VERS UNE NOUVELLE ÉCONOMIE DES SERVICES PUBLICS DURABLES Caroline Gauthier et Benoît Meyronin Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.29.200 - 16/04/2013 12h46. © Management Prospective Ed. 2013/1 - N° 59 pages 13 à 34 ISSN 1768-5958 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-management-et-avenir-2013-1-page-13.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Gauthier Caroline et Meyronin Benoît, « Vers une nouvelle économie des services publics durables », Management & Avenir, 2013/1 N° 59, p. 13-34. -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Management Prospective Ed.. © Management Prospective Ed.. 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Management Prospective Ed. | Management & Avenir par Caroline Gauthier2 et Benoît Meyronin3 Résumé Cette contribution vise à analyser, à travers quatre études de cas, la dimension « développement durable » d’innovations de service prenant appui sur des formes originales de partenariat public-privé. Ces innovations présentent la caractéristique de rechercher certaines formes d’équilibres entre territoires, entre populations ou encore entre modes de déplacement. Il semble donc légitime de questionner leur contenu « durable » pour avancer quelques hypothèses concernant les rapports qu’entretiennent l’économie des services et le développement durable. Nous avançons alors l’hypothèse selon laquelle ce contexte partenarial serait particulièrement propice au développement d’innovations tertiaires durables, que l’implication des parties prenantes est un facteur clé de succès de l’innovation de service – et invitons ainsi les décideurs à s’inscrire dans ce type de partenariats pour développer ces nouveaux services durables. Abstract This contribution aims to analyze, through four case studies, the “sustainable development” dimension of service innovations built on original forms of publicprivate partnership. These innovations have the characteristic to seek some form of balance between territories, between people and between modes of travel. It therefore seems legitimate to question the content ‘sustainable” to advance some assumptions about the relationship of the service economy and sustainable development. We advance the assumption that while this partnership context would be particularly conducive to the development of sustainable tertiary innovations, the involvement of stakeholders is a key success factor of innovation in service – and invite decision makers to subscribe to such partnerships to develop these new sustainable services. On peut observer que la coopération en matière d’innovation semble s’engager vers des formes sans cesse plus « ouvertes » (Chesbrough, 2003) impliquant, de manière croissante, acteurs publics et privés, firmes innovantes et « destinatairescoproducteurs », ou Lead User dans la terminologie de von Hippel (2005). Une 1. Des versions antérieures de cet article ont fait l’objet d’une communication lors du XIVème congrès de l’AIMS sous le titre « Nouveaux services publics et développement durable : Une analyse exploratoire à travers quatre études de cas » et d’un dépôt dans les cahiers de recherches du CERGAM –IAE Aix en Provence en 2008 sous le titre « Nouveaux services publics et développement durable : Une analyse exploratoire ». 2. Caroline Gauthier, Grenoble Ecole de Management, [email protected] 3. Benoît Meyronin, Grenoble Ecole de Management, Institut ServiCité, Académie du Service, [email protected] 13 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.29.200 - 16/04/2013 12h46. © Management Prospective Ed. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.29.200 - 16/04/2013 12h46. © Management Prospective Ed. Vers une nouvelle économie des services publics durables1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.29.200 - 16/04/2013 12h46. © Management Prospective Ed. telle évolution implique, dans les activités de service, la mobilisation de modes de coordination complexes (Genet et Meyronin, 2007). Dans la mesure où ces modes de coordination semblent se manifester de manière croissante et sous des formes souvent inédites, c’est plus particulièrement à des formes d’interactions public-privé en matière d’innovation de service durable que nous allons nous intéresser ici, dans une optique exploratoire. La question de recherche traitée ici est : Quelles sont les dimensions favorisant l’émergence et la performance des « nouveaux services publics durables » ? Acteurs publics et entreprises de services mettent en œuvre en effet, sous des formes diverses, des modalités de coopération conduisant à des innovations de « service public » ayant, de facto (c’est la raison même de l’implication des pouvoirs publics), un impact recherché sur les territoires. Cet impact peut être de nature écologique, marketing (au sens du rayonnement du territoire) et/ou socioéconomique. En d’autres termes, innovations de service et innovations urbaines, développement durable et marketing des territoires s’entrecroisent aujourd’hui de façon croissante. Or, ces innovations viennent bouleverser les pratiques au service d’un renouvellement des questions de l’espace urbain, de la mobilité… et, pour ce qui nous concernera ici, du développement durable. Car, parmi toutes les dimensions qu’elles révèlent, la préoccupation en matière de développement durable semble bien être présente. A ce niveau, il n’est pas anodin de remarquer que l’économiste le plus emblématique de la tertiarisation des économies développées, Jean Fourastié, a pu faire part des préoccupations qui furent les siennes en matière environnementale à maintes reprises, et ce bien avant que le terme de développement durable ne fasse son apparition (Chamoux, 2008). Certes, notre questionnement n’est pas nouveau si l’on considère certains domaines de l’action publique. L’organisation systémique de la collecte et du retraitement des déchets ménagers (le dispositif Eco-emballage) témoigne d’une certaine avance de la France dans ce domaine, comme de l’efficacité des partenariats public-privé sous-jacents au service du développement durable (dans sa composante environnementale). Mais force est de reconnaître que cette dynamique a connu ces dernières années une accélération et qu’elle adresse aujourd’hui de larges pans de l’action publique (dans nos cas : les transports, la solidarité et la vie sociale des quartiers) et, de surcroît, qu’elle implique des arrangements entre acteurs publics et privés qui empruntent des voies nouvelles, notamment celles du développement durable. Démarche Nous avons opté pour une méthode qualitative afin de pouvoir récolter des données riches et détaillées (Weinreich, 1996). Le champ du développement durable et de la RSE demeurant encore exploratoire, nous nous inscrivons ainsi dans le sillage 14 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.29.200 - 16/04/2013 12h46. © Management Prospective Ed. 59 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.29.200 - 16/04/2013 12h46. © Management Prospective Ed. de travaux complémentaires ayant adopté le même parti pris méthodologique (Asselineau et Cromarias, 2011). Quatre cas ont été sélectionnés, ce qui se justifie lorsque l’on cherche à préciser une notion théorique (Eisenhardt, 1989) : – le Vélo’v, service de location de vélo en libre-service en zone urbaine, porté initialement par la société JC Decaux et le Grand Lyon et déployé depuis au niveau international ; – Autolib’, service de location de véhicules en libre-service en zone urbaine, développé dans l’agglomération lyonnaise (et déployé à Paris depuis décembre 2011) ; – les PIMMS, ou Points information médiation multiservices, lieux de services proposant une nouvelle forme de proximité et d’intermédiation entre des clients ayant des difficultés et des entreprises assurant des missions de service public ; – Le Petit Viscose, concept d’espace multiservices de proximité pour le grand public, développé dans la région grenobloise en interaction avec des municipalités. Ces cas sont complémentaires du fait de la variété des domaines et des partenariats qu’ils couvrent. Nous avons retenu des cas rhônalpins, (pour des motifs de praticité) ayant toutefois un rayonnement national (dispositif reproduit ou déployé au moins au niveau national). Ils concernent des services à vocation publique, d’intérêt général, dans des domaines variés : mobilité, services de proximité et services de médiation, ce qui permet de prendre en compte la dimension sociale des services. Leur diversité, comme les acteurs qui y sont engagés (des firmes multinationales telles que J.