vers une nouvelle économie des services publics durables

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VERS UNE NOUVELLE ÉCONOMIE DES SERVICES PUBLICS
DURABLES
Caroline Gauthier et Benoît Meyronin
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2013/1 - N° 59
pages 13 à 34
ISSN 1768-5958
Article disponible en ligne à l'adresse:
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-management-et-avenir-2013-1-page-13.htm
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Pour citer cet article :
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Gauthier Caroline et Meyronin Benoît, « Vers une nouvelle économie des services publics durables »,
Management & Avenir, 2013/1 N° 59, p. 13-34.
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par Caroline Gauthier2 et Benoît Meyronin3
Résumé
Cette contribution vise à analyser, à travers quatre études de cas, la
dimension « développement durable » d’innovations de service prenant
appui sur des formes originales de partenariat public-privé. Ces innovations
présentent la caractéristique de rechercher certaines formes d’équilibres
entre territoires, entre populations ou encore entre modes de déplacement. Il
semble donc légitime de questionner leur contenu « durable » pour avancer
quelques hypothèses concernant les rapports qu’entretiennent l’économie
des services et le développement durable. Nous avançons alors l’hypothèse
selon laquelle ce contexte partenarial serait particulièrement propice au
développement d’innovations tertiaires durables, que l’implication des
parties prenantes est un facteur clé de succès de l’innovation de service –
et invitons ainsi les décideurs à s’inscrire dans ce type de partenariats pour
développer ces nouveaux services durables.
Abstract
This contribution aims to analyze, through four case studies, the “sustainable
development” dimension of service innovations built on original forms of publicprivate partnership. These innovations have the characteristic to seek some
form of balance between territories, between people and between modes of
travel. It therefore seems legitimate to question the content ‘sustainable” to
advance some assumptions about the relationship of the service economy
and sustainable development. We advance the assumption that while this
partnership context would be particularly conducive to the development of
sustainable tertiary innovations, the involvement of stakeholders is a key
success factor of innovation in service – and invite decision makers to
subscribe to such partnerships to develop these new sustainable services.
On peut observer que la coopération en matière d’innovation semble s’engager
vers des formes sans cesse plus « ouvertes » (Chesbrough, 2003) impliquant, de
manière croissante, acteurs publics et privés, firmes innovantes et « destinatairescoproducteurs », ou Lead User dans la terminologie de von Hippel (2005). Une
1. Des versions antérieures de cet article ont fait l’objet d’une communication lors du XIVème congrès de l’AIMS sous le titre « Nouveaux
services publics et développement durable : Une analyse exploratoire à travers quatre études de cas » et d’un dépôt dans les cahiers
de recherches du CERGAM –IAE Aix en Provence en 2008 sous le titre « Nouveaux services publics et développement durable : Une
analyse exploratoire ».
2. Caroline Gauthier, Grenoble Ecole de Management, [email protected]
3. Benoît Meyronin, Grenoble Ecole de Management, Institut ServiCité, Académie du Service, [email protected]
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Vers une nouvelle économie des services
publics durables1
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telle évolution implique, dans les activités de service, la mobilisation de modes
de coordination complexes (Genet et Meyronin, 2007). Dans la mesure où ces
modes de coordination semblent se manifester de manière croissante et sous des
formes souvent inédites, c’est plus particulièrement à des formes d’interactions
public-privé en matière d’innovation de service durable que nous allons nous
intéresser ici, dans une optique exploratoire. La question de recherche traitée ici
est : Quelles sont les dimensions favorisant l’émergence et la performance des
« nouveaux services publics durables » ? Acteurs publics et entreprises de services mettent en œuvre en effet, sous des
formes diverses, des modalités de coopération conduisant à des innovations
de « service public » ayant, de facto (c’est la raison même de l’implication des
pouvoirs publics), un impact recherché sur les territoires. Cet impact peut être de
nature écologique, marketing (au sens du rayonnement du territoire) et/ou socioéconomique. En d’autres termes, innovations de service et innovations urbaines,
développement durable et marketing des territoires s’entrecroisent aujourd’hui
de façon croissante.
Or, ces innovations viennent bouleverser les pratiques au service d’un
renouvellement des questions de l’espace urbain, de la mobilité… et, pour
ce qui nous concernera ici, du développement durable. Car, parmi toutes les
dimensions qu’elles révèlent, la préoccupation en matière de développement
durable semble bien être présente. A ce niveau, il n’est pas anodin de remarquer
que l’économiste le plus emblématique de la tertiarisation des économies
développées, Jean Fourastié, a pu faire part des préoccupations qui furent les
siennes en matière environnementale à maintes reprises, et ce bien avant que le
terme de développement durable ne fasse son apparition (Chamoux, 2008).
Certes, notre questionnement n’est pas nouveau si l’on considère certains
domaines de l’action publique. L’organisation systémique de la collecte et du
retraitement des déchets ménagers (le dispositif Eco-emballage) témoigne
d’une certaine avance de la France dans ce domaine, comme de l’efficacité des
partenariats public-privé sous-jacents au service du développement durable
(dans sa composante environnementale). Mais force est de reconnaître que cette
dynamique a connu ces dernières années une accélération et qu’elle adresse
aujourd’hui de larges pans de l’action publique (dans nos cas : les transports,
la solidarité et la vie sociale des quartiers) et, de surcroît, qu’elle implique des
arrangements entre acteurs publics et privés qui empruntent des voies nouvelles,
notamment celles du développement durable.
Démarche
Nous avons opté pour une méthode qualitative afin de pouvoir récolter des données
riches et détaillées (Weinreich, 1996). Le champ du développement durable et de
la RSE demeurant encore exploratoire, nous nous inscrivons ainsi dans le sillage
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de travaux complémentaires ayant adopté le même parti pris méthodologique
(Asselineau et Cromarias, 2011). Quatre cas ont été sélectionnés, ce qui se
justifie lorsque l’on cherche à préciser une notion théorique (Eisenhardt, 1989) :
– le Vélo’v, service de location de vélo en libre-service en zone urbaine, porté
initialement par la société JC Decaux et le Grand Lyon et déployé depuis au
niveau international ;
– Autolib’, service de location de véhicules en libre-service en zone urbaine,
développé dans l’agglomération lyonnaise (et déployé à Paris depuis décembre
2011) ;
– les PIMMS, ou Points information médiation multiservices, lieux de services
proposant une nouvelle forme de proximité et d’intermédiation entre des clients
ayant des difficultés et des entreprises assurant des missions de service
public ;
– Le Petit Viscose, concept d’espace multiservices de proximité pour le
grand public, développé dans la région grenobloise en interaction avec des
municipalités.
Ces cas sont complémentaires du fait de la variété des domaines et des
partenariats qu’ils couvrent. Nous avons retenu des cas rhônalpins, (pour des
motifs de praticité) ayant toutefois un rayonnement national (dispositif reproduit
ou déployé au moins au niveau national). Ils concernent des services à vocation
publique, d’intérêt général, dans des domaines variés : mobilité, services de
proximité et services de médiation, ce qui permet de prendre en compte la
dimension sociale des services. Leur diversité, comme les acteurs qui y sont
engagés (des firmes multinationales telles que J.-C. Decaux, Lyon Parc AutoLPA- et Accor, des dispositifs nationaux tels que les PIMMS, des collectivités
de tailles diverses [le département de l’Isère, les villes de Lyon ou d’Echirolles],
etc.), garantissent une certaine représentativité. De plus, soit les porteurs de
projet et/ou les observateurs du champ médiatique ont explicitement positionné
ces réalisations dans le champ du développement durable (Vélo’v, Autolib’ et
PIMMS), soit nous avons considéré qu’ils pouvaient relever d’une telle démarche
(Petit Viscose), du fait des acteurs engagés et des objectifs poursuivis par la
collectivité.
