Analyse du risque iatrogénique lié aux effets anticholinergiques à l

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Article original
Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil 2012 ; 10 (1) : 27-32
Analyse du risque iatrogénique lié aux effets
anticholinergiques à l’aide de 2 échelles
en court séjour gériatrique
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017.
Analysis of iatrogenic risk related to anticholinergic effects
using two scales in acute geriatric inpatient unit
Aude Gouraud-Tanguy1
Marielle Berlioz-Thibal1
Jean-Marie Brisseau1
Vincent Ould Aoudia1
Olivier Beauchet2
Gilles Berrut1
Laure De Decker1
1 Pôle de gérontologie clinique,
CHU de Nantes
<[email protected]>
2 Département de médecine interne
et gérontologie clinique, CHU d’Angers
Tirés à part :
A. Gouraud-Tanguy
Résumé. Les anticholinergiques sont responsables des principaux effets indésirables médicamenteux (EIM) du sujet âgé. Deux échelles d’évaluation de la charge anticholinergique
des médicaments ont été publiées: l’Anticholinergic drug scale (ADS) de Carnahan et al., et
l’Anticholinergic risk scale (ARS) de Rudolph et al. L’objectif de cette étude était d’analyser
la performance des scores de Carnahan et Rudolph pour la prédiction de l’apparition de
signes anticholinergiques. Méthode : 1 379 dossiers de patients âgés de plus de 75 ans
hospitalisés en court séjour gériatrique ont été étudiés. Résultats : Le risque d’apparition
des signes anticholinergiques totaux est majoré quand le score est supérieur ou égal à
3 avec les 2 échelles (ADS : OR 1,45, IC 95% [1,03-2,03], p = 0,037 et ARS : OR 1,98,
IC 95% [1,19-3,28], p < 0,01), ainsi que les signes périphériques (ARS : OR 1,66, IC 95%
[1,22-2,26], p < 0,01 et ADS : OR 1,81, IC 95% [1,19-2,75], p < 0,01), ce qui n’était pas le cas
pour les signes centraux. Conclusion : Les 2 échelles ont permis la détection d’un risque
majoré d’apparition de signes anticholinergiques totaux et périphériques, mais pas des
signes anticholinergiques centraux. L’intérêt du calcul de la charge anticholinergique totale
d’une ordonnance reste à démontrer notamment pour le risque de confusion mentale.
Mots clés : anticholinergique, échelle, sujets âgés
Abstract. Anticholinergic medications are responsible for most frequent adverse drug
effects. Two scales have been elaborated as tools for prescribers: the Anticholinergic Drug
Scale (ADS) of Carnahan et al., and the Anticholinergic Risk Scale (ARS) of Rudolph et al.
The objective of this study was to analyze the diagnostic performance of both scales for predicting signs related to an anticholinergic effect. Method: Medical records of 1379 patients
aged 75 years or older hospitalized in a geriatric acute care unit between 2002 and 2005
were studied. The analyze was made retrospectively, but data were collected prospectively. Results: Risk of appearance of total anticholinergic signs (ADS : OR 1,45, CI 95%
[1,03-2,03], p=0,037 and ARS : OR 1,98, CI 95% [1,19-3,28] p<0,01) and peripheral signs
(ADS: OR 1,66, CI 95% [1,22-2,26], p<0,01 and ARS : OR 1,81, CI 95% [1,19-2,75], p<0,01)
increased when score was ≥ 3 with both scales, which wasn’t the case for central signs.
Conclusion: Both scales permitted to detect an increased risk of appearance of total and peripheral anticholinergic signs, but not the centrals as delirium. Interest of total anticholinergic
burden remains to be demonstrated, especially for delirium risk assessment.
doi:10.1684/pnv.2012.0337
Key words: anticholinergic, scale, elderly
L
a prescription de médicaments inappropriés chez le
sujet âgé majore le risque d’apparition d’effets indésirables médicamenteux (EIM) [1]. L’incidence des
EIM est de 5 à 10 % chez les patients âgés hospitalisés
[2]. Les anticholinergiques sont des traitements particulièrement à risque d’EIM chez le sujet âgé [3]. Près de
600 médicaments à effet anticholinergique sont disponibles
dans la pharmacopée dont 11 % sont des médicaments
fréquemment utilisés par cette catégorie de patients [4].
