youth organizations (Diouf, 2003: 8). ANEB is part of such tendencies. Since the movement has often managed to mobilize large popular protests, state officials have periodically attempted to control or repress its activities (Mazzocchetti, 2009: 89). This article takes its point of departure in activists’ tensional relations with national authorities. Analyzing the various social and political alternatives activists create, I argue that ANEB becomes a platform for redefining and improving students’ social position and possibilities in a sociopolitical landscape where they often feel excluded. CREATING SMALL-SCALE ALTERNATIVES The Struggle If I go to the administration right now and ask them for help, they will laugh at me. When we go there together, as delegates, speaking on behalf of all students, they suddenly respect us. They know what ANEB is capable of! (Moussa) ANEB’s activism is centered on the concept of ‘struggle’. The concept refers to active efforts to obtain something and is used by Burkinabè across the political spectrum in order to stress that one must work hard to get by in a country marked by poverty and scarcity. When delegates in ANEB talk about struggle, it has a conflictual character and refers to the union’s battles with authorities to obtain rights and privileges. Authorities are widely understood as both members of the university administration and the government; the former often perceived as the latter’s direct ally on campus. In line with Federici’s argument that African student protests have become endemic (Federici, 2000: 56), ANEB seems to be permanently engaged in some sort of struggle across its different branches. Many activists, such as Moussa above, emphasize that a student has no chance of being taken seriously by authorities, since individual concerns are most often patronized or ignored. They hold that the collective struggle is the only means of achieving improvements for students. Acting within the organized community of ANEB, activists come to constitute a potent political body capable of disrupting stability within and outside campus. As Moussa explains, his activism becomes a means of improving his social role and possibilities for action, forcing authorities to take his demands seriously. In this sense, the engagement within ANEB enables Moussa and fellow delegates to embark on processes of social becoming, allowing them to become relatively powerful political actors rather than excluded or dependent youth. Since a struggle can continue for several months, putting classes on hold, the consequences can be devastating for students’ education. Nonetheless, delegates stress that the struggle is absolutely necessary. They proudly emphasize the many social and political achievements the union has secured for students, such as state subsidized student canteen and housing. As Vigh argues, we all live our lives along multiple paths of transition (Vigh, 2006: 96). For Moussa and others, political activism provides transitional capacities to transcend a state of marginality and gain a sense of importance and action. As in other youth movements in Africa, activists are repositioning themselves from being ignored youth to agentive political actors by creating a collective platform from which they can speak (cf. Rasmussen, 2010: 312). A Social Safety Net Since its creation in 1974, the University of Ouagadougou has been home to intense conflicts between students and authorities. In several instances, the government has closed dormitories for longer periods in attempts to disburse students, who are thereby left without housing (Sory, 2012: 172,187). During one such moment in 2008, ANEB collected funds from family members across the country to provide provisional housing and food for displaced students. According to Eric, a delegate and student of history, moments such as the one in 2008 testify to the union’s unrelenting solidarity. Even in an unjust society, he explained, ANEB strives to attain justice: Time and again, we show our authorities that we students remain solidary, even though they have given up on us. When they close dormitories, they try to break us up. But ANEB keeps fighting. Although our leaders have no dignity, we students cannot be manipulated! Juxtaposing the student community with the national leadership, Eric presents ANEB as a crucial alternative for students who cannot always expect the state to live up to its social responsibilities. Portraying delegates as unmanipulable actors in the face of repression, he repositions students as responsible youth who are able to make autonomous judgments and act accordingly. By underlining the fact that they continuously ‘show’ authorities how solidary they are, he is situating students within the on-going social processes of negotiating roles across generations. Their activism provides an opportunity of social becoming, as students can make claim to be responsible actors in front of authorities. In Eric’s belief, the solidary acts of support that delegates continuously engage in are crucial alternatives to increasing egoism in society. ANEB is often called ‘a big family’, underlining the many social responsibilities and duties that follow from union membership. Delegates are expected to support each other, whether on a financial, educational or personal level. If someone suffers from sickness or loss, their unit will collect money and pay a collective visit to hospitals or funerals to show support. They share notes from classes, tickets for the canteen and help each other out unquestioningly in numerous ways. Since most delegates only have few economic and social resources, often living far away from families, such support can be crucial. ANEB’s various acts of solidarity can be seen as means of establishing a social safety net in a society where basic welfare services cannot be taken for granted. Clearly outlining each member’s rights, privileges and duties, students create their own economy of affection rather than relying solely on official structures (cf. Vigh, 2006: 104). As students in public universities, they are dependent on the government’s financial and political support405 and many aspire to be employed in the public Students in Burkina Faso’s public universities are entitled to some public support. While fewer than 10% of students receive a scholarship (Sory, 2012: 175), the majority has access to a student loan of an annual 165,000 FCFA (approximately 331 405 sector. They thus do not attempt to distance themselves completely from the official system. At the same time, activists establish alternative social structures that help reduce their dependence on a government they hold no confidence in. In this way, they create a small-scale space of autonomy where they can act independently of a system perceived as uncaring, expanding an otherwise narrow range of possibilities through collective efforts. As seen in Eric’s comment, the ability to create small-scale social alternatives enables students to gain a sense of acting upon the world, reacting to and against perceived injustices rather than being pacified by them. A Controlling Body Just as authorities have often surveyed ANEB closely, ANEB delegates emphasize their responsibility to keep a close watch on the government. In order to avoid authorities’ espionage they have developed a range of security measures. During meetings, they consistently place two delegates at each entry to keep track of everyone present. Rather than a protector of citizens and a purveyor of security, the government is thus regarded as something students must protect themselves from. As for other contemporary youth in unstable democracies, distrust in state institutions results in the image of the state as a dangerous other (cf. Chavez and Nuñez, 2012: 360). Situated within an uncertain social environment, students attempt to gain a social space of their own (cf. Vigh, 2006: 105), which becomes located within the secured confines of the union. By explicitly demarcating and securing this space during social events, they liberate ‘a territory or an aspect of life’ (cf. Krøijer, 2011: 243), where they are in charge, free from government surveillance or repression. In other USD) (FONER, 2010). The annual cost of studying at the University of Ouagadougou is between 300,000 and 500,000 FCFA (approximately 600 and 1,000 USD) (UO 2013). words, they carve out a small-scale space of autonomy where they can act in accordance with their own rules and agendas. One of delegates’ central political concerns is the high level of impunity in Burkina Faso (cf. Amnesty, 2012: 10). As many of her fellow delegates, English student, Florence, was hesitant to acknowledge recently observed improvements. ‘We hope that our authorities have good faith and really intent to make things change, but we have to wait and see,’ she explained. ‘In the meantime, we will stay vigilant. We will keep controlling them.’ Referring to ANEB’s constant and critical attention to state actors’ behavior, Florence articulated a potent agency among students. As seen in her statements, her hope for a just society does not imply passive waiting. Rather, it orients her struggle toward the fulfillment of such hopes, transformed into effective desires that she can act upon as an activist (cf. Crapanzano, 2003: 6). Across different eras and continents, students have often been perceived as unruly subjects that threaten the current order (cf. Boren, 2001: 3). By presenting authorities as unreliable and unruly figures, activists flip the picture so that students, not the state, come to represent order and morality. Like Eric, Florence is reinterpreting students’ social position, constructing them as caretakers of order and rejecting the role of deviant youth. Presented as a crucial body of control, ANEB allows students to embark on the process of becoming responsible and agentive youth. A School Often, you have to abandon a class in order to carry out a task. Many students deny that. They must attend all classes and do all their homework. In ANEB, we tell ourselves that we learn something you will never learn in class. It’s a different type of training, much more practical. We know we are lucky; this training is cultivating us. You learn to comprehend political issues with clarity and see beyond your private needs. (Aida) Aida is a feminist and former ANEB delegate, now employed as a researcher in a private think tank in Ouagadougou. In keeping with her ideas, ANEB is often referred to as a school. Delegates perceive the union as a medium for acquiring crucial knowledge that they do not gain access to in public universities. Many delegates stressed that few professors would teach them the important concepts of revolutionary theory. They gain access to such alternative curricula in internal seminars and meetings. For many students, high failure rates imbue the university experience with a rather acute sense of uncertainty. By creating alternative channels and forms of education, delegates establish a supplement to university classes and reduce their dependency on the university system, broadly perceived as poorly functioning, unpredictable and inattentive to students’ interests. As a school, ANEB becomes a smallscale space of autonomy where students can pursue educational goals, which they themselves have defined as important. Aida’s comment shows how this allows them to realize a desired social being, becoming enlightened and solidary actors in accordance with their own criteria for enlightenment. The educational form that ANEB offers is generally considered more engaging than university classes. Many professors are perceived as arrogant, lecturing for hours without including students. In a society where gerontocratic structures of power are prevalent, young Burkinabè are often expected to listen silently to elders (Mazzocchetti, 2009: 82; Thorsen, 2006: 94). To Jacques, a 29-year old master student of geography, the union is a radical alternative to this: ANEB teaches you to express yourself. At the meeting yesterday, we didn’t have a lot to say. But in order to allow students to express themselves, we gave the word to everyone. Even though what you had to say was not so important, at least you expressed yourself. Anthropologist Michael Jackson has argued that the process and action of being free to voice one’s concerns and be listened to enables one to restore a sense of agency (Jackson, 2009: 245). As Jacques explains, ANEB constitutes a social forum where everyone’s voice is acknowledged. In this way, it enables otherwise pacified youth to become equal participators and contributors, expanding possibilities for meaningful action. A Democracy People do not trust us to hold political posts. All these negative prejudices relate to young students: anti-conformist, too energetic, violent, making frequent mistakes... But to Marxists, youth is progressive – with both rights and responsibilities. (Yaya) Many ANEB delegates declare themselves proponents of Marxism. Yaya, a PhD scholar at the University of Ouagadougou, is a member of ANEB’s Executive Committee. He stated the above during an internal training seminar on the importance of youth in national politics. In his view, Marxist ideology could show the way to a true democracy, focusing on the majority’s needs. Delegates in ANEB were generally highly skeptical of the current democracy and often called for general boycotts of national elections. They perceived national governance as undemocratic, controlled by a small, powerful elite. Although the Burkinabè state is structured on democratic principles with multiparty elections, associative freedom and free press, it is simultaneously marked by impunity, authoritarianism and a consistently low electoral participation (ACSS, 2011: 6; IDEA, 2011). For such reasons, many Burkinabè do not perceive democratic elections to be a channel of change or influence (Hilgers and Mazzocchetti, 2010). Like other West African student movements, ANEB claims to be organized on truly democratic values (cf. Smith, 1997: 250). One of its guiding principles is ‘democratic centralism’. Before a decision is made, the union’s Executive Committee will present a proposal to delegates in a general assembly. The proposal is discussed at length and either rejected or approved by majoritarian vote. Everyone can thereby have a say in the process before a decision is passed. Interestingly, the assembly rarely rejects the summit’s proposals in practice. Nonetheless, assemblies are democratic in form and delegates frequently engage in heated discussions, voicing diverging viewpoints. ANEB activists present their inclusive decision-making processes as radically different from national forms of governance. They proudly emphasize the consistently massive participation rates during general assemblies, contrasting them to low national elections turnouts. They hold that ANEB decisions truly represent the majority of students’ interests. ‘Democratic centralism’ can be seen as a small-scale alternative to national modes of governance, enabling students to make decisions independently of state bureaucracy. When national mechanisms of ensuring citizens’ representation are perceived to have failed, ANEB presents itself as an alternative social and political structure that opens up new possibilities for democratic action. It becomes a platform that enables students to position themselves as proper democratic actors in an un-democratic society. Through various examples, I have argued that student activists collectively carve out small-scale spaces of autonomy. Importantly, these spaces do not function in isolation. Each of them is tied to a multitude of other social networks and nodes of power in ways that clearly transcend the local and student campus and go beyond the scope of this article. As Yaya reminds us above, being young in Burkina Faso is often connected to negative prejudices of incivility. I have argued that student activism becomes a channel for improving students’ social positions and possibilities in a landscape characterized by unequal access to rights and privileges. Yaya’s comment aptly demonstrates how students’ political engagement allows them to embark on processes of social becoming, positioning themselves as responsible and agentive rather than unruly and pacified youth. Below, I unfold the inherently collective aspect of this process. Since the small-scale alternatives students create are only made possible through collective efforts, I argue, the activist agency is inextricably linked to the common struggle they dedicate themselves to. Rather than an accumulated sum of individual strategies, I have shown that delegates’ activism should be seen as an inherently collective endeavor, transcending individual interests and capacities. For this reason, students’ ability to carve out autonomous spaces is enabled by an ability to become one and submit to the common project. I unfold this argument by introducing a focus on submission, analyzing Burkinabè students’ aspirations to become true activists by becoming one. Comparing the religious and activist communities to which she belongs, Florence underlines the fact that a delegate must hold the same faith in ANEB that Protestants hold in God. Being an activist becomes an identity that one is fully consumed by. In order to become a true activist, she has to submit to the common political project with her entire person or, in other words, become one with it. BECOMING ONE Becoming a True Activist Sociologist Sidney Tarrow has argued that successful coordination of collective action depends on the trust and cooperation generated among participants by shared understandings and identities (Tarrow, 1998). In this light, ANEB has been rather successful in assuring necessary cooperation among delegates. Within the union, principles of unity and solidarity are regarded as the highest values and promoted actively every day. The oft-cited dictum ‘Unity is Strength’ refers to the common belief that the union derives its political leverage from its ability to coordinate collective action closely. Saba Mahmood has argued that a liberal imaginary of freedom, in which the individual is only empowered if her actions are the result of her ‘own’ free will, is not always useful for understanding social fields where people aspire to realize themselves through other socially ascribed ideals for behavior. Active submission to and embodiment of collective norms can also become empowering (Mahmood, 2005: 1415). By expressing a desire to become ‘a true activist’, recurrent among activists, Florence expresses a desire to realize herself by submitting to the teleology of ANEB’s social demands406. The union’s socially authorized definition of the true activist is not an imposition on Florence but constitutes the very substance through which she wishes to develop. Her means of realizing a desired social being is directly related to her ability to form herself in accordance with common criteria. Since its creation, ANEB has developed its own organizational culture with specific values and obligations that members are expected to internalize. According to Florence, who is both a committed delegate and a committed Protestant, being an activist in ANEB requires a complete personal submission to the collective project: If you want to do something, you have to do it with your entire heart. In Church, we talk about God’s commandment: Love God with all your heart and all your force. And within ANEB, it’s the same thing! You have to be in it all the way. You cannot declare yourself an activist and then abandon the others when they go into march. That’s not a true activist. In order to understand a social movement that stresses unity and solidarity as prime values, one should not automatically attempt to separate individual aspirations from socially prescribed ideals (cf. ibid.: 319). Delegates generally agree that their activism has enabled them to become better, more enlightened persons. Ali, a 24-year old With this observation, I do not wish to employ a sociological model of causality in which a social movement such as ANEB is a reflex response to hardship (cf. Crossley, 2002: 11). Merely, I wish to direct attention to the way in which political and social dissatisfaction can be transformed into action. 406 English student, is a highly enthusiastic ANEB activist. In his view, his submission to the union, and its political training, has radically transformed his ideas: Before ANEB I didn’t understand anything. I was in darkness. In 2005, I even voted! If people told me ‘a coup d’état is the right solution’, I would agree. If they told me to vote, I would agree. Now I know the truth! I have reached the light. With his narrative of personal transformation, Ali depicts a clear temporal distinction between earlier times’ blindness and his present insight, gained in ANEB. Earlier, he explains, he did not take an active stand on political issues but followed advice passively. Now, however, he believes he is informed and no longer easily manipulated, being able to make independent choices based on objective analysis. Importantly, however, Ali does not see his present insight as a result of his own individual research. He ascribes it to the training he has received in ANEB. Thus, he has not realized himself as an enlightened actor in separation from social ideals but rather through the specific logics of ANEB. While he is therefore in a sense still relying on other people’s interpretations, he is now relying on a union that he has actively chosen to commit himself to. Sacrificing Individuality The training that ANEB offers revolves around a range of personal qualities, which good delegates should possess. These include discipline, solidarity and, not least, the ability to sacrifice individual desires for the common struggle407. The highly valued ‘spirit of sacrifice’ should be manifest in delegates’ daily acts. They therefore participate in numerous time-consuming activities at the expense of private schedules, abandoning classes and family duties to go to meetings, plan campaign activities, hand out information or other union related tasks. Whenever a strike or collective action has been decided upon by vote, everyone should sacrifice their own projects in support of it. As Martine explains below, the act of ‘betraying the struggle’ by pursuing individual interests is considered a sin: That is what sacrifice is all about! If we have decided to go into strike, you cannot go against the instructions – even if you were supposed to go to an important exam! If I went to the exam, would I ever be able to go back to the other delegates and sit with them? No, they would chase me away: ‘You are a traitor!’ Employing a rhetoric of betrayal well-known within ANEB, Martine stresses each member’s duty to submit to ANEB’s call for action, even if this means sacrificing your own studies. As she explains, they risk being excluded from the social community if they fail to align themselves with the common project. When delegates engage in struggle, they should act as one activist body with one set of priorities. Vigh argues that agents concurrently plot trajectories, plan strategy and actually move toward a telos, an anticipated goal, in relation to current and imagined social positions and possibilities (Vigh, 2006: 13). As seen above, the active submission to ANEB’s socially defined telos for the ‘true activist’ can become a way of realizing a desired social being. 407 Students in Burkina Faso, like other West African youth, deplore the current prevalence of ‘individualism’ and egoism that they believe has come about with increased modernization and liberalization408 (cf. Mazzochetti, 2009: 75; Waage, 2006). According to Eric, the history student, ANEB is an important alternative to what he sees as rampant moral decay. ‘Instead of focusing on the individual, as in the capitalist society, we focus on the group,’ he said. The emphasis on the collective recurred among delegates who often juxtaposed Western, capitalist values of individuality with ANEB’s emphasis on solidarity, sacrifice and unity. When I asked Eric whether he believed he had made a difference through his ANEB engagement, he replied: ‘The individual is not… It’s a group effort. Nobody can brag or toot his own horn like that. It’s us! We sacrifice together.’ In his view, his own importance as activist should not be distinguished from the collective activist body he had submitted to. I will argue, inspired by Krøijer, that Burkinabè students’ autonomous potentials do not derive from processes of individual emancipation in which they are the sole authors of their actions. Rather, empowerment emerges as a result of collective action and projects in which activists gain a sense of agency together (cf. Krøijer, 2011: 95-97). Following their expressed desires to become truly solidary and sacrificing persons, I have attempted to make my analysis reflect the importance of the group by stressing the centrality of social demands and submission to processes of social becoming. As I have shown, the act of sacrificing certain individual freedoms and projects is a necessary The emphasis on sacrifice is not unique to Burkinabè political youth activism. In his analysis of Marxist youth in Nepal, anthropologist Dan Hirslund analyses the value of sacrifice as one of their most important values (cf. Hirslund, 2012). 408 requirement for students’ ability to become activists and position themselves as agentive youth collectively. Hesitations Although delegates agree that everyone should submit to the common struggle, they also experience obstacles when it comes to practicing submission in daily life. In moments of trust, I saw glimpses of doubt and hesitation, even among the most committed delegates. At the end of an interview with Jacques, whom I came to know as a passionate proponent of revolutionary ideas, I told him that I was on my way to the local gym. He promptly replied that it was bourgeois to go to the gym. “If you want to run, you can run here. If you want to ride a bike, you can do it in the streets – along with the people,” he exclaimed. When I asked him, guiltily, if he really thought I was bourgeoise he fell silent. Then, to my surprise, he mumbled: “I am just saying these things. In reality, we want to do all that stuff too.” Stripped of his revolutionary paroles, I saw Jacques admitting to more pragmatic material desires, which could not always be expressed openly. Such ambiguous attitudes were perhaps more common than what appeared at first glance. While defending the union’s political visions with pride and dedication, Florence told me she sometimes worried whether these were actually unrealistic. Much like she could experience doubts and temptations as a Protestant, her faith in ANEB’s political project could be frail. In a private interview, Florence silently said: ‘True, those are beautiful ideas. But I admit; I have a hard time imagining how this total change of system should come about. I’m afraid the revolution is only an ideal’. In addition, she worried about her own ability to remain solidary at all costs: I’m often anxious. I see certain contradictions between what we preach and what we can do. If I get a grant to go to a country that we define as imperialist, France perhaps, I’m afraid that they the donors will withdraw my grant if I continue my activism in ANEB. You see? Because of our socioeconomic situation, we don’t have much room to maneuver. Although Florence holds a university degree, she enrolled herself as a student again after months of unemployment. Pointing to the scarcity of resources that most students at the University of Ouagadougou struggle with, she stressed the fact that they are often left with few possibilities. Obtaining a grant to study in Europe is widely considered an immense achievement, also among ANEB delegates who generally critique Europe, especially France, for continued imperialistic domination. Florence worried about her ability to uphold her revolutionary engagement and loyalty to ANEB if it could jeopardize her own possibilities to go abroad and ensure a better future for herself409. Together with Jacques’ mumbling comment, Florence’s statement testifies to the fact that delegates’ commitment to ANEB’s cause cannot be taken for granted, as it is mixed with ambiguous desires for personal success and material comfort. Importantly, however, In his ethnographic study of urban youth in Ngaoundéré, Cameroon, Trond Waage argues that young people perceive the social landscape as marked by ‘frenetic individualism’ and selfishness (Waage, 2006: 67). ix Florence’s concern about her ability to resist promises of individual success is grounded in certain political realities. Across Africa, the provision of scholarships to foreign universities has been a prevalent state tactic in order to control and co-opt members of student resistance movements (Smith, 1997: 254; Zeilig and Dawson, 2008: 21). 409 Florence’s anxiety also indicates a genuine aspiration to become one with the union and her constant struggle to realize herself as a true, unselfish activist. As argued by Mahmood, processes of submission imply that people are summoned to cultivate socially valued abilities within themselves in order to realize themselves as subjects (Mahmood, 2005: 32,120). Florence’s often read articles about historical struggles in order to be convinced of the necessity of collective action. In addition, numerous ANEB seminars teach members to become good delegates, giving advice, for instance, on how to avoid prevalent vices of opportunism and political indifference. As Aida explained in the first part of this article, delegates feel lucky to have this training since it is cultivating them. The various social activities enable delegates to internalize the union’s specific logic through repeated and targeted training. They provide a form through which the highly solidary and sacrificing subject can develop, cultivating the ideal spirit of sacrifice. I have shown delegates’ desires to become true activists by aligning convictions and actions with the social body of ANEB. Although individual and collective struggles appear conflicting, I have argued, they should rather be seen as complementary. Active submission to the union’s demands can be a means for students to reposition themselves collectively within a social environment that often leaves youth with few possibilities. In other words, it provides a channel for realizing a meaningful social being, becoming agentive youth by becoming one. Conclusion The article has investigated the social, political and personal struggles of activists in Burkina Faso’s largest student movement. Analyzing the small-scale spaces of autonomy created through various social and political alternatives, I have argued, they manage collectively to improve their social positions and possibilities for meaningful action. The article approaches ANEB as a social and political platform that enables youth to articulate and pursue agendas independently of official structures, thereby acting upon and against them. Importantly, students’ aspirations for autonomy should not be seen as processes of individualized emancipation. Combining the concept of social becoming with one of submission, I have shown how active submission to a social community can enable youth to negotiate autonomous spaces collectively, thereby embarking upon the process of becoming responsible and agentive youth together. As seen, students aspire to realize themselves as true activists by aligning individual projects with common goals. In this way, the case of Burkinabè student activism illuminates how processes of social becoming can encompass struggles to become autonomous and submissive simultaneously. My point in presenting students’ collective efforts is not to evaluate whether these constitute a better alternative to current solutions. Rather, I have investigated the possible social effects of student activism for one group of West African youth. The Burkinabè student union exists because of the students’ own efforts. By engaging within a structure in which their voices and actions are crucial contributions, students gain a sense of importance and agency as they aspire to realize themselves as true activists. In this manner, student activism allows this group of Burkinabè students to embark on a process of social becoming that they delineate and value themselves. NOTES All names used in this article are pseudonyms. The acronym ANEB is short for the French title ‘Association Nationale des Etudiants Burkinabé’. ANEB is the local Ouagadougou branch of a larger union, UGEB (in French ‘Union Générale des Etudiants Burkinabè’), comprising five national and two international branches in France and Senegal respectively. Since the vast majority of my empirical material is from the Ouagadougou branch, which is the biggest and most well-known, I use the title ANEB. iii Besides staying in Ouagadougou, I spent one week in Burkina Faso’s third largest city, Koudougou, among members of ANEB’s Koudougou branch. The interviews in Paris and Copenhagen were conducted in August 2012 and May 2013 respectively. iv Students in Burkina Faso’s public universities are entitled to some public support. While fewer than 10% of students receive a scholarship (Sory, 2012: 175), the majority has access to a student loan of an annual 165,000 FCFA (approximately 331 USD) (FONER, 2010). The annual cost of studying at the University of Ouagadougou is between 300,000 and 500,000 FCFA (approximately 600 and 1,000 USD) (UO 2013). i ii With this observation, I do not wish to employ a sociological model of causality in which a social movement such as ANEB is a reflex response to hardship (cf. Crossley, 2002: 11). Merely, I wish to direct attention to the way in which political and social dissatisfaction can be transformed into action. vi Vigh argues that agents concurrently plot trajectories, plan strategy and actually move toward a telos, an anticipated goal, in relation to current and imagined social positions and possibilities (Vigh, 2006: 13). As seen above, the active submission to ANEB’s socially defined telos for the ‘true activist’ can become a way of realizing a desired social being. v The emphasis on sacrifice is not unique to Burkinabè political youth activism. In his analysis of Marxist youth in Nepal, anthropologist Dan Hirslund analyses the value of sacrifice as one of their most important values (cf. Hirslund, 2012). viii In his ethnographic study of urban youth in Ngaoundéré, Cameroon, Trond Waage argues that young people perceive the social landscape as marked by ‘frenetic individualism’ and selfishness (Waage, 2006: 67). ix Florence’s concern about her ability to resist promises of individual success is grounded in certain political realities. Across Africa, the provision of scholarships to foreign universities has been a prevalent state tactic in order to control and co-opt members of student resistance movements (Smith, 1997: 254; Zeilig and Dawson, 2008: 21). vii REFERENCES ACSS, Africa Center for Strategic Studies (2011) Africa and the Arab Spring: A New Era of Democratic Expectations (Special Report No. 1). Washington D.C.: Africa Center for Strategic Studies Amnesty (2012) Burkina Faso: La Compétence Universelle Pour Mettre Fin à L’impunité (Report No. AFR 60/001/2012). London: Amnesty. Biehl, J. and Locke, P. (2010) ‘Deleuze and the Anthropology of Becoming’, Current Anthropology 51(3): 317–351. Blumer, H. (1969) ‘Collective Behaviour’, in A. McClung-Lee (ed) Principles of Sociology, pp. 65-121. New York: Barnes and Noble. Boren, M. E. (2001) Student Resistance: A History of the Unruly Subject. New York: Routledge. Burgess, T. 