Communication courte Médecine et Santé Tropicales 2016 ; 26 : 110-112 Contrôle rapide d'une épidémie par une souche d'Acinetobacter baumanii résistant à l'imipénème importée de pays émergent dans un service de réanimation en France Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 02/06/2017. Prompt control of an imported carbapenem-resistant Acinetobacter baumanii outbreak in a French intensive care unit Guth C.1, Cavalli Z.2, Pernod C.3, Lhopital C.4, Wey PF.3, Gerome P.4,5, Turc J.3 1 Hôpital d’instruction des armées Desgenettes, 108, boulevard Pinel, 69003 Lyon, France Hospices civils de Lyon, Lyon, France Service réanimation, hôpital d’instruction des armées Desgenettes, 108, boulevard Pinel, 69003 Lyon, France 4 Cellule d’hygiène hospitalière et lutte contre les infections nosocomiales, hôpital d’instruction des armées Desgenettes, 108, boulevard Pinel, 69003 Lyon, France 5 Fédération de biologie clinique, hôpital d’instruction des armées Desgenettes, 108, boulevard Pinel, 69003 Lyon, France 2 3 Article accepté le 09/7/2015 Résumé. Objectifs : décrire la gestion d’une épidémie à Acinetobacter baumanii résistant à l’imipénème (Abri), limitée, secondaire à un cas importé dans un service de réanimation en France. Méthodes : revue des dossiers des patients porteurs, des contacts, et des procédures de contrôle de l’épidémie. Résultats : un patient porteur méconnu d’Abri a été admis en réanimation après rapatriement sanitaire en provenance de Turquie. Cinq jours après son admission, malgré un isolement préventif et des précautions complémentaires d’hygiène de type « contact », l’apparition d’un cas secondaire a conduit à mettre en place une cellule de crise. Une gestion stricte de l’épidémie a été organisée, avec une enquête épidémiologique incluant un dépistage et un suivi des contacts, des prélèvements environnementaux et un panel de mesures supplémentaires contraignantes, notamment un isolement géographique des patients et la fermeture des chambres adjacentes, une équipe paramédicale dédiée et un renforcement de l’ensemble des mesures d’hygiène. Aucun cas ultérieur n’a été identifié. Conclusion : la gestion précoce et maximaliste d’une épidémie limitée à Abri a permis le contrôle rapide de l’épidémie et l’absence de fermeture prolongée de lits d’hospitalisation. Abstract. Objective: to describe the management and control of a limited outbreak of carbapenemresistant Acinetobacter baumanii (CRAB) outbreak in a French intensive care unit. Methods: Careful review of the contact’s and carrier’s files and outbreak management procedures. Results: An undiagnosed CRAB carrier was admitted to our intensive care unit after medical evacuation from Turkey. Despite preventive isolation and contact precautions, a secondary case was diagnosed 5 days after admission of the index case and resulted in the creation of a crisis unit. Prompt management included an epidemiologic investigation with contact screening and follow-up, environmental screening, and additional restrictive measures: isolation room, closure of adjacent rooms, patient cohorting with designated nurses, and reinforcement of contact precautions. Conclusions: restrictive management of CRAB outbreaks may allow prompt outbreak control and avoid prolonged room closures. Key words: Acinetobacter baumanii, antibiotic resistance, outbreak, contact precautions, intensive care. Correspondance : Turc J <[email protected]> 110 Pour citer cet article : Guth C, Cavalli Z, Pernod C, Lhopital C, Wey PF, Gerome P, Turc J. Contrôle rapide d’une épidémie par une souche d’Acinetobacter baumanii résistant à l’imipénème importée de pays émergent dans un service de réanimation en France. Med Sante Trop 2016 ; 26 : 110-112. doi : 10.1684/mst.2015.0517 doi: 10.1684/mst.2015.0517 Mots clés : Acinetobacter baumanii, résistance aux antibiotiques, épidémie, précautions complémentaires contact, réanimation. Contrôle rapide d’une épidémie d’Acinetobacter baumanii Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 