Dans la liste des médicaments inappropriés chez le sujet
âgé proposée par Beers en 1997, les anticholinergiques
sont responsables des principaux effets indésirables médicamenteux [5]. Quand leur charge anticholinergique est
élevée, ces médicaments sont reconnus dans la littérature
comme forts pourvoyeurs d’EIM et sont impliqués dans le
risque de chute, de confusion [6, 7], d’aggravation des altérations cognitives [8-11], et d’un niveau de dépendance plus
important [6, 12].
Pour citer cet article : Gouraud-Tanguy A, Berlioz-Thibal M, Brisseau JM, Ould Aoudia V, Beauchet O, Berrut G, De Decker L. Analyse du risque
iatrogénique lié aux effets anticholinergiques à l’aide de 2 échelles en court séjour gériatrique. Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil 2012; 10(1) :27-32
doi:10.1684/pnv.2012.0337
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A. Gouraud-Tanguy, et al.
Deux échelles d’évaluation de la charge anticholinergique des médicaments ont été publiées et présentées
comme des outils pour les prescripteurs pour la prédiction
du risque d’apparition d’effets indésirables anticholinergiques [13, 14] : l’Anticholinergic drug scale (ADS) [13]
et l’Anticholinergic risk scale (ARS) [14]. En 2006, Carnahan et al. [13] ont élaboré l’ADS. Quatre-vingt-dix-neuf
médicaments ont été répartis en 3 niveaux de potentiel
anticholinergique. La classification des molécules a été réalisée en fonction des paramètres physiologiques d’activité
anticholinergique sérique (AAS). Rudolph et al. [14] ont
publié l’ARS en 2008. La liste des médicaments également
répartie en 3 niveaux de charge anticholinergique, contenant 49 molécules, a été établie par un panel d’experts en
fonction des médicaments les plus pertinents selon leur
constante de dissociation avec le récepteur muscarinique,
la base de données de la Food and drug administration (FDA)
concernant la charge anticholinergique de la molécule versus placebo, et les données de la littérature. Les patients
étaient ensuite évalués pour rechercher des signes cliniques anticholinergiques centraux (confusion, hypotension
orthostatique, asthénie, chutes) et périphériques (constipation, rétention aiguë d’urines, xérostomie, xérophtalmie).
L’étude comprenait 2 cohortes distinctes : une cohorte
de patients issus d’une évaluation gériatrique étudiée de
manière rétrospective et une cohorte de patients étudiés
de façon prospective.
L’objectif principal de cette étude était d’analyser la
performance des scores de Rudolph et Carnahan pour la
prédiction des signes liés à un anticholinergique. L’objectif
secondaire était de comparer les deux scores en regard de
leur capacité à évaluer le risque de voir apparaître des signes
anticholinergiques périphériques ou centraux.
Patients et méthode
Il s’agit d’une étude rétrospective à partir d’observations
de patients âgés de plus de 75 ans hospitalisés en court
séjour d’un centre hospitalier et universitaire, dont tous
les traitements et évènements cliniques ont été renseignés de manière systématique et informatisée de façon
prospective.
La base de données contient 1 567 dossiers de patients
hospitalisés du 1er janvier 2002 au 31 décembre 2005. Pour
21 dossiers le traitement à l’entrée n’était pas mentionné
(transfert entre service, admission directe avec manque
d’éléments à l’entrée). Si les données correspondaient à
une nouvelle hospitalisation pour le même patient, seule
la première hospitalisation était prise en compte. Ainsi
au total, l’étude porte sur 1 379 séjours hospitaliers de
patients différents.
