La transplantation d`organes Enjeux et paradoxes

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La transplantation
d’organes
Enjeux et paradoxes
Sous la direction de
Sylvaine De Plaen
La transplantation d’organes:
enjeux et paradoxes
La transplantation d’organes:
enjeux et paradoxes
Sous la direction de Sylvaine de Plaen
Textes de
Fernando Alvarez
Gilles Bibeau
Johanne Boivin
Marie-José Clermont
Isabelle Cossette
Sylvaine de Plaen
Michel Duval
Annie Gauthier
Jacques T. Godbout
Suzanne Lépine
Margaret Lock
Louise Ménard
Éditions du CHU Sainte-Justine
Centre hospitalier universitaire mère-enfant
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives Canada
Vedette principale au titre :
La transplantation d’organes : enjeux et paradoxes
(Collection Intervenir)
Comprend des réf. bibliogr.
ISBN 2-89619-050-3
1. Greffe (Chirurgie) – Aspect psychologique. 2. Identité (Psychologie). 3.
Altérité. 4. Greffés – Psychologie. I. De Plaen, Sylvaine. II. Collection.
RD120.7.T69 2006
362.19'795’0019
C2006-940132-2
Illustration : Geneviève Côté
Infographie : Madeleine Leduc
Diffusion-Distribution au Québec: Prologue inc.
en France : Casteilla Diffusion
en Belgique et au Luxembourg: S.A. Vander
en Suisse: Servidis S.A.
Éditions du CHU Sainte-Justine
3175, chemin de la Côte-Sainte-Catherine
Montréal (Québec) H3T 1C5
Téléphone: (514) 345-4671
Télécopieur: (514) 345-4631
www.chu-sainte-justine.org/editions
© 2006 Éditions du CHU Sainte-Justine
Tous droits réservés
ISBN 2-89619-050-3
Dépôt légal: Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2006
Bibliothèque et Archives Canada, 2006
Liste des auteurs
FERNANDO ALVAREZ
MICHEL DUVAL
Service de gastro-entérologie
Directeur du Département
de pédiatrie
Université de Montréal/CHU
Sainte-Justine
Chercheur en hémato-oncologie
CHU Sainte-Justine
ANNIE GAUTHIER
Professeur au Département
d’anthropologie
Université de Montréal
Coordonnatrice de l’Unité de
recherche psychosociale
Hôpital Douglas
Membre de l’Unité de pédiatrie
interculturelle
CHU Sainte-Justine
JOHANNE BOIVIN
JACQUES T. GODBOUT
Pédopsychiatre au Programme
de transplantation hépatique et
chef du Service de consultationliaison
Département de psychiatrie
CHU Sainte-Justine.
Chercheur et professeur émérite
INRS Culture, urbanisation et
société
GILLES BIBEAU
MARIE-JOSÉ CLERMONT
Responsable de l’Unité de
greffe rénale pédiatrique,
CHU Sainte-Justine
SUZANNE LÉPINE
Psychiatre, Consultation-Liaison
Programme de psychiatrie
CHU Sainte-Justine
MARGARET LOCK
Greffée d’un rein
Professeur aux départements
d’anthropologie et de sciences
sociales de la médecine
Université McGill
SYLVAINE DE PLAEN
LOUISE MÉNARD
Pédopsychiatre
CHU Sainte-Justine
Mère d’une jeune greffée
ISABELLE COSSETTE
Table des matières
Introduction
Sylvaine De Plaen ..............................................................