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Université Paris 1, [email protected] L’objet de ce papier est de tenter, à partir d’un cas concret, de répondre aux questions suivantes : Quels sont les problèmes et les contraintes auxquels s’exposent des étudiants qui entreprennent d’initier et d’organiser un mouvement contestataire en milieu universitaire africain et en contexte autoritaire et comment négocientils leurs rapports à ces contraintes ? Dans quelle mesure un regard interne ou indigène à cette expérience, coupler aux outils de la sociologie des mobilisations et des organisations peut contribuer à éclairer des logiques d’action qui émergent au croisement de telles initiatives et de telles contraintes? Le mouvement étudiant dont il sera question ici est l’Association pour la Défense des Droits des étudiants du Cameroun, dont nous avons eu l’occasion d’en être un acteur de premier plan, et donc d’en fréquenter les cales, d’être intimement mêlé à diverses étapes de sa construction pour prétendre aujourd’hui tenter d’en décoder analytiquement la boîte noire. Celle où se manufacturait au quotidien, cette entreprise de dissidence assumée, au delà des produits visibles offerts au public, des éclats de lutte, des postures convenues, constituant la façade officielle du mouvement. En clair, lorsqu’en 2004, des étudiants camerounais décident de briser un « tabou politique » et de défier le régime en créant l’Association pour la Défense des Droits des Etudiants du Cameroun, ils vont très vite se rendre compte que initier et organiser un mouvement revendicatif en contexte autoritaire ne va pas de soi. Il faut en effet adapter les stratégies de toutes les phases d’action à un ensemble de contraintes : Les restrictions légales, les mécanismes diffus de répression politique sur fond de très forte asymétrie du rapport de puissance entre les appareils du régime et le groupe contestataire qui tente d’émerger et de se constituer, les pressions sociales issues de la famille ou des réseaux de socialisation divers ou d’interconnaissance auxquels les meneurs appartiennent. Il faut en outre prendre en compte le fait que dans un tel contexte de répression, le mouvement social est très atomisé. De sorte que, non seulement les pratiques militantes sont faiblement ancrées, mais les occasions de socialisation aux pratiques contestataires sont également rares, les héritages trop diffus pour servir de creuset. De très fortes discontinuités apparaissent entre générations de militants, faute de possibilités de connexion permanente ou de transmission intergénérationnelle. Les formules charismatiques de mobilisation ont tendance à dominer dans l’espace social, au détriment de la constitution de véritables appareils contestataires permettant de formaliser, d’objectiver, de diffuser etde routiniser des savoirs-faire en la matière. De façon à « professionnaliser » en quelque sorte des générations de recrues, qui auront ainsi pu acquérir ou incorporer des dispositions pertinentes pour ce type de mobilisation et d’action. Et de sorte que de cette coagulation d’expérience commune, émerge une espèce de capital collectif de savoir-faire qui prédétermine à son tour les logiques d’action des acteurs. Confronté à ces réalités, le mouvement naissant, dont le discours s’auréole de résonances dissidentes, va gérer sa survie en négociant au quotidien un ensemble d’enjeux. D’abord identitaires, dans un contexte de restriction légale et de répression diffuse de toute initiative syndicale en milieu étudiant: Comment nommer la nouvelle organisation sans la désigner explicitement comme syndicat, tout en suggérant suffisamment son identité ou son projet syndical? (Association pour la défense des droits des étudiants) C’est quoi au juste un syndicat et c’est quoi organiser un syndicat lorsqu’on n’a pas appris à « faire syndicat »? De quels modèles s’inspirer pour rompre avec les pratiques associatives existantes ? En clair, comment définir un modèle associatif en cohérence avec une démarche de critique sociale et politique revendiqué par le mouvement et donc en rupture avec le modèle charismatique, autoritaire et communautariste dominant ? Fallait-il donner priorité au politique sur le corporatif et le fait de coller aux préoccupations du monde étudiant était-ce nécessairement incompatible avec la politisation de la parole du mouvement? Questions qui embrayent sur celles entre autres, du contenu de la critique à formuler, de sa traduction pratique et de la maîtrise des outils d’action adaptés pour exprimer cette critique : Comment parle ton lorsqu’on parle au nom d’un syndicat? Comment écrit-on une pétition, qu’est ce qui la distingue d’un communiqué de presse, d’une déclaration, d’une lettre ouverte ? Comment organiser une grève ? Comment financer un mouvement en opposition au régime? Quelles relations avoir avec les partis politiques établis? Aucune école disponible pour apprendre tout cela. Sinon qu’à l’épreuve des situations concrètes; parfois par des improvisations. Ou en retrouvant l’inspiration dans la littérature produite par et sur le moment nationaliste camerounais et africain afin de retrouver des modèles indigènes emblématiques. Ou encore auprès des modèles forgés dans les luttes d’ailleurs. Si ce n’était à travers internet, dont l’apport aura été ici déterminant par exemple pour les statuts, exemple association internationale des étudiants, statuts du PS français avec un premier secrétaire, proche des communistes : UPC et son SG qui incarne l’exécutif plus que le prési, souci de la rupture constant dans notre volonté de fair, inspiré de modèle. Apport de l’ordinateur pour contourner les renseignements, il a souvent saisi un texte rapidement et diffusé largement sans avoir besoin de grandes ressources, pas accessibles à ceux de 1990, rapidement, on prenait de cours la surveillance. Un mouvement pour importer des thèmes de mobilisation, et apprendre à concevoir des outils de lutte. L’ordinateur et la reprographie auront à cet égard joué un rôle clef qu’il convient de documenter. Toutes ces contraintes ont forgé des rôles, des divisions internes du travail, handicapant les uns ou favorisant les autres, discriminant les compétences nécessaires pour diriger, pour parler au nom de l’organisation, construisant des pratiques initiatiques internes, et créant un équilibre entre dispositions charismatiques et dispositions bureaucratiques. Telles sont entre autres les aspects que se proposent d’explorer analytiquement notre papier. BIBLIOGRAPHIE Banégas Richard, « Les transitions démocratiques: mobilisations collectives et fluidité politique », Cultures et conflits, n° 12, 1993, p. 105-140 Pommerolle Marie-Emmanuelle, « Routines autoritaires et innovations militantes » Le cas d'un mouvement étudiant au Cameroun, Politique africaine, 2007/4 N° 108, p. 155-172. Mbembe Achille, « L’État-historien », in R. Um Nyobé, Écrits sous maquis, Paris, L’Harmattan, 1989, p. 9-42 Fillieule Olivier, Sociologie de la protestation, Paris, L’Harmattan, 1993, p. 33. équilibrant le pouvoir interne entre pôle de charisme et pôle de compétence? MAMADOU DIMÉ. ENTRE SYNDICALISME ALIMENTAIRE ET STRATÉGIE PROTESTATAIRE. ABDOULAYE WADE ET LES ÉTUDIANTS : DU HÉROS ADULÉ AU PATRIARCHE DÉCHU Enseignant-chercheur, Département de Sociologie, UFR des Lettres et Sciences Humaines, Université Gaston Berger [email protected] RÉSUMÉ Cette communication explore les fondements de la relation qu’Abdoulaye Wade, comme homme politique, figure emblématique de l’opposition durant plusieurs années, puis comme président de la république du Sénégal, a pu établir avec la jeunesse de son pays et plus particulièrement, les étudiants. Nous démontrons d’abord les fondements et les différentes péripéties de cette relation « quasifusionnelle ». Nous montrons ensuite comment Wade a su mobiliser et instrumentaliser la jeunesse dans ses combats politiques en insistant particulièrement sur les espoirs que son élection a suscités chez les étudiants. Nous proposons enfin une évaluation des réponses apportées par le président aux attentes de ce groupe réputé pour son esprit frondeur et revendicateur. Malgré les efforts consentis en termes d’amélioration des conditions d’étude et de vie des étudiants ainsi que dans le développement du réseau universitaire, Wade a globalement déçu les étudiants et, plus généralement, les jeunes. Ceux-ci estiment pourtant avoir contribué, de manière active à son arrivée au pouvoir après en avoir payé le prix fort (violence, perturbations scolaires, etc.). Une partie importante de notre analyse revient sur les raisons de cette désillusion de même que sur ses modalités et temporalités d’expression. Sa défaite électorale, après une contestation violente de sa candidature, est un indicateur de son rejet même parmi les franges qui lui ont été longtemps fidèles, comme les étudiants. Plus de 2 ans après son départ de la présidence, un sentiment de nostalgie de l’ère Wade et des « acquis » obtenus grâce à lui (bourses d’étude notamment) est perceptible dans les campus démontrant ainsi la complexité, la profondeur et l’ampleur des problèmes des universités publiques sénégalaises. INTRODUCTION Pendant son parcours d’opposant (1978-2000), Abdoulaye Wade s’est toujours présenté comme le candidat « des jeunes, des chômeurs et des étudiants ». Ces derniers ont, d’ailleurs, occupé une place spéciale au sein de la catégorie éclatée des jeunes notamment en étant à l’avant-garde de ses combats et en se mobilisant au fil des différentes élections qui ont culminé avec son élection à la présidence de la République du Sénégal le 19 mars 2000, à la faveur de la première alternance démocratique connue par le pays. Avec l’accession de Wade au pouvoir, la jeunesse dans son ensemble, mais surtout, les étudiants, ont baigné dans une euphorie grisante. Ils pensaient avoir placé à la tête de l’État un homme politique sensible à leur sort et qui aurait à cœur la résolution des maux contre lesquels ils se sont longtemps battus, y compris par des formes violentes et en en payant un lourd tribut (perturbations récurrentes du système scolaire avec leur lot d’année blanche, d’année invalide, répression policière, emprisonnements, exclusions, échecs, etc.). Dans sa stratégie de conquête du pouvoir, Wade s’est fortement appuyé sur les étudiants en se plaçant dans une posture de « noyautage » de leurs organisations syndicales, d’instrumentalisation de leurs revendications et de récupération, voire de « détournement » de leurs luttes. Il a su mettre en place des organisations de jeunesse, notamment dans l’espace fortement convoité du campus, au cours de sa longue marche vers le pouvoir. Il s’agit du Mouvement des élèves et étudiants libéraux (MEEL) transformés à l’occasion en bras armés ou en « chairs à lacrymogènes » lors des émeutes urbaines et des grèves étudiantes et, plus tard, à son arrivée à la tête de l’État, en viviers de fidélisation et de « récompense » d’une clientèle électorale et de renouvellement de son personnel politique. Mieux que tout autre opposant, Wade a su capter les frustrations des étudiants ainsi que leurs luttes qui ont toujours oscillé entre syndicalisme alimentaire (plus de bourses et de chambres, des restaurants universitaires à faible coût, etc.) et stratégie protestataire (dissidence et rébellion sociopolitiques, alliances avec d’autres acteurs et figures de la contestation comme les syndicats, les associations et les partis politiques). Une des forces de Wade est d’avoir su mettre cette colère étudiante au service de ses objectifs de conquête du pouvoir. Il n’est donc pas surprenant que la puissante vague de colère ayant été à l’origine du « déracinement du baobab socialiste »410 ait été alimentée par les étudiants pour qui, le règne du « président de la jeunesse » devait déboucher sur une réelle prise en charge de leurs revendications. Élu par les jeunes et les étudiants, s’étant toujours proclamé « président des jeunes et des étudiants », ce sont, pourtant, les jeunes qui contribueront, de manière active et violente, à chasser Wade du pouvoir après plus d’une décennie à la tête de l’État. Néanmoins, 2 ans plus tard, surfant sur la vague de mécontentent et de désillusion à l’égard du régime de Macky Sall, Wade a vu son bilan Chute du Parti socialiste ayant dirigé le Sénégal pendant depuis l’indépendance avec les présidences de Léopold Sedar Senghor et d’Abdou Diouf. 410 magnifié et son passage regretté par ceux-là même qui l’avaient voué aux gémonies, notamment les étudiants. « trahis » s’installe dans les îlots de contestation et de dissidence qu’ont toujours été les campus sénégalais (Dimé, 2014). Malgré les efforts mis dans la matérialisation des promesses mirobolantes faites aux étudiants (bourses, emploi, fin des grèves, règlement rapide de la crise universitaire, etc.) au moment de ses batailles pour conquérir le pouvoir, la désillusion des étudiants à l’égard du régime de Wade a pris une grande ampleur, vite passées les années d’état de grâce du lendemain de l’alternance. Ce désenchantement des étudiants, surtout ceux ayant humé l’acre fumée des gaz lacrymogènes et enduré les bastonnades des forces policières, hypothéqué leurs études au moment des années d’opposition de Wade (année blanche en 1988, année invalide en 1993, grèves à répétition que le pouvoir d’alors imputait systématiquement à Wade brocardé dans l’imaginaire populaire en fauteur de trouble, en manipulateur d’étudiants) s’est vite installé dans les campus de Dakar et de SaintLouis dès les premiers mois de Wade au pouvoir. Une cassure s’est vite opérée entre Wade et ses fidèles alliés étudiants dès l’année 2011. Malgré les efforts mis par Wade et son régime pour résoudre les lancinants problèmes des universités et ainsi satisfaire les revendications des étudiants en posant des actes budgétaires en rupture par rapport au régime socialiste (notamment le principe de généralisation de la bourse et des aides scolaires, la densification de la carte universitaire avec la création de nouvelles universités à Bambey, Thiès et Ziguinchor411), le sentiment d’avoir été « floués », voire L’incapacité à saisir le travestissement des espoirs placés en l’alternance, la dure réalité de l’exercice du pouvoir et des arbitrages qu’elle impose et les faibles capacités de manœuvre des pouvoirs publics dans un contexte d’accentuation des périls et de renchérissement du coût de la vie, apparaissent comme d’autant d’éléments de la césure entre Wade et des étudiants qui l’ont accompagné dans ses combats pour conquérir le pouvoir et pour le conserver. Les dernières années de présidence de Wade ont permis ainsi de mesurer l’ampleur du désespoir des jeunes qui s’est exprimé dans la dimension la plus tragique à travers l’émigration clandestine. Le mouvement Y’en a marre parviendra à capter la rancœur des jeunes urbains et des étudiants et à la canaliser vers une contestation très prononcée du pouvoir de Wade. Les jeunes de Y’en a marre, parmi lesquels de nombreux étudiants, se sont arrogés une responsabilité déterminante dans la chute de Wade pour avoir joué un rôle majeur dans les manifestations violentes en opposition à sa participation à l’élection présidentielle, puis celles qui ont rythmé la campagne électorale et, de ce fait, avoir contribué par leur mobilisation, leur vote, leurs pressions, leur maillage du territoire, à l’éviction du « président des jeunes ». Ces universités régionales étaient, à leur création, des collèges universitaires régionaux (CUR) pour favoriser des formations à cycle court et des offres de formation articulées aux besoins du marché du travail. Mais, sous la pression de divers lobbys (régionaux et du personnel lui-même) ainsi que des étudiants qui dénoncent une formation au rabais et la difficulté de l’insertion professionnelle, ces CUR ont été transformés en universités dans la précipitation, l’improvisation et le manque de 411 S’appuyant sur des données qualitatives collectées auprès en 2013 et en 2014 d’étudiants de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar et l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, cette recherche se moyens. Il convient aussi de souligner le rôle crucial joué par les premiers dirigeants de ces établissements dans leur transformation afin de jouir des mêmes avantages et traitements que les recteurs de l’UCAD et de l’UGB. Wade finira par accéder à leur demande et, ainsi, mettre dans son bilan la création de 3 nouvelles universités. propose de documenter les relations complexes entre Wade et les étudiants (identification, instrumentalisation, clientélisme, désabusement, contestation, etc.). Elle s’interrogera d’abord sur les fondements de la relation « quasi-fusionnelle » que Wade a su créer avec les étudiants dans sa dynamique de conquête du pouvoir. Elle fera ensuite le point sur le processus de transformation de cette relation à la faveur des premières années de Wade au pouvoir. Sitôt l’alternance réalisée, les étudiants tombent vite dans la désillusion à l’égard d’un président qu’ils disent avoir contribué à élire et sur qui ils fondaient des espoirs immenses en termes d’amélioration notable de leurs conditions d’études et de vie, de rupture d’avec les répressions policières et d’émergence d’un meilleur système universitaire. Nous proposerons, ici, une analyse du bilan des politiques et programmes du gouvernement de Wade à l’égard des étudiants. Enfin, nous nous tenterons de démontrer comment l’aura, le magnétisme et la popularité de Wade auprès des étudiants ont pu s’estomper et déboucher sur son rejet massif lors des élections de 2012. Ce qui débouchera sur une analyse de l’implication politique et de la participation citoyenne des étudiants sénégalais. Nous prêterons attention notamment à leur rôle dans l’arrivée au pouvoir de Macky Sall. Ils comptaient d’ailleurs beaucoup sur lui pour résoudre les problèmes des universités. Mais, aujourd’hui après deux ans au pouvoir marqués par une accentuation de la crise universitaire et la violence des affrontements dans les campus, le président Sall a, lui aussi, globalement beaucoup déçus les étudiants au point de susciter un sentiment de nostalgie de la présidence Wade. Ceci, parce que les réformes mises en œuvre par les pouvoirs publics actuels ont été déroutantes, brutales et violentes aux yeux des étudiants (hausse substantielle des frais d’inscription, suppression « d’acquis » chèrement arrachés sous Wade comme le principe de la généralisation des bourses et des aides scolaires, etc.). LES ÉTUDIANTS , FIDÈLE BATAILLON D ’ABDOULAYE WADE DANS SA CONQUÊTE DU POUVOIR Le 3 avril 2000, à l’issue d’une cérémonie de prestation de serment riche en couleurs mais aussi longue que désorganisée, Abdoulaye Wade prenait officiellement le pouvoir dans un stade de l’Amitié412 occupé en majorité par des jeunes euphoriques à l’allure triomphale. La lutte de ces jeunes pour chasser le régime honni du Parti socialiste venait de connaître son épilogue. Place pouvait être alors faite à la réalisation des multiples et prodigieuses promesses de Wade à l’endroit des différentes composantes de la jeunesse l’ayant porté au pouvoir : étudiants, jeunes actifs dans le secteur informel, chômeurs, diplômés au chômage, migrants, marchands ambulants, etc. Le Sopi (le changement en langue wolof), slogan mobilisateur de Wade pendant sa longue trajectoire d’opposant à Léopold Sedar Senghor puis à Abdou Diouf, a été, pendant toute cette période, le cri de ralliement des élèves et des étudiants lors de leurs grèves et de leurs confrontations régulières avec les forces de sécurité (Sy, 2013). C’est dire que l’une des forces de Wade a été de s’appuyer notamment sur son fidèle bataillon des étudiants dans ses différents combats politiques et dans sa dynamique de conquête du pouvoir. Plus que tout autre homme politique, il a su cristalliser et capturer la colère des étudiants, l’instrumentaliser, l’utiliser à l’occasion comme « monnaie d’échange » pour assouvir ses ambitions politiques malgré la forte distance générationnelle et la dissonance des 412 Devenu, sous le magistère d’Abdoulaye Wade, Stade Léopold Sédar Senghor. schèmes référentiels. Aussi n’est-il pas surprenant que le « pape du Sopi » soit (auto)baptisé « prophète » de la jeunesse, porte-drapeau des étudiants. Cette jeunesse brocardée de rebelle jouera naturellement un rôle-clef dans l’arrivée au pouvoir de Wade. La jeunesse urbaine, surtout sa frange scolarisée (élèves et étudiants), a été à l’avant-garde de l’opposition contre le régime socialiste. Celle-ci a pris la forme de longues grèves scolaires et de violentes manifestations urbaines qui ont ponctué la campagne électorale de 1988, surtout lors d’un meeting à la veille de la clôture de la campagne électorale dans la ville de Thiès du candidat Abdou Diouf. Ce dernier, face aux attaques à coups de pierre de son cortège et de tentatives de perturbation de son meeting fustigea cette « jeunesse malsaine » formée de « bandits de grand chemin » (Diop et Diouf, 1990). Cette déclaration faite sous le coup de l’indignation et de l’énervement traduit plus que tout autre acte l’ampleur de la fracture entre le pouvoir socialiste et les jeunes au cours de cette période très tourmentée de l’histoire politique sénégalaise. Cette fracture a culminé avec l’instauration de l’état d’urgence à Dakar et l’emprisonnement des leaders politiques de l’opposition, Wade en premier, suite aux troubles postélectoraux qui ont fait fortement vaciller le régime de Diouf, vainqueur contesté de cette élection413 qui a constitué une étape marquante dans l’irruption des jeunes dans le champ politique. L’intrusion des jeunes dans l’espace politique ne s’est pas traduite par des gains électoraux importants pour leur candidat car, en réalité, la majorité d’entre eux ne pouvaient participer à l’élection car non-inscrits sur les listes électorales car n’ayant, pour la plupart, l’âge Abdou Diouf a obtenu 73,2% des voix contre 25,8% pour Abdoulaye Wade. Ce dernier ne reconnut pas les résultats et contesta vigoureusement la réélection de Diouf qu’il attribua à d’importantes fraudes électorales. 413 requis. Cependant, elle représentait un premier coup de hache sur le baobab socialiste qui a beaucoup chancelé pendant toute la décennie 90 du fait de l’ampleur de la contestation étudiante, syndicale et politique. Ce baobab que les jeunes avaient réussi à secouer vigoureusement finira finalement par être terrassé à l’élection 2000 qui consacre la première alternance politique dans le pays après une décennie de lutte et de mobilisation dans un contexte de vogue du phénomène bul faale (t’en fais pas, t’en occupe pas). Le bul faale qui s’exprime à travers un discours de dissidence et de dénonciation des conditions de vie des jeunes est principalement animé par les rappeurs dont les plus en vue ont été le Positive Black Soul. Ce dernier et la multitude de groupes de rap (parmi lesquels de nombreux exétudiants) se donnent la responsabilité d’éveil des consciences, d’exutoire des frustrations et d’expression, sur le plan politique, du sentiment de ras-le-bol généralisé de la jeunesse à l’égard du régime de Diouf et des effets néfastes des politiques d’ajustement sur ses conditions d’existence (Diop et Faye, 2002). L’alternance de 2000 peut ainsi être lue comme la consécration de ce travail inlassable de critique politique et sociale du mouvement rap. Le « fiel » des rappeurs de l’époque bul faale se déverse en général sur le régime socialiste que les textes dénonciateurs du rap tiennent pour responsable de la galère des jeunes et de la dureté des conditions de vie (Dimé, 2007). Les actes de défiance politique s’exprimèrent avec virulence à l’occasion de l’élection de 2000 caractérisée par un niveau de mobilisation exceptionnelle des étudiants. Certains ont organisé des caravanes pour sensibiliser leurs familles dans les régions de l’intérieur. D’autres ont effectué des appels téléphoniques pour inciter leurs parents à voter pour le départ de Diouf ou bien se sont impliqués à travers une surveillance des bureaux de vote et une sécurisation des résultats relayés en direct par les radios FM qui ont également joué un rôle-clef dans cette élection (Dahou et Foucher, 2004 ; Diop, Diouf et Diaw, 2000). Le travail de sape des jeunes s’est accompagné d’un soutien sans faille à Abdoulaye Wade qui, par son charisme et le pouvoir de ses slogans mobilisateurs, a réussi ainsi à capter la colère et le désenchantement des jeunes et à les instrumentaliser dans son objectif de conquête du pouvoir politique. PAA BI414 ET LES JEUNES : « QUASI-FUSIONNELLE » ANCRAGE ET DIMENSIONS D ’UNE RELATION Le rapport de Abdoulaye Wade d’avec la jeunesse sénégalaise procède d'un long cheminement qu'il serait facile de décortiquer et de comprendre s'il fallait exclusivement le limiter à l'objectif de prise du pouvoir. Il en est de même de ses rapports aux femmes, l'autre socle sur lequel Wade a construit son opposition, plus tard sa gouvernance et plus généralement ses rapports à la population sénégalaise. En effet, Abdoulaye Wade est probablement l'acteur politique qui a le premier ou le mieux compris le rôle stratégique qu'il pouvait faire jouer aux jeunes et aux femmes. En effet, pendant que les autres partis politiques, engagés dans la quête du pouvoir en étaient à mobiliser, organiser et convaincre les classes moyennes, Abdoulaye Wade mettait l'accent sur les jeunes, allant jusqu'à revendiquer une sorte d'exclusivité les concernant. Ce parti-pris pour les jeunes, Abdoulaye Wade ne l'a pas choisi par hasard. Il faut dire qu'à ses débuts, il avait mis l'accent sur le monde rural, notamment celui du Bassin arachidier parce qu'en effet, se trouvait-là le poumon économique du pays, la majeure partie de la population rurale mais aussi les populations les plus structurées (par les coopératives rurales). Mais il s’est vite rendu compte que le monde rural était surtout le vivier électoral du Parti socialiste en plus d’être l’espace des consignes de vote. C’est ainsi qu’après la campagne électorale de 1978, on notera un changement dans la posture stratégique de Wade, le monde rural disparaissant progressivement au profit d'entités sociales moins organisées et sans identités Diminutif de papa, formule d’affection pour désigner le père, le patriarche, bref une personne âgée en langue wolof. 414 professionnelles reconnues. On peut supposer qu'une telle mutation stratégique était fondée sur une fine analyse de la société sénégalaise, de sa structure démographique et de son évolution. Aussi avait-il compris en le faisant que, d'une part, la conquête du pouvoir nécessitait un véritable ancrage territorial, aussi bien rural qu'urbain, et que, d'autre part, elle allait être longue. Dans cette combinaison des facteurs temps et espace pour la quête du pouvoir, les jeunes – les étudiants – étaient probablement la frange de la population chez qui une telle stratégie pouvait se réaliser efficacement et durablement. En effet, par leur nombre et leur répartition spatiale, ils lui offraient la résonnance et le maillage en plus d'une permanence dynamique dans tous les coins du pays. Il s'agit là d'une exploitation stratégique de cette composante de la population dont le nombre et l'évolution assurent à celui qui bénéficie de son adhésion d'une place de choix dans le jeu politique. Mais encore fallaitil, à l'endroit de cette jeunesse, trouver le discours et le véhicule qui, en plus des attentes d'ordre socioéconomique (travail, école, sport, etc.) soit capable de la mobiliser. A ce sujet, Abdoulaye Wade est probablement l'homme politique sénégalais qui a su le mieux parler aux jeunes. Très tôt, il a pris la jeunesse sous son aile, allant même jusqu'à en être caricaturé. Au fil des ans, ce parti-pris lui a valu une sorte de reconnaissance aussi bien des jeunes que ses pairs politiques qui, d'ailleurs, lui concèdent une exceptionnelle capacité de mobilisation des jeunes et une faculté à leur parler. Cependant, la relation d’Abdoulaye Wade avec les jeunes, c'était également, une façon particulière de faire de la politique. A un certain populisme, voire machiavélisme, il ajoutait une bonne dose de ruse415, de ténacité, de volonté et d’abnégation, des valeurs auxquelles les jeunes étaient sensibles. Le tempérament frondeur de Wade, sa personnalité et ses talents oratoires (redoutable tribun en français comme en wolof) associés à son épaisseur intellectuelle (figure du professeur-connaittout ») ont fonctionné comme autant d’aimants à la base de la relation d’identification et de fusion qu’il a su établir avec la jeunesse dans ses composantes les plus diverses. Au fil des années, s'est alors construite entre Wade et les jeunes une sorte de pacte de confiance et d'affection, le tout solidifié par ses longues années de conquête du pouvoir mais aussi et surtout par son âge. En effet, de l'opposant des années 80 et 90, Wade était devenu dans ses années de présidence une sorte de patriarche (figure de Gorgui et de Paa bi416) pour les jeunes des années 2000 mais également pour les jeunes devenus adultes des décennies plus tard. Cette relation affective qu'on pourrait qualifier d'extraordinaire tellement elle était exclusive et singulière ne peut être saisie et comprise que lorsqu'on tient compte de la complexité de l'homme Wade. Certes, son opposition à Senghor, puis à Diouf, ses invites à la contestation, son accès facile ainsi que son refus d'abdiquer Le sobriquet de Ndiombor (lièvre en langue wolof) qui a été tout le temps accolé à Wade et dont la paternité revient au Président Senghor dépeint bien cette qualité qu’il a su toujours mobiliser au gré des vicissitudes de son long combat politique. 416 Le style vestimentaire de Wade a reflété ce passage à la figure du Paa bi. Au fil du temps, Wade, a troqué les bretelles, chemise blanche, cravate rouge et veston sombre contre le grand-boubou bleu-or avec une écharpe blanche autour du cou et coiffé d’un bonnet. Son fils Karim Wade, au sommet de son pouvoir, a fini par adopter ce style pour mettre de l’avant son identité de Sénégalais que ses détracteurs lui récusaient. Pendant tout la campagne électorale 2007, pas une seule fois, Wade n’a pas porté de costume lors de ses tournées et meetings de campagne. 415 avaient fait de lui celui qui incarnait le courage et la témérité. Cependant, il s'agit là de l'expression d'une certaine altérité dans laquelle la communication tenait une place centrale mais qui ne doit pas occulter l'autre versant du personnage. En effet, chez cet homme, cohabitaient le scientifique et le politique, ce politique bien imprégné de l'histoire et des dynamiques sociales de ses concitoyens. C'est pourquoi, comme nul autre homme politique de son époque, Wade est probablement celui qui a le mieux intégré et usé des outils de la science démographique et sociologique dans le champ politique. Il a su interpréter très tôt, saisir les tendances profondes de la société sénégalaise, y déceler les jeunes et les femmes comme des piliers d'accession au pouvoir. La capacité de Wade à captiver les jeunes s’est également toujours appuyée sur une stratégie fondée sur le fait de toujours s’adjoindre d’une figure représentative de cette frange de son fidèle électorat. C’est comme si, pour gommer l’effet de la différence d’âge, de l’écart générationnel et de la divergence des schèmes de référence, il lui devenait indispensable de s’entourer de collaborateurs pouvant permettre d’établir les « connexions » avec les jeunes. Cette tactique politique a été bâtie sur la promotion de jeunes leaders politiques recrutés (Serigne Diop en 1978 comme plus jeune député, Idrissa Seck comme directeur de campagne lors des élections de 1988), la nomination de hauts niveaux de responsabilité d’étudiants-militants « à peine sortis de l’adolescence » (Aliou Sow nommé ministre alors qu’il était encore étudiant), l’adoubement de « jeunes loups » issus du vivier du mouvement des étudiants libéraux et/ou des jeunesses libérales (Modou Diagne Fada, Mamadou Lamine Keita, etc.) et la « récompense » de nombreux autres responsables de l’Union des jeunesses travaillistes libérales (UJTL) et du Mouvement des élèves et étudiants libéraux (MEEL) par des postes de directeurs de société et d’agences nationales et par l’accès à des postes prestigieux dans les ministères, les sociétés nationales, l’administration publique et les ambassades. « PERSONNE NE PEUT CONNAÎTRE VOS PROBLÈMES MIEUX QUE MOI ! » WADE FACE AUX ÉTUDIANTS : ENTRE PATERNALISME , STRATÉGIE ALIMENTAIRE ET POURSUITE DE LA RÉPRESSION Wade a été élu dans un contexte où les attentes des étudiants étaient particulièrement élevées après plusieurs années de politiques d’ajustement structurel ayant eu pour cette catégorie un coût social dramatique. Les étudiants l’attendaient particulièrement sur la question de leurs conditions d’étude et vie qu’ils estiment s’être beaucoup détériorées ainsi que sur l’épineux problème de l’emploi. Pendant ses deux mandats, il s’est évertué à lancer une kyrielle d’initiatives dans le domaine de l’éducation (« généralisation » de la bourse et des aides de l’État pour les étudiants, ouverture de collèges universitaires régionaux transformés en universités par la suite, construction de nombreux lycées et collèges y compris dans des zones enclavées). Wade n’a d’ailleurs cessé, pendant ses deux mandats, mais, surtout à l’occasion des campagnes électorales, d’utiliser ses investissements massifs dans le secteur éducatif comme un de ses arguments-chocs, notamment le fait de lui consacrer 40% du budget national comme il l’a souligné dans une interview dans le journal Le Soleil : « dans le domaine de l’enseignement, une grande réussite est également à mettre au compte de l’alternance. C’est le fait que nous ayons pu accorder à tout étudiant une bourse, ou au moins, une aide équivalente à une bourse. C’est la prévision de l’importance que nous accordions à l’éducation417 ». Face aux revendications des étudiants Wade a su mettre en avant sa bonne connaissance du champ universitaire à titre d’ancien étudiant, ancien professeur et ancien doyen. Même si Wade a toujours déclamé sa forte ambition de prendre à bras le corps la question du chômage, à la fin de son mandat, il devient aisé de reconnaître son échec à ce niveau. Mais résoudre cette question, dans un contexte d’accroissement démographique toujours important, exige des moyens colossaux que les pouvoirs publics, au Sénégal comme ailleurs en Afrique, ont du mal à mobiliser. Comme ses prédécesseurs, les efforts de Wade ont été en quelque sorte « noyés » dans l’océan de la demande sociale qui n’a cessé de s’amplifier, effet direct du poids démographique des jeunes et d’une croissance rapide de la population avec tout ce que cela induit comme ampleur des besoins à combler (Tandian, 2013). On peut donc mettre à l’actif de Wade une certaine sensibilité aux questions ayant des incidences sur le quotidien des jeunes (emploi, formation, loisirs, etc.). Malgré les efforts mis dans la satisfaction de la demande sociale, dans la matérialisation des engagements pris lors des moments de conquête du pouvoir, la désillusion des jeunes à l’égard du régime libéral a pris une grande ampleur lors des trois dernières années de son mandat et au fur et à mesure de l’éclatement des multiples scandales financiers qui ont jalonné l’ère Wade (Coulibaly, 2003). 417 Le Soleil, édition du 19 mars 2004. « UN MAÎTRE ET SES DISCIPLES ». FONDEMENTS L ’ADULATION DE P AA BI PUIS DE SON DÉSAVEU ET PÉRIPÉTIES DE Les dernières années de présidence de Wade ont permis ainsi de mesurer l’ampleur du désespoir des jeunes qui s’est exprimé dans la dimension la plus tragique à travers l’émigration clandestine en direction de l’Espagne à bord de pirogues de fortune (Dimé, 2010). Au cours de la décennie 2000, la production musicale des rappeurs n’a cessé de vitupérer les dérives de « l’alternoce » et la faillite de Wade qui peut être appréhendée à travers la « gestion catastrophique des délestages électriques, des inondations, des finances » (Xuman de la première génération bul faale et qui a rallié par la suite le mouvement Y’en a marre). Même si cette contestation s’est émoussée au début des années 2000 dans un contexte d’état de grâce, d’euphorie de lendemains enchanteurs et d’enthousiasme généré par l’épopée de l’équipe nationale de football à la Coupe du monde de 2002. Les critiques sur la déception et la trahison se sont réamorcées dès le milieu des années 2000 dans les albums des rappeurs. Le groupe Pee Froiss s’est distingué dans ce registre de dénonciation des espoirs trahis à travers deux titres « Luy ndeyu li » = qu’est-ce qui explique ceci ? et « Kany » = piment. De même, Xuman s’est illustré dans cette posture à travers une satire du régime de Wade dans un morceau intitulé « Gorgui » où il se livre à une attaque féroce, dans un style allégorique, contre la méthode Wade. Ces critiques ont pris plus de vigueur devant le constat d’une gestion patrimoniale plus marquée de l’État et l’intention affichée par Wade de briguer un troisième mandat et possiblement de paver la voie à son fils au cœur désormais du dispositif de gestion du pouvoir. C’est le mouvement Y’en a marre qui réussira à capter la rancœur des jeunes urbains et à la diriger vers une contestation très prononcée du pouvoir de Wade. Chronologie d’un désenchantement et d’une défiance juvéniles Les premiers signes de la défiance des jeunes à l’égard de Paa bi peuvent être perçus dès l’année 2001 avant même que Wade n’ait fini de faire l’état des lieux de quatre décennies de gestion socialiste. C’est chez les étudiants de l’Université Cheikh Anta Diop, bastion de contestation longtemps contrôlé par Wade opposant que s’amorcent les premières mobilisations contre son nouveau régime vite accusé de trahir les aspirations des jeunes et de manquer de matérialiser les engagements pris en matière d’emploi, d’éducation, d’habitat et surtout de bonne gouvernance. Le délai de grâce accordé au nouveau pouvoir a été de courte durée car les premières années de Wade ne voient nullement l’arrêt des mouvements de grève à l’université. La répression policière qu’il a toujours vigoureusement dénoncée ne s’est point estompée à son accession à la tête de l’État. On n’a qu’à se rappeler de la virulence des réactions de Wade lors de ses meetings à l’endroit des forces de l’ordre et au cours desquels il ordonnait aux jeunes de s’opposer physiquement aux policiers et aux gendarmes418. Le groupe de rap Keur Gui, parmi les fondateurs de Y’en a marre, propose un titre intitulé La loi du talion dans l’album Nos connes doléances. Ce titre est en fait un extrait d’un discours de Wade lors d’un meeting à Dakar. Après s’en être pris avec véhémence aux policiers, il intime les jeunes d’adopter la loi du talion face aux forces policières. Voici une transcription de son discours : « Vous les forces de l’ordre….je ne sais pas si vous m’écoutez ou pas, je n’ai pas encore fini. Je ne sais pas si vous êtes des policiers, des gendarmes ou je ne sais quoi d’autre. Les policiers ne doivent pas vous faire peur. Ce sont juste des personnes. Je vais ajouter quelque chose…Je vous ai demandé de ne 418 La mort de l’étudiant Balla Gaye à l’intérieur du campus lors d’une manifestation étudiante durement réprimée en 2001 achève de convaincre les étudiants d’une continuité dans les pratiques policières et dans les réponses politiques à l’endroit de leurs revendications (bourses, chambres, désengorgement des universités). Les étudiants déchantent vite à l’endroit de Wade auprès de qui ils espéraient une attitude plus sensible à leur situation et dont l’élection devait signer la fin de la féroce répression des grèves étudiantes. Même si à cette époque, les critiques ne visent pas directement la personne de Wade, ses collaborateurs sont vite indexés comme responsables de la trahison des nombreux espoirs portés sur Wade. Les critiques ont atteint leur paroxysme lors de la catastrophe du bateau Le Joola419 le 26 septembre 2002. On assiste ainsi au début du désabusement des populations surtout juvéniles que et du sentiment entre le PS et le PDS, « c’est du pareil au même » même si une bonne frange de la population pas vous enfuir lorsqu’on vous balance une grenade lacrymogène. Mettez-vous aux côtés du policier qui vous a lancé cette grenade et s’il respire son odeur, c’est que toimême tu es capable de le faire. C’est une personne comme toi. Tant que tu prends la fuite lorsqu’il lance sa grenade, ça n’ira pas…Ça n’ira pas. …Je l’ai moi-même fait à la Place de l’OUA. Ne l’acceptez plus ! Surtout les jeunes. De la même manière qu’ailleurs, on se bat pour libérer son peuple, vous devez vous battre pour libérer le peuple sénégalais. Retenez bien cela. Si 10 ou 20 d’entre vous sont assez courageux et se mêlent aux policiers, le problème est résolu et c’est terminé ! Tu t’agrippes à son lancegrenade, tu te saisis de sa matraque ou tu te défends avec une chaîne de vélo. Je l’affirme haut et fort. Vous avez le droit de faire « œil pour œil, dent pour dent ». Il n’est nulle part écrit dans les lois du Sénégal ou dans sa Constitution que les flics ont le droit de bastonner. Moi, je réponds à la violence par la violence. Vous aussi, faites de même ! Que les choses soient très claires ! ». 419 Ce bateau qui assurait la liaison maritime entre Dakar et Ziguinchor a sombré au large des eaux maritimes gambiennes le 26 septembre avec près de 2000 personnes à bord alors qu’il n’était conçu que pour en transporter 550. Le bilan officiel fait état de 1863 victimes. Cette catastrophe a mis à nu une série de dysfonctionnements, de carences et d’irresponsabilités des pouvoirs publics dans la gestion du bateau, la conduite des secours et la prise en charge des victimes. persiste dans ses convictions qu’il « faut laisser du temps au Vieux pour qu’il démontre ses capacités à redresser le pays ». Le premier mandat de Wade (2000-2007) peut être considéré comme celui de l’investissement dans le béton puisqu’il a donné lieu au lancement tous azimuts d’une multitude de chantiers dans la ville de Dakar devant permettre à la ville de résorber plusieurs années de retard dans la construction d’infrastructures routières notamment. Malgré les critiques, il a été marqué par une euphorie et un enthousiasme chez les jeunes auquel la participation de l’équipe nationale de football au mondial de 2002 a grandement contribué. L’on se souvient des balades du président dans les rues de Dakar après les matchs victorieux des Lions en Corée du Sud et au Japon. La popularité de Wade est à son zénith pendant cette période d’allégresse qui a permis aux Sénégalais, pendant plus de deux semaines, d’oublier les rigueurs du quotidien : embouteillages monstres créés par les chantiers de l’agrandissement de l’autoroute, délestages, cherté du coût de la vie, manque d’emploi, multiples scandales financiers (rénovation de l’avion présidentiel notamment). Wade a beaucoup surfé sur une vague de popularité en vue notamment du renouvellement du mandat présidentiel. En février 2007, les Sénégalais retournent aux urnes. L’opposition mise sur une séduction des nombreux déçus de la « gouvernance libérale des institutions et des politiques publiques » (Diouf, 2013a), en particulier les jeunes électeurs. Malgré la virulence des discours à l’encontre de son régime et l’ampleur de la désillusion des masses urbaines et rurales, Wade est réélu au premier tour avec 55,9% des voix, à la surprise de nombreux analystes du champ politique sénégalais (Magrin, 2007). Les accusations de fraude électorale ont été brandies par les opposants pour expliquer la victoire de Wade qui a en quelque sorte déjoué les pronostics de vote-sanction chez les jeunes et qui rendaient inéluctable un deuxième tour du fait de la colère sourde ayant saisi de nombreux Sénégalais pour qui, les premières années de Wade n’ont pas suscité les changements espérés notamment dans le domaine de la bonne gouvernance et des réponses à la demande sociale. Au contraire, elles ont vu l’arrivée d’une caste de nouveaux riches arrogants et avides de consommation et d’exhibition de leur fortune aussi subite que suspecte. De nombreux jeunes ont encore porté leur choix sur Gorgui pour lui donner « le temps d’achever ses chantiers »420 comme en atteste le slogan de campagne du PDS « Continuons de bâtir le Sénégal avec Abdoulaye Wade ». Les infrastructures en construction (échangeurs, routes, aéroport, etc.) constituent à leurs yeux les signes évidents que le « Vieux » est en train de travailler malgré les nombreux scandales ayant émaillé son premier mandat mis sur le compte de collaborateurs inefficaces et cupides. Le « vote alimentaire » a été même pointé du doigt pour expliquer le choix de certains jeunes « pris dans le jeu de la captation des ressources financières mobilisées par le PDS lors de la campagne électorale » (Dalberto, 2011). Toujours est-il que la défiance juvénile qui s’est exprimée chez les rappeurs et lisible à travers les nombreux mouvements étudiants ayant ponctué le premier mandat de Wade n’ont pas suffi à le faire chuter en 2007. Par contre, ils ont réussi à commencer à dénouer un peu la relation fusionnelle entre Wade et les jeunes. Celle-ci se brise inexorablement lors de son quinquennat de 2007 à 2012. L’alternance est ainsi qualifiée « d’alternoce » par les rappeurs pour mettre à nu les nombreux scandales financiers, le train de vie opulent des « enrichis grâce au système Wade » et où on retrouve de nombreux militants des jeunesses libérales ayant profité de leurs positions politiques et de leurs nominations pour accumuler un patrimoine faisant quotidiennement les choux gras de la presse. Les délestages électriques et l’incapacité de Wade de venir à bout de ce problème malgré l’ampleur des moyens mobilisés vont fournir aux Sénégalais et aux jeunes un point de cristallisation d’un ras-le-bol généralisé. Les élections locales de 2009 offriront aux urbains un cadre d’expression de leur mécontentement envers Wade et d’un premier rejet massif de son fils candidat à la mairie de la capitale. Son parti perd ainsi le contrôle de Dakar et d’autres grands centres urbains (Saint-Louis, Rufisque, Guédiawaye, Pikine, etc.) au profit d’une opposition désormais dans une dynamique de coalition de ses forces. Conjuguée à l’usure du pouvoir, la désaffection des jeunes à l’endroit de Wade s’est exprimée avec virulence lors des dernières années de son second mandat. À partir de 2009, on peut soutenir que le divorce est consommé entre Wade et les jeunes notamment dans les grandes villes où s’exprime un malaise protestataire. Celui-ci a débordé même les rangs des jeunes pour toucher d’autres catégories naguère plus fidèles au parti au pouvoir comme en atteste le mouvement de protestation des imams de Guédiawaye421 en réaction aux coupures d’électricité. Au cours de la campagne électorale de 2000, l’apothéose des « marches bleues » se produisait lorsque Wade demandait aux jeunes Collectif des résidents et des Imams de Guédiawaye dirigé par Youssoupha Sarr. Ce collectif s’est rendu populaire à travers la contestation des factures d’électricité jugées abusives de la SENELEC, puis des nombreux délestages. 421 Comme en rend compte l’expression récurrente : « baayileen gorgui mu liggey » (laissez le Vieux travailler). 