Synthèse Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil 2012 ; 10 (1) : 57-64 Les émotions et la sclérose latérale amyotrophique : une perspective psychopathologique Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Emotions and amyotrophic lateral sclerosis: a psychopathological perspective Catherine Bungener Institut de psychologie, LPPS EA 4057, IUPDP, Université Paris-Descartes, Boulogne-Billancourt <[email protected]> Tirés à part : C. Bungener Résumé. Les données de la littérature concernant les émotions dans la sclérose latérale amyotrophique sont rares : elles ont montré la présence d’une symptomatologie dépressive et anxieuse, mais souvent moins importante que dans d’autres pathologies neurologiques. Les symptômes dépressifs ne sont corrélés ni à la durée de la maladie, ni à la sévérité du handicap. Ces résultats invitent à réfléchir aux capacités d’adaptation des sujets. Lorsque l’on évalue les stratégies préférentielles de coping, elles ne se révèlent cependant pas fondamentalement différentes de celles observées dans d’autres pathologies neurologiques, mis à part un recours fréquent à la spiritualité ou à la religiosité. Aussi, une piste pour approfondir ces facultés adaptatives semble pouvoir être celle de l’étude des processus émotionnels utilisés pour faire face au diagnostic et aux conséquences de la maladie. Baker propose cinq processus émotionnels : l’expérience, l’expression, la dénomination, la cause et la prise de conscience. Lorsque ces processus sont dysfonctionnels, ils pourraient favoriser une moins bonne adaptation psychologique. Compte tenu du rôle essentiel que joue l’aidant, ces mécanismes adaptatifs devraient être évalués chez le patient et chez l’aidant. Mots clés : dépression, émotions, processus émotionnels, sclérose latérale amyotrophique, stratégies de coping Abstract. Emotions have not often been studied in amyotrophic lateral sclerosis (ALS). Most existing studies have assessed the psychopathological manifestations involved, essentially depression and less frequently anxiety. The results have shown that major depressive episodes and anxious episodes are not frequent in ALS patients, although moderate depressive or anxious symptoms are often observed, but less frequently than in other diseases like multiple sclerosis or Parkinson’s disease. Depressive symptoms are not correlated to the duration or severity of the disease. This has led us to investigate the coping mechanisms involved in ALS. Results of previously published studies have shown that they did not differ from those observed in other somatic diseases, but ALS patients show more frequent concern with spirituality and religious preoccupations. It thus appears necessary to make a more detailed study of how ALS patients cope with the disease and its ominous consequences. Emotional processing difficulties may be a factor underlying quite diverse somatic and psychological disorders. The Baker’s model propose five stages in emotional processing: emotional experience, emotional expression, labelling, linkage and awareness. Assessment of the emotional processing used by ALS patients should improve our comprehension of their adaptive functioning. The patients’ caregivers play an essential role, and studies have shown that they often suffer themselves from depression and the burdens involved, and that the perceived social support has an impact on the quality of life and on the depression of the patients. Therefore, it seems important to assess the emotional processing not only of patients but also of their caregivers. doi:10.1684/pnv.2012.0313 Key words: amyotrophic lateral sclerosis, coping, depression, emotional processing, emotions L e domaine des émotions a suscité l’attention des chercheurs depuis fort longtemps puisque les travaux de Darwin datent de la fin du XIXe siècle. Ce n’est qu’au cours de la seconde moitié du XXe siècle qu’un regain d’intérêt pour les émotions est apparu et qu’elles ont fait l’objet de nombreuses recherches scientifiques, chez les sujets sains mais également chez les sujets atteints de pathologies, qu’elles soient psychiques ou somatiques [1]. Pour citer cet article : Bungener C. Les émotions et la sclérose latérale amyotrophique : une perspective psychopathologique. Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil 2012; 10(1) :57-64 doi:10.1684/pnv.2012.0313 57 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. C. Bungener Les premières recherches sur les émotions dans le domaine de la pathologie mentale se sont intéressées essentiellement à la schizophrénie et aux troubles de l’humeur. Des difficultés à ressentir ou à exprimer les émotions ont été décrites. Ainsi l’anhédonie (incapacité à ressentir du plaisir) et l’émoussement affectif (diminution de l’expression émotionnelle, du ressenti émotionnel et monotonie affective) se sont retrouvés au cœur de la description clinique de la schizophrénie ou de l’épisode dépressif majeur [1]. Dans le champ des maladies dites psychosomatiques, l’alexithymie (difficulté à verbaliser ses émotions) a été considérée comme une caractéristique du profil psychique de ces patients [1]. Mais, rapidement, il s’est avéré que l’alexithymie pouvait également être présente dans d’autres troubles mentaux (notamment, les troubles addictifs et certains troubles de l’humeur) [1]. Nous pouvons remarquer que ces troubles émotionnels sont tous le reflet d’une hypo-émotionnalité et seuls quelques travaux, notamment dans les troubles de l’humeur, se sont intéressés à la présence d’une hyper-expressivité émotionnelle [2, 3]. En ce qui concerne l’anhédonie et l’alexithymie, il est important de souligner qu’elles ne sont pas l’apanage des sujets souffrant de pathologies mentales ou somatiques mais qu’elles peuvent être observées chez des sujets sains. En effet, dans la population générale, une anhédonie ou une alexithymie peuvent être présentes. Elles sont alors considérées comme un facteur de risque ou de vulnérabilité pour développer un trouble psychique (schizophrénie, trouble de l’humeur, trouble addictif) [4-6]. Une autre approche des émotions consiste à évaluer les capacités de reconnaissance émotionnelle. Des stimuli visuels (visages), verbaux (mots, phrases) ou musicaux exprimant différentes émotions (la tristesse, la colère, la peur, le dégoût, la joie ou la surprise) sont présentés aux sujets qui doivent identifier l’émotion et éventuellement son intensité. Avec l’avènement des techniques d’imagerie cérébrale, il est devenu possible de localiser les différentes régions cérébrales associées à ces formes de traitement. De telles études ont été menées dans différentes pathologies neurologiques [7-11], mais rares sont celles qui ont été consacrées à la sclérose latérale amyotrophique [12-14]. La sclérose latérale amyotrophique La sclérose latérale amyotrophique (SLA) ou maladie de Charcot a été décrite en 1869 par ce dernier. Elle consiste en une dégénérescence des motoneurones de la moelle épinière qui conduit à une paralysie progressive des membres s’accompagnant d’une amyotrophie et/ou d’une dégéné- 58 rescence des motoneurones du tronc cérébral, à l’origine des troubles de la phonation et de la déglutition. L’étiologie demeure à l’heure actuelle inconnue et aucun traitement curatif n’est disponible. La durée de vie moyenne des personnes atteintes est d’environ 3 ans, mais elle est très hétérogène puisque 20 % vivent plus de 5 ans après le diagnostic et 10 % plus de 10 ans. Même si les premiers travaux consacrés aux aspects psychologiques de ces patients sont anciens, peu d’entre eux mentionnent les émotions de manière explicite. Le premier travail publié est celui de Viet en 1947 [15] qui décrivait l’attitude anormalement gaie des patients SLA. Ensuite, Brown et al. [16] ont observé une dysphorie moindre chez les patients SLA ainsi qu’un déni de la maladie et de ses conséquences. Quelques rares études ont tenté de mettre en évidence un profil particulier de personnalité chez ces patients. Dans leur revue de la littérature portant sur peu de travaux, Grossman et al. [17] ont proposé qu’un esprit combatif, une meilleure acceptation de la maladie, une spiritualité développée ainsi qu’une approche positive de la mort conduiraient à une meilleure acceptation de la maladie. Les auteurs précisaient que des recherches doivent être mises en place pour évaluer si de tels traits de personnalité pré-morbide pourraient constituer des facteurs protecteurs. Dans ce sens, Plahuta et al. [18] ont montré qu’un lieu de contrôle