9
Transplantation d’organes : enjeux éthiques et sociaux
Fernando Alvarez................................................................ 13
Vivre avec l’organe d’un autre : ce qu’en disent les enfants et
leurs familles
Johanne Boivin .................................................................. 25
La transplantation d’organes à la lumière de l’anthropologie :
discours contradictoires et transformation des subjectivités
Margaret Lock .................................................................... 33
Le don, la dette et l’identité dans le don d’organes
Jacques T. Godbout ............................................................ 59
La question du don dans le don d’organes: une perspective
anthropologique
Gilles Bibeau ...................................................................... 79
Sous la tutelle de l’étranger
Isabelle Cossette.................................................................. 103
8
LA TRANSPLANTATION D’ORGANES
Transplantation de moelle osseuse : des enjeux éthiques
spécifiques ? L’expérience d’une réflexion entre parents,
enfants et soignants
Michel Duval .................................................................... 109
Recevoir le don ou quelques réflexions sur le travail du
médecin engagé en greffe rénale
Marie-José Clermont .......................................................... 113
Les interventions pédopsychiatriques en greffe rénale:
enjeux, réussites et limites
Suzanne Lépine ..................................................................127
La sortie de l’incertitude: jeux de langage et
interdisciplinarité dans l’équipe de transplantation du foie
du CHU Sainte-Justine
Annie Gauthier ..................................................................145
Lettre ouverte à ma fille : extraits
Louise Ménard....................................................................195
Introduction
Le thème de la transplantation d’organes s’est imposé
comme nouveau sujet de réflexion pour notre groupe
de pédiatrie interculturelle pour plusieurs raisons. Tout
d’abord, un membre de notre groupe, Fernando Alvarez, est
lui-même pédiatre hépatologue au CHU Sainte-Justine où il
travaille depuis plusieurs années dans le domaine de la
transplantation hépatique pédiatrique. Ensuite, une étudiante
au doctorat en anthropologie, Annie Gauthier, a débuté un
travail de recherche au sein de cette même équipe de transplantation pour tenter de dégager les diverses composantes
de l’alliance thérapeutique développée entre soignés et
soignants ainsi que pour réfléchir sur la nature des dynamiques en jeu au sein de l’équipe elle-même. Réfléchir sur
cette question nous est apparu particulièrement pertinent
dans la mesure où notre groupe, composé de pédiatres,
infirmières, anthropologues et pédopsychiatres, essaie de
réfléchir sur des questions médicales diverses en intégrant
des apports théoriques de disciplines non médicales, en
particulier les notions développées en éthique, en anthropologie et en sociologie.
La transplantation d’organes constitue certainement
un espace privilégié pour considérer les questions liées à la
gestion de l’altérité dans l’espace thérapeutique ainsi que
10
LA TRANSPLANTATION D’ORGANES
dans l’expérience du patient et de son médecin. Le fait de
recevoir l’organe d’un autre met inévitablement en jeu des
notions telles que l’identité et l’image de soi, puisque cette
identité «prend corps» précocement à partir des premières
expériences sensorielles, du «peau à peau» avec les figures
de soin privilégiées et du regard de l’autre. Le «Moi-Peau» tel
que défini par Didier Anzieu constitue en effet un « pré-moi
corporel » précurseur de l’identité qui se construit à partir du
portage précoce, des manipulations et des ancrages offerts
dans l’expérience de son propre corps à la fois contenu, porté
et supporté, toujours dans un rapport de relation avec l’autre.
Selon Anzieu, le «Moi-Peau » délimite un dedans et un dehors,
permettant ainsi la construction d’un espace psychique
délimité où viendront se déployer et s’organiser les contenus
psychiques de l’individu. Comment, en ce cas, l’expérience
de la transplantation d’organes, avec la rupture de l’enveloppe corporelle produite et l’apport d’une partie autre dans
le corps propre vient—elle jouer sur cette représentation de
soi et de l’autre ?
Les textes qui suivent abordent les enjeux liés à la transplantation d’organes sous des angles divers, à la fois identitaires, développementaux, médicaux, sociologiques, culturels
et éthiques.
Le texte de Fernando Alvarez, hépatologue, revient sur
l’histoire de la transplantation d’organes et sur divers enjeux
sociaux et éthiques associés à cette pratique médicale.
Johanne Boivin, psychiatre et consultante au sein de l’équipe
de greffe hépatique, expose le fonctionnement de l’équipe de
transplantation hépatique : dans de telles équipes, la multidisciplinarité apparaît toujours comme une condition
essentielle permettant de soutenir le travail des intervenants.
Johanne Boivin partage également les résultats d’une
recherche effectuée auprès d’une cohorte de jeunes transplantés. Elle y souligne la reprise développementale ainsi
que le désir de normalisation présent chez les jeunes et les
familles qui ont vécu l’expérience de la greffe.