420 n’ayant pas de travail de lever leur main. En une image, il arrivait à désigner la revendication primordiale des jeunes et à polariser leur colère envers le régime de Diouf. Après une décennie à la tête de l’État, malgré son activisme et les moyens mobilisés, Wade n’est pas parvenu à juguler ce problème. Celui-ci est au cœur de son divorce d’avec les jeunes à qui il avait promis un emploi et une baisse du coût de la vie, bref des raisons de ne pas désespérer. Le chômage des jeunes, les nombreux scandales ayant émaillé sa gestion des affaires, l’ampleur de la demande sociale (habitat, transport, éducation, santé, sécurité, etc.) mais surtout l’intention qui lui a été prêtée de se faire succéder par son fils déjà dès le début de son deuxième mandat ont beaucoup contribué à la chute de Wade et à son rejet par les jeunes. Le mouvement Y’en a marre constitue non seulement le révélateur de cette exaspération juvénile mais il y jouera un rôle crucial. Y’en a marre, catalyseur de la contestation juvénile du régime de Wade Le 23 juin 2011 constitue une date marquante dans la jeune et tumultueuse histoire sociopolitique sénégalaise. Ce jour-là, de violentes émeutes urbaines ont embrasé Dakar ainsi que des villes de l’intérieur comme Thiès, Mbour, Saint-Louis, Kaolack ou Louga. Elles ont forcé le pouvoir en place à reculer sur un projet de réforme constitutionnelle rejeté par ses détracteurs car conçu pour paver la voie à ce que les médias, les partis d’opposition et une frange de la société civile ont qualifié de « schéma de dévolution monarchique » du pouvoir. À l’avant-scène de cette contestation qui a surpris, par sa soudaineté et son organisation (beaucoup fondée sur les TIC : Facebook, SMS, Twitter et les virulents débats à travers les commentaires des internautes sur les sites Web dédiés à l’actualité sénégalaise tels que Seneweb, Dakaractu, Nettali, Xibar (Ly et Seck, 2012) mais également par son audace et sa radicalité, se trouve un groupe de jeunes, rappeurs pour la plupart, qui se sont auto-baptisés Y’en a marre (Kassé, 2011a, 2011b). Ce dernier constitue un collectif de jeunes rappeurs pour la plupart à la fondation du mouvement qui s’était donné pour mandat d’être le catalyseur de la révolte juvénile contre le pouvoir d’Abdoulaye Wade et à terme son départ du pouvoir car étant, de leur avis, constitutionnellement disqualifié pour participer à l’élection présidentielle de février 2012. Un puissant cri de colère et de révolte s’est ainsi élevé au sein de cette jeunesse urbaine pour décliner sa désillusion à l’endroit du président Wade sur qui elle avait porté beaucoup d’espoirs au moment de son élection après plusieurs décennies de gestion socialiste du pouvoir. Ce sentiment juvénile de « ras-le-bol » a été aussi émis pour extérioriser la frustration d’être astreint à une galère perpétuelle mais également pour déclamer leur combat en vue de la naissance de ce que les rappeurs de Keur gui, Fou Malade et Simon, porte-drapeaux du mouvement, appellent le nouveau type de Sénégalais (NTS), le nouvel ordre national (NON), bref de l’émergence d’une nouvelle et forte conscience citoyenne chez les jeunes Sénégalais. Les émeutes se sont répétées une semaine plus tard en réaction aux insupportables coupures d’électricité dans ce que furent baptisées dans la presse dakaroise « d’émeutes de l’électricité ». Ces soulèvements populaires qui ont fait craindre le pire au cours de la fin du mois de juin 2011 n’étaient que le début d’une contestation sociopolitique dont le caractère violent ne s’est estompé qu’après la proclamation des résultats du premier tour. Celui-ci rendait inéluctable la tenue d’un second tour entre le président Wade dont le rejet de la candidature a nourri l’exaspération et la colère de la société civile et d’une frange des candidats à l’élection présidentielle qui lui déniaient toute légitimité et toute légalité à prendre part au scrutin. Au sein de la société civile, c’est surtout le collectif autoproclamé Mouvement du 23 juin ou M23 au sein duquel les jeunes de Y’en a marre ont joué un rôle de premier plan en vue de l’invalidation de la candidature du président Wade sortant qui s’est le plus distingué dans ce combat qui a vite débordé son champ habituel d’expression (médiatique notamment) pour revêtir les oripeaux d’une insurrection urbaine. Les semaines d’avant-campagne et de campagne électorale ont d’ailleurs été marquées par des scènes de guérilla urbaine quotidienne dans le cadre de manifestations violemment réprimées à la Place de l’indépendance, dans les campus de Dakar et de Saint-Louis et à la Pace de l’Obélisque surnommée place Tahrir en référence au célèbre lieu de rassemblement des milliers d’opposants au régime de Moubarak lors du printemps égyptien. Un climat de tension extrême ayant nourri les craintes d’un basculement du pays dans une phase de chaos et d’instabilité a ainsi plombé l’atmosphère politique. La violence de la répression (plusieurs morts ont été dénombrés autant à Dakar qu’à l’intérieur du pays) a ainsi semblé contribuer à accréditer l’idée d’un « printemps sénégalais » dont le point d’orgue a été la défaite électorale du « Vieux ». Les jeunes de Y’en a marre se sont arrogés une responsabilité décisive dans la survenue de cette deuxième alternance au Sénégal même si on peut d’ores et déjà souligner « l’absence d’atomes crochus » entre eux et le nouveau président Macky Sall. Force est de constater que l’intrusion de Y’en a marre dans le jeu politique et son désir d’y jouer un rôle majeur, symbolisent pour la jeunesse sénégalaise actuelle son désir d’être le catalyseur de changements sociaux, politiques, générationnels et surtout dans le mode de gouvernance notamment dans un contexte de double faillite des élites traditionnelles – politiques et maraboutiques (Diouf,1999) – et de l’inefficacité des programmes de développement à venir à bout des nombreux défis auxquels font face les jeunes. Ces problèmes ont, entre autres noms, le lancinant problème du chômage, les perturbations récurrentes dans le système éducatif, en particulier dans les universités (nombreuses grèves, violence étudiante, etc.), le manque de qualifications professionnelles, la dépendance sociale, le report des aspirations en matière d’autonomie économique, résidentielle et dans le domaine matrimonial, etc. Ces périls sont d’autant plus graves et urgents qu’ils se posent dans un contexte où l’émigration, de préférence en Occident, qui pouvait contribuer à entretenir l’espoir des jeunes d’un futur moins ardu est devenu aujourd’hui extrêmement contraignante du fait du resserrement draconien des conditions de départ (coût, ampleur de la demande, etc.), de l’acuité de la crise sévissant dans les principaux pays d’accueil des Sénégalais en Europe et du quasi-arrêt du phénomène « barça ou barsakh » (émigration clandestine vers l’Espagne à bord de pirogues qui ont atteint leur point culminant au cours des années 2007 à 2008). Si les émeutes du 23 juin 2011 ont donné à Y’en a marre une forte visibilité médiatique et ont placé les fondateurs du collectif à l’avant-scène dans le combat contre le régime de Wade, il faut cependant reconnaître que le processus de naissance du collectif date de plus longtemps. DU HÉROS ADULÉ AU PATRIARCHE DÉCHU . REBELLE WADE ET SA « JEUNESSE » Y’en a marre est une réaction née d’une prise de conscience qui s’est faite dans un contexte urbain marqué par des coupures d’électricité et une série de scandales fonciers et financiers (conditions opaques dans lequel le monument de la renaissance a été érigé et son coût dispendieux et son opportunité dans un contexte où l’État peine à résoudre les problèmes d’éducation, de santé et de transport devenus plus aigus). Les fondateurs du collectif mettent en avant ces éléments lorsqu’ils retracent les péripéties de sa naissance. Fadel Barro, journaliste de profession et un des membres fondateurs de Y’en a marre raconte les conditions, à première vue banales, dans lesquelles le collectif a été fondé : « Une soirée du mois de janvier 2011, je reçois les rappeurs du groupe Keur Gui de Kaolack qui sont des amis d’enfance. Ils sont connus pour leur engagement et leur esprit anticonformiste, voire rebelle ….Quand Diouf était au pouvoir, ils ont été emprisonnés pour une dénonciation virulente de la gestion de la ville de Kaolack. À cette époque, feu Abdoulaye Diack, un des barons influents du PS en était le maire. J’étais avec Thiat et Kilifeu, les rappeurs de Keur Gui avec d’autres amis à boire du thé et à discuter de choses de la vie…quand soudain nous sommes retrouvés dans le noir car l’électricité venait encore d’être coupée. C’était encore un de ces nombreux délestages de la SENELEC. Personne ne pouvait plus travailler à Dakar. Tout le monde en avait ras-le-bol. Même les imams, des personnes âgées, se sont mobilisés contre ces coupures. Nos débats ont vite porté sur les coupures et sur qu’il y avait à faire pour y mettre fin. J’ai ainsi reproché aux rappeurs de rien faire si ce n’est des chansons et de ne pas s’impliquer pour que les choses changent. Mes amis rappeurs se sont défendus et la discussion a été très passionnée. Nous sommes arrivés au constat que c’est le pouvoir en place qui est le responsable de cette situation et qu’il fallait faire quelque chose pour faire changer les choses. Nous nous sommes dits qu’on en avait marre de rester les bras croisés. C’est ainsi qu’est né Y’en a marre. Quand l’électricité est revenue vers 4 heures du matin, nous avons envoyé notre premier communiqué par email comme collectif Y en a marre. Je savais comment les choses marchaient avec les médias. » À la suite de sa naissance au mois de janvier 2011, ce sont les émeutes urbaines de juin qui vont fournir au collectif Y’en a marre l’occasion de se faire connaître des Sénégalais, de se poser en « opposants intrépides au régime de Wade et à l’intention qui lui est alors prêtée de transférer le pouvoir à son fils, Karim Wade mais également la possibilité d’élargir ses bases de recrutement de leur mouvement et de décliner la « nouvelle conscience citoyenne » dont ils se disent être les porteurs. Le collectif est à sa naissance structuré autour de rappeurs et du journaliste Barro. Les rappeurs à la fondation du mouvement sont ceux de Keur Gui (Kilifeu et Thiat422), Simon et Fou Malade. À la suite de la renommée plus grande du collectif, d’autres rappeurs s’y joindront surtout après les émeutes de juin 2011 qui ont conféré à ses initiateurs un leadership dans la contestation juvénile et citoyenne contre le pouvoir en place. Les conditions de naissance de Y’en a marre et les objectifs clairs de revendications politique et citoyenne que ses fondateurs se sont donnés, le mettent nettement en position de rupture par rapport à la génération bul faale au sein de laquelle les rappeurs qui lui sont associés étaient plus dans une posture de critique sociale et de sensibilisation des jeunes à travers leurs textes. Avec Y’en marre, on est en face d’initiatives organisées de revendication politique qui, très vite, trouvent des alliés en certains démembrements de la société civile dakaroise mobilisée contre une troisième candidature d’Abdoulaye Wade. Alors qu’il a affirmé n’avoir pas l’intention de se présenter à un troisième mandat au cours d’un entretien sur la chaine TV5, à l’approche des élections, le discours du président est alors aux antipodes de son interview que les médias dakarois ont passée en boucle au cours de l’année 2011. Cette décision fondée sur une logique de waxon waxet (dire et se dédire en wolof) a surtout eu pour conséquence de servir de déclic dans les dynamiques de mobilisation de la société civile autour de Alioune Tine, responsable de l’ONG des Ce sont les noms de scène de ces rappeurs. En wolof, Kilifeu signifie le patriarche ; Thiat, le dernier de la famille, le cadet ; keur gui, nom du groupe signifiant la maison. Le troisième membre du groupe Mollah Morgun qui a participé au dernier album du groupe intitulé Nos connes doléances sorti en 2008 a, par la suite, quitté le groupe. 422 droits de l’homme RADDHO423 et des membres de Y’en marre. Ils vont ainsi former une espèce de « sainte alliance » avec les partis d’opposition politique dans un collectif baptisé « Mouvement du 23 juin ou M23 » en référence à cette date au cours de laquelle le pouvoir, face à la mobilisation populaire dans sa volonté de faire avaliser par l’assemblée nationale un projet de loi devant instaurer l’idée d’un « ticket présidentiel » à l’américaine (élection d’un président et d’un vice-président) avec seulement 25% des votants. Après les émeutes de juin, les responsables de Y’en a marre se sont lancés dans une phase active de mobilisation politique, plutôt citoyenne car c’est le qualitatif qu’ils préfèrent pour caractériser leur mouvement pour ainsi marquer leur distance d’avec les politiciens et « les manières de dire et de faire » la politique. Cette mobilisation a pris la forme d’appels et de tournées en vue d’une inscription massive des jeunes sur les listes électorales dans le cadre d’une campagne baptisée dass fananal (aiguiser et attendre) à travers des slogans comme « ma carte, mon arme ». La mobilisation citoyenne a pris la forme de compilations rap dont la plus connue est celle de Y’en a marre. Dans cette production qui a permis de constater l’arrivée de nouveaux rappeurs dans le collectif, le titre phare est « Faux pas forcer », message adressé au président pour l’inviter de ne pas forcer ce puissant « barrage juvénile » opposé à sa candidature. Le pouvoir de Wade, conscient de la menace que représente Y’en a marre a essayé de le contrecarrer très tôt par des tentatives de récupération non abouties (tentatives de corruption), par la stratégie de l’intimidation (arrestation, bastonnade de leaders dans les locaux de la police, accusations de trouble à l’ordre public, etc.) mais surtout 423 RADDHO : Rencontre Africaine de Défense des Droits de l’Homme. par la création d’un mouvement de jeunes favorables au président dénommé Y en a envie et la promotion de rappeurs tels que Pacotille pour contrer le discours de protestation de Y’en a marre. Les actes d’infiltration de Y’en a marre et les stratégies pour le discréditer n’ont pas donné les résultats escomptés : Y en a envie n’a jamais réussi à susciter un réel impact mobilisateur malgré les moyens financiers alloués aux jeunes, aux rappeurs et musiciens choisi pour porter ce discours de brouillage des Y’en a marristes. Au contraire, le contexte de tension de l’élection présidentielle va lui fournir l’occasion de le radicaliser et de susciter une adhésion plus importante auprès de la jeunesse urbaine. DES ÉTUDIANTS DEVENUS NOSTALGIQUES DE WADE ? Comme au moment de l’arrivée au pouvoir d’Abdoulaye Wade, les étudiants à l’instar des autres franges de la jeunesse, ont fondé beaucoup d’espoirs sur la seconde alternance à laquelle ils affirment avoir grandement contribué pour des changements qualitatifs dans leurs conditions de vie et d’étude dans les universités. Non seulement les acquis qu’ils ont pu obtenir sous le régime de Wade devaient être sauvegardés mais d’autres conquêtes restaient à faire dans le domaine ultrasensible et prioritaire des bourses mais aussi pour des améliorations notables dans les conditions de séjour (plus de résidences universitaires, orientation du nombre de bacheliers de plus en plus nombreux chaque année). L’espoir des étudiants quant aux capacités du président nouvellement élu Macky Sall à faire face aux problèmes de l’université était d’autant plus fondé que ce dernier est un produit de l’UCAD pour avoir étudié à l’Institut des sciences de la terre. Après plus de 2 ans au pouvoir de Macky Sall, grand est aujourd’hui le désabusement des étudiants face aux nombreuses incidences que la série de réformes initiées dans le secteur universitaire ont eu sur leur quotidien. Restant fidèle à un style de gouvernance qualifiée de sobre et de vertueuse, le régime actuel a lancé, dès son installation, une Concertation nationale sur l’avenir de l’enseignement supérieur (CNAES) dirigée par le Professeur Souleymane Bachir Diagne, aujourd’hui enseignant à l’Université Columbia et ancien du département de philosophie de l’UCAD. La mission de cette concertation était de proposer un diagnostic sans complaisance de l’ensemble des maux du système universitaire sénégalais et d’identifier des pistes de solution face aux problèmes récurrents comme les effectifs pléthoriques, la violence endémique, les nombreuses grèves, le gaspillage des ressources publiques, les taux d’échec élevés, l’ampleur du chômage postdiplôme, etc. À l’issue d’un dialogue qui a impliqué beaucoup d’acteurs du monde académique et extra-universitaire (étudiants, syndicats, professeurs, entreprises, société civile, etc.), une batterie de recommandations a été faite en vue d’améliorer la gouvernance des universités, la réorientation de leurs missions (priorités aux sciences, mathématiques, ingénierie au détriment des lettres et des sciences humaines), la pacification de l’espace universitaire, une meilleure allocation des ressources publiques attribuées à l’enseignement supérieur, etc. Dans cette série de recommandations censées améliorer la compétitivité des universités publiques, deux mesures-phares continuent de cristalliser la colère des étudiants et de nourrir leur sentiment d’avoir été floués par un régime qu’ils disent avoir contribué à élire. Il s’agit de l’augmentation des frais d’inscription passés d’environ 4 800FCFA à 25 000CFA pour la 1ère année, 30 000FCFA pour la 2ème année, 35 000 pour la 3ème année ; 50 000 pour le master 1, 60 000CFA pour le master 2 et enfin 75 000 pour les étudiants au doctorat. L’autre changement qui a alimenté la colère des étudiants est la remise en cause du principe de la généralisation des bourses et des aides acquis sous Wade et qui permettait à chaque étudiant, s’il n’est pas bénéficiaire d’une bourse (moitié ou entière), d’obtenir une aide annuelle de 60 000CFA et d’être attributaire d’une bourse s’il réussit à passer en 2ème année sans compter la prépondérance des critères sociaux dans l’attribution des bourses. La hausse substantielle des frais de scolarité peut être assimilée à un « choc traumatique » pour les étudiants habitués pendant presque 50 années à un taux resté inchangé. Elle a nourri une vague de contestation et de violence au cours de l’année 2013 chez des étudiants qui ont tout tenté pour faire avorter l’application de cette mesure considérée comme contribuant à une paupérisation plus prononcée des étudiants d’autant plus que les efforts financiers qui leur sont demandés ne sont pas accompagnés d’amélioration dans les conditions d’étude. Au contraire, les difficultés se sont accentuées. Par exemple, les étudiants de l’Université Gaston Berger disent trouver dans la dégradation de leurs conditions de vie dans le campus (promiscuité dans des chambres pouvant accueillir 8 étudiants maintenant alors que prévue pour 2, longues files pour accéder aux restaurants universitaires, etc.) et dans les difficultés nouvelles qu’ils découvrent au plan pédagogique (des salles bondées, manque de salles de cours, cours annulés faute de salle, etc.) les preuves tangibles d’une dégradation des conditions sociales et pédagogiques dans cette université424 qui a été toujours caractérisée par les conditions Surnommée « l’Université d’excellence », l’UGB est devenue, de l’avis des étudiants, une "université en décadence". Ce qui était sa réputation et expliquait les excellents résultats de ses étudiants, à savoir la sélection sur la base du mérite des étudiants admis et les effectifs réduits (des salles de cours de 50 étudiants en première année avantageuses d’étude et de vie dans le campus comparé à leurs collègues de l’UCAD habitués à faire face aux problèmes auxquels ils sont aujourd’hui exposés. Dans les 5 universités publiques, l’année 2013 a été ponctuée par des grèves et des épisodes de violence pour contester la mise en œuvre de la hausse des frais d’inscription et la révision des critères et du nombre des boursiers. Ces perturbations continuent de peser sur le déroulement normal de l’année universitaire 2014 qui n’a démarré par exemple à l’UGB qu’au mois de février 2014 au lieu d’octobre 2013. À l’UCAD, les années académiques se chevauchent à tel point que dans certains départements, les enseignements de l’année en cours ne commencent qu’au mois de mai, effet direct des grèves à répétition. Dans les universités régionales de Thiès, Bambey et Ziguinchor, en 2013 comme en 2014, les étudiants ont multiplié les arrêts de cours, les affrontements avec les forces policières et les campagnes médiatiques pour alerter et protester contre la dégradation de leur situation et les nombreux problèmes vécus au quotidien. Globalement aujourd’hui un sentiment de ras-le-bol s’est installé chez la plupart des étudiants. Leur désabusement est de taille par rapport aux réponses que le régime actuel a apportées à leurs attentes au moment du combat pour le départ de Wade qui a mobilisé leur énergie en 2012 et conféré un caractère politique aux grèves et mouvements de protestation menés au cours de cette année. Face aux nombreux fronts dans lesquels ils doivent concomitamment se battre actuellement (bourses, conditions pédagogiques, orientation des nouveaux bacheliers, etc.), la plupart des étudiants se mettent à 424 comparé aux amphithéâtres bondés de l’UCAD) sont choses du passé. Aujourd’hui le quotidien est fait de pénurie d’eau chronique dans les résidences universitaires, de montée en flèche des effectifs, de problèmes d’hébergement, etc. regretter la période de la présidence de Wade et surtout l’empressement avec lequel il pouvait répondre des fois à certaines de leurs doléances. Les discours que nous avons recueillis à l’UCAD et à l’UGB auprès d’étudiants de 1ère année et de Licence 3 et de Master s’accordent sur un point : une critique implacable des mesures adoptées par le gouvernement actuel et, d’une manière générale, la gestion actuelle du secteur de l’enseignement supérieur et un regard nostalgique de la période Wade qu’un répondant qualifie comme « le président ayant le mieux fait pour les étudiants et les professeurs ». Le président actuel et son ministre de l’enseignement supérieur sont au contraire voués aux gémonies et brocardés comme des « pingres », des « sans-cœur » et obsédés par la volonté de mettre au pas les espaces de dissidences et de rébellion que sont les campus, y compris en comptant davantage sur l’arme classique de la répression policière et de l’intimidation. Certains étudiants jugent même que la répression est montée de plus d’un cran depuis le début de la seconde alternance avec la mise en place d’une police universitaire et l’installation permanente des policiers à l’intérieur du campus pédagogique425 et le degré plus féroce de répression de leurs grèves426. Les policiers n’hésitant plus, à leur avis, à pénétrer jusque dans les Les étudiants disent qu’avec la création de cette police et l’installation des policiers près des amphithéâtres, la loi sur les franchises universitaires est vidée de sa substance alors que du côté du ministère de l’Enseignement supérieur, il s’agit d’une réponse justifiée par le niveau de violence observé dans les universités. 426 Un niveau de violence inhabituel a été atteint le jeudi 22 mai au campus de l’UCAD entre policiers et étudiants. Les locaux du COUD ont été saccagés par les étudiants et qui ont bloqué l’avenue Cheikh Anta Diop, pendant des heures. Les policiers sont accusés d’avoir défoncé des portes et tabassé des étudiants jusque dans leurs chambres. Des accusations de vol d’ordinateurs, voire d’agression sexuelle ont été même proférées contre eux. Les étudiants ont fini par déserter le campus à l’UCAD comme à l’UGB après avoir décidé d’un mot d’ordre de grève illimitée plongeant le système universitaire dans une crise lourde de dangers pour son avenir et sa viabilité. 425 salles de cours au moment des « fronts427 ». Le président Wade, que les étudiants, à l’image d’une bonne partie de la jeunesse sénégalaise, ont rejeté à la fin de son mandat est aujourd’hui réhabilité, voire paré de la vertu de « grand bienfaiteur pour les étudiants » (répondant de l’UCAD). Cette nostalgie de la décennie Wade n’est pas spécifique aux étudiants, elle a saisi une bonne frange de la population sénégalaise comme en atteste l’ampleur des foules428 ayant accueilli l’ancien président à son retour au pays après près de 2 ans d’absence. En dernier ressort, cette nostalgie n’est que le révélateur de l’ampleur des problèmes qui continuent de frapper les universités et de la difficulté de mettre en place des mesures de réforme en profondeur dans un contexte où les pouvoirs publics sont pris en tenaille entre l’obligation d’assainir les universités, souvent sous l’injonction de leurs partenaires financiers (le couple FMI-Banque mondiale) et la volonté farouche des acteurs de sauvegarder des privilèges (ou d’en obtenir) sur la base d’une culture de la revendication et de l’arme de la violence. Wade a su manœuvrer face à ce dilemme sur la base d’une stratégie populiste et clientéliste tout en étant servi par sa bonne lecture et connaissance du leadership dans les mouvements étudiants. Il a su ruser avec les étudiants en oscillant au moment des crises entre « fermeté » et « gâteries » à l’image d’un patriarche (Paa bi) vis-à-vis de ses petits-enfants. La relation de Wade d’avec les étudiants ne peut esquiver ce type de lecture et explique la Surnom donné aux manifestations étudiantes consistant à bloquer une artère principale (route nationale pour l’UGB par exemple, l’avenue Cheikh Anta Diop et le boulevard de la Corniche pour l’UCAD, et qui donne lieu à un affrontement entre étudiants armés de pierres et forces policières recourant aux grenades lacrymogènes, aux matraques, aux arrestations massives, etc. 428 La chanson entonnée par les foules s’étant massées sur le long parcours emprunté par Wade en dit long sur ce sentiment de regret : Gorgui, balniou dano dioum « Père, pardonne-nous, nous nous sommes trompés ». 427 popularité de l’homme politique chez les étudiants. Il s’agit d’une popularité exceptionnelle qui a traversé les générations d’étudiants. Elle a été instrumentalisée et bien entretenue par Wade pendant ses années d’opposition. Elle s’est infléchie, dès les premières années de sa présidence. Elle a beaucoup décliné au moment de la forte contestation de sa candidature à un 3ème mandat et de sa défaite électorale en 2012. Mais, elle semble aujourd’hui avoir rebondi à la faveur du sentiment de désabusement et de déception animant les étudiants vis-à-vis des réponses du gouvernement Macky Sall aux multiples problèmes des universités. CONCLUSION Au-delà d’une analyse des rapports entre le président Abdoulaye Wade et les étudiants, cette recherche a proposé une lecture de l’ancrage de la tradition de contestation sociopolitique et de mobilisation de la jeunesse sénégalaise dans son ensemble. Elle a proposé du même coup une brève radioscopie des crises récurrentes dans lesquelles est inlassablement plongé le système universitaire et qui contribuent à le fragiliser d’année en année et ainsi à miner ses performances. Les vicissitudes des relations entre Wade, l’opposant puis le président et la catégorie éclatée et revendicative des étudiants illustrent les paradoxes du contrat social sénégalais (Cruise O’Brien, 1992), notamment à travers ses dimensions liées aux permanences et ruptures dans les rapports entre « aînés » et « cadets » sociaux. Nous avons passé en revue les configurations et les réinventions de ces rapports entre ces groupes illustrés à merveille par les figures du « patriarche » (Paa bi, Gorgui) et des étudiants. Nous sommes remonté jusqu’aux bases affectives de la relation quasi-fusionnelle entre Wade et les étudiants, voire des jeunes dans leur ensemble. Gorgui, mieux que tout homme politique, a su capturer l’électorat jeune et en faire l’acteur majeur de ses combats politiques. Malgré les efforts accomplis et l’ampleur des moyens mobilisés pour répondre aux attentes colossales des étudiants, en dépit des mesures prises pour « chouchouter » cette frange rebelle de la jeunesse, nonobstant sa promesse de régler la crise universitaire par sa connaissance des universités, Wade a globalement déçu les étudiants. Certes, on ne peut faire l’impasse sur les efforts qu’il a déployés pour densifier la carte universitaire et à sa sensibilité aux conditions de vie des étudiants qui l’ont poussé à satisfaire leurs revendications souvent dans l’empressement et l’improvisation comme l’a été le principe de la « généralisation de la bourse ». Ce dernier est aujourd’hui le souvenir le plus vivace que les étudiants retiennent des années Wade qui alimentent leur nostalgie actuelle à son endroit surtout dans un contexte où cette mesure est fortement remise en question par les pouvoirs publics actuels. Cependant, Wade a laissé à son successeur des universités en crise, plombées par des problèmes structurels relevant d’une faiblesse de leur budget, d’effectifs pléthoriques, de déficits infrastructurels, d’une gestion peu efficace sans compter une orientation et des missions à redéfinir. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES Banégas R. et J.-P. Warnier, 2001. « Nouvelles figures de la réussite et du pouvoir », Politique africaine, nº 82, p. 5-21. Biaya T. K., 2000. « Jeunes et cultures de la rue en Afrique urbaine (Addis-Abeba, Dakar et Kinshasa) », Politique africaine, n° 80, p. 12-31. Coulibaly A., 2003. Wade, un opposant au pouvoir. L’alternance piégée ?, Dakar, Les éditions sentinelles, 300 p. Cruise O’Brien D., 1992. « Le contrat social sénégalais à l’épreuve», Politique africaine, n° 45, p. 9-20. Diop M-C et M. Diouf, 1990. Le Sénégal sous Abdou Diouf, Paris, Karthala. 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SAMEDI 5 JUILLET Matinée sous la Présidence de Matinée sous la Présidence de Mamadou Diouf Atelier 7 : Contributions des étudiants aux reconfigurations de l’action publique 9h30-10h30 : Registres contestataires estudiantins et inflexion du socle politique post-autoritaire au Cameroun : Hughes Morell Meliki Comment la contestation des élèves et des étudiants au Niger alimente l’agenda de l’enseignement supérieur : entre promotion des valeurs « démocratiques » et héritages des régimes autoritaires : Tatiana Smirnova L’étude des mouvements étudiants comme grille de l’action publique : le cas des mouvements étudiants de l’université du Burundi mis en comparaison avec les universités de Daar-Es-Salaam et de Nairobi : Olivier Provini HUGHES MORELL MELIKI. REGISTRES CONTESTATAIRES ESTUDIANTINS ET INFLEXION DU SOCLE POLITIQUE POST-AUTORITAIRE AU CAMEROUN Département de sociologie, Université de Yaoundé I, Cameroun. La mise en vedette du refrain « la politique aux politiciens et l’école aux écoliers », tel que formulé par le président de la république durant les années de braise, augurait d’une volonté de dépolitisation et d’exclusion des affaires publiques des masses estudiantines. Car, le poids et la jeunesse de son armature démographique doublée de son esprit critique constituent une menace pour la stabilité du pouvoir. Cette réticence du Renouveau, à considérer la voix étudiante, s’est exprimée par l’utilisation des appareils répressifs d’Etat comme modèle relationnel avec toute mobilisation irrévérencieuse. Aussi, le radicalisme contestataire des premières mobilisations estudiantines qui s’accompagnaient jusqu’ici de violences protéiformes, telles que des casses, des barrages, des incendies et l’indiscipline sociale, a-t-il justifié ce recours à la force et le refus à toute concession de la part du pouvoir qui s’appuyait sur un lexique incriminant à l’encontre des mobilisés. Toutefois, ce réflexe autoritariste, parce qu’entretenu par la nature violente du registre contestataire alors emprunté par le corps social, connaît une mutation liée aux innovations des pratiques de contestation mises en œuvre lors des manifestations de 2005 à Yaoundé I. Aussi, sur la base de données issue d’observation directe, de l’auto-narration contrôlée de quelques acteurs clé, des traces archivistiques et des extraits du site social camerounais, Camer Be, le tout en relation avec l’irrédentisme estudiantin de 1992 et 2005, pour des besoins comparatifs, afin de relever les différentes technologies contestataires mobilisées et les effets produits sur le Renouveau, la réflexion montre que le registre religieux duquel se nourrissent les modalités de la grève de 2005 et l’instrumentation de l’idéologie de paix liée au pouvoir, ont agi en acte réformateur des pratiques de gestion des mouvements contestataires au sein du régime. MOBILISATION ÉTUDIANTE ET VIOLENCE : UNE COLLUSION HISTORIQUE A l’observation, on décèle une forte complicité entre les mouvements irrédentistes étudiants antérieurs et la violence. Il est ainsi question de voir les manifestations empiriques de cette violence après considération de l’histoire syndicale étudiante. Une disqualification sempiternelle du syndicalisme étudiant Exception faite de l’expérience métropolitaine, avec l’Union Nationale des Etudiants du Cameroun (UNEK), l’université camerounaise n’offre pas, jusqu’en 1990, de prises réelles à un syndicalisme corporatiste estudiantin. La création de la Fédération nationale des étudiants camerounais (Fenec) dans les années 60 et la consécration des associations de facultés en 1982, ne changent rien à la donne. Car, la première est caporalisée par le parti unique (Union Nationale Camerounaise) qui a consacré sa naissance429, alors que les secondes sont strictement des organes émanant de l’administration universitaire. Cette virginité syndicale des étudiants tient d’un Etat rétif face à l’intelligence critique étudiante et sa prétention à constituer une pièce de rechange face à des hommes politiques médiocres. Seuls les mouvements de fronde liés à l’ouverture démocratique de 1990 permettent l’apparition éphémère d’un premier mouvement étudiant. Le 15 Août 1990, le « Parlement » des étudiants voit le jour avec Senfo Tonkam comme leader. Toutefois, la complicité du Parlement, officiellement consacré apolitique, avec l’opposition partisane, lui vaudra une interdiction de fonctionnement en 1991 de même que d’autres associations. Le pouvoir rappellera que ces groupes, par leurs actes, laissent voir un penchant qui se situe aux antipodes de l’apolitisme déclaré430. L’existence parallèle de « l’auto-défense », supposé être un organe à structure ethnique proche du pouvoir431 et Marie-Emmanuelle POMMEROLLE, « Routines autoritaires et innovations militantes » Le cas d'un mouvement étudiant au Cameroun, Politique africaine, Vol. 4, n° 108, 2007, p. 157 430 Cameroon Tribune, n0 4927, dimanche 14 et lundi 15 juillet1991, p. 5 431 Cf. Piet KONINGS, « University students’ revolt, ethnic militia, and violence during political liberalization in Cameroon», African Studies Review, vol. 45, n° 2, 2002 429 qui nie une légitimité au Parlement, ainsi que les tensions liées aux revendications de l’opposition, le tout ajouté à la dégradation des conditions d’étude constituaient un tout explosif augurant des flambées de violence au sein du Campus de Yaoundé I, à titre principal. La scénographie de la violence dans les premières mobilisations La libéralisation politique des années 90, constitue un marqueur historique des premières expériences de mobilisation étudiantes. La gémellité temporelle dans l’érection des premiers moments de convulsion sociopolitique au sein de la « société civile », poussée par l’opposition partisane et la virginité en termes d’expériences contestataires estudiantines, ont préformé le cadre d’une osmose du répertoire d’actions contestataires de la société des deux premières composantes pour le milieu estudiantin. Cette osmose est d’autant plus facilitée que le Parlement, organe de coordination du mouvement étudiant, exprime un soutien explicite à la Coordination des partis d’opposition en appelant à une Conférence nationale souveraine432. Ces éléments, dans un contexte de triomphalisme des villes-mortes433, inocule l’exemplarité de la violence comme modèle de revendication à une composante étudiante néophyte dans la mobilisation. Les premières éruptions de violence sont alors enregistrées au campus de l’université de Yaoundé I, sous le prétexte de la faiblesse des notes attribuées aux étudiants en facultés de droit et de sciences économiques434. La violence va crescendo transitant des figures Zacharie NGNIMAN, Cameroun : la démocratie emballée, Yaoundé, Clé, 1993, p. 91 et Le Messager, n0 233, 11 avril 1991, p. 6 433 Martin Dieudonné EBOLO, « De la "société civile" mythique à la "société civile" impure : entre assujettissement, émancipation et collusion », in La révolution passive au Cameroun : Etat, société et changement, Luc SINDJOUN (éd), Dakar, CODESRIA, 1999, p. 79 434 Idem, p. 77 mineures aux figures d’ordre criminel. Les figures mineures sont reprises par un internaute sur la question : « les manifestations n'étaient pas pacifiques, car la paix ne détruit pas la bibliothèque, elle ne détruit pas les murs du campus, elle ne saccage pas l'assemblée nationale, elle n'envoie pas des lettres d'insulte au chef de l'état »435. Destruction du matériel public et atteinte à l’intégrité morale des individus rentrent dans ce registre. Si ces éléments sont considérés comme mineurs, c’est parce que l’on a assisté à des incendies meurtriers. L’étudiant Ndam Souley est brûlé vif dans une chambre incendiée par le Parlement dans sa chasse aux indics de la police436. « Djongoué Kamga Collins, mort brulé dans sa chambre »437 par des Parlementaires reprochant à l’auto-défense, auquel il appartenait, d’être une structure-relais du pouvoir, démontre le caractère violent des premiers mouvements estudiantins auxquels le pouvoir a opposé sa force militaire brute. VIOLENCE D’É TAT VERSUS VIOLENCE ESTUDIANTINE L’expression de régime post-autoritaire, désigne les caractéristiques du pouvoir en acte dans sa relation avec les composantes sociales inscrites en discordance explicite avec son schème de gouvernementalité ; il relève la pérennité paradoxale, malgré le contexte démocratique, de pratiques juridiquement exorbitées qui permettent d’ « inculquer » l’ordre d’État et inscrire ainsi dans la conscience des mobilisés l’idée de la toute puissance et de 432 Gabson, réaction du 8 avril 2014; url : http://camer.be/32880/30:27/usacameroun-temoignage-de-corantin-talla-leader-du-parlement-sur-ateba-eyene.html 436 Zacharie NGNIMAN, La démocratie…ouvr. cité, p. 91 et Martin Dieudonné EBOLO, « De la "société civile" mythique…art. cité, p. 96 437 Vérokoua, réaction du 7 avril 2014; url : http://camer.be/32880/30:27/usacameroun-temoignage-de-corantin-talla-leader-du-parlement-sur-ateba-eyene.html 435 l’exceptionnalité du pouvoir438. Il est à présent question de saisir les types de pratiques constitutifs des réponses d’un régime autoritaire face à des mouvements violents. L’étudiant mobilisé, un incrimination ante facto ante-citoyen : lexicologie d’une Pour l’Etat, les périodes de mobilisation donnent cours à une forte activité discursive dont la fonction est de catégoriser les étudiants irrévérencieux. Le champ lexical de la stigmatisation est l’horizon à partir duquel le mobilisé est appréhendé. Les expressions font florès. Des catégories telles que « apprenti sorcier », « fauteur de trouble », « force négative », « ennemi d’État », « ennemi du développement », « bonimenteur » ou « apôtre du chaos », constituent l’identité imputée aux mis en cause. Cette communication, de coloration incriminante, apparait comme une arme qui permet au pouvoir d’agir en se prévalant de motifs relevant de l’aspect sécuritaire, tels que la lutte contre le désordre public, la préservation de la sécurité de l’Etat : prérogatives au nom desquelles des abus peuvent revêtir un pseudo aspect légitime. L’utilisation répétitive de ce lexique préfigure du refus d’accorder toute importance aux revendications des étudiants considérées comme polarisant négativement les énergies. En outre, par le caractère incriminant des catégories employées, il sert de base d’autojustification à l’utilisation démesurée de la force militaire comme moyen magistral de contenir les individus ainsi rangés. Pris sous cet angle, l’étudiant mobilisé constitue une composante « pathologique » sur laquelle des mesures d’exception doivent être appliquées afin de limiter les conséquences préjudiciables de ses actes. Mobilisation violente et légitimation de la politique de la violence Le monopole de la violence légitime, caractéristique de l’État, constitue une réalité instrumentalisée par le Renouveau qui demeure rétif à toute logique oppositionnelle publique. Dans son désir d’inculquer un certain ordre politique à la masse, un usage systématique, et souvent illégitime, de la violence est fait à travers des répressions brutales des mobilisations irrévérencieuses. En réalité, le paradigme de la violence des contestations antérieures justifie alors le lexique incriminant d’Etat sur les mobilisés et l’usage de la répression militaire. Les acteurs de la mobilisation de 2005 agréent que « les revendications étudiantes telles qu’elles étaient pratiquées avant étaient systématiquement stoppées par la violente répression de l'État via la police ou les forces militaires »439 : cette confession admet tacitement la légitimité de la violence d’Etat à cause de la violence des mobilisations. Sur ces bases, le pouvoir a facilement recours à des procédures d’exception ne s’encombrant d’aucun juridisme pour « liquider » les foyers de production de l’indocilité440. Le lexique élaboré et les prérogatives juridictionnelles, permettent au Renouveau d’édicter des décrets express et de se saisir des appareils répressifs sous une façade de légitimité afin de neutraliser les foyers contestataires qui menacent l’équilibre du pouvoir et la paix sociale. Herrick Mouafo, étudiant manifestant proche du bureau de l’ADDEC. http://blog.modop.org/post/2013/01/M%C3%A9thodes-d-actions-non-violentesdans-les-mouvements-%C3%A9tudiants-de-protestation-au-Cameroun 440 Achille MBEMBE, « Nécropolitique », Raisons politiques, n0 21, 2006, P.F.N.S.P p. 30 439 438Voir la terminologie autoritaires…art. cité de Marie-Emmanuelle POMMEROLLE, « Routines Durant les mouvements de 1990 et suite à la vitalité de l’opération villes-mortes formulée en mai 1991 