Chapitre 22 - Université de Strasbourg

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Chapitre 22
CHIMIOTHERAPIE ANTICANCEREUSE
ECN Module 10
Item 141 : Traitement des cancers.
Item 142 : Prise en charge et accompagnement d’un malade cancéreux à tous les stades de sa
maladie.
Item 143 : Agranulocytose médicamenteuse : conduite à tenir.
Objectifs
- Savoir identifier les principales classes des médicaments anticancéreux
- Connaître les principaux mécanismes d'action
- Savoir relier les effets secondaires et toxiques aux principales classes
- Connaître les bases de la surveillance des traitements anticancéreux
- NB : 1) la partie relative à la pharmacogénomique s’adresse aux étudiants souhaitant
approfondir ces questions, 2) retenir une molécule « chef de file » par famille
Plan
Introduction – Généralités
Places des médicaments dans la prise en charge thérapeutique des cancers
Considérations générales sur le mode d’action des anticancéreux
A. Les anticancéreux cytotoxiques
B. Les modulateurs de la réponse biologique
Les médicaments anticancéreux : modes d’action
A. Les anticancéreux cytotoxiques
1. Action en « amont » du matériel génétique : les antimétabolites
2. Action directe sur l’ADN ou ses enzymes associées
B. Les modulateurs de la réponse biologique
La résistance aux médicaments anticancéreux
Effets indésirables et toxiques des chimiothérapies
A. Les toxicités aigües
B. Les toxicités chroniques ou différées
Réduction des effets indésirables : considérations sur les voies d’administration
Pharmacogénomique des anticancéreux ou l’individualisation des traitements
A. Contribution de l’analyse somatique des tumeurs à la prise en charge médicamenteuse
des cancers
B. La pharmacogénétique ou comment le terrain génétique influence la réponse aux
chimiothérapies anticancéreuses
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INTRODUCTION – GENERALITES
La prise en charge thérapeutique carcinologique est et restera dans les années qui viennent, un
enjeu important tant pour la santé publique que pour les structures de recherche privées et
publiques. Pendant longtemps, les affections cardiovasculaires ont constitué la première cause
de mortalité dans les pays industrialisés, mais, l’efficacité des traitements et des méthodes de
prévention primaire et secondaire de ces affections ont fait passer le cancer en première
position. En France, l’incidence du cancer est estimée à environ 300000 nouveaux cas par an
et 150000 personnes en décèdent dans la même période. Cette incidence est en régulière
augmentation du fait de la conjonction de facteurs tels que le vieillissement de la population et
l’amélioration des méthodes de détection et de diagnostic. Elle porte surtout sur le cancer de
la prostate chez l’homme et le cancer du sein chez la femme. De façon tout à fait intéressante,
l’augmentation de l’incidence est observée en parallèle d’une réduction de la mortalité dont la
responsabilité incombe probablement à la détection de stades plus précoce mais aussi à
l’amélioration des traitements.
Les médicaments anticancéreux constituent une vaste famille dont les premiers représentants
ont été développés au courant de la deuxième guerre mondiale à partir de l’observation des
effets myélotoxiques du tristement célèbre gaz moutarde. En effet, l’ypérite, qui sous forme
de gaz a une odeur de moutarde et tire son nom de la ville d’Ypres en Belgique où elle fût
utilisée pour la première fois en 1917, a servi de base aux recherches menées à l’université de
Yale aux Etats-Unis et qui ont conduit aux premiers agents alkylants. On peut diviser les
médicaments anticancéreux en :
- Agents cytotoxiques qui induisent une mortalité cellulaire par action directe ou
indirecte sur l’acide désoxyribonucléique (ADN), l’acide ribonucléique (ARN) ou
des protéines nécessaires à la division cellulaire.
- Modulateurs de la réponse biologique qui soit (1) affectent les capacités de
défense de l’hôte (interleukine-2, interféron-α ), (2) agissent sur le contrôle
hormonal de la tumeur (hormonothérapie) ou (3) contrôlent l’appareil de
signalisation de la cellule (anticorps monoclonaux dirigés contre des récepteurs et
bloqueurs des tyrosines kinases).
L’objectif de ce chapitre n’est pas de donner une connaissance approfondie de chacun des
médicaments anticancéreux mais de fournir les bases nécessaires à la compréhension du
maniement pratique de ces composés, en allant de leur manipulation et de leur préparation à la
gestion clinique des effets indésirables. Néanmoins, pour chaque catégorie, la pharmacologie
de ce que nous pouvons considérer comme la molécule chef de file sera détaillée. Nous
évoquerons aussi des aspects nouveaux de thérapeutique individualisée en exposant comment
les caractéristiques génétiques du malade et de sa tumeur peuvent entrer dans l’arbre
décisionnel thérapeutique.
PLACES DES MEDICAMENTS DANS LA PRISE EN CHARGE THERAPEUTIQUE DES CANCERS
L’utilisation des médicaments en thérapeutique anticancéreuse ou chimiothérapie n’est pas
systématique et se situe dans une stratégie qui intègre la chirurgie, l’ablation tumorale par
radiofréquence ou congélation, la radiothérapie et la curiethérapie. Elle a pour objectif le
traitement radical de la pathologie, mais, peut aussi être utilisée dans d’autres contextes.
A. La chimiothérapie curative
Elle est l’objectif de tout traitement anticancéreux, mais, c’est en hématologie qu’elle
constitue la seule option. Dans ce cadre, des combinaisons de produits sont employées
pour permettre une induction de rémission complète suivie d’une intensification et
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enfin d’une phase d’entretien. On peut ainsi obtenir des guérisons dans les leucémies
aiguës lymphoblastiques ou la maladie de Hodgkin.
B. La chimiothérapie complémentaire d’un autre traitement
Dans la majorité des cancers, en particulier solides, la chirurgie et la radiothérapie
constituent la pierre angulaire d’un traitement qui se voit complété par la
chimiothérapie. On dit que la chimiothérapie est adjuvante quand elle intervient après
le traitement radiochirurgical. Elle a pour objectifs de traiter des micrométastases ou
de compléter une exérèse incomplète. Au contraire, la chimiothérapie néoadjuvante
survient avant le traitement locorégional du cancer. Cette stratégie s’adresse à la cure,
aussi précoce que possible, de métastases dont on sait qu’elles sont quasiment toujours
présentes au moment du diagnostic et pour lesquelles l’ablation de la tumeur primitive
n’aura que peu d’impact. Elle est aussi effectuée pour réduire la masse tumorale en
préopératoire pour en faciliter l’exérèse.
C. La chimiothérapie palliative
Malheureusement l’état d’avancement de la maladie au moment de son diagnostic ou
la constatation d’une récidive importante rendent impossible l’espoir d’une
thérapeutique radicale. Dans ces cas, la chimiothérapie peut encore largement avoir sa
place ; a fortiori depuis l’avènement de médicaments administrables chroniquement
par voie orale au prix d’effets indésirables acceptables. Ici, on va chercher à ce que la
chimiothérapie permette un gain significatif de la survie et de la qualité de la vie.
CONSIDERATIONS GENERALES SUR LE MODE D’ACTION DES MEDICAMENTS ANTICANCEREUX
Si on devait comparer les médicaments anticancéreux à une autre classe, ce serait
probablement aux anti-infectieux à qui ils ressemblent le plus. Ces derniers ont pour objectif
de détruire des cellules indésirables qui se sont introduites dans notre organisme. A vu des
différences considérables que des bactéries, des virus ou des parasites ont avec nos cellules
eucaryotes, il est facilement concevable de développer des médicaments qui ciblent
spécifiquement ces hôtes indésirables. En matière d’anticancéreux, le problème est beaucoup
plus complexe puisque les cellules indésirables proviennent directement de l’organisme qui
les héberge. Toute la difficulté du traitement médicamenteux des cancers réside donc en une
gymnastique qui vise à identifier les particularités de la cellule cancéreuse la rendant plus
sensible au médicament que les cellules saines. De ce degré de sélectivité dépendra
l’efficacité du produit mais aussi les risques d’effets indésirables et toxiques. En d’autres
termes, plus le phénotype d’une cellule saine ressemble à celui de sa cousine cancéreuse et
plus elle sera affectée par le traitement anticancéreux. Pour cette raison, la majorité de ces
médicaments ont un index thérapeutique étroit (rapport entre la concentration plasmatique
efficace et la concentration toxique). On tente alors de réduire la toxicité de chaque
médicament en faisant des associations (polychimiothérapies) visant à obtenir une synergie
des effets sur les cellules cancéreuses tout en réduisant la toxicité individuelle de chacune des
molécules, et en réalisant des schémas thérapeutiques qui permettent aux cellules saines de
récupérer entre les séquences de traitement (successions des cures de chimiothérapie).
Le deuxième problème posé par ces traitements est l’hétérogénéité de la population cellulaire
cancéreuse. En effet, si on peut penser que la formation d’un cancer résulte de la division
d’une seule cellule mère (on dit que la population est clonale), les cellules filles vont, en
fonction de leur localisation, de l’influence de facteurs locaux et systémiques et de leur
instabilité génétique, pouvoir présenter des phénotypes différents. De plus, toutes les cellules
ne sont pas synchrones et une tumeur présente des cellules qui sont à des phases différentes
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du cycle cellulaire. Cette donnée est particulièrement importante dans les tumeurs de grande
taille où l’on va trouver simultanément des cellules entrées dans le cycle cellulaire, des
cellules quiescentes et des cellules nécrotiques ou apoptotiques. Dès lors, on peut comprendre
qu’à un moment donné un médicament n’ait pas la même action sur l’ensemble de la
population. C’est ainsi que certains produits agissent surtout au moment de la synthèse des
nucléotides et ne seront donc actifs que sur les cellules en phase S du cycle cellulaire (Cf cidessous). Il sera alors nécessaire soit de synchroniser les cellules, soit de répéter les cures
pour atteindre des cellules non affectées lors de la cure précédente. Cette variation
phénotypique au sein d’une population de cellules cancéreuses constitue, là encore, une raison
d’associer des médicaments anticancéreux au cours d’une même séquence de traitement.
Finalement, et l’on retrouve là un problème posé par certains microorganismes infectieux, les
cellules cancéreuses sont capables de développer des phénomènes de résistance. Elles peuvent
être d’emblée résistantes, contre-indiquant ainsi l’emploi de la molécule concernée, ou
devenir résistantes à l’occasion de la répétition des cures. Cette acquisition de résistance est
responsable d’un échappement thérapeutique qui oblige à passer à un autre protocole appelé
aussi « ligne » de chimiothérapie. La recherche cancérologique a donc pour objectifs de
trouver de nouveaux produits mais aussi de nouvelles combinaisons permettant de répondre
aux multiples obstacles cliniques et biologiques qu’offre cette maladie. C’est probablement
pour cette raison que la classe médicamenteuse et les protocoles de chimiothérapie sont aussi
complexes. Nous nous contenterons ici de donner une vue générale des molécules
individuelles en voyant successivement les agents cytotoxiques puis les modulateurs de la
réponse cellulaire.