02/06/2017. A cinetobacter baumanii (AB), bacille à Gram négatif, stable dans l’eau et les surfaces inertes, peut être observé chez le sujet sain en portage cutané, digestif ou oropharyngé. Il est pathogène surtout chez le patient de réanimation ou immunodéprimé, et est alors à l’origine de pneumopathies, de bactériémies et d’infections sur cathéters [1]. L’antibiothérapie repose sur les carbapénèmes, en raison d’une résistance fréquente aux antibiotiques usuels. Cependant, plusieurs mécanismes de résistance, parmi lesquels les oxacillinases, compromettent l’efficacité de cette classe, on parle alors d’AB résistant à l’imipénème (Abri) [1, 2]. Cette problématique est particulièrement présente dans les pays émergents où le mésusage des antibiotiques favoriserait l’émergence de ces résistances [2]. L’Abri peut être à l’origine d’épidémies nosocomiales qui posent des problèmes cruciaux dans la gestion individuelle des patients, en raison d’un nombre restreint d’antibiotiques disponibles, mais aussi dans la gestion collective du service, la bactérie survivant de manière prolongée sur les surfaces [1]. Nous décrivons la gestion d’une épidémie à Abri à partir d’un cas importé, rapidement contrôlée dans un service de réanimation. Observation Mesures immédiates Une cellule de crise multidisciplinaire regroupant praticien et infirmier hygiénistes, biologiste, personnels médical et paramédical de réanimation, cadre de santé et cadre administratif, était mise en place afin de définir et d’appliquer les mesures nécessaires au contrôle de l’épidémie. Le service était réorganisé avec l’isolement géographique des malades (fermeture des chambres adjacentes) et mise en place d’un binôme infirmier/aide-soignant dédié de jour et de nuit. Un système clos d’aspiration trachéale était mis en place chez le patient infecté. Un bionettoyage de l’ensemble du service (chambres, salles de soins, salles de rangement) et notamment des matériels partagés (échographe, colonne de fibroscopie, appareil de gazométrie déporté et appareil de radiographie mobile) était organisé. L’hygiène des mains était renforcée avec instauration de deux frictions hydro-alcooliques après un soin (la première à l’intérieur de la chambre, la seconde à l’extérieur, après avoir fermé la porte de la chambre). Les visiteurs étaient sensibilisés à ces nouvelles règles d’asepsie par une information orale de la part de l’équipe soignante et à l’aide d’un affichage d’alerte. Afin de pérenniser l’ensemble de ces mesures, le personnel soignant a bénéficié d’une actualisation de sa formation sur le bionettoyage et ses techniques. Contexte Dépistage des sujets contacts L’hôpital d’instruction des armées Desgenettes, à Lyon (France), comporte 286 lits, et accueille régulièrement des patients en provenance de zones à forte prévalence de bactéries multirésistantes (BMR), suite à des rapatriements sanitaires de patients civils ou militaires. Le service de soins intensifs et de réanimation polyvalente (douze lits, huit chambres individuelles et deux chambres doubles, 450 entrées par an) participe à un réseau national de surveillance des infections nosocomiales en réanimation [3]. Les patients bénéficient systématiquement à l’admission, puis de façon bihebdomadaire, d’un dépistage de BMR sur écouvillonnage nasal et rectal. Au total, quatre-vingt-trois sujets contacts – définis, selon les recommandations, comme tout patient pris en charge par la même équipe soignante qu’un patient porteur d’Abri [5] – ont été identifiés. Ils ont bénéficié, en plus du dépistage de BMR bihebdomadaire habituel, d’un suivi par dépistage de BMR à leur sortie, puis sept et quatorze jours plus tard. L’ensemble des résultats de ces prélèvements sont restés négatifs. Description de l’épidémie Un patient de 61 ans a été rapatrié de Turquie (J0) après un accident vasculaire cérébral et vingt-quatre jours d’hospitalisation dans une unité de soins intensifs locale. Compte tenu de sa provenance, conformément