par la Coordination de l’opposition441 à laquelle était inféodée de fait le Parlement, le pouvoir, grâce à ses prérogatives juridictionnelles, crée, dès le même mois, le « Commandement Opérationnel ». Comme forces d’exception jouissant d’une autonomie formelle s’accompagnant du permis de tuer, il est spécialisé dans des opérations de répression du banditisme442. Son modèle opératoire comprend des exécutions sommaires, des chasses à l’homme et des emprisonnements express. Cette parade de la violence est adoptée par le corps militaire durant les mouvements étudiants de 1991, 1993, 1997 et 1999 pour rappeler aux étudiants qui amplifient l’action de l’opposition, que l’on ne contrarie pas le monarque présidentiel. La permanence militaire au campus de Yaoundé I, les fessées administrées aux étudiants, les « manœuvres militaires » infligées à d’autres, les séances publiques d’humiliation, ont pour rôle de répondre à la violence de la mobilisation par la violence d’Etat. Pour l’humiliation comme représailles, l’étudiante Ange Guiadem, Parlementaire, fut publiquement mise nue. « Elle était toute nue parce que la milice tribale […] et des gendarmes l'avaient arrêté au niveau de Bonamoussadi distribuant des tracts que j'avais remis […] Ils déchirèrent les habits de Guiadem et coupèrent son slip avec des ciseaux alors même qu'elle était en pleine période de menstruation. Par la suite, ils la traînèrent en tenue d'Adam et Ève »443. Luc SINDJOUN, « Ce que s’opposer veut dire : l’économie des échanges politiques », in Luc SINDJOUN (éd.), Comment peut-on être opposant au Cameroun ? Politique parlementaire et politique autoritaire, Dakar, CODESRIA, 2004, p. 23 442 Martin Dieudonné EBOLO, « De la "société civile" mythique…art. cité, p. 84 443 Corentin Talla, http://camer.be/32880/30:27/usa-cameroun-temoignage-decorantin-talla-leader-du-parlement-sur-ateba-eyene.html 441 Dans le même registre, l’emprisonnement des leaders du Parlement, tels Senfo Tonkam, en juillet 1991, lequel écopa d’une peine de six mois de prison ferme et Corentin Talla qui indique qu’ils furent « emmenés à la légion de gendarmerie et enfermés dans une cellule avec des bandits de grand chemin »444, parachève la mise en demeure du spectre de la violence comme schème de gestion des mobilisés et, par extension, indique le refus à tout dialogue du pouvoir. Ainsi, toute mobilisation violente renforce-t-elle le réflexe violent du Renouveau et en appelle à une réplique violente des appareils répressifs d’État. Toutefois, si la violence physique domine les relations entre mobilisés et État, la boîte à outil des répressions comprend des pratiques comme le « fichage » de leaders qui conduit systématiquement à l’échec à tout concours public445 ; des politiques de révision des notes requises pour accéder ou avancer en cycle de recherche, utilisées contre Mouafo Djontu, leader de 2005 qui s’érigeait contre la dégradation globale de la « condition estudiantine ». CONTEXTE ET PRÉTEXTES DE LA MOBILISATION DE 2005 La mobilisation de 2005 est occasionnée par un ensemble de griefs dont le dénominateur commun est la clochardisation de l’étudiant et un enseignement au rabais. Il convient donc d’explorer à grand trait le contexte des revendications de 2005. Dégradation des conditions d’étude et misérabilisme du statut étudiant Avant la décennie 1990, l’école constituait l’investissement d’avenir. Le statut d’étudiant était garant de l’accès à un emploi de qualité. Les 444 Idem 445Marie-Emmanuelle POMMEROLLE, « La démobilisation collective au Cameroun :entre régime postautoritaire et militantisme extraverti », Critique internationale, Vol. 3, n° 40, 2008 représentations alors développées autour des « longs crayons » étaient associées à la haute strate politico-administrative. De fait, le titre d’étudiant auréolait son propriétaire de prestige, ce d’autant plus que la bourse permettait de mener un train de vie précurseur de celui que réservait l’emploi accroché à la fin du cursus446. Précisément, dès la fondation de l’université jusqu’à la grève de 1992, « les étudiants bénéficiaient alors de respect dans la société. […] ils étaient jalousés car ils représentaient un danger potentiel pour les travailleurs et fonctionnaires moins qualifiés […] être étudiant, c'était avoir un emploi garanti, un grand poste »447. Toutefois, à partir de 1992, l’étudiant sombre dans l’insignifiance avec la fin de la bourse, l’instauration du paiement des 50 000 fcfa de droit universitaire et surtout, par l’impossibilité de l’État à employer une masse de diplômés en contexte de dégraissage de la fonction publique. C’est donc d’une dévaluation totale du statut de l’étudiant à laquelle on assiste. C’est « en termes d'identité que cette dévaluation touche leur sensibilité: l'étudiant, c'est qui? C’est quoi? Dans une société [qui] les traite […] de malheureux »448. Cette dévaluation se teinte d’humiliation quand « de respectueux, le rapport a l'étudiant s'est teinté de condescendance, car ils constituent des ratés qui vont aller grossir les rangs des chômeurs »449. Ce ravalement à la sphère de l’insignifiance est renforcé par le misérabilisme ambiant de sa vie : « la chose qui hante le plus l'étudiant au quotidien, ce n'est pas la validation de ses UV, c'est bien plutôt le rendez-vous avec le bailleur, l'échéance pour les Paul N’DA, Les intellectuels et le pouvoir en Afrique noire, Paris, L’Harmattan, 1987, p. 74 447 Jacqueline MOUTOME EKAMBI, « Les étudiants : la vie, l’amour et les études », African studies association, vol. 46, n0 2, 2003, p. 43 448Idem 449Ibid. droits universitaires et la torture de certaines journées entières de jeûne forcé »450. Ce sombre tableau est rendu insoutenable en 2004 avec des conditions d’étude qui découragent les plus studieux. Absence de supports didactiques, manque de matériels dans les laboratoires, dégradation des infrastructures universitaires, rançonnement des étudiants par les enseignants, amphithéâtres inconséquents face aux effectifs pléthoriques, absence d’appui des étudiants en cycles de recherche, constituent la face hideuse d’une université dont la gouvernance est par trop politisée. UNE GOUVERNANCE UNIVERSITAIRE POLITISÉE La gouvernance universitaire camerounaise brille par sa réticence à associer activement les étudiants aux structures délibératives. Les associations de facultés, comme courroie de transmission de la hiérarchie, ne jouent aucun rôle clé. Par ailleurs, l’absence de mécanismes de contrôle, de la part des étudiants, du staff dirigeant de l’université, redouble la distance hiérarchique entre étudiants et responsables. Ceux-ci s’illustrent par l’arrogance et la condescendance vis-à-vis de ceux-là, car ne privilégiant que les lignes du pouvoir duquel ils tiennent leur nomination. La gouvernance universitaire est donc étroitement liée aux calculs stratégiques du Renouveau. L’étudiant apparait ainsi démuni de tout moyen de pression formel et de tout canal pour prendre part à la gouvernance universitaire afin de 446 450MUSEEC, « Le cri de l’Etudiant », Yaoundé, 2001, p. 2 s’assurer de la prise en compte de ses vues : c’est un agent passif cantonné dans le pôle de l’exécution451. Tels sont les griefs qui, en avril 2004, font naître l’Association de défense des étudiants camerounais (Addec) dont l’une des singularités est d’introduire des ruptures dans l’héritage contestataire de 90 afin de provoquer une dynamique de groupe critique crédible face au « pouvoir de l'Etat et à l'internalisation de la peur [qui] empêchait toute confrontation directe […] avec le gouvernement »452. REGISTRE RELIGIEUX ET RENOUVEAU CONTESTATAIRE La décrépitude de la conjoncture socioéconomique, héritée de la décennie 1990, a instauré un esprit d’opportunisme. Dans l’opposition et au milieu de la « société civile », tout comme dans les campus, la contestation s’est transformée en levier permettant de marchander avec l’État pour accéder à une fonction stratégique ou pour se faire offrir un chèque conséquent. L’« exil doré », l’entrée et l’ascension soudaine au sein des instances dirigeantes, voire l’enrichissement rapide et inexpliqué de plusieurs figures des leaders estudiantins, pointent du doigt l’instrumentation des mobilisations pour des fins matérielles personnelles. Aussi, les « manœuvres récurrentes de cooptation et de scission [rencontrent un] écho favorable […] auprès des acteurs engagés […] des mobilisations »453. Aussi, une indifférence doublée d’une méfiance accentuée face aux mouvements étudiants se sont sédimentées dans la conscience estudiantine de façon à annihiler les chances d’une mobilisation. Dans ce contexte, le leadership de 2005 Piet KONINGS, « University students’ revolt…art. cité; Gam NKWI, Piet KONINGS et Francis NYAMNJOH, University Crisis and Student Protests in Africa. The 2005 -2006 University Students’ Strike in Cameroon, Oxford, African Books Collective Limited, 2012 452 Herrick Mouafo, interview citée. 453Marie-Emmanuelle POMMEROLLE, « La démobilisation collective au Cameroun…art. cité 451 devait trouver la corde de sensibilité collective par laquelle regagner la confiance des étudiants et fédérer les différentes forces nécessaires à la mobilisation. Cette partie voudrait donc explorer les éléments de rupture introduits dans l’héritage contestataire, en tant qu’ils fédèrent les étudiants tout en reconfigurent le schème gestionnaire des mobilisations du régime. Instrumentation du religieux et charisme du leadership estudiantin Contrairement à la morosité du champ économique, le pays connait une vitalité religieuse marquée. Les nouvelles religiosités de coloration pentecôtiste marquent le quotidien d’une population qui impute aux forces mystiques, la conjoncture de précarité qui les accule. Avec une liturgie d’orientation exorciste contre le « satanisme » ambiant de la société, ces églises construisent une atmosphère du soupçon mutuel d’appartenance aux « ordres du monde », c’est-à-dire la compromission avec les forces mystiques antichrétiennes. Dans ce contexte, les ouailles des différentes tendances nourrissent de la confiance pour les seules personnes démontrant une certaine dévotion religieuse. Du côté des obédiences chrétiennes classiques, dans la mesure où la société a sombré dans la cupidité et l’incrédulité, l’une des manières de rassurer consiste à prendre à témoin Dieu dans ses actes : manière suprême de jurer au Cameroun, d’où la religion comme nouveau ciment dans la relation à autrui. On peut alors saisir l’intelligibilité de la présentation de soi et de la coloration des discours du principal leader dans son ingénierie de création d’un contrat d’engagement avec les étudiants. Dès la première apparition à l’esplanade de l’amphithéâtre 300, rebaptisé Jérusalem pour mettre en relief le recours à Dieu, l’imagerie de la paix, de la vérité et de l’intégrité, Mouafo Djontu travaille à son image. Il se présentera dans une vêture des plus simplistes et, par cet acte de création d’un égalitarisme apparent, tire sur les premières cordes de sensibilité : le partage de la même condition de précarité. Outre ces vêtements simplistes, il arbore un chapelet autour du cou et tient une bible à la main. Insignes tangibles de son respect et engagement pour le Très-Haut. Dès cet instant, la mobilisation s’auréolait d’une dévotion religieuse et d’un engagement de chacun, devant l’Éternel, pour les autres et sans contrepartie. C’est pourquoi le leader s’exprimera toujours main sur le cœur pour brandir sa sincérité et montrer que sa vie est divinement gagée s’il lui arrivait de mentir. Cette attitude va créer un capital confiance pour les leaders. La manipulation de cette sensibilité fondamentale, dans une société qui connait les scandales et déviances des milieux cléricaux où les insignes de la foi sont instrumentalisés par des gourous et autres individus en mal de richesses et de positionnement sociopolitique, imposait au leadership de consolider cette carte religieuse de l’engagement désintéressé en attestant de son indifférence face au marchandage étatique systématiquement mis en branle par le Renouveau pour l’achat des consciences durant les mobilisations. Religion et jeu l’incorruptibilité d’intégrité : rumeurs et fabrique de Bien qu’étant du domaine où on ne peut avoir de preuve, l’ingénierie du leadership avait aussi pour mission de dénoncer et de divulguer des informations relatives au refus des propositions financières du pouvoir. Parce que non vérifiées, ces éléments tombent dans l’ordre de la rumeur, laquelle apparait « dans des situations où des évènements d’une importance vitale pour les intérêts des gens arrivent alors qu’aucune information fiable n’est disponible »454. On fera savoir, par ce canal, aux étudiants que, durant l’hospitalisation qui devait tirer Mouafo Djontu et Lindjuom Mbowou de la menace de mort à laquelle l’inanition prolongée les soumis, cinquante millions de fcfa en espèce avaient été proposés pour obtenir leur désertion. Si on peut interroger l’effectivité du montant de cinquante millions de fcfa en espèce, pour chacun des leaders, il reste que l’on peut difficilement rejeter l’hypothèse de la tentative de « transaction ». En fait, le récit sur la tentative de déstabilisation de l’Addec atteste de cette manie. Un étudiant que le pouvoir approcha pour saper la cohésion de l’Addec et détruire son crédit moral résume : « une fois dans le bureau de mon beau, 5.000.000 en espèces, des statuts de l’association, un agrément de fonctionnement signé du recteur et une feuille de route me furent proposés. C’est après mon refus qu’il alla voir xxx le lendemain pour qu’il devienne le président de la nouvelle Addec » 455. Ce récit vient confirmer au moins la tentative du pouvoir, mais aussi sa facilité à se pavaner avec des « mallettes d’argent »456. Le recours à la propagation de la rumeur sur l’incorruptibilité de l’Addec est inféodé à une opération de création d’une base de légitimité et de crédibilité dont l’effet escompté est de doper la côte de popularité en redoublant le crédit de loyalisme et d’engagement sans calcul des leaders457. Ainsi, la rumeur, comme forme de communication en situation d’opacité, et intégrée dans cette logique de création d’une aura d’incorruptible, devient, au sens d’Elderman, un 454James SCOTT, La domination et les arts de la résistance. Fragments du discours subalterne, Paris, Amsterdam, 2008, p. 161 455L’anonymat est utilisé a dessein pour l’enquêté et le président par défaut de la « pseudo Addec ». 456 Fanny PIGEAUD, Au Cameroun de Paul Biya, Paris, Karthala, 2011, p. 145 457 Herrick Mouafo, entretien cité. « mode de fabrication majeure » 458 d’étiquettes. L’effet indirect est l’adhésion sans réserve de la masse estudiantine qui perçoit un leadership agissant par conviction. Le même registre religieux du désintéressement, trouvait encore un grand écho avec la transparence et le suivi en temps réel, par les étudiants, des communications échangées avec la sphère dirigeante. Une telle attitude procédait d’une logique confrontationnelle. C’est en ce sens qu’un poste radio fut installé à Jérusalem afin d’attirer l’attention des cop’s sur la désinformation effectuée par la Cameroon Radio and Television (CRTV) acquise au Renouveau. C’est ainsi que, durant un compte-rendu entamé vers 12H 30 minutes, le leader fit remarquer le caractère vain, jusque-là, de l’entreprise visant à rencontrer le ministre de l’enseignement supérieur. A 13 heures, le titre à la une du journal « le ministre de l’enseignement supérieur a reçu les leaders estudiantins qui ont convenu de mettre fin à la grève » provoque des clameurs de désapprobation face à cette désinformation. En tout, les représentations sur l’incorruptibilité, la transparence et l’anticipation sur les mensonges d’Etat, apportèrent une dimension mythique au charisme du principal leader. holocauste livré pour le rachat des étudiants. Ce sacrifice vise à focaliser l’attention de la sphère politique sur les revendications, donner la mesure de la gravité de la situation et matérialiser l’indice d’engagement total des étudiants. En fait, la grève de la faim reste jusqu’alors la figure d’un modèle d’auto privation extrême aussi bien pour les acteurs qui en usent que pour les personnes contre lesquelles elle est employée. L’hibernation destructrice de l’organisme et le danger de mort auxquels expose l’inanition prolongée transforment en martyr ceux qui choisissent la grève de la faim comme paradigme de revendication. C’est à partir de cette figure extrême de l’auto-flagellation, démonstrative de l’engagement absolue des leaders et leur acceptation des pires sévices, que Jérusalem prit le second nom de Golgotha : place paradoxale mêlant les figures du supplice accepté et du rachat de la multitude par la souffrance. Cet engagement et le sacrifice de soi remobilisèrent les étudiants, et amenèrent l’Etat à requestionner sa stratégie de gestion de la mobilisation. JOUER AVEC ET CONTRE LE RENOUVEAU : LE POUVOIR PRIS À SON PIÈGE IDÉOLOGIQUE Grève de la faim et figure du martyr biblique La figure mythique d’un leadership qui mobilise dans un consensus total, toutes les sensibilités du monde estudiantin, puise une autre part de son charisme dans le don de soi : c’est la dimension sacrificielle du modèle d’action des leaders de 2005, à travers la grève de la faim choisie comme sacrifice de soi et engagée dès septembre 2004 et miavril 2005. Il y a investissement du corps des leaders comme Murray ELDERMAN, Pièces et règles du jeu politique, Paris, Seuil, 1994, p. 24. Voir aussi James SCOTT, La domination et les arts… ouvr. cité, p. 161 458 Il s’agit d’examiner maintenant les modalités pratiques de la mobilisation dans leur capacité à acculer l’Etat à l’abandon de la violence militaire et à l’adoption de la négociation, dans un contexte où le registre religieux emprunté par le leadership de 2005 définissait la coloration du paradigme contestataire observé: le refoulement de toute forme de violence. Une telle entreprise produisait trois ordres de faits. D’abord, elle rendait inopérant le lexique incriminant d’État habituel sur les mobilisés. Ensuite, par le caractère obsolète du lexique, elle désarmait la violence militaire comme schème gestionnaire de la mobilisation. Enfin, elle reproduisait la rhétorique sur l’idéologie de la paix adoptée par le Renouveau qui ne pouvait alors que négocier par respect de son propre discours. Paix et consensus social : la récupération de la matrice idéologique du Renouveau La mobilisation étudiante de 2005 rend inopérant le lexique incriminant du pouvoir sur les mobilisés. Le mot d’ordre de la mobilisation, la non-violence, a désarçonné les catégories langagières habituelles par les modalités de la grève qui ne donnaient aucune aspérité à une réplique violente justifiée chez l’État. Contrairement à l’irrédentisme étudiant de 1991, 1992, 1993 et 1996 qui épousa la violence comme schème, la particularité de la grève de 2005 réside dans un consensus total du refoulement de la violence. Les variantes de la mobilisation sont connues : la grève de la faim, la marche dans le campus ou vers le MINESUP sans obstruction de la voie publique, l’arrêt des cours par désertion des amphithéâtres et les rassemblements à Jérusalem/Golgotha. Le succès du mot d’ordre de la mobilisation procédait aussi de l’érection des étudiants, eux-mêmes, en gendarme de proximité chargé de dissuader ou d’exclure des rangs des mobilisés tout camarade malavisé qui s’armerait de projectiles ou déciderait de ne respecter l’ordonnance du meneur de troupe. En fait, l’une des innovations est constitutive de l’encadrement de chaque section de mobilisés par une sorte de meneur de troupe qui devait appliquer la ligne de conduite formulée par l’Addec. Il y avait donc simultanément une coordination entre les différentes fractions des mobilisés. On peut à ce stade déduire que le raffinement continu des méthodes répressives employées, et les éruptions de violences militaires sur des mobilisés commandées par le Renouveau, ont en retour suscités des modalités de contestation plus élaborées portées au-delà des pratiques de résistance usuelles empruntées par les générations passées459. Grâce à cette rupture dans le répertoire d’actions460, l’État ne pouvait assimiler les mobilisés au « pathologique » à exciper. En effet, l’une des fonctions du lexique d’État étant d’enfanter la figure de l’ennemi du pouvoir, afin de justifier la brutalité de l’intervention des forces militaires, la caducité de ce répertoire langagier face aux nouveaux modes d’actions contestataires neutralisait les ardeurs des contingents militaires dans les campus. Ce désarçonnement des appareils répressifs reposait aussi sur la reproduction, instrumentée, de l’idéologie mobilisatrice du Renouveau par les leaders estudiantins. La longévité au pouvoir de Paul BIYA, 32 ans, se justifie par la rhétorique officielle qui fait de lui « l’homme de la paix », « l’homme de la stabilité », c’est-à-dire celui sans lequel le pays sombrerait dans le chaos, d’où la nécessité de le maintenir à cor et à cris au pouvoir. Tout devient alors justifié par ces conceptions. Aussi, dans un système où seuls les griots sont écoutés, les leaders étudiants recouvraient leurs actions de non-violence pour reproduire le maître-mot de paix sociale afin de mettre la masse étudiante hors de la force militaire brute : « les méthodes d'actions non-violentes apparaissent comme un moyen de prévention contre l'internalisation de la peur et un moyen de contournement de la répression violente couramment utilisée par l'État »461. Si la mobilisation étudiante a « gagné une certaine réputation de subtilité […] c’est probablement parce que leur [les étudiants] vulnérabilité leur a rarement offert le luxe d’un affrontement James SCOTT, La domination et les art…ouvr cité, p. 133 Voir le sens adopté par Marie-Emmanuelle POMMEROLLE, « Routines autoritaires…art. cité, p. 156 461 Herrick Mouafo, interview citée. 459 460 direct [victorieux] »462, d’une part, et surtout pour manipuler la sensibilité du régime afin de provoquer la négociation, d’autre part. Innovation Renouveau contestataire et civilisation du régime du La notion de civilisation du pouvoir est prise comme processus de remplacement de la violence physique d’émanation militaire, habituellement empruntée par l’Etat post-autoritaire comme schème gestionnaire des mouvements de contestation, par des procédures policées qui privilégient la concertation, laquelle met en œuvre un débat contradictoire qui aboutit à des clauses relativement consensuelles463. L’idée de civilisation du Renouveau est à inféoder à la perspective eliassienne de la parlementarisation et du respect de l’adversaire comme aboutissant à la mise en rebut de la violence physique dans ses rapports avec les mobilisés464. La civilisation opère alors autour de deux variables, d’abord une gestion non violente de la mobilisation étudiante, ensuite une volonté de négociation avec les mobilisés. Cela étant, la retranscription explicite du registre de la paix, dérivant des options religieuse et sacrificielle de soi et du mot d’ordre de nonviolence, produisait un ordre contraignant pour le pouvoir qui devait effectuer un choix : se dédire en écrasant des mobilisés qui usent pourtant de son registre idéologique et montrer au peuple qu’elle n’est qu’un instrument de manipulation politique ou négocier avec les leaders et miroiter le sérieux de ses piliers idéologiques. Dès lors, le choix de la non-violence et donc de l’affiliation à la paix sociale, James SCOTT, La domination et les arts…ouvr. Cité, p. 153 Cf. Achille MBEMBE, Du gouvernement privé indirect, Dakar, CODESRIA, 1999, pp. 25-31 464 Norbert ELIAS, Sport et civilisation, Paris, Fayard, 1994 découlait aussi d’une tactique visant à placer le pouvoir devant un dilemme né de l’utilisation de son idéologie. Il faut alors admettre que, des « mouvements peuvent ne disposer que des termes propres à un ordre établi, et manifester déjà pourtant son bouleversement. Un déplacement s’effectue qui n’est pas lisible comme tel dans ses expressions puisqu’il emploi le vocabulaire et jusqu’à la syntaxe d’un langage connu, mais il le transpose au sens où l’organiciste change la partition qui lui est donnée quand il l’affecte d’une tonalité autre »465. Tel est le but des leaders : « l'Addec a décidé d'utiliser des méthodes non-violentes telles que les grèves de la faim, afin de surprendre l'État et le forcer à négocier »466. On comprend alors que, dans un régime où l’on sacrifie plus aux apparences, la retranscription et la manipulation de pratiques concourant explicitement à la préservation de la paix sociale, en plein contexte pré-électoral de 2004, constituaient une trappe pour le pouvoir qui sut toutefois s’en dégager pour redorer son blason, d’où son choix pour la négociation. Fait peu étonnant, car Elderman rappelle que « Les dirigeants politiques comme tous les autres sujets, agissent et parlent en tant que reflets des situations auxquelles ils sont périodiquement confrontés […] car le genre de stabilité dans l’action qui pourrait permettre de transcender les situations en mettant en jeu des motivations politiques variables n’a jamais existé »467. C’est dans ce cadre qu’il faut apprécier, en dépit de quelques violences militaires enregistrées au début du mouvement, les différentes entrevues entre leaders et ministre de l’enseignement supérieur, entre premier ministre et leaders estudiantins et les descentes du ministre de l’enseignement supérieur sur le campus principal de Yaoundé I. À 462 465 463 52 466 467 Michel de CERTAU, La prise de parole et autres écrits politiques, Paris, Seuil, 1994, p. Herrick Mouafo, entretien cité. Murray ELDERMAN, Pièces et règles…ouvr. cité partir de ce moment, la présence militaire visait non plus à démontrer l’exceptionnalité du pouvoir, dans le sens que nous lui avons trouvé au début de ce travail, mais à encadrer la foule et à veiller simplement à tout débordement. La civilisation du pouvoir prend des aspects plus tangibles. La promptitude des instances judiciaires, profondément caporalisées par le Renouveau, à rendre le verdict sur l’affaire « université de Yaoundé I- Mouafo Djontu et compagnie » en leur rendant la liberté, bien qu’usant du stratagème intimidant de l’emprisonnement avec sursis, doit être prise dans ce sens. En fait, le caractère expéditif de la procédure qui aboutit à la libération des leaders, arrêtés en début décembre 2004 puis immédiatement relâchés en l’espace d’une semaine, constituait un signe palpable du pouvoir à renoncer à ses vieilles méthodes autoritaires. L’autre versant de la civilité du régime c’est sa volonté feinte (?), à s’asseoir sur la table des négociations afin d’examiner l’essentiel des doléances des étudiants. Alors que durant les grèves de la décennie 90, toute légitimité était refusée aux leaders, d’où le rejet des pourparlers chez le pouvoir, l’ingénierie contestataire de 2004, a amené les autorités à accepter le principe de la négociation. Sur les revendications formulées, la mobilisation pu donc obtenir des discussions, l’acceptation du principe de paiement en deux tranches de la pension représentant les droits universitaires ; l’équipement, bien que médiocre, des laboratoires et l’amélioration du service de la restauration. C’est aussi dans ce même registre que, durant les deux années consécutives à la grève de 2004, les doctorants purent recevoir une allocation de recherche de 125 000 fcfa. Toutefois, et comme toujours en politique, le listing des éléments obtenus durant les négociations laisse voir que l’essentiel des demandes ne reçu pas de réponse favorable immédiate. Ainsi en est-il du désir d’une révision des modalités d’accès aux positions de recteur et de doyen, notamment à travers une procédure électorale des candidats à ce poste afin de barrer la route à toute politisation. De même, dans un pays où les trafics d’influence et le marchandage, tout comme le parrainage constitue la voie magistrale de réussite à un concours, le mouvement estudiantin n’a pu obtenir la création d’un observatoire indépendant des examens et concours publics. La variation du registre contestataire estudiantin, du modèle violent hérité des années 90, pour le paradigme de la non violence, drapé de l’auréole de paix sociale, moteur idéologique du régime, et assumée par des leaders bien identifiés, a participé d’une civilisation de l’Etat pour ce qui est de ses pratiques gestionnaires des contestations. La non violence et l’option sacrificielle de soi ont désarçonné le lexique d’Etat incriminant qui permet souvent de stigmatiser les mobilisés et légitimer l’emploi de la violence militaire. Ainsi, sans tomber dans le piège de l’absolutisation de la rupture et de l’illusion d’une continuité inébranlable468 dans la gestion, par l’Etat, des mouvements contestataires, on peut assumer, au moins, que le répertoire d’action engagé par les cop’s en 2005 a infléchi l’héritage autoritaire de l’Etat en l’emmenant à marginaliser la violence physique, à dialoguer, à faire des compromis et à céder, même partiellement, aux demandes formulées par les mobilisés de Ngoa-Ekellé. BIBLIOGRAPHIE Achille MBEMBE, Du gouvernement privé indirect, Dakar, CODESRIA, 1999 Michel DOBRY, Sociologie des crises politiques: la dynamique des mobilisations multisectorielles, Paris, P.F.N.S.P, 1992 468 Achille MBEMBE, « Nécropolitique », Raisons politiques, n0 21, 2006, P.F.N.S.P collusion », in La révolution passive au Cameroun : Etat, société et changement, Luc SINDJOUN (éd), Dakar, CODESRIA, 1999 Michel DOBRY, Sociologie des crises politiques: la dynamique des mobilisations multisectorielles, Paris, P.F.N.S.P, 1992 Maurice KAMTO, « Quelques réflexions sur la transition vers le pluralisme politique au Cameroun », in Gérard CONAC (éd.), L’Afrique en transition vers le pluralisme politique, Paris, Economica, 1993 Fanny PIGEAUD, Au Cameroun de Paul Biya, Paris, Karthala, 2011 Gam NKWI, Piet KONINGS et Francis NYAMNJOH, University Crisis and Student Protests in Africa. The 2005 -2006 University Students’ Strike in Cameroon, Oxford, African Books Collective Limited, 2012 Jacqueline MOUTOME EKAMBI, « Les étudiants : la vie, l’amour et les études », African studies association, vol. 46, n0 2, 2003 James SCOTT, La domination et les arts de la résistance. Fragments du discours subalterne, Paris, Amsterdam, 2008 Luc SINDJOUN, « Ce que s’opposer veut dire : l’économie des échanges politiques », in Luc SINDJOUN (éd.), Comment peut-on être opposant au Cameroun ? Politique parlementaire et politique autoritaire, Dakar, CODESRIA, 2004 Marie-Emmanuelle POMMEROLLE, « Routines autoritaires et innovations militantes » Le cas d'un mouvement étudiant au Cameroun, Politique africaine, Vol. 4, n° 108, 2007 Marie-Emmanuelle POMMEROLLE, « La démobilisation collective au Cameroun :entre régime postautoritaire et militantisme extraverti », Critique internationale, Vol. 3, n° 40, 2008 Martin Dieudonné EBOLO, « De la "société civile" mythique à la "société civile" impure : entre assujettissement, émancipation et Michel de CERTAU, La prise de parole et autres écrits politiques, Paris, Seuil, 1994 Murray ELDERMAN, Pièces et règles du jeu politique, Paris, Seuil, 1994 MUSEEC, « Le cri de l’Etudiant », Yaoundé, 2001 Norbert ELIAS, Sport et civilisation, Paris, Fayard, 1994 Paul N’DA, Les intellectuels et le pouvoir en Afrique noire, Paris, L’Harmattan, 1987 Piet KONINGS, « University students’ revolt, ethnic militia, and violence during political liberalization in Cameroon», African Studies Review, vol. 45, n° 2, 2002 Zacharie NGNIMAN, Cameroun : la démocratie emballée, Yaoundé, Clé, 1993 Journaux cités : Cameroon Tribune, n0 4927, 15 juillet 1991 Le Messager, n0 233, 11 avril 1991 TATIANA SMIRNOVA. IDÉES DE LA “NOUVELLE GESTION PUBLIQUE” DANS L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR AU NIGER : ENTRE LA PROMOTION DES VALEURS “DÉMOCRATIQUES” ET HÉRITAGE DU MODE OPÉRATOIRE DES RÉGIMES mobilisations, et des luttes pour le contrôle du Centre Nationale des Œuvres Universitaires dans les années 2000-2007, menacé par la privatisation. AUTORITAIRES Nous montrerons que dans un contexte des revendications permanentes de paiement des bourses, le choix politique de distribution des ressources provenant des fonds « extérieurs » au profit de la valorisation du statut des enseignants-chercheurs contribue, paradoxalement, à stabiliser temporairement la tension sur le campus universitaire au lieu de l’exacerber. Cette stabilisation s’explique également par la reprise du contrôle sur le Centre Nationale des Œuvres Universitaire par les enseignants-chercheurs, l’un d’entre eux devient son directeur, après un échec gouvernemental de privatisation. Doctorante Centre Norbert Elias/Ehess-Marseille, Proposition de communication A partir de début des années 2000 l’enseignement supérieur au Niger se transforme: l’Université de Niamey, l’unique établissement d’enseignement supérieur public important d’abord en termes de nombre d’étudiants, mène une réforme Licence-Master-Doctorat qui permet son intégration formelle dans le système international d’enseignement supérieur. Son budget augmente considérablement, les conditions de la recherche pour les enseignants s’améliorent. Toutes ses réformes surviennent très rapidement, après presqu’une vingtaine d’années de stagnation et s’inscrivent dans les transformations des systèmes d’enseignement un peu partout dans le monde, souvent dans un contexte des idées de la « nouvelle gestion publique » 469. Cette communication a pour objectif de montrer comment les arrangements institutionnels d’ordre macro se transforment sur le niveau micro lorsque ces réformes épousent le contexte national marqué depuis quelques décennies par la contestation dans le milieu scolaire et universitaire. Nous partons de l’analyse des différentes phases de mobilisation estudiantine autour de la question de la révision du montant de l’enveloppe des bourses en janvier 2001, l’intensité de la réponse à ces Christopher Hood était le premier à définir un idéal-type de la nouvelle gestion publique. Hood, C. (1991), « A Public Management for all Seasons? », Public Administration, 69 (1), 3-19. 469 Cependant, il semble qu’à long terme l’héritage des régimes militaires, notamment, la façon de gérer les mobilisations estudiantines, contribue de renforcer la composante policière de l’action publique même dans un contexte « démocratique ». Nous nous inspirons ici de l’idée de Ritta Abrahamsen (2000) qui montre sur les exemples de Côte-d’Ivoire, Ghana, Kenya et Zambia que dans une situation de la dépendance à l’aide extérieure les gouvernements tendent à courtiser les bailleurs de fonds plutôt que leurs citoyens ce qui crée une situation ironique dans laquelle la promotion de la démocratie provoque une crise de cette même « démocratie ». RÉFÉRENCES Maassen, Peter. 2003. “Shifts in governance arrangements: An interpretation of the introduction of new management structures in higher education”. In: Amaral, A; Meek, V.L. et Larsen, I. (éd.), The higher education managerial revolution. The Netherlands: Kluber Academic Publishers. Michèle Leclerc-Olive, Grazia Scarfo Ghellab, Anne-Catherine Wagner (dir.). Les mondes universitaires face au marché. Circulation des savoirs et pratiques des acteurs. 2011. KARTHALA Editions. Abrahamsen, Rita. 2000. Disciplining Democracy: Development Discourse and Good Governance in Africa. Zed Books. Tarrow, Sidney. 1993. « Cycles of Collective Action: Between Moments of Madness and the Repertoire of Contention ». Social Science History 17 (2): 281. SOURCES Entretiens avec les enseignements-chercheurs, leaders étudiants, directeur du CNOU Journal Officiel de la République du Niger Presse nigérienne : « Le Démocrate », « l’Alternative », Républicain », « le Sahel Hebdo », « le Sahel Dimanche » « Le OLIVIER PROVINI. L’ÉTUDE DES MOUVEMENTS ÉTUDIANTS COMME GRILLE DE LECTURE DE L’ACTION PUBLIQUE : APPRÉHENDER LE NON-CHANGEMENT PAR L’ACTION COLLECTIVE. LE CAS DES MOUVEMENTS ÉTUDIANTS DES UNIVERSITÉS DU BURUNDI ET DE DAR ES SALAAM Les Afriques dans le Monde, Université de Pau et des Pays de l'Adour470 RÉSUMÉ A travers une comparaison entre les mouvements étudiants des universités du Burundi et de Dar es Salaam, cette communication met en relation les approches théoriques de la sociologie des mouvements étudiants et de l’action publique. En s’intéressant aux réformes universitaires, il est heuristique de souligner le rôle des mouvements étudiants dans les processus de négociation et de non-changement. Ou, pour le dire autrement, comment une analyse attentive de l’action collective étudiante peut fournir une grille d’analyse pour appréhender les processus incrémentaux et les situations de blocage. La politique de « partage des coûts », érigée comme la matrice de la bonne réforme par les organisations internationales, n’a pourtant pas aboutie à l’université du Burundi et seulement de manière partielle à l’université de Dar es Salaam. Je postule que ces deux configurations peuvent s’expliquer par le rôle des mouvements étudiants qui démontrent que cette réforme structure et cristallise un ensemble Olivier Provini est doctorant en science politique à l’UPPA (Université de Pau et des Pays de l’Adour), rattaché au centre de recherche de LAM (Les Afriques dans le Monde) et ancien allocataire (septembre 2011-mai 2013) de recherche à l’IFRA (Institut Français de Recherche en Afrique) basé à Nairobi. A travers une approche comparative, ses travaux, entamés en 2010 dans le cadre de son master, portent sur la recomposition des espaces universitaires est-africains à travers l’étude des universités publiques de Makerere (Ouganda), de Nairobi (Kenya), de Dar es Salaam (Tanzanie) et du Burundi (Burundi). 470 d’enjeux politiques autour des pratiques et des représentations au sein de l’université. Mots clés Mouvements étudiants ; action publique ; sociologie de l’Etat ; université du Burundi ; université de Dar es Salaam. INTRODUCTION Au moment des indépendances, les rapports entre l’Etat et l’université publique se sont avérés complexes dans de nombreux pays du continent. D’une part, l’université est l’un des symboles de la nouvelle souveraineté nationale et l’une des figures tutélaires de l’émancipation vis-à-vis de l’Etat colonial, dont la formation des élites pérennisait le nouveau système politique. L’université était investie d’une double mission : il s’agissait de produire une élite intellectuelle nationale vouée à assumer le développement économique et politique du pays471. L’université devait également se réapproprier l’histoire pré- et coloniale en construisant les ressorts de la culture africaine et nationale472. D’autre part, l’héritage des institutions métropolitaines s’est greffé à l’université africaine, porteuse de l'histoire européenne dont elle a repris certaines pratiques. La consécration des titres universitaires dans les institutions est-africaines anglo-saxonnes en est un exemple saillant473. Les universités africaines sont donc CHARTON, Hélène et OWUOR, Samuel, « De l'intellectuel à l'expert. Les sciences sociales africaines dans la tourmente : le cas du Kenya », Revue Internationale d'éducation Sèvres, 2008, n° 49, p. 108-109. 472 UNESCO, « Rapport final. Réunion des ministres de l’éducation des pays d’Afrique participant à l’exécution du plan d’Addis-Abéba », UNESCO, 26-30 mars 1962 (notamment le chapitre 2 et l’annexe 9). 473 Voir les photos dans les ouvrages des anciens vice-chanceliers des universités de Dar es Salaam et de Nairobi, respectivement dans LUHANGA, Matthew L., The Courage for Change. Re-Engineering the University of Dar es Salaam, Dar es Salaam, Dar es porteuses d’un registre historique hybride qui associe au symbole de l’émancipation des jeunes Etats africains une attache forte à l’ancien empire colonial474. Mais cette articulation Etat postcolonial/université s’est également structurée autour de rapports conflictuels. L’université demeure l’un des symboles de la contestation politique, c’est-à-dire un espace où se jouent les luttes mais également une institution où l’on discute du politique et de l’action publique. Les années 1990 ont par exemple été rythmées par de multiples interventions armées de la police sur les campus, de nombreuses arrestations d’étudiants et de professeurs débouchant sur des « années blanches ». Aussi, le contrôle politique de l’université publique, par des dynamiques de cooptation, de marchandage ou de financement souterrain, a toujours été l’un des ressorts de la stabilité d’un régime, a fortiori en situation autoritaire. L’objectif de ma communication est de mettre en relation les apports théoriques de la sociologie de l’action collective et de l’action publique, rapprochement trop souvent effectué. Dans leur célèbre ouvrage L’acteur et le système475, les sociologues Michel Crozier et Erhard Friedberg posent pourtant une question cruciale pour l’étude des politiques publiques et qui structure en filigrane l’articulation entre les différents acteurs dans le processus de politiques publiques : « à quelles conditions et au prix de quelles contraintes l’action collective, c’est-à-dire l’action organisée, des hommes est-elle possible ? »476. Cette question des conditions nécessaires à l’action collective interroge en 471 Salaam University Press, 2009, p. 113-124 et GICHAGA, Francis John, Surviving the Academic Arena. My Complex Journey to the Apex, Nairobi, University of Nairobi, 2011, p. 1, 194-210 et 262-268. 474 BUGWABARI, Nicodème, CAZENAVE-PIARROT, Alain, PROVINI, Olivier et THIBON, Christian (éd.), Universités, universitaires en Afrique de l’Est, Paris, Karthala, 2012. 475 CROZIER, Michel et FRIEDBERG, Erhard, L’acteur et le système. Les contraintes de l’action collective, Paris, Seuil, 1992 (1977). 