Université Cheikh Anta Diop de Dakar Faculté des sciences Juridiques et Politiques *********** Année Universitaire 2015/2016 Licence 2 Sciences Juridiques 1er Semestre Droit des Contrats EQUIPE PEDAGOGIQUE Chargé du Cours : Professeur Samuel Aristide BADJI Coordonnateur : M. Christian Ousmane DIOUF Chargés (es) des Travaux dirigés Mme Fatimata Kane SOW / M. Sidy Nar DIAGNE / M. Abdou Yade SARR / M. Samba DABO /Dr. El Hadji Samba NDIAYE / Melle Sokhna Mariama Seye Fall / M. Khamad NDOUR / M. Christian Ousmane DIOUF / Mme Ndeye Fatou Lecor DIAW / Mme Nogoye Ndour NIANG/ Mme Fatou Seck Youm GUEYE / M. Assane MBAYE Séance n° 2 Thème : la période précontractuelle Sous-thème : les avant-contrats Exercice : commentaire d’article Commentaire des articles 382 et 383 du COCC Article 382 Code des obligations civiles et commerciales Avant-contrat L’acte par lequel les parties s’engagent, l’une à céder, l’autre à acquérir un droit sur l’immeuble, est une promesse synallagmatique de contrat Elle oblige l’une et l’autre partie à parfaire le contrat en faisant procéder à l’inscription du transfert du droit à la conservation de la propriété foncière Article 383 Code des obligations civiles et commerciales Conditions de forme Le contrat doit à peine, de nullité absolue, être passé par devant un notaire territorialement compétent sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires. Bibliographie : Ouvrages et revues : Boyer L., Les promesses synallagmatiques de vente : contribution à l’étude des avant- contrats, RTDCiv 1949, 1 et s. Chauvin P., Quelle sanction en cas de violation d’un pacte de préférence, RIDA 8-9/ 2006 - Mazeaud D., Mystères et paradoxes de la période précontractuelle, in Etudes offertes à Jacques Ghestin, LGDJ, 2001, 637. - Mestre J., La période précontractuelle et la formation du contrat, Les Petites Affiches, 5 mai 2000, 7. - Mousseron P., Conduite des négociations contractuelles et responsabilité civile délictuelle, RTD com., 1998, 243. - Schmidt-Szalewski J., 1- La période précontractuelle en droit français, RIDC 2-1990, pp. 545-566. 2- La sanction de la faute précontractuelle, RTD civ., 1974, 46. Voirin P., Le pacte de préférence, JCP 1954, I, 1192. Documents Document n° 1 Dispositions légales : Article 79 du Code des obligations civiles et commerciales Contrat entre présents Les parties doivent échanger leurs consentements sur toutes les stipulations du contrat. Toutefois, le contrat est réputé conclu dès que les parties se sont mises d’accord sur les points essentiels, notamment sur la nature et l’objet des prestations promises. Article 318 du Code des obligations civiles et commerciales Définition du droit de préemption Quelle qu’en soit la source, le droit de préemption donne à une personne la faculté de se porter acquéreur d’un bien de préférence à toute autre. Ce droit peut s’exercer dans toute espèce de vente. Article 319 du Code des obligations civiles et commerciales Droit de préemption conventionnel Le droit de préemption d’origine conventionnelle résulte du pacte de préférence. Ce pacte est soumis aux règles des promesses de vente. Article 320 du Code des obligations civiles et commerciales Effet quant au promettant Le promettant est tenu de faire connaître au bénéficiaire sa décision d’aliéner et les conditions du contrat qu’il projette de passer avec un tiers. Article 321 du Code des obligations civiles et commerciales Diverses sortes de promesses de vente Le contrat de vente peut être précédé d’une promesse de vente, synallagmatique ou unilatérale. Article 322 du Code des obligations civiles et commerciales Promesse synallagmatique La promesse synallagmatique est celle par laquelle les deux parties sont d’accord, le vendeur pour vendre, l’acheteur pour acheter une chose déterminée pour un prix fixé. Article 323 du Code des obligations civiles et commerciales Effets La promesse synallagmatique est une vente parfaite lorsque le contrat peut être passé librement. Dans le cas contraire, elle oblige les parties à parfaire le contrat en accomplissant les formalités nécessaires à sa formation. Article 324 du Code des obligations civiles et commerciales Promesse unilatérale de vente La promesse de vente est unilatérale lorsque le bénéficiaire de l’offre n’assume aucune obligation d’acheter, alors que le promettant est tenu de l’obligation de vendre. Article 325 du Code des obligations civiles et commerciales Effets Lorsque toutes les conditions nécessaires à la formation de la vente sont fixées dans le contrat, la promesse de vente engage le vendeur et fait naître l’option au profit de l’acheteur. La promesse de vente est parfaite dès l’échange des consentements et la vente est conclue au moment où l’acquéreur lève l’option. Article 326 du Code des obligations civiles et commerciales Violation de la promesse de vente Si, malgré sa promesse, le promettant a vendu la chose à un tiers, le bénéficiaire peut lui réclamer des dommages et intérêts ; il ne peut poursuivre l’annulation du contrat contre le tiers acquéreur que s’il établit la mauvaise foi de ce dernier au moment de l’acquisition. Article 327 du Code des obligations civiles et commerciales Promesse unilatérale d’achat, définition La promesse d’achat est une convention par laquelle une personne s’engage à acheter une chose si le vendeur consent à la vendre. Article 328 du Code des obligations civiles et commerciales Effets Le promettant est lié par l’acceptation du vendeur si toutes les conditions de la vente sont fixées dans le contrat. La vente est conclue lorsque le vendeur fait connaître son adhésion à vendre la chose. Article 382 Code des obligations civiles et commerciales Avant-contrat L’acte par lequel les parties s’engagent, l’une à céder, l’autre à acquérir un droit sur l’immeuble, est une promesse synallagmatique de contrat Elle oblige l’une et l’autre partie à parfaire le contrat en faisant procéder à l’inscription du transfert du droit à la conservation de la propriété foncière Article 383 Code des obligations civiles et commerciales Conditions de forme Le contrat doit à peine, de nullité absolue, être passé par devant un notaire territorialement compétent sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires. Document n° 2 Boubacar Diallo, « Promesse sous seing privés de vente d’immeuble immatriculé ne vaut ? » Observation sur CS Sénégal n°79 du 16 juillet 2008, Aliou Bathily c/ Abdoul Diallo Cour suprême (ex. Cour de cassation) du Sénégal Arrêt n° 79 du 16 juillet 2008 Aliou Bathily c/Abdoul Diallo pj La Cour Après en avoir délibéré conformément à la loi ; Vu la loi organique n° 92-25 du 30 mai 1992 sur la Cour de cassation ; Attendu, selon l’arrêt confirmatif attaqué, que par jugement du 28 mars 2001, le tribunal régional de Dakar, après avoir rejeté la demande de résolution du contrat de vente conclu entre Aliou Bathily et Abdoul Diallo et constaté que ce dernier s’est libéré du prix convenu, a ordonné la perfection du contrat sous astreinte de 15000 F par jour de retard ; Sur le premier moyen pris de la violation des dispositions des articles 323, 382 et 383 du Code des Obligations Civiles et Commerciales, en ce que le juge d’appel a confirmé le perfection de la vente sur la base uniquement d’un acte sous seing privé n’ayant pas date certaine, passé entre le défendeur au pourvoi et El hadji Mamadou Sall qui, ne disposant pas d’une procuration notariée, n’a jamais justifié être son mandataire, alors que, s’agissant d’un titre foncier, les transactions portant sur l’immeuble dont la perfection de la vente était recherchée, sont régies par un formalisme rigoureux fixé par les règles visées au moyen ; Vu les articles 323, 382 et 383 du Code des Obligations Civiles et Commerciales, ensemble l’article 258 du même Code ; Attendu qu’en vertu de ces textes d’ordre public, la vente et la promesse synallagmatique de vente d’un immeuble immatriculé, ainsi que la procuration donnée pour conclure de tels actes doivent, à peine de nullité absolue, être passées par devant notaire ; Attendu que, pour confirmer le jugement entrepris, qui a ordonné la perfection de la vente d’un immeuble objet du TF n° 19916/DG sur la base d’un acte sous seing privé, l’arrêt retient « que l’appelant principal bien que représenté par un conseil, n’a versé au dossier, à part l’acte d’appel, aucune autre pièce pour soutenir sa demande tendant à l’infirmation de la décision attaquée ; que l’attitude de l’appelant laisse supposer qu’il n’a pas de moyens sérieux à opposer aux arguments retenus par les premiers juges » ; Qu’en se déterminant ainsi, alors que la vente porte sur un immeuble immatriculé, la cour d’Appel a violé les textes susvisés ; Par ces motifs, Et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les deuxième et troisième moyens : Casse et annule… OBSERVATIONS 1. « Les promesses n’engagent que ceux qui y croient »1 lorsqu’elles portent sur la vente d’un immeuble immatriculé et si elles ont été passées par acte sous seings privés. Cet enseignement constant1 de la jurisprudence de la Cour suprême du Sénégal2 vient, à nouveau, d’être confirmé par l’arrêt n° 79 du 16 juillet 2008. Toutefois, malgré cette constance de la jurisprudence de la Cour, cet arrêt peut faire débat à un double point de vue, au moins. D’une part, la règle plusieurs fois répétée ne semble pas être parfaitement entendue par les juridictions du fond. Certaines décisions continuent à accorder, comme en l’espèce, une certaine valeur juridique à la promesse sous seings privés de vente d’immeuble immatriculé. C’est le signe que le principe du formalisme de la promesse est loin de faire 1 Cf. CS, 2ème civ. et com., 04 juin 1993, Arrêt n° 107, EDJA n° 24, janv. - mars 1995, note A. Cissé. Plus récemment, la Cour a encore affirmé l’exigence d’un acte authentique en approuvant la décision d’une Cour d’appel qui avait retenu que « la promesse synallagmatique de vente d’un immeuble immatriculé doit revêtir la forme d’un acte authentique » : CS, civ. et com., 16 janvier 2008, arrêt n° 21, Youssou Seck c/SNR, Bull n° 16, op. cit. Dans le même sens, CS, civ. et com., 05 déc. 2007, arrêt n° 121, Amadou Lamine Kébé c/Mayoro Mbaye, Bull n° 15, année judiciaire 2006-2007 : « … tant la promesse de vente que le contrat définitif ayant pour objet la vente d’un immeuble immatriculé au livre foncier doivent être établis obligatoirement par un notaire ». Et, plus récemment, CS, civ. et com. n° 63 du 18 nov. 2009, Nasrallah c/S.C.I. Padrino. 2 La loi organique n° 2008-35 du 7 août 2008 a institué, à nouveau, une Cour suprême, au Sénégal, qui a repris les compétences de la Cour de cassation, notamment, en matière civile et commerciale. La Cour de cassation avait été instituée, en même temps qu’un Conseil constitutionnel et un Conseil d’Etat, en remplacement de l’ancienne Cour suprême, par la loi organique n° 92-25 du 30 mai 1992. Aussi, l’expression « Cour suprême du Sénégal » (et l’abréviation « CS ») sera-t-elle utilisée pour désigner, indistinctement, les arrêts rendus par la Cour de cassation sénégalaise et la Cour suprême du Sénégal qui se sont succédés, notamment, en matière civile et commerciale. L’expression « Cour de cassation » (et l’abréviation « cass. ») désignera la Cour de cassation française, afin d’éviter les équivoques. l’unanimité. Il appelle certaines critiques qui, à maints égards, paraissent légitimes au regard du fondement discutable que lui assigne la Cour suprême. D’autre part, le principe de solution consacré apporte une précision supplémentaire quant à la portée 1 Souvent prêtée aux hommes politiques (on se demande bien pourquoi ?), cette expression aurait pour origine la pancarte « demain on rase gratis » qui ornait, en permanence, la porte d’un barbier. On imagine facilement l’étonnement de ceux qui se présentaient le lendemain et se voyaient réclamer paiement au motif que « c’est demain que c’est gratuit ». du formalisme des contrats relatifs à une transaction immobilière, au-delà de la seule promesse de vente3. Cet arrêt suscite ainsi une discussion essentielle sur la détermination des contours du formalisme des contrats relatifs aux immeubles immatriculés4. A l’origine de cette affaire, un mandataire ne justifiant pas d’une procuration notariée avait signé un acte sous seings privés portant sur la vente d’un immeuble immatriculé. La perfection de la vente a été poursuivie par le futur acquéreur qui s’était libéré du prix convenu. Celle-ci sera ordonnée par la Cour d’appel de Dakar dans son arrêt n° 657 du 17 décembre 2004, confirmant le jugement entrepris par le tribunal régional hors classe de Dakar en date du 28 mars 2001. En déférant cet arrêt de la Cour d’appel à la censure de la Haute juridiction sénégalaise, le pourvoi l’invitait à se prononcer sur la question de savoir si la promesse synallagmatique de vente sous seings privés portant sur un immeuble immatriculé est valable. Répondant clairement par la négative, la Cour suprême a affirmé qu’une telle promesse, tout comme la vente sur laquelle elle porte, doivent être passées par acte notarié. 2. 3. Cet arrêt soulève des interrogations liées à la portée du formalisme des actes relatifs aux immeubles immatriculés ainsi qu’à la valeur juridique de tels actes lorsqu’ils sont passés sous seings privés. La Cour suprême y a apporté des réponses tranchées en se prononçant sur la nature de la sanction de la violation de l’exigence d’un acte notarié. Mais, de manière sousjacente, l’arrêt interpelle sur certaines questions. D’un point de vue de pure technique juridique, une distinction nette suivant la nature des actes intervenus entre les parties n’a pas été clairement faite au regard des dispositions visées. La Cour n’a pas fait le départ, ni affirmé clairement l’assimilation entre la promesse visée par l’article 382 et « le contrat » auquel se réfère l’article 383. La promesse de vente -et au-delà d’elle, les avant-contratsest-elle visée sous ce vocable « contrat » ou est-ce seulement la vente définitive qui est visée ? D’un point de vue de politique juridique, la nature des intérêts en cause dans les transactions en matière immobilière doit être définie. De telles opérations concernent-elles la protection des parties ou de la société, d’intérêts particuliers ou de l’intérêt général ? Dans certains systèmes juridiques, la promesse synallagmatique de vente (ou la vente), même portant sur un immeuble, peut être passée par acte sous seings privés sans que sa validité ne soit remise en cause par ce seul fait5. Dans ce cas, la portée de la promesse est déterminée par les stipulations des parties. Celles-ci peuvent ainsi différer la seule prise d’effets de la vente jusqu’à l’accomplissement de certaines formalités, auquel cas, la promesse 3 Cf. infra : n° 33. - s. La question est d’autant plus importante dans le contexte du Sénégal. En effet, si dans le contexte français, « en matière civile, la vente d’immeuble est presque toujours établie par acte authentique, le plus souvent notarié » (Ph. Malaurie, L. Aynès, P.-Y. Gautier, Les contrats spéciaux, Paris, Defrénois, 2003, n° 156), au Sénégal, le recours à l’écrit et, particulièrement, à l’écrit authentique est loin d’être systématique. 5 Ainsi, en droit français, la forme notariée n’est pas exigée pour la validité mais seulement pour la publicité de l’acte de vente immobilière classique (la règle, qui vaut pour la vente finale, l’est a fortiori pour les avant-contrats de vente). Il résulte, en revanche, des dispositions de l’article L. 261-11 du CCH que le contrat de vente d’immeubles à construire doit, s’il porte sur un immeuble ou une partie d’immeuble à usage d’habitation ou à usage professionnel et d’habitation, être nécessairement passé par acte notarié à peine de nullité ; et une règle analogue est prévue par l’article L. 262-4 à propos de la vente d’immeubles à rénover. 4 synallagmatique de vente vaut vente6. Mais elles peuvent également prévoir que la formation de la vente est subordonnée à la signature d’un acte authentique dans un certain délai. Dans ce dernier cas, la promesse ne vaut pas vente7. Elle s’analyse en un simple projet non obligatoire que certains qualifient, de manière discutable, de vente sous condition suspensive9. Au Sénégal, la Haute juridiction reste constante en matière d’encadrement des opérations immobilières par le formalisme d’authenticité. Sur le fondement discutable des dispositions d’ordre public du Code des obligations civiles et commerciales (COCC), elle consacre, en effet, l’exigence d’un formalisme des contrats relatifs aux immeubles immatriculés (I). Faut-il y voir une manifestation du renouveau du formalisme en matière contractuelle ? Ce formalisme des contrats relatifs aux droits réels immobiliers irait dans le même sens que les nouvelles tendances vers un formalisme informatif protecteur8. Celui-ci est sanctionné, le plus souvent, sévèrement9, par la jurisprudence. Ou alors, est-ce la marque de lourdeurs mal fondées qui freinent ou ralentissent inutilement les opérations immobilières ? Quel que soit le point de vue adopté, le développement de ce formalisme de validité marque un recul supplémentaire du consensualisme ou liberté des formes contractuelles10. La justification réside, selon la décision d’espèce, dans l’ordre public, c’est-à-dire, des impératifs liés à la protection des parties, des tiers et de la société, en général. Partant, la Cour a apporté une précision quant à la sanction des actes sous seings privés portant sur un immeuble immatriculé (II). 4. I. LE FORMALISME DES CONTRATS RELATIFS AUX IMMEUBLES IMMATRICULÉS 5. Suivant l’arrêt de la chambre civile et commerciale, les actes juridiques litigieux devaient faire l’objet d’un acte passé par devant notaire. Afin de préciser la base juridique de cette exigence, la Cour se réfère à des dispositions d’ordre public comme fondement textuel du formalisme (A). Dans le même temps, elle détermine l’expression de ce formalisme (B). A. LE FONDEMENT TEXTUEL DU FORMALISME 6. Pour asseoir l’exigence de formalisme des contrats relatifs aux droits réels immobiliers, l’arrêt se fonde sur les dispositions combinées des articles 258, 323, 382 et 383 du COCC. Par exemple, si les parties prévoient que le transfert de propriété du bien immobilier ne se produira qu’au jour de la signature de l’acte notarié, on parle de clause de réitération ou de régularisation. Cette clause est valable et s’explique, le plus souvent, par le fait que le paiement du prix se fera le jour de la signature de l’acte authentique entre les mains du notaire rédacteur. Dans ce cas, selon la Cour de cassation française, le contrat étant supposé d’ores et déjà formé, le refus de l’une des parties de se prêter à la formalité requise l’expose à des sanctions dont l’exécution forcée (le cas échéant, un jugement pourra tenir d’acte authentique de vente) : Cass. 3 e civ. 20 déc. 1994, n° 92-20878, Bull. civ. III, n° 229, p. 148 ; JCP G, 1995, p. 353, note Chr. Larroumet ; JCP N, 1996, p. 501, note D. Mainguy. 7 Cf. La vente d’immeuble. Sécurité et transparence, 99 e Congrès des notaires de France, Deauville, 25-28 mai 2003, Paris, Ed. Exposition, 2003, p. 389. 9 Cette qualification est contestable dans la mesure où, d’une part, le consentement ne peut faire l’objet d’une condition et, d’autre part, une telle condition serait purement potestative et, pour cette raison, frappée de nullité. 8 G. Couturier, « Les finalités et les sanctions du formalisme », in n° spécial, J. Flour – Le formalisme, Defrénois 15-30 août 2000, n° 15-16. 9 Magnier, « Les sanctions du formalisme informatif », JCP 2004, I, 106. 10 J.-L. Bergel, Théorie générale du droit, Paris, Dalloz, 4e éd. 2003, n° 87 : « le consensualisme est estompé par une renaissance du formalisme ». 6 L’ensemble de ces dispositions serait d’ordre public et constitue, selon la Cour, la base légale du formalisme exigé. Toutefois, si les textes d’ordre public des articles 258, 382 et 383 du COCC peuvent constituer le siège, le fondement, certes discutable, du formalisme des contrats relatifs aux droits réels immobiliers (1), la référence, par la Cour, à l’article 323, consacré à la promesse de contrat consensuel, est plus contestable et rend ce fondement inopportun (2). 1) Le fondement discutable du formalisme La situation des textes visés en l’espèce dans le Code est primordiale pour l’intelligence de l’arrêt. Ainsi, l’article 258 du COCC consacre le caractère d’ordre public des dispositions relatives, notamment, aux contrats relatifs aux immeubles immatriculés11. Il fait partie des dispositions du titre préliminaire de la deuxième partie du Code traitant des contrats spéciaux12. Toutefois, force est de reconnaître qu’il ne suffit pas, comme le fait la Cour, de constater le caractère d’ordre public des dispositions visées pour caractériser le fondement du formalisme de la promesse ou du mandat. Un examen minutieux de ces textes et de leur situation dans le COCC permet d’apporter de sérieuses réserves sur la justesse de la référence. 7. L’article 382 est consacré à la promesse synallagmatique de vente portant sur un immeuble immatriculé. Il dispose que « l’acte par lequel les parties s’engagent, l’une à céder, l’autre à acquérir un droit sur l’immeuble, est une promesse synallagmatique de contrat »13. L’acte ainsi défini « oblige l’une et l’autre partie à parfaire le contrat en faisant procéder à l’inscription du transfert du droit à la Conservation de la propriété foncière »14. Mais pour produire des effets, la promesse synallagmatique de contrat doit-elle respecter la condition inscrite à l’article 383 ? Celui-ci, introduit par la loi n° 85-37 du 23 juillet 1985, dispose que « le contrat doit, à peine de nullité, être passé devant un notaire territorialement compétent sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires »15. Le champ d’application de ce dernier texte pourrait faire débat du fait de l’usage du terme « le contrat » par le législateur. 8. 9. Une première lecture, privilégiée par la Cour, suggère que « le contrat » visé est entendu au sens large englobant l’« avantcontrat » dont traite l’article 382 du COCC16. C’est ainsi que l’on peut 11 Ainsi, après avoir précisé que les dispositions de la deuxième partie du Code sont supplétives de volonté, le législateur affirme, dans le second alinéa de l’article 258 que, « ne tolèrent pas la convention contraire, les règles concernant les contrats portant sur les immeubles immatriculés et le fonds de commerce, les baux à usage d’habitation ou à usage commercial, l’assurance ainsi que toute disposition particulière expressément déclarée d’ordre public ». 