28
Recueil des données
Les données ont été colligées en premier lors de
l’admission dans l’unité de court séjour par un interne,
puis après saisie par une secrétaire médicale qui générait de manière automatisée une observation, les données
étaient validées par un médecin senior. En fin de séjour
(le plus souvent dans les 2 jours qui précédaient la sortie)
les éléments de sortie (examens complémentaires réalisés,
conclusions de l’hospitalisation, décisions thérapeutiques
et modalités de surveillance et de suivi) ont été rédigés
par l’interne et validés par un médecin senior gériatre. Les
éléments de sortie ont été saisis dans la base de données
par une secrétaire médicale, et la lettre de sortie générée
par publipostage a été relue et validée de nouveau par le
médecin senior gériatre. En cas de modification du compte
rendu, la base était corrigée et les données modifiées
dans un fichier informatisé de façon prospective. Toutes
les données administratives, cliniques, sociales concernant
le patient ont été colligées de façon prospective : âge,
sexe, date de naissance, antécédents, les données de
l’examen clinique d’entrée du patient et de l’évaluation
gériatrique, l’évolution au cours du séjour hospitalier, les
données administratives et l’orientation médico-sociale de
sortie.
Ainsi, 1 379 dossiers complets ont pu être analysés dans
cette étude. Les signes d’anticholinergie ont été retrouvés de façon rétrospective dans l’observation des patients
comme les signes majeurs de plaintes somatiques des
patients : constipation, xérostomie, xérophtalmie, chutes,
asthénie et par les cliniciens : rétention aiguë d’urine,
confusion, hypotension orthostatique. Les effets indésirables anticholinergiques « mineurs » non décrits par les
patients ni retrouvés par les cliniciens n’ont pas été colligés. Les signes ont été répartis en 2 classes : présents ou
absents.
Les scores d’anticholinergie ont été calculés en fonction des données de l’ordonnance d’entrée des patients,
le nombre de points attribués par médicament était celui
de la charge anticholinergique de chaque molécule dans
chacune des 2 échelles, puis les 2 scores ont été calculés séparément, répartis en 2 colonnes : score de Rudolph
et score de Carnahan, chacune des colonnes comprenant
le score total individuel de charge anticholinergique ou de
risque anticholinergique.
Le critère d’exclusion était l’âge inférieur à 75 ans.
Analyse statistique
L’analyse des données issues de la base de données
a été réalisée avec le logiciel Statview (SAS institute Inc®
V5.0). Une analyse descriptive des patients inclus a été
Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 10, n ◦ 1, mars 2012
Risque iatrogénique lié aux effets anticholinergiques
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effectuée. Les patients ont été ensuite répartis en 3 groupes
selon les scores obtenus dans les 2 échelles : score de 0,
score de 1-2 et score supérieur ou égal à 3 et en fonction
du nombre de signes anticholinergiques présentés : 0, 1-2
ou 3 et plus. Les données ont alors été comparées par un
test du ␹2 pour les variables nominales. Un p < 0,05 a été
considéré comme seuil de significativité.
L’odds ratio a été utilisé pour évaluer le risque
d’apparition de signes anticholinergiques central ou périphérique en fonction du score d’anticholinergie avec un
intervalle de confiance de 95 %.
Résultats
Le tableau 1 présente les caractéristiques des
1 379 patients étudiés avec la répartition des différents
scores obtenus selon les 2 échelles. Les patients sont âgés
de 75 à 102 ans, avec une moyenne d’âge de 85 ± 6 ans.
Environ un tiers de la population sont des hommes.
Concernant la fonction rénale, le niveau de créatininémie
moyen est de 102 ± 57,8 ␮moles/L.
Le nombre moyen de médicaments consommés par
patient est de 7,52 ± 5,12.
Les patients ont rapporté plus d’effets indésirables
centraux que d’effets périphériques. Les chutes sont le
Tableau 1. Caractéristiques de la population.
Table 1. Baseline characteristics of the cohort.