-C. Decaux, Lyon Parc AutoLPA- et Accor, des dispositifs nationaux tels que les PIMMS, des collectivités de tailles diverses [le département de l’Isère, les villes de Lyon ou d’Echirolles], etc.), garantissent une certaine représentativité. De plus, soit les porteurs de projet et/ou les observateurs du champ médiatique ont explicitement positionné ces réalisations dans le champ du développement durable (Vélo’v, Autolib’ et PIMMS), soit nous avons considéré qu’ils pouvaient relever d’une telle démarche (Petit Viscose), du fait des acteurs engagés et des objectifs poursuivis par la collectivité. Nous nous fondons sur une observation directe (visites répétées des sites, recueil d’informations, etc.), sur la réalisation de 15 entretiens semi-directifs avec les porteurs (Tableau 1) de ces différents projets (pour chacun, l’entreprise versus la collectivité), ainsi que sur une revue de la littérature et de la presse économique et spécialisée (Libération, Les Echos, Grand Lyon magazine, Présences, Acteurs de l’Economie). Chaque entretien a duré entre 40 minutes et deux heures. Deux sessions d’entretiens ont été réalisées, l’une entre 2005 et 2008, l’autre en 2012, ce qui a permis de suivre la dynamique des projets. 15 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.29.200 - 16/04/2013 12h46. © Management Prospective Ed. Vers une nouvelle économie des services publics durables Personnes interviewées Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.29.200 - 16/04/2013 12h46. © Management Prospective Ed. Partenaire privé Vélo’v Autolib’ - Dir. Régional de J.-C. Decaux - J. Dumont, Directeur de la communication du Grand Lyon Partenaire public - E. Arlot, Cabinet du Président du Grand Lyon - C. Richemont, responsable du Pôle Marketing Public, Grand Lyon - P. Le Goff, président de l’Association des usagers d’Autolib’ PIMMS Le Petit Viscose - R. Pouyet, ex-chargé de développement (avant 2008) - Gérante du site - R. Bourgeat, Responsable du développement à l’Union des PIMMS (après 2008) - F. Gindre, D.G. Lyon Parc Auto - TER Bourgogne (SNCF) - C. Giraudon, Directrice marketing - J.-P. Farandou, Président de l’union nationale des PIMMS - V. Girod-Roux, Dir. marketing et commercial Korus ; - C. Marcolin, Fondateur et PDG, Korus - Renzo Sulli, Maire d’Echirolles ; - A. Perfetti, ex-Président de l’Association des habitants de La Viscose Tableau 1 : liste des personnes interviewées Les questions du guide d’entretien portent sur la description du service, sa performance durable, ses conditions d’émergence, en particulier les motivations et modalités du partenariat public-privé à l’origine de l’innovation de service, et son fonctionnement, ainsi que les évolutions sur la période 2008-2012 (voir Tableau 2). Description du service ? Histoire de la création du service ? Objectifs lors de la création du service ? Différentes parties prenantes impliquées dans la création du service ? Différentes parties prenantes impliquées dans la servuction (système de production du service) ? Performance économique ? Performance environnementale ? Performance sociale ? Création de « sens » ? Evolution depuis 2008 ? (pour les entretiens réalisés en 2012) Evolution prévue ? Facteurs clés de succès du partenariat public-privé ? Limites rencontrées ? Tableau 2 : Guide d’entretien (extraits) Les entretiens ont été intégralement retranscrits et les analyses de contenu (Yin, 1994) ont été réalisées à partir de ces documents et des extraits de presse. Nous avons recueilli ainsi environ 320 verbatim (sélection de verbatim ci-après). Une première analyse textuelle a permis de faire émerger le cadre général de 16 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.29.200 - 16/04/2013 12h46. © Management Prospective Ed. 59 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.29.200 - 16/04/2013 12h46. © Management Prospective Ed. la création de service et certaines dimensions durables. Une seconde analyse, par entretien, a permis de comprendre les motivations des porteurs de projet, la construction des partenariats et d’approfondir la compréhension des dimensions durables de ces services. La deuxième période d’enquête, réalisée en 2012, a permis de questionner la stabilité des performances économique, sociale et environnementale dans le temps. Cas Extraits Vélo’v - « Le développement durable figure clairement parmi les grands axes de la stratégie de communication du Grand Lyon, et le Vélo’v en est l’un des piliers. C’est l’une de nos plus belles preuves ! » ; - Lyon est ainsi devenue la « première communauté urbaine dotée du plus grand nombre de vélos en libre-service au monde » ; - « Je viens du privé, du monde des agences de communication. Nous avons adopté pour Vélo’v les mêmes outils et les mêmes démarches que pour le lancement d’un nouveau service. C’est ce qui explique aussi, je crois, sa réussite » ; - « Travailler avec J.-C. Decaux a été très facile, ils ont l’habitude de collaborer avec les collectivités locales » ; - « Les finances publiques ne pourraient pas assumer le coût du Vélo’v : le partenariat public/privé trouve ici toute sa justification » ; Autolib’ - « La SEM s’intéresse à l’autopartage depuis plusieurs années. Cet intérêt s’est traduit en 2003, par un partenariat entre Lyon Parc Auto (LPA) et l'association La Voiture Autrement (LVA)…ce qui a conduit à un transfert d'activité de l'association vers LPA le 1er janvier 2008 » ; - « Tout est en expérimentation à Lyon : le modèle économique, les technologies, les usages, ect. » ; - « Nous avons travaillé avec les TCL pour bien connecter nos stations avec celles du métro, du tram » ; - « Les résultats sont flagrants, nous avons eu des retombées en termes d’image qui sont sans équivalent. Lyon est maintenant perçue comme une métropole qui compte sur les questions de mobilité douce » ; PIMMS - Cette innovation trouve sa source… « alors qu’éclatent dans l’agglomération lyonnaise les émeutes de Vaulx-en-Velin (1993) » ; - « mettre en place un nouvel outil de proximité » ; - « Notre métier, c’est d’assurer une présence sur des territoires sensibles et de constituer une interface entre des populations fragiles et des fournisseurs de services publics » ; - « En matière de financement, 50% du budget provient de fonds public. L’Etat, avec les dispositifs d’emplois aidés : contrats de ville, CEJ et politique de la ville. Les collectivités locales apportent aussi leur soutien. Pour les villes, ça prend la forme de subventions, de mise à disposition de locaux… ». - « Le PIMMS leur permet de remplir leurs obligations de service public, ce qui est coûteux pour elles. Il s’agit donc d’un outil qui commence à être perçu comme stratégique du fait de leur obligation de présence sur un territoire, car nous leur proposons une solution à un coût de fonctionnement acceptable » ; - « C’est rentable pour nos partenaires privés parce que nous mutualisons les coûts, et parce que la collectivité s’associe à leurs efforts de réimplantation dans les quartiers » ; - « Les PIMMS se situent bien entre une logique économique (43% des financements d’un PIMMS en 2011) et une logique territoriale, les besoins des habitants les plus fragiles. » 17 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.29.200 - 16/04/2013 12h46. © Management Prospective Ed. Vers une nouvelle économie des services publics durables Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.29.200 - 16/04/2013 12h46. © Management Prospective Ed. Le Petit Viscose - « Beaucoup pensent que « La Viscose, c’est mort depuis longtemps » ; - « Certaines personnes viennent même pas pour acheter, juste pour être là, parce que c’est vivant » ; - « A côté, il y a la salle de l’association du quartier » ; - « Il y a l’aide au devoir » ; - « Deux animateurs racontent des histoires aux enfants » ; - « C’est une association, donc pas les mêmes impôts » ; - « La promo est assurée par la mairie » ; - « Concourt à l’humanisation du quartier » ; - « Tissu relationnel et chaleureux » ; - « C’est super pour l’organisation de la vie de quartier » Tableau 3 : Verbatim (sélection) Après avoir rappelé la notion de développement durable et proposé une définition de ce que peut être un « service durable », nous nous intéresserons donc à ces quatre cas d’innovations de service « public » qui ont, toutes, un impact a priori sur tout ou partie des composantes du développement durable. L’examen de ces cas vise à révéler les motivations des promoteurs des projets, à préciser la nature des arrangements entre acteurs publics et privés, ainsi que la dimension durable de ces nouveaux services. Nous consacrons un premier point à notre cadre théorique. Nous y définissons les notions de développement durable, de service durable et de partenariats public/ privé. Un second point sera dédié à la présentation des études de cas. Une discussion permettra, pour finir, de formuler des hypothèses et de questionner les résultats autant que les limites de cette recherche. 