externe et peu de sens donné à la vie seraient prédictifs d’un désespoir plus marqué, contrairement à la sévérité de la maladie. L’étude de Krampe et al. [19] a évalué les dimensions de la personnalité selon le modèle des Big Five et a montré, dans un suivi longitudinal de 12 mois, que les patients qui avaient les plus faibles scores dans la dimension « agréabilité » étaient ceux dont la qualité de vie diminuait le moins et dont la progression de la maladie était la plus faible. Dans cette étude, les patients déprimés ne se distinguaient pas des patients non déprimés en termes de progression de la maladie. En revanche la dépression était corrélée à une moindre qualité de vie. Dépression, anxiété et qualité de vie De nombreuses recherches ont évalué la présence ou non d’une symptomatologie dépressive dans la SLA et quelques travaux se sont penchés sur la symptomatologie anxieuse. Comme dans d’autres pathologies neurologiques, la dépression et l’anxiété varient grandement d’une étude à l’autre. Certaines études ont évalué la présence ou non d’un diagnostic de dépression [2023], alors que d’autres n’évaluaient que l’intensité de la Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 10, n ◦ 1, mars 2012 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Les émotions et la sclérose latérale amyotrophique symptomatologie dépressive ou anxieuse. Un consensus se dégage toutefois pour considérer que les véritables épisodes dépressifs majeurs ou anxieux sont peu fréquents en dépit d’une symptomatologie dépressive et/ou anxieuse souvent présente [20-25]. En comparaison avec d’autres atteintes neurologiques, notamment avec la sclérose en plaques et la maladie de Parkinson, les scores de dépression rapportés dans la SLA sont relativement faibles [20-26] et ne sont pas aussi sévères que ce qui pourrait être attendu compte tenu du pronostic de la maladie. Les auteurs insistent sur le fait que, plus que de la dépression, c’est un sentiment de désespoir en lien avec le futur (le sujet a de la peine à envisager des événements, des émotions et des issues positives) qui est présent [27]. Les différentes études s’accordent pour considérer que la dépression ne semble pas liée au stade d’évolution de la maladie, ni à la sévérité du handicap, ni à la progression de la maladie [18, 20-22]. Fang et al. [28] relatent que le risque de suicide chez les patients SLA serait le plus élevé au cours de l’année qui suit la première hospitalisation, ainsi que chez les patients qui sont les plus jeunes au moment du diagnostic. L’apathie fait également partie des symptômes étudiés dans la SLA, cependant seul son aspect comportemental a été décrit [29-31]. Aussi, ces travaux ne seront pas abordés dans cet article. Même si l’anxiété a fait l’objet de beaucoup moins de travaux que la dépression, il semble qu’elle soit présente dans 0 à 30 % des cas selon la revue de Kurt et al. [32]. Elle semble surtout consécutive à l’annonce du diagnostic. Selon Vignola et al. [33], l’anxiété est corrélée à une durée d’évolution plus courte, à une qualité de vie et à une satisfaction de la vie intérieure moindres. Selon ces auteurs, l’anxiété aurait plus d’influence sur la qualité de vie que la dépression. Pour Ganzini et al. [34], la prévalence de la dépression et de l’anxiété, documentée à l’aide de l’HADS (échelle d’anxiété et de dépression de Zigmond et Snaith) chez des patients en fin de vie, serait de 26 % pour la dépression (symptomatologie dépressive moyenne ou sévère) et 22 % pour l’anxiété. La qualité de vie est de plus en plus fréquemment évaluée dans les études. Dans la SLA, elle est généralement corrélée à la fatigue, à la dépression et à l’anxiété [35-37]. Elle ne semble pas liée à l’évolution de la maladie ou au degré de handicap, mais aux croyances personnelles du patient, au bien-être subjectif et à la qualité du support social perçu par le patient [35-38]. Globalement, plus de deux tiers des patients considèrent leur qualité de vie comme satisfaisante lorsque la question leur est posée directement [35-37]. Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 10, n ◦ 1, mars 2012 Ces différentes recherches soulèvent la question des modalités d’adaptation psychologique de ces patients à leur maladie et à ses conséquences dramatiques. Comme le mentionnent Averill et al. [27], il semble plus adéquat de s’intéresser aux différentes difficultés psychologiques et à la manière dont l’individu y fait face plutôt qu’à la seule présence ou absence de dépression. Stratégies d’adaptation ou de coping Il revient à Lazarus et Folkman [39] d’avoir formalisé le concept de coping, pour décrire les stratégies qu’un sujet peut mettre en place pour faire face à une situation de stress. Ces auteurs ont proposé la définition suivante du coping : « ensemble des efforts cognitifs et comportementaux destinés à maîtriser, réduire ou tolérer les exigences internes ou externes qui menacent ou dépassent les ressources de l’individu » [39]. Le coping apparaît comme un ensemble de processus qui interviennent entre un individu et l’événement source de stress. Deux grandes stratégies de coping ont été décrites : le coping centré sur le problème qui correspond aux tentatives cognitives et comportementales pour contrôler ou modifier la situation, et le coping centré sur l’émotion qui regroupe les diverses tentatives pour contrôler ou modifier la tension émotionnelle induite par la situation de stress. Ce coping émotionnel peut se manifester de diverses façons : évitement ou distraction, pensée magique, réévaluation, expression ou répression des émotions, auto-accusation, culpabilité. Puis d’autres stratégies, telles que la recherche de support social [40] ou l’évitement [41], ont été mises en évidence, parallèlement aux deux stratégies principales qui sont retrouvées dans les différents travaux. Ces stratégies adaptatives ont été étudiées dans le cadre des maladies chroniques pour évaluer comment les patients parviennent à faire face, premièrement au diagnostic, deuxièmement au handicap progressif et à ses conséquences [42]. Les différents auteurs s’accordent pour considérer que certaines stratégies sont plus adaptées que d’autres. L’ensemble des recherches, toutes maladies confondues, montre que les stratégies centrées sur le problème sont plus adéquates sur le long terme, alors que les stratégies centrées sur l’émotion sont davantage corrélées à la dépression et à la détresse émotionnelle. La seule exception étant que, dans les situations de maladies sévères dans lesquelles le pronostic vital est en jeu, il semble que, dans un premier temps, adopter des 59 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. C. Bungener stratégies centrées sur l’émotion serait plus adéquat [40, 42]. En effet, ces stratégies émotionnelles permettent au sujet, d’une part, de ne pas s’épuiser dans des stratégies centrées sur le problème qui ne parviennent pas à modifier la source de stress et, d’autre part, de mobiliser ses ressources psychiques pour ensuite adopter des stratégies centrées sur le problème. Les quelques travaux réalisés dans la SLA confirment les résultats obtenus dans d’autres pathologies [20, 43-45], notamment une corrélation entre dépression et stratégies centrées sur l’émotion [20, 44, 45]. Toutefois, certains travaux ont mis en évidence des stratégies spécifiques dans la SLA qui ne sont pas retrouvées de manière aussi importante dans d’autres pathologies, telles que le développement de la stimulation intellectuelle, de la sagesse, des relations interpersonnelles [46] et de la religiosité [29, 44, 47-49]. Les stratégies, selon certains auteurs, évolueraient peu au cours de la maladie [50], alors que d’autres ont observé que pendant les premiers mois qui suivent l’annonce diagnostique, les patients recourent préférentiellement à des stratégies centrées sur l’émotion, pour ensuite adopter des stratégies centrées sur le problème [20]. L’étude de Montel et al. [51] a mis en évidence une corrélation positive entre la durée de la maladie et les stratégies d’acceptation, de réévaluation positive et d’humour. Toutefois, la question de l’opérationnalisation du concept de coping émotionnel reste débattue [52]. Ce terme semble regrouper des stratégies très différentes. Exprimer ses émotions par des pleurs ou de la colère n’a certainement pas la même signification, ni la même valeur que réprimer ses émotions en faisant comme si tout allait pour le mieux ou encore en essayant de réévaluer la situation en dégageant les aspects positifs qu’elle peut