Nous nous fondons sur une observation directe (visites répétées des sites, recueil
d’informations, etc.), sur la réalisation de 15 entretiens semi-directifs avec les
porteurs (Tableau 1) de ces différents projets (pour chacun, l’entreprise versus la
collectivité), ainsi que sur une revue de la littérature et de la presse économique
et spécialisée (Libération, Les Echos, Grand Lyon magazine, Présences, Acteurs
de l’Economie). Chaque entretien a duré entre 40 minutes et deux heures. Deux
sessions d’entretiens ont été réalisées, l’une entre 2005 et 2008, l’autre en 2012,
ce qui a permis de suivre la dynamique des projets.
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Vers une nouvelle économie des services
publics durables
Personnes
interviewées
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Partenaire
privé
Vélo’v
Autolib’
- Dir. Régional de
J.-C. Decaux
- J. Dumont,
Directeur de la
communication du
Grand Lyon
Partenaire
public
- E. Arlot, Cabinet
du Président du
Grand Lyon
- C. Richemont,
responsable du
Pôle Marketing
Public, Grand Lyon
- P. Le Goff,
président de
l’Association des
usagers d’Autolib’
PIMMS
Le Petit Viscose
- R. Pouyet, ex-chargé
de développement
(avant 2008)
- Gérante du site
- R. Bourgeat,
Responsable du
développement à
l’Union des PIMMS
(après 2008)
- F. Gindre, D.G.
Lyon Parc Auto
- TER Bourgogne
(SNCF)
- C. Giraudon,
Directrice
marketing
- J.-P. Farandou,
Président de l’union
nationale des PIMMS
- V. Girod-Roux,
Dir. marketing et
commercial Korus ;
- C. Marcolin,
Fondateur et PDG,
Korus
- Renzo Sulli,
Maire d’Echirolles ;
- A. Perfetti,
ex-Président de
l’Association des
habitants de La
Viscose
Tableau 1 : liste des personnes interviewées
Les questions du guide d’entretien portent sur la description du service, sa
performance durable, ses conditions d’émergence, en particulier les motivations
et modalités du partenariat public-privé à l’origine de l’innovation de service,
et son fonctionnement, ainsi que les évolutions sur la période 2008-2012 (voir
Tableau 2).
Description du service ?
Histoire de la création du service ?
Objectifs lors de la création du service ?
Différentes parties prenantes impliquées dans la création du service ?
Différentes parties prenantes impliquées dans la servuction (système de production du service) ?
Performance économique ?
Performance environnementale ?
Performance sociale ? Création de « sens » ?
Evolution depuis 2008 ? (pour les entretiens réalisés en 2012)
Evolution prévue ?
Facteurs clés de succès du partenariat public-privé ?
Limites rencontrées ?
Tableau 2 : Guide d’entretien (extraits)
Les entretiens ont été intégralement retranscrits et les analyses de contenu (Yin,
1994) ont été réalisées à partir de ces documents et des extraits de presse.
Nous avons recueilli ainsi environ 320 verbatim (sélection de verbatim ci-après).
Une première analyse textuelle a permis de faire émerger le cadre général de
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la création de service et certaines dimensions durables. Une seconde analyse,
par entretien, a permis de comprendre les motivations des porteurs de projet, la
construction des partenariats et d’approfondir la compréhension des dimensions
durables de ces services. La deuxième période d’enquête, réalisée en 2012,
a permis de questionner la stabilité des performances économique, sociale et
environnementale dans le temps.
Cas
Extraits
Vélo’v
- « Le développement durable figure clairement parmi les grands axes de la stratégie
de communication du Grand Lyon, et le Vélo’v en est l’un des piliers. C’est l’une de nos
plus belles preuves ! » ;
- Lyon est ainsi devenue la « première communauté urbaine dotée du plus grand
nombre de vélos en libre-service au monde » ;
- « Je viens du privé, du monde des agences de communication. Nous avons adopté
pour Vélo’v les mêmes outils et les mêmes démarches que pour le lancement d’un
nouveau service. C’est ce qui explique aussi, je crois, sa réussite » ;
- « Travailler avec J.-C. Decaux a été très facile, ils ont l’habitude de collaborer avec les
collectivités locales » ;
- « Les finances publiques ne pourraient pas assumer le coût du Vélo’v : le partenariat
public/privé trouve ici toute sa justification » ;
Autolib’
- « La SEM s’intéresse à l’autopartage depuis plusieurs années. Cet intérêt s’est traduit
en 2003, par un partenariat entre Lyon Parc Auto (LPA) et l'association La Voiture
Autrement (LVA)…ce qui a conduit à un transfert d'activité de l'association vers LPA le
1er janvier 2008 » ;
- « Tout est en expérimentation à Lyon : le modèle économique, les technologies, les
usages, ect. » ;
- « Nous avons travaillé avec les TCL pour bien connecter nos stations avec celles du
métro, du tram » ;
- « Les résultats sont flagrants, nous avons eu des retombées en termes d’image qui
sont sans équivalent. Lyon est maintenant perçue comme une métropole qui compte
sur les questions de mobilité douce » ;
PIMMS
- Cette innovation trouve sa source… « alors qu’éclatent dans l’agglomération lyonnaise
les émeutes de Vaulx-en-Velin (1993) » ;
- « mettre en place un nouvel outil de proximité » ;
- « Notre métier, c’est d’assurer une présence sur des territoires sensibles et de
constituer une interface entre des populations fragiles et des fournisseurs de services
publics » ; - « En matière de financement, 50% du budget provient de fonds public. L’Etat, avec les
dispositifs d’emplois aidés : contrats de ville, CEJ et politique de la ville. Les collectivités
locales apportent aussi leur soutien. Pour les villes, ça prend la forme de subventions,
de mise à disposition de locaux… ».
- « Le PIMMS leur permet de remplir leurs obligations de service public, ce qui est coûteux
pour elles. Il s’agit donc d’un outil qui commence à être perçu comme stratégique du fait
de leur obligation de présence sur un territoire, car nous leur proposons une solution à
un coût de fonctionnement acceptable » ;
- « C’est rentable pour nos partenaires privés parce que nous mutualisons les
coûts, et parce que la collectivité s’associe à leurs efforts de réimplantation dans les
quartiers » ;
- « Les PIMMS se situent bien entre une logique économique (43% des financements
d’un PIMMS en 2011) et une logique territoriale, les besoins des habitants les plus
fragiles. »
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Vers une nouvelle économie des services
publics durables
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Le Petit
Viscose
- « Beaucoup pensent que « La Viscose, c’est mort depuis longtemps » ;
- « Certaines personnes viennent même pas pour acheter, juste pour être là, parce que
c’est vivant » ;
- « A côté, il y a la salle de l’association du quartier » ;
- « Il y a l’aide au devoir » ;
- « Deux animateurs racontent des histoires aux enfants » ;
- « C’est une association, donc pas les mêmes impôts » ;
- « La promo est assurée par la mairie » ;
- « Concourt à l’humanisation du quartier » ;
- « Tissu relationnel et chaleureux » ;
- « C’est super pour l’organisation de la vie de quartier »
Tableau 3 : Verbatim (sélection)
Après avoir rappelé la notion de développement durable et proposé une définition
de ce que peut être un « service durable », nous nous intéresserons donc à ces
quatre cas d’innovations de service « public » qui ont, toutes, un impact a priori
sur tout ou partie des composantes du développement durable. L’examen de
ces cas vise à révéler les motivations des promoteurs des projets, à préciser la
nature des arrangements entre acteurs publics et privés, ainsi que la dimension
durable de ces nouveaux services.