Age (ans)
85 ± 6 [75-102]
Sexe ratio homme (%)
30,4
Créatininémie (␮mol/L)
102 ± 57,8
Nombre moyen de médicaments
7,52 ± 5,12
Signes anticholinergiques centraux n(%)
Confusion
Asthénie
Chute
Hypotension orthostatique
168 (12,1)
247 (17,8)
423 (30,6)
105 (7,6)
Signes anticholinergiques périphériques n(%)
Constipation
Rétention aigue d’urines
Xérostomie
Xérophtalmie
380 (27,5)
34 (2,5)
47 (3,4)
2 (0,1)
Score de Carnahan
0
1-2
≥3
528 (38,3)
654 (47,4)
198 (14,3)
Score de Rudolph
0
1-2
≥3
1 114 (80,8)
168 (12,1)
97 (7,0)
Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 10, n ◦ 1, mars 2012
signe le plus présent chez les sujets étudiés (30,6 %),
suivi de l’asthénie (17,8 %) puis de la confusion (12,1 %).
L’hypotension orthostatique ne représente que 7,6 % des
plaintes.
Parmi les signes périphériques, la constipation est
retrouvée de façon majoritaire avec 27,5 % des plaintes.
La rétention aiguë d’urine, la xérostomie et la xérophtalmie
sont présentes chez 83 patients soit 6 % de la population.
La comparaison des scores d’anticholinergie fait état
d’une différence de distribution du nombre de signes anticholinergiques dans les 2 scores : si les scores obtenus
s’étendent de 0 à 2 avec l’échelle de Carnahan (score nul :
38,3 %, score de 1-2 : 47,4 % soit 85,7 %), ils sont majoritairement nuls avec l’échelle de risque anticholinergique de
Rudolph (80,8 %).
Le tableau 2 illustre le nombre d’effets indésirables anticholinergiques associés avec les scores de Carnahan et
Rudolph classés en 3 catégories selon les scores obtenus
avec chacune des 2 échelles : 0, 1-2 et ≥ 3. Il existe une relation significative entre le score obtenu à l’ADS et le nombre
d’effets anticholinergiques observés, relation non obtenue
avec l’ARS.
Il existe une relation score-réponse entre le groupe des
scores ADS 0 et le groupe ADS 1-2 : quand l’ADS est supérieur à 1, le risque d’apparition d’un effet anticholinergique
est significativement majoré et près de 30 % des patients
ont rapporté plus de 2 effets indésirables. Cette relation est
constatée avec l’échelle de Rudolph entre les groupes de
scores ARS 1-2 et ARS ≥ 3.
Le risque d’apparition d’effets anticholinergiques en
fonction du score obtenu aux 2 échelles par le calcul de
l’odds ratio est inscrit dans le tableau 3. Dans les 2 échelles,
le risque d’effets anticholinergiques totaux (centraux et périphériques) est majoré de façon significative quand le score
est supérieur ou égal à 3, avec un risque presque majoré
par 2 avec l’ARS.
Le risque d’apparition de signes centraux n’est pas
majoré lorsque le score est supérieur à 3 avec les 2 échelles.
La spécificité du test par le score de l’ADS et de l’ARS est
élevée autour de 86 %, mais la sensibilité de ces 2 échelles
pour la détection des signes anticholinergiques centraux est
faible : 14,81 % pour l’ADS et 11,8 % pour l’ARS.
Le risque d’apparition de signes anticholinergiques périphériques est majoré quand le score obtenu aux échelles
est de plus de 3, de façon plus importante avec l’ARS.
Le risque d’apparition de signes périphériques anticholinergiques est associé à la charge d’anticholinergie si le score
est supérieur à 3 dans les 2 échelles dans près de 90 %
des cas (spécificité de 87,67 % pour l’ADS et de 94,25 %
pour l’ARS), mais en tenant compte de la faible sensibilité
29
A. Gouraud-Tanguy, et al.
Tableau 2. Évaluation du risque d’apparition d’effets anticholinergiques en fonction du score ARS et ADS.
Table 2. Increased anticholinergic adverse effects associated with higher ADS and ARS scores.