12 Loi n° 66-70 du 13 juillet 1962, entrée en vigueur le 1er janvier 1967, plusieurs fois modifiée, notamment par la loi n° 85-37 du 23 juillet 1985 et par la loi n° 98-21 du 26 mars 1998 abrogeant les dispositions modifiées et remplacées par celles de l’OHADA. Dans le livre premier consacré aux contrats translatifs de propriété, quatre chapitres sont dédiés successivement à la vente, aux autres contrats translatifs, aux contrats relatifs aux droits réels portant sur les immeubles immatriculés et à la vente de fonds de commerce. Les articles 382 et 383 du COCC, logés dans le chapitre consacré aux contrats relatifs aux droits réels immobiliers sont donc indiscutablement d’ordre public. 13 Art. 382 al. 1. 14 Art. 382 al. 2. 15 Ce texte peut être rapproché de l’article L. 261-11 du Code français de la construction et de l’habitation qui exige que le contrat de vente d’immeuble à construire, lorsque celui-ci doit être à usage d’habitation ou à usage professionnel et d’habitation, soit passé par acte notarié. Le formalisme est alors distinct de celui de l’article L. 222-3 du CCH qui exige, à peine de nullité, que le contrat de promotion immobilière portant sur un immeuble à usage d’habitation ou à usage professionnel et d’habitation soit constaté par un écrit contenant certaines mentions. 16 Cette analyse est partagée en droit sénégalais. Cf. notamment, A. Faye, « Le transfert de propriété dans la vente de l’immeuble en droit sénégalais », PUSS, Droit sénégalais, n° 8/2009. expliquer que la décision de la Cour se réfère expressément à « la vente et la promesse synallagmatique de vente d’un immeuble immatriculé ainsi que la procuration donnée pour conclure de tels actes ». Cette conception large pourrait apparaître comme conforme à l’architecture du code qui insère l’article 383 parmi les règles générales applicables « aux contrats relatifs aux droits réels portant sur les immeubles immatriculés ». Alors, la référence « aux contrats » justifierait de ne pas cantonner la règle de l’article 383 à la seule vente définitive. Sous cet angle, la position de la Cour respecte la nature juridique de la promesse synallagmatique ainsi que du mandat. La promesse synallagmatique de vente s’analyse, en effet, comme un contrat par lequel les parties s’obligent mutuellement, l’une à vendre, l’autre à acheter un bien déterminé à un prix fixé. De même, le mandat, qu’il soit bénévole ou salarié, nécessite un accord de volontés entre le mandant et le mandataire. Il fait naître au moins une obligation, à la charge du mandataire, de réaliser des actes déterminés, à titre indépendant, pour le compte du mandant. Mais cette position de la Cour respecte-t-elle l’esprit des dispositions visées ? On peut en douter avec raison. En effet, une deuxième lecture de ces textes incline à limiter l’exigence d’un acte notarié au seul contrat final de vente d’immeuble. Vraisemblablement, le terme « le contrat », inscrit à l’article 383 du COCC, vise le contrat de vente définitive. Or, la promesse de contrat, en matière de vente d’immeuble, se distingue du contrat définitif. Si, en vertu de l’article 323 du COCC, la promesse synallagmatique de vente vaut vente, c’est à la condition expresse que le contrat puisse être passé librement. Il en est autrement en matière immobilière où l’article 383 prescrit un formalisme obligatoire. La réglementation y est donc dérogatoire par rapport au consensualisme de la vente en droit civil sénégalais. La promesse synallagmatique de vente, dont le législateur a pris soin de définir le régime juridique (définition et effets) dans l’article 382 présente une autonomie certaine par rapport à un contrat définitif qui, indubitablement, est formaliste. On peut donc raisonnablement considérer que si l’article 383 a consacré un formalisme à un « contrat », il s’agit bien du contrat de vente définitive. Le principe d’une interprétation stricte des exceptions milite en ce sens. Le législateur l’aurait certainement précisé sans équivoque dans l’article 382 qui est consacré à cet avant-contrat s’il avait entendu exiger le même formalisme pour la promesse. Celle-ci devrait donc être valable lorsqu’elle est passée sous seings privés. Toutefois, ce n’est pas la position adoptée par la Cour suprême qui a écarté cet entendement strict de l’article 383 par un raisonnement qui ne semble pas exact, ni bien fondé. 10. 11. Obéissant à une politique jurisprudentielle orientée vers le contrôle des transactions immobilières, l’arrêt de la Cour suprême est fondé sur une interprétation large mais contestable de l’article 383 du COCC. Au demeurant, en suivant la logique empruntée par la Cour, les dispositions d’ordre public de ce texte, combinées à celles des articles 258 et 382 se seraient suffi à elles-mêmes pour servir de base légale à l’exigence de formalisme. C’est pourquoi la référence à l’article 323 du COCC peut paraître inopportune, voire contradictoire. 2) Le fondement inopportun du formalisme La Cour suprême se réfère à l’article 323 du COCC. Aux termes de ce texte, « la promesse synallagmatique est une vente parfaite lorsque le contrat peut être passé librement. Dans le cas contraire, elle oblige les parties à parfaire le contrat en accomplissant les formalités nécessaires à sa formation ». L’arrêt renvoie à ce texte comme à une disposition d’ordre public servant de base légale à l’exigence du formalisme prescrit à propos des actes portant sur des immeubles immatriculés. Or, un tel renvoi est très discutable. Il révèle une certaine contradiction dans la détermination des bases légales du formalisme. 13. D’abord, la référence manque d’exactitude car le texte de l’article 323 du COCC n’est pas d’ordre public. Il ne relève pas des matières considérées par l’article 258 alinéa 2 comme faisant l’objet de dispositions d’ordre public. Il est plutôt soumis au principe posé par le premier alinéa de cet article. Suivant ce principe, « les dispositions de la deuxième partie du COCC sont supplétives de la volonté des contractants ». L’article 323 fait partie des dispositions consacrées aux modalités de la vente. Il 12. pose donc une règle dispositive à laquelle la Cour renvoie, sans raison, comme à une règle d’ordre public. Ensuite, une telle référence est de nature à jeter le trouble dans la mesure où il s’évince de ce texte que la promesse synallagmatique de vente, par laquelle les parties s’accordent mutuellement, l’une pour vendre, l’autre pour acheter une chose déterminée pour un prix fixé17, est une vente parfaite lorsque le contrat est consensuel. Sinon, elle oblige les parties à parfaire le contrat en accomplissant les formalités nécessaires à sa formation18. La solution induite par l’article 323 prend le contrepied de celle qui découle de la position de la Cour. Elle obligerait les parties à un contrat portant sur un droit réel immobilier à le parfaire en accomplissant les formalités nécessaires à sa formation. Des dispositions supplétives de volontés, consacrées à la vente, en général, ne devraient pas, selon la solution de l’espèce, pouvoir faire échec à l’application de règles d’ordre public consacrées spécialement aux contrats portant sur des immeubles immatriculés. L’opportunité d’inclure l’article 323 du COCC parmi les bases légales de l’exigence de formalisme est donc très discutable. Et ce texte est d’ailleurs souvent brandi afin de justifier la solution contraire19 permettant de conclure à la validité de la promesse de vente sous seings privés. 14. Une référence à l’article 322 du COCC aurait été plus compréhensible de la part de la Cour suprême. Ce texte consacre une définition de la promesse synallagmatique de vente plus précise que celle de l’article 382, alinéa 1. Il met l’accent sur les éléments essentiels sur lesquels porte l’accord des parties : « une chose déterminée » et « un prix fixé ». Il aurait donc été parfaitement complémentaire avec les dispositions des articles 382 et 383 qui, dans l’esprit de cet arrêt, déterminent la manifestation du formalisme. 15. B. L’EXPRESSION DU FORMALISME 16. L’arrêt apporte deux précisions concernant la position de la Cour sur la manifestation du formalisme dans les actes relatifs aux droits réels portant sur les immeubles immatriculés. D’une part, il s’agit d’un écrit ad solemnitatem20 (1) qui fait échec au principe du consensualisme. D’autre part, c’est un écrit authentique (2) qui repose en principe sur l’établissement d’un acte notarié. 1) L’exigence d’un écrit ad solemnitatem Les conventions litigieuses auraient dû, selon les termes de l’arrêt, « être passées par devant notaire ». Ainsi, le formalisme exigé par la Cour affecte la validité de la vente, de la promesse ou du mandat consenti pour passer de tels actes. A ce titre, il fait véritablement exception au consensualisme qui trouve son siège, en droit sénégalais, à l’article 41 du COCC. Ce principe qui gouverne la matière des contrats signifie que ceux-ci peuvent être passés librement, leur validité se suffisant de l’échange des consentements. Les parties expriment leur consentement de quelque manière que ce soit, à condition que la manifestation de volonté ne laisse aucun doute sur leur intention21. L’exigence d’un écrit ou 17. A l’opposé, dans la promesse unilatérale de vente ou d’achat, seul le promettant s’engage à vendre ou acheter tel objet à tel prix. Le bénéficiaire qui accepte la promesse, bénéficie d’une option qu’il lui est loisible de lever dans un délai déterminé pour conclure le contrat promis. V. art. 324 s. (promesse unilatérale de vente) et 327 s (promesse unilatérale d’achat) du COCC. 18 Art. 323 du COCC. 19 Cf. en ce sens, CA Dakar, n° 339 du 4 juil. 2002. Décision censurée par CS, civ. et com., 05 déc. 2007, arrêt n° 121, op. cit. 20 On parle de formalisme ad solemnitatem si la nullité est absolue et de formalisme ad validitatem si la nullité est relative (V. J.-L. Bergel, Méthodologie juridique, Dalloz, 3e éd., p. 65). 21 Article 60 du COCC. 17 d’autres formalités pour la validité d’une convention relève donc d’une exception qui doit être prescrite par une disposition particulière. Selon la Cour suprême, la conclusion des actes relatifs à un immeuble immatriculé, notamment d’une promesse, compte parmi les exceptions au consensualisme, même si cela ne résulte pas, de manière univoque, de la loi. Le formalisme réside donc dans la rédaction d’un écrit22 ad solemnitatem23. Si l’écrit n’est pas défini par le législateur sénégalais, il est admis qu’il résulte d’une suite de lettres, de caractères, de chiffres ou de tous autres signes ou symboles dotés d’une signification intelligible24. En principe, le support sur lequel est établi l’écrit est indifférent quant à sa valeur juridique. En effet, la loi 2008-08 du 25 janvier 2008 sur les transactions électroniques (LTE) prévoit que « lorsqu’un écrit est exigé pour la validité d’un acte juridique, il peut être établi et conservé sous forme électronique… »25. Il n’en est autrement que pour, d’une part, les actes sous seing privé relatifs au droit de la famille et des successions et, d’autre part, les actes sous seing privé relatifs à des sûretés souscrites pour des besoins non professionnels26. La promesse de vente d’immeuble n’échapperait donc pas à la règle de l’équivalence fonctionnelle des écrits sur support papier et électronique. 18. L’écrit prescrit, selon l’arrêt d’espèce, pour la promesse de vente d’immeuble se distingue de l’écrit exigé à titre de simple condition de preuve. La violation d’un tel formalisme affecte l’efficacité de l’acte en cas de contestation. Ses effets sont alors simplement paralysés. C’est le cas, en droit civil, pour les actes juridiques dont le montant dépasse le seuil fixé par la loi27. Mais le formalisme consacré aux contrats portant sur des droits réels immobiliers est-il simplement de validité ou permet-il également de remplir une fonction de publicité ? D’une part, pour ce qui est de l’acte notarié, on peut considérer, comme en matière de droit de la famille, que « la forme assume une fonction sociale… elle fait connaître l’acte privé. Elle lui donne la publicité »28. D’autre part, en plus d’être passé par devant notaire, l’acte constitutif ou translatif de droit réel immobilier doit faire l’objet d’une inscription au titre foncier. Mais est-ce un acte de formation ou d’exécution du contrat translatif de droit réel ? En vertu de l’article 381 du COCC, « l’acquisition du droit réel résulte de la mention au titre foncier du nom du nouveau titulaire du droit ». En droit sénégalais, le transfert de propriété ne s’opère pas solo consensu29. C’est plutôt par l’exécution de l’obligation de délivrance que se réalise le transfert de la propriété de la chose à l’acquéreur30. S’agissant de la vente d’immeuble, la délivrance est faite par la réalisation des formalités de publicité exigées par les dispositions particulières à la propriété foncière et l’établissement du titre foncier au nom de l’acheteur31. L’acte translatif de droit réel fait ainsi l’objet d’un formalisme de validité, un écrit ad solemnitatem, mais également de publicité, qui permet d’assurer l’exécution de l’obligation de délivrance. 19. Le formalisme de validité peut également résider dans la remise d’une chose, dans les contrats dits « réels ». L’acte juridique qui est frappé d’un tel formalisme est un acte juridique solennel. Cf. Guerriero, L’acte juridique solennel, th. Toulouse, 1975, préf. Vidal. 24 Définition consacrée par l’article 1316 du Code civil français issu de la loi n° 2000-230 du 13 mars 2000, JORF 14 mars 2000. 25 Article 19 LTE. Il convient également de noter que le règlement 15-2002 du Conseil des Ministre de l’UEMOA prévoit la même règle de l’équivalence fonctionnelle entre le papier et l’électronique. Le principe est posé par les articles 18 et 19 du Règlement n° 15/2002/CM/UEMOA relatif aux systèmes de paiement dans les Etats membres de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) adopté le 16 septembre 2002 à Cotonou (Bénin). Toutefois, le champ d’application du Règlement est circonscrit aux transactions bancaires et financières et aux opérations effectuées dans tous les systèmes de paiement (article 17 du Règlement). Autrement dit, la preuve électronique dont il s’agit dans ce texte ne concerne que ces opérations-là. 26 Article 20 LTE. 27 Ce montant est fixé à 20 000 FCFA, soit environ 30,48 euros. 28 G. Cornu, L’art du droit en quête de sagesse, Paris, PUF, « Doctrine juridique », 1998, p. 151. 29 V. article 276 du COCC. 30 Cf. article 276, al. 3 du COCC. 31 Cf. article 277, al. 2 du COCC. L’inscription est soumise aux dispositions des articles 130 et suivants du décret juillet 1932, JO Afrique occidentale française du 22 avril 1933, p. 426 s. 22 23 Mais sur la question de savoir si l’écrit exigé pour la validité de l’acte peut être sous seings privés, la juridiction suprême n’a pas jugé dans le même sens que la Cour d’appel. Cette dernière, malgré l’absence d’un acte authentique, avait admis la validité de la promesse et prescrit la perfection de l’acte32. La confirmation de la perfection de la vente avait été obtenue sans que la Cour d’appel ne se prononçât directement sur la validité de la promesse en elle-même. Ce n’est que par un raisonnement déductif que l’on pouvait conclure que la Cour d’appel a affirmé la validité de la promesse sous seings privés de vente d’immeuble immatriculé. Une position plus claire aurait été bienvenue sur la qualification de la promesse synallagmatique de vente d’immeuble immatriculé. L’importance de la question soulevée militait en cette faveur, du fait des enjeux liés à la précision de la valeur et du régime juridiques de la promesse de contrat en matière immobilière. Or, c’est le principe même de la validité de la promesse de vente d’immeuble sous seings privés qui est rejeté par la Cour suprême. Le fait que celle-ci exige qu’elle résulte d’un acte authentique imprime à la promesse un caractère solennel. Le formalisme prescrit est un acte authentique. 20. 2) L’exigence d’un acte authentique La Cour considère que la promesse de vente d’immeuble immatriculé, comme les autres actes portant sur les droits réels immobiliers, doit être passée par devant notaire33. Cette exigence d’un acte notarié fait de la promesse un contrat solennel au sens strict du terme 34. La solennité réside dans l’intervention du notaire qui établit l’acte. Il s’agit d’un « rite d’écriture »35 qui révèle, aux yeux des parties, l’importance de l’acte. Ce rite fait des actes dont il célèbre l’existence « des actes ostensibles, de grands piliers dressés pour être vus »36. Si l’acte est établi par voie électronique, le rite de l’intervention du notaire prend la forme d’une signature électronique qui « confère l’authenticité à l’acte »37. Toutefois, si l’acte authentique en question est en principe un acte notarié, celui-ci peut, dans certains cas, être suppléé par un acte équivalent. 21. L’acte notarié n’est pas le seul acte authentique. L’authenticité38 de l’acte peut provenir de l’intervention d’autres dépositaires du sceau public. D’ailleurs, c’est l’intervention d’un officier public qui permet d’opérer la traditionnelle distinction entre l’acte authentique et l’acte sous seings privés. Toutefois, concernant le contrat relatif aux droits réels immobiliers, l’article 383 du COCC impose qu’il soit passé « par devant un notaire territorialement compétent sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires ». Il faut se garder d’en conclure que seule l’intervention du notaire permet de satisfaire au formalisme prescrit pour la validité de telles conventions, à l’exclusion de celle de tout 22. 32 CA Dakar, arrêt n° 657 du 17 décembre 2004, inédit. Cf. les décisions déjà citées de la chambre civile et commerciale : 16 janvier 2008, arrêt n° 21, op. cit. ; 05 déc. 2007, arrêt n° 121, op. cit. 34 On peut avoir une perception plus ou moins large de la notion de contrat solennel. De manière large, le caractère solennel vise les actes dans lesquels un formalisme autre que la remise d’une chose est prescrit (actes authentiques ou sous seings privés). De manière plus étroite, ce caractère est réservé aux actes dans lesquels le formalisme exigé confère l’authenticité à un acte (acte authentique). 35 J. Carbonnier, Droit civil, vol. 2, Les biens, les obligations, Paris, PUF, « Quadrige », 1 ère éd. 2004, n° 1005. 33 36 G. Cornu, op. cit., p. 149. Article 41, al. 1 LTE. Pour une analyse doctrinale de l’acte authentique électronique, cf. M. Grimaldi et B. Reynis, « L’acte authentique électronique», Defrénois 2003, art. 37798, p. 1023 s. ; A. Raynouard, « Sur une notion ancienne de l’authenticité : l’apport de l’électronique », Defrénois 2003, art. 37806, p. 1117 s. 38 Cf. sur la notion d’authenticité, A. Lapeyre, « L’authenticité », JCP G, 1970, I, 2365 n° 14 ; J. Flour, « Sur une notion nouvelle de l’authenticité », Defrénois 1972, art. 30159, p. 977 s. ; Ph. Malaurie, « L’authenticité », Les éditions du CRIDON, Paris, intervention du 4 avril 2001 ; D. Froger, « Contribution notariale à la définition de la notion d’authenticité », Defrénois 2004, art. 37873, p. 173 s. 37 autre dépositaire du sceau public. D’autres titulaires de l’office public ont reçu le « pouvoir de communiquer l’authenticité aux actes qu’ils reçoivent »39. 23. Il arrive que la transaction portant sur un droit réel immobilier soit consacrée par une décision de justice revêtue de l’autorité de la chose jugée. C’est le cas, notamment, lorsqu’une vente est opérée au terme d’une procédure judiciaire d’adjudication. De tels actes peuvent dispenser d’un acte notarié et être admis comme des actes authentiques équivalents. L’exigence d’authenticité ne confine donc pas aux seuls actes notariés. Qu’en serait-il de ce qu’il est convenu d’appeler « acte sous signature juridique » ? Est ainsi désigné l’acte conclu devant un « professionnel du droit soumis à un statut contraignant et à un contrôle rigoureux »40 destiné à la protection des usagers du droit ou l’acte rédigé par un tel professionnel. L’acte ainsi visé aurait une force probante renforcée car faisant foi quant à son origine et son contenu, ayant date certaine et n’étant pas soumis à la formalité dite du double. Mais il ne serait pas revêtu de la force exécutoire41. Ce formalisme pourrait, s’il était consacré, perturber la conception bipartite de la forme littérale des actes juridiques au Sénégal et dans les pays attachés à la tradition civiliste. En France, une certaine doctrine appelle de ses vœux ce troisième type d’acte littéral 44. Mais en l’état actuel de la jurisprudence de la Cour suprême sénégalaise, un acte sous signature juridique subirait le même sort qu’un acte sous signatures privées s’il portait sur un immeuble immatriculé. Il serait frappé de nullité absolue, comme la Haute juridiction sénégalaise l’a rappelé dans cette affaire. II. LA SANCTION DES ACTES SOUS SEINGS PRIVÉS PORTANT SUR UN IMMEUBLE IMMATRICULÉ 24. Suivant la solution consacrée par la Cour suprême dans la décision d’espèce, la nullité qui sanctionne les actes sous seings privés relatifs aux immeubles immatriculés est absolue. Mais audelà de la consécration de la nullité absolue (A), cet arrêt apporte une précision. La nullité est encourue non seulement par la vente et la promesse de vente, mais également par le mandat les concernant. L’étendue de la nullité (B) couvre donc d’autres contrats constitutifs ou translatifs de droits réels immobiliers que la seule vente. A. LA CONSÉCRATION DE LA NULLITÉ ABSOLUE 25. L’arrêt précise, se fondant sur les dispositions de l’article 383 du COCC, que la nullité d’un acte sous seings privés portant sur un droit réel immobilier présente un caractère absolu. Les intérêts en jeu dans les transactions immobilières concernées (1) justifient-ils la radicalité de la sanction (2) ? 1) La nature des intérêts protégés La nature de la nullité dépend de l’objet des règles juridiques qui ont été violées. Si celles-ci ne sont pas simplement destinées à la protection de l’une des parties, d’un intérêt particulier, mais manifestent plutôt l’attention que la société porte à l’acte envisagé du fait de l’intérêt général qui est en cause, la sanction encourue est la nullité absolue. La Cour suprême constate et affirme que les dispositions en cause sont d’ordre public. Mais celui-ci est protéiforme. Il est possible, entre autres 26. G. Cornu, op. cit., p. 149. Cf. sur les différentes catégories d’actes authentiques, D. Froger, op. cit., p. 173 s. En France, « cette catégorie comprendrait les avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, les avocats inscrits à un barreau français, les notaires, les huissiers de justice, les commissaires-priseurs, les administrateurs judiciaires et les mandataires-liquidateurs » : F. G’Sell-Macrez, « Justification et régime de l’acte sous signature juridique », Gaz. Pal. 14 oct. 2008, n° 288, p. 12. 41 F. G’Sell-Macrez, op. cit. p. 12. 