Nous consacrons un premier point à notre cadre théorique. Nous y définissons les
notions de développement durable, de service durable et de partenariats public/
privé. Un second point sera dédié à la présentation des études de cas. Une
discussion permettra, pour finir, de formuler des hypothèses et de questionner
les résultats autant que les limites de cette recherche.
1. Services et développement durable : un premier état des lieux
1.1. Le développement durable
Bansal (2002) fait une synthèse des nombreuses définitions proposées dans la
littérature et situe le développement durable à l’intersection de trois principes
fondamentaux :
-- « un principe économique qui requiert une utilisation raisonnée
des ressources, sans menacer pour autant l’avenir des générations
futures ;
-- un principe environnemental qui spécifie que la société civile doit
protéger ces ressources ;
-- un principe social qui indique que chacun doit être traité avec
équité ».
Le développement durable semble s’imposer comme la représentation dominante
d’une nouvelle logique du développement économique et social, voire comme un
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« nouveau paradigme » managérial (Lauriol, 2004). Sa mise en œuvre consiste
à adopter une stratégie de progrès visant tant la performance économique, que
la performance environnementale et sociale (Elkington, 1997).
En France, la mise en œuvre d’une politique de développement durable doit
beaucoup au rôle moteur de l’Etat. Si la déclinaison du dispositif « Agenda 21 »
par les différentes collectivités territoriales est encore très inégale, l’intégration
des clauses sociales (en faveur de l’insertion notamment) et environnementales
dans le nouveau Code des Marchés Publics témoigne, pour ne signaler que
ce levier, de l’engagement structurant de l’Etat en la matière. En incitant, via
la commande publique (10% du PIB), les territoires à promouvoir de nouvelles
pratiques de gestion, l’Etat contraint par la même occasion les entreprises à
innover dans le sens du développement durable. L’actuel gouvernement, au
travers du « Grenelle de l’environnement », a inscrit son action dans la continuité
de celle de ses prédécesseurs en instituant de nouvelles règles et en lançant de
nouvelles réflexions (taxe carbone, etc.). Mais ce sont néanmoins les villes et
plus généralement les collectivités locales qui sont, de façon croissante, au cœur
des stratégies territoriales en matière de développement durable (Hernandez et
Keramidas, 2006).
1.2. Le « service durable » : de la préoccupation
environnementale à l’enjeu social
Si l’on cherche maintenant à faire le lien entre le développement durable et son
implication pour les métiers de service, que peut-on dire ? D’abord, il convient
de souligner la rareté des recherches menées sur ce sujet. Le livre de F. Mayaux
(2005), qui consacre à cette question l’un de ses chapitres, n’en est que plus
précieux, de même que l’ouvrage collectif issu d’un colloque de Cerisy et
coordonné par E. Heurgon et J. Landrieu (2007). Dans ce dernier livre, c’est la
contribution de J. Lauriol qui s’intéresse le plus à cette question du développement
durable et de son rapport avec l’économie des services. En particulier, le concept
« d’écosystème »4 qu’il met en avant semble bien s’appliquer aux différents
cas que nous présentons et analysons dans notre recherche. Ces nouveaux
dispositifs de services à « résonance durable » se structurent en effet sous la
forme d’écosystèmes public-privé qui se constituent de façon ad hoc.
Ensuite, et compte tenu de l’intangibilité de leurs prestations, les prestataires
de service n’ont pas toujours conscience des enjeux sociaux et surtout
environnementaux de leurs activités. Or, de nombreuses activités de services
ont un impact environnemental. Pour exemples : les activités de transport sont
génératrices de gaz à effet de serre, et sont parmi les plus polluantes des activités
humaines ; les activités de nettoyage industriel engendrent de fortes pollutions ;
4. Qu’il définit comme suit : « l’ensemble des relations qui regroupe des organisations hétérogènes autour de ressources et d’une
activité communes » (p. 259).
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certaines formes de tourisme ont un impact non négligeable sur la faune et la
flore locales, etc. Mais une prise de conscience est néanmoins présente chez
un nombre croissant de prestataires. De nombreuses enseignes en ont fait
ainsi une composante stratégique de leur communication et de leur action au
quotidien : Eléphant Bleu, dans le domaine du lavage auto (autour de la gestion
de l’eau naturellement), en est une bonne illustration, de même que les hôtels
ibis (en cours de certification ISO 14001, et donc engagés dans une meilleure
gestion des déchets et des consommations d’eau et d’énergie). D’autres testent
de nouveaux modèles, comme Monoprix et son concept de magasin vert (le
« citymarché idéal », un magasin HQE).
A un autre niveau du développement durable, les activités de services ont
également un impact social. Elles constituent souvent le premier employeur sur
un territoire donné. A l’exception des services distants, les éléments « personnel
en contact » et « client » du système de servuction, impliquent une proximité
sociale et donnent vie à un territoire. De plus, les caractéristiques de l’emploi
tertiaire sont également à appréhender : comme le souligne un rapport de la
DARES et du CAS5, « la tertiarisation de l’économie a été fortement portée par
les femmes ». En effet, les femmes occupent une large majorité (plus de 60%)
des emplois dans les métiers de service, contre seulement 37% de l’encadrement
(dans la banque-assurance par exemple), voire 28% dans la vente, le commerce
et l’hôtellerie (Meyronin et Ditandy, 2007).
Dans la littérature la perspective durable à proprement parler n’est traitée que
partiellement, dans la mesure où les travaux font la part belle à la dimension
environnementale (Rotenberg, 2007). Les analyses sectorielles semblent
confirmer cette focalisation sur la dimension environnementale, comme le
montre par exemple le cas des tours opérateurs : « Notons que plus que toute
autre question, c’est la problématique écologique qui est la porte d’entrée » (BéjiBécheur et Bensebaa, 2009, p. 40). Les travaux négligent donc cette dimension
sociale, à l’exception de rares travaux (Enquist et al., 2007 ; Ernult et Ashta,
2008). Cette dernière dimension est pourtant essentielle lorsque l’on s’intéresse
à des métiers qui restent les principaux pourvoyeurs d’emplois dans les pays
développés, des métiers dont on a eu de surcroît l’occasion, dans cet ouvrage,
d’évoquer les « fragilités ». Le cas de Wal-Mart est ainsi emblématique de ce
virage vers le Green Business6 qui oublie d’associer à cette préoccupation
environnementale une sensibilité plus sociale, pourtant bien en phase avec les
principes du développement durable. Le modèle économique et social de cette
entreprise de services est en effet fortement critiqué (Lichtenstein et Strasser,
2009).
5. http://www.strategie.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_metiers_2015.pdf
6. Sur le cas de cette entreprise et de sa « conversion » au Green Business, cf. notamment l’enquête réalisée par le quotidien Les
Echos dans son édition du 2.10.2009.
