Place de la santé mentale en médecine générale

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L’Information psychiatrique 2014 ; 90 : 311–7
MÉDECINE GÉNÉRALE ET PSYCHIATRIE
États des lieux.
Recherche action nationale « Place de la santé
mentale en médecine générale »
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 02/06/2017.
Gérard Milleret 1 , Imane Benradia 2 , William Guicherd 3 , Jean-Luc Roelandt 4
RÉSUMÉ
Afin de mieux comprendre les pratiques des médecins généralistes en lien avec les troubles mentaux et leurs attentes
vis-à-vis des acteurs de la santé mentale, la recherche-action « Place de la santé mentale en médecine générale » a été
réalisée conjointement par le Centre collaborateur de l’OMS (Lille) et le Centre hospitalier de La Chartreuse (Dijon).
Cent un secteurs de psychiatrie ont participé à l’enquête et 2076 questionnaires ont été recueillis. Les principaux freins
à une coopération efficiente entre la médecine générale et les services spécialisés en santé mentale seraient liés aux
difficultés d’orientation des patients, à la stigmatisation et la réticence des patients et au coût élevé des prises en charge en
psychothérapie dans le secteur privé. L’optimisation de l’action conjointe du médecin généraliste et des professionnels de
la psychiatrie passerait par l’amélioration de la communication, de la formation et du soin en santé mentale en première
ligne.
Mots clés : médecine générale, psychiatrie, santé mentale, questionnaire, enquête, partenariat, coordination
ABSTRACT
National Action Research “The Place of Mental Health in General Practice”. In order to better understand the practices
of general practitioners (GP) in relation to mental health disorders and their expectations of mental health participants,
the WHO Collaborating Centre (Lille) and La Chartreuse Hospital (Dijon) carried out research regarding the “Place of
Mental Health in General Medicine”. A total of 101 psychiatric sectors participated in the study and 2,076 questionnaires
were collected. The main obstacles to effective co-operation between GP and mental health services were related to the
difficulties of referral, stigma and reluctance of patients, as well as the high cost of psychotherapy in the private sector. The
optimization of joint action by the GP and psychiatric professionals requires an improvement in communications, training
and mental health care in the primary care system.
doi:10.1684/ipe.2014.1200
Key words: general medicine, psychiatry, mental health, questionnaire, survey, partnership, coordination
1 Psychiatre, chef de pôle, Centre hospitalier La Chartreuse, 1, boulevard Chanoine Kir, 21033 Dijon cedex, France
<[email protected]>
2 Psychologue, Centre collaborateur de l’OMS, EPSM Lille-Métropole, 211 rue Roger Salengro, 59 260 Hellemmes-Lille, France
3 Médecin assistant, Centre hospitalier La Chartreuse
4 Psychiatre, directeur, Centre collaborateur de l’OMS, EPSM Lille-Métropole
Tirés à part : G. Milleret
L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 90, N◦ 5 - MAI 2014
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Pour citer cet article : Milleret G, Benradia I, Guicherd W, Roelandt JL. États des lieux. Recherche action nationale « Place de la santé mentale en médecine générale ».
L’Information psychiatrique 2014 ; 90 : 311-7 doi:10.1684/ipe.2014.1200
G. Milleret, et al.
RESUMEN
Medicina general y psiquiatría: Examen de lasituation. Con el fin de entender mejor las prácticas de los médicos
generalistas en relación con los trastornos mentales y sus expectativas hacia los actores de la salud mental, la investigaciónacción “Lugar de la salud mental en la Medicina general” se realizó conjuntamente por el Centro colaborador de la OMS
(Lille) y el Centro hospitalario de La Chartreuse (Dijon). 101 sectores de psiquiatría participaron en la encuesta y se
recogieron 2.076 cuestionarios. Los principales frenos a una cooperación eficiente entre la medicina general y los servicios
especializados en salud mental estarían vinculados con dificultades de orientación de los pacientes, la estigmatización
y reticiencia de los pacientes y el coste elevado de la atención en psicoterapia en el sector privado. La optimización de
la acción conjunta del médico generalista y de los profesionales de la psiquiatría pasaría por mejorar la comunicación,
formación y cuidado en salud mental de primera línea.
Palabras claves : medicina general, psiquiatría, salud mental, cuestionario, encuesta, asociación, coordinación
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Introduction
Notre travail quotidien (en institution ou en centre
médico-psychologique) met en évidence la place essentielle
du médecin généraliste comme partenaire principal dans la
prise en charge.