susciter. Stanton et al. [53-55] ont développé une nouvelle approche émotionnelle du coping, qui dissocie la reconnaissance, la compréhension et l’expression des émotions. En effet, même si dans la littérature la corrélation entre le coping centré sur l’émotion et la détresse psychologique semble être une constante, différentes recherches ont souligné le potentiel adaptatif de la reconnaissance et de l’expression des émotions. Considérer le coping émotionnel uniquement comme négatif conduit à une impasse, notamment dans le domaine de la santé. Comme nous l’avons mentionné plus haut, l’expression émotionnelle ne peut être confondue avec le déni, l’auto-dépréciation ou la réévaluation positive et ces auteurs proposent de faire la distinction entre le traitement et l’expression des émotions [53, 54]. Le traitement des émotions consiste à essayer activement de reconnaître, comprendre et donner un sens à ses émotions alors que l’expression des émotions consiste 60 à communiquer ou symboliser verbalement son ressenti émotionnel. L’hypothèse développée est que, dans certaines situations, le traitement et l’expression des émotions peuvent être plus adaptés lorsqu’ils sont utilisés séparément et que l’expression émotionnelle est plus adéquate lorsqu’elle fait suite au traitement émotionnel [54]. Si l’on accepte cette distinction, il devient nécessaire de repenser notre manière d’appréhender les stratégies de coping et de travailler sur les émotions elles-mêmes. Ainsi, il semble pertinent de se centrer sur le fonctionnement émotionnel du sujet et d’étudier quelles sont les attitudes et les réactions émotionnelles adoptées pour s’ajuster à la maladie et à ses conséquences. Évaluation des émotions Les études centrées sur les émotions dans la SLA sont rares. Nous n’avons pas mis en évidence d’anhédonie ou d’alexithymie chez les patients SLA qui obtenaient des scores d’alexithymie inférieurs à ceux de patients atteints de sclérose en plaques [20, 56]. Quelques travaux se sont intéressés à l’expression des émotions et ont rapporté, chez des patients SLA, la présence de pleurer et rire spasmodiques [57, 58]. Ce trouble est généralement considéré comme la conséquence d’une atteinte lésionnelle et ne relève pas d’un trouble émotionnel réactionnel ou adaptatif. Et, comme le formulent Presecki et al. [59], il s’agit d’un trouble involontaire de l’expression émotionnelle. D’autres études ont évalué la labilité émotionnelle (fluctuation rapide de l’état émotionnel) et ont observé qu’environ deux tiers des patients présentaient une labilité émotionnelle, cette dernière étant corrélée à la forme bulbaire de la maladie [60-62]. Ensuite certains auteurs se sont intéressés à la reconnaissance des émotions. Palmieri et al. [13] ont réalisé une étude en IRMf dans laquelle les sujets avaient deux tâches à réaliser, une tâche d’attribution émotionnelle et une tâche de reconnaissance émotionnelle de stimuli déplaisants versus plaisants. Leurs résultats ont mis en évidence, chez neuf patients SLA comparés à dix sujets contrôles, une activation supérieure de l’hémisphère gauche et une diminution de l’activation de l’hémisphère droit dans les deux tâches proposées. L’étude de Schmolck et al. [63] a montré que les patients SLA semblaient présenter plus de dysfonctionnement dépassant le seul cortex moteur (lobe frontal, temporal et fronto-temporal) que les études précédentes le laissaient supposer. Dans cette étude, différents visages étaient présentés aux sujets et ils devaient choisir les personnes auxquelles ils s’adresseraient pour demander des Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 10, n ◦ 1, mars 2012 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Les émotions et la sclérose latérale amyotrophique renseignements le soir dans une rue sombre. Les résultats montrent que si les patients SLA choisissaient les mêmes personnes que les sujets sains, ils choisissaient également des sujets que seuls les patients avec une lésion bilatérale de l’amygdale choisissaient et que, par conséquent, ils ne semblaient pas sensibles à l’aspect « inapprochable » de certains visages. L’étude de Zimmerman et al. [12] postulait que des déficits cognitifs associés à des dysfonctionnements du lobe frontal pouvaient être présents chez