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Il convient de s’intéresser ici à la notion « d’économie de la fonctionnalité », dans
la mesure où elle peut être articulée au concept de développement durable et à
l’économie des services (Heurgon et Landrieu, 2007). Cette notion désigne la
production et la vente de « solutions globales » dont l’aspect fonctionnel repose
sur un usage intégré de biens d’équipements et de services associés. « Il s’agit
ainsi de passer de la vente d’un produit dont on suppose les qualités d’usage,
ou d’un service dont on suppose l’effet, à la vente d’une prestation mobilisant de
manière intégrée des produits et des services afin de répondre le plus efficacement
possible à une attente en termes d’effets systémiques que produit la solution.
Cette offre de « nouvelle fonctionnalité » s’opère au regard d’engagements quant
à la progression de la performance de la réponse, intégrant souvent des critères
relevant du développement durable » (C. du Tertre, Ibid., p. 243).
En somme, il s’agit de vendre de la performance plutôt que des produits ou
même des couples produit/service. Ces offres incluent en effet des engagements
en matière de performance (rendus possibles par les « gains/économies
d’intégration »). Elle repose également sur une coproduction forte avec le client
et sur un renoncement à la propriété des biens d’équipements. Le client renonce
toutefois à « l’autoproduction » du service mobilisant l’usage du bien, puisqu’il
confie la responsabilité de cette production à un prestataire. Le développement
de ces offres conduit à un bouleversement des frontières entre activités : plusieurs
anciens secteurs sont en effet regroupés et remodelés, permettant ainsi une
production centrée sur un besoin fondamental : la gestion de la « mobilité », de
« l’énergie », de la « santé »…
Jacques Lauriol (Ibid., pp. 257-271) insiste lui sur le fait que les offres sousjacentes reposent généralement sur la mise en place « d’écosystèmes serviciels »
complexes dans lesquels un opérateur « provideur » joue le rôle d’intégrateur
global, de chef d’orchestre. « Il s’agit de mettre en place un système serviciel
qui permettra d’intégrer biens et services pour délivrer des capacités d’usage »
(p. 262). Pour illustrer son propos, J. Lauriol prend l’exemple de Michelin7 qui,
« plutôt que des pneumatiques… propose maintenant la vente de solutions
pneumatiques au kilomètre parcouru » (p. 260).
In fine, il s’agit bien ici de sortir « de la société de consommation, dans laquelle
le bien-être est lié à la propriété d’un bien plutôt qu’à la possibilité de bénéficier
7. Les engagements de Michelin sont chiffrés et rendus possibles par des innovations technologiques et la gestion intégrée du parc de
pneus. On voit alors clairement les gains économiques, humains et environnementaux qui sont contractuellement associés à ce mode
de gestion : gestion préventive de l’usure des pneus (éviter les incidents et leurs conséquences : sécurité des chauffeurs, continuité du
service…), réduction de la consommation énergétique : -6% de consommation pour les pneus Energy, -5% pour le pneu X-One (monté
seul sur un essieu en lieu et place des 2 pneus généralement montés…), recyclage des pneus en fin de course, enfin, globalement,
cette offre permet d’augmenter la durée de vie d’un pneu d’un facteur de 2,5, soit 20 pneus neufs au lieu de 64 tout au long de la durée
d’utilisation d’un camion.
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1.3. Du produit au service : l’innovation par la « servicisation »
comme levier du développement durable
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des usages que l’on peut en retirer » (p. 270) et d’intégrer par ce biais des
contraintes liées explicitement ou non au développement durable. Les niveaux
de performance recherchés, qui sont contractualisés, sont en effet une manière
d’apporter des réponses plus durables que les pratiques antérieures, dans
la mesure où ils visent explicitement une moindre consommation du bien à
proprement parler.
En empruntant des voies complémentaires à la notion d’économie de la
fonctionnalité, la littérature académique établit ainsi que le passage d’une offre
de produits à une offre de services permet de réduire l’impact environnemental
induit, tout en créant une valeur supplémentaire pour le client (DeSimone et
Popoff, 1997). Elle traite assez largement du concept « d’éco-efficacité », défini
par le World Business Council for Sustainable Development dans les services8 :
l’éco-efficacité permet de « délivrer des biens et services compétitifs, qui satisfont
les besoins humains et apportent de la qualité de vie, tout en réduisant les impacts
environnementaux et l’intensité des ressources tout au long du cycle de vie, à
un niveau en phase avec la capacité de la planète terre » (p. 47). L’objectif des
services éco-efficaces est donc d’accroître la valeur d’un service tout en faisant
décroître la composante matérielle et énergétique du mix produit-service.
Les services sont ainsi perçus comme un relais efficace de croissance « durable »
pour les industriels, capables de les aider à innover dans le sens d’une meilleure
protection de l’environnement : l’exemple de Xerox apparaît alors comme un
cas paradigmatique (Rothenberg, 2007), ou comment passer de la vente
de photocopieurs à des services de gestion documentaire « durables », pour
lesquels l’entreprise partage avec ses clients un enjeu commun d’optimisation
des moyens matériels nécessaires à la fourniture de sa prestation.
Nous venons d’examiner ce que recouvrait la notion de développement durable,
ainsi que ses implications dans le domaine des services et des « écosystèmes
serviciels ». Dans ce cadre, un service « durable » peut être défini comme suit : il
s’agit d’une prestation de service pour laquelle les opérateurs concernés respectent
les principes environnementaux et sociétaux du développement durable, et
parviennent donc, à des degrés divers, à faire converger les performances
économiques, sociales et environnementales. Ces principes peuvent être mis en
œuvre, en tout ou partie, à deux niveaux :
-- au niveau de la servuction, c’est-à-dire du système de production du
service, voire de l’écosystème serviciel nécessaire à la coproduction du
service. Lorsqu’Ikea travaille sur la venue de ses clients par le biais des
transports en commun, l’entreprise vise à modifier le comportement de
ces derniers et donc leur participation. En choisissant de faire construire
ses magasins selon les normes HQE, Monoprix opte pour un support
physique durable.
8. Cf. la revue de littérature dans van der Zwan et Bhamra (2003).
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-- au niveau de l’output, du résultat : dans nos études de cas, nous
avons privilégié les résultats visés (promouvoir des formes d’équité
entre citoyens, territoires…) aux conditions de réalisation des services.
Nous avons précisé les différentes notions que nous allons articuler dans cette
recherche pour décrire et analyser l’émergence et la performance de « nouveaux
services publics durables », c’est-à-dire des services qui sont situés de façon
innovante – dans leur objet et dans l’arrangement mis en œuvre – à l’interface
des sphères publique et privée, et qui devraient donc, pour être durables, remplir
des objectifs sociaux et environnementaux, en plus de la valeur qu’ils sont censés
créer, de leur raison d’être.
2. Etude empirique
La première de nos études de cas est celle du Vélo’v. Issue d’une collaboration
étroite de JC Decaux avec le Grand Lyon, cette innovation illustre cette dynamique
associant acteurs publics et privés au service des usagers de la ville.