476 CROZIER, Michel et FRIEDBERG, Erhard, L’acteur et le système…, op. cit., p. 15. réalité l’intervention des publics dans le processus d’action publique et permet de comprendre certains phénomènes de (non)changement, en prenant en compte les limites de l’action collective477 et l’importance des contraintes de mobilisation. Pour répondre à cette interrogation des conditions et contraintes de l’action collective, Gilles Massardier propose d’insister sur la relation entre les acteurs de l’autorité et ceux de l’action collective en soulignant le caractère fondamental de la nature du pouvoir politique sur les structures sociales et donc sur la capacité de mobilisation478. En effet, en s’intéressant aux réformes universitaires, il semble essentiel de souligner le rôle des mouvements étudiants dans les processus de négociation et de non-changement. Et plus exactement, comment une analyse attentive des mouvements étudiants sur les campus peut fournir une grille d’analyse heuristique pour appréhender les transformations universitaires ? Je défends l’hypothèse que les mouvements étudiants dans les universités du Burundi (UB) et de Dar es Salaam (UDSM) ont engagé des changements limités et négociés et, qu’à ce titre, l’action collective participe à la fabrique de l’action publique. Pour démontrer mon hypothèse, je m’intéresse aux mouvements de contestations étudiantes des années 1990-2000 sur les campus des universités publiques du Burundi et de Dar es Salaam479. Je soutiens qu’il est OLSON, Mancur, Logique de l’action collective, Paris, Presses universitaires de France, 1978. 478 MASSARDIER, Gilles, Politiques et action publiques, Paris, Armand Colin, 2003, p. 79. 479 Cette communication est le résultat de mes recherches entreprises en master et de plusieurs terrains entre 2010 et 2013. J’ai effectué deux terrains en Tanzanie à Dar es Salaam (quatre mois) et un terrain à l’université du Burundi (deux mois). Mes recherches doctorales ont été facilitées par une bourse de recherche de deux ans (2011-2013) allouée par l’IFRA. Outre de nombreuses collectes de données 477 stimulant de comprendre ces mobilisations étudiantes à travers une sociologie historique de l’Etat en action c’est-à-dire d’articuler la sociologie des mouvements étudiants avec la sociologie de l’action publique. Ce qui m’intéresse, au-delà des registres et des vecteurs de la mobilisation, ce sont les cadres contextuels et les résultats de l’action collective pour redéfinir les configurations de pouvoir et les rapports de forces entre les différents acteurs de ces mobilisations. Pour comprendre le rôle et le poids des mouvements étudiants dans le policy process480, que ces transformations soient inscrites dans des transformations impulsées par des stratégies nationales ou des adaptations locales à un contexte singulier, je propose d’adopter une lecture en terme d’action publique pour repérer les acteurs qui interviennent dans les réformes universitaires en contexte de mobilisations étudiantes. L’analyse des politiques publiques a connu de nombreuses évolutions et le passage d’une analyse classique des politiques publiques à une sociologie de l’action publique a permis de repenser le rôle et les interactions des différents acteurs qui peuvent intervenir dans le processus de politique publique. Les politiques publiques, que l’on peut définir comme un programme d’action négocié dans un secteur de la société ou un espace géographique481, sont essentiellement quantitatives, j’ai effectué 60 entretiens semi-directifs avec différents profils d’acteurs : étudiants, enseignants, membres du personnel administratif, responsables des associations étudiantes et enseignantes, dirigeants politiques nationaux et régionaux. J’ai également pu procéder à la compilation de différentes revues de presse pour repérer et historiciser les transformations des espaces universitaires et répertorier tout un corpus sur les mouvements étudiants entre le milieu des années 1980 et le début des années 2010. 480 SABATIER Paul A. (éd.), Theories of the Policy Process, Cambridge, Westview Press, 2007. 481 MENY, Yves et THOENIG, Jean-Claude, Politiques publiques, Paris, Presses universitaires de France, 1989, p. 130. analysées avant les années 1990 comme l’« action des autorités publiques »482, construites de manière linéaire où différentes phases distinctes s’enchaînent mécaniquement. Les politiques publiques sont alors essentiellement pensées comme étant stato-centré puisqu’il s’agissait essentiellement de saisir les évolutions des fonctions et des actions de l’Etat483. Progressivement et fortes de nouvelles reconfigurations, de nouveaux cadres d’interprétation apparaissent et mettent l’accent sur le caractère moins hiérarchisé et de la perte de capacité de l’action autonome de l’Etat484. Je situe ma réflexion théorique au sein d’une approche en terme de sociologie de l’action publique pour mieux souligner « le poids accordé aux interactions d’acteurs au sein de l’analyse des politiques publiques […]. La sociologie politique de l’action publique repose sur l’analyse contextualisée d’interactions d’acteurs multiples et enchevêtrés à plusieurs niveaux […], permettant de penser les transformations des Etats contemporains »485. L’objectif théorique est donc de construire une analyse contextualisée des interactions entre les acteurs étudiants, administratifs et gouvernementaux pour souligner les jeux de pouvoir qui s’articulent à différents niveaux (département, administration, université, Etat). Cette approche considère donc l’action publique comme une construction collective structurée par des acteurs en constantes interactions et négociations. Pour démontrer comment la sociologie des mouvements étudiants est une grille de lecture heuristique pour appréhender les réformes MENY, Yves et THOENIG, Jean-Claude, Politiques publiques, op. cit., p. 30. THOENIG, Jean-Claude, « Politiques publiques et action publique », Revue internationale de politique comparée, 1998, vol. 5, n° 2, p. 298. 484 HASSENTEUFEL, Patrick, Sociologie politique : l’action publique, Paris, Armand Colin, 2011 (2ème édition), p. 289. 485 HASSENTEUFEL, Patrick, Sociologie politique …, op. cit., p. 25. 482 483 universitaires, que ce soit dans des processus incrémentaux486 et des situations de blocage, je m’appuie sur deux études de cas comparés. Cette démarche permet de me détacher de la singularité des processus et spécificités domestiques pour identifier le rôle spécifique de chaque mouvement étudiant dans les transformations qui ont rythmé les universités en Afrique de l’Est487. L’intérêt majeur de la comparaison réside dans sa capacité à isoler des variables explicatives, pour appréhender les dynamiques similaires ou différentielles, et d’en évaluer le poids respectif488. Cette stratégie de recherche s’inscrit plus généralement dans la multiplication des travaux comparatifs en science politique où de nombreux manuels et méthodologies ont été développés489. J’ai choisi de m’intéresser aux mouvements étudiants entre les années 1990-2000 car ils correspondent à la période d’une La notion d’incrémentalisme a été développée par Charles E. Lindblom en réponse aux modèles de la rationalité. Il insiste sur l’idée que les décisions politiques provoquent des transformations purement marginales des politiques publiques qui évoluent le plus souvent de manière graduelle et par un mécanisme de « petits pas ». LINDBLOM, Charles E., « The Science of Muddling Through », Public Administration Review, 1959, vol. 19, n° 2, p. 79-88 ; LINDBLOM, Charles E., « Still Muddling Through », Public Administration Review, 1979, vol. 39, n° 6, p. 517-526. Voir également BAILEY, John et O’CONNOR, Robert, « Operationalizing Incrementalism : Measuring the Muddle », Public Administration Review, 1975, vol. 35, n° 1, p. 60-66 et JONSSON, Alexandra, « Incrémentalisme. L’incrémentalisme ou la mise en lumière des changements à petits pas » in BOUSSAGUET, Laurie, JACQUOT, Sophie et RAVINET, Pauline, Dictionnaire des politiques publiques, Paris, Presses de Sciences Po, 2010, p. 317. 487 BALSVIK, Randi Ronning, « Student protest. University and State in Africa 19601995 », Forum for Development Studies, 1998, no 2, p. 305. 488 PASQUIER, Romain, « Comparer les espaces régionaux : stratégie de recherche et mise à distance du nationalisme méthodologique », Revue internationale de politique comparée, 2012, vol. 19, n° 2, p. 58. 489 SEILER, Daniel-Louis, La méthode comparative en science politique, Paris, Armand Colin, 2004 et LALLEMENT, Michel et SPURK, Jan (dir.), Stratégies de la comparaison internationale, Paris, CNRS, 2003. 486 marchandisation progressive de l’enseignement supérieur sur le continent490. Cette dynamique a été stimulée par la politique de « partage des coûts » qui a été érigée comme la matrice de la bonne réforme par les organisations internationales, les bailleurs et leurs relais491. Cette politique qui consiste à mettre en place des frais AKKARI, Abdeljalil et PAYET, Jean-Paul (éd.), Transformations des systèmes éducatifs dans les pays du Sud. Entre globalisation et diversification, Bruxelles, De Boeck, 2010 ; BIANCHINI, Pascal, « L’université de Dakar sous ajustement. La Banque mondiale face aux acteurs de la crise de l’enseignement supérieur au Sénégal dans les années quatre-vingt-dix » in LEBEAU, Yann et OGUNSANYA, Mobolaji, The Dilemma of Post-Colonial Universities, Nairobi/Ibadan, IFRA/ABB Ibadan, 2000, p. 49-72 ; BROCKUTNE, Birgit, « Formulating Higher Education Policies in Africa : The Pressure from External Forces and the Neoliberal Agenda », JHEA/RESA, 2003, vol. 1, n° 1, p. 24-56 ; BUCHERT, Lene et KING, Kenneth (éd.), Learning from Experience : Policy and Practice in Aid to Higher Education, Kortenaerkade (Pays-Bas), CESO, 1995 ; BUGWABARI, Nicodème, CAZENAVE-PIARROT, Alain, PROVINI, Olivier et THIBON, Christian (éd.), Universités, universitaires …, op. cit., p. 195-315 ; ELLIOTT, Imelda, MURPHY, Michael, PAYEUR, Alain et DUVAL, Raymond (dir.), Mutations de l’enseignement supérieur et internationalisation, Bruxelles, De Boeck, 2011 ; LECLERC-OLIVE, Michèle, SCARFO GHELLAB, Grazia et WAGNER, Anne-Catherine (dir.), Les mondes universitaires face au marché. Circulation des savoirs et pratiques des acteurs, Paris, Karthala, 2011 ; MALIYAMKONO, T. L., OGBU, Osita (éd.), Cost-Sharing in Education and Health. Perspectives from Eastern and Southern Africa, Dar es Salaam, TEMA, 1999 ; MUSSELIN, Christine, « Vers un marché international de l’enseignement supérieur ? », Critique internationale, 2008, vol. 2, n° 39, p. 13-24 ; VINOKUR, Annie, « La Banque Mondiale et les politiques d'ajustement scolaire dans les pays en voie de développement », Tiers-Monde, 1987, T. XXVIII, n° 112, p. 119-134 ; VINOKUR, Annie, « Transformations économiques et accès aux savoirs en Afrique subsaharienne », Working paper, UNESCO, 1993 et ZELEZA, Paul Tiyambe et OLUKOSHI, Adebayo (éd.), African Universities in the Twenty-First Century. Volume I : Liberalisation and Internationalisation, Sénégal, CODESRIA, 2004. 491 Voir par exemple les différents rapports de la Banque mondiale : ALBRECHT, Douglas et ZIDERMAN, Adrian, « Deferred Cost Recovery for Higher Education. Student Loan Programs in Developing Countries », World Bank Disussion Papers, 1991, n° 137 ; BANQUE MONDIALE, Une chance pour apprendre. Le savoir et le financement pour l’éducation en Afrique subsaharienne, Washington, 2001 ; GIOAN, Pierre Antoine, « Enseignement supérieur en Afrique francophone. Quels leviers pour les politiques financièrement soutenables ? », Document de travail de la Banque mondiale, 2007, n° 103 ; WOODHALL, Maureen, « Funding Higher Education : The Contribution of 490 d’inscriptions payables par les étudiants492 n’a néanmoins pas aboutie à l’université du Burundi et seulement de manière partielle à l’université de Dar es Salaam. Les organisations internationales et les bailleurs étaient pourtant a priori en position favorable pour orienter et recommander, sous forme de conditionnalités493, les politiques éducatives des Etats. Je postule que ces deux configurations peuvent s’expliquer par le rôle des mouvements étudiants qui démontrent que cette réforme structure et cristallise un ensemble d’enjeux politiques autour des pratiques et des représentations au sein de l’université. Les policy-makers doivent composer avec une histoire politique et sociale singulière et un tissu d’acteurs qui sont autant de contraintes à l’application de recommandations extérieures494. Les réformes Economic Thinking to Debate and Policy Development », Working paper, The World Bank, 2007. 492 Cette politique consiste plus exactement à faire participer partiellement ou intégralement financièrement les étudiants par l’instauration de frais d’inscriptions. Les étudiants peuvent trouver des financements avec l’aide de leurs parents, famille, par un emploi subsidiaire ou encore un mécène. Cette pratique s’est notamment développée par l’instauration de cours du soir destiné aux étudiants salariés. 493 Voir une synthèse dans WILLIAMS, Gavin, « Les contradictions de la Banque mondiale et la crise de l’Etat en Afrique », in TERRAY, Emmanuel (dir.), L’Etat contemporain en Afrique, Paris, L’Harmattan, 1987, p. 359-382. 494 Sur la littérature sur la circulation des politiques publiques se référer à BENNETT, Colin J. « What is Policy Convergence and What Causes It ? », British Journal of Political Science, 1991, vol. 21, n° 2, p. 215-233 ; DARBON, Dominique, « Modèles et transferts institutionnels vus des Afriques : Les nouveaux villages Potemkine de la modernité ? » in DARBON, Dominique (dir.), La politique des modèles. Simulation, dépolitisation, appropriation, Paris, Karthala, 2009, p. 245-283 ; DELPEUCH, Thierry, « Comprendre la circulation internationale des solutions d’action publique : panorama des policy transfer studies », Critique internationale, 2009, vol. 2, n° 43, p. 153-165 ; DOLOWITZ, David et MARSH David, « Who Learns What from Whom ? A Review of the Policy Transfer Literature », Political Studies, 1996, n° 44, p. 343-357 ; DOLOWITZ, David et MARSH David, « Learning from Abroad : The Role of Policy Transfer in Contemporary Policy-Making », Governance, 2000, vol. 13, n° 1, p. 5-24 ; DUMOULIN, Laurence et SAURUGGER, Sabine, « Les policy transfer studies : analyse critique et perspectives », Critique internationale, 2010, n° 48, p. 9-24 ; JAMES, Oliver et LODGE, Martin, « The universitaires sont le résultat de processus de négociations, de « compromis »495 et de médiations. L’UNIVERSITÉ DU BURUNDI : EXPLIQUER LE NON -CHANGEMENT PAR LA attentive du budget de l’université montre que l’Etat est très majoritairement le principal bailleur de l’UB, très loin par exemple des modèles privatisés des universités de Nairobi et de Makerere499. MOBILISATION DES ÉTUDIANTS ET LES CONFIGURATIONS DE POUVOIR « Le secteur de l’enseignement supérieur c’est plutôt une merde. Une merde de grèves systématiques, de coûts énormes » Julien Nimubona, ancien ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique496 L’Université du Burundi (UB) est un cas très singulier dans la région497 et sur le continent pour deux raisons concomitantes : le gouvernement finance la très grande majorité du budget de l’université et la quasitotalité des étudiants par le versement d’une bourse498. Une étude Limitations of Policy Transfer and Lesson Drawing for Public Policy Research », Political Studies Review, 2003, vol. 1, p. 179-193 et VAUCHEZ, Antoine, « Le prisme circulatoire. Retour sur un leitmotiv académique », Critique internationale, 2013, vol. 2, n° 59, p. 9-16 495 NAY, Olivier et SMITH, Andy (dir.), Le gouvernement du compromis. Courtiers et généralistes dans l’action publique, Paris, Economica, 2002. 496 Entretien réalisé le 9 mars 2013 à Bujumbura. 497 MARCUCCI, Pamela, JOHNSTONE, D. Bruce et NGOLOVOI, Mary, « Higher Educational Cost-Sharing, Dual-Track Tuition Fees and Higher Educational Access : The East African Experience », Peabody Journal of Education, 2008, vol. 83, n° 1, p. 101116. 498 L’étudiant peut néanmoins perdre sa bourse si il redouble deux années d’un même cycle. Les étudiants internes, qui possèdent un logement universitaire et peuvent se restaurer gratuitement, reçoivent une bourse de 9 000 Fbu (Francs burundais) par mois (soit environ 6 US$) alors que les étudiants externes reçoivent une bourse de 31 000 Fbu par mois (soit environ 20 US$). 18 500 étudiants des universités publiques et privées, dont le nombre fortement augmenté depuis l'élection du président Pierre Nkurunziza en 2005, ont bénéficié de cette bourse en 2013. Or, à Bujumbura, une chambre dans les quartiers populaires (Bwiza, Buyenzi, Kamenge…) est louée à partir de 50 000 Fbu. Les étudiants doivent donc s’y entasser pour se loger. Beaucoup d’étudiants sont mêmes serveurs dans différents bars de la capitale, vigiles ou aident les enfants à faire leurs devoirs à domicile pour subvenir à leurs besoins. NDABASHINZE, Rénovat, « Bourses des étudiants : la reculade du ministère de l’Enseignement supérieur ? », Iwacu, 9 janvier 2014, http://www.iwacuburundi.org/bourses-des-etudiants-ministere-rassurant/, consulté le 09/01/2014 ; http://www.bbc.co.uk/afrique/region/2014/03/140314_burundi_universite_fermees .shtml, consulté le 15/03/2014 et HAKIZIMANA, Dieudonné, « Le recteur de l’Université du Burundi : « Les étudiants doivent faire une compétition » », Iwacu, 19 mars 2014, http://www.iwacu-burundi.org/recteur-de-universite-burundi-lesetudiants-doivent-faire-une-competition/. 499 CHARTON, Hélène et OWUOR, Samuel, « De l'intellectuel à l'expert …, op. cit. ; MAUPEU, Hervé, « Les réformes néolibérales des universités est-africaines : éléments d’analyses à partir du cas kenyan », in BUGWABARI, Nicodème, CAZENAVE-PIARROT, Alain, PROVINI, Olivier et THIBON, Christian (éd.), Universités, universitaires …, op. cit., p. 195-211 et COURT, David, Financing Higher Education in Africa : Makerere, the Quiet Revolution, Banque mondiale et fondation Rockefeller, 1999. Budget de l’université du Burundi (1994-2012)500 Montant Revenus alloué par générés Budget de le par l'université gouvernem l'universit (US $) ent (US $) é (US $) 2004 2 479 265 300 264 2 779 529 89 Part du budget alloué par le gouvernement dans le budget global de l'université (%) 2005 2 620 347 130 995 2 751 342 95 2006 3 265 378 473 606 3 738 984 87 2007 4 309 833 491 596 4 801 429 90 2008 4 897 823 428 523 5 326 346 92 1994 3 769 075 223 728 3 992 803 94 2009 5 766 870 377 558 6 144 428 94 1995 3 935 546 1 145 842 5 081 388 77 2010 8 557 065 300 654 8 857 719 97 1996 3 267 385 885 177 4 152 562 79 2011 7 796 836 538 407 8 335 243 94 1997 3 057 423 203 163 3 260 587 94 2012 13 521 021 101 379 13 622 400 99 1998 2 812 924 55 789 2 868 713 98 1999 2 417 221 497 662 2 914 882 83 2000 2 424 288 285 298 2 709 586 89 2001 2 054 649 297 409 2 352 057 87 2002 2 317 131 261 445 2 578 576 90 2003 2 032 889 75 062 2 107 951 96 Hors budget de la Régie des Œuvres Universitaires (ROU). Données récoltés via le Bureau de la planification et des statistiques, université du Burundi, 2013 et MUGABONIHERA, Rénovat, « La problématique du financement de l’enseignement supérieur au Burundi », mémoire de licence de sciences économiques et administratives option économie politique, université du Burundi, avril 2000, p. 59. 500 L’UB est encore aujourd’hui la seule université publique du pays, fait unique en Afrique de l’Est, renforçant son singularisme. Alors que la littérature scientifique sur les transformations universitaires adopte généralement une lecture qui se concentre sur les dynamiques de privatisation de l’enseignement supérieur, suggérant un retrait croissant du rôle de l’Etat, le cas burundais contraint à s’orienter plutôt sur les configurations de pouvoir qui structurent cette singularité. Cette « anomalie budgétaire » est un point de départ intéressant pour questionner les rapports entre la mobilisation des étudiants et l’action publique. Comme expliquer que cette réforme du financement de l’université, et plus particulièrement la révision du système de bourse, n’a jamais abouti au Burundi501, à contrario des autres universités de la région et du continent, malgré la pression des bailleurs et des organisations internationales502 ? D’un point de vue théorique, comment explique-t-on cette absence de réforme, ce nonchangement503 ? Je propose d’expliquer cette spécificité burundaise à travers l’instrumentalisation politique de la jeunesse qui a entrainée progressivement une instrumentalisation de la politique par la jeunesse. Mouvements étudiants et non-changement : l’exemple de l’épisode du réaménagement du versement de la bourse en 2014 Le projet de loi budgétaire 2014, adopté par le Parlement, prévoit un réaménagement de l’attribution de la bourse et sa suppression progressive. Le 2 janvier 2014, Vénant Ndimurirwo, porte-parole du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, affirme que « le Burundi est un des rares pays pauvres qui continuent à donner cette bourse à ses étudiants. Ceux-ci, ainsi que leurs parents, doivent savoir que ce ne sera bientôt plus le cas et se préparer en Cette réforme du statut de la bourse a pourtant été plusieurs fois évoquée au Burundi, notamment sous la 2ème république (1976-1987) où un système de prêt avait été envisagé. 502 Un dernier rapport de la Banque mondiale suggère par exemple au gouvernement burundais de réduire fortement le poids de sa masse salariale dans son budget pour améliorer le recouvrement des recettes. BANQUE MONDIALE, « Revue des dépenses publiques du Burundi. Renforcer l’efficacité des pouvoirs publics : le rôle de la politique budgétaire », Working paper, Poverty Reducation and Economic Management Network/Great Lakes Unit, 2013 et NKENGURUTSE, Nadine, « Banque mondiale : Les salaires prennent 60% des recettes internes du budget national », Iwacu, 21 décembre 2013, http://www.iwacu-burundi.org/rapport-banque-mondialesalaires-budget-burundi/, consulté le 24/12/2013. 503 FONTAINE, Joseph et HASSENTEUFEL, Patrick (dir.), To Change or not to Change ? Les changements de l’action publique à l’épreuve du terrain, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2002. 501 conséquence » 504. Le 14 janvier 2014, un décret présidentiel est adopté en ce sens. La situation reste confuse sur le campus mais les activités enseignantes ne sont pas perturbées. Le 28 février, le ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique confirme que les futurs étudiants boursiers seront désormais de trois catégories : les étudiants qui recevront la bourse classique, les étudiants qui seront gratuitement inscrits sans appui supplémentaire et les lauréats qui recevront un faible appui financier mais qui devront payer les frais d’inscription505. Le 12 mars 2014, les étudiants des universités publics et privées entament une grève illimitée pour protester contre cette réforme qui change les conditions d’octroi de la bourse. D’après ces étudiants, accepter cette décision du gouvernement, « ce serait condamner les nouveaux étudiants […] à vivre une vie de chien »506. La réponse du ministre de l’enseignement supérieur est radicale : via une ordonnance signée entre la nuit du 13 et 14 mars, il ferme les universités publiques, annule l’année académique en cours, exclu pour deux ans les représentants des étudiants et donne deux semaines aux étudiants pour se faire réinscrire, moyennant la signature d’un acte d’engagement à arrêter leur grève et à ne plus rien revendiquer. Le gouvernement a décidé de « trancher dans le vif, pour casser tout de NKENGURUTSE, Nadine et SAHABO, Nadine, « Bientôt, les étudiants n’auront plus de bourse », Iwacu, 2 janvier 2014, http://www.iwacu-burundi.org/bientot-plus-debourse-pour-etudiants-budget/, consulté le 04/01/2014. 505 SAHABO, Nadine, « Université du Burundi : seuls les méritants seront boursiers », Iwacu, 4 mars 2014, http://www.iwacu-burundi.org/universite-burundi-meritantsbourse/, consulté le 15/03/2014 et NKURUNZIZA, Lyse, HAKIZIMANA, Dieudonné, NDABASHINZE, Rénovat et NGENDAKUMANA, Philippe, « Réorganisation de l’octroi de la bourse : les étudiants rejettent la décision », Iwacu, 25 mars 2014, http://www.iwacu-burundi.org/reorganisation-de-loctroi-de-la-bourse-les-etudiantsrejettent-la-decision/, consulté le 30/03/2014. 506 NKURUNZIZA, Lyse, HAKIZIMANA, Dieudonné, NDABASHINZE, Rénovat et NGENDAKUMANA, Philippe, « Réorganisation de l’octroi de la bourse …, op. cit. 504 suite ce mouvement de grève », explique un haut cadre du ministère de l'enseignement supérieur507. Après deux semaines, le ministre fait le bilan de cette campagne de réinscription : 650 étudiants sur 17 000 ont repris le chemin des amphithéâtres508. Le bras de fer entamé par le gouvernement avec les étudiants autour de la question du niveau des bourses n’est pas concluant : les étudiants maintiennent leur grève, malgré l’ultimatum lancé par le ministre. Joseph Butore, ministre burundais de l’enseignement supérieur, décide de leur accorder un premier délai supplémentaire de cinq jours pour cette campagne de réinscription509. Une semaine après l’expiration de l’ultimatum, le vicerecteur de l’université, Paul Banderembako, affirme : « nous sommes conscients que les étudiants n’ont pas répondu à l’appel. Alors qu’est-ce qui va se passer ? Il est assez difficile de négocier avec quelqu’un que vous ne voyez pas. Il faut absolument que, d’abord, les étudiants regagnent le chemin des amphithéâtres »510. Le ministre de l’enseignement supérieur décide de prolonger, pour la deuxième fois511, le délai de réinscription jusqu’au 11 avril512, puis une troisième 507 http://www.bbc.co.uk/afrique/region/2014/03/140314_burundi_universite_fermees .shtml, consulté le 15/03/2014. 508 NKURUNZIZA, Lyse, « Université du Burundi : les étudiants refusent de reprendre le chemin des auditoires », Iwacu, 25 mars 2014, http://www.iwacuburundi.org/universite-du-burundi-etudiants-refusent-reprendre-le-chemin-desauditoires/, consulté le 30/03/214. 509 http://www.rfi.fr/afrique/20140325-burundi-etudiants-cedent-pas-demandesgouvernement/, consulté le 30/03/2014. 510 http://www.afrik.com/greve-au-burundi-les-etudiants-tiennent-tete-augouvernement, consulté le 05/04/2014. 511 Un deuxième délai supplémentaire avait été fixé au 1 er avril. NDABASHINZE, Rénovat, « Enseignement supérieur public : prolongation de la période de réinscription des étudiants », Iwacu, 28 mars 2014, http://www.iwacuburundi.org/enseignement-superieur-public-prolongation-de-la-periode-dereinscription-des-etudiants/, consulté le 13/04/2014. 512 Des étudiants proches du pouvoir auraient même été menacé pour se réinscrire. Le fois jusqu’au 25 avril513. Le 14 avril, deux partenaires belges de la coopération universitaire (Académie de Recherche et d’Enseignement Supérieur et Flemish Interuniversity council) suspendent leurs accords avec l’UB jusqu’à la réouverture officielle des activités au sein de l’UB et de l’ENS514. Le deuxième vice-président burundais, Gervais Rufyikiri, prend le dossier en main le 15 avril en rencontrant l’ensemble des intervenants du secteur pendant cinq heures. Aucun communiqué n’a été publié à la fin des discussions, mais cette intervention est un signe que « le gouvernement burundais [est] désormais prêt à lâcher du lest »515. Le 16 avril le président de la République, « en réponse aux doléances que les étudiants lui ont adressées en demandant de prendre en main lui-même la question »516 annule les mesures de révision d’attribution de la bourse dans l’enseignement supérieur. Les cinq étudiants exclus à l’UB sont gouverneur et le président du parti Cndd-Fdd en province Cankuzo ont organisé une réunion le 23 mars, à l’intention des étudiants en grève des universités publiques. Un étudiant de l’université du Burundi, originaire de la province Cankuzo, affirme : « je suis un Imbonerakure mais je ne peux pas cautionner ça. Notre question est nationale, ce n’est pas seulement une affaire du parti Cndd-Fdd […]. Je ne comprends pas l’attitude du parti Cndd-Fdd qui veut nous obliger à nous réinscrire par force. Ils nous ont menacé en nous informant que des mesures sévères vont être prises à l’endroit des récalcitrants […]. Certains [étudiants] commencent à recevoir des menaces par coups de fil ». MANIRAKIZA, Fabrice, « Les étudiants de l’UB de Cankuzo se disent menacés, l’administration dément », Iwacu, 26 mars 2014, http://www.iwacuburundi.org/etudiants-ub-se-disent-menaces-a-cankuzo-administration-dement/, consulté le 30/03/2014. 513 http://www.afriquinfos.com/articles/2014/4/15/burundi-etudiants-lub-lensrefusent-faire-reinscrire-251330.asp, consulté le 16/04/2014. 514 http://fr.igihe.com/education-culture/education/deux-institutions-belges-ontsuspendu-leurs.html, consulté le 17/04/2014. 515 http://www.rfi.fr/afrique/20140415-burundi-le-conflit-entre-le-gouvernementetudiants-s-enlise/, consulté le 16/04/2014. 516 MBAZUMUTIMA, Abbas, « Attribution de la bourse universitaire : le président Nkurunziza annule les décisions ministérielles », Iwacu, 17 avril 2014, http://www.iwacu-burundi.org/attribution-de-la-bourse-universitaire-le-presidentnkurunziza-annule-les-decisions-ministerielles/, consulté le 17/04/2014. réintégrés dans l’institution. Pourtant les étudiants ne retournent pas sur les campus de l’UB517. Le 18 avril les leaders étudiants affirment que la totalité de leurs revendications n’a pas été respectée et notamment l’article 24 du décret présidentiel qui stipule que le redoublant n’aura plus droit à la bourse : « si on veut qu’on reprenne les études, il faut abroger cet article. Ainsi, nous continuerons à dialoguer pour d’autres doléances »518. Le 1er mai 2014, le chef de l’Etat lance un message aux étudiants pour qu’ils reprennent le chemin des auditoires : « nous profitons de cette fête [internationale du travail] pour faire un clin d’œil aux étudiants en grève. Nous leur sollicitons de faire un pas en avant, de regagner les auditoires pour que nous puissions débattre de toutes les questions encore en suspens tout en étant dans les campus en train d'étudier »519. Le 6 mai 2014, les étudiants des universités publiques du Burundi reprennent finalement le chemin des cours, près de deux mois (12 mars-6 mai) après le lancement de la grève : « nous proclamons la fin de notre grève et la reprise des cours dès aujourd'hui […] car nous avons eu satisfaction sur certaines de nos revendications »520, a déclaré à la presse Arsène Arakaza, un des NGENDAKUMANA, Philippe, « Les étudiants boudent toujours les campus », Iwacu, 23 avril 2014, http://www.iwacu-burundi.org/les-etudiants-boudent-toujours-lescampus/, consulté le 26/04/2014 et http://www.rfi.fr/afrique/20140423-burundietudiants-desertent-toujours-universites/, consulté le 23/04/2014. 518 NKURUNZIZA, Lyse, « universités publiques du Burundi : la crise est loin d’être finie », Iwacu, 18 avril 2014, http://www.iwacu-burundi.org/universites-publiquesdu-burundi-la-crise-est-loin-detre-finie/, consulté le 22/04/2014. 519 http://www.afriquinfos.com/articles/2014/5/2/burundi-gouvernement-appelleetudiants-greve-reprendre-cours-252292.asp, consulté le 06/05/2014 et IWACU, « Grève des étudiants : le président Nkurunziza réitère l’appel pour la reprise des cours », Iwacu, 2 mai 2014, http://www.iwacu-burundi.org/greve-des-etudiants-lepresident-nkurunziza-reitere-lappel-pour-la-reprise-des-cours/, consulté le 02/05/2014. 520 http://tempsreel.nouvelobs.com/education/20140507.AFP6575/burundi-lesetudiants-reprennent-les-cours-apres-deux-mois-de-greve.html, consulté le 10/05/2014 et NIGIRIMANA, Christian, « Les étudiants de l’Université du Burundi et 517 leaders étudiants. Ils resteront néanmoins attentifs à l'annulation du décret présidentiel, au versement de leur bourse des mois d'avril et de mai 2014 et à la mise en application des recommandations faites lors des dernières rencontres. « Faute de cela, nous pouvons retourner en grève », a averti Omer Nahimana, un leader étudiant521. Cet épisode symbolise le rapport de force qui s’instaure en faveur des étudiants à l’encontre du rectorat et du gouvernement. Mais le poids des mouvements étudiants et son succès ne doivent pas se lire uniquement dans la capacité des étudiants à se mobiliser sur une longue période. Il faut comprendre que les étudiants à l’UB constituent une force politique en négociation avec le pouvoir mais également une force de soutien pour la majorité gouvernementale. Plus largement, cette configuration provient de l’instrumentalisation politique de la jeunesse qui a entrainée progressivement une instrumentalisation de la politique par la jeunesse522. de l’ENS suspendent la grève », Iwacu, 6 mai 2014, http://www.iwacuburundi.org/greve-a-luniversite-du-burundi-et-a-lens-les-professeurs-appellent-lesetudiants-a-regagner-les-auditoires/, consulté le 06/05/2014. http://www.afriquinfos.com/articles/2014/5/6/burundi-etudiants-universitespubliques-suspendent-leur-greve-252478.asp, consulté le 06/05/2014. 522 Lors de cette grève, la gouvernance étudiante a évolué fin avril. Certains leaders étaient en effet accusés de travailler pour les intérêts du gouvernement et de l’administration de l’université en exigeant des étudiants qu’ils regagnent les campus alors que les négociations n’avaient pas abouties. David Muhayimana, membre de la nouvelle équipe, déclarait ainsi qu’« après leur appel aux étudiants de regagner les auditoires, le constat a été qu’ils ne travaillent plus pour notre intérêt ». Arsène Arakaza, leader de l’ancienne équipe, précisait que trois étudiants de l’ancienne équipe étaient en effet proche du gouvernement : « Ils étaient pour les intérêts de l’Etat au détriment des étudiants qu’ils étaient censés représenter ». NDABASHINZE, Rénovat, « UB & ENS : cacophonie dans la représentation des étudiants », Iwacu, 3 mai 2014, http://www.iwacu-burundi.org/ub-ens-une-cacophonie-dans-la-representation-desetudiants/, consulté le 06/05/2014. 521 Jeunesse et politique : une instrumentalisation à double sens Cette réforme du mode de fonctionnement de la bourse est une mesure très impopulaire chez les étudiants et une crainte pour le gouvernement au pouvoir depuis 2005 de se voir déstabiliser. Il paraît difficile pour le gouvernement actuel du CNDD-FDD (Conseil National pour la Défense de la Démocratie-Forces de Défense de la Démocratie), issu de la rébellion, de réformer cette spécificité burundaise, alors que les étudiants sont un relais important du pouvoir et de sa légitimité. Depuis l’alternance politique en 2005 et la victoire de l’ancien leader rebelle hutu Pierre Nkurunziza523, le CNDD-FDD a tenté de modifier l’image d’une université affiliée à l’élite tutsi524 et a encouragé la massification de l’enseignement supérieur où, pour des raisons démographiques, les étudiants sont désormais majoritairement hutu. L’université avait en 2005 un peu plus de 8 000 étudiants alors qu’elle CURTIS, Devon, « The International Peacebuilding Paradox : Power Sharing and Post-Conflict Governance in Burundi », African Affairs, 2013, vol. 112, n° 146, p. 72-91 ; LEMARCHAND, René, « Consociationalism and Powersharing in Africa : Rwanda, Burundi, and the Democratic Republic of the Congo », African Affairs, 2007, vol. 106, n° 422, p. 1-20 ; NAKIMANA, Liberate et MUNTUNUTWIWE, Jean-Salathiel, « Situations socio-politique du Burundi, 10 ans après la signature de l’accord d’Arusha : quelles perspectives ? », Observatoire des Grands Lacs en Afrique, 2012, n° 4 ; REYNTJENS, Filip, « Briefing : Burundi : a Peaceful Transition After a Decade of Civil War ? », African Affairs, 2006, vol. 105, n° 418, p. 117-135 ; VANDEGINSTE, Stef, « Power-Sharing as a Fragile Safety Valve in Times of Electoral Turmoil : the Costs and Benefits of Burundi’s 2010 Elections », Journal of Modern African Studies, 2011, vol. 49, n° 2, p. 315-335. 524 Les accords d’Arusha signés le 28 août 2000, qui prévoient un équilibre ethnique des dirigeants politiques, s’appliquent à l’université dans l’octroie des postes administratifs et enseignants. Par exemple, la procédure du choix du doyen pour un département organise une compétition entre trois candidats. Mais le vote des enseignants est seulement consultatifs puisque c’est l’administration centrale qui détient l’attribution finale du poste en veillant à cet équilibrage : « le conseil d’administration se garde la latitude de désigner qui sera doyen à partir de ces trois noms, sans considération des votes, mais en considération ethnique et régionale. Pour dire, on commence à politiser l’université. Donc tu peux avoir une seule voix sur cinquante mais, parce que vous êtes hutu, on va vous élire ». Simeon Barumwete, maitre de conférence en science politique, entretien réalisé le 25 février 2013 à Bujumbura. 523 en attendait environ 18 000 pour la nouvelle année universitaire525. Les étudiants ont conscience d’être désormais en position de force pour entretenir le statut quo de la bourse étudiante, comme me l’expliquait Valos Runyagu : « Une fois en classe j’ai abordé la question […]. J’ai dit […] « Alors chers étudiants, est-ce que vous savez que la bourse n’a pas une longue vie devant elles ? ». Ils ont répondu « Non, non, non on doit continuer à la payer ». J’ai demandé « Pourquoi ? Vous vous rendez compte que l’Etat n’a plus les moyens de le faire ». Ils ont dit « Non, l’Etat va toujours chercher les moyens parce que nous sommes une force politique très importante ». Ils disent qu’ils vont toujours faire en sorte que la bourse soit la. « Parce qu’imaginez, si on coupe la bourse, qui va faire l’université ? Seule les enfants des gens qui sont dans la capitale ». Ce qui est vrai. Alors le gouvernement, peut-il prendre ce risque de faire de l’enseignement uniquement pour les enfants des riches ? Les étudiants disent « Non, il ne le prendra pas. Parce que la force politique c’est nous, ce ne sont pas les centaines de gens qui sont dans la capitale ». Ils ont cette conviction qu’on ne pourra jamais coupé cette bourse, qu’on ne pourra jamais arrêté ce système, qu’on ne pourra pas faire comme les pays voisins. Les étudiants le savent. Ils sont au courant de ces politiques voisines, ils sont informés. Mais ils ne veulent pas y croire. Bref les politiques n’osent pas vraiment l’aborder, on ne sait pas comment l’aborder, parce que c’est une décision politique avant tout. Bureau de la planification et des statistiques, université du Burundi, 2013 ; MINISTERE DE L’EDUCATION NATIONALE ET DE LA CULTURE et PROJET D’APPUI AU RENFORCEMENT DE L’ENSEIGENEMENT SUPERIEUR, Etudes préparatoires à la mission d’audit de l’enseignement supérieur au Burundi. Etude sur l’université du Burundi, Bujumbura, février 2008, p. 15 ; MUGABONIHERA, Rénovat, « La problématique du financement de l’enseignement supérieur au Burundi », mémoire de licence de sciences économiques et administratives option économie politique, université du Burundi, avril 2000, p. 22 et NDABASHINZE, Rénovat, « Les étudiants appellent la CNIDH à la rescousse sur la question de la bourse », Iwacu, 1er avril 2014, http://www.iwacu-burundi.org/universite-burundi-ens-etudiants-appellent-cnidhbourse/, consulté le 05/04/2014. 525 Ce n’est pas vraiment une question économique, cette bourse est d’abord avant tout une question politique »526. Ces enjeux de financement structurent plus largement tout un ensemble de lutte d’influence autour de la jeunesse entre les principales forces politiques du pays. Par exemple la massification de l’enseignement supérieur est très critiquée par les partis d’opposition. Cette dynamique d’expansion des effectifs est présentée comme une décision essentiellement électorale. Comme l’affirme Charles Nditije, un des leaders du parti d’opposition de l’Uprona, « il est insensé que le gouvernement ait osé retenir plus de 18 000 lauréats pour l’année prochaine à l’université du Burundi, alors que durant les autres années, les effectifs variaient entre 6 000 et 8 000 étudiants. Pire encore, le gouvernement n’a pas prévu de budget pour eux […]. Le parti CNDD-FDD veut ouvrir les portes à un grand nombre de lauréats pour la campagne électorale de 2015 »527. Cette compétition politique des étudiants s’est structurée autour d’une fracture ethnique qui fait désormais partie intégrante de l’atmosphère politique à l’université. Elle se matérialise par des socialisations via l’établissement d’organisations de la société civile : de nombreux étudiants tutsi ont par exemple adhérer à la Solidarité Jeunesse pour la Défense des Minorités (SOJEDEM) alors que de nombreux étudiants hutu se sont rapprochés du parti Sahwanya FRODEBU (Front pour la Démocratie du Burundi). Ces dernières années l’UB est également marquée par des affrontements entre les jeunesses Imbonerakure, favorables au gouvernement Valos Runyagu, doyen de la faculté des lettres et de sciences humaines et chargé de cours en géographie, entretien réalisé le 15 février 2013 à Bujumbura. 527 NDABASHINZE, Rénovat, « Les étudiants appellent la CNIDH à la rescousse sur la question de la bourse », Iwacu, 1er avril 2014, http://www.iwacuburundi.org/universite-burundi-ens-etudiants-appellent-cnidh-bourse/, consulté le 05/04/2014. 