les patients SLA, notamment chez ceux qui présentaient une forme bulbaire de la maladie. Étant donné que les troubles frontaux peuvent altérer la perception émotionnelle, ils se sont demandés si des troubles de la perception émotionnelle apparaissaient chez les patients SLA et s’ils étaient en lien avec des symptômes dépressifs ou émotionnels. Les sujets devaient réaliser une tâche de reconnaissance d’émotions faciales et prosodiques. Les patients SLA atteints d’une forme bulbaire présentaient des troubles dans l’identification des émotions faciales mais pas des émotions prosodiques, et ces troubles étaient indépendants de la symptomatologie dépressive ou démentielle. Lulé et al. [26] ont montré que les patients SLA développaient une attitude surprenante compte tenu du pronostic de leur atteinte. Les patients en début de maladie évaluaient plus positivement les stimuli émotionnels positifs, neutres et négatifs que les sujets contrôles et ils présentaient une activation (arousal) supérieure en présence des stimuli neutres et positifs alors qu’ils réagissaient moins lors de la présentation des stimuli négatifs. Dans une étude ultérieure en IRMf, cette même équipe [64] a étudié la valence et l’arousal en réponse à des stimuli émotionnels. Les résultats indiquaient une réduction de l’arousal chez les patients SLA après six mois, ce que les auteurs interprétaient comme une altération possible de la sensibilité aux stimuli émotionnels qui ont trait aux relations sociales et qui serait en lien avec le confinement auquel sont contraints les patients. Ces travaux se sont essentiellement intéressés aux émotions et à leur traitement, mais pas de manière spécifique en réaction à la maladie. En effet, nous ne disposons pas de travaux ayant étudié spécifiquement l’expression émotionnelle ou les processus en jeu vis-à-vis du vécu de la maladie. Processus émotionnels Toutefois, nous disposons de peu d’outils cliniques pour évaluer les émotions ressenties par les sujets. Il existe des listes d’adjectifs émotionnels à partir desquelles les Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 10, n ◦ 1, mars 2012 sujets doivent décider pour chaque mot émotionnel s’ils l’ont ressenti au cours d’une période de temps écoulée variable (Profile of mood scale [65], Differential emotional scale d’Izard [66], Positive and negative emotions [67]). Baker et al. [68] ont proposé une autre façon d’appréhender les processus émotionnels en jeu chez les sujets confrontés à une stimulation source de stress. Ces auteurs, en s’inspirant des travaux de Rachman (cité par Baker [68]), ont proposé d’étudier les processus émotionnels, conscients et inconscients, qu’un sujet adopte pour gérer les émotions suscitées par un événement de vie. Rachman a développé son concept dans le cadre des troubles anxieux, et Baker l’a adapté pour d’autres pathologies psychiatriques, mais également somatiques (différents cancers, fatigue chronique, fibromyalgies) [68]. Face à un événement, le sujet doit pouvoir, soit absorber les émotions qui en découlent, soit les évacuer afin d’être en mesure de poursuivre ses activités cognitives ou comportementales. S’il n’est pas capable de le faire, différents troubles, telles que des pensées récurrentes, des pensées anxieuses mais aussi des manifestations physiques (tension, fatigue) peuvent apparaître. Si ces processus sont défaillants, le risque est que le sujet développe des troubles de l’adaptation et soit donc moins capable de gérer la situation de stress. Baker [68] décrit ainsi les différentes étapes des processus émotionnels qui interviennent suite à un événement (qu’il soit anodin ou traumatique). Le premier processus est l’expérience émotionnelle, c’est-à-dire que le sujet évalue l’événement qui le conduit à ressentir une émotion. Le deuxième est l’expression émotionnelle au cours de laquelle le sujet exprime, sur le plan moteur ou verbal, une émotion. Or certains sujets ne vont pas être capables d’exprimer les émotions ou vont tenter de contrôler cette expression. Le troisième processus est celui de la dénomination de l’émotion. Le sujet donne un nom à son état émotionnel, mais le sujet peut également rencontrer des difficultés à nommer l’émotion ressentie. Le quatrième processus est le fait