Vélo’v, favoriser la mobilité urbaine par des vélos partagés
Du mobilier urbain à la mobilité urbaine. J.-C. Decaux est le leader mondial du mobilier urbain,
de la publicité dans les aéroports et de la publicité grand format. Le groupe développe dans les
années 2000 un nouveau concept de déplacement urbain individuel, le Cyclocity®, rebaptisé Vélo’v
à Lyon. Environ 4000 vélos sont disponibles en libre-service, 7 jours sur 7 et 24h sur 24 dans plus
de 340 stations dans les villes de Lyon et Villeurbanne. Le dispositif repose sur un partenariat
entre le Grand Lyon et JC Decaux, qui détient, contrepartie oblige, le monopole en termes de
communication urbaine sur ce territoire pour une durée de 13 ans.
Impacts durables. Au-delà de l’impact écologique positif induit par ce mode de transport doux,
« 6000 tonnes de CO2 économisés » par les 28 millions de kilomètres parcourus depuis l’origine.
Cette innovation participe de l’attractivité de l’agglomération lyonnaise. Vélo’v véhicule en effet
l’image positive d’une métropole « verte », soit l’un des quatre positionnement-types définis par P.
Kotler et al. (1999) dans le champ du marketing territorial. Il a maintenant sa page sur Facebook,
avec plus de 4500 personnes qui « aiment Vélo’v » annoncées sur le site en mars 2012 ! Pour J.-C.
Decaux, des résultats tangibles sont aussi présents. Depuis septembre 2006, plusieurs autres villes
françaises (Marseille, Paris, Aix-en-Provence, etc.), européennes (Bruxelles, Rome, etc.), ainsi
que Chicago et Melbourne, ont adopté Cyclocity®. Le concept a été récompensé plusieurs fois,
recevant notamment l’un des « Trophées du vélo » en 2005 lors du congrès des villes cyclables,
ainsi que le Prix Usine Nouvelle de l’Ingénieur de l’année. Notons néanmoins que le système ne
permet de résoudre qu’à la marge les problèmes liés au transport. Les études disponibles montrent
en effet que Vélo’v s’est inscrit dans le paysage urbain sans se substituer à l’usage de l’automobile,
mais en complémentarité avec les déplacements à pied ou en transport en commun. Par ailleurs
les vélos font l’objet de nombreuses dégradations ce qui entraîne un surcoût de maintenance (700
euros supplémentaires en 2011 pour le Vélib’ par rapport au Vélo’v’), qui ne remet toutefois pas en
cause la performance durable du dispositif.
Le deuxième cas est à nouveau un cas lyonnais, fruit d’une collaboration initiale
entre une association et une Entreprise Publique Locale (public/privé donc). Il
porte également sur la question des « nouvelles » mobilités.
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Vers une nouvelle économie des services
publics durables
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Autolib’, une offre d’auto-partage lancée en 2008 en région lyonnaise
Des parcs de stationnement à l’inter-modalité. Lyon Parc Auto (LPA), l’Entreprise Publique
Locale qui conçoit et gère les parcs de stationnement de Lyon, a inscrit le développement durable
dans sa mission. En voici les principales étapes : dès 1998, elle propose un système d’abonnement
qui favorise les transports en commun et valorise ainsi le stationnement des autos particulières ; en
2001, elle instaure le prêt gratuit de vélo dans ses parcs (mais elle abandonnera bientôt ce créneau
face au développement du Vélo’v) ; en 2003, un partenariat se met en place avec l’association
d’auto-partage Autolib’ (afin de pouvoir stationner les véhicules à un tarif préférentiel) ; en 2007,
enfin, ce partenariat évolue vers une reprise des activités de l’association (effective en 2008),
seule option susceptible d’assurer un vrai décollage de ce dispositif au niveau de l’agglomération.
LPA reprend donc à son compte la marque, l’activité et les permanents de l’association. Le parc
atteint en 2012 23 stations et une centaine de véhicules. Le service comptait 1000 utilisateurs au
printemps 2009. Le service ne cesse d’être amélioré depuis, suite à certains dysfonctionnements.
Depuis peu, Autolib’ propose des Bluecars 100% électriques.
Impacts durables. LPA développe cette activité dans le cadre de sa mission. L’auto-partage a
ainsi les moyens de se développer à grande échelle, avec un soutien affirmé des pouvoirs publics.
L’engagement historique de l’association Autolib’ dans l’auto-partage trouve ici une issue positive,
avec une offre packagée et promue à l’échelle de l’agglomération. LPA, entreprise mixte, a
nécessairement des exigences de performance tant économique qu’environnementale, éléments
de performance qui ont permis de créer un système économique viable (l’équilibre est attendu pour
2011). Autolib’ s’inscrit dans la continuité et la complémentarité du Vélo’v, et participe autant de
l’attractivité du territoire que de son développement durable.
La troisième étude de cas concerne davantage la dimension économique et
sociale, dans le contexte d’un partenariat public/privé original qui fêtera ses 20
ans en 2015.
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Les PIMMS, l’innovation sociale dans le cadre d’un partenariat public-privé
Lutter contre l’exclusion sociale. Suite à diverses émeutes à caractère social (celles de Vaulxen-Velin en 1993), l’Etat a réuni divers acteurs de proximité, administratifs et marchands, afin
d’apporter des réponses à certaines revendications touchant l’accessibilité aux services publics. Il
s’agissait alors d’imaginer un mode de gestion plus satisfaisant de ces services dans les quartiers
« sensibles », en recréant une nouvelle forme de proximité. Six entreprises de service public
vont ainsi collaborer avec les pouvoirs publics afin de développer les PIMMS, Point Information
Médiation Multiservices. Aujourd’hui, l’union rassemble une quarantaine de PIMMS labellisés
au niveau national. Les PIMMS prennent diverses formes : une mairie annexe à Antony, un
bureau de poste à Paris, une agence Gaz de France à Caen, ou bien des locaux en propre.
Trois principes régissent l’activité : un espace de proximité sur les territoires, avec une structure
relais mutualisant la présence de chacune des six entreprises de services publics marchands (les
historiques : La Poste, Keolis, SNCF, Veolia Eau, France Telecom et EDF-GDF) ; une proximité
de médiation, en vue de la résolution facilitatrice de certains conflits (impayés, amendes dans les
transports en commun, etc.) ; et un principe de partenariat à trois niveaux : entreprises de service
public, pouvoirs publics et société civile (population et associations).
Reconnaissance et perspectives. Généralement financés pour moitié par les fonds publics (Etat
et collectivités locales) et moitié par des fonds privés, les PIMMS sont reconnus tant pour leurs
réalisations « commerciales » que pour leur rôle en matière de politique de la ville. Ils ont ainsi
reçu le Trophée de la performance commerciale des DCF (Dirigeants Commerciaux de France)
en 2003. Pour accompagner son développement, l’Union des PIMMS a fortement formalisé ses
méthodes de travail à travers un « contrat de franchise sociale » imaginé de façon ad hoc. Au
printemps 2012, le réseau national compte 45 PIMMS et 27 sites en projet. 460 000 accueils ont
été réalisés en 2011, en progression de 12% par rapport à 2010. Pour R. Bourgeat, qui anime et
développe le réseau depuis fin 2008, l’utilité tout à la fois sociale et économique des PIMMS est
incontestable. C’est bien dans cette articulation que le réseau national trouve sa légitimité et les
racines de son développement, dans un contexte qui demeure associatif. Ainsi, le fait que le réseau
ait reçu la « Palme de l’innovation de la Relation Client » en 2011 témoigne de cette double culture
économique et sociale/territoriale (il a été reconnu comme une forme de présence innovante sur
un territoire).