44 Idem. 39 40 distinctions, que l’ordre public en cause qui est textuel et non virtuel42, soit de protection, par opposition à l’ordre public de direction. L’analyse stricte de l’article 258 du COCC consacrant le caractère d’ordre public des dispositions consacrées aux conventions relatives aux droits réels portant sur des immeubles immatriculés ne suffit pas à déterminer la nature exacte des intérêts protégés. Même l’appréciation, d’un point de vue de pur droit positif, des dispositions consacrées comme d’ordre public n’y suffirait pas. C’est, au-delà du texte lui-même, les orientations de politique juridique qu’il consacre qui permettent de répondre à la question de la nature des intérêts protégés par ces dispositions d’ordre public. Or, il est certain que toute disposition juridique, même visant à protéger des particuliers, parties ou tiers, recèle nécessairement une part d’intérêt général, la société accordant à cette protection d’intérêts privés une certaine attention qui manifeste l’intérêt général. Les notions d’intérêt43 privé ou d’intérêt général sont à contenu variable44, ce qui rend difficile leur caractérisation. 27. Néanmoins, dans certaines matières, la prégnance de la volonté de l’autorité publique de contrôler la validité des actes juridiques par la prescription d’un formalisme strict, d’une constatation officielle de l’acte, est révélatrice de l’implication de l’intérêt général. Il en est ainsi, notamment, des actes relatifs au droit des personnes et de la famille ou de certains contrats pécuniaires45 comme les contrats portant sur les immeubles immatriculés. La vente d’immeuble immatriculé n’échappe donc pas à la volonté de contrôle de la régularité de certains actes juridiques du fait des intérêts en cause. Il est possible d’y voir une « volonté de contrôler les transactions immobilières »46 qui sont parfois complexes. Certes, ce contrôle peut être mû par le souci de protéger la volonté des parties ou de l’une d’elles. Ainsi, en vertu de son devoir de conseil, l’officier public serait tenu d’apporter à ses clients un éclairage utile sur la portée de leurs engagements. La constatation officielle de l’acte et de sa date pourrait également être protectrice des tiers qui sont ainsi à l’abri de fraudes dont ils pourraient être victimes47. A l’égard de toutes ces personnes la forme est « facteur de réflexion […], stimule, suscite, provoque, alerte, avertit, met en garde [et] lorsque le fond sommeille, elle réveille »51 ! Mais dans le même temps, elle consacre la perfection de l’opération et révèle, comme en l’espèce, une cinquième condition essentielle à la validité des conventions portant sur les droits réels immobiliers. La forme « donne l’être »48 à la vente. La Cour a, sur la base d’un fondement et d’une motivation contestables, étendu cette vérité à la promesse de vente ainsi qu’aux autres contrats afférents à des immeubles immatriculés. Dans cet esprit, la nullité encourue par une opération passée en violation d’une telle condition ne pouvait être qu’absolue 53. La sanction est radicale. 28. 2) La radicalité de la sanction 42 V. sur cette distinction, J. Carbonnier, Droit civil, vol. 2, Les biens, les obligations, Paris, PUF, « Quadrige », n° 984. 43 Cf. sur cette notion d’intérêt en droit, Ph. Gérard, F. Ost, M. Van de Kerchove (dir.), Droit et intérêt, Publications des Facultés universitaires SaintLouis, Bruxelles, 1990. 44 Sur ces notions, cf. Ch. Perelman, R. Vander Elst, Les notions à contenu variable en droit, Bruxelles, Bruylant, 1984. 45 J. Flour, J.-L. Aubert, E. Savaux, Droit civil. Les obligations, vol. 1 L’acte juridique, Paris, Sirey, 12 e éd. 2006, n° 306. 46 A. Cissé, op. cit., p. 74. Ainsi, dans le domaine des contrats immobiliers, le formalisme est devenu la règle du fait de « l’adéquation des vertus informatives de la confection d’un écrit au souci croissant d’un consentement mieux éclairé » : J.-L. Aubert, F. C. Dutilleul, Le contrat, Paris, Dalloz, « Connaissance du droit », 4 e éd. 2010, p. 88. 47 Cf. J. Flour, J.-L. Aubert, E. Savaux, op. cit., n° 306. 51 G. Cornu, op. cit., p. 151. 48 J. Carbonnier, op. cit., n° 1004. 53 Idem. 29. Le caractère absolu de la nullité encourue est affirmé expressément par le législateur concernant le contrat de vente. La Cour suprême l’a étendu à la promesse et au mandat. Cette nullité, tout comme la nullité relative, prive de tout effet l’acte qui en est affecté. Le contrat concerné est censé n’avoir jamais existé. Aucune portée juridique n’est donc reconnue à l’acte sous seings privés qui constitue ou transfère un droit réel portant sur un immeuble immatriculé. La protection des parties et le contrôle des transactions immobilières sont donc privilégiés par rapport au respect de la parole donnée qui fonde la force obligatoire des conventions. On peut comprendre aisément que le souci de contrôle des opérations immobilières puisse justifier que la vente soit soumise à un formalisme rigoureux sanctionné par la nullité absolue. Une telle rigueur est-elle nécessaire, s’agissant des actes préparatoires à la vente immobilière ? La position de la Cour peut être à l’origine de certaines difficultés. D’abord, les actes préparatoires perdent de leur utilité s’ils doivent être passés dans les mêmes formes que la vente. La promesse permet souvent de consigner les engagements des parties en attendant de pouvoir passer l’acte définitif dans les formes requises. En sus, la privation de tels actes de tout effet lorsqu’ils sont passés sous seings privés remet en cause la sécurité des transactions en fragilisant la force obligatoire des conventions. Il devient plus facile de se délier d’un engagement pris dans le cadre d’une promesse de vente d’immeuble au motif que la promesse ou la procuration établie en vue de la conclure n’a pas été faite par devant notaire. Au surplus, le fait qu’ils soient établis par acte sous seings privés ne dispenserait pas les parties de parfaire la vente. Celles-ci seraient obligées de conclure le contrat définitif par acte notarié, puis d’accomplir les formalités requises, conformément aux dispositions des articles 383 et suivants du COCC. Le contrôle des opérations immobilières serait ainsi maintenu sur le contrat définitif de vente. La protection des parties par un acte notarié serait pourvue efficacement au moment de la perfection de la vente. 30. Or, ce n’est pas le cas en l’état actuel de la jurisprudence de la Cour suprême49. On peut craindre certaines lourdeurs lorsque les actes préparatoires sont passés par acte notarié. Les parties seraient obligées de repasser devant le notaire à plusieurs reprises pour une même opération. Outre les coûts importants que cela entraîne, ce formalisme paraît excessif en termes de délais. A moins que l’on considère que le respect du formalisme pour la promesse dispense les parties de repasser par devant notaire. La promesse, lorsqu’elle est passée dans les formes prescrites par l’article 383, vaudrait alors vente. Elle obligerait les parties à, directement, « procéder à l’inscription du transfert du droit à la Conservation de la propriété foncière »50. Une telle interprétation de ce texte serait très hardie si elle ne relève pas, simplement, de l’aventure. Elle ne ressort d’ailleurs nullement des termes de l’arrêt d’espèce. 31. Par contre, il s’en déduit que l’absence d’acte notarié rend les actes préparatoires de nul effet. Aucun engagement contractuel ne peut résulter d’une promesse sous seings privés. L’action en nullité contre une telle promesse peut être initiée par les parties, mais aussi par le ministère public. Le juge peut également soulever d’office la nullité absolue d’un contrat portant sur un droit réel immobilier passé sous seings privés. L’initiative est élargie afin d’augmenter les chances d’éradiquer de tels actes considérés comme contraires à l’intérêt général. La nullité s’impose au juge qui ne peut, comme l’a fait la Cour d’appel, reconnaître aucun effet à l’acte conclu en violation du formalisme. Les parties ne peuvent pas non plus maintenir l’acte dans la vie juridique en le confirmant. Et le périmètre de la nullité s’étend, selon la Cour suprême, à tous les contrats relatifs à des droits réels portant sur des immeubles immatriculés. 32. B. L’ÉTENDUE DE LA NULLITÉ ENCOURUE 49 50 Cf. notamment, CS, civ. et com., 16 janvier 2008, arrêt n° 21, op. cit. ; 05 déc. 2007, arrêt n° 121, op. cit. Article 382, alinéa 2, du COCC. 33. En précisant que la vente, la promesse et le mandat portant sur ces contrats sont tous soumis au formalisme consacré, la Cour suprême donne une large portée au formalisme des contrats relatifs aux immeubles immatriculés. La nullité absolue est encourue par les actes sous seings privés qui constatent des contrats translatifs de droits réels immobiliers (1) ou des contrats préparatoires à de telles conventions (2). 1) Les contrats constitutifs ou translatifs de droits réels immobiliers Il ressort de l’article 383 du COCC que la vente d’un immeuble immatriculé doit faire l’objet d’un acte notarié. Il en est ainsi car la vente constitue un acte translatif de propriété par excellence. Interprétant ce texte de manière large, la Cour affirme que d’autres actes translatifs de propriété devraient être soumis au formalisme de validité consacré. 34. A l’examen, deux critères semblent découler des dispositions des articles 379 et suivants du COCC consacrées aux contrats relatifs aux droits réels immobiliers. D’une part, il faut que l’acte soit qualifié de contrat, c’est-à-dire, qu’il puisse être considéré comme un accord de volontés générateur d’obligations51. Ce premier critère permet d’écarter les actes juridiques unilatéraux du champ du formalisme des actes relatifs aux droits réels immobiliers. Contrairement au contrat, ils émanent de la manifestation d’une volonté solitaire et peuvent, au-delà de l’obligation, faire naître d’autres effets juridiques52. D’autre part, le contrat doit constituer ou transférer un droit réel immobilier. Ainsi, même si c’est la vente qui est visée par la Cour, d’autres contrats constitutifs ou translatifs de droits réels immobiliers peuvent être compris dans le périmètre de la nullité. 35. Ainsi, l’apport en société d’un droit réel immobilier doit également faire l’objet d’un acte notarié. Il s’agit d’un apport en nature qui se réalise par le transfert des droits réels correspondant aux biens apportés et par la mise à la disposition effective de la société des biens sur lesquels portent ces droits. Il est donc bien soumis aux dispositions des articles 37953 et suivants du COCC dans la mesure où ces dispositions ne sont pas contraires à celles du droit uniforme africain des affaires de l’OHADA54. Cette formalité est accomplie par la rédaction ou la réception des statuts de la société par un notaire. Ainsi, si les statuts ne sont plus nécessairement établis par un notaire -ceux-ci pouvant être simplement enregistrés auprès d’un notaire-, il en est autrement lorsqu’un associé apporte un droit réel immobilier en pleine propriété. Dans ce cas, le transfert doit être passé par devant notaire. 36. L’interprétation extensive de l’article 383 du COCC dans cet arrêt permet également de conclure à l’application du formalisme requis à la donation portant sur des droits réels immobiliers. La donation est bien un contrat et non un acte juridique unilatéral car il requiert un accord de volontés entre le donateur et le donataire. Toutefois, seul le premier s’oblige, en principe, ce qui en fait un contrat unilatéral, à moins que des charges soient stipulées pour être supportées par le second. Mais dans tous 37. 51 Article 40, alinéa 1er du COCC. 52 Cf. en droit sénégalais, J.-P. Tosi, Le droit des obligations au Sénégal, LGDJ-NEA, 1981, p. 35 s., n° 51 s. 53 Article 379 du COCC : « Les contrats relatifs à des immeubles immatriculés sont soumis aux dispositions spéciales du présent chapitre ». 54 La supranationalité du droit uniforme africain des affaires de l’OHADA consacrée par l’article 10 du traité de l’OHADA ne s’oppose pas à l’existence de dispositions nationales non contraires aux dispositions des actes uniformes. Cf. J. Issa-Sayegh, « La portée abrogatoire des actes uniformes de l’OHADA sur le droit interne des Etats-Parties », Revue Burkinabè de Droit, n° 3940, n° spécial 2001, p. 57 ; F. M. Sawadogo, « Les actes uniformes de l’OHADA : aspects techniques généraux », Revue Burkinabè de droit, n° 3940, n° spécial 2001, p. 46 ; P. Diédhiou, « L’article 10 du Traité de l’OHADA : quelle portée abrogatoire et supranationale ? », Rev. droit uniforme 2007, p. 265. 60 V. article 391 du COCC. les cas, la donation entraîne un transfert de la propriété du donateur au donataire. Il est donc un contrat translatif de propriété. A ce titre, il doit être passé par devant notaire à peine de nullité absolue. Il devrait en être de même d’un échange portant sur des droits réels immobiliers. Il résulte également d’un accord de volontés et permet de réaliser le transfert de propriété des immeubles qui en font l’objet. Comme en matière de vente, le transfert de propriété dans l’échange se produit par l’inscription de chacun des transferts aux titres fonciers respectifs60. Même le bail peut être inclus dans le périmètre du formalisme de l’article 383 du COCC lorsqu’il est assorti d’une promesse de vente. Non seulement l’opposabilité aux tiers requiert dans ce cas une inscription au titre foncier55, mais la validité de la promesse est tributaire de l’existence d’un acte notarié, suivant la jurisprudence de la Cour suprême. Certes, dans ce cas, le formalisme est davantage lié à la promesse de vente en tant qu’acte préparatoire. 38. 2) Les actes préparatoires aux contrats translatifs de droits réels immobiliers La Haute juridiction sénégalaise vise non seulement la vente, mais également « …la promesse synallagmatique de vente d’un immeuble immatriculé, ainsi que la procuration donnée pour conclure de tels actes… ». La promesse synallagmatique de vente suppose que les parties aient donné leur consentement définitif à la vente, à moins qu’une faculté de dédit n’ait été convenue. Les parties doivent s’être entendues sur la chose et le prix56. Dans la promesse synallagmatique de vente, ni le vendeur, ni l’acheteur ne bénéficient d’un droit d’option. Ils s’engagent réciproquement de manière définitive. En droit sénégalais, si la vente porte sur un immeuble, la juridiction suprême considère que la promesse ne peut être passée par acte sous seings privés. Il en est ainsi d’une promesse synallagmatique tout comme d’une promesse unilatérale. Dans ce dernier cadre, l’engagement du promettant est définitif et le contrat de vente est parfait dès la levée de l’option par le bénéficiaire dans les délais63. 39. 40. La solution retenue à propos de la promesse de vente devrait également être étendue à la promesse unilatérale ou synallagmatique de conclure tout contrat translatif de droit réel immobilier, notamment une promesse de donation, une promesse d’apport ou une promesse d’échange. Toutefois, l’extension du formalisme au mandat de conclure de tels actes est plus délicate encore. Certes, le mandat est bien un contrat car il suppose l’accord de volontés du mandant et du mandataire. De plus, il fait naître des obligations à la charge du mandataire et, parfois aussi, du mandant. Mais le mandat ne peut opérer directement un transfert de droit réel immobilier. Il ne porte que sur le pouvoir conféré au mandataire de réaliser de tels actes. La volonté de contrôler la réalité de ce pouvoir permet de protéger le mandant ainsi que les tiers qui contractent avec le mandataire. L’exigence du formalisme, techniquement fondée sur la règle du parallélisme des formes57, permet politiquement d’attirer Cf. article 390 du COCC en ce qui concerne l’opposabilité aux tiers. Cf. sur la promesse synallagmatique de vente, Ph. Malaurie, L. Aynès, P.-Y. Gautier, Les contrats spéciaux, Paris, Defrénois, 2003, n° 128 s. 63 A. Cissé, op. cit., p. 69. 57 En droit français, tout mandat peut indirectement devenir formaliste du fait de l’application de la règle dite du parallélisme des formes qui veut qu’il emprunte la même forme que l’acte à accomplir. Ainsi, par exemple, le mandat de faire une donation ou de constituer une hypothèque conventionnelle est nécessairement notarié, parce que la donation (C. civ., art. 931: « tous actes portant donation entre vifs seront passés devant notaires dans la forme ordinaire des contrats ; et il en restera minute, sous peine de nullité ») ou l’hypothèque conventionnelle (C. civ., art. 2394 et 2416: « l’hypothèque conventionnelle ne peut être consentie que par acte notarié ») suppose ellemême une telle formalité. De même, « le mandat sous seing privé de se porter caution pour l’une des opérations relevant des chapitres I ou II du titre premier du livre troisième du Code de la consommation doit répondre aux exigences des articles L. 313-7 et L. 313-8 de ce code (mentions manuscrites) ; que l’irrégularité qui entache le mandat s’étend au cautionnement subséquent donné sous la forme authentique » (Cass. 1 re civ., 8 déc. 2009, n° 08-17531 : JCP G 2010, 149, note Ph. Simler). Cf. pour plus de développements, M. Thioye, Droit des intermédiaires immobiliers, Litec, 2010, n° 439. 65 On pourrait citer, dans le même sens, C. supr. Sénégal, n° 1 du 8 janv. 1986, cité in rev. EDJA, sept. - oct. 1987, p. 15. 55 56 l’attention du mandant sur la gravité de l’acte. Elle est aussi destinée à assurer une certaine sécurité juridique au tiers contractant avec le mandataire dont l’opération ne sera pas anéantie pour défaut de pouvoir de ce dernier. L’exigence d’une procuration notariée pour la vente d’un immeuble immatriculé est très clairement affirmée65 par les hauts magistrats dans cette espèce. Il en va de même d’autres actes préparatoires à la vente d’un immeuble immatriculé, notamment, un pacte de préférence portant sur un immeuble immatriculé58. Le contrôle de l’opération immobilière est ainsi totalement assuré d’un bout à l’autre de la chaîne. L’ensemble des contrats relatifs à un immeuble immatriculé, y compris la promesse et le mandat, est soumis au même formalisme de validité -un acte notarié- et à une même sanction -la nullité absolue-. Il en sera ainsi, hélas, jusqu’à ce que la Haute juridiction abandonne sa lecture extensive contestable des dispositions visées en l’espèce. Pour une légitimité plus forte, les chambres réunies pourraient le faire, à moins que le législateur n’intervienne par une réécriture univoque de ces textes, pour que vaille la promesse sous seings privés de vente d’immeuble immatriculé ! Document 3 Cour suprême, Chambres réunies, 19 juin 2012 La Cour, Vu la loi organique n° 92-25 du 30 mai 1992 sur la Cour de cassation ; Vu la loi organique n° 2008-35 du 8 août 2008 par la Cour suprême ; Vu les mémoires produits en demande et en défense ; Après en avoir délibéré conformément à la loi, Attendu que par arrêt n° 03 de 2 janvier 2008, la Chambre civile et commerciale statuant sur le pourvoi formé par la CBAO contre l’arrêt n° 21 du 15 janvier 2004 de la Cour d’appel de Dakar a, sur le fondement de l’article 38 de la loi n° 92-25 du 30 mai 1992, ordonné la saisine des chambres réunies ; Attendu qu’après cassation de l’arrêt n°229 du 12 mai 2000, un second arrêt rendu entre les mêmes parties procédant en la même qualité dans la même affaire est attaqué par le même moyen que précédemment tiré de la violation de l’article 382 du Code des obligations civiles et commerciales (COCC) ; Sur le moyen unique, tiré de la violation des articles 379, 382 et 383 du COCC, qui fait grief à l’arrêt attaqué d’ordonner la perfection de la vente aux motifs que « aux termes de l’article 382 du COCC, l’engagement de la CBAO de céder les titres fonciers 81/DP et 3409/DG à express Transit et la levée de l’option par cette dernière constituent une promesse synallagmatique de contrat et s’analysent en avant-contrat ; qu’il ressort de ces dispositions que le contrat de vente d’immeuble immatriculé ne se forme qu’au moment de sa passation devant notaire ; que par ailleurs l’article 382 n’exige aucune forme pour la validité de la promesse synallagmatique de vente… », alors qu’une distinction entre le régime juridique de l’avantcontrat et de celui du contrat est en totale contradiction avec les textes et que la Cour de cassation a déjà jugé que la promesse synallagmatique de contrat portant sur un immeuble immatriculé devait être notarié ; Mais attendu que, contrairement à la jurisprudence invoquée par le moyen, les dispositions des articles 321, 322, 323, 382, 383 du COCC n’exigent aucune forme particulière pour la validité de la promesse synallagmatique de contrat ou avant-contrat qu’il faut distinguer CS. n° 57 du 16 juillet 2003, Soc. Foncière de la côte d’Afrique représentée par la Régie Mugnier c/Raphaël Hédant. 58 du contrat, lequel, lorsqu’il s’agit d’un immeuble immatriculé, doit être passé, à peine de nullité absolue, par devant notaire sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires ; que la promesse synallagmatique de contrat oblige les parties à parfaire le contrat ; Et attendu qu’en ordonnant la perfection de la vente, après avoir relevé que « l’engagement de la CBAO de céder les TF n° 81/DP et 3409/DG à Express Transit et la levée de l’option par cette dernière constituent une promesse synallagmatique de contrat qui oblige les parties à parfaire le contrat », la Cour d’appel, loin de violer les textes visés au moyen, en a fait l’exacte application ; PAR CES MOTIFS : Statuant toutes Chambres réunies, Rejette le pourvoi formé par la CBAO contre l’arrêt n° 21 rendu le 15 janvier 2004 par la Cour d’appel de Dakar ; Condamne la CBAO aux dépens ; Ainsi fait, jugé et prononcé par la Cour suprême, Chambres réunies, en son audience publique tenue les jour, mois et an ci-dessus et à laquelle siégeaient […]. Document 4 : Mayatta Ndiaye Mbaye, Les transactions immobilières au Sénégal « Il est une valeur que les théoriciens du droit (…) regardent comme fondamentale : c’est la sécurité juridique. Ils la placent avant la justice même, et avant le progrès : c’est elle qu’il convient de sacrifier en dernier lieu, parce qu’elle conditionne les deux autres. »59 La terre est sacrée60, les droits qui portent sur elle aussi61. Ces derniers doivent être sécurisés, les transactions qui portent sur eux aussi. Ce besoin de sécurité a été vite décelé par le législateur sénégalais qui a mis en place un encadrement rigoureux des transactions immobilières en tenant compte de la spécificité des différentes catégories d’immeubles. J. CARBONNIER, Flexible droit, 1979, p. 132. Cette affirmation est valable dans toutes les civilisations, même si elle est à nuancée chez les populations nomades. Elle résulte d’abord de l’importance accordée au toit dans la stabilité d’un ménage et la sécurité d’une vie. Elle se conforte ensuite par la portée de l’immeuble dans un processus d’investissement. Au-delà de ces justifications d’ordre sociologique et économique, le caractère sacré de la terre peut, en droit sénégalais, s’apercevoir à travers notamment la loi sur le domaine national qui instaure une catégorie de terres appartenant à la nation et ne pouvant faire l’objet d’appropriation privée. Même si une procédure particulière est prévue pour leur immatriculation au nom de l’Etat, le législateur donne une grande marge de manœuvre à l’Etat pour un encadrement ferme de la propriété foncière et de son accès. 