Le texte de Margaret Lock, anthropologue bien connue
pour ses travaux en anthropologie médicale, évoque les
Introduction
11
différences culturelles dans l’expérience de la transplantation
entre le Japon et l’Amérique du Nord, ainsi que les questions
et enjeux présents chez des transplantés tout comme des
transplanteurs autour de la question de la définition du
soi et de la mort elle-même. Ces différences apparaissent
comme cruciales dans la gestion de ce processus médical
pourtant hautement technique. Jacques T. Godbout, sociologue, revient sur la question du don et de son corollaire
obligé, la dette, pour souligner l’importance des transactions
sociales associées au don dans les sociétés contemporaines
ainsi que les qualités particulières spécifiques aux dons
d’organes. L’anthropologue Gilles Bibeau réfléchit également
à ce thème du don à la lumière de l’anthropologie et aborde
plus particulièrement les enjeux qui entourent le secret, la
dette et le par-don.
Le texte suivant, intitulé « Sous la tutelle de l’étranger », est
extrait d’un livre publié autour de l’expérience d’une
ex-greffée rénale, Isabelle Cossette, dont les textes ont été
recueillis et rassemblés pour publication par une de ses
meilleures amies, Christine Aubé-Savoy. En plus de leur
valeur littéraire, ces textes ont le mérite de nous donner un
accès unique à l’expérience d’une jeune femme qui a dû
être transplantée à l’adolescence. Le procédé littéraire de la
troisième personne semble illustrer ce sentiment d’altérité
par rapport à soi-même vécu autour de la maladie, des
procédures médicales et de la gestion de cet « autre » en
dedans de soi.
Michel Duval, hématologue, partage ensuite ses questionnements sur la question de la transplantation de moelle
osseuse, en soulignant notamment les spécificités de cette
technique par rapport aux autres types de transplantation et
en faisant état des enjeux éthiques principaux identifiés dans
cette pratique. Le texte de Marie-José Clermont, néphrologue, offre une réflexion privilégiée sur le vécu du médecin
transplanteur en greffe rénale pédiatrique, dont les enjeux
de responsabilité et de culpabilité éventuelle, ainsi que le
rôle important de dépositaire de la mémoire et des origines
par le médecin. Suzanne Lépine, psychiatre consultante,
12
LA TRANSPLANTATION D’ORGANES
explique le rôle du pédopsychiatre dans une équipe de transplantation et présente diverses étapes du processus où son
intervention s’avère nécessaire pour sortir d’impasses thérapeutiques et favoriser le plus possible une bonne évolution
pour l’aventure de la greffe.
Annie Gauthier, anthropologue, revient ensuite sur les
résultats de son travail de recherche au sein de l’équipe de
transplantation hépatique, analysant les enjeux, les tensions
et les mouvements présents dans la vie de l’équipe.
Le témoignage de Louise Ménard, mère d’une fillette
greffée à un mois de vie, clôt cette réflexion sur la transplantation d’organes ; ces extraits de « Lettre à ma fille » font
eux aussi acte de mémoire et de trace pour cette procédure
technique, rendant ainsi représentable, transmissible et peutêtre plus facilement assimilable une expérience aux effets à
la fois réparateurs et traumatiques.
Sylvaine De Plaen
Transplantation d’organes : enjeux
éthiques et sociaux
Fernando ALVAREZ
La transplantation compromet le plus intime chez l’homme,
ses connaissances, sa science, son pouvoir sur la mort et ses limites
dans le respect des normes que la société a établies. À partir de ces
principes, il va établir le développement de sa responsabilité.
Daniel Alagille
L’humanité a rêvé pendant des siècles de la possibilité de
réaliser des transplantations d’organes et de tissus. Déjà au
XVe siècle, le moine Angelico représentait sur le triptyque
situé derrière l’autel du couvent de Saint Marc, à Florence,
saint Côme et saint Damien en train de transplanter la jambe
d’un commerçant florentin souffrant d’un cancer. Plusieurs
autres exemples peuvent être répertoriés dans des œuvres
artistiques et scientifiques tout au long de l’histoire de
l’humanité.