526 actuel528, et les jeunesses des partis d’opposition, notamment de l’ADCIkibiri (Alliance des démocrates pour le changement)529. Par exemple, pendant le mouvement de grève de juillet 2013, qui avait trait à un retard dans le versement de la bourse, certains affrontements se sont déroulés530. Ces mouvements, affiliés et instrumentés par les partis politiques, soulignent le chevauchement des logiques politiques et ethniques531 et En avril 2014, les Nations unies ont fait circuler l’information faisant état d’un armement et d'un entrainement de la jeunesse du CNDD-FDD. Des armes, des machettes et des uniformes auraient été distribués en janvier et en février. C'est le sous-secrétaire général chargé des affaires politiques, Jeffrey Feltman, qui a informé le Conseil de sécurité, le 8 avril, évoquant des rapports récents faisant état de « l'armement et de l'entrainement de la jeunesse du parti au pouvoir, Imbonerakure ». L'ONU s'inquiétait également de la diffusion de messages à la radio, appelant la population à se tenir « prête ». Le porte-parole, Willy Nyamitwe, adjoint du président a démenti ces accusations : « c’est faux et archi faux. Le pouvoir de Bujumbura ne peut pas cautionner une distribution d’armes dans le pays parce que l’heure est au désarmement et il y a environ 100 000 armes qui ont été récupérées de la population. Et la population les remet par sa propre volonté. On ne peut pas, en même temps, retirer les armes de la population civile et, par une autre porte, les renvoyer à la population. Cela n’est pas possible ». http://www.rfi.fr/afrique/20140410-burundi-onu-possibleslivraisons-armes-jeunesse-parti-pouvoir-cndd-fdd/, consulté le 12/04/2014 ; IWACU, « Nkurunziza : « Il n’y aura pas de référendum et il n’y a pas de distributions d’armes », Iwacu, 9 avril 2014, http://www.iwacu-burundi.org/nkurunziza-il-ny-aura-pas-dereferendum-et-il-ny-a-pas-de-distributions-darmes/, consulté le 12/04/2014 et http://www.rfi.fr/afrique/20140420-burundi-pierre-nkurunziza-rencontre-jeunesimbonerakure/, consulté le 22/04/2014. 529 HUMAN RIGHTS WATCH, « Pursuit of Power : Political Violence and Repression in Burundi », Working paper, 2009 et HUMAN RIGHTS WATCH, « You Will Not Have Peace While You Are Living : the Escalation of Political Violence in Burundi, Working paper, 2012. 530 NGABIRE, Elyse, « Campus Mutanga : chasse aux Imbonerakure ? », Iwacu, 22 juillet 2013, http://www.iwacu-burundi.org/index.php/campus-mutanga-universite-duburundi-chasse-aux-imbonerakure-greve/, consulté le 26/07/2013. 531 Jean-Salathiel Muntunutwiwe, ancien doyen de la faculté des lettres et de sciences humaines et maitre de conférence en science politique, entretien réalisé le 15 février 2013 à Bujumbura. 528 génèrent des divisions au sein de l’association étudiante FER532, comme lors de la dernière élection des responsables étudiants533. Cette fracture au sein des campus de l’UB provient d’un long processus d’instrumentalisation et d’encadrement de la jeunesse entamé sous la première république (1966-1976) et la création de la Jeunesse Révolutionnaire Rwagasore (JRR) qui s’est cristallisé au début des années 1990. Avec le multipartisme, l’ensemble des nouvelles formations politiques a investit l’UB pour y construire des relais politiques : « avec le multipartisme, chaque parti a voulu avoir des représentants au sein de la jeunesse […] au niveau de l’université […]. L’ensemble des partis au moment des élections vont s’intéresser aux étudiants comme pour les capter, pour qu’ils puissent, quelque part, devenir une sorte de porte-parole »534. Ces formations politiques ont mobilisé les étudiants de l’UB entrainant de multiples confrontations physiques sur les campus entre les étudiants-militants. Dans cette dynamique de politisation accélérée, les universitaires sont devenus un enjeu politique considérable et un objet de convoitise de toutes les formations politiques. Les représentants des étudiants sont en contact permanents avec les présidents des partis politiques dont ils servent les intérêts moyennant quelques promesses et récompense. L’université est un espace de compétition politique où se multiplient les signes visuels d’affiliations politiques (badges, insignes…) et l’organisation de réunions politiques plus ou moins informelles sur les campus. Nicodème Bugwabari, professeur d’histoire et membre fondateur de l’université privé de Ngozi, entretien réalisé le 18 février 2013 à Bujumbura. 533 NTAHIMPERA, Jean-Marie, « Tensions ethniques à l’Université du Burundi sur fond d’élections des nouveaux représentants des étudiants », Iwacu, 29 octobre 2013, http://www.iwacu-burundi.org/index.php/tensions-ethniques-universite-duburundi/, consulté le 01/11/2013. 534 Emile Mworoha, professeur ordinaire d’histoire et également ancien ministre de la jeunesse, des sports et de la culture, entretien réalisé le 13 mars 2013 à Bujumbura. 532 On peut expliquer l’absence de changement du statut de la bourse au Burundi par la récurrence des mouvements étudiants où, depuis plusieurs années, chaque début de mois est marqué le retard de son paiement, ce qui entraine mensuellement un mouvement de grèves d’une à deux semaines par les étudiants pour réclamer son versement. Surtout le poids des mouvements étudiants doit se lire dans l’instrumentalisation politique de la jeunesse burundaise qui constitue un enjeu considérable, dynamique qui s’est intensifiée au début des années 1990 avec l’instauration du multipartisme. Alors que le parti au pouvoir a massifié l’enseignement supérieur depuis sa prise de pouvoir en 2005, offrant de nouvelles perspectives aux familles des régions isolées, sa remise en cause paraît pour le moment improbable, a fortiori à la veille des prochaines échéances électorales de 2015. L’UNIVERSITÉ DE DAR ES SALAAM : POST-SOCIALISME, SENTIER DE DÉPENDANCE ET RÉFORME COSMÉTIQUE L’exemple de l’Université de Dar es Salaam (UDSM) permet également de questionner la dynamique de privatisation des universités qui circule sur le continent. La trajectoire de l’UDSM propose une configuration singulière qui permet de repenser la diffusion de modèle appliqué à l’identique. Les gouvernements tanzanien et les administrateurs de l’UDSM ont entrepris tout un ensemble de réformes qui vont dans le sens d’une marchandisation progressive de l’université, notamment en se désengagement du financement de la recherche. Mais ils ont également préservé un statut ambigu dans la participation financière des étudiants. L’un des arts de la réforme consiste en effet dans le déploiement de registres hybrides d’internationalisation et de nationalisation des contenus et des apparences535. L’équilibre du changement et de son acceptation consistent à se positionner par rapport à des discours et exigences internationaux tout en préservant l’histoire, la mémoire et les pratiques nationales. L’héritage socialiste du président J. K. Nyerere ne se donne pas seulement à voir dans les nombreux portraits qui jalonnent les bureaux administratifs, mais plutôt dans tout un ensemble d’héritage qui ont construit un espace universitaire néolibéral cosmétique. pour le ministère537. L’enjeu principal de cette politique réside donc dans le suivi des étudiants pour le remboursement. La grande majorité des étudiants ne rembourse pas leurs prêts à la sortie de l’université, ce qui constitue une perte considérable pour le gouvernement. Cette politique de partage des coûts, via le système de prêt étudiant, est donc défaillante par la difficulté et l’absence de volonté politique d’établir une véritable « traçabilité » des étudiants, notamment quand ils intègrent le secteur privé. Sociologie de l’Etat et action publique en Tanzanie Au début des années 1990, la Tanzanie a réintroduit dans l’enseignement supérieur une politique de participation aux coûts qui n’est pas nouvelle puisqu’elle existait déjà sous la période coloniale. Pourtant, le taux d’inscription d’étudiants privés est resté faible par rapport aux universités voisines : les étudiants privés étaient moins de 15% au début des années 2000, moins de 20% au milieu des années 2000 et représenteraient actuellement entre 20% et 25% des effectifs536, très loin des standards kenyans et ougandais où plus de 60% des effectifs sont des étudiants privés. La plupart des étudiants publics à l’UDSM sont en réalité financés par un système de prêt universitaire, géré par la HESLB (Commission de Prêt pour les Étudiants de l’Enseignement Supérieur), qui reste moins avantageux qu’un système de bourse classique puisqu’à la fin de leurs études les étudiants doivent rembourser cette somme avec échelonnement. Néanmoins, sur les quinze dernières années et les 48 000 étudiants qui ont contracté un prêt étudiant, ils seraient environ 30 000 à ne pas avoir remboursé leurs prêts, soit un préjudice estimé à 32 millions $ En réalité, les différents gouvernements tanzaniens ont adopté une marchandisation partielle de l’université : désengagement budgétaire dans le secteur de la recherche, mise en place de la politique de « partage des coûts », instauration d’un prêt étudiant. Mais parallèlement, le système de prêt étudiant reste très largement défaillant et s’apparente encore au final à une bourse étudiante classique puisque la très grande majorité des étudiants ne rembourse par leur prêt. Surtout l’Etat reste le principal bailleur du fonctionnement général de l’université. Une étude attentive de l’évolution du budget de l’UDSM démontre une hausse quasi-constante du montant des différents gouvernements alloué dans le budget de l’UDSM, même si cet investissement reste insuffisant en rapport à la forte croissance des étudiants. On passe d’un budget en 1996 de 10 778 142 US$ à 28 128 372 US$ en 2007 alors que, par exemple, à l’université de Makerere le budget alloué par le gouvernement est resté quasiment identique entre 1995 et 2005. Je postule que ce MGWABATI, Faraja, « Bunge Team Snubs Loan Board », Daily News, 16 janvier 2010, n° 1552, p. 1 ; RUGONZIBWA, Pius, « Loans Board Targets Defaulters », Daily News, 24 décembre 2009, n° 9969, p. 1 ; RUGONZIBWA, Pius, « Ex-Students Owe Govt 49 bn/- », Daily News, 25 décembre 2009, n° 9970, p. 1 et RUGONZIBWA, Pius, « Board Readies Hot Pursuit of Student Debtors », Daily News, 23 janvier 2010, n° 1553, p. 1. 537 Expressions reprises de BRUNO, Isabelle, CLEMENT, Pierre et LAVAL, Christian, La grande mutation. Néolibéralisme et éducation en Europe, Paris, Syllepse, 2010, p. 104. 536 Sylvia S. Temu, adjointe du vice-chancelier en charge de la recherche et des échanges de la connaissance, entretien réalisé le 30 avril 2013 à Dar es Salaam. 535 fonctionnement de marchandisation hybride est une configuration politique issue de la négociation entre les différents acteurs universitaires. Budget alloué par le gouvernement à l’UDSM (US$) 1987 7 797 373 1988 8 070 521 1989 9 161 054 1990 10 436 304 1991 15 025 497 1992 10 930 898 1993 8 336 914 1994 7 810 904 1995 8 356 847 1996 10 778 142 1997 9 685 495 1998 11 493 644 1999 12 427 426 2000 16 754 605 2001 13 935 690 2002 15 391 693 2003 16 689 547 2004 16 544 895 2005 25 823 511 2006 26 468 208 2007 28 128 372 Budget alloué par le gouvernement à l’université de Dar es Salaam (1985- l’université de Makerere (1995-2005)539 2007)538 Budget alloué par le gouvernement (en US$) Budget alloué par 1995 19 786 481 1996 19 813 610 1997 19 612 939 1998 19 023 730 1999 17 210 572 2000 14 336 748 2001 15 831 974 2002 15 912 704 2003 14 449 973 2004 20 282 740 2005 19 779 135 le gouvernement à PROVINI, Olivier, « Reforms in the University of Dar es Salaam : Facts and Figures », Les cahiers d’Afrique de l’Est, n° 45, 2012, p. 77-86 ; PROVINI, Olivier, « Les réformes à l’Université de Dar es Salaam : l’établissement d’un nouveau marché de l’enseignement supérieur » in BUGWABARI, Nicodème, CAZENAVE-PIARROT, Alain, PROVINI, Olivier et THIBON, Christian (éd.), Universités, universitaires …, op. cit., p. 275-298 ; MKUDE Daniel, « State of Higher Education Transformation in Tanzania », Working paper, Trust Africa Higher Education Project/Carnegie Foundation, 2011, p. 92-93. 538 COURT, David, Financing Higher Education in Africa..., op. cit., p. 5-7 ; KASOZI, A. B. K., Financing Uganda’s Public Universities. An obstacle to Serving the Public Good, Kampala, Fountain Publishers, 2009, p. 164 ; MAKERERE UNIVERSITY, Fact Book 2009/2010, Kampala, Makerere University Press, 2010, p. 5. 539 Pour comprendre l’avènement de ce catéchisme néolibéral cosmétique, eu égard aux universités voisines, je propose de m’intéresser à la sociologie de l’Etat tanzanien à travers le rôle des mouvements étudiants. Je soutiens la thèse qu’il faut analyser cette configuration à travers la matrice du post-socialisme et des apports théoriques néo-institutionnalistes540 en terme de « sentier de dépendance ». Cette notion de post-socialisme traduit la juxtaposition de modèles a priori antagonistes541. Le préfix « post- » ne signifie pas que la matrice socialiste a complètement été abandonnée mais souligne plutôt que les institutions, les structures symboliques et les stratégies individuelles, comme collectives, sont structurées par ce socialisme passé542. La présence du passé dans le présent explique pourquoi il est nécessaire d’adopter une perspective historique pour comprendre les réformes tanzaniennes de l’enseignement supérieur. Ce paradigme du post-socialisme peut être lié à la notion de « sentier de dépendance » généralement utilisée en théorie de l’action publique. façon marginale et selon un sentier tout tracé. Pour Paul Pierson543, l’importance des mécanismes institutionnels dans les régimes contemporains rend probable des effets de résistance et de sédimentation dans la vie politique. Appliquant cette notion à l’étude des réformes des Etats entreprises aux Etats-Unis et au Royaume-Uni dans les années 1980, Paul Pierson montre que les changements furent en définitif beaucoup moins importants que ceux qui avaient été annoncés par Ronald Reagan et Margaret Thatcher544. Les principaux éléments explicatifs utilisés par Paul Pierson sont la complexité des schémas institutionnels propres aux politiques sociales, le caractère mécanique des dispositifs de protection sociale mais également la mobilisation des ayants droits soucieux de ne pas perdre leurs acquis et de défendre une certaine conception de la solidarité545. Cette approche souligne l’importance des origines dans le développement de l’action publique tout en soulignant la permanence des structures, des arrangements institutionnels et de l’action collective. Cette conception des transitions propose donc une lecture Ce concept est heuristique pour appréhender ces espaces où cohabitent des dynamiques qui paraissent contradictoires et pour comprendre les réformes limitées des structures politiques et institutionnelles. Cette approche propose une analyse dynamique des phénomènes politiques et s’appuie sur l’idée que les configurations institutionnelles caractéristiques de l’espace politique évoluent de 543 Voir la synthèse dans LECOURS, André, « L’approche néo-institutionnaliste en science politique : unité ou diversité ? », Politique et Sociétés, 2002, vol. 21, n° 3, p. 319. 541 PITCHER, Anne M. et ASKEW, Kelly M., « African Socialisms and Postsocialisms », Africa : Journal of the International Africa Institute, 2006, vol. 76, n° 1, p. 1-14. 542 FOUERE, Marie-Aude, « La nation tanzanienne à l’épreuve du postsocialisme », Politique Africaine, 2011, n° 121, p. 69-86. 540 PIERSON, Paul, « When Effects Become Cause. Policy Feedback and Political Change », World Politics, 1993, vol. 45, n° 4, p. 595-628 et PIERSON, Paul, « Increasing Returns, Path Dependence, and the Study of Politics », The American Political Science Review, 2000, vol. 94, n° 2, p. 251-267. 544 PIERSON, Paul, Dismantling the Welfare State ? Reagan, Thatcher, and the Politics of Retrenchment, Cambridge, Cambridge University Press, 1997. 545 Voir également BONOLI, Giuliano et PALIER, Bruno, « Phénomènes de Path Dependence et réformes des systèmes de protection sociale », Revue française de science politique, 1999, vol. 49, n° 3, p. 399-420 ; PALIER, Bruno, La réforme des retraites, Paris, Presses universitaires de France, 2003 ; PALIER, Bruno, « Ambigous Agreement, Cumulative Change : French Social Policy in the 1990s » in STREECK, Wolfgang et THELEN, Kathleen Ann (éd.), Beyond Continuity. Institutional Change in Advanced Political Economies, Oxford, Oxford University Press, 2005, p. 127-144 ; MAHONEY, James, « Path Dependence in Historical Sociology », Theory and Society, 2000, vol. 29, n° 4, p. 507-548 et DOBRY, Michel, « Les voies incertaines de la transitologie : choix stratégiques, séquences historiques, bifurcations et processus de path dependence », Revue française de science politique, 2000, vol. 50, n° 4-5, p. 585614. des réformes limitées et marginales. Les réformateurs font face à des résistances (routines bureaucratiques, culture politique, action collective) qui peuvent conduire à un changement négocié546. Mouvements étudiants et changement négocié Les différents gouvernements en Tanzanie, à l’inverse de leurs voisins, n’ont jamais voulu franchir totalement le pas vers le modèle de l’université publique privatisée. Dans le cas des réformes de l’UDSM, je propose de lire cette configuration inédite à travers le rôle joué par l’organisation étudiante DARUSO (Association Etudiante de l’Université de Dar es Salaam) qui a su ajuster le changement. En effet l’association a joué un rôle central dans le processus de médiation enclenché par l’administration centrale et le gouvernement en participant aux différentes réunions internes dans les années 1990 mais également en organisant une pression continue sur les responsables politiques. Depuis la mise en place de cette politique, les années universitaires sont rythmées par des mouvements de protestations sur le campus qui réclament le plus souvent une prise en charge totale des frais étudiants par le gouvernement. Dès 1992, plusieurs épisodes ponctuent les discussions sur la mise en place de la politique de partage des coûts qui renvoie au fait que les parents et étudiants doivent s’acquitter d’une partie des frais universitaires (droits d’inscription, logement, bibliothèque, nourriture …)547. En février 1992, un communiqué rédigé par deux leaders étudiants demande le retrait de cette réforme et engendre un boycott NAY, Olivier et SMITH, Andy (dir.), Le gouvernement du compromis…, op. cit. ISHENGOMA, Johnson, « Cost-Sharing in Higher Education in Tanzania : Fact or Fiction ? », JHEA/RESA, 2004, vol. 2, n° 2, p. 104. 546 547 général des cours548. Plus généralement, depuis le début des années 2000 et le lancement de la troisième phase de la réforme549 les années universitaires sont ponctuées par des manifestations et des grèves, souvent brèves, sur l’ensemble des campus qui forment l’UDSM550. DAILY NEWS REPORTER, « Students Threaten Action Against Government », Daily News, 5 février 1992, p. 1 ; DAILY NEWS REPORTER, « Go Back to Classes, Senate Tells Students », Daily News, 13 février 1992, p. 1 ; DAILY NEWS REPORTER, « Students End Class Boycott », Daily News, 18 février 1992, p. 1. 549 Cette politique de « partage des coûts » n’est pas nouvelle en Tanzanie puisqu’elle existait déjà sous la période coloniale jusqu’en 1967, année de l’adoption d’une nouvelle « culture politique », l’Ujamaa. Voir MARTIN, Denis-Constant, Tanzanie. L'invention d'une culture politique, Paris, Presses de la fondation nationale des sciences politiques et Karthala, 1988. La réintroduction de cette politique à l’UDSM a eu lieu en trois temps. La première phase (1992-1993) concernait la prise en charge par les étudiants des frais de transport, de dossiers et ceux relatifs à l’organisation étudiante. La seconde phase (1993-1994) prenait en compte les frais engendrés par le logement et la nourriture sur le campus. Enfin, la dernière phase (2004-2005) concernait une prise en charge des frais d’inscriptions et d’examens, des livres, du stationnement des véhicules et des services médicaux. ISHENGOMA, Johnson, « Cost-Sharing in Higher Education in Tanzania… », op. cit., p. 105-106. 550 Voir par exemple COSATO, Chumi, « Government Allays Fears to D’Salaam University Freshers », The Guardian, 28 septembre 2002, p. 4 ; DAILY NEWS REPORTER, « Dar Varsity Students Want More Boom », Daily News, 29 avril 2006, p. 2 ; MWASUMBI, Jonas, « Students Implore Full Govt Sponsorship », Daily News, 15 août 2006, p. 3 ; KASIBA, Sabato, MAMBO, David, « UCLAS Students Boycott Still on », The Guardian, 24 février 2007, p. 3 ; NAVURI, Angel, « UDSM Explodes Again Over Studies Stipend », The Guardian, 17 avril 2007, p. 1-2 ; JOSEPH, Hillary, « Varsity Student Boycott Smacks of Political Undertones », The Guardian, 24 avril 2007, p. 9 ; KITABU, Gerald, « Dialogue at the Hill Should Take Centre Stage to Resolve Boycotts », The Guardian, 29 avril 2008, p. 11 ; MUSHI, Deogratias, « Planned Students Strike Illegal, Says Prof. Maghembe », Daily News, 4 novembre 2008, p. 3 ; SAIBOKO, Abdulwakil, « UDSM Students Boycott Classes », Daily News, 11 novembre 2008, p. 2 ; DAILY NEWS REPORTER, « UDSM Students Sent Packing », Daily News, 13 novembre 2008, p. 1 ; DAILY NEWS REPORTER, « UDSM College Students Go Home Too », Daily News, 14 novembre 2008, p. 1; MBASHIRU, Katare, « Calm Returns to UDSM After Failed Demonstrations », 5 février 2011 ; WA SIMBEYE, Finningan, « UDSM Students Defiant as Govt Pledges Allowance Review », Daily News, 7 février 2011 ; KAGASHE, Beatus, « UDSM Students Protest, Clash with Police in Dar », The Citizen, 4 février 2011 ; DAILY NEWS REPORTER, « Demonstration Another Strike Looms at UDSM », The Citizen, 10 548 Dans ce processus complexe de négociation-protestation, l’héritage et la figure de l’ancien président J. K. Nyerere, tutelle de cette période socialiste où l’université était gratuite, est fréquemment mobilisée par les leaders étudiants. Par exemple en janvier 2007, « students from all constituents of the University of Dar es Salaam had assembled at the Nkrumah Hall of the University of Dar es Salaam at 9.00 am yesterday from where they marched to Jangwani grounds. Once at Jangwani, they listened to their leaders, who said that the government should emulate Mwalimu Nyerere’s example of prioritizing education for all eligible students, rather than making it a privilege of the well-to-do lots »551. Les leaders étudiants utilisent cette référence comme un argument politique pour légitimer leurs revendications en espérant obtenir un plus large consensus en leur faveur. Photo d’étudiants en grève en 2007. Leurs messages sont souvent des attaques directes contre l’administration centrale et le président actuel. Sur la gauche on peut lire : « L’enseignement supérieur est obligatoire. Les voyages à l’étranger, les voitures ostentatoires sont un luxe et une honte ». Et sur la droite « le problème n’est pas le système de prêt étudiant. C’est avec les potes du gouvernement de Kikwete ». The Guardian, 17 avril 2007, p. 1. janvier 2011 ; MCHOME, Erick, « Taking a Hard-Line on Student Protests », The Citizen, 17 janvier 2012. 551 GUARDIAN REPORTERS, « Students March Against Loan Scheme », The Guardian, 29 janvier 2007, p. 1. Le gouvernement lui-même utilise, avec habileté, cet héritage socialiste, jonglant entre un discours de marchandisation de l’enseignement supérieur et le maintien nécessaire des principes Nyereristes. Par exemple, en 2002, quand le gouvernement assure aux étudiants qu’il continuera à être le principal bailleur des bourses et prêts étudiants alors même que le processus de la réforme de « partage des coûts » va entamer sa dernière phase. L’ancienne secrétaire permanente du ministère des sciences, de la technologie et de l’enseignement supérieur, Ruth Mollel, affirmant même ses craintes d’un désengagement de l’Etat : « I would like to allay fears expressed by many that by introducing cost-sharing in higher education the government intends to abdicate its responsibility as the main provider of this constitutional rights to every Tanzanian (…) Due to economic disparities, the Government recognised that not all students could raise enough funds for their studies »552. Cette situation d’entre-deux satisfait l’ensemble des acteurs. D’une part, le syndicat étudiant puisque la lutte contre la privatisation de l’université est un enjeu majeur de sa légitimité sur le campus. D’autre part, le gouvernement tanzanien qui se positionne localement pour satisfaire les étudiants et éviter de trop longues grèves qui pourraient déstabiliser le pouvoir, et internationalement en adoptant, avec parcimonie, l’agenda international. CONCLUSION La fabrique de l’action publique n’est pas faite que de convergence ou de mimétisme. Même dans la configuration d’une dépendance importante, par exemple en termes technique et financier, elle demeure un processus dynamique de coproduction553. Les politiques publiques sont le résultat de compromis et de reformulations de solutions préexistantes qui s’inscrivent dans une historicité propre554, COSATO, Chumi, « Government Allays Fears … », op. cit. NAKANABO DIALLO, Rozenn, « Politiques de la nature et nature de l’Etat. (Re)déploiement de la souveraineté de l’Etat et action publique transnationale au Mozambique », thèse pour le doctorat en science politique, Université de Bordeaux, 2013, p. 84. 554 LASCOUMES, Pierre, « Rendre gouvernable : de la « traduction » au « transcodage ». L’analyse des processus de changement dans les réseaux d’action publique », La Gouvernabilité, CURAPP, Paris, Presses universitaires de France, 1996, p. 334. dans des systèmes de croyances et de représentations555. Pour appréhender l’articulation complexe des transformations des espaces universitaires, il convient d’adopter une analyse multi-niveaux pour comprendre comment, au final, les espaces récipiendaires absorbent, filtrent et se réapproprient des solutions extérieures. A travers l’exemple de la dynamique de la marchandisation des universités sur le continent, les mobilisations étudiantes des universités du Burundi et de Dar es Salaam illustrent des configurations différentes sur le rôle que peuvent jouer les étudiants, par leurs mouvements de protestations, dans la négociation d’une réforme et la mise en place d’un changement négocié. En étudiant la structure et l’issue des mobilisations et les négociations entre les différents acteurs qui interviennent dans le processus pour résoudre le conflit, on questionne les rapports entre la sociologie de l’action collective et de l’action publique. On peut ainsi expliquer l’absence de changement du statut de la bourse au Burundi par la récurrence des mouvements étudiants où, depuis plusieurs années, chaque début de mois est marqué le retard de son paiement. Surtout le poids des mouvements étudiants doit se lire dans l’instrumentalisation de la jeunesse burundaise qui constitue un enjeu politique considérable. L’exemple de l’UDSM illustre plutôt le rôle de l’organisation étudiante dans la mise en place d’une configuration hybride, jouant ainsi avec l’héritage, la mémoire et les représentations de la période Nyerere qui conforte la position ambiguë des gouvernements tanzaniens sur la marchandisation de l’enseignement supérieur. 552 553 DARBON, Dominique, « Peut-on relire le politique en Afriques via les politiques publiques ? » in TRIULZI, Alessandro et ERCOLESSI, Cristina (éd.), State, Power, and New Political Actors in Postcolonial Africa, Milan, Fondazione Giangiacomo Feltrinelli Milano, 2004, p. 191. 555 Ces deux exemples démontrent comment une analyse attentive de l’action collective étudiante peut fournir une grille d’analyse pour appréhender les processus incrémentaux (Tanzanie) et les situations de blocage (Burundi). Mais l’analyse des mouvements étudiants peut également fournir des clés de compréhension pour comprendre les contextes qui peuvent faciliter le changement. Par exemple, la privatisation progressive de l’université de Nairobi est le résultat de la démobilisation du mouvement étudiant kényan, fortement marqué par l’importance de la répression, au début des années 1990 sous le régime de D. a. Moi, puis de sa fragmentation instrumentalisée par les partis politiques. C’est la faiblesse de la mobilisation étudiante qui a, entre autre, permis la mise en place de politiques publiques pourtant contraires aux intérêts étudiants556. Sur les mouvements étudiants au Kenya voir AMUTABI, Maurice N., « Crisis and Student Protest in Universities in Kenya : Examining the Role of Students in National Leadership and the Democratization Process », African Studies Review, 2002, vol. 45, n° 2, p. 157-177 ; CHEPCHIENG, Micah C., KIBOSS, Joel K., SINDABI, Aggrey, KARIUKI, Mary W. et MBUGUA, Stephen N., « Students Attitudes Toward Campus Environment : a Comparative Study of Public and Private Universities in Kenya », Educational Research and Review, 2006, vol. 1, n° 6, p. 174-179 ; KIAI, Maina, « Haven of Repression : a Report on the University of Nairobi and Academic Freedom in Kenya », Working paper, The Kenya Human Rights Commission, 1992 ; KLOPP, Jacqueline et ORINA, Janai R., « University Crisis, Student Activism and the Contemporary Struggle for Democracy in Kenya », African Studies Review, 2002, vol. 45, n° 1, p. 43-76 ; LAFARGUE, Jérôme, Contestations démocratiques en Afrique. Sociologie de la protestation au Kenya et en Zambie, Paris, Karthala, 1996 ; MAUPEU, Hervé, « Mobilisations politiques à Nairobi, violences et résilience des autoritarismes kenyans » in CHARTON-BIGOT, Hélène et RODRIGUEZ-TORRES, Deyssi (dir.), Nairobi contemporain. Les paradoxes d’une ville fragmentée, Nairobi-Paris, IFRA-Karthala, 2006, p. 479-511 ; MAUPEU, Hervé et LAFARGUE, Jérôme, « La société civile kényane : entre résilience et résistance », Politique africaine, 1998, n° 70, p. 61-73 et SAVAGE, Donald C. et TAYLOR, Cameron, « Academic Freedom in Kenya », Canadian Journal of African Sudies, 1991, vol. 25, n° 2, p. 308-321. Surtout, la sociologie de l’action collective est une bonne grille de lecture pour faire le lien entre les sociologies de l’Etat et sociologie de l’action publique pour s’intéresser à la (dé)mobilisation de certains acteurs, par exemple de la mobilisation du public ciblé par un projet de politique publique. On peut alors supposer que la nature du régime, comme la mémoire de l’action collective, vont être des vecteurs importants pour appréhender le poids de ces acteurs dans la négociation. Bruno Jobert et Pierre Muller rappellent d’ailleurs qu’« il s’agit de savoir si la forme générale du système politique engendre des contraintes spécifiques dans la conduite de l’action publique dans certaines conjonctures déterminées »557. 556 JOBERT, Bruno et MULLER, Pierre, L’Etat en action : politiques publiques et corporatismes, Paris, Presses universitaires de France, 1987, p. 702. 557 EN GUISE DE CONCLUSION. PASCAL BIANCHINI. LES TROIS ÂGES DU MOUVEMENT ÉTUDIANT DANS LES PAYS D’AFRIQUE SUBSAHARIENNE FRANCOPHONE Chercheur associé au CESSMA-Paris VII Il existe une interaction particulière entre l’histoire des mobilisations et des organisations étudiantes et la genèse et l’évolution des champs politiques en Afrique subsaharienne558. C’est une thèse que j’ai essayé de développer dans des écrits antérieurs (Bianchini, 2004) mais cette intuition qui a guidé mes recherches depuis longtemps ne semble pas partagée par un très grand nombre d’auteurs « africanistes ». Cette histoire croisée reste dans une large mesure encore à écrire. Aussi, il peut sembler prématuré de proposer dès maintenant une vision synthétique qui embrasserait cette dernière alors que bien des matériaux empiriques restent à exhumer au sein d’archives écrites et orales encore inutilisées, voire inédites. Néanmoins, cette histoire s’inscrit dans un contexte politique au sens large et prend la forme de trajectoires que l’on peut tenter de modéliser. J’utilise dans cette contribution une grille d’analyse en termes de « structure des opportunités politiques » (Tarrow, 1994 ; 558Un constat plus global a été fait pour les pays du Sud où, à la différence des pays occidentaux, l’action des mouvements étudiants aurait plus d’impact sur le système politique, en allant même jusqu’à provoquer la chute de certains gouvernements (Altbach, 1989 : 107-108). Cependant, une relation plus spécifique encore apparaît en Afrique subsaharienne où les crises éducatives sont plus enracinées historiquement du fait de l’enjeu primordial constitué par le « capital scolaire » dans l’accès aux différentes positions au sein de la structure sociale qui a émergé avec l’Etat postcolonial. Mc Adam, Mc Carthy & Zald, 1996). Partant de l’idée que les mouvements sociaux évoluent dans un contexte socio-politique qui détermine leurs possibilités d’action, il s’agit d’identifier les traits pertinents du cadre au sein duquel se situent les trajectoires des mouvements étudiants des différents pays de cette aire géographique qui existe en tant qu’espace géopolitique hérité de la domination coloniale559. Il serait toutefois hasardeux de ma part de prétendre à autre chose qu’une première ébauche susceptible d’être affinée, voire réagencée. Par ailleurs, le modèle en lui-même, utilisé ici dans le cadre d’une démarche uniquement heuristique, peut être critiqué du fait de son « objectivisme » (Mathieu, 2010). En particulier, l’analyse en termes de « structure des opportunités politiques » n’apporte pas forcément de réponse à la question essentielle qui est la suivante : pourquoi cet acteur particulier qu’est le mouvement étudiant dans un pays donné n’a pas suivi la même trajectoire que cet autre mouvement étudiant dans un pays voisin pourtant placé dans des conditions semblables ? Pour ne pas oublier cet autre aspect important à examiner dans l’analyse des mobilisations collectives, c’est-à-dire la capacité propre des acteurs à agir sur le réel et à modifier les rapports de force en leur faveur (« agency » versus « structure »560), il me semble plus pertinent de quitter le cadre globalisant d’un modèle synthétique en 559Les études utilisées pour rédiger cette communication concernent quasiexclusivement les territoires colonisés par la France : le cas du Zaïre qui est abordé peut sembler une exception mais constitue aussi une situation-limite qui peut être en partie rapprochée de cet espace géopolitique du fait de la « francophonie linguistique » mais surtout « politique » voire « militaire ». 560Cependant, dans l’exposé des opportunités structurelles, il est difficile de ne pas évoquer les conséquences sur le plan du jeu des acteurs et donc de faire apparaître en filigrane leurs capacités d’action. me référant plus explicitement à des cas historiques concrets561. C’est pourquoi en guise de conclusion, pour montrer que l’histoire est tout sauf une suite de déterminismes qui réduirait le jeu des acteurs à néant, j’esquisserai une comparaison entre les cas du Sénégal et du Burkina Faso (ex-Haute Volta) que j’ai pu approcher, non seulement à travers la lecture de travaux d’autres chercheurs mais aussi pour y avoir effectué des recherches par le passé (en 1984, 1985 et 1987 puis 1994-95 et 1998-99). considérés mais aussi des décalages éventuels du fait que ces mobilisations collectives inscrites dans des espaces nationaux en voie de formation se déroulent aussi selon des temporalités particulières. En outre, ce qui permet de situer approximativement ces différents « âges » sur un axe chronologique, c’est le fait qu’on y observe des moments critiques que l’on peut aussi qualifier de « conjonctures politiques fluides » (Dobry, 1986) dont le surgissement et le déroulement ne s'effectuent pas d’une manière mécanique. Un autre effort de clarification peut s’avérer nécessaire. Ma réflexion s’est nourrie au fil des années de travaux d’historiens qui ont davantage fait preuve de curiosité pour s’intéresser à cette question délaissée par d’autres disciplines562. Néanmoins, n’étant pas historien de formation, je n’ai pas les mêmes réflexes disciplinaires, quant aux méthodes de recherche mais aussi en ce qui concerne la définition des objets étudiés, sur le plan de leur contenu et de leurs limites. C’est pourquoi, je n’ai pas procédé à un découpage séquentiel précis qui risquait d'être arbitraire et discutable selon les pays considérés au sein de l’ensemble africain francophone. J’ai préféré laisser subsister dans mon propos un certain flou chronologique en distinguant trois « âges » au sein de cette histoire contemporaine des mobilisations étudiantes. Il ne s’agit évidemment pas de revenir à une « philosophie de l’histoire » où les « âges » se succéderaient d’une manière téléologique. Il s’agit de prendre en compte les phénomènes de convergence des mobilisations à l’échelle des pays africains Pour clore cette brève discussion liminaire, se pose aussi la question de la définition sociologique de l’objet « mouvement étudiant » dans le cas des pays de colonisation française en Afrique subsaharienne. On peut se référer ici à la notion générique d’ « action collective », caractérisée par un « agir-ensemble intentionnel » « dans une logique de revendication » (Neveu, 1996 : 10-11). Du coup, l’adoption de cette définition sociologique « standard », même comprise dans une acception large conduit à une conception moins extensive (sur le plan de la chronologie) de l’histoire du mouvement étudiant africain, telle qu’elle apparaît dans certains travaux (cf. par ex. Boahen & alii, 1993 ou Bathily, Diouf & Mbodj, in : d’AlmeidaTopor, Coquery-Vidrovitch, Goerg & Guitard, 1992 : 282-310). 561L'intérêt particulier porté à cette « structure des opportunités politiques » ne m'empêchera pas d'évoquer au préalable dans cette tentative de modélisation le contenu des revendications les plus importantes ou encore du répertoire d'action le plus fréquemment utilisé. 562A côté des études historiques, on trouve une autre catégorie d’écrits sur le sujet, les ouvrages écrits par d’anciens acteurs de ces mouvements, notamment pour la première période, sur la FEANF. Cet exposé comprend trois parties : - la succession des différents « âges » du mouvement étudiant africain francophone vue essentiellement à travers les contenus revendicatifs et les répertoires d’action ; - l’analyse de ces différents « âges » en termes de « structure des opportunités politiques » ; - l’exposé de quelques éléments de comparaison entre la trajectoire du mouvement sénégalais et celle du mouvement burkinabé. UN APERÇU DES TROIS « ÂGES » AFRIQUE FRANCOPHONE DU MOUVEMENT ÉTUDIANT EN L’âge anticolonialiste (des années 1950 au début des années 1960) On peut identifier quelques premières tentatives de regroupements d’étudiants africains avant la Seconde Guerre mondiale. Cependant, les effectifs étaient réduits à quelques personnes et la dimension revendicative n’apparaissait pas clairement dans ces premières tentatives qui ne visaient pas à remettre en cause l’ordre colonial, mais plutôt à « réhabiliter la culture de l’Afrique noire » (Dieng, 2011a : 82-83). C’est après la guerre que l’on peut parler véritablement de la naissance d’un mouvement d’étudiants africains. Après l’apparition en 1946 d’une organisation d’étudiants liée au Rassemblement démocratique africain (RDA) ainsi que d’une Association des étudiants africains de Paris, la création de la Fédération des étudiants d’Afrique noire (FEANF) en 1950 peut être considérée comme le point de départ de cette histoire sociale et politique. Pourtant, les statuts de la FEANF exprimaient alors des objectifs classiques, pour ne pas dire « corporatistes ». Cela tient peut-être aux orientations « modérées » de ses fondateurs (notamment de sa première présidente Solange Faladé ou encore d'Amadou Mahtar M’Bow) mais aussi au souci tactique de ne pas risquer un refus de légalisation de la part des autorités françaises (Diané, 1990 : 42 ; Aduayom, in : D’AlmeidaTopor & alii, 1992, t. II : 125-126). Cependant, s’amorce dès 1952-53, un processus de radicalisation politique qui conduit la FEANF à nouer des relations privilégiées avec l’Union internationale des étudiants (UIE)dont le siège est à Varsovie et à revendiquer l’indépendance pour les territoires colonisés par la France dans un cadre panafricain et non à travers un processus de « balkanisation » tel qu’il résultera de la loi-cadre de 1956 qui met en place une « autonomie interne ». Deux ans après l’autonomie interne, la FEANF fait campagne contre l’adhésion à la Communauté franco-africaine (De Benoist, in : Boahen, 1993 : 120-125 ) ce qui n'empêche pas la large victoire du « oui » dans la plupart de territoires sauf en Guinée qui accède à l’indépendance en 1958. La proclamation des indépendances en 1960 ne modifie pas cette attitude « contre-hégémonique » vis-à-vis de la classe politique qui accède au pouvoir, avec le soutien proclamé aux mouvements nationalistes radicaux qui ont choisi la voie de la lutte armée (FLN en Algérie, UPC au Cameroun) ou aux régimes qui affichent leur orientation anticolonialiste et panafricaniste comme la Guinée de SékouTouré ou le Ghana de Nkrumah (Traoré, 1973 : 153-164 ; Aduayom, in : op.cit, 1992 : 127-134). Par ailleurs, en liaison avec la FEANF se créent et se développent des associations territoriales (Dieng, 2009 : 37-57). Elles deviendront pour la plupart les noyaux fondateurs des organisations étudiantes dans les Etats africains en formation transmettant ainsi l’héritage anticolonialiste de la FEANF à ces dernières. La FEANF n’a pas formulé seulement des revendications sur le terrain politique. Elle a défendu le droit aux bourses ou encore au logement face à l’administration française, notamment l’Office des étudiants d’outre-mer devenu après les indépendances l’Office de coopération et d’accueil universitaire (OCAU) (Guimont, 1997 ; Dieng, 2009 : 82-86). Il faut aussi souligner l’activité déployée dans le domaine culturel : la question de l’écriture d’une histoire africaine par les Africains eux-mêmes ou de l’utilisation des langues africaines est posée, notamment à travers les prises de position de Cheikh Anta Diop ou de Joseph Ki-Zerbo qui ont figuré parmi les intellectuels les plus notoirement connus ayant participé à la FEANF (Kotchy, in : Boahen, 1993 : 106-112). La critique de l’enseignement colonial a été menée et l’ébauche de réformes éducatives prenant en compte la question cardinale de l’utilisation des langues nationales préfigure les tentatives qui seront menées et soutenues par l’UNESCO dans les années 1970 (Moumouni, 1998 (1962)). En ce qui concerne le répertoire d’action, on peut constater que la FEANF n’a pas eu recours aux moyens classiques utilisés par les mouvements sociaux contemporains, à savoir la grève et la manifestation563. On pourrait dire qu’elle a surtout agi à travers des « mobilisations de papier » mais une telle qualification ne doit pas conduire à sous-évaluer son rôle historique. Dans le même sens, on peut noter le caractère intellectuel et pédagogique de ces modes d’action tournés le plus souvent vers le groupe des étudiants africains eux-mêmes davantage que vers l’extérieur. On peut citer ici le rôle des journaux et des brochures saisis à plusieurs reprises lorsqu’ils dénonçaient les exactions coloniales et affichaient leur soutien aux mouvements armés de libération (Dieng, 2009 : 129-144)564 ou encore celui des conférences qui étaient l’occasion de « vulgariser » certains écrits théoriques mais aussi de s’affronter avec des 563Un mode d’action classique auquel la FEANF a eu plus souvent recours est celui des meetings. 