La quatrième et dernière étude présente le cas d’une entreprise spécialisée
dans la conception, l’aménagement et la maintenance d’espaces tertiaires et sa
collaboration avec les Mairies.
Le Petit Viscose, concept d’espace multiservices
L’entreprise Korus. Le métier du groupe grenoblois Korus consiste à prendre en charge tout le
« cycle de vie de l’espace marchand », c’est-à-dire la conception, la construction et la maintenance
des espaces de vente et des espaces tertiaires plus globalement. Les clients de Korus évoluent
dans des secteurs très variés, du B to B au B to C : la plupart des banques françaises, Schneider
Electric pour son centre mondial de R&D à Eybens, Electropole, des boutiques de services telles
que Photoservice ou les cafés Segafredo, ou encore des concepts hôteliers, type Best Western.
La société a reçu de multiples prix pour ses réalisations.
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Vers une nouvelle économie des services
publics durables
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Le concept Le Petit… de Korus. Dynakom, filiale à 100% de Korus, crée le concept Le Petit….
afin de répondre aux attentes des collectivités locales, rurales ou périurbaines, désireuses de
redynamiser le commerce de proximité. Le Petit…, né en 1997, est un espace multiservices au
positionnement original : à côté des produits alimentaires de base (25-30% de l’espace), on y
trouve la bureautique de proximité (point phone, fax…), d’autres services (point « gaz », espace
café…) et un pôle Services Publics. Cette innovation repose sur deux constats : une évolution
démographique caractérisée par la croissance des aires urbaines au détriment des espaces ruraux
et par le vieillissement des populations, et l’enjeu du maintien des emplois dans certaines zones
rurales et périurbaines. Elle se distingue ainsi des autres formats tels que Vival de Casino, ou
Sherpa en montagne par exemple, dans lesquels une culture « grande consommation » prédomine,
ainsi que des « Maisons de service public », souvent créés à l’initiative des mairies et intégrant
différents opérateurs publics (La Poste, EDF…). Le modèle économique développé intègre un
cofinancement public-privé. Le gérant de l’espace assume une partie de l’investissement initial,
tandis que la collectivité met généralement à disposition un local viabilisé.
Bilan et perspectives. Deux espaces sont aujourd’hui opérationnels, l’un dans un quartier sensible
(Le Petit Viscose à Echirolles, dans l’agglomération grenobloise) et l’autre en milieu rural (le Café
Kiosque à Poliénas, également en Isère). Au départ, Le Petit Viscose d’Echirolles a été bâti sur le
modèle des « dépanneurs » du Québec, ouvert tôt le matin (à partir de 7 heures) et jusque tard le
soir (21 heures), 6 jours sur 7. Il proposait des produits alimentaires de base, de la parapharmacie,
un espace multimédia (presse, fax, Internet, etc.) ainsi que des services (dépôt de gaz, vente par
correspondance, point banque, point postal, infirmier, assistance juridique). Depuis sa création, le
concept a évolué, en particulier lors du changement de gérant en 2007. Les attentes de la population
locale ont fait évoluer Le Petit Viscose vers un lieu de lien social où la communauté d’origine
maghrébine de la cité aime à se retrouver le soir. Les horaires d’ouverture ont été décalés avec
une ouverture et fermeture deux heures plus tard. Le service de dépôt de gaz a disparu et un « taxiphone » a vu le jour. Les gérants ont installé trois cabines, dont une accessible aux handicapés. Il
n’y a donc pas deux projets identiques. La ville d’Echirolles a aussi associé l’espace multiservices
à un espace associatif, destiné à accueillir des animations à caractère socio-éducatif.
3. Discussion : vers une nouvelle économie des services
publics durables ?
L’analyse des données (Tableau 4) met en évidence plusieurs dimensions de
l’émergence et la performance des nouveaux services durables.
Vélo’v
Autolib’
Le Petit Viscose
PIMMS
Secteur
Service de
mobilité urbaine
Service
d’intermodalité
urbaine
Multiservices de
proximité
Multiservices de
proximité
Echelle
territoriale
Le Grand Lyon
et d’autres villes
(Paris, Aix…)
Le Grand Lyon
et Paris
Rural ou quartier
périurbain
Les quartiers
sensibles au
niveau national
Innovation
Dispositif inédit
de mobilité
urbaine (libreservice de
bicyclettes
et système
de gestion/
maintenance)
Dispositif inédit
d’auto-partage
Concept original
d’espace multiservices
et prestation inédite
d’accompagnement de
la collectivité pour le
déploiement de ce type
d’espaces
Interface
inédite entre les
entreprises de
service public
et leurs clients
des quartiers
sensibles
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Vers une nouvelle économie des services
publics durables
Population locale
Population
locale
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Population
des quartiers
sensibles
Europe, Collectivités
locales/Entreprises
(commerçants)
Etat, collectivités
locales et
Entreprises de
services publics
marchands
(cofinancement)
Non
Oui à travers
l’association
Autolib’
Non
Participation
à la définition
de l’offre
de services
pertinente sur
leur territoire
Oui
Oui
Oui
Oui
Collectivités
locales / J.-C.
Decaux
Association
Autolib’/
Collectivités
locales / Lyon
Parc Auto
Participation
des usagers
Impact sur le
DD (sur les 3
composantes
de performance durable)
Partenariat
public / privé
Population locale
 Maillage complexe des relations entre les parties prenantes impliquées
 Nouvelles formes de création de valeurs
Tableau 4 : Présentation synthétique des résultats
En premier lieu, elle permet de souligner la diversité des métiers et des innovations
de service qui prennent place aujourd’hui dans un contexte public-privé, selon des
modalités très différentes. Cette nouvelle économie public-privé tend en effet à
se développer, héritière des Sociétés d’Economie Mixte (SEM), des concessions
et autres délégations de service public. Elle traduit tout à la fois une nouvelle
dynamique dans ce mouvement long, et une plus grande diversité des dispositifs
de cofinancement public-privé qui interviennent dans l’émergence de ces métiers
nouveaux – ou réinventés.
Au-delà de la question du cofinancement public-privé, ce sont bien là d’abord
des métiers qui se situent à l’interface des deux mondes, dans un espace qui
justifie une interaction étroite entre les acteurs marchands et non marchands
pour promouvoir de nouvelles formes de création de valeur qui reposent sur
ces « milieux innovants » dont parle F. Aggeri (2011). Il semble alors que pour
le développement durable, « plus encore qu’ailleurs, ce travail de conception
collective [soit] critique car s’y pose d’emblée avec force le problème de la
légitimation sociale des innovations » (Ibid., p. 102).
En effet, et toujours selon cet auteur, « pour qu’une innovation soit durable,
elle doit faire la démonstration, dans des mises en scène collectives, qu’elle
participe à la poursuite d’un bien commun qui n’est pas réductible aux intérêts
des participants » (Ibid.). En ce sens, on retrouve bien ici les écosystèmes
innovants dont il a été question dans cette recherche. Leur émergence repose
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Usagers
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sur une coordination plus fine entre les acteurs institutionnels et les entreprises,
et donc sur un partage des risques et des bénéfices. La nécessité d’innover
les rassemble : la collectivité, parce qu’elle est à la recherche de solutions
moins lourdes pour les finances publiques et de vecteurs de cohésion sociale et
d’image sans cesse renouvelés ; l’entreprise, parce que c’est l’un de ses moteurs
(J.-C. Decaux avait ainsi besoin de renouveler son image auprès des villes en
enrichissant la palette des services urbains qu’elle pouvait offrir en contrepartie
de l’exclusivité des supports de communication…).