aux recommandations et au protocole d’établissement, un dépistage de BMR a été effectué à J0 par écouvillonnage nasal et rectal, et des précautions complémentaires de contact (PCC) ont été mises en place de façon préventive : chambre individuelle avec affichage informant du risque de portage de BMR, port de gants et d’une protection de la tenue professionnelle lors des soins. À J3 le dépistage de BMR au niveau rectal était rendu positif, sa mise en culture a permis d’identifier un Abri résistant à l’ensemble des bêtalactamines, aux quinolones, aux aminosides et à la tigécycline, intermédiaire à la rifampicine et sensible seulement à la Colimycine1. À J5, un patient de 52 ans hospitalisé dans une chambre adjacente présentait une pneumopathie acquise sous ventilation mécanique (PAVM) avec mise en évidence d’un Abri de même phénotype sur le liquide de lavage bronchioloalvéolaire. Devant cette émergence de cas d’Abri dans notre unité, un cas index colonisé et un cas secondaire (PAVM), l’hypothèse d’une épidémie d’Abri était retenue [4]. Médecine et Santé Tropicales, Vol. 26, N8 1 - janvier-février-mars 2016 Contrôle environnemental de l’épidémie Des prélèvements de surface ont été réalisés de manière renouvelée dans l’ensemble du service (hormis les chambres des patients infectés) et sont restés négatifs. À J30 un prélèvement d’eau était positif à un Abri de phénotype identique au cas index dans une autre chambre. Les robinets et mousseurs de l’ensemble du service ont été détartrés et javellisés et la désinfection de l’ensemble des siphons du service a été réalisée de manière quotidienne à partir de J30 et ce jusqu’à la fin de l’épidémie. À la sortie du service des patients infectés (J45 et J46), deux désinfections des chambres étaient réalisées à 24 h d’intervalle avant leur réouverture. Reprise des précautions habituelles Aucun nouveau cas n’a été identifié dans le service ou à l’occasion du suivi des contacts. À J48, deux semaines après le dernier isolement d’Abri (prélèvement d’eau), la levée des mesures exceptionnelles liées à l’épidémie était décidée. Discussion Une souche d’Abri OXA-23 importée a été à l’origine d’une épidémie limitée dans notre service de réanimation. Une cellule de crise, mise en place dès la constatation de l’épidémie, a coordonné des mesures exceptionnelles afin d’en limiter 111 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 02/06/2017. C. GUTH, ET AL. l’extension ; cette gestion d’emblée très rigoureuse de la crise a permis d’éviter l’apparition de nouveaux cas. Il n’existe pas de liste exhaustive recensant les pays pour lesquels le niveau de résistance aux antibiotiques est élevé [6]. Cependant, les cas d’importation n’étant pas rares, la Haute Autorité de santé (HAS) recommande une stratégie de recherche et d’isolement des cas basée sur le dépistage systématique du portage digestif de bactéries commensales multirésistantes chez les patients rapatriés de l’étranger. Un échantillon de matières fécales (ou écouvillonnage rectal) doit être ensemencé sur milieu sélectif imprégné en céfotaxime. Pour les colonies poussant sur ce milieu, identification et antibiogramme incluant les disques d’ertapénème et imipénème sont réalisés [7]. La littérature et l’expérience décrite dans notre service montrent que des cas de transmission croisée peuvent survenir malgré un dépistage conduit convenablement et le respect des PCC [8, 9]. Cette stratégie est également limitée par la sensibilité médiocre des tests réalisés en pratique courante, notamment pour la recherche des carbapénèmases, dont l’expression phénotypique est variable [10, 11]. Un dépistage de carbapénèmase par test moléculaire (PCR temps réel), offrant un résultat rapide et une meilleure sensibilité [12], peut être réalisé si le clinicien signale la notion de séjour en zone à risque. Toute diminution de sensibilité aux carbapénèmes sur l’antibiogramme standard doit conduire à une analyse moléculaire de la résistance, localement ou par envoi