564La brochure « Le sang de Bandoeng » publiée en 1958 consacrée à la guerre d’Algérie a entraîné de nombreuses perquisitions chez les militants de la FEANF (Diané,1990 : 8284) adversaires ou des rivaux idéologiques (Dieng 2011b : 43-46). On peut aussi évoquer dans la même lignée, les camps de vacances ou encore les universités populaires qui seront par la suite reprises par l’Union générale des étudiants d’Afrique de l’Ouest (UGEAO) (Thioub, in : d’Almeida-Topor & alii, 1992 : 273). A travers ces différentes activités, on peut voir que la FEANF a joué le rôle d’un « intellectuel collectif » radicalisé au contact des luttes pour la décolonisation qu’elle a soutenues, contrairement à la classe politique africaine naissante, domestiquée dans le giron de la IVe République française ainsi que d’un lieu de formation pour toute une génération politico-intellectuelle qui souhaitait défier l’ordre politique qui était en train de se mettre en place entre l’Etat français et la classe politique africaine sur le point d’accéder à l’indépendance sans l’ayant jamais revendiquée565. Une autre dimension de cette action qui apparaît remarquable est l’envergure internationale : alors que la stratégie de domestication des élites coloniales a toujours procédé par le biais d’une assignation de ces élites au terroir ou à l’ethnie dont ils sont issus, ainsi qu’au maintien d’une relation exclusive et paternaliste entre la colonie et la métropole, les militants de la FEANF ont entretenu des contacts « d’égal à égal » – avec parfois quelques contradictions découlant des différences de position dans le soutien au mouvements de libération armés – avec des organisations politiques comme le PCF ou syndicales comme l’UNEF et au-delà, ont assisté à des événements d’une portée mondiale comme le « Bandoung culturel » qu’a été le premier Congrès des écrivains et 565Le processus de « formation d’une intelligentsia africaine » au cours des années 1950 s’est déroulée à travers la radicalisation de la FEANF sur le plan politique mais aussi sur un plan intellectuel, à travers l’évolution des positions de la revue « Présence africaine » avec une présence accrue et une prise de parole de plus en plus autonome des Africains au sein du comité de rédaction (Guèye, 2001 : 55-57). artistes noirs en septembre 1956 (Dieng, 2009 : 164) ou encore ont été invités dans des pays étrangers, de surcroit situés à l’extérieur de l’orbite géopolitique occidentale. On peut citer en particulier le Festival mondial de la jeunesse et des étudiants à Moscou au cours de l’été 1958, la Conférence des peuples africains à Accra en décembre 1958 ou encore l’envoi d’une délégation de la FEANF au cours de l’été 1959 en Chine (Dieng, 2009 : 92-108). L’âge anti-impérialiste Durant les années qui suivent l’indépendance, le cadre de la FEANF devient un lieu de circulation (et d’affrontement) entre des courants idéologiques rivaux se réclamant du marxisme. Cette situation de « suridéologisation » se reflète dans la proclamation de mots d’ordre, tels celui de l’« intégration aux masses » adopté lors du XIXe congrès tenu en décembre 1966. Ainsi, il n’est sans doute pas faux de considérer que l’année 1960 marque l’apogée de cette organisation panafricaine qui, après avoir vécu ses « grandes heures » durant la décennie 1950, connaît ensuite une période de déclin dont elle ne sortira pas (Dieng, 2009 : 11 ; Diané, 1990 : 166-167). Cependant, le cadre de la FEANF a survécu durant les deux décennies suivantes et a pu influencer (de manière inégale) les différentes sections territoriales devenues des composantes des organisations nationales apparues avec les indépendances. Le centre de gravité de l’activité contestataire des étudiants africains s’est progressivement déplacé vers les universités africaines déjà crées ou en voie de création mais le militantisme diasporique a continué à jouer un certain rôle même s’il n’a pas eu la même importance que celui des années 1950. Les mouvements de protestation collective ont été rares et d’ampleur limitée durant les premières années566. C’est surtout autour de l’année 1968 que l’on assiste à l’émergence d’une nouvelle vague de mobilisations. Après les étudiants de l’université de Dakar, l’année suivante, ce sont ceux d’Abidjan et de Kinshasa qui se révoltent contre les régimes en place. Puis d’autres vont suivre dans d’autres pays, notamment Madagascar et le Dahomey en 1972. Si la contestation étudiante ébranle et parfois contribue à renverser des régimes prooccidentaux, comme dans les deux cas qui précèdent, ils incarnent aussi une dissidence de gauche face à des régimes qui se proclament « progressistes » ou « révolutionnaires » comme on le voit durant les années 1970 au Congo-Brazzaville ou un peu plus tard au Bénin (exDahomey) avec des grèves qui surviennent en 1979 et en 1985 ou au début des années 1980 au Burkina Faso (ex-Haute-Volta ). Cette vague de contestation se prolonge en fait dans certains pays où elle culmine parfois au tournant de la décennie 1980, dans le cas du Mali avec les manifestations de l’Union nationale des étudiants et élèves maliens (UNEEM). Au Niger, un climat similaire de « contestation éduquée » se développe à partir de 1970 avec la montée en puissance de l’Union des scolaires nigériens (USN) qui contribue à la chute du régime de Hamani Diori en 1973-74 mais c’est seulement en 1983 qu’éclate la première grande grève à l’université de Niamey sous le régime de Seyni Kountché. La liste des revendications réunit souvent des doléances internes à l’espace universitaire (bourses, modalités des examens, etc.) et des griefs plus politiques qui concernent la classe dirigeante jugée corrompue, vivant dans une opulence insolente et inféodée aux 566En 1964, a eu lieu une grève à Kinshasa où les étudiants réclamaient notamment une « cogestion » de l’université (Verhaegen, 1978 ; Lututala, 2012 : 29) puissances impérialistes. La thématique de l’africanisation de l’université (déclinée sur plusieurs modes : les contenus d’enseignement, la composition des personnels enseignants, les relations entre l’Université et la métropole sur le plan formel, etc.) a permis de relier ces deux niveaux, ce qui montre qu’encore une fois, il n’est guère pertinent d’opposer les revendications catégorielles et les revendications politiques lorsqu’on analyse les mouvements étudiants en Afrique subsaharienne567. L’héritage de la FEANF est souvent visible sur le plan des références idéologiques et de certains éléments du répertoire d’action (par exemple les activités de vacances). On peut aussi souligner la dimension internationaliste du militantisme étudiant qui perdure et parfois se renouvelle avec les influences réciproques entre des 567A Abidjan, la grève de 1969 a été précédée d’une première marche pacifique deux ans auparavant pour protester contre la création du Mouvement des étudiants de l’Organisation commune africaine et malgache (MEOCAM) institué pour s’opposer à la FEANF. Selon la même logique les étudiants entrent en grève pour refuser l’ « embrigadement » dans le Mouvement des élèves et des étudiants de Cote d’Ivoire (MEECI) en mai 1969. En 1971, c’est la tentative de créer une organisation non inféodée au parti unique l’Union syndicale des étudiants et élèves de Côte d’Ivoire (USEECI) (N’Da : 104-105). En juin 1969, les étudiants zaïrois ont entamé un mouvement de protestation autour des thèmes suivants : « 1) les mauvaises conditions de vie estudiantine ; 2) l’orientation politique de plus en plus totalitaire et anti-démocratique du nouveau régime de Mobutu; 3) l’inféodation de plus en plus manifeste du gouvernement aux intérêts économiques et financiers étrangers. » (Lututala, 2012 : 29) A Tananarive, la grève étudiante a débuté en 1971 à la faculté de médecine pour réclamer la mise en place d’un examen au lieu du concours qui était très sélectif à la fin du premier cycle. Par ailleurs les étudiants ont réclamé le départ du recteur et du secrétaire général de l’Université et leur remplacement par des Malgaches (Goguel, 2006 : 322-323) Ils ont réclamé plus généralement une réforme de l’enseignement allant dans le sens de la malgachisation et une révision des accords de coopération franco-malgaches (Traoré, 1973 : 67-69) traditions de lutte développées dans différents pays. Les nouveautés dans ce répertoire d’action, ce sont les grèves étudiantes et les marches qu’elles soient pacifiques ou violentes qui constituent les formes les plus expressives de l’action collective entreprise par les mouvements étudiants. A de nombreuses reprises, les manifestations concernent de manière explicite la situation internationale avec la dénonciation du rôle (supposé ou réel) de certaines puissances occidentales dans le renversement (ou les tentatives) de certains régimes « progressistes » comme celui de N’Krumah en 1966 ou de Sekou Touré en 1970. Cette sensibilité anti-impérialiste s’exprime de manière ostensible à l’occasion de visites de certains chefs d’Etat, accueillis par des projectiles divers lancés en direction de leurs cortèges officiels568. En marge de ces manifestations, les tracts rédigés dans la clandestinité jouent un rôle particulier dont l’impact peut être dévastateur dans un contexte où l’information écrite est relativement rare et monopolisée le plus souvent par le régime en place et où la diffusion de tels écrits constitue déjà un acte de subversion. En même temps, les étudiants, de manière formelle à travers leurs organisations lorsqu’elles peuvent exister ou, de manière plus informelle, à travers des pratiques diverses (modes d’occupation des lieux, inventions lexicales et toponymiques, etc.) s’approprient les espaces du campus et la cité universitaire qui originellement ont été conçus par l’autorité politique en fonction d’une certaine conception de l’ordre académique. Les campus peuvent ainsi devenir des foyers propices à une résistance idéologique et symbolique et à la 568Le 5 février 1971 à Dakar, le cortège de Georges Pompidou a été la cible d’une attaque (manquée) avec des cocktails Molotov. En mai 1971, des jets de pierre ont accueilli la visite d’Houphouët-Boigny à Ouagadougou au cours de la seule visite officielle du chef d’Etat ivoirien ait rendu à son homologue voltaïque. En janvier 1972, c’est encore Georges Pompidou qui est visé à Niamey par les scolaires en grève… et atteint par le jet d’une tomate ( !) constitution de réseaux militants qui peuvent, en période favorable à la contestation servir d’armature à l’extension du mouvement social au delà du champ universitaire. L’âge des luttes monopartisme contre l’ajustement structurel et le La vague précédente se prolonge en fait au-delà des années 1970 mais à partir de la deuxième moitié des années 1980, les mesures d’ajustement structurel affectent de plus en plus les universités et la condition étudiante. A cela, s’ajoute l’usure des régimes autocratiques et monopartisans qu’ils soient des alliés traditionnels de l’Occident (notamment de la France) ou des régimes se proclamant « révolutionnaires ». Le cas du Bénin est emblématique de cette vague démocratique dont il donne le signal de départ et au sein de laquelle les mouvements étudiants ont joué un rôle moteur avec d’autres forces sociales. Les grèves d’étudiants et d’enseignants motivées par le retard dans le paiement des bourses et des salaires ont évolué au cours de l’année 1989 vers une contestation généralisée du régime et ont contraint le pouvoir à convoquer une conférence nationale au début de l’année 1990 (Eboussi Boulaga, 1993 : 59-68 ; Bierschenk, 2009 : 339-343)569. Un scenario similaire, s’est produit au Niger en février 1990 où la grève des étudiants opposés à l’ajustement structurel a entraîné un mouvement de contestation généralisé (Ibrahim, in Diop & Diouf, 1999 : 193-194) Les années 1990 ont permis l’apparition de nouvelles organisations étudiantes qui ont pris une part active dans le « renouveau démocratique » qu’ont connu différents pays après la renonciation des gouvernants africains au cadre du parti unique et des organisations satellites qui avaient le monopole de la représentation de la jeunesse étudiante et scolaire. C’est notamment le cas en Côte d’Ivoire, avec la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI) (Konate, 2003 ; Théodore, 2011) ou encore au Cameroun avec les étudiants réunis dans le « Parlement » (Konings, 2002). Le répertoire d’action s’est élargi parfois à des formes plus spectaculaires (aux « casses » visant les symboles du pouvoir ou dans un sens diamétralement opposé, aux grèves de la faim) avec parfois des tentatives de contrôle de l’espace universitaire et de monopolisation de la représentation étudiante de la part de ces organisations ou de différentes factions qui s’en réclament. La question de la signification politique de ces mobilisations revient à l’ordre du jour : à la thèse d’une avant-garde étudiante à la pointe des luttes pour la démocratisation comprise dans un sens socio-politique et non strictement institutionnel s’oppose une perception plus négative de ces mouvements considérant, peu ou prou, que l’action politique non conventionnelle de ces derniers constitue un obstacle à la démocratisation entendue au sens d’une consolidation des institutions mises en place par la « transition démocratique », voire à l’exercice non biaisé des « libertés académiques »570. 570Ce 569La grève qui a affecté durant de nombreux mois l’université de Tananarive en 198687, inspirée par le rejet d’un projet de réforme inspirée par le contexte d’ajustement visant à faire disparaître les « éternels étudiants » a aussi de manière similaire évolué vers une dénonciation générale du régime Ratsiraka (Nkinyangi, 1991 : 167-68). Le cas du Bénin a été précédé donc de crises similaires même si elles n’ont pas évolué vers le scenario de la « transition démocratique » du début des années 1990 qui d’ailleurs a connu des fortunes variables selon les pays. débat est largement évoqué dans un article qui propose une synthèse très documentée sur cette troisième vague de mobilisation mais plutôt orientée vers les pays anglophones (Zeilig, 2009). Le point de vue en faveur de la thèse d’une démocratisation favorisée par l’action prolongée des mouvements étudiants domine cette dernière contribution ainsi que d’autres écrits, notamment ceux des « édu-activistes » du Commitee for Academic Freedom in Africa (CAFA) (Alidou, Caffentzis & Federici, 2008 : 61-75). A l’inverse, l’ouvrage de référence sur la situation des « libertés académiques » révèle un point de vue plus circonspect (Diouf & Mamdani, 1993). Voir aussi dans le Mais cette intrusion des étudiants dans la vie politique, quelle que soit l’appréciation que l’on puisse en faire, ne s’effectue pas seulement selon des liens de causalité synchroniques. Un des effets les plus importants de l’action des mouvements étudiants sur le champ politique en Afrique se produit à plus long terme. C’est cet aspect de leur influence que j’ai appelé la « fonction générative » du mouvement étudiant par rapport au champ politique (Bianchini, 2004 : 246-247)571. Cette « fonction générative » se traduit d’abord par le fait qu’un certain nombre de leaders politiques qui ont été au devant de la scène, notamment lors de la phase de transition vers le multipartisme, étaient en fait d’anciens leaders étudiants572. On peut citer le cas de la Côte d’Ivoire avec Laurent Gbagbo qui était à la tête de la contestation étudiante en 1971 et qui est devenu la principale figure de l’opposition ivoirienne au cours des années 1980 ou encore les différents leaders de la FESCI des années 1990 comme Charles Blé Goudé même sens, le point de vue qui consiste à considérer que la définition des libertés académiques étendues à tous les acteurs universitaires (y compris les étudiants) est trop extensive : « There are far too many people who are presently exploiting or abusing the ‘cloudiness’ over academic freedom and university autonomy to further their own ends.” (Ajayi, Goma & Johnson, 1996 : 175-176) 571J’utilise le terme « fonction » pour rendre compte d’une relation récurrente entre deux phénomènes dont l’un me semble être le produit de l’autre, sans pour autant me situer dans la perspective théorique du « fonctionnalisme ». La lecture de travaux d’un politiste américain, d’inspiration parsonienne, sur l’ « activisme individuel » des étudiants africains (Hanna,1975 : 257-296) montre bien la différence de perspective : le processus de politisation y est étudié en réalité sous un angle psychosociologique alors que mes analyses s’inscrivent dans le cadre d’une sociologie historique du politique. 572Pour avoir une vue plus complète de ces générations politiques issues du militantisme estudiantin, plus particulièrement de la FEANF, il faudrait aussi mentionner les trajectoires des rebelles, voire des martyrs de l’ordre politique postcolonial françafricain, avec des figures emblématiques comme Osende Afana capturé et exécuté sommairement en 1966 alors qu’il combattait dans les maquis de l’Union des populations du Cameroun (UPC) ou Outel Bono sur le point d’annoncer la formation d’un parti politique d’opposition au dictateur tchadien, François Tombalbaye, abattu en plein Paris en 1973, vraisemblablement par un agent des services français (cf.Aduayom, in : D’Almeida-Topor & alii, op.cit. p. 140). ou Guillaume Soro qui ont joué des rôles de premier plan lors de la décennie 2000 (Koné, 2003). En outre, si les mouvements étudiants ivoiriens ont été des pépinières particulièrement fertiles pour différentes générations de dirigeants politiques, il ne faut pas oublier (entre autres) le cas de la Guinée avec Alpha Condé qui a dirigé la FEANF et l’Association des étudiants guinéens en France (AEGF) dans les années 1960 ou encore du Niger dont le président actuel, Mahamadou Issoufou est aussi un ancien leader scolaire et estudiantin des années 1970. Mais à côté de cet aspect le plus visible - quoique passé sous silence ou ignoré par les travaux des politistes sur les « transitions démocratiques » -, il existe une autre dimension qui est celle de la transformation d’organisations (voire de groupuscules) politiques nées dans le sillage du mouvement estudiantin en partis politiques. C’est encore un domaine où il reste encore à investiguer mais on dispose déjà de quelques études qui permettent de documenter cette deuxième modalité d’influence de la « politique étudiante » sur la politique au sens plus général573. Après avoir exposé la succession de ces trois âges des mouvements étudiants en Afrique francophone et des phénomènes générationnels qu’ils ont engendré, voici comment on peut essayer de les soumettre à une analyse en termes de « structure des opportunités politiques » L’ÉVOLUTION DE LA STRUCTURE DES OPPORTUNITÉS POLITIQUES Le modèle sera présenté sous la forme d’un tableau auquel sera adjoint un commentaire explicatif. 573Une étude détaillée concerne le Mali (Koné, 1998). On trouve des informations intéressantes dans des travaux moins spécifiques (par ex. Ibrahim, in : Diop & Diouf, 1999) Contexte géopolitique et influences idéologiques extérieures Age anticolonialiste (1950-60) Age des luttes Age antianti-ajustement et impérialiste anti-parti unique (1960-70) (1980-90) Emergence du tiers-mondisme et affirmation du panafricanisme en opposition à la « balkanisation » mise en place par la puissance coloniale. Pays socialistes considérés comme des soutiens à la décolonisation et comme des modèles alternatifs pour l’indépendance (influence émergente du marxisme en Afrique considéré comme une pensée de référence) Climat de contestation dans différents pays du monde notamment au sein des universités avec le mouvement planétaire de 68. Fragmentation du « camp socialiste » avec notamment le clivage sinosoviétique, qui sert de trame idéologique aux contradictions internes aux mouvements étudiants Mise en place d'une nouvelle forme de gouvernance internationale avec l'ajustement structurel qui tend à déclasser le système de domination « françafricain » mis en place par l'ancienne métropole. Fin du clivage Est-Ouest du fait de la disparition du « camp socialiste ». Déclin voire effacement du tiers-mondisme et du marxisme. Conditions spatiales et géographiques des mobilisations Créations d'universités en Afrique mais envoi de la plus grande partie des étudiants africains dans les universités métropolitaines, d'où la prépondérance d'un militantisme diasporique (FEANF) Persistance mais déclin du militantisme diasporique. Rôle-phare de certaines universités ayant un rôle régional (notamment Dakar) mais aussi nationalisation rapide des enjeux des mobilisations avec la création d'universités nationales dans tous les pays qui n'en avaient pas encore. Enjeux des mobilisations situés dans une « arène » entièrement nationalisée. Création d'universités privées et d'universités secondaires (souvent à l'écart de l'espace urbain) mais sans réellement parvenir à décongestionner les universités « historiques » dont les effectifs deviennent de plus en plus pléthoriques. Naissance d'arènes Degré d’ouverture du politiques dans les territoires sous système administration politique française après 1945 et possibilité d'action en métropole mais fermeture à partir de 1960 notamment avec la mise en place de dictatures « françafricaines » Situations de monopartisme qui place la contestation étudiante en position de figure de proue d'une opposition radicale au régime en place. Fin du système de parti unique mais le pluralisme désormais acquis ne signifie pas nécessairement l'alternance en termes de personnel politique (sans parler des contenus programmatiques dans les cas éventuels d’alternance). Situation clivages politiques (notamment sein l’opposition régime) des Clivage politique majeur entre les forces politiques au acceptant le cadre et de (néo)colonial qui le au celles rejettent ; au sein de ces dernières des clivages secondaires (par ex. entre PAI et MLN) Emprise du parti unique plus ou moins effective sur l'arène politique au sens large, au nom des idéologies de la « construction nationale » et du « développement ». Persistance d'une opposition clandestine (ou semiclandestine) qui dénonce l'inféodation de ces régimes « néocoloniaux » aux puissances occidentales mais qui se divise en différentes obédiences (souvent liées à la Tendance à la perte des repères et à la fragmentation du champ politique qui affecte souvent les forces politiques qui s'étaient développées en lien avec le mouvement étudiant. Néanmoins au niveau du personnel politique qui émerge durant cette transition, présence d'anciens leaders étudiants voire de formations politiques issues de l'âge antiimpérialiste du fragmentation de mouvement la gauche se étudiant. réclamant marxismeléninisme). du Degré d’hégémonie et d'usage de la coercition par le régime en place Faiblesse hégémonique des régimes en place qui n'ont pas mobilisé leurs peuples pour conquérir l'indépendance et qui se reposent donc davantage sur le recours à la coercition, notamment garantie par la présence militaire française (contexte des guerres liées à la décolonisation en Algérie au Cameroun) Recours à la coercition avec des dispositifs spécifiques à l'université vue comme un bastion de la contestation, ce qui révèle aussi la faiblesse de la « construction hégémonique » et qui, parfois, ouvre sur l' « hypothèque militaire ». Situation de faiblesse des régimes en place qui conduit parfois à leur renversement mais aussi capacité de certains à utiliser la violence pour « mater » la révolte étudiante, ce qui génère en retour des pratiques de contre-violence, du côté des étudiants, voire une « inculturation » de la violence sur les campus (par ex. en Côte d'Ivoire ou au Zaïre). Position des étudiants entant que groupe social et possibilité d’alliances et d’extension des mobilisations à d’autres secteurs de la société Possibilités réduites de mobilisation en Afrique du fait du faible poids numérique des étudiants et de leur position élitaire (mais paradoxalement statut prestigieux et perspective d'ascension sociale individuelle) Développement d'une « base sociale » de la contestation étudiante avec une certaine extension vers les élèves plus jeunes et les salariés urbains. Dans certains cas, influence du militantisme étudiant sur certaines fractions de l'armée (jeunes officiers plus récemment formés et plus réceptifs aux idées « progressistes » voire « révolutionnaire s ») Rôle d'avant-garde dans les mobilisations socio-politiques des années 198090. « Prolétarisation » de la condition étudiante qui s'avère ambivalente : soit débouchant une alliance avec les classes populaires touchées par la rigueur de l' « ajustement », soit sur un repli au sein d'une aire de mobilisation restreinte à l’Université en voie de déclassement puisque les élites futures vont se former à l'extérieur du pays ou dans des établissements privés. Le contexte géopolitique et les influences idéologiques extérieures La décennie 1950 est celle de l’émergence politique du Tiers-Monde symbolisée par la conférence afro-asiatique de Bandoung de 1955, vécue comme un événement majeur par les étudiants de la FEANF574. L’année suivante marquée par la crise de Suez est aussi celle où la politique étrangère de l’URSS s’oriente vers un soutien explicite aux revendications indépendantistes africaines (Katsiakoris, 2006). Dans une relation faite de synergies mais aussi de contradictions avec le panafricanisme575, cette nouvelle donne idéologique et géopolitique va déterminer le cadre d’action global dans lequel évolue le militantisme étudiant africain du premier âge, celui de l’anticolonialisme. En retour, le positionnement en faveur de l’indépendance immédiate dès 1953 a donné une forte légitimité symbolique ainsi qu’une visibilité internationale à la FEANF, à rebours de la posture de soumission assimilationniste des élites politiques africaines au sein de l’Union française, désavouées quelques années plus tard par le cours de l’histoire576. Sur un autre plan, le désenchantement vis-à-vis du 574« La conférence de Bandoung a été pour nous un événement sans précédent et de portée internationale : pour la première fois dans l’histoire,l’Asie et l’Afrique, terre de prédilection de l’impérialisme, se sont rencontrées pourse retrouver sur un terrain de lutte commune, au-delà des divergences philosophiques, religieuses, raciales et idéologiques, etc. » Déclaration de la FEANF et de l’UGEAO à la deuxième conférence de solidarité afroasiatique tenue en avril 1960 à Conakry (cité en annexe, in : Dieng, 2009 : 256). 575« En conclusion nous pouvons dire que nous sommes pour le panafricanisme dans la mesure où il signifie lutte conséquente contre le colonialisme et l’impérialisme et dans la mesure où il signifie unité africaine assise sur des principes conformes aux intérêts des différents peuples de l’Afrique. Mais nous sommes résolument contre tout panafricanisme qui signifierait racisme, chauvinisme et isolement car nous entendons contracter des alliances avec toutes les forces démocratiques fermement décidées à lutter contre le colonialisme et l’impérialisme. » Les étudiants africains et l’unité africaine (cité en annexe, in : ibidem : p. 216) 576Voir en ce sens le propos désabusé et révélateur de Sourou Migan Apithy, qui siégeait pour le Dahomey au Palais Bourbon : «Les élus autochtones africains que vous voyiez siéger dans cette assemblée y siègent sans doute pour la dernière fois. Nous avons des modèle du « socialisme réel » incarné par l’URSS, n’existait pas encore au sein de cette intelligentsia africaine en formation, comme c’est le cas en Europe notamment depuis la crise hongroise de 1956. Le marxisme qui imprègne les étudiants de la FEANF notamment ceux qui militent au Parti africain de l’indépendance (PAI) est un marxisme orthodoxe, aligné sur une géopolitique Est/Ouest davantage que sur la question classique au sein du mouvement ouvrier européen de la dialectique entre organisation et spontanéité. Les débats et les ruptures intellectuelles et politiques en gestation ont eu lieu sur d’autres questions plus proches des préoccupations tiers-mondistes et africaines, notamment les thèses de Cheikh Anta Diop ou de Frantz Fanon (Dieng, 2011b : 70-77 ; ibidem : 184-196) ou encore le bilan des régimes révolutionnaires qui ont incarné le choix de l’indépendance immédiate prôné par la FEANF, notamment la Guinée de Sekou Touré, avec lequel la rupture s’opère dès le « complot des enseignants » à la fin de l’année 1961 (ibid : 25). Au cours des années 1960, deux évolutions majeures modifient le cadre d’action géopolitique et idéologique des militants étudiants d’Afrique francophone : d’une part, on assiste, pas seulement dans les pays occidentaux à la montée d’une contestation qui s’exprime notamment sur les campus qui s’effectue selon deux orientations principales : l’une qui remet en cause le conservatisme des institutions (politiques, familiales, universitaires etc.) et l’autre qui dénonce les interventions des puissances occidentales dans les Etats du Tiers-monde. d’autre part, le camp des pays se réclamant du marxisme-léninisme se fracture de manière ouverte, essentiellement avec la rupture sinojeunes formés ici dans nos universités, qui estiment déjà que ceux des Africains qui siègent dans cette assemblée métropolitaine sont des « vendus », sont des « gouvernementaux ». Demain, c’est cette jeunesse qui sera appelée à prendre la relève. Il faut tenir compte de la mentalité, de l’état d’esprit de cette jeunesse. » cité, in : Bénot, 1989 : 154) soviétique, puis de manière secondaire notamment avec la rupture en 1974 entre la Chine maoïste et l’Albanie d’Enver Hodja. Les mobilisations étudiantes en Afrique francophone qui ressurgissent dès 1968-69 sont influencées par cette structure des opportunités politiques plutôt favorable à la contestation au niveau planétaire mais parviennent à l’adapter en fonction d’un contexte particulier, à travers la thématique de l’africanisation qui remet en cause le statu quo « néocolonial » dans le cas des Etats francophones demeurés dans une situation de dépendance étroite vis-à-vis de l’ancienne métropole à travers les accords de coopération. Par ailleurs, comme on va le voir, les schismes au sein du communisme international, vont se refléter dans des scissions internes aux organisations étudiantes anti-impérialistes. Au cours de la décennie 1980, avant même la chute du mur de Berlin et la « mondialisation », la mise sous tutelle des économies africaines par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale a constitué la nouvelle donne émergente, tendant à déclasser les modalités de domination de l’impérialisme français, du moins sur le plan économique et financier577. Par ailleurs, la chute du mur a exercé des effets paradoxaux sur la contestation étudiante. D’une part, l’effet de résonance de la fin du parti unique dans les régimes du bloc de l’Est a conduit à abandonner au bout de quelques mois un système que d’aucuns pensaient bien plus « légitime » (au sens wébérien). La contestation populaire qui a déferlé au début de la décennie 1990 a donc suivi la voie tracée par les mouvements sociaux « contre-hégémoniques » au premier rang desquels on trouve les étudiants. Mais, à l’inverse, sur le plan 577Le moment critique de ce processus a eu lieu avec la dévaluation du franc CFA le 1 er janvier 1994 que l’on peut relier à un autre événement symbolique survenu quelques semaines plus tôt : le décès d’Houphouët-Boigny qui était la figure la plus emblématique de cette relation françafricaine. idéologique, la disparition des pays socialistes en tant que modèles de référence a laissé orphelins les militants de la gauche marxiste-léniniste qui encadraient encore les premières manifestations contre les régimes de parti unique578. d’origine. En retour, ces expulsions parfois massives, ont accéléré la mise en place des universités nationales dans les pays qui n’en possédaient pas encore. Ainsi, la fin de la décennie 1970, la nationalisation des mouvements étudiants africains francophones est un processus achevé580. Les conditions spatiales et géographiques des mobilisations La troisième vague des mobilisations d’étudiants en Afrique francophone survient dans un espace universitaire inséré dans le tissu urbain de la capitale et jamais très éloigné des lieux stratégiques du pouvoir581. Au-delà des arrière-pensées politiques liées à cet aspect particulier, la surcharge des effectifs et les perturbations de la scolarité liées aux grèves ont pu favoriser ou accélérer les projets de décentralisation du système universitaire avec la création d’universités dans les autres grands centres urbains582. Au regard du rôle historique qui a été le leur, les militants de la FEANF ont occupé une situation paradoxale, que l’on peut qualifier de « cosmopolites enracinés » (Tarrow, 2007). Leur situation en France au sein d’une diaspora panafricaine les a mis en relation avec des réseaux et des modèles politiques et intellectuels qu’ils n’auraient pas pu connaître s’ils étaient restés dans leurs pays. Mais par ailleurs, la noria des arrivées des nouveaux et des retours des anciens (voire des allers et retours de certains) a permis de garder le contact avec les réalités des pays africains. Ce panafricanisme, vécu au quotidien au sein des diasporas africaines étudiantes579 et non seulement rêvé comme dans les écrits des pères fondateurs, s’est perpétué encore au cours de la première décennie des indépendances voire partiellement pour la deuxième, avec la présence d’étudiants venus de différents territoires, notamment à l’université de Dakar ou d’Abidjan. Ces derniers ont participé aux mobilisations mais ont parfois payé au prix fort leur engagement, en étant expulsés vers leur pays 578On pense évidemment ici au rôle joué par le Parti communiste dahoméen (PCD) se réclamant du modèle albanais dans la chute du régime Kérékou au Bénin en 1989-90. 579Au sein de la FEANF il y a cependant toujours eu un certain risque de contradiction entre l’orientation initiale panafricaniste et la prise en compte des spécificités propres à chaque territoire. Ainsi lors de la constitution de la FEANF, les étudiants ivoiriens étaient réticents à entrer dans une fédération panafricaine (Dieng, 2003 : 199-206). La contradiction sera encore plus nette au niveau du Mouvement des étudiants du Parti africain de l’indépendance (PAI) qui avec la création de nouveaux Etats issus de l’ex-AOF a mis en place des « groupes nationaux d’étude » qui étaient censés « pas se replier sur eux-mêmes » mais rapidement des divergences sont apparues entre ces groupes nationaux notamment en 1964 avec celui du Dahomey (Dieng, 2011b : 122-125) 580La dissolution de la FEANF en 1980 par le gouvernement a été l’événement qui a parachevé ce processus. 581Une étude récente sur les mobilisations d’étudiants à l’Université de Ouagadougou a mis en relief cette dimension spatiale (Sory, 2012) 582Au Sénégal, l’Université Gaston Berger de Saint Louis, construite au cours des années 1980 à plus d’une dizaine de kilomètres de la ville historique, sur la route de Rosso vers la Mauritanie, a accueilli ses premiers étudiants en 1990. Au Burkina Faso, l’Université de Bobo Dioulasso a ouvert ses portes en 1995 sur un site distant d’une vingtaine de kilomètres par rapport à l’agglomération. Le degré d’ouverture du système politique L’histoire de la FEANF se déroule dans un contexte où le système politique colonial n’est plus « verrouillé » comme il a pu l’être avant la Seconde Guerre mondiale. De surcroit, la position en métropole permet d’user des droits politiques plus étendus que dans les territoires euxmêmes. Cependant, l’action de la FEANF se déroule sous une constante surveillance policière avec des saisies répétées des publications jugées les plus subversives (Guimont, 1997 ; De Benoist, in : Boahen & alii, 1993 : 115-127). Avec l’avènement des régimes de parti unique qui s’opère dans les années voire les mois qui suivent la proclamation des indépendances au sein du « pré carré » francophone, le système politique se referme sur les militants passés par la FEANF : d’un côté, ils peuvent être expulsés par les autorités françaises ; de l’autre, lorsqu’ils arrivent au pays, ils peuvent être soit arrêtés et jetés en prison, soit sommés d’intégrer le parti au pouvoir, en tant que « jeunes cadres » un peu remuants mais qu’on espère voir rapidement rentrer dans le rang583. Dans la plupart des pays, les organisations étudiantes, quand elles subsistent, sont contraintes à la clandestinité et survivent aussi pour une bonne part avec leurs sections établies à l’étranger. Mais paradoxalement, malgré la fermeture du système politique, les grèves étudiantes qui éclatent malgré le dispositif de contention mis en place dans le cadre du militants de l’Union nationale des étudiants du Kamerun (UNEK) ont été la cible dès autorités françaises qui ont expulsé certains d’entre eux vers leur pays au cours de l’année 1960 (Guimont, 1997 : 195) ; un scenario similaire s’est produit avec les deux dirigeants de l’Association générale des étudiants gabonais (AGEG), Ondo-Nze et NdongObiang livrés menottés aux policiers gabonais venus les chercher à l’aéroport du Bourget en décembre 1961 (L’Etudiant d’Afrique noire, 41, 1964-65) ; en Côte d’Ivoire, dès 1959, l’arrestation et le procès d’Harris Memel Foté, le président de l’Association des étudiants de Côte d’Ivoire (Dieng, 1959 : 222-238) préfigure l’ère des « complots » et la répression de certains cadres du parti issus de la Jeunesse du Rassemblement africain de Côte d’Ivoire (JRDACI). monopartisme plutôt défaillant sur les campus584 et l’écho souvent favorable qu’elles suscitent, ont apporté un démenti cinglant aux prétentions hégémoniques des « pères de la nation » et ont démontré que la réalité de leur pouvoir reposait essentiellement sur la coercition et la crainte inspirée aux populations. Après avoir tergiversé, les dictateurs françafricains ont du se rendre à l’évidence : c’était bien la fin de l’ére des partis uniques, d’autant plus que le « discours de La Baule » est venu signifier qu’il fallait mettre un terme officiel à ce système. Mais une fois le principe du multipartisme acquis, dans un certain nombre de pays, le système politique est resté aux mains des anciens détenteurs du pouvoir, bénéficiant parfois d’un appui officiel et/ou officieux mais décisif de la part de l’Etat français. Dans un certain nombre de cas, l’ouverture politique s’est avéré un trompe-l’œil car il est clairement apparu que le départ des autocrates reconvertis au multipartisme, ne pouvait se faire, d’une manière non faussée, par la voie des urnes, d’où des situations critiques (répression sanglante de l’opposition, coups d’Etat, guerres civiles…) auxquelles on a pu assister dans les années 1990 au Togo, en Côte d’Ivoire, au Gabon, au Cameroun, au Zaïre, au Niger. 