A. Les anticancéreux cytotoxiques
Comme nous l’avons vu plus haut, ces médicaments ciblent la synthèse du matériel
génétique (ADN, ARN) et des protéines impliquées dans la mitose. Ils ont donc des
effets reliés à la phase du cycle cellulaire dans laquelle se trouve la cellule. Le cycle
cellulaire se compose de la succession des phases suivantes :
- la phase G1 (ou G0 pour des cellules quasiment quiescentes) est la plus longue et la
plus variable. Tous les métabolismes ont lieu à l’exception de la synthèse de
l’ADN. Selon les cancers 75 à 90% des cellules sont dans cette phase et sont donc
peu sensibles aux médicaments « cycle-dépendants ».
- la phase S suit la phase G1. Elle se caractérise par une activité intense de synthèse
d’ADN en préparation à la réplication.
- la phase G2 permet la constitution de l’appareil mitotique (polymérisation des
microtubules entre autres). Pendant cette phase, la cellule synthétise des protéines
et a donc besoin de transcrire son ADN en ARNm.
- la mitose ou phase M est l’aboutissement de la succession des phases S et G2. Elle
est rapide et constituée par la succession de la prophase (condensation des
chromosomes puis disparition de la membrane nucléaire), de la métaphase
(polymérisations et dépolymérisations des microtubules qui conduisent à la
localisation équatoriale des chromosomes), de l’anaphase (migration polaire des
chromosomes) et de la télophase (division cellulaire).
Certains médicaments sont dits « cycle dépendants » car n’agissent que sur les cellules
engagées dans le cycle cellulaire quelle qu’en soit la phase (exemple des agents
alkylants) et les produits « phase dépendants » qui ne sont actifs que pendant une
phase précise du cycle (exemple des poisons du fuseau mitotique qui sont actifs en
phase M). Ainsi, si on veut utiliser un produit « cycle-dépendant », il faut
préalablement faire entrer les cellules dans le cycle cellulaire en les sortant de la phase
G0. Ceci peut être obtenu par une réduction de la masse tumorale ou l’utilisation
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d’adriamycine. Quand on souhaite employer un produit « phase-dépendant », on va
préalablement bloquer les cellules dans le stade correspondant par exemple en phase
M avec un alcaloïde de la Pervenche ou en phase S avec du méthotrexate. Le blocage
en phase S permet d’obtenir l’efficacité optimale des antimétabolites.
On peut donc diviser les cytotoxiques en fonction de leur action cycle et phase
dépendante et de leur cible moléculaire. Dans ce dernier cas, on distingue les
médicaments dont l’action est centrée sur l’ADN et l’ARN (en empêchant leur
synthèse ou leur lecture) et ceux qui agissent sur des protéines. La Figure 1 illustre
schématiquement les sites d’action des sous-groupes de médicaments qui ciblent le
matériel génétique ou les protéines particulièrement impliquées lors de la mitose. Les
antimétabolites affectent le métabolisme des nucléotides en inhibant leur synthèse ou
en formant des nucléotides anormaux qui, incorporés dans l’ADN, vont introduire des
arrêts de transcription ou nécessiter une résection suivie d’une réparation. Les
médicaments qui agissent directement sur l’ADN ou sur des protéines qui y sont
associées vont se glisser entre les brins pour y induire des cassures ou vont affecter
l’activité de l’ADN polymérase. Les inhibiteurs des topoisomérases vont toucher les
processus de compaction et de décompaction des gènes. Finalement, les produits qui
agissent en aval de l’ADN affectent le fonctionnement de protéines, en particulier les
poisons du fuseau mitotique qui vont bloquer les cellules en métaphase de la phase M
(alcaloïdes de la Pervenche et de l’If).
B. Les modulateurs de la réponse biologique
Les modulateurs de la réponse biologique constituent toute une famille de drogues qui
vont des immunomodulateurs (interleukine, interféron) aux inhibiteurs des tyrosinekinases, en passant par les anticorps monoclonaux et l’hormonothérapie. Dans la
période la plus récente sont apparus les premiers médicaments affectant directement
l’appareil de signalisation de la cellule. C’est ainsi que des médicaments ciblant le
récepteur de l’Epidermal Growth Factor (EGFR) et son activité tyrosine kinase ont été
développés. Ce récepteur fait partie d’un groupe de quatre récepteurs à activité
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tyrosine kinase (Figure 2) : HER1 (= ErbB-1 ou EGFR), HER2 (= ErbB-2 ou HER2/cneu), HER3 (= ErbB-3) et HER4 (= ErbB-4). L’homo ou l’hétérodimérisation de ces
récepteurs conduit à la stimulation de leur activité enzymatique. Ils
s’autophosphoryles sur les résidus tyrosine intracellulaires (Y) et activent ainsi leur
voie de couplage qui conduit à la synthèse d’ADN et à la prolifération cellulaire. On
dispose d’anticorps monoclonaux qui ciblent EGFR et HER2 (cétuximab,
panitumumab, trastuzumab ; suffixe « mab » pour les anticorps médicaments) et des
bloqueurs plus ou moins sélectifs de l’activité kinase (phosphorylation) des quatre
récepteurs HER (géfitinib, erlotinib, lapatinib ; suffixe « nib » pour la dénomination
commune internationale) (Figure 2).
Dans les médicaments modulateurs de la réponse biologique, on trouve aussi des
hormones et des antihormones. A titre d’exemple, le cancer de la prostate
« hormonodépendant » prolifère sous l’action de la testostérone (Cf plus loin et Figure
4).
Finalement, la thérapeutique anticancéreuse dispose aussi de puissants
immunomodulateurs. Parmi ceux-ci l’interféron-α et l’interleukine-2 (IL-2) sont les
plus utilisés. L’IL-2 est un petit peptide appartenant à la grande famille des cytokines.
Elle est sécrétée par les lymphocytes T « helpers » et exerce de multiples effets sur les
cellules de la lignée lymphoblastique (prolifération des lymphocytes T « helpers »,
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prolifération et maturation des lymphocytes B, prolifération des cellules NK, libération
de lymphokines). Ces actions de stimulation immunologique sont exploitées dans le
traitement du cancer du rein métastasé ou du mélanome métastasé.
LES MEDICAMENTS ANTICANCEREUX : MODES D’ACTION
A. Les anticancéreux cytotoxiques
1. Action en « amont » du matériel génétique : les antimétabolites
Ce sont des analogues structuraux des bases nucléiques ou faux substrats qui vont
s’incorporer dans l’ADN à la place des bases puriques (adénine, guanine) ou
pyrimidiniques (thymine, cytosine, uracile), ou inhiber des voies métaboliques qui
participent à la biosynthèse de ces bases (inhibition de la synthèse d’acide folique par
les antifoliques). La table 1 mentionne tous les médicaments appartenant à ce groupe.
Les antimétabolites
Dénomination commune internationale
Antipyrimidiniques
fluororuracile (5-FU)
capécitabine
gemcitabine
tegafur-uracile
cytarabine
azacitidine
Antipuriques
mercaptopurine
azathioprime
fludarabine
cladribine
clofarabine
nélarabine
pentostatine
Anti-foliques
méthotrexate
pémétrexed
Autres
hydroxyurée (hydroxycarbamide)
Nom de spécialité
Fluorouracile
Xéloda
Gemcitabine Gemzar
UFT
Aracytine Cytarabine Depocyte
Vidaza
Purinéthol
Imurel
Fludara
Leustatine Litak
Evoltra
Atriance
Nipent
Méthotrexate Ledertrexate
Alimta
Hydréa
Table 1 : les médicaments cytotoxiques dits « antimétabolites »
a. Les inhibiteurs de la synthèse de l’acide folique (les antifoliques)
L’acide folique ou vitamine B9 (« folique » qui vient du mot latin folium voulant dire
« feuille » pour rappeler la richesse des feuilles d’épinards en cette vitamine) est une
substance indispensable à la synthèse de d’ARN et de l’ADN. Les besoins sont
particulièrement importants pour toutes les cellules normales en croissance rapide
(embryon, fœtus, enfant, épithélium) mais aussi, bien entendu, pour les cellules
cancéreuses. Elle va subir plusieurs réductions permettant de générer de l’acide
tétrahydrofolique qui est un cofacteur indispensable à la synthèse des bases puriques
(adénine, guanine) et de la thymidine (base pyrimidinique) passant par la thymidylate
synthase (TS) (Figure 3). Dans cette voie métabolique complexe, nous avons
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représenté les deux enzymes clés que sont la TS et la dihydrofolate réductase (DHFR).
La DHFR est bloquée par le méthotrexate alors que la TS est inhibée par les
métabolites polyglutamates du méthotrexate et les métabolites actifs du 5 fluorouracile (5-FU). On va retrouver le 5-FU dans les antithymidiniques puisqu’il
agit aussi sous la forme d’un faux substrat de la synthèse de l’ADN, un effet
complémentaire de son action métabolique. La capécitabine et le ftorafur sont deux
prodrogues orales du 5-FU. Dans l’UFT (Uracile FTorafur), ce dernier est associé
systématiquement à l’uracile qui va inhiber la dihydropyridine deshydrogénase
(DPD), première enzyme responsable du métabolisme du 5-FU. Cette association fixe
permet de majorer fortement les concentrations plasmatiques du 5-FU. Dans les
protocoles de chimiothérapie, le 5-FU est souvent associé à de l’acide folinique
(protocole FU-FOL). Cette combinaison majore fortement la toxicité du 5-FU en
générant du 5,10-méthylène tétrahydrofolate puissamment cytotoxique. Finalement, le
pémétrexed est un antifolate de dernière génération pour des indications
pneumologiques (mésothéliome, cancer bronchique non à petites cellules) qui possède
la capacité de bloquer simultanément plusieurs enzymes de la voie ; cette molécule
inhibe la DHFR, la TS et la glycinamide ribonucléotide formyltransférase (GARFT).
b. Les antipyrimidiniques
Pour la plupart, ces substances exercent des effets complexes passant par l’inhibition
d’enzymes impliquées dans la synthèse de l’ADN mais aussi en s’incorporant dans
l’ADN et/ou l’ARN à la place des nucléotides normaux. On retrouve le 5-FU comme
chef de file de cette famille puisque deux de ces métabolites, le fluorodéoxyuridine
monophosphate et le 5-fluorouracile trisphosphate peuvent s’incorporer
respectivement dans l’ADN et l’ARN pour en altérer le métabolisme et la fonction. La
gemcitabine s’incorpore dans l’ADN et cette fixation induit des erreurs irréversibles
sur le cadre de lecture. De la même manière, l’azacitidine, en s’incorporant dans
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l’ADN va réduire le niveau de méthylation de ce dernier et donc produire des
anomalies de l’expression génique. Finalement, l’incorporation de la cytarabine est
responsable de l’inhibition de l’ADN polymérase et donc de la synthèse du matériel
génétique.
c. Les antipuriques
Ces médicaments ont des modes d’action très voisins des antipyrimidiniques
puisqu’ils entrent dans les cellules pour y être métabolisés et agir comme faux
substrats de la voie de biosynthèse des purines. Ils vont donc altérer la synthèse de
l’adénine et de la guanine puis être incorporés dans l’ADN et l’ARN comme de
« fausses bases ». Les plus vieux chefs de file sont la mercaptopurine Purinéthol et
la thioguanine Lanvis. Ces produits sont des analogues de la guanine utilisés
principalement dans la prise en charge des leucémies.
2. Action directe sur l’ADN ou ses enzymes associées
Ces produits sont schématiquement divisés en 4 catégories : les alkylants, les
intercalants, les scindants et les inhibiteurs des topoisomérases.
a. Les médicaments alkylants
L’alkylation est l’action de remplacer un hydrogène (proton) par un groupement
alkyle (méthyle, éthyle, propyle etc … en fonction du nombre des atomes de carbone).