1. Services et développement durable : un premier état des lieux 1.1. Le développement durable Bansal (2002) fait une synthèse des nombreuses définitions proposées dans la littérature et situe le développement durable à l’intersection de trois principes fondamentaux : -- « un principe économique qui requiert une utilisation raisonnée des ressources, sans menacer pour autant l’avenir des générations futures ; -- un principe environnemental qui spécifie que la société civile doit protéger ces ressources ; -- un principe social qui indique que chacun doit être traité avec équité ». Le développement durable semble s’imposer comme la représentation dominante d’une nouvelle logique du développement économique et social, voire comme un 18 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.29.200 - 16/04/2013 12h46. © Management Prospective Ed. 59 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.29.200 - 16/04/2013 12h46. © Management Prospective Ed. « nouveau paradigme » managérial (Lauriol, 2004). Sa mise en œuvre consiste à adopter une stratégie de progrès visant tant la performance économique, que la performance environnementale et sociale (Elkington, 1997). En France, la mise en œuvre d’une politique de développement durable doit beaucoup au rôle moteur de l’Etat. Si la déclinaison du dispositif « Agenda 21 » par les différentes collectivités territoriales est encore très inégale, l’intégration des clauses sociales (en faveur de l’insertion notamment) et environnementales dans le nouveau Code des Marchés Publics témoigne, pour ne signaler que ce levier, de l’engagement structurant de l’Etat en la matière. En incitant, via la commande publique (10% du PIB), les territoires à promouvoir de nouvelles pratiques de gestion, l’Etat contraint par la même occasion les entreprises à innover dans le sens du développement durable. L’actuel gouvernement, au travers du « Grenelle de l’environnement », a inscrit son action dans la continuité de celle de ses prédécesseurs en instituant de nouvelles règles et en lançant de nouvelles réflexions (taxe carbone, etc.). Mais ce sont néanmoins les villes et plus généralement les collectivités locales qui sont, de façon croissante, au cœur des stratégies territoriales en matière de développement durable (Hernandez et Keramidas, 2006). 1.2. Le « service durable » : de la préoccupation environnementale à l’enjeu social Si l’on cherche maintenant à faire le lien entre le développement durable et son implication pour les métiers de service, que peut-on dire ? D’abord, il convient de souligner la rareté des recherches menées sur ce sujet. Le livre de F. Mayaux (2005), qui consacre à cette question l’un de ses chapitres, n’en est que plus précieux, de même que l’ouvrage collectif issu d’un colloque de Cerisy et coordonné par E. Heurgon et J. Landrieu (2007). Dans ce dernier livre, c’est la contribution de J. Lauriol qui s’intéresse le plus à cette question du développement durable et de son rapport avec l’économie des services. En particulier, le concept « d’écosystème »4 qu’il met en avant semble bien s’appliquer aux différents cas que nous présentons et analysons dans notre recherche. Ces nouveaux dispositifs de services à « résonance durable » se structurent en effet sous la forme d’écosystèmes public-privé qui se constituent de façon ad hoc. Ensuite, et compte tenu de l’intangibilité de leurs prestations, les prestataires de service n’ont pas toujours conscience des enjeux sociaux et surtout environnementaux de leurs activités. Or, de nombreuses activités de services ont un impact environnemental. Pour exemples : les activités de transport sont génératrices de gaz à effet de serre, et sont parmi les plus polluantes des activités humaines ; les activités de nettoyage industriel engendrent de fortes pollutions ; 4. Qu’il définit comme suit : « l’ensemble des relations qui regroupe des organisations hétérogènes autour de ressources et d’une activité communes » (p. 259). 19 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.29.200 - 16/04/2013 12h46. © Management Prospective Ed. Vers une nouvelle économie des services publics durables Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.29.200 - 16/04/2013 12h46. © Management Prospective Ed. certaines formes de tourisme ont un impact non négligeable sur la faune et la flore locales, etc. Mais une prise de conscience est néanmoins présente chez un nombre croissant de prestataires. De nombreuses enseignes en ont fait ainsi une composante stratégique de leur communication et de leur action au quotidien : Eléphant Bleu, dans le domaine du lavage auto (autour de la gestion de l’eau naturellement), en est une bonne illustration, de même que les hôtels ibis (en cours de certification ISO 14001, et donc engagés dans une meilleure gestion des déchets et des consommations d’eau et d’énergie). D’autres testent de nouveaux modèles, comme Monoprix et son concept de magasin vert (le « citymarché idéal », un magasin HQE). A un autre niveau du développement durable, les activités de services ont également un impact social. Elles constituent souvent le premier employeur sur un territoire donné. A l’exception des services distants, les éléments « personnel en contact » et « client » du système de servuction, impliquent une proximité sociale et donnent vie à un territoire. De plus, les caractéristiques de l’emploi tertiaire sont également à appréhender : comme le souligne un rapport de la DARES et du CAS5, « la tertiarisation de l’économie a été fortement portée par les femmes ». En effet, les femmes occupent une large majorité (plus de 60%) des emplois dans les métiers de service, contre seulement 37% de l’encadrement (dans la banque-assurance par exemple), voire 28% dans la vente, le commerce et l’hôtellerie (Meyronin et Ditandy, 2007). Dans la littérature la perspective durable à proprement parler n’est traitée que partiellement, dans la mesure où les travaux font la part belle à la dimension environnementale (Rotenberg, 2007). Les analyses sectorielles semblent confirmer cette focalisation sur la dimension environnementale, comme le montre par exemple le cas des tours opérateurs : « Notons que plus que toute autre question, c’est la problématique écologique qui est la porte d’entrée » (BéjiBécheur et Bensebaa, 2009, p. 40). Les travaux négligent donc cette dimension sociale, à l’exception de rares travaux (Enquist et al., 2007 ; Ernult et Ashta, 2008). Cette dernière dimension est pourtant essentielle lorsque l’on s’intéresse à des métiers qui restent les principaux pourvoyeurs d’emplois dans les pays développés, des métiers dont on a eu de surcroît l’occasion, dans cet ouvrage, d’évoquer les « fragilités ». Le cas de Wal-Mart est ainsi emblématique de ce virage vers le Green Business6 qui oublie d’associer à cette préoccupation environnementale une sensibilité plus sociale, pourtant bien en phase avec les principes du développement durable. Le modèle économique et social de cette entreprise de services est en effet fortement critiqué (Lichtenstein et Strasser, 2009). 5. http://www.strategie.