Au début du XXe siècle, plusieurs transplantations expérimentales ont été réalisées chez les animaux, avec des résultats qui ont permis d’améliorer la technique chirurgicale,
mais qui ont également été décourageants à court ou moyen
terme à cause du rejet du tissu ou de l’organe transplanté
par le système immunitaire du receveur. C’est seulement dans
les années 50 que les premières transplantations humaines
14
LA TRANSPLANTATION D’ORGANES
entre mère et fils et entre jumeaux identiques ont été réussies. Ces premiers résultats ainsi que la découverte, un peu
plus tard, du système HLA, ont permis le succès à plus long
terme de la greffe d’organes.
Au début des années 80, la découverte par le chercheur
suisse Jean-François Borel de la cyclosporine, substance
chimique extraite du champignon Tolypocladium inflatum,
a rendu possible le contrôle du rejet d’organe et, par conséquent, a permis l’expansion de la transplantation comme
possibilité thérapeutique dans le monde entier. La transplantation de tissus et d’organes a contribué au progrès de
la biologie et des techniques chirurgicales mais, en même
temps, en tant que nouvelle thérapie, elle a engendré
d’énormes défis sur les plans culturel, social, psychologique
et éthique. C’est sur ces nouveaux défis que nous souhaitons
nous questionner, sans prétendre donner de réponses catégoriques ou dogmatiques, mais en essayant plutôt d’apporter des
éléments de discussion nous permettant de progresser dans
notre pratique clinique. Cette réflexion s’inscrit dans le contexte d’un développement accéléré des connaissances scientifiques et des possibilités technologiques.
Lord Turnberg, ex-président du Collège royal des médecins
de Grande-Bretagne, a écrit il y a deux ans: «Dans les vingt
prochaines années, la médecine avancera autant que dans
les vingt derniers siècles.» Même si la progression des connaissances ne suit jamais un cours linéaire, nous pouvons
spéculer que la transplantation de tissus et d’organes telle
que nous la connaissons aujourd’hui sera très rarement
appliquée vers la fin du XXIe siècle. Nous pouvons proposer
au moins deux raisons pour justifier cette affirmation : 1) une
plus grande connaissance des maladies menant aujourd’hui
à la destruction d’organes ou menaçant la vie des individus;
2) le développement de la transplantation de cellules, la
production in vitro des tissus ainsi que la thérapie génique
qui se convertiront en alternatives thérapeutiques réelles,
même si aujourd’hui leur application demeure à échelle très
réduite.
Transplantation d’organes : enjeux éthiques et sociaux
15
Une des plus grandes limites à la transplantation d’organes
est leur disponibilité. Des progrès récents dans les techniques
chirurgicales ont permis la transplantation d’organes adultes
à des enfants ainsi que l’utilisation de donneurs vivants pour
transplanter enfants et adultes. Tout ces succès chirurgicaux
concernent surtout certains organes comme le foie et, à
un moindre niveau, les reins, le pancréas et l’intestin; par
contre, le cœur et le poumon demeurent des exceptions de
taille.
Don d’organes : un nouveau problème éthique
et social
La mort, jusqu’à très récemment définie comme l’arrêt du
cœur, s’est transformée au cours des dernières décennies en
la cessation permanente de l’activité cérébrale. Cette nouvelle
définition de la mort, qui répondait à la nécessité d’obtenir
des organes pour la transplantation qui puissent demeurer
perfusés jusqu’au moment de leur prélèvement, n’a pas toujours été acceptée par l’ensemble de la société et engendre
très souvent des doutes et des soupçons que les débats
médiatiques n’ont pas aidés à dissiper. Malgré l’établissement de règles claires et d’une méthodologie rigoureuse
acceptées et appliquées universellement pour diagnostiquer
la cessation irréversible des fonctions cérébrales, des doutes
persistent au sein de la population. On se demande souvent
si la personne est « vraiment » morte, d’autant plus que les
organes sont toujours présents et continuent de fonctionner.
