L'exercice du pouvoir dans les régimes totalitaires, dans l'entre-deux-guerres À la faveur d'une situation politique troublée par les conséquences de la première guerre mondiale, une idéologie nouvelle apparaît en Italie (1922), mais aussi en URSS (1924-1928) et en Allemagne (1933) : le totalitarisme, dont la caractéristique principale est de chercher à contrôler l'ensemble de la société. Il est donc intéressant de se demander comment ces régimes politiques exerce le pouvoir pour parvenir à leurs fins. Nous verrons ainsi sur quelles bases ils sont établis, et quelles sont leurs pratiques politiques. A. Sur quelles bases ces régimes sont-ils établis ? 1. Une matrice commune : la violence • Italie : contexte révolutionnaire (nombreuses grèves) ◦ État incapable d'assurer l'ordre public ◦ favorise l'émergence de milices patronales et fascistes (combats violents contre les organisations politiques et syndicales de gauche : CGT…) : squadristi (Chemises noires) ◦ coup de force des Chemises noires : Marche sur Rome (22 octobre 1922) => le roi demande à Mussolini de former un gouvernement (30/10/1922) • Russie : ◦ devient URSS en 1922 ◦ mort de Lénine (21/1/1924) : lutte pour sa succession entre ▪ Staline : secrétaire général du Comité central du PC (1922) : main-mise sur le parti et ses cadres ▪ Trotski : chef de l'Armée rouge (vainqueur de la guerre civile), très proche de Lénine, mais exclu du PC en 1927, puis exilé en 1929 • Allemagne : ◦ développement de partis nationalistes, dont le NSDAP (parti nazi), qui n'acceptent la dégradation de l'Allemagne ◦ soutien des milieux d'affaires et de l'armée ◦ crise de 1929 : ▪ important chômage, qui favorise la progression des partis extrémistes : parti nazi à l'extrême droite, et le parti commu niste (KPD) à l'extrême gauche ▪ rivalité violente entre ces deux formations lors des campagnes électorales (recours à leurs milices paramilitaires ar mées : SA, Front rouge) => Hitler appelé à la Chancellerie par le président Hindenburg (30/1/1933) pour rétablir l'ordre 2. Des ennemis objectifs • Stalinisme : ◦ éliminer le capitalisme sous toutes ses formes : lutte contre les paysans enrichis (koulaks) ◦ élimination des opposants : Trotski, mais aussi les anciens bolcheviques (qui ont fait la Révolution de 1917 et disposent d'une forte légitimité historique, contrairement à Staline) • nazisme et fascisme : ◦ violemment opposés au communisme, qui développe également une idéologie universaliste : recours à des provocations pour éliminer les communistes (incendie du Reichstag, 1934) ◦ soutien des milieux d'affaires • nazisme : ajoute une conception raciale du monde ◦ vision hiérarchisée de l'humanité : race des seigneurs jusqu'aux sous-hommes ◦ exploitation des races inférieures : Slaves, Latins… ◦ élimination des races parasites : Tziganes, Juifs (associés au communisme pour détruire le monde)… ◦ Mussolini : adopte l'antisémitisme à partir de son rapprochement avec Hitler (1936), tout en restant moins virulent 3. La mise en place d'un pouvoir absolu • Italie : mise en place relativement longue ◦ 30 octobre 1922 : gouvernement de coalition (ministres fascistes minoritaires) ◦ 1925 : assassinat du député socialiste Matteoti (principal opposant) revendiqué par Mussolini pour paralyser toute opposi tion politique ◦ 1926 : lois fascistissimes ▪ fin de la liberté de la presse ▪ interdiction des partis politiques et des syndicats ▪ police politique : OVRA (Organizzazione di Vigilanza e Repressione dell'Antifascismo : Organisation de vigilance et de répression de l'antifascisme) ◦ années vingt : Mussolini conçoit le terme de « totalitarisme » (« Tout est dans l'État ») : direction de l'ensemble de la vie so ciale par l'État et un parti unique • Allemagne : ◦ 23/3/1933 : pleins pouvoirs à Hitler (comme en Italie) ◦ 30/6/1934 : Nuit des longs couteaux (épuration du parti nazi avec liquidation des chefs SA : éventuelle menace) • URSS : ◦ élimination de Trotski puis des « anti-révolutionnaires » ◦ grands procès de Moscou (août 1936-mars 1938) : élimination complète des opposants, avérés ou non, notamment les an ciens bolcheviques (légitimité historique). Violence : élément essentiel de ces régimes B. Quelles sont les pratiques de pouvoir totalitaires ? Exercice du pouvoir avec des pratiques plus ou moins voisines 1. Le chef, le parti, l'État • un chef : ◦ conçu comme un