Cette constatation intuitive est confirmée si nous nous
référons à l’enquête « Santé mentale en population générale : image et réalité » réalisée par le Centre collaborateur
de l’Organisation mondiale de la santé (CCOMS, Lille) [2].
Cette recherche estimait à 42 % la part de la population qui
se tournait vers le médecin de famille comme premier acteur
en cas de difficultés psychologiques. Un travail effectué en
2003 en Côte-d’Or l’a aussi prouvé [22].
Les psychiatres ne sont pas les seuls à être sollicités
pour soigner la souffrance psychique. D’autres partenaires,
d’autres acteurs interviennent dans la prise en charge [4].
Dans ce contexte, nous avons décidé d’aller plus loin afin
d’essayer d’évaluer ce travail de partenariat trop souvent
sous-estimé.
Objectifs
Nous pouvons d’abord nous recommander des bonnes
pratiques de l’OMS élaborées à Helsinki en 2005 [11, 1517].
Auparavant, dans le cadre d’un travail de réseau de soins,
nous avions en 2003 mis en place une enquête sur le département de la Côte-d’Or : « Place de la maladie mentale dans
la pratique quotidienne du médecin généraliste ».
Les résultats avaient été particulièrement riches
d’enseignement. Le taux de réponse avait été remarquable
puisque près de la moitié des praticiens du département
(246 médecins généralistes) avait répondu au questionnaire
[22].
Cette enquête évaluait dans la patientèle : 24,7 % de
troubles anxio-dépressifs, 7,72 % d’addictions à l’alcool et
1,54 % à d’autres produits. Manifestement plus d’un tiers
de la patientèle consultait pour des demandes liées à la
souffrance psychique. À partir de ces constatations nous
ne pouvions nous limiter à un seul département français.
312
Avec le Centre collaborateur OMS pour la recherche et
la formation en santé mentale (Lille), un élargissement de
cette étude a été entrepris sur le territoire national.
Il s’agissait avant tout d’évaluer la perception des
troubles psychiques par les médecins généraliste en tenant
compte de leur approche soignante au quotidien.
Méthodologie
Le questionnaire établi souhaitant préciser les concordances et les divergences dans les pratiques de terrain :
– Comment est perçue la psychiatrie par les médecins
généralistes ?
– Quelle attitude adoptent-t-ils vis-à-vis des personnes
ayant des troubles psychiques ?
– Comment est leur vision des soins psychiatriques ?
1. Élaboration du questionnaire d’enquête
Nous avons réactualisé le questionnaire du travail effectué en Côte-d’Or en 2003. Un groupe test de 50 collègues a
été constitué avec des médecins généralistes exerçant dans
les régions Bourgogne et Nord Pas-de-Calais.
À partir de leurs remarques, le questionnaire a été
amélioré et a été validé lors d’une rencontre nationale
qui a regroupé 75 professionnels de la psychiatrie et de
la médecine générale, le 21 janvier au centre hospitalier
Sainte-Anne à Paris.
2. Le questionnaire d’enquête :
Le questionnaire comporte 21 questions structurées en
9 rubriques, explorant les champs suivants :
1) La perception par les médecins généralistes de l’offre
de soin en santé mentale.
2) Les facteurs favorisant et obstacles à l’orientation vers
une prise en charge spécialisée de santé mentale, publique
et privée.
3) La place dans la pratique et la perception des hospitalisations sans consentement par le médecin généraliste.
4) Une estimation de la part de la patientèle consultant pour
un trouble psychique (par catégorie de trouble et catégorie
d’âge).
5) L’état et les modalités de communication entre le médecin généraliste et la psychiatrie.
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Perception de l’évolution de la psychiatrie
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Encadré méthodologie :
Après avoir adressé la proposition d’enquête à
l’ensemble des secteurs psychiatriques français, les responsables des secteurs intéressés recevaient un kit quant
au déroulement de l’enquête.
L’étape préalable consistait à établir un fichier
d’adresses postales des médecins généralistes exerçant
sur le territoire du secteur participant.
Étape n◦ 1 : l’ordre départemental des médecins était
informé en sachant que l’ordre national avait déjà donné
son aval pour cette étude.
Étape 2 : les médecins généralistes recevaient le questionnaire d’enquête.
Étape 3 : une lettre de relance leur était adressée cinq
semaines plus tard.