On peut y voir ainsi, et cela fait débat, un abandon progressif de pans entiers
de l’économie publique au profit du secteur privé ou public-privé (Bartoli, 2005 ;
Chevallier, 2005). Soit la fin d’un mythe, celui « d’un Etat capable d’avoir réponse
à tout » (Chevallier, Ibid., p.6), se traduisant par l’implosion des frontières entre
sphères publiques et privées au bénéfice des entreprises et des dispositifs publicprivé. Mais si l’on se tient à l’écart de la composante idéologique de ce débat,
force est de reconnaître que cette mutation produit aussi des effets positifs, des
innovations dont les réalisations, à Lyon, de la SEM Lyon Parc Auto (Meyronin
et Ditandy, 2007 ; Meyronin, 2008) et de J.-C. Decaux – le Vélo’v, en lien avec le
Grand Lyon- et Autolib’ sont deux illustrations originales. On peut même y voir,
avec certains, « le signe d’une vitalité du monde social et économique » qui abolit
« la séparation arbitraire entre le marché et le hors marché » (Aggeri, 2011, pp.
102-103), du moins à l’échelle locale.
De fait, dans le champ du développement durable, d’autres travaux ont
également souligné la convergence des intérêts et des stratégies Entreprises/
Territoires comme une condition probable de l’émergence de formes durables
de développement local : « Le succès du Naturopôle semble donc issu de la
convergence de deux types de trajectoires : celle, d’une part, d’entrepreneurs,
qui, au-delà de la création de richesses, ambitionnent de participer activement au
développement de leur territoire ; celle, d’autre part, d’acteurs publics qui voient
dans le développement des entreprises l’intérêt de la collectivité » (Asselineau et
Cromarias, 2010, p. 13). Vis-à-vis de ces travaux, notre recherche se singularise
par son contexte urbain voire métropolitain. Nous y revenons un peu plus loin.
Derrière ces innovations de service, c’est aussi une certaine conception du service
public qui continue de prévaloir au travers de modèles de gestion diversifiés. On
dépasse donc ici le modèle – de gestion principalement – qui a pris place au début
des années 90 (un mouvement d’externalisation de la gestion des services publics
par la voie de la DSP principalement), pour aller vers la création de nouvelles
formes de valeur : les PIMMS ou les espaces multiservices de la société Korus
ne viennent se substituer en effet à aucune démarche préexistante de service
public : ils viennent occuper le terrain laissé vacant par des opérateurs privés
(les commerces de proximité dans le cas des espaces multiservices), faciliter
des mobilités nouvelles (Vélo’v, Autolib’…), etc. Ce sont bien là des métiers qui
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remplissent un office d’intérêt public – justifiant le soutien de la collectivité – de
façon inédite (l’articulation public-privé). Cette valeur s’apprécie notamment au
travers de la satisfaction des utilisateurs de ces services (le succès du Vélo’v
et du réseau des PIMMS par exemple) et/ou du rôle social qu’ils jouent. Sans
remettre en cause les autres modèles de gestion (qu’ils soient publics ou privés),
ces partenariats semblent cependant bien s’inscrire dans « le déploiement de
stratégies de coopération avec des partenaires et « complémenteurs » de cette
offre » dont parle J. Lauriol (2007, p. 263) à propos de la mise en place des
nouveaux « écosystèmes serviciels ».
L’analyse de ces cas montre ainsi que ces innovations sont le résultat d’un
maillage complexe de relations entre toutes les parties prenantes impliquées. La
volonté de résoudre des problématiques d’ordre social, telles que la médiation
avec des populations isolées ou en difficultés, ou encore le souci de prendre
en compte les besoins de la société civile, populations locales et associations,
sont des missions d’ordre public. Ces missions sont renforcées aujourd’hui
dans le cadre de l’application de l’Agenda 21 par les entités publiques. De leur
côté, rares sont les entreprises privées qui ont, seules, la capacité de supporter
les coûts de tels programmes. Le cadre du partenariat public-privé va donc
permettre de développer de nouveaux services qui s’inscrivent dans une triple
optique de performance économique, de performance sociale et de performance
environnementale. Par conséquent, le partenariat public-privé pourrait offrir un
cadre particulièrement propice à l’innovation de service durable. Il semble être
le garant, en effet, de la convergence de cette triple performance. Dans le cadre
de l’application de la LOLF (Loi organique relative aux Lois de finance) qui vise
à modifier en profondeur la manière de concevoir la gestion des organisations
publiques, ce résultat comporte certaines implications. En particulier, l’analyse de
la performance de ces organisations nécessite la définition d’indicateurs (Rochet,
2003). Dans le cadre d’une stratégie durable, on veillera à ce que ces indicateurs
reflètent les trois dimensions de la performance durable du partenariat.
Ce maillage d’acteurs renvoie également à la notion d’économie de la fonctionnalité
dont nous avons parlé supra et plus particulièrement aux « écosystèmes
serviciels » (Lauriol, 2007) qui la caractérisent. Les PIMMS, qui ont ouvert la
voie à une fonction nouvelle, qu’ils qualifient eux-mêmes « d’intermédiation »
pour décrire le cœur de leur métier, orchestrent bien une partition complexe
dans laquelle interviennent des entreprises publiques, des sociétés privées,
l’Etat, des collectivités territoriales et des associations. De leur côté, les espaces
multiservices imaginés par Korus et des collectivités territoriales composent eux
aussi de véritables écosystèmes serviciels associant dans ce cas des communes,
d’autres institutions publiques (Etat, voire Europe), un couple d’exploitants et des
fournisseurs privés. C’est de ce travail de coordination que résulte la valeur créée
par ces deux dispositifs, les PIMMS et Dynakom jouant ainsi clairement le rôle de
« provideur », d’assembleur dont parle J. Lauriol.
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Vers une nouvelle économie des services
publics durables
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En second lieu, la relation au fait urbain qui les caractérise (les quartiers
sensibles et/ou périphériques pour Korus et les PIMMS, une agglomération pour
J.-C. Decaux et Lyon Parc Auto) les inscrit dans une autre tendance longue,
où métropolisation et tertiarisation s’entrecroisent : dès 1969, Jane Jacobs
évoquait dans un ouvrage clé pour l’économie urbaine ce qu’elle nomme les
waste recycling industries, i.e., tous les métiers liés à la croissance urbaine
et à ses « externalités » négatives (densité urbaine, sécurité, pollutions, etc.).
De son côté, l’historien Paul Bairoch (1985) a lui aussi tracé un lien très clair
entre les deux phénomènes, en montrant que dès la fin du XIXème siècle des
métiers tels que les transports urbains, l’éclairage public ou le traitement des
eaux étaient profondément liés à la dynamique de l’urbanisation, aux contraintes
nouvelles qu’elle faisait peser sur les sociétés humaines. Dans cette perspective,
nos quatre études de cas semblent indiquer un renouveau des solutions que
la complexité urbaine, d’une part, et l’impératif de développement durable,
d’autre part, appellent. Chacune en effet répond aux principes fondamentaux du
développement durable :
- Le Vélo’v constitue un mode de déplacement propre, en lien avec le réseau
des transports en commun ; il s’inscrit dans une perspective d’utilisation
raisonnée des ressources naturelles, sans externalité négative pour les
générations futures (performance environnementale) ; son faible coût pour
les usagers en fait un service accessible au plus grand nombre ; il facilite le
transport interurbain quotidien des usagers et rend plus fluide la circulation
dans Lyon pour toutes les parties prenantes, utilisatrices ou non (performance
sociale) ; le modèle économique sous-jacent est rentable pour le partenaire
privé, à moindre coût pour le partenaire public (performance économique), et
il génère une utilité certaine pour l’ensemble des parties prenantes – Cette
innovation participe ainsi d’une stratégie gagnant-gagnant-gagnant.