61 Le législateur sénégalais admet le caractère sacré notamment du droit de propriété immobilière qui se prouve par un titre foncier en conférant au titulaire dudit titre un droit définitif et inattaquable (article 381 alinéa 2 COCC). 59 60 En effet, comme dans toutes situations, la spécificité du domaine d’intervention législative justifie celle de l’intervention législative elle-même ; les moyens mis en œuvre étant adaptés au domaine d’intervention et aux objectifs poursuivis. L’encadrement juridique des transactions immobilières trouve sa particularité dans la volonté législative d’en assurer la sécurité4 en raison de l’importance du domaine concerné et des intérêts à préserver. Cet encadrement juridique constitue un droit 5 qui participe, dans un souci d’instauration et de maintien de l’ordre social, à l’organisation des rapports entre l’homme et la terre6. La notion de « transaction » a une acception propre aux modes alternatifs de règlement des conflits. Dans ce domaine, elle « est le contrat par lequel les parties mettent fin à une contestation par les concessions mutuelles »7. C’est cette conception qui est notamment utilisée en matière de transaction douanière. L’objectif de sécurité des transactions immobilières poursuivi par le législateur sénégalais peut être justifié par la recherche de la stabilité mais également du développement car il n’y a point de développement sans stabilité et il n’y a point de stabilité sans sécurité. L’insécurité, quel que soit le domaine, est analysée comme un risque. Elle participe à l’appréciation des conditions de développement. Il en est ainsi notamment du risque-pays. Pour une étude détaillée sur le risque-pays, voir notamment O. JOKUNG NGUENA, Le management des risques en Afrique, Réalités et perspectives, Afrique édition, juin 2007, p. 27 et s. De manière plus spécifique, l’OHADA considère la sécurité comme une condition de développement économique. Dans sa volonté de rechercher le développement économique des Etats parties, elle s’intéresse à la mise en place d’une sécurité juridique par le biais de règles de droit plus adaptées. Voir Préambule du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique signé à Port-Louis le 17 octobre 1993 et révisé à Québec le 17 octobre 2008. 5 Le droit des transactions immobilières n’est pas une branche du droit. Il n’est pas également un pan d’une branche du droit déterminé. Il est plutôt composé de l’ensemble des règles qui régissent les conventions portant sur des droits réels immobiliers. Il tire donc son contenu du droit des biens, du droit des contrats, du droit des contrats spéciaux et du droit des sûretés. Il intègre la discipline en devenir au Sénégal dénommée droit immobilier et foncier. 6 Le système foncier sénégalais n’admet que la propriété immobilière foncière. Cela signifie que le droit de propriété immobilière n’existe que lorsqu’elle porte sur la terre ; d’où la notion de « propriété foncière ». Dans ce système qui est celui du Livre foncier, dès l’instant où la propriété est privative, elle doit nécessairement faire l’objet d’un titre foncier spécial. En effet, le titre foncier est l’unité de compte pour chaque propriété privée en matière foncière. C’est d’ailleurs ce qui justifie l’exclusion de la propriété en volume car fondée sur l’existence d’une propriété immobilière sans rapport avec le sol. En matière de copropriété, l’immeuble de chaque copropriétaire est constitué d’un lot de copropriété composé d’une propriété privative et d’une propriété indivise du sol et des parties communes de l’ensemble immobilier (voir la loi n° 88-04 du 16 juin 1988 et le décret n° 2002-160 du 15 février 2002 portant application de la loi 88-04 du 16 juin 1988). 7 Article 756 du Code des Obligations Civiles et Commerciales (COCC). La transaction prévue par cette disposition emporte la renonciation définitive des parties aux prétentions qu’elles avaient formulées et est déclarative des droits antérieurement contestés (article 760 du COCC). Mais, dans le cadre de cette étude, la notion de « transaction » est prise dans son sens premier et général correspondant à l’idée de contrat, de convention. Les transactions immobilières sont donc l’ensemble des conventions portant sur des immeubles. 4 La définition ci-dessus donnée à la notion de « transactions immobilières » impose une identification de l’objet desdits contrats. En effet, les choses sur lesquelles peuvent porter des droits peuvent être des meubles ou des immeubles. Selon qu’il s’applique à un meuble ou à un immeuble, le droit réel est dit mobilier ou immobilier. Les meubles se caractérisent par le fait qu’ils ne sont pas attachés au sol et sont donc susceptibles de déplacement. Mais, à ces meubles par nature, la jurisprudence a assimilé les meubles par anticipation62 au moment où le législateur y ajoute les meubles par détermination de la loi63. Quant à l’immeuble, il est, en principe, toute chose qui tient au sol ou s’y incorpore64 ainsi que le sol lui-même. Toutefois, la loi65 considère fictivement comme des immeubles les droits réels immobiliers. Au-delà, elle qualifie d’immeubles par destination certains objets mobiliers, lorsqu’ils constituent l’accessoire d’un immeuble par nature de leur propriétaire66. Les immeubles par essence, les immeubles par nature, ont un régime juridique différent en raison de la catégorie à laquelle ils appartiennent. Le système foncier sénégalais classe, en effet, les immeubles en trois catégories : le domaine national, le domaine de l’Etat et le domaine des particuliers. Le domaine national13 est organisé par la loi n° 64-46 du 17 juin 1964 relative au domaine national14. Il est composé des terres non classées dans le domaine public, non immatriculées et dont la propriété n’a pas été transcrite à la Conservation des hypothèques67. Il s’agit des zones urbaines68, des zones classées69, des zones des terroirs70 et des zones pionnières19. Les terres du domaine national ne peuvent être immatriculées qu’au nom de l’Etat71 qui jouit d’une simple détention sur elles72. 62 Ce sont les choses actuellement immeubles par nature, mais destinées à être détachées du sol dans un avenir plus ou moins proche et auxquelles on a attribué par anticipation le caractère mobilier (par exemple, des récoltes encore sur pied, qui sont vendues en tant que meubles). Exemple article 52 de l’Acte Uniforme relatif au Droit des Sociétés Commerciales et du Groupement d’Intérêt Economique (AUSC-GIE) de l’OHADA : « Les titres sociaux sont des biens meubles ». 64 Il en est ainsi notamment des végétaux et des constructions sur un fonds. 65 Article 18 de la Loi n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant Régime de la propriété foncière, J.O. n° 6607 du 13 Août 2011. 66 Les objets mobiliers en question doivent être affectés au service et à l’exploitation de l’immeuble par nature (par exemple, les instruments aratoires d’une exploitation agricole) ou attachés au fonds à perpétuelle demeure (par exemple, les glaces et autres ornements muraux faisant corps avec les boiseries et qui ne sauraient être descellés sans détérioration). 67 Article 1er de la Loi de 1964. 68 Elles sont constituées des terres du domaine national situées sur le territoire des communes et des groupements d’urbanisme prévus par la législation applicable en la matière. (Article 5 de la Loi de 1964). 69 Il s’agit des zones à vocation forestière ou des zones de protection ayant fait l’objet de classement dans les conditions prévues par la règlementation particulière qui leur est applicable. (Article 6 de la Loi de 1964). 70 Ce sont les terres du domaine national autres que celles situées dans les zones urbaines et classées et régulièrement exploitées pour l’habitat rural, la culture ou l’élevage. (Article 7 de la Loi de 1964). 19 Ce sont les terres du domaine national autres que celles situées dans les zones urbaines et classées et régulièrement exploitées pour tout autre but que l’habitat rural, la culture ou l’élevage. (Article 7 de la Loi de 1964). 71 Article 3 de la Loi de 1964. 72 Article 2 de la Loi de 1964. Même dans le langage courant, détention, possession et propriété sont des synonymes, le droit des biens, lui, opère une distinction entre les trois notions. La possession peut se définir comme le fait pour une personne d’effectuer des actes matériels sur une chose, correspondant aux prérogatives d’un droit réel, comme si elle était titulaire de ce droit, alors qu’elle ne l’est pas forcément. La détention est un droit que l’on a sur la chose d’autrui que l’on entre ses mains pour un temps limité et déterminé, la chose devant être restituée. Quant au droit de propriété, c’est le droit de jouir et de disposer de la chose de la manière la plus absolue dans les limites fixées par les lois et règlements. 63 13 Pour une étude détaillée sur le domaine national, voir notamment J. CHABAS, La propriété foncière en Afrique noire, Jurisclasseur civil Annexes, 1957, fasc. 17 ; M. DEBENE et M. CAVERIVIERE, Le droit foncier sénégalais, Berger-Levrault, 1988 ; des mêmes auteurs, Foncier des villes, foncier des champs (rupture et continuité du système foncier sénégalais), Revue internationale de droit comparé, vol. 41, n° 3, juillet-septembre 1989, p. 625 et s. ; A. DIEYE, Domanialité nationale et développement : l’exemple du Sénégal, Thèse Université Cheikh Anta Diop de Dakar, FSJP, 2003 ; K. MBAYE, Le régime des terres au Sénégal, in Le droit de la terre en Afrique, Paris, 1971, p. 153 ; S. TRAORE, Communication introductive in « analyse des pratiques foncières et perspectives de réforme : 40ème anniversaire de la loi sur le domaine national, UGB, FSJP, 18 juin 2004, p. 17 ; M. M. DIA, La notion de mise en valeur comme condition d’affectation des terres du domaines national, Revue trimestrielle de l’Amicale des inspecteurs des impôts et domaines, n° 15, septembre 2008, p. 24. 14 J.O. n° 3692, 11 juillet 1964, p. 905 et s. Il faut préciser que le domaine national est la partie la plus importante des terres sénégalaises. Ceci se justifie par l’histoire de la terre au Sénégal qui a vu s’instaurer et se développer le principe de la propriété collective. Mais, aujourd’hui, même si elle est vigoureusement combattue, il y a une tendance à l’individualisation de la propriété foncière. L’un des signes marquants d’une telle tendance est l’adoption de la Loi n° 2011-06 du 30 mars 2011 portant transformation des permis d’habiter et titres similaires en titres fonciers (J.O. n° 6598 du 25 juin 2011). Celle-ci autorise la transformation gratuite sans formalités préalables en titres fonciers des permis d’habiter et titres assimilés délivrés sur les terrains domaniaux destinés à l’habitation et situés dans les centres urbains (article 1er de la Loi). Quant au domaine de l’Etat, il se caractérise par la propriété de l’Etat. Il est régi par la loi n° 76-66 du 2 juillet 1976 portant Code du domaine de l’Etat. Il est composé du domaine public et du domaine privé de l’Etat constitués de tous les biens immobiliers qui appartiennent à l’Etat73. Le domaine public est constitué des biens qui, en raison de leur nature ou de la destination qui leur est donnée, ne sont pas susceptibles d’appropriation privée74. En revanche, le domaine privé de l’Etat est constitué des autres biens du domaine de l’Etat, c’est-à-dire ceux susceptibles d’appropriation privée24. Les immeubles qui appartiennent à cette catégorie font l’objet d’une immatriculation au Livre Foncier au nom de l’Etat. Le domaine des particuliers, lui, est composé des immeubles soumis au régime de l’immatriculation au Livre foncier. Il est régi par la loi n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant régime de la propriété foncière75. Cette loi a pour but d’organiser la propriété foncière en assurant aux titulaires la garantie Articles 1er et 2 de la Loi n° 76-66 du 02 juillet 1976 portant Code du domaine de l’Etat. Il faut préciser qu’aux biens immobiliers s’ajoutent les biens mobiliers qui appartiennent à l’Etat. Ceux-ci sont ici écartés de la détermination du contenu du domaine de l’Etat en raison de l’objet de l’étude constitué exclusivement des biens immobiliers. 74 Il en est ainsi notamment de la mer territoriale, du plateau continental, des cours d’eau navigables ou flottables, des emprises des routes, des chemins de fer ou encore des ports maritimes et fluviaux. 24 Article 2 de la Loi n° 7666 du 02 juillet 1976 portant Code du domaine de l’Etat. C’est le cas notamment des biens acquis par l’Etat par voie d’expropriation et des immeubles immatriculés au nom de l’Etat, des droits immobiliers dont la confiscation a été prononcée au nom de l’Etat ou encore des immeubles abandonnés et sur lesquels l’Etat a bénéficié de l’usucapion conformément à l’article 33 de la loi n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant Régime de la propriété foncière. 75 J.O. n° 6607 du 13 Août 2011. Cette loi abroge et remplace le décret du 26 juillet 1932 portant régime de la propriété foncière applicable en Afrique Occidentale Française (AOF). Ce domaine est composé des terres immatriculées appartenant à l’Etat ou aux privés. Mais, nous préférons, dans le cadre de cette étude le dénommer « domaine des particuliers » en raison de l’appropriation privée qui le caractérise. Rappelons que ce décret de 1932 instaurait définitivement le système de l’immatriculation des terres et des livres fonciers et abrogeait et remplaçait celui du 24 juillet 1906 lequel avait abrogé et remplacé le décret du 20 juillet 1900. Son abrogation pose aujourd’hui le problème du régime des droits réels en général, de celui de la propriété en particulier compte tenu de l’abrogation du renvoi au code civil français. Par la loi n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant régime de la propriété foncière25, le Sénégal s’est départi du droit de l’époque coloniale pour asseoir, du moins c’est ce qui était souhaité, une règlementation moderne et adaptée. 73 des droits réels qu’ils possèdent sur les immeubles, et en leur délivrant un titre foncier définitif et inattaquable76. Elle exige l’inscription des droits réels immobiliers77 et des actions tendant à les revendiquer. L’immatriculation première étant insuffisante pour atteindre l’objectif poursuivi par le régime de la propriété foncière, la loi organise en outre la mise à la disposition du public de toutes les informations relatives à la propriété immobilière ; d’où l’exigence de la publicité foncière pour toutes conventions constituant, modifiant ou transférant un des droits énumérés à l’article 19 de la loi de 2011. Ainsi la constitution d’usufruit, la constitution d’hypothèque ou encore la vente immobilière exigent, pour leur opposabilité, l’inscription à la Conservation de la propriété et des droits fonciers. Selon que l’immeuble en question est dans telle ou telle catégorie, les transactions font l’objet d’un régime particulier. Pour les terres du domaine national, les transactions qui portent sur elles sont interdites78 et qualifiées d’infractions pénales79. Ainsi la promesse de vente, d’hypothèque ou d’échange de terres du domaine national est une infraction, a fortiori la vente, la constitution d’hypothèque ou l’échange ayant pour objet lesdites terres. Pour le domaine public de l’Etat, l’article 9 de la loi n° 76-66 du 02 juillet 1976 portant Code du domaine de l’Etat précise clairement que le domaine de l’Etat est inaliénable et imprescriptible. Toutefois, il peut faire l'objet de permissions de voirie, d'autorisation d'occuper, de concessions et d'autorisations d'exploitation80. En ce qui concerne le domaine privé de l’Etat, il est composé, en matière immobilière, des immeubles sur lesquels l’Etat se comporte comme tout autre propriétaire immobilier. Ces immeubles peuvent faire l’objet de transactions dans le respect d’une procédure administrative particulière81. Quant aux immeubles composant le domaine des particuliers, ils sont les plus enclins à faire l’objet des transactions immobilières82 qui se traduisent notamment par un transfert ou la constitution de droits réels immobiliers. 76 Exposé des motifs de la Loi n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant régime de la propriété foncière. Article 19 de la loi de 2011. Les droits réels immobiliers sont la propriété des biens immeubles, l’usufruit des mêmes biens, les droits d’usage et d’habitation, l’emphytéose, le droit de superficie, les servitudes et services fonciers, les privilèges et hypothèques. 77 78 Les transactions immobilières ne peuvent porter que sur des immeubles immatriculés. En effet, aux termes de l’article 380 du COCC : « A peine de nullité absolue du contrat, l'immatriculation de tout immeuble est obligatoire pour la validité des conventions constituant ou transférant un des droits protégés par le régime de l'immatriculation foncière. » 79 Article 423 du Code pénal : « Quiconque aura cultivé ou occupé d'une manière quelconque un terrain dont autrui pouvait disposer, soit en vertu d'un titre foncier, soit en vertu d'une décision administrative ou judiciaire, sera puni d'un emprisonnement de six mois à trois ans et d'une amende qui ne saurait être inférieure à 50.000 francs. (Loi n° 66-16 du 1er février 1966) Sera puni des mêmes peines quiconque aura occupé sans droit une terre faisant partie du domaine national ou immatriculée au nom de l'Etat ou d'une collectivité publique ou aura conclu ou tenté de conclure une convention ayant pour objet une telle terre. » 80 Article 11 de la loi n° 76-66 du 02 juillet 1976 portant Code du domaine de l’Etat. 81 Voir notamment les articles 23 et suivants et 36 et suivants de la loi n° 76-66 du 02 juillet 1976 portant Code du domaine de l’Etat. 82 Voir notamment articles 379 et suivants du COCC. A travers la détermination de l’objet des transactions immobilières, il apparaît donc que la notion mérite d’être restreinte aux seules transactions portant sur des droits réels immobiliers immatriculés. Il s’agit des transactions portant sur les immeubles du domaine privé de l’Etat et sur ceux du domaine des particuliers. Les premières posent moins de difficultés en raison de la procédure particulière qu’elles doivent suivre mais également de la nature particulière des actes administratifs qui en constituent l’instrumentum83. Quant aux secondes, leur particularité réside dans l’exigence d’un acte authentique, plus précisément, dans l’intervention obligatoire du notaire. En effet, dans ce cadre, le législateur sénégalais34 a adopté des dispositions à dimension sécuritaire, en limitant la liberté contractuelle35 par des mesures d’encadrement parmi lesquelles figure l’intervention obligatoire du notaire. Cette particularité des transactions immobilières est gage de sécurité juridique. C’est dans un souci d’organisation de la publicité foncière et donc de la sécurité juridique que la loi subordonne l’inscription à la Conservation de la propriété et des droits fonciers à l’intervention du notaire dans la transaction immobilière. Il en est ainsi notamment de l’hypothèque conventionnelle36, de la vente d’immeuble immatriculé37, de l’échange immobilier38, du crédit-bail immobilier39, de constitution d’usufruit40 ou encore de la location-vente41. Cette obligation d’intervention du notaire et de publicité de l’acte constitutif, translatif ou modificatif de droits réels immobiliers procède d’un « interventionnisme » préventif du législateur42. C’est dans le souci de promouvoir une législation propre à prendre en compte les impératifs de développement économique et social de l’Etat naissant que les pouvoirs publics sénégalais avaient pris l’option d’adopter, dans le domaine des relations économiques, une série de dispositions destinées à constituer les différentes parties du Code des Obligations Civiles et Commerciales (COCC). Il y avait ainsi la loi n° 63-62 du 10 juillet 1963 (Première partie) dénommée « Partie générale », la loi n° 66-70 du 13 juillet 1966 (Deuxième partie) sur les contrats spéciaux, la loi n° 76-60 du 12 juin 1976 (Troisième partie) sur les garanties des créanciers et la loi n° 85-40 du 29 juillet 1985 (Quatrième partie) sur les sociétés commerciales. Les deux dernières parties ont été abrogées à la faveur de l’adoption des Actes Uniformes de l’OHADA qui ont le même objet (Acte Uniforme portant organisation des sûretés, Acte Uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique et Acte Uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif). 35 La liberté contractuelle est un principe affirmé notamment par l’article 41 du COCC intitulé « Consensualisme » issu de la doctrine de l’autonomie de la volonté dont la préoccupation première est la protection et la primauté de l'individu. 36 Articles 25 et 47 de la Loi n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant régime de la propriété foncière. Même si les sûretés font partie du domaine d’intervention de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), l’obligation d’intervention du notaire en matière d’hypothèque, telle qu’issue de la loi interne, est conforme au droit communautaire car fondée sur le renvoi contenu dans l’article 205 de l’Acte Uniforme portant organisation des Sûretés. 37 Article 383 du COCC. 38 Article 391 du COCC. 34 Voir l’article 47 de Loi de 2011 portant régime de la propriété foncière : « Tous faits, conventions ou sentences, ayant pour objet de constituer, transmettre, déclarer, modifier ou éteindre un droit réel immobilier, d’en changer le titulaire ou les conditions d’existence, tous baux d’immeubles excédant trois années, toute quittance ou cession d’une somme équivalente à plus d’une année de loyer ou fermages non échus doivent, en vue de l’inscription, être constatés par acte authentique sauf dérogations législatives. 83 Les règles de forme édictées à l’alinéa précédent ne s’appliquent pas, à la condition que lesdits faits, conventions ou sentences soient constatés par écrit dans les formes déterminées par la loi, aux actes passés par l’Etat et les autres personnes publiques. » Article 390 du COCC. Pour une étude détaillée sur l’intervention du notaire en matière de créditbail immobilier, voir C. A. W. NDIAYE, Le développement du crédit-bail au Sénégal, Thèse, Université Cheikh Anta Diop de Dakar, 2013, n° 240 et s. 40 Articles 19 et 47 de la Loi n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant régime de la propriété foncière. 