Étape 4 : les réponses recueillies par la responsable du
secteur référent étaient adressées au service qualité du
centre hospitalier La Chartreuse à Dijon où ils étaient
saisis.
Étape 5 : les résultats étaient retournés à chaque site participant afin qu’il puisse servir de base de travail quant
au partenariat à mettre en place.
Les résultats
Cent un secteurs de psychiatrie ont participé, appartenant
à 14 régions en France métropolitaine et 2 départements
d’Outre-Mer (la Réunion et la Guadeloupe).
Deux mille soixante-seize questionnaires ont été
recueillis et saisis par l’équipe du Centre hospitalier La
Chartreuse.
Le taux de participation suivant les sites est très variable :
il va de 10 à 75 % des médecins généralistes sollicités.
L’ensemble des secteurs de la région Bourgogne [18]
a participé alors qu’en Alsace, un seul secteur a intégré
l’étude.
Présentation de l’échantillon
Soixante-treize pour cent des médecins participant à
l’étude sont des hommes. La participation est plus faible
chez les médecins femmes (elles représentent 41 % des
médecins exerçant sur le territoire national d’après l’ordre
des médecins1 ). Les participants sont légèrement plus nombreux à exercer en groupe (53 %), qu’en individuel (47 %).
Dix-huit pour cent des médecins déclarent une orientation spécifique : prédominance pour la gériatrie,
l’homéopathie et la médecine du sport.
1 Source : Conseil national de l’ordre des médecins, Atlas de la démographie médicale 2012. www.conseil-national.medecin.fr/article/atlas-de-lademographie-medicale-2012-1245.
Soixante-et-un pour cent des médecins généralistes
consultés estiment que l’offre de soin en psychiatrie a
évolué ces dernières années. Bien que 20 % d’entre eux
qualifient cette évolution de favorable, plus généralement
les participants estiment cependant que l’offre de soin a
évolué négativement, qu’elle s’est dégradée ces dernières
années. Les difficultés d’accès aux soins et l’insuffisance
du nombre de psychiatres sont aussi évoquées.
Plus de la moitié des médecins participant déclare que
le regard de leurs patients sur la psychiatrie a évolué.
Une évolution perçue quasi-unanimement comme positive. Les participants pensent qu’aujourd’hui il y aurait
une meilleure acceptation du trouble psychique, que les
patients auraient « moins peur », moins de réticence à
consulter pour un problème de santé mentale. Le regard
des patients sur la psychiatrie serait moins péjoratif, moins
stigmatisant.
La qualité de l’offre des soins :
Nous avons appréhendé la qualité de l’offre des soins
en psychiatrie selon une dimension quantitative (offre suffisante) et une dimension qualitative (offre adaptée). Les
médecins généralistes participant estiment que le système
de psychiatrie privée offre une prise charge insuffisante
qu’il s’agisse des soins en ambulatoire (87 %) ou bien
en hospitalisation (82 %). Plus de la moitié considère que
l’offre de soins spécialisée privée est inadaptée en hospitalisation (59 %) et en ambulatoire (56 %).
Les soins proposés dans le système de psychiatrie
publique et assimilé sont perçus légèrement plus positifs.
L’hospitalisation est jugée adaptée par la moitié des médecins consultés, et suffisante pour un quart d’entre eux.
Cependant, les soins prodigués en ambulatoire, sont considérés comme insuffisants par 84 % des généralistes.
Les difficultés d’orientation des patients
présentant des troubles psychiques
La question de l’orientation vers une prise en charge
spécialisée par le médecin généraliste est au cœur du lien
entre la médecine générale et la psychiatrie. En effet, 9
médecins sur 10 déclarent rencontrer des difficultés pour
orienter un patient vers une prise en charge en santé mentale. Ils dénoncent essentiellement un manque de place pour
les services en santé mentale et un délai d’attente beaucoup trop long (90 %). Viennent ensuite des problèmes de
communication et de liaison (71 %).
Les médecins pensent qu’au niveau des patients les difficultés concerneraient davantage la négation et le déni des
troubles psychiques, la peur de la folie et de la maladie mentale, mais aussi l’image négative des dispositifs de santé
mentale (figure 1).
À la question, « vous est-il facile d’orienter un patient
vers un service de psychiatrie public ? », 67 % des médecins répondent négativement pour l’hospitalisation. Deux
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0%
10 %
20 %
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40 %
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60 %
70 %
80 %
plusieurs fois par an. Cette procédure de soin sans consentement en psychiatrie est perçue comme nécessaire, mais
elle reste fastidieuse pour le médecin généraliste.