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_metiers_2015.pdf 6. Sur le cas de cette entreprise et de sa « conversion » au Green Business, cf. notamment l’enquête réalisée par le quotidien Les Echos dans son édition du 2.10.2009. 20 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.29.200 - 16/04/2013 12h46. © Management Prospective Ed. 59 Vers une nouvelle économie des services publics durables Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.29.200 - 16/04/2013 12h46. © Management Prospective Ed. Il convient de s’intéresser ici à la notion « d’économie de la fonctionnalité », dans la mesure où elle peut être articulée au concept de développement durable et à l’économie des services (Heurgon et Landrieu, 2007). Cette notion désigne la production et la vente de « solutions globales » dont l’aspect fonctionnel repose sur un usage intégré de biens d’équipements et de services associés. « Il s’agit ainsi de passer de la vente d’un produit dont on suppose les qualités d’usage, ou d’un service dont on suppose l’effet, à la vente d’une prestation mobilisant de manière intégrée des produits et des services afin de répondre le plus efficacement possible à une attente en termes d’effets systémiques que produit la solution. Cette offre de « nouvelle fonctionnalité » s’opère au regard d’engagements quant à la progression de la performance de la réponse, intégrant souvent des critères relevant du développement durable » (C. du Tertre, Ibid., p. 243). En somme, il s’agit de vendre de la performance plutôt que des produits ou même des couples produit/service. Ces offres incluent en effet des engagements en matière de performance (rendus possibles par les « gains/économies d’intégration »). Elle repose également sur une coproduction forte avec le client et sur un renoncement à la propriété des biens d’équipements. Le client renonce toutefois à « l’autoproduction » du service mobilisant l’usage du bien, puisqu’il confie la responsabilité de cette production à un prestataire. Le développement de ces offres conduit à un bouleversement des frontières entre activités : plusieurs anciens secteurs sont en effet regroupés et remodelés, permettant ainsi une production centrée sur un besoin fondamental : la gestion de la « mobilité », de « l’énergie », de la « santé »… Jacques Lauriol (Ibid., pp. 257-271) insiste lui sur le fait que les offres sousjacentes reposent généralement sur la mise en place « d’écosystèmes serviciels » complexes dans lesquels un opérateur « provideur » joue le rôle d’intégrateur global, de chef d’orchestre. « Il s’agit de mettre en place un système serviciel qui permettra d’intégrer biens et services pour délivrer des capacités d’usage » (p. 262). Pour illustrer son propos, J. Lauriol prend l’exemple de Michelin7 qui, « plutôt que des pneumatiques… propose maintenant la vente de solutions pneumatiques au kilomètre parcouru » (p. 260). In fine, il s’agit bien ici de sortir « de la société de consommation, dans laquelle le bien-être est lié à la propriété d’un bien plutôt qu’à la possibilité de bénéficier 7. Les engagements de Michelin sont chiffrés et rendus possibles par des innovations technologiques et la gestion intégrée du parc de pneus. On voit alors clairement les gains économiques, humains et environnementaux qui sont contractuellement associés à ce mode de gestion : gestion préventive de l’usure des pneus (éviter les incidents et leurs conséquences : sécurité des chauffeurs, continuité du service…), réduction de la consommation énergétique : -6% de consommation pour les pneus Energy, -5% pour le pneu X-One (monté seul sur un essieu en lieu et place des 2 pneus généralement montés…), recyclage des pneus en fin de course, enfin, globalement, cette offre permet d’augmenter la durée de vie d’un pneu d’un facteur de 2,5, soit 20 pneus neufs au lieu de 64 tout au long de la durée d’utilisation d’un camion. 21 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.29.200 - 16/04/2013 12h46. © Management Prospective Ed. 1.3. Du produit au service : l’innovation par la « servicisation » comme levier du développement durable Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.29.200 - 16/04/2013 12h46. © Management Prospective Ed. des usages que l’on peut en retirer » (p. 270) et d’intégrer par ce biais des contraintes liées explicitement ou non au développement durable. Les niveaux de performance recherchés, qui sont contractualisés, sont en effet une manière d’apporter des réponses plus durables que les pratiques antérieures, dans la mesure où ils visent explicitement une moindre consommation du bien à proprement parler. En empruntant des voies complémentaires à la notion d’économie de la fonctionnalité, la littérature académique établit ainsi que le passage d’une offre de produits à une offre de services permet de réduire l’impact environnemental induit, tout en créant une valeur supplémentaire pour le client (DeSimone et Popoff, 1997). Elle traite assez largement du concept « d’éco-efficacité », défini par le World Business Council for Sustainable Development dans les services8 : l’éco-efficacité permet de « délivrer des biens et services compétitifs, qui satisfont les besoins humains et apportent de la qualité de vie, tout en réduisant les impacts environnementaux et l’intensité des ressources tout au long du cycle de vie, à un niveau en phase avec la capacité de la planète terre » (p. 47). L’objectif des services éco-efficaces est donc d’accroître la valeur d’un service tout en faisant décroître la composante matérielle et énergétique du mix produit-service. Les services sont ainsi perçus comme un relais efficace de croissance « durable » pour les industriels, capables de les aider à innover dans le sens d’une meilleure protection de l’environnement : l’exemple de Xerox apparaît alors comme un cas paradigmatique (Rothenberg, 2007), ou comment passer de la vente de photocopieurs à des services de gestion documentaire « durables », pour lesquels l’entreprise partage avec ses clients un enjeu commun d’optimisation des moyens matériels nécessaires à la fourniture de sa prestation. Nous venons d’examiner ce que recouvrait la notion de développement durable, ainsi que ses implications dans le domaine des services et des « écosystèmes serviciels ». Dans ce cadre, un service « durable » peut être défini comme suit : il s’agit d’une prestation de service pour laquelle les opérateurs concernés respectent les principes environnementaux et sociétaux du développement durable, et parviennent donc, à des degrés divers, à faire converger les performances économiques, sociales et environnementales. Ces principes peuvent être mis en œuvre, en tout ou partie, à deux niveaux : -- au niveau de la servuction, c’est-à-dire du système de production du service, voire de l’écosystème serviciel nécessaire à la coproduction du service. Lorsqu’Ikea travaille sur la venue de ses clients par le biais des transports en commun, l’entreprise vise à modifier le comportement de ces derniers et donc leur participation. En choisissant de faire construire ses magasins selon les normes HQE, Monoprix opte pour un support physique durable. 8. Cf. la revue de littérature dans van der Zwan et Bhamra (2003). 22 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.29.200 - 16/04/2013 12h46. © Management Prospective Ed. 59 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.29.200 - 16/04/2013 12h46. © Management Prospective Ed. -- au niveau de l’output, du résultat : dans nos études de cas, nous avons privilégié les résultats visés (promouvoir des formes d’équité entre citoyens, territoires…) aux conditions de réalisation des services. Nous avons précisé les différentes notions que nous allons articuler dans cette recherche pour décrire et analyser l’émergence et la performance de « nouveaux services publics durables », c’est-à-dire des services qui sont situés de façon innovante – dans leur objet et dans l’arrangement mis en œuvre – à l’interface des sphères publique et privée, et qui devraient donc, pour être durables, remplir des objectifs sociaux et environnementaux, en plus de la valeur qu’ils sont censés créer, de leur raison d’être. 2. Etude empirique La première de nos études de cas est celle du Vélo’v. Issue d’une collaboration étroite de JC Decaux avec le Grand Lyon, cette innovation illustre cette dynamique associant acteurs publics et privés au service des usagers de la ville. Vélo’v, favoriser la mobilité urbaine par des vélos partagés Du mobilier urbain à la mobilité urbaine. J.