d’établir un lien ou une cause entre l’événement et l’émotion ressentie. Ce processus découle du précédent, dans la mesure où une dénomination inadéquate de l’émotion va déboucher sur un lien de causalité inapproprié. Le cinquième processus est la prise de conscience des émotions ressenties au niveau physique ou physiologique et psychique. Baker et al. [69] ont construit une échelle de processus émotionnels (EPS) qui identifie cinq facteurs : la suppression émotionnelle, les émotions non traitées, les émotions non régulées, l’évitement et l’expérience émotionnelle appauvrie. Cette échelle permet d’évaluer les difficultés que rencontre le sujet pour procéder à l’évaluation 61 C. Bungener émotionnelle de la situation qu’il vit, source de stress et de difficultés. À l’heure actuelle, cette échelle est en cours de validation dans une population française de patients atteints de sclérose en plaques. Et il nous semble que l’étude de ces processus émotionnels, conjointement à celles des stratégies adaptatives, puisse nous faire progresser dans la compréhension de l’adaptation des patients SLA à l’annonce et à la progression de leur maladie. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Entourage du patient Un patient SLA vit rarement seul et, rapidement, il dépend de son entourage et c’est le plus souvent le conjoint qui devient l’aidant principal. Des travaux réalisés dans différentes maladies neurologiques, dont la SLA, montrent que, très fréquemment, l’aidant présente davantage de symptomatologie dépressive et anxieuse que le patient lui-même [29, 70-76]. L’état psychique de l’aidant a un retentissement sur celui du patient. Le soutien que procure l’aidant est essentiel au bien-être du patient, d’ailleurs le soutien social perçu est un des meilleurs prédicteurs de la qualité de vie et de la sévérité de la dépression du patient [45]. Au vu des intrications entre les difficultés psychiques des patients et de leur aidant, il nous semble important de pouvoir investiguer les dimensions psychopathologiques, ainsi que les processus émotionnels et adaptatifs tant chez le patient que chez l’aidant. Références 1. Bungener C, Besche-Richard C. Émotions, cognition et troubles dépressifs. In : Besche-Richard C, Bungener C, eds. Psychopathologie, émotions et neurosciences. Paris : Belin Sup, 2006 : 41-86. 2. Féline A. Les hyperthymies. 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Points clés • De nombreux travaux ont mis en évidence la présence d’une symptomatologie dépressive et anxieuse, mais moins importante que dans d’autres pathologies neurologiques. • Les différents travaux publiés sur les manifestations psychopathologiques des patients SLA nous interpellent quant à l’existence de mécanismes adaptatifs particuliers chez ces patients et nous encouragent à nous intéresser à leurs stratégies de coping. • Il apparaît nécessaire d’approfondir l’étude des stratégies adaptatives par celle des processus émotionnels utilisés par les patients lorsqu’ils doivent affronter leur maladie et s’adapter à ses conséquences. Conclusion Il nous apparaît pertinent et nécessaire d’approfondir l’évaluation des processus émotionnels et adaptatifs chez les patients atteints de SLA et chez leurs aidants. Une meilleure connaissance des processus en jeu doit permettre d’envisager des modalités de prise en charge plus ciblée sur les spécificités psychologiques que présentent les patients SLA et leur aidant. Conflits d’intérêts : aucun 9. Gray HM, Tickle-Degnen L. A meta-analysis of performance on emotion recognition tasks in Parkinson’s disease. Neuropsychology 2010 ; 24 : 176-91. 10. Jehna M, Langkammer C, Wallner-Blazek M, Neuper C, Loitfelder M, Ropele S, et al. Cognitively preserved MS patients demonstrate functional differences in processing neutral and emotional faces. Brain Imaging Behav 2011 ; 5 : 241-51. 11. Robotham L, Sauter DA, Bachoud-Lévi AC, Trinkler I. The impairment of emotion recognition in Huntington’s disease extends to positive emotions. Cortex 2011 ; 47 : 880-4. 12. Zimmerman EK, Eslinger PJ, Simmons Z, Barrett AM. Emotional perception deficits in amyotrophic lateral sclerosis. Cogn Behav Neurol 2007 ; 20 : 79-82. 6. Rey G, Jouvent R, Dubal S. 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