systématique de la souche au Centre national de référence de la résistance aux antibiotiques [7]. Le phénotype de résistance peut ainsi être confirmé, ce qui permet l’identification des mécanismes de résistance impliqués et le suivi des souches ; une étude de clonalité peut de plus être réalisée et permettre la confirmation bactériologique de l’épidémie. Des recommandations internationales sur la gestion collective des épidémies de BMR, en particulier à Abri, ont été publiées récemment et constituent un support pour le clinicien [4]. Malgré un niveau de preuve généralement faible, certains aspects sont consensuels : renforcement de l’hygiène des mains, dépistage des sujets contacts et isolement des cas secondaires avec adoption des PCC. La nécessité d’une mise en œuvre rapide des mesures et l’intérêt d’une coordination par une équipe multidisciplinaire n’ont pas été spécifiquement évalués dans ces recommandations mais font généralement consensus [5]. Les auteurs soulignent de plus la stabilité de l’Abri dans l’environnement et encouragent le renforcement du bionettoyage avec un niveau de recommandations élevé [4]. La place du screening environnemental est mal définie, sa sensibilité est médiocre et sa méthode de réalisation n’est pas standardisée. En cas d’épidémie non contrôlée, il peut permettre d’identifier un réservoir de la bactérie, afin de permettre son éradication [8, 13]. Dans l’épidémie que nous décrivons, nous avons choisi de mettre en place d’emblée un screening environnemental, ce qui a permis la mise en œuvre de mesures correctives devant la positivité d’un prélèvement d’eau. Les décisions plus contraignantes touchant à l’organisation des équipes – avec, typiquement, une équipe paramédicale dédiée – peuvent impacter l’activité d’une unité (chambres fermées, limitation des entrées), et sont plus difficiles à prendre. On doit mettre en balance l’impact immédiat sur l’activité versus le risque d’une épidémie non contrôlée pouvant perturber le 112 fonctionnement d’une unité pendant plusieurs mois voire imposer sa fermeture [8, 9, 14], et au-delà le risque sanitaire lié à la dissémination de souches de BMR émergentes. Ce choix difficile pourra prendre en compte certaines analyses médicoéconomiques suggérant qu’une gestion rigoureuse de l’épidémie y compris par des fermetures de lits pouvait avoir un meilleur ratio coût-efficacité [15]. Conclusion Une souche d’Abri importée à partir d’un pays émergent a conduit à une épidémie limitée dans un service de réanimation, rapidement contrôlée par la mise en place d’une cellule de crise et de mesures contraignantes de contrôle de l’épidémie. Cette gestion d’emblée « maximaliste » de l’épidémie a permis l’absence de fermeture prolongée de lits. Conflits d’intérêt : aucun. Références 1. Karageorgopoulos DE, Falagas ME. 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Recommandations HAS. Dépistage du portage digestif des bactéries commensales multirésistantes aux antibiotiques importées en France à l’occasion du rapatriement de patients en provenance de l’étranger et maı̂trise de leur diffusion. HAS, 2010. 8. Alfandari S, Gois J, Delannoy PY, et al. Prise en charge d’une épidémie d’Acinetobacter baumanii résistant à l’imipénème en réanimation. Med Mal Inf 2014 ; 44 : 229-31. 9. Garlantézec R, Bourigault C, Boles JM, et al. Investigation and management of an imipenem-resistant oxa-23 Acinetobacter baumannii outbreak in an intensive care unit. Med Mal Infect 2011 ; 41 : 430-6. 10. Snyder GM, D’Agata EM. Diagnostic accuracy of surveillance cultures to detect gastrointestinal colonization with multidrug-resistant gram-negative bacteria. Am J Infect Control 2012 ; 40 : 474-6. 11. Marchaim D, Navon-Venezia S, Schwartz D, et al. Surveillance cultures and duration of carriage of multidrug-resistant Acinetobacter baumannii. 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J Hosp Infect 2012 ; 82 : 290-2. Médecine et Santé Tropicales, Vol. 26, N8 1 - janvier-février-mars 2016