-C. Decaux est le leader mondial du mobilier urbain, de la publicité dans les aéroports et de la publicité grand format. Le groupe développe dans les années 2000 un nouveau concept de déplacement urbain individuel, le Cyclocity®, rebaptisé Vélo’v à Lyon. Environ 4000 vélos sont disponibles en libre-service, 7 jours sur 7 et 24h sur 24 dans plus de 340 stations dans les villes de Lyon et Villeurbanne. Le dispositif repose sur un partenariat entre le Grand Lyon et JC Decaux, qui détient, contrepartie oblige, le monopole en termes de communication urbaine sur ce territoire pour une durée de 13 ans. Impacts durables. Au-delà de l’impact écologique positif induit par ce mode de transport doux, « 6000 tonnes de CO2 économisés » par les 28 millions de kilomètres parcourus depuis l’origine. Cette innovation participe de l’attractivité de l’agglomération lyonnaise. Vélo’v véhicule en effet l’image positive d’une métropole « verte », soit l’un des quatre positionnement-types définis par P. Kotler et al. (1999) dans le champ du marketing territorial. Il a maintenant sa page sur Facebook, avec plus de 4500 personnes qui « aiment Vélo’v » annoncées sur le site en mars 2012 ! Pour J.-C. Decaux, des résultats tangibles sont aussi présents. Depuis septembre 2006, plusieurs autres villes françaises (Marseille, Paris, Aix-en-Provence, etc.), européennes (Bruxelles, Rome, etc.), ainsi que Chicago et Melbourne, ont adopté Cyclocity®. Le concept a été récompensé plusieurs fois, recevant notamment l’un des « Trophées du vélo » en 2005 lors du congrès des villes cyclables, ainsi que le Prix Usine Nouvelle de l’Ingénieur de l’année. Notons néanmoins que le système ne permet de résoudre qu’à la marge les problèmes liés au transport. Les études disponibles montrent en effet que Vélo’v s’est inscrit dans le paysage urbain sans se substituer à l’usage de l’automobile, mais en complémentarité avec les déplacements à pied ou en transport en commun. Par ailleurs les vélos font l’objet de nombreuses dégradations ce qui entraîne un surcoût de maintenance (700 euros supplémentaires en 2011 pour le Vélib’ par rapport au Vélo’v’), qui ne remet toutefois pas en cause la performance durable du dispositif. Le deuxième cas est à nouveau un cas lyonnais, fruit d’une collaboration initiale entre une association et une Entreprise Publique Locale (public/privé donc). Il porte également sur la question des « nouvelles » mobilités. 23 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.29.200 - 16/04/2013 12h46. © Management Prospective Ed. Vers une nouvelle économie des services publics durables Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.29.200 - 16/04/2013 12h46. © Management Prospective Ed. Autolib’, une offre d’auto-partage lancée en 2008 en région lyonnaise Des parcs de stationnement à l’inter-modalité. Lyon Parc Auto (LPA), l’Entreprise Publique Locale qui conçoit et gère les parcs de stationnement de Lyon, a inscrit le développement durable dans sa mission. En voici les principales étapes : dès 1998, elle propose un système d’abonnement qui favorise les transports en commun et valorise ainsi le stationnement des autos particulières ; en 2001, elle instaure le prêt gratuit de vélo dans ses parcs (mais elle abandonnera bientôt ce créneau face au développement du Vélo’v) ; en 2003, un partenariat se met en place avec l’association d’auto-partage Autolib’ (afin de pouvoir stationner les véhicules à un tarif préférentiel) ; en 2007, enfin, ce partenariat évolue vers une reprise des activités de l’association (effective en 2008), seule option susceptible d’assurer un vrai décollage de ce dispositif au niveau de l’agglomération. LPA reprend donc à son compte la marque, l’activité et les permanents de l’association. Le parc atteint en 2012 23 stations et une centaine de véhicules. Le service comptait 1000 utilisateurs au printemps 2009. Le service ne cesse d’être amélioré depuis, suite à certains dysfonctionnements. Depuis peu, Autolib’ propose des Bluecars 100% électriques. Impacts durables. LPA développe cette activité dans le cadre de sa mission. L’auto-partage a ainsi les moyens de se développer à grande échelle, avec un soutien affirmé des pouvoirs publics. L’engagement historique de l’association Autolib’ dans l’auto-partage trouve ici une issue positive, avec une offre packagée et promue à l’échelle de l’agglomération. LPA, entreprise mixte, a nécessairement des exigences de performance tant économique qu’environnementale, éléments de performance qui ont permis de créer un système économique viable (l’équilibre est attendu pour 2011). Autolib’ s’inscrit dans la continuité et la complémentarité du Vélo’v, et participe autant de l’attractivité du territoire que de son développement durable. La troisième étude de cas concerne davantage la dimension économique et sociale, dans le contexte d’un partenariat public/privé original qui fêtera ses 20 ans en 2015. 24 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.29.200 - 16/04/2013 12h46. © Management Prospective Ed. 59 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.29.200 - 16/04/2013 12h46. © Management Prospective Ed. Les PIMMS, l’innovation sociale dans le cadre d’un partenariat public-privé Lutter contre l’exclusion sociale. Suite à diverses émeutes à caractère social (celles de Vaulxen-Velin en 1993), l’Etat a réuni divers acteurs de proximité, administratifs et marchands, afin d’apporter des réponses à certaines revendications touchant l’accessibilité aux services publics. Il s’agissait alors d’imaginer un mode de gestion plus satisfaisant de ces services dans les quartiers « sensibles », en recréant une nouvelle forme de proximité. Six entreprises de service public vont ainsi collaborer avec les pouvoirs publics afin de développer les PIMMS, Point Information Médiation Multiservices. Aujourd’hui, l’union rassemble une quarantaine de PIMMS labellisés au niveau national. Les PIMMS prennent diverses formes : une mairie annexe à Antony, un bureau de poste à Paris, une agence Gaz de France à Caen, ou bien des locaux en propre. Trois principes régissent l’activité : un espace de proximité sur les territoires, avec une structure relais mutualisant la présence de chacune des six entreprises de services publics marchands (les historiques : La Poste, Keolis, SNCF, Veolia Eau, France Telecom et EDF-GDF) ; une proximité de médiation, en vue de la résolution facilitatrice de certains conflits (impayés, amendes dans les transports en commun, etc.) ; et un principe de partenariat à trois niveaux : entreprises de service public, pouvoirs publics et société civile (population et associations). Reconnaissance et perspectives. Généralement financés pour moitié par les fonds publics (Etat et collectivités locales) et moitié par des fonds privés, les PIMMS sont reconnus tant pour leurs réalisations « commerciales » que pour leur rôle en matière de politique de la ville. Ils ont ainsi reçu le Trophée de la performance commerciale des DCF (Dirigeants Commerciaux de France) en 2003. Pour accompagner son développement, l’Union des PIMMS a fortement formalisé ses méthodes de travail à travers un « contrat de franchise sociale » imaginé de façon ad hoc. Au printemps 2012, le réseau national compte 45 PIMMS et 27 sites en projet. 460 000 accueils ont été réalisés en 2011, en progression de 12% par rapport à 2010. Pour R. Bourgeat, qui anime et développe le réseau depuis fin 2008, l’utilité tout à la fois sociale et économique des PIMMS est incontestable. C’est bien dans cette articulation que le réseau national trouve sa légitimité et les racines de son développement, dans un contexte qui demeure associatif. Ainsi, le fait que le réseau ait reçu la « Palme de l’innovation de la Relation Client » en 2011 témoigne de cette double culture économique et sociale/territoriale (il a été reconnu comme une forme de présence innovante sur un territoire). La quatrième et dernière étude présente le cas d’une entreprise spécialisée dans la conception, l’aménagement et la maintenance d’espaces tertiaires et sa collaboration avec les Mairies. Le Petit Viscose, concept d’espace multiservices L’entreprise Korus. Le métier du groupe grenoblois Korus consiste à prendre en charge tout le « cycle de vie de l’espace marchand », c’est-à-dire la conception, la construction et la maintenance des espaces de vente et des espaces tertiaires plus globalement. Les clients de Korus évoluent dans des secteurs très variés, du B to B au B to C : la plupart des banques françaises, Schneider Electric pour son centre mondial de R&D à Eybens, Electropole, des boutiques de services telles que Photoservice ou les cafés Segafredo, ou encore des concepts hôteliers, type Best Western. La société a reçu de multiples prix pour ses réalisations. 