Réticence du patient
Les patients consultant
pour les troubles psychiques :
Délais importants
Amplitude horaire
Coût élevé
Autres
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Hospitalier
Ambulatoire
Figure 1. Motifs des difficultés d’orientation vers le système de psychiatrie public et assimilé.
raisons sont principalement évoquées : la réticence du
patient et le délai d’attente trop important. Orienter un
patient vers une prise en charge ambulatoire serait plus
facile, néanmoins les délais d’attente trop importants représenteraient le principal obstacle (figure 1). L’attente est
également avancée comme difficulté majeure pour orienter
les patients vers une clinique ou un cabinet de consultation
de psychiatrie privé.
Le recours aux psychologues, psychothérapeutes serait
quant à lui freiné par le coût élevé des consultations
(figure 2).
L’hospitalisation sans consentement
Malgré la modification de la loi sur les soins sans consentement (loi du 5 juillet 2011), pendant la durée de l’enquête,
70 % des médecins interrogés déclarent être rarement sollicités pour donner un avis médical dans le cadre d’une
mesure de soins sous contrainte. Le reste des généralistes se répartit de manière presque égale entre ceux qui
ne le pratique jamais et d’autres qui le mettent en place
0%
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À leurs dires, les médecins généralistes sont souvent
consultés pour des troubles anxieux, dépressifs, des addictions à l’alcool ou des troubles chez la personne âgée.
À l’inverse, ils déclarent que les consultations pour des
problèmes liés à la consommation de produits illicites, aux
troubles psychotiques ou aux troubles chez l’enfant représentent une part plutôt faible dans leur activité.
Quoiqu’à leur opinion, ils représentent une part importante dans leur patientèle, les personnes souffrant d’un
trouble anxieux sont peu orientées par eux vers une prise
en charge spécialisée. En revanche, l’orientation vers les
services de psychiatrie est plus importante pour les patients
qui présentent un trouble psychotique.
Modalités de liaison avec les services
de santé mentale :
La première rencontre avec un service de santé mentale
n’est pas choquante pour les médecins généralistes si elle
n’a pas lieu avec un médecin. Ils acceptent facilement qu’un
psychologue ou un infirmier effectue cette première évaluation. Seuls 30 % d’entre eux accepteraient une première
rencontre avec un travailleur du champ social (éducateur,
assistante sociale).
Les modalités de lien et de communication avec les services de santé mentale sont beaucoup plus décriées : si 97 %
des médecins généralistes disent envoyer un courrier au
médecin psychiatre lorsqu’ils orientent leur patient vers un
service de psychiatrie, 74 % déclarent ne recevoir aucun
retour.
Par ailleurs, seuls 26 % adressent un courrier au psychiatre traitant lorsqu’un patient est également suivi par un
service de santé mentale.
Enfin, plus de la moitié souhaiterait des rencontres régulières avec les équipes de psychiatrie.
Réticence du patient
Discussion
Délais importants
Amplitude horaire
Coût élevé
Autres
Clinique
Cabinet
Cabinet de psychothérapie
Figure 2. Motifs des difficultés d’orientation vers le système de psychiatrie privé.
314
Les résultats de cette recherche montrent que le partenariat entre les services de psychiatrie et les médecins
généralistes est à améliorer. Cette enquête est porteuse
d’enseignements sur la coordination des soins. Relevons
d’abord la part importante des troubles anxieux, dépressifs
et les conduites éthyliques soignée par les médecins généralistes. Un résultat qui concorde avec les dernières études sur
la prise en charge de la dépression par les médecins généralistes en France [9]. Généralement les troubles psychiques
(dépression, anxiété, troubles du sommeil) constituent
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États des lieux. Recherche action nationale « Place de la santé mentale en médecine générale »
13 à 15 % des motifs de consultations des médecins généralistes et jusqu’à 25 % des motifs de visites à domicile [7].
Les troubles de santé mentale des personnes âgées ont aussi
toute leur place chez le médecin traitant. Ceci concorde avec
les résultats de l’enquête menée en Côte-d’Or [22].
Les difficultés d’orientation : le délai d’attente pour une
consultation apparaît toujours beaucoup trop important.