Score de risque
Nombre d’effets anticholinergiques totaux
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0
1
Valeur de p
2
3
Score Carnahan ADS
0 (n = 528)
1-2 (n = 5)
≥ 3 (n = 9)
201 (38,1)
202 (30,9)
52 (26,3)
205 (38,8)
267 (40,8)
84 (42,24)
92 (17,4)
143 (21,9)
47 (23,7)
30 (5,7)
42 (6,4)
15 (7,6)
Score Rudolph ARS
0 (n = 1114)
1-2 (n = 168)
≥ 3 (n = 97)
378 (34)
57 (34)
20 (20,6)
446 (40)
67 (39,9)
42 (43,3)
227 (20,4)
32 (19)
23 (23,7)
63 (5,6)
12 (7,1)
12 (12,4)
(inter-groupes)
0,0403
(0.009)a
(NS)b
0,0547
(NS)a
(0,0309)b
a : comparaison groupes score 0 vs 1-2 ; b : comparaison groupes scores 1-2 vs 3.
Tableau 3. Risque de majoration des effets indésirables anticholinergiques associé aux scores ARS et ADS.
Table 3. Relative risk of increased anticholinergic adverse effects with ADS and ARS scores.
Effets indésirables anticholinergiques
Odds ratio [IC 95%]
Valeur de p
Se %
Sp %
VPP %
Score de Carnahan ADS
Signes anticholinergiques totaux pour un score ≥ 1
Signes anticholinergiques totaux pour un score ≥ 3
Signes centraux pour un score ≥ 1
Signes centraux pour un score ≥ 3
Signes périphériques pour un score ≥ 1
Signes périphériques pour un score ≥ 3
1,45 [1,15-1,82]
1,45 [1,03-2,03]
1,14 [0,92-1,42]
1,08 [0,8-1,46]
1,58 [1,24-2,01]
1,66 [1,22-2,26]
< 0,01
0,0368
NS
NS
< 0,01
< 0,01
64,65
15,78
63,24
14,81
69,03
18,91
44,18
88,57
39,94
86,18
41,48
87,67
70,19
73,74
54,11
54,55
34,27
40,4
Score de Rudolph ARS
Signes anticholinergiques totaux pour un score ≥ 1
Signes anticholinergiques totaux pour un score ≥ 3
Signes centraux pour un score ≥ 1
Signes centraux pour un score ≥ 3
Signes périphériques pour un score ≥ 1
Signes périphériques pour un score ≥ 3
1,25 [0,93-1,68]
1,98 [1,19-3,28]
1,12 [0,86-1,47]
0,93 [0,67-1,28]
1,26 [0,95-1,67]
1,81 [1,19-2,75]
NS
< 0,01
NS
NS
NS
< 0,01
20,35
8,33
20,03
11,8
21,8
9,95
83,08
95,6
81,69
87,38
80,93
94,25
70,94
79,38
55,09
51,19
34,72
43,3
des échelles pour la détection des signes périphériques :
18,91 % pour l’ADS et 9,95 % pour l’ARS.
La valeur prédictive positive (VPP) de ces scores reste
toutefois plus élevée pour l’apparition de signes anticholinergiques totaux (VPP 70 à 79 %) que pour les signes
centraux (VPP 51 à 55 %) ou les signes périphériques (VPP
34 à 43 %) de manière isolée.
Discussion
Cette étude met en valeur les différences entre les
échelles de Rudolph et Carnahan : si l’ADS offre une
meilleure sensibilité pour la détection des signes anticholinergiques de façon globale, l’ARS est plus spécifique,
meilleure prédictrice d’effet anticholinergique lié à ces
médicaments. Ces résultats sont à modérer car l’ADS
est peu spécifique (Sp 44 %) et l’ARS est peu sensible
(Se 20,35 %). L’intérêt de ces échelles pour la détection
du risque d’apparition de signes anticholinergiques reste
donc faible avec des échelles détectant peu les patients
30
à risque ou n’étant que peu spécifiques d’EIM anticholinergiques.