guide à la tête de la société : ▪ Führer, Duce : conducteur, guide à suivre ▪ Staline : chef (Vojd), « grand guide des peuples » : vision plus paternelle, mais qui implique un peuple-enfant, mineur, que le père (détenteur de l'autorité) doit conduire sur la voie de l'autonomie ◦ concentration du pouvoir dans un personnage : le dictateur, source de toute légitimité ◦ système très hiérarchisé, pyramidal ◦ culte de la personnalité, objet d'une propagande omniprésente => pouvoir personnel • appui du chef sur un parti unique, monopolistique ◦ partis de masse : ▪ PCUS : environ 2 millions de membres ▪ parti nazi : entre 5 et 7 millions ▪ PNF : entre 600 000 et 2,6 millions ◦ parti souvent confondu avec l'État : ▪ PCUS (pouvoir réel) en parallèle de l'État ▪ Allemagne : plus de réunion du gouvernement à partir de 1938 ▪ Italie : gouvernement remplacé par le Grand Conseil fasciste => emprise personnel du dictateur 2. Un contrôle plus ou moins étroit de l'économie • Allemagne, Italie : contrôle inégal ◦ maintien du secteur privé ◦ mais contrôle par le régime : attribution des matières premières, de la main-d'œuvre selon les priorités de l'État ▪ volonté d'aller vers une large autonomie (autarcie) dans le cadre d'une économie de guerre • plan quadriennal (1936-1940) allemand pour bâtir une armée puissante • Italie : « batailles » (blé 1935…) pour réduire les importations • contrôle encore plus important en URSS : instauration d'une économie socialiste (1929), avec les plans quinquennaux autoritaires (éta blissent des normes de production) ◦ priorité : industrialisation ◦ collectivisation des moyens de production : ▪ abolition de la propriété privée, remplacée par des coopératives (kolkhozes, dans le domaine agricoles) ▪ confiscation de la terre des koulaks (déportations, fusillades…) • résultats : inférieurs aux espérances ◦ Allemagne, Italie : priorité à l'économie de guerre, mais ▪ réduction de la production des biens de consommation (en dehors de quelques cas emblématiques : Volkswagen) ▪ baisse du niveau de vie des populations ▪ pénurie pour certains produits ◦ URSS : ▪ désorganisation de l'économie : faible production de biens de consommation ▪ désorganisation de la production agricole à cause des réquisitions : famines (Ukraine, Kazakhstan, Caucase, 1931-33 : 6 millions de morts) => violence qui concerne donc également le domaine économique 3. Des populations dominées • répression permanente exercée par les polices politiques : ◦ Gestapo ◦ OVRA ◦ NKVD • oppression qui touche des groupes particuliers : ◦ URSS : koulaks (1929-1931), opposants présumés (notamment les anciens compagnons de Lénine, porteurs d'une légitimi té historique) : Grands procès de Moscou (1936-1938 : 750 000 morts, 800 000 déportés) ◦ Allemagne : ségrégation des juifs en Allemagne : législation spécifique (lois de Nuremberg : véritable « mort civile ») • camps d'internement : ◦ goulags : Sibérie, régions polaires… (7 millions de déportés sous le pouvoir de Staline) ◦ bagnes fascistes des îles Lipari (« Sibérie de feu ») ◦ camps de concentration nazis dès 1933 (Dachau) • encadrement permanent de la population, conçue comme une « masse » indistincte ◦ propagande incessante : radio, affiches, cinéma… ◦ censure totale : production culturelle, courrier… ◦ organisations d'encadrement : ▪ organisations de loisirs : clubs d'usine soviétiques, Kraft durch Freude, Dopolavoro (Opera nazionale Dopolavoro) ▪ organisations de travail (corporatisme fasciste et nazi : Arbeitsfront, Arbeitskorps) ▪ attention particulière à la jeunesse : Komsomols, Balillas, Jeunesses hitlériennes => but : forger un homme nouveau, totalement voué au régime Conclusion • • • Négation complète de l'individu : projet totalitaire en contradiction complète avec les principes démocratiques Violence : étroitement associée à ces régimes ◦ tous nés dans un contexte de violence ◦ prise du pouvoir dans la violence, même s'il y a parfois une apparence légale (appel à Mussolini et Hitler pour prendre la tête du gouvernement) ◦ exercice du pouvoir reposant totalement sur la contrainte => populations des pays concernés : premières victimes de ces régimes néanmoins, pouvoir qui ne peut pas contrôler la société dans sa totalité : existence de formes de résistances individuelles et collectives qui marquent les limites de cette emprise, malgré les risques très importants