A priori, cette alkylation peut se faire sur toutes les molécules hydrogénées mais en
cancérologie, on considère que seule l’alkylation du matériel génétique concoure à
l’effet cytotoxique. Les alkylants sont extrêmement réactifs et vont produire des
lésions covalentes entre les brins d’ADN, ce qui a pour effet d’entraver les processus
de réplication et de transcription. De nombreux produits font partie de cette famille.
Nous traiterons ici uniquement le cisplatine qui, au titre de la famille des
organoplatines et de son utilisation large (cancers : ovaire, testicule, prostate, ORL,
vessie et poumon), peut être considéré comme un chef de file.
Les alkylants
Dénomination commune internationale
Moutardes à l’azote
busulphan
melphalan
chlorméthine
chlorambucil
cyclophosphamide
ifosfamide
Dérivés du platine
cisplatine
carboplatine
oxaliplatine
Nitrosourées
lomustine
carmustine
fotémustine
streptozotocine
Nom de spécialité
Busilvex
Alkéran
Caryolysine
Chloraminophène
Endoxan
Holoxan
Cisplatine Cisplatyl
Carboplatine
Eloxatine Oxaliplatine
Belustine
Bicnu Gliadel
Muphoran
Zanosar
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Autres
mitomycine C
dacarbazine
estramustine
altrétamine
busulphan
procarbazine
témozolomide
thiotépa
pipobroman
trabectédine
Amétycine
Déticène
Estracyt
Hexastat
Myléran
Natulan
Témodal
Thiotepa
Vercyte
Yondélis
Table 2 : les médicaments cytotoxiques dits « alkylants »
Le cisplatine et autres dérivés du platine
Le cisplatine et ses dérivés, oxaliplatine et carboplatine, sont hydratés in vivo et
agissent comme des alkylants créant des ponts intra- et intercaténaires dans l’ADN,
principalement entre les groupements phosphates et les guanines. Si les modes
d’action sont communs, les trois produits diffèrent par leur pharmacocinétique et leurs
effets indésirables. Ces derniers semblent dépendre du taux de fixation aux protéines
plasmatiques. Ces organoplatines sont tous rapidement excrétés par voie urinaire, leur
vitesse d’élimination dépendant de leur taux de fixation aux protéines plasmatiques.
En pratique, plus le médicament est lié, moins rapide est son excrétion et plus il est
toxique, y compris sur le rein. Le cisplatine a un taux de fixation de plus de 90%.
Cette « rétention » dans l’organisme le rend le plus toxique de tous les dérivés du
platine. Il est ainsi fortement émétisant, néphrotoxique, neurotoxique et ototoxique.
Seule la myélotoxicité semble échapper à cette règle puisque le cisplatine est peu
myélotoxique au contraire du carboplatine. Le cisplatine est probablement un des
produits anticancéreux les plus émétisants. Les malades bénéficient de la prise en
charge de cet effet secondaire par un antagoniste des récepteurs 5-HT3 de la
sérotonine (ou sétron) tel que l’ondansétron Zophren. Depuis peu, on dispose aussi
d’un autre antiémétique, l’aprépitant Emend, qui est un antagoniste du récepteur
NK1 de la substance P et qui est utilisé en association avec un sétron et un
glucocorticoïde. La néphrotoxicité du cisplatine peut être réduite par une diurèse
forcée générée par l’hyperhydratation, ce qui n’est pas nécessaire avec le carboplatine
et l’oxaliplatine. On peut encore noter que la cytotoxicité des organoplatines est
fortement potentialisée par le 5-FU.
b. Les médicaments intercalants
Les médicaments intercalants se placent dans les sillons de l’ADN et forment un
complexe trimérique entre le médicament, l’ADN et la topoisomérase de type II. Cette
formation concourre au blocage de la transcription. Par soucis de clarté, nous les
séparons ici des inhibiteurs directs des topoisomérases. Les deux chefs de file de cette
famille sont l’adriamycine et la daunorubicine qui ont donné naissance au groupe des
anthracyclines.
Les intercalants
Dénomination commune internationale
Nom de spécialité
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Anthracyclines
doxorubicine
idarubicine
daunorubicine
épirubicine
pirarubicine
Adriblastine
Zavedos
Cérubidine Daunoxome
Farmorubicine
Théprubicine
Anthracènediones
mitoxantrone
Novantrone
Table 3 : les médicaments intercalants.
Les anthracyclines sont des antibiotiques extraits d’actinobactéries du genre
streptomyces. Leur suffixe rubicine rappelle leur couleur rouge intense bien visible
dans les flacons de poudre pour solution injectable. Elles agissent en s’intercalant
entre les deux brins de l’ADN ce qui bloque l’action de la topoisomérase II, enzyme
responsable de la cassure bicaténaire de l’ADN nécessaire à la transcription. Ces
médicaments sont aussi fortement oxydés dans les mitochondries générant ainsi la
production importante de radicaux libres d’oxygène. Ces radicaux libres (anion
superoxyde, peroxyde d’hydrogène, hydroxyle radicalaire) sont responsables de la
cardiotoxicité aiguë de ces médicaments mais aussi, pour partie, de leur effet
anticancéreux. Il est donc difficile de séparer cette toxicité de l’effet thérapeutique.
Les effets cardiotoxiques immédiats peuvent se manifester pendant ou dans les heures
qui suivent la perfusion de doxorubicine par exemple. Ils se manifestent sous la forme
de modifications électrocardiographiques à type de troubles du rythme ou
d’allongement de l'espace QT. Un bilan cardiologique préthérapeutique est
indispensable au même titre qu’un suivi ECG fréquent (ou monitoring ECG continu).
Il faudra aussi penser à contrôler d’éventuels troubles électrolytiques, eux-mêmes
pourvoyeurs d’arythmies. Les aspects de toxicité cardiaque chronique sont discutés
plus loin. Les anthracyclines sont aussi fortement hématotoxiques et ont été rendues
responsables de l’apparition de leucémies secondaires. Elles induisent très
fréquemment une alopécie à l’arrêt du traitement. Des mucites iatrogènes sont aussi
possibles et devront être prévenues (Cf infra).
c. Les médicaments scindants
Le principal médicament scindant est la bléomycine. Ce produit est, lui aussi, un
antibiotique d’origine naturelle. Elle agit en induisant des coupures monocatéraires de
l’ADN mais tous ses effets ne sont pas connus. Sa toxicité pulmonaire est détaillée
plus loin. On peut néanmoins insister ici sur le fait que cette toxicité est potentialisée
par l’administration simultanée d’oxygène pur. Celle-ci doit donc être évitée,
particulièrement chez les malades ventilés.
d. Les inhibiteurs des topoisomérases
Les topoisomérases sont des enzymes clés dans les processus de réplication. Elles
permettent de couper les brins d’ADN pour les dérouler (ADN gyrases ou
topoisomérases II) et d’induire des coupures bicaténaires pour séparer les
chromosomes avant la mitose (topoisomérases I). Ces deux types de topoisomérases
sont ciblées par des anticancéreux. Le produit le plus utilisé est l’irinotécan. Il entre
dans des protocoles d’associations d’agents anticancéreux.
Les inhibiteurs de topoisomérases
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Dénomination commune internationale Nom de spécialité
Inhibiteurs de la topoisomérase I
irinotécan
Campto
topotécan
Hycamptin
Inhibiteurs de la topoisomérase II (épipodophyllotoxines)
étoposide
Vépéside
Table 4 : les inhibiteurs des topoisomérases.
L’irinotécan et son principal métabolite actif, le SN-38, sont des inhibiteurs de la
topoisomérase I. Ce blocage produit une cassure monobrin de l’ADN au lieu de la
cassure double brin indispensable à la formation de la fourche de réplication. Cette
anticancéreux va donc bloquer les cellules au moment où elles synthétisent de l’ADN,
c’est à dire en phase S. Cette molécule va agir fortement sur les cellules en division ce
qui occasionne de fréquentes diarrhées et une toxicité hématologique à type de
leucopénie. On peut aussi noter que ce produit est un inhibiteur de l’acétycholine
estérase. Il peut donc renforcer l’activité du système parasympathique ou vagal. C’est
ainsi que 9% des malades peuvent présenter un syndrome cholinergique avec des
manifestations cardiovasculaires (bradycardie, hypotension), digestives
(hypersalivation, nausées, vomissements, crampes abdominales), ophtalmologiques
(conjonctivite, larmoiement, troubles visuels, myosis) et des signes généraux
(hypersudation, malaise, vertige). Ces troubles surviennent pendant ou dans les 24
heures suivant l'administration d’irinotécan. Ces symptômes cèdent à l'administration
d'un antagoniste muscarinique comme l’atropine. Ce risque est plus faible lorsque
l’irinotécan est utilisé en association. On doit noter que le topotécan est dépourvu de
cet effet cholinergique et que les troubles digestifs induit par cette molécule sont
surtout la conséquence d’un effet antiprolifératif sur les muqueuses gastrointestinales.
L’étoposide est un alcaloïde (composé azoté complexe produit par un organisme
végétal) dérivé de la podophyllotoxine, une substance d’origine naturelle que l’on
peut extraire de Podophyllum peltatum (plante d’Amérique du nord) mais aussi de la
célèbre mandragore (Mandragora officinarum). La podophyllotoxine est un antiviral
et anticancéreux utilisée tel quel, sous le nom de Condyline, en application locale
dans le traitement des condylomes acuminés (verrues anogénitales). L’étoposide
bloque les cellules en phase S de la mitose du fait de l’induction de coupures multiples
dans l’ADN suite à l’inhibition de la topoisomérase II. En dehors de ses effets
indésirables classiques pour un antimitotique (toxicité digestive et hématologique), on
peut mentionner sa contre-indication chez les malades intolérants au fructose du fait
de la présence de sorbitol dans la préparation galénique.
e. Les poisons du fuseau mitotique
Les poisons du fuseau mitotique, appelés aussi agents « tubulo-affines », agissent de
manière directe sur les molécules de tubuline indispensables à la constitution du
fuseau mitotique et à la migration polaire des chromosomes pendant la mitose. Tous
les médicaments de cette famille sont caustiques au point d’injection et nécessitent des
précautions et une surveillance particulières. On doit prévenir l’extravasation et des
mesures d’urgence seront à mettre en place rapidement en cas de survenue (Cf infra).
On dispose de deux familles de produits d’origine naturelle :
 Les alcaloïdes de la Pervenche (Vinca rosea) ont une dénomination
commune internationale qui débute toujours par « vin » : vinblastine,
Strasbourg, Pharmacologie DCEM3 «Les anticancéreux » - L. Monassier -2012
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
vindésine etc… Ces produits utilisés depuis le début des années 1960
produisent une déstabilisation de la tubuline.
Les alcaloïdes de l’If (Taxus baccata) ou « taxanes » ont une dénomination
commune internationale qui se termine toujours par « taxel » : paclitaxel,
docétaxel et agissent en stabilisant la tubuline et dont en empêchant les
processus de polymérisation/dépolymérisation nécessaires à la constitution et
à la rétraction du fuseau mitotique.