De fait, si la cessation de la fonction cardiaque et ses
conséquences sont évidentes et facilement observables par
quiconque, établir l’absence d’une activité cérébrale requiert
l’aide de techniques hautement spécialisées.
Dans plusieurs pays, des lois ont été émises établissant
que tout adulte en état de mort cérébrale soit considéré
comme un donneur d’organe potentiel si, de son vivant,
il n’a pas manifesté son opposition. Dans la pratique néanmoins, l’acceptation du don d’organe par la famille est
habituellement demandée. Cette acceptation est toujours
nécessaire quand elle concerne des patients pédiatriques.
16
LA TRANSPLANTATION D’ORGANES
Malgré toutes ces considérations, nous continuons à nous
questionner sur l’impact psychologique que peut avoir le
démembrement d’une personne proche et la signification
symbolique qu’elle revêt selon le contexte religieux et
culturel en général. Dans certains pays comme le Japon, des
barrières culturelles limitent encore aujourd’hui le nombre
de donneurs en état de mort cérébrale. En contrepartie, les
transplantations utilisant les organes de donneurs vivants se
sont non seulement développées et perfectionnées, mais
elles ont également contribué largement au progrès des techniques chirurgicales ailleurs dans le monde. Par exemple,
pour diminuer les risques pour les donneurs, les chirurgiens
japonais ont développé et utilisé des techniques laparoscopiques sophistiquées pour l’extirpation de rein ou de lobe
hépatique.
Que signifie la transplantation d’un organe qui est encore
vivant et qui appartenait à un être aimé ? Comment peut-on
faire le deuil d’une personne qui continue à vivre « d’une
certaine façon » dans un autre individu ? Tous ces éléments
de réflexion peuvent être considérés comme une justification
suffisante pour maintenir l’anonymat autour des dons
d’organes. Et pourtant, cet anonymat empêche ce que les
anthropologues appellent le « contre don », c’est-à-dire le
devoir de payer en retour la dette contractée, dans ce cas en
remerciant la famille du donneur. Ceci nous mène à une
autre question : Quel est l’impact sur le receveur de l’organe
reçu ? Comment vit-il la culpabilité d’être demeuré vivant au
prix de la mort de quelqu’un d’autre ? Nous, professionnels
responsables du suivi des patients transplantés, devrions
nous renseigner sur ces sujets jusqu’à maintenant peu
considérés. Très peu de patients sont capables de verbaliser
l’angoisse et l’anxiété que ces questions représentent pour
eux.
Les dons d’organes posent aussi une série de questions
éthiques fondamentales. Les pays qui ont, les premiers,
développé la transplantation d’organes à partir d’un donneur en état de mort cérébrale se sont dotés de structures
visant à établir et à faire respecter des règles de distribution
Transplantation d’organes : enjeux éthiques et sociaux
17
des organes prélevés. Ces structures sont basées sur des principes éthiques presque universellement acceptés. Plusieurs
points sont soulignés : 1) le respect de l’anonymat ; 2) la justice distributive ; 3) l’absence de toute notion mercantiliste
entre le donneur et le receveur.
Le don d’organes est un acte fondamentalement généreux
et solidaire. Dans la pratique, les institutions créées dépendent de l’État et sont constituées par des représentants de la
société qui peuvent ou non avoir des liens avec l’activité de
transplantation. Ces individus établissent les normes qui
respectent les principes éthiques mentionnés plus haut et
assurent l’obtention et la distribution équitable des organes.
Très souvent, toutefois, des problèmes peuvent surgir, notamment suite à des conflits d’intérêts entre d’une part les professionnels qui sont en charge des patients nécessitant une
transplantation et, d’autre part, les autorités responsables de
la distribution des organes. Pour éviter ce type de conflit,
nous avons besoin de normes pour régir le fonctionnement
de ces institutions ainsi que des hôpitaux qui réalisent les
transplantations. Par ailleurs, l’évaluation des résultats de tout
type d’activité de greffe doit être transparente et rigoureuse. Le
consensus dans les indications d’une greffe ainsi que la réalisation des études de recherche doivent être réglementés à
partir d’avis d’experts impartiaux. La seule réponse valable,
pragmatique et positive face aux préjugés et aux conflits est
le respect des règles et des normes établies. La diffusion dans
la presse de faits aberrants, comme le paiement sous forme
de rétribution économique à un donneur ou encore le nonrespect de l’anonymat ont toujours été très délétères pour le
don d’organes.