25 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.29.200 - 16/04/2013 12h46. © Management Prospective Ed. Vers une nouvelle économie des services publics durables Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.29.200 - 16/04/2013 12h46. © Management Prospective Ed. Le concept Le Petit… de Korus. Dynakom, filiale à 100% de Korus, crée le concept Le Petit…. afin de répondre aux attentes des collectivités locales, rurales ou périurbaines, désireuses de redynamiser le commerce de proximité. Le Petit…, né en 1997, est un espace multiservices au positionnement original : à côté des produits alimentaires de base (25-30% de l’espace), on y trouve la bureautique de proximité (point phone, fax…), d’autres services (point « gaz », espace café…) et un pôle Services Publics. Cette innovation repose sur deux constats : une évolution démographique caractérisée par la croissance des aires urbaines au détriment des espaces ruraux et par le vieillissement des populations, et l’enjeu du maintien des emplois dans certaines zones rurales et périurbaines. Elle se distingue ainsi des autres formats tels que Vival de Casino, ou Sherpa en montagne par exemple, dans lesquels une culture « grande consommation » prédomine, ainsi que des « Maisons de service public », souvent créés à l’initiative des mairies et intégrant différents opérateurs publics (La Poste, EDF…). Le modèle économique développé intègre un cofinancement public-privé. Le gérant de l’espace assume une partie de l’investissement initial, tandis que la collectivité met généralement à disposition un local viabilisé. Bilan et perspectives. Deux espaces sont aujourd’hui opérationnels, l’un dans un quartier sensible (Le Petit Viscose à Echirolles, dans l’agglomération grenobloise) et l’autre en milieu rural (le Café Kiosque à Poliénas, également en Isère). Au départ, Le Petit Viscose d’Echirolles a été bâti sur le modèle des « dépanneurs » du Québec, ouvert tôt le matin (à partir de 7 heures) et jusque tard le soir (21 heures), 6 jours sur 7. Il proposait des produits alimentaires de base, de la parapharmacie, un espace multimédia (presse, fax, Internet, etc.) ainsi que des services (dépôt de gaz, vente par correspondance, point banque, point postal, infirmier, assistance juridique). Depuis sa création, le concept a évolué, en particulier lors du changement de gérant en 2007. Les attentes de la population locale ont fait évoluer Le Petit Viscose vers un lieu de lien social où la communauté d’origine maghrébine de la cité aime à se retrouver le soir. Les horaires d’ouverture ont été décalés avec une ouverture et fermeture deux heures plus tard. Le service de dépôt de gaz a disparu et un « taxiphone » a vu le jour. Les gérants ont installé trois cabines, dont une accessible aux handicapés. Il n’y a donc pas deux projets identiques. La ville d’Echirolles a aussi associé l’espace multiservices à un espace associatif, destiné à accueillir des animations à caractère socio-éducatif. 3. Discussion : vers une nouvelle économie des services publics durables ? L’analyse des données (Tableau 4) met en évidence plusieurs dimensions de l’émergence et la performance des nouveaux services durables. Vélo’v Autolib’ Le Petit Viscose PIMMS Secteur Service de mobilité urbaine Service d’intermodalité urbaine Multiservices de proximité Multiservices de proximité Echelle territoriale Le Grand Lyon et d’autres villes (Paris, Aix…) Le Grand Lyon et Paris Rural ou quartier périurbain Les quartiers sensibles au niveau national Innovation Dispositif inédit de mobilité urbaine (libreservice de bicyclettes et système de gestion/ maintenance) Dispositif inédit d’auto-partage Concept original d’espace multiservices et prestation inédite d’accompagnement de la collectivité pour le déploiement de ce type d’espaces Interface inédite entre les entreprises de service public et leurs clients des quartiers sensibles 26 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.29.200 - 16/04/2013 12h46. © Management Prospective Ed. 59 Vers une nouvelle économie des services publics durables Population locale Population locale Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.29.200 - 16/04/2013 12h46. © Management Prospective Ed. Population des quartiers sensibles Europe, Collectivités locales/Entreprises (commerçants) Etat, collectivités locales et Entreprises de services publics marchands (cofinancement) Non Oui à travers l’association Autolib’ Non Participation à la définition de l’offre de services pertinente sur leur territoire Oui Oui Oui Oui Collectivités locales / J.-C. Decaux Association Autolib’/ Collectivités locales / Lyon Parc Auto Participation des usagers Impact sur le DD (sur les 3 composantes de performance durable) Partenariat public / privé Population locale Maillage complexe des relations entre les parties prenantes impliquées Nouvelles formes de création de valeurs Tableau 4 : Présentation synthétique des résultats En premier lieu, elle permet de souligner la diversité des métiers et des innovations de service qui prennent place aujourd’hui dans un contexte public-privé, selon des modalités très différentes. Cette nouvelle économie public-privé tend en effet à se développer, héritière des Sociétés d’Economie Mixte (SEM), des concessions et autres délégations de service public. Elle traduit tout à la fois une nouvelle dynamique dans ce mouvement long, et une plus grande diversité des dispositifs de cofinancement public-privé qui interviennent dans l’émergence de ces métiers nouveaux – ou réinventés. Au-delà de la question du cofinancement public-privé, ce sont bien là d’abord des métiers qui se situent à l’interface des deux mondes, dans un espace qui justifie une interaction étroite entre les acteurs marchands et non marchands pour promouvoir de nouvelles formes de création de valeur qui reposent sur ces « milieux innovants » dont parle F. Aggeri (2011). Il semble alors que pour le développement durable, « plus encore qu’ailleurs, ce travail de conception collective [soit] critique car s’y pose d’emblée avec force le problème de la légitimation sociale des innovations » (Ibid., p. 102). En effet, et toujours selon cet auteur, « pour qu’une innovation soit durable, elle doit faire la démonstration, dans des mises en scène collectives, qu’elle participe à la poursuite d’un bien commun qui n’est pas réductible aux intérêts des participants » (Ibid.). En ce sens, on retrouve bien ici les écosystèmes innovants dont il a été question dans cette recherche. Leur émergence repose 27 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.29.200 - 16/04/2013 12h46. © Management Prospective Ed. Usagers Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.29.200 - 16/04/2013 12h46. © Management Prospective Ed. sur une coordination plus fine entre les acteurs institutionnels et les entreprises, et donc sur un partage des risques et des bénéfices. La nécessité d’innover les rassemble : la collectivité, parce qu’elle est à la recherche de solutions moins lourdes pour les finances publiques et de vecteurs de cohésion sociale et d’image sans cesse renouvelés ; l’entreprise, parce que c’est l’un de ses moteurs (J.