Dans la cohorte rétrospective de Rudolph, 22,7 % des
patients avaient un score ARS ≥ 3, versus 7 % des patients
dans notre étude avec l’ARS et 14 % selon l’ADS. Dans
notre étude, les patients présentaient moins de signes
anticholinergiques que dans l’étude de Rudolph et moins
de médicaments à charge anticholinergique élevée étaient
prescrits, or la sensibilité et la spécificité de ces échelles
sont dépendantes de la prévalence des effets indésirables
anticholinergiques et d’une moindre prescription, ce qui
peut expliquer cette différence.
Nos résultats sont conformes à l’étude de Rudolph pour
la prédiction du risque d’apparition de signes anticholinergiques totaux avec les scores élevés (OR = 1,98, IC 95%
[1,19-3,28]), et une majoration du risque d’apparition du
risque d’apparition de signes anticholinergiques périphériques (OR = 1,81, IC 95% [1,19-2,75]).
Cependant nous n’avons pas pu, dans cette étude,
démontrer de majoration du risque d’apparition d’effet
anticholinergique central, notamment la confusion, avec
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Risque iatrogénique lié aux effets anticholinergiques
ces échelles malgré la présence majoritaire des signes
centraux présentés par les patients. En effet, 12 % des
patients présentaient une confusion (36 % dans la cohorte
issue de l’évaluation gériatrique et 12 % dans la cohorte
issue des soins primaires dans l’étude de Rudolph). Les
autres facteurs de risque comme la démence et les multiples comorbidités favorisent l’apparition de ces effets
indésirables médicamenteux à cause des fréquentes comédications à effets anticholinergiques, de la modification
du statut cognitif, des variations individuelles pharmacocinétiques et pharmacodynamiques qui accompagnent ces
états pathologiques [15].
Dans l’étude de Luukkanen et al., la prise de médicaments anticholinergiques ne permettait pas la prédiction
de l’apparition d’un syndrome confusionnel [16]. Une autre
étude récente [17] n’a pas observé cette association entre la
prescription de médicaments anticholinergiques et le risque
d’apparition d’une confusion chez des patients âgés en
utilisant une autre échelle de mesure de la charge anticholinergique de l’ordonnance : l’Anticholinergic cognitive
burden (ACB) list [17].
La confusion est une complication fréquente chez les
sujets âgés, sa prévalence varie de 1 à 56 % en fonction de
la population étudiée [18]. Parmi les patients institutionnalisés de l’étude de Luukkanen et al. [16], 80 % des patients
de l’étude prenaient de façon journalière des médicaments
anticholinergiques. Ces médicaments ne sont pourtant pas
recommandés chez les sujets âgés [19].
Les échelles ADS et ARS ont été élaborées à partir
de la mesure de l’activité anticholinergique sérique (AAS),
considérée comme la méthode de référence pour la quantification de la charge anticholinergique médicamenteuse.
En pratique quotidienne, le dosage de l’AAS n’est pas
réalisable et le coût de ce dosage reste élevé. Une des
limites de cette méthode est la difficulté à évaluer le passage de la barrière hématoencéphalique du médicament
anticholinergique et la question se pose donc du reflet
de l’AAS pour des effets secondaires centraux tels que
la confusion mentale. De plus, une activité anticholinergique endogène serait susceptible de diminuer ce seuil
de toxicité anticholinergique [20]. La contribution endogène à l’AAS, liée à une fièvre ou une infection plus qu’à
un syndrome confusionnel, probablement médiée par des
mécanismes de stress a été détectée [21] et cette activité reste essentiellement le reflet de l’AAS périphérique.
Dans une étude de Thomas et al. [22], l’AAS n’était pas
corrélée avec les paramètres électroencéphalographiques,
connus pour être affectés par l’action des anticholinergiques. Les niveaux de SAA ne différaient pas chez les
patients déments confus et chez les patients déments non
Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 10, n ◦ 1, mars 2012
confus, ce qui va à l’encontre de l’hypothèse d’une relation
entre SAA et confusion. Le SAA serait la résultante de propriétés anticholinergiques d’origine endogène et exogène,
agissant sur des cibles périphériques et centrales [22]. Il
apparaît donc que la seule notion de AAS ne peut pas être
le seul facteur à prendre en compte pour déterminer le
risque confusionnel en fonction de la charge anticholinergique d’un médicament et que d’autres facteurs tels que les
comorbidités cognitives (diminution du stock cholinergique
central, modifications de l’équilibre de neurotransmetteurs centraux dopamine/acétylcholine) doivent être pris en
compte.