41 Articles 361 et 390 du COCC. 42 La prévention est en effet définie par le dictionnaire étymologique et historique du français Larousse (éd. Larousse Bordas 1998, p. 615) comme toute action consistant à devancer ou à s’opposer à une situation future et probable. Le but recherché fondamentalement reste l’évitement du contentieux en matière de droits réels immobiliers. En effet, l’acte notarié présente deux vertus essentielles. D’abord, son importance en tant qu’instrument de protection des investissements ressort avec évidence quand on invoque ses attributs : une preuve irréfutable, un titre exécutoire. Dressé en vertu d’une concession de service public, l’acte notarié fait foi de son origine, de son contenu et de sa date jusqu’à inscription de faux. C’est dire que l’acte notarié assure la certitude de ne pas être contesté par des contractants de mauvaise foi ; il a une efficacité remarquable. Ensuite, l’acte notarié a force exécutoire puisque celui qui s’en prévaut n’a pas à chercher une décision de justice pour contraindre le débiteur récalcitrant à s’exécuter84 : c’est un acte qui se suffit à lui-même. En dehors de ces considérations relatives aux intérêts des parties à l’acte, l’acte notarié établi peut être opposable aux tiers dès sa publication alors que l’acte sous seing privé, en matière immobilière ne saurait être opposable aux tiers car ne pouvant faire l’objet d’inscription au Livre foncier. 39 Tous ces avantages de l’acte notarié auraient pu amener toute personne diligente, audelà de la volonté du législateur, à l’apprécier comme une nécessité pratique pour toutes les conventions portant sur des droits réels immobiliers immatriculés. Mais, en tant qu’obligation et moyen de sécurité juridique, l’objectif est-il atteint ? Tout porte à le croire85. Par contre, se pose encore la question du moment de l’intervention du notaire et du champ d’application de l’intervention obligatoire. Dès lors, dans le cadre de ces mélanges en l’honneur du Professeur Paul-Gérard POUGOUE portant sur « l’esprit du droit africain », la présente étude propose une analyse de l’intervention du notaire conformément à l’esprit du droit et du législateur sénégalais afin de promouvoir la sécurité juridique des transactions portant sur des droits réels immobiliers immatriculés. Cette authenticité qu’est l’exigence de l’intervention d’un notaire dans toutes les conventions relatives aux droits réels immobiliers immatriculés ne fait l’objet d’aucun doute86 : les transactions immobilières sont donc sécurisées (I). Par contre, le moment de cette intervention a fait couler beaucoup d’encre, suscité beaucoup d’interrogations et soulever beaucoup de contentieux. Ce qui dénote que la sécurité des transactions immobilières est à dimensions contestées (II). IDes transactions sécurisées Les transactions portant sur des droits réels immobiliers immatriculés sont sécurisées. Cette sécurisation se manifeste par l’obligation d’intervention du notaire pour l’accomplissement des Article 33 de l’Acte Uniforme de l’OHADA portant organisation des procédures simplifiées et des voies d’exécution. 85 Le contentieux en matière immobilière au Sénégal montre bien l’insécurité des transactions immobilières hors intervention du notaire. En effet, plusieurs millions ont été versés à des vendeurs qui n’étaient pas les véritables propriétaires parce que les actes sous seing privé rédigés par les particuliers ne comportaient pas de vérifications d’origine de propriété. C’est vouloir économiser et perdre plus que l’économie escomptée. Dans tous les cas, les entreprises privées ont reconnu que les incidences de cette intervention obligatoire du notaire sont très faibles sur le plan financier. 86 Dans la pratique, elle est vigoureusement fustigée en raison des frais de contrat, parfois très lourds, occasionnés par l’intervention du notaire. Mais, devant les juridictions, elle est toujours louée compte tenu de son efficacité comme moyen de défense : soit l’acte est valable, soit le notaire est responsable. 84 formalités d’inscription au Livre Foncier. Cette obligation d’authentification de la transaction immobilière (A) participe de l’instauration d’une technique contractuelle particulière par l’exigence d’un avantcontrat notarié pour toutes les transactions immobilières (B). A- L’obligation d’authentification de la transaction immobilière L’obligation d’authentification des transactions immobilières ne fait pas l’objet de contestation. Elle résulte clairement des articles 383 du COCC et 47 de la loi n° 201107 du 30 mars 2011 portant régime de la propriété foncière pour lesquels il n’y a point de transaction immobilière sans inscription et il n’y a point d’inscription sans acte notarié. Dès lors, le législateur sénégalais considère que non seulement l’inscription au Livre Foncier est une condition de perfection de la transaction immobilière (1), mais également que la forme notariée de la convention est une condition de l’inscription au Livre Foncier (2). 1- L’inscription au Livre Foncier, une condition de perfection de la transaction immobilière Les transactions immobilières portent sur les immeubles immatriculés au Livre Foncier. L’immatriculation permet d’identifier l’immeuble en question, son propriétaire, c’est-à-dire le titulaire du titre foncier ainsi que tout autre titulaire d’un droit réel sur l’immeuble87. Le titre foncier établi à l’issue de la procédure d’immatriculation est un acte « définitif et inattaquable qui constitue le point de départ unique de tous les droits réels existant sur l’immeuble au moment de l’immatriculation »47. Tout autre droit réel portant sur l’immeuble et toute modification de la structure des droits réels et de leur titulaire ne peuvent être effectifs qu’après inscription au Livre Foncier88. Les transactions immobilières modifiant la structure, constituant ou transférant des droits réels immobiliers doivent en conséquence faire l’objet d’une inscription au Livre Foncier. L’inscription au Livre foncier est donc une condition de perfection de toute transaction immobilière89. L’exigence de perfection de la vente immobilière, du crédit-bail immobilier, de la location-vente immobilière, de l’échange immobilier, du bail à construction ou encore de l’acte de constitution d’hypothèque, d’usufruit ou de servitude résulte d’une volonté législative affirmée. Elle ne fait l’objet d’aucun débat même si les modalités d’intervention du notaire sont généralement mises en avant dans la justification des voies de contournement toujours recherchées par les populations50. Ainsi, le contrat portant sur des droits réels immobiliers immatriculés est à parfaire par son inscription à la Conservation de la propriété et des droits fonciers communément appelée « publicité foncière »90. Cette perfection de la transaction immobilière a pour but, non seulement de justifier de l’existence de la transaction, mais également de rendre celle-ci valable et opposable aux tiers91. 87 Articles 40 et 41 de la Loi n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant régime de la propriété foncière. 47 Articles 381 du COCC et 42 de la Loi n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant régime de la propriété foncière. 88 Article 20 de la Loi n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant régime de la propriété foncière. 89 Articles 382 du COCC et 46 de la Loi n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant régime de la propriété foncière. L’exigence d’une telle formalité fait des transactions immobilières des contrats solennels. 50 L’intervention du notaire en matière immobilière est, en effet, dans certains cas contournée par les populations qui préfèrent passer par un acte sous seing privé ou encore par une légalisation dudit acte. C’est la cause de la plupart des contentieux dans ce domaine. 90 Articles 382, 390, 391 du COCC et article 20 de la Loi n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant régime de la propriété foncière. 91 Article 20 de la Loi n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant régime de la propriété foncière. Cette formalité essentielle pour l’existence et l’efficacité des transactions immobilières nécessite l’établissement préalable d’un écrit, d’un acte authentique, d’un acte notarié92. 2- La forme notariée de la convention, une condition d’inscription de la transaction au Livre Foncier Il résulte de l’article 47 de la loi n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant régime de la propriété foncière que les conventions ayant pour objet de constituer, transmettre, déclarer, modifier ou éteindre un droit réel immobilier, d’en changer le titulaire ou les conditions d’existence doivent être constatés par acte authentique. Dans tous les cas où une telle forme est exigée de l’acte portant la transaction immobilière93, le défaut d’intervention du notaire rend impossible l’inscription de la transaction au Livre Foncier. Le législateur sénégalais réserve donc une place de choix à l’acte notarié dans la procédure d’inscription des transactions immobilières au Livre Foncier. L’importance reconnue à la forme notariée ne résulte pas d’un hasard législatif. En effet, la forme notariée reste celle qui garantit tous les intérêts en présence dans les transactions portant sur des droits réels immobiliers immatriculés. D’abord, sur le plan sociologique, l’intervention obligatoire du notaire peut se justifier par l’analphabétisme et l’illettrisme des populations. Il n’est plus à démontrer la surprise et la souffrance de ceux qui, après avoir acheté de bonne foi un bien immobilier, se retrouvent évincés au profit d’un acquéreur plus diligent94. Il n’est également plus à compter les familles pour lesquelles le seul élément immobilier du patrimoine a été retiré à la suite d’une procédure d’expulsion longue et honteuse. En conséquence, si ce n’est que sur le plan sociologique, l’intervention du notaire qui collecte et analyse les informations sur le bien immobilier objet de la transaction, informe et conseille les parties sans parti-pris, et accomplit l’ensemble des formalités préalables et postérieures nécessaires à la réalisation de la transaction immobilière, est dans le seul intérêt des populations. Ensuite, sur le plan économique, l’intervention du notaire est profitable à tous. Pour l’administration et spécialement le Bureau de la Conservation et des droits fonciers, le notaire constitue un interlocuteur auquel il est possible d’exposer les motifs d’acceptation ou de rejet des actes à publier95. En effet, l’authentification obligatoire est une application profonde et souple du principe de légalité. L’intervention obligatoire du notaire permet de débarrasser les particuliers des problèmes de procédure tout en réalisant un encadrement juridique efficace et en assurant une sécurité indispensable au développement économique. Le droit notarial, qualifié de droit du développement, est particulièrement respectueux des intérêts de l’Etat et réalise un encadrement juridique qui garantit un seuil de stabilité et de sécurité à partir duquel il est possible de construire l’étape suivante des opérations juridiques au 92 Article 20 de la Loi de 2011 précité. L’alinéa 2 de l’article 47 de la Loi de 2011 prévoit des exceptions à ce principe de l’exigence d’un acte notarié. 94 C’est d’ailleurs l’essentiel du contentieux en matière de propriété immobilière au Sénégal. 95 Auparavant, les agents du Service de la Conservation foncière prenaient beaucoup de leur temps pour informer les usagers, voire leur faire un cours de droit notarial. Cette solution était possible à une époque pour ils ne recevaient qu’une centaine de dépôts par an. Mais, aujourd’hui, avec le rythme économique actuel qui nécessite des milliers de dépôts, leur attitude ne peut plus être la même. Les rejets doivent pouvoir se faire par une simple phrase immédiate comprise par le seul spécialiste qu’est le notaire. Par ailleurs, les actes sous seing privé étaient souvent rejetés à plusieurs reprises pour des erreurs multiples. Les particuliers en étaient outrés croyant voir dans les exigences de Livre foncier des exigences byzantines assorties d’un juridisme d’un autre âge qui constitue un obstacle au développement ; alors qu’il s’agissait, dans la plupart des cas, d’une méconnaissance des aspects les plus élémentaires du droit foncier. 93 service du développement, celle de la simplification des procédures foncières qui permet leur accélération. Pour tout citoyen, si l’acte sous seing privé avait été admis en matière de transaction immobilière, les parties se seraient en majorité tournées vers des agents d’affaires, avec une sécurité juridique réduite et des coûts plus élevés que ceux du notaire. Même considéré comme très onéreux, le recours au notaire permet donc aux parties de réaliser une économie et de préserver leurs intérêts de manière convenable. En conséquence, en tant que prix d’une sécurité quasi-absolue, les émoluments du notaire ne doivent pas apparaître comme une charge critiquable96. Du point de vue de la célérité, les actes notariés retardent en apparence les opérations à moyen terme. Mais, ils sont plus rapides que les actes sous seing privé ; il y a juste un frein avant la signature de l’acte car tous les éléments concourant à la légalité doivent être réunis, le notaire ne pouvant se permettre de rédiger des actes illégaux97. Enfin, sur le plan sécuritaire, les transactions immobilières bénéficient, par l’intervention obligatoire du notaire, de la clarté et de la sécurité indispensables à une vie économique en plein développement. Les multiples litiges qui encombrent les tribunaux et les services administratifs, les nombreuses fraudes fiscales, la panoplie de décisions de justice en matière de transfert de propriété immobilière permettent de justifier du danger de la forme sous seing privée des transactions immobilières98. Les actes sous seing privé en matière immobilière ne sont que source de désordre fiscal, domanial et foncier ; ils portent atteinte à l’économie nationale et portent dans leurs flancs le germe de l’insécurité. Le législateur sénégalais, par l’intervention obligatoire du notaire, a voulu éviter de tomber dans le paradoxe consistant à disposer d’un régime foncier riche en technique juridique tout en présentant un spectacle d’insécurité foncière. Dans sa volonté de sécuriser les transactions immobilières, il a instauré une technique contractuelle particulière en exigeant un avant-contrat notarié pour toute transaction immobilière. Le contentieux en matière immobilière au Sénégal montre bien l’insécurité des transactions immobilières hors intervention du notaire. En effet, plusieurs millions ont été versés à des vendeurs qui n’étaient pas les véritables propriétaires parce que les actes sous seing privé rédigés par les particuliers ne comportaient pas de vérifications d’origine de propriété. C’est vouloir économiser et perdre plus que l’économie escomptée. Dans tous les cas, les entreprises privées ont reconnu que les incidences de cette intervention obligatoire du notaire sont très faibles sur le plan financier. 97 Le notaire est, à lui seul, juge et avocat commun des parties qui comparaissent volontairement devant lui. Il assure la moralité et la sécurité de la vie contractuelle. Il est non seulement témoin irrécusable des conventions qui se forment en sa présence en ce sens que la complexité des lois modernes ne laisse pas place aux affaires simples qui décèlent toutes des écueils que le notaire ne manquera jamais d’éviter ou de réduire dans les limites légales possibles. Le notaire doit donc respecter et faire respecter la loi applicable dans la rédaction des actes, chaque fois qu’il est sollicité par les opérateurs économiques qui veulent investir dans tel ou tel secteur d’activités ou se mettre en relation d’affaires. Il doit respecter les normes applicables, refuser de rédiger ou de servir d’intermédiaire lorsqu’il constate que son intervention contreviendrait à la législation nationale, communautaire ou internationale. Il faut préciser que les honoraires rétribuent non seulement la responsabilité civile du notaire engagée dans chaque signature d’acte mais également son service et les frais de fonctionnement de son étude. 96 Il est constant que l’intervention obligatoire du notaire dans les transactions immobilières permet de réduire voir de supprimer tout contentieux en la matière. Ce qui est contraire aux effets des actes sous seing privé. 98 B- L’instauration d’une technique contractuelle particulière : l’exigence d’un avant-contrat notarié La liberté contractuelle est le principe en matière de transaction immobilière. Mais, jusqu’où va cette liberté dans le cadre des transactions immobilières ? En ce qui nous concerne dans le cadre de cette étude, le consensualisme tel que résultant de l’article 41 du COCC est écarté en raison de l’exigence d’une forme et d’une formalité particulières. L’analyse de ces forme et formalité requises, à savoir la forme notariée de la convention et l’inscription de l’acte au Livre Foncier dénote une obligation légale longtemps enfouie : l’avant-contrat en matière de transaction immobilière doit revêtir la forme notariée. Cette exigence légale résulte non seulement de la nature juridique des transactions immobilières (1), mais également de la technique de la transaction immobilière (2). 1- Une exigence résultant de la nature juridique de la transaction immobilière Les transactions immobilières sont l’un des rares domaines où le législateur s’intéresse et exige, de façon expresse, une période précontractuelle. En effet, en dehors des contrats de fusion, de scission ou d’apport partiel dont la conclusion nécessite, au préalable, l’établissement et la publicité d’un projet de fusion, de scission ou d’apport partiel d’actif99, cette particularité est à remarquer dans les transactions portant sur des droits réels immobiliers immatriculés. Mais, outre cette authenticité de la technique contractuelle, le législateur exige que l’avant-contrat ainsi requis prenne la forme d’un acte authentique. Cette exigence trouve sa première justification dans la nature juridique de la transaction immobilière. En effet, l’ambigüité notionnelle, source de la controverse100 (a) à laquelle s’identifient les dispositions applicables, n’entame en rien la certitude de la solennité de la transaction immobilière (b) qui justifie, à elle seule, l’exigence de la forme notariée de l’avant-contrat dans les transactions immobilières. a) La source de la controverse : une ambigüité notionnelle L’ambigüité notionnelle des dispositions législatives source de la controverse vient de l’utilisation indifférente de termes juridiques différents. En effet, le débat doctrinal, les hésitations jurisprudentielles et la position actuelle de la Cour Suprême sur la question de l’exigence de la forme notariée dans l’établissement de l’avantcontrat dans les transactions immobilières vient des termes juridiques différents utilisés par le législateur de manière indifférente. Il s’agit des notions « d’acte », de « contrat » et de « promesse synallagmatique » notamment dans l’article 382 du COCC. Ces dernières notions sont employées de manière indifférente pour désigner une même convention101. L’utilisation de ces trois notions rend ambigu le texte qui s’est prêté dès lors à des interprétations multiples alors que le sens de l’article 382 du COCC ne fait l’objet d’aucun doute. Article 193 de l’AUSC-GIE Pour des détails sur la controverse sur ce point, les développements sur la sécurité aux dimensions contestées. 101 Article 382 COCC : «L'acte par lequel les parties s'engagent, l'une à céder, l'autre à acquérir un droit sur l'immeuble, est une promesse synallagmatique de contrat. Elle oblige l'une et l'autre partie à parfaire le contrat en faisant procéder à l'inscription du transfert du droit à la Conservation de la propriété foncière. » 99 100 Le contenu de l’article 382 du COCC n’aurait pas dû faire l’objet de débat dans la mesure où l’utilisation, de manière indifférente, de ces termes n’est pas exclusive à la promesse synallagmatique de vente. Le législateur, dans les dispositions anciennes du COCC102 comme dans celles nouvelles de l’Acte Uniforme de l’OHADA portant organisation des Sûretés103 relatives à l’hypothèque conventionnelle, impose la forme notariée en usant des mêmes termes pour désigner, à chaque fois, la promesse synallagmatique d’hypothèque : l’hypothèque conventionnelle résulte d’un contrat soumis à publicité au Livre foncier ; l’acte d’hypothèque non encore publié est inopposable aux tiers et constitue, entre les parties, une promesse synallagmatique d’hypothèque qui les oblige à procéder à la publicité. L’acte est la promesse synallagmatique qui devient contrat dès l’inscription au livre foncier. Le raisonnement peut d’ailleurs convoquer les articles 390 et 391 du COCC portant respectivement sur le bail assorti d’une promesse de vente104 et l’échange immobilier. Dans les deux cas, les termes utilisés considèrent la publicité, non pas comme une condition de formation du contrat, mais plutôt comme une formalité d’opposabilité pour l’un105 et de transfert de propriété pour l’autre106. Mais, une réflexion approfondie révèle un sens différent107 : la publicité foncière, en application des règles particulières en matière immobilière, est une condition d’existence et d’opposabilité du bail assorti d’une promesse de vente ainsi que du transfert de propriété dans le cadre de l’échange immobilier. Par conséquent, ce qu’il convient d’entendre à travers les dispositions des articles 382 du COCC et 20 de Loi n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant régime de la propriété foncière, c’est qu’en cas de défaut de publicité foncière, la transaction immobilière est qualifiée d’avant-contrat. Ce qui rend incontestable la nature juridique de la transaction immobilière. b) La certitude de la solennité de la transaction immobilière Le contrat fait partie des actes juridiques, se rattache aux actes juridiques bilatéraux ou conventions et se présente comme une convention particulière. Il est un accord de volontés destiné à la création d’effets de droit particuliers, les obligations108. C’est cet aspect du contrat qui apparaît dans la Articles 908, 910 et 911 du COCC abrogés avec l’entrée en vigueur de l’AUS. D’ailleurs, l’existence de l’abrogation de plein droit de ces dispositions est discutable en ce sens que l’article 205 de l’AUS renvoie pour l’exigence de la forme notariée ou non aux dispositions nationales des Etats parties. Or, l’article 910 vient déterminer une telle forme. Toutefois, la loi de 1998 a abrogé expressément ces dispositions. Dès lors, la forme notariée de l’hypothèque est exigée en application de la loi n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant régime de la propriété foncière. 103 Article 206 de l’AUS : « Tant que l'inscription n'est pas faite, l'acte d'hypothèque est inopposable aux tiers et constitue, entre les parties, une promesse synallagmatique qui les oblige à procéder à la publicité. », J.O OHADA n° 22, 15ème année du 15 février 2011. 