-C. Decaux avait ainsi besoin de renouveler son image auprès des villes en enrichissant la palette des services urbains qu’elle pouvait offrir en contrepartie de l’exclusivité des supports de communication…). On peut y voir ainsi, et cela fait débat, un abandon progressif de pans entiers de l’économie publique au profit du secteur privé ou public-privé (Bartoli, 2005 ; Chevallier, 2005). Soit la fin d’un mythe, celui « d’un Etat capable d’avoir réponse à tout » (Chevallier, Ibid., p.6), se traduisant par l’implosion des frontières entre sphères publiques et privées au bénéfice des entreprises et des dispositifs publicprivé. Mais si l’on se tient à l’écart de la composante idéologique de ce débat, force est de reconnaître que cette mutation produit aussi des effets positifs, des innovations dont les réalisations, à Lyon, de la SEM Lyon Parc Auto (Meyronin et Ditandy, 2007 ; Meyronin, 2008) et de J.-C. Decaux – le Vélo’v, en lien avec le Grand Lyon- et Autolib’ sont deux illustrations originales. On peut même y voir, avec certains, « le signe d’une vitalité du monde social et économique » qui abolit « la séparation arbitraire entre le marché et le hors marché » (Aggeri, 2011, pp. 102-103), du moins à l’échelle locale. De fait, dans le champ du développement durable, d’autres travaux ont également souligné la convergence des intérêts et des stratégies Entreprises/ Territoires comme une condition probable de l’émergence de formes durables de développement local : « Le succès du Naturopôle semble donc issu de la convergence de deux types de trajectoires : celle, d’une part, d’entrepreneurs, qui, au-delà de la création de richesses, ambitionnent de participer activement au développement de leur territoire ; celle, d’autre part, d’acteurs publics qui voient dans le développement des entreprises l’intérêt de la collectivité » (Asselineau et Cromarias, 2010, p. 13). Vis-à-vis de ces travaux, notre recherche se singularise par son contexte urbain voire métropolitain. Nous y revenons un peu plus loin. Derrière ces innovations de service, c’est aussi une certaine conception du service public qui continue de prévaloir au travers de modèles de gestion diversifiés. On dépasse donc ici le modèle – de gestion principalement – qui a pris place au début des années 90 (un mouvement d’externalisation de la gestion des services publics par la voie de la DSP principalement), pour aller vers la création de nouvelles formes de valeur : les PIMMS ou les espaces multiservices de la société Korus ne viennent se substituer en effet à aucune démarche préexistante de service public : ils viennent occuper le terrain laissé vacant par des opérateurs privés (les commerces de proximité dans le cas des espaces multiservices), faciliter des mobilités nouvelles (Vélo’v, Autolib’…), etc. Ce sont bien là des métiers qui 28 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.29.200 - 16/04/2013 12h46. © Management Prospective Ed. 59 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.29.200 - 16/04/2013 12h46. © Management Prospective Ed. remplissent un office d’intérêt public – justifiant le soutien de la collectivité – de façon inédite (l’articulation public-privé). Cette valeur s’apprécie notamment au travers de la satisfaction des utilisateurs de ces services (le succès du Vélo’v et du réseau des PIMMS par exemple) et/ou du rôle social qu’ils jouent. Sans remettre en cause les autres modèles de gestion (qu’ils soient publics ou privés), ces partenariats semblent cependant bien s’inscrire dans « le déploiement de stratégies de coopération avec des partenaires et « complémenteurs » de cette offre » dont parle J. Lauriol (2007, p. 263) à propos de la mise en place des nouveaux « écosystèmes serviciels ». L’analyse de ces cas montre ainsi que ces innovations sont le résultat d’un maillage complexe de relations entre toutes les parties prenantes impliquées. La volonté de résoudre des problématiques d’ordre social, telles que la médiation avec des populations isolées ou en difficultés, ou encore le souci de prendre en compte les besoins de la société civile, populations locales et associations, sont des missions d’ordre public. Ces missions sont renforcées aujourd’hui dans le cadre de l’application de l’Agenda 21 par les entités publiques. De leur côté, rares sont les entreprises privées qui ont, seules, la capacité de supporter les coûts de tels programmes. Le cadre du partenariat public-privé va donc permettre de développer de nouveaux services qui s’inscrivent dans une triple optique de performance économique, de performance sociale et de performance environnementale. Par conséquent, le partenariat public-privé pourrait offrir un cadre particulièrement propice à l’innovation de service durable. Il semble être le garant, en effet, de la convergence de cette triple performance. Dans le cadre de l’application de la LOLF (Loi organique relative aux Lois de finance) qui vise à modifier en profondeur la manière de concevoir la gestion des organisations publiques, ce résultat comporte certaines implications. En particulier, l’analyse de la performance de ces organisations nécessite la définition d’indicateurs (Rochet, 2003). Dans le cadre d’une stratégie durable, on veillera à ce que ces indicateurs reflètent les trois dimensions de la performance durable du partenariat. Ce maillage d’acteurs renvoie également à la notion d’économie de la fonctionnalité dont nous avons parlé supra et plus particulièrement aux « écosystèmes serviciels » (Lauriol, 2007) qui la caractérisent. Les PIMMS, qui ont ouvert la voie à une fonction nouvelle, qu’ils qualifient eux-mêmes « d’intermédiation » pour décrire le cœur de leur métier, orchestrent bien une partition complexe dans laquelle interviennent des entreprises publiques, des sociétés privées, l’Etat, des collectivités territoriales et des associations. De leur côté, les espaces multiservices imaginés par Korus et des collectivités territoriales composent eux aussi de véritables écosystèmes serviciels associant dans ce cas des communes, d’autres institutions publiques (Etat, voire Europe), un couple d’exploitants et des fournisseurs privés. C’est de ce travail de coordination que résulte la valeur créée par ces deux dispositifs, les PIMMS et Dynakom jouant ainsi clairement le rôle de « provideur », d’assembleur dont parle J. Lauriol. 29 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.29.200 - 16/04/2013 12h46. © Management Prospective Ed. Vers une nouvelle économie des services publics durables Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.29.200 - 16/04/2013 12h46. © Management Prospective Ed. En second lieu, la relation au fait urbain qui les caractérise (les quartiers sensibles et/ou périphériques pour Korus et les PIMMS, une agglomération pour J.-C. Decaux et Lyon Parc Auto) les inscrit dans une autre tendance longue, où métropolisation et tertiarisation s’entrecroisent : dès 1969, Jane Jacobs évoquait dans un ouvrage clé pour l’économie urbaine ce qu’elle nomme les waste recycling industries, i.e., tous les métiers liés à la croissance urbaine et à ses « externalités » négatives (densité urbaine, sécurité, pollutions, etc.). De son côté, l’historien Paul Bairoch (1985) a lui aussi tracé un lien très clair entre les deux phénomènes, en montrant que dès la fin du XIXème siècle des métiers tels que les transports urbains, l’éclairage public ou le traitement des eaux étaient profondément liés à la dynamique de l’urbanisation, aux contraintes nouvelles qu’elle faisait peser sur les sociétés humaines. Dans cette perspective, nos quatre études de cas semblent indiquer un renouveau des solutions que la complexité urbaine, d’une part, et l’impératif de développement durable, d’autre part, appellent. Chacune en effet répond aux principes fondamentaux du développement durable : - Le Vélo’v constitue un mode de déplacement propre, en lien avec le réseau des transports en commun ; il s’inscrit dans une perspective d’utilisation raisonnée des ressources naturelles, sans externalité négative pour les générations futures (performance environnementale) ; son faible coût pour les usagers en fait un service accessible au plus grand nombre ; il facilite le transport interurbain quotidien des usagers et rend plus fluide la circulation dans Lyon pour toutes les parties prenantes, utilisatrices ou non (performance sociale) ; le modèle économique sous-jacent est rentable pour le partenaire privé, à moindre coût pour le partenaire public (performance économique), et il génère une utilité certaine pour l’ensemble des parties