Les poisons du fuseau mitotique
Dénomination commune internationale
Les alcaloïdes de la Pervenche
vinblastine
vindésine
vinorelbine
vincristine
Les alcaloïdes de l’If (taxanes)
paclitaxel
docétaxel
Nom de spécialité
Velbé 
Eldisine
Navelbine Vinorelbine
Oncovin Vincristine
Taxol
Taxotère
Table 4 : les poisons du fuseau mitotique.
Les alcaloïdes de la Pervenche se lient à la tubuline qui est une protéine cytosolique
existant sous deux formes : dimérique et multimérique. La vinblastine et ses
analogues se fixent sur le dimère et empêchent donc la polymérisation. Ce blocage va
s’exprimer sur les cellules en division en bloquant la mitose en métaphase mais aussi
sur les neurones où ces molécules vont perturber la formation des neurotubules et la
neurotransmission. Du fait de problèmes pharmacocinétiques et de leur extrême
causticité, commune à toutes les molécules de la famille, on ne les utilise que par voie
intraveineuse. Une attention toute particulière doit être apportée au rinçage des
tubulures de perfusion et à la prévention de l’extravasation. La toxicité varie d’une
molécule à l’autre. De manière schématique, la vincristine est la plus neurotoxique,
responsable de neuropathies périphériques, alors que la vinblastine est surtout
hématotoxique (leucopénie et thrombopénie plus modérée). La neurotoxicité
s’exprime sous la forme d’atteintes des nerfs sensitivo-moteurs périphériques
(abolition des réflexes ostéotendineux), des anomalies centrales avec surtout la
vincristine (abaissement du seuil épileptogène, effet antidiurétique) et des plexus
mésentériques (constipation, douleurs abdominales).
Les « taxanes » (paclitaxel, docétaxel) sont des anticancéreux apparus récemment
(AMM en 1993 et 1995 respectivement). Ils favorisent l'assemblage des dimères de
tubuline en microtubules Ainsi, ils stabilisent les microtubules en inhibant leur
dépolymérisation et en figeant le réseau microtubulaire qui devient incapable de se
réorganiser comme cela est nécessaire lors de l'interphase et de la mitose. Les toxicités
les plus fréquentes sont la myélotoxicité, l’allergie, des neuropathies périphériques et
des réactions au point d’injection (œdème, induration, nécrose, dépigmentation).
Finalement, dans cette catégorie des inhibiteurs de protéines agissant « en aval » de
l’ADN on trouve la L-asparaginase Kidrolase et le bortézomib Velcade.
La L-asparaginase est une enzyme injectable qui hydrolyse l’asparagine sanguine, la
rendant ainsi indisponible pour les cellules leucémiques qui sont, au contraire des
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cellules normales, incapables de réaliser une synthèse de novo d’asparagine. Elle est
peu toxique sur le plan hématologique et expose, du fait de sa nature peptidique,
essentiellement à un risque allergique.
Le bortézomib est un inhibiteur réversible et très sélectif du protéasome, grosse
structure protéique à activité enzymatique impliquée dans la dégradation des protéines
ubiquitinylées. Cette inhibition conduit à un arrêt du cycle cellulaire et à une apoptose.
Ce médicament est utilisé dans le traitement du myélome multiple.
B. Les modulateurs de la réponse biologique
Comme nous l’avons vu plus haut, de nombreuses classes de produits entrent dans
cette catégorie. Elles sont regroupées dans les tables 5, 6 et 7.
Immunomodulateurs et hormonothérapie
Dénomination commune internationale Nom de spécialité
Modulateurs de la réponse de l’hôte
BCG thérapie
Immucyst
Interleukine-2 (IL-2)
Proleukin
Interféron-α (IFN-α)
Roféron A
Antagonistes hormonaux et inhibiteurs de l’aromatase
Dirigés « contre » les oestrogènes
Antagonistes du récepteur des oestrogènes
fulvestrant
Faslodex
tamoxifène
Nolvadex
torémifène
Fareston
Inhibiteurs de l’aromatase
anastrozole
Arimidex
exemestane
Aromastine
létrozole
Fémara
Dirigés « contre » la testostérone
Antagoniste de la Gn-RH
dégarélix
Firmagon
Antagonistes de la testostérone
bicalutamide
Casodex
cyprotérone
Androcur
flutamide
Prostadirex◊
nilutamide
Anandron
Agonistes hormonaux
Agonistes de la LH-RH
buséréline
Supréfact
goséréline
Zoladex
leuproréline
Enantone
triptoréline
Décapeptyl
Oestrogènes
diéthylstilbestrol
Distilbène
Progestatifs
médroxyprogestérone
Dépo-Prodasone Farlutal
mégéstrol
Mégace
Analogues de la somatostatine
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lanréotide
octréotide
Somatuline
Sandostatine
Table 5 : les modulateurs de la réponse biologique (immunomodulateurs et
médicaments agissant sur une transmission hormonale).
Les axes hormonaux sont particulièrement ciblés dans le cadre du traitement du cancer
hormonodépendant de la prostate (Figure 4). Le cancer prostatique passe par plusieurs stades
dont le premier est souvent qualifié d’« hormonosensible » car les cellules voient leur
prolifération stimulée par la testostérone. Malheureusement, dans un délai moyen de 24 mois
après l’instauration du traitement, les cellules présentent des mutations qui les rendent
hormonorésistantes. Dans la première phase, le traitement repose sur les analogues de la LHRH. Ces produits activent le récepteur hypophysaire de l’hormone hypothalamique LH-RH ou
Gn-RH. Ce choix thérapeutique peut sembler étonnant puisqu’il va conduire à une majoration
de la synthèse et de la libération de la testostérone testiculaire (effet « flare up » qui veut dire
« embrasement »). On limite les effets de cette hormone par l’utilisation préalable d’un
antagoniste du récepteur de la testostérone. Puis, dans une deuxième phase, le récepteur de la
LH-RH se désensibilise et les sécrétions de la LH et de la FSH s’effondrent, abolissant ainsi la
sécrétion de la testostérone. Les effets sur le cancer primitif et ses métastases peuvent être
spectaculaires. Dans les stades avancés, on peut utiliser un antagoniste du récepteur de la LHRH et du diéthylstilbestrol. Ce dernier est un œstrogène synthétique tristement célèbre. Son
emploi sous le nom de Distilbène, chez des femmes enceintes a occasionné de nombreuses
malformations ainsi que des effets retardés chez des filles nées de femmes ayant pris le
produit pendant leur grossesse (cancer du vagin à petites cellules, fausses couches multiples).
Sa seule indication est le cancer prostatique avancé où il réduit les effets de la testostérone et
exercerait des effets spécifiques indépendants de son récepteur.
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L’hormonothérapie est aussi utilisée dans la prise en charge du cancer du sein sensible à
l’action proliférative des oestrogènes. On utilise des antagonistes du récepteur des oestrogènes
et des inhibiteurs de l’aromatase, une enzyme localisée dans de nombreux tissus comme
l’ovaire, le cerveau, le tissu adipeux, la peau ou l’os et qui convertit la testostérone en
oestradiol. Finalement, ce cancer peut aussi répondre à des dérivés synthétiques de la
progestérone.
Les analogues de la somatostatine (agonistes du récepteur SSTR2) ont des indications limitées
aux tumeurs neuroendocrines carcinoïdes.
La dernière révolution dans le domaine des médicaments anticancéreux porte sur le ciblage
spécifique de voies de transduction intracellulaires impliquées dans le développement de
certains cancers. On y trouve des anticorps monoclonaux (on les appelle des biomédicaments)
(Table 6) et des inhibiteurs de kinases (Table 7).
Dénomination commune internationale Nom de spécialité
Anticorps monoclonaux dirigés contre les lymphocytes (cible entre parenthèses)
rituximab (CD20, lymphocytes B)
Mabthera
alemtuzumab (CD52, lymphocytes B et T) Mabcampath
catumaxomab (CD3, lymphocytes B)
Removab
ibritumomab (CD2, lymphocytes B)
Zévalin
Anticorps monoclonaux dirigés contre les récepteurs HER (cible entre parenthèses)
cétuximab (EGFR, HER1)
Erbitux
panitumumab (EGFR, HER1)
Vectibix
trastuzumab (HER2)
Herceptin
Anticorps monoclonal dirigé contre le VEGF
bévacizumab (VEGF)
Avastin
Table 6 : les anticorps monoclonaux.
Dénomination commune internationale Nom de spécialité
Les inhibiteurs des tyrosines kinases (cible entre parenthèses)
Sprycel
dasatinib (Bcr-Abl)
Glivec
imatinib (Bcr-Abl)
Tasigna
nilotinib (Bcr-Abl)
Tarcéva
erlotinib (HER1)
Iressa
géfitinib (HER1)
Tyverb
lapatinib (HER1/HER2)
Nexavar
sorafénib (multikinases)
Sutent
sunitinib (multikinases)
Inhibiteur de la protéine kinase mTOR
évérolimus
Afinitor
temsirolimus
Torisel
Table 7 : les inhibiteurs de kinases.
En termes de modes d’action, ces produits ont été détaillés dans le paragraphe général de
description des classes de produits. On peut néanmoins signaler quelques aspects pratiques.
Les anticorps sont des produits obligatoirement injectables et à temps de demi-vie
d’élimination prolongée (prises espacées). Ils peuvent occasionner des réactions allergiques
Strasbourg, Pharmacologie DCEM3 «Les anticancéreux » - L. Monassier -2012
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de niveaux variables. Les inhibiteurs de kinases sont des anticancéreux qui sont tous
administrés par voie orale. Ce protocole a considérablement amélioré la qualité de vie des
malades ainsi que la prise en charge thérapeutique.
LA RESISTANCE AUX MEDICAMENTS ANTICANCEREUX CYTOTOXIQUES
Des cellules cancéreuses peuvent résister à un traitement soit d’emblée (résistance
constitutive) soit acquérir leur résistance en cours de traitement ou lors d’une rechute alors
qu’elles étaient initialement sensibles (résistance acquise). Cette acquisition de résistance peut
provenir d’une pression de sélection de cellules d’emblée résistantes au sein de la tumeur
initiale ou provenir de l’instabilité génétique de la tumeur qui produit des modifications de la
cible des anticancéreux.
Les mécanismes de résistance aux anticancéreux sont multiples et impliquent des
caractéristiques intrinsèques des tumeurs et cellules cancéreuses ainsi que de facteurs
constitutionnels du patient et indépendants du traitement (terrain génétique).
A. Caractéristiques de la tumeur
Un anticancéreux peut ne pas être actif parce que les cellules tumorales se multiplient
trop lentement (trop peu de cellules sont affectées à un instant donné qui est celui de
l’administration du traitement), qu’elle est peu vascularisée (inaccessibilité des
médicaments) ou que sa localisation rend la diffusion des médicaments difficile
(barrière hématoencéphalique).
B. Caractéristiques génétiques du malade (terrain)
De nombreux anticancéreux doivent être métabolisés soit pour être rendus actifs
(activation de prodrogues) soit pour être éliminés. Une réduction d’activité
métabolique activatrice (irinotécan) ou une augmentation du catabolisme
(cyclophosphamide, bléomycine) peuvent conduire à une réduction d’activité des
anticancéreux.