Aux dires des médecins généralistes, l’image de la santé
mentale est toujours perçue comme négative avec une part
de stigmatisation et une réticence des patients.
Malgré tout, si est notée une évolution positive, celleci est contredite par les faits concrets : la difficulté à faire
accepter au patient de rencontrer des soignants en psychiatrie est toujours bien présente. Le coût de la prise en charge
psychothérapique dans le dispositif privé est aussi un frein
important.
Les modalités de communication entre psychiatre
et médecin généraliste restent très problématiques et
entraînent une insatisfaction considérable.
Les médecins généralistes disent se donner la peine
d’adresser un courrier au médecin spécialiste, mais
constatent que le retour est beaucoup plus difficile. Seul un
quart des médecins déclare recevoir une lettre du psychiatre
pour leurs patients. À l’opposé, la majorité des secteurs de
psychiatrie déclare être en relation directe avec le médecin
généraliste des patients ou leur psychiatre s’ils sont déjà
suivis [4].
Les difficultés de communication entre médecine générale et psychiatrie sont clairement identifiées dans cette
enquête. En plus des délais de consultation trop importants,
le manque de communication et d’échange d’informations
à propos du patient représentent une critique majeure envers
la psychiatrie, faite par l’ensemble des généralistes [8, 12].
Au vu de ces résultats, plusieurs objectifs ont pu être mis
en avant.
Les résultats sont parfaitement concordants avec les
études menées sur le lien entre médecine générale et psychiatrie. Les études se suivent et les problèmes persistent.
Trois axes d’amélioration
Pour tous, trois principaux axes d’amélioration se
dégagent :
Améliorer la communication
Un groupe test de médecins généralistes et de psychiatres
s’organise actuellement sur Dijon et la périphérie pour
essayer d’optimiser ce système de coordination. D’ailleurs
dans les critères de qualité du Centre hospitalier La Chartreuse à Dijon, a été mis en avant cet objectif afin de combler
de telles lacunes. La mise en place d’un courrier type tant
à l’admission qu’à la sortie est en voie de réalisation. Le
courrier électronique amène quelques réticences liées surtout au secret professionnel. À l’Établissement public de
santé mentale de l’agglomération lilloise, un document éla-
boré conjointement avec des médecins généralistes et des
psychiatres permet d’améliorer la communication. Les présidents de CME de CHS et le collège de médecine générale
ont élaboré une charte de fonctionnement. Dans ce numéro
thématique de l’Information Psychiatrique, l’expérience de
M.-C. Hardy-Baylé à Versailles est tout à fait pertinente en
la matière. Les recommandations du Collège national pour
la qualité des soins en psychiatrie portant sur l’amélioration
de l’échange d’informations entre psychiatre et médecin
généraliste sont tout à fait pertinentes et méritent une large
application [5].
Améliorer les formations
L’étude « Santé mentale en population générale » [10]
montre la fréquence élevée d’usage de psychotropes dans
la population générale : plus d’un tiers des sujets a déclaré
avoir fait usage de psychotropes au cours de la vie. Mais
cette fréquence est associée à une faible congruence entre
la présence ou l’absence d’un diagnostic psychiatrique et
la présence ou l’absence d’un traitement psychotrope au
cours de la vie. Ce résultat montre la nécessité d’améliorer la
formation des médecins généralistes dans la prise en charge
des troubles psychiques.
À partir de cette recherche-action psychiatrie-médecine
générale, des groupes de réflexion pourraient être mis en
place sur différents sites en France, pour essayer de mieux
appréhender des situations complexes, mieux faire connaître notre organisation quant à la santé mentale et notre travail
de proximité. C’est ainsi qu’il faudrait familiariser le plus
grand nombre avec des notions de parcours de soins en santé
mentale et le fonctionnement du secteur en psychiatrie. Cela
passe également par la formation des futurs spécialistes au
travail en réseau et dans la communauté. Cet échange permettrait d’alléger certaines situations mais la crainte des
soignants en milieu psychiatrique, de se laisser déborder
par les demandes est souvent sous-jacente. Malgré tout, le
relais par le médecin généraliste, par le renouvellement des
prescriptions médicamenteuses et la prise en charge globale
des personnes, n’est pas à négliger.
Améliorer l’offre de soins alternatifs à l’hospitalisation
et les soins de première ligne
Des structures permettant un accès précoce au soin
sont à favoriser au vu de ces difficultés. Des propositions
comprennent la diversification des structures de soins avec
renforcement de la proximité pour une prise en charge facilitée. La création d’équipes mobiles en est un exemple.