104 Il s’agit notamment du crédit-bail immobilier et de la location-vente immobilière. 105 Article 390 COCC : «En dehors des contrats soumis à publicité par les textes relatifs à l'immatriculation foncière, le bail assorti d'une promesse de vente doit faire l'objet d'une inscription au titre foncier pour être opposable aux tiers. » 106 Article 391 COCC : « Le transfert de propriété des immeubles qui font l'objet d'un échange se produit par l'inscription de chacun des transferts aux titres fonciers respectifs. » 107 Voir l’article 20 de la Loi n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant régime de la propriété foncière. 108 Article 39 COCC. 102 définition résultant de l’alinéa 1 de l’article 40 du COCC109. Il se fonde sur le principe de la liberté contractuelle issu de la doctrine de l’autonomie de la volonté qui, dans certains cas, est écarté. Il en est ainsi en matière immobilière où la transaction immobilière est un contrat solennel. Le contrat consensuel est celui qui se forme valablement par le seul échange de consentement, par le seul accord des volontés des parties, sans qu'il soit besoin de recourir à une quelconque formalité. En principe, les contrats sont consensuels ; c’est la règle, eu égard au principe du consensualisme71. Le fait que la loi impose la rédaction d’un écrit pour la preuve du contrat110, sur le plan des principes, ne porte pas atteinte à la règle du consensualisme. Dans ces hypothèses où la preuve préconstituée doit être aménagée au moment de la conclusion du contrat, celui-ci se forme valablement dès l’accord des volontés. Il est donc procédé à une distinction entre l’écrit exigé à titre de validité et l’écrit exigé à titre d’efficacité, l’écrit condition de validité différant de l’écrit preuve préconstituée. Toutefois, si l’on se place, non pas sur le plan des principes juridiques, mais plutôt de la réalité vécue, l’écrit preuve préconstituée est une entrave à la liberté contractuelle et au consensualisme. En revanche, le contrat solennel est celui dont la formation valable est subordonnée à une forme particulière ou à l'accomplissement de certaines formalités indépendamment de l'accord de volontés. En ce qui concerne la forme, il peut s’agir de l’exigence d’un acte authentique ; il en est ainsi notamment de l’intervention d'un notaire dans les transactions immobilières. Quant aux formalités, elles sont prévues par la loi et peuvent être très diverses ; c’est le cas notamment de l’inscription de la transaction à la Conservation de la propriété et des droits fonciers111. Ces deux obligations justifient la qualification en contrat solennel de la transaction immobilière. En tant que contrat solennel, la transaction immobilière reste objectivement un avantcontrat tant que la publicité foncière n’a pas été accomplie. Ce qui consiste donc à dire que le contrat n’est définitif que si l’avant-contrat fait l’objet d’une perfection qui en fait un contrat définitif. Or, ne peut faire l’objet de publicité foncière que la convention ayant la forme d’un acte notarié. Ce raisonnement équivaut en une reconnaissance légale de l’exigence de la forme notariée de l’avant-contrat en matière de transaction immobilière. Il faut relever qu’en matière de droits réels immobiliers immatriculés, même si l’acte est intitulé « acte de vente », « vente », « échange », « crédit-bail », « bail à construction », « convention d’hypothèque » ou autre, il n’en demeure pas moins un avant-contrat tant que sa perfection n’a pas été effectuée conformément à l’article 20 de la Loi n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant régime de propriété foncière74. Cette perfection de la transaction vaut également transfert de propriété immobilière lorsque la transaction réalisée est un contrat translatif de propriété immobilière. C’est ce qui confère à la transaction des aspects apparents de contrat réel. Article 40 alinéa 1 COCC : « Le contrat est un accord de volontés générateur d’obligations ». 71 Article 41 du COCC. 110 Article 14 du COCC. 111 Articles 382 et 383 du COCC. Voir notamment sur ce point J.-P. TOSI, ouvrage précité, p. 61 et s. 74 Ainsi, la pratique notariée consistant à établir des actes intitulés « promesse synallagmatique de vente d’immeuble » n’a aucun intérêt si les parties sont censées réaliser l’opération s’engagent à accomplir la formalité de la publicité foncière. 109 En effet, le contrat réel est celui dont la remise de la chose objet du contrat est une condition de formation112. La vente et l’échange113 sont, en principe, des contrats consensuels77. Toutefois, à titre exceptionnel, ils peuvent être des contrats solennels114 avec quelques aspects de contrats réels. Lorsqu’ils portent sur des immeubles immatriculés, ils auraient pu être analysés comme des contrats réels en qu’ils ne sont des contrats définitifs et parfaits que lorsqu’ils auront abouti au transfert des droits réels immobiliers objet du contrat. Sans la perfection de la vente ou de l’échange telle que requise par la loi, le contrat n’est pas achevé et reste un avant-contrat. Toutefois, le caractère réel desdites transactions immobilières est à relativiser. Il n’est fondé que sur le fait que le transfert de propriété est concomitant à la conclusion et à l’opposabilité du contrat. Or, si réels soient-ils, la vente et l’échange immobiliers ne résultent pas seulement de l’inscription du transfert du droit réel à la Conservation de la propriété et des droits fonciers. Il faut également un élément volontaire, à savoir la promesse synallagmatique de contrat qui ne peut avoir d’efficacité que si elle est authentique pour permettre la publicité foncière qui rend parfaite l’opération immobilière115. Il apparaît clairement que si le caractère réel de la transaction immobilière est discutable car illusoires pour les ventes et échanges immobiliers, le caractère solennel, lui, est certain pour toute transaction immobilière. Cette solennité résultant de l’exigence de la forme notariée et de l’inscription de la transaction au Livre Foncier confirme que c’est le même acte avant-contrat qui va devenir le contrat définitif. Ainsi, en matière de vente immobilière, c’est le même acte qui administre la preuve du paiement du prix par la quittance authentique qu’il contient et, le cas échéant, constitue le titre de créance du prix dont le paiement est garanti par les dispositions de l’article 389 du COCC. Par ailleurs, c’est le même acte qui comporte les obligations du vendeur et de l’acheteur : l’obligation de payer le prix est, au même titre que l’obligation de délivrance, issue du seul acte. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, dans la pratique, le vendeur ne réalise la remise des documents permettant l’accomplissement des formalités de publicité foncière que lorsqu’il a toutes les garanties d’un paiement du prix. En effet, par le transfert de propriété qui se réalise par la mention sur le titre foncier du nom de l’acquéreur, ce dernier dispose d’un droit définitif et inattaquable116. C’est le cas notamment du contrat de dépôt. Il faut préciser que la tradition n’a plus besoin d’un acte matériel. En fonction de la nature de la chose, la tradition peut s’effectuer autrement. Il en est ainsi en matière immobilière ou la tradition passe simple par le transfert de jouissance. Elle est réalisée dans l’acte notarié par la clause dénommée « Propriété – jouissance ». Sur les différentes formes de tradition (tradition feinte, clause de dessaisine-saisine, contitut possessoire ou précaire) et une étude historique de son évolution, voir notamment J.-P. LEVY et A. CASTALDO, Histoire du droit civil, Dalloz, coll. Précis droit privé, 2002, 1 ère éd., n° 387 et s. ; A. M. PATAULT, Introduction historique au droit des biens, PUF, coll. Droit fondamental – Droit civil, 1989, n° 173 et s. 113 L’échange est un contrat translatif de propriété (articles 373 et 374 du COCC) 77 Articles 264, 265 et 373 et suivants du COCC. 114 Voir les développements ci-dessus. 115 Voir dans le même sens l’article 206 de l’AUS : « Tant que l'inscription n'est pas faite, l'acte d'hypothèque est inopposable aux tiers et constitue, entre les parties, une promesse synallagmatique qui les oblige à procéder à la publicité. », J.O OHADA n° 22, 15ème année du 15 février 2011. 116 Voir notamment CA Dakar, n° 980 du 29 novembre 2005, inédit. Dans cette affaire, un acte notarié de vente immobilière au profit d’une personne a été attaqué par un prétendu coacquéreur de l’immeuble en cause. Le juge a rejeté la demande au motif que l’acte de vente est établi à son nom et que la perfection de celle-ci est déjà effectuée. Dès lors, en application de l’article 381 du COCC, le titre foncier établi au nom du nouveau titulaire du droit lui confère un droit définitif et inattaquable. 112 Le caractère solennel de la transaction immobilière aurait pu suffire à justifier de l’exigence de la forme notariée de l’avant-contrat qui en constitue le préalable. Mais, à celle-ci peuvent s’ajouter les nécessités pratiques à travers la technique de la transaction immobilière. 2- Une exigence résultant de la technique de la transaction immobilière En matière de transaction immobilière, l’avant-contrat se mue en contrat définitif. Il est le contrat définitif dès l’inscription de la transaction au Livre Foncier. Les parties ne sont pas tenues d’établir un autre acte valant contrat définitif pour réaliser la transaction (a). En outre, les sanctions concrètes en cas de non respect de la forme notariée de la transaction immobilière témoignent de l’importance de la forme notariée (b). a) L’absence d’obligation d’établissement d’un autre acte valant contrat définitif Plusieurs dispositions légales permettent d’avancer une telle affirmation. A titre principal, les dispositions des articles 382 et 383 du COCC et celles de la loi n° 2011- 07 du 30 mars 2011 en constituent le fondement. Elles ne font pas de distinction entre le contrat définitif et l’avant-contrat en matière de transaction immobilière. En effet, l’obligation des parties de parfaire la transaction immobilière résulte de l’avant-contrat luimême117. Cette obligation a pour objet d’exiger des parties l’accomplissement de la formalité de l’inscription au Livre Foncier. Il n’est donc pas exigé l’accomplissement d’une double formalité : l’établissement d’un acte notarié avant la phase ultime de la transcription de la transaction au Livre Foncier. Une interprétation aussi large des dispositions législatives imposerait la rédaction d’un autre acte valant contrat définitif et ajouterait une formalité supplémentaire à celle unique retenue et imposée par le législateur : l’accomplissement des formalités de publicité foncière. Ainsi, l’avant-contrat qui est le support de l’obligation de parfaire le contrat est dépourvu, seul, d’autre effet. Les effets du contrat définitif résultent, quant à eux, de l’inscription de la transaction au Livre Foncier118. Ils sont nécessairement la conséquence de l’obligation des parties née de l’acte support, donc de l’avant-contrat. En matière de vente immobilière, le contrat définitif correspond donc à l’acte légalement qualifié d’avant-contrat qui donne naissance, non pas à l’obligation de faire, mais à l’obligation de donner du vendeur qui s’exécute par l’inscription foncière qui en constitue l’objet119. Cette obligation de donner emporte, comme une suite naturelle, une obligation de délivrer qui en est l’assurance120 et qui s’opère exactement de la même manière85. Il n’est donc pas possible, en ce qui concerne l’avant-contrat en matière de vente immobilière, de dissocier l’obligation de parfaire le 117 Articles 323 et 382 du COCC. Article 381 du COCC et article 20 de la Loi n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant régime de la propriété foncière. 119 Voir notamment les articles 381 et 386 du COCC et 20 de la Loi n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant régime de la propriété foncière. 120 Article 276 alinéa 2 du COCC. 85 Article 277alinéa 2 du COCC. 118 contrat que constitue l’inscription du transfert de propriété au Livre Foncier121 et l’obligation de délivrance qui pèse sur le vendeur visée aux articles 276 alinéa 2 et 277 alinéa 2 du COCC. Si l’avant-contrat, tel que qualifié par le législateur, est le contrat définitif, ses conditions de forme sont clairement fixées : il doit être établi sous la forme d’un acte authentique, d’un acte notarié ab initio. Lorsque le législateur exige, pour la validité et l’opposabilité du contrat, l’accomplissement de formalités, la protection qu’il veut assurer aux parties n’existerait plus s’il est possible de conclure, en l’absence des formes prévues, un contrat préparatoire pour réaliser ladite transaction. La jurisprudence est donc légalement fondée lorsqu’elle subordonne la validité des promesses et mandats de passer des contrats notariés à leur établissement devant notaire122. D’ailleurs, à quoi bon insister sur le contrat définitif si, définitif soit-il, il sera toujours à parfaire pour produire des effets ? Dans le système du Livre Foncier, parler de contrat définitif avant l’inscription au Livre Foncier est, à la limite, un non-sens. Les parties comme le notaire ne peuvent que s’occuper des préalables, sa formation par sa perfection nécessitant l’intervention du Conservateur responsable du Livre Foncier123. Ainsi, en matière de vente immobilière, le contrat qui est exécuté par l’inscription du transfert au Livre Foncier n’existait pas avant l’accomplissement de cette formalité. Au contraire, c’est l’accomplissement de ladite formalité qui a donné naissance au contrat et qui, en même temps, a réalisé le transfert de propriété. La vente immobilière est donc, dans le cas où le paiement est déjà effectué, un contrat instantané dans la mesure où sa conclusion est concomitante à son exécution, au transfert de propriété. Il n’existe donc pas un avant-contrat autonome et un contrat définitif avec un régime juridique précis. Qu’il soit sous seing privé ou notarié, l’acte avant inscription au Livre Foncier ne produit qu’un seul effet : l’obligation de parfaire le contrat124. En lui-même, il ne produit donc pas tous ses effets entre les parties contrairement à ce qui est soutenu par une partie de la doctrine et retenue par la Cour Suprême90 qui considère que l’avant-contrat sous seing privé portant sur un immeuble immatriculé est valable et produit tous ses effets entre les parties. D’ailleurs, si les effets devaient se limiter aux parties, l’avant-contrat serait inutile puisque l’intérêt d’un droit réel immobilier, c’est son opposabilité aux tiers par la publicité foncière qui suppose un acte authentique125. En conséquence, l’objectif des parties étant la constitution, la modification, le transfert ou l’extinction d’un droit réel immobilier, il faut, pour l’efficacité, un acte susceptible d’être publié au Livre Foncier, autrement dit, un acte authentique. A défaut, les parties peuvent se heurter à des sanctions d’ordre pratique. b) La sanction du non-respect de la forme notariée L’exigence de la forme notariée de l’avant-contrat en matière de transaction immobilière s’infère d’une logique liée à la nature contractuelle et à la technique utilisée dans ce type de transactions. L’établissement de l’avant-contrat sous la forme sous seing privé nécessite, pour la conclusion du 121 Article 382 alinéa 2 du COCC. Il s’agit là du respect du parallélisme des formes. 123 Voir dans le même sens J-P. TOSI, Le droit des obligations au Sénégal, LGDJ-NEA, 1981, p. 61 124 Article 20 Loi n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant régime de la propriété foncière. 90 C.S. Chambres réunies, n° 11 du 19 juin 2012, inédit. 125 Article 20 Loi n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant régime de la propriété foncière. 92 Article 382 du COCC. 122 contrat, l’intervention du notaire qui, du reste, participerait à l’établissement d’un avant-contrat notarié, le contrat ne pouvant naître que lors de l’accomplissement de la formalité de la publicité foncière92. Ainsi, bien qu’autorisée126, la forme sous seing privé comporte, en elle-même, deux inconvénients pratiques qui peuvent être appréciés comme des sanctions du défaut de forme authentique. Lorsque l’avant-contrat est établi sous la forme sous seing privé, sa perfection est impossible car celle-ci ne peut être effectuée que sur le fondement d’un acte notarié127. L’acte sous seing privé nécessitera alors une « double perfection128 » : l’établissement d’un acte authentique pour avoir un avant-contrat parfait et l’inscription de la transaction au Livre Foncier pour avoir un contrat parfait. Ce qui aura de lourdes conséquences sur le plan économique : l’établissement de deux actes (acte sous seing privé puis acte authentique) nécessité par l’accomplissement de la publicité foncière rendra deux fois plus coûteuse la transaction immobilière. Les nécessités pratiques de la transaction immobilière justifient donc l’intervention du notaire dans l’établissement de l’avant-contrat. Le défaut d’une telle intervention fait l’objet de sanctions concrètes et pratiques. Les parties diligentes ne s’aventureront pas à mettre en péril leurs intérêts ou à payer deux fois : une première fois pour l’avant-contrat sous seing privé et une deuxième fois pour l’avant-contrat notarié dont l’établissement permettra d’accomplir les formalités de publicité foncière faisant naître le contrat. La nécessité d’ordre sécuritaire de l’intervention du notaire dans l’avant-contrat ne saurait être occultée même si, encore aujourd’hui, cette sécurité est à dimensions contestées. IIUne sécurité aux dimensions contestées Le caractère sacré de la terre s’étend au contrat qui la concerne. La solennité des transactions immobilières a profité de l’intervention du notaire qui est une aubaine sécuritaire129. En effet, les transactions immobilières sont sécurisées par l’intervention du notaire dans le processus de réalisation de l’opération. Cette intervention n’est pas, en elle-même, controversée. Par contre, depuis plus de 126 Cour Suprême du Sénégal, Chambres réunies, n° 11 du 19 juin 2012, CBAO c/ Expresse-Transit, inédit. Il résulte de cet arrêt que l’avant-contrat de vente de droits réels immobiliers immatriculés ne nécessite pas, pour sa validité, un acte authentique. Elle peut revêtir la forme d’un acte sous seing privé. Ainsi, dans le cas où elle a une telle forme, elle ne saurait être sanctionnée. Article 47 de la loi n° 2011-07 du 30 mars 2011 ; il résulte de l’article 383 du COCC que l’acte sous seing privé portant sur des immeubles immatriculés ne peut servir à parfaire la transaction mais également est nul de nullité absolue. 128 La notion de « perfection » est ici prise au sens large, l’article 382 ne retenant comme formalité de perfection que la publicité foncière. 129 L’objectif de sécurité assigné au notaire au profit des parties fait l’objet de l’article 1 er du Décret n° 2002-1032 du 1er octobre 2002 modifiant le Décret n° 79-1029 du 5 novembre 1979 fixant le statut des notaires, ci-après dénommé « Décret statutaire ». En effet, visant les notaires, les alinéas 2, 3 et 4 dudit article disposent : « Ils assurent le service public de la preuve et de l’authenticité. Ils doivent conseiller leurs clients quel que soit l’acte qu’on leur demande de recevoir et quelle que soit l’étendue de leur intervention. Ils doivent s’assurer de la validité et de l’efficacité des actes qu’ils rédigent. » 127 trois décennies, le moment de cette intervention est vigoureusement contesté (A). Au-delà, une nouvelle forme de contestation porte, elle, sur le champ d’application de cette intervention (B). A- La contestation du moment de l’intervention du notaire Le débat sur la question de l’exigence de la forme notariée de l’avant-contrat en matière de transaction immobilière est relativement ancien130. Il s’est essentiellement posé en ce qui concerne la promesse synallagmatique de vente d’immeubles immatriculés. Toutefois, il peut être étendu à toutes les transactions immobilières. Les évolutions récentes sur cette question témoignent de l’intérêt que renferment les droits réels immobiliers et, partant, les conventions qui portent sur eux. Tout le débat tourne autour de l’admission de l’avant-contrat sous seing privé en matière de transaction immobilière. La première position, celle défendable98, estime que l’intervention du notaire doit se faire au moment de l’établissement de l’avantcontrat. La seconde, critiquable, considère que le notaire ne peut intervenir que lors de la conclusion du contrat définitif. Elle se caractérise par une contestation doctrinale (1) donnant lieu à une résistance jurisprudentielle (2). La contestation doctrinale Les auteurs qui admettent la forme sous seing privé de l’avant-contrat en matière de transaction immobilière ont trouvé un premier argument dans le fait que l’avantcontrat est un contrat autonome par rapport au contrat définitif. Pour eux, l’avantcontrat diffère, en matière immobilière, du contrat définitif. Il est conçu pour la réalisation d’un contrat définitif et apparaît alors comme un contrat autonome131. L’argument principal développé vient de l’article 323 du COCC qui prévoit le principe de la liberté d’établissement de la promesse synallagmatique de vente pour lequel les parties sont supposées être d’accord sur les éléments essentiels du contrat, en l’occurrence la chose et le prix. Cet accord permet de retenir l’existence du contrat lui-même lorsqu’aucune formalité n’est exigée. Ainsi, en matière de vente immobilière, la promesse synallagmatique de vente de droits réels immobiliers immatriculés n’est pas une « véritable vente ». De cette qualification, les tenants de cette thèse déduisent la forme de l’avant-contrat en admettant que la promesse synallagmatique de vente est un contrat librement formé. Ils se fondent sur le caractère dérogatoire de la règlementation, le législateur ayant pris le soin de fixer le régime juridique de 130 Voir notamment J-P. TOSI, Le droit des obligations au Sénégal, LGDJ-NEA, 1981. 98 Voir dans ce sens nos développements sur les transactions sécurisées. 