C. Caractéristiques moléculaires de la cellule cancéreuse
La concentration intracellulaire du cytotoxique peut ne pas être suffisante en raison
de :
- L’activité de transporteurs membranaires des médicaments : réduction de
l’activité de transporteurs d’influx nécessaires à l’entrée du médicament
(méthotrexate) ou surexpression de transporteurs d’efflux (majoration de la sortie)
comme la P-glycoprotéine (PgP) qui conduit souvent à une résistance croisée
(antifoliques, alcaloïdes de la Pervenche, taxanes).
- L’activité de systèmes enzymatiques avec une réduction de l’activation
intracellulaire (antifoliques) ou une majoration de la dégradation
(désamination de la cytarabine).
On peut aussi observer des modifications de la cible de l’anticancéreux. Ces
modifications peuvent être :
- Quantitatives : surexpression de la cible qui conduit à une posologie relative
insuffisante du médicament (dihydrofolate réductase surexprimée lors d’un traitement
par méthotrexate).
- Qualitatives : mutations du site de fixation du médicament (mutations des
topoisomérases I et II).
Finalement, on peut aussi assister à la mise en place de mécanismes de protection de la
cellule cancéreuse par majoration de l’activité de systèmes de réparation de l’ADN
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(ERCC1 et cisplatine, Cf infra) ou protection vis à vis de la mort cellulaire
programmée par apoptose par la surexpression de gènes antiapoptotiques (survivine et
résistance aux taxanes) ou la répression de gènes proapoptotiques (inactivation du
gène suppresseur de tumeurs p53).
EFFETS INDESIRABLES ET TOXIQUES DES CHIMIOTHERAPIES : aspects pratiques de leur gestion
clinique
La toxicité des médicaments anticancéreux peut se diviser en une toxicité aiguë et une toxicité
chronique.
La toxicité aiguë apparaît quelques heures à quelques jours après l’administration du produit.
Elle dure de quelques heures à quelques jours et semble étroitement liée à la dose administrée.
Les principales toxicités sont cotées à l’aide d’échelles qui, pour partie, conditionnent
l’attitude pour la suite de la thérapeutique. C’est ainsi que l’on va évaluer l’ampleur d’une
neutropénie ou des diarrhées. Bien entendu, il faudra faire la part des choses entre une
allopécie sévère qui n’engage pas le pronostic vital et une diarrhée sévère potentiellement
létale du fait des conséquences ioniques qu’elle engendre. La prise en charge clinique de cette
toxicité fait partie du corps de métier infirmier tant dans l’aide au diagnostic que pour son
traitement (exemple de la mucite due au cytotoxiques).
La toxicité chronique prend tout son sens à une époque où les traitements ont
considérablement augmenté le pronostic vital des malades. Elle peut se manifester plusieurs
mois à plusieurs années après la fin d’un traitement. C’est ainsi que le traitement d’un cancer
du sein par des anthracyclines peut provoquer une insuffisance cardiaque extrêmement sévère
10 ans après le traitement. La compréhension des mécanismes impliqués peut conduire à
mettre en place des méthodes préventives au moment des cures.
A. Les toxicités aiguës
1. La toxicité hématologique
Elle peut toucher toutes les lignées hématopoïétiques se manifestant sous la forme
d’une leucopénie (la plus précoce et la plus fréquente), d’une anémie (inconstante) ou
d’une thrombopénie (pour des doses souvent plus élevées que celles qui induisent la
leucopénie). Cette différence en fonction des lignées provient des différences de durée
de vie de ces éléments figurés du sang (4-5 jours pour les leucocytes, 8-12 jours pour
les plaquettes et 120 jours pour les hématies). Bien entendu, dans le cas des leucémies
aiguës, la mise initiale en aplasie médullaire constitue l’objectif de la thérapeutique.
Dans ce cas extrême, la prise de mesures de précautions anti-infectieuses draconiennes
est une condition obligatoire. En fonction des produits, elle peut soit affecter les
cellules souches en voie de différenciation, soit toucher les cellules souches
totipotentes. Dans le premier cas, elle est habituellement rapidement réversible et non
cumulable. Dans le deuxième cas, observé avec des substances comme le busulfan ou
de la mitomycine, elle est retardée, durable et cumulative. L’utilisation de ce type de
composés nécessite de prendre en compte la dose totale administrée.
- la sévérité de la leucopénie dépend de son ampleur et de sa durée. Son risque
principal est infectieux (50% pour des valeurs < 0,5.109/L), le malade pouvant
contracter des infections bactériennes opportunistes dont le germe dépendra de
l’écologie locale. Une caractéristique importante est l’absence de suppuration due
à l’absence des polynucléaires neutrophiles et, donc une symptomatologie
principalement représentée par de la fièvre. Si une neutropénie de longue durée est
attendue (> 7 jours), des mesures de protection du malade doivent être mises en
Strasbourg, Pharmacologie DCEM3 «Les anticancéreux » - L. Monassier -2012
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place et une antibiothérapie probabiliste sera débutée rapidement en cas de
suspicion. Bien entendu, l’identification du germe et l’obtention d’un
antibiogramme restent une nécessité.
- pour la thrombopénie, là encore sa gravité dépend de son ampleur. Pour des
valeurs < 30.109/L des transfusions plaquettaires doivent être envisagées.
- l’anémie peut être d’origine centrale ou périphérique par hémolyse. En cas
d’intolérance clinique, elle peut nécessiter une transfusion.
Lors de l’utilisation de chimiothérapies aplasiantes, il est possible d’utiliser entre les
cures des facteurs de croissance hématopoïétiques. Ils permettent de réduire la durée et
l’amplitude de la leucopénie et ainsi de limiter les risques infectieux. Ces facteurs sont
dirigés soit vers la prolifération et la maturation des progéniteurs des neutrophiles
(GCSF : Granocyte®, Neupogen®) et monocytaires/macrophagiques (Gm-CSF :
Leucomax®). Ces facteurs sont des peptides. Ils sont donc administrés par voie souscutanée à partir de 24 heures après la fin de la cure et se poursuivent au moins 24
heures après la fin de la période critique de leucopénie (environ 10 jours de
traitement). L’injection peut être douloureuse et un changement régulier des sites
d’injection doit être réalisé. Ces produits peuvent aussi provoquer des douleurs
osseuses et musculaires, prises classiquement en charge avec du paracétamol.
2. L’immunosuppression
Elle est bien connue pour des produits comme le méthotrexate ou l’azathioprime
puisque des maladies inflammatoires chroniques peuvent être traitées grâce à l’effet
immunosuppresseur de ces molécules. D’ailleurs dans ces cas on utilise le schéma
d’administration le plus pourvoyeur d’immunosuppression, l’administration continue
à dose faible. Elle provient d’une lymphopénie qui est souvent observée en parallèle
de la neutropénie. Ses manifestations cliniques sont représentées par des infections
bactériennes, mycosiques, virales (herpes viridae) ou parasitaires (pneumocystis
carinii). La récupération d’une lymphopénie est lente et il n’existe pas de méthodes
préventives en dehors de l’ajustement du schéma posologique.
3. Toxicités digestives
Les effets indésirables digestifs les plus fréquents sont les nausées et les
vomissements. Ils prennent leur origine dans le système nerveux central par
stimulation du centre du vomissement dans l’area postrema. Cette activation nécessite
la stimulation de récepteurs sérotoninergiques 5-HT3. Les médicaments faisant partie
de la famille des « sétrons » (ondansétron Zophren, granisétron Kytril) sont des
antagonistes de ces récepteurs utilisés dans la prévention de ces effets indésirables.
Sinon, on a recours à des antagonistes dopaminergiques tels que le métoclopramide
Primpéran ou la métopimazine Vogalène , ou du récepteur NK1 (aprépitant
Emend).
Il est bien connu que les agents cytotoxiques peuvent induire une diarrhée mais
parfois méconnu que certains produits ont un effet neurotoxique sur les plexus
mésentériques et provoquent une constipation. Les diarrhées peuvent provenir d’une
stimulation du péristaltisme (cisplatine), de la toxicité muqueuse directe des produits
(fluorouracile, méthotrexate) ou d’une surinfection digestive due à l’utilisation
conjointe d’antibiotiques à large spectre. La constipation est plus rare et constitue un
problème classique lors de l’emploi des alcaloïdes de la Pervenche (vincristine,
vindésine et vinblastine). Elle peut aller du simple trouble du transit, sensible aux
laxatifs, à un tableau pseudo occlusif nécessitant une aspiration à visée
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décompressive. Cet effet indésirable est potentialisé par l’utilisation d’antalgiques
opioïdes par voie systémique.
4. Toxicité cutanéomuqueuse et des phanères
La mucite est une inflammation des muqueuses localisée le plus souvent dans la
bouche (stomatite) mais qui peut aussi être associée à des lésions plus diffuses du tube
digestif, des muqueuses génitales ou oculaires. Elle est consécutive aux
chimiothérapies et à la radiothérapie et peut occasionner une profonde altération de la
qualité de la vie ainsi que des risques vitaux puisque la bouche constitue l’une des
principales sources de sepsis chez le sujet immunodéprimé. Les mécanismes
physiopathologiques sont complexes impliquant une toxicité directe sur les cellules en
division rapide des muqueuses et indirecte due à la myélosuppression, mais, dans tous
les cas on va observer un érythème avec des desquamations qui évoluent vers des
ulcérations douloureuses. L’OMS a coté la mucite en 6 grades : (0) absence, (1)
érythème, (2) douleur n’empêchant pas l’alimentation, (3) douleur rendant l’ingestion
des solides impossible, (4) douleur entraînant l’impossibilité de boire et de manger et
(5) mort. Les produits pourvoyeurs des mucites les plus graves sont les dérivés de l’If
(docétaxel, paclitaxel), le busulfan, le melphalan, le 5-fluorouracile, le
cyclophosphamide à forte dose et l’idarubicine mais de nombreux autres médicaments
peuvent aussi en provoquer. Cette mucite a de nombreux retentissements dus aux
symptômes (douleur, dysphagie, dysphonie), au fait qu’elle constitue une porte
d’entrée infectieuse, à ses répercussions sur l’alimentation (modifications du goût,
douleur, dénutrition) et aux anomalies de la salivation (développement de caries,
déchaussements dentaires, ostéonécrose de la mâchoire après irradiation). Il est donc
fondamental et du ressort du corps infirmier de mettre en place des mesures
préventives et curatives (Table 1). La surveillance du malade portera sur sa courbe
pondérale, le contrôle de la douleur, l’évolution locale et une surveillance biologique.
Traitement préventif
* En préalable aux traitements :
Evaluation bucco-dentaire
Soins bucco-dentaires (détartrage,
traitement des caries, extractions, soins
parodontaux)
* Soins de bouche 3x/jour
brossage (brosse très souple, humide, pas
de dentifrice au menthol, hydro
propulseur) – bain de bouche au
bicarbonate de sodium 14‰)
Traitement curatif
* Traitement de la mucite
Poursuite des soins de bouche (adaptation
possible du matériel), maintenir la cavité
buccale hydratée (spray, salive
artificielle), bains de bouche au
bicarbonate de sodium ou médicamenteux
(4 à 6x/j : antiseptique à la chlorhexidine
sans alcool, antibiotique, antifongique).
Les antalgiques locaux sont à utiliser dès
les premiers signes (lidocaïne ou
morphine). Pas de dépendance à la
morphine par cette voie. On peut aussi
traiter par de la morphine à la seringue
électrique.