La transplantation et le système de santé
Le développement de la transplantation et le don d’organe
se sont développés différemment dans les pays qui ont adopté ce type de thérapie, en accord avec le système de santé en
vigueur dans chacun. La plupart des systèmes de santé européens comme le système de santé canadien sont basés sur la
solidarité sociale et sur l’égalité d’accès à tous les services.
18
LA TRANSPLANTATION D’ORGANES
Dans ces pays, la transplantation est réalisée principalement
dans des hôpitaux publics et les coûts sont intégralement
assumés par l’État. Le suivi et les coûts des médicaments
en général sont aussi dépendants de l’apport étatique. Néanmoins, dans ces mêmes pays, on peut constater des inégalités
par rapport à la possibilité d’accès à une transplantation et
au suivi ultérieur. Dans un article récent, McCormick et coll.
décrivent les inégalités liées au niveau socio-économique
ainsi qu’à la proximité géographique avec les centres de
transplantation dans un pays comme l’Irlande, dans lequel il
existe pourtant un système universel d’accès à ce type de
traitement.
Dans des pays comme les États-Unis d’Amérique, la situation est beaucoup plus dramatique. Presque 20 % de la
population n’a aucune assurance-maladie et par conséquent
n’a qu’un accès très limité à la transplantation d’organes.
Dans ces pays, même si on reçoit une transplantation, le
niveau socio-économique et la provenance du patient influencent lourdement les résultats thérapeutiques à long terme.
Un autre problème éthico-social intéressant est posé par
les étrangers transplantés aux États-Unis, en général des gens
d’un niveau socio-économique élevé mais transplantés avec
des organes de donneurs locaux. Cette situation est expliquée
par les bénéfices économiques significatifs pour l’hôpital et
les professionnels qui réalisent la procédure.
Le type de système de santé a aussi une influence sur les
coûts d’une transplantation. Aux États-Unis, les évaluations
pré-transplantation hépatique et le suivi post-greffe coûtent
environ 250 000 $ US, alors que le prix pour les mêmes
activités avoisine les 50000 $US pour le Canada. Cette différence peut être expliquée partiellement par les bénéfices
économiques obtenus par les centres de transplantation aux
États-Unis et qui varient entre 0% et 85%, avec une moyenne
aux alentours de 50 %. Cette activité lucrative a eu comme
conséquence la constitution de groupes de transplantation
ayant une activité réduite dans plusieurs centres de santé à
travers le pays, ceci sans qu’on tienne compte du fait que la
Éditions du CHU Sainte-Justine
Centre hospitalier universitaire mère-enfant
Les auteurs, qui sont issus de diverses spécialités (pédiatrie, psychiatrie, anthropologie,
sociologie…) abordent dans cet ouvrage, en
multipliant perspectives et expertises, certains
des enjeux liés au phénomène complexe de
la transplantation.
Leurs textes révèlent, au-delà des aspects
techniques, la façon dont cette pratique est
également traversée par des valeurs, des
significations et des enjeux propres à la
société elle-même et à chaque individu.
Le témoignage émouvant de la mère d’une
enfant transplantée de même que le texte
d’une jeune femme ayant reçu un rein complètent cette réflexion sur les enjeux et les
paradoxes de la transplantation d’organes.
Cette pratique met inévitablement en jeu
des notions telles que l’identité et l’image de
soi. Elle est donc analysée ici sous des angles
divers, à la fois identitaires, développementaux, médicaux, sociologiques, culturels et
éthiques.
Textes de Fernando Alvarez, Gilles Bibeau,
Johanne Boivin, Marie-José Clermont, Isabelle
Cossette, Sylvaine De Plaen, Michel Duval, Annie
Gauthier, Jacques-T. Godbout, Suzanne Lépine,
Margaret Lock et Louise Ménard.
ISBN-2-89619-050-3
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