prenantes – Cette innovation participe ainsi d’une stratégie gagnant-gagnant-gagnant. - Autolib’ favorise un moindre usage de la voiture et l’inter-modalité ; il s’inscrit dans une perspective raisonnée de l’usage des véhicules émetteurs de gaz à effet de serre (performance environnementale) ; il rend plus fluide la circulation dans l’agglomération pour toutes les parties prenantes (performance sociale) ; il peut rendre accessible l’automobile à moindre coût (performance sociale) ; le modèle économique est viabilisé dans les 3 (d’après l’enquête 2008) à 7 ans (d’après l’enquête 2012) qui suivent la mise en service (performance économique) ; - Les PIMMS représentent une innovation sociale, une forme de médiation nouvelle qui permet de recréer du lien entre certaines populations et les grands services publics (performance sociale) ; leur proximité géographique permet de diminuer l’empreinte écologique de la population (performance environnementale) ; la performance économique n’est pas en reste puisque l’initiative a obtenu le Trophée de la performance commerciale (performance économique). - Les espaces multiservices de Korus représentent une alternative aux déplacements vers les centres commerciaux, et permettent donc une 30 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.29.200 - 16/04/2013 12h46. © Management Prospective Ed. 59 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.29.200 - 16/04/2013 12h46. © Management Prospective Ed. réduction potentielle des émissions de gaz à effet de serre (performance environnementale) ; ils sont une opportunité de maintien d’une forme de lien social lié à l’activité commerçante dans des quartiers « périphériques » - la population locale y vient pour les services, mais aussi pour s’y rencontrer (performance sociale) ; enfin, le service est économiquement viable pour les exploitants. En ce sens, on rejoint ici les analyses portant sur la « ville durable », laquelle doit parvenir à réconcilier qualité de vie, nouvelles mobilités, gestion économe et équité (Hernandez et Keramidas, 2006), avec l’attractivité du territoire (Ibid.). Il nous semble en effet que les innovations de service décrites ici participent bien de cette recherche d’un équilibre à quatre variables dans nos villes, auxquelles s’ajoute un objectif lié au marketing du territoire. Pour ne prendre qu’un exemple, en devenant une « marque » nationale (puisque reprise pour le système parisien d’auto-partage), Autolib’ devient le service vitrine des agglomérations qui se veulent innovantes en matière de développement des solutions de mobilité douces… En troisième lieu, les démarches de performance sociale examinées ici s’appuient sur une compréhension accrue des attentes des partenaires classiques du service (client, fournisseur, salarié par exemple), mais aussi sur une concertation avec des parties prenantes diffuses, comme les riverains ou des associations locales. La concertation avec toutes les parties prenantes est présente en amont du processus de développement de l’innovation. Cette concertation permet de vérifier : (1) La rentabilité de l’innovation, et donc sa performance économique (la pleine connaissance du territoire par Korus ou par l’union des PIMMS est un élément clé dans le succès attendu des innovations qu’ils développent) ; (2) l’atteinte de l’objectif de performance sociale, puisque la concertation va aider à la définition dans ce sens des différents éléments qui constituent la servuction (Le développement d’un support physique dédié aux personnes à mobilité réduite dans le cas du service de « taxi-phone » du Petit Viscose d’Echirolles en est un exemple frappant.) ; (3) L’objectif de performance environnementale, l’environnement pouvant être considéré comme une partie prenante (Driscoll et Starik, 2004). Le choix délibéré de favoriser l’usage des modes de transports tel que prévu par les dispositif du Vélo’v ou Autolib’, s’inscrit dans ce cadre. L’on peut ainsi se risquer à avancer que la co-innovation avec l’ensemble des parties prenantes est un facteur clé de succès de la définition d’un nouveau service durable. Pour finir, l’exemple d’Autolib’, qui fut initialement une activité associative, est emblématique de cette prise en compte de la dimension sociétale, citoyenne, tant par les pouvoirs publics que leurs satellites. 31 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.29.200 - 16/04/2013 12h46. © Management Prospective Ed. Vers une nouvelle économie des services publics durables 59 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.29.200 - 16/04/2013 12h46. © Management Prospective Ed. Notre recherche soulève des questions évidentes concernant la performance des modèles public-privé issus du New Public Management, jugée souvent très décevante au regard des résultats obtenus (Hernandez et Keramidas, 2006), et pour le moins bâtie sur une posture idéologique – binaire – critiquable (Rochet, 2010). Dans le cas particulier de la France, cela nous renvoie bien sûr au thème de la « modernisation » du service public (cf. le célèbre rapport Nora9). Or nous partageons ici les mises en garde de J.-P. Le Goff (2000) ou de C. Rochet (2008) à l’égard d’une application béate et exaltée des techniques d’entreprise dans la sphère publique10, application qui, durant les années 80 et 90, a contribué à l’éclosion d’une véritable « crise identitaire » (Chevallier, 2005, p. 42) dans les organisations publiques. Dans l’ouvrage où elle étudie l’impact des changements voulus par le management sur l’équipe d’un bureau de Poste, F. Hanique (2004) amorce sa réflexion en rappelant que « l’horizon proposé par le discours des dirigeants emprunte au modèle de l’entreprise privée, entité abstraite, mythifiée par les agents de la Poste, valorisée et disqualifiée à la fois » (p. 13). Dès lors, se voir imposer par le management et par l’extérieur (le monde de l’entreprise et ses consultants…) un modèle très différent de celui que l’on avait choisi initialement, tant dans ses valeurs que dans ses pratiques et sa sémantique, n’est pas sans poser de problème… Il ne s’agit donc pas, ici, « d’exalter » à notre tour les « bienfaits » du secteur privé et de son management dans la sphère publique, mais bien de reconsidérer la question des partenariats public-privé lorsqu’ils sont générateurs d’innovations, elles-mêmes porteuses des valeurs du service public et, ici, des considérations du développement durable. Nous nous inscrivons ainsi pleinement dans le sillage des travaux qui mettent en lumière le rôle de l’innovation comme levier du changement dans les services publics (Hatchuel et Pallez, 1997), en veillant à nous « dégager d’un contexte idéologique qui voudrait associer « performance » et « privatisation » » (Rochet, 2008). Les expériences « d’hybridation » présentées dans cette recherche montrent bien qu’il est possible de faire évoluer l’offre de service public en y associant le secteur privé, sans que cela ne dénature en rien les exigences et objectifs de la gestion publique.11 Bibliographie Aggeri F. (2011), « Le développement durable comme champ d’innovation », Revue Française de Gestion, N°215, pp. 87-106. Asselineau A. et Cromarias A. (2011), « La RSE, un catalyseur d’innovations au service de la « vision » stratégique », Revue Sciences de Gestion, N°84, pp. 29-48. 9. Simon Nora, qui fut notamment Inspecteur Général des Finances et directeur de l’ENA, a rédigé un rapport sur les entreprises publiques qui a fait date dans notre histoire institutionnelle (1967). 10. In « Les illusions du management », p. 151. 11. Ces hybridations relèveraient alors pleinement du principe de « libre organisation » dont parle C. Rochet (2009, p. 21), principe figurant dans le « cahier des charges » (Ibid.) du management public. Il oppose ce principe aux principes intangibles du type « service public = gestion par l’Etat ». 32 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.29.200 - 16/04/2013 12h46. © Management Prospective Ed. Conclusion : Vers une performance accrue des nouveaux services publics durables Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.29.200 - 16/04/2013 12h46. © Management Prospective Ed. Asselineau A. et Cromarias A. 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