* Support alimentaire
apporter des aliments froids, non acides
en évitant l’alcool et les épices. Si
nécessaire : alimentation parentérale
* Traitement général
antibiothérapie si fièvre > 3 jours
antiviral systématique ciblant les herpès
virus
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virus
Table 8 : traitement préventif et curatif de la mucite associée aux chimio- et
radiothérapie.
L’alopécie est une toxicité spectaculaire et extrêmement fréquente. Bien que peu
grave, elle a de fortes répercussions psychologiques et doit être prévenue autant que
possible. On peut particulièrement signaler la fréquence de ces alopécies chez les
femmes traitées par anthracyclines pour un cancer du sein et qui peuvent très mal
vivre la perte de leurs cheveux. Après l’arrêt de la chimiothérapie, ils repoussent en
quelques semaines à quelques mois, parfois avec de petites modifications de couleur
et/ou de texture. La chute des autres poils est beaucoup plus rare. De manière
générale, cette toxicité dépend des produits utilisés, de la dose employée et, bien
entendu, des associations de produits. Une prévention des alopécies sévères peut être
obtenue dans 80 à 85% des cas par l’utilisation d’un casque réfrigérant appliqué, au
minimum, au moment du pic de concentration du médicament au cuir chevelu. Plutôt
que d’un casque, il s’agit d’un bonnet qui est réfrigéré au congélateur avant son
utilisation. Il doit avoir une température aux alentours de 0°C et être appliqué sur des
cheveux si possible courts et mouillés pour permettre un refroidissement optimal. Le
principe de son mode d’action repose sur une vasoconstriction des petits vaisseaux
sanguins du cuir chevelu limitant ainsi la diffusion des agents de chimiothérapie dans
les cellules des follicules pileux. Les habitudes d’emploi sont très variables d’un
service à l’autre et dépendent de la disponibilité des équipes de soin. Dans une
situation idéale, il devrait être posé 10 minutes avant le début de la perfusion, changé
environ tous les quarts d’heure et enlevé une trentaine de minutes après la fin de la
perfusion. Il peut provoquer des céphalées et des douleurs cervicales parfois
importantes. Ces effets indésirables devront être mis en balance avec son efficacité qui
est très faible lors de l’emploi de doses fortes de taxanes ou d’anthracyclines, ou, de
chimiothérapies en continu ou par voie orale. On peut conseiller de porter une écharpe
et des vêtements chauds pendant son application. Il existe quelques contre-indications
liées à la présence de tumeurs du cuir chevelu ou de localisations intracrâniennes ou
de tumeurs cérébrales ainsi que dans les cancers à temps de doublement très rapide.
Les produits cytotoxiques inducteurs d’alopécie sont souvent aussi capables d’affecter
la croissance des ongles. A chaque cure, les ongles arrêtent de pousser laissant
apparaître un petit sillon hyperpigmenté sur la surface unguéale (lignes de Beau). Ces
sillons sont responsables d’une fragilisation de la structure de l’ongle.
Au rang des toxicités cutanées, on peut citer les anomalies pigmentaires à type de
mélanodermie (hyperpigmentation) localisée ou diffuse ou d’hypopigmentation due à
une destruction locale des mélanocytes. Certains produits comme le 5-FU et la
vinblastine sont photosensibilisants et contre-indiquent une exposition solaire.
La toxicité cutanée concerne aussi les problèmes d’extravasation des médicaments
anticancéreux. En effet, certains produits peuvent produire des réactions caustiques
(anthracyclines, dactinomycine, alcaloïdes de la Pervenche, étoposide) lors d’une
injection périveineuse. Celle-ci devra être suspectée devant toute douleur au point
d’injection avec perception d’une brûlure et l’absence de retour veineux dans la
tubulure. Il faudra rechercher une induration ou un œdème. Cette réaction est très
grave pouvant déboucher sur une nécrose cutanée de cicatrisation lente et pouvant
requérir une résection des tissus nécrosés, des incisions de décharge et des greffes
Strasbourg, Pharmacologie DCEM3 «Les anticancéreux » - L. Monassier -2012
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cutanées. Sa prévention passe par la vérification systématique de la perméabilité
veineuse avant l’injection. Le traitement consiste à :
- arrêter la perfusion
- réaspirer 5 ml de sang contenant le produit par l’aiguille laissée en place
- infiltrer la zone par du sérum physiologique additionné de dexaméthasone (4
mg/mL) et tenter de réaspirer
- appliquer localement des pansements froids (anthracyclines) ou chauds (alcaloïdes
de la Pervenche) et des corticoïdes en crème
- surveiller
5. Hypersensibilité
Des réactions d’hypersensibilité peuvent être observées avec de nombreux produits
mais, au sein des agents cytotoxiques, deux sont particulièrement à noter : la Lasparaginase et le paclitaxel.
La L-asparaginase est un polypeptide d’origine bactérienne très immunogène. Une
hypersensibilité peut survenir dans 10 à 20% des cas sous la forme d’une réaction
anaphylactique.
L’administration de paclitaxel peut provoquer une réaction anaphylactique
extrêmement sévère et potentiellement mortelle. Elle est probablement due à son
excipient, le crémophore, et nécessite obligatoirement une prémédication couvrant de
12 heures avant la perfusion jusqu’à son arrêt par des glucocorticoïdes et des
antihistaminiques antagonistes des récepteurs H1 (anti-H1).
Les réactions cutanées de type hypersensibilité sont fréquentes avec les peptides
médicaments. Cela concerne aussi bien les anticorps monoclonaux que les
immunomodulateurs (interféron, interleukine). Certains inhibiteurs de tyrosine kinases
sont aussi pourvoyeurs de ce type d’accidents (géfitinib).
6. Complications neurologiques
Les signes d’atteinte neurologique due aux agents chimiothérapeutiques peuvent se
manifester sur les systèmes nerveux périphérique et autonome ainsi que dans le
système nerveux central. Ils devront toujours être distingués d’une atteinte due à la
maladie elle même (compression rachidienne …) ou d’une neuropathie antérieure
(diabète, épilepsie …).
Les neuropathies périphériques sont principalement dues aux alcaloïdes de la
Pervenche (vincristine, vindésine, vinblastine), au cisplatine et aux alcaloïdes de l’If
(taxanes). Elles peuvent se présenter sous la forme de paresthésies des mains et des
pieds, une diminution des réflexes ostéotendineux (tester le réflexe achilléen), d’une
paraparésie ou de douleurs mandibulaires. On pourra aussi observer une atteintes des
nerfs crâniens oculaires (diplopie, ophtalmoplégie) ou faciaux (paralysie faciale).
Finalement, l’atteinte des nerfs autonomes pourra se manifester sous la forme de
douleurs abdominales dues à une constipation, une rétention urinaire, une hypotension
orthostatique ou une dysphagie. Il est à noter que le cisplatine, au contraire de son
analogue, le carboplatine, qui est moins neurotoxique, peut provoquer des atteintes
cochléaires se manifestant par une hypoacousie. La réversibilité de ces atteintes est
lente et parfois incomplète. Leur gravité peut imposer l’arrêt du traitement.
La neurotoxicité centrale est, là encore, l’apanage des alcaloïdes de la Pervenche qui
sont épileptogènes de façon retardée puisque des crises convulsives généralisées
peuvent être observées jusqu’à 3 semaines après leur administration. On peut aussi
rencontrer un syndrome cérébelleux (forte dose de 5-FU) ou un tableau
d’encéphalopathie (confusion mentale, hallucinations, agitation anxieuse, coma).
Strasbourg, Pharmacologie DCEM3 «Les anticancéreux » - L. Monassier -2012
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7. Complications cardiovasculaires
A la différence des complications cardiaques différées, les accidents cardiaques aigus
des chimiothérapies sont rares et souvent imprévisibles.
En cours de perfusion ou dans les heures qui suivent, les anthracyclines peuvent
induire des troubles du rythme auriculaire ou ventriculaire favorisés par
l’hypokaliémie et rarement une péricardite. Ces troubles sont rapidement réversibles.
Le 5-FU est rarement (0,1% des cas) responsable d’une nécrose myocardique avec
douleur précordiale et élévation des CPK-MB. Cette nécrose survient en cours de
perfusion et peut être associée à des troubles du rythme auriculaire et ventriculaire
ainsi qu’à une insuffisance cardiaque. Le mécanisme invoqué est celui d’un spasme
coronaire puisque les douleurs précordiales simples peuvent être levées par la
trinitrine. Si cette toxicité est observée, la réadministration du produit devra être
rediscutée en fonction de l’état carcinologique et sous couvert d’une surveillance
cardiovasculaire intensive.
D’autres produits peuvent s’avérer cardiotoxiques lors de l’utilisation de doses très
fortes ou dans le cadre de polychimiothérapies : paclitaxel, cyclophosphamide,
alcaloïdes de la Pervenche, mitomycine C, mitoxantrone…
En ce qui concerne les modulateurs de la réponse biologique, des toxicités
cardiovasculaires peuvent être observées avec l’interféron (troubles du rythme,
troubles de la conduction, insuffisance coronarienne aiguë), l’interleukine-2 (troubles
du rythme auriculaire, hypotension artérielle, insuffisance coronarienne aiguë) et les
anticorps monoclonaux surtout dirigés contre le récepteur de l’EGF (cétuximab
associé au 5-FU : ischémie myocardique, insuffisance cardiaque). Certains inhibiteurs
des tyrosine kinases ont aussi des effets cardiotoxiques. C’est ainsi que le lapatinib
peut rarement (1%) provoquer une dépression de la fonction contractile du myocarde.
8. Toxicité rénale et vésicale
La chimiothérapie anticancéreuse peut avoir des effets néphrotoxiques qui passent par
deux mécanismes : un effet indirect, appelé néphropathie uratique, implique la lyse
cellulaire massive due à l’efficacité de l’effet cytotoxique et un effet direct de la
molécule ou de ses métabolites sur les cellules rénales. Dans ce dernier cas, des
associations médicamenteuses apparemment bénignes doivent absolument être
évitées.
La néphropathie uratique provient de la cristallisation dans les tubules rénaux de
l’acide urique en milieu acide (pH < 6). Cet acide urique est issu de l’hyperuricémie
générée par le métabolisme massif de l’ADN cellulaire provenant des cellules
tumorales nécrosées par la chimiothérapie. Il peut être à l’origine d’une insuffisance
rénale oligoanurique. Au maximum, on peut observer un « syndrome de lyse »
caractérisé par une hyperkaliémie et une insuffisance rénale aiguë anurique due à la
précipitation de cristaux de phosphate de calcium. Ce risque est d’autant plus
important que les cellules cancéreuses sont en nombre important et chimiosensibles.
La prévention et le traitement de ces complications sortent du cadre pharmacologique
de ce chapitre.