- Autolib’ favorise un moindre usage de la voiture et l’inter-modalité ; il s’inscrit
dans une perspective raisonnée de l’usage des véhicules émetteurs de
gaz à effet de serre (performance environnementale) ; il rend plus fluide
la circulation dans l’agglomération pour toutes les parties prenantes
(performance sociale) ; il peut rendre accessible l’automobile à moindre
coût (performance sociale) ; le modèle économique est viabilisé dans les 3
(d’après l’enquête 2008) à 7 ans (d’après l’enquête 2012) qui suivent la mise
en service (performance économique) ;
- Les PIMMS représentent une innovation sociale, une forme de médiation
nouvelle qui permet de recréer du lien entre certaines populations et les
grands services publics (performance sociale) ; leur proximité géographique
permet de diminuer l’empreinte écologique de la population (performance
environnementale) ; la performance économique n’est pas en reste puisque
l’initiative a obtenu le Trophée de la performance commerciale (performance
économique).
- Les espaces multiservices de Korus représentent une alternative aux
déplacements vers les centres commerciaux, et permettent donc une
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réduction potentielle des émissions de gaz à effet de serre (performance
environnementale) ; ils sont une opportunité de maintien d’une forme de lien
social lié à l’activité commerçante dans des quartiers « périphériques » - la
population locale y vient pour les services, mais aussi pour s’y rencontrer
(performance sociale) ; enfin, le service est économiquement viable pour les
exploitants.
En ce sens, on rejoint ici les analyses portant sur la « ville durable », laquelle
doit parvenir à réconcilier qualité de vie, nouvelles mobilités, gestion économe et
équité (Hernandez et Keramidas, 2006), avec l’attractivité du territoire (Ibid.). Il
nous semble en effet que les innovations de service décrites ici participent bien
de cette recherche d’un équilibre à quatre variables dans nos villes, auxquelles
s’ajoute un objectif lié au marketing du territoire. Pour ne prendre qu’un exemple,
en devenant une « marque » nationale (puisque reprise pour le système parisien
d’auto-partage), Autolib’ devient le service vitrine des agglomérations qui se
veulent innovantes en matière de développement des solutions de mobilité
douces…
En troisième lieu, les démarches de performance sociale examinées ici s’appuient
sur une compréhension accrue des attentes des partenaires classiques du
service (client, fournisseur, salarié par exemple), mais aussi sur une concertation
avec des parties prenantes diffuses, comme les riverains ou des associations
locales. La concertation avec toutes les parties prenantes est présente en amont
du processus de développement de l’innovation. Cette concertation permet de
vérifier : (1) La rentabilité de l’innovation, et donc sa performance économique
(la pleine connaissance du territoire par Korus ou par l’union des PIMMS est
un élément clé dans le succès attendu des innovations qu’ils développent) ; (2)
l’atteinte de l’objectif de performance sociale, puisque la concertation va aider à
la définition dans ce sens des différents éléments qui constituent la servuction
(Le développement d’un support physique dédié aux personnes à mobilité
réduite dans le cas du service de « taxi-phone » du Petit Viscose d’Echirolles
en est un exemple frappant.) ; (3) L’objectif de performance environnementale,
l’environnement pouvant être considéré comme une partie prenante (Driscoll et
Starik, 2004). Le choix délibéré de favoriser l’usage des modes de transports tel
que prévu par les dispositif du Vélo’v ou Autolib’, s’inscrit dans ce cadre. L’on
peut ainsi se risquer à avancer que la co-innovation avec l’ensemble des parties
prenantes est un facteur clé de succès de la définition d’un nouveau service
durable. Pour finir, l’exemple d’Autolib’, qui fut initialement une activité associative,
est emblématique de cette prise en compte de la dimension sociétale, citoyenne,
tant par les pouvoirs publics que leurs satellites.
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Vers une nouvelle économie des services
publics durables
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Notre recherche soulève des questions évidentes concernant la performance
des modèles public-privé issus du New Public Management, jugée souvent très
décevante au regard des résultats obtenus (Hernandez et Keramidas, 2006), et
pour le moins bâtie sur une posture idéologique – binaire – critiquable (Rochet,
2010). Dans le cas particulier de la France, cela nous renvoie bien sûr au thème
de la « modernisation » du service public (cf. le célèbre rapport Nora9). Or nous
partageons ici les mises en garde de J.-P. Le Goff (2000) ou de C. Rochet (2008)
à l’égard d’une application béate et exaltée des techniques d’entreprise dans
la sphère publique10, application qui, durant les années 80 et 90, a contribué à
l’éclosion d’une véritable « crise identitaire » (Chevallier, 2005, p. 42) dans les
organisations publiques. Dans l’ouvrage où elle étudie l’impact des changements
voulus par le management sur l’équipe d’un bureau de Poste, F. Hanique (2004)
amorce sa réflexion en rappelant que « l’horizon proposé par le discours des
dirigeants emprunte au modèle de l’entreprise privée, entité abstraite, mythifiée
par les agents de la Poste, valorisée et disqualifiée à la fois » (p. 13). Dès lors, se
voir imposer par le management et par l’extérieur (le monde de l’entreprise et ses
consultants…) un modèle très différent de celui que l’on avait choisi initialement,
tant dans ses valeurs que dans ses pratiques et sa sémantique, n’est pas sans
poser de problème… Il ne s’agit donc pas, ici, « d’exalter » à notre tour les
« bienfaits » du secteur privé et de son management dans la sphère publique,
mais bien de reconsidérer la question des partenariats public-privé lorsqu’ils sont
générateurs d’innovations, elles-mêmes porteuses des valeurs du service public
et, ici, des considérations du développement durable. Nous nous inscrivons
ainsi pleinement dans le sillage des travaux qui mettent en lumière le rôle de
l’innovation comme levier du changement dans les services publics (Hatchuel et
Pallez, 1997), en veillant à nous « dégager d’un contexte idéologique qui voudrait
associer « performance » et « privatisation » » (Rochet, 2008). Les expériences
« d’hybridation » présentées dans cette recherche montrent bien qu’il est possible
de faire évoluer l’offre de service public en y associant le secteur privé, sans que
cela ne dénature en rien les exigences et objectifs de la gestion publique.11
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publiques qui a fait date dans notre histoire institutionnelle (1967).
10. In « Les illusions du management », p. 151.
11. Ces hybridations relèveraient alors pleinement du principe de « libre organisation » dont parle C. Rochet (2009, p. 21), principe
figurant dans le « cahier des charges » (Ibid.) du management public. Il oppose ce principe aux principes intangibles du type « service
public = gestion par l’Etat ».
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Conclusion : Vers une performance accrue des nouveaux services publics
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Vers une nouvelle économie des services
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