583Les 584Il faut mentionner ici la mise sur pied d’organisations « fantoches » à la solde des pouvoirs en place : en 1965, les gouvernements africains du pré carré francophones réunis dans l’Organisation commune africaine et malgache (OCAM) décidèrent de lancer un « mouvement étudiant » (MEOCAM) chargé de contrecarrer l’influence de la FEANF (L’Etudiant d’Afrique noire, 48, 1967) ; au bout de quelques années d’existence, les parrains du MEOCAM durent se rendre à l’évidence : les moyens mis dans l’opération n’avaient servi qu’à entretrenir le train de vie des « militants » qui présidaient aux destinées de cette organisation (N’Da,1987 : 74-78) La situation des clivages politiques A la suite du désapparentement du RDA (du parti communiste), était apparue l’opposition des étudiants aux représentants politiques africains élus au Parlement français et aux assemblées des territoires (Dieng, 2009 : 185-186). Ce décalage entre les positions de la classe politique africaine naissante et la FEANF n’avait fait que s’agrandir jusqu’à se cristalliser avec la création du PAI en 1957 (Bénot, 1989 : 153154). Dès sa création, cette formation a exercé une influence déterminante, pour ne pas dire un contrôle sur la plupart des organes de la Fédération, à peine contesté par une autre force politique ayant aussi opté pour l’indépendance immédiate en 1958, le mouvement de libération nationale (MLN) dont les leaders étaient inspiré par un christianisme progressiste comme Joseph Ki Zerbo et Albert Tevoedjré (Diané : 115123 ; Dieng : 2009 : 72). Le contrôle du PAI sur les organes de la FEANF et sur la plupart des sections nationales s’est prolongé durant quelques années. Mais à partir du XIXe congrès en1966, ce sont les maoïstes qui vont déborder les militants du PAI avec l’adoption du mot d’ordre de « l’intégration aux masses ». L’affrontement entre les prosoviétiques et les prochinois se poursuit dans les années qui suivent au niveau des organisations nationales. Ensuite, au sein de ce deuxième courant devenu majoritaire dans la plupart de ces dernières, surgissent d’autres clivages internes. C’est le cas durant la seconde moitié de la décennie 1970 où apparaissent des tendances pro-albanaises qui ont pris la direction des organisations étudiantes notamment chez les Voltaïques et des Dahoméens. Néanmoins, l’affrontement principal avec les pouvoirs en place et la situation de clandestinité des formations qui se disputaient le contrôle du mouvement étudiant ont globalement atténué l’effet de démobilisation qui aurait pu découler de ces « luttes de ligne ». Les mobilisations des étudiants contre les régimes de parti unique ont d’abord eu un effet initial unificateur. Cependant, avec la nouvelle donne politique, d’autres clivages vont se cristalliser au sein des étudiants en fonction des allégeances aux formations politiques qui se disputent le pouvoir dans le cadre de la transition, comme cela s’est produit pour la FESCI (Konaté, 2003) ou encore selon des critères ethno-régionaux dans les pays où l’histoire politique contemporaine, voire le jeu du pouvoir, y ont contribué, comme dans le cas du Cameroun (Konings, 2002). Parfois, la multiplication des formations politiques observée tend paradoxalement à un affaiblissement des repères politiques chez les étudiants et peut contribuer à une certaine dépolitisation. Le degré d’hégémonie et d’usage de la coercition par le régime en place Même si le projet colonial visait aussi la « conquête morale », selon les termes de l’inspecteur général Georges Hardy, promoteur et idéologue du système d’enseignement au sein de l’AOF, c’est d’abord par la coercition qu’il s’est imposé. Cette dimension coercitive qui semblait passer désormais au second plan avec le projet assimilationniste de rénovation de la domination coloniale (avec la fin du travail forcé notamment) issu de la conférence de Brazzaville de 1944, est revenue en force au cours du processus de décolonisation dans les territoires sous domination française, marqué par des guerres coloniales (celles d’Indochine, puis d’Algérie ainsi que celle du Cameroun avec les maquis de l’UPC). Ce dispositif de « contention » n’a pas disparu avec les indépendances formelles en 1960. La coopération militaire et policière s’est mise en place entre l’Etat français et les dirigeants des nouveaux Etats dont la dépendance à l’égard de l’ancienne puissance coloniale était évidente. En outre, ces nouveaux dirigeants n’avaient jamais tenu de discours nationaliste jusqu’à l’avènement de ces indépendances et ne disposaient pas vraiment d’ « intellectuels organiques » capables d’articuler de tels discours de manière crédible. C’est pourquoi les tentatives de « recherche » ou de « construction hégémonique » que certains ont cru voir se dessiner ne pouvaient être que fragiles, voire vouées à l’échec quand bien même certains de ces gouvernants n’ont pas lésiné sur les moyens pour essayer de se bâtir une légitimité585. La vague de contestation menée par les scolaires et les étudiants qui déferle à partir de la fin des années 1960 a bien montré les limites de ces prétentions hégémoniques586. Face à cette vague qui les a pris de court et a démontré la fragilité structurelle de ces projets de « construction » d’une légitimité gouvernementale face aux menées contre-hégémoniques dont les étudiants étaient les hérauts, les dirigeants africains ont eu recours à différentes techniques de répression et de pacification. Mais parfois, notamment dans les régimes les moins bien arrimés au socle françafricain, des militaires ont été jusqu’à déposer les titulaires du pouvoir. Lorsqu’il s’est produit, ce scenario de confiscation du pouvoir par des militaires (ce qu’on peut appeler l’« hypothèque militaire ») n’a pu mettre qu’un terme provisoire à l’activité contre-hégémonique des étudiants qui s’est poursuivie malgré l’autoritarisme ambiant. Le volet répressif, celui qui a été le plus immédiatement utilisé a consisté à intervenir par la force sur les campus, à arrêter les supposés 585L’exemple que l’on peut citer est la politique suivie dans les années 1960 par Mobutu lors de son accession au pouvoir qui a consisté à coopter des dirigeants de l’Union générale des étudiants congolais (UGEC), qui se réclamaient pourtant de l’option nationale et anti-impérialiste incarnée par Lumumba, puis ensuite dans la décennie suivante, la mise en scène idéologique bien connue de l’ « authenticité ». 586L’anecdote rapportée pour le cas du Sénégal, lors de la crise de 1968 par un proche de Senghor, résume cette faiblesse du dispositif hégémonique dans de tels moments de vérité : « Où sont les militants de votre parti ? » aurait demandé le général Jean Alfred Diallo lorsque le chef de l’Etat faisait appel à lui pour endiguer la contestation ; à cette question « embarrassante », Senghor aurait répondu : « Mon général prenez le pouvoir si vous le voulez ! » (Lo, 1987 : 37). responsables des actions menées, à les exclure de l’Université, voire à en enrôler certains dans l’armée (Sénégal) ou à organiser des cérémonies où ils devaient solliciter le pardon du chef de l’Etat (Côte d’Ivoire). Ensuite, le pouvoir a souvent cherché à désamorcer et à déconnecter l’action des étudiants de celle des autres forces mobilisées en accordant des concessions catégorielles aux uns et aux autres. Dès cette époque, la revendication du « respect des franchises universitaires » a émergé et figure en bonne place dans les plateformes des étudiants, y compris jusqu’au « troisième âge » du mouvement. Les étudiants ont payé un lourd tribut dans les mobilisations qui ont conduit à l’instauration du multipartisme comme en témoignent les massacres qui ont eu lieu sur les campus de Yopougon en Côte d’Ivoire et de Lubumbashi au Zaïre en 1990. Ils ont réussi cependant à mener au cours de cette dernière décennie du XXe siècle, des luttes d’une ampleur et d’une longueur inégalée qui ont contribué à la transition politique dans les pays où elle s’est effectivement produite. Mais on a constaté aussi la résilience de plusieurs régimes françafricains, notamment à cause de leur expérience acquise en matière répressive et au soutien que ne leur a pas ménagé la politique africaine de la France, pourtant officiellement orientée en faveur de la « démocratisation ». Les choses étant ainsi, il n’est pas surprenant qu’une certaine lassitude ait gagné les rangs des étudiants avec la multiplication des « années blanches » génératrices de démobilisation, voire de comportements de fuite vers les établissements privés ou encore les universités à l’étranger pour ceux qui en avaient les moyens587. 587A cela s’est ajouté la poursuite de l’agenda des réformes de l’enseignement supérieur toujours appuyé par la Banque mondiale. La position des étudiants en tant que groupe social et la possibilité d’alliances et d’extension des mobilisations à d’autres secteurs de la société Le faible nombre des étudiants africains dans les années 1950 contraste avec le rôle historique joué par la FEANF. Cependant, à cette époque, ils ne pouvaient prétendre à un rôle d’avant-garde autrement que sur le plan des idées. Les alliances nouées avec d’autres forces se sont ainsi situées sur le plan politico-idéologique, soit avec d’autres organisations d’étudiants en France réunies dans un même objectif anticolonialiste, comme celle des Algériens ou des Antillais ou encore des Réunionnais, soit avec d’autres forces politiques françaises (notamment le PCF auquel un certain nombre d’étudiants africains ont appartenu), voire au-delà avec les organisations implantées dans les pays se réclamant du socialisme d’obédience marxiste-léniniste. Avec le second âge du mouvement étudiant africain francophone, les militants inspirés par la FEANF ont parfois essayé d’expérimenter le mot d’ordre de « l’intégration aux masses » mais pas toujours avec un succès évident588. Si les crises de 1968-69 ont révélé que la révolte étudiante et sa dénonciation du « néocolonialisme » rencontrait un écho certain avec l’expression concomitante du mécontentement social des salariés, frustrés des promesses de l’indépendance, la mobilisation est demeurée uniquement urbaine, notamment dans le cas du Sénégal (Blum, 2012 : 172-173). C’est surtout par le biais du mouvement syndical (notamment les syndicats d’enseignants) que se sont concrétisées des 588Ils étaient sans doute considérés encore comme faisant partie d’une certaine élite par l’opinion commune au sein des « masses » en question ce qui pouvait induire des réactions de recul vis-à-vis des tentatives d’implantation d’une avant-garde révolutionnaire issue du mouvement étudiant . Cette proximité supposée avec les élites au pouvoir est invoquée par certaines analyses pour expliquer leur capacité à s’organiser voire à éviter des mesures de répression plus sévères que s’il s’était agi d’autres catégories de la société (Hanna, 1971 : 175). possibilités d’alliance au cours des « conjonctures politiques fluides » qui ont ébranlé le statu quo issu des indépendances concédées par la puissance colonial589. A plus long terme, la « fonction générative » du mouvement étudiant, étendue au champ syndical, a permis le développement de réseaux militants (parfois développés dans la clandestinité) voire d’un système d’organisations (lorsque les conditions politico-juridiques le permettaient) susceptibles d’être en synergie avec l’action du mouvement étudiant. Dans les années 1990, les étudiants africains ont été les premiers à se mobiliser et ont donné une vigueur particulière à la contestation qui s’est généralisée dans le cadre de « mobilisations multisectorielles » - pour reprendre un terme utilisé par Dobry - d’une ampleur inédite. La « massification » et le poids des mesures d’ajustement structurel avec la réduction voire la suppression des bourses ont rapproché les étudiants sur le plan des conditions matérielles d’existence de la masse de la population. Il est devenu de plus en plus difficile de les accuser d’être des « enfants gâtés » se comportant comme des « ingrats » comme le faisait les chefs d’Etat africains des décennies 1960 et 1970. Cependant, la dévalorisation du statut des étudiants et le déclassement relatif des universités africaines en crise, finissent par être associées à la chronicité des mouvements de contestation. Apparues d’abord comme le révélateur d’une situation de crise socio-politique dont le pouvoir politique semblait le principal responsable , les grèves étudiantes lorsqu’elles se répètent sont alors montrées du doigt comme étant à l’origine de la paralysie des institutions universitaires. Un des symptômes les plus tangibles de cette évolution vers 589Les mouvements d’élèves du secondaire ont aussi constitué des alliés toujours présents aux côté des étudiants dans ces conjonctures fluides : lorsque les universités nationales sont apparues, ils ont ainsi relayé les mobilisations d’étudiants à travers l’étendue du territoire national après avoir précédé l’action de leurs aînés dans l’histoire des mobilisations au sein des établissements d’enseignement que l’on peut faire remonter à la période coloniale, notamment les années 1950. un risque d’isolement et de discrédit de l’action revendicative des étudiants se manifeste à travers les contradictions apparues parfois avec les autres acteurs syndicaux de l’enseignement supérieur, notamment les universitaires, qui ne mettent plus seulement en cause la responsabilité des acteurs gouvernementaux dans l’enlisement des conflits entre le gouvernement et les étudiants mais aussi l’action de certains d’entre eux. Le moment critique pour apprécier la vigueur de la poussée contre-hégémonique des étudiants au Sénégal est sans conteste celui de mai-juin 1968591, avec une réplique de ce séisme contestataire survenue l’année suivante. L’alerte a été chaude pour le régime senghorien qui a été sérieusement ébranlé par la crise mais qui y a survécu, notamment grâce au soutien de l’armée et des confréries religieuses. ESQUISSE Du côté voltaïque, si l’on doit chercher un point de comparaison, c’est la date du 3 janvier 1966 (restée dans les mèmoires comme celle du « soulèvement populaire ») qui voit le renversement du régime de Maurice Yameogo par une coalition formée principalement de scolaires et de salariés emmenés par les syndicats. La capacité contre-hégémonique des syndicats voltaïques se vérifie encore plus tard lorsque le général Lamizana doit faire marche arrière en 1975 et renoncer à son projet de « gouvernement de renouveau national (GRN) » perçu comme une tentative d’instauration du parti unique. D ’UNE COMPARAISON ENTRE LA TRAJECTOIRE MOUVEMENT ÉTUDIANT SÉNÉGALAIS ET BURKINABÉ (EN DU GUISE DE CONCLUSION PROVISOIRE) Les étudiants sénégalais ont joué un rôle déterminant dans la création de la FEANF en1950 et durant les années suivantes, ils dominent encore les instances de direction de cette organisation. La présidence d’ Amadi Aly Dieng (1960-61) constitue l’épilogue de cette période. Du côté des étudiants voltaïques, même si la création de l’Association des étudiants voltaïques en France (AEVF) marque le début du mouvement étudiant sous la forme organisationnelle, c’est plutôt la création de l’Association des scolaires voltaïques (ASV) en 1956 qui coïncide avec le début d’une participation à des luttes étudiantes en liaison avec l’UGEAO. Par la suite, à partir de 1966 à Dakar, et durant la décennie 1970, les étudiants voltaïques se sont montrés très actifs dans les mobilisations sur des campus dans des pays voisins ce qui leur a valu de subir à plusieurs reprises des mesures massives d’expulsions590. 590Des centaines d’étudiants voltaïques ont été expulsés durant ces années de pays tels que le Sénégal en 1968, la Côte d’Ivoire en 1970, au Niger en 1979 et au Togo en 1981 (Sanou, 1981 : 201). Trois militants de l’AEVF sont même expulsés en 1976 depuis la France après avoir mené des luttes de résidents dans les cités universitaires où ils étaient logés. Si l’on s’intéresse aussi aux forces politiques qui se sont développées en liaison étroite avec les mouvements étudiants, on peut établir une comparaison intéressante. Au Sénégal, c’est le PAI qui a joué un rôle historique essentiel dans le premier âge du mouvement étudiant au sein de la FEANF et de 591Lorsque j’utilise l’expression « étudiants au Sénégal » c’est pour ne pas réduire la mobilisation aux seuls Sénégalais. Néanmoins, les recherches historiques les plus récentes font de l'Union démocratique des étudiants du Sénégal, l'acteur essentiel à l'origine de la mobilisation sur le campus de Fann (Gueye, 2014 : 10-15) . En outre, la gestion de la crise par le gouvernement a consisté à « nationaliser » le conflit en renvoyant d'abord les militants non sénégalais de l’UED dans leur pays d’origine (Bathily, 1992 : 106-107 ; Guèye, 2014 : 47) et en entamant ensuite des négociations dans un cadre strictement national avec l'UDES seulement, ce qui a causé un certain malaise entre cette dernière et l'UED qui regroupait les autres nationalités (ibidem : 90100). l’UGEAO. Le PAI était à l’origine un parti fédéral mais il s’est vite nationalisé avec la création des Etats issus de l’ex-AOF. C’est essentiellement au Sénégal et en Haute Volta (à partir de 1963) que cette formation a joué un rôle dans l’histoire politique post-coloniale. Or, dès le début des années 1960, le PAI d’abord interdit en 1960 par le gouvernement sénégalais après des incidents lors des municipales de 1960, choisit de se lancer dans la création d’un maquis au Sénégal oriental en 1963-64. Cette entreprise qui a tourné au fiasco, et l’éloignement entre les militants restés au pays et la direction de Majmouth Diop en exil, ont généré une crise interne qui s’est manifestée par une première scission en 1967. Les événements de 1968 ont donc eu lieu dans un contexte où le PAI n’était plus capable d’assumer le rôle d’avant-garde qu’il prétendait jouer même si dans la mobilisation à la tête de l’UED ou de l’UDES on trouvait des militants du MEEPAI (Bathily, 1992 ; Blum, 2012 ; Gueye : 2014 : 112-113). A la suite de 1968, sont apparus au sein de la gauche se réclament du marxisme, de nouveaux clivages consécutifs à cette phase critique qui correspond au deuxième âge du mouvement étudiant pour le Sénégal. Les étudiants du MEEPAI qui avaient conduit la mobilisation qui avait fait chanceler le régime ont voulu créer leur propre organisation (la Ligue démocratique) se réclamant toujours de l’héritage du PAI. Formée à partir de l’AESF, avec à sa tête Landing Savané, une autre force politique (les maoïstes connus ensuite sous l’étiquette de And Jëf) va se développer en milieu étudiant et dominer le mouvement de la fin des années 1970 jusqu’au début de la décennie suivante avec la création de l’Union nationale patriotique des étudiants du Sénégal (UNAPES). Ensuite, on assiste à nouveau à un éclatement organisationnel entre les diverses « unions nationales » se réclamant des différentes fractions marxistesléninistes. La création de la Coordination des étudiants de Dakar (CED) marque une nouvelle tentative en 1987 pour mettre fin à cette situation. L’ « année blanche » de 1988 marque sans doute l’entrée dans le troisième âge du mouvement étudiant sénégalais ce qui montre encore une fois sa tendance à être « en avance » sur son époque. Cependant, au plan politique, on constate que les étudiants sénégalais sont désormais influencés par le principal parti d’opposition, le Parti démocratique sénégalais (PDS) d’Abdoulaye Wade, les maoïstes de Ande Jëf jouant désormais un rôle de second plan. Dans le cas des Voltaïques, on assiste durant les années 1970 à un processus de radicalisation qui se manifeste par des changements de ligne au cours des congrés de l’Union générale des étudiants voltaïques (UGEV) résultant des prises de contrôle successives par des formations politiques de plus en plus « révolutionnaires »592 : en 1971, le MLN perd le contrôle de la direction au profit du PAI, puis en 1975, c’est au tour du PAI de laisser la place à des militants que l’on peut associer au maoïsme. En 1978-79, éclate une crise qui aboutit provisoirement à la scission de l’UGEV entre deux tendances, l’une dite M21 dirigée par Valère Somé et son groupe politique l’Union des luttes communistes (ULC) va prendre part quelques années plus tard au processus révolutionnaire au côté du capitaine Sankara. L’autre qui est restée finalement à la tête de l’organisation sous le contrôle de militants du Parti communiste révolutionnaire voltaïque créé en 1978 (Sissao in : D’Almeida, 1992 : 189-192 ; Diallo in : ibidem : 314-318). Cette situation sur le plan des affiliations politiques est restée fondamentalement inchangée jusque durant l’âge des luttes contre l’ajustement et contre la fermeture du système politique, notamment avec 592Avec le recul, l’analyse que l’on pouvait faire de cette radicalisation en termes de « carriérisme » générationnel, interne à la bureaucratie (Sanou, 1981 : 94-97) peut apparaître étroite … le mois de mai 1990 qui marque le réveil du mouvement étudiant burkinabé toujours conduit par l’UGEB et L’ANEB. B) en 1988 qui est devenu dès les années 1990 la principale centrale syndicale en termes de capacités de mobilisation593 . Le dernier point de comparaison qui semble significatif pour clore cette perspective comparative est celui des objectifs vers lesquels s’est tournée la capacité d’action (agency) des deux mouvements étudiants. Dans les deux cas, on a bien assisté à des manifestations de la « fonction générative » des mouvements étudiants mais on peut voir que cela s’est effectué selon des orientations différentes et, aussi à terme, avec des conséquences différentes. Jusqu’au début des années 1970, on peut voir que dans les deux cas, les questions internationales avec la dénonciation d’évènements associés à l’impérialisme occidental ont été des thèmes récurrents de mobilisation (Thioub, in D’Almeida & alii, 1992 : 275 ; Touré, 2001 : 4654). Par la suite, on a assisté à des stratégies d’enracinement du militantisme contre-hégémonique mais qui a emprunté des voies différentes selon les pays. Sous l’impulsion notamment des militants maoïstes de And Jëf qui se situaient aussi dans la filiation du nationalisme anticolonialiste de Cheikh Anta Diop et de Majmouth Diop, un travail a été mené en faveur de la réhabilitation des héros de la lutte anticoloniale (Lamine Senghor, Aliin Sittoé…) oubliés par l’idéologie universalisante promue par Senghor ou encore en faveur de l’apprentissage et de la revalorisation des langues nationales par rapport au français ayant toujours le statut de langue officielle (AESF,1979 ; Diop, in : Diop,1992 : 445446). Du côté du mouvement voltaïque devenu burkinabé au cours des années 1980, c’est l’investissement au sein de ce qui n’était pas encore appelé la « société civile » qui a mobilisé les militants issus de l’UGEV, notamment au sein du mouvement syndical avec la création du Syndicat des travailleurs de l’enseignement et de la recherche (SYNTER) en 1981 et la constitution de la confédération générale du travail du Burkina (CGT- Dans les deux cas, des mobilisations étudiantes se produisent chaque année depuis des décennies mais elles n’ont pas le même impact sur le système politique. Dans le cas du Sénégal, du fait notamment des deux alternances électorales (2000 et 2012), le jeu politique ne donne plus autant de prise à l’action contre-hégémonique des étudiants. La faible durée de vie des organisations étudiantes sénégalaises que l’on peut observer est un autre élément d’explication mais cette variable historique doit être reliée à d’autres éléments contextuels tels que la crise et le déclin des organisations issues de la gauche marxiste qui, depuis les années 1990, se sont laisser intégrer, en tant que forces d’appoint, au jeu des combinaisons gouvernementales ou encore le factionalisme et le leaderisme qui caractérise la vie politique au Sénégal depuis sa naissance au sein de « quatre communes ». Il n’est pas surprenant que, dans une telle conjoncture historique, le flambeau de l’action contre-hégémonique porté par les étudiants en 1968, soit repris de nos jours par d’autres figures plus « médiatiques » tels que les rappeurs de Y’en a marre en 2011. Dans le cas du Burkina Faso, les luttes étudiantes qui ont culminé en 1998-99 avec le mouvement « Trop c’est trop » en réaction à 593On peut aussi mentionner, dans la même logique de construction de contre-pouvoirs, le Mouvement Burkinabé des droits de l’homme et des peuples (MBDHP). l’assassinat du journaliste Norbert Zongo, se sont prolongées dans les années 2000 - dans un cadre organisationnel non remis en cause avec l’ANEB qui est demeuré l’organisation qui détient un quasi-monopole de la représentation des étudiants - en ayant conservé une résonance plus politique et en parvenant à résister au projet de « domestication » mené par le pouvoir (Chouli, 2009). L’absence d’alternance politique et la faible place laissée par le régime Compaoré à l’opposition politique parlementaire ont indirectement favorisé une certaine unité de la « société civile » qui a été construite par des militants issus souvent de la matrice de l’UGEV. Le mouvement social total de 2011 (Chouli, 2011) est venu s’inscrire dans ce processus de long terme qui est celui d’une lutte entre l’un des plus anciens pouvoirs « françafricains » et son opposition sociopolitique issue historiquement de l’action contre-hégémonique des étudiants. BIBLIOGRAPHIE AJAYI Ade J. F. , GOMA, Lameck K. H., JOHNSON G. Ampah, The African experience with Higher Education, Association of African Universities, Accra, 1996. 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Subjectivation et transformations sociales .............................................. 9 Burleigh Hendrickson. Student Activism and the Birth of the Tunisian Human Rights Movement ................................................................. 9 Tunisian Student Activism ........................................................................... 10 Human Rights as a Response to Repression ........................................ 13 "Black Thursday": January 1978 and The Workers Movement ... 15 Conclusion .......................................................................................................... 20 Ophélie Rillon. Révolution dans le genre au Mali. L’émergence de la figure de l’étudiante contestataire dans les mouvements de la fin des années 1970 .................................................................................................... 21 Bibliographie sommaire ............................................................................... 33 Irène Rabenoro. De l’espoir d’une “Ecole nouvelle” en Mai-1972 à Madagascar au désespoir actuel des étudiants ........................................ 33 La toile de fond de l’objet ............................................................................. 34 Du corpus et de la démarche méthodologique ................................... 36 L’école : détruire et construire .................................................................. 43 Bibliographie sélective.................................................................................. 49 Sources ................................................................................................................ 50 Morgan Corriou. Cinéphilie et engagement estudiantin en Tunisie sous Bourguiba ...................................................................................................... 50 Bibliographie .......................................................................................................... 51 Atelier 2 : Autonomisation des mouvements étudiants ? Entre engagement syndical et partisan ............................................................. 52 Héloïse Kiriakou. L’engagement politique des jeunes congolais à l’aube de la révolution d’août 1963 .............................................................. 52 I. Les organisations politiques des jeunes : embryonnaires mais portées par une poignée de militants connectés à l’international ................................................................................................................................. 53 L’étudiante contestataire : une nouvelle figure de la lutte ............. 22 II. Des loisirs aux organisations confessionnelles : des formes d’opposition alternatives ? .......................................................................... 57 Devenir une militante : trajectoires personnelles, expériences collectives ........................................................................................................... 25 III. L’éclosion d’un mouvement contestataire unitaire pendant la révolution ........................................................................................................... 60 La timide émergence d’une identité collective féminine ................ 28 Conclusion .......................................................................................................... 63 Didier Monciaud. Les étudiants sont revenus ( »)رجعوا ال ت المذة: le “68” égyptien, année de protestation et de rupture ............................... 32 Matt Swagler. Qui définit « la jeunesse »? Les étudiants et la politique des organisations de jeunesse au Congo-Brazzaville, 1963 à 1968 ........................................................................................................................ 64 Françoise Blum. De la FEANF et du mouvement étudiant en diaspora .................................................................................................................... 82 I. Introduction: Students and the "Youth" ............................................. 64 Redéfinitions idéologiques .......................................................................... 85 II. The Student Radicals ................................................................................ 65 Redéfinitions stratégiques........................................................................... 86 III. Organizing the Youth............................................................................... 66 Redéfinitions des rapports avec les états africains ........................... 88 IV. Defining Youth Politics ........................................................................... 68 Bibliographie sélective.................................................................................. 90 V. The Militarization of the Youth ............................................................. 70 Quelques Sources ............................................................................................ 90 VI. Conclusion.................................................................................................... 72 Pedro Monaville. Lumumba, Mobutu, et Mao: Une “histoire globale” du mouvement étudiant congolais ................................................................ 91 Malika Rahal. 1968-1971 en Algérie. Contestation étudiante, parti unique et enthousiasme révolutionnaire.................................................... 73 Bibliography ...................................................................................................... 82 Éléments bibliographiques ......................................................................... 92 Atelier 3 : Connexions, circulations .......................................................... 74 VENDREDI 4 JUILLET.................................................................................... 93 Nicolas Bancel et Thomas Riot. Une étude comparée de la mobilisation des jeunesses catholiques scolarisées dans les décolonisations africaines : les cas du Rwanda et de l’ancienne AOF entre 1945 et 1970............................................................................................... 74 Atelier 4 : Les voies de la radicalisation ................................................. 93 Sociologie du recrutement ........................................................................... 76 Références .......................................................................................................... 94 Trajectoires politiques des mouvements .............................................. 77 Pauline Bernard. De l'université au maquis : les militants étudiants engagés dans la guérilla pendant la guerre civile de 1981-1986 en Ouganda.................................................................................................................... 95 Pratiques et africanisation des mouvements....................................... 78 Racialisation de l’émancipation ................................................................. 79 Pierre Guidi. « Éradiquons les voleurs ! » : les élèves de l'école secondaire du Wolaita contre les élites locales (Éthiopie, 1970)..... 93 Transferts culturels et indépendance relative des membres........ 79 Être étudiant militant à Makerere au sortir du régime autoritaire d'Idi Amin ........................................................................................................... 95 Conclusion .......................................................................................................... 80 Les « intellectuels » dans le maquis ...................................................... 100 Klaas van Walraven. The Struggle of Sawaba in Niger and its Students in Eastern Europe, 1958-1969 ..................................................... 81 Mohamed Dhifallah. Radicalisation du mouvement étudiant tunisien : Du gauchisme à l’islamisme (1963-1980) .......................... 107 Naissance et évolution de la radicalisation estudiantine............. 107 1. Mobilization and organization of activism.................................... 136 UGET : continuité et rupture.................................................................... 109 2. Mali ................................................................................................................ 137 Révisionnistes et révolutionnaires ....................................................... 112 3. Kenya ............................................................................................................ 139 Le pouvoir comme cause de la radicalisation ................................... 113 4. From mobilization to institutionalization ..................................... 141 Conclusion ....................................................................................................... 115 References ....................................................................................................... 142 Sofiane Boudhiba. De l’universite a la rue : le rôle des étudiants tunisiens dans la révolution du jasmin ..................................................... 116 Introduction .................................................................................................... 116 Joseph Koffi Nutefé Tsigbe. Les contestations étudiantes à l’université de Lomé : entre politisation, radicalisation et négociation (1990-2010) ............................................................................... 144 1. Les étudiants au cœur de la révolution du jasmin ..................... 116 Introduction ................................................................................................... 144 2. Les préoccupations des étudiants..................................................... 117 1. Les mouvements étudiants à l’Université de Lomé de 1990 à 2003 : quelle grille de lecture ? .............................................................. 145 3. Les étudiants après la révolution ...................................................... 119 CONCLUSION .................................................................................................. 122 2. De la radicalisation à la négociation : quels enjeux pour quels résultats ? (2004-2010) ............................................................................. 155 Atelier 5 : Le syndicalisme étudiant comme outil de légitimation ...........................................................................................................................123 Conclusion ....................................................................................................... 162 Assani Adjagbe, Abdoulaye Bamba et André Dominique Yapi Yapi. La Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI) : laboratoire d’une élite politique 1990-2010? ........................................ 124 Bibliographie .................................................................................................. 164 Résumé ............................................................................................................. 124 Introduction .................................................................................................... 125 I. Lutte syndicale dans un contexte politique tendu ................. 125 Sources & bibliographie ............................................................................ 163 Atelier 6 : Que faire ? Désillusions, basculements et adaptations du syndicalisme étudiant ............................................................................... 165 Jacinthe Mazzochetti. Les étudiants burkinabè au tournant du XXIe siècle. Entre luttes et compromissions, réussir sa vie ........................ 165 La politique comme prolongement de la lutte syndicale 129 Hanna Cleaver. ‘Becoming a True Activist’ Student Activism in Burkina Faso ........................................................................................................ 167 Conclusion ....................................................................................................... 133 Abstract ............................................................................................................ 167 Anna Deutschmann. From mobilization to institutionalization? Students’ political activism in Mali and Kenya ...................................... 135 Introduction ................................................................................................... 167 II. Creating Small-Scale Alternatives.......................................................... 170 Conclusion ....................................................................................................... 204 Becoming One ................................................................................................ 175 Références bibliographiques ................................................................... 204 Notes .................................................................................................................. 179 SAMEDI 5 JUILLET ...................................................................................... 206 References ....................................................................................................... 180 Atelier 7 : Contributions des étudiants aux reconfigurations de l’action publique.......................................................................................... 206 Claude Mbowou. Dans la boîte noire d’un mouvement étudiant en contexte autoritaire. L’apprentissage contestataire au sein d’un mouvement étudiant au Cameroun............................................................ 183 Hughes Morell Meliki. Registres contestataires estudiantins et inflexion du socle politique post-autoritaire au Cameroun ............. 206 Bibliographie .................................................................................................. 185 Mobilisation étudiante et violence : une collusion historique... 207 Mamadou Dimé. Entre syndicalisme alimentaire et stratégie protestataire. Abdoulaye Wade et les étudiants : du héros adulé au patriarche déchu ................................................................................................ 185 Violence d’État versus violence estudiantine ................................... 208 Résumé ............................................................................................................. 185 Introduction .................................................................................................... 186 Les étudiants, fidèle bataillon d’Abdoulaye Wade dans sa conquête du pouvoir ................................................................................... 188 Paa bi et les jeunes: ancrage et dimensions d’une relation « quasifusionnelle ».................................................................................................... 191 « Personne ne peut connaître vos problèmes mieux que moi ! » Wade face aux étudiants : entre paternalisme, stratégie alimentaire et poursuite de la répression .......................................... 193 « Un Maître et ses disciples ». Fondements et péripéties de l’adulation de Paa bi puis de son désaveu .......................................... 194 Du héros adulé au patriarche déchu. Wade et sa « jeunesse rebelle » ............................................................................................................ 199 Des étudiants devenus nostalgiques de Wade ? .............................. 201 Contexte et prétextes de la mobilisation de 2005 .......................... 210 Une gouvernance universitaire politisée ........................................... 211 Registre religieux et renouveau contestataire ................................. 212 Jouer avec et contre le Renouveau : le pouvoir pris à son piège idéologique ..................................................................................................... 214 BIBLIOGRAPHIE............................................................................................ 217 Tatiana Smirnova. Idées de la “nouvelle gestion publique” dans l’enseignement supérieur au Niger : entre la promotion des valeurs “démocratiques” et héritage du mode opératoire des régimes autoritaires........................................................................................................... 219 Références ....................................................................................................... 220 Sources ............................................................................................................. 220 Olivier Provini. L’étude des mouvements étudiants comme grille de lecture de l’action publique : appréhender le non-changement par l’action collective. Le cas des mouvements étudiants des universités du Burundi et de Dar es Salaam .................................................................. 220 Les Afriques dans le Monde,.......................................................................... 220 Résumé ............................................................................................................. 220 Introduction .................................................................................................... 221 L’université du Burundi : expliquer le non-changement par la mobilisation des étudiants et les configurations de pouvoir ..... 225 L’université de Dar es Salaam : post-socialisme, sentier de dépendance et réforme cosmétique ..................................................... 232 Conclusion ....................................................................................................... 239 En guise de conclusion. .............................................................................241 Pascal Bianchini. Les trois âges du mouvement étudiant dans les pays d’Afrique subsaharienne francophone ........................................... 241 Un aperçu des trois « âges » du mouvement étudiant en Afrique francophone .................................................................................................... 243 L’évolution de la structure des opportunités politiques .............. 248 Esquisse d’une comparaison entre la trajectoire du mouvement étudiant sénégalais et burkinabé (en guise de conclusion provisoire) ....................................................................................................... 259 Bibliographie .................................................................................................. 262 Table des matières .....................................................................................266