Les néphropathies spécifiquement médicamenteuses peuvent prendre tous les
degrés de gravité allant de la petite baisse de la clairance de la créatinine à l’anurie
nécessitant une hémodialyse. Les 5 produits les plus néphrotoxiques sont le cisplatine,
la mitomycine C, l’ifosfamide, les nitrosurées et le méthotrexate. En ce qui concerne
le méthotrexate (MTX), sa toxicité rénale est rare et surtout observée pour des doses
fortes. Elle provient de sa précipitation tubulaire et de celle de son métabolite
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hydroxylé. Cette précipitation est favorisée quand le pH urinaire devient acide (< 6) et
quand la fonction rénale diminue. Il est donc contre-indiqué d’associer des
antiinflammatoires non stéroïdiens (diminution de la perfusion rénale) et de l’aspirine
(acidification urinaire) à un traitement par ce médicament. Le MTX (dose >1g/m2)
n’est administré qu’après avoir augmenté le pH urinaire à plus de 7 par l’apport de
bicarbonates par voie intraveineuse. Bien entendu, tout médicament néphrotoxique
associé au MTX en potentialise la toxicité (antibiotiques de la famille des
aminosides). La surveillance du traitement repose sur le dosage plasmatique du taux
résiduel du MTX et on en prévient la toxicité en administrant de l’acide folinique et
des bicarbonates. L’acide folique (folates) est l’antidote du MTX (Cf plus haut pour le
mode d’action).
Certains produits peuvent provoquer des troubles ioniques tels qu’une hyponatrémie
par stimulation de la libération post-hypophysaire de l’hormone antidiurétique (ADH)
(vincristine) ou par une potentialisation de son effet rénal (cyclophosphamide). Le
cisplatine peut provoquer une toxicité tubulaire responsable d’une fuite de magnésium
avec apparition de signes cliniques d’hypomagnésémie (crampes).
La toxicité vésicale provient de métabolites toxiques pour la muqueuse de la vessie.
Elle s’observe particulièrement avec le cyclophosphamide et l’ifosfamide et se
présente cliniquement sous la forme d’une cystite hématurique. Elle peut être
prévenue par une hyperdiurère (hyperhydratation) et l’emploi de sulfonate sodique de
2-mercaptoéthane (MESNA) qui neutralise les métabolites toxiques. Le traitement
curatif est essentiellement l’arrêt de la chimiothérapie et l’évacuation de la vessie par
hyperhydratation, hyperdiurèse et éventuellement des lavages vésicaux.
9. Complications pulmonaires
Cette toxicité est rare mais devra être évoquée chez un malade apyrétique présentant
une dyspnée avec toux sèche et des râles crépitants. La radiographie du thorax met en
évidence un infiltrat interstitiel peu spécifique. Le principal agent chimiothérapeutique
responsable de cette toxicité est la bléomycine quand elle est employée à forte dose.
Ce médicament impose une surveillance respiratoire régulière en sachant que cette
toxicité peut se manifester pendant la cure mais aussi à distance. La survenue d’un tel
problème impose l’arrêt du traitement. D’autres produits ont été incriminés mais
l’incidence de la toxicité est alors plus faible : busulfan, mitomycine, carmustine.
10. Toxicité hépatique aiguë
Elle est possible avec tous les produits métabolisés et éliminés par cette voie et peut se
présenter sous deux formes : des altérations du bilan biologique hépatique et la
maladie veino-occlusive hépatique.
Les altérations du bilan hépatique sont principalement des signes de cytolyse
(élévation des transaminases dues à la L-asparaginase et plus rarement à la cytarabine)
et une cholestase (élévation des γ-GT et des phosphatases alcalines lors d’un
traitement par une mercaptopurine). L’interféron, l’IL-2 et certains inhibiteurs des
tyrosine-kinases (erlotinib, géfitinib, imatinib) sont aussi connus pour induire des
altérations du bilan hépatique.
La maladie veino-occlusive hépatique est une occlusion des veines sus et
intrahépatiques due à la toxicité directe de certains anticancéreux pour les cellules
endothéliales de ces vaisseaux. Elle conduit à une nécrose centrolobullaire et un risque
de mortalité. Sa fréquence augmente quand des doses élevées sont employées, raison
pour laquelle elle peut survenir dans 10 à 20% des protocoles d’allogreffe de moelle
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suite à l’emploi de hautes doses de busulfan et de carmustine. On peut aussi l’observer
avec l’azathioprime et ses métabolites, la 6-mercaptopurine et la 6-thioguanine, la
cytarabine et la dacarbazine.
B. Les toxicités chroniques (ou différées)
1. Les fibroses post-chimiothérapie
Nous avons déjà mentionné les problèmes de fibrose pulmonaire à distance de la
chimiothérapie par bléomycine. Ce type de phénomène peut aussi être observé dans
le foie. La persistance d’anomalies du bilan hépatique à distance d’une cure pourra
justifier la réalisation d’une ponction biopsique hépatique.
2. Toxicité hématologique
Les produits alkylants exposent à des toxicités chroniques sévères. Certains comme
les nitroso-urées, le busulfan et la mitomycine affectent les cellules souches
hématopiétiques et peuvent induire une cytopénie prolongée voire irréversible. La
même famille de composés (melphalan, nitroso-urées, mitomycine mais aussi
chlorméthine, chlorambucil) est impliquée dans la survenue de leucémies
secondaires avec une incidence importante puisqu’elles pourraient affecter 10% des
malades guéris d’une maladie de Hodgkin. L’utilisation de doses faibles mais de
manière prolongée, la répétition des traitements, l’association à des irradiations
portant sur des territoires hématogènes et l’âge élevé constituent des facteurs de
risque. La réponse thérapeutique de ces rechutes dépendra des anomalies
cytogénétiques observées et du type de leucémie.
3. Toxicité cardiaque
Elle concerne de nombreux produits de chimiothérapie anticancéreuse, mais, le
médicament le plus concerné est l’adriamycine (ou doxorubicine), molécule faisant
partie des anthracyclines. Tous les médicaments de cette famille sont concernés mais
l’épirubicine et la daunorubicine sont moins cardiotoxiques car peuvent provoquer
cette toxicité chronique pour des doses supérieures. Le pic de survenue de la
cardiopathie à l’adriamycine est aux alentours de 10 ans après le traitement. Elle est
favorisée par l’âge (jeunes enfants et sujets âgés), la dose totale importante (> 550
mg/m2), des antécédents de coronaropathie et une radiothérapie thoracique préalable.
Elle se manifeste sous la forme d’une insuffisance cardiaque sévère répondant très
mal aux thérapeutiques conventionnelles et en particulier à la digoxine. On peut
tenter de la prévenir en réduisant la dose totale, particulièrement en cas de
radiothérapie associée. Depuis 1995, on dispose d’un médicament développé pour
prévenir cette toxicité. Le dexrazoxane Cardioxane est une molécule qui piège les
radicaux libres d’oxygène générés par les anthracyclines dans le myocarde. Il doit
être administré par voie intraveineuse environ 30 minutes avant le traitement par
l’anthracycline. Sa dose dépend de la molécule choisie (adriamycine ou épirubicine).
4. Neurotoxicité
La neurotoxicité chronique la mieux connue est celle induite par le méthotrexate
(MTX). Elle est rare, souvent asymptomatique et favorisée par l’irradiation cérébrale.
Si les signes sont principalement radiologiques, les enfants traités par irradiation
encéphalique puis MTX pour une leucémie aiguë lymphoblastique peuvent présenter
des troubles de la mémoire et des retards d’apprentissage. L’hypothèse de cette
toxicité serait une perméabilisation de la barrière hémato-encéphalique par la
radiothérapie qui favoriserait la pénétration centrale du MTX et ainsi sa toxicité
Strasbourg, Pharmacologie DCEM3 «Les anticancéreux » - L. Monassier -2012
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neurologique. La poursuite d’un tel traitement peut aller jusqu’à induire une atrophie
corticale.
5. Fertilité et reprotoxicité
La production des gamètes peut fortement être affectée par les anticancéreux. Les
agents alkylants sont les plus fréquemment responsables.
Chez l’homme, après la puberté, on peut observer une oligo-azoospermie, la
sécrétion endocrine testiculaire étant peu touchée. Cet effet peut être définitif et
justifie, quand le sperme n’est pas altéré par le cancer lui même, de faire une
conservation.
Chez la femme, la chimiothérapie est souvent responsable d’une aménorrhée qui
pourrait être irréversible dans près de 80% des femmes de plus de 45 ans. Cette
irréversibilité est inférieure à 50% chez la femme de moins de 30 ans. La
conservation des ovocytes est plus compliquée que celle des spermatozoïdes mais on
peut maintenant proposer des méthodes de conservation par congélation d’ovocytes
matures, ou maturés in vitro, ou la préservation de cortex ovarien prélevé par
chirurgie ou coelioscopie. Les grossesses menées après un traitement
chimiothérapeutique, quand elles sont possibles, se déroulent normalement en dehors
d’une légère augmentation du risque de fausses couches spontanées.
Une mention particulière concerne les personnels travaillant au contact de produits
anticancéreux. Le code du travail précise que « les femmes enceintes ou allaitantes
ne peuvent être affectées ou maintenues à des postes de travail les exposants à des
substances avérées cancérigènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction ». Un
aménagement de poste doit donc être envisagé pour toutes les femmes enceintes ou
allaitantes qui manipulent ces produits. Sont concernées les préparatrices en
pharmacie, les infirmières et les aide-soignantes (Cf plus loin).
REDUCTION DES EFFETS INDESIRABLES : considérations sur les voies d’administration
La toxicité des anticancéreux peut être réduite par l’administration locale des médicaments.
On va chercher à atteindre des concentrations locales fortes et/ou à permettre l’accession du
produit à un site où il diffuse normalement peu. Ainsi il est possible de délivrer le médicament
par voie :
- Intrathécale ou intraventriculaire pour toucher le système nerveux central
habituellement hors d’atteinte du fait de la faible diffusion de la grande majorité
des molécules au travers de la barrière hématoencéphalique.
- Intraséreuse pour traiter des pleurésies carcinomateuses ou la carcinomatose
péritonéale. Dans ces deux cas, il faut absolument éviter de délivrer des produits
caustiques.
- Locorégionale par une artère vascularisant la tumeur. On positionne un cathéter
dans l’artère et on y injecte le produit antitumoral. Cette méthode peut être
complémentaire d’une procédure d’embolisation ou d’ablation par radiofréquence.
Cette technique permet d’obtenir des concentrations locales fortes mais nécessite
que le médicament n’ait pas besoin d’être activé par un métabolisme extratumoral.
Au contraire, cette voie permet de s’affranchir d’une perte du médicament par
métabolisme systémique.
- Dans une cavité : c’est le cas de l’administration intravésicale pour des cancers de
la vessie.