131 A. FAYE, Le transfert de propriété dans la vente de l’immeuble en droit sénégalais, Revue Droit Sénégalais, Université de Toulouse, Presses universitaires de Toulouse 1 Capitole, n° 8, nov. 2009, p. 257 et s. Voir dans le même sens B. DIALLO, Promesse sous seings privés de vente d’immeuble immatriculé ne vaut ?, Observations sur C.S. Sénégal n° 79 du 16 juillet 2008, Aliou Bathily c/ Abdoul Diallo, Revue Droit et Ville, n° 71, 2011, p. 175-197, n° 31. l’avant-contrat dans l’article 382 du COCC132. L’alinéa 1 de ce texte définit la promesse synallagmatique et l’alinéa 2, les effets consistant en une obligation des parties de parfaire le contrat par l’inscription du transfert du droit à la Conservation de la propriété et des droits fonciers. En revanche, les articles 384 et 389 du COCC, de leur côté, précisent le régime juridique du contrat de vente. Quant à l’article 383 du COCC133, il édicte, à peine de nullité absolue, un formalisme applicable au contrat. Etant entendu que ce contrat doit être apprécié comme le contrat définitif, ce n’est pas la promesse de contrat qui est visée dans l’article 383 du COCC. Cette promesse demeure dans le champ du consensualisme102. Les auteurs finissent par estimer que l’exigence de la forme notariée de la promesse synallagmatique de vente de droits réels immobiliers immatriculés doit, pour être légale, faire l’objet d’une disposition expresse et univoque. A défaut, elle ne saurait résulter d’une interprétation extensive de dispositions dont la clarté n’est plus à démontrer134. C’est ce qui justifie la désolation affirmée et le souhait émis par Boubacar DIALLO dans ses observations sur l’arrêt de la Cour Suprême du Sénégal n° 79 du 16 juillet 2008 en ces termes : « Il en sera ainsi, hélas, jusqu’à ce que la Haute juridiction abandonne sa lecture extensive contestable des dispositions visées en l’espèce. Pour une légitimité plus forte, les chambres réunies pourraient le faire, à moins que le législateur n’intervienne par une réécriture univoque de ces textes, pour que vaille la promesse sous seings privés de vente d’immeuble immatriculé ! » Il faut relever que la reconnaissance de la qualité de contrat autonome à la promesse synallagmatique de contrat n’a pas empêché certains, notamment Amadou FAYE135, de considérer que ladite promesse doit revêtir la forme notariée pour sa validité. Estce à interpréter comme une reconnaissance de la faiblesse des arguments avancés pour défendre leur position ? Dans tous les cas, les arguments en faveur de l’exigence de la forme notariée de la promesse synallagmatique de vente de droits réels immobiliers immatriculés apportent des critiques fortes aux justifications ci-dessus exposées136. Toutefois, ils s’opposent à une résistance jurisprudentielle. 132 Article 382 du COCC : « L'acte par lequel les parties s'engagent, l'une à céder, l'autre à acquérir un droit sur l'immeuble, est une promesse synallagmatique de contrat. Elle oblige l'une et l'autre partie à parfaire le contrat en faisant procéder à l'inscription du transfert du droit à la Conservation de la propriété foncière. » 133 Article 383 du COCC : «Le contrat doit, à peine de nullité absolue, être passé par devant un notaire territorialement compétent sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires. » 102 Voir notamment B. DIALLO, article précité. 134 Voir notamment B. DIALLO, article précité. 135 A. FAYE, article précité, précisément p. 265. Sur ce point, l’auteur a une position ambivalente qui laisse perplexe. Elle est présentée en ces termes : « En définitive, la promesse, bien que librement consentie, doit être passée devant notaire. C’est à cette condition seulement qu’elle pourra avoir un impact sur la situation des parties. » 136 Voir nos développements sur les transactions sécurisées. La résistance jurisprudentielle Malgré une opposition profonde à l’admission de la forme sous seing privé de l’avant-contrat en matière de transaction immobilière, la jurisprudence récente a opté pour le consensualisme au détriment des parties. En effet, traditionnellement, la jurisprudence était en faveur de l’exigence de la forme notariée de l’avant-contrat. Le Tribunal Régional Hors Classe de Dakar s’est prononcé sur la question par deux jugements dans lesquels il a considéré que le contrat de promesse synallagmatique de vente est la vente et doit être passé devant notaire137 et que l’acte sous seing privé intitulé par les parties « promesse synallagmatique » et comportant un accord analysé comme tel au sens de l’article 382 du COCC est nul de nullité absolue et ne saurait être utilisé pour la perfection de la vente138. D’autres décisions de juridictions supérieures ont abondé dans le même sens. D’abord, la Cour d’appel de Dakar qui a qualifié de vente le contrat de promesse synallagmatique de vente et a exigé, en conséquence, l’intervention du notaire pour sa validité139. La même juridiction a estimé que l’attestation d’attribution de lots délivrée par une coopérative ne peut être assimilée à un contrat de vente d’immeuble ni à une promesse de vente au sens de l’article 382 du COCC. En conséquence, il ne peut suffire pour conférer aux héritiers un droit réel éventuel sur le titre foncier objet des lots attribués encore moins justifier une mutation foncière140. Ensuite, la Cour suprême a considéré que la vente, la promesse synallagmatique de vente d’un immeuble immatriculé et la procuration donnée pour conclure de tels actes doivent, à peine de nullité absolue, être passées par devant notaire141. Toutefois, bien que pertinente, cette jurisprudence favorable à l’exigence de la forme notariée de l’avant-contrat en matière de transaction immobilière se heurte à la position actuelle des Chambres réunies de la Cour Suprême qui n’est pas pour autant une innovation. En effet, elle reprend le raisonnement de certaines décisions antérieures qui vont le même sens. D’abord, dès 1994, la Cour de cassation avait cassé la décision de la Cour d’appel de Dakar qui avait considéré « d’une part, que la promesse synallagmatique de vente en matière immobilière n’est pas un projet de vente mais s’analyse plutôt comme une véritable vente lorsque le vendeur et l’acheteur ont donné leur consentement sur la chose et le prix et, d’autre part, que les formalités de l’acte notarié et la mutation du titre foncier à la conservation et des droits fonciers ne sont pas des formalités de validité de la vente mais d’opposabilité et de publicité du titre de propriété ». Pour la Haute juridiction, le contrat de vente d’un immeuble immatriculé doit, à peine de nullité, être passé par devant notaire alors que la promesse synallagmatique de vente n’est une vente parfaite que si ce contrat peut être passé librement. Dès lors, le juge a opté pour la validité de la promesse synallagmatique sous la forme sous seing privé au motif qu’à l’époque de la signature des actes sous seing privé les parties avaient entendu subordonner la réalisation de la vente à l’établissement d’un 137 TRHCD, 9 septembre 1997, inédit TRHCD, jugement n° 2125, 12 décembre 2006, inédit. 139 CA Dakar, arrêt n° 474, 17 Août 2001, inédit. 140 CA Dakar, Arrêt n° 875, 15 décembre 2006, inédit. 141 CS Sénégal, arrêt n° 79 du 16 juillet 2008, Revue Droit et Ville, n° 71, 2011, p. 175-197, n° 31, Obs. B. DIALLO. Dans cet arrêt, le juge a rappelé que la perfection de la vente d’un immeuble immatriculé ne peut être réalisée sur la base d’un acte sous seing privé. 138 acte notarié. Donc, pour le juge, il existe deux actes : d’une part la promesse synallagmatique de vente qui peut être sous seing privé et d’autre part la vente qui doit revêtir la forme d’un acte notarié142. Ensuite, la Cour d’appel de Dakar a estimé que l’engagement d’un titulaire de titres fonciers de les céder et la levée de l’option du bénéficiaire de cet engagement constituent une promesse synallagmatique de contrat et s’analysent en avant-contrat. L’article 382 du COCC n’exige aucune forme pour sa validité mais plutôt oblige les parties à parfaire le contrat en faisant procéder à l’inscription du transfert du droit à la Conservation de la propriété et des droits fonciers. Seul le contrat de vente ne se forme qu’au moment de sa passation devant un notaire. Toutefois, la promesse de contrat ne fait peser sur la tête des parties qu’une obligation de faire et ne saurait à elle seule entrainer le transfert de la propriété des immeubles promis à la vente. L’inexécution de l’obligation du promettant doit être sanctionnée par l’allocation de dommages et intérêts au bénéficiaire de l’offre et non par l’injonction faite au Conservateur de la propriété foncière de procéder à la mutation des immeubles litigieux. Le juge, dans cette affaire, considère que la perfection de la vente s’effectue en deux temps : d’abord obligation pour les parties d’établir un acte notarié de vente, ensuite, obligation de procéder à l’inscription du transfert du droit à la Conservation de la propriété et des droits fonciers143. Ce qui est contraire à la consistance légale de la notion de « perfection de la vente ». D’ailleurs, cette décision a été attaquée et, par arrêt n° 03 du 2 janvier 2008, la Chambre Civile de l’ancienne Cour de cassation, après avoir constaté la récurrence de moyen de cassation, a saisi les Chambres réunies pour qu’il soit statué sur le litige. Les Chambres Réunies de la Cour suprême ont, dans un arrêt du 19 juin 2012144, rejeté le pourvoi et retenu expressément l’admission de la forme sous seing privé de la promesse synallagmatique de vente de droits réels immobiliers immatriculés. L’attendu principal de cet arrêt est énoncé comme suit : « Mais attendu que, contrairement à la jurisprudence invoquée par le moyen, les dispositions des articles 321, 322, 323, 382 et 383 du COCC n’exigent aucune forme particulière pour la validité de la promesse synallagmatique de contrat ou avant-contrat qu’il faut distinguer du contrat, lequel, lorsqu’il s’agit d’un immeuble immatriculé, doit être passé, à peine de nullité absolue, par devant notaire sauf dispositions législatives ou règlementaires contraires ; que la promesse synallagmatique de contrat oblige les parties à parfaire le contrat. » Cette position est contraire à celle majoritaire et traditionnelle de la jurisprudence sénégalaise qui exigeait la forme notariée pour la promesse synallagmatique de vente de droits réels immobiliers immatriculés. Toutefois, bien qu’il s’agisse d’un arrêt dit de principe, l’impact de cette décision reste insignifiant dans la pratique. En effet, l'affirmation nette d'une solution par la Cour Suprême ne suffit pas à donner à la solution jurisprudentielle le caractère de norme juridique établie ; faut-il encore l’assentiment donné à la solution par les intéressés145. La résistance jurisprudentielle que cette décision porte en elle ne peut s’opposer, à armes égales, à la volonté sécuritaire du législateur et à la 142 Cass, Chambre civile et commerciale, n° 44, 19 janvier 1994, inédit. CA Dakar, n° 21, 15 janvier 2004, inédit. 144 CS du Sénégal, Chambres réunies, arrêt n° 11, 19 juin 2012, CBAO c/ Express Transit, inédit. Vu l’importance d’une telle décision, nous espérons la retrouver dans le prochain bulletin des arrêts de la Cour Suprême du Sénégal. 145 P. ROUBIER, cité par Maury, Observations sur la jurisprudence en tant que source de droit. Le Droit privé français au milieu du XXe siècle, Etudes offertes à G. Ripert, P, 43. 143 réalité des transactions immobilières. Au contraire, elle conforte la position de l’exigence de la forme notariée de l’avant-contrat dans les transactions immobilières car, même avec l’intervention du notaire, l’acte établi, quelle que soit sa qualification, restera toujours un avant-contrat tant que la formalité de l’inscription au Livre Foncier n’aura pas été effectuée. Cette authenticité des transactions immobilières au Sénégal qui renforce la sécurité juridique146 fait face, sur deuxième front, à la contestation de son champ d’application. B- La contestation du champ d’application de l’exigence de forme notariée La vigueur de l’opposition quant à la question du moment de l’intervention du notaire dans les transactions immobilières est sans commune mesure avec celle relative à la question de son champ d’application. Si la première a trait à la technique contractuelle, la seconde, elle, est liée à la structure des droits réels immobiliers. Cette dernière question résulte fondamentalement des difficultés d’appréhension du droit des biens en général147, du droit immobilier en particulier. En effet, l’application de l’exigence d’intervention du notaire est subordonnée à l’existence d’un droit réel immobilier objet de la transaction immobilière. Ce qui nécessite la qualification dudit droit objet de la transaction. Le droit réel immobilier n’existe que lorsque l’immeuble sur lequel il porte est immatriculé au Livre Foncier. L’article 19 de la Loi n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant régime de la propriété foncière énumère les droits réels immobiliers148. Audelà certaines règles particulières les précisent en cas de besoin149. Mais, même devant cette liste de droits réels immobiliers, le choix peut rester difficile. Or, selon la qualification donnée au droit, son régime diffère. C’est ainsi que, dans la pratique, est naît, de manière sournoise, une contestation de l’intervention du notaire dans certaines transactions immobilières. Les transactions exclusivement concernées sont celles ayant pour objet un droit au bail, plus communément appelé « bail administratif », plus précisément, la cession de droit au bail. La pratique est d’ailleurs parvenue à la rebaptiser du nom de « cession des peines et soins ». Les parties réalisent librement leur opération par le biais d’une « attestation de cession des peines et soins » ou s’offrent les services d’un huissier de justice et, parfois, d’un commissaire de police. Lorsque l’huissier de justice intervient, l’acte prend la dénomination de « procès-verbal de cession de peines et soins ». Or, le droit au bail ainsi cédé est un droit réel immobilier au sens de l’article 19 de la Loi n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant régime de la propriété foncière. 146 Voir notamment CA Dakar, arrêt n° 73 du 30 janvier 2009. Dans cet arrêt, le juge a engagé la responsabilité du notaire qui, dans une vente immobilière, ne procède pas à la mutation du bien vendu. Ce manquement est d’autant plus grave que le formalisme rigoureux exigé en matière immobilière s’explique en grande partie par le besoin de sécuriser les transactions immobilières, la vente n’étant pas encore parfaite sans la mutation de l’immeuble. 147 L’étude du droit des biens est encore dans plusieurs de nos universités africaines considérée comme un enseignement complémentaire voire subsidiaire. Or, il n’est plus à démontrer que le droit des biens est au cœur du droit car étant un moyen indispensable pour l’essentiel des autres disciplines juridiques (sûretés, voies d’exécution, sociétés, successions, procédures collectives, contrats…). Cette petite place réservée au droit des biens justifie ensuite les lacunes constatées sur certains points. Les universités africaines gagneraient donc à faire du droit des biens une discipline fondamentale dans la formation juridique. Ce sont la propriété des biens immeubles, l’usufruit des mêmes biens, les droits d’usage et d’habitation, l’emphytéose, le droit de superficie, les servitudes et services fonciers, les privilèges et hypothèques. 148 149 Voir notamment les articles L 115 et L 120 du Code de la construction qui qualifient respectivement le bail à construction et le bail à réhabilitation de droits réels immobiliers La méconnaissance de cette qualification n’est pas seulement le fait des parties, de l’huissier ou du commissaire de police. Il a pu être jugé que la cession des peines et soins ne nécessite pas l’intervention du notaire, le concours d’un notaire pour l’établissement d’un acte de cession n’étant requis que lorsque l’objet de la transaction est un immeuble immatriculé au sens de l’article 383 du COCC. Le juge a estimé que la cession des peines et soins édifiés sur une parcelle de terrain à usage d’habitation dont le titre foncier appartient à l’Etat par son attributaire par acte sous seings privés dit « attestation de cession des peines et soins » est valable150. Il apparaît clairement que le juge, dans cette affaire, a considéré que l’exigence de la forme notariée de la transaction immobilière est à réserver au seul cas où l’objet de la transaction est le titre foncier et l’une des parties son titulaire. Cette décision restreint le champ d’application de l’exigence d’intervention du notaire aux seules transactions immobilières portant sur le droit de propriété immobilière. Or, il résulte des dispositions des articles 383 du COCC et 19, 20 et 47 de la Loi n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant régime de la propriété foncière un champ d’application plus large, celui des immeubles immatriculés, donc de tous les droits réels immobiliers dont l’existence, la validité et l’opposabilité aux tiers sont subordonnées à l’inscription au Livre Foncier. Dès lors, cette disposition ne peut être écartée du seul fait que le titulaire du titre foncier est l’Etat ou une collectivité publique. La présence de telles personnes morales de droit public ne peut écarter l’exigence d’intervention du notaire que lorsque la personne morale de droit public en question est partie à la transaction immobilière151. En conséquence, le contrat portant sur le droit au bail ou tout autre droit réel immobilier immatriculé exige l’intervention d’un notaire. Lorsque celle-ci fait défaut, le contrat est nul et de nullité absolue121. En revanche, dans le cas où le notaire intervient, cette intervention ne crée pas le contrat, l’acte n’étant qu’un avant-contrat qui doit être parfait par l’inscription au Livre Foncier matérialisant la conclusion du contrat définitif. *** Nous pouvons donc conclure par une affirmation sans ambages : les transactions immobilières en droit sénégalais sont des contrats solennels, non seulement parce qu’elles nécessitent l’intervention du notaire, mais également parce que leur perfection est subordonnée à l’accomplissement de la formalité d’inscription au Livre Foncier. Cette solennité est gage de sécurité de ces opérations. L’intervention du notaire est indispensable dans la période contractuelle pour l’établissement de l’avant-contrat notarié nécessaire à l’accomplissement de la publicité foncière. L’exigence d’une telle intervention est dans une optique sécuritaire. Le notaire, de par ses obligations légales, est juge de la licéité des conventions. Il est un officier public institué pour recevoir les actes et contrats auxquels les parties veulent ou doivent donner le caractère de l’authenticité attaché aux actes de l’autorité publique pour en assurer la date, en conserver le dépôt, en délivrer des grosses, expéditions et extraits152. Il est l’arbitre impartial des contrats qu’il reçoit et le conseil des parties153 : il CA Dakar, arrêt n° 629, 06 août 2010, Bulletin des arrêts de la Cour d’appel de Dakar, Matières civile et commerciale, n°1, 2011, arrêt n° 22. 151 Alinéa 2 de l’article 47 de la Loi n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant régime de la propriété foncière. 121 Article 383 du COCC. 152 Article 1er alinéa 1 du décret statutaire précité. 153 Code de déontologie des notaires précité, section I, dernier alinéa. 150 est un tiers à l’acte154. D’ailleurs son intervention est, dans une large mesure, subordonnée à l’existence d’une telle qualité. Sa fonction d’authentificateur n’est pas une fonction de simple scribe ; il n’est pas un écrivain public. Il est investi d’une fonction active qui participe à l’instauration de la sécurité juridique, de la sécurité des transactions. Aussi, doit-il veiller à l’efficacité des actes qu’il instrumente et la jurisprudence applique cette exigence tant à l’efficacité technique qu’à l’efficacité pratique155. Il est « l’assurance tout risque » du client. Le conseil qu’il prodigue aux parties est une obligation légale156 qui lui impose de leur fournir les moyens juridiques appropriés aux objectifs qu’elles déclarent poursuivre et de les informer des caractéristiques techniques des moyens ainsi mis en œuvre et de leurs conséquences. Quant à l’authentification qu’il réalise, elle est l’un des objectifs essentiels de son intervention et de l’établissement d’un acte notarié127. Elle porte sur la datation de l’acte, le contrôle de l’identité des parties, l’objet de la transaction et la signature. Toutes ces diligences du notaire nous confortent dans l’appréciation que nous faisons de la sécurité des transactions immobilières que la réforme foncière en cours ne saurait ébranler157. Toutefois, cette sécurité ne peut être atteinte de manière incontestable qu’avec le concours de l’administration chargée non seulement d’informer le notaire sur les droits réels portant sur l’immeuble immatriculé et leurs titulaires, mais également de réaliser la perfection de la transaction immobilière. En effet, les dysfonctionnements du Bureau de la Conservation de la propriété et des droits fonciers peuvent impacter lourdement et négativement sur les services offerts par le notaire158. Un fonctionnement défectueux du système de coordination entre notaire et Bureau de la Conservation de la propriété et des droits fonciers peut donc donner naissance à une transaction immobilière défectueuse. Par conséquent, la diligence est attendue de tous les acteurs de la transaction immobilière pour que demeurent sacrés la terre, les droits qui portent sur elle et, partant, la transaction immobilière qui portent sur ces derniers. Document : Terré F., Ph. Simler., Lequette Y., Droit civil, Les obligations, 10e éd., 2009, pp. 194-197. 187 b) La « punctation ». Lorsque la négociation est longue et délicate, les intéressés éprouvent parfois le besoin de marquer une pause et de dresser le bilan des points sur lesquels ils sont d’ores et déjà d’accord. La terminologie employée pour désigner cette pratique est flottante. Certains utilisent le terme allemand de « punctation », d’autres préfèrent parler d’accord de principe. Mais au-delà de cette diversité sémantique, les problèmes juridiques sont les mêmes. 1) Le contrat se formant alors par étapes, par couches successives, quel est le seuil qui sépare les pourparlers de la conclusion du contrat ? En d’autres termes, , quand le point de non-retour est-il atteint ? Il faut toutefois préciser que la qualité de tiers du notaire n’est pas absolue dans tous les cas. En effet, en matière immobilière, le notaire légalement chargé d’accomplir les formalités de publicité foncière ne peut revendiquer la qualité de tiers quant à l’inopposabilité de l’acte pour défaut de publicité ; sa mauvaise foi serait d’ailleurs manifeste. 155 J.-L. AUBERT, Responsabilité professionnelle des notaires, Ed. Répertoire du Notariat Defrénois, 1981, n° 59. 156 Article 1er alinéa 3 du Décret statutaire. 127 Article 1er alinéa 1 du Décret statutaire. 157 Une Commission de réforme est constituée pour discuter et proposer une refonte du droit foncier sénégalais. 158 Un état de droits réels incomplets peut fausser toute l’économie de la transaction immobilière. 154 2) A supposer que l’accord de principe ne vaille pas conclusion du contrat définitif, quels sont les effets qui en découlent ? 