Enfin, dans cet axe, mettre en place une collaboration
avec les maisons de santé ou les groupes de médecins associés lors des permanences soignantes au sein de leur cabinet
apparaît comme une idée intéressante à plusieurs points de
vue. C’est en ce sens que nous essayons d’élaborer sur la
région dijonnaise un partenariat. De plus en plus de services
de psychiatrie publique rejoignent les cabinets pluridisciplinaires.
L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 90, N◦ 5 - MAI 2014
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G. Milleret, et al.
Les objectifs seront axés sur la formation professionnelle, la place des psychologues et des infirmiers des
services de santé mentale au sein de cabinets de médecins généralistes, et la coordination de l’action conjointe
des partenaires de santé.
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Conclusion
Au vu de cette enquête, un certain nombre de constatations nous amène à des réflexions quant à la coordination
de la psychiatrie avec les soins en médecine générale. Si
la part importante de la patientèle souffre de troubles psychiques, les démarches d’orientation et de coordination vers
le système de santé mentale restent encore à améliorer. Un
effort important de communication et d’accessibilité rapide
des services de santé mentale doit être mis en œuvre. Il est
anormal que cette situation, connue depuis des décennies
perdure. Peut-être est-ce cela le fait de la coupure entre
les soins de santé primaires et les services de psychiatrie
publique. Le secteur de psychiatrie doit fortement évoluer
et transformer ses pratiques pour être intégré à part entière
dans le paysage médical et social, et ne pas occuper une
place à part dans la cité. Pour permettre un accès aux soins
physiques par l’intermédiaire de la médecine générale aux
personnes présentant des troubles psychiques [21], c’est
une rupture épistémologique qui doit avoir lieu entre la
psychiatrie publique et les soins de santé primaires. La première ligne de soin devrait être organisée par la médecine
générale. Cela implique de mettre en lien fortement les services de psychiatrie de proximité et les services de santé
primaire [14]. Adresser un courrier systématique des spécialistes aux généralistes et réciproquement devrait être la
règle [5], afin que toute personne orientée par un médecin généraliste soit vue dans les 48 heures, quel que soit
le motif [3, 6]. Ce serait possible en organisant un transfert
de compétence et en développant encore plus l’intervention
des infirmiers en première ligne dans les secteurs de psychiatrie, en créant des équipes mobiles de soins intensifs en
articulation étroite avec la médecine générale et les infirmiers libéraux, ainsi que les pharmaciens de villes. Cela
serait possible que si nous organisons un transfert de missions vers nos collègues infirmiers, qui deviendraient alors
de fait des infirmiers cliniciens. Cette idée est accueillie
positivement par les médecins généralistes. Cette enquête
d’opinions concernant les liens entre la médecine générale
et l’offre de soins en santé mentale montre la nécessité d’un
changement du fonctionnement de la psychiatrie à l’heure
actuelle et de changements profonds de pratiques. D’autant
que le médecin généraliste est souvent le premier recours
en santé mentale, et parfois le seul, pour une part non négligeable de la patientèle, en population générale [1, 18, 19].
Sa parenté avec le psychiatre reste évidente [13], ces deux
praticiens du champ de la santé considérant plus le patient
316
comme une personne, avant d’être des organes, dans une
conception psycho-bio-sociale.
Cette enquête est une recherche-action, le deuxième
temps de la restitution et des propositions ne doit pas contredire ce qui avait été annoncé. Pour les usagers des systèmes
de santé et plus particulièrement de santé mentale, il y a
lieu d’en prendre compte et d’en tirer toutes les conséquences pour l’accès aux soins de qualité et pour lutter contre
la stigmatisation psychiatrique, il convient d’améliorer les
liaisons et l’articulation concrète, tant de la part des psychiatres que des médecins généralistes [11, 20, 23]. Ceci
est possible dès aujourd’hui, et sera plus efficace que
des déclarations des bonnes intentions ou des catalogues
d’actions connus depuis bien longtemps, bien documentés
mais non mis en œuvre, ce qui donne à nouveau dans cette
enquête, les mêmes résultats insatisfaisants pour les deux
disciplines.
Liens d’intérêts : les auteurs ne déclarent aucun lien
d’intérêt en rapport avec cet article.
Références
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L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 90, N◦ 5 - MAI 2014
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