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PHARMACOGENOMIQUE DES ANTICANCEREUX OU L’INDIVIDUALISATION DES TRAITEMENTS
Chez un malade, la mise en route d’un traitement médicamenteux repose actuellement sur des
données de population. En effet, on administre un produit sur la base d’essais cliniques ayant
montré que, sur l’ensemble d’un groupe de patients, le traitement en question est en moyenne
plus efficace qu’un placebo ou qu’un traitement de référence. Or, il est rapidement apparu
évident que la réponse thérapeutique est variable et que l’on peut diviser les malades en 4
sous-populations : les répondeurs sans effets indésirables, les répondeurs avec effets
indésirables, les non-répondeurs avec effets indésirables et finalement les non-répondeurs
sans effets indésirables. Cette variabilité de la réponse individuelle est multifactorielle
dépendant aussi bien de l’âge, du sexe, de l’histoire médicale, des traitements associés que de
facteurs génétiques ou épigénétiques constituant au sens large ce qu’on appelle le « terrain du
malade ». En cancérologie, la variabilité génétique peut porter sur deux aspects : (1) les
variations génétiques de la tumeur ; on parle de mutations somatiques et (2) les variations
génétiques du génome non tumoral ; on parle de polymorphismes génétiques ou de variations
constitutionnelles. Dans le premier cas, les mutations peuvent être à la base de phénomènes de
résistance de la tumeur primitive et/ou de ses métastases à l’action des anticancéreux alors
que dans le cas des polymorphismes génétiques constitutionnels, l’analyse des variations du
code génétique du malade peut permettre de prévoir la façon dont un anticancéreux va être
résorbé, métabolisé et/ou se distribuer. On considère que 0,1% de notre génome est
polymorphe, ce qui suggère qu’il y a environ 2 à 3 millions de polymorphismes portant
uniquement sur des substitutions d’une seule base nucléique (SNPs). Dans la grande majorité
des cas, ces polymorphismes sont totalement inapparents, mais, certains, plus rares, ont de
véritables conséquences fonctionnelles car induisent des susceptibilités individuelles aux
effets des traitements médicamenteux, en affectant la réponse thérapeutique ou le risque
d’effets indésirables graves. L’analyse individuelle de la tumeur et/ou de la génétique du
malade peuvent en pratique avoir des conséquences aussi importantes que de conduire à
récuser une thérapeutique, à proposer un ajustement posologique en préalable au traitement ou
à recommander un suivi thérapeutique permettant un ajustement thérapeutique optimal après
les premières doses.
A. Contribution de l’analyse somatique des tumeurs à la prise en charge
médicamenteuse des cancers
1. La réparation de l’ADN par ERCC1 dans les carcinomes pulmonaires non à
petites cellules (CPNPC) et la réponse à la chimiothérapie adjuvante par
cisplatine
Comme nous l’avons vu plus haut, les dérivés du platine sont des agents
cytotoxiques qui se lient de manière covalente à l’ADN, forment des adduits et
conduisent à des formes anormales d’ADN. ERCC1 pour excision repair crosscomplementation group 1 est une enzyme impliquée dans la réparation de l’ADN et
donc, entre autres, des lésions provoquée par le cisplatine. Sa fonction est d’exciser
les nucléotides anormaux et de permettre ainsi la resynthèse de la séquence normale
par l’ADN polymérase. On comprend donc que son expression abondante puisse
venir réduire voir abolir l’effet du cisplatine. Les raisons de la surexpression
d’ERCC1 dans certaines tumeurs ne sont pas toutes connues, mais, il existe deux
polymorphismes (C118T et C8092A) qui sont responsables d’une réduction de
l’expression de cette enzyme. La variabilité de l’expression tumorale d’ERCC1
pourrait expliquer le faible bénéfice de 5% d’augmentation de la survie à 5 ans du
traitement adjuvant par cisplatine dans les CPNPC. Une étude publiée en 2006 dans
le New England Journal of Medicine a utilisé la quantification de l’expression
d’ERCC1 par immunohistochimie dans les résections de tumeurs de malades qui
Strasbourg, Pharmacologie DCEM3 «Les anticancéreux » - L. Monassier -2012
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présentaient un CPNPC, pour prédire la réponse au cisplatine. Le résultat est
spectaculaire : les malades qui expriment ERCC1 dans leurs tumeurs ne tirent aucun
bénéfice de la chimiothérapie adjuvante au cisplatine au contraire de ceux qui ont
une expression réduite ou absente.
2. Niveau d’expression de K-ras et réponse aux anticorps monoclonaux antiEGFR
Le cétuximab Erbitux et le panitumumab Vectibix sont deux anticorps
monoclonaux dirigés contre un récepteur hautement exprimé dans les cellules
tumorales, le récepteur de l’Endothelial Growth Factor (EGFR) (Cf plus haut pour le
mode d’action). Dans sa voie de couplage intracellulaire, l’activation de ce récepteur
implique la petite protéine K-ras. Cette protéine est produite par le proto-oncogène
KRAS (Kirsten rat sarcoma 2 viral oncogène homologue) lui-même stimulé en
réponse à l’activation de l’EGFR. Cette stimulation de l’expression de K-ras
contribue à des effets majeurs de l’activation de la voie de l’EGFR tels que la
prolifération, la survie cellulaire et la production de facteurs angiogéniques
nécessaires au développement de la vascularisation tumorale. Certaines mutations du
gène KRAS conduisent à son activation constitutive avec une expression spontanée
élevée de K-ras indépendante de la voie de l’EGFR. Dans ce cadre l’utilisation du
cétiximab et du panitumumab s’avère inutile. La recherche des mutations de KRAS
dans les tumeurs, avant l’instauration d’un traitement par ces deux médicaments, est
donc une nécessité mais c’est maintenant aussi une obligation réglementaire figurant
dans l’autorisation de mise sur le marché de ces produits.
3. Le niveau d’expression de HER2 dans les cancers du sein conditionne la
réponse thérapeutique au trastuzumab Herceptin
Le trastuzumab est un anticorps monoclonal dirigé contre le récepteur du facteur de
croissance épidermique humain de type 2 (HER2). Cette protéine est surexprimée
dans 20 à 30% des cancers mammaires primitifs où elle constitue un facteur de
mauvais pronostique. Le trastuzumab exerce une action passant d’une part par le
blocage d’HER2 et de ses effets prolifératifs et d’autre part par une cytotoxicité
anticorps dépendante (ADCC). Ces deux effets nécessitent l’identification de
l’expression d’HER2 par la tumeur ou l’amplification de son gène localisé sur le
chromosome 7. Il est donc obligatoire de soit (1) rechercher la surexpression par
immunohistochimie ou (2) détecter l’amplification génique. Tous ces tests sont
réalisés sur des prélèvements biopsiques ou sur le produit de l’exérèse de la tumeur.
Les malades ne peuvent être traités que s’ils présentent une forte expression de la
protéine ou la démonstration de l’amplification génique. Là encore, ces conditions
figurent dans le dossier d’autorisation de mise sur le marché du médicament.
B. La pharmacogénétique ou comment le terrain génétique influence la réponse aux
chimiothérapies anticancéreuses
La pharmacogénétique est en plein essor et de nombreuses études sont conduites pour
évaluer la pertinence clinique des polymorphismes constitutionnels identifiés.
Cependant, il y a un gouffre entre l’identification d’un polymorphisme, son effet
cellulaire et la conséquence que peut avoir son identification dans la prise en charge
thérapeutique d’un malade. Néanmoins, certains d’entre eux sont maintenant validés et
couramment proposés dans nos hôpitaux. Les deux exemples décrits ci-dessous
illustrent la façon dont la pharmacogénétique peut s’intégrer dans l’arbre décisionnel
d’une prise en charge médicale globale du cancer.
Strasbourg, Pharmacologie DCEM3 «Les anticancéreux » - L. Monassier -2012
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1. Le génotypage de l’UDP-glucuronyltransférase (UGT1A1) pour réduire le
risque des neutropénies induites par l’irinotécan
L’irinotécan Campto est un anticancéreux inhibiteur de la topoisomérase de type I.
Il est éliminé par voie hépatobiliaire après la glucuronoconjugaison hépatique de son
métabolite actif (SN-38) par l’UGT1A1. Le déficit en UGT1A1 est connu pour être à
l’origine d’une forme d’hyperbilirubinémie congénitale, la maladie de Gilbert. Sa
prévalence serait de 15% dans la population européenne, de 50% dans la population
africaine contre seulement 5% chez les asiatiques. Elle est totalement
asymptomatique, seulement révélée en cas de dénutrition ou d’hypoglycémie. Il
existe un polymorphisme génétique dans le promoteur du gène de l’UGT1A1 qui
consiste en la répétition de 7 triplets TAA au lieu des 6 normaux. Ce polymorphisme
appelé *28 aboutit, lorsqu’il est présent à l’état homozygote, à une majoration
importante du risque de neutropénie lors de l’utilisation de doses supérieures à 150
mg/m2 mais surtout de plus de 250 mg/m2. La réalisation de ce test de génotypage en
préthérapeutique permet de détecter les malades à risque. Il a fait partie des
recommandations lors de la mise sur le marché de ce composé mais est peu réalisé en
pratique clinique routinière du fait de l’utilisation de doses souvent inférieures à 150
mg/m2 et de la recherche systématique d’une hyperbilirubinémie dont une
concentration plasmatique >1,5 à 3x la limite supérieure de la normale évoque
fortement un déficit en UGT1A1.
2. Le génotypage de la dihydropyrimidine deshydrogénase (DPYD) et de la
thymidylate synthétase (TS) pour diriger les traitements par le 5-fluorouracile
(5-FU) et ses prodrogues orales
En réduisant la thymidine et l’uracile, en respectivement 5,6-dihydrothymidine et
5,6-dihydrouracile, la dihydropyrimidine deshydrogénase (DPYD) est l’enzyme
limitante du catabolisme des pyrimidines. Dans le foie, elle transforme plus de 85%
du 5-FU administré en 5,6-dihydro-5-fluorouracile (FUH2) pour permettre son
élimination pulmonaire (50 à 80% de la dose administrée). Il existe des
polymorphismes génétiques asymptomatiques responsables de déficits complets ou
partiels de l’activité de la DPYD. Parmi ces variations du code génétique, quatre
« mutations » ont été associées à une toxicité du 5-FU et de ses prodrogues orales
(tégafur/uracile UFT et capécitabine Xéloda) pouvant se manifester par des
atteintes polyviscérales mortelles. Elles se traduisent toutes par une réduction de
l’activité de l’enzyme qui peut nécessiter une diminution de la posologie du 5-FU de
près de 70%. Au vu de la fréquence des déficits partiels (3%) et complets (0,2%) de
cette activité, un génotypage de la DPYD devrait être systématiquement réalisé en
préthérapeutique. Néanmoins, ce génotypage peut aussi s’avérer utile pour confirmer
un déficit après avoir observé une toxicité grave. L’identification des
polymorphismes peut donc s’avérer utile pour poser l’indication d’un suivi
thérapeutique où les doses seraient ajustées à la pharmacocinétique individuelle du
produit.
La thymidylate synthétase (TS) est l’enzyme clé de la biosynthèse endogène des
pyrimidines. Le 5-FdUMP, métabolite actif du 5-FU, est un inhibiteur de la TS (Cf
plus haut pour le mode d’action complet). Il existe deux polymorphismes de la TS
identifiés dans la région promotrice et dans une région non codante située en 3’. Ces
deux polymorphismes n’affectent donc pas l’activité de chaque enzyme produite
mais son niveau d’expression global. En ce qui concerne les polymorphismes du
promoteur, il s’agit d’une répétition d’un motif de 28 paires de bases que l’on peut
trouver 2x (allèle 2R) ou 3x (allèle 3R). Les malades porteurs de l’allèle 3R à l’état
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homozygote (3R/3R) ont une augmentation de l’expression de la TS et semblent plus
résistants à l’action du 5-FU. Il s’agit d’une sorte de résistance constitutionnelle due
à une augmentation du nombre des cibles du médicament. Au contraire, les sujets
porteurs du génotype 2R/2R ont un faible niveau d’expression de la TS. Ils sont donc
plus sensibles et ont un risque majoré d’effets secondaires. On peut d’ailleurs penser
que l’association du génotype 2R/2R pour la TS à une forme déficitaire de la DPYD
puisse conduire à une potentialisation du risque des effets secondaires et toxiques du
5-FU. Pour cette raison, on peut conseiller de faire une recherche systématique des
polymorphismes TS/DPYD en préthérapeutique.
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