188 Seuil à partir duquel le contrat est réputé conclu. A la différence de certaines codifications étrangères plus tardives – Code civil allemand (BGB), Code des obligations suisse – le Code civil français n’énonce, en la matière, aucune directive générale. C’est donc à la jurisprudence qu’est revenu, ici encore, le soin de poser les principes. Elle l’a fait en s’inspirant de la philosophie volontariste qui anime notre droit, ainsi que des dispositions propres à certains contrats, notamment l’article 1583 du Code civil relatif à la vente. Le contrat est réputé formé dès qu’il y a accord sur les éléments essentiels. Encore faut-il préciser exactement la portée de cette proposition. En principe suffisant, l’accord sur les éléments essentiels ne le sera plus si les parties ont entendu subordonner la conclusion de leur contrat à une rencontre de volontés sur tel ou tel point accessoire : modalités de paiement, garantie de paiement. De secondaire, celui-ci devient alors essentiel par la seule volonté des parties. La position de la haute juridiction est, au demeurant, excellemment formulée dans un arrêt du 14 janvier 1987 : « La vente est parfaite entre les parties dès qu’on est convenu de la chose et du prix et le défaut d’accord définitif sur les éléments accessoires de la vente, à moins que les parties aient entendu retarder la formation du contrat jusqu’à la fixation de ces modalités ». La solution ainsi consacrée diffère de celle de certains droits étrangers. Selon l’article 154 du BGB : « Tant que les parties ne sont pas tombées d’accord sur tous les points d’un contrat qui, ne fût-ce que d’après la déclaration de l’une seulement d’entre elles, devaient être l’objet de la convention, le contrat dans le doute n’est pas conclu. L’entente des parties sur quelques points particuliers ne suffit pas à les lier, même lorsqu’elle a été suivi d’un projet rédigé par écrit ». Quant à l’article 2 du Code des obligations suisse, il dispose : « Si les parties se sont mises d’accord sur tous les ponts essentiels, elles sont présumées avoir entendu s’obliger définitivement, encore qu’elles aient réservé certains points secondaires ; A défaut d’accord sur ces points secondaires, le juge les règle en tenant compte de la nature de l’affaire ». C’est dire que la position du droit français est intermédiaire entre celles des droits allemand et suisse. L’absence d’accord sur les points accessoires, obstacle à la conclusion du contrat en droit allemand mais non en droit suisse, ne le sera en droit français que si les parties ont entendu retarder la formation du contrat jusqu’à la fixation de ces modalités. D’une souplesse plus grande, la position française laisse aux juges du fond une certaine liberté puisque ceux-ci apprécient souverainement, sous réserve du contrôle de dénaturation, l’intention des parties. Aussi bien ne saurait-on trop insister sur la nécessité pour celles-ci de préciser exactement la portée de leur accord. Ainsi est-il recommandé aux négociateurs qui ne veulent pas risquer d’être engagés de qualifier leur accord récapitulatif de simple projet. Inversement, ceux qui souhaitent que le processus contractuel aille jusqu’à son terme devront indiquer que les points secondaires non réglés seront résolus par application des règles supplétives de volonté ou encore par un tiers sur la désignation duquel ils s’accordent ou dont ils confient la désignation aux magistrats. En revanche, un accord par lequel les parties qualifieraient d’essentiels certains éléments du contrat et rejetteraient dans le domaine de l’accessoire tous les autres éléments, y compris ceux qui sont traditionnellement qualifiés d’essentiels, ne saurait valoir conclusion du contrat définitif. 189 Effets secondaires. Lorsque l’accord de principe ne vaut pas conclusion du contrat définitif, il n’est pas pour autant dépourvu de tout effet juridique. Tout d’abord, en fixant par écrit les éléments d’un accord partiel, les intéressés s’obligent à poursuivre loyalement les négociations en vue de parvenir à la conclusion du contrat projeté. La « punctation » n’est qu’une étape dans le processus d’élaboration du contrat et le refus de poursuivre les négociations équivaudrait à une rupture fautive des pourparlers. Ce n’est pas à dire pour autant que ces pourparlers devront aboutir nécessairement à la conclusion du contrat ; les parties se sont simplement engagées à ne pas remettre en cause certains acquis de la négociation et à poursuivre les négociations de bonne foi pour compléter l’accord partiel. Au cas où il ne serait pas satisfait à cette obligation de moyens, des dommages-intérêts pourraient être dus. Ensuite, et à supposer le contrat définitif ultérieurement conclu, l’accord de principe peut conserver un intérêt dans la mesure où, jouant en quelque sorte le rôle de travaux préparatoires, il permet d’éclairer la volonté réelle des parties. Dans la pratique, il est fréquent que les grands contrats comportent un préambule qui règle le sort et la portée des documents précontractuels. Document n° 5 Gautier P.-Y., Rebondissement dans le feuilleton du pacte de préférence : un deuxième arrêt, connexe à celui de la Chambre mixte, Recueil Dalloz, 2006, pp. 2510-2512. VENTE Rebondissement dans le feuilleton du pacte de préférence : un deuxième arrêt, connexe à celui de la chambre mixte. SOMMAIRE DE LA DECISION L’acquéreur de la parcelle litigieuse étant censé connaître l’existence du pacte de préférence en raison de l’opposabilité aux tiers des actes de donation-partage qui ont été publiés à la conservation des hypothèques, une cour d’appel peut décider que l’acquéreur a commis une faute de négligence en omettant de s’informer précisément des obligations mises à la charge de son vendeur. Cour de cassation, 1ére civ. 11 juil. 2006 La COUR : Donne acte aux consorts P...de leur reprise d’instance an tant qu’héritiers de Daurice P..., décédé le 25 septembre 2003 ; - Attendu qu’une donation-partage du 18 décembre 1957, contenant un pacte de préférence a attribué à Adèle A...un bien immobilier situé à Haapiti ; Qu’une donation-partage du 7 août a attribué à M. Ruini A..., une parcelle dépendant du bien mobilier ; que, par acte reçu le 3 décembre 1985 par M. S..., notaire, M. A... a vendu la parcelle à la SCI E... ; Sur le premier moyen ;- Attendu que MS... et la SCI E... font grief à l’arrêt attaqué (CA Papeete, 13 février 2003) d’avoir dit que le pacte de préférence n’a pas été respecté à l’égard de Daurice P... et de les avoir déclarés avec M. A... responsable de ce préjudice et tenus de le réparer in solidum, alors, selon le moyen, qu’ils soutenaient dans leurs conclusions d’appel que la SCI, conjointement avec MA...avait offert à Mme P... d’exercer son droit de préférence par lettre recommandée du 7 août 1987 et qu’en estimant néanmoins que ce droit avait été méconnu et qu’en préjudice en résultait, au seul motif que cette offre n’avait pas notifiée le 3 décembre 1985, sans expliquer en quoi l’offre qui lui avait été adressée ultérieurement ne lui permettait pas d’acquérir la parcelle litigieuse par préférence à la SCI E..., qui y avait ainsi consenti expressément, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134, 1147 et 1382 du code civil ; Mais attendu qu’en décidant que M. A... avait violé le pacte de préférence à l’égard de Daurice P...pour avoir omis de lui proposer la vente projetée, la cour d’appel a légalement justifié sa décision ; Sur le deuxième moyen : - Attendu que M.S... et la SCI E... font encore grief à l’arrêt attaqué d’avoir déclaré M. S... responsable du préjudice subi par Daurice P... du fait de la violation du pacte de préférence et tenu, in solidum avec M. A... et la SCI E..., de la réparer, alors selon le moyen, que l’obligation pour le débiteur d’un pacte de préférence de ne pas vendre à autrui le bien qui en est l’objet relève de l’obligation d’exécuter de bonne foi ses obligations contractuelles, de sorte que nul ne peut voir sa responsabilité engagée pour ne pas lui avoir rappelé ce principe, et qu’en estimant néanmoins que M. S... avait commis une faute en ne rappelant pas à M. A... qu’il devait éxécuter de bonne foi le pacte de préférence dont il se savait débiteur, la cour a violé les articles 1134, 1147 et 1382 du code civil ; Mais attendu que, tenu de conseiller les parties et d’assurer l’efficacité des actes dressés, le notaire ayant connaissance d’un pacte de préférence doit, préalablement à l’authentification d’un acte de vente, veiller au respect des droits du bénéficiaire du pacte et, le cas échéant, refuser d’authentifier la vente conclue en violation de ce pacte, qu’en l’espèce, la cour d’appel a décidé à bon droit que M.S... avait engagé sa responsabilité, en n’ayant pas, d’une part en sa qualité de professionnel du droit et des transactions immobilières, incité M. A... et la SCI E...à respecter les droits des bénéficiaires du pacte, d’autre part, fait référence au pacte de préférence dans l’acte de vente, tout en ayant mentionné le second acte de donation-partage qu’il avait lui- même authentifié ; que le moyen n’est pas fondé ; Sur le troisième moyen, pris en ses deux branches :- Attendu que M. S... et la SCI E... font grief à l’arrêt attaqué d’avoir déclaré la SCI E... responsable du préjudice subi par Daurice P... du fait de la violation du pacte de préférence et tenu, in solidum avec M. S... et M. A... de le réparer , alors selon le moyen : 1- qu’un pacte de préférence, qui s’analyse en une promesse de vente conditionnelle n’est pas une restriction au droit de disposer soumise à la publicité obligatoire, de sorte que sa publication ne suffit pas à établir la connaissance qu’en auraient les tiers, et qu’en estimant néanmoins qu’en raison de la publication du pacte de préférence stipulé dans les donations-partages de 1957 et 1985, la SCI. E... était censée en avoir connaissance et qu’elle avait donc commis une faute en achetant le terrain qui en constituaient l’objet, la cour d’appel a violé les articles 28-2 et 37-1 du décret du 4 janvier 1955, ensemble l’article 1382 du code civil ; 2- que l’acquéreur, serait-il un professionnel de l’immobilier, n’est pas tenu de s’informer de l’existence des droits de préférence dont son vendeur pourrait être débiteur et qu’en retenant la responsabilité de la SCI E... au seul motif qu’elle était prétendument tenue de s’informer des obligations dont pouvait être tenu son vendeur, la cour d’appel a violé les articles 1147 et 1382 du code civil ; Mais attendu qu’ayant précédemment retenu que la SCI E... était censé connaître l’existence du pacte de préférence en raison de l’opposabilité aux tiers des actes de donation-partage qui avaient été publiés à la conservation des hypothèques, la cour d’appel a pu décider que la SCI E... avait commis une faute de négligence en omettant de s’informer précisément des obligations mise à la charge de son vendeur ; que le moyen, qui est sans portée en sa première branche et qui manque en fait en sa seconde, ne peut être accueilli ; Par ces motifs, rejette (...). Note de Pierre-Yves Gautier Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II) 1-Mais pourquoi les pourvois n’ont-ils pas été pas été joints ? C’est la question que se pose le lecteur de l’arrêt ci-dessus : mêmes faits, mêmes parties, même procédure, c’est bien la même affaire que celle qui a donné lieu à la décision spectaculaire rendue par la chambre mixte, quelques semaines plus tôt. Le trouble repose dans la réponse du troisième moyen. On se souvient qu’une donation-partage sur un immeuble, contenant un pacte de préférence, avait fait l’objet d’une publicité foncière ; puis, de nombreuses années après, l’ayant cause avait lui-même transmis le bien pour partie à un nouvel attributaire, l’acte rappelant l’existence de l’avant-contrat et ayant lui-même fait à son tour l’objet d’une publicité. Quatre mois plus tard, le propriétaire vend la chose à un tiers, une SCI, par acte authentique, sans l’avoir au préalable proposée au bénéficiaire. Celui-ci assigne le débiteur de la préférence et le tiers, afin d’obtenir l’exécution forcée du pacte, c‘est è dire sa substitution à l’acheteur ; il réclame subsidiairement des dommages et intérêts aux mêmes parties, ainsi qu’au notaire, qui avait instrumenté la deuxième donation-partage et l’acte de vente, pour la faute commise par lui de n’avoir pas mis en garde les parties, du fait du pacte dont tout le monde avait connaissance par la publicité foncière et d’avoir ainsi collaboré à la méconnaissance de ses droits. Les juges du fond, semble t-il dans un même arrêt, déboutent le bénéficiaire de sa demande d’exécution forcée, mais accueillent sa réclamation pécuniaire en retenant le principe de l’obligation des trois défendeurs à l’indemniser. Deux pourvois sont alors formés : l’un par le bénéficiaire, l’autre par le notaire et le tiers-acquéreur. Les instances auraient raisonnablement dû être jointes, à la fois parce que les pourvois ont été formés contre le même arrêt et que les questions juridiques sont étroitement liées. Pour une raison qu’on ignore, elles ne l’ont pas été : une chambre mixte a été désignée pour connaître du pourvoi du bénéficiaire, c’est l’arrêt du 26 mai ; et celui des défendeurs vient de faire l’objet de l’arrêt du 11 juillet. 2- On connaît la solution adoptée par la Chambre mixte : spectaculaire revirement de jurisprudence sur la possibilité théorique d’annuler l’acte conclu avec le tiers et de lui substituer le bénéficiaire, mais exigence supplémentaire de la preuve de ce que le premier ait eu « connaissance de l’intention » du second de faire valoir son droit, de sorte que cette double preuve psychologique étant pratiquement impossible à rapporter, pas d’exécution en nature. Mais l’affaire ne s’arrête pas là et se poursuit avec l’arrêt du 11 juillet, deuxième épisode : - La responsabilité contractuelle du propriétaire est retenue par la décision qui approuve les juges du fond de l’avoir tenu pour obligé in solidum avec les deux autres d’indemniser le bénéficiaire. C’est logique, dès lors que l’exécution a été écartée, même si on peut le regretter : il faut bien que le fautif répare d’une manière ou d’une autre, ici, en argent. Mais, en même temps, c’est un retour à la case départ, c’est-à-dire l’article 1142 du code civil. En examinant ce moyen, l’arrêt nous fournit une indication de fait précieuse : deux ans après la vente, le propriétaire et la SCI auraient finalement offert au bénéficiaire d’exercer sa préférence. Il confirme également qu’au jour de la vente aucune notification du projet n’avait eu lieu auprès du bénéficiaire. - La responsabilité civile du notaire est également retenue, car connaissant le pacte et alors qu’il est un professionnel, il n’aurait pas dû authentifier la vente avec le tiers et, au contraire des droits du bénéficiaire, de nature à mettre en péril l’efficacité de la vente. Là encore, c’est assez classique. - Il reste la situation du tiers, qui se plaint d’avoir été tenu pour coresponsable ; voici ce que la première Chambre civile lui répond, en rejetant son pourvoi : la société « était censée connaître l’existence du pacte de préférence en raison de l’opposabilité aux tiers des actes de donation-partage qui avaient été publiés à la conservation des hypothèques... (de sorte que) la SCI avait commis une faute de négligence en omettant de s’informer précisément des obligations mises à la charge du vendeur ». L’arrêt écarte à cet effet à juste titre la distinction subtile, relative à l’effet de la publicité d’un pacte de préférence, selon qu’elle est obligatoire ou facultative. C’est sur le cas du tiers acquéreur seulement qu’on formulera quelques observations puisque c’est lui qui constitue la barrière ayant entravé l’exécution forcée, selon l’arrêt du 26 mai. C’est sa responsabilité, les détails livrés par l’arrêt du 11 juillet et la façon dont son obligation de réparation se trouve énoncé par celui-ci, qui mettent en effet mal à l’aise et vont conduire à poser à nouveau la question de l’exécution en nature. 3- La cour de cassation relève clairement que le tiers était au courant ou en tout ca censé l’être, du fait de la publicité foncière et qu’il aurait dû se montrer plus curieux (« omettant de s’informer précisément des obligations mises à la charge de son vendeur »). C’est plus qu’une négligence, mais s’apparente à de la mauvaise foi : le tiers ne pouvait ignorer le pacte, énoncé dans pas moins de deux actes ayant fait l’objet d’une publicité, le second étant en outre rappelé dans la vente ; il s’est pourtant gardé de s’en enquérir plus avant auprès du propriétaire. Rappelons la définition de la mauvaise foi : « s’agissant de priver l’intéressé du bénéfice de l’ignorance ou de l’apparence, attitude de celui qui se prévaut d’une situation juridique dont il connaît (ou devrait) connaître les vices ou le caractère illusoire ». Ici, cela y ressemble beaucoup. D’autant plus que l’acheteur n’était pas un particulier, une personne physique, un consommateur, mais une société civile immobilière, a priori professionnelle elle aussi : l’adoption de cette forme sociale repose sur des mobiles économiques de rentabilité, de profit ou d’économie, notamment aux fins d’opérations immobilières. L’acquéreur était ainsi tenu d’un devoir de s’informer : quand le contractant pourrait avoir accès facilement à l’information et qu’il ne peut s’abriter derrière une ignorance légitime, c’est en effet à lui de « prendre les informations convenables ». Ce qui vaut dans les rapports inter partes qu’avec les tiers auxquels son comportement peut causer un dommage. On se remémore le Discours préliminaire de Portalis : « un homme qui traite avec un autre homme doit être attentif et sage ; il doit veiller à son intérêt, prendre les informations convenables et ne pas négliger ca qui est utile ». Ce qui vaut par a priori pour une personne morale, professionnelle et familière, par son secteur d’activité même, de la publicité foncière, ainsi que des avant-contrats. 4- Pourquoi, dans ces conditions, ne pas déclarer l’acte inopposable au bénéficiaire, de la même façon que par exemple, en matière de fraude paulienne ? Rien n’empêcherait ainsi la substitution du bénéficiaire pour sanctionner en nature la responsabilité du tiers acquéreur. Les deux arrêts se sont contentés du principe d’une indemnisation pécuniaire, que l’acheteur a néanmoins trouvé trop lourd, puisqu’il a formé un pourvoi, alors qu’il a tout de même échappé au transfert forcé de la chose. 5- Il ne reste plus guère, si l’on combine les arrêts des 26 mai et 11 juillet, que la condition assez artificielle de la « connaissance par le tiers de l’intention » du bénéficiaire de se prévaloir de son droit. Cependant, dans la note précédente, on avait tenté de démontrer que cette preuve manque de pertinence, pour la raison qu’au moment de la vente le bénéficiaire n’a aucune « intention » particulière, tout simplement parce qu’il n’a pas été informé, le projet de vente ne lui ayant pas été notifié. Pour avoir une intention, il faut être au courant de la décision du propriétaire de vendre – c’est un pacte, pas une promesse, on n’est pas sûr qu’il se déterminera à céder son bien, ni à quel moment. En l’espèce, l’arrêt du 11 juillet précise nettement que le bénéficiaire n’était pas au courant, le projet ni la vente ne lui ayant été notifiés. Pourtant, l’acte aurait, par exemple pu contenir une condition suspensive de la non-levée de l’option par le bénéficiaire, clause qu’on rencontre assez fréquemment en technique contractuelle, notamment dans le droit de la distribution. Ce n’est que deux ans après que les intéressés semblent avoir voulu se rattraper, en lui notifiant (ce qui est assez curieux) l’offre de vente. 6- A moins qu’on interprète la condition posée par la Chambre mixte comme l’intention du bénéficiaire non pas d’acheter, mais seulement de conserver son droit, à l’aveuglette, c’est-à-dire de faire savoir périodiquement au propriétaire qu’il n’entend pas perdre son option, alors même qu’il ignore complètement si son cocontractant entend garder la chose ou la céder. Son inaction se verrait alors sanctionnée par une déchéance sans texte, ce qui serait un renversement de l’ordre naturel des choses, s’apparentant à une sorte d’obligation d’interruption périodique de la prescription. Le titulaire d’un droit d’option subordonné à la décision d’autrui n’a rien d’autre à entreprendre que d’attendre que celui-ci fasse connaître ce qu’il a finalement arrêté. Rappelons, par comparaison, que le droit du bénéficiaire d’un pacte de préférence n’est pas prescriptible, tant que son débiteur ne l’a pas informé de sa décision de vendre, au surplus, l’on sait que la même Cour de cassation considère que l’avant-contrat reste valable, ne fût-il enfermé dans aucun délai. 7- Cette exigence de diligence à la charge du bénéficiaire constituerait une contrainte très mal commode (notification à une date anniversaire ?) et une condition que ni la loi, ni la logique, ni la justice contractuelle n’imposent ; en outre, une telle manifestation de volonté ne peut être pratiquement adressée qu’au propriétaire, puisque c’est lui seul que connaît le bénéficiaire et pas aux tiers du monde entier, acquéreurs potentiels de la chose. Sauf bien entendu si le bénéficiaire a eu vent du projet et connaît ou pressent l’identité du ou des possibles acheteurs, ce qui ne semble pas avoir été ici le cas. La « connaissance » par l’acquéreur de l’intention du bénéficiaire est de ce fait une preuve impossible : si le propriétaire a mis la lettre recommandée annuelle du bénéficiaire dans un tiroir ou à la corbeille, qu’en saura le tiers ? De toute façon, cela ne tient pas : connaissant le pacte, le tiers devrait se montrer plus curieux, on tourne en rond. Il faut donc le marteler : tant « l’intention » du bénéficiaire que sa « connaissance » par le tiers supposent la notification préalable au premier par le propriétaire, soit du projet d’acte, soit de la vente conclue sous condition suspensive, soit tout simplement de sa décision de principe de céder son bien. 8- Mis bout à bout, les deux arrêts manquent un peu de réalisme et risquent d’être cruellement ressentis par tous les bénéficiaires de pactes, dans l’immense secteur couvert par ceux-ci, de l’immobilier aux sociétés civiles et commerciales, en passant par le monde de la culture et du spectacle, ou de la distribution. Ces décisions créent, en effet, une certaine insécurité pour les bénéficiaires de toutes sortes, qui ne doivent s’attendre au mieux, en cas de violation du pacte, qu’à recevoir des dommages intérêts. Et, corrélativement, les propriétaires et tiers complices savent qu’ils pourront ainsi s’en sortir par une allocation en argent, sans remise en cause des actes conclus en violation du pacte, même si en l’espèce ils ont trouvé que c’est déjà trop. L’exécution en nature est autant affaire de morale et de sécurité que d’analyse économique du droit. Bis repetita placent : il est souhaitable de tirer toutes les conséquences de la nouvelle position adoptée par la Cour de cassation sur la substitution d’acquéreur.