Un des points forts de notre étude est le nombre de
patients : 1 379 patients étudiés versus 132 dans la cohorte
rétrospective et 117 patients dans la cohorte prospective de
Rudolph [14]. L’analyse a été réalisée de façon rétrospective
mais les données ont été recueillies de façon prospective.
Une validation des données était garantie à chaque étape
du séjour de chaque patient par un senior. Dans l’étude de
Rudolph, la collection des données était rétrospective pour
la cohorte issue de l’évaluation gériatrique.
Cette étude montre quelques limites. Le recueil prospectif des données de notre étude a pu omettre certains
symptômes mineurs car ils n’étaient pas recherchés
systématiquement, mais pas les symptômes anticholinergiques majeurs car l’examen clinique et l’interrogatoire des
patients se voulaient exhaustifs. De plus, certains signes
cliniques, comme la xérostomie ou la xérophtalmie, ont
été recueillis selon les plaintes des patients et ont pu être
sous-estimés chez les patients présentant une altération
des fonctions cognitives.
Conclusion
Les médicaments anticholinergiques sont responsables
de nombreux effets indésirables dans la population âgée.
Dans notre étude, les effets indésirables anticholinergiques
fréquemment rapportés étaient de types centraux : chutes,
asthénie et confusion. Dans la littérature, les anticholinergiques sont impliqués dans les chutes, l’altération des
fonctions cognitives, la confusion et contribuent à la perte
de fonctions cognitives. L’évaluation de l’impact des anticholinergiques est donc un enjeu majeur pour les sujets
âgés, d’autant plus qu’ils présentent des comorbidités cognitives.
Les deux échelles d’évaluation du risque d’apparition
d’effets indésirables anticholinergiques de Rudolph et de
Carnahan permettent une évaluation globale de la charge
anticholinergique d’une ordonnance. Si ces deux échelles
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A. Gouraud-Tanguy, et al.
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Points clés
• Les médicaments anticholinergiques sont des médicaments inappropriés chez le sujet âgé car ils sont
responsables de fréquents effets indésirables médicamenteux.
• Deux échelles ont été publiées : l’Anticholinergic drug
scale (ADS) et l’Anticholinergic risk scale (ARS), qui
évaluent la charge anticholinergique globale d’une ordonnance afin de prédire le risque d’apparition de signes
anticholinergiques périphériques et centraux chez les
sujets âgés.
• Aucune de ces échelles ne présente une performance
intrinsèque suffisante pour être utilisée en pratique.
• La charge anticholinergique issue de l’addition de plusieurs traitements anticholinergiques n’augmente pas la
performance de prédiction de survenue d’un événement
indésirable lié à l’effet anticholinergique.
ont permis de détecter un risque majoré d’apparition de
signes anticholinergiques totaux quasiment multiplié par 2,
la fiabilité de ces échelles reste à démontrer du fait de leurs
faibles caractéristiques intrinsèques.
Nous n’avons pas pu, dans cette étude, démontrer
l’intérêt de l’utilisation de ces échelles pour la détection du
risque d’apparition de signes anticholinergiques centraux,
notamment la confusion, un syndrome gériatrique fréquent
et potentiellement grave pour nos patients âgés.
L’intérêt du calcul de la charge anticholinergique totale
d’une ordonnance pour la prédiction du risque d’apparition
d’effets indésirables anticholinergiques reste à démontrer
à travers une étude prospective, prenant en compte les
comorbidités comme covariable d’ajustement du risque
d’effets indésirables en particulier pour le risque de confusion mentale.
Conflits d’intérêts : aucun.
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